Avertissement: Deux Raisons Principales: Recherche
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Sommaire
Sommaire | 3
Chapitre 4 L a poésie du XIXe au XXe siècle :
du romantisme au surréalisme.................................. 233
Séquence 17 Le romantisme, un nouveau souffle poétique.................................235
Séquence 18 Victor Hugo, Pauca meæ, 1856.......................................................264
Séquence 19 Poésie de la modernité.....................................................................272
Séquence 20 Explorations surréalistes : libérer le langage et l’imagination........291
Séquence 21 Jean Cocteau, Orphée, 1950............................................................297
Vers le bac 4 : « Ondes poétiques ».....................................................................302
4 | Sommaire
Chapitre
1 Le roman et la nouvelle
au xixe siècle
Réalisme et naturalisme
Livre de l’élève p. ¤‚ à ⁄⁄‡
|5
réalité en fuite. Ainsi, « on peut réfléchir en pessimisme, Zola, Maupassant et leurs héritiers
amont à la façon dont les arts visuels, notam- contemporains s’interrogent sur les énigmes du
ment, ont introduit la réalité quotidienne dans mal.
le champ de l’art et déterminé des choix esthé-
« Vers le bac » permet aux élèves de réinves-
tiques qui entrent en résonance avec l’évolution
tir leurs connaissances et de les consolider. Les
du genre romanesque ».
sujets d’écriture sont centrés autour d’un thème :
La séquence 5 s’interroge sur la violence et la la machine. L’exercice de la question sur corpus
méchanceté. La nouvelle concentre en effet est guidé. Les élèves peuvent progresser « pas
une vision du monde en quelques pages et cela à pas » en suivant la méthode propre à cet
suppose un angle d’attaque. En l’occurrence, exercice.
il est particulièrement âpre. Avec un certain
⁄ Des personnages
de chair et de sang
Présentation et objectifs de la séquence p. ¤∞
Livre de l’élève p. ¤∞ à ∞¤
La première séquence est axée sur la représentation du corps dans les œuvres réalistes et naturalistes.
L’objectif est avant tout d’appréhender un élément majeur des romans du xixe siècle : l’évocation du
corps dans sa réalité crue, sensuelle, passionnelle.
Quand l’art classique masquait le corps ou le sublimait (cf. les déesses du néoclassicisme), les roman-
ciers réalistes et naturalistes proposent de redonner au corps une place centrale, en tant qu’il peut
indiquer le rang social des personnages mais aussi rappeler la part d’animalité que chacun porte en soi.
À ce titre, le premier corpus, « Regards sensuels et désenchantés sur le corps », souligne que le corps
peut trahir les aspirations du personnage à la gloire ou à l’élégance. Tout individu doit composer avec
ce corps qui peut provoquer la chute sociale ou, au contraire, séduire l’autre et permettre l'ascension.
Le second corpus, intitulé « Le règne des passions et des pulsions », explore cette vie du corps sur
laquelle le logos n’a pas toujours d’emprise. Derrière les rapports sociaux policés, le corps déploie
toujours un langage qui est celui du désir, de la pulsion, des passions.
⁄
et l’indifférence.
En somme, la « sacrée existence » de Gervaise,
Stendhal,
faite de malheurs, d’infamies et de désillusions,
n’a rien à voir avec l’existence sacrée d’Atala
Le Rouge et le Noir, 1830
¤
dont la pureté est consacrée par sa mort en un
lieu naturel et en compagnie de deux êtres qui Lucien Leuwen,
la respectent.
1834 p.‹‚-‹⁄
3. Le réalisme du tableau de Santiago Rusiñol i Objectif : étudier deux personnages jeunes
Prats provient d’abord de la scène représentée : et ambitieux afin d’interroger la notion de
une jeune femme allongée sur son lit soulage sa héros dans le roman réaliste.
1 Des personnages de chair et de sang |9
Des récits à chute LECTURE DES TEXTES
2. Lucien pose un regard méprisant sur la province
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE face à ses « murs sales » (l. 9) et sa « boue noire »
1. Cette double page propose un extrait de Lucien (l. 10). À ses yeux, tout paraît laid et vulgaire, à
Leuwen et un extrait du Rouge et le Noir, œuvres commencer par cette « persienne peinte en vert
de Stendhal relevant du roman d'apprentissage. perroquet » (l. 3). Comme sur une toile blanche,
Dans les deux cas, un jeune homme fait l’expé- cette couleur inédite jure non seulement avec
rience du monde et s’efforce de faire coïncider l’aspect terne de la ville, mais elle semble en elle-
ses désirs avec l’ordre du réel. À cette époque, les même une cruelle faute de goût. Le jugement de
jeunes gens peuvent s’élever socialement par des Lucien est sans appel : « Quel choix de couleurs
carrières militaires ou ecclésiastiques (le titre Le voyantes ont ces marauds de provinciaux ! »
Rouge et le Noir porte en germe cette tension entre (l. 3-4). Dans cette généralisation hâtive, le jeune
l’Église et l’armée). Ici, l’élève est invité à analyser sous-lieutenant condamne ceux qui n’ont pas le
la figure du cavalier et la chute de cheval, évitée bon goût d’être Parisiens. Par la suite, l’œil de
dans le premier texte, effective dans le second. Lucien retrouvera de l’enchantement dans la
Les points communs ne manquent pas : blondeur sublime de la jeune femme qui remet
– la jeunesse du personnage principal ; de la lumière et de l’harmonie dans un paysage
– l’arrogance et la fierté insolente du jeune héros ; saturé de désolation et de trivialité.
– la tendance des deux jeunes hommes à la suren- 3. Cavalier à fière allure, Julien ne se sent plus de
chère : la propension de Julien à tout ennoblir joie, ce dont rendent compte les lignes 20 à 35 où
(comme en atteste sa comparaison avec Napoléon) l’on passe au point de vue interne. Le superlatif
fait écho à la tendance de Lucien à tout dégra- « le plus heureux des hommes » exprime d’emblée
der (dont témoigne l’énumération : « les murs cette intensité des sentiments, ce que confirme
écorchés […] la rosse qu’on lui avait donnée », l’hyperbole « son bonheur n’eut plus de bornes ».
l. 9 à 11) ;
– le regard de la foule, notamment le regard De fait, le fils de charpentier se prend pour un
féminin ; valeureux guerrier. Ce sentiment d’être un conqué-
– les railleries et autres manifestations bruyantes rant lui vient à la fois de son caractère et des
(« cri d’indignation », « rire général et bruyant ») circonstances : d’une part, le narrateur souligne
qui contrastent avec des silences lourds de sens chez lui une hardiesse naturelle (l. 22) ; d’autre
(« le silence de l’étonnement », le silence de la part, la hauteur que lui confère son cheval et le
jeune fille qui referme ses persiennes) ; sabre qu’il porte au côté enflamment son imagi-
– la posture à cheval présentée comme significa- nation. Bientôt, le rêve d’héroïsme est concrétisé
tive, représentative d’un caractère ; dans son esprit, comme le suggère la dernière
– dans les deux cas, la menace de chute surgit à phrase du texte : « il était officier d’ordonnance
un moment où les personnages s’adonnent à la de Napoléon » (l. 33-34). Dénuée de tout moda-
rêverie : jubilation intérieure de Julien, rêverie lisateur, cette phrase présente comme un fait ce
amoureuse de Lucien. qui n’est qu’un fantasme.
Mais, on note des différences : 4. Les lignes 11 à 19 présentent différents types
– Julien évite la chute, Lucien tombe ; de discours rapportés :
– la chute est le fait d’un coup de canon (ori-
L. 11 à 13 : le discours indirect libre fait entendre
gine extérieure) pour Julien quand Lucien est
la violence des propos tenus par la foule et les cris
responsable de sa chute puisqu’il donne un coup
d’indignation. Ce faisant, le narrateur donne une
d’éperon maladroit à son cheval ;
voix aux nobles mais la parole reste partiellement
– le texte 1 offre le point de vue de la foule ; le
prise en charge par lui, ce qui permet de mettre
texte 2 n’offre qu’un point de vue interne : par
à distance ces critiques.
ce choix, Stendhal nous plonge uniquement dans
les pensées de Lucien ; L. 13 à 15 : le discours direct retranscrit les propos
– on peut supposer que Julien Sorel perçoit le juge- de certains personnages : les propositions incises
ment des spectateurs à son égard ; Lucien ignore « disait une dame » et « répondait le voisin » per-
ce que sa mystérieuse spectatrice pense de lui. mettent d’identifier les voix. La violence atteint ici
10 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
son paroxysme pour exprimer le mépris des nobles la succession de trois verbes au passé simple :
(« petit insolent, né dans la crotte »), mais aussi « glissa, tomba et le jeta par terre » (l. 20). Par
leur peur (« il serait assez traître pour leur couper la suite, Lucien met tout en œuvre pour éviter la
la figure »). disgrâce et se relever au plus vite. À ce titre, la
L. 16 à 19 : le discours indirect (« les dames se succession de verbes à l’infinitif rend compte de
demandaient si »), puis le discours narrativisé sa célérité : « se relever […] l’affaire d’un instant »
(« en général, on rendait justice ») font entendre (l. 20 à 22). Malheureusement, le corps n’est pas
les propos de la foule tout en les atténuant. Tout assez rapide pour échapper au regard d’autrui. On
se passe comme si Stendhal privait progressive- retrouve ici la propension de Stendhal à reprendre
ment les spectateurs de leur parole directe pour les archétypes pour mieux les détourner et se railler
mieux amorcer l’étape suivante : le changement de ses héros, toujours trop humains.
de focalisation qui faire entendre la voix (inté-
rieure) de Julien.
HISTOIRE DES ARTS
5. Observant Lucien derrière ses persiennes, la 7. Dans ce portrait équestre de Géricault, l’hé-
jeune femme attise la curiosité et le désir du cava- roïsme du cavalier est rendu visible par la posture
lier. Face à cette beauté qui ne se donne pas, le du cheval ainsi que par la haute coiffe de l’officier.
personnage masculin éprouve l’envie de lever le Conformément à l’esthétique romantique, le
voile, d’en savoir plus. Loin de la bassesse des tableau unit le trouble du paysage et la fougue de
femmes qui se donnent trop facilement, celle-ci ses héros. Ici, l’ardeur et l’énergie de ce personnage
laisse entrevoir un sourire énigmatique : signe de en action entrent en résonance avec le ciel aux
mépris ? ironie ? recherche d’une complicité ? Le couleurs de l’orage et de la terre battue. Les échos
jeune homme ne sait ce qu’il faut en penser : la de couleur suggèrent que le ciel enfumé, presque
conquête de cette belle inconnue devient alors enragé, accompagne l’action du cavalier.
un défi. L’héroïsme de l’officier se lit également dans son
6. Dans ces deux textes, le corps joue un rôle corps déformé par le mouvement. Le sabre en
essentiel. Pour Julien, qui évite la chute de cheval, arrière le place dans une attitude guerrière : prêt
le corps lui permet de conquérir sa légitimité et à l’assaut, l’officier manifeste ici son panache.
sa valeur. Sa fière allure lui confère une dignité Par la fourrure qu’il porte, l’homme se confond
qui tend à effacer – à ses yeux du moins – son presque avec le cheval dont il est le maître tout
origine sociale. À l’inverse, le ridicule passe par le en ne faisant qu’un avec lui.
corps chez un personnage comme M. de Moirod, Nourrie de l’épopée napoléonienne, la toile joue
en proie à la peur et dont la maladresse est visible de la puissance du mouvement, la chaleur des
aux yeux de tous : « la main prudente était prête à coloris, le clair-obscur pour traduire l’ivresse de
saisir l’arçon de la selle » (l. 4-5). Ici, la noblesse la guerre et l’ardeur du combattant. Avec ce por-
tient moins à un port altier et à une attitude qu’à trait d’un officier anonyme, Géricault saisit sur
une particule. le vif l’ultime geste avant la charge, le passage à
Ce ridicule frappe également Lucien qui se trouve l’action héroïque.
trahi par son corps. La littérature courtoise consti-
tue un intertexte possible pour cet épisode. Le ÉCRITURE
cavalier se trouve ainsi devant une maison qui
semble à l’image de son habitante : « moins mes- Dissertation
quine que celles devant lesquelles le régiment avait Si l’on associe l’héroïsme à la noblesse, la beauté,
passé » (l. 1-2). Forcé de lever les yeux, Lucien la grandeur morale et la perfection, alors il faut se
admire cette femme dont la blondeur rappelle demander quelle figure le roman réaliste offre au
les portraits des héroïnes de Chrétien de Troyes. personnage. Le « héros » tel que nous l’entendons
La femme, être divin, détient même le pouvoir traditionnellement prend les traits de figures
de ranimer son âme (l. 9). mythologiques telles qu’Achille. Dès lors, peut-
Mais alors que Lucien conçoit cette rencontre on attendre du roman réaliste qu’il mette en
comme un appel à s’élever vers un surplus d’hé- scène des héros exemplaires ? Finalement, est-ce
roïsme, il chute. À cause d’un geste maladroit, il se toujours ce que nous recherchons à travers la
retrouve violemment à terre, comme en témoigne lecture d’un roman ?
1 Des personnages de chair et de sang | 11
1) Dans une première partie, on mettra en avant peut être le signe d’un bien-être qui se passe de
l’intérêt de lire des romans dont le protagoniste mots comme d’une difficulté à communiquer.
est un être exceptionnel. Si la sueur et l’absence de fichu peuvent être
– La perfection physique et morale fait du héros associées à une forme d’indécence, à un manque
un véritable modèle auquel il est plaisant de de pudeur du point de vue de l’auteur, la scène
s’identifier. doit paraître extrêmement sensuelle et plaisante
– À héros extraordinaire, aventures extraordinaires. à Charles, qui entre ici dans l’intimité d’Emma.
C’est pourquoi ce genre de romans nous permet Une même double lecture est possible pour le
de nous échapper du quotidien en nous offrant thème de la pénombre qui suggère l’enfermement
un récit palpitant, riche en suspense et en d’Emma dans le milieu paysan, mais qui renforce
rebondissements. aussi une atmosphère intime.
– Par ses choix et ses méditations, le personnage
moralement noble inculque des valeurs au lecteur LECTURE DU TEXTE
(ex. : La Princesse de Clèves). 2. Flaubert restitue la réalité sonore et visuelle
2) Mais on peut trouver de l’intérêt à suivre de la vie à la ferme. Ce décor réaliste rend sen-
l’histoire d’un personnage ordinaire, voire d’un sibles, presque palpables l’absence de lumière et
anti-héros. la poussière dans la cuisine. Dans ce lieu rustique,
– L’identification est également possible car le on entend le bruit des mouches qui agonisent
personnage nous ressemble : il a des défauts, des (« bourdonnaient en se noyant au fond », l. 5-6)
vices, des imperfections. ainsi que les cris des poules (l. 22), éléments
– Ces romans autorisent une réflexion sur le d’autant plus prégnants que le silence entre Emma
mal et la misère dans notre monde. Abordant et Charles fait résonner les bruits parasites.
des questions délicates ou évoquant des réalités 3. L’extrait raconte une histoire : celle d’une
déplaisantes, ces fictions peuvent favoriser une tentative de séduction maladroite. L’épisode est
prise de conscience. symbolique et donne une idée de ce que sera le
– Il arrive que le personnage banal réalise des couple Bovary. À ce titre, les mouches qui se
exploits et devienne un héros au cours du récit : noient dans le cidre, produit du Nord de la France,
le récit donne ainsi une leçon de grandeur, nous constituent un détail significatif : l’épisode semble
offrant l’illustration d’une morale à échelle annoncer le destin d’Emma qui étouffe dans le
humaine (ex. : Jean Valjean dans Les Misérables, milieu fermé de la province et qui agonisera dans
figure de la rédemption). sa relation avec Charles. De la même façon, les
cendres froides indiquent l’illusion de la flamme :
la passion amoureuse est déjà morte, déjà en
‹ G ustave Flaubert,
Madame Bovary, 1857
p. ‹¤-‹‹
cendres. Dans la relation avec Charles, rien ne
pourra réellement embraser Emma.
4. Par sa façon de boire la liqueur, on comprend
qu’Emma veut plaire. De prime abord, une certaine
sensualité emplit l’extrait, comme pour traduire
Objectif : interroger la place du corps et sa le regard désirant de Charles. La jeune fille se
représentation réaliste dans une scène de renverse et adopte une attitude suggestive. Le
séduction. morcellement du corps traduit cette sensualité :
« la tête en arrière, les lèvres avancées, le cou
tendu » (l. 15) constituent un appel au baiser.
Une rencontre réaliste Le rire confère à Emma une joie de vivre et une
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE gaieté susceptibles de plaire au médecin veuf.
1. D’une certaine façon, la question revient à se Néanmoins, la deuxième partie de la description
demander si l’entrevue de ces deux personnages est plus trouble : comme le bout de sa langue
constitue un moment heureux ou un moment lèche à petits coups le fond du verre, la jeune
gênant et étouffant. La complexité de l’extrait femme devient presque un félin (pensons aux chats
naît en effet de la présence d’indices ambigus : baudelairiens, éminemment féminins). Mais ces
le silence qui règne entre les deux personnages jeux de langue sont aussi érotiques que vulgaires.
12 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
5. Face au médecin bourgeois, Emma reste une
fille de campagne : elle rapièce ses vêtements
(l. 18), elle exhibe ses épaules sans pudeur (l. 9),
elle lui offre un verre « selon la mode de la cam-
pagne » (l. 10).
› G ustave Flaubert,
Salammbô, 1862
p. ‹›-‹∞
6. Le mal-être d’Emma est perceptible dans ce
Objectif : interroger le statut du corps
chapitre dès la fin de l’épisode. Dans la discussion
qu’elle entreprend avec Charles, elle exprime son féminin entre pouvoir et vulnérabilité.
envie de vivre à la ville tant la vie à la campagne
est ennuyeuse. Des langueurs se font entendre dans Une danse avec la mort
sa voix au point que le dialogue se transforme en ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
monologue (« quand elle se parlait à elle-même », 1. La danse est paradoxalement rendue spectacu-
l. 38). Le lecteur perçoit son caractère de rêveuse laire par sa lente préparation. L’attente intermi-
non seulement dans ses propos, mais aussi dans sa nable suscite le désir grandissant des spectateurs.
gestuelle (« les paupières à demi closes », l. 38-39). L’aspect spectaculaire est accru par l’apparition
Dès cette première conversation, Emma a donc inattendue du serpent. Enfin, le spectacle naît de
annoncé sa crainte de l’ennui, sa propension à la la tension qui anime la danseuse, le spectateur
mélancolie et ses rêves de bonheur. On reconnaît et le lecteur lorsque le corps du serpent pèse sur
ici les symptômes du « bovarysme » qui pousseront la jeune femme et la menace. L’animal crée le
Emma, jeune fille en quête de passion et d’éléva- spectacle car son comportement est imprévisible.
tion sociale, à l’adultère et à sa perte. Il participe également de la beauté de la danse
en mettant en valeur la splendeur du corps de
HISTOIRE DES ARTS Salammbô : ainsi, il se place comme un collier
7. Le tableau de Renoir entre en résonance avec autour du cou de la jeune fille et l’alliance de la
l’ambiguïté d’Emma. Cette « fille au chat » est musique, de la danse et des battements du serpent
en effet sensuelle à maints égards : ses épaules contre la cuisse de la danseuse confèrent à ce
dénudées et la bretelle tombant nonchalamment spectacle une valeur rituelle, cérémonielle, sacrée.
sur l’épaule, son cou dégagé exposé au regard du
spectateur, la blancheur de sa peau, le laisser-aller LECTURE DU TEXTE
du corps dans la sieste qui fait écho au chat se 2. L’attente est créée par la multiplicité des actions
prélassant participent à cette sensualité. entreprises avant la danse. Les nombreux verbes au
Néanmoins, certains détails jurent : bas multi- passé simple insistent sur ces détails qui diffèrent
colores, chaussures, décolleté très apparent et le début du spectacle. Les précisions (« égorgé
presque indécent. Ainsi, le spectateur sera peut- par des femmes stériles, une nuit d’hiver, dans les
être sensible à ces fautes de goût et ce manque décombres d’un sépulcre », l. 5-6) semblent à la
d’élégance qui suggèrent les origines paysannes fois superflues et essentielles : c’est de là qu’émerge
de cette jeune fille. la dimension rituelle de la danse imminente. De
la même façon, l’énumération des parties ointes
(« les oreilles […] le pouce de la main droite »,
ÉCRITURE l. 6-7) suggère l’importance de la préparation. Une
Commentaire autre énumération suit, mimant la lente mise à
nu de Salammbô que soulignent les mentions de
Voici des éléments de réponse : choix du lieu
durée (« pendant quelques minutes », « douce-
peu propice à la séduction, poussière et saleté,
ment », l. 11-12). Ces phrases descriptives sont
bruits parasites, sueur d’Emma, vulgarité d’Emma
prétexte à une accumulation de mots rares et
(gestes indécents, épaules dénudées), silences
précieux, presque « fin de siècle ». Leur succession
gênants, nature de la conversation (en parlant à
allonge encore la description, tandis que s’installe
Charles de ses étourdissements, Emma le considère
l’atmosphère d’érotisme oriental. Le texte tout
comme un médecin plus que comme un homme
entier devient structure d’attente.
à séduire), différences de caractère (Emma auda-
cieuse / Charles timide) et de milieu social entre 3. La danse avec le serpent se veut sensuelle
les personnages. parce que la courbure des hanches de Salammbô
1 Des personnages de chair et de sang | 13
s’allie aux ondulations du serpent. Le jeu qui naît tableau, regard de certaines femmes du harem.
de cette interaction met en valeur la grâce de la Dans la partie droite du tableau, près de la
danseuse. Nue avec ce serpent en guise de collier, colonne, on note la présence de deux femmes :
elle lui donne accès à son corps : sa nuque, ses l’une regarde au loin, face à elle ; l’autre tourne
flancs, ses genoux et sa bouche avant qu’elle ne la tête pour observer la danseuse (ou interpeller
s’abandonne en une pose suggestive (« fermant le spectateur ?) ;
à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons – son voile blanc la rend plus lumineuse et attire
de la lune », l. 28-29). notre œil. Ce voile fascine car il dissimule le corps
sensuel de la danseuse tout en le dévoilant ;
4. Toutefois, la danse est accomplie par nécessité :
– ce personnage est le seul en mouvement quand
« Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim,
tous les autres sont statiques.
elle s’avança » (l. 22-23). La parataxe souligne ici
Cette danseuse fascine également par le caractère
l’importance de ce devoir imposé par un homme.
énigmatique de sa danse. Tenant dans sa main un
5. La musique se caractérise par son air répétitif bâton (un thyrse, comme les bacchantes faisant
(« toujours les mêmes »), mais elle est emplie de partie du cortège de Dionysos et dansant jusqu’à
vivacité (« précipitées, furieuses »). La démesure entrer en transe), elle semble agitée par une fureur
s’alliant à la répétition, on imagine une mélo- ou une ivresse proches de l’extase. Parce que toutes
die qui doit pousser à l’ivresse, à l’extase. Pour les femmes autour d’elle ne sont pas attentives à
autant, elle est présentée comme désagréable, ce spectacle, on peut se demander pour qui elle
dysharmonieuse (« les cordes grinçaient, la flûte danse : pour les musiciens ? pour ses compagnes ?
ronflait »). Le son d’ordinaire aigu et léger de la pour elle ?
flûte apparaît ici comme grave et monotone. La On sera sensible à l’étrangeté du décor : entre
musique indique à la fois l’émotion intense que espace couvert et espace ouvert, entre lieu déla-
va provoquer la danse, mais aussi le malaise qui bré et paysage idyllique, entre densité et vide.
sous-tend cette scène. Le harem apparaît comme une prison, comme
le suggèrent les quelques femmes qui scrutent
6. Le poids du serpent est souligné par le rythme
l’horizon. Symboliquement, les hommes sont en
ternaire de la phrase : « Salammbô haletait sous ce
dehors des barrières, du côté de la liberté. D’une
poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait
certaine façon, cette danse est peut-être un acte
mourir » (l. 32-33). La phrase mime les étapes
de fureur pour échapper à l’emprisonnement,
d’une lente agonie. L’économie de la phrase donne
un moyen pour cette femme de faire face à son
à voir cette menace.
sort et de retrouver un peu de liberté au cœur de
On pourrait aussi souligner le jeu de chiasme
cette prison.
assuré par les pronoms. L’idée de poids est per-
ceptible à la ligne 31 : « il serrait » et s’achève
à la dernière phrase lorsque le serpent desserre ÉCRITURE
son étreinte. Dans ces paragraphes, les sujets des
verbes sont les suivants : « il », « Salammbô », Commentaire
« ses reins », « elle », « il », « il ». La structure Le paragraphe vise à réinvestir les réponses aux
en chiasme suggère cette emprise du serpent qui questions en les réorganisant.
pèse sur Salammbô et l’entoure dangereusement. La jeune femme est vulnérable à plusieurs titres :
– elle est exposée au regard de tous ;
– cette action témoigne de sa soumission aux
HISTOIRE DES ARTS
ordres de Schahabarim ;
7. La danseuse orientale exerce une certaine fasci-
– un serpent l’enserre au point qu’elle laisse la
nation sur son public, mais aussi sur le spectateur
gueule du reptile s’approcher de sa bouche ;
du tableau. De fait, on remarque que presque
– elle plie sous le poids du serpent qui l’étouffe
toutes les femmes de ce harem sont inattentives
par son étreinte (« ses reins pliaient »).
au spectacle. Toutefois, notre regard est attiré par
la danseuse pour plusieurs raisons : Mais sa puissance est perceptible :
– elle est au centre du tableau ; – elle a un pouvoir de séduction et exalte la pul-
– le regard de nombreux personnages converge sion scopique du lecteur/spectateur lorsqu’elle
vers elle : regard des musiciens situés à droite du se prépare ;
14 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
– elle fascine le spectateur par son aura, agissant récupéré des éléments réels : soie du bustier, satin
comme une véritable prêtresse ; du ruban dans les cheveux, tulle pour le tutu.
– elle témoigne d’une puissance de volonté en Coiffée de vrais cheveux et portant de véritables
assumant son devoir et en affrontant le danger chaussons, elle témoigne d’un vérisme poussé
avec grâce et dignité ; à l’extrême. Degas réussit alors cette alliance
– elle dompte le serpent qui ne l’attaque nulle- troublante de la sculpture et des matériaux du
ment et desserre son étreinte lorsque la musique quotidien. Le choix de la cire, imitant la couleur
prend fin. de la carnation, renforce cette illusion réaliste. Or,
à cette époque, seuls les mannequins des musées
ethnographiques et des musées de cire comme
§ B ernhard Schlink,
Le Liseur, 1995 p. ‹‡
Objectif : percevoir le réalisme dans un
sens, cette scène de première rencontre prend le
contre-pied absolu des codes romantiques.
4. Cette femme de 35 ans adopte face au lycéen
malade le comportement d’une mère face à un
roman contemporain. enfant : elle lui rince les mains et lui lave le visage,
le prend dans ses bras et adopte le tutoiement
Pris de faiblesse immédiat. Elle le désigne avec une certaine
familiarité en l’appelant « garçon ». En retour,
LECTURE DU TEXTE l’adolescent se laisse aller à un comportement
1. Ce début de roman surprend pour plusieurs
d’enfant puisqu’il trouve l’apaisement dans les bras
raisons :
accueillants de cette femme et sèche ses larmes.
– il s’ouvre sur un récit de maladie qui ne nous
épargne pas les détails réalistes ; 5. Mais cette étreinte consolatrice est évoquée
– cet incipit nous donne une image peu glorieuse de manière ambiguë. Il s’agit en effet d’un récit
du narrateur : une femme plus âgée l’aide à se de souvenirs (« à quinze ans, j’ai eu la jaunisse »,
nettoyer et le héros semble alors fort peu héros l. 1) : les détails sélectionnés sont donc ceux que
à ce moment ; la mémoire a conservés.
– le roman s’ouvre sur le récit d’une rencontre Pour l’adolescent, l’étreinte n’est pas dénuée
dont on ne perçoit pas l’intérêt : non seulement de sensualité : le contact des seins de la femme
l’épisode paraît anecdotique, mais on n’imagine contre sa poitrine a dû l’émouvoir. Quant à la
guère l’incidence de cette rencontre. Quelle suite sueur fraîche de la jeune femme, elle confère une
donner à cette histoire ? Quel lien avec le titre ? dimension sensuelle à cette scène.
– enfin, si la rencontre entre le lycéen et la jeune Néanmoins, la sensualité est contrebalancée par
femme doit déboucher sur une relation sentimen- les détails réalistes, voire triviaux, qui désamorcent
tale, cet épisode va à l’encontre du cliché roma- partiellement le cliché de l’étreinte : ainsi, la sueur
nesque de la rencontre amoureuse. de la femme est fraîche mais aussi odorante, tandis
que l’haleine âcre du jeune homme lui rappelle
2. Dans les lignes 5 à 11, les verbes sont conjugués
les circonstances de cette rencontre.
à l’imparfait : « sentais », « coûtait », « montais »,
« me portaient », « me réveillais » et « n’arrivais 6. Cet incipit ouvre des possibles qu’on peut tout
pas », « n’étaient pas ». Ce temps à valeur durative aussi bien discréditer.
confère aux actions une impression d’étalement dans A priori, le lecteur imagine mal une relation sen-
le temps, ce qui accroît l’impuissance du narrateur. timentale entre les deux personnages :
Ce dernier est en proie à une souffrance et un – la différence d’âge (un lycéen de 15 ans, une
malaise qui semblent n’en plus finir. Les tournures femme de 35 ans) rend cette relation difficilement
négatives soulignent son incapacité à réaliser les concevable ;
‡
– le nom des rues peut être interprété : habitant
rue des Fleurs, le narrateur se rend rue de la Gare, onoré de Balzac,
H
comme pour signifier qu’il quitte le monde pro-
tecteur et idyllique de l’enfance vers l’aventure,
La Recherche
l’évasion, l’inconnu. Suivant cette interprétation, de l’absolu, 1834
Le Liseur est un roman d’apprentissage.
p. ‹°-‹·
HISTOIRE DES ARTS Objectif : étudier la manière dont Balzac
7. La bande-annonce confirme la naissance d’une met en scène les interactions entre le corps
histoire d’amour entre les deux personnages ou et l’esprit.
plutôt d’une aventure érotique. L’étudiant fait la
lecture à cette femme qu’on devine analphabète.
Plus tard, alors que leur relation a pris fin et qu’ils La science à corps perdu
se sont perdus de vue, le jeune homme assiste à ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
un procès au cours duquel il retrouve cette femme 1. Le texte met en garde contre les ravages de
sur le banc des accusés. Il découvre alors un pan la passion à travers un personnage excessif dont
obscur de son passé : en 1943, elle a travaillé le corps et l’esprit sont marqués par la passion
dans les camps de concentration nazis en tant de la science. Obsédé par cette quête du savoir,
qu’officier S.S. Balthazar Claës semble presque échapper à l’hu-
manité. À plusieurs reprises, Balzac mentionne
ÉCRITURE l’étrangeté de son corps : « vieillesse prématurée »
(l. 2), « forme fantastique » (l. 8), « bizarrerie
Sujet d'invention générale » (l. 10). L’impression étrange qu’il
Comme pour toute écriture d’une suite, on atten- suscite est renforcée par son assimilation à un
dra que le travail de l’élève soit cohérent avec animal, ici le cheval (l. 21). En somme, le jeu
le texte premier. des comparaisons et des métaphores pousse à
Le récit pourra alors évoquer : interroger sur l’humanité de cet être passionné,
– les circonstances de la rencontre ; lui conférant les traits d’un animal, d’un être
– la description des lieux où elle vit. On pourra difforme. On comprend alors que la démesure
intégrer quelques détails révélateurs de son carac- des passions épuise le corps et l’esprit, au point de
tère (cf. dimension symbolique des descriptions mettre en péril la santé du passionné, mais aussi
réalistes, p. 50) ; sa vie sociale, voire son humanité.
– la réaction de l’inconnue : est-elle surprise,
heureuse, agacée ? LECTURE DU TEXTE
– le caractère de cette femme : est-elle plutôt rude 2. La description est organisée de manière logique.
ou douce ? Notons que dans l’extrait, son attitude On passe ainsi de l’aspect général (taille, poitrine,
maternelle n’exclut pas une certaine rudesse. buste, partie inférieure) au visage (chevelure, front,
1 Des personnages de chair et de sang | 17
yeux, nez, pommettes, joues, bouche) avant de une maxime sur les ravages de la passion. Si le vice
reconsidérer l’ensemble (forme du visage, mains, et le génie peuvent se confondre par leur intensité
pieds) puis, la tenue et le mode de vie du personnage. et les excès qu’ils génèrent, Balzac nous informe
que le génie conduit plus rapidement encore le
3. La description s’ancre dans les découvertes
passionné vers la mort. Ce souci de généralité est
scientifiques de l’époque sur les liens entre corps
d’ailleurs renforcé par l’adverbe « souvent » et par
et esprit. Il est ainsi fait mention de la théorie
l’opposition entre deux catégories d’individus : le
de Franz Joseph Gall qui prétendait déterminer
génie et le vulgaire. On reconnaît ici le projet de
le caractère d’un individu à partir des bosses de
La Comédie humaine : dégager les principes et les
son crâne. D’après la phrénologie, la largeur du
lois qui régissent la vie de l’individu en société.
front de Balthazar Claës indique son intelligence
créatrice, poétique au sens étymologique (poiein : HISTOIRE DES ARTS
faire, inventer, créer), ce que Balzac exprime en 7. Comme Balthazar Claës, le personnage du
une métaphore énigmatique : « protubérances Dr Jekyll oscille entre folie et rigueur. Le pho-
dans lesquelles Gall a placé les mondes poétiques » togramme rend d’abord compte de la rigueur
(l. 11-12). du scientifique à travers l’organisation de son
Par ailleurs, on connaît le désir de Balzac d’établir laboratoire. Plongé dans sa lecture au milieu de
un système de classification des hommes sem- ses alambics et de ses flacons, Dr Jekyll incarne
blable à celui que Buffon a conçu pour les espèces le sérieux du savant.
animales. Ici, Claës est assimilé à un cheval en Mais l’image suggère aussi la folie latente du
raison de la forme oblongue de son visage ainsi scientifique. L’ombre sur son visage, formant une
que de l’ouverture involontaire de ses narines sorte de masque, suggère un personnage double.
frémissantes. À la fin de la description, Balzac De fait, Dr Jekyll crée une potion lui permettant
parle de lui comme d’un génie, ce que suggère de séparer son bon côté de ses mauvais instincts,
peut-être cette « involontaire tension des muscles jusqu’à ce que ce versant nuisible ne prenne le
olfactifs » (l. 15). Toujours à l’affût, le savant dessus au point de transformer le savant en un
exprime, à son corps défendant, ce besoin de être monstrueux nommé Mr Hyde (en anglais,
débusquer en permanence le savoir. « to hide » signifiant « cacher »). Ce jeu sur la
4. Balthazar Claës présente dans son corps même lumière annoncerait ses troubles identitaires et
les stigmates d’un travail acharné : outre un sa part obscure. Cette impression est renforcée
vieillissement prématuré, le narrateur constate par la saturation de l’espace : les instruments
chez lui un dos voûté, des jambes grêles, un nez scientifiques qui envahissent la table autant que
allongé, une tension involontaire des narines, l’arrière-plan suggèrent sans doute que cet homme
des joues creusées et des yeux cernés. La fatigue va être rattrapé par sa passion du savoir.
et la nervosité épuisent le corps du passionné
qui conserve néanmoins un feu intérieur, une ÉCRITURE
« vivacité brusque » (l. 12) dans le regard. Sujet d'invention
Dans cette imitation du portrait balzacien, on
5. La métaphore filée du feu parcourt le texte :
pourra attendre de l’élève qu’il :
« comme si quelque feu secret l’eût incessamment
– organise le portrait de façon logique : du général
desséchée » (l. 23-24), « la flamme qui dévorait
au détail, de haut en bas ;
son âme » (l. 25), « ces yeux étincelants dont le feu
– donne aussi des indices sur le portrait moral du
semblait également accru par la chasteté » (l. 28).
personnage en suggérant les excès, les dérives de
Par cette métaphore, le feu des passions apparaît
la passion. Les métamorphoses du corps doivent
dans son ambivalence : feu qui enflamme, embrase
être les conséquences de cette démesure ;
et pousse l’individu à agir, il est aussi le feu qui
– utilise la 3e personne du singulier et une focalisa-
détruit, ronge, assèche. Dans sa démesure, Claës
tion omnisciente afin d’offrir un portrait complet
a laissé l’étincelle qui vivifiait son esprit devenir
et distancié du personnage ;
un incendie qui consume son corps et son esprit.
– intègre des phrases au présent de vérité générale
6. Dans les dernières phrases, Balzac recourt au (sur les risques de la passion, par exemple) ;
présent de vérité générale : « produisent », « se – intègre une comparaison animale pertinente
trompe », « est », « mène ». Ce faisant, il établit et qu’il la justifie.
ÉCRITURE
Commentaire
Si Jacques Lantier est à la fois homme et bête,
c’est qu’il est tiraillé entre instinct et raison. En
effet, il est animé de pulsions meurtrières qui
⁄¤ F ritz Lang,
M le Maudit, 1933
p. ›6
le poussent à agresser des femmes. Mais le fait
même qu’il cherche à comprendre son mal et à Objectif : analyser la représentation de la
s’en débarrasser prouve qu’il n’est pas foncière- folie meurtrière au cinéma.
ment mauvais. 1. Fritz Lang parvient à suggérer l’imminence du
Pour mettre en évidence la bestialité qui l’anime, drame par la construction de l’image : la fillette
voici quelques idées : est filmée en plongée, ce qui suggère au mieux sa
– on insistera sur la violence des répétitions qui vulnérabilité. Son regard attiré vers le hors-champ
le transforment en machine à tuer : « Tuer une suscite le mystère car nous ignorons ce qu’elle voit.
femme, tuer une femme ! » (l. 4) ; Toutefois, le jeu d’ombre et de lumière esquisse
– repensant à sa cousine Flore, il reconnaît le la silhouette menaçante d’un homme qui porte
plaisir qu’il éprouverait à tuer : « c’était pour un chapeau et un imperméable. L’image contient
le plaisir, parce qu’il en avait envie, une envie un indice sur l’identité de l’homme : l’affiche sur
telle » (l. 10) ; laquelle plane son ombre est un avis de recherche
– ses pulsions sont décrites par des hyperboles pour un meurtrier qui s’attaque à des enfants. Le
qui en soulignent la violence : « quelle fureur » spectateur comprend que la fillette est en grand
(l. 64), « soudaine crise de rage aveugle » (l. 66) ; danger. Ainsi, la violence est mise en scène de
– la métaphore de la bête parcourt le texte : « lui manière effrayante et suggestive : rien n’est mon-
s’était enragé » (l. 7), « en galopant » (l. 11), « à la tré, mais tout est dit par la savante construction
bête enragée » (l. 43), « une sauvagerie » (l. 47) ; de l’image.
1 Des personnages de chair et de sang | 23
2. Par la répétition de cet air, le spectateur est fortes. Ainsi, la mise à mort de l’enfant par son
conditionné. Il sait que cette mélodie annonce un propre père dans Les Âmes grises de Philippe
drame imminent. Le langage cinématographique Claudel (texte p. 47) ne peut que susciter l’effroi
se met ici au service de la peur, une fois de plus du lecteur.
sans rien montrer de la violence. Cela permet aussi – Ces récits peuvent faire peur car ils nous révèlent
de jouer plus longuement sur le hors-champ et de que nous ne connaissons pas toujours les êtres
différer le moment où le spectateur découvrira le qui nous entourent. Cette proximité d’un danger
visage du meurtrier. insoupçonné est particulièrement vraie dans un
roman comme L’Adversaire d’Emmanuel Carrère.
3. On peut garder à l’esprit que le film est allemand
– En outre, ces fictions peuvent susciter l’angoisse
et que l’initiale « M » renvoie au terme « Mörder »
car elles révèlent la monstruosité qui sommeille
(meurtrier). Toutefois, on acceptera que les élèves
en l’homme, cette bestialité que la civilisation
proposent les termes « meurtrier », « monstre »,
peine à canaliser. Le basculement dans la violence
« maudit ». Suivant le choix effectué, la lettre
advient parfois chez des êtres qu’on n’imaginait
dénonce les crimes, souligne la monstruosité du
pas capables de tels actes (ex. : Crimes et châtiments
tueur d’enfants ou suggère la schizophrénie d’un
de Dostoïevski).
personnage en crise.
Toutefois, ces fictions présentent d’autres enjeux.
4. Par sa construction, l’image se veut riche de – Elles nous invitent à réfléchir sur l’homme et
sens. Elle exprime de différentes manières la crise sur le pouvoir de la raison : le conflit intérieur
identitaire du personnage. Ainsi, le motif sym- de Jacques Lantier dans La Bête humaine donne
bolique du miroir questionne le rapport à soi. à voir la lutte de l’homme pour rester humain.
La position de dos indique le basculement, le – En outre, ces récits permettent de dénoncer le
revers du personnage dont les frontières du moi cycle de la violence puisque les meurtriers sont
sont vacillantes. Le regard effrayé du personnage souvent des individus qui ont subi la violence (ex. :
exprime sa dualité. On devine alors ce que la fin dans la série Dexter, le protagoniste a été témoin
du film explicitera : lorsque le personnage tue, du meurtre de sa mère lorsqu’il était enfant).
il est en proie à des crises de folie. Tout se passe – Enfin, elles permettent de dénoncer la violence
alors comme s’il ne s’appartenait plus, comme s’il de l’histoire et/ou de la société. M le Maudit de
n’était plus lui-même. Le photogramme exprime Fritz Lang peut être perçu comme une référence
de manière subtile l’aliénation du tueur en série. aux nazis (le titre original du film était Les assassins
sont parmi nous). American Psycho de Bret Easton
5. Dans ce passage, le personnage suscite à la
Ellis, qui met en scène un trader psychopathe,
fois terreur et pitié. Son discours se charge d’une
suggère la violence d’un système qui déshumanise
dimension tragique puisqu’il y exprime son inno-
les hommes par le travail. La violence du meurtrier
cence et sa culpabilité. Le meurtrier reconnaît
n’est qu’un miroir déformé de la société.
ses crimes mais il ne se reconnaît pas en eux. La
démultiplication des « moi » rend compte d’un
⁄‹
trouble identitaire, d’une perte des repères. Tout
en s’accusant, il se dédouane, s’avouant à la fois P hilippe Claudel,
coupable des meurtres et victime de ses pulsions :
« Je veux », « Je ne peux pas ». Affirmant son
Les Âmes grises,
impuissance, il souhaite s’attirer la pitié et l’indul- ¤‚‚‹ p. ›‡
gence de ses juges.
Objectif : comprendre les enjeux
d’un roman dont le narrateur est
ÉCRITURE un meurtrier.
Dissertation
Dans un premier temps, on défendra l’idée que
Un aveu criant de vérité
les fictions mettant en scène des meurtriers visent LECTURE DU TEXTE
à nous faire peur. 1. Le père se sent à la fois coupable et victime.
– La description des meurtres et des violences com- Tout d’abord, il est coupable puisqu’il nous avoue
mises vise à susciter chez le lecteur des émotions le meurtre de son bébé. Mais il semble légitimer
24 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
son crime en soulignant que ce bébé a fait de lui Dans la première moitié de la lettre, l’oralité et la
une victime : ayant perdu sa femme en couches, brièveté des phrases donnent à cette confession
il perçoit l’enfant comme un assassin qui le prive une émouvante simplicité. Les images populaires
de celle qu’il aimait. Incapable de surmonter (« comme un fruit d’automne oublié dans un
sa douleur, il présente l’infanticide comme une four ») et les tournures orales (« Oui, un inno-
application de la loi du Talion. Le lecteur se trouve cent », « tu sais, le petit ») confèrent à cette lettre
pris entre la pitié face à ce mari qui a perdu sa l’authenticité d’une parole qui ne s’embarrasse pas
raison de vivre, et la terreur face à ce père qui a de rhétorique. La syntaxe progresse par à-coups
étouffé son nourrisson de sang-froid. avec de nombreuses répétitions, restituant les
hésitations et les mouvements de pensée du nar-
2. Le narrateur refuse ici son rôle de père. Tout rateur : « ses joues rondes, si rondes », « tu sais,
d’abord, il refuse les gestes et les attentions les plus le petit, notre petit ».
élémentaires : pas de contact, pas de caresse, pas de Philippe Claudel parvient ici à provoquer l’empa-
nom. Tout est fait pour nier l’existence de l’enfant thie du lecteur face à un homme qui a pourtant
et le lien qui les unit. L’enfant n’est qu’« un paquet commis le crime le plus abject : le meurtre d’un
blanc » (l. 6), quelque chose d’informe, d’innom- innocent. Par cette stratégie narrative et par
mable. En outre, le père refuse de lui reconnaître l’intensité de cette lettre, nos valeurs morales
une singularité : il est un enfant parmi d’autres, vacillent et nous devenons, à notre tour, des
« il ne ressemblait à rien » (l. 11-12), « il ressem- « âmes grises » incapables de définir avec exacti-
blait à tous les nourrissons » (l. 12), « un petit tude ce qui est bien et ce qui est mal. L’auteur ne
d’hommes. La perpétuation de la race » (l. 15). condamne pas le personnage et nous oblige ainsi
À la fin, l’enfant est devenu un ennemi mortel, à prendre parti ou à suspendre notre jugement sur
un adversaire, un être maléfique conscient du mal cet homme qui reste, malgré tout, profondément
qu’il fait. Le délire paranoïaque de ce narrateur humain.
à qui le lecteur faisait confiance ne manque pas
de surprendre : le gendarme, représentant de 5. L’horreur naît du fait que le père sait bien que
l’ordre, de la justice, du bien, dévoile soudain un son enfant est innocent et faible. Il le compare
nouveau visage, cette âme « grise » qu’on ne lui à un « jésus de crèche » (l. 9) pour en faire le
soupçonnait guère. symbole de l’innocence et suggérer que sa vie est
sacrée. Il est encore pur, à peine sorti du ventre
3. Les pronoms « ce » et « ça » désignent en de sa mère, et le père n’a d’autre choix que de
réalité le bébé. Par ces pronoms indéfinis, le père le reconnaître : « Oui, c’était un des leurs. Un
refuse de conférer une humanité à son enfant. innocent, comme on dit » (l. 14). La vulnérabilité
Il le dit dès le début de l’extrait : « notre petit, de l’enfant est renforcée par son sommeil paisible :
je n’ai pas pu lui donner de nom, ni même le rien ne trouble son repos, pas même l’oreiller qui
regarder vraiment » (l. 1). Nommer, c’est prendre viendra l’étouffer.
acte d’une existence. Baptiser un enfant, c’est le Notons l’évolution du personnage : alors que
faire entrer dans la communauté des hommes. la première partie de la lettre offre encore des
Regarder le visage d’autrui, c’est, selon le philo- considérations rationnelles sur le nourrisson, la
sophe Emmanuel Levinas, reconnaître son huma- deuxième partie de la lettre (à partir de la ligne
nité et sa vulnérabilité. Lui refusant tout prénom 15) nous emporte dans la folie du personnage. Le
et toute attention, le père peut nier l’existence de style s’en trouve modifié : les phrases brèves, voire
cet enfant et mettre à distance son geste criminel. averbales, cèdent la place à une phrase unique,
riche en propositions relatives et en répétitions.
4. La lettre est émouvante parce qu’elle est un
D’une certaine façon, la phrase enfle à mesure que
hommage à la défunte, une déclaration d’amour à
le père se laisse dévorer par sa colère et envahir
la femme aimée : « J’ai cherché dans ses traits ton
par le désespoir.
visage […] par-delà ta mort » (l. 10-11), « jamais
plus je ne verrais ton visage ni n’embrasserais ta 6. Les lignes 22 à 24 font référence au conte du
peau » (l. 21). L’amour y est célébré comme un Petit Chaperon rouge. L’expression « ferait des
absolu, une raison de vivre, une source inépuisable dents pour continuer à tout dévorer, aurait des
de joie : « avec lequel il me faudrait vivre alors mains pour prendre les choses et des yeux pour
que tu n’étais plus là » (l. 17-18). les voir » fait écho aux grandes dents, aux grandes
1 Des personnages de chair et de sang | 25
mains et aux grands yeux du loup. Ces éléments et le titre de la photo témoigne, par sa sobriété
menaçants sont précisément ce que le loup tente même, de ce souci de réalisme ;
de dissimuler pour ne pas effrayer la fillette. Ici, le – elle représente un espace urbain sans chercher
père se présente comme un petit chaperon rouge à l’idéaliser : austérité des bâtiments sombres et
qui aurait perçu le danger que représente le loup. délabrés, présence de poubelles, linge qui sèche,
L’énumération et les hyperboles diabolisent cet bas et robe de la fillette salis par de la boue ;
enfant qui a dévoré sa mère et lui a pris sa vie. Or, – les personnages eux-mêmes s’inscrivent dans
il ne s’agit là que d’un conte auquel le narrateur une certaine banalité : ménagère qui étend son
veut croire pour justifier son crime. Cette référence linge (dans la 2e cour à droite), petite fille au
au conte du Petit Chaperon rouge nous rappelle genou écorché qui suce son pouce.
que le père s’est privé du plaisir de raconter cette
histoire à son fils pour mieux continuer à vivre 2. Toutefois, loin d’être une simple copie du réel,
dans sa fiction. elle témoigne d’un travail artistique. De fait, la
représentation de l’espace urbain rend cette rue
ÉCRITURE de Glasgow symbolique et interroge la possibi-
lité pour l’individu de se ménager des issues, des
Sujet d'invention
échappatoires :
La description d’une naissance ou d’un décès – le travail sur les lignes (poteaux, immeubles, fils
implique de mettre en scène le « seuil » entre électriques) et les différentes formes géométriques
la vie et la mort. Avec cette activité, il s’agit de (murets, barrières) donnent à cet espace un aspect
vérifier que les élèves ont compris le traitement inquiétant, à la fois large et parsemé d’obstacles ;
singulier du corps dans le roman naturaliste. – une impression de désolation émerge en raison
Pour que cette description puisse être qualifiée de de la hauteur des bâtiments et du vide qui règne
naturaliste, on s’assurera de la présence de détails dans cette rue. Bien qu’elle soit au centre de
qui visent à « faire vrai ». À ce titre, l’élève peut l’image, la fillette semble écrasée par le décor.
convoquer plusieurs sens (vue, odorat, toucher, Toutes les lignes de fuite l’enferment comme dans
ouïe) afin de rendre sa scène plus vivante et intense. une cage. L’horizon paraît obstrué par le mur du
On sera également sensible à la représentation du fond tandis que le vide qui entoure le personnage
corps qui, dans ces épisodes extrêmes, éprouve de suggère l’abandon ;
la souffrance et/ou de la délivrance. La descrip- – le contraste entre le gris des bâtiments et le rose
tion des mouvements et des mutations du corps, de la robe attire l’œil du spectateur vers le centre
associée à la transcription des pensées et des de l’image. Les yeux en l’air, cette fillette blonde
sensations du personnage, permettra de plonger incarnerait l’insouciance, l’innocence, la possi-
le lecteur au cœur de l’expérience. bilité pour la jeunesse écossaise de rêver encore ;
On pourra sensibiliser les élèves à la question – de la même façon, le contraste entre ces loge-
de la focalisation afin de leur éviter un écueil : ments et le petit coin de ciel bleu crée un contraste
l’impossibilité pour un personnage de raconter sa entre cet univers de désolation et la possibilité
propre mort à la première personne du singulier. d’un réenchantement (à moins que ce coin de ciel
Pour des exemples d’accouchement, on consultera bleu ne soit érigé en idéal inaccessible) ;
la scène de l’accouchement dans Pot-Bouille de – la position de la fillette interpelle le specta-
Zola ou celle de l’accouchement de Jeanne teur : est-elle vraiment naturelle, saisie sur le vif ?
dans Une vie de Maupassant. Pour des exemples D’ailleurs, cette position est ambiguë : d’une part,
de scène d’agonie, voir manuel p. 29. les jambes ainsi croisées déséquilibrent le corps et
fragilisent la fillette, d’autre part cette position
s’apparente à celle d’une danseuse et renforce le
décalage entre le personnage et son milieu.
Histoire littéraire Finalement, cette photographie suscite un ques-
tionnement : la fillette est-elle menacée par cet
Le réalisme p. ›°-›· environnement, victime déjà sacrifiée d’un sys-
1. La photographie de Raymond Depardon relève tème social qui ne lui offre aucun avenir ? Au
d’une esthétique réaliste : contraire, apporte-t-elle une note optimiste et
– elle a été prise à Glasgow, une ville d’Écosse, onirique dans ce monde de la misère ?
Vocabulaire de la maladie
Des héros ordinaires p. ∞⁄ 1. a. Altruisme.
b. Palliatif.
Dans une phase de récit, les élèves évoqueront c. Rechute.
brièvement les circonstances de la rencontre d. Viager.
et l’instauration du dialogue. Puis, ils rendront
compte dans le dialogue de la vie de ces femmes du
peuple par des détails précis : tâches du quotidien,
Le vice, une question morale ?
statut de la femme / rôle de l’homme, enjeux de 1. On peut sans doute attribuer le sens le plus
ce déplacement en train. Enfin, les inquiétudes fort aux termes « souillure » et « péché » qui
de ces mères seront évoquées : études de leurs sont porteurs d’une dimension religieuse. La per-
enfants, travail, possibilité de s’extraire de ce sonne dont les actes sont ainsi qualifiés se trouve
milieu social. violemment condamnée. La « perversion » est
On pourra demander aux élèves d' : également un terme fort puisque le pervers est
– appliquer les règles de présentation d’un dia- celui qui corrompt le bien en mal, et qui peut
logue romanesque (guillemets, tirets, propositions même être en proie à une pathologie. On pourra
incises) ; également accepter les termes « corruption »,
– imiter le parler populaire. Pour cela, on les « turpitude » et « dépravation ».
invitera à relire les interventions de Rosalie dans Assurément, les termes les moins forts de la liste
Une vie de Maupassant (manuel p. 40, l. 7-10). seront « défaut », « imperfection » et « travers ».
¤ Honoré de Balzac,
Le Colonel Chabert, 1844
Présentation et objectifs de la séquence p. ∞‹
Livre de l’élève p. ∞‹ à §‚
Cette séquence consacrée à un court roman de Balzac permet de plonger dans l’univers du père de La
Comédie humaine. L’élève sera sensibilisé aux caractéristiques du réalisme balzacien : concordance des
portraits physiques et moraux, émergence du fantastique au cœur de l’écriture réaliste, entrelacement
de l’histoire individuelle et de l’Histoire collective.
Le Colonel Chabert devrait offrir un certain plaisir de lecture aux élèves. Ils sont invités à suivre le
parcours de ce personnage intrigant, à la fois héros et anti-héros, personnage à l’apparence transparente
mais dont la présence spectrale dérange. Le destin de Chabert confère à l’œuvre une dimension
éminemment « romanesque » : complots, trahisons, manigances, épopée militaire et épisode spec-
taculaire du retour d’entre les morts.
À travers le parcours erratique du colonel, l’œuvre donne à voir une époque en mutation : celle de la
Restauration qui tente de balayer les dernières traces de l’Empire. Le romancier pénètre également
dans les milieux juridiques, militaires et aristocratiques avec ce souci documentaire qui n’interdit pas
le recul critique. À travers le miroir d’une époque, le roman invite à une réflexion sur l’individu et
la société : y a-t-il une place pour la grandeur d’âme et les idéaux collectifs dans le monde moderne ?
Peut-on être sincère dans un monde où chacun joue la comédie ?
Enfin, la séquence permet d’aborder avec les élèves la question de l’adaptation cinématographique.
Si René Le Hénaff a proposé sa version en 1943, la séquence privilégie le film d’Yves Angelo (1994).
Multipliant les partis pris audacieux, le réalisateur revendique le droit de remanier le texte littéraire
pour proposer une œuvre à part entière. Soulignant les principales modifications, la fiche « Histoire
des arts » invite les élèves à questionner la pertinence de ces choix.
‹ Le romancier naturaliste :
enquêtes et engagement
Présentation et objectifs de la séquence p. 6¤
Livre de l’élève p. 6¤ à 8›
La séquence 3 propose une étude centrée sur le naturalisme, après deux premières séquences qui
ont permis aux élèves de découvrir le mouvement et son prédécesseur, le réalisme. Les textes et les
œuvres choisis donnent une place de choix à Émile Zola, chef de l’école naturaliste. Le titre de la
séquence souligne sa première ambition : mettre au jour la méthode des écrivains qui fait la part
belle à l’enquête de terrain. On entend donc dégager les caractéristiques d’un roman naturaliste.
Mais il s’agit aussi, pour les écrivains, de donner à entendre un point de vue critique sur la société
contemporaine. Enfin, les deux corpus mettent en avant des personnages de roman : leur construction
pourra faire l’objet d’une étude précise.
Le premier corpus présente des « femmes en lutte contre leur condition ». Toutes ont en commun
de ne pas accepter la vie qui leur est faite, de Gervaise à Khady Demba, personnage contemporain
inventé par la romancière Marie NDiaye. L’étude des textes et des images (peinture de Degas et
photogrammes d’un film des frères Dardenne) permet de comprendre comment une femme, souvent
seule, peut pousser un cri de révolte.
Le second corpus vise à présenter des figures dominant le cycle des Rougon-Macquart et dont le
portrait contredit l’image traditionnelle que l’on se fait du destin de héros naturalistes victimes de
l’histoire. Ce sont des héros qui manifestent la volonté de réussir, un appétit de pouvoir extraordi-
naire et savent faire jouer tous les rouages de la nouvelle société pour y parvenir.
⁄
Le dialogue fait entendre les lutteurs, mais aussi
le bruit qui entoure le spectacle : « Des piaffes,
Émile Zola,
des poussées, des cris de ralliement, des sifflets,
éclataient de toutes parts » (l. 13-14). La scène
L’Assommoir, 1877 p. 66
n’est pas moins gaie dans l’extrait de La Maison Objectifs :
Tellier, mais la boisson choisie, le champagne – Analyser l’ascension et les ambitions
(l. 12) montre bien qu’on a affaire à une classe d’une femme simple.
sociale plus aisée. La scène se passe dans une – Comprendre comment Zola inscrit
maison close, comme l’indique la fin du premier déjà l’avenir de Gervaise dans ce passage
paragraphe. Les « filles » sont appelées par leur pourtant emprunt de bonheur
prénom et dirigées par « Madame » dont on com- pour l’héroïne.
prend qu’elle tient la maison. L’extrait présente
donc un milieu bourgeois qui s’encanaille avec
des prostituées. Le tableau de Boldini est aussi
L’ambition d’une femme simple
une « scène de fête », comme son titre l’indique. LECTURE DU TEXTE
On s’accorde à dire qu’il s’agit du Moulin-Rouge,
1. On peut consulter le folio sur le site de la BnF
alors ouvert depuis peu. On perçoit aux habits
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53009325h/
des hommes qu’il s’agit d’un milieu fréquenté
f247.image.r=NAF%2010271.langFR en sélec-
par des bourgeois.
tionnant ensuite le numéro 120 recto. Zola a
2. Les trois textes et le tableau, même s’ils mettent conservé les caractéristiques physiques et la carac-
en scène des milieux différents, populaire et térisation sociale du personnage. Sa descendance
bourgeois, donnent une même image de la fête : est aussi la même.
joyeuse, excessive et coupée du monde quotidien.
2. Alors que le texte présente une situation heu-
Le texte de Zola comprend peut-être une touche
reuse, plusieurs détails laissent voir la misère qui
plus lugubre : les personnages de L’Assommoir
menace l’héroïne : Gervaise, comme les autres
sont ceux qui sont le plus dans un excès qui peut
personnages du quartier, est en « lutte énorme
paraître mortifère.
contre la faim » (l. 8) et fonder son entreprise
3. Les textes de Huysmans et de Maupassant représente un pari risqué. C’est pourquoi, elle
donnent la parole aux personnages : c’est le dis- ressent, mêlé à sa joie, « un grand trouble » (l. 7) ;
cours direct qui permet de donner à voir la vie elle a peur « de ne pas réussir » (l. 6-7) et d’être
quotidienne. Ainsi, la scène à la fête foraine est « écrasée » (l .7). Très concrètement, on sent
très vivante grâce aux interpellations des lutteurs que ses craintes sont fondées. L’immeuble où elle
par son public : « Et la foule d’applaudir, de tré- compte ouvrir sa blanchisserie suinte la misère.
pigner, de se précipiter dans la baraque » (l. 7-8). Les couleurs choisies par l’auteur en témoignent :
De même, la scène à la Maison Tellier est pleine les façades sont grises, la cour « blafarde ». Les
de vie comme le montrent les verbes « éclater » fenêtres sont comparées à des « loques ». Ainsi,
(l. 2), « s’écrier » (l. 12) et surtout tous les verbes même si le déménagement dans cet immeuble est
46 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
une promotion sociale, on perçoit que sa situation naturaliste, le franchissement du Rubicon par
sera précaire. César. Elle joue son va-tout avec courage.
6. Les hypothèses doivent se fonder sur la situation
3. Le texte présente le milieu artisan. On pénètre
du personnage qui découvre le lieu et est plein
en effet dans une arrière-cour qui, en plein Paris,
d’espoir ainsi que les menaces présentes dans le
accueille des ateliers en activité. La description à
texte : le combat ne semble pas gagné.
l’imparfait donne à entendre l’intense animation
qui y règne : « les marteaux du serrurier et les rabots 7. Le texte est naturaliste en ce qu’il explore un
de l’ébéniste tapaient et sifflaient au fond des milieu peu décrit dans les romans et qu’il décrit
ateliers du rez-de-chaussée ». Quant aux précisions minutieusement l’arrière-cour et la vie ouvrière
topographiques, elles nous font voir ce lieu clos à laquelle le texte donne accès.
et dissimulé au regard des passants comme une
ville dans la ville, quadrillée de rues, laborieuse.
ÉCRITURE
Toutefois, les notations descriptives plus dyspho-
riques, insistant sur les façades « grises » (l. 4), Commentaire
le mauvais état de la cour ou le déversement des La partie de commentaire pourra suivre le plan
eaux usées montrent que Gervaise arrive dans un suivant :
endroit où l’on se donne beaucoup de peine sans a) Un milieu ouvrier
forcément faire fortune. b) L’ambition sociale
c) La menace de l’échec
4. Gervaise est la petite-fille d’Adélaïde Fouque,
ancêtre qui donne vie aux deux branches, les
Rougon d’une part, et les Macquart de l’autre.
Les Rougon, branche légitime issue du mariage
d’Adélaïde avec Rougon, vont connaître le succès,
financier et politique, sous le régime de l’Empire.
¤
Edgar Degas,
Les Repasseuses,
1884-1886 p. 6‡
Ils sont marqués par ce que Zola appelle les « appé-
tits ». Les Macquart, branche illégitime car issue Objectifs :
du concubinage d’Adélaïde avec Macquart, sont la – S’intéresser à la représentation de la vie
partie de la famille qui est fragile et va connaître quotidienne.
la difficulté, la rudesse de la vie ouvrière. Ses – Le personnage de l’ouvrier dans les
membres, comme Gervaise (cf. p. 29 et p. 66), tableaux naturalistes.
Jacques et Claude Lantier (cf. p. 44-45) sont
facilement en proie à l’alcoolisme et à la violence.
ENTRÉE DANS L’IMAGE
5. Pour sortir de la misère, Gervaise veut ouvrir 1. Les teintes chaudes sont très présentes : le poêle
une boutique, une blanchisserie. L’extrait évoque brun, le fichu jaune, la robe rose, le vin rouge, le
l’ambition du personnage, mot que l’on trouve à sol ocre, les cheveux roux en témoignent. Sans
la ligne 7. Au moment où elle va se lancer dans doute fait-il très chaud dans la blanchisserie. Le
cette aventure, le narrateur nous donne accès à poêle, qui sert à chauffer les fers à repasser, ronfle
ses pensées. On découvre son appréhension : « Il et tout l’air semble vibrer. Dans cette atmosphère
lui semblait faire quelque chose de très hardi » d’étuve, si bien rendue par le chromatisme, le
(l. 9). Gervaise sait qu’elle dépasse sa condition. vin sert autant à se donner du courage qu’à se
Pourtant, elle va de l’avant. Le regard qu’elle porte désaltérer.
sur le monde est optimiste puisqu’elle voit dans Le blanc est l’autre couleur dominante : c’est
le « vert très pâle » de l’eau usée la couleur de celle des murs nus derrière les deux repasseuses
l’espoir. Les verbes de mouvement (« se jeter », et celle du linge repassé, mais aussi celle de la
« enjamber ») et la métaphore de la machine en chemise portée par la femme à gauche. Degas
marche témoignent de sa résolution et rendent a beaucoup travaillé cette couleur. On relève
sensible l’élan qui l’anime. Enfin, l’extrait se clôt différentes textures et nuances de blanc. Si le
en nous montrant Gervaise enjamber les eaux de la blanc du corsage est éclatant, le linge que repasse
teinturerie. C’est, transposé dans une arrière-cour le second personnage semble plus gris. Quant au
3 Le romancier naturaliste : enquêtes et engagement | 47
fond, Degas ne l’a pas peint uniformément : il a ÉCRITURE
seulement déposé quelques touches de blanc sur
sa toile non enduite. On voit le lin laissé brut en Argumentation
transparence. Ce soin porté à la couleur met en Le débat doit se fonder sur des références pré-
valeur le travail du repassage. cises, suite à une recherche par les élèves ou à
une séquence d’enseignement. Ils doivent en
effet être à même de convoquer des exemples
LECTURE DE L’IMAGE précis d’œuvres idéalisant le réel (pris dans la
peinture académique par exemple, dans les genres
2. Les deux femmes exercent le métier de blanchis- de la peinture religieuse ou mythologique) et de
seuse. C’est un des métiers les plus difficiles qui soit tableaux réalistes ou naturalistes.
et l’état d’épuisement des femmes est manifeste. On ne s’arrêtera pas aux tableaux et l’on pourra
C’est aussi un labeur ingrat puisqu’il s’agit de laver élargir le corpus à la littérature.
et repasser le linge sale des autres. Enfin, ce travail
est dangereux. Le drap que repasse la travailleuse
semble gris parce qu’il est encore mouillé, ce qui
est vecteur de tuberculose. Degas représente la
vie quotidienne avec crudité et authenticité, sans
chercher à enjoliver cette scène croquée sur le
vif. En cela, il se distingue des peintres de l’école
‹ G uy de Maupassant,
« Boule de Suif »,
Les Soirées de Médan,
de Barbizon, qui sacralisaient le travail humain
et le présentaient comme noble. On peut songer 1880 p. 68-6·
aux paysans de Millet.
Objectifs :
3. La femme de droite travaille et semble appuyer – Étudier une nouvelle qui témoigne
de tout son poids sur le fer. Elle est courbée et a de l’humiliation d’une femme.
les bras tendus pour être plus efficace. On ne voit – Comprendre le mécanisme de l’exclusion
pas son visage baissé et caché par ses cheveux. Elle et la critique de la bourgeoisie.
incarne le travail. Celle de gauche, au contraire,
s’étire en bâillant, signe de fatigue et geste assez
trivial peu représenté en peinture. Elle tient dans
Seule contre tous
sa main droite une bouteille de vin. ENTRÉE DANS LES TEXTES
1. L’expression « gredins honnêtes » est un oxy-
4. La toile de Degas montre l’extrême fatigue des
more : du point de vue sémantique, le substantif et
femmes et la dureté de leur métier. Le bâillement
l’adjectif s’opposent. L’oxymore dénonce l’hypocri-
et le vin ne sont pas présents sur la toile comme
sie de la bourgeoisie, du clergé et de l’aristocratie,
une dénonciation, mais témoignent de la diffi-
partie « honnête » de la société, ici réunie dans
culté quotidienne. Le regard du peintre est donc
ce lieu clos qu’est l’auberge. Or, les compagnons
empreint d’humanisme et de tendresse. Il choisit
de Boule de Suif mènent un double jeu, feignant
de mettre en peinture un sujet quotidien, banal
de s’offusquer de la proposition de l’officier, tout
et de rendre hommage au monde ouvrier.
en se disant que pour une prostituée, ce n’est pas
5. Cette question permet de synthétiser les autres un problème.
réponses : Degas représente deux ouvrières dans
leur quotidien. Il ne les embellit pas, ne les pré-
LECTURE DES TEXTES
sente pas comme des héroïnes. Elles ne sont pas
non plus caricaturées, laides ou alcooliques. Il 2. Boule de Suif est dans une position intenable
existe à travers cette toile comme une beauté parce que les autres personnages tiennent un
du quotidien qui frappe celui qui la regarde. double discours. Elle est scandalisée, comme le
Rappelons qu’alors le métier de repasseuse est montre sa réplique aux lignes 6-7 (texte 1), en par-
peu considéré, mal rémunéré puisque payé à la ticulier l’énumération d’insultes. Relevons : « cra-
journée. Le peintre le réhabilite et nous invite à pule », « saligaud » et « charogne », tous ces termes
éprouver de la compassion pour ces jeunes femmes désignant l’officier prussien. En apparence, les
brisées, déjà, par le labeur. autres personnages approuvent sa réaction outrée :
48 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
le narrateur emploie les termes d’« indignation » libre, exprime les pensées du personnage. Cette
(l. 11, texte 1) et de « réprobation » (l. 13, texte 1) plongée dans son intériorité permet à l’auteur
pour désigner la réaction de cette honnête assem- de nous rappeler que Boule de Suif a partagé ses
blée. Le comte exprime tout son « dégoût » (l. 15, délicieuses provisions avec les autres au début
texte 1) tandis qu’une clameur collective s’élève. de la nouvelle. Personne ne lui a rien donné en
La réaction des hommes est si vive que leurs retour. L’énumération des lignes 9 et 10, servie
gestes ne sont plus maîtrisés : Cornudet repose par l’allitération en [p], insiste sur la quantité de
sa chope si « violemment » qu’elle se brise (l. 12, mets et la qualité du festin ainsi offert : poulets,
texte 1). Les femmes, quant à elles, expriment pâtés, poires et vin à profusion ont réjoui ses
leur solidarité et leur « commisération » (l. 17, compagnons. Enfin, après avoir donné toutes
texte 1), terme accentué par les deux adjectifs ses victuailles, elle a aussi donné son corps. Elle
qualificatifs « énergique » et « caressante ». Mais a passé la nuit avec l’officier prussien pour sauver
le texte 2 montre qu’il ne s’agit que d’une façade : toute la petite société qui l’accompagne. Enfin,
rapidement, c’est le « mépris » qui s’exprime elle garde pour elle la colère qui l’anime quand
(l. 6, texte 2) et qui ramène le personnage à sa elle se voit rejetée par ceux qui ont tout dévoré.
condition de fille de joie. Sous les outrages, elle se tait et pleure.
3. Dans le texte 1, les personnages expriment leur 6. L’extrait de « Boule de Suif » réunit de nom-
solidarité (réponse 2), mais dans le texte 2, ils breuses classes sociales de l’époque, de l’aristocratie
s’éloignent de la prostituée, marquant ainsi leur à la bourgeoisie en passant par l’Église, avec les
condamnation morale et leur dégoût. Boule de Suif bonnes sœurs, ou le peuple avec Boule de Suif,
essuie d’abord leur indifférence : ils mangent et une prostituée. Dans le huis clos de la diligence,
n’arrêtent pas, comme le souligne l’adverbe « pla- toute la société de 1870 s’est donné rendez-vous
cidement » (l. 3, texte 2). Même les religieuses font et Maupassant porte sur elle un regard acerbe.
preuve d’un appétit féroce, appréciant manifeste- Dans ces deux extraits, on voit bien comment il
ment beaucoup le saucisson. Puis, l’indifférence condamne l’attitude des classes sociales aisées,
laisse place à la condamnation. Le comte, qui la qui feignent d’être solidaires avec Boule de Suif,
voit pleurer, hausse les épaules avec indifférence, mais l’amènent quand même à se sacrifier pour
sans aucune pitié. Le discours direct relate avec mieux ensuite rejeter ce bouc émissaire commode.
exactitude les propos cruels de Mme Loiseau, trop Ce petit groupe se sent soudé parce que tous ses
heureuse de prendre sa revanche. Cornudet pour- membres ont, avec une belle unanimité, rejeté
suit avec ironie : il siffle La Marseillaise comme cette fille perdue. Nul sentiment de culpabilité
pour signifier la victoire contre l’ennemi. La ne semble les animer, bien au contraire. Madame
double négation « Personne ne la regardait, ne Loiseau, convaincue d’être une femme vertueuse,
songeait à elle » (l. 6, texte 2) montre l’unanimité se réjouit de voir punie la fille de joie. Il y a une
contre elle, l’accord général pour nier cette femme morale à cette histoire. Quant aux deux religieuses,
après l’avoir utilisée, comme on utilise un objet elles n’incarnent pas la charité chrétienne. À la
ou une marchandise. La comparaison montre ce fin des deux extraits, le narrateur souligne leur
processus de réification à l’œuvre. Elle est en effet attitude passive. Loin de défendre l’honneur de
assimilée par le narrateur à « une chose malpropre Boule de Suif (extrait 1) puis de la consoler (extrait
et inutile » (l. 8). 2), elles ne manifestent de dévotion que pour le
saucisson. Le comique féroce de la scène achève
4. Le substantif « faute » a ici une connotation ce portrait sans concession de la bonne société.
religieuse. Il renvoie au péché dans la religion Plus largement, le pessimisme de Maupassant
catholique. Il marque de la part du comte une transparaît. Il est convaincu de la méchanceté
condamnation morale de ce qu’a fait Boule de Suif. foncière de l’espèce humaine.
5. Boule de Suif est un personnage généreux
pour plusieurs raisons. Dans le texte 2, le pre-
HISTOIRE DES ARTS
mier paragraphe montre que l’héroïne ne peut
pas s’exprimer : « crispa » (l. 3), « étranglait » 7. La toile de Boutigny a été peinte en hommage
(l. 5), elle ne peut parler. Pourtant, le narrateur, à la nouvelle de Maupassant. On y retrouve la
par la focalisation interne et le style indirect diligence et les officiers prussiens, avec leur casque
3 Le romancier naturaliste : enquêtes et engagement | 49
à pointe. Les personnages sont en partance, prêts céder et retourner travailler, comme le suggère
à s’entasser dans la diligence qui leur permet- Catherine. Au contraire, elle veut résister : « le
tra de fuir la guerre. À la croisée des lignes de premier de vous autres qui travaille, je l’étrangle ».
tiers, vêtue de couleurs plus claires, on reconnaît
l’héroïne éponyme. Le peintre a choisi de bien
LECTURE DU TEXTE
mettre en valeur son panier, que l’on imagine
plein de victuailles. Le panier est presque au 2. La misère s’exprime de plusieurs façons dans le
centre de la toile et les regards sont braqués sur texte. Tout d’abord, les personnages sont désœu-
lui. À l’inverse, au premier plan, on découvre un vrés : on perçoit toute l’« inaction » d’Étienne
autre panier, renversé dans la neige et vide. En (l. 3) et Bonnemort est assis à ne rien faire (l. 15),
période de guerre et de pénurie, rien n’est plus totalement éteint (l. 43-45) depuis sa chute.
important que la nourriture. C’est ce que semble Tous ont « faim » (l. 11). Mais ce sont surtout
souligner le peintre, qui inscrit sa toile dans un les enfants de la Maheude qui montrent cette
contexte historique précis : celui de la guerre misère : ils cherchent en vain quelque chose à
franco-prussienne de 1870-1871. On raconte manger, grattant « avec un bruit assourdissant une
que l’hiver fut si rigoureux, que la faim devint vieille casserole ». Zola joue ici avec le registre
si tenaillante que les Parisiens mangèrent les pathétique. Catherine, la fille de la Maheude,
animaux exotiques du Jardin des Plantes. Dans veut retourner travailler et panique à l’idée de
ces conditions, la générosité de Boule de Suif, ne plus manger : « Qu’est-ce que tu veux ? on
qui nourrit ses compagnons de route, est d’autant ne peut pas vivre sans rien faire. Nous aurions du
plus louable. pain au moins. » C’est tout le coron qui pourrait
« crier sa misère » (l. 13).
ÉCRITURE 3. Étienne est spectateur dans cette scène. Le pre-
Argumentation mier paragraphe le présente se promenant, comme
Le sujet amène les élèves à relire les deux extraits le montrent les verbes « quitter » et « marcher »
pour étudier plus précisément la position du nar- (l. 2), « piétiner » (l. 4), « marcher » (l. 11) et
rateur et l’identifier à l’auteur. On constate que le le substantif « promenade » (l. 3). Cette déam-
narrateur utilise volontiers la focalisation interne bulation l’amène à croiser les regards accusateurs
et nous livre les pensées de Boule de Suif. Toute des hommes et des femmes, suite à la fusillade
sa colère est intérieure et contenue : c’est un dont ils le pensent responsable. Quand il entre
premier point qui répond à la question. chez les Maheu, le spectacle de la misère est plus
On peut ensuite s’appuyer sur les réactions expri- insoutenable encore. Le nom « scène », emprunté
mées dans le second extrait : paroles du comte au théâtre, montre qu’il est devenu le témoin
et de Mme Loiseau, attitude de dédain des deux impuissant de la souffrance de ses camarades. Il
bonnes sœurs, attitude ironique de Cornudet. ne peut rien faire et reste « bouleversé ».
4. La Maheude s’oppose à sa fille Catherine. La
première, brisée par la grève, veut reprendre le
›
Émile Zola,
Germinal, 1885
Objectifs :
p. ‡‚-‡⁄
travail pour avoir une activité et de l’argent pour se
nourrir (l. 26-27). Elle refuse d’être à la charge de
sa mère, telle « une bête encombrante et inutile »
(l. 23). À l’opposé, la Maheude veut poursuivre et,
– Comprendre la portée sociale du roman en mémoire de son mari, ne pas céder. Elle refuse
naturaliste. l’exploitation des enfants (l. 30) et la vengeance
– Analyser la parole révoltée du personnage. des employeurs, supprimant la pension du vieux
travailleur retraité du jour au lendemain. Elle
exprime son refus avec véhémence, comme le
Engagée jusqu’au bout montre le discours direct des lignes 45 à 48 : les
ENTRÉE DANS LE TEXTE exclamatives, la négation forte « non » et l’impré-
1. La Maheude est en lutte contre sa condition cation finale font d’elle la dernière insoumise. Le
parce qu’elle refuse le sort qui lui est fait. Veuve personnage porte un discours social en faveur des
avec charge d’enfants et sans argent, elle devrait ouvriers et de la classe populaire.
∞
Marie NDiaye,
tation des enfants (l. 30). Elle exprime même
une opinion jusqu’au-boutiste : « j’aime mieux
vous voir tous emporter entre quatre planches,
comme celui qui est parti déjà » (l. 31-32). La
Trois femmes
dernière réplique montre qu’il n’y a pas à tran- puissantes, 2009 p. ‡¤
siger : l’exemple de la pension qui n’a pas été
Objectifs :
versée montre, pour elle, la malhonnêteté des
propriétaires des corons, employeurs des ouvriers. – Comprendre la révolte intérieure d’une
femme humiliée.
6. La révolte s’exprime par la modalité exclama- – Étudier les moyens littéraires choisis par
tive, très présente dans la bouche de la Maheude, l’auteur pour accéder à la conscience du
à toutes ses répliques : l. 21, 29, 46 et 47. La personnage.
question rhétorique, ligne 40, a le même effet : – Saisir la continuité entre le réalisme et le
elle veut interpeller l’interlocuteur – et le lecteur. naturalisme et le roman contemporain.
7. Le texte est engagé parce qu’il s’appuie sur une
réalité sociale observée par Zola lui-même dans Une femme debout
le Nord de la France. Les repères historiques (p.
70) montrent que la question de la grève est au
LECTURE DU TEXTE
cœur du xixe siècle parce qu’elle est liée à celle
1. Le texte nous donne à voir trois états du per-
sonnage de Khady Demba :
des droits des ouvriers. Leur reconnaître la possi-
– une femme humiliée (l. 1 à 8) par une situation
bilité d’arrêter le travail pour protester contre des
qui nie son existence, son humanité (ses belles-
conditions trop difficiles revient à leur accorder
sœurs l’ignorent et elle ne parle pas à ses clients
des droits. Zola prend fait et cause pour le monde
sur le marché) ;
ouvrier et dénonce la souffrance imposée par les
– puis une forme de repli sur soi, sur le passé et
employeurs issus de la classe bourgeoise.
les individus qui lui ont fait du bien (l. 14 à 18) ;
– enfin l’affirmation d’une force, d’une singularité
HISTOIRE DES ARTS (l. 15 à la fin).
8. Le photogramme du film met en valeur les On passe ainsi de l’humiliation à la fierté d’exis-
deux visages des personnages et le contraste de ter, mais ces trois états ne sont pas strictement
leurs couleurs, l’un livide est celui de Catherine, successifs.
morte ; l’autre est celui d’une mère en colère,
écrasée par le chagrin. Il s’agit de la Maheude. 2. Les compléments circonstanciels de temps « Tôt
Les deux visages, se détachant nettement sur un chaque matin » (l. 1) et « des heures durant » (l. 6)
fond sombre, ressemblent à deux masques figés. La marquent la répétition, l’habitude. L’apparition
Maheude incarne la révolte, le regard détourné du de son mari défunt ou de son aïeule est plus rare,
corps de l’autre personnage. Elle semble accuser comme le soulignent les locutions adverbiales
quelqu’un hors champ. « de temps en temps » (l. 11) et « moins sou-
vent » (l. 12). L’expression de son identité et de sa
ÉCRITURE fierté est en revanche plus affirmée avec l’adverbe
« toujours » (l. 15) et « souvent » (l. 22-23). On
Commentaire observe donc à travers ces indications temporelles
Le commentaire pourra suivre le plan suivant et la routine du travail, sa régularité, la rareté des
réinvestir les réponses au questionnaire : apparitions et finalement la certitude d’exister.
