Ebook Patrick Bellet - L Hypnose Pour Rehumaniser Le Soin
Ebook Patrick Bellet - L Hypnose Pour Rehumaniser Le Soin
Ebook Patrick Bellet - L Hypnose Pour Rehumaniser Le Soin
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6547-3
L’HYPNOSE
ET L’IMAGINATION
CRÉATRICE :
UN APPRENTISSAGE DANS
LES PAS D’ERICKSON
CHAPITRE 1
L’hypnose,
une disposition naturelle
Salut Patrick,
Bonjour Clara,
Les mots que tu auras trouvés et qui forment la colonne de droite sont
tous des équivalents, des synonymes de « beau », des facettes de la beauté
maintenant plus vivante et personnalisée et qui contribuent au soulagement.
Ce que nous considérons comme « beau » est ce qui est en accord, en
harmonie avec nous. Un rapport apaisé. Une relation rétablie. Pour
cicatriser.
Réhumaniser les soins passe par la « beauté » des lieux de santé,
hôpitaux, cliniques, cabinets privés etc. Notre influence sera limitée pour
d’évidentes raisons, les plus absurdes sont souvent de ne pas demander leur
avis à des gens qui vont travailler dans ces locaux. Les exemples sont
nombreux de dysfonctionnements hospitaliers liés à la méconnaissance des
exigences de nos métiers. L’ergonomie des lieux passe aussi par
l’esthétique.
LE PETIT DÉJEUNER
LA MÉTAMORPHOSE
Prenons un mot, peut-être pas au hasard… Métamorphose.
Changement.
La nature joue à ce jeu en permanence et les hommes tentent souvent de
traduire graphiquement ce phénomène. Un des précurseurs de cette
technique est J.-J. Granville, génie de la caricature, qui mit son talent de
dessinateur et surtout de visionnaire au service de la transcription de ses
rêves diurnes sous forme d’images. À tel point que les surréalistes
reconnaîtront en lui un maître et un éclaireur.
Ce qui est représenté sur cette image est une séquence de
transformation. Cela te semble banal, mais à l’époque, il est novateur de
suivre un mouvement dessiné dans un seul et même cadre. Comme si
Granville tentait de nous montrer le cheminement de son esprit, les étapes
évolutives de sa pensée.
Ou bien un autre. Trouve tous les mots qui commencent par le mot
« beau » ou le son « bo ».
Ce mot, laissons-le agir, laissons-le se dissoudre. C’est un véhicule dans
lequel embarquent des couleurs, des paysages, de la musique, une saveur,
un visage, que sais-je. Laissons le mot « beau » attirer à lui ce qui est un
appel personnel. Découvrons ce que le mot « beau » veut dire pour soi. Soi,
seul. Nul besoin d’en rendre compte. C’est peut-être très personnel. Le beau
fait du bien. Toujours.
Ici, ce qui advient est protégé. C’est une réserve privée. Il y a peut-être
des recoins où le beau s’est installé, dissimulé sous des couches
accumulées. Grattons-les. Restaurons ces découvertes. Elles nous
appartiennent.
Ainsi à partir d’une syllabe ou d’un phonème on peut décliner pour soi
une série d’associations :
plage, plate-bande, placard, plateau, planisphère, placenta, place,
platitude ;
âge, âgé, ajout, ajouter, agité, agissement, agent, agencer, agenda ;
ou bien évoquer à partir d’un mot, plage, tout un univers : sable, été,
vacances, mer, château de sable, soleil, parasol, baignade, serviette,
beignet, glace, tong, etc.
Voilà des associations commodes et faciles, cependant plage peut
évoquer Bormes-les-Mimosas, camping, sable brûlant, cabine de plagiste,
dunes, chips, hamac, pain de glace, orage sous la tente, méduses, etc.
C’est ça aussi l’imagination. Déjà jouer. Puis apprendre en jouant.
Tracer. Colorier. Puis dessiner. Représenter plus ou moins
explicitement.
L’hypnose :
un mode de réanimation intellectuel ?
Maintenant voici quelques techniques plus élaborées.
Observer sans calibrage, c’est exercer son attention avec curiosité. Sans
préconçu. Capter et focaliser. Se placer au centre d’un espace à partir
duquel les sens s’exercent de façon centrifuge et centripète. Simultanément.
Tu verras, au début, tu ressentiras peut-être une sorte de désorientation ou
bien d’emblée une plus grande stabilité, un ancrage. Remarque aussi que le
temps s’est écoulé. À ton avis, depuis combien de temps es-tu en train de ne
rien faire d’autre que d’être avec toi-même ?
