Labour Market Tunisia FR
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Labour Market Tunisia FR
DYNAMIQUE DES
COMPÉTENCES ET
POLITIQUES D’EMPLOI
EN TUNISIE
Rédigé par Mongi Boughzala pour la Fondation européenne pour la formation.
La Fondation européenne pour la formation (ETF), en tant qu’agence de l’Union européenne (UE)
spécialisée en développement du capital humain et en employabilité, coopère de manière
systématique avec les institutions gouvernementales et civiques de la Tunisie qui œuvrent à la
réussite des politiques nationales d’emploi et de formation tout au long de la vie, en particulier : les
ministères (emploi et formation professionnelle, éducation, enseignement supérieur et leurs agences),
les organisations sectorielles/branches professionnelles, les partenaires sociaux, les organisations de
la société civile, les pouvoirs locaux, le système national de la statistique et la recherche. Ces
partenaires sont les principaux destinataires de cette analyse.
Ce rapport très succinct vise à contribuer à la réflexion et au dialogue politique que l’ETF maintient
avec ses partenaires nationaux. Par ailleurs, il a l’ambition de servir de source sur les principales
tendances du développement des ressources humaines et du marché du travail en Tunisie, utile pour
les institutions de l’UE, les partenaires internationaux et autres instances.
Avec cette étude, l’ETF reprend ses activités dans le domaine de l’information sur le marché du travail
et la politique de l’emploi en Tunisie. L'analyse est basée sur les données existantes de l’Institut
national de la statistique (INS), de l’Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant (ANETI) et
d’autres ensembles de données, comme indiqué dans les références en fin de document. Ainsi, cette
étude constitue le premier pas vers une couverture plus étendue des tendances du marché du travail
et des compétences. Comme toute analyse d’un sujet aussi dynamique que le marché du travail, il
sera important d’enrichir et de mettre à jour les données et tendances identifiées.
Ce rapport est structuré en deux chapitres thématiques portant principalement sur : a) les dynamiques
du marché du travail et des compétences en Tunisie, en mettant l'accent sur l'incidence, les causes et
les effets de l'inadéquation entre offre et demande de compétences ; b) la jeunesse sur le marché du
travail. Le rapport analyse les tendances en matière d’offre et de demande, discute des
problématiques liées à l’inadéquation emploi/compétences et passe en revue les principales mesures
des politiques d’emploi et de formation. Par ailleurs, le chapitre 1 dresse le portrait et présente les
spécificités de trois secteurs : tourisme, technologies de l’information et de la communication (TIC) et
bâtiment et travaux publics (BTP).
Les citoyens de tout groupe actif dans l’économie et la vie sociale ont pourtant besoin d’informations
pertinentes, adaptées et de qualité sur les tendances des compétences et qualifications, des emplois
et métiers et des secteurs créateurs d’emploi, de même que sur l’offre de formation pertinente, les
défis de la reconnaissance des diplômes et tant d’autres éléments d’appui à la décision et à
Le nécessaire rapprochement entre demande et offre de compétences passe par une amélioration
importante de l’information. S’acheminer vers un tel système d’information sur le marché du travail et
l’offre de compétences requiert une approche plus pragmatique, qui consisterait à promouvoir le
partenariat et la collaboration systématiques entre les différentes institutions intéressées et
représentant les ministères (emploi et formation professionnelle, éducation, enseignement supérieur
et leurs agences), les branches professionnelles, les partenaires sociaux, le système national de
statistique et la recherche.
L’ETF remercie toutes les institutions et les personnes qui ont contribué à cette analyse par leurs
opinions et informations pertinentes.
Remerciements au professeur Mongi Boughzala, auteur du présent rapport. L’experte ETF Eduarda
Castel-Branco a coordonné cette étude et formulé des commentaires et suggestions tout au long du
processus de rédaction. Les commentaires et recommandations des collègues ETF Thierry Foubert et
Francesca Rosso ont été pris en considération dans la version finale du rapport.
ACRONYMES ...................................................................................................................... 69
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 70
L’étude est organisée en deux chapitres. Le premier chapitre décrit ces déséquilibres et essaie d’en
comprendre la genèse tout en accordant une attention particulière au mésappariement des
qualifications. Quelle est l’ampleur de ce mésappariement et dans quels domaines se manifeste-t-il
principalement ? Malgré son importance, cette question n’avait jusqu’alors été que peu traitée dans le
contexte tunisien – à l’exception de quelques tentatives partielles (Boughzala, 2011 et 2017 ; ONEQ,
2013) –, et ce en partie à cause du manque de données sur la demande de travail et les besoins des
entreprises en matière de professions et de qualifications 1.
Le deuxième chapitre porte sur la situation des jeunes sur le marché du travail. En effet, ce sont eux
les plus concernés par le défi du chômage et par l’inadéquation entre les qualifications produites et
celles demandées par l’économie.
Le marché du travail tunisien est caractérisé par des déséquilibres forts et persistants au niveau de
l’offre et de la demande totale de travail et de la structure des qualifications. Ce déséquilibre se
manifeste sous forme de chômage et d’un décalage entre les qualifications recherchées par les
employeurs et celles produites par le système d’éducation et de formation – décalage qui s’explique
en partie par l’imperfection du système d’information du marché du travail. Il est donc essentiel de
renforcer et de mieux intégrer ce système, afin d’agir sur ces déséquilibres à la fois au niveau de
l’offre et de la demande de travail.
Sur le plan de l’offre, malgré le ralentissement de la croissance démographique depuis le milieu des
années 1990, la population active continue d’augmenter et la pression sur le marché du travail est
appelée à persister. Cette pression résulte de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, on observe une explosion du nombre de jeunes diplômés, surtout de l’enseignement
supérieur, et une évolution de la structure de la population active. Les deux tiers des diplômés étant
des jeunes femmes, on peut s’attendre à terme à une augmentation importante du taux d’activité des
femmes – en dépit de tous les obstacles auxquels elles se heurtent et de la faiblesse actuelle de ce
taux. Au cours de la dernière décennie, la croissance démographique a de plus enregistré une reprise
légère mais non négligeable résultant de deux effets : (i) l’effet d’écho de l’explosion démographique
des années 1980‒90, les enfants nés au cours de cette période ayant atteint l’âge du mariage ; et
(ii) une augmentation passagère de la fertilité. Cette reprise démographique se répercutera sur le
marché du travail au cours de la prochaine décennie.
1Ce manque de données est particulièrement flagrant s’agissant de la demande future, qui est pourtant censée
guider les choix du système de formation et d’éducation en vue d’offrir les qualifications appropriées et de mieux
préparer les jeunes à l’emploi.
Les jeunes, notamment les jeunes diplômés, et encore plus les jeunes femmes, sont peu attirés par
les emplois informels et préfèrent souvent continuer de chercher un emploi formel conforme à leurs
attentes plutôt que de s’installer dans un emploi informel. Et lorsqu’ils acceptent de travailler dans
l’informel par nécessité, c’est sans satisfaction et en considérant que leur transition vers l’emploi n’est
pas achevée. Certains, et ils sont nombreux, surtout parmi les femmes, abandonnent et quittent le
marché du travail : ce sont les inactifs découragés (comptés parmi les actifs selon la définition large
de la population active).
Le nombre de jeunes chômeurs était et demeure très élevé : plus des deux tiers des chômeurs du
pays ont moins de 30 ans, et 85 % ont moins de 35 ans. Le chômage touche davantage les jeunes
instruits, et plus encore les femmes diplômées de l’enseignement supérieur. C’est un chômage
persistant qui s’est récemment aggravé (au cours de la dernière décennie 2007‒17). Pour les jeunes
de la tranche d’âge 15‒29, il fluctue autour de 33 % depuis 2013 alors qu’il était de 25 % il y a dix
ans2.
Alors que pour l’ensemble de la population active (15 ans et plus) il est bien connu que le taux de
chômage des femmes est deux fois supérieur à celui des hommes (12,5 % pour les hommes contre
22,7 % pour les femmes en 2017, selon les données de l’INS), il est à noter que cet écart tend à
disparaître entre les jeunes femmes et les jeunes hommes. La situation s’est même renversée
en 2015.
La discordance entre les qualifications recherchées par les entreprises et celles offertes se traduit plus
par l’insatisfaction des employeurs et des employés que par l’impossibilité de pourvoir des postes
2 En faisant abstraction des perturbations au cours des années exceptionnelles qui ont suivi la révolution
(inachevée) de 2011.
En attendant, il est crucial de trouver des solutions au problème des nombreux chômeurs (plus de
600 000) produits par le système en vigueur. Ces solutions passent par la mobilité, la formation
continue, la migration, etc. Tout un dispositif de politique active du marché du travail (PAMT) a été mis
en œuvre, dont les interventions portent essentiellement sur (i) la formation, (ii) la subvention de
l’emploi, (iii) l’aide à l’emploi et à la réinsertion sur le marché du travail et (iv) la promotion de
l’entrepreneuriat. Il est établi que ces interventions ont produit un impact positif en aidant les jeunes à
acquérir une première expérience professionnelle et à s’insérer sur le marché du travail. Notons
toutefois qu’elles ciblent en premier lieu les diplômés de l’enseignement supérieur et que rien – ou
peu – n’est spécialement prévu en faveur des régions, du milieu rural ou des femmes, sachant que les
diplômés de l’enseignement supérieur représentent moins du quart des jeunes et du tiers des
chômeurs. Si 70 % des bénéficiaires des programmes de PAMT sont des jeunes femmes, ce n’est
pas du fait d’un traitement privilégié mais parce qu’elles sont davantage représentées parmi les
diplômés et les chômeurs. Et si les jeunes des régions intérieures sont défavorisés, c’est en raison de
la pauvreté du tissu économique de leur région qui offre peu de possibilités d’emploi (quelle que soit
sa forme : stage, emploi subventionné, etc.) et donc de bénéficier des instruments existants. Les
chiffres plaident en faveur d’une répartition plus équitable des ressources entre les diplômés du
supérieur et les sortants du secondaire, entre hommes et femmes et entre les diverses régions du
pays.
Il convient également de noter que les interventions de PAMT visant la promotion de l’entrepreneuriat
et le lancement de startups se sont avérées coûteuses et peu efficaces – seuls 3 % des jeunes s’y
intéressent et à peine 1 % vont jusqu’au bout.
Le déséquilibre est avant tout global et lié à divers facteurs d’offre et de demande de travail. Le
facteur démographique, combiné à une rapide transformation de la structure de la force de travail,
constitue le facteur principal au niveau de l’offre. La faible croissance de la demande de travail et la
structure de l’emploi et des emplois vacants sont les principaux indicateurs du déséquilibre au niveau
de la demande.
Comme l’indique le graphique 1.1, il est important de rappeler que la Tunisie a connu une explosion
démographique qui a atteint son apogée durant les années 1980 (le taux de croissance
démographique dépassait alors les 2,5 %) et a pris fin au milieu des années 1990 quand ce taux est
passé en dessous de la barre des 2 %, pour finalement atteindre 1 % avant 2000. Cette croissance
rapide a donné lieu, 20 à 25 ans plus tard, c’est-à-dire entre 2000 et 2010, à une très forte
augmentation du nombre de jeunes et de la population d’âge actif.
4.0
3.0
2.0
1.0
0.0
1970
1973
1976
1979
1982
1985
1988
1991
1994
1997
2000
2003
2006
2009
2012
2015
4.0
3.0
2.0
1.0
0.0
10.00
8.00
6.00
4.00
2.00
0.00
1970 1977 1984 1991 1998 2005 2012
Il est incontestable que la Tunisie est parvenue à un stade avancé de sa transition démographique et
que son taux de croissance démographique est en train de se stabiliser autour de 1 %3 (sous l’effet de
l’éducation, de la baisse de la fertilité, du recul de l’âge du mariage, etc.) – ce qui se répercute sur la
population d’âge actif et, partant, sur la population active. L’impact sur la population active sera
encore plus net dans une décennie. Cependant, d’autres facteurs déterminants vont très
probablement contrecarrer l’effet démographique pur et faire durer la pression de l’offre sur le marché
du travail. Deux facteurs sont à noter : (i) il faudra beaucoup de temps à l’économie pour absorber les
plus de 600 000 chômeurs actuels ; et (ii) il faut s’attendre à un changement structurel concernant le
taux d’activité de la population féminine (ainsi peut-être que de la population masculine, mais dans
3 Il est remarquable que le taux de croissance démographique, après avoir atteint un minimum de 0,7 % par an
en 2005/2006, a de nouveau augmenté et dépassé la barre de 1 % – mais cette augmentation ne reflète pas une
reprise permanente de la fertilité. Elle est davantage due à un effet d’écho, l’effet retardé de l’explosion du
nombre de jeunes nés dans les années 1980/1990 et qui ont atteint l’âge du mariage. C’est donc un effet
transitoire qui va s’estomper au cours de la prochaine décennie.