3 Le romancier naturaliste : enquêtes et engagement | 51
3. Il existe comme une mise à l’écart consentie par Objectifs :
les deux parties : elles partent ensemble, comme – Initier les élèves au cinéma social des
l’indique l’expression « en compagnie » (l. 1) et frères Dardenne.
leur réunion à travers le pronom « elles » (l. 4) – Comprendre que le regard critique des
et juste avant « toutes trois » (l. 2). Mais Khady romanciers du xixe siècle se prolonge à
est bien « à l’écart », comme le souligne le com- travers le cinéma social.
plément circonstanciel et ses deux belles-sœurs
adoptent une posture en « feignant » (l. 5) de
ne pas la voir. LECTURE DE L’IMAGE
4. Le récit est écrit à la troisième personne. Marie 1. Le personnage de Sandra est mis en valeur par
le cadrage. Dans le photogramme principal, elle
NDiaye met en place un narrateur extérieur à l’his-
occupe presque le tiers de l’image à droite. Dans
toire, mais elle nous donne accès à la conscience
le second photogramme, c’est l’inverse : on la voit
du personnage à partir de la ligne 8 et de l’indi-
sur toute la moitié gauche. Elle est cadrée jusqu’à
cation de l’étourdissement qui marque l’entrée
la ceinture : on parle de plan mi-moyen, qui est
dans la rêverie.
légèrement moins important pour le personnage
5. Khady Demba est puissante parce qu’elle coupé à mi-cuisse que le plan américain. Le spec-
parvient à résister de l’intérieur. Alors que ses tateur se sent assez proche de Sandra.
belles-sœurs nient son existence, l’ignorent, elle
fait montre d’une grande force de caractère : elle
2 et 3. Le monde de l’entreprise, sur le photo-
gramme principal, est représenté par les ouvriers.
est « fière d’être Khady » (l. 22), même si elle est
Ils sont sept, en comptant Sandra. Deux groupes
consciente que les autres possèdent plus qu’elle,
distincts s’opposent : six portent un tee-shirt iden-
comme l’indique l’exemple de la nourriture dans le
tique, frappé du logo de l’entreprise. Visuellement,
dernier paragraphe. Elle a su faire face aux forces
ils forment un bloc, ce que leur disposition dans
qui auraient pu l’anéantir. Elles sont exprimées
l’espace renforce. Cinq sont parfaitement ali-
par la reprise de « quand bien même » aux lignes
gnés alors que Sandra est seule. Ce personnage
17 et 19. Cette anaphore souligne le rejet dont
principal se détache aussi par son tee-shirt de
elle a été l’objet de la part de ses parents, grands-
couleur différente. Enfin, elle seule se déplace
parents et finalement de tous et sa capacité à ne
et doit passer devant eux, subir leurs regards. À
pas se laisser briser.
l’inverse, les autres personnages ne bougent pas
et la regardent passer sans esquisser le moindre
ÉCRITURE geste. L’un d’entre eux a même les bras croisés,
Commentaire ce qui est un geste de fermeture. On a dès lors
l’impression que les cinq ouvriers forment un
Proposition de plan pour le commentaire : rempart. Sandra est une femme isolée, mise en
I. Une femme humiliée accusation, différente du groupe.
a) Un quotidien harassant Le monde du travail apparaît donc sous un jour
b) Le mépris des autres cruel. Les frères Dardenne montrent les oppo-
c) Une solitude extrême sitions sourdes, la tension latente entre les col-
II. Mais une femme puissante lègues. Les deux cinéastes montrent aussi très
a) La rêverie comme échappatoire simplement mais très efficacement l’emprise que
b) L’affirmation d’une identité peut exercer une entreprise sur ses employés : son
c) La fierté d’être soi logo – autant dire la firme elle-même – envahit
tous les espaces, y compris les vêtements et les
corps. Ils sont marqués du sceau de leur firme.
6 Jean-Pierre
et Luc
Dardenne, Deux
jours, une nuit, 2014
4. Tandis que les visages sont graves, tendus,
tous les regards sont braqués sur le personnage
principal, ce qui montre une forme d’animosité,
de mise en accusation. Le seul qui ne la fixe pas
baisse la tête, comme s’il était gêné. L’héroïne,
p. ‡‹ quant à elle, n’affronte pas le regard des autres
52 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
et tourne son regard vers la droite, hors champ. – Identifier la visée critique et polémique à
Ce simple jeu de regards montre combien deux travers la satire.
camps se sont formés. Le mythe de la solidarité – Saisir l’unité entre le tableau social et le
ouvrière est déconstruit et dénoncé pour ce qu’il portrait du personnage.
est : une mystification. Au mieux, en période – Analyser le système des images qui
de crise économique, se font et se défont des
associe fait social et physiologie.
alliances provisoires, réunissant ceux qui ont un
intérêt commun à défendre. La lutte ne se fait
plus contre les employeurs, ce que montrait Zola Le déchaînement des appétits
dans Germinal. Elle oppose âprement les ouvriers ENTRÉE DANS LE TEXTE
entre eux. Ou, plus exactement, les salariés ayant 1. Le lecteur peut être frappé par :
le « privilège » d’avoir du travail et la future – la soif de l’or qui suscite le dégoût ;
chômeuse. – la prédominance des intérêts économiques sur
5. Sur les deux photogrammes, l’actrice, Marion toutes les autres préoccupations sociales ;
Cotillard, se déplace. Elle marche, elle court – l’actualité d’une œuvre du xixe siècle qui décrit
avec énergie. Elle construit ainsi un personnage la spéculation financière, avatar des spéculations
qui semble toujours en mouvement. La caméra de notre époque ayant provoqué krach boursier
la suit dans ses déplacements, elle accompagne et crise économique.
l’agitation de cette héroïne qui se débat pour
sauver son emploi. LECTURE DU TEXTE
Symboliquement, la jeune femme apparaît ainsi 2. Le texte décrit un mécanisme social et éco-
comme un personnage qui n’a pas encore renoncé nomique : après le coup d’État sanglant du 2
à se battre, à lutter pour tenter de sauver ce qui décembre 1851 et l’éradication de toute forme
peut l’être. Malheureusement, son mouvement d’opposition politique, le pouvoir politique permet
semble se briser sur le rempart immobile que for- aux élites anciennes et aux aventuriers nouveaux
ment ses collègues. On se doute qu’ils refuseront de s’enrichir et de s’amuser. La société française a
la proposition des employeurs : renoncer à leur évolué : elle est lasse des guerres et des révolutions
prime pour permettre à leur collègue de garder menées au nom de grands idéaux et elle aspire
son emploi. au divertissement. Une sorte de fièvre s’empare
des Parisiens, une « folie de jouissance » poussant
ÉCRITURE à tout tenter pour s’enrichir rapidement. Faire
fortune sera possible grâce à la transformation
Sujet d’invention de la capitale en un nouveau et « Grand Paris »
Les élèves devront utiliser la première personne pour reprendre une formule d’aujourd’hui. Très
du singulier et se mettre à la place de cette femme concrètement, il s’agit d’acheter peu cher des lots
qui revient dans son entreprise et fait l’expérience de maisons insalubres et d’attendre. Quand ces
de la solitude, voire du rejet. anciens quartiers seront rasés, les propriétaires
expropriés seront indemnisés à prix d’or. Les
banquiers facilitant ces opérations percevront
des commissions exceptionnelles. Pour savoir
LES ROUGON-MACQUART quoi et quand acheter, il faut des informations
OU L’APPÉTIT DU POUVOIR de première main, venant des politiques. Pour
les obtenir, rien ne vaut la corruption.
‡
Émile Zola,
La Curée, 1872
Objectifs :
p. 74-75
Prolongement
Pour montrer l’actualité du sujet traité, il est
possible de passer quelques extraits du film Main
basse sur la ville de Francesco Rosi (1963) qui
– Découvrir la représentation économique dénonce la spéculation immobilière à Naples au
que Zola donne de la société du Second moment où la municipalité transforme des terrains
Empire. agricoles en terrains constructibles.
3 Le romancier naturaliste : enquêtes et engagement | 53
3. Les métaphores visent d’abord à provoquer d’aventuriers qui venaient de voler un trône,
l’indignation des lecteurs devant le désir d’opu- un règne d’aventures, d’affaires véreuses […] »
lence et d’excès de richesses : « faisait la grasse (l. 20-25). Le comportement des spéculateurs
matinée » (l. 6), « se mettait à table et rêvait autorisé par le pouvoir est le contre-exemple
gaudriole au dessert » (l. 9-10). La comparaison de toutes les valeurs républicaines : démocratie,
« comme une drogue dangereuse » (l. 10) déva- liberté, respect des lois…
lue la politique au regard des nouveaux appétits
financiers. Puis, la comparaison de l’Empire à
une maison de prostitution (« Il semblait qu’on
Prolongement
passât devant une de ces petites maisons », l. On peut néanmoins nuancer le propos en précisant
17-18) amplifie la charge de la dénonciation. La que Zola ne méprise ni ne condamne l’argent. Il
spéculation est associée à l’idée de corruption et permet de bâtir, de fertiliser et de donner la vie.
de vice. Le tableau culmine avec la métaphore La métaphore du flot, récurrente dans ses romans,
du « flot montant de la spéculation, dont l’écume témoigne du dynamisme de l’argent.
allait couvrir Paris entier » (l. 26-27) : la capi- 6. Du premier au deuxième paragraphe, le roman-
tale est submergée par le raz-de-marée bancaire. cier passe d’un tableau historique à l’histoire de
Le ton est celui du pamphlet satirique, violem- ses deux personnages : Aristide Saccard et Eugène
ment polémique : cette fièvre de l’or repose sur Rougon. L’histoire personnelle et familiale vient
la faute originelle qu’est le coup d’État sanglant. s’emboîter dans le contexte général. Les deux
Par ailleurs, les images sont toutes empruntées à la héros deviennent ainsi les exemples de la rapacité
physiologie : gourmandise, sexualité, jouissance. immobilière. On peut préciser qu’Aristide avait
Elles transforment la soif de l’or en une passion, initialement pour nom de famille Rougon. Pour
en un instinct prédateur, voire en une pathologie. ne pas faire d’ombre à son frère le notable, cet
Le phénomène de la spéculation immobilière est escroc s’est choisi un nom d’emprunt : Saccard.
présenté comme une hystérie collective. Le mot, par ses sonorités, évoque en même temps
4. L’amplification se structure à partir de trois le saccage et la mise à sac du vieux Paris.
mécanismes majeurs. D’abord, une progression 7. À la ligne 35, le détail physique (« il engraissa
thématique : les personnifications puissantes même un peu ») et la comparaison avec un pré-
(l’Empire, Paris) font progresser la description dateur félin (« il cessa de courir les rues comme
du coup d’État politique (l. 2) au désir d’amuse- un chat maigre en quête d’une proie », l. 36)
ment (l. 8), puis à la dépense pour se sauver de permettent au narrateur d’amalgamer animalité et
l’ennui (l. 20). L’amplification est renforcée par soif de l’or. La fiction naturaliste associe fait social
la gradation des images : au rêve du repas gar- et représentation physiologique ou animalière.
gantuesque ou pantagruélique (l. 9-10) succède
l’évocation des bruits ténus de l’or (l. 13-14), puis
celle de la montée des rumeurs (l. 16) jusqu’au HISTOIRE DES ARTS
« flot montant de la spéculation » qui submerge 8. Au pied des immeubles nouveaux de type
toute la société (l. 25-26). L’hystérie collective haussmannien se trouve un grand espace de démo-
va crescendo. Le ton polémique se fait lui aussi lition : il ne reste aucun vestige des constructions
de plus en plus violent. Après une critique acerbe précédentes. La photographie, témoignage unique
du régime (tableau de l’ordre établi, reflux du de la transformation de la ville, donne une idée
politique, convergence de tous vers l’affairisme), de la démolition systématique, des percées qui
un nouveau palier est franchi avec l’analogie entre sont autant de saignées, de la refonte totale du
l’Empire et la maison de prostitution (l. 16 à 20). visage de Paris.
La clôture du paragraphe sur le portrait d’« aven-
turiers » véreux et par les adjectifs « pourries »
et « déshonorées » pousse la virulence critique ÉCRITURE
à son comble. Commentaire
5. Les jugements de valeur, dépréciatifs et Le plan de cette partie consacrée à l’analyse et
hyperboliques, laissent deviner le point de vue l’interprétation des images pourra s’organiser en
négatif du narrateur : « Il fallait à cette poignée trois temps :
54 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
a) L’excès des dix à quinze familiers de son entourage »
b) La dimension physiologique de la frénésie (l. 44-45). Le système politique ainsi dévoilé
d’enrichissement repose sur l’abus de pouvoir et la flatterie. Rougon,
c) L’immoralité très lucide, n’est pas dupe. Sa condescendance
l’amène à considérer ses proches comme des
« animaux fidèles » (l. 47).
8
Émile Zola,
Son Excellence
Eugène Rougon, 1876
5. L’imparfait de l’indicatif dans le deuxième
paragraphe permet d’évoquer :
– soit des actions dont la durée s’étend dans le
temps sans qu’on n’en connaisse les bornes (le
p. ‡6-‡‡ début, la fin) : une fois l’Empire installé, Eugène
Objectifs : Rougon retrouve force et santé (« Il se portait
– Analyser la représentation du pouvoir bien, il engraissait ; la santé lui était revenue »,
l. 14-15). L’imparfait de l’indicatif présente alors
politique dans une fiction naturaliste.
une action en train de se dérouler, avec une valeur
– Faire l’étude d’un portrait de personnage.
durative ;
– Comprendre la création d’un héros à partir
– soit des actions qui sont répétées dans le temps :
d’un contexte politique et social. l’imparfait à valeur itérative sert alors à exprimer
les habitudes d’Eugène Rougon, ce qui corres-
L’homme fort de l’Empereur pond aux plaisirs qu’il recherche et renouvelle,
ENTRÉE DANS LE TEXTE à la comédie du pouvoir qu’il rejoue sans cesse
1. L’extrait livre le portrait d’un ministre à la (« Quand il marchait, il enfonçait son tapis à
carrure solide qui apparaît comme un tyran, celui coups de talon […]. Il se donnait à lui-même des
qui prive tout un peuple des libertés fondamen- régals de jouissance surhumaine », l. 15 à 25).
tales. Le régime impérial qu’il incarne est celui
d’une dictature. Ce tyran politique se double d’un 6. Le portrait révèle plusieurs défauts du person-
bourgeois parvenu, amateur de luxe et de confort. nage : gourmandise et rapacité (l. 15), goût excessif
pour le luxe et les lieux feutrés (l. 16), orgueil
LECTURE DU TEXTE démesuré (l. 23), sadisme et brutalité (l. 37-38),
2. Le portrait suit chronologiquement l’histoire volupté d’être flatté et adulé (l. 42), narcissisme
du Second Empire dans ses événements les plus et égocentrisme outrés (« Il se donnait à lui-même
marquants. Eugène Rougon accède au pouvoir des régals de jouissance surhumaine », l. 24-25).
dès le coup d’État : il devient le bras droit de Le portrait naturaliste du tyran fait ressortir les
l’Empereur et l’aide à établir un ordre autori- motivations personnelles : le tempérament de
taire. L’allusion à l’attentat d’Orsini (l. 2) situe sa Rougon est celui d’un grand dominateur. Instinct,
véritable naissance politique en 1858, lors de la psychologie, physiologie expliquent un appétit de
répression des républicains. Émile Zola superpose pouvoir démesuré. Aussi le portrait fait-il alterner
histoires politique et particulière. les raisons politiques et celles plus secrètes et plus
3. Les actions accomplies par Eugène Rougon propres au seul personnage. Le narrateur emploie
incarnent une conception autoritaire du pouvoir, les termes d’« appétits » (l. 31) et de « passion »
proche de l’autoritarisme arbitraire et injuste, ce (l. 34). Cette passion démesurée du pouvoir en fait
que dévoile le troisième paragraphe : « Dans la un géant (sa grosseur), un prédateur (sa rapacité),
poussée des hommes du Second Empire, Rougon un être surhumain qui cherche à transgresser
affichait depuis longtemps des opinions autori- toutes les lois pour imposer son « moi » absolu.
taires. Son nom signifiait répression à outrance, Il s’apparente au personnage mythique de Lucifer
refus de toutes les libertés, gouvernement absolu » qui ambitionne de prendre la place de Dieu (l. 23
(l. 26 à 28). Sa tyrannie s’exerce en France comme à 25). Il rêve, tel Zeus, de « forger la foudre » et
dans les colonies (l. 5). de la jeter parmi les hommes pour les épouvan-
ter (l. 19). Par sa démesure, dont le texte rend
4. Autour du personnage gravite une cour d’admi- compte avec un certain lyrisme, le personnage
rateurs. Rougon vit « dans l’admiration continue incarne le mal.
· É mile Zola,
Au Bonheur
des dames, 1883 p. ‡8-‡·
d’Octave Mouret. On peut relever ainsi l’emploi
des adjectifs « inquiet et têtu » (l. 13), les conces-
sions (« J’entends bien […] Seulement […] », l.
14-15) et les modalités interrogatives (« à qui
vendrez-vous ? comment espérez-vous […] ? »).
Objectifs : La résistance du baron tient à sa difficulté de
– Comprendre l’analyse économique que comprendre qui sera le public cible des acheteurs.
le romancier donne du nouveau système 4. Le discours d’Octave Mouret se caractérise
commercial. par l’emploi constant d’hyperboles : « toutes »,
– Saisir les caractéristiques d’un personnage « jamais », « toujours »... Certaines formules
incarnant la réussite commerciale accumulent les termes excessifs : « la puissance
sous le Second Empire. décuplée de l’entassement » (l. 32). Mais le dis-
– Approfondir la démesure du héros cours d’Octave Mouret n’est pas qu’affaire de
et de son appétit de pouvoir. rhétorique. Le héros s’apparente à un démiurge
qui a découvert un fonctionnement économique
qui crée de la richesse. À l’aide du discours final,
Coup de maître il brosse à grands traits la machine économique
et commerciale qui finit par vivre d’elle-même,
DU TEXTE À L’IMAGE s’autoalimenter sans limite.
1. L’ambition du personnage, sa mégalomanie
peuvent susciter réserve et critique. Mais sa jeu- 5. Le dialogue entre Octave Mouret et le baron
nesse, sa fougue, sa capacité de séduction créent Hartmann est interrompu par la retranscription
et déterminisme p. 8›
4. Les formes d’asservissement moderne peuvent
être : l’aliénation à des technologies (téléphone
portable, Internet), les nouvelles formes d’escla-
Des mots à maîtriser vage (exploitation des enfants dans le monde du
travail), la condition féminine…
1. Aliénation :
– synonymes : asservissement, soumission, exploi-
tation, esclavage, privation de liberté ;
– antonymes : libération, humanité, acquisition,
Une famille en proie
conservation, possession. au déterminisme
Déterminisme :
– synonymes : causes, causalité, enchaînement 1. L’« appétit » signifie un vif désir que l’organisme
(des faits), lois, ordre, fatalisme, nécessité, pré- manifeste et qui demande à être satisfait : le désir
détermination, conditionnement ; de manger, la faim dévorante. Par extension, le
– antonymes : hasard, liberté, indétermination, terme qui s’applique déjà aux besoins naturels
caprice. (faim, désir sexuel) sert à exprimer le désir qui
Libre arbitre : porte sur tout autre objet qu’un besoin naturel,
– synonymes : liberté, autonomie, volonté, indé- et finit par être employé pour désigner le désir
pendance, volontarisme ; d’autorité, de domination et de gain.
– antonymes : serf arbitre, contrainte. 2. Émile Zola se sert de cette notion physiologique
2. Les élèves réutiliseront les synonymes et pour dépeindre le désir du pouvoir (voir texte 8,
antonymes trouvés pour construire leurs champs p. 76-77) ou celui de la possession à travers la
lexicaux. soif de l’or (voir texte 7, p. 74-75).
Asservir
1. Le verbe « asservir » est un verbe formé à partir Des femmes en lutte
du nom latin servus signifiant l’esclave.
1. Les luttes des héroïnes de Zola sont de nature
2. Les élèves iront sur le portail lexical du cnrtl et différente :
utiliseront les entrées « synonymie » et « antony- – Gervaise Macquart tente de s’élever et de sortir
mie ». En entrant le mot « asservir », ils trouveront de sa condition pour ouvrir une petite boutique,
des réponses possibles avec le taux de fréquence mais succombe à la dépendance à l’alcool ;
de leur emploi. – le personnage de la Maheude présente un combat
Quatre synonymes : soumettre, enchaîner, domp- de nature plus politique : le soutien aux grévistes
ter, assujettir. contre l’exploitant de la mine ;
60 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
– Renée s’affranchit par l’adultère et transgresse – réinvestir le vocabulaire recherché
la morale en assouvissant sa passion amoureuse précédemment.
pour Maxime, fils qu’Aristide Saccard, avec qui Le texte pourra être retravaillé à partir d’une
elle vit, a eu de son premier mariage ; première mise en voix pour en améliorer la struc-
– Denise offre l’exemple d’une ambition profes- ture, la dimension oratoire, la richesse lexicale,
sionnelle : elle est une jeune femme ambitieuse l’information historique.
qui veut s’élever jusqu’à diriger le magasin où
elle est employée.
2. Les productions devront respecter les contraintes L’école, un espace de liberté ?
suivantes :
1. L’affiche du film Entre les murs donne à décou-
– respecter le genre du portrait ;
vrir plusieurs attitudes d’élèves, entre ceux qui
– apporter des informations exactes sur le person-
participent et ceux qui se tiennent en retrait, ceux
nage choisi (identité, parcours, caractéristiques,
qui interviennent et ceux qui se taisent, ceux qui
histoire) ;
adoptent les règles et ceux qui les contestent.
– réinvestir le vocabulaire du déterminisme (syno-
nymes, antonymes) à partir du vocabulaire recher- 2. La formule « Entre les murs » peut être associée
ché dans les exercices précédents. aux notions suivantes : prison, captivité, règle,
contrainte, rupture avec le monde, lieu clos…
L’enfance au travail 3. Le texte pourra se structurer de la façon
suivante :
3. Le texte produit devra :
1. L’école exige de respecter des règles :
– se présenter sous la forme d’un discours à la
a) des règles de discipline ;
première personne ;
b) des valeurs qui sont celles de la République.
– se structurer à partir d’une revendication : res-
pect des droits de l’enfant, refus de l’exploitation, 2. L’école offre les conditions de la liberté grâce à :
liberté, indignation que suscite l’extrême misère a) la diversité et le respect de chacun ;
des enfants ; b) l’accomplissement d’un projet personnel ;
– présenter le vocabulaire exact pour nommer et c) l’acquisition de l’autonomie et de la
décrire le métier, l’univers de l’usine, les costumes ; responsabilité.
Objectifs :
– Lire et analyser des œuvres naturalistes
et impressionnistes.
– Découvrir les liens entre le naturalisme
et l’impressionnisme.
– Réfléchir sur la représentation de la réalité.
L’impressionnisme doit son nom au tableau de Monet : Impression, soleil levant (1872). Puisque la
photographie rend inutile la reproduction minutieuse de la réalité, les artistes préfèrent obéir à leurs
sensations et peindre le monde comme ils le ressentent, dehors et en pleine lumière. Par petites
touches, ils saisissent les formes et les couleurs du monde moderne.
Les écrivains naturalistes sont séduits par leur démarche. Même s’ils entendent évoquer la réalité
avec neutralité, après une enquête minutieuse, ils savent capter par petites touches ce que leurs
contemporains ne voient pas toujours : les jeux de lumière sur la ville contemporaine (p. 86-87), la
mode qui, comme dit Baudelaire, saisit « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont
l’autre moitié est l’éternel et l’immuable » (p. 88-89) ou le bonheur simple des parties de campagne
(p. 90-91).
⁄
a pour effet de les voir s’exalter mutuellement. De
T ableaux urbains plus, il dépose ces taches de rouge aux endroits
et contemporains stratégiques du tableau : l’intersection des lignes
de tiers. L’œil est alors irrésistiblement attiré par
p. 86-8‡ ces feux qui brillent dans la nuit ainsi que par leurs
reflets colorés dans l’eau. Ces reflets rouges, qui
miroitent et se diffractent au rythme des vagues,
LECTURE DES IMAGES semblent descendre vers le spectateur. Grâce à ces
1. Les taches de rouge jetées dans la nuit attirent choix, la nuit de Monet est magique : les formes et
le regard. Elles contrastent avec les nombreuses les contours semblent se dissoudre dans la lumière
nuances de bleu et de vert qui enveloppent les et les reflets, au point que la toile est presque
bateaux et la jetée, occupant presque toute la abstraite. Elle représente moins le port du Havre
toile : le tiers supérieur peint le bleu du ciel, les que les émotions d’un promeneur nocturne, saisi
deux tiers inférieurs, sous la ligne d’horizon, sont par la beauté d’un spectacle éphémère.
réservés à la mer. Pour faire ressortir la profondeur
et l’harmonie de ces couleurs froides, le peintre
dispose sur sa toile quelques touches de couleurs Prolongement
vives et chaudes. Claude Monet choisit le jaune Ce tableau annonce Impression, soleil levant (1872).
et surtout le rouge, couleur complémentaire du C’est le même point de vue, la même fascination
bleu. Juxtaposer deux couleurs complémentaires pour un moment où la lumière et l’eau composent
62 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
un paysage émouvant, même si l’instant saisi à une comparaison. L’image, très visuelle, les rend
n’est pas le même. Cette toile évoque aussi La « semblables à deux cyclopes ». Les rayons de
Nuit étoilée sur le Rhône de Vincent Van Gogh lumière qu’ils émettent semblent de « longs et
(1888), séduit par l’intense camaïeu de bleus de puissants regards ». Les deux « colosses » (l. 11),
son prédécesseur. créatures jumelles et monstrueuses, prennent vie.
À leur tour, les autres phares de la rade s’ani-
2. Camille Pissarro a voulu exploiter les possibilités
ment et semblent leur répondre en émettant
artistiques qu’offre le nouveau Paris. Il l’explique
des signaux lumineux. Leur clignotement est
en ces termes à son fils Lucien : « Je me réjouis
comparé (« comme ») au clignement de pau-
de pouvoir travailler dans les rues de Paris que
pières géantes. Ils vont « s’ouvrant et se fermant
l’on dit laides, mais qui sont tellement argentées,
comme des yeux » (l. 14). La comparaison est
tellement brillantes, tellement frissonnantes de
filée, elle se déploie dans une longue phrase de
vie […] qui sont tellement modernes ! ». Pour
plusieurs lignes en mobilisant le champ lexical
saisir sur le vif la nuit parisienne moderne, le
du regard : « yeux », « les yeux des ports », « les
peintre joue avec la lumière. Si, à l’arrière-plan,
yeux vivants », « leurs paupières ». Enfin, le
le ciel est d’un bleu profond, sans étoiles et sans
processus de personnification s’achève lorsque
lune, les lumières électriques illuminent le bou-
ce jeu de lumière est assimilé explicitement à un
levard Montmartre et dessinent un chemin de
langage, activité humaine par excellence. Tous les
lumière très structuré, animé par le jeu avec la
phares semblent doués de parole, transcrite par
perspective. Toutes les lumières semblent en effet
le narrateur au style direct. On relève, aux lignes
converger vers un point de fuite situé au niveau
19 et 20 : « C’est moi. Je suis Trouville […] ».
du premier tiers vertical et du milieu horizontal.
L’irruption de la première personne du singulier et
Les réverbères allumés suivent la perspective de
du présent d’énonciation rend plus vivante encore
la chaussée. Il en va de même pour les phares
la métamorphose des phares en êtres vivants dotés
de la file de fiacres, les éclairages des boutiques,
d’un nom, donc d’une identité. C’est le port tout
des cafés et des appartements haussmanniens
entier qui semble devenir vivant, au rythme cli-
bordant le boulevard. Tous ces points de lumière
gnotant des phares qui montent la garde.
sont alignés, placés sur des obliques ascendantes
dynamiques. Enfin, comme le temps est à la pluie, 5. La lumière électrique, fascinante, transforme le
les lumières se reflètent sur les surfaces mouillées monde réel. Celle des deux phares du cap est émise
de manière brouillée. sous forme de faisceaux perçant la nuit comme
des traits parallèles et identiques. Immenses,
3. Camille Pissaro dépose la peinture par touches
« démesurés », ils zèbrent l’espace entier, « du
rapides, chargées de matière. Les petites touches
sommet de la côte au fond de l’horizon » (l. 9). La
de couleur sont juxtaposées, ce qui permet, dit
comparaison insiste sur leur immensité ainsi que
le physicien Chevreul, de décomposer la lumière
sur leur éclat spectaculaire : ils sont « pareils aux
et de saisir les variations imperceptibles de cou-
queues géantes de deux comètes ». Les adjectifs de
leur que cela entraîne. Il ne s’agit pas de « bien
couleur, caractérisant la lumière des autres petits
peindre » chaque détail mais d’aller vite et de fixer
phares, évoquent eux aussi la métamorphose de
le jeu de la lumière et de la pluie. Les silhouettes
la nuit noire en spectacle intense. Leurs cligno-
sont donc à peine esquissées. Le sol mouillé est
tements de métronomes sont en effet « jaunes,
restitué par des touches irrégulières. Pour voir
rouges, verts » et contrastent fortement avec « la
nettement la forme d’une ville, il faut prendre
mer obscure » (l. 16).
du recul, s’éloigner de plusieurs mètres.
Quand on se rapproche, on voit tout autre chose : 6. Maupassant, fidèle au projet réaliste, entend
par sa consistance, par les traces visibles du coup donner l’illusion de la réalité moderne, même
de pinceau, la toile montre, plus encore que la si elle peut sembler triviale ou ordinaire. Ainsi,
matérialité de la ville, la matérialité de la peinture. peindre les ports en pleine expansion pendant
la seconde révolution industrielle lui semble un
sujet digne d’attention. Pour ancrer sa description
LECTURE DU TEXTE
dans une situation qui fasse vraie, il imagine un
4. La personnification des deux phares électriques narrateur-personnage en mouvement. Ce dernier,
du cap de la Hève commence dès la ligne 4, grâce après avoir fait quelques pas, s’arrête. Il est en
›
– Le vert de la verdure et de l’eau évoque l’idée
A telier de vie, de vigueur, de fécondité mais aussi l’al-
d’écriture tération, la décoloration, la décomposition et
le macabre. Comment est-on passé ici de vie à
trépas ? Comment la chute de la nouvelle va-t-elle
exploiter ce sinistre renversement chromatique ?
Écrire une description – Le vert est une couleur familière et étrange. Elle
impressionniste p. ·¤ est partout présente dans la nature. La peinture
réaliste le montre bien. Elle renvoie pourtant
De nombreuses nouvelles de Maupassant ont dans le même temps à l’altérité, à l’étrange et à
pour décor l’eau de la mer ou de la rivière. Elles l’étranger. Avec elle, on pénètre dans l’univers
comportent des descriptions à la manière impres- du surnaturel, du merveilleux souvent maléfique.
sionniste. On peut citer « Yvette », « Mouche », Pourquoi ? Parce que, ajoute M. Pastoureau, c’est
« Une partie de campagne », « Voyage de noces », une couleur instable, rebelle, très difficile à fixer
– Comparer une nouvelle et son adaptation (film, bande dessinée, tableau, réécriture).
– Approfondir la connaissance du réalisme et ses prolongements contemporains.
– Profiter de la brièveté de la nouvelle pour maîtriser, à l’échelle d’une œuvre complète,
l’écriture du récit.
– Découvrir l’art de la brièveté (concision, ellipse, chute).
¤ L a banalisation
de l’inacceptable
p. ·8-⁄‚‹
(l. 123), « l’admiration de la foule » (l. 127),
« effet certain » (l. 128) ;
– le service est adapté à chaque cliente : « Vous
pourrez choisir, assortir » (l. 142).
De nombreux procédés rendent l’argumentation
Émile Zola, efficace :
« Les Repoussoirs », 1866 – Superlatif : « les plus grands services » (l.116).
– Énumération des failles du maquillage et des
Objectif : comparer une brève nouvelle artifices actuels : l. 117-119.
intégrale et sa réécriture amplifiée sous – Question rhétorique : « N’avez-vous jamais vu
forme de roman. une pauvresse ? » (l. 130).
74 | Le roman et la nouvelle au xixe siècle : réalisme et naturalisme
– Antithèses : beaux / laids ; vêtements troués / créé de toutes pièces : Maude Pichon. Cette jeune
habits neufs (l. 134-135). femme correspond probablement à l’une de ces
– Rythme ternaire et phrase averbale pour créer malheureuses que le narrateur zolien connaît :
un effet de slogan : « Plus de fausses dents, de faux l’âme de feu de cette lectrice de Walter Scott
cheveux, de fausses gorges ! » (l. 137). correspond bien à celle de Maude qui ose s’enfuir
pour échapper à un mariage forcé et cultive « des
3. Le narrateur est d’abord celui introduit dans
illusions romantiques ».
l’histoire. Il présente l’évolution du projet de
Durandeau, de sa conception à son succès en 2. L’élève sera amené à se prononcer sur le sort
passant par ses balbutiements. Soulignant ce que de Maude : révolte ou acceptation de sa condi-
cette entreprise a de novateur et d’audacieux, il tion ? vie parisienne ou retour dans sa Bretagne
en parle comme d’une « épopée » (l. 57). natale ? Il pourra aussi s’interroger sur le sort de
Il dépeint également les mœurs parisiennes en fei- ses consœurs et sur le succès de l’entreprise : est-il
gnant d’adopter une neutralité factuelle à laquelle voué à durer ?
le lecteur est censé adhérer : « Vous n’ignorez pas
qu’en ce pays de commerce » (l. 2). 3. La « Belle Époque » désigne une période mar-
Il favorise l’implication du lecteur en le sollicitant quée par les progrès sociaux, économiques, tech-
à plusieurs reprises : « Avouez que vous avez été nologiques et politiques en Europe, s’étendant
pris au piège » (l. 31). de la fin du xixe siècle au début de la Première
Loin d’être objectif, il prend parti et oriente notre Guerre mondiale en 1914. Les classes populaires
jugement. Alors que les premières lignes affichent aspirent à vivre mieux, revendication reprise et
un faux détachement (vérité générale, usage de développée par le socialisme naissant.
l’ironie pour feindre de glorifier l’entreprise de À un premier niveau, le titre Belle Époque renvoie
Durandeau), le narrateur condamne plus nette- à la thématique de la beauté. En ce sens, le titre
ment ce commerce de la laideur dans les dernières est ironique (antiphrase) puisque la beauté est
lignes. Soulignant la cruauté des Parisiennes et toute artificielle et son appréhension est finale-
la misère des repoussoirs, il incite le lecteur à ment faussée.
refuser l’hypocrisie de ce système, à condamner En outre, l’ironie naît du fait que les mœurs
la superficialité des clientes et à éprouver de dépeintes mettent en question l’idée de bonheur
l’empathie pour ces esclaves modernes. et de progrès social. Ainsi, le travail manque au
point qu’une jeune provinciale en vient, pour
4. La nouvelle de Zola présente la particularité survivre à Paris, à assumer le rôle de repoussoir.
de ne pas présenter de chute. À la fin, rien ne Quant à la grandeur de Paris qui a accueilli l’expo-
vient bouleverser notre perception de l’histoire. sition universelle, elle cache bien mal la misère
De fait, la surprise du lecteur est née en amont : et l’hypocrisie, ainsi que la violence des rapports
à l’annonce même du projet de Durandeau. En sociaux.
outre, un retournement de situation nous aurait
permis de mettre à distance cette réalité : or, il 4. D’après la couverture, la jeune femme entretient
n’y a aucune issue. La réussite de Durandeau est un lien singulier avec Paris. Tout d’abord, notons
présentée comme effective et même vouée à se que la tour Eiffel et la jeune fille occupent chacune
pérenniser. Et rien ne vient modifier le sort ou la moitié de l’image, comme pour suggérer que la
le statut des repoussoirs. Pas de bouleversement ville de Paris est une protagoniste du roman au
final : tout est joué d’avance et les jeunes femmes même titre que la jeune femme. Plus encore, le
n’ont guère d’échappatoire. repoussoir, comme la tour Eiffel, deviennent des
emblèmes de la vie parisienne à la Belle Époque.
En outre, le visage de la femme est coupé par
De la nouvelle au roman le cadre, ne laissant apparaître qu’une mèche
LECTURE DU ROMAN ADAPTÉ rousse. Tournant le dos au spectateur, elle devient
DE LA NOUVELLE insaisissable, mystérieuse. D’une certaine façon,
1. Le roman reprend le nom du personnage et son l’anonymat de cette femme, privée de sa singu-
projet. L’intrigue nous propose de saisir les ressorts larité, contraste avec ce monument que nous
de l’entreprise de l’intérieur en nous donnant accès reconnaissons tous. Plus encore, l’image crée à la
au vécu des repoussoirs à travers un personnage fois un lien et une séparation. Faut-il en déduire
5 Regards sur le mal dans la nouvelle réaliste | 75
que Maude délaisse Paris ou que Paris exclut
Maude ? Un fossé se creuse entre les deux. Tout se Ernest Hemingway,
passe comme si la ville de Paris annulait l’identité
de la jeune femme ou, du moins, la renvoyait à
« Les Tueurs », 1927
son anonymat. Objectifs :
Enfin, le visage de Maude et la moitié du monu- – Montrer l’intrusion du mal dans un univers
ment sont placés dans le hors-champ, comme banal.
pour suggérer une part d’ombre et de mystère. – Lire une nouvelle, découvrir le tableau
La robe épaisse connotant la richesse et affichant qui en montre le climat.
un bleu (virginal ?) dissimule la misère de cette
jeune femme pauvre que l’on exploite. La splen- Intérêts du texte :
deur de Paris dissimule la cruauté, l’hypocrisie – Le réalisme : le registre de langue familier
et le narcissisme de ses habitantes. À la manière des dialogues, la platitude des personnages
de la tour Eiffel dont la façade est spectaculaire, et des lieux.
le personnage féminin donne le change par son – Les énigmes du réel : alors que le style
visage : affichant un physique qui attire les regards, réaliste dépeint la plus banale des réalités,
elle crée l’illusion de la beauté chez celle qui le mystère surgit.
l’accompagne.
On sera également sensible au mouvement de
cette femme qui semble passer devant la tour
Eiffel : ce passage pourrait indiquer qu’elle a raté EXTRAIT 1 p. 104-105
sa trajectoire, que ses illusions ont été déçues.
LECTURE DU TEXTE
ÉCRITURE 1. En première lecture, ces deux hommes pour-
raient être des clients tout à fait normaux.
Sujet d'invention
Toutefois, quand le serveur leur demande ce
Dans cette interview, la jeune femme pourra qu’ils veulent manger, aucun d’eux ne sait et leur
évoquer : réponse est d’emblée déroutante (l. 4-5). Alors
– sa réaction lorsqu’elle a entendu parler du projet même qu’ils passent commande, on perçoit une
de M. Durandeau ; menace. En effet, ils font preuve d’une agressivité
– la vie qu’elle menait avant d’être repoussoir, surprenante, dont rend compte le registre de
les conditions de vie qui l’ont poussée à postuler langue : « Alors pourquoi que vous foutez ça sur
dans cette entreprise ; la carte ? », « Ah ! et puis merde ». Par-delà le
– les étapes de son recrutement ; choix d’un menu, on sent que ces deux hommes
– sa première expérience en tant que repoussoir ; aiment être obéis, et vite. Apprenant qu’il y a des
– son quotidien, ses missions ; règles (comme des horaires fixes pour le dîner), ils
– ses clientes les plus surprenantes. ne désirent qu’une chose : commander ce qui ne
Progressivement, elle pourra blâmer les clientes peut pas l’être et briser les règles. Dans le dialogue
les plus odieuses, critiquer la faiblesse des hommes avec le serveur, ils mettent en jeu leur honneur
qui ne jugent que l’apparence extérieure, s’insur- pendant un temps, puis cèdent face à la ténacité
ger contre les mœurs parisiennes et contre une de Georges. À la fin, on comprend que ce sont
société où l’argent est devenu la valeur principale. des étrangers qui ne connaissent pas la ville : « il
Elle peut aussi déplorer le sort des jeunes femmes est gai, le patelin » (l. 41). Seul le motif de leur
contraintes d’accepter un tel emploi pour survivre. venue permettra de comprendre qu’ils sont des
tueurs à gages.
2. Le dialogue apparaît comme réaliste car il
‹
retranscrit l’oralité des propos : certains mots
L a lente intrusion relèvent du registre familier comme « bouffer »,
de la violence « vous foutez ça » ou « merde ». La syntaxe est
fautive, comme souvent quand on parle. Ainsi, le
p. ⁄‚›-⁄‚‡ « ne » de négation est supprimé : « C’est pas encore
›
passera de vie à trépas.
ne approche
U
7. D’après l’affiche du film À bout portant, le
spectateur s’attend à une violence exacerbée. Le
dédramatisée
titre du film désigne en effet un coup de feu tiré du drame p. ⁄‚8-⁄‚·
de très près : la victime n’a aucune chance de s’en
sortir. Ainsi, le titre annonce la violence d’un
film où l’on tue la cible, où l’on assiste à sa mort.
– Au premier plan, figure un homme en costume,
Philippe Djian,
une arme dans la main droite, une mallette dans Mise en bouche, 2003
l’autre. Tout indique que cet homme élégant, sous
l’apparence de l’homme d’affaires, est un tueur à Objectifs :
gages. La flaque de sang à ses pieds confirme les – Montrer l’intrusion du mal dans le monde
crimes commis. Pour accroître l’angoisse, on ne de l’innocence enfantine.
voit que ses jambes : aussi devient-il la figure de – Lire une nouvelle et étudier son adaptation
la Mort qui avance masquée, anonyme. Comme en bande dessinée.
dans tous les films noirs, la violence est toujours Intérêts du texte :
urbaine, apportée par des êtres déshumanisés pour
– Narratologie : rôles du narrateur, regard
qui l’arme est devenue un prolongement du corps.
décalé sur un événement dramatique.
– À l’arrière-plan, l’œil du spectateur est attiré
– Le réalisme : transformation d’un fait
par une autre scène de violence, probablement
un hold-up. Sur la scène urbaine du crime, un divers contemporain (« Human Bomb »
conducteur est sommé de sortir de sa voiture, en 1993) en nouvelle, l’héroïsme en question
tandis que deux hommes le menacent avec une (mise en scène de personnages ordinaires
arme. Un troisième homme accourt vers la scène. dont le quotidien bascule dans le drame),
Les jambes au premier plan rappellent presque réflexion sur le rapport entre réel et fiction
des rideaux de théâtre. Avec ses jambes dispro- (fiction télévisée, fiction littéraire).
portionnées, le protagoniste devient un géant
qui règne sur la ville : ainsi, à supposer que le LECTURE DU TEXTE
troisième personnage vienne aider le malheureux, 1. La situation est dramatique et tendue car des
il se heurtera symboliquement à la jambe gauche enfants et quelques adultes ont été pris en otage
du tueur à gages. Rien ne saurait arrêter le mal. par un homme cagoulé et armé. Au moindre écart,
– Les couleurs criardes de l’affiche interpellent : celui-ci menace de tuer tout le monde ou de tirer
tandis que le jour se lève, la ville prend une teinte sur quelques enfants (l. 8-9). Par ailleurs, il a déjà
violette, violente, presque irréelle. Les immeubles assommé le gardien de l’école, Bob de Vritt, qui
sont seulement suggérés, comme dans un décor retrouve progressivement ses esprits (l. 29-30). Le
de théâtre. Tout indique un monde apocalyptique narrateur, chargé de trouver une télévision, sent
où les hommes sont réduits à l’état d’ombres. In qu’il n’a pas le droit à l’erreur : « il ne me quittait
fine, le spectateur de l’affiche est happé par cette pas des yeux » (l. 14). La tension est également
image qui excède le réalisme. soulignée par les réactions des otages qui restent
Vers le bac ⁄
Corpus : « Des machines
et des hommes » Livre de l’élève p. ⁄⁄¤ à ⁄⁄∞
5 Vers le bac 1 | 85
Chapitre
2 La tragédie et la
comédie au xviie siècle
Le classicisme
Livre de l’élève p. ⁄⁄8 à ¤⁄‹
| 87
Séquence
§ Rire
de nos défauts
Présentation et objectifs de la séquence p. ⁄¤‹
Livre de l’élève p. ⁄¤‹ à ⁄›¤
⁄ Molière, Le Tartuffe,
1664 p. ⁄¤°-⁄¤·
s’agit d’hyperboles qui rendent, par comparaison,
ses propos vis-à-vis d’Elmire très innocents.
5. Damis voit sans cesse sa parole coupée par
les phrases brutales et autoritaires de son père
(v. 22 à 24). C’est lui qui se voit affligé des termes
La comédie du repentir injurieux (« pendard », « infâme », « ingrat »)
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE qui auraient dû atteindre Tartuffe. Le discours
1. La confession consiste, dans la religion catho- et la gestuelle de l’hypocrite, véritable mise en
lique, à avouer tous ses péchés à un prêtre qui scène de faux criminel repenti, prennent toute la
90 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
place, jettent un écran de fumée devant Orgon Tartuffe. Sa sœur sera plutôt affolée, désespérée à
naïf et crédule. l’idée d’épouser Tartuffe. Il faut trouver une fin au
dialogue : l’arrivée d’une « aide » : un personnage
6. et 7. Orgon qualifie durement l’attitude de sa
d’adjuvant comme la servante ou Elmire pourra
famille. On relève l’adverbe « impudemment »
être une solution.
et le nom « orgueil ». Il dénonce par ces termes
une sorte de complot tramé par les siens contre
Tartuffe. En utilisant le pronom indéfini « on » Prolongement
(v. 35), il préserve l’anonymat de ceux qui se La satire de l’hypocrisie se fait virulente dans cette
seraient ligués contre lui, tout en créant une comédie : elle dénonce ouvertement des pratiques
atmosphère de suspicion. De plus, il fait une véri- courantes à l’époque de Molière.
table crise d’autoritarisme. Il marque son autorité On pourra rappeler les démêlés de Molière avec
en utilisant systématiquement la première per- le parti des dévots et les interdictions de la pièce
sonne en début de vers (v. 32, 38, 39, 43) ainsi que et faire lire l’extrait du premier placet (p. 134),
le verbe « vouloir ». Enfin, il présente le mariage pour comprendre les enjeux politiques du texte.
de sa fille avec Tartuffe comme sûr, certain et déjà
programmé par lui. La proposition corrélative
« plus… plus » renforce sa détermination. Dans
la dernière réplique, le ton est plus autoritaire
encore, ce que marque le verbe d’obligation : « il
faut qu’on m’obéisse ». Quant aux mots placés
à la rime, place forte du vers, ils sont explicites :
¤ Molière, Dom Juan,
1665
« je suis le maître ». Il termine en donnant des
ordres, comme le montrent les verbes conjugués
à l’impératif adressés à Damis, où l’utilisation
encore de l’indéfini pourrait s’adresser à toute
‹ Lorenzo Da Ponte,
livret de Don Giovanni
de Mozart, 1787 p.⁄‹O-⁄‹⁄
sa famille (v. 44 à 46). La seule justification de
cette autorité abusive est grotesque. Il agit ainsi Objectifs :
« pour vous faire enrager », ce qui montre sa – Montrer un autre visage de l’hypocrisie
simple volonté de nuire, et non une attitude de religieuse dans la relation amoureuse.
chef de famille responsable. – Définir ce qu’est le libertinage au xviie
siècle.
HISTOIRE DES ARTS – Comme avec Le Tartuffe (p. 128-129),
8. Sur le site du Théâtre du Soleil (www.theatre- l’étude montrera que la satire se fait
du-soleil.fr), des photos de la mise en scène grinçante et le personnage de séducteur
d’Ariane Mnouchkine sont disponibles, mon- inquiétant.
trant une transposition dans des milieux religieux
fondamentalistes. Sur l’image, Tartuffe se serre Jouer avec la morale
comme un enfant dans les bras d’Orgon, qui le
protège en l’entourant complètement, un bras
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
autour de ses épaules, une main sur sa tête. Les
1. Dom Juan est cynique car il affirme que c’est
pour respecter le vœu d’engagement religieux de
yeux de Tartuffe jouent l’égarement, la peur. Les
Done Elvire qu’il l’a quittée, alors même que la
deux hommes sont dans une relation fusionnelle
séduire rompait déjà nécessairement ce vœu. Une
dont on voit mal comment quelqu’un pourrait
fois ce vœu bafoué, elle ne peut plus revenir en
les détacher.
arrière. Être abandonnée est une catastrophe et
Dom Juan le sait bien.
ÉCRITURE
Sujet d’invention LECTURE DU TEXTE
Le changement de point de vue doit permettre à 2. On peut considérer toute la première phrase
Damis d’exprimer ce qu’il ressent : colère, empor- comme une antiphrase : il s’annonce sincère alors
tement, envie de se venger, voire de brutaliser qu’il va encore lui mentir. Il choisit le vocabulaire
6 Rire de nos défauts | 91
du repentir religieux pour mieux justifier sa fuite. accord avec son costume coquet, à la mode (voir
Relevons : « pur motif de conscience », « je puisse les couleurs des bas, la perruque). Au contraire,
vivre sans péché », « des scrupules », « j’ai ouvert Done Elvire porte un costume d’homme qui a dû
les yeux de l’âme ». lui permettre de s’échapper du couvent et de se
cacher. Son regard est inquiet, tendu. Tous deux
3. Le libertin se proclame athée et rejette donc
semblent regarder le ciel et ses mystères, lui avec
comme ne le concernant pas la morale imposée
ironie, elle avec crainte.
par les dogmes religieux. En utilisant de façon
hypocrite la notion de péché et de repentir pour
justifier d’avoir abandonné lâchement une jeune COMPARAISON AVEC L’OPÉRA
fille, Dom Juan montre son mépris pour la morale, 8. Leporello est fier de montrer le catalogue des
pour le mariage (qui est au xviie siècle un sacrement conquêtes de Dom Juan qu’il tient lui-même à
religieux) ou pour les vœux de chasteté d’une jour (v. 3). Le refrain est constitué des chiffres
religieuse, mariée symboliquement à Jésus : « notre des conquêtes pays par pays, sur une musique
mariage n’était qu’un adultère déguisé » (l. 11). entraînante et légère. Leporello est amusé et
décline la longue liste en organisant cette énu-
4. Il tente de culpabiliser Done Elvire : « Voudriez- mération, en classant les femmes par types. Si
vous, Madame, vous opposer à une si sainte pen-
Mozart et Da Ponte veulent faire réfléchir, c’est
sée ; et que j’allasse, en vous retenant, me mettre
par le divertissement le plus léger.
le Ciel sur les bras ». La phrase interrogative
À l’inverse, Sganarelle, joué lors de la création
au conditionnel est une question rhétorique. Il
de la pièce par Molière lui-même, est un person-
insiste avec l’hyperbole (« une si sainte ») sur son
nage plus complexe : il est attaché à son maître,
dévouement, presque son sacrifice personnel ! La
effrayé par son immoralité, mais incapable de
fin de la phrase fait croire que c’est lui qui craint
lui tenir tête. Il espère sincèrement que tous les
le plus le châtiment divin : « me mettre le Ciel
signes annonciateurs du châtiment seront pris
sur les bras ». Cependant, l’expression familière
au sérieux par Dom Juan et que ce dernier finira
et prosaïque contredit l’idée de la crainte.
par revenir dans le droit chemin. Ce personnage
5. Done Elvire est en colère, comme le montre le est précieux : grâce à lui, Molière montre qu’il
relevé suivant : « courroux » (l. 32), « la colère n’approuve pas le libertinage (alors qu’il fréquen-
d’une femme offensée » (l. 36). De plus, elle tait certainement ces milieux), et qu’il est du
lui coupe brutalement la parole et recourt à un côté de la morale dominante. Après la censure
vocabulaire péjoratif assez violent : « scélérat », du Tartuffe, le dramaturge aura voulu faire taire
« ta perfidie ». Elle le tutoie pour exprimer son ses détracteurs. Les enjeux ne sont pas seulement
mépris, et signifier qu’elle n’est pas dupe. Elle le moraux : ce chef de troupe doit s’assurer que son
menace du châtiment du ciel aux lignes 19 à 21 spectacle aura du succès pour compenser les pertes
et 33 à 36. financières dues à l’arrêt de la précédente pièce.
6. Dom Juan veut être approuvé par Sganarelle.
Et celui-ci, par crainte de son maître, utilise le ÉCRITURE
pronom « nous » comme s’il était lui aussi athée Commentaire
et immoral : « nous nous moquons bien de cela,
Le discours de Dom Juan transforme un lâche aban-
nous autres » (l. 23-24). Mais sa dernière réplique,
don en acte de repentir et de charité chrétienne.
dite en aparté (utilisation de la 3e personne du
singulier), montre au contraire sa désapprobation 1) Un raisonnement spécieux
vis-à-vis de l’inconduite de son maître. Analyser de près la stratégie argumentative qui
s’appuie sur un lexique religieux, celui de la
HISTOIRE DES ARTS confession.
7. L’attitude de Sganarelle immobile à distance – L’annonce de sa sincérité (l. 1-2) fonctionne
exprime bien ce que nous avons vu dans la ques- comme un serment sur l’honneur.
tion 6. Il n’ose même pas regarder ce que fait Dom – Aveu de la faute : « il est assuré que je ne suis
Juan, et se tient très raide. Dom Juan est très à parti que pour vous fuir ». Il insiste plus loin sur
l’aise avec Done Elvire, encore penché vers elle, ses responsabilités : « pour vous épouser, je vous
les bras dans le dos, dans une attitude mondaine en ai dérobée à la clôture d’un couvent ».
92 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
– La raison religieuse de son éloignement s’oppose Prolongements
à la raison prosaïque et banale, qu’il récuse (il ne
− On peut demander de faire des recherches sur
l’aime plus) : « non point pour […], mais par un
le mythe de Dom Juan en s’aidant du site www.
pur motif de conscience ». Cette expression est
domjuan.net (qui comporte une bibliographie) :
renforcée par une série d’autres termes religieux :
on peut faire trouver l’origine du mythe, d’autres
il veut « vivre sans péché », « les yeux de l’âme »
titres d’œuvres du xviie siècle, expliquer la notion
(l’âme, siège de la raison s’opposant au cœur où
de mythe.
naît la passion), « le repentir ».
− Lecture complémentaire : É.-E. Schmitt propose
– Le crime est identifié : c’est « un adultère
dans La Nuit de Valognes (Magnard Classiques et
déguisé ». Il s’agit d’un des péchés capitaux qui
Contemporains) un Dom Juan jugé par les femmes
condamnent à l’enfer.
qu’il a abusées. Cette lecture peut être une aide
– Le seul moyen de se faire pardonner est de ren-
pour le débat oral à organiser.
voyer Done Elvire à son couvent : « vous donner
moyen de retourner à vos premières chaînes ».
∞
Molière cherche donc à arracher le masque des
olière,
M hypocrites et empêcher ces gens de sévir.
Premier placet sur 4. Ces hommes sont dangereux car ils entendent
Le Tartuffe, 1664 p. 134 donner des leçons aux autres, gendarmer la
société avec un zèle excessif, alors même qu’ils
sont capables des pires crimes. Dans sa comédie,
Objectif : il faut bien rappeler le contexte
Molière dénonce (« mît en vue », l. 8) ces hypo-
de l’extrait : Molière défend une pièce
crites et leurs manigances. Il n’a pas de mots assez
qui a été censurée. Il intervient auprès durs pour fustiger la façon dont ils manipulent les
du roi et argumente en s’appuyant sur autres (« veulent attraper les hommes », l. 10-11).
les objectifs donnés par les théoriciens
du théâtre classique (voir la fiche 5. Ce sont les vrais Tartuffes (« les originaux »)
sur les règles classiques, p. 172). qui ont poussé le roi à censurer le Tartuffe théâtral
(« la copie »).
Fonction morale de la comédie
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE HISTOIRE DES ARTS
1. C’est le dernier paragraphe qui est le plus flat- 6. L’hypocrisie du personnage est suggérée par son
teur car il s’agit d’obtenir du roi qu’il revienne habit étriqué, trop serré et son attitude excessive-
sur sa décision, ce qui est une demande bien ment sévère. L’habit noir doit rappeler un prêtre.
audacieuse et risquée : Molière doit persuader le Il en fait trop.
roi qu’il a eu tort d’interdire sa pièce ! Voilà qui
est bien délicat ! Ce n’est donc pas au roi direc- ÉCRITURE
tement que Molière va reprocher cette censure
mais aux conseillers qui l’entourent, qui ont abusé Vers la dissertation
de « la délicatesse de [son] âme sur les matières − Une caricature comique met immédiatement
de religion ». Molière, très habilement, insiste en évidence les défauts qu’on veut critiquer :
sur la piété sincère de Louis XIV, piété dont se Tartuffe (p. 128-129) révèle explicitement au
sont joués les mauvais conseillers. Cependant, spectateur son hypocrisie en jouant une fausse
il ne présente pas non plus le roi comme trop confession. La situation est claire.
influençable, trop soumis à l’avis de ceux qui − Une intrigue théâtrale, comme un apologue,
l’entourent. Si le monarque a pris une mauvaise simplifie l’argumentation et la rend attractive par
6 Rire de nos défauts | 95
les péripéties et rebondissements : les obstacles de moteur ». Il croit ainsi faire plaisir à son ex-femme
la comédie classique finissent par un dénouement en lui révélant qu’elle n’avait pas épousé un sot.
heureux. Rien n’est jamais totalement sérieux. Il se vante également d’avoir un don et un goût
Surtout dans les pièces de Molière qui sont des particulier pour la logique, qu’il a apprise avec
comédies-ballets, pleines de fantaisie et de poésie. facilité. Là encore, il utilise une métaphore un
Ex. : dans la scène du mamamouchi du Bourgeois peu décalée, un peu inappropriée : « je l’ai étudiée
gentilhomme, la famille a compris qu’elle ne guérira comme du petit-lait ». Il ne connaît pas le sens
pas le vieillard de son idée fixe et préfère jouer de l’expression « boire du petit-lait » qui signifie
avec lui, le faire chanter et danser pour mieux éprouver une vive satisfaction d’amour-propre et
le manipuler. non avoir du goût pour quelque chose.
− Le rire permet au spectateur une mise à dis-
3. Jacques souffre d’avoir été sous-estimé par ses
tance critique : la situation parfois dramatique
proches, considéré comme « un total crétin ».
des mariages arrangés est dénoncée à travers des
Sa sottise est d’ailleurs la raison invoquée par sa
comédies qui finissent bien, grâce à la ruse de
femme Myriam pour divorcer : Jacques souffre
certains personnages adjuvants ou à une révélation
encore de cette rupture, d’autant qu’elle a épousé
incroyable (Deus ex machina). Dans L’Avare, les
son frère André (l. 18-19).
jeunes gens se liguent contre Harpagon et l’arrivée
miraculeuse du père de Mariane règlera tous les 4. André, par ses silences, marque ses doutes vis-
conflits. Toutefois, le discours sur la nécessité de à-vis du raisonnement de Jacques. Cependant,
respecter les sentiments amoureux est bien présent il ne veut pas lui avouer directement. Il préfère
(L’Avare, p. 160 ou L’École des femmes, p. 143). que son frère Jacques arrive seul aux conclusions
(l. 14 à 16). Ensuite, il se contente d’approuver
le renoncement de Jacques (l. 22 et 25).
§ Jean-Michel Ribes,
Théâtre sans
animaux, 2001 p. ⁄‹∞
5. Égalité et fraternité sont deux mots de la devise
de la République française. Ici, ils sont employés
ironiquement : même deux frères dans une même
famille ne sont pas égaux, ni intellectuellement,
ni socialement, et André a tout fait pour préserver
Objectifs : sa supériorité, séduisant même la femme de son
– Étudier l’évolution moderne du type frère. Jean-Michel Ribes suggère donc que l’égalité
comique du pédant : l’intellectuel. et la fraternité n’existent pas en réalité.
– Analyser l’hypocrisie dans les relations
familiales. HISTOIRE DES ARTS
– Analyser les procédés comiques de la 6. On apprend plus loin dans le texte que Jacques
caricature et de la satire dans le théâtre est employé dans une salle de sport, ce qui explique
contemporain. son jogging. Cependant, on peut parler de cari-
cature car ce jogging a des couleurs voyantes,
Hypocrisie et manipulation comme les chaussures, et n’est pas à la mode.
Sa casquette n’a rien de très élégant non plus.
LECTURE DU TEXTE La posture, cuisses serrées, mains sur les genoux,
1. Le comique repose sur le décalage entre l’en- ainsi que le visage vide, avec les yeux écarquillés,
thousiasme naïf de Jacques et la façon froide, donnent à voir un personnage stupide, presque
calculatrice, dont son frère le pousse à renoncer demeuré.
à révéler son intelligence. Jacques présente un
comique de caractère : il incarne le naïf facile à
abuser et à manipuler. ÉCRITURE
2. Jacques utilise une métaphore assez ridicule Commentaire
pour parler de son intelligence qu’il veut pro- André fait croire à Jacques qu’il lui donne des
mener, montrer, comme si c’était une voiture de conseils avisés alors qu’il ne cherche qu’à le main-
sport : « j’ai envie de la montrer, de me promener tenir dans son rôle de crétin, pour garder lui-même
avec devant tout le monde, de faire vrombir le une position dominante dans leur famille.
96 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
– Il commence par faire semblant d’approuver Objectifs :
l’attitude de Jacques, son envie de révéler son − Approfondir sa connaissance d’un type
intelligence : « C’est humain ». Cette première comique conventionnel : le matamore
phrase indique qu’il va y avoir un « mais », car de la commedia dell’arte.
c’est une phrase dont on se sert pour pardonner − Rappeler que le théâtre latin est
une erreur de jugement. essentiellement ludique et repose sur
– Puis, il instille le doute en Jacques avec la phrase des codes d’intrigues, de personnages
interrogative « Tu crois ? ». Il va plus loin en et de jeu (masque, costume et danse) :
proposant une interprétation du divorce contraire voir l’Histoire littéraire p. 140.
à celle de son frère, en reprenant ses mots et en
proposant une variante : « Ça voudra dire qu’elle Intérêt du texte : ce texte sert à préparer
ne s’était pas tellement trompée » devient « Ça l’étude de l’extrait de L’Illusion comique
voudra dire aussi qu’elle s’est trompée ». Le silence qui en est la réécriture, puis à montrer
qui suit oblige Jacques à chercher l’explication de l’évolution du personnage dans Cyrano de
cette phrase tout seul. Comme Jacques n’y parvient Bergerac. On y analysera le procédé de la
pas (André lui prouve ainsi implicitement qu’il caricature comique qui s’appuie sur la figure
a encore des progrès à faire), André lui souffle la de l’hyperbole.
réponse : « En te quittant ». Il s’excuse presque
de donner son avis : « je me permets de prévoir Deux types comiques
sa réaction ». On apprend plus loin qu’il a épousé
Myriam, il n’a donc certainement aucune envie ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
qu’elle regrette d’avoir quitté Jacques. 1. La vantardise du soldat est traduite d’abord
– En touchant Jacques avec les sentiments qu’il par son nom et celui, ronflant, de ses adversaires.
éprouve encore pour Myriam, André le pousse à Ces noms sont construits sur des associations
renoncer à tout lui dire. Il approuve régulièrement burlesques de mots grecs imprononçables (la
le raisonnement de Jacques pour ne pas avoir l’air comédie latine se passe dans une Grèce d’opé-
de lui imposer quoi que ce soit (l. 22, 25, 28). Mais rette imaginaire). Ils évoquent la guerre par leur
le « Ça se sent » quand Jacques se vante d’être sonorité pétaradante.
fort en logique est ironique. En réalité, Jacques
a totalement manipulé son frère. LECTURE DU TEXTE
2. Un fanfaron est quelqu’un qui se vante d’ex-
Prolongement ploits imaginaires. L’hyperbole est la figure de rhé-
torique principalement utilisée par Pyrgopolinice.
Ce texte est à rapprocher de l’extrait d’Art de En témoigne ce subjonctif de souhait : qu’il
Yasmina Reza (p. 127). André, l’écrivain, appar- « éblouisse dans la ligne de bataille les yeux des
tient au même milieu bourgeois, représentant la ennemis » (l. 3-4) afin de les transformer « en
pensée dominante. Il ressemble à Serge, l’amateur chair à pâté » (l. 7). Le point d’orgue de cette
d’art contemporain. Tous deux méprisent ceux qui tirade mégalomaniaque est sa comparaison avec
n’ont ni leur culture ni leur éducation. Tous deux le dieu Mars (l. 11 à 13).
mettent en avant leur réussite sociale et écrasent
ceux qui remettraient en cause leur supériorité. 3. Le soldat pense vivre dans un univers mytho-
logique, parmi les dieux.
4. Dans le théâtre latin, chaque type comique
VARIATIONS SUR UN TYPE COMIQUE : respectait un code gestuel particulier. F. Dupont,
LE MATAMORE in Le Théâtre latin (A. Colin, 1999), décrit ainsi
le personnage du jeune soldat : « Il a les cheveux
longs ondulés, la peau brune (masque). Il est
‡
harnaché de métal et de cuir, avec un casque
P laute, Le Soldat étincelant surmonté d’un énorme cimier, et traîne
fanfaron, un sabre gigantesque ».
Certains des accessoires indiqués sont bien cités
vers ¤‚‚ av. J.-C. p. ⁄‹§ dans le discours du soldat : un bouclier brillant, à
6 Rire de nos défauts | 97
l’éclat « plus vif que les rayons du soleil » (l. 2) et et rhétorique de la fanfaronnade : il invente des
une épée personnifiée en même temps que brandie exploits aux quatre coins de l’univers, mêle des
(« je veux consoler mon épée que voici […] elle dieux, des rois réels et donne une véritable dimen-
qui est malheureuse »). Elle est le prolongement sion mythique à son personnage. S’il n’est pas
du soldat. vaillant soldat, il est poète de l’absurde. Corneille
innove donc à partir de l’héritage latin.
5. Artotrogus flatte Pyrgopolinice et l’aide à
construire son personnage hyperbolique en le
couvrant d’éloges. Il le peint en « héros vaillant Prolongement
et chéri de la Fortune, et d’une beauté royale » Pour bien comprendre le passage du modèle
(l. 8-9). Et comme la flatterie la plus dispro- romain au personnage de Corneille, présenté
portionnée passe toujours très bien, il ajoute à la page suivante, il est intéressant de faire lire
de nouveaux exploits (l. 15-16). On relèvera la la description que donne Théophile Gautier du
comparaison hyperbolique qui accentue la facilité jeu de matamore dans Le Capitaine Fracasse. Le
de la victoire et la force extraordinaire du soldat costume du xviie siècle y est décrit, ainsi que les
comparable aux éléments. lazzis qu’on attendait du rôle (chapitre V, « Chez
6. Aux lignes 21 et 22, Artotrogus révèle les M. le Marquis »). On en trouve aussi un dessin
raisons de son obséquiosité en aparté, l’auteur dans le livre de Maurice Sand, Masques et bouffons
exhibant la double énonciation pour informer (1860), consultable sur Internet.
le spectateur et le faire rire : il vit en parasite du
soldat. F. Dupont explique que le parasite était
°
« un des rôles à succès de la comédie romaine ».
N’ayant ni argent ni maison, il est perpétuellement P ierre Corneille,
affamé et vit aux crochets des riches, jeunes ou
vieux. F. Dupont le décrit ainsi : « maigre, très
L’Illusion comique,
pâle avec de grandes oreilles […] les cheveux 1635 p. ⁄‹‡
noirs, le nez crochu ; il sourit avec des manières
enjôleuses » (Le Théâtre latin, p. 125). Les deux Objectifs :
personnages s’opposent donc visuellement de − Étudier la construction d’un personnage
façon très spectaculaire, l’effacement flatteur de à la fois sur le plan scénique et verbal :
l’un servant à gonfler l’autre d’orgueil. évolution d’un type depuis le modèle romain
de Plaute (p. 136) jusqu’aux mises en scène
ÉCRITURE contemporaines.
− Étudier le comique de caractère et de
Question sur un corpus
mots autour du procédé rhétorique de
Les ressemblances : on découvre un personnage
l’hyperbole, et expliquer la parodie du
construit sur des hyperboles comiques, se nour-
registre épique.
rissant de l’exagération de ses exploits. Cela rend
– Le texte montre aussi le fonctionnement
nécessaire le couple formé par le domestique
flagorneur et son maître vivant de flatteries : du couple traditionnel du maître et du valet
le soldat ne peut exister sans un public qui le (comique de situation).
reconnaisse et l’approuve, voire qui participe
à son délire créatif en apportant de l’eau à son Folie d’un mégalomane
moulin. Artotrogus et Clindor alimentent les
rêves extravagants de leur maître. LECTURE DU TEXTE
Les différences : Corneille insiste sur deux 1. L’emploi constant de la première personne du
aspects : le faux héroïsme et la pseudo-séduction singulier, sujet de verbes d’action (« je dépeuple »,
amoureuse. Cette face amoureuse du personnage « je couche », « je réduis », v. 14-17), est une
est liée au goût du public du xviie siècle pour la façon de poser, d’affirmer son personnage, ainsi que
galanterie, mais le contraste entre brutalité guer- l’adjectif possessif pour évoquer sa force (« mon
rière et douceur amoureuse renforce le comique. nom », « mon courage », « mon canon », « mes
D’autre part, Corneille développe la part poétique soldats », v. 9-15).
98 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
Cette glorification nécessite une mise en scène : et la cuirasse en cuir, ainsi que les gants de guerrier.
le bras brandi (v. 8), le regard assassin (v. 20) ou Il porte un maquillage de clown et une houppette.
l’« effroyable mine » (v. 25) qui se change en Ainsi, le personnage est d’emblée ridicule et peu
douceur (v. 27). crédible pour le spectateur d’aujourd’hui, qui
Il faut aussi imaginer une voix très forte qui fait décrypte facilement le caractère contradictoire
rouler les allitérations en [r] des vers 15 à 27. des signes ici montrés.
2. Deux champs lexicaux, celui de l’amour et
celui de la guerre, sont en concurrence. MISE EN VOIX
− D’abord, la guerre : « escadrons », « batailles » Le travail en chœur de répliques longues permet
(v. 10), « courage invaincu » (v. 12), « comman de contourner la difficulté de lecture des alexan-
dement » (v. 13), « canon », « soldats » (v. 15), drins, fastidieuse pour un seul élève, et de faire
« armée » (v. 18). Les allitérations en [r] et [s] déclamer même les élèves timides. Il oblige les
suggèrent le bruit des combats et leur fureur. élèves à repérer les effets rythmiques ou sonores,
− L’amour apaise la brutalité du guerrier et séduit : pour les mettre en valeur vocalement par des
l’énumération du vers 28 renforcée par les « que ». effets d’écho, de répétition ou de variation sur la
La douceur est suggérée par les allitérations en [s] : hauteur de voix. Le discours de Matamore devient
« Ce penser m’adoucit », « maîtresse », « cesse ». une partition musicale qui donne concrètement
Cette alternance presque instantanée des deux une voix multiple à un personnage extravagant.
humeurs du personnage est mise en valeur par
le connecteur « toutefois » (v. 21), marquant
ÉCRITURE
l’opposition.
Commentaire
3. Voici le principe de construction de quelques
hyperboles : Se reporter aux réponses aux questions 1 à 3.
− petite cause et effet gigantesque sont soulignés
par une énumération : vers 9-10 et 16-17 où la Prolongement
césure à l’hémistiche souligne le rapport cause/ – Le type extravagant du matamore disparaît de la
conséquence immédiate ; scène peu après 1640, sous la pression de la règle
− l’accumulation avec gradation, soulignée par de la vraisemblance. Corneille le réinvente alors
des assonances en [i] des vers 25 à 26, s’oppose à sous la forme du Cid. Le fanfaron est devenu un
l’énumération du vers 28 ; vrai héros : il est intéressant de comparer le récit
– la référence à des divinités range Matamore dans de la bataille contre les Mores (Le Cid, IV, 3) avec
l’univers mythologique antique : « les Parques », notre extrait, ou de confronter notre texte au duel
v. 13 ; « les destins », v. 15 ; « Mars » v. 19 ; entre Chimène et Rodrigue (III, 4), où les valeurs
« Cupidon », v. 23. amoureuses et guerrières s’affrontent d’une façon
4. Clindor est celui qui lance le discours hyper- cette fois tragique (Séquence 8, p. 165).
bolique par des questions (v. 4-5). Et, il sert à – On pourra donner à voir des extraits de diffé-
Matamore de public complaisant auquel le soldat rentes mises en scène de cette scène, dont celle
s’adresse : « regarde » (v. 25). Le maître peut de B. Jaques-Wajeman, grâce au site Antigone
également donner libre cours à son agressivité en ligne (www.reseau-canope.fr).
de façade contre son valet : il l’insulte (v. 8) et
le menace de mort (v. 20). Clindor l’admire et
le flatte (v. 4-5).
‡ Molière,
L’École des femmes, 1662
Présentation et objectifs de la séquence p. ⁄›‹
Livre de l’élève p. ⁄›‹ à ⁄∞¤
La comédie de Molière permet de combiner le thème du mariage comique et la satire des travers
humains. Arnolphe, barbon floué par deux jeunes gens, est l’avatar des vieillards comiques de la
commedia dell’arte mais, à travers les longs monologues que Molière lui a (s’est) offerts, le personnage
gagne en profondeur. Sa dimension pathétique le rapproche de George Dandin (voir manuel p. 162-
163). L’intérêt de l’œuvre tient aussi à la querelle qu’elle a suscitée : les règles classiques sont mises
à l’épreuve car l’intrigue et les personnages ne sont pas toujours vraisemblables.
Notre axe principal est l’évolution du personnage de l’ingénue, type lui aussi hérité de la comédie
italienne. Il gagne lui aussi en épaisseur psychologique et en nuances. Si l’on veut croiser deux objets
d’étude, le théâtre et l’argumentation, ce personnage permet d’aborder également, en argumentation,
le thème de l’éducation des filles.
C’est à travers deux mises en scène que nous étudierons cette évolution, en confrontant sans cesse
le rapport du texte à la scène, du texte au jeu. L’objectif, en Seconde, est de préparer le travail de
Première, et de rendre les élèves capables de donner leur avis sur un costume, une gestuelle, un décor.
8 Amours comiques,
amours tragiques
Présentation et objectifs de la séquence p. ⁄∞‹
Livre de l’élève p. ⁄∞‹ à ⁄‡›
Les règles classiques définissent et distinguent les conventions propres à la comédie (p. 140-141) et
à la tragédie (p. 196-97) : milieu, personnages, intrigue, dénouement.
En partant du thème amoureux, on peut ainsi suivre le déroulement d’une intrigue comique ou
tragique et repérer ces conventions jusque dans le théâtre ou le cinéma contemporains. Certaines
situations de mariage arrangé peuvent également être à la frontière entre les deux registres. Les
metteurs en scène contemporains aiment jouer sur cette hésitation quand ils montent une comédie
classique comme on l’a vu avec L’École des femmes (p. 150-151). Nous le verrons avec Le Barbier de
Séville ou George Dandin.
Bibliographie
– CONESA Gabriel, La Comédie de l’âge classique, Seuil, 1995
– FORESTIER Georges, Passions tragiques et règles classiques, PUF, 2003
⁄ Plaute, Pseudolus,
vers 200 av. J.-C. p. ⁄∞8-⁄∞·
« je ne peux plus vivre si on me la retire » (l. 12),
« C’est sur toi que repose désormais tout l’espoir
de mes jeunes années » (l. 31-32).
114 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
4. Dans une tragédie, Pseudolus devrait jouer « où le prendre cet argent ? » Mais il est certain,
le rôle du confident. Il supplierait son maître non sans forfanterie, qu’il saura s’y prendre : « Mais
d’avouer l’origine de sa douleur et serait compa- de l’argent, il y en aura, sûr et certain ». On relève
tissant. Ici, il refuse de gémir comme Calidore. aussi : « Tu verras que je tiens mes promesses »,
Il se moque de toutes les plaintes de son jeune « Je te promets de te les donner ». Il annonce
maître et lui rappelle que le problème sera réglé également que la victime du vol sera le père de
simplement, en trouvant la somme exigée. Ce n’est Calidore (l. 43).
qu’une affaire d’argent. Comme dit le proverbe :
« Plaie d’argent n’est point mortelle. » C’est Prolongement
pourquoi il ne prend pas le suicide de Calidore La promesse faite par l’esclave est aussi celle que le
au sérieux, lui qui veut « [s]e pendre juste his- dramaturge fait à son public. Avant d’écrire, il ne
toire de [l’]escroquer » (l. 11). Les larmes sont sait pas encore à quoi sa pièce ressemblera. Mais,
comparées à ce que demanderait une prostituée, sûr de son talent, il se fait volontiers hâbleur : il
elles n’ont aucune valeur. Relevons sa réplique parviendra à trousser une intrigue divertissante.
très crue : « il va te falloir pleurer des larmes Il nous le promet et nous allons voir ce que nous
d’argent […] autant pisser dans un violon ! » allons voir ! Cela ajoute au plaisir du spectateur.
(l. 19 à 21). Pseudolus préfère agir et ainsi faire
ses preuves, en jouant la partition pour laquelle
il est fait : « Allez, demande ! Je t’en prie, vas-y HISTOIRE DES ARTS
bon Dieu ! » (l. 37). Il faut donc faire cesser la 8. B. Jaques-Wajeman utilise des costumes
scène de lamentation tragique pour entrer dans contemporains avec des références à l’univers
l’élaboration de la ruse comique : « Et maintenant de la comédie romaine : la posture agenouillée
ça suffit, tu me fatigues » (l. 41). des personnages évoque une parodie de tragédie,
et on voit Calidore attraper la main de Pseudolus
5. Pratiquement toutes les répliques comportent pour le supplier. Mais la lettre lui sert de chapeau
le lexique de l’argent : « m’avancer un sou », et elle est infiniment longue. Elle est sans doute
« si je me donnais en gage chez un usurier », davantage une liste de frais qu’une déclaration
« m’escroquer si je te refile un sou », « l’argent d’amour. L’esclave romain était roux. B. Jaques-
pour te secourir », « où le prendre cet argent ? Wajeman combine cette référence (perruque, pull
Mais de l’argent, il y en aura, sûr et certain », « si et chaussettes orange) avec l’image du renard rusé
je te procure vingt mines ». La somme est répétée (la fourrure jetée sur l’épaule). Pseudolus imite,
aux lignes 36 et 39 de même que la source où se pour s’en moquer, la posture plaintive de Calidore,
la procurer. C’est « ton père que je vais taxer », le bras tendu de façon lyrique.
dit le protagoniste.
6 et 7. Le rôle de l’esclave est d’être l’auxiliaire ÉCRITURE
des amours du jeune homme. Comme un fils ne
peut moralement voler son père, c’est l’esclave, par Commentaire
nature immoral et malhonnête, qui s’en charge. Cette scène suit un schéma conventionnel de
Il déploie donc ruses et mensonges pour parvenir la comédie romaine : un jeune homme pleure et
à ses fins et c’est l’ingéniosité de ses fourberies demande du secours à l’esclave qui se fait prier.
qui fait rire le public. D’autant que les « vieux » Plaute imagine une variation sur ce modèle :
trompés (père ou proxénète) sont toujours avares il parodie un début de tragédie, montrant un
et ridicules. La dignité paternelle n’est qu’un peu personnage prostré dans l’attitude de la douleur ;
égratignée. Pseudolus peut donc se vanter sans l’esclave est censé jouer le confident cherchant
problème de morale excessive : il a le pouvoir à savoir l’origine du malheur. La scène permet
d’inventer une ruse pour récupérer de l’argent alors une série de plaisanteries mettant en évi-
(l. 23-24). L’originalité de cette comédie de Plaute dence l’habileté verbale de Pseudolus qui garde la
est que la ruse n’est pas encore trouvée. Pseudolus maîtrise du jeu et décide du moment où les deux
improvise au fur et à mesure que l’intrigue avance personnages retournent dans la comédie. Metteur
et que les événements se présentent à lui. Le spec- en scène et inventeur de l’intrigue, il est un vrai
tateur est d’autant plus séduit par son assurance. dramaturge, au même titre que Plaute lui-même.
L’esclave ne sait pas encore quelle intrigue tisser : Plaute joue ainsi avec les codes des deux genres.
8 Amours comiques, amours tragiques | 115
1) L’expression pathétique des sentiments de Devant les doutes de son maître, il met en avant
Calidore son rôle et ses compétences en fourberie : « Tu sais
La traductrice, F. Dupont, a ajouté des didasca- bien que lorsque je me lance dans une affaire…
lies pour faire comprendre le jeu pathétique de je mets une pagaille pas possible. »
Calidore : il est « mélodramatique et précieux », Enfin pour couper court aux jérémiades de
« geignant et grandiloquent ». Calidore, il lui enjoint expressément, avec
Calidore dramatise sa situation en utilisant des plusieurs verbes à l’impératif, de simplement
hyperboles et en annonçant son suicide (l. 7) : lui demander son aide (l. 37-38). L’échange de
« L’histoire est finie pour moi, tout est joué répliques aux lignes 39 et 40 est un retour au
d’avance ». Cette phrase est comique car on dialogue comique conventionnel.
est au début de la pièce et son rôle ne fait que
commencer.
¤ olière,
M
Il présente sa mort avec une métaphore poétique
tragique : « j’aurai avant la nuit sombré dans la
nuit éternelle ».
L’origine de sa souffrance est indiquée aux lignes
L’Avare, 1668 p. ⁄6‚-⁄6⁄
12 et 13 : si la séparation avec l’être aimé est bien Objectifs : cette scène permet de montrer
un sujet tragique, l’objet de son amour l’est bien qu’au théâtre les situations comiques
peu. C’est une prostituée. s’appuient sur des éléments concrets
Calidore est pessimiste et ne fait même pas de jeu. Molière a ainsi retenu la leçon
confiance aux propositions de son esclave, il de son maître Scaramouche et
s’enferme dans la douleur : « Ah si seulement de la commedia dell’arte qui utilisait
les faits répondaient à tes paroles ! », « Je serai de nombreux lazzis, gestes burlesques.
content… mais est-ce que cela arrivera vrai- On peut identifier ici les différents types
ment ? » Dans la tragédie, quels que soient leurs de comiques propres à la comédie classique,
efforts, les héros connaissent irrémédiablement et travailler avec les apartés sur la double
l’échec, et Calidore joue ce fatalisme tragique et énonciation théâtrale. On peut également
pathétique. faire le lien avec la comédie romaine
(Pseudolus, p. 158-159) et montrer que
2) Le décalage entre Calidore et Pseudolus
le jeune homme amoureux est devenu aussi
Pseudolus est chargé de conduire le dialogue en
fourbe que l’était l’esclave.
suivant les conventions comiques, en l’occurrence
en multipliant les plaisanteries et les décalages.
Il ne prend pas du tout la souffrance de Calidore Une rivalité amoureuse
au sérieux ; il ironise sur sa volonté de se pendre, et financière
qui aurait pour seul but de voler son esclave à qui
il aurait emprunté le prix de la corde (l. 10-11). Il
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
1. C’est une scène de farce à cause du jeu avec le
lui annonce que la fin ne peut être tragique pour un
diamant que Cléante arrache au doigt de son père.
personnage de comédie : « Tu vivras imbécile ! »
Harpagon étouffe de rage mais ne peut le montrer
La lettre est ramenée à ce qu’elle est, non une
à Mariane qu’il tient malgré tout à séduire. Le
lettre d’amour perdu, mais une demande d’argent
conflit du père et du fils se poursuivant en apar-
pour une prostituée : « Tout ce que je comprends
tés, le rythme rapide des répliques, la lutte pour
à ce que raconte cette lettre, c’est qu’il va te
l’objet précieux sont autant de caractéristiques
falloir pleurer des larmes d’argent, car tes larmes
de la farce.
d’amour ne te serviront à rien. »
Il utilise un vocabulaire familier (« Autant pisser
dans un violon ! »), qui distingue la comédie du LECTURE DU TEXTE
registre de langue tragique, soutenu. Et enfin, il 2. Il est usuel d’offrir une collation à une fiancée
rappelle que le code comique nécessite de l’action que l’on invite pour la première fois chez soi, et
et non de simples plaintes pathétiques : il faut, de lui donner un objet de prix, une bague de
et c’est impératif, « trouver d’une façon ou d’une fiançailles par exemple. Harpagon, en bon avare,
autre l’argent pour te secourir ». a voulu éviter toute dépense inutile : « Je vous
‹
ce détail : « mon argent a servi à reboucher d’assez
olière, George
M bons trous ». En contrepartie, il s’est allié avec
Dandin, 1668 p. ⁄6¤ une famille noble, a pu transformer son nom en
acquérant un titre. Il les remercie ironiquement
Objectifs : alors que George Dandin est, « d’avoir reçu par vous le titre de Monsieur de
lors de sa création, une comédie insérée la Dandinière », ce qui permettra à ses enfants
dans une pastorale en musique et ballets d’être gentilhommes grâce à leur mère (l. 28).
composée par Lully (voir. p. 122), On note tout de même la consonance ridicule
de nombreux metteurs en scène donnent de nom aristocratique, signalant assez bien le
aujourd’hui une interprétation sombre manque d’aisance de Dandin.
de l’œuvre, jouée sans ses intermèdes 3. Les Sotenville méprisent Dandin et le prennent
musicaux. de haut. Ils le reprennent systématiquement pour
6
bouille de cocker, c’est celle qu’ils affichent tous
en dernier recours quand ils n’ont pas de contrat. »
P ierre Corneille,
Mais Marilyn semble avoir été piégée par l’amour :
elle s’inquiète vraiment de Miles et ne savoure
Le Cid, 1637 p. 165
donc pas sa victoire. Objectifs : Le Cid pose la question du genre
et du registre puisque la pièce est appelée
4. Miles et Marilyn sont tous deux des personnages
tragi-comédie et qu’elle ne finit pas mal.
cupides et pragmatiques dans le texte 1. Miles
admire en Marilyn ce qui lui ressemble : son Cette scène de tension amoureuse permet
absence de scrupules. Puis, Miles découvre qu’il de comprendre l’hésitation entre les deux
s’est fait berner. Trop tard ! Il est déjà amoureux et registres. On pourra la mettre en parallèle
dépité (texte 2), tandis que Marilyn reste cynique : avec la scène de Bérénice (voir le manuel de
« Mais l’heure n’est plus aux sentiments, chéri. » l'élève p. 166-167).