Observer sans juger, sans but. Simplement relever, repérer. Ce n’est pas
facile. Depuis si longtemps nous avons appris, ou on nous a inculqué que
les choses avaient un but, une raison, qu’il fallait que cela serve à quelque
chose sinon c’était une perte de temps, du gaspillage ! Toujours rendre
compte et expliquer. Une démarche peu compatible avec la rêverie. Alors
s’absorber dans une « contemplation » est-ce bien intéressant ? À quoi ça
sert ? Le premier apprentissage parallèle, c’est-à-dire non prévu, c’est
d’apprendre à être ici et maintenant. Vivant. Et répondre par avance à la
question qui se posera, éventuellement, plus tard : « Y a-t-il une vie avant la
mort ? »
Qu’est-ce qui est utile ? Qu’est-ce qui est inutile ? Souvent règne la
confusion des temps avec pour conséquence une injure faite au futur. Cela
ne sert à rien de l’apprendre car je n’en aurai jamais besoin ! Une décision
dictée par une sorte de logique qui fait de l’ignorance une compétence !
Il faut prendre le risque ou plutôt assumer de ne pas calculer. Ce
moment précieux, suspendu a déjà un parfum de liberté, d’émancipation ou
plus simplement de disponibilité, de disponibilité à soi-même. Disponible à
soi-même c’est retrouver la possibilité de rêver, voire songer. Quitte à être
provocant : « L’hypnose serait-elle un mode de réanimation
intellectuelle ? » À l’opposé de toutes les opinions admises. Quoi qu’il en
soit Erickson définit, entre autres, l’hypnose comme une façon de sortir des
limitations acquises. Et ne pas reculer devant des apprentissages inutiles !
CHAPITRE 2
L’hypnose,
sortir des limitations acquises
Entrer en soi-même
Clara, perfectionne ton entraînement. Observe les moments de loisirs,
décris-les, notamment les éléments dynamiques. Capte le rythme, cherche
la pause, la mi-temps, le répit, le repos, la roue libre, la planche, la sieste, ce
moment précieux où sans faire de bruit, de mouvement, l’assimilation
s’opère et s’intègre. Comme une sorte de décantation mentale qui permet de
séparer les parties de densité différente. Surtout ne pas brusquer le
mouvement, ne pas remuer. Observer le mouvement lent qui dépose au fond
de la carafe la partie la plus lourde, la plus pesante et libère la limpide
fluidité de la boisson.
DÉCANTE !
Maintenant, passe à l’application, surtout quand tu sens la fatigue
t’assaillir. C’est le moment.
Tu es fatiguée. Une nervosité que tu connais bien revient faire assaut, te
taraude et telle la mouche du coche te pousse droit devant, plus vite encore
au risque du burn-out.
Si tu sens que cette fatigue t’accapare, alors décante !
Henri Gougaud :
le conte nourricier et protecteur
Comme tu le vois, Clara, il s’agit de représentation, d’analogie, de
formes. Pour aider ton imagination à se développer, les contes sont des
« aliments » propices, fortifiants, nourrissants. Une source aussi.
Les contes créent une ambiance. Ils te parlent indirectement. Si tu les
dis à un sujet en état d’hypnose leur portée est accrue.
Voilà un entretien avec Henri Gougaud, l’un des plus fameux conteurs
actuels.
PATRICK BELLET – Henri Gougaud, vous avez écrit des chansons, vous avez
créé des émissions à la radio, vous êtes romancier et conteur… Quel est le
point commun de toutes ces activités ?
HENRI GOUGAUD – C’est la parole, bien sûr ! Et, ce qui permet que la parole
H.G. – C’est une vieille croyance, une conviction de gens qui n’estimaient
pas la lampe de la raison forcément indispensable à l’exploration des
mystères de la vie, mais qui faisaient grand cas de l’art du sentir, du flair, de
la connaissance sensible. Une manière plus aventureuse, certes, d’approcher
les choses, mais peut-être aussi (qui sait ?) plus pénétrante.