TABLEAU 1.1 POPULATION D’ÂGE ACTIF (15+) PAR TRANCHE D’ÂGE (EN MILLIERS)
15‒19 20‒24 25‒29 15‒29 30‒34 35‒39 40‒44 45‒49 50‒54 55‒59 60‒64 65‒69 70‒74 75‒79 80+ 15+
2015 837,9 937,3 947,0 2 722,2 997,0 827,8 737,4 691,9 659,2 542,2 430,9 265,6 223,4 168,9 214,2 8 480,5
2016 854,7 956,5 966,5 2 777,7 943,5 844,8 752,7 706,2 672,8 553,3 439,8 271,2 228,0 172,3 218,6 8 581
2017 866,2 969,2 978,6 2 814 965,2 856,2 763,0 715,6 681,7 560,6 445,7 274,9 230,9 174,3 221,2 8 694,4
Source : INS
5.0%
4.0%
3.0%
2.0%
1.0%
0.0%
1970
1972
1974
1976
1978
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
80
60
40
20
0
1992
2000
1960
1964
1968
1972
1976
1980
1984
1988
1996
2004
2008
2012
2016
Année 1990 1995 2000 2005 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Femmes 23,6 24,4 24,5 24,7 24,8 24,9 24,9 25,8 25,6 26,0 26,6 26,5
Hommes 67,9 67,3 67,7 68,0 68,7 69,5 70,1 70,3 70,0 68,8 68,5 68,3
Total 45,5 45,6 45,9 46,2 46,5 46,9 47,2 47,8 47,4 47,1 47,2 47,0
Source : données de l’INS et de la Banque mondiale (WDI).
Le faible taux d’activité des femmes est préoccupant, non seulement à cause de l’impact que cela
peut avoir sur le niveau de l’offre de travail – et de la pression associée du point de vue de l’équilibre
(ou du déséquilibre) du marché du travail – et à cause de la perte de capital humain que représente la
non-participation des femmes aux activités productives, mais aussi parce que ce taux est en flagrante
contradiction avec les performances intellectuelles des femmes4. Les travaux de Ayed-Mouelhi &
Goaied (2018) et de Hanmer et al. (2018), qui se fondent sur les données de l’enquête sur le marché
du travail en Tunisie (Tunisia Labour Market Panel Survey, ou TLMPS) réalisée par l’Economic
Research Forum en 2014, se sont penchés sur les raisons d’un tel taux. Le premier travail a confirmé
l’importance du facteur socio-culturel et du niveau d’éducation, du statut familial, de la charge
familiale, du lieu du travail et des opportunités d’emploi disponibles. Le second travail insiste plus sur
la disponibilité des emplois et sur l’écart de salaire entre hommes et femmes. Les deux travaux tirent
leurs résultats de calculs économétriques permettant d’estimer la probabilité qu’une femme accède au
marché du travail. On retient que la mobilité de la femme est plus limitée que celle de l’homme et qu’il
est clair que le facteur culturel pèse négativement. Cependant, les autres facteurs reflétant un calcul
rationnel du coût d’opportunité du temps consacré au travail (lieu et conditions de travail, gardiennage
des enfants et charges familiales, salaires, etc.), et qui sont susceptibles d’évoluer, sont importants.
Ces facteurs contrôlables méritent plus d’attention.
4.2
Household Work 64.8
48.6
48.0
Full Time Student 22.0
28.9
23.7
Retired or does not want to work 2.8
8.4
24.1
Other 10.4
14.1
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
3.6
Household Work 76.4
60.6
34.9
Full Time Student 13.6
18.2
15.4
Retired or does not want to work 0.3
3.6
46.0
Other 9.7
17.6
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
Source : Hanmer et al. (2018), d’après les résultats de l’enquête TLMPS de 2014
Les contraintes sociales et culturelles sont certes difficiles à surmonter, mais on peut conjecturer que
l’augmentation récente du taux d’activité des femmes de 25 à 26,5 % entre 2012 et 2017 marque très
certainement le début d’un changement structurel important. La transition passe par des réformes au
niveau règlementaire et une mutation politique. L’amélioration de la prise en charge et du gardiennage
des enfants, de la sécurité et des conditions de travail et de transport en faveur des femmes,
l’élimination de la discrimination contre les femmes en termes de salaires et de promotion dans le
travail et surtout la prise en charge du coût de la maternité par la société (au lieu de l’entreprise qui
emploie les femmes) peuvent provoquer une augmentation significative du taux d’activité des femmes.
Ce sont les femmes elles-mêmes qui sont susceptibles de revendiquer et de défendre les
changements nécessaires, et leur avantage éducatif pourra être un facteur de succès. Les données
statistiques disponibles révèlent déjà que les femmes jeunes (qui sont aussi les plus instruites) sont
beaucoup plus présentes sur le marché du travail (tableau 1.3). Le tableau 1.5 nous indique plus
précisément que le nombre de femmes actives diplômées de l’enseignement supérieur a déjà
dépassé celui des hommes et que ce nombre augmente très rapidement (à plus de 7 % par an
en 2017 comme précisé dans le tableau 1.6). Même si ces femmes diplômées rencontrent plus de
difficultés à s’insérer, leur présence de plus en plus massive finira par engendrer des réactions et
donc des ajustements structurels au niveau politique, qui se répercuteront sur le taux d’activité
féminine. Ce processus sera par ailleurs renforcé à long terme par le ralentissement de la croissance
démographique.
Âge 25‒29 30‒34 39‒35 40‒44 45‒49 50‒54 55‒59 60‒64 65‒69
2015 47,6 44,3 37,7 32,6 27,0 19,6 13,0 5,9 3,1
2016 62,2 52,2 34,8 24,7 20,1 15,0 8,6 3,4 1,3
2017 60,4 51,1 36,4 25,6 21,0 15,8 9,3 3,2 1,2
Source : données de l’INS, calculs de l’auteur
Le ralentissement des taux d’activité est une tendance qui affecte en réalité toutes les catégories de
jeunes Tunisiens (femmes et hommes, riches et pauvres) et constitue un phénomène préoccupant. Les
résultats de l’enquête sur la transition vers la vie active (ETVA) réalisée par l’Organisation internationale
2016
Analpha-
Primaire Secondaire Supérieur Non déclaré Total
bète
Total 316 900 1 351 100 1 513 100 855 300 11 000 4 047 400
Hommes 217 300 1 106 200 1 137 600 417 100 6 700 2 884 900
Femmes 99 600 244 800 375 500 438 100 4 300 1 162 300
2017
Total 315 000 1 336 700 1 529 800 900 900 1 800 4 084 200
Hommes 210 700 1 091 400 1 177 100 430 100 1 300 2 910 600
Femmes 104 400 245 300 352 600 470 800 500 1 173 600
Source : INS
2011-2012
2012-2013
L’inadéquation de la formation transparaît déjà à travers la répartition des étudiants par domaine
d’étude. En 2017, près de la moitié suivent encore des études sociales et d’humanités. Et ceux qui
suivent des études techniques et scientifiques ont souvent autant de difficultés à s’insérer sur le
marché du travail, sinon plus. Les taux de chômage pour ces catégories, nous allons le voir, sont
plutôt plus élevés. Ce n’est pas étonnant, car les mécanismes et les moyens nécessaires pour
adapter les formations et les enseignements aux besoins sont faibles et insuffisants, y compris dans le
cas des études techniques et scientifiques. Il est nécessaire d’identifier d’une manière beaucoup plus
fine les types d’enseignements et de formations techniques et scientifiques correspondant aux
qualifications demandées. On verra que le taux de chômage est non seulement plus élevé pour les
jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, mais qu’il l’est encore plus pour ceux des disciplines
dites scientifiques.
Par ailleurs, le système éducatif est axé sur l’enseignement secondaire général et l’enseignement
supérieur classique tandis que, malgré les multiples tentatives, la place de la formation
professionnelle demeure très modeste. La formation professionnelle secondaire totalise près de
50 000 inscrits contre près de 900 000 pour les collèges et lycées, ce qui équivaut à moins de 6 %.
Même en ajoutant les jeunes inscrits en programmes d’apprentissage et ceux qui sont en BTS (brevet
de technicien supérieur), la part des jeunes en formation professionnelle reste autour de 8 %, ce qui
est très faible.
Pourtant, le dispositif de la formation professionnelle a fait, depuis plus de trois décennies, l’objet de
plusieurs réformes visant sa promotion et son orientation en fonction des besoins de l’économie. Les
partenariats avec les entreprises et la formation en alternance se sont notamment développés. Il
existe toutefois d’importants problèmes de mise en œuvre. Le centre national de formation de
formateurs et d’ingénierie de formation, qui fait la fierté du pays et a énormément contribué à
l’amélioration et à l’adaptation des programmes de formation, ne dispose souvent pas d’informations
lui permettant d’identifier et de mesurer les besoins en formation et n’a pas les moyens de vérifier que
les établissements de formation procèdent systématiquement aux ajustements requis. L’organisation
et la gouvernance de ces établissements ne leur donnent pas la flexibilité et la motivation nécessaires
pour faire preuve de la réactivité demandée, notamment au niveau de leurs programmes et méthodes.
Le résultat est que les progrès réalisés par les établissements de formation professionnelle publics
sont très inégaux et en deçà des attentes. Malgré leur faible capacité et la gratuité de la formation
qu’ils offrent, beaucoup de centres de formation ne fonctionnent pas à leur pleine capacité
(tableau 1.11). Cette situation s’explique par différents facteurs, notamment la faible attractivité, les
asymétries d’information et l’accès insuffisant à une orientation professionnelle de qualité.
Le problème du chômage des jeunes ne réside donc pas seulement dans le nombre de diplômés,
mais également dans la qualité et la nature de la formation produite par le système éducatif et dans
l’incapacité de l’économie d’absorber tous les sortants des universités et des établissements de
formation et d’évoluer vers des activités plus intensives en main-d’œuvre qualifiée, c’est-à-dire dans la
faiblesse de la demande de travail.
3600000
3400000
3200000
3000000
2800000
2600000
800000
600000
400000
200000
0
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Les jeunes de 15 à 29 ans sont moins demandés que les adultes de 30 à 64 ans. Alors qu’ils
représentent autour de 20 % de la population active, ils ne comptent que pour 10% des employés et
leur taux d’emploi, qui se situe autour de 20% (voir graphique 1.10) a même connu une légère baisse.
Cette situation s’explique par une combinaison de facteurs : leur manque d’expérience et/ou de
compétences ou l’inadéquation de leurs compétences – s’il est difficile de faire la part entre ces
différents éléments, tous sont réels. Si la demande globale était assez élevée, les entreprises feraient
certainement l’effort de préparer et de compléter la formation des jeunes pour les adapter à leurs
besoins. Il est certain que, dans l’ensemble, les entreprises fournissent peu d’efforts dans le domaine
de la formation continue et investissent peu dans le développement des compétences.
On note également une préférence pour les hommes. On peut parler d’une discrimination envers les
femmes. Les données du tableau 1.12 montrent que 26% des employés sont des femmes alors
qu’elles représentent 29% de la population active, sans parler de celles qui ont abandonné le marché
du travail parce qu’elles étaient découragées par la rareté des emplois disponibles. Il y a, en effet,
beaucoup plus de femmes découragées que d’hommes, de même qu’il y a plus de femmes qui ne
sont ni employées ni en formation ou en éducation (NEET). Cette discrimination peut être à l’origine
d’une forme de mésappariement.
15‒19 20‒24 25‒29 34‒30 35‒39 40‒44 49‒45 50‒54 55‒59 64‒60 65‒69 70+ Total
2015
Total 84,7 248,4 424,8 546,4 494,8 446,8 398,5 352,4 235,1 92,2 30,4 31,8 3 386,3
Hommes 60,2 172,2 282,5 382,6 355,7 331,8 305,9 288,9 200,5 79,8 26,2 27,4 2 513,8
Femmes 24,5 76,2 142,3 163,8 139,2 114,9 92,5 63,5 34,6 12,4 4,2 4,4 872,5
2016
Total 104,3 261,3 431,4 515,5 502,5 450,6 405,9 355,2 235,1 94,1 30,4 31,3 3 417,6
Hommes 72,1 177,6 288,5 357,0 359,7 334,3 311,5 290,7 202,4 81,8 26,2 26,1 2 527,9
Femmes 32,2 83,7 142,9 158,5 142,8 116,3 94,4 64,5 32,7 12,3 4,3 5,2 889,7
2017
Total 97,8 264,6 430,8 516,2 513,4 459,4 416,1 361,9 241,7 94,1 32,6 29,5 3 458,1
Hommes 68,6 183,1 288,4 359,0 362,0 337,2 315,4 293,7 205,7 82,3 28,6 26,2 2 550,1
Femmes 29,2 81,5 142,5 157,2 151,4 122,2 100,8 68,2 36,0 11,7 4,1 3,2 908,0
Source : INS
40
30
20
10
0
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Nous savons que le défi de l’emploi et le déséquilibre le plus marqué concernent la population active
éduquée, en particulier les diplômés de l’enseignement secondaire. On constate néanmoins que le
niveau d’éducation de la population employée est de plus en plus élevé, et que la part des diplômés a
dépassé les 20 % – ce chiffre ne garantit pas pour autant qu’ils occupent des postes correspondant à
leur niveau. Nous aborderons ce sujet plus loin, dans la section consacrée au mésappariement.