Enfin, dans le texte et l’image B, c’est Marilyn qui,
piégée par l’amour, regrette le mal fait à Miles. Amour, gloire et justice
5. Le titre est ironique et hyperbolique : la cruauté LECTURE DU TEXTE
consiste à jouer avec les sentiments amoureux 1. Rodrigue et Chimène s’aiment et chacun se sait
de quelqu’un pour lui voler toute sa fortune. Le aimé de l’autre. Ils vivent leur séparation comme
droit matrimonial (dont Miles est le spécialiste) un malheur tragique. Mais ils savent aussi que cha-
cherche à préserver les intérêts des parties, surtout cun est attaché à son honneur. Rodrigue entend
quand il y a une forte différence de fortune, mais satisfaire aux deux exigences : venger son père et
grâce à l’habileté de Marilyn, il se retourne contre offrir sa vie à Chimène en réparation (v. 5-6). De
celui qui croyait avoir tous les atouts en main. son côté, la jeune fille se sent contrainte de remplir
· Le héros
pris au piège
Présentation et objectifs de la séquence p. ⁄‡∞
Livre de l’élève p. ⁄‡∞ à ⁄·8
Pour analyser les conventions du genre tragique, nous avons réuni des textes, principalement de
Corneille et Racine, autour de la notion de responsabilité et de dilemme. Il s’agit de montrer qu’une
situation tragique est inextricable, mais pas nécessairement fatale d’emblée. Elle le devient à la
suite des choix du héros (corpus 1). L’héroïsme se construit également dans la confrontation avec
le pouvoir, souvent tyrannique (corpus 2). Ce rapport au pouvoir, problématisé dans les œuvres,
doit être replacé dans son contexte historique et politique, celui de la monarchie absolue française
(voir Repères historiques p. 120-122). Les textes classiques sont confrontés à leurs modèles antiques,
puis à leurs réécritures modernes.
LECTURE DE L’IMAGE
2. P. Adrien transporte l’histoire d’Œdipe dans
un univers tribal qu’on ne peut situer ni histori-
Mise en scène d’Œdipe quement ni culturellement. On ne relève ainsi
par Philippe Adrien, nulle référence à la Grèce antique. Il semble tou-
tefois appartenir au temps lointain des origines :
2009 p. ⁄‡6-⁄‡‡ on a l’impression d’être dans une grotte avec
Intérêt de l’image : une situation tragique des hommes préhistoriques (on peut décrire les
est, au théâtre, toujours liée à un espace costumes faits de longues tuniques, de peaux de
bêtes ou de haillons). Il s’agit de créer un effet
tragique, espace dont on ne peut s’échapper.
d’étrangeté et faire de l’histoire d’Œdipe un mythe
Partir de la définition de l’espace tragique,
fondateur qui viendrait de l’aube des temps.
la mettre en relation avec l’espace
originel du *theatron* grec, permet 3. et 4. L’écran a la forme d’un œil. Il laisse appa-
d’emblée de comprendre l’enjeu théâtral raître un visage d’homme âgé, sans doute celui de
de ces situations. Dans cette perspective, Laïos, le père qu’Œdipe a assassiné sans connaître
on peut étudier avec profit la photographie son identité. Énorme, il domine la scène, et accuse
du théâtre d’Épidaure (p. 196) pour Œdipe de son regard sévère. L’œil symbolise tout
comprendre ce qui distingue la scénographie ce qu’Œdipe refuse de voir en face : sa culpabilité,
de P. Adrien et expliquer l’évolution de son parricide, son mariage incestueux avec sa mère
l’espace théâtral vers un espace symbolique. Jocaste. Il est celui qui amène avec lui la souillure,
la peste. Quand il découvre cette vérité, Œdipe
ne se suicide pas, mais se crève les yeux. L’écran
en forme d’œil annonce également ce geste.
Le poids de la faute originelle
5. Œdipe est effondré par la révélation qui anéan-
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE tit sa vie entière. Les bergers qui viennent de lui
1. Voici quelques adjectifs possibles pour quali- apprendre qui il était vraiment sont embarrassés ;
fier cet espace : sombre, inquiétant, mystérieux, celui de gauche, dans une posture d’humilité,
fantastique, oppressant, opprimant. semble s’excuser.
9 Le héros pris au piège | 129
ÉCRITURE scrupules pour avouer son amour : « [je] ne veux
plus m’en taire,/ Puisqu’enfin pour rival je n’ai
Sujet d'invention plus que mon frère. » La situation se compliquera
Le berger doit se justifier d’avoir laissé l’enfant pour lui quand son père Mithridate reviendra
en vie alors qu’il avait reçu l’ordre par Laïos de vivant. Agamemnon doit choisir entre sa fille
le tuer. Œdipe peut lui faire des reproches et se et l’intérêt de tous les Grecs : « Il me représenta
lamenter, exprimer sa souffrance et sa culpabilité. l’honneur et la patrie […] Et l’empire d’Asie à la
Grèce promis ».
Prolongement 3. Les personnages suscitent des sentiments
On pourra lire la suite de l’histoire des Labdacides mêlés : on éprouve pitié et admiration pour une
avec l’extrait d’Antigone (p. 188), et comparer les jeune fille qui s’est donné une mission vengeresse,
scénographies qui ont toutes deux une fonction malgré sa situation de faible femme, et qui est
symbolique. prête à sacrifier son amant à cette noble cause.
On pourra également lire un extrait de la réécriture Pitié pour un père obligé de sacrifier sa fille, mais
du mythe par Racine dans La Thébaïde (p. 440). indignation de le voir donner plus de poids à sa
gloire : « Ces noms de roi des rois et de chef de la
Grèce/ Chatouillait de mon cœur l’orgueilleuse
faiblesse. » Admiration pour un jeune homme
DÉCOUVERTE
qui est prêt à résister à la puissance romaine alors
même que son frère a son soutien.
La mise en scène de Delvert pour Cinna ne rend
Expositions tragiques pas Émilie pathétique mais inquiétante. Le revol-
p. ⁄‡8-⁄‡9 ver vise le public tout autant qu’un Auguste ima-
ginaire. Émilie ressemble à Nikita, personnage
Objectifs : éponyme du film de L. Besson, une tueuse prête à
– Définir les principes d’une scène tout (on peut voir une autre image de cette mise en
d’exposition. scène, en opposition totale avec celle-ci, p. 190).
– Définir ce qu’est un héros tragique. 4. Un héros tragique est donc mis face à des
– Poser les fondements d’une intrigue situations inextricables, imposées par une autorité
tragique : rapports de force, dilemme, supérieure (père, roi), un dieu (Artémis pour
violence. Agamemnon) ou un code d’honneur qu’il s’im-
pose. Face à des choix inconciliables, le héros
Des personnages sous tension s’efforce de trouver une issue. La fin est souvent
fatale, mais pas nécessairement : on fera chercher
1. Émilie s’est fixé un devoir moral : elle doit
la fin de ces trois tragédies pour analyser la diver-
se venger d’Auguste qui a assassiné sa famille.
sité des dénouements. Ces héros sont pathétiques
Dans cette perspective, ce personnage passionné
dans leurs vaines tentatives d’échapper à ce qu’on
est mû par les « impatients désirs d’une illustre
veut leur imposer.
vengeance ». Xipharès est amoureux de la femme
aimée par son père et son frère (« Je l’aime, et ne
veux plus m’en taire »). Agamemnon doit sacrifier,
à la demande des dieux, sa fille Iphigénie. L’IMPLACABLE ENGRENAGE TRAGIQUE
2. Émilie doit choisir entre vengeance et amour.
⁄ P ierre Corneille,
Elle sait qu’elle joue avec la vie de son amant
Cinna si elle décide d’en faire le bras armé de sa
vengeance. Ce superbe alexandrin résume bien
son dilemme : « J’aime encor plus Cinna que je
Le Cid, 1637 p. 180-181
ne hais Auguste ». Xipharès doit choisir entre Objectifs : nous entrons ici dans la tragédie
son amour et sa loyauté vis-à-vis de son frère. classique. L’héroïsme tragique des héros
Cependant, comme ce dernier est acquis aux de Corneille ne repose pas sur des situations
Romains, ennemis de Xipharès, il n’a guère de pathétiques mais sur la notion de dilemme.
130 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
Leur code d’honneur est confronté la ponctuation partagent rigoureusement certains
à des enjeux affectifs, amoureux, amicaux vers en deux. Six vers défendent l’honneur ; six
ou familiaux. Il s’agit de comprendre vers plaident pour l’amour : comment mieux dire
comment les personnages se mettent le combat qui déchire le héros « jusques au fond
eux-mêmes dans une situation inextricable, du cœur » (v. 1) ? On peut ainsi citer le vers 14 :
par allégeance à un pouvoir ou à une passion. « L’un m’anime le cœur,// l’autre retient mon
bras. » Les vers 22 à 24 reposent sur le même
procédé.
Dilemme entre l’amour De même, la conjonction de coordination « ou »
et l’honneur (v. 15-16) met en parallèle, en six vers, le caractère
odieux de la vengeance puis de l’amour, tout en
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE jouant sur l’opposition vers long (alexandrin) /
1. Rodrigue est un héros tragique car il est vers court (hexasyllabe). Ce jeu métrique est aussi
confronté à un dilemme, un choix aussi nécessaire repérable aux vers 35-36.
qu’impossible. Quelle que soit l’option envisa- Le chiasme apporte une variante rythmique
gée, « son triste choix » (v. 15) le conduira au intéressante : les mots-clés appartenant au
malheur. Soit il renonce à venger son père et est champ lexical de l’amour ou de l’honneur sont
définitivement déshonoré ; soit il le venge mais toujours convoqués et confrontés mais déployés
perd l’amour de Chimène. Le vers 24, envisageant différemment.
« l’un » puis « l’autre » cas, résume bien cette Le dilemme est aussi mis en évidence par le travail
situation impossible. C’est l’absence de solution sur la rime : « mon plus grand bonheur » s’oppose
vivable qui fait de lui un héros tragique. à la rime avec « mon honneur » (v. 27-29).
Certaines fins de strophe résument en deux vers
LECTURE DU TEXTE l’alternative impossible appuyée par des répétitions
2. Les deux sentiments qui animent Rodrigue (v. 9-10, 19-20, 29-30, 59-60).
sont, d’un côté, le sens de l’honneur et du devoir ; 4. Rodrigue envisage d’aller se faire tuer par le
de l’autre, l’amour. comte, sans combattre vraiment. Ce serait un
Les mots qui relèvent du code de l’honneur suicide : « Il vaut mieux courir au trépas. » « et
sont nombreux, preuve que le héros cornélien, puisqu’il faut mourir,/ Mourons du moins sans
conscient de sa valeur, est obsédé par sa dignité. offenser Chimène. »
On relève : « honneur » (trois occurrences), De toute façon, il semble déjà comme mort, victime
« affront », « offensé », « offenseur », « infâme », du dilemme. On relève : « Percé jusques au fond
« trahir ». L’idée de devoir est aussi mise en valeur du cœur » (v. 1), « atteinte […] mortelle » (v. 2),
par l’emploi du verbe d’obligation « falloir », dans « âme abattue » (v. 5), « coup qui me tue » (v. 6).
l’expression « Il faut » (v. 13) ou « Faut-il », reprise
anaphoriquement aux vers 19 et 20. 5. La solution du suicide serait déshonorante pour
L’amour est représenté par les termes suivants, tout lui : il exprime son indignation par des phrases
aussi nombreux : « mon feu », « mon amour », exclamatives. Ainsi, les vers 41 à 44, commençant
« une maîtresse », « ma flamme », « ma Chimène ». par une série de verbes à l’infinitif, montrent
On remarquera l’utilisation systématique de l’ad- combien l’Espagne le considérera comme un
jectif possessif de la première personne (« ma », lâche s’il ne fait pas tout pour venger son père,
« mon ») : le sentiment amoureux est gratifiant. c’est-à-dire se battre courageusement et tenter de
Il permet de savoir que l’on existe pleinement tuer le comte : « Rechercher un trépas si mortel
puisqu’on peut dire « je », « mon », « ma ». à ma gloire ! » Il qualifie cette idée de « penser
suborneur », c’est-à-dire qui le détourne de son
3. Amour et honneur sont, en soi, des valeurs honneur.
positives. Cependant, quand l’« aimable tyrannie »
de l’amour (v. 22) s’oppose à la « noble et dure 6. Sa décision et sa détermination sont exprimées
contrainte » de se venger, la vie devient intenable. par des verbes à l’impératif à la première personne
Pour le mettre en exergue, Corneille convoque du pluriel : « N’écoutons plus », « Allons, mon
toutes les ressources de l’alexandrin. La coupe à bras, sauvons du moins l’honneur », « Courons
l’hémistiche, le parallélisme de construction et à la vengeance ».
9 Le héros pris au piège | 131
7. Ces stances sont pathétiques. Rodrigue suscite On étudiera donc ici la mise
la pitié du spectateur en exprimant ses tourments. en scène de la violence, verbale et physique,
On relève, par exemple, la répétition de « Ô ce qui permet une première approche
Dieu, l’étrange peine ! » (v. 8 et 18). Les trois de la catharsis : ressent-on crainte
premières strophes comportent le lexique de la et/ou pitié pour Camille ?
souffrance, rendue plus intense encore par le
recours à l’hyperbole (v. 1) ou la place dans le
vers. Ainsi, les adjectifs « misérable » et « mal-
heureux » sont placés au début des vers 3 et 4.
Frère et sœur de sang
L’état de mort morale et l’idée du suicide sont ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
également un élément pathétique : la seule issue 1. Camille est provocatrice : elle cherche à blesser
est la mort. son frère de toutes les façons possibles en l’atta-
quant personnellement. On peut ainsi relever
l’apostrophe « tigre altéré de sang » (v. 10), qui
HISTOIRE DES ARTS
révèle une grande violence verbale. Puis, elle
8. Rodrigue s’adresse directement à son épée
s’en prend à Rome, dont il est le bras armé. La
aux vers 28-30. Elle est le symbole de son statut
ville est par exemple désignée comme « unique
de chevalier et lui rappelle donc le code d’hon-
objet » de son « ressentiment », mot synonyme
neur propre à l’aristocratie. Elle sera l’arme de la
d’hostilité et de rancune. Le frère est alors bafoué
réparation, de la vengeance. Sur l’image, l’épée
dans son honneur de soldat dévoué à sa patrie.
médiévale semble trop lourde pour Rodrigue, il
la tient à deux mains et elle l’entraîne vers le
bas : c’est une façon de jouer la difficulté de la LECTURE DU TEXTE
décision (voir la question sur un corpus p. 169). 2. Le registre de la première réplique de Camille est
polémique par la violence des attaques (elle parle
comme « une Furie », « une amante offensée ») et
ÉCRITURE
pathétique par l’expression de la souffrance : loin
Sujet d'invention de taire ses sentiments, Camille offre à Curiace une
Pour les procédés pathétiques, on s’inspirera des véritable déclaration d’amour posthume (v. 4-5).
questions 3 et 7. Les nombreuses hyperboles expriment à la fois
sa douleur et sa colère. On pourra analyser plus
en détails les vers 10-13 : oublier Curiace serait
Prolongement le tuer « une seconde fois » (métaphore) et elle
On pourra lire la scène de confrontation avec reproche avec virulence à son frère « cette gloire
Chimène après le duel et la mort du comte si chère » qu’elle considère comme un meurtre,
(manuel p. 165) et comparer le dilemme de une « brutalité » (v. 17). Après avoir rejeté la
Chimène à celui de Rodrigue. raison d’État et les valeurs qui l’accompagnent
(comme le sens du devoir), elle rejette aussi leur
lien familial. On relève la violence de l’impératif
¤
dans « Ne cherche plus ta sœur » (v. 6). Suivant
P ierre Corneille, un principe de gradation, elle finit sa réplique par
Horace, 1640 p. ⁄8¤-⁄8‹ une malédiction, comme l’atteste le subjonctif de
souhait du vers 14 : « Puissent tant de malheurs
Objectifs : le héros cornélien présente accompagner ta vie ».
plusieurs facettes : il est capable d’un grand 3. On relève aussi une gradation dans le vocabu-
courage et sait se sacrifier pour sa patrie. laire. Elle traite d’abord son frère de « barbare »
Mais cet engagement physique, que l’on (v. 1). Le barbare est celui qui n’appartient pas
nomme « vertu » et qui a le sens latin à votre communauté linguistique et culturelle.
de virtus, suppose la capacité à être violent, Puis, en utilisant la métaphore animale du « tigre
à passer outre toute retenue, voire toute altéré de sang » (v. 10), elle suggère qu’Horace
morale, pour pouvoir tuer quand cela est n’appartient plus à la communauté plus vaste de
nécessaire. l’espèce humaine. C’est une bête, mue par des
132 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
pulsions meurtrières. Présenter son incapacité à se Les derniers mots, très provocateurs, contiennent
maîtriser comme de l’héroïsme est une forfanterie. un véritable appel au meurtre : elle prétend « mourir
de plaisir ». Les assonances en [i] de cette expres-
4. Horace insiste sur le devoir de sa sœur par une
sion finale, très stridentes et très agressives, sont
répétition d’impératifs : « Aime, aime cette mort
également présentes tout au long de cette réplique.
qui fait notre bonheur ». Camille doit oublier le
deuil de son fiancé et se réjouir de la victoire de 7. Horace poursuit Camille pour l’abattre dans les
Rome, donc de la mort de ses ennemis. Le devoir, coulisses, respectant ainsi la règle de bienséance
formulé en termes rationnels, doit l’emporter sur qui interdit la violence sur scène.
les sentiments naturels : « Et préfère du moins au Horace s’adresse ensuite à Procule, témoin de la
souvenir d’un homme/ Ce que doit ta naissance scène, ainsi qu’au public ; cette réplique constitue
aux intérêts de Rome. » Le déshonneur, c’est un avertissement. C’est une phrase exclamative
pleurer des ennemis, et se laisser dominer par la injonctive comportant un subjonctif de souhait
passion amoureuse. dont on sent la dangerosité. Elle répond à la longue
réplique de sa sœur. Le verbe « ose » exprime la
5 et 6. Camille devient tellement provocatrice
réprobation indignée du frère face à une attitude
qu’elle pousse son frère à la tuer. Et pour cela,
qu’il tient pour inacceptable.
elle attaque Rome, ce pour quoi il s’est battu,
ce pour quoi leurs deux autres frères sont morts.
L’anaphore sur quatre vers de « Rome », suivie
d’une apposition ou de subordonnées relatives HISTOIRE DES ARTS
dans lesquelles elle oppose le respect de son frère 8. Naidra Ayadi (qui joue elle-même le rôle de
(« que ton cœur adore », v. 26) et son mépris Camille) a imaginé une gestuelle entre l’étreinte et
(« l’unique objet de mon ressentiment », v. 24 ; l’étouffement. Horace, en serrant sa sœur dans ses
« que je hais », v. 27), scande ainsi cette attaque en bras, veut à la fois la protéger d’elle-même, de sa
règle. La suite de sa réplique, suivant un principe colère, et l’empêcher de parler. Camille se débat, et
de gradation, est constituée de vœux de malheur continue à crier sa haine. Dans cette proposition,
contre Rome, formulés avec des subjonctifs de pas d’épée, ni de poursuite dans les coulisses, hors
souhait. Les malheurs envisagés et appelés de ces scène. La jeune femme finit étouffée, étranglée,
vœux sont de plus en plus graves : peut-être involontairement, par ce frère trop fort,
– Elle rêve d’une guerre totale contre Rome menée trop puissant, et trop protecteur. Naidra Ayadi
par « tous ses voisins ensemble conjurés » (v. 28) propose un meurtre sur scène, plus choquant donc
et les hyperboles de son imprécation impliquent que ne le souhaitait Corneille (même si, lors de la
l’univers entier (v. 30-32). première, son actrice a délibérément voulu mourir
– Elle rêve ensuite d’une guerre civile. Ce type sur scène, satisfaisant un public encore habitué
de guerre est ce qu’il y a de plus grave car le aux violences du théâtre baroque). Cependant,
fratricide, qu’elle vient de vivre, devient systé- c’est un meurtre moins politique, moins héroïque
matique. En atteste la personnification atroce de peut-être. C’est un assassinat malencontreux,
la ville : Rome, « de ses propres mains déchire alors que dans le dialogue, Horace invoque la
ses entrailles » (v. 35). « raison » – qui se confond avec la raison d’État
– Enfin, elle souhaite voir s’abattre la colère – au moment où il tue sa sœur et se justifie à son
divine. On relève à nouveau l’emploi d’hyper- retour : « ma patience à la raison fait place. »
boles, comme « un déluge de feux » (v. 37). Le
résultat de toutes ces violences serait la destruction
totale de la ville et de ses habitants, à laquelle ORAL
elle aimerait assister de visu. Relevons à ce titre On cherchera les moyens de faire entendre la
l’anaphore jubilatoire du verbe « voir » aux vers violence progressive, en scandant les anaphores, en
39-40, et la répétition de « dernier », vers 40, faisant ressortir les échos tissés entre les mots les
transformant l’agonie rêvée de Rome en san- plus véhéments, les plus hyperboliques. On peut
glante hypotypose. Le dernier vers comporte imaginer une mise en espace avec quatre Camille
une proposition exclamative de satisfaction, où et un Horace, ce qui transposerait visuellement
« moi seule » s’oppose au « dernier Romain » du le harcèlement et la tension insupportables qui
vers précédent. conduisent Horace au meurtre.
9 Le héros pris au piège | 133
ÉCRITURE de moi comme de l’univers. » Horace n’est qu’un
assassin qui a abusé de sa force sur une jeune fille
Question sur un corpus sans défense. Il cherche ensuite des excuses en
Les deux scènes reposent sur un dilemme entre présentant son crime comme un acte de bravoure
honneur et affection : Rodrigue doit choisir entre servant la gloire de Rome.
préserver sa relation amoureuse avec Chimène ou
venger l’honneur de son père : « M’es-tu donné
pour venger mon honneur ?/ M’es-tu donné pour Prolongement
perdre ma Chimène ? » Horace doit choisir entre L’intérêt de ce texte est de mettre en évidence
pardonner la souffrance de sa sœur ou venger l’ambiguïté de l’héroïsme tragique cornélien. Il
l’honneur de Rome bafouée par ses insultes (voir le montre aussi que le tragique n’est pas toujours dû
combat de la patience et de la raison, v. 43). Il à une décision divine, un destin fatal, mais qu’il
veut l’obliger à aller dans le sens du devoir patrio- résulte aussi de choix personnels assumés. Il est
tique : « Crois-tu donc que je sois insensible à l’expression d’une volonté, et il pose justement
l’outrage,/ Que je souffre en mon sang ce mortel la question de la liberté individuelle.
déshonneur ? » Dans les deux cas, le code d’hon- On peut analyser la grande liberté et modernité
neur l’emporte. C’est le fondement de l’héroïsme des héroïnes cornéliennes qui s’affranchissent
cornélien, ne reculant jamais devant la violence des contraintes imposées par les hommes, en
pour obtenir gain de cause : l’épée, les armes ont comparant Camille, Chimène du Cid (p. 165)
dans les deux scènes une valeur symbolique forte. et Émilie de Cinna (p. 190).
Cependant, Rodrigue ne tuera aucun innocent
ni aucune femme. Chimène l’approuvera même
d’avoir voulu venger l’honneur de son père :
« J’attire ses mépris en ne me vengeant pas. »
Il imagine d’ailleurs mourir dans ce duel, ce qui
résoudrait le dilemme au mieux : « Mourons du
‹ C arle Vanloo,
Le Sacrifice
d’Iphigénie, 1757 p. ⁄8›
moins sans offenser Chimène. » Au contraire,
Horace tue sa propre sœur, jeune fille innocente Intérêts de l’image :
endeuillée par la mort insupportable de son fiancé. – Aborder un mythe tragique par une
Il fait bel et bien preuve de la barbarie dont elle représentation picturale pour découvrir
l’accuse : « bientôt souiller par quelque lâcheté/ concrètement les enjeux d’une situation
Cette gloire si chère à ta brutalité ! » Tuer une tragique et les procédés du registre
femme sans défense est bien une lâcheté. Horace pathétique, comme l’hyperbole
a beau imaginer que sa sœur serait un mauvais ou la dramatisation.
exemple (v. 46-47), il s’est laissé emporter par
– Introduction au texte de Racine (p. 185).
la même colère que Camille, et n’a pas su faire
preuve de jugement, ni de raison.
Une victime pathétique
Sujet d'invention ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
On peut lire, avant l’exercice, le portrait qu’Ho- 1. Si l’on suit le sens de la lecture, on découvre, à
race dresse de lui-même dans l’acte II, scène 3 gauche, la famille d’Iphigénie en proie au déses-
face à Curiace (p. 440). poir : sa mère Clytemnestre, effondrée, est sou-
Voici les arguments possibles pour un procureur : tenue par des servantes ; son père Agamemnon
Horace n’a pas tenu compte de la jeunesse de (arborant un manteau rouge de général romain)
Camille, ni de l’importance d’un premier amour est en train de prier, la tête détournée du meurtre
pour une jeune fille qui rêvait de se marier. Il s’est de sa fille. Au centre, assise, se trouve Iphigénie,
laissé emporter par la colère au lieu de comprendre la gorge un peu découverte. Elle s’abandonne au
sa sœur. Il a voulu la raisonner mais a été incapable couteau du prêtre Chalcas, déjà penché sur elle
de se raisonner lui-même. Ce n’est pas un héros au à droite. Le prêtre est entouré de deux assistants
sens où il n’est pas capable de se maîtriser, d’avoir qui lui tendent des plats pour recueillir le sang du
de l’empire sur ses passions. Le vrai héros, comme sacrifice, mais l’un d’eux détourne aussi le regard.
l’empereur Auguste, peut dire : « Je suis maître Plus à droite, des soldats grecs (vêtus à la romaine)
›
3. D’un côté, Agamemnon lève ses mains jointes
vers le ciel, dans un ultime geste de prière et de
acine,
R
supplication. De l’autre, Chalcas abaisse son bras
armé du poignard vers la gorge d’Iphigénie : d’un
Iphigénie, 1674 p. 185
côté, on voit le dernier espoir de sauver Iphigénie ; Objectifs :
de l’autre, sa mort assurée. – Comprendre comment les auteurs
classiques se réapproprient les mythes
4. Le groupe constitué par la famille d’Iphigénie est
dans la douleur ; aucun n’est capable de regarder le grecs.
meurtre de la jeune fille. Les soldats au contraire – Analyser le registre pathétique dans
ont des postures d’effroi ou de surprise extrême : le dialogue entre Agamemnon et Iphigénie.
ils se reculent, soit devant l’horreur du sacrifice, – Comprendre le rôle de la double
soit devant l’apparition d’Artémis. énonciation et ce qu’on appelle l’ironie
tragique.
5. Iphigénie ici est seulement une victime pathé-
tique : elle ne manifeste aucune grandeur héroïque,
aucun courage, elle s’abandonne les yeux fer-
Des retrouvailles tragiques
més. On se demande si elle n’est pas évanouie. LECTURE DU TEXTE
Vanloo ne montre pas ici ce qu’imaginent Euripide 1. C’est Iphigénie qui parle le plus, simplement
(Iphigénie à Aulis) ou Racine (Iphigénie), à savoir heureuse de retrouver son père. Celui-ci tourmenté
qu’elle accepte de se sacrifier pour l’armée grecque. par l’idée du sacrifice, n’ose pas lui répondre et
cache sa douleur.
ÉCRITURE 2. Iphigénie est heureuse de retrouver son père
Dissertation et veut lui manifester son affection : « Et ma
joie à vos yeux n’ose-t-elle éclater ? » Elle utilise
– La violence tragique est souvent précédée de
une série de phrases exclamatives (v. 8-16) pour
scènes de dilemme où le héros montre en même
exprimer son admiration, sa fierté : « Que cette
temps sa grandeur et sa faiblesse par l’expression
amour m’est chère !/ Quel plaisir de vous voir et
de ses tourments, ce qui permet au spectateur
de vous contempler » ; « Quel bonheur de me
de s’identifier à lui et de ressentir de la pitié :
voir la fille d’un tel père ! » Le lexique du plaisir
Rodrigue dans Le Cid (p. 180-181), Agamemnon
est présent : « spectacle charmant », « ma joie
dans Iphigénie, Émilie dans Cinna (p. 441).
et mon étonnement ».
– La violence tragique permet des scènes qui
jouent avec les nerfs du spectateur : l’angoisse 3. Agamemnon fait des allusions à ses tourments
de la menace, l’effroi de la concrétisation de la que seul le public peut interpréter, puisqu’il en
violence : par exemple, la tension entre Camille connaît la cause : « Vous méritiez, ma fille, un
et Horace dans Horace (p. 182-183), l’attente du père plus heureux. » « D’un soin cruel ma joie est
9 Le héros pris au piège | 135
ici combattue. » Une phrase (v. 21) est sans doute – Au début, Iphigénie ne semble pas s’inquiéter
un aparté, même si Racine ne le mentionne pas, de la froideur de son père, qu’elle attribue sans
car Agamemnon y parle d’Iphigénie à la troisième doute à la distance due aux bienséances (« mon
personne : « à son malheur dois-je la préparer ? » respect »). Elle doit attendre son autorisation pour
l’embrasser (v. 7). Quand son père se plaint de
4. Les répliques d’Iphigénie sont révélatrices de
n’être pas aussi heureux qu’elle l’imagine, elle lui
ce qu’on appelle l’ironie tragique : un héros ne
répond par des phrases interrogatives rhétoriques :
sait pas ce qui l’attend et exprime les sentiments
elle ne croit pas à ces soucis, comme le montre
contraires à ce que réclame la situation, ici la
l’emploi du verbe « pouvoir » aux vers 18-19
joie au lieu du désespoir. Le public, informé de la
dans une formule qui a le sens de « est-il possible
situation, éprouve de la pitié pour cette ignorance
que ? ». C’est seulement quand Agamemnon n’ose
pathétique.
la regarder en face (v. 22-23) qu’elle croit avoir
L’ignorance d’Iphigénie est soulignée par l’idée
commis quelque impair. Elle a l’intuition que sa
que la Grèce a donné à son père un statut pres-
présence à Aulis est la cause du chagrin de son
tigieux dont on ne peut que se réjouir : « Quelle
père mais sans bien le comprendre puisque c’est
félicité peut manquer à vos vœux ?/ À de plus
lui qui lui a demandé de venir : « Avons-nous sans
grands honneurs un roi peut-il prétendre ? » Ces
votre ordre abandonné Mycènes ? » Le spectateur
questions rhétoriques sont ironiques car la contre-
est le seul à pouvoir interpréter l’attitude de son
partie de ces honneurs est le sacrifice de la fille
père, et c’est à lui que s’adresse le vers 20.
d’Agamemnon. « J’ai cru n’avoir au ciel que des
grâces à rendre » : là encore, le ciel a décidé de la
mort de la jeune fille qui n’a donc plus de grâces Prolongements
à rendre. Son ignorance est encore mise en évi- – On peut lire la fin de cette scène d’Iphigénie
dence par les réactions de son père (question 3). dans le manuel (p. 435).
– On peut comparer le traitement d’un mythe
grec dans Iphigénie et Andromaque (manuel
ÉCRITURE p. 199-207) : dans les deux cas, Racine ajoute un
Commentaire personnage (Ériphile et Astyanax) pour renforcer
L’opposition entre l’insouciance enfantine d’Iphi- la tension tragique entre les personnages. Dans
génie et la douleur de son père rend la scène les deux cas, il a voulu aussi empêcher le meurtre
pathétique. d’un innocent : Ériphile prend la place d’Iphigénie
– L’insouciance d’Iphigénie s’exprime par son et se suicide, invraisemblance qu’on reprochera
empressement à retrouver son père. Elle se pré- à Racine.
cipite sur lui, court littéralement derrière lui
quand il cherche à partir, en l’interpellant avec
des phrases interrogatives des vers 1 à 7. Puis, elle
∞
manifeste son admiration et son affection filiale
par une série de phrases exclamatives des vers
Joël Pommerat,
8 à 16. Son père l’éblouit, comme le montre la
gradation marquée par des phrases de plus en plus
Les Marchands, 2006
courtes : « vous contempler/ Dans ce nouvel éclat p. ⁄86-⁄8‡
dont je vous vois briller ! » « Quels honneurs !
Quel pouvoir ! » Le lexique de la joie est présent Objectifs :
également : « Quel plaisir […] Je sens croître ma – Analyser l’évolution du tragique dans
joie et mon étonnement ! […] Quel bonheur de le théâtre contemporain mettant en scène
me voir la fille d’un tel père ! » Elle agit de façon des hommes ordinaires, victimes
très enfantine, manifeste un amour incondition- des inégalités sociales ou de l’histoire.
nel envers son père, qu’elle voit pour la première – Aborder une écriture théâtrale originale
fois dans sa charge : « avec quel amour la Grèce sans dialogues.
vous révère ! » L’ironie tragique de la situation – Faire le lien entre le texte et la scène :
est soulignée par les réactions d’Agamemnon qui J. Pommerat est un auteur qui écrit et met
ne répond pas à son enthousiasme. en scène dans un même geste de création.
6
journalistes avec des micros, des caméras, des
téléphones portables prêts à tout enregistrer. Sophocle, Antigone,
vers 442 av. J.-C. p. ⁄88
ÉCRITURE
Objectif : remonter aux sources antiques
Question sur un corpus du tragique pour en comprendre les enjeux,
La mère des Marchands a sacrifié son enfant pour différents de ceux du théâtre classique.
faire basculer l’opinion en faveur des ouvriers et
forcer la réouverture de l’usine afin de redonner
du travail à tous. Elle croit avoir agi pour le bien Tenir tête à un roi
de sa communauté, comme Agamemnon a sacrifié
LECTURE DU TEXTE
sa fille pour que les dieux accordent du vent à
1. La justice que défend Antigone est celle impo-
la flotte grecque et que l’armée puisse vaincre
sée par les dieux, « la Justice, assise aux côtés
et piller Troie. Dans les deux cas, il est question
des dieux infernaux ». Elle fait allusion ici aux
d’un enrichissement économique exigeant la
trois juges qui pèsent les âmes aux Enfers. Plus
mort d’un enfant.
loin, elle insiste et parle des « lois non écrites,
Cependant, dans le mythe grec, ce sont les
inébranlables, des dieux ». Cette justice l’oblige
dieux, par la voix du devin Chalcas, qui parlent ;
à rendre les devoirs funéraires à son frère.
Agamemnon avait d’ailleurs commis une faute
envers Artémis. Le sacrifice grec entre dans une 2. Le premier argument est la crainte d’une puni-
logique de relation entre les hommes et les dieux, tion divine. Antigone redoute de « [s’]exposer
et, au dernier moment, la déesse sauve la jeune à leur vengeance chez les dieux ». Deuxième
fille, rétablissant la morale et l’ordre. Dans Les argument : depuis la découverte par son père
Marchands, personne n’a demandé à la mère de tuer de la malédiction familiale, elle ne vit que dans
138 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
le malheur, la mort sera donc une délivrance : ironie est patente des lignes 7 à 12. Elle exprime
« lorsqu’on vit, comme moi, au milieu des mal- son mépris pour des valeurs qu’elle rejette (l. 5-8).
heurs sans nombre, comment ne pas trouver de C’est une héroïne tragique que son choix mène
profit à mourir ? » Enfin, laisser son frère sans nécessairement à la mort. Elle suscite l’admiration
sépulture lui était intolérable (l. 13-15). pour son courage et la pitié pour le sacrifice de
sa jeunesse.
3. Antigone exprime insolence, mépris et ironie
dans la phrase où elle compare les lois édictées
par Créon à des dieux : « et je ne pensais pas que HISTOIRE DES ARTS
tes défenses à toi fussent assez puissantes pour 8. La scénographie ressemble à une prison : on
permettre à un mortel de passer outre à d’autres voit un cube gris avec des carrés laissant passer la
lois », dit-elle d’un ton provocateur. Elle recourt lumière, ce qui crée une pénombre oppressante
à des questions rhétoriques tout aussi insolentes striée de rais de lumière faisant penser à des bar-
pour obliger Créon à approuver sa philosophie reaux. Antigone a les bras en croix. Elle semble
(l. 7-12) : « Que je dusse mourir, ne le savais- prier ou s’offrir aux dieux, la tête renversée en
je pas ? et cela, quand même tu n’aurais rien arrière, dans une attitude pathétique. La robe
défendu. » la laisse dénudée et fragile et la couleur blanche
4. Sa phrase la plus insolente est sans doute sa du vêtement suggère la pureté de la jeune fille
métaphore finale sur les fous : Créon la traite de ainsi sacrifiée.
folle, mais c’est lui le plus fou. Il se met en effet
les dieux à dos et se repentira de l’avoir mise à ÉCRITURE
mort, il en paiera les conséquences. Antigone
menace donc Créon par cette phrase. Sujet d'invention
– Arguments du procureur (qui s’exprimera en
5. Créon manifeste son autorité d’abord par
premier) : Antigone est un exemple de désobéis-
une question rhétorique menaçante adressée à
sance au roi qui pourrait faire des émules. Elle ne
Antigone, comportant le verbe « oser » (l. 1).
s’est jamais excusée, ni reconnue coupable. Au
Puis il annonce au chœur en même temps qu’au
contraire, elle revendique haut et fort son geste,
public (« sache bien, toi ») qu’il n’est nullement
l’a même répété deux fois en le présentant comme
impressionné par la résistance d’Antigone. Il
honorable. Elle réclame la mort, s’enorgueillit
emploie un présent de vérité générale pour mon-
même du châtiment qui s’abattra sur elle. Autant
trer que sa détermination à la punir est dans une
la satisfaire et se défaire d’une famille dangereuse
logique d’autorité royale : « ces volontés si dures
qui n’a apporté que des malheurs à Thèbes : son
sont celles justement qui sont aussi le plus vite
père et frère Œdipe a apporté la peste ; ses frères
brisées », croit-il pouvoir affirmer, sûr de lui et
ont plongé Thèbes dans la guerre civile. Quant
de son autorité.
à elle, elle remet en cause les lois de la cité qui
6. Le chœur de vieillards est du côté de l’autorité permettent seules de vivre en harmonie et de
royale : il explique l’hybris (mot grec que l’on peut savourer la paix civile.
traduire par la démesure, la présomption) d’Anti- – Arguments de l’avocat : Antigone n’a agi que
gone, ici qualifiée par l’adjectif « intraitable », par par piété religieuse et par amour pour sa famille.
sa généalogie : elle est, en toute logique, « la fille C’est une très jeune fille, brisée par le malheur.
intraitable d’un père intraitable ». Cependant, la Elle a subi les conséquences du crime de son père,
deuxième phrase est plus ambiguë (l. 20-21). On de la guerre entre ses frères. Elle ne cherche pas à
pourrait presque y entendre de l’admiration pour fomenter un complot, ni à renverser le roi Créon,
l’assurance d’une jeune fille pourtant atteinte mais seulement à enterrer dignement son frère. On
par toutes sortes de malheurs. C’est sans doute peut aisément s’identifier à elle, la comprendre.
la raison pour laquelle Créon les avertit eux aussi – Procédés de persuasion efficaces dans les deux
(voir question 5). discours : des répétitions, des questions rhétoriques
pour prendre les juges à parti, des phrases excla-
7. Antigone est déterminée, obstinée dans son
matives pour exprimer indignation (procureur) ou
choix. Rien ne la fera fléchir, pas même la menace
pitié (avocat), des hyperboles pour dramatiser le
de mort. Elle est provocatrice face au pouvoir : son
geste, le transformer en crime grave (procureur)
‡ Aristote, Poétique,
vers 335 av. J.-C.
Objectif : analyser le texte antique
p. ⁄8·
5. Les personnages tragiques doivent être liés
par les liens du sang : s’ils appartiennent à la
même famille, leurs conflits seront plus violents
et pathétiques (l. 20-24).
à l’origine de la doctrine classique
et comprendre la notion de catharsis
(voir l’Histoire littéraire, manuel p. 196-197).
ÉCRITURE
Susciter des émotions tragiques Question sur un corpus
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE Les Atrides forment une famille pleine de haine
1. Un spectacle tragique suscite crainte et pitié. et de violence : le grand-père Atrée, jaloux de
Ces deux émotions fortes, vécues par procuration, son frère Thyeste, a assassiné les enfants de son
sont la source du plaisir du spectateur (l. 11-13). frère et les lui a fait manger en lui faisant croire
à un sacrifice animal. Agamemnon, fils d’Atrée,
LECTURE DU TEXTE épouse Clytemnestre, la sœur d’Hélène, et devient
2. Le champ lexical de la crainte est très présent. le chef des Grecs partis à la conquête de Troie. Il
Le mot « crainte » est répété trois fois et on voit doit pourtant sacrifier sa fille Iphigénie avant le
quels effets ce sentiment provoque chez le spec- départ. Clytemnestre jure de se venger : elle prend
tateur : « l’auditeur […] frissonne » au récit de pour amant en l’absence de son mari, Égisthe,
ces « événements […] terribles ». fils de Thyeste qui a échappé au festin sanglant.
De même, le mot-clé « pitié » utilisé à trois À son retour, Agamemnon est assassiné par les
reprises, accompagné de l’adjectif qualificatif deux amants. Son fils Oreste le venge quelques
« pitoyables » (deux occurrences), « pathétique » années plus tard en tuant sa mère Clytemnestre
(ibidem). et Égisthe. L’histoire est donc une succession de
meurtres tous plus horribles les uns que les autres
3. Aristote méprise l’aspect spectaculaire du entre parents et enfants, entre frères, et entre
théâtre : le travail de mise en scène en Grèce époux, comme le souhaite Aristote (l. 20-23).
antique n’existe pas. En effet, aucun metteur Les personnages sont tantôt effrayants de cruauté
en scène n’intervient, les acteurs professionnels (Atrée, Clytemnestre), tantôt pitoyables parce
connaissant leur rôle et la façon, toujours iden- qu’ils sont victimes (Thyeste, Iphigénie) ou tour-
tique, de le jouer. Le chorège, un citoyen riche mentés par un dilemme (Agamemnon, Oreste
de la cité, paie pour les décors constitués de toiles qui devient fou).
peintes, les costumes et les masques fabriqués
par des artisans. L’auteur fait répéter les chœurs Sujet d'invention
constitués de citoyens, acteurs amateurs. C’est S’appuyer sur les pistes de la question sur corpus.
140 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
Prolongements 3. Auguste est un « tyran » violent et meurtrier
qui s’est donné tout pouvoir et en a abusé en
– Le parcours de lecteur sur Andromaque (manuel
se faisant craindre : « Il peut faire trembler la
p. 199-207) permet de suivre l’évolution des prin-
terre sous ses pas » (v. 22). Il a dépouillé des rois
cipes tragiques autour d’un personnage pathétique
(v. 23), a exilé et condamné à mort de nombreuses
d’Euripide à Racine.
personnes : « De ses proscriptions rougir la terre
– On se posera également la question de l’effet
et l’onde » (v. 24), il a transformé le monde sous
tragique avec le corpus sur les dénouements,
sa loi (v. 25). On remarquera les hyperboles et la
p. 208-211.
gradation dans cette liste des crimes d’Auguste.
8
4. C’est d’abord sa liberté qui fait d’Émilie une
P ierre Corneille, héroïne tragique : elle ne veut dépendre de
Cinna, 1642 p. ⁄·‚-⁄·⁄ personne et ne rien devoir à Auguste. Elle le
prévient : « Mais ne crois pas qu’ainsi jamais
Objectifs : je t’appartienne » ou « Mais le cœur d’Émilie
– La réflexion sur le pouvoir, ses contraintes est hors de son pouvoir ». Seuls comptent son
et ses limites se développe au xviie siècle honneur et sa gloire. C’est pourquoi elle rejette
sans qu’il y ait de remise en cause l’affection paternelle dont Auguste fait preuve
de la monarchie absolue de droit divin à son égard : « Qu’il vive, et que je l’aime ! »,
(voir les Repères historiques p. 120-122). relève-t-on au vers 41. La phrase exclamative
On analysera ainsi les deux images opposées exprime ici son indignation. Elle ne pourra jamais
d’Auguste, tyran sanguinaire pour Émilie, éprouver d’amour pour l’assassin de sa famille et
et souverain respectable pour Cinna. elle est prête à rejeter l’amour de Cinna s’il est
approuvé par Auguste. Elle ne saurait s’abaisser
– On analysera également le
au rang d’objet, de « butin de qui l’ose épargner ».
fonctionnement tragique d’un dialogue
Elle est donc prête à s’opposer à un prince puis-
de sourds où s’opposent la raison et l’amour.
sant, à risquer sa vie et celle de Cinna pour se
On pourra consulter au préalable un extrait venger d’Auguste, l’assassiner, en finir avec un
de la scène d’exposition de Cinna et une règne qu’elle juge tyrannique. Son attitude est
autre image de la mise en scène de Laurent tragique car elle a peu de chance de réussir et est
Delvert (manuel p. 178 et 441). donc vouée à la mort.
⁄‚
Elle veut rester « dans l’obscurité nourrissant sa
douleur » (v. 11), dans « cette nuit profonde » ise en scène
M
(v. 13). de Britannicus
3. et 4. Néron est mécontent de la réponse de
Junie qui ne lui paraît pas justifiée. Il commence
par Jean-Louis
par lui ordonner de ne plus avoir d’inquiétude,
ce qui n’est pas pour la rassurer : « Ayez moins
Martinelli, 2012
de frayeur, ou moins de modestie. » Les impé- p.⁄·‹
ratifs sont des sommations : « consentez seu-
lement. » L’absence de complément d’objet au
verbe « consentir » suggère qu’elle doit obéir à
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
1. Énumérons les éléments du décor : un cercle
n’importe quelle demande de l’empereur. Il assure
avec un bassin (le scénographe fait référence à
pouvoir se débarrasser facilement d’Octavie et
l’impluvium des maisons romaines, le bassin au
lui rappelle que Junie n’a rien à lui envier en ce
milieu de l’atrium) et en arrière-plan, un fauteuil
qui concerne ses origines : « Du sang dont vous
xviie siècle qui sert de trône. Derrière, on aperçoit
sortez rappelez la mémoire » : Junie est en effet la
une tenture rouge. Cela ressemble davantage à
descendante d’Auguste et a donc toute légitimité
une salle du trône qu’à l’antichambre prévue par
pour épouser un empereur.
Racine, ce qui est confirmé par le grand manteau
5. Les vers 22-24 sonnent comme des menaces. rouge de Néron, très impérial. C’est un décor aux
La répétition du mot « gloire » en témoigne. teintes chaudes : on sent l’exercice d’un pouvoir
Il s’agit de la gloire que lui apporterait Néron, qui se met en scène pour impressionner. Cette
prince parlant de lui à la troisième personne en tension chromatique est le signe d’une « intran-
employant un terme honorifique insistant sur sa quillité […] palpable ».
puissance : « la solide gloire/ Des honneurs dont
César prétend vous revêtir ». À l’inverse, défier
la puissance impériale consisterait à poursuivre
LECTURE DES IMAGES
2. Junie est d’abord évanouie (image A), puis
un rêve de gloire personnelle aussi vaine que
acculée au mur par le doigt menaçant de Néron
dangereuse. Elle n’a nul intérêt à rejeter cette
(image B). Sa vulnérabilité de victime apitoie
demande : « La gloire d’un refus sujet au repentir. »
le spectateur et fait craindre pour sa vie, deux
L’allusion à un « repentir » de la part de Junie
sentiments propres à la catharsis aristotélicienne
annonce qu’il peut se venger d’elle si elle refuse
(manuel p. 189).
sa proposition.
3. Néron est d’abord plein de sollicitude devant
le malaise de Junie, il la rafraîchit avec l’eau du
ÉCRITURE bassin. C’est l’amant prévenant et doux (image
A). Puis, il manifeste son autorité menaçante en
Dissertation faisant reculer Junie jusqu’au mur et en pointant
Un monstre naissant est plus intéressant qu’un son doigt vers elle (image B).
tyran sanguinaire : il a encore le choix de devenir
4. Cet évanouissement peut faire imaginer la
un bon empereur ou un tyran, thème hérité des
mort de Junie, par suicide par exemple, comme
tragédies politiques de Corneille comme Cinna
cela arrive dans d’autres tragédies de Racine (par
(voir manuel p. 190-191). Ces deux issues possibles
exemple dans Phèdre, manuel p. 208).
favorisent des dilemmes tragiques, des hésitations,
des revirements. D’autre part, un monstre nais- 5. Junie a tenté de résister à Néron en argumen-
sant est accessible à la passion, et aux tourments tant et en essayant de l’apitoyer, mais son refus
qu’elle provoque, il peut donc susciter la pitié. indispose le tyran, qui se révèle alors comme le
Enfin, l’évolution du personnage est intéressante « monstre naissant » prévu par Racine, prêt à
9 Le héros pris au piège | 143
obliger Junie à accepter, et même à adhérer plei- la violence : Titus dans Bérénice (p. 166-167),
nement à son amour. Sans quoi, il se vengera en Roxane dans Bajazet (p. 194), Pyrrhus dans
s’attaquant à Britannicus. Sa menace, implicite, Andromaque (p. 203).
est pleine de dangerosité : « La sœur vous touche – Pour approfondir sur la mise en scène et le
ici beaucoup moins que le frère. » Octavie est la costume de Néron, on verra les exercices donnés
sœur de Britannicus. à partir de l’image de l’acteur Talma en Néron
(manuel p. 198).
ORAL
⁄ ⁄
L’intérêt de ce travail choral est de faire ressentir
la menace qui plane sur Junie, en imaginant trois Jean Racine,
ou quatre Néron qui vont montrer différentes
intentions : la fausse douceur, l’autorité, la vio-
Bajazet, 1672 p.⁄·›
lence de plus en plus présente dans sa voix ou Objectifs :
sa gestuelle. – Découvrir une tragédie moins connue
de Racine où le pouvoir est exercé par
ÉCRITURE une femme aussi dangereuse que Néron
(voir manuel p. 192-193).
Sujet d'invention – Analyser les procédés permettant
Il faut expliquer aux élèves que la scène, au de susciter la crainte du spectateur.
xviie siècle, représente un lieu unique conformé- – Analyser l’expression de la menace.
ment à la règle classique des trois unités. Souvent,
elle figure un lieu de passage vraisemblable où Une passion dangereuse
tous les personnages peuvent se retrouver. Racine
a choisi de montrer une antichambre. C’est LECTURE DU TEXTE
une sorte de corridor, lieu public aux portes 1. La scène est tendue parce que Roxane a tout
de l’espace intime. Elle donne en effet sur la pouvoir sur Bajazet et peut à sa guise le tuer ou le
chambre de Néron où personne n’entre, sauf le laisser vivre. Elle l’affirme sans ambages : « j’ai sur
maître (Néron), le traître (Narcisse) et la victime votre vie un empire suprême », « sans ce même
(Britannicus, pour y mourir empoisonné). Les amour […] vous ne seriez plus ». Bajazet reconnaît
décors du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne où ce pouvoir absolu : « Ma vie est votre bien. » Mais
fut joué Britannicus étaient constitués de grandes il ne l’aime pas et ne veut pas l’épouser ; il se met
toiles peintes en perspective représentant un donc en danger. Il voudrait faire entendre raison
« palais à volonté » qu’on réutilise d’une pièce à Roxane sans la blesser ni la mettre en colère.
à l’autre (manuel p. 177). On pourra analyser l’image de la mise en scène
d’Éric Vigner où la tension entre les personnages
Questions possibles : est visible : Roxane a posé sa tête sur la poitrine de
– La transformation de l’antichambre en salle du Bajazet, geste de tendresse et presque de désespoir
trône : quel en est le sens ? Quel est l’effet produit ? auquel Bajazet ne répond pas : il est dans une
– Pourquoi revisiter l’Antiquité ? La mise en posture très raide, les bras le long du corps. Son
scène de l’antique ne cherche pas à donner une visage est fermé et son regard, lointain.
image fidèle d’un palais romain mais à exhiber
la théâtralité du pouvoir. 2. Roxane commence par des questions rhéto-
– Quel est le rôle du bassin ? Il produit l’effet d’une riques (« avez-vous prévu », « songez-vous »).
forme ronde qui rappelle l’orchestra de l’espace Elle incite ainsi Bajazet à reconnaître le pouvoir
grec antique (voir le plan du théâtre d’Épidaure, qu’elle exerce sur lui et les conséquences désas-
manuel p. 196). treuses d’un hypothétique refus. On peut relever
la proposition hypothétique introduite par « si » :
« si vous ne m’épousez ». Les vers 4 à 6 insistent :
Prolongements ils expriment la même idée à la faveur de trois
– On peut comparer Néron avec différents rois complétives introduites par « que ». On note
ou reines amoureux chez Racine et voir que la toutefois que la reine donne de plus en plus de
passion ne débouche pas nécessairement sur précisions. Bajazet n’est en vie que parce que la
144 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
reine est amoureuse de lui. Souvenez-vous « Que à la rime pour mieux s’opposer. On peut égale-
vous ne respirez qu’autant que je vous aime », lui ment remarquer, pour souligner la même idée,
dit-elle. Le sort de Bajazet dépend du caprice de un parallélisme de construction dans les deux
Roxane. Les deux vers suivants évoquent ce qui phrases interrogatives des vers 23-24 où elle prend
se passerait si l’amour cessait. Le conditionnel conscience, avec amertume, que Bajazet ne l’aime
marque une possibilité bien plausible et d’autant absolument pas. Elle s’en veut aussi d’avoir avoué
plus menaçante : « Et sans ce même amour […] son amour et donc d’avoir faire preuve de faiblesse.
vous ne seriez plus ? »
La deuxième réplique de Roxane est plus violente
ÉCRITURE
et menaçante. Tout d’abord, elle coupe la parole
à Bajazet et le tutoie. Puis, elle parle de lui à la Commentaire
troisième personne (v. 22-24), marque de son On peut reprendre les réponses aux questions
mépris. Le vers 20 à l’impératif comporte une 1 et 2.
métaphore hyperbolique qui suggère qu’elle va
le tuer : « Rentre dans le néant dont je t’ai fait
sortir. » La question rhétorique « Car enfin qui Prolongements
m’arrête ? » rappelle sa capacité de nuisance – On pourra rapprocher ce dialogue de la scène
puisqu’elle a reçu des instructions du sultan entre Émilie et Cinna dans Cinna de Corneille (p.
Amurat. Elle montre ainsi aux vers 25-28 qu’elle 190-191) : dans les deux cas, la galanterie cède le
ne dépend pas de lui autant que lui d’elle. La pas devant la violence, le dépit et la menace. La
phrase commence par « Tu crois que », formule différence est qu’Émilie n’a pas le pouvoir de tuer
ironique suggérant qu’il se trompe, que son calcul Cinna, mais seulement celui de ne plus l’aimer.
est mauvais. Le dernier vers est en effet la menace – On pourra faire un bilan des formes du tragique
de « séparer tes intérêts des miens ». au xviie siècle : chez Corneille, le héros tragique est
confronté à des choix inconciliables (dilemme)
3. Bajazet prend des précautions oratoires avec où raison d’État, intérêts supérieurs ou honneur
Roxane en commençant par lui exprimer sa recon- entrent en conflit avec les sentiments personnels.
naissance avec des hyperboles : « je tiens tout Chez Racine, le conflit est toujours amoureux. Ce
de vous » est répété au vers 12. Puis, le vers 15 n’est pas toujours le cas chez Corneille. Par ailleurs,
comporte, sur un rythme binaire, deux métaphores si les héros cornéliens suscitent l’admiration pour
de son pouvoir absolu : « Je vous dois tout mon leur détermination et leur intransigeance, ceux
sang. Ma vie est votre bien. » Plusieurs verbes de Racine suscitent la pitié face aux tourments
des vers 12 à 14 insistent sur cet aveu, sorte de qu’ils endurent.
profession de foi sans cesse répétée : « m’entendre
avouer », « Je ne m’en défends point, ma bouche
le confesse », « le confirmer sans cesse ». Bajazet
s’humilie en quelque sorte devant Roxane, mais
il lui parle de respect (v. 14), alors qu’elle veut
entendre qu’il l’aime : « Je vois combien tes vœux
sont loin de mes pensées. »
⁄¤ B ertolt Brecht,
Grand-peur et
misère du IIIe Reich,
4. Bajazet pense qu’il lui suffit de faire allégeance
1938 p. ⁄·∞
à Roxane, de reconnaître son pouvoir et de s’allier Objectifs :
politiquement avec elle (v. 11-12). Il rappelle – La figure du roi n’existe dans le théâtre
aussi que son autorité est par ailleurs reconnue : contemporain que dans des parodies
« En voyant devant moi tout l’empire à genoux ». (Ubu Roi d’A. Jarry, ou Macbett d’E. Ionesco).
5. Roxane exprime du dépit amoureux, de la Cependant, d’autres formes de tyrannie
rancœur et de la colère. Elle qualifie Bajazet sont mises en scène dans toute leur
d’« ingrat » (v. 19, 23). Elle est furieuse de « son violence : Ionesco fait allusion aux dictatures
indifférence », de « ses raisonnements » qui sont totalitaires et J. Pommerat à la dictature
loin de l’amour qu’elle lui a manifesté par ses du marché économique ou des médias
« empressements ». Ces deux derniers mots sont (voir Les Marchands, p. 186).
9 Le héros pris au piège | 145
On analysera donc les procédés tragiques opposants aux nazis à avoir été envoyés dans des
dans cette scène de Brecht, et la façon dont camps de concentration.
ils servent une critique politique virulente,
ce qui n’était pas le cas des textes antiques
3. Les SA commencent par demander à voir le
livre de comptes. Ils reprochent ensuite à Erna de
ou classiques.
répandre des informations « abominables » et de
– Il est aussi intéressant d’opposer
n’avoir pas fait le signe hitlérien, preuve qu’elle
la notion aristotélicienne de catharsis est opposée au régime. À partir de la ligne 20, ils
supposant l’identification du spectateur l’emmènent donc de force jusque chez elle pour
aux personnages, au théâtre épique de récupérer le livre : « Il faut que nous voyions d’un
Brecht qui fonctionne sur la distanciation. peu plus près votre livre de comptes, accompagnez-
Cette dernière favorise l’analyse critique nous jusque chez vous. » Ils doivent la brutaliser,
et la réflexion du spectateur (exercice TICE). d’où la crainte de sa mère qui explique qu’elle est
enceinte, accentuant ainsi le rôle de victime inno-
Victimes d’une dictature cente et pathétique d’Erna. On peut remarquer
que les SA jouent une sorte de duo bien rodé :
LECTURE DU TEXTE le second à prendre la parole renchérit systéma-
1. La peur est celle de la répression : les SA tiquement sur son collègue. Aux lignes 9-10 et
contrôlent toute la société et sont extrême- aux lignes 14-17, les deux répliques commencent
ment violents : « Où cachez-vous votre livre de toutes deux par « Et » faisant office de relance.
comptes ? », comme si cet objet a priori anodin Ainsi, « Et toi ? » montre qu’ils s’encouragent
était une pièce à conviction, une arme qu’on mutuellement à aller plus loin dans la brutalité.
dissimule aux autorités.
Le terme « misère » renvoie à la pauvreté qui 4. La pomme est un cadeau empoisonné : en
sévit. Le pouvoir d’achat des Allemands s’effondre échange de ces colis, les Allemands doivent
(l. 4-5) car toute l’économie repose sur l’indus- être obéissants et soumis. La vieille, en goûtant
trie de l’armement. Toutes les ressources sont la pomme qu’Erna refuse, devient complice du
mobilisées pour préparer la guerre. Une réplique régime, minimisant ou niant les problèmes éco-
comme « il faut de l’argent pour rééquiper le nomiques. Mais de ce fait, elle dénonce, sans
pays » manifeste cet effort de préparation au le vouloir, sa fille et son gendre, dénonciations
conflit. Les colis distribués aux plus démunis ne encouragées aussi par le régime : « c’est bel et
compensent pas le manque. Ils servent cependant bien lui qui le dit […] Que les prix ont un petit
la propagande nazie qui fait croire qu’Hitler se peu monté ces derniers temps. » Elle va même
préoccupe des Allemands. La « misère » dont il jusqu’à partager ce colis avec les SA : « Vous avez
est question dans le titre est donc aussi morale. À […] accepté les pommes !… » Sa complaisance
la petitesse du pouvoir répond l’absence de liberté vis-à-vis du régime condamne sa fille, et quand
de pensée et d’expression. Seule la vieille mère elle s’en aperçoit, elle recrache cette pomme qui
peut encore s’en émouvoir et paraître surprise : l’étouffe, tout en criant « Heil Hitler ! », attitude
« Vous ne pouvez tout de même pas lui en vouloir paradoxale de révolte et d’allégeance en même
de ce qu’elle tient un livre de comptes ? » temps. Mais il est trop tard (l. 26-27).
La pomme peut évoquer le fruit défendu de la
2. Erna et son mari sont suspects parce qu’avec connaissance mangé par Ève puis Adam au para-
leur livre de comptes, ils sont capables de calculer dis : Dieu les chassera du paradis pour cette faute.
de façon précise la perte de leur pouvoir d’achat Elle peut aussi faire penser au conte de Blanche-
et de le consigner par écrit. Ils pourraient donc Neige des frères Grimm, auteurs allemands, où la
en parler à d’autres et susciter des réactions ou belle-mère sorcière offre une pomme empoisonnée
manifestations de mécontentement. Si la vieille qui tue la princesse.
présente ces discussions potentiellement subver-
sives comme des rumeurs sans intérêt, comme 5. La dernière réplique de la vieille est pathétique.
« ce que tout le monde pourrait raconter », cela D’abord, malgré l’argument de la grossesse de sa
ne laisse pas le SA indifférent. Il s’en explique : fille, les SA ne lui prêtent aucune attention. Elle
« elle répand des histoires abominables ». Ils sont est impuissante à sauver Erna : « Vous ne pouvez
alors soupçonnés d’être des « marxistes », premiers pas… vous ne le ferez pas ! » Ces phrases, pourtant
146 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
injonctives, sont vaines : les SA emmènent Erna
que sa mère appelle aussi avec désespoir (l. 25). Histoire littéraire p. ⁄·‡
Puis, elle cherche à rattraper ses paroles impru-
dentes en affirmant et répétant la soumission La tragédie
d’Erna puis la sienne au régime : « Elle a pourtant
dit Heil Hitler, qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? » ACTIVITÉ
La phrase interrogative montre qu’elle est prête Les mots importants sont notés en gras dans la
à tout pour sauver Erna, mais l’irréparable a été double page. Pour faciliter le démarrage de l’écri-
commis en acceptant de partager les pommes, ture, on peut proposer une première phrase :
et, surtout, en discutant avec les SA, en parlant « Prenez un héros bien malheureux, victime de
trop. La scène finit sur ses cris dérisoires, répétés, forces supérieures… »
« Heil Hitler ! Heil Hitler ! ». Ils sont trop tardifs
pour persuader les SA qui brutalisent Erna en
silence. Elle crache aussi la pomme qui l’étouffe.
Lexique
Le pouvoir et la domination
ORAL p. 198
On peut travailler le rapport à l’espace et au Objectifs :
panier de pommes : où sont placés Erna, déjà – Travailler sur les nuances à partir de listes
méfiante ou inquiète, la mère et les deux SA, de synonymes.
d’abord détendus ? Quelles réactions provoque
– Identifier des familles de mots à partir de
l’allusion au livre de comptes chez Erna ? chez les
l’étymologie.
SA ? On doit insister ici sur les regards. Comment
– Faire des liens entre des notions lexicales,
la vieille essaie-t-elle de sauver Erna pendant que
les SA la brutalisent ? Comment mettre en place les caractéristiques d’un personnage et le jeu
le jeu avec la pomme, le signe hitlérien, peut-être de l’acteur.
une tentative pour se mettre entre les SA et sa
fille ou près de la porte… Savoir commander
1. Autorité normale : régner, diriger, commander,
gouverner, surpasser.
Autorité abusive : écraser, assujettir, asservir.
ÉCRITURE 2. Quatre synonymes d’« autoritaire » : despotique,
Commentaire dur, impérieux, intransigeant.
Ce qui terrifie le public, c’est la mise en scène
concrète d’une société surveillée et opprimée, Pouvoir politique
où la violence règne : on peut s’appuyer sur les
1. Un pouvoir arbitraire est celui qui dépend du
réponses aux questions 2 et 3.
caprice ou du bon plaisir de quelqu’un. Synonyme :
Ce qui est pathétique, c’est le sort réservé à deux
tyrannique.
femmes sans défense, l’une enceinte et l’autre
âgée, impuissante à sauver sa fille, qu’elle a, sans 2. Les mots sont composés de l’un ou l’autre de
le vouloir, elle-même dénoncée : il faut s’appuyer deux radicaux grecs qui ont presque le même
sur les réponses aux questions 4 et 5. sens : crat- veut dire la force, la puissance, et
arch- désigne la prééminence.
Aristocratie : pouvoir exercé par les meilleurs
(aristoi).
Prolongement Théocratie : pouvoir exercé par la religion, les
On peut faire lire La Résistible Ascension d’Arturo représentants de Dieu (theos).
Ui où Brecht transpose la montée du nazisme en Autocratie : forme de gouvernement où le sou-
Allemagne dans le milieu mafieux des bouchers verain exerce lui-même (autos) une autorité sans
de Chicago. limite.
9 Le héros pris au piège | 147
Démocratie : pouvoir exercé par le peuple (demos). 2. Dans le Furetière, dictionnaire du xviie siècle,
Monarchie : pouvoir exercé par une seule per- le tyran est un prince qui abuse de son pouvoir,
sonne (monos). qui ne gouverne pas selon les lois, fait preuve
Oligarchie : pouvoir exercé par un petit groupe de violence et de cruauté envers ses sujets. Les
de personnes (oligoi : quelques-uns). exemples donnés sont Caligula et Néron, empe-
reurs sanguinaires.
Paire de rois Le Robert donne aujourd’hui cette définition :
« Personne qui, ayant le pouvoir suprême, l’exerce
1. Pour le radical reg- : régime, régir, régiment, de manière absolue, oppressive. » On insiste moins
réguler, règne. sur la violence qu’au xviie siècle.
Pour le radical roy- : royaume, royal, royauté,
royaliste, royalties. 3. Le sens figuré souvent usité aujourd’hui en
manière de plaisanterie est : personne autoritaire
2. Pouvoir régalien : a) Se dit d’un droit attaché qui impose sa volonté, abuse de son pouvoir.
à la royauté, ou qui, en république, manifeste une Des exemples : un tyran domestique ; l’amour
survivance des anciennes prérogatives royales. Le est un tyran.
droit de grâce du président de la République, en
France, est un droit régalien.
b) Se dit des fonctions politiques et administratives S’opposer à l’autorité
(police, défense, etc.) qui dépendent directement
1. Insolence : manque de respect injurieux.
de l’État ou de son représentant suprême. En
Synonyme : impertinence.
France, les ministères régaliens sont le ministère
Insoumission : désobéissance à une autorité. Le
de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice, des
terme est plus fort qu’insolence.
Affaires étrangères, des Finances.
L’insubordination est assez proche de l’insou-
3. Travailler pour le roi de Prusse : travailler pour mission, mais concerne une autorité militaire.
rien ou presque rien. L’origine de cette expression C’est le refus d’obtempérer à un ordre venant
remonterait à Voltaire qui aurait travaillé pour d’un chef.
rien pour Frédéric II de Prusse pendant presque Mutinerie : se dresser avec violence contre une
deux ans (on peut découvrir l’histoire de cette autorité militaire (mutinerie sur un bateau, dans
expression sur le site d’arte.tv). une prison). C’est l’étape suivant l’insubordina-
Être plus royaliste que le roi : être plus extrême tion : on agresse le détenteur de l’autorité.
dans une opinion que la personne que l’on On peut voir une gradation avec les trois syno-
soutient. nymes « résistance », « rébellion » et « révolte »
La reine du bal : une femme qui l’emporte sur qui désignent tous l’acte de refuser une autorité
toutes les autres par ses qualités. et de s’y opposer de différentes façons, de plus
Le roi du pétrole : l’expression « Être, se sentir le en plus violentes. « Rébellion » et « révolte »
roi du pétrole » signifie être pleinement satisfait désignent une action politique.
de son sort, n’avoir plus rien à désirer, se sentir
le roi du monde.
Un enfant roi : un enfant à qui on cède tout. Un roi tragique
Un roi d’opérette : un roi sans véritable autorité, 1. Ce tableau ne représente pas la Comédie-
qui fait de la figuration. Française telle qu’elle était en 1850. La peinture
4. On trouve le sens figuré de « règne » dans a été réalisée par Delacroix dans son atelier. Il a
des expressions comme « le règne animal », où représenté un décor plus suggestif que réaliste, à
il a le sens ancien de royaume, ou « le règne du la fois antique et théâtral. Ainsi en témoignent la
consommateur », où il a le sens de pouvoir absolu colonnade ou le rideau rouge qu’on rapprochera
d’une catégorie de personnes. de la mise en scène de Martinelli (p. 193). En
revanche, c’est bien la tenue que portait Talma,
premier acteur à vouloir rendre les costumes de
Le tyran théâtre vraisemblables et cohérents avec l’époque
1. Chez les Grecs, un tyran était celui qui s’empa- de l’intrigue. Talma-Néron porte donc une tunique
rait du pouvoir par la force. simple qui va jusqu’aux mollets, le manteau rouge
148 | La tragédie et la comédie au xviie siècle : le classicisme
bordé d’or d’imperator, et la couronne de laurier 2. On pourra renvoyer les élèves sur le site :
utilisée par les empereurs depuis Jules César. Il www.empereurs-romains.net/emp06.htm
est assis sur un vaste trône dont les montants sont
ornés de têtes de lion. Il est accoudé, un peu de
biais, et ne regarde pas le spectateur. Sa posture
est plus méditative que tyrannique.
⁄‚ Jean Racine,
Andromaque, 1667
Présentation et objectifs de la séquence p. ⁄··
Livre de l’élève p. ⁄·· à ¤‚‡
Andromaque permet de remonter aux modèles antiques du théâtre classique : l’épopée homérique et
les deux tragédies qu’Euripide a consacrées à ce personnage dont nous étudierons l’évolution. Nous
analyserons les procédés pathétiques et tragiques, autant dans la structure de la pièce, ses variantes
par rapport au modèle grec, que dans la rhétorique utilisée par les personnages. Nous définirons enfin
le rôle de la passion à l’œuvre chez tous les personnages raciniens, et l’enjeu moral de la tragédie au
xviie siècle assigné par la théorie classique. Nous verrons comment la mise en scène contemporaine
s’est emparée de cette pièce et quelles interprétations variées elle en propose.
LECTURE DU TEXTE
1. Andromaque est désespérée et utilise un voca- HISTOIRE DES ARTS
bulaire hyperbolique pathétique : « un arrêt si 5. Andromaque est serrée dans un costume qui
cruel », l’enfant est qualifié de « criminel ». Le l’emmaillote, comme une armure protectrice :
« Hélas ! » en début de vers souligne son désarroi, bustier en cuir, lourds bracelets de métal, haute
ainsi que la phrase au conditionnel passé (v. 7) coiffe qui entoure et serre son visage. Elle porte
marquant le regret par un irréel dans le passé. une longue robe brune peu gracieuse qui couvre
Les assonances en [ou] associent les causes de sa ses bras et sa gorge. Elle est assise au sol, les bras
souffrance à la décision de Pyrrhus : « époux », sur les cuisses, en posture fermée et Pyrrhus est
« tout perdre », « toujours par vos coups ». obligé de se mettre à son niveau, accroupi, pour lui
10 Jean Racine, Andromaque | 153
parler de façon assez familière. Son uniforme gris LECTURE DU TEXTE
rappelle son statut de héros guerrier, mais l’attitude 1. Céphise veut absolument sauver sa maîtresse
est attentive, persuasive. Aucune menace dans et son fils. Elle cherche donc à convaincre
son regard ni dans sa gestuelle. Andromaque que le mariage avec Pyrrhus est
acceptable, et même honorable (v. 2 à 8) en
ÉCRITURE insistant sur le rang, la gloire auxquels elle accé-
dera ainsi. Andromaque redeviendrait reine.
Commentaire Céphise énumère les efforts fournis par Pyrrhus
Andromaque veut susciter la pitié de Pyrrhus en qui trahit les siens pour Andromaque : les vers
insistant sur le caractère pathétique de son sort 5 à 8 commencent par des subordonnées rela-
et celui de son fils. Elle l’interpelle vers 3 par une tives comportant une gradation des sacrifices de
phrase interrogative, et cherche à le culpabiliser Pyrrhus, le plus important étant de renier son père,
en employant un vocabulaire hyperbolique : « Et Achille. Comme Andromaque lui résiste, elle la
vous prononcerez un arrêt si cruel ? » Le pro- pousse à bout (v. 29-30) en lui faisant imaginer
nom de 2e personne souligne la responsabilité la mort de l’enfant, et joue ainsi avec son amour
de Pyrrhus. La question suivante suggère que maternel : « allons donc voir expirer votre fils ».
c’est la mère que Pyrrhus veut atteindre à tra-
vers l’enfant. Le mot « criminel » à la rime avec 2. Andromaque ne dit pas non immédiatement
« cruel » rappelle l’injustice de cette menace : un à Céphise mais, par une série de questions rhé-
enfant ne pourrait être accusé de quelque crime toriques commençant par « dois-je oublier »,
que ce soit. Mais c’est sur son sort de mère et de répond au vers 7 de la confidente : « Qui ne se
veuve éplorée, en larmes, qu’elle insiste (v. 5 à souvient plus qu’Achille était son père ». Elle énu-
8). L’interjection « Hélas ! » en début de vers mère tous les faits sanglants qui séparent Pyrrhus
souligne son désespoir. Elle est seule au monde d’Andromaque. Et, après avoir retracé la dernière
avec cet enfant, comme le rappelle la phrase au nuit de Troie dans toute son horreur, elle conclut
conditionnel qui a un sens d’irréel dans le passé avec trois phrases rythmées par l’anaphore de
comme si Astyanax était déjà mort : « il m’aurait « voilà » (v. 23 à 25) où elle souligne, à l’inverse
tenu lieu d’un père et d’un époux ». Le vers 8 est de Céphise, ce qui fait de Pyrrhus un époux peu
hyperbolique et accentue l’accusation contre enviable (emploi ironique du mot « exploits »
Pyrrhus par des assonances en [ou] qui associent utilisé précédemment par Céphise). Le « non »
sa position de femme démunie aux décisions de apparaît au début du vers 26, avec une ponc-
Pyrrhus : « Mais il me faut tout perdre, et toujours tuation forte et est suivi d’un futur qui marque
par vos coups. » On retrouve cette image d’elle- la détermination d’Andromaque : « Non, je ne
même rendue pathétique par une énumération de serai point complice de ses crimes ».
termes très négatifs (v. 29) qui sont mis en écho 3. Le récit de la prise de Troie est une hypoty-
par des allitérations en [t] : « Captive, toujours pose, une description réaliste avec de nombreuses
triste, importune à moi-même ». Dans les tragé- références visuelles et auditives, pour donner
dies, grecques ou raciniennes, les victimes ont le l’impression au spectateur d’assister à la scène.
pouvoir des larmes qui emportent l’adhésion du L’anaphore de « songe » et l’impératif « figure-toi »
public pour leur cause et poussent leur adversaire adressés à Céphise sont aussi une exhortation à
à culpabiliser, et à céder parfois, même s’il est en imaginer la scène. L’hypotypose est un procédé
position de force. pathétique.
On a d’abord l’opposition entre la nuit (à la rime
v. 14-15 : « nuit cruelle », « nuit éternelle ») et
les lueurs des incendies : « la lueur de nos palais
EXTRAIT 2 Le dilemme brûlants », « la flamme ». « Le carnage », terme
d’Andromaque p. ¤‚› employé au vers 19, est développé à travers plu-
sieurs hyperboles soulignant la foule des cadavres :
Objectifs : « tout un peuple », « tous mes frères morts »,
– Comprendre les enjeux d’un dilemme. « des mourants,/ dans la flamme étouffés, sous
– Analyser les procédés rhétoriques le fer expirants ». On entend les cris des Grecs
pathétiques.
Vers le bac ¤
Corpus : « Dénouements tragiques »
Livre de l’élève p. ¤‚8 à ¤⁄⁄
3 Genres et formes
de l’argumentation
aux xviie et xviiie siècles
Livre de l’élève p. ¤⁄› à ‹⁄⁄
Objectifs Organisation
Les Instructions officielles proposent les objectifs La séquence 11 introduit l’élève dans l’univers
suivants : de l’apologue, où il retrouve La Fontaine, mais
étudier des débats majeurs de l’histoire aussi Madame de Sévigné, La Bruyère, Perrault ou
culturelle et la façon dont se construisent encore Montesquieu pour une réflexion distanciée
des argumentations, ainsi que leur effet sur les stratégies de la persuasion et l’ambiguïté
sur les destinataires ; morale. Il est invité à apprécier l’alliance classique
comprendre les stratégies de persuasion, entre plaisir et instruction. Il complète ainsi sa
les moyens d’emporter la conviction, connaissance du classicisme, non sans faire place
la force d’une démonstration ; à la discordance, aux inquiétudes, à la mise en
connaître les codes et apprécier cause des excès de l’absolutisme.
l’esthétique de l’éloge et du blâme, La séquence 12 est consacrée à la lecture d’une
en particulier à travers le portrait. œuvre intégrale de Voltaire : Zadig ou la Destinée.
Les élèves découvriront l’intérêt littéraire et
Le chapitre s’ouvre sur des genres narratifs tournés argumentatif du regard distancié, mais aussi les
vers l’enseignement moral (apologues et contes charmes du détour par l’Orient. Les injustices du
philosophiques), avant d’aborder des textes de monde sont mises au jour à travers les apprentis-
genres plus divers : articles d’encyclopédie, traité, sages d’un héros malheureux qui ne manque pas
lettre, discours, essai... d’interpeller le lecteur.
L’ancrage dans l’histoire littéraire est important :
on aborde le xviie siècle et sa morale de « l’honnête La séquence 13, en histoire des arts, présente
homme » et on poursuit par les Lumières. On la lutte contre l’esclavage à travers un parcours
découvre aussi la tradition rhétorique qui, en pluridisciplinaire. Il s’agit de s’interroger sur les
traversant les siècles, a laissé sa forte empreinte. ressources de différentes pratiques artistiques pour
La question du juste et de l’injuste est très sen- s’opposer à une réalité de leur temps. Les élèves
sible pour beaucoup d’adolescents et de jeunes pourront ainsi comprendre comment toute une
adultes ; ils trouveront dans ces séquences des époque s’est élevée contre l’esclavage, en étu-
éléments pour réfléchir à leur statut de membres diant des textes, mais aussi en découvrant d’autres
responsables de la cité. pratiques artistiques : l’estampe, l’aquarelle, la
| 161
peinture, la bande dessinée, la photographie ou À l’issue de la séquence, l’élève a pu mûrir quelques
encore le cinéma. idées au sujet de la justice : qu’il s’agisse d’une
justice de compromis entre les hommes, ou d’un
Dans la séquence 14, les Lumières sont étudiées
idéal de justice. Il est conscient que la parole
par le prisme du goût de l’époque pour la science.
peut orienter une conscience. Il sait reconnaître
La connaissance et la raison sont les clés, pour les
différents genres argumentatifs et, lui-même,
penseurs des Lumières, de l’élévation de l’esprit
prendre la parole dans les exercices proposés. Il
de l’homme. Les élèves pourront découvrir à
pourra donc s’initier aux exercices du baccalau-
travers un corpus varié d’œuvres philosophiques,
réat à travers un thème proche de ceux qu’il aura
picturales et de photogrammes comment toute
étudiés dans les séquences.
une époque s’est enthousiasmée pour les nouvelles
S’il est intéressé par l’ensemble de ces sujets, il
découvertes scientifiques.
pourra retrouver des œuvres qui lui permettront de
La séquence 15 pose la question de l’injustice prolonger sa réflexion dans les pistes de lecture.
et des moyens que se sont donnés les auteurs de
l’Ancien Régime pour lutter, au moment même où
leur liberté d’expression et d’action était fortement Bibliographie
contrôlée. L’efficacité de la parole est centrale
– DECLERCQ Gilles, L’Art d’argumenter, Éditions
dans cette séquence. Les genres convoqués sont
universitaires, 1992
variés, allant du discours, ancré dans son temps,
à l’utopie, qui propose un monde meilleur. – GHEERAERT Tony, Contes merveilleux de
Perrault, Fénelon, Mailly, Préchac, Choisy et ano-
Pour terminer, la séquence 16 propose, dans le nymes, Honoré Champion, 2005
cadre d’une séquence d’histoire des arts, l’étude
– PERNOT Laurent, La Rhétorique dans l’Antiquité,
d’une œuvre cinématographique qui intéressera
Le Livre de Poche, 2000
les élèves parce qu’elle pose la question centrale
de la discrimination et du racisme. Les élèves – REGGIANI Christelle, La Rhétorique, Hachette,
pourront approfondir la notion de préjugé et 2001
étudier le dialogue délibératif au cinéma. – STAROBINSKI Jean, « La chaire, la tribune, le
barreau », dans Les Lieux de mémoire, Gallimard,
Le corpus « Vers le bac » pose la question de
1986, t. II
l’éducation des femmes sous l’Ancien Régime.
⁄⁄ L’apologue :
la puissance des mots
Présentation et objectifs de la séquence p. ¤⁄·
Livre de l’élève p. ¤⁄· à ¤››
Trois objectifs mènent l’élaboration de cette séquence consacrée à l’argumentation indirecte aux
xviie et xviiie siècles. Il s’agit d’abord pour l’élève de découvrir un genre littéraire, l’apologue, décliné
ici sous différentes formes. Outre la fable et le conte, formes attendues dans ce chapitre, l’élève
découvrira des types d’apologues différents, présents dans d’autres genres, mais toujours fondés sur
le détour pour argumenter. La séquence analyse aussi les fonctions de la fable et du conte dans leur
vocation didactique et morale. C’est aussi l’occasion d’approfondir ses connaissances du classicisme,
mouvement littéraire et culturel fondateur du xviie siècle.