Les peuples dits primitifs considéraient assez communément les contes
comme des êtres vivants. Il m’a été rapporté que les Indiens de la cordillère
des Andes estimaient qu’ils étaient semblables à des oiseaux que seuls
pouvaient voir ceux qui percevaient l’au-delà des apparences. « Ils sont,
disaient-ils, amenés par le vent dans les villages, ils nichent dans les arbres,
comme de vrais oiseaux. Ils viennent parfois se percher sur la tête d’un
homme. Cet homme croit qu’il se souvient d’une histoire, mais non, c’est
l’histoire qui a faim d’être entendue. Elle fait partie, comme nous, de la
chaîne de la vie, elle désire être nourrie de mots afin de prendre les forces
dont elle a besoin pour aller plus loin, dans d’autres villages. » En Afrique,
on considère également le conte comme une entité douée d’une force
propre. Interrompre son récit porte malheur au perturbateur, et le conteur
s’empresse de prévenir l’Esprit du conte, de se justifier auprès de lui, afin
d’éviter toutes représailles : « Ce n’est pas moi qui t’ai coupé, s’il te plaît ne
me coupe pas. […] »
L’alternative, utilisable ou non, efficace ou non, me semble plus
intéressante. Ainsi j’ai décidé, un jour, de faire comme si les contes étaient
vivants. J’ai joué le jeu, pour voir. J’ai fait en moi, pour certains d’entre
eux, une sorte de nid, je les ai gardés comme on garde en soi le visage, la
voix, la présence d’un ami, d’un être cher. Je leur ai parlé, j’ai essayé de les
connaître, sans pour autant chercher à violer leur intimité. J’ai fait avec eux
comme l’on fait quand on désire entrer dans l’amitié de quelqu’un. Je leur
ai demandé comment ils voulaient que je les raconte, ou ce qu’ils
pouvaient, ce qu’ils avaient envie de me dire. Me sont alors apparues des
choses que je n’avais jamais soupçonnées, malgré la longue connaissance
que je croyais avoir d’eux. Ils sont maintenant mes familiers, et j’éprouve
un bonheur à les dire dont j’aurais du mal à me passer. […]
On peut se poser la question de ce que pèse le conte, dans le tumulte des
mille bruits et lumières du monde. Ce qu’il pèse ? Le même poids qu’une
pomme face à la famine. Dans le monde, rien. Dans la vie, pour celui qui la
mange, elle peut être un miracle, l’aube d’une renaissance.
Le monde et la vie : ne pas confondre. Au coin de mon immeuble, sur le
trottoir, une touffe d’herbe s’est frayé un passage dans une fente de béton.
La vie, c’est ça. Une incessante poussée vers le haut (l’inverse de la
pesanteur, en quelque sorte), une impatience, une force qui sans cesse nous
attire, qui nargue la mort, qui la nie même, qui la repousse tous les jours à
demain. La vie, c’est le désir de perpétuer notre présence au monde. C’est
aussi notre relation aux choses. C’est notre appétit, notre envie de ne pas en
démordre. Or les contes sont des nourritures. Ils ne sont pas les seuls, bien
sûr, à apaiser nos famines. Tous les arts devraient, à mon avis, y concourir.
p.b. – Dans Le Rire de la grenouille, vous parlez beaucoup de la relation.
h.g. – Oui. Au-delà de l’histoire dite, le conte est par excellence un art de la
relation. Le double sens de ce mot a de quoi nous tenir aux aguets. Une
relation est un récit, c’est aussi un lien qui unit deux êtres. Sur le premier
sens, pas de commentaire. Le deuxième m’importe plus. De quoi s’agit-il
quand on raconte au niveau le plus quotidien, entre amis ? De faire rire, ou
d’émouvoir au travers d’un récit qui nous a nous-même amusé ou ému,
d’établir entre deux ou plusieurs êtres une même longueur d’onde, un
unisson. De donner tort, un moment, aux froideurs du dehors et du dedans
qui vouent notre vie à la solitude. Puis-je parler de communion ? Elles ne
sont pas toutes solennelles, il en est d’infiniment simples. Ce sont peut-être
celles-là qui font le plus de bien. Certains pensent que la véritable
transmission de connaissance ne peut être qu’orale.
P.B. – Qu’est-ce qui fait qu’on captive ?
H.G. – Dans l’art du conte est un constat fondamental, qui s’applique
H.G. – Si l’on se figure un métaphorique arbre des arts, on peut estimer que
les racines de cet arbre plongent dans la magie primitive. […] Pour ce qui
concerne les arts de la parole, le lieu où se tient le conteur est le tronc de
l’arbre, entre les racines et les deux branches maîtresses de la littérature et
de l’art dramatique. C’est dans ce sens-là que le conteur est un Ancien. Non
pas forcément un vieil homme, mais un être qui se souvient des racines. Un
passeur de sève. Un serviteur de la vie, de cette force désirante qui pousse
sans cesse à franchir un jour de plus, une nuit de plus.
P.B. – Dans Le Rire de la grenouille, vous développez nombre d’idées
entretien va m’inspirer quelques idées pour une petite fille que je connais
bien. Elle s’appelle Adèle.
LA SUBJECTIVITÉ DU TEMPS
« Bonjour Adèle.
– Dis. C’est quoi le temps ?
– Ah ! Là ! Là ! Le temps. C’est la chose la plus précieuse qui existe,
Adèle. »
À 3 ans, personne n’est blasé et je te souhaite de conserver toujours ta
capacité d’émerveillement. Le temps, voilà une chose difficile à apprendre.
Personne ne l’a vu, mais sa présence est indéniable. Tu en entends parler
partout, à la maison, à l’école et en dehors aussi.
Comme il est précieux, les grands disent que c’est de l’argent ! L’argent
c’est ce qui sert à acheter plein de choses. Tu vois ! Ça compte.