Notons que c’est la part des femmes employées et diplômées de l’enseignement supérieur qui
augmente le plus rapidement : elle a atteint 34,6 % en 2015, puis plus de 40 % en 2017. Cette part a
en revanche diminué pour les hommes, de 15,7 % en 2015 à 14,8 % en 2017. Il y a de plus en plus
d’hommes employés qui ont arrêté leurs études au niveau du secondaire, souvent avec peu de
qualifications certifiées. À terme, les hommes vont ainsi perdre leur position prédominante au profit
des femmes pour ce qui est de l’emploi, du pouvoir et des décisions.
TABLEAU 1.14 RÉPARTITION DES EMPLOYÉS PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ ET GENRE (%)
Occupation
Secteur d’activité
Col bleu Managers Col blanc Total
Agriculture, forêt et pêche 19,79 0,00 0,18 19,97
Mines et carrières 0,00 0,00 0,13 0,13
Industries manufacturières 22,78 0,19 2,91 25,88
Électricité, gaz 0,00 0,00 0,15 0,15
Construction 0,53 0,00 0,30 0,83
Commerce 2,29 0,36 7,82 10,47
Transport et stockage 0,08 0,00 0,00 0,08
Hôtellerie et restauration 0,57 0,00 0,33 0,90
Information et communication 0,18 0,64 0,31 1,14
Finances et assurances 0,77 0,00 0,33 1,10
Logement 0,23 0,00 0,00 0,23
Activités professionnelles, scientifiques et techniques 0,00 0,00 0,31 0,31
Services administratifs et de soutien 0,59 0,15 1,04 1,78
Administration publique 2,20 1,24 4,46 7,90
Éducation 1,67 12,68 2,16 16,51
Santé et activités sociales 0,33 0,25 4,48 5,06
Arts et divertissement 0,00 0,62 0,00 0,62
Autres services 0,65 0,00 3,99 4,64
Activités d’organismes non-résidents 2,29 0,00 0,00 2,29
Total 54,97 16,13 28,90 100,00
Source : données de l’enquête TLMPS 2014, reprises des travaux de Ayed-Mouelhi & Goaied
Les deux tiers du total des emplois sont créés par quatre secteurs : l’agriculture, les industries
manufacturières (essentiellement le textile et l’habillement), le bâtiment et les travaux publics (BTP) et
le commerce sous toutes ses formes. Mais ces emplois font appel, en grande majorité, à une main-
d’œuvre peu qualifiée à laquelle on offre des salaires modestes et des conditions de travail souvent
difficiles.
Le secteur agricole assure autour de 18 % de l’emploi. Il recrute surtout des salariés saisonniers – les
employés les moins fortunés du pays – et une main-d’œuvre familiale, y compris l’exploitant considéré
comme un indépendant (auto-employé) dans les statistiques de l’INS. Ce secteur est dominé par
Les industries manufacturières (16 à 17 % des emplois) font davantage appel à une main-d’œuvre
qualifiée, puisque 10 % de leurs employés sont des cadres diplômés. Les 90 % d’emplois restants
concernent surtout une main-d’œuvre peu qualifiée. Les bas salaires demeurent un facteur
déterminant de la demande de travail dans ce secteur où l’habillement occupe toujours une part très
importante, suivi des industries mécaniques et électriques relativement plus diversifiées et plus
exigeantes en savoir et qualifications. Le même schéma se retrouve dans le secteur du BTP qui
représente 10 % des emplois, mais où la précarité est encore plus forte.
Au sein du secteur privé, certains services sont en train d’évoluer et de créer des emplois de bonne
qualité s’adressant à des profils plus qualifiés. Il s’agit notamment des services professionnels
(scientifiques et d’ingénierie), des TIC, de la santé et de l’éducation, mais leur part dans l’emploi est
encore faible. C’est le secteur public, y compris l’administration publique, les établissements
d’enseignement, de formation et de santé, ainsi que les entreprises publiques, qui emploie le plus de
main-d’œuvre qualifiée diplômée. Depuis au moins une décennie, on observe toutefois un déclin du
recrutement dans le secteur public et l’espoir pour les jeunes d’y trouver un emploi est de plus en plus
faible.
Le graphique 1.11 illustre la faible capacité d’absorption des diplômés du supérieur affichée par les
principaux secteurs créateurs d’emplois, et montre qu’un progrès significatif a été réalisé au niveau
des industries manufacturières et de certains services. En effet, selon les données de l’enquête ETVA
conduite par l’OIT en 2013, la plupart des jeunes âgés de 15 à 29 ans exercent des métiers peu
qualifiés : 26,8 % sont des « ouvriers et employés moins qualifiés » ; 12,4 % sont des « conducteurs
d'installations et de machines et ouvriers de l'assemblage » ; 14,8 % sont des « artisans et ouvriers
des métiers de type artisanal » ; et 16,3 % travaillent comme « personnel des services et vendeurs de
magasin et de marché ».
La conclusion immédiate qui découle de l’examen de l’emploi par secteur est que l’économie dans
son ensemble, et plus particulièrement le secteur privé, ne génère pas assez d’emplois pour les
personnes qualifiées sortant de l’enseignement supérieur et même des établissements de formation
professionnelle. Il y a un consensus dans le pays sur la nécessité de faire évoluer les chaînes de
valeur pour passer à des activités plus productives et nécessitant plus de main-d’œuvre qualifiée. Le
défi concerne la mise en œuvre, qui va exiger le développement de nouvelles entreprises plus
modernes et plus grandes capables d’offrir des emplois formels plus attractifs. Le tissu actuel est
dominé par les microentreprises et les petites entreprises, souvent à caractère informel et incapables
d’offrir les conditions de travail et de développement des compétences auxquelles aspirent les jeunes
en recherche d’emploi. Le tableau 1.17 montre combien les entreprises tunisiennes ont du mal à
croître. Déjà réduite, la taille moyenne des entreprises continue de diminuer : elle est passée de
1,7 employé par entreprise en 1990 à 1,4 récemment, ce qui reflète l’augmentation rapide du nombre
de toutes petites entreprises par rapport aux moyennes et grandes entreprises. Cette baisse a même
touché les entreprises exportatrices, habituellement plus formelles et plus grandes.
La mutation vers un secteur privé plus moderne et plus performant est fondamentale et indispensable
pour le développement du pays et, en particulier, pour une meilleure harmonisation entre l’offre et la
demande de travail et de qualifications. Mais une telle mutation ne se fera pas toute seule. Plusieurs
réformes et actions (relatives au climat des affaires, à la politique industrielle, etc.), dont la
présentation dépasse le cadre de cette étude, restent à entreprendre. Il s’agit aussi de créer les
Entreprises Entreprises
Onshore Offshore Total
locales étrangères
1996 1,4 48 1,56 19,3 1,71
1997 1,4 45 1,58 17,6 1,73
1998 1,4 44 1,56 17,2 1,71
1999 1,5 42 1,76 24,6 1,93
2000 1,6 37 1,83 26,2 2,01
2001 1,5 37 1,85 25,4 2,03
2002 1,5 35 1,80 24,6 1,99
2003 1,3 33 1,65 22,7 1,84
2004 1,3 31 1,61 22,0 1,81
2005 1,2 29 1,52 21,1 1,74
2006 1,2 26 1,48 19,6 1,70
2007 1,2 23 1,47 18,6 1,72
2008 1,2 22 1,45 20,3 1,74
2009 1,2 19 1,41 18,6 1,69
2010 1,1 17 1,39 16,5 1,66
2011 1,1 17 1,35 16,6 1,63
2012 1,1 15 1,31 15,1 1,59
2013 1,0 13 1,23 13,5 1,49
Source : données de l’INS (Répertoire national des entreprises), reprises des travaux de Ghali & Zitouna
GRAPHIQUE 1.11 ABSORPTION DES DIPLÔMÉS DU SUPÉRIEUR PAR SECTEUR, 1975, 2000
ET 2011 (%)
L’inadéquation entre les emplois disponibles et les emplois souhaités, de même qu’entre les
qualifications recherchées par les entreprises et celles produites par le système de formation et
d’éducation (c’est-à-dire le mésappariement des compétences) est un problème préoccupant et plus
général. Même s’il n’est pas encore possible d’en mesurer précisément l’ampleur et la nature en
raison de l’insuffisance des données, plusieurs éléments d’information permettent d’en discuter sur
une base quantitative assez solide. Les données de l’INS sur le chômage, les données de l’ANETI sur
les postes vacants et les données de l’enquête ETVA sur les attentes des jeunes en phase de
transition entre l’école et l’emploi constituent des sources d’information appréciables
quoiqu’incomplètes. Déterminer la part du chômage imputable au mésappariement reste difficile et
hasardeux.
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Hommes 11,3 12,9 13,9 14,6 15,8 22,6 20,6 21,7 21,2 17,7 18,2 18,2
Femmes 26,0 27,4 30,0 34,9 32,9 44,2 47,5 41,9 40,8 37,3 38,3 39,0
Total 17,0 18,7 20,6 23,4 23,3 33,1 33,2 31,9 31,4 26,8 28,6 29,1
Source : INS
40.0%
30.0%
20.0%
10.0%
0.0%
NONE Primary Secondary Higher
La répartition des chômeurs diplômés par type de diplôme, voire par établissement universitaire, est
aussi un indicateur de mésappariement dans la mesure où certaines spécialités sont plus demandées
que d’autres et où les diplômés de certains établissements parviennent à s’insérer plus facilement. Le
tableau 1.19 basé sur des données de l’INS) montre qu’en 2017, paradoxalement, le chômage des
diplômés touchait majoritairement les personnes ayant fait des études courtes (technicien supérieur
ou BTS) et celles possédant une maîtrise de sciences, de droit ou de gestion. Évidemment, cette
tendance comporte des exceptions. Ce constat n’est en fait pas si paradoxal si l’on compare la
formation suivie par les diplômés et ce que recherchent les employeurs. Mal planifiée, la formation
des techniciens et des scientifiques tient insuffisamment compte des besoins : certains postes de
techniciens et de scientifiques sont difficiles à pourvoir.
Les données de l’ANETI (basées sur le nombre de chômeurs qui sollicitent ses services) récapitulées
dans le tableau 1.20 sont moins détaillées mais apportent un élément : les diplômés de la formation
professionnelle ont également des difficultés à trouver un emploi, et posent donc le même problème
de mésappariement (près de 20 000 inscrits à l’ANETI en 2017, presque autant de diplômés).
2013 2016
Déficit de qualifications 29,1 27
Source : Enterprise Survey de la Banque mondiale, 2013 ; ITCEQ, 2016
L’enquête de l’ITCEQ révèle que pour les trois quarts des entreprises, la difficulté de l’emploi
s’explique principalement par l’inadéquation de la formation et/ou du profil des candidats. Un tiers des
entreprises invoquent toutefois d’autres facteurs, notamment le salaire demandé par les candidats et
le problème de l’éloignement géographique. On peut en déduire qu’approximativement 20 % des
entreprises ont eu des difficultés à trouver les profils qu’elles recherchent à cause d’un
mésappariement lié aux compétences, mais que d’autres caractéristiques du profil recherché
alimentent ce mésappariement. Souvent, les entreprises recrutent quand même, même sans être
complètement satisfaites des compétences du personnel recruté.
Les femmes sont plus sensibles au critère d’éloignement géographique lieu de travail/domicile et
rencontrent plus de difficultés d’insertion, ce qui suggère que les employeurs spécifient le genre dans
la description des profils recherchés (même si cela est le plus souvent implicite, car illégal).
TABLEAU 1.22 POSTES VACANTS DÉCLARÉS À L’ANETI PAR SECTEUR ET PAR PHASE
DE TRAITEMENT
2016 2017
Satisfaits Satisfaits
En traite- Suspen- par En traite- Suspen- par
Déposés Annulés Déposés Annulés
ment dus l'employ- ment dus l'employ-
eur eur
Agriculture et
1 902 211 79 509 365 2 319 336 81 259 195
pêche
Mines et
436 80 24 62 134 465 109 23 80 75
énergie
Indus. man.