Le premier corpus, intitulé « Propos sur le pouvoir », s’intéresse au pouvoir politique, aux liens qu’il
entretient avec l’éloquence. Que faut-il pour être un bon prince ? La parole des conseillers flatteurs,
parfois trompeuse, n’exerce-t-elle pas sur le roi et ses sujets une fascination mauvaise ? C’est ce qu’il
s’agit d’examiner à la lumière de La Fontaine, La Bruyère, Montesquieu ou Florian. Ces moralistes
observent et décrivent les hommes de pouvoir dans l’exercice de leur fonction. Bien sûr, ils ne montrent
pas directement Louis XIV. Ils préfèrent mettre en scène des animaux ou transporter la cour dans un
pays d’Orient imaginaire. Au lecteur de décrypter. L’humour et l’ironie, la narration d’une histoire
piquante ou saisissante rendent abordable la leçon politique des moralistes. Le texte de Le Clézio,
consacré à la mainmise magique que les professionnels de la communication peuvent exercer sur les
consciences, offre un prolongement contemporain à cette réflexion sur parole et pouvoir.
Le second corpus, plus léger, propose la lecture intégrale de « Riquet à la houppe », conte finalement
méconnu de Perrault. Les enchantements de la parole font voir comment l’éloquence séduit, charme,
rend beau l’homme qui sait en détenir les sortilèges et intelligente la jeune femme qui, patiemment,
se cultive, apprend à construire son discours et donc à organiser ses idées. Cela renvoie au contexte
de la préciosité. Être un honnête homme, c’est savoir parler sans blesser, sans ennuyer aussi. Dans
une optique plus contemporaine, on s’intéressera à la réécriture moderne qu’en propose Tahar Ben
Jelloun ainsi qu’à l’analyse psychanalytique des contes de fées selon Bruno Bettelheim.
⁄
sers d’Animaux pour instruire les Hommes. »
L’apologue répond donc à la règle classique qui me de Sévigné,
M
veut « plaire et instruire » tout à la fois. Les
textes 1 et 2 illustrent bien ce double projet. Les
Lettres, 1726 p. ¤¤›
personnages sont deux animaux familiers aux Objectifs : à travers ce premier texte
lecteurs appartenant encore à une société rurale, du corpus « Propos sur le pouvoir », l’élève
un agneau victime d’un loup. Enfin, les récits découvre des apologues plus inattendus pour
visent à transmettre une leçon morale, chaque lui, puisqu’il ne s’agit ni de conte
texte selon sa visée. L’apologue d’Ésope insiste ni de fable. On voit aussi ici la visée satirique
sur la dimension morale, rien ne peut arrêter des apologues : les moralistes ne sont pas
le méchant, tandis que la fable de La Fontaine tendres. Ils se moquent des travers
donne une dimension politique à cette leçon : de leurs contemporains et, plus largement,
« La raison du plus fort est toujours la meilleure », des faiblesses de l’espèce humaine.
le plus fort peut s’entendre dans ce vers comme
Leur morale est dès lors bien piquante.
le plus puissant politiquement.
› Jean de La Bruyère,
Les Caractères, 1688
p. ¤¤8
dont il est le sujet : « il ne les perd pas de vue,
il les suit, il les conduit, il les change de pâtu-
rage ». Le berger protège activement son troupeau
dont il assure la sécurité, le confort. Il veille à sa
prospérité. Mais cette attention exige un labeur
Objectif : cet extrait permet de découvrir épuisant, ce que mettent en valeur les exclama-
la littérature moraliste du xviie siècle tives : « quelle vigilance ! quelle servitude ! »
et de s’interroger sur la pérennité Aussi sa charge n’est-elle pas aussi plaisante ni
des messages qu’elle nous livre. facile qu’elle peut apparaître au premier abord,
mais contraignante au point de poser la question
Figure du bon prince du meilleur état, « ou du berger ou des brebis ? ».
∞ ontesquieu,
M
Lettres persanes, 1721
p. ¤¤·
creux, faire passer les idées des Lumières, fondées
sur la raison, la tolérance et le progrès.
4. La satire du roi est marquée par l’emploi de
l’antithèse dont on relève plusieurs exemples dans
Objectif : à travers ce texte très connu, le texte. Ils sont annoncés par le jugement porté
l’élève peut s’interroger sur les choix par le narrateur sur la société française, comme
d’écriture et le message de cette lettre. « j’y ai trouvé des contradictions ». Ainsi note-t-on
avec amusement l’écart entre « un ministre qui n’a
que dix-huit ans, et une maîtresse qui en a quatre-
Un étranger à la cour du roi vingts ». Dans tous les domaines, les attitudes du
LECTURE DU TEXTE roi sont contradictoires, incohérentes. Concernant
1. Plusieurs indices confirment que ce texte la religion : « il aime sa religion, et il ne peut
appartient au genre épistolaire. Il en suit d’abord souffrir ceux qui disent qu’il la faut observer à
les codes de présentation. On constate en haut la rigueur » ; concernant la guerre : « il aime les
à gauche la mention de l’émetteur et de son trophées et les victoires, mais il craint autant de
170 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
voir un bon général à la tête de ses troupes ». Cette cour qui maintient les courtisans dans un état de
critique est terrible : ne supportant pas le talent soumission est évoqué ensuite dans le troisième
des autres, il préfère nommer un incompétent à paragraphe. L’étiquette y apparaît comme une
la tête de l’armée alors que la France est engagée succession de rituels dont le seul but est « la
dans de nombreuses guerres, qui seront dès lors distribution des grâces ». Derrière l’apparente
désastreuses. Continuons : dans les fastes, il semble naïveté et neutralité du regard d’un étranger, la
« comblé [...] de richesses », mais il est « accablé lettre d’Usbek est donc une vraie critique de la
d’une pauvreté » car il emprunte trop et la dette monarchie de Louis XIV.
s’accumule. Sa gestion de la cour est partiellement
catastrophique car il ne sait distinguer « ceux
qui le servent » honnêtement et ceux qui vivent
dans « l’oisiveté ». Toutes ces antithèses mettent HISTOIRE DE L’ART
l’accent sur la démesure du roi et les dérives qui en 7. Le Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud
découlent : autoritarisme, inefficacité criminelle, donne une image très positive du roi. En armure
poids du paraître ou méfiance à l’égard de tous. et en pied, il est représenté non dans des habits
5. Plusieurs hyperboles ironiques caractérisent le de sacre, mais comme un chef de guerre, capable
roi. Dès le début, son âge de soixante-quinze ans est de soumettre n’importe quel ennemi. Ce tableau
lourdement souligné par l’analyse du narrateur. Ce est d’ailleurs réalisé à destination de son petit-fils,
qu’il présente comme une qualité exceptionnelle Philippe V, roi d’Espagne, dont il est un soutien
– « un monarque qui ait si longtemps régné » sans efficace dans son récent accès au trône espagnol.
se faire renverser est rare –, est en fait un défaut La composition même du tableau révèle la supé-
terrible : il est sénile. Son absolutisme est aussi riorité du roi. Placé au centre du tableau, il attire
présenté comme une qualité exceptionnelle : « il ainsi les premiers regards du spectateur. Sa posture
possède à un très haut degré le talent de se faire accompagne l’organisation : corps bien campé sur
obéir ». L’ironie, là encore, fait de ce propos une une jambe placée en avant ; main gauche sur la
antiphrase. Son château est remarqué pour son hanche, main droite sur le bâton de commande-
luxe extrême : « Il est magnifique, surtout dans ment, lui-même posé sur un casque, tête droite,
ses bâtiments ». Faut-il l’admirer ? On devine la augmentée d’une volumineuse perruque, regard
réponse... Cette situation aboutit d’ailleurs au droit qui donne l’impression de toiser le specta-
comble de l’absurde : « il y a plus de statues dans teur. Cette attitude conquérante est accentuée
les jardins de son palais que de citoyens dans encore par le mouvement de l’écharpe que le vent
une grande ville ». Si elles semblent faire l’éloge fait bouger tout comme la queue qui termine la
du roi, ces exagérations dénoncent en réalité les perruque. À l’arrière-plan, le paysage représente
défauts de la monarchie. le champ de bataille avec ses cavaliers ou les
fumées des canons. Ce portrait donne donc une
6. Loin d’être une présentation objective du règne image flatteuse du roi, dans la perspective d’une
de Louis XIV, cette lettre met en évidence ses propagande toute à sa gloire.
défauts. Le premier paragraphe évoque l’abso-
lutisme du monarque à l’égard de « sa famille,
sa cour, son État ». Sa politique étrangère peut
paraître incompréhensible : comment expliquer ÉCRITURE
les alliances avec « les Turcs » ou « notre auguste
sultan ». À l’intérieur du royaume, la paix civile Invention (pistes)
semble fragile car les dissensions religieuses appa- La consigne du sujet pose deux contraintes : une
raissent : certains veulent une pratique religieuse écriture « à la manière de » pour le style et une
rigoureuse, d’autres, non. De même, de nombreuses visée argumentative pour le contenu. Il s’agit bien
guerres endeuillent ce règne. Elles sont mention- de transposer la lettre d’Usbek dans la France
nées à travers « les trophées et les victoires ». contemporaine.
Leurs conséquences financières désastreuses Conseils : repérer, analyser les défauts de la société
apparaissent à la fin du deuxième paragraphe. française, organiser les critiques en les rapprochant
Le royaume subit « une pauvreté qu’un particulier et en les hiérarchisant, respecter le genre de la
ne pourrait soutenir ». Le protocole rigide de la lettre, employer l’ironie.
11 L’apologue : la puissance des mots | 171
6 J.-P. Claris de Florian, amis ». Mais le piège se referme sur le léopard lors
de la répartition du butin : « Il s’éleva quelques
Fables, 1792 p. ¤‹‚ querelles ». Ces querelles sont bien sûr un prétexte
commode : sous couvert de se défendre de manière
Objectif : le texte de Florian montre légitime, le vieux roi aggresse le léopard. Pour
l’évolution de la fable au xviiie siècle. finir, il est assassiné par le lion, comme celui-ci
pouvait l’avoir prévu. Les trois derniers vers tirent
la leçon de cette aventure.
La soif du pouvoir
4. Le début de la fable met en valeur la soif de
LECTURE DU TEXTE
pouvoir du lion, pourtant « roi d’une immense
1. La fable donne une image très négative du pou-
plaine ». Deux vers successifs insistent sur son
voir royal. Le fabuliste dresse un portrait terrible
avidité territoriale. On relève : « Désirait de la
du lion, symbole de la monarchie. Il montre tous
terre », « voulait conquérir ». Cette ambition
les défauts d’un despote absolu : il aime la guerre
peut se justifier par les qualités du personnage :
de conquête, présentée pourtant dans le droit
son courage est mis en valeur par l’expression
international comme injuste et contraire au jus
« un valeureux lion » ; ses talents guerriers sont
ad bellum. Citons : il « voulait conquérir une forêt
eux aussi soulignés : « L’attaquer n’était pas chose
prochaine ». De plus, le monarque n’est pas digne
bien difficile ». Pour autant, il sait montrer de la
de confiance mais prêt à la trahison de l’accord
prudence : « Mais le lion craignait les panthères,
signé avec son allié. Enfin, il ne recule pas devant
les ours ». Ce portrait se conclut sur une formule
le meurtre : « La fin de l’aventure fut le trépas du
méliorative, qui termine ce passage en insistant sur
léopard ». La morale tire le bilan de l’affaire, sans
ses qualités politiques : « notre habile monarque ».
pour autant paraître juste. Elle semble en effet
Il n’est ni juste ni moral. Mais il est efficace. Sans
entériner la pratique du lion comme un constat
doute est-ce là une qualité essentielle dans la
réaliste du comportement des gouvernants : « Que
sphère politique.
contre les lions les meilleures barrières/ Sont les
petits États des ours et des panthères. » 5. Pour parvenir à ses fins, le lion met en place
une habile stratégie dans laquelle il implique sa
2. En de nombreux points, ce récit relève bien
future victime. « Il députe un ambassadeur »,
de l’apologue. Il est d’abord constitué des deux
qu’il choisit avec soin. Celui-ci utilise ses talents
parties attendues, le récit et la morale. Les per-
oratoires pour persuader le léopard de faire alliance
sonnages appartiennent tous au monde des ani-
avec lui. On voit donc toute la subtilité du plan du
maux et plus particulièrement des prédateurs :
lion qui dissimule son appétit territorial derrière
« un valeureux lion » tient le rôle du monarque
un pacte d’alliance.
absolu et veut abattre son rival, le « jeune léo-
pard ». Les « panthères, les ours » deviennent 6. Le renard déploie toute une stratégie argumen-
leurs ennemis communs. Le lion choisit comme tative. Pour persuader, il recourt en premier lieu à
ambassadeur « un vieux renard», animal roué et des flatteries : « sa prudence/ Son amour pour la
retors qui remplit souvent ce rôle dans les fables paix, sa bonté, sa douceur/ Sa justice et sa bienfai-
animalières. Enfin, la fable donne une vision sance ». Puis, il propose une alliance qui semble
pessimiste mais réaliste de la vie politique, dans servir leur intérêt commun : « Pour exterminer
l’esprit de ce genre littéraire. tout voisin/ Qui méconnaîtra leur puissance. »
Ainsi, parvient-il à retourner le léopard contre
3. La fable est constituée de plusieurs étapes. Le
ses anciens alliés.
début présente la situation initiale : les rêves de
conquête du lion (il « désirait de la terre une plus ÉCRITURE
grande part »), et ses obstacles (« Mais le lion
craignait les panthères, les ours »). Puis, il met Question sur un corpus
en place son piège. Il envoie son ambassadeur L’exercice appelle l’élève à confronter les deux
rusé. Et pour cause : « c’était un vieux renard ». apologues étudiés pour analyser les différences de
Le lecteur assiste ensuite à l’application du traité l’image du bon souverain. Il peut relever les indices
entre les deux souverains qui semble se dérouler de la réponse dans un tableau qui lui permettra
comme prévu, puisqu’ils deviennent des « rois d’organiser sa rédaction finale.
172 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
Tableau d’analyse : 2. Ce texte relève bien de l’apologue, car il s’agit
La Bruyère d’un récit à visée didactique. On y note l’emploi
de l’imparfait, « ils attendaient », « ils filmaient »,
Un « bon prince »
pour des actions du passé, répétées dans la durée.
Un bon berger, « soigneux et attentif »
Un passage est aussi rédigé au présent de l’indicatif
Un guide : « il les conduit » ou « il les rassemble »
pour actualiser le récit : « Ils sont de l’autre côté des
Un protecteur : « il lâche son chien »
choses […]. Ils se dissimulent ». Ce changement
Un père : « il les nourrit »
de temps ancre les méfaits des personnages dans la
Florian réalité du lecteur. Par ailleurs, les personnages sont
Un « monarque habile » allégoriques : ils représentent une force d’influence
Un conquérant : « voulait conquérir une forêt abstraite. En les désignant par une périphrase,
prochaine » « les Maîtres du langage », l’auteur les rend plus
Un manipulateur : « Il députe un ambassadeur » mystérieux et plus menaçants. L’emploi du plu-
Un traître : « Le léopard lésé se plaignit du lion » riel et de l’article défini insiste sur leur nombre
Un meurtrier : « la fin de l’aventure fut le trépas indéfini, mais important. Enfin, une sorte de
du léopard » leçon est présente à la fin du texte autour d’une
alternative : les Maîtres du langage auraient-ils
Conseils pour la rédaction : pu ne pas exister ? Le lecteur doit cependant faire
– ne pas oublier de présenter le corpus, son thème un choix entre plusieurs hypothèses marquées par
et de rappeler la question ; les incertitudes de l’auteur : « S’ils n’avaient pas
– rédiger une réponse synthétique pour confronter été là », « Peut-être ».
les documents ;
– tirer une réponse claire à la question posée. 3. Plusieurs images sont présentes dans le texte,
comme celle qui désigne les personnages princi-
paux, les Maîtres du langage comme étant des
dragons monstrueux. Cette métaphore présente
de manière poétique une maîtrise de la rhétorique
‡ J. M. G. Le Clézio,
Les Géants, 1973 p. ¤‹⁄
Objectif : une ouverture contemporaine
agressive et menaçante. Cette formulation ren-
force l’argumentation, car elle met l’accent sur
le pouvoir des mots dans la société moderne. Ils
sont responsables de l’asservissement des hommes
par des « Maîtres qui les attendaient ».
est proposée ici à travers ce texte
4. Pour pouvoir asseoir leur pouvoir, les Maîtres du
de Le Clézio. Le romancier y présente
langage commencent par observer les hommes. Ils
une autre image du pouvoir des mots, mais
en font une observation directe dont ils rendent
plus inquiétante. L’élève peut ainsi constater compte « dans leurs calepins ». Mais ils uti-
toute la modernité du genre de l’apologue. lisent aussi des technologies modernes, « avec
leurs caméras secrètes ils filmaient les yeux des
Les maîtres du langage gens » dans toutes les actions essentielles de la
LECTURE DU TEXTE vie humaine : « les gens qui marchaient, qui
1. L’auteur soutient la thèse que la société est s’aimaient ou qui mouraient ». Leur espionnage
manipulée en secret par des « Maîtres du lan- de l’humanité se fait « dans l’ombre », « derrière
gage », qui y ont injecté « la haine, le mépris, la leurs écrans opaques, à l’abri des balles et des
cruauté ». Mais, ils agissent « de l’autre côté des regards ». Leur avancée technologique les place
choses, dans l’ombre ». Ils s’enferment dans des « du côté de la science ». Pourtant, contrairement
lieux inaccessibles, « dans les blockhaus de béton à ce qu’espéraient les philosophes des Lumières,
et dans les immeubles des Fondations ». Le texte la science ne se met cependant pas au service du
dénonce ainsi la passivité ou l’impuissance des progrès. Instrumentalisée, elle sert « pour détruire,
individus ou des groupes face à l’influence des pour commander, pour maudire ».
nouveaux moyens de communication, voire de 5. Les Maîtres du langage font un usage pervers
propagande, nés dans des « laboratoires » secrets, de la science, de leur démarche expérimentale
« derrière leurs écrans opaques ». réalisée dans « leurs laboratoires ». Alors qu’elle
11 L’apologue : la puissance des mots | 173
pourrait aider l’humanité, elle est détournée de à la forme finale de sa production : désignation
cette fonction au profit de la domination d’une symbolique de la cible, repérage des dangers encou-
catégorie d’hommes sur les autres : « La science rus, temps des verbes, éléments contre-utopiques
voulait dévorer les hommes ». L’auteur recourt à la de l’évocation de la société.
métaphore du « dragon qui vit de chair humaine ».
Cette image souligne les effets néfastes des entre-
prises des Maîtres du langage. Car cet animal
reptilien symbolise depuis longtemps les forces LES ENCHANTEMENTS DE LA PAROLE
du mal et la défaite de la fragile humanité.
6. Le texte évoque les conséquences terribles
de cette tyrannie des mots qui touche le cœur
même des relations humaines. Celles-ci sont
anéanties par « la haine, le mépris, la cruauté »
inoculés par les Maîtres du langage. L’humanité
8 C harles Perrault,
« Riquet à la houppe »,
Les Contes de
se voit alors privée de sa liberté. Et même son
rapport à la vie et à la mort est modifié : « peut-
ma mère l’Oye, 1695
être qu’on n’aurait pas eu peur de la mort » si la p. ¤‹¤-¤‹∞
propagande ne les avait pas incités à éprouver
de telles craintes qui paralysent. Enfin, les mots Objectifs : ce conte traditionnel ouvre
confortent les pulsions meurtrières des hommes : un deuxième corpus consacré aux
« peut-être qu’on n’aurait pas cherché à tuer les « Enchantements de la parole ».
autres pour être heureux ». Normalement, la On découvre un conte moins connu,
culture devrait les aider à refouler et canaliser mais fondé sur une réflexion consacrée
leurs pulsions noires. On note donc un profond à la puissance de la parole amoureuse.
malaise dans cette civilisation. C’est l’occasion de découvrir aussi
la préciosité, représentative du xviie siècle
HISTOIRE DES ARTS en France. La confrontation de ce texte avec
Si l’on confronte l’image et le texte, on note une sa réécriture orientale montre la pérennité
parenté. Tous les deux évoquent, à leur manière, du genre dans la littérature contemporaine,
la mise sous surveillance des hommes. Mais ils expliquée par ailleurs par une analyse
diffèrent par les moyens utilisés. Le texte insiste de Bruno Bettelheim.
sur le pouvoir des mots et les dangers qu’ils pro-
voquent dans la société. Avec la photographie L’art de la conversation galante
de George Logan, l’humanité semble placée sous
un regard froid et mécanique qui l’observe et
LECTURE DU TEXTE
la surveille. On peut l’interpréter de plusieurs
1. Riquet propose à la princesse d’user de son
pouvoir magique afin de « donner de l’esprit
manières : référence aux multiples caméras de
autant qu’on en saurait avoir à la personne qu’[il]
surveillance qui occupent l’espace urbain, systèmes
doi[t] aimer le plus ». Mais il y met une condi-
de contrôle sur nos outils informatiques ou de
tion : « pourvu que vous vouliez bien m’épou-
communication, vérifications administratives
ser ». Néanmoins, il laisse un délai à la princesse :
qui limitent la liberté de chacun…
« je vous donne un an tout entier pour vous y
résoudre ». On note l’efficacité maximale de ce
ÉCRITURE pacte, car aussitôt, « elle se trouva une facilité
Sujet d’invention incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le
dire d’une manière fine, aisée et naturelle ».
La consigne invite l’élève à imaginer, « à la
manière » du texte support, une dénonciation 2. Riquet se montre très galant envers la princesse.
du pouvoir des professionnels de la parole dans la Tout d’abord, ses manières reflètent sa grande
société contemporaine. Après avoir identifié les courtoisie. Le prince respecte ainsi certains codes
cibles de sa critique (les « communicants », les de comportement, en vigueur dans les cours les
médias), il doit faire des choix d’écriture quant plus raffinées : « il l’aborde avec tout le respect
⁄‚ B runo Bettelheim,
Psychanalyse des
contes de fées, 1976
lui d’elle-même et lui avoue-t-elle son amour qui
libère le prince du sortilège. Il se métamorphose
sous ses yeux en un vrai prince charmant. Le jeune
lecteur comprend donc que la relation amoureuse
et sa concrétisation sexuelle ne présentent pas de
p. ¤‹‡ danger si elles sont librement choisies et vécues
dans le respect réciproque des deux partenaires.
La dimension formatrice 4. Bruno Bettelheim classe les contes de fées dans
des contes des fées les œuvres d’art, car ils produisent les mêmes effets
qu’elles, c’est-à-dire « le plaisir et l’enchante-
LECTURE DU TEXTE ment ». Pour y parvenir, les contes de fées jouent
1. Le conte remplit plusieurs fonctions dans la
sur nos sens. Chaque lecteur en aura une réception
formation de l’enfant. Outre qu’il le divertit, le
différente, car « comme pour toute production
conte permet à l’enfant de mieux se comprendre,
artistique, le sens le plus profond du conte est
et ce faisant, l’aide à se construire lui-même, pour
différent pour chaque individu ». Par ailleurs, il
« le développement de sa personnalité ». En par-
transmet à l’enfant « notre héritage culturel ». Si
ticulier, la lecture des contes permet à l’enfant
cette notion n’est pas développée dans le texte,
de trouver une certaine indépendance vis-à-vis
on reconnaît l’idée que chaque conte se nourrit
de ses parents et de dépasser sa peur de grandir,
de l’imaginaire collectif en tant que récit oral.
incarnée en particulier par la peur de l’autre sexe.
À partir de Perrault, créateur du conte littéraire,
Ainsi, « les contes de fées contribuent [...] à la
il permet variantes et réécritures, symbolisées,
croissance intérieure de l’enfant ». Par ailleurs, sa
par exemple, pour la réécriture du contenu par
lecture du conte s’adapte à sa maturité : « L’enfant
Grimm ou pour la reprise du schéma narratif par
saisira des significations variées du même conte
Andersen.
selon ses intérêts et ses besoins du moment. »
Enfin, le conte transmet à chaque enfant tout un 5. Le classement des contes dans les œuvres d’art
patrimoine littéraire, « notre héritage culturel ». présente des avantages. Tout d’abord, la liberté
Il lui apprend enfin à distinguer le bien et le mal, et la variété des interprétations par le lecteur,
car il fait son « éducation morale ». sa construction psychologique ou culturelle,
sa formation morale. Il faut y ajouter aussi sa
2. Le conte doit se faire extrêmement séduisant
(re)connaissance du beau à travers « ses qualités
pour parvenir à ce que l’enfant y adhère totale-
littéraires ».
ment. Mais cette adhésion rencontre plusieurs
obstacles. Tout d’abord, l’enfant reste soumis à ses
parents et ne peut avoir l’indépendance d’esprit ÉCRITURE
nécessaire à cette démarche. Par ailleurs, il est Dissertation
confronté à de nombreuses peurs, comme celle
Le sujet se borne à une seule étape de la disserta-
de la compréhension de la sexualité qui le bloque
tion, soutenir la thèse de B. Bettelheim : le conte
jusqu’à ce qu’il ne voit « plus dans l’autre sexe
de fées participe à la formation de l’enfant. On
quelque chose de menaçant ou de démoniaque ».
reconnaît là le débat sur l’efficacité pédagogique
Alors seulement, cette étape dépassée, il peut
de ce genre, déjà débattue au xviiie siècle. Il s’agit
éprouver « le plaisir et l’enchantement ».
donc de rédiger un seul paragraphe (une sous-
3. Dans le conte La Belle et la Bête, l’homme partie). La consigne invite aussi explicitement
veut séduire une jeune fille, mais il apparaît tout l’élève à faire référence au conte étudié, Riquet à
d’abord comme un véritable monstre, terrifiant et la houppe et à ceux qu’il connaît personnellement.
menaçant. La jeune fille ne se laisse conduire vers Thèse : le conte participe efficacement à la for-
lui que sous la contrainte et pour sauver son père mation de l’enfant.
178 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
Tableau d’analyse avant rédaction :
Idées Exemples
Le conte aide Dans Riquet à la houppe, le petit enfant retient le merveilleux (la métamor-
à se construire phose, le repas de noces) qui a le pouvoir d’expliquer le monde adulte. Un
selon son âge. enfant plus âgé comprend le pouvoir de l’amour qui transforme le monde
et le fait accepter malgré ses laideurs.
Le conte donne une Dans Peau d’Âne, le lecteur entend et comprend le tabou absolu de l’inceste.
formation morale.
Le conte aide Dans La Belle et la Bête, l’enfant comprend qu’il ne faut pas avoir peur
l’enfant à surmonter d’une sexualité adulte et librement consentie. Dans Le Petit Poucet, le
ses peurs. comportement du héros fait comprendre à l’enfant qu’il est possible,
malgré ses faiblesses, d’affronter le monde et d’y vaincre.
Le conte transmet À propos du Petit Chaperon rouge, le lecteur découvre les variantes littéraires
une culture de la même histoire, mais peut aussi enrichir cette connaissance des adap-
littéraire. tations cinématographiques qui ne cessent d’en être faites. Il confrontera
donc ces réécritures à sa propre interprétation critique du conte.
Organisation du paragraphe : une première phrase annonce la thèse soutenue. Puis, la démonstration
est faite de façon organisée en s’appuyant sur des exemples présentés et commentés. Une dernière
phrase fait le bilan de la démonstration.
⁄¤ Voltaire, Zadig
ou la Destinée, 1748
Objectifs et présentation de la séquence p. ¤›∞
Livre de l’élève p. ¤›∞ à ¤∞¤
Prolongements
– MOUSSA Sarga, Littérature et esclavage xviiie-xixe siècles, Desjonquères, coll. « L’Esprit des lettres »,
2010
– Codes noirs, de l’esclavage aux abolitions, Dalloz, 2006
– Le site de l’exposition de la BnF « Lumières ! » est très précieux : http://expositions.bnf.fr/lumieres/
– Toujours sur le site de la BnF, un parcours pédagogique très intéressant sur l’esclavage : http://
expositions.bnf.fr/montesquieu/themes/esclavage/index.htm
‹ évoltes à bord
R
d’un négrier p. ¤∞8-¤∞·
Objectif : comparer le traitement du motif
soutenu dans sa révolte par la puissance des élé-
ments naturels, qui se déchaînent contre le navire.
› L a fiction comme
arme de dénonciation
p. ¤6‚-¤6⁄
planche consiste surtout dans la superposition sur
les mêmes images de deux mondes antagonistes,
celui des esclaves soumis et torturés, et celui des
Blancs dominateurs qui arpentent leur domaine
et jouissent du travail forcé des autres.
Objectif : comprendre comment
des œuvres de fiction peuvent être
des outils de compréhension du réel. LECTURE DU TEXTE
3. L’horreur de la situation vient du décalage entre
l’idée fondamentale et universelle de la justice,
ÉTUDE DE L’IMAGE consistant à garantir à chaque homme des droits
1. La planche fonctionne selon le principe du
fondamentaux, notamment l’intégrité physique,
contrepoint. Aux images quasiment documen-
et le crime qui va être commis sur les esclaves en
taires montrant les conditions de vie des esclaves
les amputant de la jambe gauche. Ce crime n’est
et les châtiments que les colons leur infligent,
évidemment en rien atténué par le fait qu’il soit
répondent celles qui montrent le groupe de Blancs
ordonné par une décision de justice et exécuté
dont fait partie l’héroïne. Tout en étant confronté
par un chirurgien compétent. La barbarie n’est
à cette réalité cruelle, il perçoit ce parcours sous
pas uniquement dans la manière dont le châti-
l’angle de l’exotisme et du tourisme.
ment est infligé, mais dans les raisons mêmes
La vignette 2 est à ce titre particulièrement frap-
qui le rendent possible. Ce passage illustre bien
pante : le groupe des visiteurs blancs, à peine
la différence radicale entre la justice rendue au
visible à l’arrière-plan (on distingue la robe jaune
nom de principes universels garantissant l’égalité
d’Isa derrière le supplicié), se mêle au spectacle de
de tous devant la loi, et une prétendue justice à
la torture au deuxième plan, et à la vie quotidienne
sens unique, ne servant que le droit des Blancs à
sur l’île avec la femme qui porte des fruits sur sa
opprimer d’autres hommes. Celle-ci ne peut avoir
tête au premier plan à gauche.
d’autre nom que la barbarie. Esteban, qui défend
Cette planche est conçue comme une illustration
les idées des Lumières, perçoit ce paradoxe, ce qui
du journal d’Isa, qui est cité entre guillemets dans
provoque en lui une douleur morale insupportable.
les cartouches en haut de chaque case. Seules les
vignettes 6 et 7 intègrent du discours direct. Dans 4. Esteban croit à la force des idées, à leur diffu-
toutes les autres, le texte et l’image naviguent entre sion, et, finalement, à leur conversion en actes,
le récit subjectif d’une expérience individuelle et en lois et en réformes aboutissant au progrès
la description des conditions de vie des esclaves. moral et social. Même si son geste est maladroit,
Les extraits du journal d’Isa traduisent son et probablement peu efficace, il correspond à
ambiguïté en tant qu’héroïne. Scandalisée par une réaction affective immédiate à la suite de
194 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
l’horrible scène à laquelle il vient d’assister. Cette détache un groupe de quatre musiciens et chan-
distribution de textes traduit sa foi en un combat teurs, en position centrale sur le tableau. Sur le
qui passe d’abord par les mots et l’écrit, fidèle en plan suivant, en se rapprochant du spectateur, on
cela à l’esprit des Lumières. observe un danseur à droite, et une danseuse de dos
à gauche, de part et d’autre du groupe formé par les
musiciens. Au premier plan, apparaît une corbeille
ÉCRITURE
de fruits. On remarque que certains danseurs sont
Sujet d’invention noirs, d’autres probablement métis ou quarte-
On pourra guider les élèves en leur proposant rons. La composition met en valeur la notion de
certaines des questions posées à l’auteur : spectacle offert aux colons, les deux danseurs et
– Pourquoi avoir représenté les conditions de vie les musiciens délimitant un espace scénique qui
des esclaves en bande dessinée ? est fermé au premier plan par « l’offrande » que
– Quelle est la position de l’héroïne par rapport constitue la corbeille de fruits exotiques.
à l’esclavage sur cette planche ? Il s’agit, au premier abord, d’une représentation
– Pourquoi avoir choisi à certains moments des très convenue du folklore des esclaves, et d’un
gros plans, à d’autres des plans plus larges ? tableau dont la vocation essentiellement déco-
– Quel est l’intérêt des cartouches sur chaque rative pourrait être de trouver place dans le salon
vignette ? d’un colon antillais. Les positions, les mouvements
– Faut-il, d’après vous, plutôt évoquer l’esclavage et les expressions des musiciens et des danseurs
par la fiction ou par une analyse historique et ont l’air retenus et composés uniquement dans
documentaire ? le but de plaire aux propriétaires. Les esclaves
– Comment avez-vous procédé pour représenter la portent des vêtements où le blanc domine, et
vie quotidienne sur une île pratiquant l’esclavage contraste élégamment avec la couleur de leur
au xviiie siècle ? peau ou l’arrière-plan végétal. Tout est fait pour
créer une illusion d’harmonie et d’allégresse, pour
Prolongement idéaliser l’univers des esclaves qui ne donnent
THIÉBAUT Michel, Les Chantiers d’une aventure. pas l’impression de souffrir de leurs conditions
Autour des Passagers du vent de François Bourgeon, de vie. Il ne s’agit pas d’un tableau réaliste, mais
Casterman, 1994 bien d’une interprétation orientée de la réalité.
Un ouvrage très complet sur la dimension his-
torique de l’ouvrage et sur l’élaboration du cycle 2. C’est un élément frappant, en rupture avec
des Passagers du vent. On peut se référer notam- l’idéalisation précédemment évoquée. Les regards
ment aux pages 95-96 qui concernent la planche sont comme déconnectés les uns des autres, alors
étudiée. même que la danse devrait les réunir. Le regard
de la femme qui chante à gauche sort du champ
du tableau, et semble presque inquiet. Les deux
∞ anses d’esclaves
D
et aspiration
à la liberté p. ¤6¤-¤6‹
autres musiciens orientent eux aussi leur regard
hors champ, vers la gauche, avec une tristesse
perceptible. Le percussionniste regarde vers le
haut, comme dans une invocation spirituelle. Le
danseur à droite regarde lui aussi dans cette même
direction. La danseuse, quant à elle, regarde vers
Objectif : découvrir, au-delà de l’aspect
la droite. Les regards « pointent » donc tous vers
folklorique, comment la danse peut être une
une direction autre que celle du spectateur, comme
forme de résistance. s’ils fuyaient l’ici et maintenant, la réalité et le
bonheur artificiels qu’on leur demandait de jouer.
Danser pour retrouver ses racines
3. Les regards éteints ou inquiets, sur lesquels on
p. ¤6¤ pourrait presque lire la perte des origines et le
déracinement, semblent chercher hors du cadre
LECTURE DE L’IMAGE du tableau le paradis perdu. Cette impression
1. Sur un arrière-plan montrant une végétation d’absence est accentuée par la position de la
assez dense, mais indistincte par endroits, se danseuse, de dos, ce qui peut surprendre sur ce
La capoeira :
6 eprésenter l’injustice
R
de l’esclavage
au cinéma p. ¤6›-265
de la révolte physique à Objectif : comprendre, à travers
la danse contemporaine p. ¤6‹ la représentation d’un procès, l’histoire
de la lutte des Noirs américains
pour leur liberté.
ÉTUDE DES IMAGES
1. Éléments caractéristiques d’un combat : LECTURE DES IMAGES
– la position des corps, incliné vers l’avant dans 1. Le héros, Cinque, est cadré en gros plan,
une position de défense pour l’un, redressé et avec une très faible profondeur de champ, ce
prenant de l’élan avant d’attaquer pour l’autre ; qui détache l’expression de son visage de l’arrière-
– les poings fermés et les bras tendus ; plan et fait ressortir également le lien autour de
– l’expression du visage des deux combattants ; son poignet, qui symbolise sa captivité. La position
– la position de spectateur des autres personnages particulière de son bras gauche, sur lequel il laisse
(une femme fume la pipe, un homme à gauche reposer sa tête exprime tout à la fois l’incompré-
applaudit, celui qui porte un haut-de-forme semble hension, la colère et la lassitude face à la cruauté
encourager les lutteurs en levant les bras, etc.). de sa situation.
2. La récurrence de duos entre hommes, dans 2. Sur le photogramme B, le cadrage en plan
une position de défi, l’exécution de mouvements rapproché souligne l’impression d’alignement des
circulaires et répétitifs en équilibre, la position esclaves. La profondeur de champ assez faible laisse
⁄› Le goût de la science
au siècle des Lumières
Présentation et objectifs de la séquence
Livre de l’élève p. ¤6‡ à ¤‡¤
p. ¤6‡
La science entretient des liens évidents avec les Lumières, mouvement philosophique et littéraire qui
prône la supériorité de la raison sur les dogmes, les préjugés et les superstitions. La science se confond
étymologiquement avec l’idée même du savoir, avant que le terme ne prenne le sens plus spécifique
de connaissances vérifiées par des expériences. Mais au-delà de ces affinités de nature entre la science
et les Lumières, le xviiie siècle fait preuve d’un engouement exceptionnel pour l’expérimentation et
les découvertes scientifiques. Les grands esprits du siècle pressentent les immenses progrès sociaux,
économiques, médicaux ou industriels que la science porte en germe. Elle devient également un
phénomène à la mode, se piquer de connaissances en astronomie ou posséder un cabinet scientifique
étant du meilleur goût dans la noblesse ou la bourgeoisie éclairée.
Cette séquence d’histoire des arts entreprend de mieux comprendre les manifestations et la finalité
de ce goût pour la science.
Le début de la séquence aborde l’idéalisation de la science à travers le tableau de François de Troy
et l’enthousiasme de Voltaire à propos de Newton.
L’étude d’un extrait de Ridicule de Patrice Leconte et de l’anecdote de la dent d’or de Fontenelle
permet de percevoir le triomphe de la science sur la superstition, et l’optimisme rationaliste carac-
téristique des Lumières.
Prolongement
On ne peut que recommander, une fois encore, le site de l’exposition de la BnF « Lumières ! », et en
particulier la partie consacrée à la science :
http://expositions.bnf.fr/lumieres/arret/03_2.htm
¤ L e triomphe
de la science
et de la raison
LECTURE DES TEXTES
1. Fontenelle se moque des faux savants en faisant
feu de tout bois. Des lignes 7 à 12, il les affuble de
noms ridicules, aux consonances peu aimables :
Libavius ne bave-t-il pas des inepties, comme
p. ¤‡‚-¤‡⁄ le Pangloss de Voltaire ? Les noms sont de plus
en plus impossibles à prononcer (Ingolsteterus).
Objectif : comprendre le lien entre La surenchère comique joue ici pleinement. La
la science et l’idéal rationaliste des Lumières. terminaison latine en -us (Horstius, Rullandus,
Libavius) évoque davantage le latin macaronique
ÉTUDE DES IMAGES des médecins-charlatans de Molière que le sérieux
1. Sur le premier photogramme, on identifie en universitaire, malgré le titre ronflant dont chaque
gros plan la grenouille occupant tout le champ, savant se pare (« professeur en médecine dans
sur le second, un plan américain, coupant les per- l’Université de Helmstad »). En effet, l’incohé-
sonnages à la cuisse ou au genou pour le second. rence de leur démarche est soulignée d’entrée : ce
Pour le troisième, le réalisateur a recours à un grand débat scientifique, qui mobilise les savants
plan rapproché coupant le personnage au niveau de toutes les universités européennes pendant des
de la poitrine. années (cf. les dates et indications temporelles
200 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
ponctuant le récit), a pour origine une rumeur. – l’affirmation que la démarche scientifique est
On relève : « En 1593, le bruit courut » (l. 5). constitutive de l’humanité. Ceux qui ne l’ad-
Avec des bases aussi peu solides, nul ne s’étonnera mettent pas subissent la honte du « ridicule » (l. 4
du caractère illogique de leur argumentation. La du texte de Fontenelle). Les sciences « nous ont
palme du grotesque revient à Horstius, persuadé appris les devoirs de l’humanité » pour Jaucourt,
que la dent miraculeuse est un don consenti par et correspondent à une seconde naissance selon
Dieu aux chrétiens malmenés par les Turcs. Le Albert Jacquard ;
conteur achève leur portrait par une remarque – le principe de l’élévation spirituelle propre aux
lapidaire : « Il ne manquait autre chose à tant esprits scientifiques. Les sciences « ont arraché
de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la notre âme des ténèbres » pour Jaucourt ; elles
dent était d’or » (l. 15-16). Faut-il souligner que permettent de connaître « la vérité du fait »
l’adjectif « beaux » est lourdement ironique ? pour Fontenelle, et font entrer les hommes dans
On connaissait le dicton « menteur comme un « l’aventure de la connaissance » pour Albert
arracheur de dents ». On peut demander aux Jacquard.
élèves d’en inventer de nouveaux pour fustiger Les trois auteurs proposent donc une définition
ces affabulateurs d’un genre particulier, spécialistes avantageuse de la science, mais le texte d’Albert
« ès dents d’or ». Jacquard, qui ne peut faire abstraction des dérives
L’orfèvre adopte une démarche expérimentale : socio-économiques propres au xxie siècle, tempère
avant d’émettre des théories, il observe, recueille cet optimisme en affirmant que la compétition
les faits, les juge, comme en témoigne le verbe individualiste à l’œuvre dans le monde contem-
« examiner ». Ensuite, il émet une hypothèse porain est un frein sérieux à l’épanouissement de
et la vérifie au moyen d’une expérience toute l’esprit scientifique.
simple : gratter la dent pour vérifier si elle n’est
pas enrubannée d’une feuille d’or « appliquée ÉCRITURE
[...] avec beaucoup d’adresse » (l. 17). Une fois la
supercherie démasquée, la vérité peut triompher. Sujet d’invention
Pour guider les élèves, on leur suggérera les élé-
2. Selon Albert Jacquard, la démarche scienti-
ments suivants :
fique est fondatrice de l’identité humaine. Un
– proposer une définition personnelle de la
homme n’advient véritablement à lui-même que
science, à partir de la séquence ;
par l’« activité intellectuelle fondée sur la rigueur »
– ne pas oublier qu’une encyclopédie au sens du
(l. 1). La métaphore de la seconde naissance se
xviiie siècle peut laisser transparaître l’implica-
comprend alors à la lumière de l’effort nécessaire
tion du locuteur. On incitera les élèves à justi-
pour chaque individu afin de « participer à l’aven-
fier l’importance de la science en collectant les
ture humaine de la connaissance ».
arguments dans les textes de la séquence, ainsi
3. Les trois textes proposent une conception que dans les réponses aux questions ;
très élogieuse de la science. Parmi les éléments – pour ce qui est de l’éducation à la science, on
communs, on pourra notamment citer : conseillera aux élèves de lire des extraits des Cinq
– l’idée d’une démarche rigoureuse permettant de mémoires sur l’instruction publique de Condorcet,
remonter des conséquences aux causes (« toutes en particulier du troisième où le bénéfice de l’édu-
choses hautes et basses, premières, dernières et cation à la science est clairement évoqué ;
moyennes » dans le texte de Jaucourt, « Assurons- – les exemples ne manqueront pas, des progrès de
nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la médecine dans les domaines de la génétique
la cause » dans le texte de Fontenelle, et « activité à l’exploration de l’espace rendue possible grâce
intellectuelle fondée sur la rigueur » dans le texte à la puissance des calculateurs informatiques et
de Jacquard) ; des technologies de guidage et de propulsion.
⁄∞ Lutter contre
les injustices
Présentation et objectifs de la séquence p. ¤‡‹
Livre de l’élève p. ¤‡‹ à ‹‚‚
La séquence intitulée « Lutter contre les injustices » propose aux élèves de découvrir comment les
auteurs ont pu mener des combats sous l’Ancien Régime, quelles formes l’argumentation a pu
prendre alors même que la liberté d’expression et la circulation des idées étaient entravées.
Deux corpus complémentaires sont proposés : le premier s’attache plus spécifiquement à la parole
judiciaire ou sociale, et donc à l’argumentation directe, le second fait davantage appel à la fiction
et même à l’utopie. L’argumentation est alors indirecte.
– Le premier corpus s’intéresse à la place de la parole et à son rapport avec la justice. La plupart des
textes sont avant tout destinés à être prononcés : plaidoyers, discours politiques ou tirade classique.
Ils mettent en œuvre des procédés argumentatifs variés et donnent la parole à la « défense » de
victimes, mais aussi de coupables, avec Milon et Horace. Voltaire, Hugo et l’abbé Pierre mettent
en lumière l’injustice et une forme de « massacre des innocents ». Théophile de Viau se défend lui-
même contre les accusations d’athéisme.
– Le second corpus s’attache à la notion d’utopie. Le genre permet de s’évader hors d’un monde
dominé par le pouvoir royal, centralisateur et absolutiste. Contrées lointaines et univers imaginaires
autorisent la liberté et une représentation critique de la société. Fénelon oppose le retour à un âge
d’or à la société de cour. L’île permet à Marivaux d’inverser la hiérarchie sociale entre maître et valet.
Avec L.-S. Mercier, l’utopie quitte les contrées lointaines, et se recentre sur la capitale pour faire
imaginer la nouvelle cité politique. Rétrospective et nostalgique, l’utopie est devenue prospective et
prophétique. Liée à l’imagination, l’utopie appelle également l’étude de la représentation des univers
imaginaires grâce à la peinture ou aux arts graphiques. Enfin, le genre de l’utopie ne se comprend
que par rapport à son inverse : la contre-utopie ou dystopie.
Objectifs :
– Analyser une représentation picturale
Nicolas Poussin, de l’injustice.
– Étudier la composition de l’image.
Le Massacre – Décoder sa portée symbolique.
des Innocents, 1625 – Contextualiser la lecture de la toile
à partir d’éléments historiques, esthétiques
p. ¤‡›-¤‡∞ et religieux.
⁄
provoquent plus facilement l’admiration en étant
Cicéron, Pro Milone, forts et hautains face à la mort, qu’en implorant
52 avant J.-C. p. ¤‡8 le droit à la vie. Milon doit donc être sauvé pour
son courage face à l’adversité. Le second argument
Objectifs : consiste à donner la parole à Milon, puisqu’il ne
– S’interroger sur le rôle de l’avocat parle pas (l. 16 à 19). C’est l’occasion pour Cicéron
dans un procès, en particulier lorsque de prêter à son client des paroles de concorde,
l’accusé est coupable. pour ses « concitoyens » (l. 17) et pour la ville
– Analyser la stratégie argumentative toute entière (l. 18).
de Cicéron et la parole de la défense. 4. Cicéron veut provoquer la compassion de son
– Comprendre la place de l’argumentation auditoire. Avec l’utilisation du pronom personnel
et de l’art oratoire dans la justice. « nous » et de l’adjectif « tous » qui réunissent
ici ceux qui écoutent et celui qui parle, mais
Défendre un coupable aussi l’appel aux larmes, l’avocat fait appel à la
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE sensibilité. Il ne s’agit plus ici de convaincre, en
1. L’extrait du Pro Milone nous donne à lire la raisonnant et en analysant, mais de persuader du
parole d’un avocat, Cicéron, qui doit défendre un côté pathétique de la situation.
homme coupable d’homicide. Il ne s’agit aucune- 5. En l’absence d’un coupable repentant, Cicéron
ment pour lui de le nier ni de chercher quelque doit se mettre en scène pour attirer l’attention et
excuse que ce soit à Milon dont la culpabilité l’indulgence des juges. Il se met en scène éprouvant
n’est pas discutée. On comprend alors que l’avocat la compassion que ne montre pas Milon. Ainsi,
doit dans cette situation jouer sur d’autres terrains il pleure avec les juges (« au milieu des pleurs
pour émouvoir les juges et les sensibiliser au sort que nous versons tous », l. 4-5), il se place aussi
de Milon, malgré son geste. La mise en scène de dans la situation de celui qui ressent de la pitié
Cicéron et celle de son client sont ici centrales. pour les gladiateurs « pleins de courage et de
résolution » (l. 11) et pousse les juges à faire de
LECTURE DU TEXTE même en les incluant dans le pronom personnel
2. L’orateur s’implique fortement dans son dis- « nous » (l. 9 à 13). Enfin, il se présente comme
cours, comme le montrent les occurrences de meurtri par les paroles que lui a confiées Milon :
la première personne du singulier (l. 1, 3, 14 et « elles me déchirent sans cesse le cœur et me
15), mais il interpelle encore plus les juges par tuent » (l. 14-15), métaphore hyperbolique qui
l’utilisation des pronoms de deuxième personne du montre la douleur de l’avocat. Cicéron joue donc
pluriel (l. 1, 3, 5) et l’impératif (l. 6). Mais le cœur essentiellement sur son propre ethos, c’est-à-dire
du texte est occupé par la première personne du sur sa personnalité, pour faire pencher les juges
pluriel (« nous », l. 9 à 13), dans laquelle Cicéron du côté de Milon. Les faits sont contre lui et il
veut réunir tout à la fois les juges et lui-même ne montre ni regret ni compassion.
dans une vision commune. C’est une stratégie
6. Finalement, la péroraison de Cicéron est ori-
de l’avocat pour réunir les avis, les jugements et
ginale : l’avocat ne cherche pas à démontrer
faire partager sa vision des choses.
l’innocence de Milon – il ne l’est pas – ni à soutenir
3. Manifestement, Milon n’a éprouvé aucune une démarche de regrets – Milon n’en a pas. La
attitude de remords et son attitude lui est défa- seule stratégie qui reste possible est celle de la
vorable : « son visage n’a pas changé, […] sa mise en scène de l’avocat lui-même qui prend une
voix, et son langage sont toujours fermes et tou- position compassionnelle, se met à la place des
jours assurés » (l. 5-6). Cette attitude s’oppose à juges, partage leur point de vue pour les pousser
celle de Cicéron et des juges qui, eux, pleurent à adopter le sien. Cicéron donne aussi la parole
(l. 4-5). Cicéron renverse les apparences et c’est à Milon par procuration et lui prête des paroles
son premier argument : Milon adopte une attitude apaisantes, propres à toucher les juges là aussi.
15 Lutter contre les injustices | 205
Au fond, la défense ne repose ni sur les faits ni « bruits infâmes » (l. 1), le verbe « déguiser » (l. 1),
sur la repentance du coupable, mais bien sur le le substantif « diffamation » (l. 7) ou encore la
talent de l’orateur. métaphore « profanant la chaire de vérité » (l. 7).
Mais il s’agit aussi d’« injures » (l. 9) : « athée »
et « impie » (l. 10). Il décrit les faiblesses dont
ÉCRITURE
ont abusé ses détracteurs : « le peu de nom que les
Sujet d’invention lettres m’ont acquis » (l. 3), « le peu de rang que
Une grande liberté peut ici être laissée aux élèves ma condition me donne dans la fortune » (l. 3-4),
qui peuvent : rapprochant ce combat d’un combat de classes
– exprimer le rejet de cette plaidoirie, au nom des sociales, lequel n’est pas à armes égales et même
faits évoqués et du crime de Milon ; d’une « grande facilité » (l. 2) selon le poète pour
– mais aussi choisir d’entendre les arguments de ses ennemis. Il s’agit donc d’isoler un homme plus
Cicéron et d’adhérer à sa position. faible et de le diffamer. Mais Théophile de Viau
On sera sensible à la capacité des élèves à prendre les accuse aussi d’avoir manipulé la Bible (l. 8-9).
en compte les deux versants proposés dans le Il dénonce donc un mécanisme de complot contre
libellé du sujet pour l’argumentation : persuader lui, seul et « sans défense » (l. 4).
et convaincre.
3. Son discours fait le portrait d’une victime. Il
a contre lui des hommes plus fortunés (l. 3-4)
et dont la réputation est plus importante que
¤
la sienne (l. 3). Théophile de Viau est « sans
Théophile de Viau, défense » (l. 4) face à une attitude au contraire
« Apologie au roi », très offensive, comme le souligne le champ lexical
de l’attaque : « persécuter » (l. 3-4), « attaquer »
1625 p. ¤‡· (l. 5), « animosité » (l. 13). Il dénonce même
l’attitude de ses opposants qui adoptent une pos-
Objectifs : ture qui va à l’encontre des principes de l’Église et
– Comprendre les enjeux de l’athéisme de la vérité (l. 5 à 8) et retourne leur argumentaire
au xviie siècle et la difficulté de l’expression en les accusant (l. 15-16) de valider l’existence
d’idées condamnées à l’époque. des athées par leurs attaques. Il en tire même dans
– Analyser la stratégie argumentative sa dernière phrase une maxime qui met en avant
de l’écrivain qui s’adresse au pouvoir royal. l’« ignorance » (l. 18) de ses opposants.
– Analyser un plaidoyer.
4. Théophile de Viau en s’adressant directement
au roi cherche à diviser ses adversaires et à se pré-
La défense d’un proscrit server de toute démarche d’opposition politique.
LECTURE DU TEXTE Il dénonce une attitude religieuse mensongère
1. Le paratexte et les repères historiques à gauche et diffamatoire à son égard, et ignorante sur la
du texte aident à comprendre le problème posé question de l’athéisme à la fin de l’extrait. Il ne
par la position religieuse de Théophile de Viau. Le prend pas la peine d’affirmer ses idées, ce qui
libertinage et l’athéisme s’opposent frontalement serait de toute façon condamnable, mais dénonce
aux pouvoirs qui régissent la société de l’Ancien l’animosité dont il est l’objet. En choisissant cette
Régime : pouvoir politique du roi, dans un régime démarche et en appelant la clémence du roi, il
monarchique, pouvoir religieux de l’Église, la se présente comme une victime et non comme
monarchie étant « de droit divin ». Autrement un adversaire du pouvoir monarchique. Il peut
dit, revendiquer l’athéisme est une provocation prétendre ainsi à renverser l’opinion publique.
qui ne peut être ignorée par le pouvoir puisque cela
5. Le pronom indéfini « on » a justement l’avan-
remet en question sa légitimité. La condamnation
tage de ne pas définir ce qu’il représente. Il permet
est la seule réponse possible.
à l’auteur de ne pas préciser de qui il parle. Cela
2. Théophile de Viau dénonce dans son texte la lui évite de désigner un adversaire et permet tout
persécution dont il a été la victime. Il se dit victime à la fois à chaque lecteur de se sentir concerné, et
du mensonge, comme le montrent l’expression ici un peu coupable de complicité (l. 7).
206 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
6. En présentant ses accusateurs comme des affa- demandé auparavant Valère : « [Valère] demande
bulateurs, prêts à s’attaquer à plus faibles qu’eux ma mort, je la veux comme lui » (v. 17). Et c’est
et à commettre une injustice, Théophile de Viau par là que sa tirade est une défense : il veut la mort
dresse un sombre tableau du pouvoir religieux de pour « sauver » (v. 21) sa propre gloire. Ainsi, le
son époque. Ce faisant, par contraste, il fait une texte révèle le paradoxe du personnage : alors que
apologie, mais seulement en creux, de l’athéisme. Horace est bien le meurtrier de sa sœur, sa mort
serait moins un châtiment royal qu’un choix qui
HISTOIRE DES ARTS souligne son orgueil et son ambiguïté.
7. Le détail choisi est le bas du tableau, le haut
représentant la Vierge et les saints Anselme et
Martin. Le sort réservé aux athées sur ce détail LECTURE DU TEXTE
témoigne de la violence qui leur est faite. Nul 2. Le peuple est évoqué à partir du vers 26. Horace
dialogue ici entre croyants et non-croyants, mais en dresse un portrait peu flatteur : il ne s’inté-
au contraire des livres brûlés en raison de leur resse qu’à l’« écorce » (v. 26), aux « dehors »
fausseté. L’accumulation désordonnée des corps (v. 28). Le héros dénonce le manque de pro-
mêlés aux livres dit assez qu’il faut bien confondre fondeur d’un peuple qui finalement ne s’arrête
les uns et les autres et leur accorder le même qu’aux apparences. Mais il va plus loin : le peuple
sort. Ici, il s’agit avant tout de détruire, de faire demande beaucoup aux héros : de la constance,
disparaître. des « merveille[s] » (v. 34), nulle action qui ne
soit « pleine, haute, éclatante » (v. 30). Horace
ÉCRITURE prend position et sait qu’il va décevoir : plusieurs
formules marquent la déception possible. La tirade
Commentaire met en lumière une opposition entre les souhaits
Les élèves peuvent réinvestir les réponses aux du peuple marqués par l’absolu : « tout » (v. 26),
questions posées, en suivant par exemple le plan « un même cours » (v. 28), « toujours » (v. 29),
suivant : « Tout » (v. 31), « en tout temps, en tous lieux »
I. La stratégie de l’auteur (v. 31), « sans cesse » (v. 34) et les faiblesses du
a) Théophile de Viau persécuté (questions 2 et 5) héros. Ainsi, Horace reconnaît ses limites et
b) Théophile de Viau, victime, se défend… dénonce l’amnésie du peuple : « Son injustice
(question 3) accable et détruit les grands noms ;/ L’honneur des
c) … pour convaincre le roi (question 4) premiers faits se perd par les seconds » (v. 36-37).
3. Horace est sans conteste un homme violent :
guerrier, il a vaincu en tuant les Curiace, mais
‹ P ierre Corneille,
Horace, 1640 p. ¤8‚-¤8⁄
Objectifs :
il est allé plus loin en tuant aussi sa sœur, veuve
d’un Curiace. Il a ainsi honoré son roi en sauvant
Rome. On peut aussi dire paradoxalement qu’il
est vertueux puisqu’il a placé la raison d'État au-
dessus de son amour fraternel. Dans sa tirade, il
– Étudier une tirade classique. ne nie rien et se soumet au roi jusqu’à souhaiter
– Comprendre la défense d’un coupable sa propre mort (v. 17).
et les ambiguïtés du héros cornélien.
4. Horace fait allégeance à la puissance royale :
Le héros face à la justice royale « Sire, on se défend mal contre l’avis d’un roi ;/
Et le plus innocent devient soudain coupable/
ENTRÉE DANS LE TEXTE Quand aux yeux de son prince il paraît condam-
1. La réponse d’Horace à l’injonction de Tulle, nable » (v. 5-7). On peut à la fois dire qu’il est
« Défendez-vous » (v. 1), peut étonner le lecteur. dans une attitude de soumission. Cependant,
Tout d’abord, il refuse de se défendre face au roi, tout en soulignant la toute-puissance du roi, il
qui pour lui semble déjà l’avoir jugé (v. 7) : « C’est souligne au vers 6 que cela n’écarte en rien son
crime qu’envers lui se vouloir excuser » (v. 8). Il injustice. Son propos est donc aussi perfide car
fait allégeance au roi et lui remet sa vie. D’autre il reconnaît au passage la possible erreur face à
part, Horace veut lui aussi mourir, comme l’a laquelle on ne peut rien. La présence à la rime
15 Lutter contre les injustices | 207
du verbe « obéir », vers 12, résume l’attitude ÉCRITURE
d’Horace, quoi qu’il en pense.
Commentaire
5. Les rimes défendre/entendre, loi/roi et cou-
L’axe de commentaire pourra suivre le plan
pable/condamnable montrent quel est le travail
suivant :
de la versification par Corneille. Ces trois rimes
soulignent le sujet, la défense d’Horace, les enjeux I. Un héros singulier
liés au droit et annoncent le destin d’Horace. a) La reconnaissance du crime commis (question 3)
Ce dernier est prisonnier à la fois de la loi et du b) La souffrance du héros (question 2)
roi, et sa défense se trouve d’emblée entravée c) Une défense qui n’en est pas une (question 1)
par cela, mais aussi par son statut de coupable.
Autrement dit, Horace est inévitablement et
›
d’emblée condamné.
6. En faisant le choix de la mort, Horace ne
V oltaire, Traité
s’abaisse pas. Au contraire, il meurt en héros et sur la tolérance, 1763
évite tout ce qu’il fait dire au peuple à la fin de
sa tirade : « quand la renommée a passé l’ordi- p. ¤8¤-¤8‹
naire,/ Si l’on n’en veut déchoir, il faut ne plus
Objectifs :
rien faire » (v. 38-39). Ne plus rien faire revient à
– Comprendre l’intervention de Voltaire,
faire le choix de mourir. Horace pose la question
écrivain et philosophe, dans une affaire
du devenir du héros après la gloire, du regard
injuste du peuple qui réclame sans arrêt « une judiciaire.
action pleine, haute, éclatante » (v. 30). – Analyser la stratégie argumentative
de l’auteur à l’égard des juges de Toulouse.
7. Au fond, on comprend qu’Horace souffre, – Comprendre comment Voltaire défend
non seulement de devoir se justifier devant le et promeut la tolérance.
roi et le peuple, mais aussi de pouvoir déchoir.
Aussi le choix de la mort s’impose-t-il. On peut
y voir une action orgueilleuse et individuelle, Un combat contre l’erreur
mais aussi y lire en filigrane toute la question du judiciaire
héros cornélien qui, au fait de sa gloire, ne peut ENTRÉE DANS LE TEXTE
plus que redescendre. Et à cela, Horace ne peut 1. Voltaire ne porte pas une parole polémique
se résoudre. qui mettrait violemment en accusation les juges
de Toulouse. Au contraire, il adopte une autre
HISTOIRE DES ARTS
stratégie : ne pas discuter de l’erreur judiciaire,
8. Le tableau de Girodet est inspiré par le sujet de
l’admettre comme acquise et porter le débat sur
concours lancé pour le grand prix de peinture de
la façon de la réparer. En refusant de les accabler,
l’Académie en 1785. Sans y participer, le peintre
il souligne plus fortement encore leur erreur en la
a tout de même réalisé un tableau.
présentant comme indiscutable : « Nous n’avons
Le tableau réunit tous les protagonistes : le père
pas cru offenser les huit juges de Toulouse en disant
d’Horace à gauche, en rouge et gris, sa mère en
qu’ils se sont trompés » (l. 4-5). Il la présente
orange et bleu, et sa sœur Camille en blanc et
comme reconnue par « l’Europe toute entière »
rose. En vert et violet, on perçoit son autre sœur.
(l. 6). Il ne reste plus aux juges qu’à réparer leur
Horace tient son épée à la main droite et est vêtu
erreur.
d’une armure orange, d’une jupe verte et d’une
toge rouge. Girodet choisit deux axes pour mettre
en scène le meurtre de la sœur par le frère : il LECTURE DU TEXTE
recherche l’expressivité des visages et des corps : 2. Voltaire se place avant tout sous l’autorité de
le père, la mère et la sœur de la victime ont les Dieu, premier nom de l’extrait. Il cite ensuite
bras levés vers le ciel et les visages marqués par une lettre anonyme, à partir de la ligne 19, puis
la frayeur. Horace, lui aussi, a le bras droit levé compare son ouvrage aux Lettres provinciales de
vers le ciel et l’épée tendue, son visage est au Pascal (l. 26) et, enfin, il donne la parole à la
contraire déterminé. nature (l. 40 à 50). Il existe une sorte de chemin
6
nature : négative, d’abord (« N’étouffez pas »,
l. 48, « ne le corrompez pas » et « ne substituez Abbé Pierre,
pas », l. 49) et injonctive (« apprenez », l. 49). Le
traité prend alors une dimension plus universelle
Appel du 1er février
et transcendante. 1954 p. ¤8›-¤8∞
5. On peut repérer les métaphores suivantes :
Objectifs :
« ouvert une voie » (l. 6), « Je sème un grain […]
produire une moisson » (l. 36) et de même « un – Étudier deux discours, c’est-à-dire deux
germe » (l. 47). Cela montre bien la volonté de textes destinés à être prononcés par leurs
Voltaire qui veut éveiller la raison en semant auteurs devant un auditoire. Analyser
dans les esprits les germes de la critique afin que la dimension rhétorique des textes.
chacun réfléchisse à la situation. Les métaphores – Montrer que chaque texte adopte
utilisées rappellent celle de la « Lumière », chère une stratégie propre à servir sa visée :
aux philosophes de l’époque. émouvoir et provoquer la réaction
de l’auditoire.
6. Voltaire utilise ici une personnification. La
nature représente Dieu, évoqué au début du texte.
Cela permet à l’auteur de dépasser sa propre voix Discours des misères de ce temps
et de faire entendre un discours plus universel et ENTRÉE DANS LES TEXTES
encore plus convaincant. 1. Les textes de Victor Hugo et de l’abbé Pierre
sont encore actuels. Ils décrivent une misère
qui est toujours présente en France aujourd’hui.
HISTOIRE DES ARTS La situation décrite dans le message radiopho-
7. Le tableau montre Jean Calas de dos à côté nique de 1954 fait écho à la détresse des S.D.F.
de son fils mort, à sa gauche. Ce dernier porte et l’appel à la solidarité et à la fraternité pourrait
encore la corde autour de son cou. Jean Calas a les être repris tel quel par les Restos du cœur ou par
bras ballants et semble impuissant. Face à lui, un d’autres associations caritatives qui prennent
homme le désigne du doigt : il s’agit du capitoul en charge les personnes les plus fragiles et à la
David de Baudrigue. Il l’accuse, on le sait, d’avoir rue. Le discours de Victor Hugo est plus marqué
tué son fils alors que celui-ci voulait se convertir historiquement : il décrit la misère propre au xixe
au catholicisme (la famille est protestante). Le siècle. Les maladies et l’insalubrité sont moins
15 Lutter contre les injustices | 209
présentes aujourd’hui, grâce à une politique de évoque bien la mort d’un écrivain (l. 8) et le sort
santé publique volontariste, mais pour autant, d’une famille, « une mère et ses quatre enfants »
elles n’ont pas totalement disparu. (l. 13), mais il n’y a pas d’autre précision.
5. L’abbé Pierre est un prêtre catholique, un
homme d’Église. Le texte cité date d’une époque
LECTURE DES TEXTES au cours de laquelle la parole religieuse pouvait
2. Victor Hugo évoque à la ligne 10 un écri- encore faire autorité. La parole de l’abbé est écou-
vain mort de faim, « un malheureux homme de
tée parce qu’il représente le désintéressement,
lettres » (l. 8), tandis que l’abbé Pierre évoque
la fraternité à l’égard de ceux qui souffrent et la
d’emblée une femme anonyme morte de froid
solidarité à mettre en marche pour ceux qui le
(l. 2). Ce dernier part du fait divers, tandis que
peuvent. Son statut religieux de prêtre lui donne
Victor Hugo décrit auparavant l’insalubrité qu’il
aussi une dimension particulière, proche du sacré.
constate à Paris. Ce sont deux choix différents :
Il est à l’écart des hommes et délivre une parole
partir d’un cas particulier, ici un fait divers, pour
à laquelle il convient d’être attentif.
l’ouvrir à d’autres situations (abbé Pierre) ou d’une
description plus anonyme et s’appuyer ensuite sur 6. La mise en page du texte montre bien qu’il est
des exemples individuels (Hugo). destiné à être prononcé à la radio : il est formé
de paragraphes courts, qui marquent les respira-
3. L’abbé Pierre s’adresse avec autorité à ses tions de l’orateur, et ce d’autant plus que trois
auditeurs. Il utilise l’impératif : « Écoutez-moi »
paragraphes se terminent par des phrases excla-
(l. 7), « aimons-nous » (l. 19) et « Déposez »
matives. Il y a donc bien des pauses. L’utilisation
(l. 28). Il remercie également deux fois et recourt
des majuscules, lignes 14 et 15, souligne l’acmé du
à l’exclamative (l. 22 et 35). Des formules plus
discours, que sont les mots destinés aux personnes
détournées sont aussi présentes : « Je vous prie »
souffrantes. En effet, il s’agit, entre guillemets, des
(l. 18-19) ou encore « Grâce à vous » (l. 32).
mots qui doivent accueillir les nécessiteux dans
Surtout, le texte est fortement modalisé avec des
les « centres fraternels de dépannage ».
verbes qui marquent l’obligation morale qu’ont
les auditeurs d’agir : « il faut » trois fois (l. 9, 10 7. Les répétitions permettent à l’orateur d’insis-
et 24) et « doit » (l. 17). En somme, l’abbé Pierre ter, mais aussi de rythmer le discours (« il y a »,
amène les auditeurs, assez fermement, à se sentir l. 1-2) et surtout trois fois « je dis » dans le dernier
concernés. Il ne joue pas seulement sur l’aspect paragraphe. Ces répétitions marquent l’existence
pathétique des situations décrites, il veut aussi de la misère, pour la première, et l’implication
mobiliser et faire réagir immédiatement. de l’orateur, pour la seconde. Elles vont éveiller
l’attention de l’auditoire, qui peut être frappé par
4. Le texte de l’abbé Pierre, qui est à l’origine un l’autorité de Victor Hugo dans le dernier para-
discours radiophonique pour Radio-Luxembourg
graphe, soutenue par la répétition de « je dis ».
en 1954, compte un certain nombre d’informa-
tions. Il relate la situation précise de la femme
morte de froid. On comprend qu’elle est décédée HISTOIRE DES ARTS
dans la nuit du 31 janvier au 1er février à Paris, 8. La publicité pour la fondation Abbé Pierre
boulevard Sébastopol. Les références spatiales présente une jeune enfant dans un intérieur insa-
qui suivent, le « Panthéon » (l. 8), la « rue lubre. Elle occupe le premier tiers de l’image.
de la Montagne Sainte-Geneviève » (l. 8-9), La petite fille regarde l’objectif, elle est éclairée
« Courbevoie » (l. 9) et « l’hôtel Rochester, 92 par la lumière de la fenêtre à gauche, au pied de
rue de la Boétie » (l. 28-29), ainsi que les indica- laquelle on voit un petit sèche-linge. À droite,
tions quantitatives pour les couvertures, tentes et un canapé abîmé et une table de salon avec un
poêles ancrent le texte dans le réel et lui donnent biberon. L’arrière-plan est formé d’un mur sombre,
en effet une dimension informative. Le discours abîmé et gribouillé. Le slogan tient en deux
de Victor Hugo n’est pas de même nature : il est phrases, mises sur deux lignes en haut à gauche :
plus littéraire. Il s’agit davantage d’une description « Manon a gribouillé sur le mur. Le reste, c’est pas
pathétique, sans ancrage réel, qui veut toucher elle », et un constat en bas à droite : « 600 000
l’auditeur, ici l’Assemblée nationale, sans prendre enfants victimes du mal-logement » suivi d’une
appui sur des exemples tout à fait identifiables. Il injonction collective : « Agissons ». Le choix de
210 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
l’enfant et le choc entre son univers, à travers le
verbe « gribouiller », enfantin et presque drôle, et ⁄) Onze contre un p. ¤86-¤8‡
l’insalubrité touchent le spectateur. L’enfant est La scène d’où est tirée l’image n° 4 commence
la « victime » (le terme est sur l’affiche) la plus 37 minutes après le début du film.
innocente possible de cette situation.
9. Les élèves trouveront de nombreuses affiches ÉTUDE DES IMAGES
dans le cadre de la Journée mondiale du refus de 1. Les personnages imaginés par Reginald Rose et
la misère. Amnesty International a également repris par Sidney Lumet permettent de représenter
mené des campagnes de publicité. De nombreuses de façon synthétique la société américaine. On
photographies de reporters sont également dispo- y retrouve toutes les catégories socioprofession-
nibles. Pour la peinture, de Bruegel aux réalistes nelles (C.S.P.) : classe populaire avec le chômeur
du xixe siècle, le corpus est tout aussi riche. et le peintre en bâtiment, classe moyenne avec
l’employé de banque et le représentant de com-
ÉCRITURE merce, classe supérieure avec l’architecte. Sont
aussi représentées toutes les générations, ce qui
Sujet d’invention est rendu visible à l’écran par le choix des acteurs.
On laissera un temps de recherche aux élèves afin Ces différences favorisent l’incompréhension
qu’ils s’informent sur des points précis : entre jurés et l’émergence du conflit. Pour autant,
– état du chômage en France (nombre d’individus il faut souligner que le conflit que Sidney Lumet
touchés, quelles tranches d’âge, durée) ; va mettre en scène n’est ni un conflit de classes,
– nombre de bénéficiaires des minima sociaux ; ni un conflit générationnel, car le retraité et le
– revenu moyen, notion de seuil de pauvreté ; jeune chômeur seront les premiers à partager
– nombre de repas distribués par les Restos du l’avis du juré 8, architecte.
cœur, nombre de bénéficiaires et de bénévoles.
Le discours rédigé doit avoir deux dimensions :
– informative, reprenant les éléments trouvés et Prolongement
les mettant en valeur ; Cette question permet de découvrir la notion de
– une dimension plus directement humaine, C.S.P., dans le cadre de l’enseignement d’explo-
propre à susciter la solidarité. ration « Littérature et société ».
2. La quasi-totalité du film, hormis les premières
et les dernières minutes, se déroule dans la salle
‡
de délibération du jury. Il s’agit donc d’un huis
S idney Lumet, clos. Sidney Lumet prend soin de souligner que
Douze hommes la salle est fermée à clé. Ce travail sur l’espace est
une manière efficace de rappeler que les jurés ne
en colère, 1957 pourront sortir avant d’avoir mené à bien leurs
délibérations. Cela renvoie à la définition même
p. ¤86-¤8· du dialogue délibératif : il a pour objectif premier
de faire naître, par la discussion, une décision
collective, dont les enjeux sont lourds. Le huis
Présentation de la séquence clos peut aussi engendrer, chez les personnages
Le film de Sidney Lumet montre comment l’argu- comme chez le spectateur, un sentiment de claus-
mentation permet à un homme, au début seul trophobie. Celle-ci est renforcée par plusieurs
contre tous, de renverser le point de vue de ses procédés particulièrement visibles dans cette
interlocuteurs et d’emporter leur adhésion au scène. Tout d’abord, il n’y a aucune profondeur
terme de longs débats. Il permet ainsi de découvrir de champ : les murs enserrent les personnages et
la puissance de la parole tout en étudiant toutes montrent de façon visuelle l’absence de perspec-
les formes du dialogue argumentatif. Dialogues tive d’avenir à laquelle l’accusé semble condamné
polémique, didactique, dialectique, délibératif : à l’ouverture du film. L’angle de prise de vue
tous sont convoqués pour permettre à l’acquit- (plongée ou contre-plongée) accentue encore
tement de l’emporter. cette impression. En effet, la table de délibération
8 F énelon,
Les Aventures
de Télémaque,
3. Le registre dominant est celui du lyrisme pour
les raisons suivantes :
– la célébration de la nature et l’expression de
l’émerveillement ;
– des thématiques poétiques évidentes (le fleuve,
1699 p. ¤·‚ la pastorale, les origines fabuleuses avec le peuple
de la Bétique) ;
Objectifs : – l’ampleur des phrases, qui crée le sentiment de
– Étudier une utopie en relation la magnificence et de l’emphase ;
avec le mythe de l’Âge d’or. – un texte romanesque qui s’apparente à un long
– Comprendre les fonctions d’une utopie poème en prose.
dans le roman. 4. Le tableau poétique de la nature met en valeur
– Saisir les valeurs qui animent l’idéal la notion de modération et de tempérance. Il est
proposé. programmatique de la peinture de la cité idéale où
– Analyser l’esthétique au service de l’utopie. les richesses (troupeaux, laines fines, mines d’or
et d’argent) n’entraînent aucun abus puisque les
Une société utopique habitants de la Bétique sont soucieux de rester
simples (l. 10) et de conformer l’usage de ces biens
LECTURE DU TEXTE
aux seuls véritables besoins de l’homme (l. 18). Ils
1. L’utopie chez Fénelon repose sur une évasion
en restent à une « vie simple et frugale » (l. 20).
hors du réel par l’imagination. Le roman n’ambi-
Le cadre pastoral pose la relation originelle entre
tionne pas de reproduire le réel, mais d’offrir un
l’homme et la nature. Les habitants de la Bétique
beau rêve qui suscite l’envie d’un autre univers ou
maintiennent cette unité en refusant de passer
d’un monde meilleur. L’auteur tire profit des codes
à un âge d’artisanat (l. 17) et en demeurant des
idéalisants du roman romanesque pour s’autoriser
bergers et des laboureurs (l. 16). Même l’or est
cette incursion dans un monde imaginaire parfait.
tenu pour une matière égale au fer : ils s’en servent
2. L’emploi des adjectifs qualificatifs en fonc- « pour des socs de charrue » (l. 14-15).
tion d’épithète est fréquent dans le texte. Il n’est Le tableau pastoral donne son sens à celui de
presque pas de noms communs qui ne se trouvent l’utopie. En formant le cadre et le contexte de
complétés par un adjectif. la cité idéale, il rend ce rêve séduisant. Le retour
On distinguera : à la nature, sur le mode de la sagesse antique et
15 Lutter contre les injustices | 215
biblique, est aussi une fuite hors de la société du une vision simpliste de la société et de l’évolution
xviie siècle et de ses artifices. Fénelon tente de de l’homme ;
réhabiliter un certain humanisme qui se fonde sur – une vision manichéenne au niveau moral :
les relations entre l’homme et la nature. l’homme de la nature étant considéré comme un
homme bon, celui de la société comme dénaturé
Prolongement (cf. controverse entre Voltaire et Rousseau sur le
On pourrait donner lecture de la parodie que bon sauvage) ;
Voltaire fait de la Bétique et du roman de Fénelon – une utopie qui ne résout pas les problèmes
dans Candide. contemporains.
On pourra montrer aux élèves que cet idéal d’une On veillera à ce que les arguments se répondent et
vie au plus près de la nature est bien éloigné de entrent en confrontation pour créer l’animation
l’écologie actuelle et qu’il repose sur un mythe d’un débat.
culturel, celui de l’Âge d’or, à dimension morale. Différents registres peuvent être convoqués :
5. L’utopie de la Bétique valorise la nature sur lyrique pour célébrer la nature, satirique pour se
la ville, la simplicité sur les richesses, l’activité moquer des arguments et des idées du contradicteur.
agricole sur l’industrie urbaine et le commerce,
le refus de tout ce qui est superflu et inutile, le
naturel sur l’artifice. Le dernier paragraphe offre
une clé pour saisir la visée critique de l’utopie :
« l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles · J. A. Beschey, Paysage
d’Arcadie, xviiie siècle
⁄‚
d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies
et de pierres précieuses, des parfums exquis, des Luc Schuiten,
mets délicieux » est bien celui pratiqué à la cour
de Louis XIV où tous les arts sont mis au service
« Cités végétales »,
des plaisirs et de l’orgueil du roi. mai 2010 p. ¤·⁄
Objectifs :
ÉCRITURE – Découvrir le traitement pictural
Sujet d’invention ou graphique de l’utopie.
Le texte produit devra respecter les codes de – Analyser la représentation d’une nature
retranscription d’un dialogue. idéale à travers l’image.
Pour soutenir les avantages d’une vie au plus près – Comprendre les nouvelles formes
de la nature, on pourra prêter à l’un des deux de l’utopie.
personnages un propos sur :
– les effets néfastes de la vie urbaine et industrielle ; LECTURE DES IMAGES
– la recherche d’un cadre de vie plus en harmonie 1. Le monde urbain imaginé par Schuiten se veut
avec l’homme (temporalité, alimentation) ; attirant et séduisant. Aux espaces complètement
– la préservation du milieu naturel indispensable dominés par le béton, le dessinateur oppose la
à la survie de l’homme ainsi qu’à son équilibre fusion des édifices avec la profusion végétale.
(eau) ; La contre-plongée permet de saisir un espace
– un rapport différent à la nature en fonction des verdoyant et luxuriant. Les formes de la ville
cultures : le modèle des pays du Nord ; épousent les lignes naturelles des arbres. Le carac-
– l’oubli d’une civilisation avant tout rurale avec tère monumental de certaines espèces végétales
ses rites, son réseau de sociabilité, ses modes de vie. inverse les proportions attendues entre la nature
et la ville. Ainsi, le spectateur a l’impression de
Pour en dénoncer les illusions et les naïvetés, le
découvrir une oasis. D’ailleurs, le dessin emprunte
second personnage pourra évoquer :
la représentation de la nature au mythe exotique
– la réalité du cadre rural ou naturel (indus-
des jardins suspendus de Babylone.
trialisation, de fait, des techniques agricoles et
pollution) ; 2. L’Arcadie est un mythe antique et primitif qui
– le danger d’un mythe (l’Âge d’or, l’unité pre- habite l’imaginaire humain. Certes, sa localisa-
mière et primitive avec la nature) qui conduit à tion géographique est possible : l’Arcadie est une
⁄⁄
lignes que dessinent les édifices. Le caractère
ondoyant de la nature envahit tout l’espace urbain.
arivaux,
M
L’imaginaire végétal fonctionne à partir de trois
catégories. L’expansion : la nature recouvre l’inté-
L’Île des esclaves, 1725
gralité de la ville. La profusion par îlot : sur le p. ¤·¤-¤·‹
mode des jardins cachés de l’Orient, le dessinateur
multiplie les oasis végétales. L’élévation : les arbres Objectifs :
s’épanouissent par l’ampleur de leurs branches ou – Découvrir le traitement de l’utopie
de leurs palmes. L’imaginaire de Schuiten pourrait à travers le genre théâtral.
être purement graphique. Toutefois, il s’inspire des – Saisir la visée critique et la portée sociale
conceptions contemporaines de l’art de la végéta- de l’utopie.
tion dans les espaces urbains : l’habillage des parois – Comprendre le renouvellement
par la végétation. Ces techniques dont le musée des contenus de l’utopie à l’âge classique.
Branly donne un exemple célèbre, concourent – Percevoir ce qui relève d’une utopie
à la création de ce que l’on appelle un « mur et d’une dystopie.
⁄¤ L ouis-Sébastien
Mercier, L’An 2440.
Rêve s’il en fût
façon d’exploiter l’espace du quai de Conti. Face
à la rive droite où se trouve le Louvre, symbole
de l’ancien pouvoir royal, le conteur imagine
un hôtel de ville sur la rive gauche (l. 24). Les
raisons de la transformation de Paris deviennent
jamais, 1770 civiles et civiques. Il s’agit de donner au citoyen
tout son rôle et toute sa place.
p. ¤·›-¤·∞ – De la ligne 29 à 39, le narrateur décrit le nouvel
emplacement des statues des rois : celles-ci ont été
Objectifs : démontées des places et ornent les ponts, ce qui
– Comprendre l’utopie des Lumières montre que le pouvoir des rois n’est plus au centre
à travers la fiction de L.-S. Mercier. de la cité. Un bouleversement d’ordre politique
– Identifier la visée critique et la portée explique la nouvelle organisation urbaine.
politique de l’utopie. – De la ligne 40 à 47, le narrateur dévoile la démo-
– Saisir les nouveaux enjeux urbains à partir lition de la Bastille, symbole de l’arbitraire royal.
de la cité imaginée. Les nouvelles valeurs politiques républicaines
– Percevoir les nouvelles dimensions ont conduit à démolir le symbole de l’injustice.
du genre de l’utopie en lien avec le récit L’espace public ouvert, où tout est visible, s’oppose
d’anticipation. à des lieux fermés où règne l’arbitraire.