Alors c’est pour ça qu’il faut se dépêcher, sinon on perd du temps et au
bout du compte de l’argent. Il n’y a pas d’autres raisons à la vitesse que
celle-là. Même si on ne perd pas de l’argent maintenant ; on pourrait… on
ne sait jamais. Quand on ne sait jamais, il vaut mieux se dépêcher, comme
ça, on n’aura rien à se reprocher.
Prendre son temps, c’est prendre un risque, c’est dangereux et puis c’est
mal parce que tu fais le paresseux, le feignant.
De toutes les façons, prendre son temps c’est difficile. Déjà, nous en
parlons comme s’il nous appartenait. C’est drôle, lorsque nous le prenons,
nous devrions nous enrichir eh bien non, on s’enrichit quand on ne le perd
pas ! Les gens s’agitent pour ne pas en perdre, voire pour en gagner, mais
où le placent-ils ? Où est le compte du temps ? Existe-t-il une banque pour
le temps ? Délivre-t-elle des intérêts ?
Pour ceux qui l’ont perdu, existe-t-il un bureau du temps perdu ? Ou
une consigne ?
D’autres moins impliqués et plus ambigus le laissent passer, ils ont pour
ça un passe-temps avant qu’il ne devienne un temps mort. Pas un loisir. Il y
aurait du plaisir, non plutôt quelque chose qui les occupe. Le vide, le vague,
l’indéfinissable est inconcevable, être occupé est la solution, pas la
libération. À moins que, désespérés, ils ne le tuent. Oui, tu as bien entendu.
De véritables tueurs récidivistes et idiots, croyant commettre le crime
parfait : pas de cadavre, pas de mobile, pas de témoin, pas d’arme. Ils
oublient que le temps avec son échelle a réussi à prendre la fuite pour
ressusciter. L’acharnement à cette lutte immobile condamne ces tueurs à la
tristesse, au repli.
Heureusement, tu trouveras de plus généreuses personnes qui
n’hésiteront pas à le partager et jusqu’à en perdre la raison en y passant un
temps fou. Souvent, ils se la coulent douce, sereins, comme si la vie était un
long fleuve tranquille. Comme si le temps était lui aussi telle une rivière qui
s’écoule sans remous. Ou pas trop quand même.
Dans ce cas, Adèle, reste un peu à distance du bord, le temps n’est pas
un cours d’eau, il ne va pas d’un amont à un aval dans un seul sens.
Dans nos séances, le temps est eau, vapeur, pluie, rosée, glace. Il est
germe, graine, plante, arbre, feuille, fleur, fruit. Il est vent, air, soleil, ciel.
Cyclique. Saisonnier. Et tu as su jouer avec les éléments et cultiver ce
territoire, ton jardin intérieur est déjà bien fleuri.
Certaines personnes ont tout leur temps. Celles-là font souvent des
envieux. Elles n’ont plus besoin de faire quoi que ce soit. Avoir du temps,
c’est comme n’avoir besoin de rien. Un apogée. Une consécration en
somme. Avoir tout son temps, un rêve extraordinaire.
Dans l’ancien temps, il y a très longtemps, selon une tradition qui
remonte à Hésiode, au VIIIe siècle av. J.-C., les premiers hommes apparurent
au temps de Cronos, l’ogre et le tyran de la mythologie grecque, pendant
lequel ils connurent l’Âge d’or, vivant sans aucun souci, sans même avoir
besoin de travailler.
Ces heureuses personnes racontent comment le mesurer. Les
instruments de mesure sont nombreux pour apprécier son existence ; si bien
que l’instrument de mesure est considéré comme la preuve de son
existence. Le sable du jardin, qui s’écoule d’une goutte vitrée à l’autre,
trinquant à jamais au bon vieux temps. La culbute du temps, un temps
acrobate qui aide à conserver la durée identique à elle-même.
Immuablement. Nos ancêtres se fiaient au soleil et à l’ombre du stylet
s’étirant, plus ou moins vite, sur le cadran. L’éventail des heures est ouvert,
mais son battement s’accélère ou ralentit, selon la saison. Il est des
moments d’éternité. Cependant face à cet absolu, de plus perspicaces
tiennent le bon bout depuis un sacré bon bout de temps !
Au-delà des tentations, des excès, nous sommes simplement là et le
reste s’organise en fonction de notre désir, de notre volonté.
Voici quelques exemples approximatifs et très subjectifs.
L’instant : unité strictement équivalente au bout de temps et à l’éternité,
mais qui accorde à l’intervalle mesuré un préjugé de décontraction,
d’aisance et de légèreté.
2
La minute : unité de temps à venir, utilisée pour une mesure a priori.
Malgré ce que laisse supposer une homonymie aussi fâcheuse que fortuite,
cette unité n’a aucun rapport avec la soixantième partie de l’heure. Ses
sous-multiples sont la petite minute et la seconde, mais ils n’apportent rien
sur le plan de la durée.