25 515 1 946 923 2 917 3 165 25 642 2 867 658 3 088 2 821
(hors textile)
Textile et
15 325 1 518 285 2 257 1 507 17 718 2 390 290 1993 1159
habillement
BTP 2 484 281 257 393 530 2 200 417 181 361 398
Tourisme 5 755 318 74 865 1 103 5 881 471 96 1 125 1 057
Commerce 9 479 930 439 1 189 1 890 9 977 1 420 526 1 246 1 357
Transport 1 888 226 538 327 364 1 696 314 317 217 306
Administra-
3 485 366 129 475 689 4 006 653 106 429 550
tion publique
Autres 13 285 1 353 849 1 527 2 655 14 045 2 105 684 1 478 2 062
Cuir et
1 461 127 20 198 134 2 064 153 19 286 152
chaussures
Pêche 56 2 0 12 0 83 5 1 11 3
Total 81 071 7 358 3 617 10 731 12 536 86 096 11 240 2 982 10 573 10 135
Source : ANETI
Quelques 81 096 postes vacants ont été déclarés par l’ensemble des entreprises auprès de l’ANETI
en 2017, dont 11 240 étaient encore en traitement en fin de période. Pour l’essentiel, il s’agit de postes
nouvellement annoncés. L’ANETI parvient à proposer des profils acceptables pour les deux tiers des
postes vacants dont elle prend connaissance. Ces propositions sont soit des placements obéissant aux
dispositions standards du Code du travail, soit des placements soutenus par l’État dans le cadre de la
politique active du marché du travail, formellement sous forme de contrats de stage ou d’emplois
subventionnés (la différence entre les deux types de contrat est en fait plutôt formelle). Le tableau 1.22
montre que la moitié des postes vacants viennent des industries manufacturières, et que le premier
employeur reste le secteur du textile, de l’habillement et du cuir (THC) qui assure 19 % des offres. Le
commerce et le tourisme viennent en deuxième et troisième position. Ces trois secteurs ont une
caractéristique commune : ils emploient beaucoup de main-d’œuvre moyennement ou peu qualifiée et
Après vérification auprès des responsables de l’ANETI, il s’avère que les postes qui n’ont pu être
pourvus faute de candidats acceptables sont classés dans la catégorie « postes annulés », où ils sont
répertoriés selon le motif de l’annulation. Le manque de personnel qualifié est l’un des motifs possibles.
En 2017, 10 135 postes ont été annulés sur 86 096 déposés, soit près de 12 % d’annulation. Seuls
1 890 postes ont été annulés par manque de personnel qualifié, soit 2,1 % du total des postes vacants
déposés. C’est la mesure la plus précise de l’ampleur du mésappariement que les données récentes ont
permis de calculer. Le tableau 1.23 donne les résultats pour la période 2013‒17.
Dans son étude de 2011 basée sur un examen exhaustif des postes vacants déclarés à l’ANETI,
Boughzala a trouvé que 87 % des postes étaient pourvus rapidement (en moins d’un mois), 95 % en
moins de 3 mois, et moins de 1 % en plus de 9 mois. Seuls 5 % des postes étaient donc difficiles à
pourvoir, et 1 % très difficiles à pourvoir. Ces chiffres confirment l’existence d’un mésappariement,
bien qu’à une échelle réduite.
L’analyse effectuée a permis d’identifier des métiers et domaines sous tension : ingénieurs,
techniciens, électromécaniciens, informatique, maintenance, marketing, etc. Il s’agit en majorité de
postes nécessitant des études supérieures. Le mésappariement concernerait alors les diplômés, mais
ne toucherait que peu de gens.
Postes
Métier
vacants
03315 – Technicien supérieur en génie civil 12
03405 – Technicien électricien en général 5
03410 – Technicien électronicien en général 8
03415 – Technicien supérieur en électronique 6
03425 – Technicien supérieur en électricité 15
03440 – Technicien électromécanicien 36
03445 – Technicien supérieur en électromécanique 64
Postes
Groupe de professions
vacants
12 – Directeurs d'entreprise 94
21 – Spécialistes des sciences physiques, mathématiques et techniques 142
24 – Autres spécialistes des professions intellectuelles et scientifiques 128
31 – Techniciens des sciences physiques et techniques 382
34 – Professions intermédiaires 228
41 – Employés de bureau 194
51 – Service direct aux particuliers et service de protection et de sécurité 170
72 – Ouvriers des métiers de métallurgie, de la construction mécanique et assimilés 177
82 – Conducteurs de machines et ouvriers de l’assemblage 113
Sous-total 1 628
Total 2 226
*La somme des chiffres indiqués est inférieure au total indiqué parce que seuls les métiers assez fréquemment
en manque sont mentionnés.
Source : Boughzala, 2011
L’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) a conduit plusieurs enquêtes sur les besoins en
compétence et le mésappariement, dont la plus récente date de 2018. Bien que basée sur un
échantillon réduit, cette enquête fournit des résultats utiles et semble confirmer que le
mésappariement est finalement moins important que souvent supposé ou suggéré par les enquêtes
Cette enquête estime le nombre total de postes vacants à 107 000, ce qui signifierait que 80 % des
postes vacants sont communiqués à l’ANETI et donnerait plus de poids aux données de cette
dernière. L’enquête ne fournit pas de données sur le nombre de postes vacants pourvus et non
pourvus, et ne résout donc pas le problème clé de la mesure du mésappariement. Elle fournit toutefois
un indicateur significatif à cet effet : elle révèle que les entreprises ont beaucoup de mal à trouver des
ouvriers non qualifiés du BTP, des employés et des agents de la restauration (ce sont des profils
qu’elles recherchent constamment) ; quelques difficultés à trouver des ouvriers non qualifiés de la
manutention ; et peu de difficultés à trouver des ouvriers qualifiés du bâtiment, des TIC, des
techniciens et des ingénieurs, y compris des TIC, ainsi que des cadres de direction. Ces informations
sont cohérentes avec le faible taux de chômage des profils non qualifiés et le chômage élevé des
diplômés, mais semblent contredire les craintes exprimées par les entreprises et les analystes du
marché du travail au sujet du mésappariement qu’ils jugent très préoccupant. La première conclusion
qui s’impose est donc la nécessité de donner aux instances spécialisées (INS, ONEQ, etc.) les
moyens d’entreprendre des enquêtes régulières basées sur des échantillons assez représentatifs,
consacrées à cette problématique et permettant de lever les équivoques. Il est également important
de publier les données et les résultats de ces analyses.
Cet indicateur donne une autre idée de l’ampleur du mésappariement mais ne signifie pas que 18,3 %
du chômage (soit presque 5 points sur les 30 % de chômage des diplômés) est dû à un
mésappariement lié aux compétences, car il est possible que les entreprises aient tout de même
réussi à recruter des personnes qui leur donnent satisfaction.
Sous-
Emploi Surqualification
qualification
Membres de l’exécutif et du corps législatif, cadres supérieurs
de l’administration publique, dirigeants et cadres supérieurs 0,0 29,0
d’entreprises
Professions intellectuelles et scientifiques 0,0 4,4
Professions intermédiaires 0,0 36,7
Employés administratifs 52,6 11,5
Personnel des services et vendeurs en magasin et de marché 8,1 42,0
Agriculteurs et ouvriers qualifiés de l’agriculture et de la pêche 2,3 64,2
Artisans et ouvriers des métiers de type artisanal 9,0 43,9
Conducteurs d’installations et de machines et ouvriers de
7,4 47,9
l’assemblage
Ouvriers et employés non qualifiés 40,0 0,4
Total 16,4 31,8
Source : enquête ETVA-Tunisie, 2013
Cet indicateur du mésappariement est également à prendre avec une certaine précaution. En effet, la
sous-qualification est plus manifeste pour les métiers relevant de l’agriculture, du commerce et de la
construction. Or il n’est pas évident que la sous-qualification dans ces secteurs soit toujours due à une
pénurie de personnel qualifié. Beaucoup d’employeurs continuent d’opter pour des modes de
production reposant sur des techniques peu avancées exigeant peu de qualifications.
Il arrive que des employeurs préfèrent recruter des personnels moins qualifiés et moins bien payés.
Par exemple, les techniciens et les ingénieurs agronomes sont nombreux et très touchés par le
chômage : il est plausible que les agriculteurs n’aient pas l’habitude de faire appel à eux. En outre, les
entreprises investissent très peu dans la formation continue. Les données de l’enquête ETVA
montrent que moins de 5 % des travailleurs bénéficient d’une quelconque formation. Plus d’enquêtes
sont nécessaires pour faire la part des choses.
Les données de l’enquête ETVA 2013, ainsi que celles de l’enquête TLMPS 2014, montrent qu’une
part importante des jeunes, autour de 40 %, sont insatisfaits de leur emploi en raison du
mésappariement.
La majorité des Tunisiens partent pour l’Europe, et c’est là que cette population s’accroît le plus :
721 400 en France en 2014, 200 000 en Italie, 90 600 en Allemagne, etc. Le taux de croissance
moyen de cette population a été de l’ordre de 4,7 % par an au cours de la dernière décennie, soit près
de quatre fois le taux de croissance de la population tunisienne totale. En dehors de l’Europe, la
communauté la plus importante se trouve dans les pays du Golfe et en Libye, mais leur nombre croît
peu et connaît de fortes fluctuations pour la Lybie. La culture et l’histoire sont des facteurs
déterminants pour le choix du pays de destination. Le pouvoir d’attraction de l’Europe en général
s’explique évidemment par la proximité, les conditions de vie et l’écart énorme entre le revenu moyen
en Tunisie et le revenu moyen en Europe, dix fois supérieur en termes de revenu courant et près de
cinq fois supérieur en termes de pouvoir d’achat.
Les données de l’enquête TLMPS montrent que la répartition des TRE par région varie peu. Les
principales évolutions concernent la part de la Libye, qui a nettement augmenté et celle de l’Italie qui a
plutôt baissé malgré la proximité et le flux de migrants clandestins qui transitent par l’Italie. Il faut noter
que les chiffres concernant la Libye restent instables pour le moment.
L’évolution de la structure des TRE par niveau d’éducation est plus significative. La part de ceux qui
ont fait des études universitaires a beaucoup augmenté et a dépassé le tiers du total alors qu’elle était
inférieure à 20 % en 2000 et plutôt négligeable jusqu’en 1990. Les jeunes les plus éduqués ont
facilement accès à l’Europe et s’y insèrent facilement : la plupart y ont un emploi permanent. Il est à
noter qu’il s’agit des jeunes les mieux formés et les plus brillants du pays.
La migration des cerveaux pourrait contribuer au renforcement du capital humain tunisien dans la
mesure où elle incite les jeunes à développer leurs compétences, surtout si les migrants revenaient au
pays. Les travaux de Boughzala & Kouki, basés sur les données du projet MIREM (Migration de retour
au Maghreb), montrent que la probabilité de retour des TRE dépend principalement de la disponibilité
et de la qualité des opportunités de travail en Tunisie, indépendamment de leur situation dans leur
pays de destination en Europe. Leur degré d’intégration dans ce pays a également son importance.
Ceux qui ont investi en Europe et surtout les diplômés du supérieur sont les moins susceptibles de
revenir au pays. Ils contribuent d’ailleurs peu, même en termes de transferts de revenus vers la
Tunisie. L’aspect ‘brain drain’ (exode des compétences) de la migration prévaut donc largement sur
l’aspect ‘brain gain’ (afflux des compétences). Ce constat est grave pour la Tunisie, sachant que le
nombre d’étudiants tunisiens en Europe ne cesse d’augmenter : il a presque doublé en 5 ans. Ces
Le pays a besoin de concevoir et de mettre en place une nouvelle stratégie en matière d’émigration et
de négocier des contrats mutuellement avantageux avec des pays qui ont structurellement besoin de
main-d’œuvre et de personnel qualifié. Cette stratégie pourrait être conçue autour de deux axes. Le
premier consisterait à identifier les profils surreprésentés en Tunisie et demandés ailleurs, et à
développer les conditions favorables à leur mobilité. Le second axe et le plus important serait de
fonder la mobilité dans les deux sens sur des programmes nationaux d’investissement et de
développement à grande échelle et d’inciter la diaspora à y participer par leurs capitaux financiers et
humains.
Quant à la migration illégale, elle est très difficile à cerner. L’INS offre peu de données sur cette
question, et ses estimations sont plutôt approximatives et déterminées d’une manière résiduelle.
Le retard à rattraper par la Tunisie reste toutefois important. Le secteur demeure relativement
modeste en termes de valeur ajoutée et d’emploi, et beaucoup d’activités n’exploitent pas encore
pleinement le potentiel de la numérisation et des nouvelles technologies disponibles pour améliorer et
optimiser leurs performances. Depuis 2013, la part des TIC dans le PIB stagne autour de 4,5 % (cela
correspond à moins de 6 % du PIB marchand) et tend même à baisser.