15 Lutter contre les injustices | 219
3. L’utopie suit donc une progression puisque Le spectateur découvre le monument du Louvre
le nouveau Paris dévoile les nouvelles valeurs : dévasté, à ciel ouvert, en ruine. Le vestige s’appa-
honnêteté, citoyenneté, liberté, justice. La des- rente aux ruines antiques, faisant appartenir le
cription topographique construit un discours Louvre à des temps reculés et désormais révolus.
politique. À chaque étape, le narrateur affirme les On s’y promène comme dans les monuments
nouvelles valeurs qui s’appuient sur une critique antiques de Rome ou de la Grèce. La représen-
systématique des anciens pouvoirs (magistrats tation joue sur la dimension temporelle : un
municipaux, rois, juges iniques). monument qui s’inscrit dans le présent y devient
anachronique. Symbole de l’Ancien Régime, il
4. Le Louvre ainsi que la Bastille symbolisent
se confond avec les antiquités et renvoie à une
l’arbitraire du pouvoir royal. Les deux édifices se
époque lointaine. La peinture se fait fiction et
ressemblent par leur dimension monumentale
exprime l’entrée dans un âge politique nouveau.
et fermée : le peuple n’y accède pas. Les lettres
de cachet évoquées par le narrateur (l. 45) sont
représentatives de ce pouvoir occulte. L’imaginaire ÉCRITURE
de Mercier préfère à ces lieux des espaces ouverts,
Sujet d’invention
libres et transparents. Le Pont-au-Change permet
lui aussi de dénoncer les taxes et les impôts qui Le texte produit devra respecter des contraintes :
accablent le peuple. – énonciatives : les élèves pourront prendre
modèle sur le texte de Mercier qui fait alter-
5. Le dernier paragraphe présente une phrase ner description et discours, ancien et nouveau
complexe avec une proposition principale (« On mondes ;
me dit », l. 40) et cinq propositions subordonnées – descriptives : les textes produits devront exposer
complétives introduites par « que ». une topographie précise de la ville choisie et une
Cet enchaînement de propositions permet au description rigoureuse et significative des lieux ;
narrateur de donner à son discours du souffle – argumentatives : la description devra rendre
et de l’emphase. Les termes placés au début des explicites les valeurs qui animent ce nouvel idéal
propositions subordonnées (« la Bastille » l. 40, urbain.
« les débris de cet affreux château » l. 42, « les
lettres de cachet » l. 45) martèlent et scandent
la critique du pouvoir royal. Les mots-clés qui se
trouvent à la fin des quatre premières propositions
subordonnées (« le Juge des Rois » l. 41, « la
Clémence » l. 43, « publiquement » l. 44-45,
« peuple » l. 45) marquent une gradation qui
⁄‹ Jean-Christophe
Rufin, Globalia, 2004
p. ¤·6-¤·‡
exprime le triomphe des citoyens sur les rois. Ils
permettent au locuteur d’élever le ton. La dernière Objectifs :
proposition subordonnée sert de chute (« la nuit – Comprendre ce qu’est une contre-utopie
des temps barbares », l. 47). ou dystopie.
La structure de cette longue phrase complexe – Évaluer le genre de l’utopie
s’apparente à une période oratoire : et de la dystopie dans la création
– protase ou partie qui permet d’élever progres- contemporaine.
sivement le ton (l. 40 à 45) ; – Saisir la visée critique du texte.
– acmé ou point culminant (« un nom inconnu
au peuple », l. 45) ;
– apodose ou partie concluante (l. 46-47).
Une fable sur la mondialisation
ENTRÉE DANS LE TEXTE
1. Les deux romans prototypiques de la contre-
HISTOIRE DES ARTS utopie (1984, Le Meilleur des mondes) présentent
6. La démolition imaginaire du Louvre correspond un système politique à l’échelle du monde, dominé
à une aspiration profonde à la liberté : liberté des par les pouvoirs de la science au nom du bonheur
mœurs, liberté civile, liberté politique. Hubert des individus, et régissant de façon totalitaire le
Robert donne forme et vision à cet imaginaire. destin de chacun. L’extrait de Globalia vérifie ces
220 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
caractéristiques : le système politique, Globalia, – recours à la propagande, ce que traduit le discours
est le résultat du phénomène de la globalisation de Kate sous l’emprise de l’idéologie dominante ;
et de la mondialisation. Tous les hommes finissent – absence de liberté puisque s’exerce un contrôle
par vivre selon les mêmes principes et les mêmes permanent des individus (Baïkal et Kate veulent
valeurs. inventer un mensonge pour justifier leur sortie
du territoire) ;
– représentation de tout être non conformé sur
LECTURE DU TEXTE
le modèle de Globalia et qui vit dans les non-
2. Le terme est composé à partir de l’adjectif
zones comme un ennemi (cf. réaction de Kate
qualificatif « global » qui indique que le système
aux lignes 48 à 50).
politique s’est étendu sur la majeure partie du
monde et de la planète. L’auteur utilise une finale
latine en -a lui permettant de : ORAL
– passer de l’adjectif à un nom semblable à celui Le débat pourra mettre en valeur l’intérêt de passer
d’un continent (Europa, Africa, Asia, America) ; par la fiction et la contre-utopie pour prendre
– insister sur la signification d’un ensemble d’enti- conscience des risques qu’entraîne une mondia-
tés comprises dans un tout (neutre pluriel -ia en lisation sans prise en compte des singularités et
latin et en grec). des cultures nécessairement diverses et plurielles.
3. À la ligne 16, à partir du discours de Kate com-
menté et critiqué par Baïkal, le lecteur découvre HISTOIRE DES ARTS
le système politique de Globalia qui repose sur 6. L’image empruntée à la bande dessinée La ville
l’extension de certaines valeurs à tous les indi- qui n’existait pas illustre la création d’une ville
vidus de la planète : liberté, sécurité, bonheur. isolée du reste du monde. Placée sous plusieurs
L’idéal politique de Globalia s’appuie sur des bulles, la ville idéale apparaît hors du temps par
principes universels démocratiques, sécuritaires, son architecture. Elle n’a aucune des caractéris-
économiques. Il parvient à s’étendre grâce aux tiques des villes modernes : uniquement composée
phénomènes de globalisation et de mondialisation d’édifices patrimoniaux, on n’y voit circuler aucun
qui, progressivement, réduisent tous les pays au des transports modernes (voitures, trains, avions).
même modèle. Globalia exploite également les Le lieu semble préservé de toutes les atteintes du
pouvoirs du numérique qui donne le sentiment de temps et de la modernité. La clôture sous une bulle
l’ubiquité (« Ouvre ton multifonction, sélectionne gigantesque suggère que la ville présente un sys-
une agence de voyages et tu pars demain dans tème d’auto-organisation qui se suffit à lui-même,
n’importe quel endroit du monde… », l. 22-23). sans contact avec l’extérieur. Le style architectural
s’apparente à l’Art nouveau qui privilégie les lignes
4. L’utopie politique vire au cauchemar et à la naturelles et qui s’oppose à l’univers industriel.
contre-utopie. La globalisation des mêmes modes Les habitants semblent bénéficier d’une lumière
de vie et de pensée crée chez Baïkal le sentiment permanente grâce aux réverbérations du Soleil ou
d’enfermement (« Je te l’ai toujours dit : j’étouffe. des astres sur les parois des bulles. Le personnage
Je ne peux plus vivre comme cela. Je veux aller que nous découvrons semble hors de ce monde
ailleurs », l. 3-4). Le jeune héros dénonce le danger idéal sans pouvoir y accéder.
d’une uniformisation : « Ce sera partout la même
chose. Partout nous serons en Globalia », l. 8-9).
Aux arguments que lui oppose Kate (absence de ÉCRITURE
frontières, liberté de circulation, sentiment de Dissertation
sécurité, bonheur), Baïkal répond par le doute et
La dissertation pourra s’organiser à partir du plan
par la critique : il suspecte dans cette conception
suivant :
du monde les effets d’une propagande et une
1. La littérature peut remettre en cause l’ordre
dictature.
social grâce à :
5. Globalia présente les caractéristiques d’un a) des contre-modèles qui permettent de critiquer
régime dictatorial, voire totalitaire : l’ordre établi (Fénelon) ;
– réduction des individus au même modèle, qui b) des fictions qui subvertissent les rapports
empêche la différence et la diversité ; sociaux par le rire et l’ironie (Marivaux) ;
15 Lutter contre les injustices | 221
c) des utopies qui constituent de nouveaux du « lieu du bon » ou pays du bonheur.
modèles politiques (Mercier). – Dystopie vient de l’anglais dystopia, et est
construit avec le préfixe dys et le substantif topos.
2. La littérature a pour fonction d’aider les
Le préfixe marque une difficulté, un mauvais état.
lecteurs à anticiper les dérives possibles de tout
ordre social : 2. – u ou ou : uchronie, soit une réécriture de
a) en révélant les dangers d’une idéologie par l’histoire, de ce qui n’a pas eu lieu.
le détour d’une contre-utopie (Rufin, Orwell, – eu : euphémisme, soit un mot qui atténue la
Huxley) ; violence du propos.
b) en dévoilant les dangers des utopies politiques. – dys : dysfonctionnement, soit un mauvais
fonctionnement.
3. La littérature propose des représentations
de mondes idéalisés qui excèdent la réalité et 3. Les élèves pourront rédiger un paragraphe qui
qui nous aident à maintenir certaines valeurs : réutilise les mots qu’ils auront trouvés.
a) grâce à des utopies qui idéalisent le rapport
de l’homme à la nature et qui nous font nous
interroger sur l’oubli de dimensions fondamentales Des cités idéales
(Fénelon, Schuiten) ; 1. a et b. – Cosmopolis : renvoie à « cosmopolite »,
b) par le genre même de l’utopie ou de la contre- qui est le mélange des identités et le sentiment
utopie qui donnent à l’imagination toute sa place d’être un citoyen du monde. Cosmopolis est un
et sa liberté. film de David Cronenberg de 2012.
– Métropolis : signifie « métropole ». Metropolis
est un film de Fritz Lang de 1927 et un film d’ani-
Lexique mation de Rintaro de 2001.
– Callipolis : signifie « belle ville ». Le terme ren-
Le rêve et l’utopie p. ‹‚‚ voie au nom de la cité idéale chez le philosophe
Platon (La République, livre V).
– Solaris : signifie « ensoleillé ». Solaris est le titre
Définition de plusieurs films de science-fiction.
1. Les différents sens ont pour points communs 2. Les élèves peuvent se fonder sur la liste des
l’adjectif « idéal » et les notions d’imaginaire et racines grecques qu’ils pourront trouver en ligne,
de rêve. L’utopie est donc une projection idéale sur Wikipédia par exemple : http://fr.wikipedia.
et imaginaire dans un monde meilleur, au sens org/wiki/Racines_grecques
courant. Dans une acception politique, l’utopie
vise au bonheur des citoyens. Dans une acception 3. On laissera les élèves libres de recourir aux
littéraire, l’utopie est aussi l’imagination d’un langues de leurs choix. Ils peuvent bien sûr com-
monde nouveau qui réinvente notre société sans mencer par les langues vivantes ou anciennes qu’ils
tenir compte des contraintes du réel. étudient, mais aussi celles qu’ils peuvent parler.
2. L’écriture de l’utopie permet d’imaginer des
mondes différents, de rêver ou d’imaginer des Un rêve, des rêves
sociétés différentes de la nôtre. Cela permet aux
1. Positifs : rêverie, songe, méditation, fantasme,
écrivains à la fois de critiquer le réel, de porter
utopie, imagination, fiction, paradis, enchante-
parfois un regard satirique, mais aussi de faire des
ment, idéal.
propositions pour un monde différent.
Négatifs : chimère, illusion, mirage, fantasmagorie,
délire, divagation.
Étymologie 2. Avoir la tête dans les nuages : être rêveur, vivre
1. – Utopie est construit avec le préfixe grec ou, dans un songe.
« non » et le substantif topos, « lieu ». L’utopie est Être un doux rêveur : vivre dans un monde d’illu-
donc un lieu qui n’est nulle part ou qui n’existe pas. sions, de fantasme.
– Eutopie est construit avec le préfixe grec eu, Vivre en pays de Cocagne : vivre dans un paradis
bon et le substantif topos. Il s’agit littéralement terrestre, un monde idéal.
222 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
Construire des châteaux en Espagne : projeter – Synonymes de bonheur : bien-être, plaisir, bien,
quelque chose d’impossible, délirant. satisfaction, chance, prospérité, etc.
Découvrir un Eldorado : découvrir un monde
idéal, abondant et rempli d’or.
Harmonie des sens
3. Les élèves devront rédiger un synopsis complet
1. La vue : « voir » ; le goût : « les fontaines d’eau
et non pas seulement le début d’une histoire.
pure », « liqueurs de canne de sucre » ; l’odorat :
« une odeur semblable à celle du gérofle et de la
Rêver d’un monde meilleur cannelle ».
1. Synonymes de désir : soif, appétit, goût, volonté,
ambition, passion, etc.
– Synonymes d’harmonie : accord, union, entente,
fraternité, équilibre, alliance, etc.
ڤ Stanley Kramer,
Devine qui vient dîner, 1967
Présentation de la séquence p. ‹‚⁄
Livre de l’élève p. ‹‚⁄ à ‹O§
Le film de Stanley Kramer aborde la question du racisme en confrontant une famille aux idées pour-
tant libérales et tolérantes à la question du mariage mixte. Un seul personnage se révèle ouvertement
raciste dans le film (Hilary Saint-George). Le choix de personnages progressistes permet au réalisateur
de montrer la permanence des clichés et des préjugés, même chez ceux qui croient en être dépourvus.
Le dialogue argumentatif permet alors de les dénoncer et de les dépasser.
⁄ L a rencontre
avec la belle-famille
p. ‹‚¤-‹‚‹
le réalisateur filme la réaction de Mrs Drayton
(image B). Dans l’image C, la profondeur de
champ permet de jouer sur l’effet de surprise,
traduit par les regards : Mrs Drayton regarde avec
sidération John, qui regarde Joanna et tousse
La scène de la rencontre avec Mrs Drayton com- (« Hum, hum ») afin d’attirer le regard de Joanna
mence 13 min et 9 s après le début (doc. 1). qui, pour l’instant, dévisage avec surprise le chan-
La scène du curriculum vitae de John Prentice gement d’expression de sa mère. La construction
commence 29 min et 49 s après le début (doc. 4). de l’image met bien en valeur la complexité de la
La scène sur les préjugés de Mr Drayton commence situation entre les trois personnages.
35 min et 38 s après le début (doc. 3).
3. Dans les images B et D, Mrs et Mr Drayton
sont filmés dans une faible profondeur de champ :
LECTURE DES IMAGES derrière eux, tout est flou, ce qui symbolise leur
1. La profondeur de champ désigne la zone de confusion lorsqu’ils découvrent que le fiancé de
netteté de l’image. Dans l’image A, le personnage leur fille est noir. Le costume de Spencer Tracy,
de Joanna au premier plan est net, de même que strict mais défait, souligne encore ce désarroi.
John Prentice, à l’arrière-plan. Il y a donc une
grande profondeur de champ. Ce choix sym-
bolise la certitude des choix de Joanna : depuis
LECTURE DES TEXTES
4. À l’apparition de John, Mrs Drayton n’a aucune
sa rencontre avec John et leur décision de se
parole de rejet. Son discours est maîtrisé et poli :
marier, son avenir est clair et net. L’apparition
« Je suis charmée de faire votre connaissance ».
de John dans la profondeur de champ permet de
Mais son jeu, prononciation et gestes, montre
montrer visuellement l’union, la complicité entre
son trouble : bafouillant, « je vais quand même
les deux jeunes gens. Au contraire, Mrs Drayton
m’asseoir ». Ce décalage entre ses paroles et son
est filmée dans une faible profondeur de champ :
comportement permet de montrer au spectateur
le spectateur se concentre donc sur l’expression
le caractère inhabituel et surprenant des couples
de son visage et sa réaction.
mixtes aux États-Unis dans les années 1960. On
2. L’entrée de John se fait dans le dos de Joanna, au relève : « J’ai pensé que c’était un trop grand
moment où celle-ci vient de le nommer, d’abord choc », « pas mal de gens trouveront que nous
dans l’ombre et la profondeur de champ (image A), faisons un couple choquant ».
224 | Genres et formes de l’argumentation aux xviie et xviiie siècles
5. Dans le document 3, Mr Drayton fait plusieurs travers les siècles et les générations, les espaces
généralisations : il attribue à l’ensemble des Noirs sociaux, les groupes sociaux. Ainsi, quand on est
des caractéristiques physiques positives comme noir, que l’on soit riche ou pauvre, du Xe ou du
un talent pour la danse : « un sens particulier du xxe siècle, Noir caduc ou Noir débutant, Noir des
rythme », « je dis que les jeunes Noirs dansent villes ou Noir des champs, cultivé ou analphabète,
mieux que les jeunes Blancs ». Or, le fait de faire bouddhiste, hindouiste, shintoïste, agnostique,
de telles généralisations est un peu raciste, même musulman ou chrétien, d’éducation congolaise,
avec de bons sentiments comme c’est le cas de française, guatémaltèque ou serbo-croate, quand
Mr Drayton. on est noir, on est tous pareils, et l’on est guidé
par les mêmes repères comportementaux comme
6. John lui répond que ce qu’il observe avec jus-
le rythme ou le rire : une espèce d’instinct animal
tesse n’est pas inné mais culturel : dans les années
en somme ! Comme pour les animaux, ces repères
1960, Mr Drayton peut effectivement observer
seraient inscrits dans les gènes, dans le sang, et se
que les jeunes Noirs dansent mieux sur certains
transmettraient de façon héréditaire, sans aucune
rythmes que les jeunes Blancs car ces danses sont
place pour la société et le rôle qu’elle joue dans
inspirées de danses africaines, que les jeunes Noirs
l’éducation et la construction des identités. Ainsi,
ont appris dès leur enfance. Mr Drayton reconnaît
qu’il soit élevé en Chine par des parents adoptifs
alors avec John qu’il est effectivement impossible
chinois ou à Kinshasa par des parents biologiques
de faire des généralisations, positives ou négatives,
congolais, l’enfant d’origine zaïroise a le rythme
en citant le cas du base-ball, sport célèbre aux
dombolo dans le sang, tout comme le chien aboie,
États-Unis, dont les sportifs noirs ont longtemps
tout comme l’âne brait et que le cheval hennit,
été absents, avant que certains ne s’y intéressent,
tout comme le chat miaule, tout comme l’éléphant
y soient acceptés dans des équipes, et y brillent,
barrit, peu importe le pays où ces animaux vivent.
comme Willie Mays. En dénonçant un préjugé
Et le sommet de la perfection du système est que,
apparemment élogieux (« les Noirs dansent mieux
grâce au mécanisme d’essentialisation, on finit
que les Blancs), Stanley Kramer montre toutes
par convaincre la victime qu’elle entre dans la
les ramifications de la pensée raciste, même chez
catégorie que l’on a dressée pour elle. Les Noirs
ceux qui sont les plus ouverts et rend sa dénoncia-
sont très heureux qu’on leur ait concédé qu’ils
tion beaucoup plus radicale. Il ne s’agit pas pour
ont le rythme dans le sang et je me demande
lui de dénoncer le racisme évident du Ku Klux
combien de Noirs savent aujourd’hui qu’ils n’ont
Klan, mais bien de faire évoluer un public ouvert
pas le rythme dans le sang. Combien ont enfin
et progressiste, à l’image de Mr et Mrs Drayton,
compris en voyant tous les jeunes des banlieues,
mais qui peut encore, sans s’en rendre compte,
sans distinction de couleur, danser le dombolo,
avoir des préjugés et des a priori.
le breakdance et autres rythmes hip-hop, que le
rythme n’est pas hérédité mais acquisition au sein
Prolongements de la société ? »
Débusquer et dénoncer le racisme, même der- La scène du film entre John et Tillie (55 min et
rière les bons sentiments, c’est la démarche de 15 s après le début) va également en ce sens :
Gaston Kelman, dans son essai Je suis noir et je Tillie, bien que noire elle-même, a également des
n’aime pas le manioc. Il y dénonce notamment, préjugés sur les Noirs. Elle est donc persuadée que
dans la droite ligne de cette scène de Devine qui John n’est pas réellement amoureux de Joanna,
vient dîner, le prétendu « rythme dans la peau » : mais cherche à l’épouser pour la fortune de son
« On trouve enfin le racisme de stigmatisation et père. Ces scènes permettent à Stanley Kramer de
d’essentialisation. […] Il puise sa légitimité dans dénoncer toutes les formes de préjugés racistes :
des approches très savantes, de la sociologie à ceux des Blancs et ceux des Noirs eux-mêmes.
l’anthropologie, en passant par l’ethnologie. Il
attribue à une race des caractéristiques spéci- 7. Le scénariste a choisi de donner à John Prentice
fiques. Ces caractéristiques comportementales un C.V. impressionnant, si parfait qu’il en devient
seraient congénitales, immuables comme les excessif, ce que Mr Drayton souligne lui-même :
caractéristiques physiques, dont la couleur de la « Pas étonnant qu’il soit si discret. S’il se mettait
peau est la plus visible. Ces caractéristiques, on à énumérer ses propres mérites, on le prendrait
les retrouverait à l’identique à travers les ères, à pour un fou ». Ce choix permet de faire de John
¤ L e conflit
père-fils p. ‹‚›
La scène commence 1 h 24 min 11 s après le début.
son fils : « Toi et tous les autres attardés de ta
génération », « vos préjugés mesquins ».
4. Le dialogue argumentatif entre John et son
père se termine lorsque John dit : « Tu penses à
toi comme un homme de couleur. Moi, je pense
Objectif : voir les angles de prise de vue à moi comme un homme ». Par ces mots, John
(plongée et contre-plongée p. 286) et la mise l’emporte et son père quitte la pièce sans pronon-
en scène du dialogue par l’alternance cer d’autres mots. En se définissant comme « un
des champs-contrechamps (p. 289). homme de couleur », Mr Prentice a une vision
peut-être pragmatique mais réduite de ses droits,
ÉTUDE DES IMAGES de ce qu’il est et de ses possibilités, de ce qu’il peut
1. Cette scène de dialogue est filmée en alter- faire, devenir, etc. Il voit tout à travers le prisme
nant les points de vue grâce à la technique du de sa couleur de peau, c’est-à-dire le prisme de
champ-contrechamp (voir manuel p. 289). L’angle la ségrégation et des discriminations. Certes, les
selon lequel les deux personnages sont filmés hommes de la génération de Mr Prentice se sont
varie au cours de la scène. Au début (image A), battus contre les discriminations afin d’offrir à
le père semble dominer le dialogue. Il est filmé leurs enfants un avenir meilleur, mais leur vision
en contre-plongée, tandis que John est filmé du monde est marquée par ces discriminations.
en plongée. Lorsque John prend la parole à son John au contraire, en se définissant indépendam-
tour (image B), il est filmé en contre-plongée : ment de sa couleur de peau, ne raisonne plus en
il apparaît légèrement plus grand que son père. fonction des discriminations et ouvre le champ
des possibles. Cette opposition montre l’évolution
2. Cette inversion des angles de prise de vue
des mentalités.
souligne l’évolution du rapport de force entre
le père et le fils au cours du dialogue. Au début,
‹
John semble écrasé par le poids des arguments de
son père. Mais au cours du dialogue, il se redresse n dénouement
U
car il prend son destin en main. optimiste p. ‹‚∞
LECTURE DU TEXTE La scène commence 1 h 38 min 25 s après le début.
3. Mr Prentice avance plusieurs arguments contre
le mariage de son fils avec une jeune fille blanche : ÉTUDE DES IMAGES
– John et Joanna ne se connaissent pas depuis 1. Au cours de cette scène, Mr Drayton résume
assez longtemps pour décider de se marier : « Toute l’entretien qu’il a eu avec chacun des person-
cette affaire a été trop précipitée » ; nages au cours de la journée, et les sentiments
– un couple comme le leur sera sans cesse victime qu’il a éprouvés. Les plans serrés sur Mr Drayton
de critiques : « As-tu pensé aux discussions que (image A) permettent de se concentrer sur les
ça va soulever ? », « la mentalité des gens, elle, émotions du personnage : « amour », « aimer »,
n’est pas près de changer » ; « éprouve », « leurs sentiments et la force du
– enfin, ils devront même affronter la loi : « Dans sentiment ». Les plans plus larges permettent de
seize ou dix-sept États vous serez des hors-la-loi ». confronter Mr Drayton à l’assistance : « c’est la
Ces arguments reflètent les craintes de Mr Prentice première affirmation parmi les nombreuses que
face aux discriminations, aux critiques et aux j’ai dû entendre aujourd’hui ».
›
2. Dans la dernière scène du film, Stanley Kramer
réunit tous les personnages du film, à l’exception A telier d’écriture
d’Hilary Saint-George, ouvertement raciste, et
exclue de façon définitive. L’image B est un plan
Ajouter un dialogue
moyen qui permet de cadrer Mr Drayton en pied
et de réunir, dans une même image, l’ensemble
au film p. ‹‚6
des personnages. Par ce cadrage, Stanley Kramer
symbolise le « happy end », l’harmonie et l’union Étape 1 : Choisir des personnages
retrouvées entre tous les personnages. Plusieurs confrontations sont possibles :
– si le personnage avec lequel Joanna dia-
LECTURE DU TEXTE logue est raciste et radicalement opposé à tout
3. Mrs Prentice n’a pas cherché à convaincre Mr mariage mixte (position incarnée à l’écran par le
Drayton, mais à le persuader en faisant appel à ses personnage d’Hilary Saint-George), le dialogue
sentiments : « Mrs Prentice […] m’accuse d’être sera polémique et opposera deux points de vue
tout comme son mari un vieil homme fatigué qui irréconciliables.
a perdu jusqu’à la mémoire du mot amour ». Tous – si le personnage avec lequel Joanna dialogue
les interlocuteurs qui ont, auparavant, parlé en est opposé à son mariage avec John, tout en
faveur du mariage de John et Joanna, n’ont jamais étant ouvert d’esprit (Mr Drayton, Mr Prentice,
parlé d’amour. Seule Mrs Prentice a été efficace Tillie), le dialogue sera constructif et pourra être
car elle a permis à Mr Drayton de se mettre à la didactique ou délibératif : Joanna cherchera à
place de John et de comprendre enfin ses senti- convaincre son interlocuteur d’accepter son
ments : « je connais exactement ses sentiments mariage et à le faire changer d’avis ;
pour elle, car il n’y a rien, absolument rien dans – au contraire, si le personnage avec lequel Joanna
ce que votre fils éprouve pour ma fille que je n’aie dialogue est favorable à son mariage (Mrs Drayton,
éprouvé pour Christina ». Mrs Prentice, monseigneur Ryan), le dialogue sera
davantage délibératif : tous deux collaboreront
4. Contre les discriminations, Mr Drayton prône
afin de répondre aux critiques des autres membres
l’amour : « Là où John a commis une grave erreur à
de la famille, ou évoqueront l’avenir ;
mon avis, c’est en attachant trop d’importance à ce
– enfin, dans le cas d’un dialogue avec John, un
que nous pensions ma femme et moi. Parce qu’en
conflit peut naître entre les deux fiancés autour
dernière analyse, […] la seule chose qui importe,
de l’importance à accorder au point de vue des
c’est leurs sentiments ». C’est une conclusion très
parents : alors que John pose l’acceptation du
optimiste, conforme au « happy end » attendu,
mariage par les Drayton comme une condition
mais certainement très naïve.
indispensable, Joanna peut avoir un point de vue
5. L’optimisme et la naïveté du dénouement différent. Le dialogue peut être polémique lorsque
peuvent cependant être nuancés par la dernière le conflit s’exprime, mais devra aussi comporter
réplique du film. Alors que le mariage mixte des passages dialectiques ou délibératifs lorsque
est enfin accepté et que les différences de peau les fiancés se parleront de façon constructive, sur
semblent être balayées, le film se clôt sur l’adresse un pied d’égalité.
de Mr Drayton à sa gouvernante noire : « Eh bien Afin d’insérer le dialogue dans la chronologie du
Tillie, vous le servez ce dîner, oui ou non ? ». film, l’élève devra aussi décider du moment de la
Objectif et intérêt du corpus : les femmes que ceux des hommes, contrairement
les quatre textes du corpus s’interrogent à Olympe de Gouges. Le deuxième paragraphe
sur la place des femmes dans la société affiche une concession très marquée, fait état des
de l’Ancien Régime, les dates de publication faiblesses des femmes et des domaines qui leur sont
s’échelonnant de 1672 à l’après-Révolution, interdits pour, dans le troisième paragraphe, limiter
en 1791. Trois hommes, Molière, Fénelon fortement leur émancipation en rappelant leur rôle
et Voltaire, une femme, Olympe de Gouges, domestique et leur implication dans l’éducation
présentent des points de vue apparemment des enfants. À cet égard, sans faire vraiment écho
différents. au texte de Molière, Fénelon limite son ambition
et garde la force, les « muscles », pour reprendre
le terme de la maréchale, aux hommes.
QUESTIONS SUR UN CORPUS
1. On peut tout d’abord distinguer les auteurs Finalement, il faut bien prendre en compte cha-
qui soutiennent la thèse que les jeunes filles et cun des genres littéraires à l’œuvre pour valider
les femmes doivent être éduquées et ceux qui s’y les points de vue. Si le personnage de Molière
opposent, c’est-à-dire d’une part, Fénelon, Voltaire défend un point de vue qui maintient la femme
et Olympe de Gouges et, d’autre part, Molière. dans un état de soumission à l’homme, son propos
Plus précisément, l’essai de Fénelon, le texte est déjà rétrograde pour son temps et caricatural.
satirique de Voltaire et la Déclaration des droits de Ainsi, Molière défend à sa façon, par la comédie,
la femme et de la citoyenne, imposée par Olympe de l’évolution de la place de la femme. Voltaire
Gouges comme le pendant de la Déclaration des choisit la satire et utilise lui aussi l’humour. L’essai
droits de l’homme militent pour un changement et la Déclaration sont des textes sans doute plus
des mentalités. Fénelon énonce sa thèse dès le sérieux, mais ils présentent également, chacun
début du texte : « Rien n’est plus négligé que à leur façon, une autre organisation possible de
l’éducation des filles », faisant ainsi écho au titre la société.
du chapitre « De l’importance de l’éducation des
En conclusion, les différents points de vue pré-
filles » dans son essai sur le sujet. La maréchale de
sentés convergent et défendent l’instruction des
Grancey, personnage haut en couleur de la satire
filles. Les auteurs divergent néanmoins sur la
au titre bien ironique, Femmes, soyez soumises à vos
question des finalités de cette instruction et celle
maris, refuse tout « maître ». Olympe de Gouges
de l’égalité.
demande, quant à elle, les mêmes « droits » pour
la femme que ceux des hommes. Le personnage 2. Les quatre textes relèvent des genres et formes
de Molière, dans la comédie Les Femmes savantes, de l’argumentation variés. Nous nous attacherons à
pense au contraire que l’éducation des femmes étudier en particulier, parmi les textes de Molière,
pourrait les détourner de leurs obligations domes- Fénelon, Voltaire et Olympe de Gouges quelle
tiques et voit cela d’un mauvais œil. La maréchale stratégie peut sembler la plus efficace.
répond vertement d’ailleurs à Molière qui a déjà
On peut tout d’abord distinguer les textes qui
fait la satire des hommes soucieux de maintenir
relèvent de la fiction de ceux qui appartiennent à
les femmes dans un état de parfaite ignorance
la littérature d’idées. D’une part, il y a une comé-
dans L’École des femmes.
die, Les Femmes savantes et une satire, Femmes,
Mais si on y regarde de plus près, le texte de soyez soumises à vos maris, dont les titres laissent
Fénelon ne revendique pas les mêmes droits pour déjà deviner un registre comique : le titre de
4 La poésie du
xix e au xx e siècle :
du romantisme au surréalisme
Livre de l’élève p. ‹⁄¤ à ‹8›
| 233
La séquence 19, intitulée « Poésie de la moder- impatience amoureuse. Il se retourne et Eurydice
nité » examine comment, à partir de la seconde disparaît. Cocteau, dans son film Orphée (1950),
moitié du xixe siècle, dans une Europe en pleine réalise un poème cinématographique montrant
évolution économique et industrielle, la poésie se la fascination pour la Mort, qui apparaît comme
fait l’écho des mutations du monde. Elle accom- une femme mystérieuse et inspirante. L’atelier
pagne l’émergence de la modernité. Le dévelop- d’écriture qui clôt la séquence invite les élèves à
pement des villes, les révolutions politiques sont lire, dire des poèmes, les apprendre pour mieux
autant de facteurs d’une transformation radicale les réciter.
de la société, des modes de vie, des mœurs et des
Le corpus « Vers le bac », « Ondes poétiques »,
modèles culturels et esthétiques. La notion même
s’attache au thème de la pluie. Le paysage sous la
de beauté évolue. La ville, avec ses cabarets et ses
pluie, mélancolique ou joyeux, devient un paysage
théâtres, ses rues envahies par les foules, fournit à
« état d’âme », aussi quotidien qu’extraordinaire.
la poésie un thème nouveau, élargissant le champ
de la beauté à un territoire encore inexploré.
Le sentiment amoureux, thème poétique par
excellence, s’exprime différemment. Le lyrisme Pistes pour l’étude de l’image
romantique jugé trop sentimental est récusé.
• Peinture et poésie
La séquence 20, consacrée à l’histoire des arts, Site du musée d’Orsay : de nombreuses fiches
s’intitule « Explorations surréalistes : libérer le pédagogiques (« fiches de visite ») sont consacrées
langage et l’imagination ». Lire et contempler aux liens entre la poésie et la peinture.
des œuvres textuelles et visuelles permet de s’ini- • Victor Hugo, l’homme-océan
tier à ce mouvement, qui constitue une des plus Le site de la BnF consacre une exposition virtuelle
profondes mutations du xxe siècle. L’imagination à Victor Hugo, l’homme-océan. De la littérature
prend le pouvoir, pour peu que soit abaissée la à l’engagement politique, de la photographie au
vigilance de la raison, qui censure ce qui est jugé dessin, Victor Hugo déploie son talent et son
loufoque ou inconvenant. Écriture automatique, imaginaire, sans cesse en voyage, de l’immense
collages, cadavres exquis, récits de rêve invitent à l’infime, du particulier à l’universel.
à une pratique du langage moins conventionnelle. • Écrire de la poésie
On espère que les élèves emboîteront le pas aux Dossier pédagogique en français pour le collège
poètes et chausseront leurs semelles de vent pour et le lycée : poésie sonore, poésie numérique,
se lancer à leur tour dans la production d’œuvres fabrique de la poésie : www.cndp.fr/pedagogie
étrangement poétiques. N’est-ce pas là une des • Des pistes pour une classe à PAC
fonctions essentielles de la poésie : voir, sentir, Sur le site de la « Pages des lettres », compte-
dire du nouveau ? rendu d’un projet pédagogique faisant se répondre
La séquence 21 est consacrée au lien entre mythe textes poétiques, opéra contemporain et création
d’Orphée, poésie et cinéma. Le mythe d’Orphée vidéo : « Opéra, informatique et vidéo au lycée »,
narre comment le poète à la lyre, capable d’apaiser par Valérie Presselin, www.lettres.ac-versailles.fr
par son chant les animaux féroces, la mer en furie
ou les hommes en guerre, est inconsolable après la
mort de son épouse Eurydice. Il descend aux Enfers
et chante pour infléchir Minos, le dieu souterrain
Bibliographie
des Enfers, de lui rendre la jeune femme aimée. – BÉGUIN Albert, L’Âme romantique et le rêve,
Minos, touché par la poésie orphique, accepte, à Éditions José Corti, 1939
une condition : Orphée ne devra pas regarder une – BONY Jacques, Lire le romantisme, Armand
seule fois la morte – ou la Mort – tant qu’ils ne Colin, Coll. Lettres sup., 2005
seront pas sortis tous deux du royaume des ombres. – RICHARD Jean-Pierre, Onze études sur la poésie
Hélas, Orphée ne peut contenir sa curiosité ou son moderne, Seuil, Points Essais, 2000
⁄‡ Le romantisme, un nouveau
souffle poétique
Présentation et objectifs de la séquence p. ‹⁄‡
Livre de l’élève p. ‹⁄‡ à ‹‹8
Du Consulat à la révolution de 1848, le romantisme règne sur la première moitié du xixe siècle,
dominant la littérature, la peinture et la musique. Participant à un large mouvement européen, ce
courant témoigne d'un bouleversement de la sensibilité qui s’exprime en poésie essentiellement :
un nouveau souffle s’empare de la parole poétique. Le poète, à la fois penseur isolé et à l’écoute du
monde, fait entendre une parole dont le lyrisme est aussi intime qu’universel.
Le premier corpus montre que le sujet prenant la parole en disant « je » exprime ses émotions les plus
personnelles, les plus tristes aussi (Lamartine). Mais quand le poète dit « je », chacun se reconnaît
dans ses propos. C’est parce que l’être humain est défini comme créature apte à ressentir, à être en
empathie pour autrui, que l’engagement s’exprime au cœur de la poésie lyrique. Être sensible, c’est
être réceptif à la souffrance de celui en qui on reconnaît un semblable, un frère, lui aussi apte à
ressentir, à souffrir. L’histoire, nous rappellent Marceline Desbordes-Valmore ou Victor Hugo, est
perçue comme le champ d’action des énergies collectives et de l’investissement personnel. La voix
du poète est prophétique au sens étymologique : le poète « parle pour » ceux qui n’ont pas voix au
chapitre et auxquels il faut pourtant prêter attention. C’est pourquoi l’esprit romantique souffle
encore dans bien des poèmes contemporains, comme celui d’Abdellatif Laâbi.
Le second corpus est centré sur le thème de la nuit. Moment de silence où le sujet prend le temps de
s’observer comme s’il voyait son double (Musset), nuit gothique où les obsessions cauchemardesques
prennent forme (Aloysius Bertrand) ou repos loin du fracas de la ville (Vigny), la nuit est la complice
des romantiques. La page de « lexique » en explore les ombres mélancoliques ou nostalgiques.
Intérêts du tableau :
– Un paysage « état d’âme » : projection
Caspar David Friedrich, dans l’espace de la toile des sentiments qui
agitent le personnage.
Le Moine au bord de – Importance de la nature pour les
la mer, 1808-1810 p. ‹⁄8-‹⁄· romantiques.
Objectifs :
– Repérer les éléments picturaux Un paysage romantique
caractéristiques du romantisme. ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
– Comprendre le mot « romantique ». Ce 1. La composition du tableau est aussi simple
terme, appartenant d’abord à la peinture, qu’originale. L’espace est divisé en trois plans,
qualifie un paysage qui touche la sensibilité trois bandes horizontales superposées, sans élé-
du promeneur et éveille l’imagination ment pour les relier entre elles. La première, de
rêveuse du peintre puis du poète. couleur grège, représente le sable de la grève. La
17 Le romantisme, un nouveau souffle poétique | 235
seconde, d’un bleu nuit très profond ponctué de s’étire sur toute la largeur du tableau. Même s’il
vaguelettes blanches, figure l’étendue marine. ne nous regarde pas, sa présence nous invite à
Enfin, au dernier plan, un camaïeu de bleus et entrer dans le tableau. Et à tourner notre regard
de gris représente le ciel. Cette troisième partie vers l’objet de sa contemplation. Dès lors, notre
se voit accorder la place la plus importante : elle œil pénètre dans ce paysage décadré comme dans
occupe les quatre cinquièmes de l’image. Si le un gouffre. La fascination qu’exercent le vide et
ciel s’étale ainsi, c’est peut-être parce qu’il peut se l’infini s’impose comme étant le vrai sujet du
définir, plus encore que l’océan, comme un espace tableau.
d’une richesse sans limites. Le ciel de Friedrich
est immense et teinté de nuances infinies. L’azur
4. La place réservée à l’être humain semble minus-
le plus serein est progressivement recouvert de
cule : les éléments du cosmos sont immensément
nuages offrant au regard toute la palette des gris,
grands par rapport au moine qui se tient sur la
l’horizon, se confondant avec la masse océane, se
grève. Physique, cette impression de petitesse
teinte de nuit, tandis que les contours se dissolvent
est aussi métaphysique : la créature au premier
dans un sfumato bien maîtrisé.
plan semble bien vulnérable. Que peut le petit
homme, fini, face à cet univers immense ? Cette
LECTURE DE L’IMAGE interrogation renvoie au sentiment du « sublime »,
2. Passée aux rayons X, la toile a révélé ses secrets. théorisé par Kant à la fin du xviiie siècle. Pour le
Caspar David Friedrich avait d’abord peint trois philosophe allemand, quand l’homme observe un
voiliers voguant sur les flots. Puis, il les a recou- tel paysage, il ne peut qu’être impressionné, écrasé
verts de peinture, les noyant littéralement dans par la grandeur divine dont la création reflète la
l’immensité de la mer. Ce repentir, terme tech- puissance sans limites. Friedrich l’affirme : « le
nique désignant les dernières corrections apportées divin est partout, même dans le grain de sable ».
à une œuvre picturale, montre que le peintre a Ici, il semble qu’il enveloppe un personnage qui,
supprimé tous les éléments animant le tableau, par sa position et son anonymat, est un relais pour
distrayant et divertissant le regard. Il n’a peint le spectateur, invité, lui aussi, à ressentir effroi
qu’un homme et trois bandes de couleur, renvoyant ou émerveillement devant un paysage dont la
chacune à trois éléments composant l’univers : la grandeur le dépasse (voir « Le sublime », p. 319).
terre, l’eau, l’air. L’homme est seul au sein d’une Ainsi, les romantiques ne peignent plus la nature
nature dépouillée, froide, immense. comme au siècle des Lumières. Le paysage, au
xviiie siècle, accorde à la figure humaine une place
3. L’impression d’immensité de la nature est exal-
centrale. L’homme couronne la Création et la
tée, tout d’abord, par les dimensions de la toile
maîtrise, la domine. Ici, au contraire, il semble
(110 x 171,5 cm), comme si le peintre voulait
immergé, englouti dans une nature sublime. Il
enclore dans cet espace fini une part d’infini.
découvre le sentiment de l’infini.
L’irruption de l’incommensurable est accentuée
par le traitement inédit des marges (les côtés du
tableau). La scène – un homme seul face à l’océan 5. Les couleurs du tableau sont froides, nordiques.
– n’est pas encadrée par de la verdure ou un élé- On peut supposer que cette palette est en accord
ment d’architecture qui structurerait le tableau avec ce que ressent le personnage. En effet, le
en lui conférant perspective et profondeur. Le moine capucin est vu de dos. Ainsi, nous avons
peintre rompt ainsi avec ce que faisaient aupara- l’impression de voir ce qu’il voit, comme si nous
vant les peintres paysagistes comme Vernet ou Le étions placés derrière lui. Ce que nous voyons, ce
Lorrain. Ici, le paysage est ouvert sur l’immensité n’est donc pas directement la mer et les nuages
elle-même, dans son dénuement absolu. L’absence mais sa contemplation : l’océan et le ciel vus à
d’éléments animés autres que la frêle silhouette travers le filtre de sa subjectivité. Ce paysage « état
accentue bien sûr cet effet d’épure. Soulignons d’âme » reflète une vision inquiète et mélanco-
aussi le choix radical de l’horizontalité : les trois lique. Les couleurs azur et grise s’opposent et se
bandeaux de couleur, traités sans perspective, fondent, le bleu presque noir de la mer inquiète et
renforcent la dilatation spatiale. Le moine, seule fascine. Ainsi, grâce à la couleur, une atmosphère
amorce de verticalité dans ce désert horizontal, chargée de tension surgit de la toile, en corres-
est comme statufié, pétrifié par le spectacle qui pondance avec les inquiétudes du personnage.
⁄ A lphonse de Lamartine,
« Le Lac », Méditations
poétiques, 1820
LECTURE DU TEXTE
2. En un an, la vie du poète a brutalement basculé.
Elvire est morte, il est devenu le veuf, l’inconsolé,
lui qui fut l’amant comblé. Ne lui reste que le
souvenir d’une scène heureuse. Ainsi, l’inter-
p. ‹¤¤-‹¤› rogation « t’en souvient-il ? » (v. 13) évoque la
Objectifs : persistance de la mémoire d’un moment heureux.
– Découvrir un texte élégiaque qui fait figure Le jeu des temps souligne le décalage entre les
de manifeste du romantisme. souvenirs d’un passé idyllique (v. 8 : irruption du
passé simple) et un présent malheureux (v. 7 :
– Comprendre ce qu’est une « méditation ».
présent de l’indicatif « je viens »). L’opposition
Intérêts du texte : entre hier et aujourd’hui souligne avec cruauté
– Un texte lyrique : expression de la ce changement de situation et fait du poème une
sensibilité d’un « moi » endeuillé, registre méditation sur le temps et la condition humaine.
élégiaque, expression du deuil, prise 3. Au vers 21, quand parle la voix « chère », la
de conscience du temps et de sa fuite structure des vers change. Cette partie repose sur
inexorable. une alternance d’alexandrins et d’hexasyllabes. Les
– L’importance de la nature : un thème paroles d’Elvire sont caractérisées par un rythme
nouveau pour une sensibilité nouvelle. agité, en accord avec le ton de supplication ainsi
que l’évocation de brefs moments heureux qui
Un chant d’amour et de mort semblent arrachés à la mort.
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE 4. Deux métaphores rendent plus poignante la
1. Le plan du poème : les cinq premières strophes fuite du temps dans les strophes 6 à 10, consti-
évoquent la douleur du poète esseulé. Elles laissent tuant la supplique. L’image assimilant le passage
entendre sa voix. Le plus souvent, il s’exprime à du temps à un vol est très brève mais elle est
la première personne du singulier (« je »), ce qui tellement marquante que nombreux sont ceux
apparaît dès l’affirmation « je viens seul m’asseoir » qui, aujourd’hui encore, connaissent cet hémis-
(v. 7). Dans la deuxième strophe, il interpelle tiche par cœur : « Ô temps ! suspends ton vol ».
le lac à la seconde personne du singulier « tu » La seconde image associe la fuite du temps à une
(v. 8, 9, 10, 13, 16). Personnifié, le lac devient le eau qui s’écoule. On peut relever, au vers 22,
confident d’un poète veuf. À qui parler, en effet, « Suspendez votre cours », ou l’impératif « Coulez,
quand l’autre que l’on aimait tant a disparu ? On coulez » (v. 26). La phrase « le temps n’a point
peut se confier au lac parce qu’il fut le témoin des de rive ;/ Il coule, et nous passons ! » (v. 35-36)
heures délicieuses vécues à deux. constitue un écho aux paroles du poète : le terme
Les quatre strophes suivantes font entendre un « rive » rappelle l’océan (v. 3) et son désespoir
autre locuteur : « et la voix qui m’est chère/ laissa de ne pouvoir jeter l’ancre (v. 4). L’implacable
tomber ces mots » (v. 19-20). Le poète se souvient loi du devenir apparaît : le temps fait défiler les
‹ arceline
M
Desbordes-Valmore,
« À monsieur A. L. »,
texte est écrit, il garde les caractéristiques d’une
parole vivante, orale : véritable didascalie, le
point d’exclamation signale que la voix monte,
se charge d’affect avant de s’achever dans un cri.
La voix que l’on entend est vibrante d’intensité
Pauvres fleurs, 1839 et sa colère est communicative. Enfin, le mot
interrogatif « pourquoi », répété aux vers 29 et 32,
p. ‹¤6-‹¤‡ est lancé et laissé sans réponse avec insistance. Au
lecteur de répondre, ce qui suppose de prendre la
mesure de la révolte qui embrasa la ville de Lyon
Le chagrin et la colère et de la répression.
ENTRÉE DANS L’ŒUVRE 3. La reprise anaphorique, aux vers 7 et 13, de la
1. Le poème est engagé. Dédié à Alphonse de formule « j’étais là » est un procédé d’insistance.
Lamartine, il dénonce, en un tableau saisissant, la On remarque que cette proposition principale
∞
ici un décor, avec ses « loges », ses coulisses, sa
A bdellatif Laâbi, scène roulante et, bien sûr, son coup de théâtre. En
« Vaccin », effet, quelle n’est pas la surprise du poète lorsqu’il
constate que sa valise, « étrennée pendant ce
Tribulations d’un périple » (v. 5) s’est métamorphosée ! De rouge,
elle est devenue noire, comme si elle avait traversé
rêveur attitré, 2008 « les boyaux d’une mine de charbon » (v. 9) ; de
p. ‹¤· neuve, elle est devenue « déglinguée ». Le poète
– et, par ricochet, le lecteur – se demande ce
Objectif : découvrir un poème qu’il s’est passé hors scène. Il se parle à lui-même
contemporain engagé. (« tu »), il s’interroge sur cet événement. Des
vers 10 à 14, dans un bref monologue intérieur,
Intérêts du texte : il répond à sa question : la valise a été fouillée par
– Un poème en vers libres. un véritable « inquisiteur ». Son mauvais état est
– Un dialogue avec soi-même. la preuve, selon lui, que le poète, ou ses poèmes,
– Le thème de l’exil. sont sous surveillance. Étant donné l’état de la
valise, cette dernière n’a rien d’amical. C’est ce
Une voix forte et engagée que cet objet révèle.
LECTURE DU TEXTE 3. La couleur rouge n’est pas neutre. Elle renvoie
1. Le poème, écrit en vers libres, sait exprimer à l’univers du théâtre, de la tragédie (voir ques-
avec des mots simples le danger guettant les écri- tion 2). Elle peut évoquer aussi la révolte, voire la
vains engagés. La scène est sobre, ancrée dans révolution et son cortège de violences. Le terme
une réalité géographique et historique précise : « révolution » est d’ailleurs présent au vers 21.
un écrivain marocain a pris l’avion pour se rendre De manière plus latente, le rouge peut évoquer le
en France, peut-être pour voyager, peut-être pour sang. Ici, la violence est feutrée : le sang n’est pas
fuir. Il arrive à Orly, l’aéroport desservant les pays répandu, seuls les objets sont désossés, éventrés.
méditerranéens. Lui-même n’a subi ni brimade, ni Mais cette violence larvée suffit à créer le malaise
intimidation pendant son voyage. Mais quand il et l’inquiétude du poète.
récupère sa valise, elle a bien changé. Elle a subi
une fouille en règle qui l’a laissée « déglinguée ». 4. Au début du xiiie siècle, face aux mouvements
On remarque que le terme appartient au registre cathares et albigeois, l’Église chrétienne met en
de langue familier, ce qui crée ici un sentiment place une institution judiciaire pour lutter contre
de proximité avec le lecteur. Poète et lecteur l’hérésie. C’est ainsi que naît l’Inquisition. C’est
vivent dans le même monde contemporain. Si un tribunal chargé d’enquêter et de sanction-
le poète n’a pas subi le même traitement, c’est ner les pratiques jugées non conformes à la foi.
parce qu’il « s’est rasé la barbe à temps » (v. 20) Les sanctions vont de la simple pénitence à la
et est ainsi passé inaperçu. Ses manuscrits cachés confiscation de la fortune et l’exécution capitale.
dans le bagage à main (v. 14) n’ont pas été saisis. Pendant l’enquête, le suspect peut être soumis à
la question, c’est-à-dire à la torture. C’est pour-
2. La valise n’est pas un objet anodin : elle est quoi, aujourd’hui, le terme « inquisiteur » (v. 11)
traitée dans ce poème comme un véritable acces- ou « inquisition » (v. 17) est associé au pouvoir
soire de théâtre, au service d’une dramaturgie de arbitraire, discret et discrétionnaire. C’est le sens
§ A lfred de Musset,
« La Nuit de
décembre », Les Nuits,
la manière d’un refrain.
Les variantes montrent que les deux jeunes gens
évoluent entre chaque rendez-vous. D’abord,
ils grandissent au même rythme, comme deux
frères. Ainsi, dans la première strophe, le poète-
1835-1837 p. ‹‹‚-‹‹⁄ enfant et le « pauvre enfant vêtu de noir » ont
le même âge. La strophe 3 montre que l’inconnu
Objectif : découvrir un thème de entre dans l’adolescence en même temps que le
la littérature romantique, le double. poète. C’est désormais « un jeune homme vêtu de
Intérêts du texte : noir ». Cependant, ils évoluent différemment. La
tonalité s’assombrit dans la strophe 5 puisque le
– La versification et ses ressources
sentiment d’altérité apparaît : c’est « un étranger
poétiques : le jeu subtil de reprises
vêtu de noir » qui désormais lui fait face au vers
et de variantes suggère la répétition
30. Enfin, dans la strophe 7, une ultime variante
d’une scène primitive, la rencontre nous montre le double comme « un convive
avec soi. vêtu de noir » (v. 42), anonyme. La lecture des
– Le second romantisme, ou l’école strophes paires nous permet de comprendre cet
du désenchantement : Les Nuits, cycle éloignement. Enfant et adolescent, le poète et
de quatre longs poèmes, tout en son double partagent le même goût pour l’étude
développant les thèmes de la solitude et la littérature. Au vers 10, ils sont penchés sur
et de la difficulté d’écrire, montrent un même livre. Dans la strophe 4, au vers 23,
l’évolution du poète confronté au monde. l’étranger le gratifie d’un « salut d’ami ». Tout
Dans « La Nuit de décembre », le « je » change quand le jeune homme renonce à cette
se diffracte, le poète se parle pour aboutir vie pure. Le double s’éloigne de lui et souffre.
à un constat d’échec. « La Nuit d’octobre »,
la dernière des quatre, laisse toutefois LECTURE DU TEXTE
entrevoir un espoir, une rédemption 2. Le double vêtu de noir vient visiter le poète
par le travail et l’écriture. à chaque âge clé de l’existence. Les marqueurs
250 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
temporels ouvrant chaque sizain permettent de le réitère son geste, très appuyé. « D’une main »
mesurer : l’apparition surgit à la fin de l’enfance (v. 33), il montre les cieux, comme s’il s’agissait
(« Du temps que j’étais écolier », v. 1), lors de de se détourner des plaisirs et douleurs terrestres
l’adolescence (« Comme j’allais avoir quinze ans », pour mieux se consacrer à l’art. « Et de l’autre »
v. 14), puis des premières amours innocentes (« À (v. 34), il tient le glaive. Il faut lutter et combattre
l’âge où l’on croit à l’amour », v. 26), et enfin lors pour devenir un bon poète, quitte à renoncer à
de l’entrée dans une maturité cynique, synonyme l’amour et, peut-être, à la vie.
de libertinage et de renoncement à tout idéal (« À
l’âge où l’on est libertin », v. 38). 6. La strophe 7 marque un tournant. Les chemi-
nements du poète et du double, jusque-là paral-
3. Dans les strophes 1, 3 et 5, à chaque appari- lèles, se séparent et l’inconnu vêtu de noir prend
tion du double, le jeune homme semble plongé tristement ses distances. Si la ressemblance entre
dans une solitude morne et triste (« notre salle le jeune homme et l’inconnu est toujours aussi
solitaire », v. 4 ; « J’étais seul dans ma chambre », marquée, il n’est plus un frère ou un ami mais un
v. 27). Il apparaît tour à tour comme un écolier convive distant, qui le contraint à regarder « en
solitaire voué à l’étude, comme un adolescent face » ce qu’il est devenu. La confrontation est
rêveur s’éloignant des autres pour marcher seul terrible. Alors que le jeune homme semble avoir
ou comme un amoureux délaissé, venant de vivre renoncé à sa vocation, alors qu’il se divertit dans
sa première trahison. La mélancolie domine. les plaisirs qui étourdissent au lieu de se consacrer
Dans la strophe 7, après une première désillu- à l’écriture solitaire et exigeante, le double porte
sion amoureuse, il renonce à cette vie austère et les stigmates de cette chute. Sous son manteau
devient libertin. noir, son vêtement rouge est en lambeaux. Il porte
« un haillon de pourpre en lambeau » et sa tête
4. De nombreuses expressions soulignent la res- est couronnée d’un « myrte stérile » (v. 45-46). Le
semblance troublante entre le poète et l’appari- double révèle, comme un miroir cruel, ce qu’il est
tion. La proposition subordonnée relative « Qui devenu. Loin d’être devenu le prince des poètes,
me ressemblait comme un frère » est répétée de le jeune homme ressemble à un empereur déchu.
manière obsédante. Ils partagent la même gra- C’est ce qu’est forcé de voir le jeune libertin, dans
vité studieuse : le poète écolier, méditatif, veille un cruel face-à-face avec lui-même. Cette rupture
sur ses livres ; le double est « pensif » (v. 13). Le est mise en valeur quand le double l’agrippe par
jeune homme solitaire est souvent triste. On le le bras et le force à trinquer. Le verre, qui était
voit « pleurant [s]a première misère » au vers 28. destiné à porter un toast, se brise. N’est-ce pas son
De même, le double est « triste et beau » (v. 8), destin d’écrivain qui, lui aussi, s’est brisé ? Son
« morne et silencieux » (v. 32). L’inconnu mys- rêve d’idéal et de pureté n’existe plus que comme
térieux fait vraiment figure de double. un haillon, un souvenir douloureux. L’école du
5. Dans les strophes paires, les objets brandis par désenchantement commence. Nous sommes en
le double et sa gestuelle sont en rapport avec la 1837.
littérature et la poésie. Ainsi, dans la strophe 2,
il vient lire le même livre que le jeune écolier. Sa Prolongement
posture est celle du penseur romantique, plongé Franck Lestringant montre la dimension auto-
dans sa méditation : « Il pencha son front sur biographique de l’œuvre de Musset. On ne badine
sa main » (v. 11). La strophe 4 est l’occasion pas avec l’amour, Lorenzaccio, La Confession d’un
d’un rendez-vous plus décisif. Alors que le jeune enfant du siècle, puis Les Nuits rendent compte de
homme demande symboliquement sa route, il ses désillusions amoureuses et artistiques. Mais
l’oriente clairement vers l’écriture et la poésie. ces œuvres dépassent le simple caractère auto-
Sans prononcer une seule parole, il montre fer- biographique. Elles offrent en effet une « lecture
mement au jeune homme la colline où vivent les du romantisme », l’image d’une époque sans foi
Muses. De plus, il arbore deux objets, symboles où l’amour ne sauve pas, où l’action est vaine, y
de musique et de poésie : le luth et le bouquet compris l’acte créateur de l’artiste. Lorenzaccio,
d’églantine, fleur décernée aux bons poètes en « La Nuit de décembre » ou encore la nouvelle
guise de récompense. Il l’invite à devenir poète. Le Fils du Titien (1838) peuvent être lus comme
La strophe 6 est tout aussi théâtrale : le double des discours sur l’art et la place du poète dans
‡
ne fait aucun doute, surtout si l’on rapproche ce
A loysius Bertrand, texte des autres poèmes où la thématique du pendu
« Le Gibet », Gaspard est présente (comme « Le Cheval mort » qui le
précède immédiatement). Le gibet, instrument
de la nuit, 1842 p. ‹‹¤ de mort et d’horreur visuelle, y est aussi source
d’inquiétude auditive.
Objectif : découvrir l’ironie romantique.
Intérêts du texte :
2. Les cinq premiers paragraphes nous font part
des interrogations traversant le poète. Il est devant
– L’humour des romantiques, entre désespoir
un gibet, en pleine nuit, et se demande à quoi
et ironie lugubre.
correspondent les bruits qui l’entourent. Il reprend
– Le poème en prose (forme et particularités ainsi l’interrogation du Faust de Goethe, ici citée
du genre). en exergue (« Que vois-je remuer autour de ce
– Le thème de la nuit (un mythe gibet ? »), et la porte à son plus haut degré d’hési-
romantique). tation. Poème de latence, poème de suspension,
– L’intertextualité : sources d’inspiration cette brève vision communique les questionne-
gothiques, effets produits. ments angoissés d’un sujet plongé dans la nuit.
Contexte : de Nodier à Nerval, conteurs Dans le premier paragraphe, il propose deux hypo-
et poètes romantiques de la nuit proposent thèses : soit il s’agit du glapissement de la bise,
une vision plus sombre du romantisme. soit du pendu lui-même, soupirant et gémissant.
Les autres paragraphes évoquent plutôt des bruits
Alors que le romantisme historique, celui
d’insectes : grillon, mouche, escarbot ou araignée
de Lamartine ou de Vigny, ne passera pas
s’activent peut-être autour du cadavre encore
le cap des bouleversements politiques de
sanglant, rougissant dans le crépuscule. L’humour
1848, c’est ce romantisme noir qui survivra se mêle alors à l’horreur et allège l’angoisse : le
au mouvement et en assurera la continuité poète, avec une incertitude croissante, se demande
avec la modernité. Ainsi, A. Bertrand a lequel de ces animaux inoffensifs s’affaire autour
le goût du mystère et de l’occulte et puise de la « carcasse d’un pendu » (l. 11-12). On peut
son inspiration dans les récits gothiques parler d’une atmosphère crépusculaire, que Michel
anglais (Lewis, Radcliffe) et les contes Guiomar définit comme un climat d’angoisse « par
fantastiques allemands (Hoffmann). référence à l’étymologie du mot, – crepurus : incer-
tain – », jusqu’à ce que la révélation du dernier
Une « légende en lettres gothiques » paragraphe le délivre comme d’un cauchemar :
« C’est la cloche qui tinte […] ».
LECTURE DU TEXTE
1. On peut parler d’un poème gothique et fan- 3. Les paragraphes 2 à 5 commencent par l’inter-
tastique. En effet, même si ce poème en prose est rogation « serait-ce » ou, ultime variante, par
très court, les brèves notations descriptives créent « ou bien serait-ce ». Il s’agit d’une anaphore, qui
une vision cauchemardesque où l’on retrouve permet, à chaque relance, de préciser comment la
des éléments caractéristiques de ces deux genres. nuit du pendu remue et palpite. À chaque para-
L’atmosphère crépusculaire, le gibet où se balance graphe, on découvre l’existence d’une nouvelle
le pendu, la cloche sonnant le glas, la présence de créature vivante. La reprise produit un crescendo
17 Le romantisme, un nouveau souffle poétique | 253
et, progressivement, s’ébauche la vision d’un au monde, le poète vit son élection comme une
univers nocturne grouillant d’une vie drôle et malédiction. Banni et proscrit, il est condamné à
morbide : les insectes s’affairent sur le cadavre. Le une solitude qui l’étrangle. Le pendu serait alors
grillon se contente de chanter. La mouche, déjà, une incarnation littéraire (et picturale) de la
part « en chasse » en « sonnant du cor » ; l’escar- voix d’Aloysius Bertrand lui-même, de sa « voix
bot arrache un « cheveu sanglant » au cadavre ; discrète », étranglée, venant de « l’âme qui se
l’araignée tisse sa toile autour de la corde et la lamente » (Verlaine).
transforme ainsi en splendide cravate pour pendu. L’horreur de sa situation serait inquiétante si
Légère comme de la mousseline, elle est tout de l’humour noir ne venait désamorcer l’angoisse.
même un peu serrée et forme un « col étranglé ».
4. Anaphores et allitérations confèrent au poème ÉCRITURE
d’Aloysius Bertrand une grande unité, à la fois
sonore et thématique. Ainsi, le bourdonnement de
Question sur un corpus
l’insecte se propage dans tout le paragraphe 3. Nous Les trois poètes et/ou graphistes que sont Hugo,
sommes plongés au cœur de cette bruissante nuit. Musset ou Bertrand se voient comme des enfants
Comme exemple de cette harmonie imitative, on de la nuit. Pour reprendre l’expression de Verlaine,
peut relever l’allitération en [ch] : « mouche », ils sont des « poètes maudits ». La raison première
chasse », en [s] (« serait-ce », « chasse », « son- est historique et politique : il est difficile de trou-
nant », « ces oreilles », « sourdes »). Les sons ver sa place dans une société qui n’a plus pour
vocaliques se répondent eux aussi : le [o] et le unique valeur que l’argent, la réussite matérielle
[ou] sont très présents. et n’accorde plus à l’expression artistique et lit-
téraire une grande importance. Difficile aussi de
5. L’ironie du propos n’en est que renforcée : s’épanouir quand le gouvernement s’est transformé
malgré tout ce tapage, transformant le vol bour- en gérontocratie. Les anciens ne veulent pas céder
donnant de la mouche en sonnerie tonitruante leur place aux jeunes générations. Le sentiment
de chasse à courre (« cor », « fanfare des halla- d’exclusion est tel que les poètes l’expriment
lis »), le pendu reste sourd. Et pour cause : il est hyperboliquement comme une mise à mort sociale,
déjà mort. L’hallali ne le concerne plus. Dans le qui peut prendre la figure de la pendaison. Ecce
paragraphe suivant, on retrouve le même humour lex : c’est la loi. Plus profondément, les poètes,
noir. L’adjectif « sanglant » teinte le poème d’une sensibles, se sentent aussi du côté de tous les
touche horrifique. exclus et de tous les parias. Ils se représentent en
proscrits, voire en pendus pour rendre sensible
6. Chacune des rêveries peut être lue comme un leur appartenance au camp des petits et des misé-
autoportrait de l’artiste. Ici, le poète apparaît en rables, sans voix et sans public. La précarité du
pendu. La pendaison est un thème récurrent dans statut de l’artiste méconnu, pauvre, rejoint alors
Gaspard de la nuit : les mots de ce champ lexical la détresse des exclus. Elle est exprimée avec une
apparaissent une quinzaine de fois dans leur emploi certaine grandiloquence gothique, non dépourvue
normal ou figuré. Même les gargouilles d’une d’humour noir. Il ne s’agit plus de pleurer et de
église gothique se métamorphosent en condamnés se plaindre mais de proposer une vision sombre,
tordus par la douleur, semblables à des pendus. mélodramatique. Ces poèmes de la nuit où coulent
Ces images récurrentes sont à rapprocher de ce un sang d’encre, ces contes frénétiques témoignent
témoignage : « Quelquefois, écrit son frère, il de cette attirance distanciée pour l’étrangeté et la
dessinait des pendus au charbon et à la sanguine violence, qui métaphorisent aussi les obscurités
sur les murs des corridors. Ces dessins produisaient du moi.
un effet diabolique et effrayant ». Cela, alors qu’il
avait dix-neuf ou vingt ans. Plus tard, Aloysius
Bertrand dessine des pendus pour l’illustration MUSIQUE
de son recueil. Cette obsession de la pendaison, L’œuvre de Ravel intitulée Le Gibet fut créée
de la mort en général, s’explique peut-être par par le pianiste Ricardo Viñes à la salle Erard, le
la maladie qui va l’emporter. Plus sûrement, elle 9 janvier 1909. Le compositeur lui demanda un
renvoie à une certaine conception de la poésie jeu détaché, presque froid, pour faire ressortir
et du poète : paria, créature de la nuit inadaptée l’omniprésence de la « pédale de si bémol » qui
254 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
introduit et clôt le Poème pour piano. Elle donne lit. Violemment éclairés, sa peau claire, sa cheve-
un timbre très particulier aux notes ainsi jouées. lure blonde et son vêtement blanc attirent l’œil.
Les pianistes parlent d’une « ambiance plombée » C’est elle le personnage principal. On découvre
ou d’un « rythme de plomb ». Enfin, l’effet de alors que son sommeil est agité par un cauchemar.
répétition joue à plein. La pédale rend sonore Deux créatures étranges, surgissant de l’obscurité,
la répétition obsédante d’un même accord (en si retiennent le regard : un démon accroupi et une
bémol), un peu dissonant. Tout le morceau semble jument (« mare », en anglais), dont on ne voit
alors « suspendu » à cet accord, qui ne se résout que la tête.
qu’à la toute fin de la pièce, (en débouchant sur
un ultime accord en mi bémol mineur). Le déta- Le petit démon est un incube. Dans le folklore
chement ironique, au second degré, de certaines germanique et anglo-saxon, il visite les dormeurs
interprétations est éminemment romantique, tout et les dormeuses pour les effrayer. Il est à la fois
à fait dans le ton d’Aloysius Bertrand. drôle et angoissant. En effet, assis de tout son
poids sur la poitrine de la jeune rêveuse, il semble
l’oppresser et bloquer sa respiration. Le cauchemar
8 J. H. Füssli,
Le Cauchemar, 1781
p. ‹‹‹
a envahi son esprit et son corps en même temps.
Cependant, ses traits simiesques, ses gros yeux
globuleux et son rictus sont saisis avec humour
et sont moins terrifiants qu’amusants. Puis, on
distingue une tête de cheval émergeant d’une
draperie rouge. Le regard exorbité et le ricane-
Objectif : découvrir le romantisme noir,
ment du cheval peuvent faire peur : que vient-il
plus frénétique que lyrique.
faire ici ? De quoi rit-il, si ce n’est de la détresse
Intérêts du tableau : de la jeune femme agressée ? Que regarde-t-il
– L’expression des peurs inconscientes, aussi fixement, si ce n’est une scène violente ?
entre terreur et humour noir. Pourtant, le calembour visuel (night-mare) et le
– Initiation à la notion d’inconscient. sourire de la jument sont, dans le même temps,
plutôt cocasses, teintant la scène d’humour noir.
Peindre la nuit 4. La posture de la jeune femme est très particulière
LECTURE DE L’IMAGE et l’image est composée pour que le lecteur le
1. En représentant simultanément la rêveuse et constate. Le lit, immense, fait office de support :
son rêve, le peintre nous donne l’impression de le corps, en pleine lumière, occupe alors tout
rentrer dans le cauchemar de la jeune femme. l’espace. Il s’étend sur une ligne horizontale qui
En effet, de manière réaliste, nous voyons une traverse entièrement l’image, en plein milieu. C’est
femme plongée dans un sommeil profond. Mais lui le sujet du tableau. Or, on voit que ce corps au
nous découvrons aussi d’étranges créatures : un repos est comme torturé par la vision nocturne.
cheval, qui, certes, existe dans la réalité mais Les bras et la tête, sortant du lit, sont rejetés en
dont la présence dans une chambre à coucher arrière et tombent à la renverse. Les cheveux
est pour le moins saugrenue et un petit démon blonds, dénoués, se déroulent tumultueusement
que l’on ne saurait rencontrer dans la vie réelle. jusqu’au sol. La couverture rouge, qui a glissé
Nous devinons que ces êtres proviennent du rêve du lit, accompagne ce mouvement de chute et
de la belle endormie. Surgies de son imagination, sa courbe renforce l’aspect inquiétant de cette
ces créatures nocturnes ont envahi l’espace de la posture. Car enfin, le bras et la main gauches, en
toile afin que nous visualisions, très concrètement, zone de verrouillage, sont tellement abandonnés
ce à quoi rêvent les jeunes filles. Et avouons que qu’ils pourraient appartenir à une morte dont les
c’est surprenant. Notons que le petit démon nous yeux sont déjà clos.
regarde fixement : en accrochant notre regard, il 5. Le rideau et la couverture rouges, savamment
nous invite à entrer dans le tableau, à pénétrer drapés, évoquent l’univers du théâtre. Le traite-
dans cet univers fantasmatique rouge et noir. ment caravagesque du clair-obscur dramatise aussi
2. et 3. La scène représente, au premier plan, une la scène, plaçant en pleine lumière trois créatures,
femme en robe de satin, allongée, endormie sur un réelle ou fantastiques, se détachant sur fond de
· A lfred de Vigny,
« La Maison du
berger », Les Destinées,
le monde urbain. La vie moderne les blesse et fait
d’eux des créatures souffrantes. Dans la première
strophe, le cœur « gémissant » (v. 1) de la jeune
femme est comparé à un « aigle blessé (v. 2). Cette
créature autrefois ailée ne peut plus prendre son
1843 p. ‹‹› envol. Le champ lexical du mouvement terrestre
256 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
le montre : il « se traîne et se débat » (v. 2), son L’assonance, la reprise du son vocalique [en],
aile est « asservie » (v. 3). La souffrance qui en achève de conférer à l’alexandrin sa douceur
résulte est extrême, comme le montre le vers mélodieuse.
5, marqué par un vocabulaire particulièrement
Prolongement : le thème de la sacralité de la
doloriste : « S’il ne bat qu’en saignant par sa plaie
nature est posé par Vigny au vers 22. Il peut ensuite
immortelle ». On remarque que le gérondif « en
le déployer et lui donner son plein retentisse-
saignant » est placé à l’hémistiche et que l’adjectif
ment aux vers suivants. On relève ainsi des mots
« immortelle », insistant sur la pérennité de la
appartenant au champ lexical de la religion :
souffrance, se situe à la rime, autre place forte
« encensoirs » rime avec « reposoirs » et, dans
du vers. Dans ce tétramètre régulier, les quatre
ce contexte, le mot « colonnes » peut renvoyer
mots-clés (« bat », « saignant », « plaie », « immor-
à l’architecture sacrée des églises. Toute la nature
telle »), qui rendent le caractère hyperbolique de
devient un temple : les lys parfumés sont des
la souffrance, sont tous frappés de l’accent. Le
encensoirs, les troncs d’arbres des colonnes, le
septain suivant est tout aussi explicite : l’accent
saule, un reposoir. L’allitération en [s], déjà rele-
est mis sur la pesanteur matérielle du monde
vée, se déploie dans tout le septain, tissant ainsi
terrestre. L’âme palpitante de l’homme comme
une harmonie douce et musicale. Le vers 25,
de la femme est alors « enchaînée » (v. 8). Tout
tétramètre régulier, est un autre bon exemple de
est lourd, tout est de plomb, et la vie humaine
ce travail poétique.
est comparée à un « boulet » (v. 9). Amertume,
lassitude et découragement en résultent. 5. Eva fait penser à Ève, la première femme, la
compagne d’Adam dans la Genèse, premier livre
3. Au vers 14, l’image saisissante de la lettre impri-
de la Bible. Le couple maudit mis en scène par
mée au fer rouge sur l’épaule frémissante (« en
Vigny est chassé de la ville devenue un enfer
frissonnant », v. 13) de la jeune femme complète
moderne. Il espère retrouver dans la nature vierge
ce tableau expressif : les cicatrices laissées par ce
un paradis originel, un refuge qui ne serait pas
marquage humiliant sont aussi bien physiques que
encore marqué par la modernité, ici présentée
morales. La souffrance gagne tout l’être humain.
comme une faute ou, à tout le moins, une erreur.
La jeune femme, inadaptée au monde moderne,
En choisissant ce prénom, très connoté, le poète
n’est pas seulement exclue socialement : la lettre
présente le couple comme l’incarnation de la
imprimée dans sa chair la désigne à la vindicte
première femme et du premier homme. Ces pré-
publique comme étant une proscrite, voire une
curseurs sauront faire des campagnes inviolées
femme de mauvaise vie puisque le marquage était
l’espace d’un renouveau. Ils pourront, tels une
réservé aux galériens et aux prostituées. La honte
nouvelle Ève et un nouvel Adam, y recréer un
demeurera, bien plus longtemps que la souffrance
nouveau paradis, un nouvel Éden, loin de la souil-
physique.
lure des villes.
4. Le vers 22 présente la nature plongeant douce-
ment dans la nuit comme un nouvel Éden, asile Prolongement
plein de douceur réservé aux anges déchus. Pour Si on lit le poème dans son intégralité, on voit
mettre en valeur cette idée, Vigny convoque que cet espoir est vain. Voir dans la nature une
toutes les ressources de la poésie. La majuscule mère sensible accueillant des âmes souffrantes
placée à l’initiale du mot « Nature » la sacralise. avec douceur est une illusion. La nature est froide,
La jeune femme entre alors dans la nature comme indifférente aux douleurs humaines. Dans cet
dans un temple où tout serait calme, hiératique. « impassible théâtre » (septain 41), le cycle de
L’expression « silence austère » est ainsi mise en la vie se perpétue ; la vie et la mort se succèdent,
valeur par sa place finale ainsi que par la distri- sans attention particulière pour les créatures qui
bution des accents, frappant la dernière syllabe y participent.
de ces deux mots-clés. On remarque que ces deux
mots sont traversés par le son [s] et [t]. Ces deux ÉCRITURE
sons sont repris et disséminés dans tout l’alexan-
drin, grâce à l’allitération en [t] et en [s] qui le Vers le commentaire
caractérise, et cela confère au vers une grande 1.1. Toi et moi, un couple exclu et souffrant
unité sonore ainsi qu’une certaine musicalité. « La Maison du berger » est une « lettre à Eva »,
⁄8 Victor Hugo,
Pauca meæ, 1856
Présentation et objectifs de la séquence p. ‹‹·
Livre de l’élève p. ‹‹· à ‹›§
Pauca meæ est le quatrième livre des Contemplations. Il occupe une place centrale dans ce recueil,
puisqu’il est précédé de trois livres et suivi de deux livres assortis d’un long poème conclusif. Il est
également placé au début du deuxième tome, Aujourd’hui. Sa place médiane sépare Autrefois et
Aujourd’hui. Cela rejoint ce qu’il annonce dans la préface : « Un abîme les sépare : le tombeau ». De
plus, il existe une autre opposition : tout sépare la France heureuse, d’avant Napoléon III et la France
d’aujourd’hui, celle que Victor Hugo voit comme subissant le joug de la tyrannie.
C’est sur ces événements tragiques qu’insiste la séquence afin de montrer le lien entre le lyrisme
romantique, ici à coloration élégiaque, et la vie réelle, qu’elle soit intime ou collective. Le deuil, la
tristesse, le chagrin sont des émotions violentes, des passions de l’âme à la fois intimement vécues
et universellement partagées. C’est par les sentiments que nous sommes hommes, tous reliés les uns
aux autres par cette même capacité à éprouver. Ainsi, le poète romantique n’est pas cet effroyable
égotiste disant « je ». Il est notre semblable, nous sommes ses frères.
Objectif : découvrir un livre rose rouge dans ses cheveux noirs et porte une robe
des Contemplations, œuvre phare de la même couleur, évoquée dans le poème VI de
du romantisme. Pauca meæ (« Oh ! La belle petite robe/ Qu’elle
avait, vous rappelez-vous ? »). Le peintre a donc
Intérêts : saisi un instant sacré et heureux. On remarque que
– Découvrir le romantisme. le livre est ouvert à la page de la dormition de la
– Étudier l’énonciation lyrique : la parole Vierge, c’est-à-dire sa mort. Rétrospectivement,
du poète est à la fois intime et universelle. cela peut être interprété comme un étrange signe
– Le registre élégiaque. annonciateur.
La seconde œuvre, réalisée en 1863, commé-
more le vingtième anniversaire de la mort de
Entrée dans l’œuvre : Léopoldine. Le fond est sombre, presque noir.
On y distingue un burg, un de ces châteaux téné-
par-delà le silence et la mort breux qu’affectionne Hugo. Des taches rouges
en forme de fleurs défaites se mêlent tristement
p. ‹›‚ à la signature du poète. À droite, on découvre le
portrait de Léopoldine, dans un clair halo. Ses
HISTOIRE DES ARTS yeux sont clos. On comprend qu’entre les deux
1. Dans Léopoldine au livre d’heures, la fille de œuvres, l’irrémédiable est arrivé. Léopoldine est
Victor Hugo a onze ans. Elle regarde le spectateur morte et sa mort coupe le temps en deux. Il y a un
du tableau avec une joie grave. Elle va bientôt avant heureux et un après. L’auteur a donc opté
faire sa communion et se recueille devant un livre pour un découpage de son œuvre en deux parties
liturgique. Si l’instant est solennel, il est aussi que tout oppose : « c’est une âme qui se raconte
plein de la grâce et de la légèreté de l’enfance. dans ces deux volumes : Autrefois, Aujourd’hui.
Léopoldine, coquette, s’est parée : elle arbore une Un abîme les sépare, le tombeau ». Autrefois se
264 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
souvient des jours heureux ; Aujourd’hui est écrit met ainsi en avant son expérience la plus intime.
sous le signe du deuil. Le vécu est la source authentique, douloureuse de
son inspiration poétique et artistique. C’est donc
2. Pour réaliser sa composition, V. Hugo a mul-
sous un angle autobiographique que l’évocation
tiplié les matériaux. Le fond est réalisé à l’encre,
du deuil prend sens.
au lavis, au fusain et à l’aquarelle pour donner de
la texture et de la profondeur à cette gamme de 2. Hugo présente ainsi son œuvre : « Qu’est-ce
noirs et de bruns exprimant le deuil. Le portrait que Les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait
de Léopoldine, dessiné à la plume sur papier, a été appeler, si le mot n’avait quelque prétention, Les
découpé et collé sur ce fond d’ombre. Il se détache Mémoires d’une âme […] Est-ce donc la vie d’un
comme un fragment irrégulier et incomplet (une homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi.
partie du titre et de la robe est coupée), comme s’il […] quand je vous parle de moi, je vous parle de
avait été déchiré. C’est en accord avec l’épitaphe vous […] Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas
latine : « Fracta juventus ». On peut la traduire toi ! » Sa poésie a donc une portée autobiogra-
par « jeunesse brisée », coupée et déchirée avant phique : elle retrace la vie d’un moi, personnage
d’avoir été complètement vécue. et poète parlant en son nom propre, Ego Hugo.
Cependant, en reprenant le terme « mémoires »,
3. Littéralement, Pauca meæ signifie « quelques
qui n’est pas sans évoquer Chateaubriand, le poète
petites choses pour la mienne ». L’auteur emprunte
souligne l’imbrication de son histoire personnelle
l’expression à Virgile, qui l’utilise dans Les
et de l’histoire collective, elle aussi fort triste.
Bucoliques pour rendre hommage à un poète élé-
En effet, le peuple vit sous le joug de Napoléon
giaque défunt, Gallus. Le poète se place donc dans
III. Victor Hugo, poète de l’intime, est aussi un
le sillage prestigieux de Virgile, puisqu’il le cite.
proscrit, un paria exilé qui s’adresse non plus à une
Toutefois ses élégies seront bien plus modestes :
bourgeoisie lettrée mais au peuple des opprimés.
elles seront faites de « petites choses ». Brisé
Son deuil est en correspondance avec celui de
par le chagrin, le poète ne peut plus chanter un
la France. Enfin, parce que sa douleur est vraie,
éloge funèbre grandiose. Pour se souvenir de sa
chaque personne ayant souffert peut se recon-
fille, apprivoiser son absence et ainsi recoller les
naître et s’identifier au poète qui dit « je ». Le
morceaux d’une vie brisée, il accumule et assemble
recueil a donc une portée personnelle, collective
de petits riens : fragment de dessin, bribes de
et universelle.
souvenirs, détails insignifiants sauvés de l’oubli
comme autant de reliques. Ces bagatelles, aussi
essentielles que dérisoires, permettent de revivre
le passé heureux et, ainsi, peut-être, de mieux
supporter le présent. Dessins et poèmes forment
EXTRAIT 1 Recommencer
ainsi une humble offrande à l’enfant chérie. Elles à écrire p. ‹›⁄
sont la matière même, sensible et délicate, d’un
« tombeau pour Léopoldine » – un poème écrit « Trois ans après » est le troisième poème de
pour célébrer la défunte. Pauca meæ.