Exemples : « Je vous appelle dans une minute », ou bien « Je vous
appelle dans une petite minute », ou bien « Je vous appelle dans trois
minutes », ou bien « Je vous appelle dans une seconde » ne constituent
qu’une suite de promesses, généralement non tenues, qui n’ont aucune
différence temporelle relative entre elles.
Tu verras, Adèle, comment t’y prendre encore mieux. Déjà tu sais jouer
malicieusement avec la patience des adultes. Une autre façon expérientielle
de nommer le temps…
Maintenant, je retourne voir Clara.
Excuse-moi, Clara. Adèle est venue interrompre notre échange. Aussi,
quand tu veux évoquer un paysage contemplatif, utilise un procédé
descriptif qui découpe l’espace en différents axes ou points de vue comme
s’il existait plusieurs observateurs. Bien sûr, il convient de commencer par
le point de vue central, celui du sujet, avec un axe centrifuge : « Votre
regard se porte à l’horizon… », puis un autre angle : « Un oiseau plonge
dans l’eau », « La brise marine vous apporte l’air du large », « Le ressac
inlassablement rythme cette journée d’été », autant d’actions qui nous sont
extérieures. Que nous en ayons conscience ou pas, elles sont indépendantes
et existent en elles-mêmes. La séquence descriptive est fictive, il est
plausible que ces actions se déroulent simultanément, favorisant une
ambiance contemplative, presque immobile. Loin d’une course au but, il
s’agit d’établir un territoire pour un chemin cyclique souvent mystérieux.
Capter plus que conquérir.
Ce rythme narratif crée des intervalles, des interstices propices à une
respiration plus ample pour le sujet. Le réflexe habituel est de remplir,
combler un « vide » de peur, de peur… de quoi ? L’anxiété est déjà là.
Même si c’est une peur « altruiste », cette émotion sera ressentie par le
sujet, mais rarement comme de la compassion. Il sait, intuitivement, se
servir du rythme, de la place qui lui est donnée.
Graphiquement, notre œil reconstruit ce qui manque.
ILLUSION, ILLUSION,
EST-CE QUE J’AI UNE GUEULE D’ILLUSION…
Bien sûr, la liste n’est pas exhaustive, mais tu remarqueras que tous les
domaines de notre vie sont concernés par un élément végétal, voire
plusieurs et souvent de façon contradictoire. Peut-être en raison de nos
paradoxes anthropomorphes…
LE RÊVE DE L’ARBRE
Nous sommes très anciens, nous les végétaux sur cette terre. Sais-tu que
nous y vivons depuis 380 millions d’années et que nous t’avons protégé, toi
l’homme, dans l’entrecroisement de nos branches avant que tu n’en
descendes pour accomplir ton destin il y a seulement 3 millions d’années ?
Je vais te raconter une histoire.
Vas-y ! Embarque dans cette pirogue devant toi !
Bien sûr au début, elle va tanguer un peu, avant de quitter la berge pour
trouver son équilibre.
Elle glisse silencieuse, sans rameurs…
Les pagaies invisibles, pourtant, s’accordent au clapot sur la coque et
jouent la musique du fleuve. Peut-être des barrages, des retenues
apparaîtront qui s’effaceront aussi facilement que ta main écarte un
rideau…
Cette histoire, c’est l’histoire de l’inaperçu, de l’évidence indiscernée.
Tu es souvent inconscient de tout ce que tu possèdes, de tes ressources
souvent gaspillées.
Regarde-nous les arbres, les plantes !
Regarde ! Regarde !
Nos feuilles, nos palmes sont de vastes surfaces fixes et apparentes, nos
racines sont d’immenses espaces internes et souterrains. Et pourtant c’est
grâce à l’espace intérieur de ce tronc évidé que tu occupes, que maintenant
tu flottes dans cette pirogue au milieu du fleuve.
Le début d’une transportation.
Tu es au centre de l’intérieur, dans le creux et l’intime et qui s’appelle
aussi « lumière » dans les vaisseaux qu’ils soient véhicules ou réseaux,
mobiles ou immobiles…
Goûte au très léger bercement de cette pirogue qui t’emmène plus
loin…
Elle est comme le calame, le roseau entre les mains du calligraphe sur la
feuille. Écoute son bruissement, écoute sa trace, elle ourle la surface de
l’eau d’une ondulation fluide et souple. Un effleurement méditatif.
Le creux mélodique de la flûte, l’intime percussif du tam-tam qui
résonne ; voilà aussi ce qui vit au cœur de nos fibres.
Le voyage continue, à son rythme, en suivant les méandres du récit
fluvial.
Le fleuve est une fable…
Regarde encore… Là-bas, un quai de fortune se dessine. Accostage
discret, seulement connu de toi.