Les données sur l’emploi dans les TIC sont paradoxalement très rares. Une estimation grossière
basée sur les données de l’enquête TLMPS 2014 donne un total de l’ordre de 30 000 personnes dont
près du tiers sont employées par des centres d’appel, c’est-à-dire à peine 1 % du total de l’emploi et
bien moins que nécessaire pour absorber les 8 000 diplômés par an. C’est d’ailleurs pourquoi la part
des inscrits et des diplômés dans les TIC a récemment baissé, de plus de 14 % en 2012 à moins de
12 % en 2017.
Toujours est-il que1 % des employés produisent plus de 4 % du PIB, ce qui est un rapport
remarquable révélateur de la très haute productivité moyenne de ce secteur. Ce n’est pas le seul
indicateur à témoigner de sa force et de son potentiel en Tunisie : depuis 2013, il a contribué à
hauteur de 13 % aux exportations de services, et de 6,3 % aux exportations de biens (marchandises).
On peut s’attendre aussi, à la suite du vote et de la publication du Startup Act en avril 2018, à une
relance des activités dans ce secteur. En vertu de ce texte de loi, les startups vont bénéficier de
procédures administratives et douanières simplifiées, d’une meilleure protection de leur propriété
intellectuelle, de la possibilité d’effectuer des transactions en devises étrangères librement, ainsi que
de subventions et d’autres avantages fiscaux. Il en résultera normalement une augmentation de la
demande de diplômés et une réduction du chômage parmi eux. Un meilleur dialogue entre les
entreprises, y compris les startups, et les établissements de formation pourrait contribuer à réduire
encore le déséquilibre actuel entre l’offre et la demande de professionnels des TIC.
400.00
200.00
0.00
2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
ICT service exports (% of service exports,
BoP)
ICT goods exports (% of total goods
exports)
Le secteur de l’hôtellerie-restauration pourrait sembler mineur, puisqu’il emploie à peine 4 % du total des
employés du pays, soit 128 000 personnes – dont moins de 15 % de femmes – selon les données de
l’INS. Les données de l’enquête TLMPS confirment cette faiblesse en fournissant un total légèrement
plus élevé, et une part de femmes encore plus réduite. La majorité de ces emplois sont dans l’hôtellerie,
souvent assimilée au secteur du tourisme. En dépit des apparences, il s’agit pourtant d’un secteur
d’importance. On estime d’abord qu’il génère directement et indirectement au moins trois fois plus
d’emplois, autour de 600 000, ce qui ramène sa part dans l’emploi total à 12 %. Il constitue une source
majeure de devises pour le pays, la deuxième après les transferts des Tunisiens résidents à l’étranger,
et il s’agit du premier – et de très loin – exportateur de services en Tunisie.
Après avoir dépassé les 7 millions de visiteurs avant 2010, le secteur a connu une période de
marasme et de difficultés à partir de 2011, année de la révolution, qui s’est traduite par une baisse
dramatique des nuitées et des recettes touristiques qui ont chuté de près de moitié. La situation s’est
encore aggravée après les attentats de 2015 qui ont directement ciblé des touristes étrangers. Ce
n’est qu’à partir de 2017, et surtout courant 2018, que ses activités ont repris un rythme plus normal.
Nombre de touristes
8000000
6000000
4000000
2000000
0
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Bien que les données statistiques exactes n’aient pas encore été publiées, 2018 semble être l’année
du retour à la normale, notamment du point de vue de l’emploi. Le tourisme a repris et les entreprises
recrutent, mais la formation des compétences requises est un défi à résoudre en partenariat,
notamment avec la Fédération nationale de l’hôtellerie. Pour réussir ce retour, il va notamment falloir
relever les défis structurels qui menacent ce secteur – et qui sont bien identifiés au moins depuis
l’étude stratégique de 2010 consacrée au tourisme. Il y a un consensus sur l’urgente nécessité de
diversifier les produits offerts par ce secteur ; d’innover non seulement en matière de services et de
produits mais aussi en matière de gouvernance et de positionnement du pays et de ses diverses
régions ; de renforcer le secteur sur le plan financier (en prenant les mesures nécessaires pour
résoudre le problème du surendettement d’un nombre important d’investisseurs dans ce domaine) ; et
de renforcer son capital humain à la base. Peu d’études bien documentées existent sur le bilan de
l’offre et de la demande de main-d’œuvre qualifiée et spécialisée dans le tourisme. L’étude stratégique
de 2010, le rapport de l’ONEQ basé sur l’enquête qu’il a menée auprès d’un grand échantillon
d’établissements touristiques, et tous les professionnels du secteur sont toutefois unanimes sur
l’insuffisance quantitative et qualitative de la formation et des capacités du dispositif d’enseignement
et de formation concernant ce secteur. Un manque de main-d’œuvre qualifiée est à déplorer, de
même qu’un problème de sous-qualification affectant la quasi-totalité des métiers du secteur, des
managers aux agents de nettoyage et de maintenance. L’essentiel de la formation est assuré par huit
établissements : un institut supérieur (niveau tertiaire), trois centres de formation professionnelle et
quatre écoles. Ces établissements ont fait l’objet de mises à niveau et de réformes en vue de
rapprocher leur produit des besoins des employeurs, mais leurs moyens sont loin d’être à la hauteur.
Les tentatives du secteur privé en la matière contribuent très modestement à la satisfaction des
besoins en formation. Le système universitaire présente pourtant un fort potentiel, très sous-utilisé.
Les établissements universitaires pourraient être mobilisés et répondre assez rapidement à la
demande de formation et aller bien au-delà des quelques initiatives qu’ils ont prises jusqu’à présent.
1.5.3 Le BTP
Le secteur du BTP représente 17,1 % du total des salariés du pays et 13,7 % du total de l’emploi. Les
employés du BTP sont donc salariés à 93 %. Il s’agit à plus de 60 % de manœuvres (ouvriers peu ou
non qualifiés) non permanents.
La grande majorité des entreprises qui opèrent dans ce secteur (98 % du total des entreprises) sont
de très petite taille (moins de 10 employés) et strictement informelles. Les grandes entreprises, plutôt
formelles et employant 200 personnes ou plus, assurent tout de même plus de 40 % de l’emploi.
L’emploi informel est assez courant jusque dans celles-ci, quoique difficile à estimer.
Déjà limitées, les capacités de formation initiale sont relativement peu sollicitées par les jeunes – à
l’exception des écoles d’ingénieurs et d’architecture. La sous-qualification est donc répandue, et les
besoins en développement et promotion de la formation dans ce domaine sont immenses. Surmonter
ces défis requiert notamment un effort collectif de valorisation des métiers de la construction, perçus
comme des métiers durs voire socialement peu prestigieux. Sachant qu’il s’agit d’un secteur
relativement concurrentiel à l’intérieur de l’économie tunisienne, la rareté des profils qualifiés se
répercutera sur les revenus des plus qualifiés, déjà assez bien rémunérés. À terme, cela pourrait
inciter plus de jeunes à se tourner vers le BTP.
TABLEAU 1.31 RÉPARTITION DES EMPLOYÉS DANS LE BTP PAR STATUT PROFESSIONNEL
En effet, nous l’avons vu dans le précédent chapitre, le chômage concerne principalement les jeunes
(plus encore les diplômés et les femmes) et est lié en bonne partie à deux facteurs : (i) l’explosion
démographique des années 1980‒90 conjuguée à la démocratisation de l’enseignement à tous les
niveaux, notamment au niveau du supérieur, ce qui a engendré une croissance extrêmement rapide
du nombre d’étudiants et de diplômés de l’enseignement supérieur, bien au-delà de la demande
exprimée par les entreprises et le reste de l’économie ; et (ii) le grand décalage entre la structure des
formations produites par le système d’éducation et de formation et la structure de la demande. Par
ailleurs, la difficulté d’insertion des jeunes varie selon le niveau d’éducation, le sexe et le type de
formation reçue. Dans certaines régions/zones géographiques, ces difficultés sont plus aigües.
Il est donc important de dresser un tableau différencié et assez précis de la situation des jeunes du
point de vue de l’emploi, des qualifications et des possibilités d’insertion. L’objectif de ce chapitre est
en effet de décrire la situation des jeunes par rapport au marché du travail, puis d’examiner l’efficacité
des instruments de politique active mis en place pour réduire le chômage des jeunes. On essaiera de
déterminer dans quelle mesure ces politiques parviennent à agir sur le processus de transition des
jeunes vers l’emploi et à faciliter leur insertion. L’analyse devra évidemment tenir compte des
différences et des nuances qui caractérisent les diverses catégories selon l’âge, le niveau éducatif, le
type d’éducation reçu et le sexe.
Le tableau 2.1 basé sur les données de l’enquête ETVA de 2013 montre que les jeunes de 15 à 19
ans étaient nettement moins nombreux que les 20 à 29 ans en 2013, ce qui confirme la tendance à la
baisse de la part des jeunes dans la population. Notons que les filles représentent 51 % du nombre
total des jeunes.
Les chiffres annoncés par l’enquête ETVA semblent surestimer la population jeune, mais les
tendances qu’elle dégage et qui viennent d’être mentionnées sont conformes aux données de l’INS
(enquête ENPE) reprises dans le tableau 2.2.
15‒29
Population (% de
0‒14 15‒19 20‒24 25‒29 15‒29 15+
totale la pop.
totale)
Total (hommes et femmes)
2015 2 644 200 837 900 937 300 947 000 2 722 000 11 124 800 8 480 600 24,5
2016 2 697 800 854 700 956 500 966 500 2 777 800 11 278 800 8 581 000 24,6
2017 2 734 900 866 200 969 200 978 600 2 814 000 11 429 200 8 694 300 24,6
Hommes
2015 1 371 400 427 000 465 800 455 900 1 348 700 5 543 500 4 172 100 24,3
2016 1 396 300 434 700 474 300 464 200 1 373 200 5 607 900 4 211 600 24,5
2017 1 413 600 440 000 480 300 468 900 1 389 200 5 677 100 4 263 500 24,5
Femmes
2015 1 272 800 410 800 471 500 491 100 1 373 500 5 581 300 4 308 500 24,6
2016 1 301 600 420 100 482 300 502 300 1 404 600 5 670 900 4 369 300 24,8
2017 426 200 488 900 509 600 1 424 800 5 752 100 4 430 900 24,8
Source : INS, enquête ENPE
En résumé, on dénombre autour de 2,8 millions de jeunes en 2017, soit légèrement moins du quart de
la population (l’âge médian avoisinant les 31 ans). Cette part, qui était à la baisse depuis 2010, va
légèrement augmenter pendant sept à huit ans avant de repartir à la baisse. Les jeunes femmes/filles
sont légèrement plus nombreuses que les jeunes hommes (51 % du total).
40
30 29,1
28,3
20 23,0
10
0
50
40 41,7
30 23,2
24
20
10
0
1980
1983
1986
1989
1992
1995
1998
2001
2004
2007
2010
2013
2016
6
5
4
3
2
1
0
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
Il est entendu que, depuis des années, l’accès des jeunes à l’éducation a été quasiment généralisé en
Tunisie et que le niveau moyen d’éducation des jeunes a bien augmenté : la part des analphabètes
parmi eux est devenue très faible (quoique pas encore nulle, malheureusement) et le nombre de ceux
qui ont fait et terminé des études supérieures a explosé. Cette tendance connaît toutefois
d’importantes variations et nuances selon les catégories de jeunes. Par ailleurs, la qualité des études
et de la formation n’a pas suivi l’évolution quantitative de l’éducation.
Les statistiques publiées et/ou accessibles auprès de l’INS concernant la répartition des jeunes par
âge, niveau d’études et sexe ne sont pas complètes ni actualisées. Le dernier rapport sur la
population et l’emploi publié par l’INS date de 2013. Il a néanmoins été possible d’accéder à des
données essentielles ; les lacunes peuvent en partie être comblées par les données de l’enquête
TLMPS 2014 réalisée par l’Economic Research Forum et celles de l’enquête ETVA. Le tableau 2.3 est
tiré de l’enquête ETVA.
Ce tableau indique tout de même que 2,3 % des jeunes n’ont jamais été scolarisés, les deux tiers
étant des filles. Dans certains milieux, l’éducation des filles continue en effet d’être sacrifiée pour
divers motifs liés à l’ignorance et la pauvreté. De plus, le tiers des jeunes n’ont pas dépassé les
études primaires. Plus de 40 % ont atteint le niveau secondaire mais près de la moitié ne l’ont pas
achevé, et certains ne sont pas parvenus au deuxième cycle du secondaire. Ainsi, plus de la moitié
ont en fait un niveau d’éducation faible et 20 % un niveau moyen selon la classification standard
(faible, moyen, élevé). Par ailleurs, en 2013, 22,4 % des jeunes avaient fait des études supérieures ;
ce pourcentage était proche de 25 % en 2017 selon les données de l’INS. Malgré la discrimination
exercée contre les filles, celles-ci réussissent mieux et plus souvent que les garçons à tous les
niveaux des études. Elles occupent les deux tiers des places en moyenne dans les établissements
universitaires et, en 2013, le quart des jeunes femmes du pays étaient diplômées de l’enseignement
supérieur, alors que ce rapport était de 1/5 pour les jeunes hommes/garçons. En 2016 et 2017, ces
rapports étaient plus élevés. En 2016, le nombre de jeunes femmes diplômées du supérieur dépassait
celui des jeunes hommes de 60 % selon l’INS.