LECTURE DU TEXTE
LECTURE DU TEXTE 1. Le poète peut s’adresser :
1. Le nom du poète – autant dire ce qu’il a de plus – à lui-même : une partie de lui n’a pas renoncé
personnel – se détache en lettres rouges peintes à être le mage romantique dont la poésie guide
à la gouache sur le fond sombre. Le nom propre l’humanité ;
« Hugo », en devenant un motif graphique à part – à son lectorat, qui attend du poète prophète
entière, s’ancre et s’étend dans la zone couleur de qu’il continue son œuvre de guide et de défenseur
nuit. De même, dans le poème, le poète exprime des opprimés. En effet, avant d’être expulsé de
la douleur du deuil en disant « je ». Le pronom France par le décret du 9 janvier 1852, V. Hugo
personnel à la première personne du singulier a pris position, en poète républicain, contre la
est très présent et confère au texte son lyrisme politique liberticide de Napoléon III qu’il nomme
élégiaque. On peut citer l’octosyllabe suivant : ironiquement « Napoléon le Petit ». Il s’est porté
« Je suis terrassé par le sort ». Le poète lyrique au secours des pauvres et des exclus ;
18 Victor Hugo, Pauca meæ | 265
– à Dieu, qui lui commande une tâche obscure. père souffrant (strophe 5), un homme seul lassé
Les deux dernières hypothèses de lecture sont de vivre. Dès lors, il considère sa vie vraiment
les meilleures. vivante comme terminée, comme le montrent les
vers suivants : « Je regarde ma destinée,/ Et je vois
2. On remarque l’insertion d’un interlocuteur fictif
bien que j’ai fini » (v. 23-24). Le passé composé
enjoignant le poète à recommencer, sans préciser
montre que quelque chose est achevé. Le regard
quoi : « Que veut-on que je recommence ? »
prospectif et rétrospectif sur soi, caractéristique de
(v. 5). La sixième strophe révèle qu’il s’agit de
la démarche autobiographique, permet de prendre
son « œuvre » poétique, « pas terminée ». La
du recul et d’établir ce bilan. L’impression laissée
strophe suivante dessine plus précisément encore
par le dessin intitulé « Ma destinée » est sem-
les contours de la mission prophétique assignée au
blable. La vague effectue elle aussi un mouvement
poète : il faut réveiller ceux qui dorment, leur mon-
de retour sur elle-même. De plus, l’atmosphère
trer où est la lumière, « l’aurore ». Cela suppose de
d’orage et de tempête matérialise les troubles du
rassembler ses forces et de reprendre goût à la lutte
poète. Le poète s’identifie à l’océan et fait de la
(v. 29-30). Le terme « mêlée », placé à la rime, est
vague écumante, sur le point de se briser, une
explicite. Le poète refuse avec véhémence, comme
image de sa destinée.
le montrent les nombreuses phrases exclamatives
exprimant sa protestation indignée. De fait, entre
1843 et 1846, Victor Hugo n’écrit plus de poésie.
Le deuil se fait dans le silence et l’auteur préfère
commencer un roman, Les Misérables, dès 1845.
EXTRAIT 2 Bonheurs enfuis
La mort vue de près assèche la parole poétique, p. ‹›¤
lui coupe son élan et la remet en question. Dans
« Trois ans après », il en expose les raisons. Sa vie
n’est plus que désespoir et souffrance. Le verbe LECTURE DU TEXTE
« souffrir », employé à deux reprises, est conjugué 1. Le bonheur envolé est exprimé par de nombreux
au passé et au présent (v. 19-20), ce qui signale détails évoquant le passé familial heureux. Le poète
l’étalement de la douleur dans la durée. Il est donc revoit ses quatre enfants sur ses genoux, ses amis
fatigué de vivre et d’écrire, « terrassé » même au coin du feu et surtout, les visites de son aînée. Il
(v. 2) et aspire au silence et au repos. évoque, à l’imparfait itératif, le « pli », l’habitude
charmante qu’avait Léopoldine de venir chaque
3. Il souhaiterait dormir, mourir, rien de plus. Il matin le saluer. On remarque l’habileté du père à
le répète inlassablement : il rêve de « ténèbres brosser de son enfant un portrait en mouvement :
où l’on dort » (v. 4) ; il veut « s’en aller avant quand elle pénètre dans la pièce, un tourbillon
le soir » (v. 12). Le dernier vers est significatif. de vie entre avec elle. Elle ne tient pas en place.
Cette phrase doublement exclamative, averbale, Les verbes d’action se succèdent rapidement,
est une hypotypose : en huit syllabes, elle propose entraînant une scansion saccadée de l’alexan-
un tableau saisissant, très pictural, de ce à quoi il drin tandis que les assonances et les rimes en [ai]
aspire. On voit ce qui l’obsède : un carré « d’herbe confèrent au vers sa cohérence sonore : « Elle
épaisse ». Si l’herbe est grasse, c’est parce que des entrait et disait » (v. 4), « prenait », « ouvrait »,
morts sont enterrés là. Et on comprend, sans qu’il « s’asseyait » (v. 5), « dérangeait », « riait », « s’en
soit besoin de préciser, qu’il désire les rejoindre allait » (v. 6-7). Elle est tour à tour comparée
et nourrir l’herbe. au « rayon », à « l’oiseau » en mouvement. Son
4. L’octosyllabe, vers court, se prête bien au carac- babil est reproduit textuellement grâce au discours
tère véhément de ce poème dialogué. direct (v. 4) ou résumé au discours indirect. Son
langage oral ou écrit inspire le poète. Car elle
écrit ! Elle griffonne les manuscrits de son père.
HISTOIRE DES ARTS Or, loin d’être dépourvue de sens, « l’arabesque
5. Le poème, très autobiographique, dresse la liste folle » tracée par la petite fille est un texte obscur
des êtres chers qui ont disparu : la mère, Sophie qui fertilise souterrainement l’imagination du
Trébuchet, décédée en 1821 (strophe 4), Claire grand poète. C’est ce qu’exprime le vers 13 : la
Pradier, la fille de Juliette Drouet et sa propre page blanche, froissée et gribouillée par l’enfant
fille, Léopoldine. Cette triple perte fait de lui un poète, est l’espace vierge « où, je ne sais comment,
266 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
venaient mes plus doux vers ». Sans doute parce
que passe dans « l’écriture » de Léopoldine ce
EXTRAIT 3 Le rendez-vous
que l’enfant a dans son âme : « Dieu, les fleurs, p. ‹›‹
les astres, les prés verts » (v. 14), autant dire un
univers complet, naturel et sacré. Elle ne sait Écrit le 4 octobre 1847, le poème est daté du
pas encore écrire des mots mais elle sait, dans 3 septembre 1847, date anniversaire de la mort de
ses gribouillis, capter et faire capter à son père la Léopoldine. Ce changement de date est significa-
douceur du monde. En tout cas, son père aimant tif : il faut faire concorder le temps chronologique
en est persuadé. et le temps symbolique. Dans la réalité, V. Hugo
ne put se rendre sur la tombe de sa fille que bien
plus tard.
2. Au vers 7, le verbe « passer » peut avoir deux
sens en même temps. Si l’on songe au contexte
d’avant 1843, il évoque le mouvement plein de
grâce de la petite fille, comparée à un oiseau. Après LECTURE DU TEXTE
1843, le verbe prend une teinte plus grave. Il est 1. Les pronoms personnels utilisés sont ceux du
synonyme de mourir, de trépasser. dialogue à deux voix : « je » et « tu ». Dès la
première strophe, ils sont très nombreux, souvent
placés au début du vers, à l’hémistiche ou à la
3. Le rituel charmant que constitue la visite quoti- rime, ce qui les met en valeur. Ainsi, le poème
dienne de l’enfant à son père témoigne et renforce devient l’endroit où le père peut encore par-
leur relation fusionnelle. Ils sont tous les deux ler à sa fille décédée et faire comme si elle était
poètes ; l’un est le reflet de l’autre. On peut citer encore là, comme si elle l’attendait. On peut
le vers 16 : « Son regard reflétait la clarté de son citer le vers 2, car les deux pronoms se suivent
âme ». Le verbe « reflétait », à l’hémistiche, insiste et s’enchaînent avec vivacité dans un alexandrin
sur leur relation en miroir. Le chiasme des vers au rythme heurté : « Je partirai. Vois-tu, je sais
24 et 25 renforce la complicité et la réciprocité que tu m’attends. » On remarque que le pronom
totales. Le père semble vivre par et pour sa fille. « tu » est répété. Frappé de l’accent et/ou suivi
Au vers 23, l’interjection « hélas ! », qui est un d’une virgule, il est mis en valeur phoniquement.
rejet dans la structure du poème, ressemble à un L’allitération en [t] diffuse tout au long du vers la
soupir de désespoir traduisant son regret et sa consonne « t » qui est à l’entame du mot « tu ».
tristesse lorsque son enfant a disparu. La poésie fait entendre le pronom renvoyant à
Léopoldine.
4. Les poèmes VI, VII et IX, tournés vers le passé,
2. Ce n’est que dans la dernière strophe que l’on
évoquent eux aussi l’enfance de Léopoldine.
devine que le poète a rendez-vous avec sa fille
L’imparfait itératif y domine, qui insiste sur le
décédée, lorsqu’on trouve à la rime le substantif
retour périodique des rires et des jeux, des chansons
« tombe ». L’attente et l’effet de surprise, créés
et des prières. Chaque jour qui passait ramenait
par ce procédé dilatoire qu’est la chute, sont par-
son cortège de scènes heureuses. Banales, sem-
ticulièrement poignants.
blables à des images d’Épinal – la famille sous
la lampe pour lire la Bible (VII) –, ses saynètes 3. Les strophes 2 et 3 peignent le poète replié sur
de la vie quotidienne étaient le cœur même du lui-même. Le travail sur le rythme met en relief
bonheur. Léopoldine y jouait un rôle central. le champ lexical de la cécité, montrant un poète
Elle n’est jamais nommée mais le pronom « elle » aveugle et sourd aux beautés du monde extérieur.
qui la désigne est maintes fois répété. Il inscrit sa Le vers ralentit et déborde, pour souligner sa tris-
présence vivante au cœur du poème. De même, tesse sans fin : « les yeux fixés sur mes pensées »
on relève de nombreuses occurrences du pronom (8 syllabes, v. 5), « Sans rien voir au dehors, sans
« nous », désignant la paire que forment le père et entendre aucun bruit » (enjambement de 12
son aînée. Les passages au discours direct donnent syllabes, v. 6) – on remarque ici le parallélisme
à entendre, au présent, les paroles de l’enfant et de construction. Les vers 9 et 10 présentent aussi
sont une manière de maintenir le dialogue avec un enjambement : « Je ne regarderai ni […] / Ni »
elle. C’est comme si la communication avec sa (v. 9-10). La posture physique du poète indique
fille n’était pas totalement interrompue. elle aussi le repli, voire la prostration. Là encore,
18 Victor Hugo, Pauca meæ | 267
le travail sur le rythme le met en valeur : le vers LECTURE DU TEXTE
6 est composé de quatre expansions du nom frap- 1. « Maintenant » est repris cinq fois en anaphore.
pées de l’accent et séparées par des virgules. On Cet adverbe, qui ancre l’énonciateur dans la situa-
ressent l’accablement interminable du sujet : tion d’énonciation, hic et nunc, est accompagné du
« Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées ». champ lexical de l’apaisement. On peut relever :
L’adjectif « seul », monosyllabe frappé de l’accent « Je sors, pâle et vainqueur » (du deuil) (v. 6),
et séparé par la virgule, prend un relief saisissant. « la paix » (v. 7), « ce calme » (v. 9), « apaisé »
Il en va de même pour l’adjectif « triste », rejeté (v. 18). Désormais, le poète qui prend ici la parole
au vers suivant. ne se révolte plus contre son destin. Il se résigne
Enfin, on entend des rimes internes (« courbé »/ et accepte la volonté divine.
« croisées », désinence du futur) qui renforcent la
cohérence sonore de l’ensemble. On peut remar-
quer que le nom « tombe » rime avec le verbe 2. Alors que dans le poème précédent, le poète
« tombe ». Cette holorime rend palpable la chute, restait aveugle, fermé à la beauté du monde, il
l’effondrement du sujet en deuil. Le chagrin du redevient ici capable de contempler la nature avec
père contraste avec la beauté de la nature, rendue émotion. Le participe « voyant » est répété deux
sensible par la douceur des sonorités des mots fois au vers 15. Il se dit capable de « voir » (v. 11),
la décrivant. Ainsi, le vers 10 fait entendre des de se laisser attendrir par les « divins spectacles »
sonorités liquides pour évoquer les harmonies du de la nature (v. 13). On remarque que son regard
soir. De même, le dernier vers fait entendre des porte de plus en plus loin. Il regarde d’abord la
allitérations en [b] et en [v] qui le rendent très tombe (strophe 3), puis l’horizon avec les « Plaines,
musical, très doux. C’est à tout cela que le poète forêts, rochers, vallons, fleuve argenté » qui com-
est devenu étranger. posent le paysage réel. Enfin, plongeant dans une
contemplation qui lui fait voir l’infini, il embrasse
HISTOIRE DES ARTS du regard « l’immensité » (v. 16), dans un mou-
4. C. D. Friedrich nous fait ressentir la mélancolie vement d’expansion maximale. S’il est capable,
du promeneur se rendant à L’Entrée du cimetière une fois la révolte passée, de s’ouvrir ainsi autant
(1825). Le personnage éploré baisse la tête, se au monde et aux autres, c’est parce que son cœur
replie sur lui-même, s’appuie au pilier. Il est vêtu a été « brisé » par la douleur la plus grande. C’est
de noir des pieds à la tête, couleur du deuil et un œil de créateur, capable de dépasser la douleur.
de la tristesse. On peut voir dans le paysage qui Dès lors, il perçoit les connexions secrètes entre
l’entoure un « paysage état d’âme », reflétant ses les hommes, la nature et Dieu.
impressions. Fortement composée, l’image oppose
un premier plan massivement occupé par deux
piliers et une grille séparant nettement le monde 3. Après s’être révolté contre la mort injuste de
des vivants et celui des morts. Au second plan, son enfant, le poète accepte cet arrêt du destin.
se trouve précisément le monde des morts. L’œil Il renonce à lutter et se tourne humblement vers
y devine des tombes disséminées dans l’herbe et Dieu. L’allitération en [v] et le verbe de mouve-
un monument aux morts. À l’arrière-plan, une ment du premier hémistiche rendent sensible ce
forêt se dresse, plongée dans un triste brouillard. travail de conversion, au sens propre, c’est-à-dire
Les couleurs froides dominent. Ce paysage est de retournement et d’élan physique vers un dieu
bien à l’image de ce que ressent le personnage. dont il proclame désormais la bonté après avoir
dénoncé son incompréhensible cruauté. Le verbe
« confessant » signifie ici « avouant, reconnaissant
publiquement » : il pose les bases d’une nouvelle
religion d’amour et d’acceptation. Ce participe
EXTRAIT 4 L’apaisement présent est suivi d’une complétive comprenant
une cascade d’adjectifs qualificatifs insistant sur
p. ‹›› la bonté divine. L’enjambement du vers 21 à
Ce poème est fictivement daté du jour suivant 22, la longueur de l’énumération des attributs
« Demain, dès l’aube » et situé à Villequier, la ralentissent le rythme et accentuent le caractère
commune où sa fille est morte. solennel de cet acte de foi.
268 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
les amis dispersés par la guerre. Nous avons choisi
L’expression artistique de reproduire « La Colombe poignardée et le jet
du deuil p. ‹›∞ d’eau », qui montre combien le dessin, loin d’être
seulement décoratif, se combine avec le sens des
mots. La lecture du dessin et celle des mots se
LECTURE DES TEXTES conjuguent et le message – la perte des amours –
ET DES IMAGES en est renforcé. Le calligramme figure une vasque
1. Au xixe siècle, faire des taches puis les uti- où jaillit et retombe un jet d’eau. Tout le poème
liser pour faire naître un dessin était un jeu de dessine et dit la chute. Le vers 1 semble brisé au
société auquel de nombreux écrivains se sont milieu par la disposition de « poignardées » et le
adonnés. Cependant, Théophile Gautier est C majuscule. À partir du deuxième vers, le poète
frappé par le génie de Victor Hugo qui fait de énumère, en majuscules qui accrochent le regard,
cet amusement un acte de création. La qualité la longue liste des jeunes filles qu’il a aimées et
qu’il met en avant est la capacité de V. Hugo à dont il ne sait plus rien. Pleurent-elles et prient-
transformer une banale « tache d’encre ou de elles, comme le jet d’eau, les hommes partis au
café » en image où l’on reconnaît une forme, une front ? C’est ce que suggère l’avant-dernier vers,
figure inquiétante. En dessinant ainsi, il révèle qui met en valeur ces deux verbes en les plaçant
le mystère caché dans ces bouts de papier taché. visuellement en début et fin de ligne.
Plus généralement, Hugo, le voyant, voit et fait
voir la dimension « invisible », « fantastique »
des choses réelles. C’est comme si le monde réel
avait un double noir et inquiétant que le « vul-
FICHE DE LECTURE
gaire » (c’est-à-dire nous) ne voit pas mais que La poésie ou la traversée
le génie romantique sent et montre. Il met au du deuil p. ‹›§
jour l’inquiétante étrangeté des choses familières.
2. Victor Hugo frappe par la diversité de ses talents. La jeune fille et la mort
Il est poète, romancier, dramaturge, législateur,
orateur hors pair et dessinateur. « Tout à tous » 1. Le deuxième poème de Pauca meæ, intitulé
est sa devise et on pourrait ajouter qu’il veut tout « 15 février 1843 », évoque le jour où Léopoldine
exprimer pour tous et de toutes les manières pos- s’est mariée avec Charles Vacquerie. Si le père
sibles : c’est dans cette démesure que l’ensemble de souhaitait le bonheur de son enfant, il ne manque
l’œuvre de Victor Hugo trouve son unité profonde. pas de préciser combien l’envol de sa fille l’a laissé
un peu triste. On relève les termes dysphoriques
3. Les points de suspension portent bien leur « ennui » (v. 4), « regret » (v. 7) ou « larme » (v. 8).
nom : ils rendent visible l’arrêt, le suspens de Rétrospectivement, la scène semble annoncer
la parole poétique. Ces signes de ponctuation un départ autrement plus tragique et définitif :
matérialisent l’indicible, la douleur que nul mot la mort de Léopoldine.
ne peut évoquer et la vie qui désormais se vivra
en pointillé.
ÉCRITURE
LECTURE DU POÈME Vers la dissertation
4. En 1914, dans la revue Les Soirées de Paris, « Toute poésie est la voix donnée à la mort »,
Apollinaire signe cinq poèmes figuratifs auxquels il écrit le poète Philippe Jaccottet dans La Semaison.
donne le nom d’idéogrammes puis de calligrammes. Ainsi, si l’on veut écrire une poésie qui ne soit
Il envisage alors de les publier en album sous le pas superficielle, il faut regarder la mort en face
titre « Et moi aussi je suis peintre ». L’ouvrage et l’évoquer. On peut être surpris par la gravité
ne paraîtra pas à cause de la Première Guerre du propos et préférer les poèmes qui célèbrent
mondiale. En 1916, blessé à la tête, Apollinaire la vie. Cependant, nous ne naissons que pour
reprend ses activités littéraires, et en 1918, il mourir. La finitude humaine – le fait que nul ne
publie Calligrammes, poèmes de la paix et de la puisse échapper à la mort – constitue une vérité
guerre. À travers deux figures, une colombe et un incontournable. S’y confronter, c’est découvrir et
jet d’eau, le poète évoque les amours perdues et accepter notre vulnérabilité et notre faiblesse de
18 Victor Hugo, Pauca meæ | 269
créature mortelle. Bien malgré lui, Victor Hugo en optimiste, veut croire que la mort délivre de
fait la cruelle expérience. Pauca meæ, qui occupe toute souffrance. « Les morts ne souffrent plus.
la place centrale des Contemplations, est inté- Ils sont heureux » (v. 26), avoue Hermann. Le
gralement dédié à Léopoldine, l’enfant disparue second, le narrateur et personnage principal, le
présente dans les dix-sept poèmes. Ce livre fait contredit violemment : « Tais-toi ! » (v. 31). Il
entendre la voix élégiaque du père confronté à la soutient la thèse adverse : la mort, et non la vie,
mort. Se dresse sa plainte douloureuse et authen- est un malheur atroce puisqu’elle prend ceux qu’on
tique. La dimension vécue, autobiographique, est aime (« C’est ton ange expiré, c’est ton père et ta
en effet sans cesse rappelée. L’omniprésence du mère », v. 34). Parallélismes de construction et
pronom « je », dans « Trois ans après » le montre antithèses font du discours d’Hermann le reflet
(« Je suis terrassé par le sort »). Cette expérience inversé de la plainte du narrateur. Ces deux voix
vraie rend sa parole légitime : il ne ment pas, il a sont celles qui bataillent dans l’âme déchirée du
vécu dans sa chair et dans « son âme » (Préface) poète. Ainsi, au-delà de la référence culturelle aux
l’expérience la plus douloureuse qui soit, intime contes romantiques allemands, V. Hugo évoque
et universelle, abordée dans ses moindres détails une thématique très personnelle : il se peint, à
pathétiques et lyriques. Dès lors, Hugo, parce qu’il travers ces deux personnages fantastiques, comme
donne sa voix à la mort, peut faire entendre une un homme déchiré, oscillant entre révolte et
parole juste, qui fait entendre la douleur initiale soumission à la loi du monde, à savoir la mort.
(« Oh ! je fus comme un fou dans le premier
moment », IV), la révolte contre la mort, déité 5. Ludmila Charles-Wurtz attire notre attention
cruelle qui joue avec les pauvres mortels comme sur les verbes de mouvement, conjugués au temps
avec des marionnettes (« À qui sommes-nous ? de la certitude qu’est le futur : « je partirai »,
Qui nous a ? Qui nous mène ? », VIII) et l’accep- « j’irai », « je marcherai », « j’arriverai ». Au
tation finale, assortie d’une grande sympathie pour sens littéral, le poète annonce qu’il effectuera un
toutes les créatures souffrantes de l’univers, qu’elles pèlerinage sur la tombe de sa fille. Il est sûr de ce
soient humaines, animales ou même inanimées. fait. Cependant, ce déplacement ne pourra pas
La mort l’a changé et rendu capable de ce travail. avoir lieu dans l’espace réel. Hugo, condamné à
Désormais, il pourra parler pour les opprimés en l’exil par Napoléon III, n’a pas le droit de « fouler
employant le ton juste, le mot vrai. le sol français ». C’est donc un voyage symbolique
dont il est question. Il se produira dans l’espace
du poème. Enfin, c’est un voyage bien triste. Le
De la révolte à l’apaisement poème le donne à voir : « le dos courbé », le père
ploie sous le poids de la douleur. Apprendre la mort
3. Le poète confronté à la mort de son enfant de son enfant, c’est mourir soi-même. Peut-être
passe par quatre phases différentes : même pire. Effectuer, par l’écriture, un trajet vers
– la douleur : après avoir rappelé la nature céleste l’enfant défunte, c’est aller au devant de sa mort.
de Léopoldine (I), il évoque quelle douleur fut la Le voyage est donc aussi métaphysique.
sienne quand il apprit sa mort (II) ;
– le désespoir : le poète s’abandonne à la tentation 6. V. Hugo détourne la formule attribuée à Jules
du désespoir (III, IV, VIII, X, XI, XII, XIII, XIV) ; César, évoquant devant le Sénat romain l’effica-
– le retour dans le passé heureux : dans les poèmes cité de sa stratégie militaire lors de la bataille de
V, VI, VII et IX, le père s’arrache à la douleur Pharnace (en actuelle Turquie) : Veni, vidi, vici
présente en ressuscitant, par l’écriture nostalgique, (« Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »). Loin de
le bonheur perdu. Il fuit dans le passé ; l’orgueil de l’empereur, il avoue misérablement
– l’acceptation de l’inacceptable : dans les poèmes que la douleur lui a livré bataille et l’a terrassé.
XV, XVI et XVII, V. Hugo accepte la souffrance et C’est un empereur déchu. Il est vaincu, il a vécu.
revient vers Dieu. Il rend hommage à son gendre, C’est un euphémisme pour dire qu’il est mort.
à sa fille et invoque une religion de l’amour.
7. En évoquant les moments heureux, en se nour-
4. Les deux cavaliers, issus de la mythologie ger- rissant du passé qui hante la mémoire ou revient
manique, représentent les deux faces de Victor inconsciemment quand on rêve (ou que l’on fait
Hugo, successivement animé par l’espoir et rongé tourner les tables), on peut, par l’art et l’écriture,
par le désespoir. En effet, le premier cavalier, garder vivant le souvenir des disparus.
270 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
8. Dans cet extrait, l’océan représente l’infini. se retourner pour regarder la morte – ou la Mort
Le poète endeuillé s’est mis « En marche », titre – tant qu’ils seront dans les souterrains infernaux.
du livre V. Il quitte le monde des hommes, trop Hélas, le poète à la lyre ne respecte pas cet inter-
peuplé, et se rend « Au bord de l’infini », titre dit. À peine a-t-il enfreint ce tabou que l’ombre
du livre VI. Il est seul. Après avoir vu la finitude d’Eurydice s’évapore. À jamais. Orphée consacre
humaine (la limite qu’est la mort), il contemple alors son existence à déplorer la mort définitive
l’infini, l’illimité. d’Eurydice. Il fait entendre une plainte intime,
personnelle, en s’accompagnant de sa lyre. C’est
l’origine du lyrisme.
Une traversée de l’Enfer En plaçant ses pas dans ceux d’Orphée, Victor
9. Dans Les Métamorphoses, Ovide rappelle l’his- Hugo reprend la tradition de l’élégie, poésie lyrique
toire du plus grand des poètes. Orphée, après de la plainte douloureuse. Il reprend aussi le thème
avoir perdu son épouse Eurydice mordue par un de la quête de celui/celle qui n’est plus et veut
serpent, décide d’aller la chercher aux Enfers. Or, croire que sa poésie pourra le/la faire revenir.
il sait bien que le dieu des Enfers, Hadès, ne rend C’est ainsi que l’on peut interpréter « Demain dès
jamais ses proies. Comment faire ? Il espère que l’aube » : V. Hugo a rendez-vous avec l’absente.
la puissance enchanteresse de son chant poétique Il sait bien que c’est impossible et que la jeune
infléchira le juge austère. De fait, Hadès l’écoute, fille ne reviendra pas. Cependant, il la retrouve
s’attendrit et accepte de lui rendre son épouse. dans l’espace imaginaire du poème. Du moins
Mais il pose une condition : Orphée ne devra pas l’affirme-t-il.
⁄· Poésie
de la modernité
Présentation et objectifs de la séquence p. ‹›‡
Livre de l’élève p. ‹›‡ à ‹6°
L’histoire de la poésie, à partir de 1850, coïncide avec l’avènement d’une Europe en pleine mutation
économique, sociale, et industrielle. La poésie se fait l’écho du monde moderne en train de naître. Le
développement des centres urbains, les progrès techniques et scientifiques, les révolutions politiques,
sont autant de facteurs d’une transformation radicale de la société, des modes de vie, des mœurs, des
modèles culturels et esthétiques. La notion même de beauté évolue. Un train, un pont, une usine
peuvent devenir objet de représentation artistique. Les avant-gardes du début du xxe siècle, jusqu’à
la veille de la Seconde Guerre mondiale, prolongent et amplifient cette extension des domaines de
l’exploration poétique. C’est la nature de cette rupture, et l’histoire de cette métamorphose que la
séquence suggère de découvrir.
Le premier corpus propose de croiser des poèmes qui font de la ville un spectacle au cœur de la
modernité, et d’autres qui évoquent explicitement les arts du spectacle. « Les Foules » de Baudelaire,
« Le Bruit des cabarets » de Verlaine et « La Chanson du mal-aimé » d’Apollinaire se présentent
comme des croquis témoignant de l’effervescence urbaine. « Les Vocations » et « Pantomime » nous
plongent au cœur de la pratique et de l’esthétique théâtrales. Enfin, l’étude des Enfants du paradis de
Marcel Carné, que le professeur pourra développer s’il le souhaite, permet la rencontre entre l’espace
poétique d’un auteur et d’un réalisateur et les lieux de représentation du spectacle vivant au xixe siècle.
Le deuxième corpus invite, à travers cinq textes, à lever le voile sur les nouvelles formes du discours
amoureux dans la poésie moderne et d’avant-garde.
En suivant cette démarche de découverte, on distingue d’abord les recherches formelles de Gautier.
Baudelaire, quant à lui, suggère de chercher la beauté partout où elle se trouve, dans une poésie qui
engage le poète sur des terrains où l’on ne l’attendait pas, comme la foule urbaine. Pour Verlaine,
la musicalité du poème n’est plus un ornement pour le sens, elle en devient la matière même. Avec
les audaces poétiques de Rimbaud, une figure nouvelle émerge : celle du poète qui ne sépare plus la
vie de l’écriture poétique.
Les textes d’Apollinaire et de Desnos enfin, permettent de comprendre comment la poésie s’affranchit
des règles de versification traditionnelles, comment elle exprime l’expérience d’un « moi » entraîné
dans la marche du temps et de l’histoire.
Les deux dernières pages de la séquence proposent une vision synthétique des courants et des grandes
figures caractéristiques de la poésie de 1850 à 1939.
Bibliographie
– JARRETY Michel, La Poésie française du Moyen Âge au xxe siècle, PUF, 2007
– Les Enfants du paradis, Marcel Carné, Jacques Prévert, Catalogue de l’exposition à la Cinémathèque
française, Éditions Xavier Barral, 2012
⁄ ¤ Charles
et Baudelaire,
« Les Foules » et
Dans « Les Vocations », la conversation entre les
quatre garçons a lieu dans un jardin public, lieu
caractéristique de la ville. De même, le théâtre,
lieu de la première évocation, renvoie à l’univers
›
Paul Verlaine,
« Le Bruit
des cabarets »,
ferraille et de boues », « ses yeux verts et rouges »,
« tout en fumant leur brûle-gueule », « murs
suintants, pavé qui glisse », « Bitume défoncé ».
– Odorat : « la fange des trottoirs », « l’égout ».
Tout concourt donc à assimiler la ville à un enfer
La Bonne Chanson, 1891 sonore (bruits métalliques), visuel (l’omnibus
personnifié se présente comme un monstre méca-
p. ‹∞∞ nique), et à la percevoir comme un monde glissant,
Objectif : découvrir une poésie qui remet humide et sale.
en cause le lyrisme pour rendre compte du 6. On peut imaginer qu’au bout de la souffrance
monde moderne. endurée par le poète dans la ville moderne se
Intérêt du texte : une voix dissonante sur trouve sa libération. Il doit en passer par cette
la modernité, une poésie qui se présente agression urbaine, comme dans un parcours initia-
comme une tranche de vie. tique, pour accéder au « paradis », à la libération,
libération dont la première et peut-être la forme
Un regard critique sur la vie ultime n’est que le poème qu’il vient d’écrire.
moderne
LECTURE DU TEXTE
1. La ville est ici une source de perturbation et de
dégoût. Elle est perçue comme intrusive, envahit HISTOIRE DES ARTS
l’intériorité du sujet, le privant de toute sérénité. 7. La technique impressionniste, qui ne délimite
Cette question sera l’occasion de montrer aux que très peu les contours du sujet, contribue à
élèves comment les poètes modernes rejettent présenter le Boulevard des Italiens comme un lieu
le lyrisme, ou le détournent pour se rapprocher chaotique, où se croisent omnibus, passants, et
d’une vision plus réaliste du monde. Ici, aucune fiacres dans une évidente cohue. Cette impression
idéalisation, aucune fascination pour les signes de de foule et de confusion fait écho au poème de
la modernité, mais une répulsion très violente du Verlaine, même si la peinture représente un « effet
poète pour la ville. de soleil », contrairement au poème de Verlaine.
∞
par la froideur de la statue.
Marcel Carné, – Plan C : le regard de Nathalie, assise, est adressé
Les Enfants à Baptiste qui est debout et lui tourne le dos, le
regard perdu devant lui. Ici encore, la position des
du paradis, 1945 personnages et leurs regards expriment la ronde
des sentiments à l’œuvre dans le film : Baptiste
p. ‹∞§-‹∞‡ pense à Garance dont il est amoureux, et tourne
Objectif : étudier un film sur le monde le dos à l’amour de Nathalie qu’elle lui avoue dans
du spectacle au xixe siècle. une position d’humilité et d’espérance.
– Plan D : c’est un plan particulièrement intéres-
Intérêt du film : sant. Le regard de Lemaître, d’une impressionnante
– Entre réalisme et onirisme, un tableau intensité, semble foudroyer Garance, qui est dans
parisien. une loge avec son mari le comte de Montray.
– Découverte du milieu artistique. Il joue la jalousie d’Othello, le personnage de
– De la scène à la vie. Shakespeare qu’il est en train d’interpréter, tout
en exprimant son authentique jalousie envers
LECTURE DES IMAGES Garance. Théâtre et vie se rejoignent ici grâce à
1. Les images A et D correspondent à un gros l’art du cinéaste.
plan. C’est ici la place occupée par le visage de
Baptiste et de Lemaître dans le cadre qui attire 3. Les costumes renvoient au domaine du mime
notre attention. Cela permet une première foca- et de la commedia dell’arte en ce qui concerne
lisation sur leur expression et leurs sentiments. Baptiste sur les plans A et B. Il porte le costume
L’absence de profondeur de champ joue surtout et le maquillage blanc de Pierrot. Garance figure
sur l’image D. Elle permet de détacher davantage une statue vivante, tout en blanc, ce qui corres-
le costume, le maquillage sombre, et surtout le pond aussi aux codes du mime. Ces costumes, qui
regard de l’acteur qui joue Othello. correspondent à des personnages stéréotypés, ne
Dans le cas de l’image B, le plan moyen retenu sont donc pas réalistes. Le décor sur le plan B est
permet de cadrer les silhouettes des deux comé- constitué de quelques éléments sur scène et d’une
diens. La profondeur de champ, importante (on toile peinte, qui propose une illusion de perspec-
distingue l’effet de perspective de la toile peinte tive caractéristique de la scénographie théâtrale
au lointain), permet de mettre l’accent sur les jusqu’au début du xxe siècle. Cette scénographie
sentiments exprimés par le jeu des comédiens. figurant un parc dans une ville par des moyens
Enfin sur le photogramme C, en plan rapproché, la plutôt simples est donc plutôt symbolique.
profondeur de champ est ajustée pour que les deux Sur le plan C, particulièrement riche, les deux
personnages soient nets, qu’ils se distinguent sur personnages sont en costume de scène, mais d’une
un fond qui n’a que peu d’importance dramatique. certaine manière, ils sont « hors jeu » : Baptiste
2. – Plan A : derrière la mélancolie apparente ne joue plus et pense à Garance, et Nathalie est
du personnage joué par Baptiste, qui rappelle exclue du jeu amoureux qui unit l’homme qu’elle
le Pierrot de la commedia dell’arte, on distingue aime et Garance.
§
Guillaume
« La Chanson
Apollinaire,
du mal-aimé »,
métaphore des tramways musiciens, qui peuplent la
ville de leur mélodie. C’est une musique métallique
et rapide (« leur folie de machines »), mais elle ne
semble pas déplaisante, comme dans « Le Bruit
des cabarets ». On peut proposer, pour qualifier
Alcools, 1913 p. ‹∞° la musique de Paris : vertigineuse, enivrante,
discordante, sentimentale, exacerbée.
Objectif : rendre compte de la rupture
poétique des avant-gardes du début du 5. – Au vers 1, la ville est perçue à travers ses
siècle. saisons. C’est le mois de juin qui transforme le
soleil en instrument.
Intérêt du texte : la créativité verbale, – Aux vers 7 et 8, c’est l’instrument, les orgues
un nouveau lyrisme, un tableau poétique de Barbarie, qui est personnifié et qui intériorise
du Paris de la Belle Époque. la mélancolie du poète.
280 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
– Les tramways deviennent des musiciens et les – La ville peut être transfigurée par le poète qui
rails « des portées » (v. 14). y déchiffre les signes de ses propres joies ou de
– Aux vers 16 et 17, les cafés « Crient tout ses propres angoisses (comme dans « Les Pâques
l’amour », ils deviennent le cœur affectif de la ville. à New York » de Cendrars).
Ces personnifications ont pour trait commun de
réunir l’univers de la ville et celui de la musique.
‡
Le poète, quant à lui, déchiffre la partition que
joue la ville moderne.
Marie-Claire Bancquart,
6. Apollinaire a choisi l’octosyllabe, un vers assez Avec la mort, quartier
court, qui amène un rythme soutenu, un tempo
plutôt rapide. Ce choix permet une certaine flui-
d’orange entre
dité dans la succession des images. les dents, 2005 p. 359
HISTOIRE DES ARTS Objectif : comprendre les spécificités d’un
7. Le tableau de Toulouse-Lautrec surprend par poème contemporain, ainsi que ses liens
son cadrage. Le sujet peut tout aussi bien être avec l’histoire de la poésie.
la femme qui sort en partie du cadre, à droite,
que les hommes attablés. Dans le premier cas, Intérêt du texte : références à Apollinaire,
le sujet est décentré ; dans le deuxième, il est texte qui met en relation le corps,
perturbé par l’irruption dans le champ visuel de le sentiment de l’existence et la ville.
cette femme. La banquette qui se prolonge dans
la partie inférieure gauche du tableau contribue
également à la perturbation du regard, cette ligne
Ressentir la ville
venant couper la perspective de la scène. ENTRÉE DANS L’ŒUVRE
Les contrastes de couleurs sont très marqués : 1. L’organisation du texte dans l’espace de la page
l’orange de la banquette et de la chevelure de la et l’absence de majuscule en début de vers situent
femme au premier plan ressort sur le vert du fond d’emblée ce poème dans le champ de la poésie
de la salle. L’opposition du bleu, du rouge et du contemporaine.
blanc sur le visage de la femme en bas à droite
lui confère une dimension quasi fantomatique, LECTURE DU TEXTE
la faisant apparaître comme une créature de la 2. L’apparition d’un lien unissant la femme et la
nuit parisienne. ville se révèle dès le deuxième vers, « entre le
La technique enfin, qui laisse parfois apparaître les ventre et le jour gris ». Le complément de lieu
contours et le dessin mêlé aux couleurs, donne au « Sur le pont Mirabeau » du vers 4 ancre la femme
tableau un rendu intermédiaire entre l’achèvement dans un horizon urbain, mais également poétique,
et l’inachèvement particulièrement intéressant puisqu’il s’agit, à la préposition près, du début d’un
pour croquer l’effervescence et l’ivresse de la nuit. célèbre poème d’Apollinaire. La comparaison enfin,
Ces choix donnent l’impression d’une scène sai- entre le « regard lumineux et nu » et la tour Eiffel
sie sur le vif, en mouvement, et restituent avec constitue un dernier élément relationnel.
beaucoup de justesse l’atmosphère du cabaret.
3. Ce vers pris isolément évoque un désir de dis-
ÉCRITURE parition, la mort attendue. Si on l’associe avec le
dernier vers, le sens change totalement, puisqu’il
Dissertation (pistes)
s’agit d’une négation restrictive et non totale. Les
– Les personnifications et les métaphores per- deux derniers vers prennent un sens très positif,
mettent de lier description d’un lieu et senti- pour exprimer le souhait d’une communion avec
ments personnels (comme dans « La Chanson la ville et sa lumière.
du mal-aimé »).
– La description de la ville passe par le filtre d’une 4. Même si le retour à la ligne permet d’identifier
subjectivité. La description est toujours la trace le texte comme un poème en vers, l’absence de
d’une subjectivité (comme dans « Le Bruit des majuscules, de régularité métrique, de rimes lui
cabarets »). confère une forme irrégulière. Le vers libre a peu
19 Poésie de la modernité | 281
à peu conquis l’écriture poétique au xxe siècle. le miracle d’une prose poétique, musicale sans
Il est encore aujourd’hui la forme la plus cou- rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée
rante utilisée en poésie contemporaine. Le poète, pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme,
affranchi de certaines contraintes formelles, accroît aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de
les potentialités de l’écriture. Il peut disposer de la conscience ? »
l’espace blanc de la page pour y placer les mots, Dans « Les Foules », le poète cherche à travers la
comme un peintre utilise la peinture, choisir une prose une forme qui épouse les mouvements de
forme régulière ou au contraire la refuser, et c’est la ville, et qui permet, par sa souplesse, de passer
plus que jamais le geste créateur, et le chemine- indifféremment de la description de la ville à
ment vers le sens qui le portent. l’introspection ou à l’analyse du geste artistique.
– Apollinaire, certes, fait appel à une forme plus
5. Éléments de perception visuelle : « le jour gris »,
classique. Pourtant, il choisit dans « La Chanson
« La Tour Eiffel », « le pont Mirabeau », « des
du mal-aimé » de faire disparaître toute ponctua-
rideaux d’oiseaux », « dans le ciel », « comme
tion. Ce choix crée certaines distorsions de sens,
la Tour ».
des ambiguïtés volontaires qui sollicitent le lecteur
Comme un écho à Apollinaire, Marie-Claire
et l’obligent, par une lecture particulièrement
Bancquart évoque la fuite du temps « Sur le pont
active, à placer lui-même les pauses et à décider
Mirabeau ». Le dessous, le ventre du vers 9 qui
du fonctionnement des séquences syntaxiques.
« sent sa fragilité », est mis en résonance avec
Le poème est ouvert, sa musicalité et son rythme
le dessus, le vol des oiseaux qui semble arracher
ne sont pas figés, ce qui correspond plutôt bien
la femme à cette réflexion sur la fugacité et la
à l’image tantôt lancinante et apathique, tantôt
fragilité de l’existence. Ces « rideaux d’oiseaux »
frénétique de la ville que décrit Apollinaire.
suggèrent un désir d’extase, d’évasion vers le haut,
– Pour Marie-Claire Bancquart, on peut se référer
d’échappatoire à la pesanteur du corps et de la
à la question 4 et à sa réponse.
condition humaine, rappelant comme un écho
lointain « L’Albatros » de Baudelaire. Pour aller plus loin
Une page qui propose diverses approches et ana-
HISTOIRE DES ARTS lyses de la prose en poésie :
6. La ville est vue depuis l’espace de l’intime, la http://www.site-magister.com/poeprose.htm
chambre, et à travers un interstice très mince
qui s’ouvre sur l’un de ses monuments phares. Ce
dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, l’intime
et le public est susceptible d’évoquer la démarche
poétique. La photographie fait également écho au
désir d’élévation et de lumière des deux derniers
vers du poème, comme si la tour Eiffel, concentrée
CHANTER ET RÉENCHANTER L’AMOUR
dans l’espace restreint de la chambre, illuminait
l’intériorité de l’observateur. La mise au point,
°
faite sur l’arrière-plan, et non comme c’est le cas
traditionnellement sur le premier, contribue à
Théophile Gautier,
défocaliser l’attention de l’espace intérieur pour
s’ouvrir à la ville et au monde.
« À deux beaux yeux »,
La Comédie
ÉCRITURE de la mort, 1838 p. ‹§‚
Question sur un corpus Objectif : étudier un poème à l’esthétique
Éléments de réponse : très travaillée au service de l’expression
– Baudelaire a recours à la prose, qui épouse mieux, du sentiment amoureux.
selon lui, l’esthétique de la vie moderne, comme
il l’expose dans la dédicace à Arsène Houssaye Intérêt du texte : le souci de la forme,
précédant Le Spleen de Paris : « Quel est celui de de la musicalité, un sonnet ciselé pour
nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé la femme aimée.
· Paul Verlaine,
« Mon rêve familier »,
Poèmes saturniens,
soit par le choix d’une diérèse au vers 14 qui clôt
la première coupe. L’enjambement des vers 13 et
14 fonctionne aussi comme un élément perturbant
la régularité rythmique, empêchant le temps de
suspens à la fin du vers 13.
1866 p. ‹§⁄ Le poème oscille donc entre la régularité, le déve-
loppement ample et le morcellement. Il traduit
Objectif : comprendre l’art de la suggestion
à la fois la noblesse de celle qui est évoquée, et
chez Verlaine. peut-être par un retour de lucidité, le souvenir
Intérêt du texte : l’univers onirique et qu’elle n’est qu’un rêve évanescent.
les images qu’il produit, la musicalité,
4. La conjonction permet un effet d’accumulation
l’apparente simplicité du poème.
sans logique réelle, un peu à l’image de ce qui
Rêver l’amour se passe pendant un rêve, où les images défilent
parfois de manière incohérente. Elle permet éga-
LECTURE DU TEXTE lement d’accentuer l’impression que cette femme
1. Le titre annonce l’inscription du texte dans est parée de toutes les perfections.
le monde du rêve. Il suggère tout autant le rêve
comme « désir » qu’au sens de l’activité noc- 5. Elle est à la fois familière et inconnue ; elle est
turne de l’esprit. On retrouve une autre ambiguïté identique et changeante ; elle est compréhensive,
sur l’adjectif « familier » : il évoque le caractère lucide sur ce que ressent le poète ; elle est conso-
récurrent du rêve ou une familiarité rassurante, latrice et apaisante ; elle a un nom mystérieux
le poète s’étant approprié l’image de cette femme et beau ; elle a un regard altier et une voix qui
idéalisée. Sans entrer pour l’instant dans le détail, appelle la nostalgie.
l’accumulation des qualités, parfois contradic-
toires, présentes chez cette femme la situe dans 6. On mettra en évidence que les qualités évoquées
l’univers onirique. précédemment sont surprenantes, dans la mesure
où elles sont parfois incompatibles entre elles.
2. – Assonances : en [ã] aux vers 1 et 5, en [ɛ] Cette femme possède une identité mobile : elle
aux vers 2 à 4, en [a] aux vers 12 et 13. est reconnaissable et inconnue en même temps. Le
– Allitérations : en [k] aux vers 2 et 3, en [m] et rêveur ne sait si cette femme est « brune, blonde
en [l] aux vers 2 à 5, en [s] aux vers 6 à 8. ou rousse ». « Son regard est pareil au regard des
⁄‚ Arthur Rimbaud,
« Première soirée »,
Poésies, 1870 p. ‹§¤
cette ambivalence. Le reproche « Veux-tu finir ! »
du vers 18, les pieds qui se retirent sont remis en
cause par le verbe « feindre » au vers 20.
Plus loin, la « tête mièvre » de la jeune fille s’op-
pose à ses paroles « Oh ! c’est encor mieux ! ».
Objectif : se familiariser avec les poèmes Quant au jeune homme, s’il commence par chas-
de jeunesse de Rimbaud. tement regarder l’adolescente, il embrasse ensuite
les chevilles, puis ses seins.
Intérêt du texte : la dimension narrative,
un poème sur l’adolescence. 6. L’oxymore évoqué plus haut connote un mélange
de délicatesse et de grossièreté. L’évocation du
La chanson légère des premiers téton et du sein de la jeune fille par l’expression
insolite « mouche au rosier » n’est pas particu-
émois lièrement méliorative.
LECTURE DU TEXTE L’adjectif « Pauvrets », qui désigne les yeux au
1. Le titre suggère le commencement d’une rela- vers 21, suggère soit la soumission, soit l’agitation.
tion, ou peut-être, plus malicieusement, l’allusion L’adjectif « mièvre » du vers 23 caractérise une
⁄⁄
d’un amour souverain, qui, grâce à l’écriture et à
Robert Desnos, la poésie, maintient en vie celui qui l’éprouve et
« Non, l'amour celle qui en est l’objet.
⁄¤
danse et la peinture dans le tableau de Matisse
Georges Braque, (p. 348), entre la danse et la vidéo dans la cho-
Le Duo, 1937 p. ‹§› régraphie de Lucinda Childs (p. 349), entre la
peinture et la fanfare du cirque sur la toile de
Objectif : apprendre à identifier Seurat (p. 354), entre la musique et la poésie
les caractéristiques du cubisme. dans « Art poétique » de Verlaine (p. 351), ou
dans « La Chanson du mal-aimé » d’Apollinaire
Intérêt de l’image : un tableau emblématique (p. 358). D’une manière générale, on pourrait
du mouvement, le thème de la musique. évoquer la poésie dans son ensemble, qui, dès ses
origines, est indissociable de la musique.
LECTURE DE L’IMAGE
1. Deux femmes sont assises dans une pièce.
L’une, à droite, joue du piano, tandis que l’autre, ÉCRITURE
la chanteuse, tient à la main une partition. La Sujet d'invention
présence du piano et de la partition, la position – Il faut tenir compte, bien sûr, de la forte dimen-
assise des deux femmes laissent imaginer une sion argumentative du sujet. Les exemples devant
composition musicale classique, cantate ou aria. toujours être au service d’arguments précis.
Cette musique de chambre, si l’on y regarde de – Il convient également de travailler la notion de
plus près, pourrait être un morceau de Debussy, concession pour intégrer les arguments à réfuter
compositeur que Braque admirait, et dont on dans la thèse défendue.
distingue les trois premières lettres du nom sur – On peut compléter l’argumentation en dépassant
la partition de la chanteuse. la seule défense de la liberté et de la créativité, en
2. Il faut quelque temps pour déchiffrer le tableau proposant une réflexion sur ce qu’est le réalisme.
et identifier les éléments qui le composent. On D’une certaine manière, le tableau de Braque ou
remarque, entre autres, un tableau accroché celui de Toulouse-Lautrec sont « réalistes », bien
au mur, au-dessus de la pianiste. Des formes en qu’ils ne cherchent pas le mimétisme avec le réel.
émergent, comme si le sujet du tableau débordait
de l’espace du cadre. Ce détail permet d’entrer dans Pour aller plus loin
l’esthétique cubiste et de la comprendre. Par cette On peut écouter la description et l’analyse rapide
mise en abyme, ce que représente Braque, ce sont de ce tableau sur :
différents points de vue sur la scène représentée par https://soundcloud.com/rmngrandpalais/
la toile, qu’il superpose sur son propre tableau. Si braque-le-duo?in=rmngrandpalais/sets/
l’on considère la chanteuse, à gauche, on la voit georges-braque
⁄‹ Yves Bonnefoy,
« La Pluie d'été »,
Les Planches
« C’était comme le sein » (v. 11) : le sein de la
femme aimée (comparé) que la pluie magnifie
devient aussi pur que celui d’un peintre
(comparant).
3. Métaphores : ÉCRITURE
– « L’étoffe de la pluie » (v. 10) : la pluie (comparé) Question sur un corpus
devient une étoffe (comparant), un vêtement On pourra guider les élèves dans leur classement
pour le corps de la femme aimée. avec ces mots-clés, qui ne sont pas limitatifs :
– « le ciel/ Nous consentait/ Cet or » (v. 13 à – le lyrisme ;
15) ; « C’était l’or encore » (v. 24) : le soleil ou – la distanciation ;
la lumière du couchant (comparé) se transforme – la musicalité ;
en or (comparant), que le poète associe à une – le lien avec la nature ;
opération alchimique, le plomb du soleil accablant – l’idéalisation ;
de la journée se sublimant en or. – la nostalgie.
288 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
Dérivés pour civitas : cité, citoyen, civique.
Histoire littéraire Dérivés pour politikos : police, policier, politique,
politiser, politiquement, politicien.
La poésie moderne
2. On pourra choisir une ville comme Rome, qui
(1850-1899) p. ‹§§ permet d’envisager tous les stades du développe-
ment, de la campagne à la cité, et d’évoquer tous
ACTIVITÉ les régimes politiques qui s’y sont succédé dans
l’Antiquité.
Mots-clés : révolution, beauté, prose, villes,
musicalité.
Définition possible : La poésie connaît une révo- Le monde du spectacle
lution au xixe siècle. La beauté est recherchée 1. On retiendra : La Danse de Matisse, Dance de
pour elle-même, de nouveaux sujets apparaissent, Lucinda Childs, « Les Vocations » de Baudelaire,
comme les villes modernes, et la prose devient une « Pantomime » de Verlaine, et Les Enfants du
forme possible de l’écriture poétique. La musicalité paradis de Marcel Carné.
est également particulièrement mise en valeur.
2. Correspondances :
– qui est relatif au cirque : circassien ;
– édifice servant à la représentation de spectacles
Les avant-gardes (étymologiquement « lieu où l’on regarde ») :
poétiques (1900-1939) théâtre ;
– forme dramatique reposant sur un texte proclamé
p. ‹§‡ devant un public : théâtre (le mot théâtre désigne
ACTIVITÉ tout à la fois un lieu, un genre littéraire et une
On pourra imaginer les ramifications suivantes pratique artistique) ;
pour la carte heuristique : – art de s’exprimer sans paroles, par les gestes, la
– la prose : Baudelaire, Le Spleen de Paris. danse et les expressions du visage : pantomime ;
– le vers libre : Desnos, Corps et biens. – œuvre dramatique essentiellement chantée :
– une poésie qui fait écho au monde moderne : opéra ;
Baudelaire, Le Spleen de Paris, Les Fleurs du mal, – ensemble de formes artistiques non reproduc-
Apollinaire, Alcools, Calligrammes. tibles, qui n’existent que dans l’instant : spectacle
– la recherche de l’absolu : Rimbaud, Poésies, vivant ;
Une saison en enfer, Les Illuminations. – qui impressionne le public : spectaculaire ;
– la libération de l’inconscient : Desnos, Corps – composition artistique dansée : chorégraphie.
et biens, Destinées arbitraires. 3. On peut distinguer : le théâtre, le cirque ou
– l’art du symbole et de la musicalité : Verlaine, les arts de la piste, la danse, la marionnette, la
Poèmes saturniens, Les Fêtes galantes, Romances musique, l’opéra, les arts de la rue.
sans paroles.
4. On peut proposer : « théâmusidanse »,
« musithéâdanse ».
Lexique Petites et grandes villes
Ville et création artistique 1. On peut partir de la séquence suivante : hameau,
p. ‹§° village, bourgade, bourg, ville, mégalopole.
2. On proposera aux élèves soit la rédaction d’un
Étymologie court récit, soit d’un poème, soit d’une fable.
Exemple :
1. Dérivés pour villa : ville, village, villageois. Un hameau isolé se trouva un jour sans hameau
Dérivés pour burgus : bourg, bourgade, bourgeois. à qui parler.
Dérivés pour urbanus : urbain, urbanisme, urba- Le hameau alla se plaindre chez son voisin le
niste, urbaniser. village.
19 Poésie de la modernité | 289
Le village trouva que la requête était de taille et
qu’il fallait gagner la bourgade.
La bourgade un peu niaise ne sut que répondre
et voulut rencontrer le bourg.
Le bourg suffisant et prétentieux ne voulut s’in-
quiéter pour si peu et accompagna tout ce monde
à la ville.
La ville avait tant à faire qu’elle courut vers la
mégalopole.
La mégalopole, bien amène, accueillit tout ce
monde et l’engloutit sans souci.
¤‚ Explorations surréalistes :
libérer le langage
et l’imagination
Livre de l’élève p. ‹§· à ‹‡›
⁄ surréalisme,
Le
rêve éveillé p. ‹‡‚−‹‡⁄
une silhouette, un bateau et un rocher, autant
d’éléments surprenants et étranges, comme dans
un rêve.
¤ La conquête
de l’irrationnel p. ‹‡¤
d’un jeu de mots, que l’on retrouve au vers 5
lorsque le « lever de rideau » théâtral devient un
« lever des murs ».
5. L’évocation de « l’aurore » (v. 3) montre que
DE L’IMAGE AU TEXTE
le poème évoque le matin. Mais Éluard multiplie
1. Paul Delvaux juxtapose différents éléments
les figures de style sur ces deux vers, au point, là
dans la représentation du paysage : une maison de
encore, de rendre leur interprétation très difficile.
brique, un chemin pavé, des arbres nus et d’autres
Il associe en effet :
verts, des lampadaires et des piliers, un croissant
– une métaphore : l’aurore est assimilée à un fer
de lune. Chaque élément pris isolément est peint
rouge ;
de façon réaliste, mais leur juxtaposition crée un
– un oxymore : le doux fer rouge ;
effet d’étrangeté.
– un paradoxe : le fer rouge rend la vue (depuis
2. Dans cette œuvre, Delvaux multiplie les oppo- l’épisode bien connu de Michel Strogoff, tout lec-
sitions : entre la nature et la maison, entre le teur sait que c’est l’inverse) ;
jour qui semble poindre à l’horizon et la nuit qui – une antithèse : la vue aux aveugles.
292 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
Dès lors, les images de ces quelques vers peuvent ÉCRITURE
être en partie explicitées, même si elles gardent leur
caractère surréaliste. Michael Riffaterre explique Sujet d'invention
très bien ces quelques vers dans son article « La Il s’agit d’amener les élèves à percevoir, par la pra-
métaphore filée dans la poésie surréaliste » : tique, le travail poétique sur le langage opéré par
« Le doux fer rouge de l’aurore les surréalistes. La difficulté principale de l’exer-
Rend la vue aux aveugles cice réside dans la faculté des élèves à se libérer
Le sens est clair : la lumière de l’aurore permet aux ou non des contraintes inconscientes créées par
hommes que la nuit aveugle de recouvrer la vue. l’habitude et les stéréotypes langagiers. L’écriture
La forme n’en est pas moins déconcertante. Si l’on automatique est une forme d’expression libre et
avait fer rouge seulement, le critique s’extasierait spontanée, une « dictée de la pensée » échap-
sur la justesse de la notation. La notation de pant à la communication courante, touchant à
couleur, bien sûr, mais aussi de forme. L’horizon l’inconscient, qui permet de créer de nouvelles
forme une ligne rouge. Mais fer rouge représente images, souvent éblouissantes.
une réalité dangereuse : elle a quelque chose de André Breton définit lui-même la méthodologie
plus menaçant que la flamme vive. […] Quelle de l’écriture automatique dans le Manifeste du
que soit la vérité de l’impression visuelle, donc, surréalisme :
l’incompatibilité reste totale entre doux et rouge. « Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous
Elle s’aggrave avec le second vers : même si le être établi en un lieu aussi favorable que possible
lecteur s’attache à doux plutôt qu’au métal incan- à la concentration de votre esprit sur lui-même.
descent, l’adjectif ne suffit pas à effacer l’agressivité Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif,
du fer ni l’image des supplices qu’il évoque ; on que vous pourrez. Faites abstraction de votre
accepte difficilement que ce fer puisse accomplir génie, de vos talents et de ceux de tous les autres.
un miracle bénéfique. » Dites-vous bien que la littérature est un des plus
L’image surréaliste choque le lecteur et conserve tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite
la tension. Pourtant, si le fer rouge est une tor- sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir
ture qui aveugle les voyants, le doux fer rouge et ne pas être tenté de vous relire. La première
qu’est l’aurore est un bienfait qui rend la vue aux phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à
hommes, rendus aveugles par la nuit et le sommeil. chaque seconde il est une phrase étrangère à
Les vers suivants peuvent alors être lus comme les notre pensée consciente qui ne demande qu’à
efforts du poète pour se lever et la vision qu’il a s’extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer
de sa chambre lorsqu’il est encore allongé. sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans
doute à la fois de notre activité consciente et de
6. Les vers 7 à 10 peuvent se comprendre comme l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la
une réflexion d’Éluard sur sa propre écriture première entraîne un minimum de perception.
poétique. « Les images passées » évoquent les Peu doit vous importer, d’ailleurs ; c’est en cela
métaphores de la première strophe, et malgré la que réside, pour la plus grande part, l’intérêt du
difficulté que le lecteur peut avoir à les décoder, jeu surréaliste. Toujours est-il que la ponctuation
elles décrivent bien une réalité, celle de l’aurore : s’oppose sans doute à la continuité absolue de la
« à leur manière sont fidèles ». Mais elles décrivent coulée qui nous occupe, bien qu’elle paraisse aussi
cette réalité avec « fièvre » et « délire ». Le sens nécessaire que la distribution des nœuds sur une
y est perdu, « égaré », comme dans un labyrinthe, corde vivante. Continuez autant qu’il vous plaira.
un « dédale » compliqué. Ces quelques vers sont Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure.
à leur manière une définition de l’écriture sur- Si le silence menace de s’établir pour peu que
réaliste selon Paul Éluard. Et on retrouve une vous ayez commis une faute : une faute, peut-on
parenté avec la définition qu’en donne André dire, d’inattention, rompez sans hésiter avec une
Breton : « L’image surréaliste la plus forte est celle ligne claire. À la suite du mot dont l’origine vous
qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, semble suspecte, posez une lettre quelconque, la
celle qu’on met le plus longtemps à traduire en lettre l, et ramenez l’arbitraire en imposant cette
langage pratique. » lettre pour initiale au mot qui suivra. »
On pourra proposer aux élèves un extrait des
Champs magnétiques, écrit en 1920 par André
‹
Êtres-objets
ou objets-êtres ?
p. ‹‡‹
Oppenheim (1936).
ÉCRITURE
Sujet d’invention
Il s’agit pour les élèves de s’inspirer de la création
DES IMAGES AUX TEXTES de Victor Brauner et de lui donner vie.
1. L’Éléphant Célèbes de Max Ernst est une créature – Plusieurs éléments propres à l’œuvre peuvent les
hybride, mi-éléphant mi-machine. On retrouve inspirer : les matières (bois, fourrure), les formes
la masse de l’animal et deux pattes, une forme (courbes du cou et de la queue en panache ou
qui évoque sa trompe au bout de laquelle deux angles droits du plateau et des pieds), le caractère
cornes rappellent les défenses. En même temps, la animé ou inanimé (animal ou objet).
couleur est celle du métal, de même que l’anneau – Dans un premier temps, les élèves peuvent
central qui ressemble à une soudure et l’œil central chercher des mots appartenant à ces différents
à un rivet. L’ensemble n’est pas sans évoquer un champs lexicaux.
tank ou un char de combat, inventés au début du – En rapprochant et en associant ces différents
xxe siècle, et largement utilisés dès la Première champs lexicaux, l’image peut naître. Il s’agira
Guerre mondiale. ensuite de la retravailler et de la rendre la plus
2. Le poème d’André Breton est parcouru de surréaliste possible en supprimant tout ce qui
métaphores : « enchaînés au rythme du vent et des pourrait être trop réaliste ou trop explicatif afin
flots », « les lunes de leurs ongles ». L’ensemble du de créer un texte surprenant.
passage fusionne, de façon métaphorique, plusieurs
images : celle de l’éléphant (« éléphants, genou, Prolongement
trompes »), celle de la nature (« vent, flots, lunes, Plusieurs poèmes surréalistes sur le thème du loup
ciel, rocher »), et celle du mouvement (« plateau peuvent être proposés aux élèves :
tournant, rythme, tourner en mesure, insensible – Tristan Tzara, L’Homme approximatif
balancement »). Cette écriture métaphorique « le loup embourbé dans la barbe forestière
très hermétique permet l’émergence d’une vision crépue et brisée par saccades et fissures
surprenante, impossible à traduire dans un univers et tout d’un coup la liberté sa joie et sa souffrance
réel, et donc véritablement surréaliste. bondit en lui un autre animal plus souple accuse
3. Dans sa présentation de l’exposition surréaliste sa violence
« Objets surréalistes » de 1936, André Breton il se débat et crache et s’arrache »
développe la métaphore du train : le surréalisme – Paul Éluard, Un loup
serait un mouvement en marche, une dynamique, « Le jour m’étonne et la nuit me fait peur
une perpétuelle transformation. L’objet surréaliste L’été me hante et l’hiver me poursuit
doit, comme ce train, être une création dynamique,
en mouvement, en transformation, c’est-à-dire une Un animal sur la neige a posé
création reposant sur une métaphore vivante. Tel Ses pattes sur le sable ou dans la boue
est le cas du Loup-Table de Victor Brauner qui, Ses pattes venues de plus loin que mes pas
tout en conservant les caractéristiques de la table Sur une piste où la mort
(objet en bois avec quatre pieds et un plateau) A les empreintes de la vie. »
294 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
– André Breton, Les Attitudes spectrales représente bien le tableau, mais sans l’expliquer
« On attire les loups avec les miroirs de neige de façon trop explicite.
Je possède une barque détachée de tous les climats À travers cette œuvre, Magritte amène le
Je suis entraîné par une banquise aux dents de spectateur à réfléchir sur ce qu’est le langage.
flamme L’inadéquation entre les objets et les mots qui
Je coupe et je fends le bois de cet arbre qui tou- les nomment rappelle le caractère arbitraire du
jours sera vert » mot, puis du signe verbal qui permet d’écrire ce
mot. Enfin, il ne faut pas oublier un troisième
niveau d’arbitraire : qu’il s’agisse du mot ou de
›
Atelier d’écriture
Jouer avec les mots
p. ‹‡›
l’objet, ce que le spectateur a sous les eux, c’est
avant tout un tableau, une peinture, et non pas
l’objet lui-même.
2. Plusieurs consignes peuvent être données aux
élèves afin de les guider dans la réalisation de leur
imagier. Un même format peut être imposé à tous,
L’imagier surréaliste par exemple une feuille A4, en format portrait,
découpée en six cases de taille identique, à la
1. Le tableau est composé de six cases de taille
manière de Magritte. Puis, on peut leur demander
identique, séparées par un cadre de bois peint en
de mutualiser des catalogues et des prospectus
trompe-l’œil. À l’intérieur de chacune des cases
publicitaires de natures différentes (vêtements,
est figuré un objet du quotidien, représenté de
meubles, produits alimentaires, etc.), d’en décou-
façon réaliste, mais en dehors de toute utilisation
per les pages et de les distribuer de façon aléatoire.
concrète : le marteau ne frappe sur rien, la bougie
n’éclaire rien, le chapeau et la chaussure ne sont
Prolongement : d’autres tableaux peuvent
pas portés, le verre est vide. Les six objets occupent
être convoqués pour susciter l’imaginaire
également à peu près la même dimension sur la
des élèves : la première version de La Clef
toile, sans qu’aucune proportion ne soit respectée
des songes de 1927, Le Miroir vivant (1927),
entre eux. Enfin, un titre ou une légende figure
Le Masque vide (1928). Magritte lui-même
sous chaque objet, dans une graphie cursive qui
nomme cette réflexion sur le mot et l’image
rappelle l’univers scolaire. En effet, cette com-
d’une expression, « la trahison des images »,
position évoque les imagiers pour enfants et les
qui deviendra le titre d’un de ses tableaux les
représentations scolaires d’objets qui ornaient
plus célèbres, connu aussi sous le nom Ceci n’est
les murs des salles de classe autrefois. La couleur
pas une pipe en 1927. Il reprendra d’ailleurs cette
du fond n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du
expression dans l’une des dernières œuvres de la
tableau noir sur lequel écrit le maître d’école.
série, intitulée Les Deux Mystères, en 1966, où
Malgré son caractère scolaire et quotidien, le
le tableau Ceci n’est pas une pipe figure dans une
tableau de Magritte bascule dans l’insolite lorsque
mise en abyme.
le spectateur confronte l’objet représenté et sa
On peut découvrir d’autres tableaux de Magritte
légende. En effet, aucun des titres ne correspond
reposant sur ce procédé sur le site du musée
à l’objet sous lequel il est écrit. En bouleversant
Magritte de Bruxelles : www.musée-magritte-
les habitudes du spectateur, le peintre parvient
museum.be
à rendre mystérieux l’objet le plus ordinaire.
Étudier le lien entre l’image et sa légende, c’est 3. Les élèves sont libres d’imaginer toute méthode
aussi réfléchir au titre du tableau lui-même. Le qui fasse intervenir le hasard ou l’arbitraire. Afin
titre La Clef des songes semble en effet avoir un de les guider, on peut leur proposer plusieurs
rapport assez éloigné avec le tableau. Première démarches avec le dictionnaire, inspirées de
interprétation : dans une démarche proprement l’Oulipo : N + x..., soit le nom de l’objet + un
surréaliste, Magritte faisait souvent appel à ses certain nombre d’occurrences, ou de pages, etc.
amis, dont André Breton lui-même, pour imaginer Ce travail de nomination peut aussi être mené
le titre de ses œuvres. Deuxième interprétation : à plusieurs en faisant intervenir le hasard en
ce tableau est bien une clef qui ouvre à nouveau demandant à une tierce personne de donner un
le langage sur l’imaginaire. En ce sens, ce titre nom commun au hasard.
20 Explorations surréalistes : libérer le langage et l’imagination | 295
4. Afin de montrer sa compréhension de la nature Prolongement
surréaliste de la démarche, l’élève pourra montrer
On pourra amener les élèves à approfondir leur
que son imagier révèle un lien poétique entre le
réflexion sur le collage surréaliste en consul-
mot et l’image. Il pourra aussi expliquer qu’il a
tant la présentation détaillée de l’exposition du
cherché à rendre mystérieux des objets du quo-
musée d’Orsay consacrée à la série de collages de
tidien, ou au contraire des mots du quotidien, en
Max Ernst intitulée « Une semaine de bonté » :
leur donnant une dimension insolite. Cet exercice
www.musee-orsay.fr (cliquer sur Événements >
doit permettre à l’élève de percevoir, par la pra-
Expositions > Archives > Max Ernst).
tique, le travail poétique sur le langage opéré par
Une recherche sur le site www.photo.rmn.fr avec
les surréalistes. Ces activités d’écriture doivent
les mots-clés « collage surréaliste » permettra
les amener à envisager les mots du quotidien
également à l’élève de découvrir de nombreuses
dans leur substance phonique et graphique et à
œuvres dans cet esprit, de Max Ernst et d’autres
redonner du mystère aux mots les plus ordinaires.
artistes surréalistes.
¤⁄ Jean Cocteau,
Orphée, 1950
Présentation et objectifs de la séquence p. ‹‡∞
Livre de l’élève p. ‹‡∞ à ‹°‚
Le film de Jean Cocteau permet d’aborder à la fois la figure du poète, l’écriture poétique de l’image
cinématographique, et offre un contrepoint intéressant à l’étude de la poésie surréaliste.
Orphée apparaît comme un poète moderne, en proie au doute et aux difficultés, qui, bien que célèbre,
souffre des affres de la création, cherche l’inspiration. Il la cherche dans l’amour, la mort, dans l’au-
delà que peut représenter la radio ésotérique de sa voiture. Il est surtout poète dans le regard qu’il
porte sur le monde, ou plutôt qu’il accepte de porter afin de suivre la princesse : un regard qui ne
cherche pas à comprendre, mais à croire, un regard qui accepte le merveilleux.
À travers ce film, Jean Cocteau propose également au spectateur un film poétique. Comme le poète
écrit à l’encre sur une page blanche, lui-même écrit son poème cinématographique à l’encre de la
lumière, en noir et blanc (alors que les films en couleur existent à l’époque). On retrouve dans Orphée
la même quête du merveilleux, le même jeu poétique des trucages que dans La Belle et la Bête. Mais de
façon plus extrême, d’où le caractère plus déroutant également d’Orphée, et son succès, bien moindre
au moment de sa sortie, même s’il est reconnu aujourd’hui comme un chef-d’œuvre. C’est que le
spectateur, comme Orphée, ne doit pas chercher à comprendre. Il ne doit pas chercher à rationaliser
les aventures d’Orphée, mais les lire comme des poèmes, une métaphore de l’acte d’écrire.
Ce faisant, Orphée devient un voyage poétique dans lequel le spectateur peut reconnaître un hommage
de Jean Cocteau aux artistes qu’il admire. Là encore, on retrouve une démarche chère à Cocteau
qui, dans La Belle et la Bête, citait Gustave Doré et Rembrandt. Ici, Cocteau cite ses contemporains
surréalistes, dont Éluard à travers un vers, ou Breton qui, tel les Bacchantes d’Aglaonice, vomissait
son travail. Mais il transpose surtout en images en mouvement de nombreux tableaux de Chirico.
Le gant mystérieux, mais aussi d’autres scènes, comme la poursuite de la Princesse à Paris.
À travers l’étude de quelques scènes phares du film, cette séquence doit permettre aux élèves de
découvrir une œuvre poétique d’une autre forme, une poésie de cinéma.
⁄
charmés. Après avoir accompagné les Argonautes
Orphée, un poète dans leur expédition, surpassant même le chant
moderne p. ‹‡§ des sirènes, il revient en Grèce et épouse Eurydice.
Le jour même de leur mariage, la nymphe meurt,
La scène du tribunal (doc. 2) commence 1 h 05 mordue par un serpent. Refusant cette perte,
min et 50 s après le début. Orphée se rend aux Enfers, parvenant à franchir
les épreuves et à obtenir la clémence d’Hadès
La scène de la mort d’Orphée (doc. 3) commence
grâce à la beauté de son chant. Eurydice a le
1 h 20 min et 50 s après le début.
droit de revenir du pays des ombres à condition
qu’Orphée ne la regarde pas avant que tous deux
DES TEXTES AUX IMAGES n’aient retrouvé la lumière du jour. Mais Orphée
1. Orphée est un aède, un poète qui s’accom- se retourne (selon les versions parce qu’il est
pagne de la lyre. La beauté de son chant est telle impatient ou parce qu’elle a trébuché) et la perd
que même les bêtes sauvages viennent l’écouter, pour toujours. Il en demeure inconsolable. Jalouses
21 Jean Cocteau, Orphée | 297
de sa fidélité à Eurydice, les Bacchantes le tuent « sans être écrivain », ou encore « écrire une poésie
et le mettent en pièces, avant de disperser ses de cinéma ». Si Orphée est un poème de cinéma,
membres. Selon certaines versions du mythe, sa « écrit à l’encre de la lumière », il s’agit bien
tête, jetée dans un fleuve, chantait encore. avec cette œuvre d’« écrire, sans être écrivain ».
On peut conseiller aux élèves le site http://www. Le poète, selon Cocteau, « traque l’inconnu »,
photo.rmn.fr afin de leur permettre de trouver « charme » les sirènes. Dans sa manière de filmer,
des œuvres d’art plus diverses que par une simple on retrouve bien cette volonté. Cocteau cherche
recherche sur Google. en effet à filmer l’inconnu, à filmer autrement, à
faire émerger le merveilleux.
2. Les extraits 1, 2 et 3 correspondent à différents
épisodes du mythe. Le texte 1 se situe avant la
mort d’Eurydice, qu’il annonce : « Nous étions
morts sans nous en apercevoir… », tout en rappe-
lant l’expédition d’Orphée avec les Argonautes :
« Méfiez-vous des sirènes. – C’est moi qui les
charme ». Le texte 2 reprend l’épisode de la
descente d’Orphée aux Enfers et le texte 3 celui
¤ ne vision moderne
U
de la Mort p. 377
La scène commence 45 min après le début.
de son meurtre par les Bacchantes. Cocteau modi-
fie le mythe en le modernisant. Ainsi, il retrouve DES TEXTES AUX IMAGES
Eurydice dans une voiture et les Enfers ressemblent 1. La Mort est un thème qui hante l’œuvre de
à un tribunal contemporain : « enquête, interro- Cocteau et que l’on retrouve dans de nombreux
gatoire, inculpé, témoin ». Il modifie également poèmes, écrits avant ou après la réalisation du film.
l’intrigue en ajoutant des personnages : Heurtebise Le personnage de la Princesse est préfiguré dans
dans le texte 1 et la Princesse dans le texte 2. certaines de ses œuvres poétiques, de même que
Ainsi, Orphée ne paraît plus devant Hadès et l’ange Heurtebise. Dans le poème « Mort belle
le tribunal des Enfers pour réclamer Eurydice, comme vous l’êtes », comme dans les propos de la
mais en qualité de témoin dans le procès de la Princesse, Cocteau rappelle les éléments attendus
Princesse, incarnation de la mort, qui a pris sans dans une représentation traditionnelle de la Mort,
autorisation la vie d’Eurydice : « Ne vous y trom- telle que celle de l’image B : « suaire », « faux »,
pez pas, monsieur, vous êtes devant mes juges. » « squelette ».
3. Dans le texte 3, Orphée est attaqué dans sa 2. La Princesse diffère radicalement de cette repré-
maison par les Bacchantes, un groupe de jeunes sentation par sa beauté et son élégance : Maria
femmes, et les amis du poète Cégeste. Ces derniers Casarès, qui l’incarne, apparaît ainsi en robe du
pénètrent dans son jardin et l’attaquent à coups de soir, ce qu’explicite le poème « Mort belle comme
pierre. C’est le point de départ d’une métaphore vous l’êtes ». Le renouvellement est si radical que
qui assimile Orphée à une sculpture : « Des pierres ! l’allégorie n’est plus reconnaissable et surprend le
On fera mon buste avec », « La vie me sculpte, spectateur, ce que Cocteau justifie : « Mais, mon
Heurtebise ». Cette assimilation est symbolisée à garçon, si j’apparaissais aux vivants comme ils me
l’image par la présence, aux côtés de Jean Marais, représentent, ils me reconnaîtraient ».
d’une reproduction d’une statue antique célèbre, 3. Loin de provoquer la peur et le dégoût, comme
Artémis dite Diane de Gabies de Praxitèle, visible au dans l’enluminure de l’image B, la Mort exerce
musée du Louvre : http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/ sur le poète Cocteau, comme sur Orphée et à
visite?srv=car_not_frame&idNotice=20298 travers lui sur le spectateur du film, un pouvoir
À travers Jean Marais, incarnation moderne de séduction et de fascination.
d’Orphée, Jean Cocteau assimile son film à une
œuvre d’art antique. Filmer Orphée, c’est sculpter 4. Dans l’image A, les jeux de lumière mettent
un nouveau « buste », moderne, du mythe antique. particulièrement en valeur Maria Casarès qui
incarne la Princesse. Un travail particulièrement
4. Tout au long du film, Jean Cocteau définit et soigné sur l’éclairage rend en effet la lumière et
redéfinit ce que c’est qu’être poète. Lui-même se les jeux d’ombre irréalistes. La signification des
définit comme poète, et réaliser un film, ce n’est ombres et des lumières est poétique. En effet, en
pas selon lui devenir réalisateur, mais rester poète étudiant les ombres portées et les zones éclairées,
298 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
on se rend compte que les sources lumineuses sont J’aime votre splendeur mal peinte et mal dépeinte
multiples. Une première lumière, certainement Sous le nom de trépas
placée à gauche du plan, devant Maria Casarès, Ô vous qui faussement décrite par la crainte
l’éclaire en contre-plongée : son ombre portée est Êtes et n’êtes pas. »
grandie et se trouve au-dessus du lit d’Eurydice.
Ce poème peut être comparé avec l’allégorie de
C’est l’ombre de la Mort qui plane. Mais cette
la Mort imaginée par Victor Hugo en 1854 dans
ombre n’est pas nette et semble s’estomper au-
Les Contemplations :
dessus du lit. De plus, c’est une autre lumière qui
éclaire l’oreiller et le visage d’Eurydice, cette fois « Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
une lumière en plongée, qui l’écrase. Le projecteur Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
était certainement au-dessus de Maria Casarès. Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Cela donne l’impression que la lumière irradie Dans l’ombre où l’on dirait que tout tremble et
de la Princesse : paradoxalement, alors qu’elle recule,
est vêtue de noir, la Mort irradie, rayonne de L’homme suivait des yeux les lueurs de la faux,
lumière, métaphore de l’éblouissement qu’elle Et les triomphateurs sous les arcs triomphants
provoque chez le poète. Tombaient ; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en échafaud et l’échafaud en trône,
ÉCRITURE Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L’or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Vers la dissertation Et les femmes criaient : Rends-nous ce petit être.
En chantant la Mort, Jean Cocteau s’inscrit dans Pour le faire mourir, pourquoi l’avoir fait naître ?
une tradition littéraire qu’il renouvelle. C’est là Ce n’était qu’un sanglot sur terre, en haut, en bas ;
pour lui une démarche proprement poétique. Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs
Ainsi, il écrit, en 1959, dans Le Secret professionnel : grabats ;
« Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, Un vent froid bruissait dans les linceuls sans
frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe, nombre ;
avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le Les peuples éperdus semblaient sous la faux sombre
même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre Un troupeau frissonnant qui dans l’ombre s’enfuit ;
de poète. ». Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
I. Cocteau s’inscrit dans une tradition littéraire
Un ange souriant portait la gerbe d’âmes. »
et picturale en citant les clichés et lieux com-
muns concernant la Mort.
Dans le film, si la Princesse n’est pas vêtue d’un
II. Cocteau renouvelle ces clichés de façon
suaire ni armée d’une faux, elle y fait allusion :
surprenante.
« Vous vous attendiez sans doute à me voir travailler
Si l’allégorie de la faucheuse est souvent citée
avec un suaire et une faux » (doc. 1 p. 377).
par le poète, c’est pour s’en éloigner, parfois avec
Le thème du miroir, dans lequel le travail de la
humour : « Mais, mon garçon, si j’apparaissais aux
Mort, c’est-à-dire le temps qui passe, apparaît, se
vivants comme ils me représentent, ils me recon-
retrouve également dans le film : « regardez-vous
naîtraient et cela ne faciliterait pas notre tâche »
toute votre vie dans une glace et vous verrez la
(doc 1 p. 377). Au cliché, Cocteau préfère une
Mort travailler comme les abeilles dans une ruche
poésie de l’insolite, où l’objet réel et familier (la
de verre » (doc. 3 p. 379). Cette représentation
radio, des gants de caoutchouc) se révèle un lien
allégorique hante également son œuvre poétique :
puissant avec l’irréel. Ainsi, la Mort communique
« squelette », « sans nez » (doc. 2 p. 377). C’est
par le biais d’un autoradio, ses sbires sont des
le cas également d’autres poèmes comme Adieu,
motocyclistes et son instrument de travail non plus
faux paradis, de 1954 :
une faux, mais des gants de caoutchouc : « Avec
« Qui parle de squelette à la face pourrie ces gants, vous traverserez les miroirs comme de
De suaire et de faux ? l’eau ! » (doc. 3 p. 379). Le thème des gants de
[…] la Mort apparaît bien avant le film Orphée dans
J’aime à vous procurer une figure humaine l’œuvre poétique de Jean Cocteau :
Un costume de chair. La Mort inconnue, 1927
21 Jean Cocteau, Orphée | 299
« Les gants de la Mort sont bleus, du bleu employé La traversée du miroir (doc. 3 et 4) commence
par les tatoueurs célestes et qui rend les marins 52 min après le début.
tristes. Ces gants sont trop justes pour elle et sans
boutons. Ils montent jusqu’au coude. La Mort
les retire en s’aidant avec ses dents. Lorsqu’elle ÉTUDE DES IMAGES
travaille, elle les échange contre des gants de 1. Les plans A, B et C ne s’enchaînent pas de
caoutchouc. » façon réaliste. Entre le plan A et B, Jean Cocteau
Ce faisant, Cocteau rend certainement hommage transgresse la règle des 180 degrés. Cette règle
au peintre Chirico qui représente un tel gant à veut habituellement qu’entre deux plans qui se
plusieurs reprises dans ses tableaux, comme : Le suivent, le réalisateur ne déplace pas la caméra
Chant d’amour, Le Gant rouge, ou encore L’Énigme d’un angle supérieur à 180 degrés, afin que le
de la fatalité. D’autres scènes du film sont égale- spectateur ne soit pas perdu. Dans ses films, Jean
ment des hommages à Chirico, notamment la Cocteau transgresse cette règle à plusieurs reprises
scène où Orphée erre dans la ville à la poursuite afin de créer un effet inattendu et original. Ainsi,
de la Princesse. le passage du plan A au plan B reflète l’impossibi-
lité pour Orphée de traverser le miroir : le plan A
III. Afin de donner une image fascinante et étant filmé « de l’autre côté du miroir », depuis le
poétique de la Mort. monde de la Mort, tandis que le plan B est filmé
La Mort représentée par Cocteau est une femme dans le monde des vivants. D’un point de vue
séduisante, en robe du soir, tantôt noire, tantôt technique, Jean Cocteau use d’un subterfuge : il
blanche, qui aime le poète Orphée autant que n’y a pas de miroir dans le plan B et Orphée mime
le poète l’aime. Métaphoriquement, Cocteau la présence d’une vitre. Le changement de plan
exprime ici la fascination que lui-même éprouve permet de remettre le miroir, tandis qu’Orphée
pour la mort, mais également l’importance poé- s’évanouit et glisse, dans cette mort incomplète,
tique de ce thème, cher aux poètes mélancoliques. le long du miroir. Le passage du plan B au plan C
Le poète est celui qui connaît la Mort : n’est pas non plus réaliste. Cette fois, Jean Cocteau
« Heurtebise.– Orphée ! Orphée !... Vous connais- ne transgresse pas de règle, mais fait une méta-
sez la Mort. phore visuelle : le miroir de la chambre (plan B)
Orphée.– J’en parlais. J’en rêvais. Je la chantais. est remplacé par une mare dans laquelle, tel
Je croyais la connaître. Je ne la connaissais pas… Narcisse, Orphée se reflète (plan C). On retrouve
Heurtebise.– Vous la connaissez... en personne. » ici le goût de Cocteau pour le renouvellement
(doc. 3 p. 379) des mythes. D’un point de vue technique, cette
Non seulement le poète connaît la Mort, mais métamorphose est rendue possible par un trucage :
selon Cocteau, la Mort aime le poète au point de dans le plan C, Jean Marais repose non pas le
se sacrifier pour lui afin de le rendre immortel. La visage contre de l’eau, mais bien contre un miroir
dernière scène du film peut sembler hermétique à demi enterré dans le sable.
aux élèves, mais elle doit être comprise de façon
littérale : si la Mort d’Orphée se sacrifie, Orphée 2. Plusieurs trucages permettent à Jean Cocteau
ne peut plus mourir : il devient immortel. Et, de de rendre étranges et poétiques les gants de
façon métaphorique, grâce à son œuvre qui reste caoutchouc. Ainsi dans le plan D, les gants en
connue et lue à travers les siècles, un poète est amorce semblent être ceux d’Orphée qui avance
immortel. vers le miroir. Mais on est au cinéma : où est
la caméra ? En réalité, il y a un trucage. Ainsi,
Cocteau explique dans plusieurs entretiens avoir
créé deux chambres jumelles, reliées par une
‹ « Une poésie
de cinéma » p. ‹‡°-‹‡·
La scène « Rêve ou réalité ? » (doc. 1) commence
ouverture de la taille d’une porte. Mais à la place
d’une porte, il installe deux miroirs battants, au
centre desquels un miroir amovible peut fermer la
pièce ou bien être enlevé. Dans ce plan, le miroir
a été retiré. Un figurant s’avance au premier plan,
12 min après le début. dont on ne peut voir que les mains en amorce.