Transbordement.
Peut-être un jardin secret. Avec ses arbres silencieux et chantants !
Nous, les arbres, sommes le lien entre l’air et la terre, comme la mèche
de la lampe à huile, un lien entre deux milieux complémentaires.
Un lien qui capte la lumière ou bien qui la rayonne…
Un ami me l’a dit il y a bien longtemps : le récit, c’est passer d’un
temps à un autre.
Nous accompagnons tous les temps de ta vie. Comme attaché au charme
discret de ton être. Nous sommes dans les charpentes des maisons pour
t’abriter, dans l’étayage des mines pour t’enrichir, dans les meubles, table,
chaises pour ton repos, les baguettes pour manger, dans le parquet pour ton
confort, la cheminée pour te réchauffer. Et aussi dans ton intimité. Quand tu
graves tes serments d’amour sur notre écorce, en un tatouage à la fois
maladroit et charmant. Nous sommes dans tes armoires et tes bois de lits
pour les secrets de famille. Et même plus tard dans ton cercueil pour le
dernier voyage comme un radeau pour l’au-delà…
Rien de ce qui est humain, conscient ou inconscient, ne nous est
étranger.
Nous sommes la partie qui prend soin de toi.
Goûte à cette balade, calme et tranquille, dans la lumière ombragée du
sous-bois. Issues de tous ces troncs, branches et racines, des idées germent
et bourgeonnent !
Respire la paix qui émane de cette forêt, hume nos parfums, déguste nos
saveurs, nos épices et même apprécie notre aide, tel un remède parmi
d’autres, comme celui du saule dont l’écorce soulage tant de douleurs. Tu
as, peut-être, oublié que l’aspirine en était son secret salvateur et remarqué,
et comme il y a davantage de plantes médicinales que d’animaux
médicinaux…
Écoute le chuchotement des buissons…
Écoute les frissons de la mousse, en connivence, qui ruisselle de
confidences poudrées de miel…
Sensuelles.
Je voudrais te dire l’un de mes secrets. Précieux.
Quand tu observes une plante : c’est le temps lui-même qui apparaît.
Nous sommes là depuis si longtemps. Je suis toujours étonné de ce
rapport à la lumière, sans laquelle la vie ne serait pas. Immobiles, nous la
recevons et la transformons en énergie. Par hasard ou par chance, un jour, tu
as reçu une étincelle, une flamme et ta vie a changé. Tu as grandi, mais
nous sommes le combustible, la matière même du feu. Nous sommes ton
gîte, ton couvert et ton énergie et aussi capables de concentrer et de
déployer les plus infimes parcelles d’entre nous à travers l’espace, l’eau, le
sol. Nulle épaisseur, nulle dimension qui ne nous soit pas familière.
Nous sommes ta mémoire, même les herbes folles s’en font l’écho dans
ta fantaisie, ta persévérance et peut-être tes utopies ? Il suffit, peut-être, de
ne pas les cueillir !
Tu es entré dans le songe d’une herbe, le rêve d’un arbre.
Ce mouvement, le vent, qui caresse ton visage, fait bouger nos
branches, onduler les prairies et disperse nos graines. Notre tuteur est le
vent. Sois notre partenaire. Viens danser !
Découvre cette transe, au-delà et à travers elle, tu connaîtras des univers
symbiotiques qui ordonnent notre permanente croissance.
Notre embryogenèse est indéfinie, ouverte, adaptative et même
voluptueuse…
L’un de tes amis est venu nous rendre visite, il y a déjà quelque temps.
Un collaborateur très proche d’Erickson, son nom est, je crois, Ernest
Rossi. Ses recherches sur la génétique sont en affinité avec nos capacités
quotidiennes à posséder plusieurs génomes différents sur la même plante.
Toute l’exubérante imagination végétale est là dans ces greffes,
mutations et variétés qui coexistent dans un même individu.
Rêve ! Rêve à ces belles et fécondes hybridations qui s’offrent à ton
esprit !
Tu changes le monde, sans savoir ce que tu fais exactement. Depuis
notre naissance, nous avons assisté à bien des bouleversements.
Suffocation, dessèchement, banquise, éruptions.
Beaucoup d’entre nous, les plantes, les arbres sont morts. Qui se
souvient encore de leurs noms ? Transmutés ! Nous nous appelons
dorénavant charbon, gaz ou pétrole. Ressources fossiles, dites-vous.
Presque un oxymore… Vous tirez de nous l’énergie accumulée durant des
millions d’années.
Tu es individualiste et tu penses qu’il en est de même pour nous… Ne
crois pas cela ! La plante explore l’espace et l’organise. Nous connaissons
les diagonales, les courbes transversales, les trajectoires qui ricochent…
Nous nous ramifions.