Pas
Âge Primaire Secondaire Supérieur Non déclaré Total
d’études
Jeunes hommes
15‒19 14 500 72 000 329 700 13 800 4 600 434 700
20‒24 15 600 85 100 248 500 120 000 5 100 474 300
25‒29 17 600 96 500 234 600 113 500 2 100 464 200
Total 1 373 200
Jeunes femmes
15‒19 18 200 55 800 321 500 20 500 4 100 420 100
20‒24 22 300 70 000 200 300 184 500 5 200 482 300
25‒29 36 900 94 600 187 000 181 200 2 600 502 300
Total 1 404 600
Jeunes (hommes et femmes)
15‒19 32 700 127 800 651 200 34 300 8 700 854 700
20‒24 37 900 155 100 448 800 304 500 10 200 956 500
25‒29 54 500 191 100 421 500 294 700 4 600 966 500
Total 2 777 800
Source : INS, enquête ENPE 2016, données non encore publiées
Si la discrimination contre les filles en matière d’éducation est finalement limitée et localisée, elle est
flagrante au niveau de l’emploi et explique en partie le faible taux d’activité des jeunes femmes,
encore nettement plus faible que celui des jeunes hommes. Le taux d’activité global des jeunes n’est
d’ailleurs pas assez élevé, et la part des jeunes qui ne sont ni en formation ni au travail est plutôt
inquiétante. En 2017, le taux moyen d’activité des jeunes était de 42,2 % ; il serait beaucoup plus
faible encore, de 20 % seulement, si on se limitait aux jeunes âgés de 19 à 24 ans.
Évidemment, la faiblesse du taux d’activité est en partie liée à la scolarisation des jeunes et elle est
particulièrement marquée pour les femmes. Un grand nombre d’entre elles, après des études
réussies, se retrouvent cloîtrées chez elles.
NEET
La principale raison de ce faible taux d’activité est évidemment que ces jeunes sont encore à l’école,
mais pas tous. Le tableau 2.5 donne une première estimation des NEET (les jeunes qui ne sont ni à
l’école, ni en formation ni employés) fondée sur les données de l’enquête ETVA de 2013. Près d’un
million de jeunes (934 000, soit 32,2 % du total) sont dans cette catégorie, les deux tiers étant des
jeunes femmes : près de 330 000 jeunes hommes et 600 000 jeunes femmes, ce qui est énorme. La
répartition des jeunes n’appartenant pas à la catégorie des NEET est essentiellement la suivante :
31 % sont employés et 36,4 % sont étudiants, sachant que ce tableau sous-estime la part des actifs.
Le tableau 2.6, fondé sur les données de l’INS et ne couvrant que les jeunes de 15 à 24 ans, donne
des chiffres comparables concernant les NEET. Il montre que leur proportion va croissant. Les NEET
représentent près du tiers du total des 15‒24 ans en 2016, contre un quart seulement en 2010.
TABLEAU 2.6 PART DE NEET (NI ÉTUDIANT, NI EMPLOYÉ NI EN FORMATION) CHEZ LES
15‒24 ANS
Le grand nombre de NEET reflète en bonne partie la faible participation des femmes à la vie active. Il
est cependant intéressant de noter que le taux d’activité des jeunes femmes est beaucoup plus élevé
pour les tranches d’âge 25‒29 et 30‒34, comme l’indique le tableau 2.7. Près de la moitié de cette
population féminine active est diplômée de l’enseignement supérieur, et plus déterminée à rester sur
le marché du travail.
Âge 25‒29 30‒34 35‒39 40‒44 45‒49 50‒54 55‒59 60‒64 65‒69
2015 47,6 44,3 37,7 32,6 27,0 19,6 13,0 5,9 3,1
2016 62,2 52,2 34,8 24,7 20,1 15,0 8,6 3,4 1,3
2017 60,4 51,1 36,4 25,6 21,0 15,8 9,3 3,2 1,2
Source : INS, enquête ENPE
En fait, il y a plus de jeunes femmes diplômées actives et de femmes employées que de jeunes
hommes et beaucoup plus de jeunes femmes diplômées au chômage que de jeunes hommes, donc
plus de jeunes femmes diplômées actives que de jeunes hommes diplômés actifs. C’est probablement
le signe du début d’une transition structurelle en faveur d’une participation plus importante des
femmes.
D’une manière générale, les conditions d’emploi pour les employés du secteur privé, femmes et
hommes, sont souvent difficiles et de type informel. Les femmes sont toutefois confrontées à
davantage d’obstacles que les hommes, et plus exposées à diverses formes de harcèlement et de
discrimination. Par ailleurs, les hommes sont mieux positionnés concernant l’accès aux meilleures
professions. Il y a huit fois plus de jeunes hommes que de jeunes femmes dans les professions
relevant de la catégorie « exécutif, législatif et cadres supérieurs d’entreprises », c’est-à-dire des
postes de pouvoir. Proportionnellement, les hommes et les femmes sont autant présents dans
l’agriculture et l’industrie, mais les femmes sont rarement chef d’entreprises ou chef d’exploitations
agricoles.
On dénombre plus d’hommes ouvriers ou travailleurs indépendants peu qualifiés avec des emplois
informels. Les emplois informels concernent principalement le secteur informel proprement dit,
majoritairement constitué de très petites entreprises peu structurées ne tenant pas de comptes, et payant
peu ou pas d’impôts. En somme, dans le secteur informel, les employeurs ne se conforment pas aux
principales exigences légales relatives aux droits des travailleurs, à la sécurité de l’emploi et à la
couverture sociale. La productivité et la rémunération sont faibles. Les emplois informels précaires existent
aussi dans le secteur formel. Les données des enquêtes ETVA et TLMPS montrent que plus de la moitié
des travailleurs, notamment les jeunes, n’ont pas de contrat écrit et ne bénéficient pas d’une couverture
sociale suffisante – non affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ou déclarés, mais avec
des cotisations insuffisantes et irrégulières. En Tunisie, la taille du secteur informel reste importante et tend
même à s’accroître. Il est bien établi que la croissance du secteur informel résulte de l’écart entre le coût
de l’accès au secteur formel et de la garantie d’emplois formels et le coût de l’informalité (voir à ce propos
les travaux de Friedman et al., 2000 et de Loyaza et al., 2006). Le coût de la formalité dépend
principalement des exigences et de la complexité de la règlementation, et de l’efficacité et de l’intégrité de
l’administration publique chargée de faire respecter cette règlementation. Le coût de l’informalité résulte de
l’exclusion des avantages de la formalité (crédit, technologie, droit aux services publics, etc.) et des
sanctions pour non-respect de la loi. Dans un pays où l’autorité de l’État est faible et sa capacité de
pilotage est réduite, le risque de sanction est limité, voire souvent nul, et le coût de la formalité a tendance
à l’emporter sur celui de l’informalité. C’est le cas en Tunisie, comme dans beaucoup d’autres pays.
L’informalité s’étend au mode d’accès au marché du travail. En Tunisie, la majorité des jeunes (69 %)
comptent sur leur démarche personnelle, sous forme de candidature spontanée et de contacts personnels,
pour trouver un emploi. Quelque 30 % s’appuient sur leur famille et leur entourage. Près de la moitié des
jeunes s’inscrivent tout de même auprès de l’Agence nationale pour l’emploi (l’ANETI) pour être éligibles
Les jeunes, notamment les jeunes diplômés, et encore plus les jeunes femmes, sont peu attirés par
les emplois informels et préfèrent souvent continuer de chercher un emploi formel conforme à leurs
attentes plutôt que de s’installer dans un emploi informel. Et lorsqu’ils acceptent de travailler dans
l’informel par nécessité, c’est sans satisfaction et en considérant que leur transition vers l’emploi n’est
pas achevée. Certains, et ils sont nombreux, abandonnent et quittent le marché du travail : ce sont les
inactifs découragés (comptés parmi les actifs selon la définition large de la population active).
En effet, jusque-là, les calculs et indicateurs utilisés étaient fondés sur la définition stricte de la
population active (et du chômage), laquelle ne prend pas en considération les découragés alors que
bon nombre d’entre eux y reviendraient si la chance de trouver un emploi s’améliorait. Selon les
estimations de l’enquête ETVA et les travaux de Assaad et al. (2018) basés sur les données de
l’enquête TLMPS, cette catégorie comprendrait autour de 80 000 jeunes, des femmes pour les deux
tiers. Ce nombre, quoique non négligeable, est une sous-estimation compte tenu du nombre de jeunes
actuellement hors du marché du travail : les NEET, qui comme on vient de le voir sont près d’un million
au total, dont plus d’un demi-million de jeunes inactifs non étudiants, des femmes en grande majorité
(voir tableau 36). Est-il acceptable que seuls 80 000 d’entre eux soient découragés, et veuillent revenir
à l’emploi si une opportunité leur était offerte ? En revenant aux données de l’enquête TLMPS, on
observe que parmi l’échantillon de 4 767 personnes âgées de 15 ans ou plus, 687 ont répondu à la
question concernant la raison de leur inactivité (sachant que les autres sont en majorité actifs). Plus de
90 % des réponses invoquent la non disponibilité d’emplois, le fait que la personne est fatiguée de
chercher, ou bien que les emplois disponibles ne lui conviennent pas. On ne peut pas dire non plus que
tous les NEET inactifs non étudiants sont des actifs découragés ! Leur nombre exact se situe
certainement entre 80 000 et le demi-million. Il y a donc trop d’incertitude et cela mérite une
investigation plus approfondie, éventuellement dans le cadre de l’enquête emploi de l’INS. Toujours
est-il que l’on peut conjecturer que la majorité des NEET jeunes sont des actifs potentiels. Leur
inactivité est en général un gâchis social.
En outre, parmi les actifs, le nombre de jeunes chômeurs était et demeure très élevé : plus des deux
tiers des chômeurs du pays ont moins de 30 ans. En ajoutant la tranche des 30‒35 ans, on atteint
85 %. Nous l’avons vu au premier chapitre, le chômage touche plus les jeunes éduqués, et plus
particulièrement les femmes diplômées de l’enseignement supérieur. C’est un chômage persistant qui
s’est récemment aggravé (au cours de la dernière décennie 2007‒17). Pour les jeunes de la tranche
d’âge 15‒29, il fluctue autour de 33 % depuis 2013 alors qu’il était de 25 % il y a dix ans5. La tranche
d’âge des 20‒24 ans (voir tableau 2.9) est la plus affectée par le chômage.
5 En faisant abstraction des perturbations au cours des années exceptionnelles qui ont suivi la révolution
(inachevée) de 2011.
Âge 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
15–19 29,3 29,6 33,6 28,7 43,6 35,2 31,1 31,1 32,2 30,7 30,7
20–24 27,3 27,9 29,9 29,7 41,8 38,7 36,0 36,1 36,3 36,4 36,3
25–29 21,8 22,9 25,7 24,2 34,5 32,7 32,4 32,0 31,6 32,7 31,7
15–29 25 25,7 28,2 26,7 38,2 35,2 33,4 33,2 33,1 33,1 33,2
Source : INS, enquête ENPE
Alors que pour l’ensemble de la population active (15 ans et plus) il est bien connu que le taux de
chômage des femmes est deux fois supérieur à celui des hommes (12,5 % pour les hommes contre
22,7 % pour les femmes en 2017, selon les données de l’INS), il est à noter que l’écart tend à
disparaître chez les jeunes. Jusqu’à 2014, le taux de chômage était un peu plus élevé pour les
femmes (38,4 % contre 35,4 %), et la situation s’est même renversée en 2015. C’est un phénomène
remarquable qui signifie que les jeunes femmes, parce qu’elles sont plus éduquées que les jeunes
hommes et/ou parce qu’elles sont moins exigeantes et plus disciplinées, tendent à s’imposer de plus
en plus sur le marché du travail. Cependant, cela ne signifie pas que tous les obstacles à l’emploi des
femmes soient levés. Le chemin reste long.
La répartition des 394 000 jeunes chômeurs par sexe et niveau d’éducation montre que :
■ Près de 230 000 sont des jeunes hommes, dont près de 60 % ont fait des études secondaires et
21 % seulement ont fait des études supérieures. Ceux qui n’ont pas dépassé le niveau primaire
sont une minorité.
■ On dénombre 165 000 jeunes femmes dont plus des deux tiers (112 000) sont des diplômées de
l’enseignement supérieur. Un quart de ces jeunes femmes ont validé le niveau secondaire.