La première scène du miroir (doc. 2) commence Face à lui, Jean Marais dans la chambre jumelle.
18 min après le début. Lorsque les mains se rejoignent à la fin du plan D,
300 | La poésie du xixe au xxe siècle : du romantisme au surréalisme
Cocteau fait un plan de coupe : « Cette glace est et exprime son admiration pour un poète qui est
une glace et j’y vois un homme malheureux », son contemporain, et qui pourtant ne s’est pas
ce qui lui permet de remettre le miroir. Dans le caché de ne pas aimer son œuvre. Ce faisant,
plan E, nouveau trucage qui permet au spectateur Cocteau révèle son admiration et la fascination
d’imaginer que les mains du poète s’enfoncent dans qu’a exercées sur lui la poésie surréaliste, malgré
le miroir. En réalité, le plan est filmé de dessus, en le mépris dans lequel les surréalistes ont toujours
plongée, et Jean Marais enfonce ses mains, non tenu son œuvre. Cependant, là encore, il ne faut
pas dans l’eau – le reflet n’y serait pas aussi net et pas oublier que la lecture peut être double : les
surtout on y verrait le bout des doigts –, mais dans vers sont prononcés depuis l’au-delà, et cette
une cuve de mercure. Par la magie du cinéma, les radio fascinera Orphée au point de le mener à sa
gants de caoutchouc, inspirés à Cocteau par les perte, ce qui n’est pas aussi positif. À la manière
tableaux de Chirico comme Le Chant d’amour, de Cégeste qui émettra dans la radio après avoir
Le Gant rouge, ou encore L’Énigme de la fatalité, été tué par la Princesse et être devenu son aide, les
semblent posséder un pouvoir magique. surréalistes apparaissent dans le film de Cocteau
comme de jeunes fous.
3. Réaliser un film, pour Jean Cocteau, c’est faire
une « poésie de cinéma ». En effet, cette démarche 2. Dans son dialogue avec Heurtebise comme
lui permet de s’affranchir des règles traditionnelles dans celui avec la Princesse (doc. 1), Orphée
du cinéma (règle des 180 degrés), afin d’enchaîner cherche à « comprendre » : « J’ai le droit d’exiger
ses plans non pas de façon réaliste, mais méta- des explications » (doc. 1 p. 378). Mais cette
phorique. Ainsi, Cocteau parvient à transformer démarche qui se veut raisonnable, rationnelle,
l’image. Dans ces plans, le miroir devient un objet ne peut ouvrir sur l’autre monde.
merveilleux, une surface profonde. Le miroir est
3. Pour accéder à l’au-delà, il faut abandonner la
opaque (plan B, plan C), mais il peut se creuser
raison et accepter le merveilleux : « Il s’agit de
(plan E). On peut s’y voir (plan B, plan D) ou
croire ». Cette exigence, formulée par Heurtebise,
y être vu (plan A). Il est à la fois une frontière
est bien sûr celle que Jean Cocteau exige de son
(plan A), et une ouverture vers une profondeur
spectateur. Son film est parfois hermétique,
(plan D, plan E). Le merveilleux du miroir devient
difficile. Mais pour l’apprécier, pour y voyager
source de jeu de mots : « Les miroirs feraient bien
pleinement, le spectateur ne doit pas chercher
de réfléchir davantage » (doc. 1 p. 378).
à tout « comprendre », à tout expliquer, mais
accepter le merveilleux, y découvrir la beauté plus
LECTURE DES TEXTES que la raison. L’attitude que doit avoir Orphée
1. Le voyage d’Orphée dans le palais de la Princesse et le spectateur est celle du dormeur, comme le
est un voyage esthétique. L’opéra de Gluck per- confirme le texte 1 page 378 :
met à Cocteau de rendre hommage à l’un de ses « La Princesse. – Décidément, vous dormez.
prédécesseurs. C’est une manière de dire que son Orphée. – Oui... oui... je dors... »
film est également une réécriture du mythe. De On retrouve ici le pouvoir du sommeil surréa-
plus, choisir les plaintes d’Eurydice au royaume liste comme ouverture vers un monde étrange,
des morts, c’est donner un indice au spectateur insolite, merveilleux (voir « Le surréalisme,
et à Orphée sur l’identité de la Princesse, qui est rêve éveillé », p. 370). Le spectateur doit donc
une des incarnations de la Mort, puisque c’est abandonner toute critique rationnelle et regarder
elle qui allume la radio. La voix d’outre-tombe le film de Cocteau comme un rêve éveillé. On
qu’on y entend est en réalité celle de Jean Cocteau peut ainsi modifier les propos de la Princesse
lui-même. Certains vers sont de lui, d’autres, pour en faire un mot d’ordre de Cocteau à son
comme « Un seul verre d’eau éclaire le monde », spectateur : « Si vous êtes au cinéma, si vous
sont de Paul Éluard, poète surréaliste dont il est rêvez, acceptez vos rêves. C’est le rôle du spec-
contemporain. Là encore, Cocteau rend hommage tateur de cinéma. »
Objectifs et intérêt du corpus : les quatre pluie est l’occasion d’évoquer les « merveilleuses
poèmes permettent un balayage rencontres de [s]a vie », passées ou à venir, ces
de la poésie des xixe et xxe siècles autour « liens qui [...] retiennent de haut en bas », entre
du thème traditionnel de la pluie, lyrique par la tristesse et joie, entre hier et demain.
excellence, mais revisité au gré des nouvelles 2. Les poètes travaillent notamment sur les sono-
formes poétiques de la modernité. rités pour faire entendre la pluie. Apollinaire
comme Carco insistent sur le sens de l’ouïe avec
QUESTIONS SUR UN CORPUS le verbe « écouter », présent dans les deux poèmes,
1. Le thème de la pluie est l’occasion d’exprimer l’évocation des bruits de la ville et de la pluie,
différentes émotions selon les poèmes : l’utilisation poétique de l’adjectif « auriculaire »
– tristesse et mélancolie chez Baudelaire et chez Apollinaire. Verlaine évoque le « bruit doux
Verlaine surtout. Le poème de Baudelaire est de la pluie ». Chez Baudelaire, les bruits sont
l’expression plus précisément du spleen, mélancolie beaucoup plus funestes : on entend la pluie, mais
chargée de détresse. Tout le sonnet évoque la aussi le « bourdon » qui « se lamente » comme un
peine (« flots », « triste voix », « bourdon », « se glas, la cheminée qui « accompagne en fausset la
lamente », « sinistrement »), la maladie (« pâles pendule enrhumée », comme si elle sonnait l’heure
habitants », « corps maigre et galeux », « enrhu- et rappelait le temps qui passe. Cette dimension
mée », « sales parfums », « vieille hydropique ») très sonore de la pluie est rendue sensible par
et la mort (« urne », « froid ténébreux », « mor- le jeu sur les sonorités, notamment les dentales
talité », « fantôme », « fatal », « sinistrement » (« Héritage fatal d’une vieille hydropique » chez
au sens étymologique du terme, « défunts »). Baudelaire, « Heurte la vitre goutte à goutte »
Verlaine joue sur les répétitions et les sonorités chez Carco, par exemple). Chez Verlaine, la pluie
en [œ] pour créer un poème très musical, proche prend une dimension musicale, comme une ber-
de la chanson, associant « pleure » et « pleut », ceuse, qui s’entend par le jeu des répétitions et
« cœur » et « deuil ». Ces émotions se retrouvent l’assonance en [œ]. Notons que Debussy, sensible
aussi chez Carco et Apollinaire. On peut relire à l’extrême musicalité de ce poème, l’a mis en
ainsi les derniers vers du poème de Carco : la musique. Apollinaire, quant à lui, rend la pluie
répétition du syntagme « il pleut », en écho à visible grâce au calligramme. Aussi la pluie inspire-
« pleurent » chez Apollinaire, renvoie aux « voix t-elle les poètes dans leur recherche poétique, sur
de femmes [qui sont] mortes ». Mais ces émotions le plan thématique et formel.
sont nuancées par l’expression simultanée des
deux autres émotions que sont la joie et l’espoir ;
– la joie et l’espoir : les trois premières strophes de TRAVAUX D’ÉCRITURE
Carco sont particulièrement joyeuses, comme le
montre la répétition en chiasme des phrases « Il Dissertation
pleut – c’est merveilleux » (v. 1) et « C’est mer- I. La poésie s’inspire de la réalité
veilleux : il pleut » (v. 10). La pluie est l’occasion a. Les poètes parlent de ce qui les entoure, de
pour le poète de partager un moment avec celle leur réalité quotidienne
qu’il aime, seuls tous les deux à la maison. Le poète Les quatre auteurs du corpus évoquent une réalité
s’en réjouit, même s’il sait qu’elle devra partir, des plus banales : la pluie. Ils évoquent aussi la
comme l’évoque la dernière strophe. Le poème ville, ses bruits. Par exemple, Baudelaire évoque
d’Apollinaire alterne mélancolie et espoir. La son intérieur, mentionnant ainsi les détails de la
Sports : ...
Musique : ...
Mes activités
extra-scolaires Divertissements : ...
Les élèves peuvent confronter ce qu’ils ont trouvé pour l’entrée : « travail
personnel à réaliser même lorsque le professeur ne donne pas de travail »
et enrichir ainsi cette partie.
Mercredi 15
Fiches | 307
2. Les points suivants peuvent être mis en évidence elles ouvrent la partie, salut, ils répondent, puis
dans l’exemple proposé : ils s’informent ça fait longtemps que t’es là ? ou
– l’apprentissage de la leçon est répartie sur plu- toute autre question d’une neutralité technique,
sieurs créneaux et se fait de façon progressive : sitôt se charrient plus qu’ils ne se parlent, ça dure
lecture / mémorisation / révision ; un quart d’heure, pas plus – ne restent jamais
– le travail est planifié en fonction des créneaux longtemps assis, au fond, sont appelés à bondir
disponibles pour le travail en groupe ou les outils –, alors Eddy, toujours lui, se dresse, balance son
du CDI : recherches, exposés ; mégot, balance ses lunettes sur son tee-shirt – Ray-
– la lecture est planifiée ; Ban Wayfarer contrefaites, tombées d’un carton
– pour chaque travail, l’organisation permet d’anti- à Vintimille –, et annonce le départ : vamos ! »
ciper un imprévu de dernière minute en finissant (Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, © éditions
la tâche un peu avant la date prévue. Gallimard, 2008.)
Autre passage qui exprime le vertige du saut et
6 Programmer une lecture peut se prêter à une lecture oralisée intéressante :
pendant les vacances
« Eddy reste seul, allongé. Il sait bien, pour le
Proposition de planification de la lecture : lec- Face-to-Face, il a compris la fille, ils sont pareils. Il
ture de 15 pages par jour, sur les douze premiers sait la relance du monde à chaque saut, à chaque
jours des vacances, puis les deux jours suivants, impulsion de pied sur la pierre, comme une figure
réalisation des activités demandées. libre qui ferait le pari de la transcendance inver-
Si l’activité est réalisée sur le livre proposé : sée, il sait le corps débordant et désorienté qui
reconquiert un autre espace, un autre monde à
1. Résumé : le roman se déroule sur un été et l’intérieur du monde ; non pas la chute, donc, le
raconte l’histoire d’adolescents des quartiers défa- truc grisant de tomber comme une pierre, mais
vorisés qui plongent dans la mer Méditerranée du être contenu dans le ciel, dans la mer, là où tout
haut de la corniche Kennedy, à Marseille. Eddy croît et s’élargit, et devenir le monde soi-même,
et ses amis sautent ainsi de deux promontoires, le coïncider avec tout ce qui respire, et que ce soit
Just Do It et le Face-to-Face, situés à douze mètres intense, rapide, léger, il sait tout cela, il en connaît
au-dessus de l’eau. Les plongeons sont risqués et les dangers, le tourbillon, la nausée, les yeux
ils sont surveillés par la police, plus particuliè- révulsés, la tête à l’envers. »
rement par le commissaire Sylvestre Opéra, qui (Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, © éditions
souhaite mettre un terme à ces activités. Suzanne, Gallimard, 2008.)
une fille des quartiers riches, vient perturber
le groupe d’adolescents. Le roman raconte en Pour approfondir : interview de l’auteur : http://
parallèle l’histoire intime du commissaire qui a www.telerama.fr/livre/maylis-de-kerangal-a-l-
vu disparaître la femme qu’il aimait. origine-d-un-roman-j-ai-toujours-des-desirs-tres-
physiques-materiels,109929.php
2. Article critique : les élèves peuvent confronter
leurs articles avec ceux écrits dans la presse (par
exemple celui du magazine Télérama : http://www.
telerama.fr/livres/corniche-kennedy,33858.php),
ou avec ceux écrits par des lecteurs (par exemple 7 Planifier un travail d’exposé
sur le site Babelio : http://www.babelio.com/livres/ en groupe
Kerangal-Corniche-Kennedy/91038/critiques).
1. Définition du sujet : il s’agit de présenter les
3. Choix d’un extrait : le passage suivant peut nouvelles perspectives littéraires offertes par les
être suggéré pour une lecture oralisée : fusion des outils numériques.
discours direct et indirect, mélange des niveaux
Sitographie sur le sujet :
de langue, précision de l’écriture :
– article de Télérama : http://www.telerama.fr/
« Au commencement, les garçons sont assis genoux livre/litterature-et-numerique-quand-l-ecrit-s-
repliés, genoux que ceinturent leurs bras, fument invente-un-avenir,82561.php
des clopes les yeux plissés sur le large, redoublent – bulletin des bibliothèques de France : http://
de jactance quand les filles approchent, salut, bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0103-007
308 | Développer son autonomie
– sur le site de l’académie de Nantes : http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/lettres/
bibliotheque/la-litterature-numerique-749150.kjsp?RH=PEDA
Proposition de plan :
– la littérature hypertextuelle (ou hyperfiction) : des liens donnent accès à de
nouvelles pages, du son, de la vidéo qui enrichissent le récit.
– la littérature générative qui crée aléatoirement des textes : les œuvres sont
éphémères.
– la littérature animée : le lecteur peut agir sur le texte, l’animer.
Fiches | 309
Critères Non réussi Perfectible Réussi
Identification et sélection des informations :
Les informations essentielles sont présentes
Des informations secondaires ne sont pas présentes
Les formulations brèves sont privilégiées : phrases
nominales, abréviations, suppression des déterminants
Organisation et mise en page :
Mise en évidence des informations : titres, références
des documents, plan, définitions
Des couleurs sont utilisées et permettent
de hiérarchiser les informations
Des éléments visuels sont utilisés : flèches, listes, schémas
Sitographie :
Le B2i lycée : http://eduscol.education.fr/
9 Exploiter une prise de notes numerique/textes/reglementaires/competences/
pour une présentation orale b2i/lycee
Des exemples de ressources avec « Les journées
1. Plusieurs modes de recherche sur les deux sites :
enseignement des lettres à l’heure du numérique :
Onisep.fr :
le rendez-vous des lettres, les métamorphoses du
• Rubrique « Métiers », puis « Des métiers par
livre et de la lecture à l’heure du numérique » :
secteurs », puis « Édition / journalisme » ou
http://eduscol.education.fr/pnf-lettres/
« Culture / Artisanat d’art » ou « Traduction /
Pour des informations sur le numérique res-
Interprétariat »
ponsable : http://eduscol.education.fr/internet-
• Recherche libre sur les mots-clés : « métiers
responsable/ ou www.internetsanscrainte.fr
du livre »
Meformer.org :
• Rubrique « Découvrir les métiers et les 1 Adopter une conduite responsable
emplois », puis « Rechercher par familles
1. La rubrique « L’espace pédagogique » du
de métiers », puis « Communication » ou
site http://www.2025exmachina.net/espace-
« Art – Artisanat – Spectacle »
pedagogique/presentation donne de multiples
• Recherche par centre d’intérêt
informations sur les enjeux pédagogiques du
Pistes : bibliothécaire, documentaliste, éditeur, jeu. Sur chacune des aventures, dix conseils
professeur, imprimeur, etc. clés sont donnés. Ils pourront être exploités
La fiche peut prendre différentes formes. Une fiche dans la charte à rédiger (par exemple, sur les
papier, mais aussi un diaporama. Si le diaporama réseaux sociaux : http://www.2025exmachina.
est choisi, les diapositives doivent présenter des net/espace-pedagogique/10-conseils-cles).
mots-clés, des schémas, en aucun cas des blocs Les quatre aventures du jeu sérieux « 2025
de texte. exmachina » (www.2025exmachina.net) :
312 | Développer son autonomie
ou échanger des vidéos dont on n’est pas pro-
Enseignements sur
Aventures
les conduites à suivre
priétaire sans autorisation de leurs auteurs, peut
poser problème. »
Sur les réseaux sociaux :
« Le droit à l’image des personnes et au res-
protéger ses données
pect de leur vie privée dit qu’il est obligatoire
personnelles, faire attention
« Le chat
aux traces informatiques qui d’obtenir l’autorisation des personnes, ou celles
démoniaque »
peuvent ressurgir plus tard, de leurs parents (en principe les deux) si elles
(Fred) sont mineures, avant de publier leurs photos
gestion de son identité en
ligne, bien utiliser les options sur Internet. Les atteintes volontaires portées à
de vie privée. l’intimité de la vie privée par la diffusion d’images
à leur insu ou par moyen de photomontages sont
Sur Internet mobile : punies par la loi, il faut en être conscient. Mais
le problème des prises de vue au-delà de ces aspects légaux, le fait de systémati-
et leur diffusion instantanée quement demander avant de publier des photos de
« Prise
via Internet, le vol de données quelqu’un d’autre et surtout de les transformer sur
sur le vif »
via Bluetooth (carnets son ordinateur, procède juste du plus élémentaire
(Anaïs)
d’adresses), problèmes liés savoir-vivre sur le Net ! »
à la géolocalisation,
au harcèlement, etc. 3. Proposition de charte en 10 points :
1) Lors d’une recherche d’informations, vérifier,
Sur les jeux vidéo : problèmes recouper les informations, s’assurer de leur
de la gestion du temps et des fiabilité
« Zoumbi’ pratiques excessives, le choix 2) Protéger ses données personnelles
city » des jeux, la protection
3) Bien choisir son pseudo
(Hugo) des données et les rencontres
4) Bien gérer ses profils
dans les communications
5) Bien gérer ses mots de passe et ses identifiants
en ligne, l’argent.
6) Soigner sa réputation, veiller à son identité
Blog, chat, forum : utilisation numérique
raisonnée de la webcam 7) Publier des photos, des vidéos et des textes
et du chat. en respectant les règles de la propriété
Questions des groupes intellectuelle
d’influence, de la véracité de 8) Publier des photos, des vidéos et des textes en
« Écran
l’information, des rencontres respectant les règles relatives à la protection
sur les forums. de la vie privée
total »
Questions de la véracité de 9) Ne pas diffuser d’informations présentant
(Morgane)
l’information, des différences le caractère d’un délit (messages à caractère
entre les sites scientifiques, raciste, pornographique, pédophile, injurieux,
grand public, commerciaux diffamatoire)
et blogs. 10) Ne pas abuser des outils numériques
Questions de l’image de soi
donnée sur les blogs. Idées pour réaliser une affiche :
• Proposer des dessins, des icônes ou des pho-
tographies pour illustrer chacune des entrées
2. Le site www.internetsanscrainte.fr précise
de la charte.
certaines règles qui encadrent l’utilisation des
• Proposer une campagne d’affichage au CDI,
informations : « Publier des photos et des vidéos
à l’intérieur d’une salle de classe ou du lycée.
sur des profils, blogs, sites communautaires, c’est
Chaque groupe peut prendre en charge une
bien sûr possible. Mais pas n’importe comment :
affiche en illustrant une des dix entrées.
ces publications répondent aux mêmes règles que
celles de la presse classique en termes de droit 2 Effectuer une recherche fiable
d’auteur et de droit à l’image. Ainsi, publier des
photos de ses amis ou de ses profs, copier-coller 1. Pour cibler le sujet, on peut dégager les orien-
des photos trouvées n’importe où sur Internet, tations suivantes : histoire, législation sur la
Fiches | 313
question, risques encourus, moyens pour détecter 3 Écrire et réécrire avec le numérique
le plagiat, exemples et affaires célèbres dans le
Le travail proposé peut se faire dans le cadre de
domaine de la culture (littérature, art, science).
l’objet d’étude sur la nouvelle réaliste ou natu-
Mots-clés possibles : plagiat, contrefaçon, droit
raliste (se rapporter au thème de la presse et des
d’auteur.
médias). Il peut constituer un prolongement à
une étude de nouvelles sur cette question du fait
2. Les difficultés et les avantages présentés par divers et de sa transposition littéraire. Sur ces
les différents sites : questions, consulter dans l’exposition virtuelle de
la BnF « La presse à la une », la page consacrée
aux faits divers : http://expositions.bnf.fr/presse/
Un site institutionnel
pedago/03.htm
(http://www.ctoutnet.fr/Plagiat)
– L’aspect institutionnel du site doit pouvoir 1. Pour choisir un fait divers sur le site du jour-
garantir la fiabilité des informations (académie nal Le Monde, il est possible de laisser les élèves
de Versailles). autonomes. Cependant, le professeur peut faire
– Les définitions proposées s’appuient sur une présélection s’il veut éviter certains sujets
plusieurs sources citées (dont Wikipédia). sensibles, ou orienter les élèves sur tel ou tel
– L’article est pédagogique, organisé. thème. Pour obtenir des faits divers plus insolites,
consulter ceux proposés dans la presse régionale,
Un site associatif (Wikipédia)
par exemple sur le site du journal Ouest-France :
– Il s’agit d’un article encyclopédique, précis, il http://www.ouest-france.fr/surtitre/faits-divers/
donne une perspective historique sur la notion.
– Les sources sont citées dans l’ensemble, 2. Pour créer un pad, un élève ou un groupe
et quand elles ne le sont pas suffisamment, d’élèves crée une page sur un site de pad :
le site l’indique. – TitanPad (https://titanpad.com/)
– Framapad (https://framapad.org/)
– Piratepad (http://piratepad.net/front-page/)
Un site personnel (http://plagiat.ec-lille.fr/) Les autres membres du groupe recopient l’adresse
– L’information est présentée sur un autre URL de la page dans la barre de leur navigateur
mode : des vidéos. pour pouvoir écrire en même temps. Il faut leur
– Le site est constitué par des cours donnés rappeler de faire des sauvegardes régulièrement
par un maître de conférences, ce qui confère en cliquant sur l’icône « disquette ».
une légitimité aux informations données.
3. Pour corriger le texte, la première démarche
peut consister à copier-coller le texte du pad dans
3. La sitographie doit suivre quelques règles de
un traitement de texte (Open Office, Word) muni
présentation : nom et prénom de l’auteur, adresse
d’un correcteur orthographique.
ou nom du site, nom de l’éditeur, date de publi-
Ensuite, pour lever certaines incertitudes, d’autres
cation ou de mise à jour, date de consultation,
outils de la langue en ligne peuvent être utilisés :
disponibilité et accès.
– dictionnaires : Larousse (http://www.larousse.fr/
• Éducation aux médias et à l’information, aca-
dictionnaires/francais), TLFI (Trésor de la langue
démie de Versailles, http://www.education-aux-
française informatisé : http://www.cnrtl.fr/defi-
medias.ac-versailles.fr/Plagiat, 2010, [date de
nition/, accessible également sur le site http://
consultation à renseigner], archive disponible
atilf.atilf.fr/) ;
et accessible.
– conjugueurs ou conjugateurs : celui du
• Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Plagiat,
Larousse en ligne (http://www.larousse.fr/
[date de mise à jour à relever en bas de page],
conjugaison) ou celui du site du Monde (http://
[date de consultation à renseigner], ressource
conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/).
disponible et accessible.
• BACHELET Rémi, http://plagiat.ec-lille.fr/,
mise à jour le 17/10/2012, [date de consultation
à renseigner], ressource disponible et accessible.
3. Pour utiliser la carte comme support pour la pré- 1. Recherche d’images libres de droits en répar-
sentation, les élèves peuvent déplier les nœuds au tissant les outils de recherche au sein du groupe :
fur et à mesure qu’ils exposent leurs informations. • Un moteur de recherche spécialisé : CC Search
(http://search.creativecommons.org/?lang=fr), qui
5 Créer et publier des podcasts est un portail donnant accès à plusieurs banques
1. Sur Internet, l’« enregistreur de voix » Online d’images libres de droits.
Voice Recorder (http://online-voice-recorder.com/ • Un moteur de recherche général : dans
fr/) peut être choisi. Il est très simple d’utilisation. Google Images (https://www.google.fr/
D’autres modes d’enregistrement peuvent être imghp?hl=fr&tab=ii), utiliser le menu « Paramètres /
utilisés pour cette activité : le logiciel Audacity Recherche avancée / droits d’usage » pour sélec-
par exemple ou un téléphone mobile. tionner les images libres de droits (https://www.
2. Il convient de vérifier à l’avance le fonction- google.fr/advanced_image_search).
nement du matériel. Si l’établissement n’est pas • Une banque d’images : Wikimedia Commons
équipé, un kit mains libres de téléphone mobile (http://commons.wikimedia.org/wiki/Main_Page),
peut être utilisé, les élèves en possèdent souvent. ou Flickr qui présente une page qui permet de
Les élèves peuvent être répartis en groupes pour filtrer les images en fonction du type de licence :
distribuer le matériel. https://www.flickr.com/creativecommons/
3. D’une version à l’autre, certains progrès peuvent
être manifestes : plus d’assurance, moins d’hési- 2. Comparaison des images obtenues : difficultés
tation, davantage d’expressivité et de fluidité. et avantages des différents modes de recherche :
• Une banque d’images : elle est parfois insuffi-
4. Les lycées disposent tous d’un site ou d’un
sante pour le sujet traité, mais donne accès à des
environnement numérique de travail (ENT). Il
domaines de recherche qui permettent d’accéder
est possible de créer une rubrique qui présente les
à d’autres images.
travaux des élèves. Une action peut consister à
• Un moteur de recherche général : Google Images
publier un texte enregistré, mais le travail peut
permet d’interroger une vaste banque de données.
être enrichi en demandant aux élèves de réaliser
Cependant, les images libres de droits sur des
une fiche associée, qui présentera le poète, le
sujets précis sont plus rares que celles obtenues
recueil, une analyse du poème, une sélection
sans filtres, et les résultats sont parfois insuffisants.
d’autres poèmes du poète, etc.
• Le moteur de recherche spécialisé CC Search
permet, sur une même requête, d’aller chercher
6 Chercher et traiter une image libre des images dans les différents sites qui présentent
de droits des images libres de droits, dont Google Images,
Les élèves peuvent manifester leur interprétation Wikimedia Commons, Flickr, etc. Il s’agit donc
de l’œuvre à travers la réalisation de la couverture. d’un mode de recherche puissant et pratique.
Fiches | 315
Une variante de l’exercice peut consister à com- libres de droits de publication et de diffusion. Il
parer pour une même requête les résultats obtenus est aussi possible de leur faire créer des images
pour des images protégées et des images libres de (photographies, dessins, collages) et travailler
droits. Par exemple dans Google Images, pour une ainsi la question du rapport du texte à l’image.
même requête, comparer les résultats obtenus
avec et sans le filtre « images libres de droits ».
La différence étant très importante, c’est une
façon de faire prendre conscience que la plupart Fiche Éducation aux médias
des images sont protégées. › et à l’information p. ‹·‹
3. Si l’image est retravaillée dans la perspective
d’une publication sur Internet, l’image doit être
1 L’information et vous
« libre de modification ».
Pour retravailler l’image, il est possible d’utiliser Le travail s’appuiera sur les réponses des élèves.
un logiciel de retouche d’image, en fonction de
ce qui est disponible sur les postes de l’établisse- 2 Vos pratiques numériques
ment : PhotoFiltre, Photoshop. De plus en plus de Le travail s’appuiera sur les réponses des élèves.
sites proposent des outils en ligne : Pixlr (http:// Des exemples de sondage pour travailler avec
apps.pixlr.com/editor/), Fotor (http://www.fotor. les élèves :
com/fr/), PiMagic (http://app.pikock.fr/pimagic), – http://www.education-aux-medias.ac-versailles.
PicMonkey (http://www.picmonkey.com/), etc. fr/IMG/pdf/annexe.pdf
– http://www.csa.fr/content/download/51801/
7 Réaliser un texte et le publier 499348/file/Synth%C3%A8se%20jeunes%20
sur un site Internet et%20m%C3%A9dias%20.pdf
1. Les élèves peuvent réaliser l’activité seuls ou
par groupes. 3 La manipulation de l’information
Plusieurs thèmes peuvent être proposés, en 1. Les Décodeurs rappellent les fondamentaux
fonction des intérêts des élèves, et des questions de l’information :
étudiées en classe : la ville, l’urbanisation, la – recherche des faits objectifs ;
modernité technique ou technologique, la nature, – vérification des sources ;
les sentiments, les conflits entre la technique et – explication des faits ;
la nature, mondes utopiques, guerre et paix, etc. – correction des articles suite aux remarques des
Il est possible de lier l’activité à un travail sur un lecteurs ou à de nouvelles recherches.
objet d’étude (la poésie, l’argumentation notam- Prolongements
ment), en lien avec une séquence, un travail sur L’Observatoire de la déontologie de l’informa-
un thème particulier (la fuite du temps en poésie). tion rappelle dans son premier rapport (http://
2. Pour créer un mur virtuel et publier, le site www.journalisme.com/les-assises-2013/1354-l-
Padlet, simple à prendre en main, peut être uti- observatoire-de-la-deontologie-de-l-information-
lisé. D’autres outils peuvent être utilisés : réseaux publis-son-premier-rapport) les règles de la déon-
sociaux (Facebook, Twitter), blogs… Ces travaux tologie journalistique rassemblées dans trois
sont l’occasion de travailler avec les élèves sur la documents non contraignants : Charte d’éthique
notion de publication, la question des droits de professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-2011),
publication, les différences entre la publication Déclaration des droits et devoirs des journalistes
publique et privée ou restreinte. (Syndicats européens, 1971), Projet de code de
3. Pour publier les textes sur la page, deux solu- déontologie pour les journalistes (groupe de tra-
tions : le texte peut être recopié directement dans vail Frappat, 2009), que l’on peut faire découvrir
la fenêtre ou bien les élèves peuvent attacher aux élèves.
un fichier. On pourra rappeler aux élèves les conséquences
4. Les élèves peuvent chercher des citations, des d’une fausse information à partir de la dépêche
poèmes ou des images en lien avec leur thème. Il de l’agence AFP annonçant par erreur la mort
faut veiller à ce que ces textes et ces images soient de Martin Bouygues.
Fiches | 317
4. En 2010, le film publicitaire en noir et blanc dia/Wikip%C3%A9dia_dans_la_classe
décrit les pensées d’Anne Lamotte, reporter au – https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion_
service Enquêtes de France Info. On la voit au Projet:Wikiconcours_lyc%C3%A9en
petit matin rejoindre en scooter la rédaction de
France Info. Le spectateur est immergé dans ses
pensées. La journaliste réalise la chance qui est la
Fiche La lecture cursive :
sienne d’aller chaque matin découvrir le monde : ∞ se construire une culture
« Chaque matin, je pars découvrir le monde. Il y littéraire p. ‹·∞
a à chaque fois des exploits, des drames, des sur-
prises… des nouvelles de toutes sortes. Il faut les 1 Innocence de l’enfance
vérifier avant d’informer. Redécouvrir le monde
tous les jours, c’est une chance. Cette chance, 1. Auteur : Charles Baudelaire ; titre de l’œuvre :
c’est mon métier. » Le Spleen de Paris ; titre du texte : « Le Joujou du
En 2014, les spots reprennent les visuels des pauvre » ; genre du texte : poème en prose ; date
affiches mais au lieu d’une perception globale, de parution : 1869.
chaque élément de la communication arrive l’un 2. Les mots et images peuvent varier d’un lecteur
après l’autre. à l’autre. L’important est de dégager clairement
le sens littéral du texte et laisser libre cours à
6 Devenir producteur d’information ses premières impressions, sans autocensure ni
Le Centre de liaison de l’enseignement et des recherche de la « bonne réponse » : il n’y en pas.
médias d’information (Clemi, www.clemi.org) 3. À nouveau, l’exercice est libre et dépend des
propose chaque année des activités en liaison impressions de chacun. La forme de la lettre est
avec les médias : Journée du direct, Semaine de néanmoins codée : celle-ci doit s’adresser à mon-
la presse et des médias dans l’école, des concours sieur Charles Baudelaire, désigné à la deuxième
comme le Wikiconcours lycéen, etc. Vous y trou- personne, par l’auteur qui s’exprime à la première
verez des ressources pour mener à bien des pro- personne. Après une formule d’adresse, le corps de
jets d’éducation aux médias : http://www.clemi. la lettre peut s’organiser en plusieurs paragraphes,
org/fichier/plug_download/46608/download_ pour s’achever sur une formule de politesse et
fichier_fr_medias_information_2013.14.pdf ; une signature.
http://www.pearltrees.com/clemi_mediadoc/fabri- 4. La mise en page de la lettre et son illustration
quer-info/id13522515 http://www.clemi.org/fr/ sont importantes : le journal de lecteur est un
productions-des-eleves/ objet personnel qui peut être l’occasion de laisser
s’exprimer son expressivité.
7 Création de contenu en ligne
Exemples de productions réalisées avec des 2 Le travail du poète
élèves :
Proposition de paragraphe rédigé :
– http://www.i-voix.net/
La poésie est certes le fruit de l’imagination du
– http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/
poète qui crée les images et travaille sur le pou-
lenseignant/lettres/francais/Pages/2010/117_
voir évocatoire de la poésie, mais elle n’en est
VeuxtuetremonBelAmi.aspx
pas moins liée à la réalité. Dans son poème en
– http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/
prose « Le Joujou du pauvre », extrait du recueil
lenseignant/lettres/francais/Pages/2013/143_
Le Spleen de Paris (1869), Charles Baudelaire
peaunumeriquedunpersonnage.aspx
s’adresse directement à son lecteur, l’invitant à
– http://disciplines.ac-bordeaux.fr/
offrir au gré de ses promenades de menus cadeaux
documentation/?id_category=15&id_
aux enfants pauvres croisés dans la rue. Il décrit
rubrique=41&id_page=105
deux enfants, l’un riche et l’autre pauvre, chacun
Voilà comment fonctionne Wikipédia et le d’un côté de la grille d’un château. Baudelaire
concours : opère un renversement : ce n’est pas l’enfant
– http://upload.wikimedia.org/wikipedia/ pauvre qui regarde avidement le « joujou » du
commons/e/ef/Welcome2WP_French_WEB.pdf riche, mais l’inverse. L’enfant pauvre joue avec
– http://fr.wikibooks.org/wiki/Wikip%C3%A9 un rat, ce qui fascine l’enfant riche, et les deux
318 | Lire et analyser
enfants rient ensemble. La dernière phrase insiste 4. À nouveau, il s’agit d’entraîner les élèves à
sur le sourire des deux enfants et leur égalité dans l’entretien et de leur montrer qu’ils pourront s’y
le jeu et la joie, notamment grâce à l’adverbe entraîner avec leurs camarades en autonomie.
« fraternellement » et l’adjectif « égale ». Ainsi, L’encadrement par le professeur dans un premier
le poète s’engage en donnant place à la pauvreté temps est essentiel : c’est ainsi que les élèves
dans l’art, mais il invite aussi son lecteur à regarder comprendront ce que l’on attend d’eux.
différemment le monde qui l’entoure. C’est l’une
des fonctions essentielles de la poésie : renouveler
son regard sur le réel.
4 Raconte-moi une histoire
Cet exercice a pour objectif d’amener les élèves
à fréquenter différents lieux pour trouver des
3 Soyez lecteur de la modernité
livres et développer leur culture littéraire, en
1. Trois textes de Baudelaire, page 350 puis 352- osant discuter avec les adultes qui peuvent les
353, permettent de mettre en perspective « Le conseiller et les guider. Un retour en classe peut
Joujou du pauvre ». La page « Histoire littéraire » être un bon moyen d’échanger les différentes
(p. 366) l’inscrit dans un contexte plus large. expériences et découvertes.
Les autres textes de la séquence montrent bien
l’importance du quotidien et de la ville dans la 5 Quel lecteur êtes-vous ?
production poétique de l’époque.
Faire son autoportrait en lecteur permet de prendre
2. Le mot spleen renvoie à l’idée de mélancolie, conscience de ses habitudes de lecture. Cela peut
tristesse, ennui. Il s’agit du mot anglais qui désigne se faire aussi bien sous la forme d’une écriture
la rate, siège de la mélancolie selon la théorie des d’invention guidée ou bien d’une écriture libre
humeurs d’Hippocrate. La ville, et notamment et autonome.
Paris et la tour Eiffel, est un thème récurrent
dans la poésie de l’époque parce qu’elle incarne
la modernité et témoigne de l’évolution sociétale,
fruit des deux révolutions industrielles du xixe
siècle et de l’urbanisation galopante. Les élèves Fiche
pourront notamment lire les pages « Repères 6 Faire entendre les textes
historiques » en complément, pages 22-23.
p. ‹·‡
3. Cette fois, il s’agit de préparer les élèves à
l’entretien de l’oral de l’EAF. Les amener à penser 1 Deux voix pour un même texte
à des questions leur permet de se familiariser avec
Si la réponse à l’exercice dépend de chacun, il
cet exercice et de mieux retenir ce qu’ils lisent.
est important de bien faire argumenter les élèves,
Quelques exemples de questions possibles : Qui est
qu’ils sachent exprimer leur avis et analyser leurs
Baudelaire ? Quel est son recueil le plus célèbre ?
émotions.
Quel est le message dans ce poème ? Comment
l’auteur s’inscrit-il dans la modernité ? Quels Prolongement
sont les éléments de ce poème qui le rendent Donner à lire aux élèves le texte de Senghor et
moderne ? Quels éléments font de ce texte en leur demander d’en proposer à leur tour une
prose un texte poétique ? interprétation :
Femme noire
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi,
Je te découvre,
Terre promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle
Fiches | 319
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée
Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.
Délices des jeux de l’Esprit, les reflets de l’or ronge ta peau qui se moire
À l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’Éternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
Léopold Sédar Senghor, Chants d’ombre, 1945, © éditions du Seuil, 1956.
3. L’interprétation devra tenir compte de la ponc- 2. La scène est drôle aussi parce que le lecteur
tuation, forte et variée, ainsi que des changements ou spectateur reconnaît des éléments du conte,
de ton liés aux différentes émotions exprimées mais Pommerat les renverse. On retrouve : le
et déterminées dans la question 1. La didascalie Prince, Cendrillon, le château et le bal, le perron,
est essentielle puisqu’elle impose un changement la chaussure. Mais cette fois, c’est le Prince qui
de posture. quitte le bal en courant. Il ne perd pas sa chaussure,
mais les « regarde », ce qui leur donne l’occasion
de les comparer.
Fiche La lecture analytique (1) : 3. Pommerat s’amuse à créer une connivence
‡ entrer dans le texte avec son lecteur ou spectateur en détournant
les éléments originels du conte qu’il vide de son
p. ‹··-›‚‚ caractère « merveilleux ». Le « coup de foudre »
entre le Prince et Cendrillon est remplacé par un
1 Injustices choc physique, le dialogue est comique et ridicule,
la chaussure n’est plus de vair et n’est que le pré-
1. Le texte de Hugo suscite l’indignation grâce texte à échanger quelques mots sans trop savoir
aux exclamations et aux interrogations, à la com- quoi dire. Pommerat propose ainsi une version
paraison avec l’esclave, au vocabulaire fort et comique et moderne de cet apologue, qui traite
violent comme « assassinat » ou « vol » dans les en réalité du deuil et de la nécessité d’avancer
deux dernières phrases. dans la vie, problématique toujours d’actualité
2. Hugo s’oppose ici de manière virulente à la de nos jours.
peine de mort. Pour faire adhérer son lecteur
à sa cause, il met en place diverses stratégies
3 Grève générale
argumentatives :
– la ponctuation expressive (exclamation et 1. On peut imaginer une sorte de vague humaine
interrogation) ; qui avancerait comme une coulée de lave ou de
– l’interpellation directe du lecteur par les ques- boue. Quelle que soit l’image, elle doit évoquer
tions rhétoriques et la deuxième personne ; une sorte de masse compacte qu’on ne peut arrêter.
– ce même lecteur est placé en position d’accusé Les élèves peuvent aussi être touchés par les détails
puisque Hugo dénonce « sa » loi : indirectement, monstrueux, comme la description des femmes
Hugo rappelle au lecteur qu’il est aussi responsable par exemple, ou la hache à la fin du texte.
puisqu’il aurait le pouvoir de réclamer que les
2. Tout est mis en place pour susciter la terreur :
choses changent dans le cadre de la démocratie ;
les bourgeois cachés dans la grange ne peuvent
– à l’inverse, le « coupable qui a une famille »
qu’être terrifiés à l’idée d’être découverts.
est placé en position de « victime » et Hugo
cherche à susciter la pitié du lecteur pour lui 3. Zola cherche à montrer une foule aussi mons-
en évoquant sa famille, sa femme, ses enfants, à trueuse et terrifiante que formidable en jouant
le faire « frissonner » en pensant à « ces petits des accumulations, des détails horribles comme
garçons, ces petites filles ». L’évocation est ren- les « nudités des femelles lasses d’enfanter des
due particulièrement vivante grâce à l’emploi meurt-de-faim » ou les « vieilles, affreuses », et des
des démonstratifs, comme s’il nous montrait la images fortes, comme la comparaison des jeunes
détresse des familles des condamnés. enfants à un « drapeau de deuil et de vengeance »
Fiches | 321
ou de la hache à un « couperet de guillotine ». 2. On peut imaginer un acteur plutôt jeune, seul
Les bouches sont des « trous » qui « hurlent » et en scène, dans une pièce sombre par exemple,
« chantent » : la description est à la fois visuelle dans un château. Le décor ferait ainsi écho au
et sonore puisque la foule décrite s’accompagne désespoir du personnage et aux idées sombres qui
d’un « mugissement confus » et du « claquement l’envahissent. Un éclairage en douche, du dessus,
des sabots ». mettrait l’acteur en valeur et soulignerait la pause
que constitue le monologue : le personnage est
seul, immobile, dans un instant de réflexion et
4 Beauté féminine d’introspection.
3. Les choix peuvent varier d’un élève à l’autre,
1. Si les réponses peuvent varier, on peut penser
c’est là tout l’intérêt de l’exercice. Des passages
à des mots-clés comme : amour (titre), femme
essentiels sont néanmoins à souligner : « Mourir,
aimée (anaphore du pronom « elle »), rêve (« pau-
dormir » à deux reprises est mis en valeur en fin
pières », « rêves », images étonnantes), tristesse
de vers et peut s’ensuivre d’une pause légère mais
(« pleurer »).
sans faire baisser la voix, pour montrer qu’il s’agit
2. Les images utilisées dans ce poème sont surréa- d’une réflexion en cours, qui ne s’arrête pas. On
listes : il s’agit d’associations d’idées ou de sons peut jouer aussi sur la répétition de « c’est là »,
qui doivent susciter la rêverie et l’émotion plus l’exclamation « ah ! », appuyer les sonorités fortes
que la raison. Certaines pourraient se concrétiser comme dans « Ainsi la conscience fait de nous
par le dessin, comme les deux premiers vers, mais tous des lâches », etc.
la « pierre sur le ciel » serait plus difficile. En
prolongement, on peut renvoyer les élèves aux 6 Un lieu étrange
tableaux et photographies surréalistes présents
dans le chapitre 20 du manuel (p. 369). 1. La pièce est peu meublée, non chauffée, sans
issue. Les meubles sont tous fixés au mur, au sol
3. Le poète exprime un amour sans limite pour
ou par des chaînes. L’auteur souligne son caractère
cette femme qui l’envahit complètement (voca-
« sinistre », l’adjectif connotant par son étymolo-
bulaire du corps dans la première strophe, idée
gie le malheur et la mort, puisque le latin sinister
de l’engloutissement). Il exprime aussi tout un
signifie à la fois « gauche » et « malheureux,
mélange d’émotions, de la joie à la tristesse, dans
funeste », et se retrouve dans l’expression « passer
les deux derniers vers notamment, avec l’alter-
l’arme à gauche ».
nance « rire, pleurer et rire » et l’antithèse « parler
sans avoir rien à dire ». On sent que cette femme 2. Les points de suspension créent des silences et
ne quitte jamais le poète, même quand elle n’est des effets d’attente qu’il faut bien souligner dans
pas là, puisqu’elle ne le « laisse pas dormir » et se la lecture : il s’agit de laisser le temps à l’auditoire
tient « debout sur [s]es paupières », comme s’il la d’imaginer la pièce et de faire ressentir toute
voyait même dans ses rêves. l’« inquiétude » de la jeune femme. Le silence
souligne bien le caractère « indéfinissable » de
cette inquiétude. Les points de suspension finaux
5 Être ou ne pas être laissent en suspens la raison de l’immobilité du
fauteuil et augmentent l’effet d’angoisse. On
1. Dès le deuxième vers, on remarque des enjam- peut, en prolongement, faire un parallèle avec
bements, rejets et contre-rejets, qui se répètent les techniques de cinéma mises en place dans les
par la suite, se poursuivant parfois sur trois vers films à suspense ou d’horreur, quand des moments
(vers 6 à 8, puis 8 et 9 ; vers 12-13 puis 13-14). d’attente sont créés par un ralentissement de
À deux reprises, le groupe « Mourir, dormir » est l’action et, bien souvent, une musique.
placé en fin de vers (vers 5 et 9). Cela insiste bien
sur le tourment du personnage, tenté par l’idée 7 La langue au chat
du suicide mais la redoutant en même temps,
en plein dilemme : les vers déstructurés et de 1. Toute la lettre de Mme de Sévigné repose sur
longueurs différentes sont à l’image des émotions un effet d’attente qui suscite la curiosité de son
qui s’agitent en lui sans ordre ni raison. lecteur. Dès la première phrase, elle accumule
322 | Lire et analyser
les superlatifs pour souligner le caractère excep- 2. Ce poème décrit une tempête en pleine mer.
tionnel de la nouvelle à annoncer puis multiplie Les éléments sont personnifiés, la mer « palpite »
les questions et réponses avant de finalement comme un cœur qui bat, ce qui amène à penser
révéler le mariage entre Lauzun et Mademoiselle, que cette tempête est une image de la souffrance
qui n’intervient que quelques lignes avant la fin. du poète. On peut ainsi en déduire deux axes de
lecture :
2. Tout au long de la lettre, elle met en scène un
I. Le poète décrit une tempête en pleine mer…
dialogue fictif avec son destinataire en imaginant
II. … afin d’exprimer sa souffrance.
ses réponses et ses exclamations. Elle crée ainsi
l’illusion d’un dialogue vivant, comme s’ils étaient 3. La problématique correspondant à ces deux axes
en présence l’un de l’autre, ce qui s’oppose au pourrait être : comment Verlaine exprime-t-il ses
caractère différé de la conversation épistolaire. émotions à travers cette « marine » ?
3. La lecture de cette lettre implique un ton vif et 4. – Les éléments du tableau qui permettent de
emporté, en créant deux voix pour les différents montrer qu’il s’agit d’une description d’une tem-
personnages mis en présence de manière fictive. Il pête en pleine mer sont : le titre ; les vers impairs
faut bien mettre en évidence le caractère ludique qui miment le mouvement des vagues ; le champ
de cette lettre. lexical de la nature et le champ sémantique de
la mort ; les sonorités qui font entendre le bruit
des vagues.
– Les éléments du tableau qui permettent de
Fiche La lecture analytique (2) : montrer que cette tempête est à l’image de la
8 construire un projet souffrance du poète : le champ sémantique de
la mort ; la répétition du verbe « palpite » ; les
de lecture p. ›‚¤-›‚‹ sonorités fortes qui évoquent la douleur et la
violence ; les personnifications.
1 Le poète et la mer
1. Les mots-clés qui reviennent le plus souvent
sont : mer, poète, mort, souffrance, cœur. 2 Combattre pour l’honneur
Fiches | 323
Relevés Outils d’analyse Analyse et interprétation
– [d], [t] = « comte,
deux mots »,
« Ôte-moi d’un doute. »,
Rodrigue est particulièrement
« don Diègue »,
agressif : il entame le combat.
« de son temps »,
Sonorités particulièrement Les sonorités peuvent
« Cette ardeur que dans
fortes et agressives renforcées déjà faire penser au bruit
les yeux je porte », « d’ici »,
par les répétitions des épées qui
« tu » (5 fois) et « te »
s’entrechoqueront
– [k] : « comte », « Connais »,
lors du duel.
« écoute », « Sais-tu que »
(2 fois), « Cette ardeur que »,
« quatre »
2. Problématiques possibles : S’il s’agit d’une comédie et que tout rentre dans
Comment Cléanthis prend-elle sa revanche sur l’ordre à la fin, la pièce de Marivaux, en ce début
sa maîtresse ? de siècle des Lumières, n’en propose pas moins
Quelle image des maîtres se dessine à travers ce une réflexion sur les inégalités sociales à travers
portrait ? la relation traditionnelle du maître et du valet
Comment ce portrait révèle-t-il les tensions entre de théâtre. Quelle image des maîtres se dessine
maîtres et valets ? à travers ce portrait ? Nous verrons comment
Axes possibles : Cléanthis dresse un portrait caricatural d’Euphro-
I. Un portrait caricatural sine, ce qui permet une dénonciation plus générale
II. La dénonciation des maîtres des maîtres.
3. Une brève recherche permet de savoir que 4 Un personnage inquiétant
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux domine
la production théâtrale de son temps. Ses pièces 1. Comme l’indique le titre de l’exercice, le per-
rencontrent un vif succès. À l’aube du siècle des sonnage est inquiétant. Les mots-clés auxquels on
Lumières, il soulève déjà des questions liées aux peut s’attendre sont : inquiétant, vieux, maigre,
inégalités sociales, notamment grâce au couple dangereux, monstrueux, difforme, étrange, bizarre,
traditionnel du maître et du valet de théâtre. Il etc.
s’inspire à la fois de la commedia dell’arte et de
2. Tout le portrait s’organise de haut en bas, en
l’utopie.
commençant par le visage (front, nez, bouche,
Proposition d’introduction rédigée : menton, barbe puis retour et insistance sur les
Au xviiie siècle, le théâtre est le divertissement le yeux), puis le corps (la fraise autour du cou, puis
plus populaire auprès de toutes les classes sociales. le pourpoint, c’est-à-dire la veste, et la chaîne).
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux domine L’organisation du portrait et l’attention portée
la production théâtrale de son temps et ses pièces aux détails, notamment les effets de l’âge, en font
rencontrent un vif succès. En 1725, il crée L’Île un portrait réaliste.
des esclaves, une sorte d’utopie dans laquelle deux
3. Globalement, il s’agit d’un portrait en noir et
couples de maîtres et valets, Iphicrate et Arlequin
blanc, à l’exception du « vert de mer » des yeux.
d’une part, Euphrosine et Cléanthis d’autre part,
Balzac s’inspire de l’art de la peinture et de la
échouent sur une île appelée « L’île des esclaves ».
technique du clair-obscur, grâce au « jour faible
Sur cette île, les esclaves se sont affranchis des
de l’escalier », utilisée notamment par Rubens.
maîtres. Les quatre personnages sont accueillis
par Trivelin, qui les invite à échanger leur rôle : 4. Le dernier mot du texte caractérise bien l’atmos-
l’objectif affirmé d’emblée est de corriger les phère qui se dégage du portrait : « fantastique ».
maîtres de leurs défauts. Dans la scène que nous Certains détails chez le vieillard peuvent ren-
allons étudier, Trivelin invite Cléanthis à faire le voyer à une dimension surnaturelle comme les
portrait de sa maîtresse en n’omettant aucun détail « regards magnétiques » qui semblent avoir brûlé
ni défaut pour que celle-ci en prenne conscience. les cils et sourcils du vieillard. Son visage est
Fiches | 325
aussi « singulièrement flétri », par l’âge comme 4. Problématique : Comment Apollinaire asso-
par « ces pensées qui creusent également l’âme cie-t-il dans ce poème tradition et modernité ?
et le corps », comme s’il était aux prises avec une I. Un poème qui s’inscrit dans une tradition...
force qui le dépasse. A. Les thèmes lyriques traditionnels
B. L’héritage des troubadours et des trouvères :
5. Si l’on devait créer un axe sur les caractéris-
la chanson
tiques de ce portrait, en utilisant les réponses
II. ... pour mieux la renouveler et l’inscrire dans
aux questions précédentes, on pourrait définir
la modernité
trois sous-axes :
A. La liberté formelle au service de l’expressivité
A. Le portrait réaliste d’un vieillard
B. La ville : lieu de la modernité
B. L’influence de la peinture
C. La création d’une atmosphère fantastique
Fiche Les registres
5 Amours perdues
· littéraires p. ›‚6-›‚‡
1. Apollinaire associe les thèmes lyriques tra- 1 La jeune fille et la mort
ditionnels de l’amour, de l’eau et de la fuite du
temps en comparant l’amour à la Seine qui coule 1. Dans la mythologie grecque, Antigone est la
et s’écoule sans cesse, comme le temps. Ces thèmes fille d’Œdipe et Jocaste. Elle est la sœur d’Étéocle,
permettent d’exprimer à la fois l’amour et la mélan- Polynice et Ismène. Les deux frères s’entretuent et
colie du poète qui repense à ces « amours » qui ne le roi Créon, leur oncle, décrète que Polynice ne
« reviennent » jamais. Il s’agit donc d’une élégie. sera pas enterré, pour avoir trahi la cité. Antigone
s’érige contre cette décision : elle est condamnée
2. Le poème se présente comme une chanson, à mourir emmurée vivante. Elle est une héroïne
avec un refrain, des répétitions, des échos sonores. tragique.
Apollinaire renoue ici avec la vieille tradition
médiévale des chansons des troubadours et 2. Le prologue annonce d’emblée le destin d’Anti-
trouvères. gone : elle va s’ériger contre la volonté de son
oncle et en mourir. L’expression « mais il n’y a
3. Le pont Mirabeau a été construit entre 1893 rien à faire » rappelle que son destin, tragique, est
et 1896. Lors de la rédaction du poème, il est décidé d’avance. Présentée comme une jeune fille
donc le pont le plus récent de Paris. Il représente fragile et condamnée, elle peut inspirer la pitié,
ainsi une forme de modernité puisqu’il utilise les mais les verbes « surgir » et « se dresser contre »
dernières techniques, notamment l’acier, comme impliquent aussi la terreur.
dans la tour Eiffel, mais aussi parce qu’il est le
fruit de l’extension de la ville de Paris du fait de 3. Anouilh joue avec les codes de la tragédie : les
l’urbanisation. Cette référence est donc liée à la destins des personnages sont inévitables. Toute la
modernité, à la ville, la technique, le dévelop- pièce repose sur la représentation d’une intrigue
pement automobile. Le poème adopte quant à dont l’issue est connue d’avance par le spectateur,
lui une forme versifiée et régulière, mais les vers d’autant qu’Anouilh propose ici une réécriture
sont tous de différentes longueurs (10, 4, 6, 10, 7, d’une tragédie antique célèbre.
7), mêlant des vers pairs et impairs. Cette liberté
dans la versification est, elle aussi, moderne : à 2 Ô gente dame !
la suite des poètes comme Baudelaire, Rimbaud
ou Verlaine, les poètes du début du xxe siècle 1. Dame Pluche est rendue ridicule par différents
utilisent toutes les formes poétiques, au gré de aspects :
leur inspiration ou de leur projet. – le comique de situation : elle est sur un âne, son
écuyer essaie de faire avancer la bête ;
Prolongement – la description physique : elle est maigre, vieille,
Il peut être intéressant de renvoyer les élèves au avec une perruque toute décoiffée et sa robe qui
chapitre 19 du manuel (p. 347) et notamment à remonte ;
la double page d’histoire littéraire sur la poésie – le comique de caractère : elle attaque le chœur,
moderne (p. 366-367). aigrie et méchante.
326 | Lire et analyser
2. Le chœur évoque dame Pluche avant même 3. L’image présente de nombreux éléments qui
son entrée en scène. Il n’est pas possible de la faire peuvent être détournés : la posture de Napoléon,
apparaître sur un âne réel, la parole permet donc les personnages en costume dont des héros étran-
au spectateur de mieux s’imaginer le personnage et gers ou mythologiques, les harpistes, les cou-
la situation. Le comique est ainsi renforcé puisque ronnes de laurier, etc. Les élèves devront aussi
le spectateur complète ce qui est représenté par bien prendre soin de faire référence aux multiples
son imagination. couleurs, franches et criardes, à la manière de
Rimbaud.
Fiches | 327
restituer le dilemme du personnage. L’hyperbole 3 Un pays de fous et d’enragés ?
s’exprime aussi par l’évocation de la mort. Elle
vient redoubler la difficulté du choix à faire. 1. « fous », « enragés », « lâches », « dénaturés »
sont des termes hyperboliques car ils exagèrent
2. La périphrase désigne Phèdre et le détour permet
les défauts des Français comme des Anglais.
de souligner sa noble ascendance. Minos est un
Leur excès les assimile à des insultes. Or, ce type
roi légendaire de Crète, fils de Zeus et d’Europe.
d’expression s’échange habituellement au cœur
Pasiphaé, dont le nom signifie « qui brille pour
d’une polémique qui est un débat vif et agressif.
tous », est la fille d’Hélios et de Persé. La compré-
On pourra rappeler le terme étymologique polémos
hension de la portée de la figure repose donc sur la
qui désigne le combat. L’hyperbole est donc une
culture du lecteur. Sans elle, il ne peut comprendre
arme qui par l’abus, tend à déstabiliser, à échauffer
pourquoi Phèdre hérite de la grandeur et incarne
l’adversaire.
donc bien l’héroïsme tragique.
2. Premier parallélisme : « des fous, parce qu’ils
3. La figure combine le parallélisme de construc-
donnent la petite vérole à leurs enfants [...] // des
tion et le chiasme. Elle a pour effet de rendre
enragés, parce qu’ils communiquent de gaieté de
compte de la redondance du propos tenu par le
cœur à ces enfants une maladie certaine [...] ».
professeur de philosophie à Monsieur Jourdain.
Celui-ci use du sophisme en recherchant la com- Second parallélisme : « ils sont lâches, en ce qu’ils
plication pour énoncer des évidences. Ce type craignent de faire un peu de mal à leurs enfants ; //
de formulation participe donc du ridicule du dénaturés, en ce qu’ils les exposent à mourir un
personnage. jour de la petite vérole. »
4. La gradation exprime la « rage » du vieux don Les parallélismes permettent de rendre compte
Diègue souffleté par don Gomès. de manière équilibrée des reproches adressés à
chacun des camps. Chaque nation se voit affu-
5. La personnification donne à l’alambic un véri-
blée de deux adjectifs péjoratifs dont l’emploi
table pouvoir d’action pour mieux rendre compte
est expliqué avec rigueur. Voltaire montre ici
de la force qu’il exerce sur les consommateurs.
son souci didactique propre à informer le plus
6. L’hyperbole exprime l’intensité de l’émotion possible son lecteur sur les enjeux et la pratique
de Britannicus. de la vaccination. Ils lui permettent de livrer les
données factuelles sur lesquelles ont porté les
7. L’allégorie permet de donner vie à la mort, de
jugements excessifs. Une fois cet état des lieux
la rendre plus concrète et plus animée.
fait de manière honnête et équitable, Voltaire
8. La métaphore s’associe au chiasme et permet pourra prendre parti pour les Anglais.
de rendre compte de la fureur des combattants
3. Le terme ironique employé pour qualifier
lors des guerres de religion. Les auteurs de leur
l’intensité de la dispute est l’adverbe « douce-
vie (père et mère) sont des instruments ou des
ment ». Il s’oppose totalement à l’animosité
marques de destruction (feu et cendre). Leur vie
exprimée par l’absence de mesure des hyperboles.
est donc vouée à la mort.
Le terme fait sourire – le comique est toujours
Prolongement basé sur un décalage – car une polémique est
Inventer des figures de style en lien avec les textes tout sauf douce.
étudiés en classe. Exemples : l’allégorie du progrès,
Prolongement
de la misère (en rapport avec l’étude d’une œuvre
Choisir une polémique actuelle et restituer les
de Zola), le chiasme dans la maxime (en rapport
positions adverses à l’aide de parallélismes.
avec l’étude de l’argumentation classique), etc.
Fiches | 337
des conclusions. Le second paragraphe met en 2. Le choix d’une écriture sèche, soucieuse de
évidence la maturation de ses soupçons. faire ressortir la misère du lieu sans introduire
de jugement renforce l’effet poignant. On pourra
2. En utilisant le point de vue interne, le narrateur
analyser plus précisément la construction des
joue sur l’implicite, favorise une complicité entre
phrases, notamment l’absence de verbes conjugués
le personnage et le lecteur. Ce dernier peut ainsi
qui fige encore plus la scène : « Quelques-unes de
reconstruire, au rythme de Jeanne, les soupçons
ces femmes, les mains enfoncées dans des man-
d’adultère.
chons, se tenant par habitude autour d’une plaque
de fer dans le parquet, sous le coude d’un tuyau
6 Quand Charles rencontre Emma de poêle démonté ». Les personnages semblent
1. Le point de vue interne est privilégié par le ainsi réifiés, aussi inertes que le mobilier de cette
narrateur. Toute la scène est perçue par Charles. chambre sordide.
Le narrateur fait état de ses souvenirs (« Alors,
se rappelant les allures de ses maîtres ») et de sa 8 Dans la cour d’école
sensibilité (« Charles fut surpris de la blancheur
de ses ongles »). Le personnage occupe le premier 1. Avec un narrateur intérieur à l’histoire, le lec-
plan de la scène comme en témoigne l’utilisation teur suit la scène au rythme où la vit le personnage.
des temps. En effet, les actions d’Emma sont La scène de l’accident est ainsi rapportée en temps
rapportées à l’imparfait comme pour les inscrire réel et telle qu’elle est perçue par l’enfant. Les
en arrière-plan (« et que Mlle Emma tâchait à interrogations et les exclamations du narrateur
coudre des coussinets »). sont les indices de ce récit en temps réel.
2. Le regard de Charles est attiré par le corps 2. Pour réécrire ce passage avec un narrateur
d’Emma. Le deuxième paragraphe est marqué par extérieur à l’histoire, il faut modifier les pronoms
une saisie de détails physiques : d’abord les mains (je > il) et les temps (présent > temps du passé).
puis les yeux de Mlle Emma. Malgré le jugement Voici une transposition possible du début de
négatif qu’il porte sur ces mains, Charles semble l’extrait au point de vue externe puis au point
hypnotisé par cette partie du corps. Le regard de vue interne : « Qu’avait donc cet enfant ?
d’Emma captive encore plus le personnage. Il venait de tomber. Plusieurs personnes se ras-
semblèrent assez vite autour de lui. Il semblait
3. La rencontre entre les deux personnages avoir le bras cassé. On arrêta un homme dans la
n’est racontée qu’à travers le regard amoureux rue qui devait être médecin. Pendant ce temps,
de Charles. On peut d’emblée mettre en doute l’enfant se morfondait. M. Dropal, qu’il connais-
la réciprocité des sentiments amoureux dans la sait, qu’allait-il dire. Et si par hasard ce n’était
mesure où les sentiments d’Emma sont absents. rien, que deviendrait-il ? Il n’oserait pas rentrer
Par ailleurs, l’ironie du narrateur est perceptible devant sa mère et pensait déjà à ce que les lapidés
à certains moments, notamment dans la compa- feraient de lui. »
raison à des défenses d’éléphant qui suggère le
manque de finesse de Charles (« [les ongles] plus
nettoyés que les ivoires de Dieppe »).
9 Un salon parisien
1. L’entrée d’un mystérieux invité dans un salon
7 Une chambre sordide parisien motive un récit à multiples points de vue.
1. Ce passage est une longue description d’un inté- Le narrateur débute ce passage au point de vue
rieur misérable. Cette description est objective, externe : l’homme qui entre n’est pas identifié mais
sèche, constituée uniquement d’un inventaire seulement décrit physiquement (« un grand mon-
matériel et de portraits sommaires des femmes sieur, à figure noble et à belle barbe blanche »).
qui se trouvent dans la pièce. Aucune explication Plus précisément, le narrateur semble un témoin
n’est donnée par le narrateur sur les causes d’une privilégié puisque les autres invités ne l’ont pas
telle misère, des éléments sont livrés sous une vu entrer. Par la suite, le point de vue omniscient
forme brute, à l’état d’allusion cryptée (voir les transparaît au moment où le narrateur émet des
inscriptions sur l’armoire : « deux noms et une suppositions à propos des accointances entre le
date amoureuse »). comte de Vandeuvres et le « grand monsieur ».
Fiches | 339
5 Étudier la fin d’une nouvelle 2 Les pensées du personnage
1. Plusieurs indices attestent qu’il s’agit de la fin 1. La spécificité du discours indirect libre tient
du récit : le narrateur utilise le passé composé pour à la superposition de deux instances : d’une part
faire le bilan de la soirée, le connecteur « alors » le narrateur qui prend en charge le récit, d’autre
introduit une conclusion qui paraît définitive part le personnage dont la voix, ses intonations
(« alors nous restâmes l’un près de l’autre »). et son expressivité, se fait entendre. Dans cet
Enfin la dernière phrase introduit une forme de extrait, plusieurs marques du discours indirect
leçon : le personnage recourt à des présents de sont visibles : le récit est à la troisième personne,
vérité générale qui permettent de donner une l’énonciation est celle du récit avec un système
portée morale à l’épisode raconté précédemment. de temps au passé. Pour autant, des signes du
discours direct sont visibles à travers la ponc-
2. Dans le dernier paragraphe, le narrateur énu-
tuation expressive qui renvoie aux émotions du
mère les émotions et les situations qu’il a vécues
personnage. On pourra ainsi mettre en évidence
(« Tout ce que j’avais vu, senti, entendu, deviné,
les passages de la deuxième partie de l’extrait dans
la pêche, la pieuvre aussi […] »). On peut attirer
lesquels le narrateur fait entendre l’impatience de
l’attention des élèves sur la répétition du pronom
Léon. Le recours au conditionnel et à des points
indéfini « tout » (deux occurrences) qui crée un
d’exclamation et d’interrogation souligne les
effet de synthèse.
désirs chimériques du personnage.
2. Tout l’extrait est structuré autour d’un contraste
entre Paris et la province. Tandis que Yonville est
une ville repoussoir, lieu d’ennui et de frustrations,
Paris cristallise les rêves d’ailleurs du personnage.
Léon ne se figure pas précisément la capitale, il
Fiche
⁄‡ Le discours rapporté la rêve à travers des projections diffuses, sans
consistance véritable. On peut à ce titre mettre en
p. ›¤· doute la valeur de ces imageries qui s’apparentent
davantage aux clichés. En recourant au discours
1 La voix de Trompe-la-Mort indirect libre, le narrateur s’amuse des illusions
de son personnage. Une double lecture est parfois
1. La reconnaissance de l’identité s’opère au sensible comme dans cette énumération finale :
moyen du discours direct. Le personnage avoue « Il aurait une robe de chambre, un béret basque,
ce que le narrateur ou d’autres personnages ne des pantoufles de velours bleu ! ».
pouvaient énoncer. Cette déclaration solennelle
prend tout son sens à travers l’énonciation à la
première personne (« Je reconnais être Jacques
Collin, dit Trompe-la-Mort »). En outre, le statut 3 Manipuler les discours rapportés
d’ancien forçat ressort dans la langue parlée par
le personnage. Le recours à des termes argotiques 1. Le passage au discours direct n’est qu’un concen-
et le dévoilement progressif d’une parlure popu- tré des avertissements de madame Raquin. Le
laire sont des preuves éclatantes de la véritable narrateur indique tout d’abord que ces « recom-
identité de Vautrin. mandations » sont « sans fin », ce qui contraste
avec la brièveté du discours prononcé. En outre,
2. Les mots « raisiné » et « trimar » sont des termes
la suite d’injonctions est ponctuée de points de
d’argot employés par le personnage. L’italique peut
suspension qui suggèrent des coupes.
avoir plusieurs fonctions. Il peut s’agir d’un italique
d’usage : dans ce cas, le narrateur indiquerait la 2. Voici une réécriture possible du discours direct
présence d’une langue étrangère au sein de son au discours indirect libre :
récit mais on peut aussi penser que l’italique a « Elle leur disait qu’il fallait surtout prendre garde
ici une valeur d’insistance. À travers le recours aux accidents. Il y avait tant de voitures dans ce
à l’italique, le narrateur prend soin de marquer Paris ! Ils devaient aussi lui promettre de ne pas
l’oralité du personnage. aller dans la foule… »
Fiches | 343
Fiche débute avec l’irruption des temps du passé (« Hier
¤‚ La parole théâtrale p. ›‹∞ j’étais chez des gens de vertu singulière »). Arsinoé
met en évidence les vices de Célimène.
– la confirmation où le personnage reprend le
1 Une scène de ménage discours en deux temps : Arsinoé fait d’abord
1. L’originalité de la dispute entre Sganarelle et mine de défendre Célimène (« Je fis ce que je pus
Martine tient à l’enjeu qui paraît ici dérisoire. pour vous pouvoir défendre ») pour mieux rallier
En effet, les personnages n’argumentent pas et l’argumentaire de ses adversaires (« Et je me vis
ne défendent aucune idée précise. La première contrainte à demeurer d’accord »).
réplique identifie le nœud de la controverse : les – la péroraison qui est une conclusion du discours.
deux époux se disputent la parole (« c’est à moi Cette ultime étape est annoncée par l’apostrophe
de parler et d’être le maître »). On aura intérêt « Madame ». Arsinoé justifie alors son discours.
à préciser aux élèves que cet objet de dispute Cette composition savante, maîtrisée par le per-
recouvre une dimension réflexive dès lors que sonnage, donne une efficacité redoutable à un
l’acte même de parler renvoie à l’essence même discours qui s’apparente pourtant, au premier
du théâtre. abord, à un propos bienveillant et désintéressé.
On aura intérêt à faire entendre la réponse de
2. La querelle entre les deux personnages se Célimène qui suit directement cette tirade. Sa
déroule dans un cadre privé et ne concerne en répartie reprend le même schéma rhétorique
aucun cas une affaire politique d’importance. Il (exorde, narration, confirmation, péroraison). Les
s’agit tout simplement d’une scène de ménage. élèves auront ainsi une idée précise de ce qu’est
D’autre part, le ton comique est sensible dans le sens de la répartie à l’âge classique !
l’utilisation d’invectives (« Peste du fou fieffé »,
« Peste de la carogne ») et de commentaires 2. La perfidie dont fait preuve Arsinoé tient au
ironiques (« Voyez un peu l’habile homme, avec ton affecté qu’elle utilise. La disposition de la
son benêt d’Aristote »). tirade met bien en évidence les tours flatteurs
dont elle se sert. On pourra relever les hyperboles
3. Molière parvient à construire un échange présentes dans l’exorde ou dans la narration (« Je
rythmé du fait de l’enchaînement des répliques. vous excusai fort sur votre intention,/ Et voulus
Chaque personnage est à l’écoute de l’autre et de votre âme être la caution »). Le personnage
reprend un mot, une tournure de phrase, voire la trompe ainsi son destinataire sans qu’il n’y paraisse.
construction globale de la réplique précédente.
On peut ainsi étudier les nombreux parallélismes :
« Non je te dis que je n’en veux rien faire » / « Et 3 L’annonce du sacrifice
je te dis moi, que je veux […] », « Que maudits 1. La tension entre Agamemnon et sa fille
soient l’heure et le jour, où je m’avisai d’aller dire Iphigénie est sensible dans l’expressivité de leurs
oui » / « Que maudit soit le bec cornu de notaire discours. Les interjections et la tournure excla-
qui me fit signer ma ruine ». Le rythme alerte du mative des phrases suggèrent la nervosité des
dialogue tient également à la tension nerveuse personnages. Ces soupirs (« Ah ! ma fille ! »,
de l’échange. « Hélas ! ») sont concurrencés par des échanges
plus incisifs, les stichomythies où la structure en
2 Un discours offensif alexandrin et la rime suivie soulignent le paral-
lélisme de construction :
1. La tirade d’Arsinoé reprend une structure rhé-
« Les dieux daignent surtout // prendre soin de
torique héritée de l’Antiquité. On peut repérer
vos jours !
les différentes étapes de la dispositio :
Les dieux depuis un temps // me sont cruels et
– l’exorde qui constitue le premier contact avec le
sourds. »
destinataire, moment où le personnage adoucit ce
qui peut paraître choquant. Arsinoé fait semblant 2. Dans cet échange, le public en sait davantage
ici d’avoir de la bienveillance pour Célimène en qu’Iphigénie. La jeune femme est d’autant plus
témoignant son amitié. une victime qu’elle est la seule à ne pas connaître
– la narration dans laquelle les faits incriminés le sort qu’elle va subir. Racine recourt ici à l’iro-
sont rappelés dans un récit. Cette deuxième étape nie tragique en prêtant à Iphigénie un discours
Fiches | 345
5 Un « diable de langage » 7 Un « personnage à marotte »
1. Le comique de cette scène repose sur la gestuelle 1. La folie d’Orgon se manifeste dans ses répliques,
et les onomatopées de Lucinde. Ce langage du précisément à travers la reprise d’une question
corps automatisé suscite le rire du public. Plus (« Et Tartuffe ? ») et d’une exclamation (« Le
subtilement, le principe de contrefaçon généralisée pauvre homme ! »). Ce langage mécanisé fait
– Sganarelle est déguisé, Lucinde fait semblant ressortir sa monomanie et son aveuglement. On
de souffrir – amène le spectateur à se moquer aura tout intérêt à s’appuyer sur les analyses de
de Géronte qui apparaît ici comme le dupe de Bergson dans Le Rire. Essai sur la signification du
la situation. comique (1901). Le philosophe analyse en priorité
la « raideur de mécanique » du corps humain
2. Chez Molière, le comique est au service d’une
qui provoque le rire mais précise que le langage
visée morale. Dans cette scène, Oronte est la cible
automatisé peut aussi susciter cette émotion :
de la critique puisqu’il cherche à marier sa fille à
« Les attitudes, gestes et mouvements du corps
un homme qu’elle n’a pas choisi. Le dramaturge
humain sont risibles dans l’exacte mesure où
dénonce ainsi la règle du mariage forcé qui se
ce corps nous fait penser à une simple méca-
trouve déjoué par la malice de Sganarelle et de sa
nique […] On devine que les artifices usuels de
fille. On pourra également commenter la dernière
la comédie, la répétition périodique d’un mot ou
réplique du valet déguisé en médecin. Celui-ci
d’une scène, l’interversion symétrique des rôles,
défend un propos misogyne pour mieux s’attirer
le développement géométrique des quiproquos, et
la complicité du père de Lucinde. Ce préjugé
beaucoup d’autres jeux encore, pourront dériver
pourra être mis en relation avec les déclarations
leur force comique de la même source » (cité par
d’Arnolphe dans L’École des femmes.
Véronique Sternberg-Greiner in Le Comique,
Flammarion, coll. « Garnier Flammarion / Corpus
Littérature »).
6 Un quiproquo autour de l’argent 2. Dorine fait preuve d’impertinence en lui répon-
dant. Elle construit ses répliques de manière symé-
1. On pourra rappeler au préalable que le mot
trique en jouant du contraste entre la maladie de
« quiproquo » vient d’une locution latine qui pro
Mariane et la grande santé de Tartuffe. On pourra
quo signifiant quelque chose pour autre chose.
faire relever aux élèves l’égale répartition des
Dans cette scène, Valère évoque Mariane tandis
répliques consacrées à chaque personnage (3 vers //
qu’Harpagon croit entendre parler de sa cassette.
3 vers ; 4 vers // 4 vers). Dorine dresse surtout un
La méprise est rendue possible par l’identité en
portrait satirique de Tartuffe en mettant l’accent
genre et les désignations approximatives aux-
sur le décalage entre sa fonction religieuse et
quelles recourent les deux personnages.
son comportement licencieux. Dans le vers « Et
2. Le quiproquo peut durer grâce à un savant jeu fort dévotement il mangea deux perdrix », on
de retardement de la forfaiture. Les personnages relève l’ironie dans l’association d’un adverbe
n’évoquent que de manière lointaine l’objet du de sens pieux et d’une activité impie. Notons
litige : les hyperboles (« un guet-apens », « un que la structure de l’alexandrin avec la césure à
assassinat ») et les métonymies (« mon sang, mes l’hémistiche renforce cette opposition.
entrailles ») permettent de nommer aussi bien le
rapt de Mariane et le vol de la cassette. 8 Pour ou contre le libertinage ?
3. L’avarice d’Harpagon ressort évidemment dans
1. Lisette et Florice ne défendent pas la même
cette scène où il se sent menacé. Plus largement,
idée du mariage et, partant, de la condition fémi-
les provocations de Valère mettent en évidence
nine. Tandis que Lisette argumente en faveur du
la raideur d’un personnage obnubilé par l’argent.
libertinage, Florice milite pour un amour unique.
Ce trait de caractère s’affirme d’autant plus que
Valère se présente comme le type du jeune amant 2. Lisette incarne la femme libre, soucieuse de
lyrique : celui-ci n’hésite pas, en effet, à user d’une s’émanciper de la tutelle d’un mari pour préserver
périphrase pompeuse pour nommer l’Amour : « un sa propre autonomie. Son libertinage s’affirme sur-
dieu qui porte les excuses de tout ce qu’il fait faire ». tout comme un instrument de pouvoir comme le
Fiches | 347
exemple tourner autour de Curiace ou encore 5 Un échange polémique
s’approcher de lui lentement en articulant clai-
1. Porus et Taxile ne partagent pas le même avis à
rement son texte.
propos d’Alexandre. Tandis que Taxile fait preuve
d’une certaine loyauté en souhaitant préserver
l’empereur, Porus entend renverser Alexandre
3 Le déchirement tragique pour prendre le pouvoir. Les deux personnages
affichent de ce fait des valeurs morales contraires :
1. La déclaration d’amour de Titus ne peut qu’en-
Taxile fait preuve d’humilité tandis que Porus est
flammer le cœur de Bérénice qui rappelle dans sa
animé d’une hybris et d’une soif de régner.
tirade lyrique l’impasse d’un tel aveu. Le déchire-
ment de la reine de Palestine est sensible dans les 2. La stichomythie dramatise le désaccord entre
contradictions qu’elle énonce. Les deux premiers les deux personnages dans la mesure où l’échange
vers peuvent être étudiés dans cette perspective : se trouve accéléré. On pourra étudier les enchaî-
l’adverbe « cependant » renforce l’opposition entre nements de répliques qui montrent une continuité
un premier vers où s’affirme l’amour de Titus et thématique dans l’échange. Porus reprend à cha-
un second qui marque une impossibilité pour des cune de ses répliques le sujet traité par Taxile :
raisons d’État. La polysyndète (reprise de « et ») l’empire et l’honneur, la personnification d’un
met bien en évidence l’agitation du personnage. vice, le peuple, les conseils.
2. Le registre pathétique domine dans ce dénoue-
ment. Le spectateur éprouve de la pitié pour 6 Deux thèses sur le peuple
Bérénice qui ne peut que constater l’aporie de
1. Antoine et César ne défendent pas la même
son amour pour Titus. Les nombreuses exclama-
thèse. S’ils s’entendent pour mépriser la versatilité
tions lyriques de la reine de Palestine peuvent
et la faiblesse du peuple, les deux personnages
être relevées pour justifier le registre pathétique
divergent au sujet des moyens à mettre en place
(« Quoi ? dans mon désespoir trouvez-vous tant
pour le manipuler. Antoine est convaincu que
de charmes ? », « Ah, cruel ! »).
la terreur est l’arme supérieure (« Il faut lever
le masque, en lui donnant terreur ») tandis que
César défend un moyen plus insidieux qui tend à
4 Une forme lyrique : les stances juguler ses sujets sans que ceux-ci s’en aperçoivent.
1. Ce monologue d’Antigone obéit à une forme 2. Les deux protagonistes recourent à l’image
particulière, spécifique au xviie siècle : les stances. pour se persuader l’un l’autre. Antoine débute sa
Le pluriel a son importance puisque le terme stance réplique par une métaphore in praesentia : « Ce
au singulier est un synonyme de strophe (de l’ita- peuple est une mer qui n’a rien d’arrêté ». L’image
lien stanza) tandis que les stances désignent « les permet de figurer les revirements imprévisibles
passages lyriques des pièces classiques » (Michèle des opinions du peuple. César utilise dans sa
Aquien, Dictionnaire de poétique). Plus précisé- réplique une autre figure d’analogie : pour mieux
ment, les stances rompent avec la monotonie du rendre sensible la ruse dont il faut faire preuve
rythme imposé par l’alexandrin. L’hétérométrie avec le peuple, il compare cette manipulation à
(alternance ici de l’alexandrin, de l’octosyllabe, l’enfermement d’un oiseau dans une cage.
du décasyllabe et de l’hexasyllabe) traduit le désé-
quilibre moral du personnage. On pourra étudier
les nombreux effets de rupture ménagés par la 7 Un conflit intérieur
facture hétérométrique des stances : Antigone 1. Émilie apparaît tiraillée entre le désir de se
semble improviser un discours en suivant l’ordre venger d’Auguste et l’amour qu’elle porte à Cinna.
discontinu de ses pensées. Sa haine à l’encontre de l’empereur s’exprime
sous la forme d’une passion incontrôlable. A
2. La vulnérabilité du personnage et son exis-
contrario, le souvenir de son amant lui permet
tence esseulée suscitent la pitié du lecteur. Le
de reprendre ses esprits.
dilemme qu’elle affronte (« Dois-je vivre ? dois-je
mourir ? ») attire l’empathie du spectateur qui ne 2. Le dilemme d’Émilie favorise l’opposition entre
peut que plaindre la jeune femme. deux mouvements : d’un côté l’emportement, le
348 | Connaître un genre littéraire
mouvement ; de l’autre, l’aspiration à une stabi- – dans le vers 7, le « e » d’« âcre » est suivi par
lité, le besoin de « respirer » (« Durant quelques une voyelle, le « e » de « et ».
moments souffrez que je respire »). Au terme
Le « e » suivi d’une consonne permet de constituer
du monologue, le personnage utilise à nouveau
une syllabe :
l’antithèse en opposant la chaleur de la haine
– dans le vers 6, le « e » final d’« errante » est
vengeresse (« Je m’abandonne toute à vos ardents
suivi d’une consonne, le « d » de « de » ;
transports ») à la froideur d’un examen plus lucide
– dans le vers 8, le « e » final de « roule » est suivi
de la situation (« Et je sens refroidir ce bouillant
d’une consonne, le « c » de « comme ».
mouvement »).