Nous sommes des êtres collectifs, une association d’individus unis,
s’entraidant les uns les autres et travaillant à la prospérité de tous.
Un arbre peut se subdiviser en autant de nouveaux plants distincts qu’il
possède de rameaux ; à son tour le rameau peut en fournir autant qu’il
possède de bourgeons. Une colonie autant dire…
Et cela va peut-être t’étonner. Nos cellules sont totipotentes, capables de
se transformer en n’importe quelle partie de nous-mêmes.
Seules tes cellules embryonnaires le peuvent et le secret de notre
longévité réside, probablement, dans cette propriété.
Et surtout, surtout nous avons le temps.
Nous sommes le temps !
Du tronc, nos branches peuvent descendre, se courber et prendre racine
pour ensuite se redresser et devenir un nouveau plant.
Du sol, nos racines aussi se développent transversalement et de celles-ci
naissent des troncs indépendants.
Nous sommes des funambules ! Maîtres de l’équilibre !
Même quand l’un de nous est jeté à terre et qu’il ne lui reste plus que
quelques fibres reliées à sa souche, il peut encore donner naissance à
d’autres arbres.
Notre mémoire, gardienne de nos expériences, est notre ressource. La
moindre brindille possède ces secrets. Le temps exprime notre résilience.
Nous savons cicatriser, naturellement.
Écoute encore. Une autre chose qui, peut-être, t’intéressera…
Pour un animal, dans l’immense majorité des cas, le diviser c’est le
détruire ; mais pour une plante diviser, dissocier c’est la multiplier.
L’amputation d’un fragment entraîne, au mieux, une cicatrisation de
l’animal ; par contre nous savons régénérer les parties amputées et tes
jardiniers ne se privent pas d’en user et souvent abuser.
La partie la plus précieuse est le bourgeon par qui nous nous déployons.
Et si les conditions s’y prêtent, l’adaptabilité de nos cellules permet tout
d’abord de perdre puis d’oublier totalement leur différenciation et
transmettre leur totipotence en redonnant un organisme complet.
Tout ce que je te raconte n’est, peut-être, pour toi qu’« hypnothèses » !
Des hybridations mentales !
Bien sûr… Il s’agit d’un rêve, un balancement sur un fleuve tranquille
aux berges touffues…
Cependant, laisse aller cette idée, aussi souplement que la pirogue suit
le cours de l’eau.
Que représente le végétal pour toi ?
Dans cette rêverie, observe, observe encore… Et regarde comment
l’imagination crée les liens qui nous unissent.
Tout dire sans un mot.
Nous, les plantes, devons trouver des solutions sur place, tout de suite,
pour respirer, vivre et nous reproduire, et en étant altruistes de surcroît !
L’enjeu est de taille : attirer et repousser nos prédateurs avec des systèmes
de défense qui tiennent compte de notre fixité.
Tu sais, un peu comme un paralytique, et tu en connais peut-être un,
obligé de développer des capacités extrêmes de sociabilité et d’innovation
faute de pouvoir bouger… Erickson peut-être…
L’animal n’a en tête que de manger, vite, beaucoup, souvent ; c’est une
question de vie ou de mort.
Alors, nous allons lui parler par le ventre !
Tu aimes l’odeur de l’herbe coupée, fraîche et acidulée ? Eh bien les
oiseaux aussi, car elle leur signale la présence accrue d’insectes attirés par
la blessure de nos tiges et la perspective d’un bon repas.
Avec un tempo plus paisible, nous allons prendre en main, discrètement,
ce perpétuel affamé qu’est l’animal.
Certains arbres, assez doués je dois dire, comme les acacias caffra
acceptent de servir de nourriture pour les koudous, mais dans une certaine
mesure. Ils savent avertir les autres acacias de la présence des antilopes par
l’émission de substances qui les obligent à remonter au vent afin de ne pas
goûter à des tanins toxiques émis à leur intention. Nous les guidons vers la
sortie de notre verger en quelque sorte…
Notre altruisme va jusqu’à rendre service même à ceux qui nous causent
du tort et Bouddha avait lui-même remarqué que la forêt avait une
gentillesse et une bienveillance illimitées en offrant son ombre aux
bûcherons qui la coupent !
RÉDACTION
Capter l’attention
Pour aider au changement et penser différemment, il convient de capter
l’attention. L’amorce est parfois délicate, un démarrage de consultation
permet de capter l’attention.
Mme C. m’a déjà consulté pour diverses petites choses. Aujourd’hui,
c’est plus grave. Son mari l’a quittée. D’un coup, comme un coup de
tonnerre dans un ciel serein… C’est du moins la façon dont elle le dit. Elle
ne comprend pas. Mme C. est sidérée et fatiguée. Cependant, avant tout elle
ne dort plus. Ses nuits sont agitées par des cauchemars dans lesquels son
mari vient la tourmenter. Depuis quinze jours.