■ En somme, ces femmes diplômées de l’enseignement supérieur et les 135 000 jeunes hommes
sortant de l’enseignement secondaire constituent le gros du chômage des jeunes. L’État ciblait
jusqu’à présent les diplômés du supérieur avec ses efforts, mais ces chiffres plaident pour une
égale répartition des ressources entre les niveaux secondaire et supérieur.
Le croisement des données de l’INS, de l’enquête ETVA et de l’ANETI confirme que ces deux
grandes catégories sont les plus importantes. S’y ajoutent les quelque 50 000 jeunes hommes
diplômés du supérieur, et un peu moins de femmes n’ayant pas dépassé le niveau secondaire.
ll peut paraître paradoxal que la majorité des diplômés au chômage aient fait des études supérieures
dans des domaines scientifiques et techniques. Le tableau suivant publié par l’INS montre qu’en 2017
et 2018, 65 % des chômeurs avaient un diplôme de technicien supérieur ou une maîtrise en sciences.
Cela n’est en fait pas étonnant, sachant que ces diplômes ne forment pas à des métiers
correspondant aux besoins de l’économie, et reflète un problème de communication et d’information
ainsi qu’un problème plus vaste de gouvernance. Le système d’information du marché du travail est
incomplet et mal intégré. Et même lorsque l’information est disponible, elle circule mal et les
établissements de formation ne fonctionnent pas systématiquement selon la demande. Leur mode de
gouvernance ne les incite pas à réagir à la demande et à adapter leurs programmes en fonction des
besoins de l’économie, car ils sont jugés selon d’autres critères. Plusieurs initiatives sont toutefois en
cours pour essayer de changer les choses.
Nombre % % valide
Je pense qu’il n’y pas d’emplois 292 6,1 42,4
Fatigué de chercher du travail 160 3,4 23,2
Les employeurs préfèrent les candidats hommes plutôt
4 0,1 0,6
que femmes
Je ne sais pas comment chercher du travail 19 0,4 2,8
Pas d’emploi pertinent 175 3,7 25,4
Valide
Ne possède pas l’expérience requise 13 0,3 1,9
Pas de contacts 9 0,2 1,3
En situation d’étudiant 1 0,0 0,1
Responsabilités de famille 2 0,0 0,3
Autre 14 0,3 2,0
Total 689 14,5 100,0
Manquante Système manquant 4 078 85,5
Total 4 767 100,0
Source : données de l’enquête TLMPS, calculs de l’auteur
À cet effet, il convient de distinguer trois étapes : transition non amorcée, transition en cours et
transition achevée. Cette dernière a lieu quand le jeune considère que l’emploi qu’il exerce est stable
et/ou satisfaisant. Lorsqu’il a un emploi instable et non satisfaisant (ou qu’il est chômeur), le jeune va
continuer à chercher un emploi plus convenable : on parle alors de transition en cours. Certains
jeunes ne rentrent pas directement sur le marché du travail après la fin de leurs études, et restent
donc en phase de transition non amorcée. Selon l’enquête ETVA, les jeunes Tunisiens se répartissent
tel qu’exposé dans le tableau 2.14. Il s’avère que le quart des jeunes (au moment de l’enquête)
avaient achevé leur transition, un peu plus étaient en cours de transition et près de la moitié ne
l’avaient pas encore amorcée.
Le tableau 2.15 révèle que la stabilité de l’emploi est déterminante pour la majorité de ceux qui
considèrent leur transition achevée (71 %). Ils sont 17,4 % à être satisfaits de leur emploi
indépendant. Les femmes acceptent mieux un emploi temporaire, 21 % d’entre elles le font, peut-être
parce qu’elles envisagent de quitter l’activité pour des raisons familiales et n’ont donc pas besoin d’un
emploi stable. Seuls 7,2 % des jeunes hommes sont satisfaits avec un emploi temporaire. Cela reflète
à la fois une forte aversion au risque et la difficulté de trouver un emploi. En effet, la transition est très
lente en Tunisie. Il faut, en moyenne, 26,5 mois pour trouver un emploi stable et 21 mois pour monter
une activité indépendante satisfaisante (selon l’enquête ETVA, voir tableau 2.16). La durée moyenne
de transition vers un emploi temporaire satisfaisant est paradoxalement encore plus longue
(36,8 mois) ; une explication possible est que le jeune cherche d’abord un emploi stable, pour se
tourner vers les emplois temporaires lorsqu’il constate qu’il n’en trouve pas. Les emplois temporaires
sont en outre souvent des emplois informels ou des emplois de sous-traitance mal payés et sans
perspective.
L’étude YEI a cherché à répertorier et à examiner toutes les interventions actives visant à promouvoir
l’emploi des jeunes au cours de la décennie 2004‒14, y compris les interventions non
gouvernementales et certaines interventions bien antérieures et toujours en vigueur. Au total,
83 interventions ont été identifiées dont 52 étaient toujours actives en 2014. Parmi ces 52
interventions, 32 étaient gérées par des instances non gouvernementales, principalement des ONG
nationales ou internationales et bénéficiant pour la plupart de financement extérieur. La PAMT se
résume aux 20 interventions gouvernementales conduites principalement dans le cadre de l’ANETI.
Les interventions non gouvernementales, malgré leur nombre, sont d’ampleur réduite et ne couvrent
ensemble pas plus de 5 % des actions réalisées dans ce domaine. Elles sont néanmoins
intéressantes, en cela qu’elles servent d’expériences utiles : plusieurs leçons peuvent en être tirées.
Quinze interventions en majorité gouvernementales ont concentré plus de 94 % des bénéficiaires et
des ressources financières. Certaines d’entre elles ont nécessité d’énormes ressources mais ont été
rapidement abandonnées. C’est le cas par exemple du programme Amel. D’autres ont changé de nom
ou été regroupées. En 2018, sept interventions étaient ouvertes mais seules quatre d’entre elles
représentaient la quasi-totalité de l’action de l’État en matière de PAMT ; il s’agit des programmes
SIVP, CAIP, SCV et PAPPE (voir description détaillée ci-après)6. Le nouveau programme appelé
FORSATI prend aussi de l’importance et a un impact financier notable, mais sa cohérence avec le
reste du système pose question. Notre attention portera principalement sur les quatre interventions
qui viennent d’être mentionnées.
Il est établi et vérifié que ces interventions ciblent en premier lieu les diplômés de l’enseignement
supérieur et en second lieu les jeunes d’origine modeste. Rien – ou peu – n’est spécialement prévu en
faveur des régions, du milieu rural, des femmes ou d’autres catégories de jeunes, sachant que les
diplômés représentent moins du quart des jeunes. Si 70 % des bénéficiaires des programmes de
PAMT sont des jeunes femmes, ce n’est pas du fait d’un traitement privilégié mais parce qu’elles sont
davantage représentées parmi les diplômés et les chômeurs. Et si les jeunes des régions intérieures
sont défavorisés, c’est en raison de la pauvreté du tissu économique de leur région qui offre peu de
possibilités d’emploi (quelle que soit sa forme : stage, emploi subventionné, etc.). En revanche, toutes
les interventions non gouvernementales ciblent les jeunes de ces régions défavorisées. Elles ont pour
la plupart été lancées après 2011 pour essayer de répondre aux revendications de ces jeunes.
6 La promotion des startups ne relève que partiellement de l’ANETI. Plusieurs instances sont impliquées : la
Banque tunisienne de solidarité, le ministère de la Femme avec le programme RAIDA, le ministère de
l’Agriculture notamment à travers l’Agence de promotion des investissements agricoles (APIA), etc.
Target groups
60
50
number of interventions
40
30
20
10
0
Primarily Rural Urban Primarily Primarily Primarily Primarily Primarily Primarily
educated low-income individuals individuals at women men disabled
individuals individuals with low risk youth
levels of
education
and/or drop-
outs
Voici une brève présentation des quatre principaux programmes, pour lesquels nous tâcherons
ensuite de fournir des éléments d’évaluation.
Le SIVP fait partie des premiers programmes établis par l’État tunisien : il existe depuis 1987. Son
objectif annoncé est de faciliter l’accès des jeunes au marché du travail en les aidant à acquérir une
première expérience professionnelle. Dans sa forme actuelle, ce programme est conçu exclusivement
pour les diplômés de l’enseignement supérieur au chômage depuis six mois au moins. Les
bénéficiaires sont aussi des primo-demandeurs d’emplois. De ce fait, le SIVP incite les jeunes à rester
au chômage pendant au moins six mois au lieu de les encourager à accepter d’autres emplois même
temporaires en attendant de trouver un emploi convenable. Les participants acceptés dans le cadre
de ce programme annuel reçoivent une indemnité mensuelle de 150 dinars de l’État et bénéficient
d’une couverture sociale. L’entreprise qui les accueille doit leur verser au moins 150 dinars de plus et
s’engage à recruter au moins la moitié des jeunes qu’elle reçoit. Théoriquement, ces jeunes sont
admis à titre de stagiaires ; en pratique, ils sont traités par l’entreprise comme de nouveaux employés
mais sans les droits des employés. En outre, l’ANETI n’a pas les moyens de les encadrer et de faire
appliquer la condition des 50 % de recrutement. Elle parvient à peine à assurer un suivi minimal et à
prendre connaissance du sort de ceux qui abandonnent le programme en cours de route (autour de
30 % du total). Seule une faible minorité de participants bénéficient de la formation prévue comme
une composante du SIVP. Il est par conséquent plus exact de classer le SIVP comme un programme
de subvention de l’emploi. Ce programme est toutefois non seulement le plus ancien, mais aussi le
plus populaire. Avant 2011, il attirait déjà autour de 30 000 participants par an ; en 2016, il en a attiré
plus de 63 000 (plus du double).
Le CAIP est l’analogue du SIVP destiné aux non diplômés de l’enseignement supérieur. En moyenne,
25 000 jeunes en bénéficient annuellement. Ils reçoivent une indemnité plus faible et n’ont pas droit à
la possibilité de renouvellement offerte aux participants du SIVP. En réalité, la moitié des participants
ne terminent pas l’année, probablement parce qu’ils trouvent une opportunité d’emploi mieux
rémunéré ailleurs. Le CAIP ne leur garantit même pas le salaire minimum interprofessionnel garanti
(SMIG), et ces jeunes ont des attentes plus modestes en termes de salaires et de conditions de travail
et trouvent donc plus facilement un emploi. Ils n’attendent en particulier pas d’emploi dans le secteur
public. En 2016, plus de 34 000 jeunes en ont bénéficié.
Le SCV a été introduit en 2010 pour tenir compte des particularités des régions de l’intérieur. Ces
régions sont plus rurales et les entreprises formelles susceptibles de recevoir les jeunes diplômés y
sont peu nombreuses. Les jeunes peuvent bénéficier du SCV même dans le cadre d’une ONG. Les
avantages (subventions) reçus par les bénéficiaires sont similaires à ceux du SIVP. En 2016, près de
20 000 jeunes en ont bénéficié.
Il s’agit du principal programme de promotion de l’entrepreneuriat des jeunes. Il fait intervenir tout un
dispositif auquel participent notamment l’ANETI et la Banque tunisienne de solidarité. En principe, les
participants peuvent bénéficier d’une formation complémentaire, d’un service d’orientation et de
coaching et surtout d’un financement qui peut être relativement substantiel. La Banque tunisienne de
solidarité est le principal pourvoyeur de financement, et est donc centrale dans le dispositif. Un fonds
spécial est dédié à ce programme, ce qui en fait l’un des plus coûteux alors que le nombre final de
bénéficiaires parvenant au stade du financement est bien plus modeste que celui des autres
programmes : il ne dépasse pas les 4 000 par an.
Les programmes non gouvernementaux ciblent les jeunes des régions défavorisées et sont axés sur
la promotion de l’entrepreneuriat. Dans ce contexte, ils essaient d’offrir aux jeunes un programme
intégré comprenant la formation, le coaching ainsi qu’une assistance commerciale et financière. De ce
point de vue, ils sont plus efficaces que les programmes nationaux qui tendent à disperser les efforts.
Ils peuvent servir d’expériences pilotes, et ce malgré leur petite taille (et donc leur impact très limité) et
leur absence d’intégration à une stratégie nationale claire.