2. La césure dans le vers 2 se place ainsi : « D’une
8 Une tirade pathétique si rude étreinte // et d’un tel serrement ».
La césure renforce le parallélisme de construction
1. Andromaque dramatise sa première rencontre
qui produit un effet d’insistance sur l’intensité du
avec Pyrrhus en recourant à la figure de l’hypoty-
rapport de la poétesse à la vie.
pose : elle décrit la scène de manière si vivante que
le lecteur a l’impression de vivre la situation. Elle 3. Les strophes sont des quatrains, les rimes sont
met en valeur la cruauté de Pyrrhus en construi- croisées (ABAB). La forme classique suggère
sant un tableau manichéen (« Songe aux cris bien l’impression d’harmonie avec la nature et
des vainqueurs, songe aux cris des mourants »). d’apaisement, évoquée dans les vers de ce poème.
Les métonymies (« Dans la flamme étouffés, sous
le fer expirants ») épurent la scène pour mieux 2 De la musique avant toute chose
valoriser la solitude d’Andromaque soumise à la
tyrannie du vainqueur. 1. Les sonorités mêmes du mot « mélancolie »
se répètent. Les allitérations en [l] (« affaiblie »,
2. Le récit de l’héroïne inspire au lecteur les deux
« mélancolie », « soleils »), en [k] (« mélancolie »,
sentiments propres à la tragédie : terreur et pitié.
« cœur », « couchants »). Les assonances en [o]
La terreur devant la monstruosité des actes commis
(« aube », « mélancolie », « soleils »), en [en]
par Pyrrhus, la pitié à l’égard d’Andromaque qui
(« champs », « couchants »). Ces sonorités sont
doit sauver son fils tout en ayant à l’esprit ces
douces, et, se répétant, renforcent l’impression
scènes de guerre.
de mélancolie. Le terme constitue d’ailleurs à
lui seul un vers à deux reprises, aux vers 3 et
5. De plus, ce jeu d’écho des sonorités renforce
Fiche l’idée de berceuse évoquée au vers 6 (« berce de
¤‹ Le vers et la musicalité doux chants »), propice à la rêverie. Ces effets
d’échos sont renforcés par la répétition de certaines
p. ››‹ expressions ou certains mots (« couchants »,
1 Harmonie avec le monde « soleils », « grèves »).
2. Il s’agit de vers impairs de cinq syllabes (pen-
1. Les vers sont des alexandrins (12 syllabes) : tasyllabes). Les rimes sont croisées (ABAB), à
La / me/r, a/bon/da/mment / sur / le / mon/de é/ l’exception des quatre derniers vers qui présentent
ta/lée, une structure embrassée. Le poème joue sur deux
Gar/de/ra / dans / la / rou/te e/rran/te / de / son / eau rimes [li] / [en] et [rèv] / [eil]. Les rimes sont suffi-
Le / goût / de / ma / dou/leur / qui / est / â/cre santes (« affaiblie » / « mélancolie »), à l’exception
et / sa/lée d’une rime riche (« grèves » / « trêves »). Rimes
Et / sur / les / jours / mou/vants / rou/le / co/mme masculines et féminines alternent. Les vers brefs
un / ba/teau. insistent sur la simplicité de la structure. Les vers
Le « e » devant une voyelle ne constitue pas impairs renforcent l’impression d’étrangeté et de
une syllabe : rêve, comme le signalait Verlaine dans son « Art
– dans le vers 5, le « e » de « monde » est suivi poétique » : « De la musique avant toute chose, /
par une voyelle, le « é » d’« étalée » ; Et pour cela préfère l’Impair / Plus vague et plus
– dans le vers 6, le « e » de « route » est suivi par soluble dans l’air, / Sans rien en lui qui pèse ou qui
une voyelle, le « e » d’« errante » ; pose. » Ainsi, ces choix renforcent les effets de
Fiches | 349
répétitions des sonorités et confortent l’impression 2. De nombreux enjambements contribuent à
de mélancolie et de langueur. désarticuler les vers : enjambement aux vers 2
et 3 puis 3 et 4, aux vers 8 et 9, et aux vers 11 à
3 Voyage en vers 14. « Alors » au vers 1 et « Mais » au vers 2 sont
des contre-rejets.
1. Le poète s’éloigne de ce qui constitue la vie
3. Ces écarts par rapport aux règles classiques cor-
sociale. Au vers 8, la négation « Je n’écoute plus »
respondent bien aux tourments ressentis et exprimés
et le verbe pronominal « se partagent » expriment
par le poète, comme au vers 7 : « Il y a des choses
la distance du poète. Ce vers, qui évoque la vie
qui me rongent ». Les mots semblent insuffisants
sociale, se trouve isolé au milieu des autres vers
pour exprimer cette souffrance, ce qui se traduit
qui suggèrent la présence d’une nature sauvage
par les ruptures de métriques et les enjambements,
attirante pour le poète. Ce pouvoir de fascination
mais aussi les hésitations (« Comment dire », « Je
est évoqué par l’énumération du vers 12 avec la
n’en dis rien »), des répétitions (« Le malheur le
répétition de la conjonction de coordination
malheur ») et les ruptures de syntaxe («Que moi
« et » : « et me regarde et m’inquiète et m’attire ».
ces choses je les sais »). La forme heurtée rend
De la même façon, le train qui rattache le poète
ainsi compte d’un état d’âme déchiré.
à la civilisation est entouré de la forêt puissante,
« Des deux côtés du train ». Le mystère est ren- 4. Par groupes, les élèves peuvent donner une
forcé par la personnification (« La forêt est là et image de la fragmentation du poème en se répartis-
me regarde »). sant la lecture des vers, en lisant des morceaux de
vers qui ne correspondent pas à la disposition des
2. Les vers sont libres. Ils n’ont pas la même
vers ou à la syntaxe, en introduisant des silences,
longueur, certains sont très brefs comme le vers 7,
en alternant des passages lus rapidement avec
constitué du mot « Reluisance », et d’autres très
d’autres lus lentement, en variant la hauteur et
longs (comme les vers 8 et 9). Ils ne présentent
l’intensité des voix.
ni rimes ni ponctuation. Ces vers libres corres-
pondent bien au thème du voyage, de l’abandon 5. Pour réaliser l’activité, les élèves peuvent être
des habitudes et des règles, suggèrent la liberté, le confrontés directement à l’écriture. Il est égale-
mouvement, et permettent de saisir dans l’instant ment possible de faire d’abord réfléchir les élèves
les impressions, d’épouser au plus près les émotions. par groupes aux thèmes qui pourraient être traités,
de les lister ensuite au tableau et enfin d’engager
3. Plusieurs possibilités pour les élèves de lire
les élèves dans l’écriture.
et mettre en scène le poème, parmi lesquelles :
Quelques pistes de thèmes : l’amour déçu, le
– mettre un élève à l’écart d’un groupe pour maté-
sentiment de fuite du temps, la peur, la révolte
rialiser la distance ;
devant certaines injustices ou fléaux ; à l’inverse,
– partager la lecture des vers correspondant à
la joie, un amour naissant, un coup de foudre, un
la nature (vers 1 à 5) et s’adresser à l’élève qui
émerveillement…
joue le rôle du poète pour montrer que la nature
On peut conduire les élèves à constater la force
l’attire, l’emporte.
que peuvent prendre les émotions traduites en
vers libres, mais aussi apprécier certains effets
4 Paroles du fou d’Elsa liés à la régularité des vers (musicalité, harmonie,
cadence).
1. Les vers sont libres : ils n’ont pas tous la même
longueur (15 syllabes pour le vers 1, 2 syllabes pour
le vers 4), ne présentent pas de ponctuation. La
présence de majuscules à l’intérieur de certains vers Fiche Les images poétiques
renforce l’impression de désarticulation du vers
classique. Les rimes sont aléatoires. Cependant, les
¤› et les analogies p. ››∞-››6
vers 7, 11 et 12 sont des alexandrins (12 syllabes)
et les vers 6 et 8 sont des octosyllabes (8 syllabes). 1 Reflets du désir
Cette présence timide de formes fixes renforce
l’impression de liberté prise avec les règles. 1. Les sens sont très présents. La comparaison
du vers 3 évoque le toucher (« Ton baiser ») et
350 | Connaître un genre littéraire
l’associe au goût (« la saveur des fruits). L’ouïe – ce joli être : « beau comme un soleil de
(« ta voix », « préludes ») et la vue (« la beauté printemps » ;
des nuits ») sont présentes dans la comparaison – la petite vieille : « un vieux bibelot ébréché ».
du vers 4.
3. Le titre « Le Désespoir de la vieille » implique
2. Dans la seconde strophe, les métaphores (« Tu que les élèves ajoutent un paragraphe qui montre
portes sur ton front la langueur et l’ivresse », « Tu la prise de conscience, chez le personnage de la
sembles évoquer la craintive caresse ») évoquent vieille, de sa fragilité et de la fuite du temps.
le désir charnel et prolongent l’image sensuelle Une fois les textes écrits, certaines productions
de l’amour de la première strophe. peuvent être lues, puis comparées au poème inté-
gral de Baudelaire afin de commenter les choix
2 Images douloureuses effectués.
Fiches | 351
« mauvais », comme le suggère le titre. Le « soleil 6 Métamorphoses de la ville
des loups » peut évoquer la lune déjà présente au
vers 3. Les crapauds sont comparés à des « Petits 1. Les adjectifs (« musclés », « Debout »), ou le
chantres mélancoliques » où l’adjectif prend une verbe « bougent » contribuent à personnifier la
connotation négative. ville. Le poète montre ainsi l’énergie, le mouve-
3. Ces évocations faites par les images poétiques ment de la cité qui se métamorphose, s’anime,
sont renforcées par le jeu des sonorités. Dans le sous son regard poétique.
premier quatrain, les allitérations en [r] (« râle », 2. Le soleil est désigné par la métaphore « Bouche
« crevant », « bruit », « bruit », « gros vers ») de lumière, fermée / Par le charbon et la fumée ».
et en [l] (« Sables », « flot », « râle », « glas », Le poète suggère ici l’activité industrielle de la
« palud pâle », « lune », « avale ») et l’assonance ville. Cette idée est renforcée par les « clartés
en [a] (« Sables », « râle », « glas », « palud pâle », rouges », comparées à des « œufs de pourpre et
« avale ») permettent de mettre en relief les d’or », qui désignent une lumière artificielle.
impressions négatives de mort et de tristesse. D’autres images renforcent la verticalité de la
4. Des élèves différents peuvent lire les diffé- ville : les ponts sont « Lancés, par bonds, à travers
rentes images pour les mettre en valeur, certaines l’air », la géométrie est rappelée par « des blocs et
peuvent être lues à plusieurs voix pour renforcer des colonnes » et « Dressant au ciel leurs angles
les impressions suggérées, « soleil des loups » par droits », enfin l’hyperbole « millions de toits »
exemple. Le jeu des sonorités doit être respecté suggère l’idée d’infini de « la ville tentaculaire ».
pour renforcer le caractère morbide et triste. Un
3. Pour écrire un poème sur leur ville, les élèves
autre mode de lecture, plus parodique, peut mettre
peuvent partir de leurs propres connaissances,
davantage en évidence le caractère original et
représentations ou souvenirs. D’autres modalités
inattendu de cette évocation.
peuvent s’offrir : organiser une sortie « atelier
d’écriture » avec un circuit dans la ville, partir de
photographies de différents quartiers ou différents
5 Le Mal éléments de la ville (transports en commun, chan-
tiers, lieux publics, etc.), utiliser les images du site
1. Certaines métaphores pour désigner la guerre Internet de l’office de tourisme, utiliser Google
renforcent son caractère d’injustice, son aveu- Earth pour réaliser une promenade poétique vir-
glement, le fait qu’elle tue indistinctement : tuelle, constituer une carte interactive poétique
« Ouvrière sans yeux », « Pénélope imbécile ». de la ville à partir des productions assemblées
À noter qu’ici, l’allusion à la femme d’Ulysse, sur un plan, etc.
Pénélope, qui défaisait chaque jour son ouvrage
pour attendre le retour de son mari, suggère 4. Sur le site « Poésie en liberté » (http://www.
l’idée d’éternel recommencement absurde de la poesie-en-liberte.fr), plusieurs types de concours
guerre. D’autres métaphores évoquent sa violence : existent : le concours standard avec un thème
« Berceuse du chaos », « buveuse de sang ». Enfin, libre, le prix « spécial liberté » avec un poème
les proportions terribles sont suggérées par les sur le thème de la liberté, et le concours « dis-moi
métaphores « Folle immense » et « géante ». dix mots ». Par ailleurs, le site peut être exploité
avec les élèves. La rubrique « outils poésie » pré-
2. Il s’agit alors d’une métaphore filée : la guerre sente une anthologie progressive qui met en ligne
est comparée tout le long à une femme qui tue. chaque mois un poème inédit d’un poète contem-
3. Différents éléments du texte contribuent porain, accompagné d’une notice biographique.
à personnifier la guerre : les noms humains Dans la même rubrique, des conseils d’écriture
(« Ouvrière », « buveuse »), les adjectifs qui la sont donnés par des poètes qui ont été présidents
décrivent (« farouche », « Hideuse »). De plus, du jury des différents concours.
le poète s’adresse directement à elle et la tutoie :
« À quoi sers-tu, géante ».
7 Hallucinations
4. On peut parler d’allégorie de la guerre car il
s’agit d’un élément abstrait (l’idée de guerre) 1. « Le Bateau ivre » raconte l’expérience du
incarné dans un élément concret (une femme). poète voyant et ses visions inouïes. Les images
Fiches | 353
3. Les élèves peuvent faire une lecture à deux voix, 4. Pour cet exercice, les élèves peuvent être lais-
se répartissant les octosyllabes et les décasyllabes, sés libres d’imaginer le paysage. Il est également
pour exprimer l’engagement du poète et donner possible de guider davantage l’exercice en listant
au choix des inflexions de révolte ou de tristesse. préalablement les types de paysages : naturels (mer,
montagne, campagne, fleuve), ou non (quartier
d’une ville, pont, voie ferrée, monument). Une
2 Cri de douleur autre possibilité peut consister à partir de tableaux
impressionnistes, comme ceux de la séquence 4,
1. Dans chaque strophe, les quatre premiers vers
« Peindre l’air du temps ».
sont des alexandrins et le cinquième est un vers
de trois syllabes. Leur alternance produit un effet
de déséquilibre, d’isolement, qui correspond bien 4 Sonnet boiteux
au titre « Les Séparés ». De plus, le dernier vers
« N’écris pas ! », identique dans les quatre strophes, 1. Il s’agit de vers de treize syllabes, à la place des
est mis en relief et apparaît comme un cri, un alexandrins attendus dans le sonnet classique.
appel, que souligne le choix de l’impératif, et qui Les rimes sont croisées au lieu d’être embrassées.
renforce l’idée de séparation. Par sa forme, le sonnet est donc « boiteux », il
manque d’équilibre.
2. Le vers 6 ne respecte pas la césure, puisque la
coupe principale est introduite après « N’écris 2. Le déséquilibre introduit dans l’harmonie
pas ! », c’est-à-dire après la troisième syllabe. Là habituelle du sonnet renforce l’expression de la
encore, la rupture du rythme classique traduit le tristesse du poète (« triste », « ça finit trop mal »).
bouleversement intime de la poétesse. D’ailleurs, les images de mort (« c’est trop la mort
du naïf animal »), les visions d’horreur (« Tout
3. La mise en voix peut permettre de mettre l’affreux passé ») se succèdent.
en relief le dernier vers de chaque strophe. Les
élèves, disposés en groupe, pourront superposer 3. Verlaine décrit la ville moderne (« Londres
les voix sur ce dernier vers, de même que sur cette fume et crie ») avec l’éclairage au gaz (« Le gaz
expression reprise au début de chaque strophe. flambe »), évoque le quartier de Soho. Le poète
introduit des mots anglais « indeeds », « all right ».
Certaines tournures syntaxiques rappellent le lan-
3 Variation sur un pantoum gage oral (« c’est trop la mort », « Non vraiment
c’est trop un martyre »). L’ensemble modernise
1. Le poème s’inspire du genre du pantoum. Il s’agit le sonnet.
de quatre quatrains. Le deuxième et le quatrième
vers sont à chaque fois repris comme premier et 4. Pour écrire une « ode boiteuse », il convient
troisième vers du quatrain suivant. de rappeler les règles de l’ode classique, et de
suggérer quelles entorses il serait possible de faire
2. Le poète n’utilise que deux rimes (« ige » et (longueur des vers, longueur des strophes). Il
« oir ») qu’il dispose de façon embrassée. peut être fructueux d’évoquer avec les élèves des
3. Le titre du poème « Harmonie du soir » sug- exemples précis de nature détruite par l’activité
gère l’idée d’harmonie que la forme du pantoum des hommes. Il est possible également de partir
permet de renforcer : la répétition des vers, la de photographies (de Yann Arthus-Bertrand par
régularité de la forme, renforcées ici par le choix exemple).
de seulement deux rimes et par le fait qu’elles
soient embrassées. L’idée de vertige exprimée 5 Lou en acrostiches
dans le vers 4 est également donnée par ces répé-
titions de vers à des endroits différents dans les 1. Le poème présente des éléments propres à la
quatrains. La musicalité et le rythme rappellent chanson avec la présence de certaines expres-
le tourbillon de la « Valse mélancolique » du vers sions qui reviennent comme un refrain : « Un
4. La présence des différents sens et les images cœur le mien te suit » (v. 3 et 12) et « Une deux
évoquées, par exemple dans le vers 3 avec « Les trois » (v. 9 et 15) qui introduit un rythme musi-
sons et les parfums tournent dans l’air du soir », cal. D’autre part, les vers sont réguliers. Il s’agit
renforcent l’idée de vertige. d’alexandrins. De plus, le poème rappelle le genre
354 | Connaître un genre littéraire
épistolaire : adresse directe au destinataire (« Un 3. Pour la lecture du poème, plusieurs choix
cœur le mien te suit »), évocation des « lettres » s’offrent aux élèves. La disposition graphique
(v. 4), description de la vie quotidienne, formule permet une liberté de circulation de la lecture qui
de politesse (« Adieu »). peut produire des effets différents. De même, le
poème favorise une multiplicité de lecture expres-
2. L’acrostiche introduit une contrainte de dis-
sive (superposition de voix, jeu sur la hauteur et
position (trois vers successifs pour former le mot
l’intensité). Il sera donc intéressant de compa-
LOU), ce qui influence la disposition des vers,
rer les effets produits. La justification des choix
ici pour former des strophes de trois vers.
effectués doit permettre aux élèves de préciser
3. Pour l’écriture de l’acrostiche, si le prénom leur interprétation du poème.
choisi est court, le poème peut le présenter plu- 4. Pour l’écriture du calligramme sur un élément
sieurs fois, comme dans l’exemple du texte d’Apol- de la vie moderne (monde urbain, informatique),
linaire. Il est possible de rappeler les codes de il peut être intéressant de lister d’autres pistes
l’écriture épistolaire (date, lieu, formule d’appel, avec les élèves : quartiers industriels de la ville,
formule de politesse) pour mieux disséminer ces panneaux publicitaires dans des rues, réseaux de
éléments dans l’écriture du poème afin d’obtenir transports et circulation, univers virtuel d’un
une esthétique du fragment. Les élèves peuvent jeu vidéo ou d’un site Internet, langage et codes
jouer aussi avec les codes de l’écriture d’un message informatiques, exploration spatiale… Pour chaque
moderne, message électronique ou SMS. « univers visuel », il peut être intéressant de
confronter, dans une autre colonne par exemple,
l’univers sonore qui l’accompagne (bruit de la
6 Calligramme explosif
circulation automobile, silence de l’espace), puis
1. Apollinaire, avec les Calligrammes, rompt une dans une dernière colonne de trouver quelques
barrière entre littérature et représentation gra- exemples d’images poétiques qui pourraient être
phique, par une organisation spatiale signifiante créées.
du poème dans la page. La mise en page et le jeu Écrire le poème avant de le mettre en page favorise
typographique (disposition des lettres et des mots, un véritable travail poétique sur la langue avant
taille des caractères, épaisseur des lettres) ampli- le « jeu » graphique. Pour la mise en page, un
fient la force expressive du texte. Ainsi l’idée de traitement de texte peut permettre de jouer sur
bruit suggérée par les mots « explosifs », « oméga- les types de police, leur taille, etc.
phone », est renforcée par la taille des caractères
et les majuscules (« VIF », « OMÉGAPHONE ») 7 Collage surréaliste
ainsi que par les signes de ponctuation (points
1. Le poème se présente comme une succession
d’exclamation et d’interrogation). La violence
d’images poétiques. Certaines évoquent le thème
véhiculée par le lexique (« guerre », « points
de la modernité (« Chaleur des locomotives endi-
d’impacts », « crache le feu ») trouve un pro-
manchées », « Cache-poussière des prostituées »,
longement dans la disposition des mots sur la
« Rage des manufactures de Chicago »), d’autres
page, formant des colonnes obliques qui peuvent
la nature (« Méridiens solides ruche », « Poissons
rappeler la violence d’un bombardement par leur
volants amoureux des étoiles », « Barbe des fleuves
forme : canons, projectiles, ou fumées.
langueur »).
2. À ce travail graphique, Apollinaire associe un 2. Le poème est composé de vers libres : vers
travail poétique sur la langue par le jeu des images,
de longueurs différentes, pas de rimes, pas de
avec les métaphores « Ton troupeau féroce crache
ponctuation. Cette forme poétique favorise une
le feu » ou l’analogie entre l’aspect physique et
écriture libre, automatique, sans contraintes qui
moral (« Les points d’impacts dans mon âme »).
pourraient entraver l’expression directe du flux de
Les sonorités sont également suggestives : alli-
pensées et d’images propre à libérer l’inconscient
tération en [p] dans « points d’impacts » pour
et le rêve afin d’atteindre la surréalité.
renforcer l’idée de percussion, allitération en [r]
et en [f] dans « troupeau féroce crache le feu » 3. Il est possible de parler d’esthétique du col-
ou l’assonance en [i] avec « explosifs » et « VIF » lage car les vers se juxtaposent sans liens expli-
pour insister sur la violence. cites. L’écriture sous forme de cadavre exquis
Fiches | 355
favorise cette impression de collage d’images et une succession de paragraphes, contient un titre
d’impressions. (« Ondine ») qui en assure l’unité thématique.
4. En lien avec la séquence sur le surréalisme, il 2. Le poète suggère l’impression de ruissellement
est possible d’initier les élèves aux techniques de par des effets de rythmes et de sonorités.
l’écriture automatique et du cadavre exquis, ou de Du point de vue du rythme, la répétition « Écoute !
réinvestir ces techniques d’écriture. Pour l’enri- – Écoute ! » se retrouve à deux reprises, comme le
chissement graphique, les élèves peuvent travailler redoublement des gouttes d’eau, et met l’accent
directement sur des affiches, en ayant apporté des sur le jeu sonore du discours d’Ondine, d’ailleurs
revues, journaux, dans lesquels ils pourront décou- qualifié de « chanson murmurée ». D’autres répéti-
per. Les outils informatiques, sites de retouche tions émaillent le texte, dans la deuxième strophe
d’images ou logiciels comme PhotoFiltre, favo- par exemple, avec le parallélisme de construction
risent un travail propre pour découper puis coller. « chaque… est… qui… » et la reprise de « mon
Il peut être intéressant d’imposer la présence de palais ».
supports de natures différentes (photographies, Les sonorités sont également suggestives et par-
dessins, tableaux, publicités, etc.). courent le poème, accentuant la fluidité propre
à évoquer le ruissellement de l’eau. Dans la
8 Territoires poétiques première strophe, allitération de la liquide [l]
contemporains (« frôle », « losanges », « illuminée », « les »,
« la lune », etc.), assonance en [o] (« frôle »,
Les élèves peuvent explorer les ressources de ce « eau », « losanges sonores », « mornes », etc.).
site pour découvrir la poésie contemporaine. L’allitération en [k] peut également être considérée
Dans la rubrique « poéthèque », cliquer sur « Les comme une harmonie imitative de claquement
poètes », puis « Afficher toute la liste des poètes ». des gouttes d’eau sur la vitre : « Écoute », « coas-
Pour organiser le débat « La poésie gagne-t-elle sante », « caressent », « écume », « moquent »,
en émotion et en signification à voir ses formes dans la strophe 3.
renouvelées ? », les élèves peuvent être répartis
par groupes, pour préparer un argumentaire. 3. Le texte présente aussi un travail sur les images
Des exemples d’arguments pour : poétiques, qui peuvent être surprenantes. Deux
– la contrainte des codes bride l’imaginaire et métaphores successives transfigurent la réalité :
l’expression de la personnalité ; « Chaque flot est un ondin qui nage dans le cou-
– le renouvellement d’anciennes formes permet rant » et « chaque courant est un sentier qui ser-
un jeu de références et d’allusions qui enrichissent pente vers mon palais » associent des éléments de
le sens du poème ; la réalité quotidienne à des éléments fantastiques
– des formes plus libres permettent d’exprimer et mythologiques. Ainsi, le paysage s’anime avec
plus justement des émotions. les personnifications « leurs bras d’écume » ou
« du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ».
Des exemples d’arguments contre :
– une trop grande liberté de composition peut 4. Par le jeu des images poétiques et des sonorités,
entraver l’accès au sens qui peut devenir opaque ; le poète transforme la réalité en vision rêvée. Le
– les formes anciennes sont plus équilibrées, plus bruit de la pluie devient la chanson d’Ondine, les
harmonieuses (rythme des vers, musicalité des deux se confondent. La dernière phrase du poème
rimes) ; peut apparaître comme un retour à la réalité :
– la contrainte est créatrice, elle permet d’innover Ondine « s’évanouit en giboulées », disparaît,
à l’intérieur d’un cadre par un jeu de variations. laissant place au doute. Le poète a-t-il réellement
vu et entendu ou n’était-ce qu’une rêve ?
Fiche Du poème versifié 5. Pour faciliter le travail, les élèves peuvent
¤6 au poème en prose p. ›∞⁄
d’abord être répartis en groupes pour trouver des
idées de rêves se terminant par une « chute »,
un retour à la réalité. Il peut être fructueux de
1 Rêve et réalité
partir de tableaux qui explorent l’imaginaire et
1. Le poème forme une unité. Il est bref, autonome, le rêve, choisis parmi les romantiques (Füssli,
présente une progression vers une chute à travers Friedrich, Hugo, etc.), les symbolistes (Moreau,
Fiches | 357
l’inconscient, car l’écriture peut procéder plus comme « afin qu’on les pèse » ou « quoique je ne
librement, par associations d’idées, par automa- veuille point m’obstiner ». La préface se présente
tismes, sans avoir la nécessité d’entrer dans le donc comme un texte didactique pour expliquer
carcan logique du vers régulier et des nécessités de au lecteur la démarche du philosophe.
la rime. L’imagination peut ainsi plus facilement
2. Rousseau insiste sur la valeur de sa démarche.
se déployer.
Il pose comme thèse de pouvoir exposer « avec
3. L’écriture automatique peut conduire à une liberté [son] sentiment ». Il lui semble essen-
succession d’images et d’évocations sans rapport tiel de pouvoir présenter ses idées au lecteur,
les unes avec les autres. Certains élèves peuvent en particulier s’il est d’« un avis contraire aux
avoir des difficultés à lâcher la bride de la raison. autres », qu’elles soient dominées par « la vérité
Répéter l’exercice peut lever les inhibitions. Le ou la fausseté », car elles « font le bonheur ou le
choix du titre peut venir après l’écriture pour malheur du genre humain ».
trouver le lien entre les images obtenues. Il peut
aussi être le point de départ de l’écriture et de la 2 Pouvoirs d’une comète
rêverie. Une variante de l’exercice peut justement
consister à donner un mot ou une expression aux 1. Les Pensées diverses sur la comète se présentent
élèves, qui sera le titre du poème, et qui constituera comme un essai dans lequel l’auteur donne son
le déclenchement de l’écriture automatique. Il opinion sur le sujet annoncé par le titre, l’influence
sera alors intéressant de comparer les productions réelle des comètes sur le cours des choses. Il s’agit
différentes obtenues à partir d’un même point d’un dialogue dont le destinataire est mentionné,
de départ. « Monsieur ». Le raisonnement suit un libre cours,
semblable à celui d’une conversation. Le locuteur
démontre l’absurdité de la croyance qui attribue
Fiche L’argumentation directe à la comète une influence maléfique et dénonce
¤‡ p. ›∞‹
une fidélité aveugle envers la tradition concernant
cet astre. La condamnation de cette crédulité
est donc très explicite et ne suit pas des normes
1 Un homme à part précises d’organisation.
1. La préface de Rousseau relève bien de l’argu- 2. Le philosophe dénonce dans cet essai la cré-
mentation directe. L’énonciation en est un des dulité de l’homme, prêt à croire au surnaturel
signes les plus visibles avec l’emploi de la pre- à travers l’influence des astres. Il s’attaque à la
mière personne dans les pronoms personnels, superstition qui entraîne à croire à l’irrationnel
« je », « me », « moi » ou les déterminants pos- pour suivre l’opinion majoritaire « de peur de
sessifs, « mon », « mes ». Par ailleurs, le texte passer pour un factieux qui veut lui seul en savoir
est construit sur un raisonnement logique par plus que tous les autres ». Les adeptes de cette
lequel le philosophe défend sa démarche. Le croyance ne se servent donc pas de leur esprit
premier paragraphe revendique l’originalité de critique, « sans examiner autrement » les idées
sa démarche qui consiste en une totale liberté qui se diffusent.
d’expression : « Je dis exactement ce qui se passe
dans mon esprit. » Le deuxième paragraphe justifie 3 Un terrible discours
cette liberté : « j’y joins toujours mes raisons ».
1. Marat dénonce le comportement opportu-
Des connecteurs renforcent la logique de ce rai-
niste de ceux qui veulent profiter des acquis de
sonnement, « mais », « car ». Le philosophe
la Révolution sans avoir pris part réellement aux
recourt aussi à des questions rhétoriques comme
événements, ni couru de dangers, qu’il désigne
« pourquoi proposerais-je par forme de doute
comme « quelques indignes parvenus », en par-
ce dont, quant à moi, je ne doute point ? ». La
ticulier « les gardes nationaux ».
ponctuation exprime encore des liens logiques.
Les deux-points indiquent par exemple l’explica- 2. Le texte de Marat est un pamphlet qui
tion « voilà tout ce que je puis faire ». Enfin, des condamne avec virulence les mauvais révolu-
phrases complexes contiennent des propositions tionnaires. Ce texte agressif réagit à l’actualité de
subordonnées qui font lien dans le raisonnement, cet anniversaire de la Révolution française. On
358 | Connaître un genre littéraire
peut voir toute la violence de son ton à travers humaine », mais il se livre aussi à un raisonnement
l’emploi de l’interrogation ou de l’exclamation, ponctué de connecteurs logiques, « première-
« mais quoi ! ». Tout y est fait pour dévaloriser les ment », « secondement ».
ennemis de l’auteur. Il les discrédite à travers un Son opinion transparaît enfin dans l’ironie de ses
vocabulaire dévalorisant, « de bas intrigants, de jugements : « Il prend envie de marcher à quatre
lâches conjurateurs, de vils scélérats », les insulte pattes quand on lit votre ouvrage. »
même dans l’expression, « les plus cruels oppres-
2. Voltaire fait un choix différent de Rousseau.
seurs ». L’hyperbole caractérise aussi à l’inverse le
Ce dernier s’engage dans un débat lourd de consé-
camp de Marat qui exalte ses vertus, « nous aurions
quences : « vous plairez aux hommes à qui vous
abandonné le soin de nos affaires, notre fortune,
dites leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. »
notre repos ». Ces vrais révolutionnaires incarnent
Il veut prouver « l’ignorance et la faiblesse » de la
au contraire les vraies valeurs de la Révolution,
société, responsables des maux de l’humanité, pour
« nos droits, notre liberté, notre bonheur ». Pour
mieux valoriser la vie des « sauvages ». Voltaire
Marat le pamphlétaire, une seule vérité oppose
refuse de son côté de s’impliquer dans cette entre-
donc les bons révolutionnaires des mauvais.
prise qui pourrait conduire chez les « sauvages
du Canada » et revendique une autre posture :
4 Sages méditations sur l’amitié « Je me borne à être un sauvage paisible dans la
solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie ».
1. Le texte s’adresse à deux catégories de destina- Sa philosophie se fonde donc sur des réalités
taires. L’emploi du pronom personnel « nous » et concrètes qu’il connaît et reconnaît finalement
celui des autres marques de la première personne que « les belles lettres, et les sciences ont causé
du pluriel indiquent que le moraliste s’inclut dans quelquefois beaucoup de mal ».
ces récepteurs. Le texte est donc destiné à la fois
au lecteur et à l’auteur lui-même. Les phrases 3. Pour soutenir sa thèse, Voltaire utilise plusieurs
s’apparentent alors à des vérités générales avec arguments. Dans un premier temps, il donne son
l’emploi du présent et du pluriel de généralisa- interprétation du livre de Rousseau qu’il traite avec
tion : « ce que les hommes ont nommé amitié ironie : « On n’a jamais employé tant d’esprit à
n’est qu’ […] ». vouloir nous rendre bêtes. » Puis, un deuxième
temps s’amorce avec le connecteur « cependant ».
2. Le moraliste donne une image critique et pes- Voltaire y expose les raisons pour lesquelles il ne
simiste de l’ami et de l’amitié dans cette maxime. peut adhérer à la démarche de Rousseau, son âge,
L’amitié n’y est jamais gratuite, mais « propose « il y a plus de soixante ans », son état de santé,
toujours quelque chose à gagner ». Elle est « les maladies auxquelles je suis condamné » et
rabaissée par cette visée intéressée et discréditée finalement l’actualité, « la guerre est portée dans
comme « ménagement réciproque d’intérêts » ou ce pays-là ». Il critique enfin la vision même de
« échange de bons offices ». L’homme est donc Rousseau : « les exemples de nos nations ont
dominé par son amour-propre qui l’entraîne à ne rendu les sauvages presque aussi méchants que
se préoccuper que de lui-même. nous ». Il conclut sur ses propres choix loin des
dérives des lettres ou des sciences.
5 Mon cher Jean-Jacques
1. Ce texte est une lettre et relève de l’argu-
mentation directe. Elle est écrite par Voltaire à Fiche L’argumentation
la première personne des pronoms personnels,
« j’ai reçu », « me », « moi » ou des déterminants
¤8 indirecte p. ›∞∞
possessifs, « nos ». On note aussi la présence d’un
destinataire, « Monsieur », qui désigne Jean- 1 Surpoids
Jacques Rousseau. Elle se présente comme une
réponse à l’envoi d’un texte de ce dernier, « votre 1. La fable comprend deux parties séparées par
dernier livre contre le genre humain ». Voltaire un blanc typographique. La première est un récit
y fait part de ses réactions : « vous peignez avec au passé et à la troisième personne qui met en
des couleurs bien vraies les horreurs de la société scène deux animaux qui ont des caractéristiques
Fiches | 359
humaines. La seconde est une morale écrite au son raisonnement et à son incompréhension de
présent, qui a valeur de vérité générale. Elle tire l’attitude des Parisiens. Il tient des propos parfois
une leçon en généralisant l’expérience de la confondants de candeur, précisant notamment :
grenouille. « j’aie une très bonne opinion de moi ».
2. La grenouille est le sujet des verbes « s’étendre », 2. Les Parisiens sont un peuple en effervescence,
« s’enfler », « se travailler » et « crever ». Elle est comme le montrent l’énumération « vieillards,
qualifiée de « chétive pécore ». Ils montrent bien hommes, femmes, enfants » et les généralisations
que l’animal est plein de vanité, ce qui causera « tous voulaient » et « tout le monde ». La curiosité
sa perte. est leur principal trait de caractère et ne s’applique
qu’à l’apparence du Persan. Le contre-exemple
3. Le récit se termine par la mort de la grenouille,
qui suit son changement de tenue accuse encore
après avoir tenté de prendre l’apparence du bœuf.
davantage les Parisiens qui sont donc bien des
Le dernier vers du récit (« s’enfla si bien qu’elle
êtres superficiels, mais de surcroît discourtois à
en creva ») marque une chute violente.
l’égard du Persan qu’ils ne regardent même plus.
4. La grenouille symbolise l’envie et la vanité.
3. Le second paragraphe permet la mise en place
Son expérience montre qu’il ne faut pas vouloir
du contre-exemple. Le retournement est brutal,
transgresser trop violemment l’ordre social, ce que
comme le montre la locution adverbiale « tout
souligne la moralité à travers sa généralisation
à coup ». Le paragraphe sert donc de révélateur
au « monde ».
de l’attitude des Parisiens.
2 Une bonne mémoire
4 L’état de nature
1. Le personnage est déjà bien marqué par son
prénom, qui reprend un substantif qui est syno- 1. Le paria mène une vie isolée, familiale, en
nyme de naïveté, de candeur. C’est une façon de accord avec la nature. Profitant de son expérience,
le caractériser fréquente dans le conte. L’extrait il exprime sa solidarité à l’égard des plus démunis.
souligne sa force physique (il a la tête dure) et Il vit sans ambition autre que l’amour marital,
son excellente mémoire. Il s’agit d’un personnage filial et de ses animaux. Il se comporte aussi avec
vierge de toute culture et prêt à absorber de nou- humilité, comme le montre le verbe « tâcher ».
velles connaissances. Mais, comme l’annonce son 2. Le docteur représente l’Occidental en quête
nom, il est aussi naïf : il veut lire et apprendre mais du bonheur. L’Indien représente le bon sauvage,
ne sait pas contextualiser la Bible et se méprend heureux au contact de la nature.
sur le texte.
3. Le dialogue permet de démontrer que la vie
2. On retrouve le personnage naïf, un peu extra- du bon sauvage est meilleure. Par ses questions,
vagant et dont le caractère n’est pas tout à fait le docteur permet au paria d’approfondir sa
vraisemblable. Il est réduit à un trait caractéris- description.
tique, souligné par son prénom, qui ouvre des
potentialités romanesques intéressantes. Le regard 4. Le monde du paria est une utopie car la vie
naïf du personnage va permettre une critique qu’il décrit est finalement coupée du monde, de
sociale. toute forme de société. Il est reclus et vit avec
sa seule famille.
3. L’extrait permet d’ouvrir une critique de la
culture, comme le souligne le narrateur qui raille
les « inutilités et sottises » apprises par tous, mais
aussi de la religion dans la mesure où l’Ingénu ne Fiche Argumentation
comprend pas d’emblée le texte de la Bible et va ¤· et éloquence p. ›∞‡
pouvoir avoir un regard décalé.
Fiches | 361
aux places les plus importantes ». L’orateur insiste 2. Le personnage revendique l’émancipation des
aussi sur ses capacités devant sa tâche de ministre : femmes à travers sa propre situation. Elle récuse
« plus capable aux grandes affaires », en particulier la domination masculine qui lui est imposée, « la
sa prévoyance, « qui prévoyait de plus loin […] ? » servitude », « tes lois » et dénonce les conditions
ou sa connaissance du terrain, « les hommes et les de vie au sérail assimilées à la « servitude ». Cette
temps ». Le texte se termine sur l’éloge des qualités condition d’esclave est aussi présente dans l’évo-
morales du mort : sa modestie qui lui fait refuser cation péjorative de « ces gardiens sacrilèges ».
« un air dédaigneux » ou « la moindre vanité dans Roxane revendique donc la liberté de penser, car
ses paroles ». Bossuet loue aussi son équilibre, son apparente soumission cache en réalité une
« libre dans la conversation », mais « grave dans liberté de sentiment et de penser : « mon esprit
les affaires » ainsi que sa sagesse, « aussi modéré s’est toujours tenu dans l’indépendance ». Pour
que fort ». Il signale enfin sa supériorité marquée clamer son indépendance, elle choisit sa mort,
par « un ascendant » sur les autres. Au final, comme acte suprême de liberté.
Le Tellier apparaît comme l’idéal de l’honnête
homme si admiré au xviie siècle.
3. La consigne appelle l’élève à écrire un pastiche Fiche L’expression du point
du texte de Bossuet. Il est amené à faire l’éloge de
la personne choisie autour de ses valeurs morales,
‹‚ de vue et du jugement
esthétiques ou pratiques. Pour cela, il met en
œuvre les procédés oratoires du genre épidictique :
p. ›∞·
vocabulaire mélioratif, hyperboles, répétitions
avec des énumérations et/ou des accumulations, 1 Éloge d’un grand homme
métaphores valorisantes. Enfin, le texte écrit 1. La Harpe porte un jugement très positif sur
doit suivre un rythme qui lui donne une allure Voltaire dont il fait ici nettement l’éloge. Le
emphatique et grandiloquente. début du texte, très hyperbolique, se fonde sur des
arguments d’autorité, car ils ne sont pas prouvés :
« Destiné à être extraordinaire en tout, il le fut
4 Une liaison dangereuse dès son enfance ». L’auteur y évoque sa maturité,
« son esprit était mûr dès ses premières années »,
1. Dans cette lettre, Roxane s’affirme face à son
comme ses talents exceptionnels de poète et de
destinataire comme le montrent les procédés
critique littéraire « qui l’éleva[ient] déjà au-dessus
utilisés. Elle apostrophe son destinataire par les
de ses contemporains ». La suite du texte est une
adverbes « oui » et « non » qui ponctuent ses
confrontation entre génies littéraires qui vise à
propos. Elle fait ainsi l’aveu direct et brutal de
démontrer la supériorité de Voltaire aux yeux
son comportement : « je t’ai trompé », « je me
de l’auteur. Aussi compare-t-il celui qu’il admire
suis jouée de ta jalousie ». Elle annonce aussi
à Sophocle et à Corneille, « Corneille vaincu,
sans détour son suicide, « je vais mourir », dont
Sophocle dépassé ». Il devient donc le légitime
la justification est un autre scandale : « puisque le
« successeur de Racine », et même par « l’aveu
seul homme qui me retenait à la vie n’est plus ? »
de ses fautes » !
Enfin, elle dénonce l’aveuglement d’Usbek à
travers des questions oratoires dont la réponse est 2. La Harpe utilise plusieurs procédés pour soutenir
évidente. De nombreuses antithèses se retrouvent ce jugement si positif. Tout d’abord, le vocabu-
alors dans cette lettre qui oppose les apparences laire du texte est majoritairement mélioratif :
sombres et négatives à la réalité plus douce et plus « extraordinaire », « gloire », « chefs-d’œuvre ».
ouverte. Ainsi, « l’affreux sérail » se transforme- Tout est fait pour valoriser Voltaire. Des procé-
t-il en « un lieu de délices et de plaisirs », alors dés d’insistance reviennent sur les qualités de
que son destinataire veut la faire « vivre dans l’auteur. Ainsi La Harpe répète-t-il l’anaphore « à
la servitude », elle a été en réalité « toujours peine » pour souligner la précocité de Voltaire.
libre ». Le champ lexical de la tromperie vient On retrouve aussi le procédé de l’accumulation :
encore renforcer cette opposition, « je me suis « Corneille vaincu, Sophocle égalé, la scène
jouée », « te paraître fidèle », tout comme le française relevée ». Les exagérations amplifient
registre polémique. les vertus littéraires du philosophe. L’hyperbole
Fiches | 363
systématique des pluriels qui renforcent l’idée la Lune ? Fontenelle prend parti dans ce texte :
de surpopulation : « un peuple d’importuns », « quoique je croie la Lune habitée ». On peut donc
« des laquais », « des paveurs ». Le poète lui- voir que cette œuvre a pour but la vulgarisation
même se rabaisse en étant la victime d’incidents scientifique.
risibles : bousculade, pause devant un enterre-
ment, chute de matériel de couverture de toit.
2 Pari mathématique
Le monde des objets semble même s’animer de
manière autonome et capricieuse : « une croix de
ou métaphysique ?
funeste présage », « une poutre branlante », « un 1. Pour prouver l’existence de Dieu, Pascal se
carrosse », sans compter l’agitation des animaux : fonde sur un raisonnement mathématique : « si
« les chiens », « six chevaux », « un grand troupeau vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous
de bœufs ». Le poète raconte donc sa promenade ne perdez rien ». Il s’appuie sur les probabilités
de façon burlesque et ridicule. pour montrer qu’il est plus avantageux de croire
que de ne pas croire, car « il y a pareil hasard de
gain et de perte ». Ainsi au pire, si Dieu n’existe
Fiche Débattre pas, le parieur engagé dans cet enjeu ne perd rien,
‹⁄ et délibérer p. ›6⁄
tandis qu’il a tout profit à croire en Dieu. On voit
alors que ce raisonnement mathématique, bien
adapté aux libertins enfermés dans l’univers du
1 Un cours d’astronomie jeu, prend une réelle dimension métaphysique.
1. Fontenelle nous présente un dialogue philoso- 2. Pour impliquer le lecteur, Pascal joue de la
phique de type didactique. Il se montre comme forme et de l’énonciation. On reconnaît dans le
le maître à penser de la marquise. Le texte com- texte les marques du dialogue avec l’interven-
mence par un bilan dans l’apprentissage de son tion et l’objection d’un destinataire de Pascal :
interlocutrice : « puisque le Soleil […] a cessé guillemets, oralité de l’adverbe « oui », utilisa-
d’être planète ». Puis la marquise l’interrompt, car tion de la première personne, « je gage peut-
elle lui oppose une objection : « Je n’ai pourtant être trop ». Par ailleurs, le savant utilise une
jamais ouï parler de la Lune habitée, dit-elle, que énonciation de l’échange, première personne du
comme d’une folie et d’une vision. » La dernière pluriel, « pesons », « voyons » et surtout deuxième
partie du texte est alors consacrée à la réfutation personne du pluriel à destination de l’adversaire,
de cet argument. Au début, le philosophe fait « vous seriez imprudent ». Aussi ce texte n’est-il
une concession à son interlocutrice, « c’en est pas une aride démonstration théologique, mais
peut-être une aussi ». Il revendique sa tolérance un vivant échange imaginaire où Pascal tient
pour les adversaires à sa thèse, « je ne laisse pas le rôle d’un conseiller amical et généreux pour
de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pousser son destinataire vers « une éternité de
pas ». Enfin, il utilise un exemple très concret vie et de bonheur ».
pour faire comprendre les raisons d’adhérer à sa
thèse, en faisant une analogie avec la géographie 3 Les fonctions de l’apologue
humaine. Le dialogue relève donc bien d’une
1. Euphorbe et Timagène échangent librement
démarche didactique.
dans un dialogue dialectique. Aucun des deux ne
2. Fontenelle traite ici du domaine scientifique l’emporte sur l’autre dans le cheminement de la
et plus particulièrement des connaissances astro- pensée, mais les deux interventions se complètent.
nomiques en pleine mutation à l’époque. De La première phrase pose la thèse initiale : « La
fait, les progrès de l’optique, à travers la lunette fable […] réunit l’utile et l’agréable ». Timagène
astronomique, permettent de mieux appréhender renchérit sur cette thèse comme le montre le
le ciel et les astres. C’est pourquoi, on retrouve verbe de déclaration « ajouta ». Il l’explique
dans le dialogue le nom des astres comme « le en remontant à l’origine du genre et en rappe-
Soleil », « la Terre », « la Lune », ou le terme lant sa visée originelle, contourner la censure :
« planète ». La question posée ici concerne les « exprimer, par une allégorie, ce qu’elle n’osait
conditions de vie sur la Lune et fait allusion à un dire ouvertement ». Il en donne aussi un exemple
débat contemporain : la vie est-elle possible sur précis : « Ésope le père de la fable était esclave ».
Fiches | 369
Fiche Comprendre 4 La fureur de vivre
‹6 un sujet d’écriture 1. Alidor expose une conception libertine de
d’invention p. 474-475 l’amour : il souhaite privilégier sa liberté et refuse
toute entrave et dépendance. Angélique ne peut que
mal réagir au discours de son amant qui la dédaigne.
1 Une parole apaisante
2. Il convient d’imaginer qu’Angélique interrompt
1. Les mots-clés sont « ami », « oublier » et « nou- le dialogue entre Alidor et Cléandre.
velle vie ».
3. Le texte à produire doit respecter les codes
2. Le texte doit se présenter sous la forme d’un du dialogue théâtral : indication du nom des
discours à la première personne du singulier adressé locuteurs, enchaînement des répliques, emploi
au poète qui sera désigné par la deuxième personne du tiret pour marquer le changement de locuteur,
du singulier. Il doit être versifié. temps du discours. L’intervention d’Angélique
doit prendre la forme d’une réplique longue. Par
3. Le registre attendu est celui du lyrisme.
ailleurs, il conviendra d’insérer quelques indi-
cations scéniques : « Angélique survient ». La
2 Une littérature qui fait débat ponctuation (les points de suspension) pourra
1. Les mots-clés sont « choqué(e) », « article marquer l’interruption et le suspense du propos.
polémique », « indignation », « instrumentali- 4. Le personnage d’Angélique peut manifester
sation de la femme ». trois types de réactions : l’indignation, l’ironie,
2. L’adjectif « polémique » signifie que le propos l’indifférence.
produit doit avoir une dimension fortement cri-
tique et exposer une réaction vive à la situation
5 Un lecteur transporté
décrite dans la nouvelle. 1. Les mots-clés sont « bouleversé(e) », « tirade »,
3. Le texte doit respecter le genre de l’article « Chimène » et « doutes ».
de journal : titre, discours argumenté, temps du 2. Le dilemme est une situation dans laquelle un
discours, emploi de la première personne du sin- personnage doit choisir entre deux possibilités
gulier, signature. contradictoires, sans que ce choix puisse appa-
4. Les deux phrases-clés peuvent commencer par raître satisfaisant.
une exclamation (« Quelle honte que de vouloir 3. Le texte à produire doit s’apparenter à une
rabaisser les femmes… ! ») ou par une question tirade : un discours long à la première personne
rhétorique (« Faut-il accepter que des femmes du singulier avec l’emploi des temps du discours.
soient à ce point instrumentalisées… ? »).
4. Le registre dominant doit être celui du pathé-
tique : le personnage exprime sa souffrance et
3 Le meilleur… et le pire
cherche à être plaint.
1. Les mots-clés sont « réquisitoire », « contre »
5. Pour que ce discours ait une dimension élo-
et « politique de Louis XIV ».
quente ou oratoire, on pourra recourir à des répé-
2. Un réquisitoire est un discours à charge contre titions marquant l’insistance sur des mots-clés
un individu pour exposer sa culpabilité. C’est un (douleur) ou une structure anaphorique incan-
discours de nature judiciaire. tatoire : « Ô douleur d’avoir à choisir… ».
3. Le texte à produire doit s’apparenter à un
discours argumenté et à dimension oratoire. 6 Voyage au bout de la nuit
4. Le registre dominant doit être celui de la 1. Les mots-clés sont « dialogue », « deux
polémique. hommes », « souffrent » et « injustice ».
5. Les deux phrases-clés peuvent être emphatiques : 2. On pourra recourir aux registres :
« Qu’il est malheureux que notre souverain néglige – pathétique : « insupportable chaleur », « corps
ses sujets pour… » ou « Osons condamner… ». empilés » ;
Fiches | 371
les cales de navire, enchaînées aux poings et aux Gautier au jupon flamboyant, au corsage odo-
pieds, alors, que l’on prenne conscience que notre rant, vous vous délassiez aux abords d’un jardin
royaume en portera la honte et la culpabilité public, négligemment assise, respirant l’air du
dans les siècles à venir, quand tout son or et son soir, les senteurs que libèrent les feuillages après
prestige auront disparu, quand il ne restera que la fièvre du jour… Ô vous, mon beau rêve des
la vérité de l’histoire » ; soirs douloureux... »
– modalisateurs pour manifester la compassion :
« pauvres hommes ».
4 La clémence d’Émilie
3. On pourra classer les exemples dans l’ordre
suivant : 1. Cinna prône l’obéissance et le respect au sou-
– les faits : exploitation des images (p. 253 et verain (Auguste) ; Émilie souhaite poursuivre
256), extrait de Candide (p. 256) ; sa vengeance.
– l’émotion et l’indignation des philosophes : 2. Émilie peut changer d’avis en comprenant
Montesquieu (p. 256), Condorcet (p. 257) ; soudain (« Il suffit, je t’entends ») :
– les risques : la révolte des esclaves (p. 258 et – que Cinna essaie d’avoir une attitude exemplaire ;
259). – qu’il n’agit ainsi que parce qu’il l’aime ;
4. Le plan pourra être structuré en quatre parties : – que cette magnanimité ne fait que rendre leur
a) Avertissement au roi : Candide fait un état des couple glorieux ;
lieux de la réalité de l’esclavage – que cette grandeur d’âme aura pour conséquence
b) Indignation : dénonciation de la barbarie et de leur permettre de retrouver du pouvoir.
de la cruauté 3. Aussi l’argumentaire d’Émilie pourrait être
c) Prise de recul sur les valeurs à défendre pour le suivant :
être un grand roi ou un despote éclairé : humanité, a) Renoncer à la vengeance pour protéger leur
droits des hommes, respect des civilisations amour
d) Proposition d’un édit pour interdire l’esclavage b) Renoncer à la vengeance pour se rendre exem-
plaires et glorieux
c) Renoncer à la vengeance pour reconquérir le
3 Une belle personne pouvoir grâce à la magnanimité aux yeux du tyran
1. Le blason est un genre poétique qui consiste à Auguste, aux yeux de la cour, aux yeux du peuple
célébrer une partie du corps de la femme aimée.
2. Le portrait que Paul Verlaine donne de la femme 5 À vos marques !
dans « Mon rêve familier » est volontairement
ouvert, vague, indéfini : « Est-elle brune, blonde 1. La figure de style dominante est l’accumulation :
ou rousse ? » (v. 9). Il est donc possible de lui prê- le soulier à la mode, la pâte de senteur, l’allure,
ter les traits et les caractéristiques que l’on veut. la voix, la mine, la démarche molle, le rouge,
les chausses et le chapeau constituent autant de
3. Le lyrisme se définit par une expression person-
caprices chez cet individu dominé par le paraître
nelle, l’emphase des sentiments, une musicalité
et la mode.
quelle qu’elle soit (images poétiques, prose poé-
tique, vers, incantation). 2. Le téléphone portable pourrait constituer un
objet équivalent à ceux évoqués par La Bruyère,
4. La lettre poétique peut se structurer à partir
tant il suscite convoitise, rivalité et jugement.
d’une anaphore qui crée un effet incantatoire :
« Ô vous, mon beau rêve des soirs douloureux, 3. L’observation pourra mettre en valeur :
quand je vous vis au bout de l’allée, si belle, vos – les regards de convoitise ;
grands cheveux noirs tenus par un ruban et qui – l’expression de la rivalité par l’exhibition du
n’attendait que ma main pour retrouver leur téléphone portable le plus high-tech ;
liberté… Ô vous, mon beau rêve des soirs dou- – les discussions vaines et creuses sur les fonctions
loureux, je vous dois cette rencontre heureuse, que le téléphone portable peut offrir ;
consolante, pleine de sérénité alors que j’errais – le phénomène de la mode et de la marque (le
dans la ville, l’âme en peine. Mademoiselle Élisa iPhone, par exemple) ;
Fiches | 373
de chiens pour la chasse, des piqueurs. Il dispose 5 Voyage en utopie
d’une suite avec un grand aumônier. Il est traité
avec respect. La baronne est une personne qui 1. On peut conjecturer trois hypothèses sur le
impose le respect. Ses enfants ont un précepteur genre auquel l’extrait appartient :
particulier. – un conte merveilleux (un pays de délices) ;
Mais plusieurs signes montrent la pauvreté du – un récit de voyage ou d’aventures extraordinaires ;
baron : son château n’a qu’une seule porte ; une – une utopie à l’égal du pays de Cocagne où il
seule tapisserie orne la salle ; sa meute n’est com- est possible de satisfaire sa gourmandise, sa soif
posée que de chiens de basse-cour ; le vicaire du et son envie de paresse.
village joue le rôle d’aumônier ; sa femme est
2. Le plaisir de la lecture naît du jeu, de l’invrai-
imposante en poids…
semblable et de la fantaisie, de l’accumulation des
Aux premières impressions de richesse se substitue
choses impossibles, de la virtuosité du conteur
une réalité plus triviale : il s’agit d’une famille
que l’on souhaite voir poussée à ses limites. Le
noble désargentée.
plaisir de la lecture se confond avec celui de la
2. Le ton est celui de l’ironie : le lecteur est invité gourmandise. Fénelon a écrit des contes pour un
à comprendre l’inverse de ce qui est formulé. enfant, le duc de Bourgogne, dont il a la respon-
sabilité de son éducation.
3 Londres
1. L’impression dominante est celle d’une ville
fabuleuse et extraordinaire, en raison de son archi-
tecture monumentale (acropole), des richesses 6 À table !
artistiques (expositions et collections de peinture),
de la reconstitution d’une nature primitive dans 1. Le lecteur peut ressentir les impressions
les jardins et les parcs, de la beauté des bords de suivantes :
la Tamise. – l’amusement face à cette scène gargantuesque ;
– le dégoût provoqué par la monstruosité et la
2. Capitale commerciale du Commonwealth, goinfrerie du personnage ;
Londres s’impose à la fin du xixe siècle comme – l’angoisse ou l’inquiétude puisque la dévoration,
la plus grande ville et la capitale financière du celle des richesses, devient synonyme de ruine et
monde. de mort (avaler et dilapider son capital).
Le poème en prose permet à Rimbaud de retrans-
crire ses impressions de façon spontanée, de laisser 2. Le questionnement peut porter sur les aspects
surgir et s’accumuler les choses vues, les couleurs suivants :
et les formes. – le personnage : quelle est sa condition sociale ?
Qu’est-ce qu’une « puissante fortune terrienne » ?
4 Carrefour – la boulimie : que signifie cette dévoration irré-
pressible ? Est-elle un fait ou une image ? Est-elle
1. Les hypothèses qu’il est possible de formuler un signe de vitalité ou de mort ?
sur le narrateur peuvent être les suivantes : – le lieu et le temps : où cette scène a-t-elle lieu ?
– le « je » renvoie-t-il à Jules Vallès ? Est-ce un banquet comme dans Gargantua ?
– le narrateur vient de finir ses études et entre Pourquoi le personnage porte-t-il le nom d’un
dans la vie active ; empereur romain de la décadence ?
– il ne semble pas riche pour pouvoir lutter faci- – le genre : ce personnage est-il un géant, un
lement et dominer le monde ; ogre, un animal ? Pourquoi cette page d’un roman
– sa carrière est incertaine : il ne sait pas quel naturaliste peu connu (1892) recourt-elle à la
métier prendre. dimension du conte ou de l’irréel ?
2. Le recours au mythe d’Hercule à la croisée des 3. Le titre La Fin des bourgeois confirme l’hypothèse
chemins montre bien que le narrateur a reçu une que la dévoration (des aliments et de la fortune)
formation classique. Comme Hercule, le héros est la manifestation d’une décadence : celle d’une
doit entrer dans la vie, sans connaître la voie où famille qui court à sa ruine en raison du compor-
s’engager : il est amené à faire un choix crucial. tement dilapidateur de son ultime rejeton.
Fiche
‹· Construire le plan du commentaire p. ›86-›8‡
1 Tous les hommes sont mortels, donc les rois sont mortels
1. Une oraison funèbre est l’éloge que l’on fait d’une personne qui vient de mourir, au moment de
son enterrement.
2. Le prédicateur veut faire prendre conscience de la fragilité de la vie et de la fortune : la mort
d’Henriette-Anne d’Angleterre alors qu’elle a 26 ans illustre le sort incertain, même si tout lui sem-
blait acquis en raison du titre, de la beauté et des richesses.
3. Tableau d’analyse :
Analyse Axe du plan
Relevé Outils d’analyse
et interprétation (progression)
« Messieurs »,
Apostrophe Prendre à partie l’auditoire
« Chrétiens »
« grandes puissances »,
Faire comprendre le AVERTIR
« élévation », « sacrifier », Antithèses
revirement de la fortune
« néant »,
que Dieu impose pour
« les frappe »,
édifier les autres hommes
« les épargne si peu »
« grand », « terrible »,
Susciter et provoquer
« effroyable », Hyperboles
l’effroi
« désastreuse »
« coups de surprise »,
Images poétiques, Exprimer le caractère
« comme un éclat de ÉMOUVOIR
comparaison imprévu de l’événement
tonnerre »
« Madame se meurt !
Modalités exclamative
Madame est morte ! Adopter un ton pathétique
et interrogative
Qui de nous […] ? »
« on trouve […]
on voit », Donner au discours un
Structure anaphorique
« toute la cour, rythme incantatoire
tout le peuple, tout […] » RACONTER
Vocabulaire de la
« cris », « douleur », Exprimer la douleur et la
douleur grandissante,
« désespoir » souffrance humaine
gradation ascendante
Fiches | 375
2 Le jardin des délices
1. Le foisonnement de la nature crée fascination et malaise. Les plantes tropicales
s’avèrent ambivalentes, entre foisonnement et substances toxiques. Le lecteur est
lui-même en tension, entre curiosité érotique et répulsion.
2. Tableau d’analyse :
Analyse
Relevé Outils d’analyse Axe du plan
et interprétation
Effet de reprise et de
« sommes-nous bien ritournelle (chanson) grâce
DISTANCE
loin ? » / « Nous sommes à des tournures de phrase Mimer le dialogue
GÉOGRAPHIQUE
loin » / « tu es loin » différentes et au passage
de « nous » à « tu »
Fiches | 377
Analyse
Relevé Outils d’analyse Axe du plan
et interprétation
Jouer sur le rythme
12 / 13 / 15 / 12 / 13 / Vers libres, irréguliers, pour créer l’émotion, PERTE DE
11 / 4 / 7 / 7 / 12 / 16 / entre amplification et effet l’impression de LA RÉGULARITÉ
6 / 12 / 6 de rupture (vers courts) vitesse ou l’essor de MÉTRIQUE
la nostalgie
PROXIMITÉ
« Jeanne » Apostrophe Répondre à Jeanne
AMOUREUSE
« Montmartre »,
« la butte qui t’a nourrie », Champ sémantique de Exprimer LIEU MATERNEL
« Sacré-Cœur contre la protection maternelle la nostalgie LOINTAIN
lequel tu t’es blottie »
Formule de restriction
« il n’y a plus que […] » Dire la privation DISPARITION
qui marque la disparition
« les cendres »,
« la pluie »,
Énumération sous forme Faire découvrir
« la tourbe », NOUVEAUX
de liste des réalités mornes le paysage glacial
« la Sibérie », ESPACES VIDES
du nouveau paysage de la Sibérie
« les lourdes nappes
de neige »
Le projet de lecture montrera comment le poète, a) L’effet de surprise : recourir à une forme de
à partir de la souffrance de la jeune fille Jeanne, théâtre spectaculaire et baroque en tenant compte
passe de l’évocation de l’espace géographique des indications scéniques ;
(départ-distance-éloignement) à celle de l’inté- b) L’attitude moqueuse et supérieure de Médée
riorité (vide-souffrance-douleur). qui a accompli sa vengeance ;
c) Le contraste avec le désespoir de Jason ;
5 Un dénouement infernal d) La disparition du décor (palais en feu) qui
symbolise la fin de la représentation et de l’illu-
1. Le dénouement de la tragédie joue sur l’effet de sion théâtrale.
surprise (l’envol de Médée sur un dragon) grâce
3. Le projet de lecture s’attachera à montrer l’ori-
à la machinerie théâtrale à dimension baroque.
ginalité de ce dénouement baroque en mettant
Cette fin peut paraître stupéfiante puisque Médée
en valeur la surprise et le rôle du décor, le rire
criminelle échappe à Jason.
infernal de Médée par contraste avec la déplo-
2. La note d’intention du metteur en scène peut ration de Jason et la signification symbolique du
expliciter les enjeux suivants : décor détruit. Le questionnement portera sur les
378 | S’initier aux épreuves du bacccalauréat
dimensions paradoxales de ce dénouement : ce Notre réflexion portera successivement sur le
tomber de rideau offre-t-il une vraie clôture ou carnaval des animaux (l’âne qui prend la place du
une fin ouverte ? Est-il conforme au genre de lion), puis la visée critique (la dénonciation des
la tragédie alors que Médée exprime une joie apparences) pour clore sur la dimension populaire
méprisante et irrépressible ? (rôle du paysan qui chasse l’âne).
3. Partir des productions des élèves.
6 Un chien à la barre
1. Les lecteurs pourront exprimer leur amusement 2 Courage, fuyons…
mais aussi leur perplexité face à cette situation
peu commune : le procès d’un chien. 1. L’extrait déconstruit l’image de l’héroïsme à
partir d’un portrait de soldat prussien couard,
2. La note d’intention du metteur en scène peut
peureux, lâche, poltron.
expliciter les enjeux suivants :
a) La situation burlesque et l’outrance comique ; 2. Proposition d’introduction :
b) La parodie d’un procès avec présence sur la Dans cet extrait de nouvelle (« L’Aventure de
scène d’un chien pour concrétiser l’absurdité et Walter Schnaffs »), Maupassant fait le portrait
le délire judiciaire ; d’un soldat prussien qui a peur des combats.
c) Une profération verbale permanente pour se Le texte se présente sous la forme d’un récit aux
moquer de l’éloquence judiciaire. temps du passé. Le lecteur découvre les événe-
ments à partir du point de vue du personnage : peur
3. Le projet de lecture s’attachera à questionner
de la guerre, occupation par les troupes prussiennes
la liberté comique que Racine s’autorise dans
de la Normandie, irruption de francs-tireurs, per-
le genre : l’absurdité de la situation, la parodie
sonnage qui s’inquiète de sa course trop lente en
outrée du langage judiciaire, les excès du discours
comparaison de la vitesse des ennemis. Le récit
chez des personnages qui semblent pris de délire.
qui s’ancre dans des événements réels (l’invasion
du territoire français par les Prussiens en 1871)
s’apparente à la nouvelle réaliste.
Fiche Toutefois, le portrait du personnage se carac-
›‚ Rédiger le commentaire térise par une série d’écarts par rapport à celui
p. ›·⁄-›·‹ attendu pour un soldat : faiblesse physique, peur
et angoisse, manque de courage, poltronnerie.
Aussi centrerons-nous notre questionnement
1 L’habit ne fait pas le lion non plus sur la déconstruction du personnage héroïque.
1. La Fontaine dénonce par cet apologue le règne Nous analyserons successivement le portrait d’un
des apparences : l’habit qui en impose donne du anti-héros, le rythme du récit qui enchaîne très
pouvoir. C’est un lieu commun de la pensée de vite les événements pour présenter en situation
l’âge classique. le personnage. Nous nous attacherons alors à
étudier la dimension burlesque du récit, avec
2. Proposition d’introduction : un personnage dont le comique apparaît jusque
Ce texte intitulé « L’Âne vêtu de la peau du Lion » dans la gestuelle.
se présente sous la forme d’une fable versifiée
qui fait alterner alexandrins et octosyllabes. À 3. Partir des productions des élèves.
l’histoire succède une moralité. On retrouve donc
bien les caractéristiques de la fable. Le monde 3 À l’école de la nature
animalier devient le support symbolique pour
représenter les défauts humains. 1. L’histoire conte l’éducation de Paul et de
Dans cette fable, Jean de La Fontaine propose Virginie qui justement n’en reçoivent aucune.
une courte fiction qui fait réfléchir le lecteur sur Cette éducation dite négative, loin de celles
le rôle de l’habit chez les puissants : un âne feint des sociétés, s’accomplissant au sein d’une île
d’être un lion en revêtant la peau de l’animal. lointaine, montre que la nature offre les repères
Par mégarde, il oublie de dissimuler une oreille ; suffisants pour pouvoir se repérer dans le temps.
un paysan le chasse. Il n’est plus besoin de recourir à des horloges, des
Fiches | 379
almanachs, des livres de chronologie ou encore reprennent chacune l’un des modes d’apparition
d’histoire et de philosophie. de la femme rêvée. La formule « Aimant l’amour »
2. La partie de commentaire explicitant la visée qui ouvre le poème, vient le clore, créant un effet
didactique pourra s’organiser autour des points de circularité. Le poème forme un tout, clos sur
suivants : lui-même, fonctionnant à partir des échos et
a) Le commentaire du narrateur qui explicite le des reprises.
sens du tableau ; 2. Pour chacun des axes proposés, on peut émettre
b) Le refus de l’éducation ordinaire et l’usage de les remarques suivantes :
la négation ; – Un rêve singulier : la dimension onirique est
c) Le rôle de la nature ; forte par la mise en scène du poète rêvant et
d) L’harmonie entre l’homme et la nature. retranscrivant ses rêves et le mode d’apparition
de la figure énigmatique et surnaturelle.
4 La courbe de tes yeux – L’image de la femme dans le poème : on s’atta-
1. Pour chacun des axes proposés, on peut émettre chera à analyser la triple dimension surnaturelle
les remarques suivantes : (femme fée, apparition mystique ou merveil-
– L’adresse au lecteur : grâce à l’emploi des pro- leuse), maternelle (protectrice), érotique (chimère
noms personnels (« vous », « nous »), le lecteur fantastique).
se trouve inclus dans le propos, les pensées et le – La quête de l’amour : l’objet du poème est moins
texte. Bien avant Butor dans La Modification, la femme que l’amour de l’amour. L’absence de
Segalen fait parler son lecteur (« vous voudriez la femme permet au poète d’exalter l’amour pour
savoir ») et l’implique par une série d’injonctions lui-même dans sa portée sublime.
(« regardez-la »). Les modalités interrogative et 3. Partir des productions des élèves.
exclamative ont pour fonction de susciter ques-
tionnement et surprise. 4. Le questionnement portera sur le caractère
– Un poème sur une peinture : le texte descriptif sublime de cet amour : est-ce la femme imagi-
résulte de la contemplation d’une peinture orien- naire que le poète aime ou l’amour lui-même ?
tale. D’où le titre : Peintures. Le poète construit L’absence de la femme ne révèle-t-elle pas que
la description du portrait tout en y mêlant ses le poète privilégie le sentiment ?
pensées. Les strates descriptives et énonciatives Proposition d’une introduction :
permettent l’étagement de ces composantes. Dans son poème « La Dame de carreau », qui
– La contemplation d’une femme peinte : la jeune fait partie du recueil Les Dessous d’une vie ou la
femme représentée semble regarder droit celui qui Pyramide humaine (1926), Paul Éluard se plaît à
la contemple. La contemplation met en valeur sa évoquer le rêve d’une femme qui apparaît comme
beauté parfaite sur le mode de l’éloge amoureux, une figure protectrice fantasmatique.
érotique et lyrique. Le texte se présente sous la forme d’un poème
– Le mystère : la formule inaugurale (« REFLET en prose. Le poète y retranscrit ses rêves et les
DANS DES YEUX ») reprise à la fin de l’extrait apparitions de la chimère. Construit sur le mode
montre l’obsession du poète de percer le secret d’un cycle (réapparition-protection-éternelle
de ce que cette jeune fille voit. Aussi cherche-t-il tendresse et consolation), le poème évoque une
à discerner dans ses prunelles ce qui s’y trouve figure mystérieuse et exalte la relation magique
représenté. L’hésitation entre la réalité et le rêve qui se tisse entre le poète et elle.
(« tout ce qu’ils voient ou rêvent ») interroge Nous analyserons successivement la retranscrip-
sur la dimension fantasmatique ou non. Est-ce tion des rêves, puis la dimension d’une figure
la jeune fille qui voit ? Le poète qui projette son érotique et maternelle, pour nous interroger
fantasme et imagine ce qu’elle voit ? finalement sur le caractère sublime de cet amour.
2. Partir des productions des élèves.
6 À vue de nez
5 Amoureux de l’amour
1. Cet extrait propose le portrait d’un gentil-
1. Ce texte lyrique ne présente aucune versifica- homme séducteur sur le mode réaliste. En effet,
tion. Les paragraphes jouent le rôle de strophes qui Balzac revient sur des détails concrets : la tabatière,
Analyse
Relevé Outils d’analyse Axe du plan
et interprétation
Peindre un type de
« bonhomme », « vieux 1. LE PERSONNAGE
Caractérisation personnage propre
gentilshommes voltairiens », TYPE DU VIEUX
générale à une époque
« irréligion » GENTILHOMME
(Ancien Régime)
« Son principal vice », Objet Inscrire le portrait
« prendre du tabac », métonymique dans un type
GALANT…
« vieille boîte d’or ornée qui symbolise de personnage :
du portrait d’une princesse » la galanterie le libertin galant
« taille encore juvénile », Vocabulaire
Faire une description … BELLÂTRE ET
« l’élégance », « l’homme de la séduction
physique SÉDUCTEUR…
à femmes » physique
« nez prodigieux »,
« travail de la digestion »,
Passer à une
« physiologie », « mangeait Vocabulaire de
présentation
comme un ogre », « maladie la médecine 2. UN PORTRAIT
médicale
désignée en province sous RÉALISTE :
le nom de foie chaud » PSYCHOLOGIE
« passion », « sillons du ET PHYSIOLOGIE
Parallèle entre Mettre en relation
plaisir » / « aux tempes
les traits et physionomie
la patte-d’oie », « au front
le caractère et caractère
les marches du palais »
Adresse au lecteur,
« Oui, sachez-le » / « il faut
commentaire avec 3. UN PORTRAIT
dire que » / « Ce fait est Commenter
l’emploi des temps SATIRIQUE…
digne de remarque »
du discours
« mais chacun avait une
Contrebalancer
excessive indulgence Système
constamment TOUT EN
pour son irréligion » / permanent de
qualités CONTRASTES…
« Quoique » / « Si son concessions
et défauts
visage »
« jambes hautes et fines »
/ « le corps grêle et le teint Antithèses
blafard »
… ET BURLESQUE.
« comme un ogre » Comparaison
« bien prisées à la cour de Périphrase (cour
Cythère » d’amour)
Fiches | 383
– Le personnage naturaliste vit une intrigue peu réaliste et celle, plus contemporaine, d’un roman
ordinaire. Il connaît un « destin ». épuré, d’une écriture blanche qui refuserait qua-
– Le personnage naturaliste peut être un héros, siment la description. Cette dernière hypothèse
mais aussi un anti-héros. est à construire : elle est implicite et induite par
b. – Il ne connaît pas toujours le succès, il finit le sujet.
parfois mal.
3. Pour la conception balzacienne :
– Le naturalisme nous montre aussi l’envers du
– le foisonnement de la description permet de
décor : le romancier ne cherche pas à idéaliser.
mettre en place l’illusion romanesque : on entre
– L’époque représentée par Zola, le Second Empire,
mieux dans l’univers des personnages ;
est aussi un moment de désillusion. Le destin des
– le roman développe aussi les connaissances du
héros reprend parfois aussi cette réalité déceptive.
lecteur sur un univers éloigné (culturellement
c. – Le héros naturaliste est le plus souvent un
ou historiquement) en le développant jusque
homme ordinaire : le lecteur peut s’y identifier
dans les détails.
et décupler sa capacité d’identification.
– Le lecteur peut éprouver de la compassion pour Pour un roman épuré :
des destins funestes. – la multiplication est factice et les longues des-
– Il peut aussi partager l’enthousiasme des jeunes criptions sont souvent mal perçues par les lecteurs ;
ambitieux qui pensent changer le monde et maî- – le détail détourne aussi l’attention de l’intrigue
triser leurs destins. et du parcours des personnages.
Fiche
›∞ Le verbe dans la narration p. ∞⁄‡
6 La grive de Montboissier
Verbe conjugué Temps Valeur
Non borné : la promenade a un début, mais elle n’a pas
« promenais » Imparfait
encore de fin.
« ressemblait » Imparfait Descriptif
« soufflait » Imparfait Descriptif
Fiches | 389
Verbe conjugué Temps Valeur
Borné : le passé simple vient mettre un terme, une borne
« arrêtai » Passé simple
à l’action jusqu’à présent non bornée de la promenade.
« s’enfonçait » Imparfait Descriptif
« fus tiré » Passé simple passif Narratif : il s’agit d’une action de premier plan.
Narratif : il s’agit d’une action de premier plan. Le chant de
« fit » Passé simple
la grive permet l’émergence du souvenir, et du récit d’enfance.
Fiches | 397
39 Poésie des objets 2. Le dialogue que met en scène ce poème est un
dialogue impossible, voué à l’échec. En effet, les
1. Rimbaud emploie deux tournures présentatives : répliques des deux spectres sont disproportionnées
« C’est un large buffet », « c’est un fouillis ». Cette et montrent leur incommunicabilité. Alors que
tournure permet de mettre en valeur l’objet, et de le premier spectre multiplie les ponctuations
le rendre plus visuel, de le faire paraître sous les sentimentales et les marques d’émotion avec
yeux du lecteur qui devient spectateur. La poésie les points d’interrogation et d’exclamation, son
se fait description. interlocuteur se contente du point, neutre.
2. Rimbaud bouleverse également la structure
canonique de la phrase en jouant sur la place 42 Nature mélancolique
des adjectifs. Deux adjectifs sont ainsi mis en 1. Les points d’exclamation et d’interrogation
valeur par leur position apposée, et en début de expriment l’émotion du poète. Les phrases inter-
vers : « Très vieux », « Tout plein ». L’adjectif rogatives sont en effet des questions rhétoriques
« vieux » est encore renforcé par les variations qui expriment le regret et l’angoisse de la perte
lexicales qui le suivent : « vieilles gens », « vieilles et de la mort.
vieilleries ». Il s’agit de la description poétique
d’un amoncellement d’objets familiers.
2. De nombreux poèmes peuvent être convo-
qués pour élargir le regard des élèves. Si certains
d’entre eux ont choisi un paysage maritime, il peut
être intéressant de leur faire écouter la chanson
« Supplique pour être enterré à la plage de Sète »
Fiche La ponctuation de Georges Brassens, dans laquelle on retrouve,
∞⁄ en poésie p. ∞¤‹
mais sur un mode humoristique, l’association
du paysage aimé et de la mort, dans un poème
testament.
40 Une scène d’hospitalité
1. Grâce à la ponctuation du dialogue (deux-points 43 Une scène de la mythologie
et guillemets), Victor Hugo insère dans son poème grecque
une scène quasiment théâtrale. Pour autant, il ne 1. Les signes de ponctuation forte (les points,
s’agit pas de théâtre, mais bien d’une théâtrali- les points de suspension) ne coïncident pas avec
sation poétique car le dialogue est symbolique : la limite du vers à l’intérieur des strophes. Il y
le personnage incarne la figure allégorique du a plusieurs enjambements : « Elle écoute / Les
pauvre. Ici, la ponctuation délimite les différents larmes », « goutte à goutte / Sur la mousse »,
niveaux d’énonciation et les dialogues. « s’élance, / La saisit », et un rejet : « de son rire
2. La ponctuation permet également à Victor moqueur, / Disparaît ».
Hugo de renforcer l’effet de réel en introduisant 2. Ces enjambements et rejets miment ce
dans l’alexandrin le rythme de la prose, grâce aux qu’évoque le poète, rendent visuelle l’image qu’il
nombreux enjambements : « il s’arrêta devant décrit. Ainsi, la rosée du matin (« les larmes du
/ Ma porte » « Je me nomme / Le pauvre ». La matin »), goutte, comme des larmes, une à une,
ponctuation souligne la discordance entre la vers à vers. Et ce rythme implique l’enjambement
syntaxe et la versification. qui imite la chute de la goutte dans le vers suivant.
Puis, dans la deuxième strophe, c’est au contraire
41 Dans le vieux parc solitaire et glacé le dynamisme, la violence du faune qui jaillit et
bondit sur la nymphe qui implique le rejet : là
1. Le titre du poème de Verlaine, « Colloque encore, le rythme du vers traduit le mouvement
sentimental », évoque un dialogue, de même que du personnage.
la première et la dernière strophe : « Deux spectres
ont évoqué le passé », « leurs paroles ». Si Verlaine 44 Réminiscence olfactive
n’emploie pas les guillemets, on retrouve bien
dans son poème le tiret, qui, à plusieurs reprises, 1. La ponctuation du poème de Baudelaire mime
indique le changement d’interlocuteur. la diffusion du parfum dans l’air en multipliant les
Fiches | 399
sont de longues grèves sablées d’or, qui s’étendent 8 Modifier la personne d’un texte
sur de riches fonds du ciel, ponceaux, écarlates, et
Quand je revins chez la vicomtesse, je la trouvai
verts comme l’émeraude. La réverbération de ces
pleine de cette bonté gracieuse qu’elle m’avait
couleurs occidentales se répand sur la mer, dont
toujours témoignée. Tous deux nous allâmes dans
elle glace les flots azurés, de safran et de pourpre.
une salle à manger où le vicomte attendait sa
femme, et où resplendissait ce luxe de table qui
5 Identifier les sujets des verbes nous la Restauration fut poussé, comme chacun
le sait, au plus haut degré.
Justification
Verbe conjugué Sujet grâce 9 Réécrire un texte au pluriel
aux accords
Jean Valjean tourna la tête, et vit venir par le sen-
est le pré 3e p. sg tier deux petits savoyards d’une dizaine d’années
s’empoisonnent les vaches 3e p. pl qui chantaient, leur vieille au flanc et leur boîte à
fleurit le colchique 3e p. sg marmotte sur le dos. Tout en chantant, les enfants
sont tes yeux 3e p. pl interrompaient de temps en temps leur marche
s’empoisonne ma vie 3e p. sg et jouaient aux osselets avec quelques pièces de
monnaie qu’ils avaient dans leurs mains, toute
La suppression de la ponctuation crée des ambi- leur fortune probablement.
guïtés : une lecture rapide pourrait faire de « tes
yeux » le sujet de « fleurit » (v. 5). L’observation 10 Savoir reconnaître le pluriel
des accords permet de lever cette ambiguïté qui et le singulier collectif
cependant renforce l’assimilation poétique des
yeux à la fleur de colchique. Noms Noms Noms massifs
comptables collectifs
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