Parmi les programmes les plus réussis, on peut citer les exemples suivants :
La leçon principale que l’on peut dégager de ces programmes a trait à l’arbitrage entre l’approche
extensive – celle suivie dans le cadre des programmes nationaux, qui essaie de faire bénéficier le
L’évaluation du SIVP
Broecke (2013) a tenté d’évaluer le programme SIVP en se fondant sur une enquête portant sur un
échantillon de 4 763 jeunes. L’enquête s’est déroulée en deux temps, en 2005 puis 2007. Les jeunes
enquêtés n’ont bien sûr pas tous participé au programme. Un modèle probit a été estimé pour tester
l’impact de la participation au SIVP sur la probabilité d’être employé. Les calculs montrent que l’impact
est positif et significatif. Un problème d’endogénéité a toutefois été détecté sans pouvoir être résolu,
ce qui compromet la solidité du résultat. En effet, il n’est pas exclu que les jeunes qui bénéficient du
SIVP et qui obtiennent un contrat de travail à la fin de leur expérience y parviennent grâce à leur
compétence et non à la subvention accordée dans le cadre du programme. L’effet d’aubaine pour les
entreprises n’est pas exclu non plus ; certaines auraient recruté des jeunes sans subvention si le SIVP
n’existait pas. Il faut aussi prendre en considération le fait que l’ANETI n’affecte pas une entreprise
aux jeunes, et que c’est à eux de trouver une entreprise qui accepte de les recevoir. Il est clair que les
entreprises pratiquent une sélection parmi les candidats qui s’adressent à elles. Ce biais de sélection
pose donc un problème d’endogénéité, laissant un doute quant à l’impact effectif du SIVP. L’étude n’a
par ailleurs pas pu établir un bilan net du coût et des bénéfices du SIVP pour se prononcer sur sa
rentabilité. Compte tenu de la popularité de ce programme et du nombre croissant de bénéficiaires, il
est toutefois raisonnable de penser que les jeunes y participent parce qu’ils anticipent un gain, et
qu’ils acceptent de le faire en étant mal payés et sans bénéficier d’aucune des garanties prévues par
le Code du travail en matière de licenciement parce qu’ils estiment que ce sacrifice augmente leurs
chances de trouver un emploi plus convenable. Par ailleurs, les statistiques montrent que la majorité
des jeunes chômeurs sont à la recherche de leur premier emploi et que le taux de chômage de ceux
qui ont déjà une expérience professionnelle est relativement faible ; or le SIVP offre aux jeunes la
possibilité d’une première expérience professionnelle.
Les études d’évaluation des programmes de promotion des startups sont aussi fondées sur des
enquêtes, dont l’une des plus importantes est celle portant sur 23 000 microentreprises financées par
la Banque tunisienne de solidarité (MFPE & Banque mondiale, 2006). Il en ressort que sur
23 000 microentreprises, 14 000 ont survécu et que le taux d’échec diminue après un nombre seuil
d’années de fonctionnement. Les jeunes qui ont les moyens financiers de résister pendant ces
années ont alors plus de chances de réussir. Le taux d’échec n’est donc pas si catastrophique, le vrai
problème est que la majorité des microentreprises créées restent trop petites et ne sortent pas de
l’informalité. En outre, le nombre d’entreprises lancées annuellement ne dépasse pas les 4 000 et le
nombre total d’emplois créés n’est pas beaucoup plus élevé, sachant que la majorité de ces
entreprises ne recrutent personne. Les études de la Banque mondiale confirment, comme tant
d’autres y compris l’enquête ETVA, l’importance des ressources financières et des possibilités de
commercialisation des produits de l’entreprise.
Bien qu’il soit important que les programmes de PAMT ciblent les diplômés de l’enseignement
supérieur, il n’est absolument pas justifié qu’ils en soient presque les seuls bénéficiaires. Les jeunes
non diplômés chômeurs et souffrant d’exclusion sont nombreux. Près de 40 % des jeunes
interrompent leurs études après l’enseignement secondaire et c’est parmi eux que l’on compte le plus
grand nombre de chômeurs. On compte deux fois plus de jeunes hommes chômeurs ayant interrompu
leur études après le secondaire que de jeunes hommes chômeurs diplômés de l’enseignement
supérieur, l’inverse étant vrai pour les jeunes femmes.
La PAMT est conçue pour les jeunes en milieu urbain et le programme SCV, la seule exception ciblant
les jeunes résidant en milieu rural, ne suffit pas à rétablir l’équilibre. Il y a lieu de définir des
mécanismes spécifiques pour les jeunes résidant en milieu rural et/ou loin des grandes villes.
Il est contreproductif d’exiger qu’un jeune soit au chômage ou nouvellement diplômé pour être éligible
à un quelconque programme : c’est une incitation au chômage. Le contraire serait plus raisonnable,
notamment pour la promotion des startups. Une expérience préalable est certainement un atout et
améliore les chances de réussite et d’employabilité.
Des programmes intensifs et intégrés, de durée limitée, combinant formation, orientation, coaching et
financement et conçus en fonction d’objectifs bien définis, seraient plus efficaces que les interventions
fragmentaires auxquels participent actuellement beaucoup de jeunes sans objectif commun.
Le plus important, c’est que tous ces instruments de PAMT ne peuvent remplacer une politique
judicieuse d’investissement et de développement visant les diverses régions du pays et passant par le
développement et la création d’entreprises viables de taille suffisante génératrices d’emplois
quantitativement et qualitativement satisfaisants. La promotion de startups devrait s’inscrire dans une
telle perspective. Les startups réussissent mieux dans les espaces munis d’un tissu d’entreprises déjà
assez riche, car elles peuvent y trouver la demande pour leur produit – à moins qu’il ne soit destiné à
un marché international bien identifié. En particulier dans les régions de l’intérieur où ce tissu demeure
modeste, il est essentiel de promouvoir le développement des startups concomitamment avec le
développement d’entreprises de plus grande taille : petites, moyennes et grandes entreprises.
Malgré le ralentissement de la croissance démographique depuis le milieu des années 1990 et le fait
que la Tunisie en soit à un stade avancé de sa transition démographique, la population active
continue et continuera d’augmenter : la pression sur le marché du travail est appelée à persister au
cours de la prochaine décennie. Le nombre de jeunes chômeurs était et demeure très élevé : plus des
deux tiers des chômeurs du pays ont moins de 30 ans. Le chômage touche plus les jeunes éduqués,
et plus particulièrement les femmes diplômées de l’enseignement supérieur. Alors que pour
l’ensemble de la population active (15 ans et plus) il est bien connu que le taux de chômage des
femmes est deux fois supérieur à celui des hommes (12,5 % pour les hommes contre 22,7 % pour les
femmes en 2017, selon les données de l’INS), il est à noter que cet écart tend à disparaître entre les
jeunes femmes et les jeunes hommes.
La situation s’est même renversée en 2015. Les jeunes, notamment les jeunes femmes, aspirent à
des emplois décents et formels que les entreprises modernes et assez grandes sont davantage en
mesure de créer. Une stratégie axée sur les micros et petites entreprises n’est pas à même de
répondre aux exigences d’un meilleur appariement au sein du marché du travail. Une telle stratégie
aux progrès remarquables réalisés par les jeunes femmes en matière d’éducation, qui ont contribué à
un renversement de l’écart en faveur de ces dernières : elles occupent déjà les deux tiers des places
dans les universités tunisiennes et parmi les diplômés de l’enseignement supérieur.
La demande de travail
Relever ce défi, le plus grand du pays, passera par une politique industrielle cohérente fondée sur le
développement de nouvelles entreprises plus modernes et plus grandes capables d’offrir des emplois
formels et plus satisfaisants pour les jeunes. Le tissu actuel dominé par les microentreprises et les
petites entreprises en majorité informelles est incapable d’offrir les conditions de travail auxquelles
aspirent les jeunes en recherche d’emploi. La mutation vers un secteur privé plus moderne et plus
Plusieurs réformes et actions (relatives au climat des affaires, à la politique industrielle, etc.) restent à
entreprendre, dont le développement du système d’information du marché du travail fait partie. Il s’agit
aussi de créer les incitations et le cadre légal et institutionnel pour que les investisseurs ne soient plus
tentés par l’informalité et cessent de préférer les petites unités faciles à camoufler.
La discordance entre les qualifications et compétences recherchées par les entreprises et celles
offertes se traduit surtout par l’insatisfaction des employeurs et des employés : déficit de
qualifications, sous et surqualification, transition lente des jeunes vers l’emploi. Ces symptômes sont
suffisamment importants pour que soient entreprises des mesures de réforme du système d’éducation
et de formation et de développement du système d’information du marché du travail. En revanche,
l’incidence de ce mésappariement sur la capacité à pourvoir des postes vacants semble plutôt faible,
et son ampleur réelle reste indéterminée. Le développement du système d’information permettra de
lever cette inconnue et pourra servir à la conception de politiques industrielles et de formation
harmonisées.
L’information circule mal entre les différents partenaires et institutions du marché du travail, et les
modes de gouvernance qui y sont en vigueur n’incitent guère les concernés à être réactifs et à œuvrer
dans le sens de l’adaptation de l’offre à la demande de qualifications.
Les éléments d’information réunis permettent de conclure que le mésappariement est un problème
dont la solution exige des mesures coordonnées à différents niveaux – offre, demande, analyse –
notamment :
■ une politique industrielle et technologique favorable au passage à des activités plus productives
qui font appel à plus de main-d’œuvre qualifiée ;
■ une meilleure gestion des ressources humaines, ainsi que des conditions de travail et de
formation en entreprise plus attractives pour attirer et retenir des travailleurs qualifiés ;
■ une refonte en profondeur du système de formation et d’éducation, dans une perspective tout au
long de la vie offrant aux citoyens des passerelles flexibles et de qualité et l’appui de l’orientation
professionnelle et d’une gestion de carrière. Dans ce contexte, la classification nationale des
qualifications (CNC) a un rôle important à jouer, mais pour ce faire les sous-systèmes
d’éducation et de formation doivent reprendre le dialogue et collaborer avec les partenaires
Entre attendant, il est crucial de trouver des solutions au problème des nombreux chômeurs
engendrés par le système en vigueur. Tout un dispositif de politique active du marché du travail
(PAMT) a été mis en œuvre, dont les interventions portent essentiellement sur (i) la formation, (ii) la
subvention de l’emploi, (iii) l’aide à l’emploi et à la réinsertion sur le marché du travail et (iv) la
promotion de l’entrepreneuriat.
Il est établi que ces interventions ont produit un impact positif en aidant les jeunes à acquérir une
première expérience professionnelle et à s’insérer sur le marché du travail. Notons toutefois qu’elles
ciblent en premier lieu les diplômés de l’enseignement supérieur et que rien – ou peu – n’est
spécialement prévu en faveur des régions, du milieu rural ou des femmes, alors que les diplômés de
l’enseignement supérieur représentent moins du quart des jeunes et du tiers des chômeurs. Si 70 %
des bénéficiaires des programmes de PAMT sont des jeunes femmes, ce n’est pas du fait d’un
traitement privilégié mais parce qu’elles sont davantage représentées parmi les diplômés et les
chômeurs. Et si les jeunes des régions intérieures sont défavorisés, c’est en raison de la pauvreté du
tissu économique de leur région qui offre peu de possibilités d’emploi (quelle que soit sa forme :
stage, emploi subventionné, etc.) et donc de bénéficier des instruments existants.
Les chiffres plaident en faveur d’une répartition plus équitable des ressources entre les diplômés du
supérieur et les sortants du secondaire, entre hommes et femmes et entre les diverses régions du
pays. Il convient également de noter que les interventions visant la promotion de l’entrepreneuriat et le
lancement de startups se sont avérées coûteuses et peu efficaces : seuls 3 % des jeunes s’y
intéressent et à peine 1 % vont jusqu’au bout.
La politique active de l’emploi n’est pas un substitut à une véritable politique de développement.
Deux axes sont particulièrement importants : le premier consisterait à identifier les profils
surreprésentés en Tunisie et demandés ailleurs, et à développer les conditions favorables à leur
mobilité. Le second axe et le plus important serait de fonder la mobilité dans les deux sens sur des
programmes nationaux d’investissement et de développement à grande échelle et d’inciter la diaspora
à y participer par leurs capitaux financiers et humains.
Malgré les avancées, le système d’information du marché du travail demeure incomplet et peu intégré
en Tunisie. Développer et intégrer le système d’information du marché du travail est fondamental pour
cerner et suivre de manière systématique les tendances et dynamiques du marché (offre-demande) et
les aspects qualitatifs des compétences et qualifications. En particulier, ce système ne permet pas
■ donner aux instances spécialisées (INS, ONEQ, etc.) les moyens d’entreprendre des enquêtes
régulières basées sur des échantillons assez représentatifs, consacrées à cette problématique et
permettant de lever les équivoques ;
■ combiner différentes sources et bases de données pour un système d’information sur le marché
du travail mieux intégré et collaboratif entre institutions et sous-systèmes ;
■ exploiter les grandes potentialités de la transformation numérique à différents niveaux,
notamment l’analyse des big data pour mieux cerner en temps réel et dans le détail les tendances
de la demande de compétences et de qualifications ;
■ divulguer publiquement et en continu les informations relatives aux tendances et dynamiques des
compétences et qualifications, de la demande, de l’emploi, de la transformation des métiers et du
mésappariement, selon des dimensions pertinentes pour différents groupes d’utilisateurs :
analyses sectorielles, familles de métiers, types et niveaux de qualifications, compétences
transversales, etc.
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