Embarrassé par la pauvreté de renseignements à l’interrogatoire, j’opte
pour le « détour » et laisse flotter mon regard sur mon bureau. Vaste espace
encombré et « pittoresque ». Et mon regard s’arrête sur une page de
publicité d’un magazine dans laquelle est photographiée la une d’un
journal. Sur celle-ci un portrait est « graffité ». Des lunettes, des oreilles de
Mickey et des moustaches ont été rajoutées à un visage austère.
Revenant à Mme C., je lui demande avec aplomb par un « coq-à-
l’âne » :
« Connaissez-vous Mickey ? Vous savez, la souris avec de grandes
oreilles…, ce qui ne manque pas de l’étonner.
– Oui, répond-elle, un peu hésitante.
– La créature de Walt Disney avec ses grandes oreilles, vous voyez ?
– Oui, oui.
– Et là, maintenant, vous me voyez devant vous ?
– Oui, bien sûr.
– Oui ?
– Oui !
– Alors, maintenant, mettez-moi des oreilles de Mickey sur la tête ! »
Elle rit. Après l’avoir laissée profiter de cette surprise, j’ai ajouté le
commentaire suivant : « Cette nuit, il est fort probable que votre mari
revienne vous voir… Je ne serais pas étonné qu’il ait des oreilles de Mickey
sur la tête… »
Et elle rit à nouveau.
Le mari était bien au rendez-vous, mais sa présence beaucoup moins
terrifiante ! Elle ne luttait plus contre, mais avait transformé sa présence.
Cette patiente, envahie par cette « vision », avait accepté les symptômes
en en modifiant une partie pour donner du mouvement au reste. Il lui fallait
s’en débarrasser pour dormir d’abord, résoudre d’autres difficultés et
évoluer ensuite.
Un mode de pensée en « images », en réseau, avec des mises en relation
de type figuratif qui associe souvent des éléments très hétérogènes, dénués
apparemment de tout point commun. La pratique de l’hypnose, sous cet
angle, m’a fait découvrir d’autres mondes : l’édition, la typographie, la
reliure, le papier, les images. Tous ces univers parallèles à celui du soin ont
fini par se rejoindre dans la transmission, l’échange des connaissances.
LES COUVERTURES POUR CAPTER
« Dis, Patrick, c’est quoi tous ces livres, toutes ces revues dans tous les
sens sur la table, par terre, sur les fauteuils ?, me questionne Adèle.
– Ce sont des objets qui contiennent des trésors !
– Des trésors ?
– Oui, oui, mais pas des choses qui coûtent cher. Seulement précieuses.
Tu sais, comme la boîte à bisous qui est dans ta chambre avec plein de
bisous de Doudou, de Maman, de Papa et de tous ceux que tu aimes et qui
t’aiment aussi. On ne les voit pas les bisous, mais on les sent bien quand
même.
– Dis-moi, c’est quoi, c’est quoi tous ces bouquins ?
– Bon, ils ont des points communs. Souvent, ils en ont neuf ! Pour sortir
des sentiers battus. Regarde, la première couverture a un carré noir avec
Phœnix écrit à l’intérieur. Regarde mieux, ce n’est pas vraiment un carré.
Les lettres sont les passages entre l’espace autour et l’intérieur. Elles font le
lien entre les lecteurs et les auteurs. Plus tard est venu de SENSus qui dans
sa forme et sa mise en pages est un hommage à la revue Planète qui m’a
orienté vers l’acupuncture et l’hypnose. Là, tu vois une autre revue qui est
venue ultérieurement Hypnose & thérapies brèves et dont toutes les
couvertures sont des images de ce que peut être l’hypnose. Bien sûr, ce
n’est pas évident. C’est le jeu.
Je te disais l’autre jour comment le lien entre les gens est une chose
aussi très précieuse. Henri Gougaud insiste sur la notion de reliure
également. Le premier numéro d’Hypnose & thérapies brèves en 2006
contient presque tous les mêmes auteurs que le dernier numéro de Phœnix
dont je me suis occupé en 1992 et l’un des derniers Hypnose & thérapies
brèves sous ma direction a en couverture l’image contenue dans le premier
numéro de Phœnix. Avec une tige végétale qui passe au travers d’un cube-
pergola… Ces couvertures sont des mailles qui se tiennent. Maintenant
d’autres auteurs brodent d’autres fils. Le tissu s’étend, riche de leurs
apports. Il s’étoffe ! »
Figure 4.
Toutes ces images, ces couvertures sont des messages, des formes de ce
que peut être l’hypnose. Elles enveloppent, protègent et véhiculent une
pensée, une attention. Nul dogmatisme, une palette.
e
Regarde déjà au XVIII siècle, elle est la maîtresse qui réconforte le Dr
Deslon mis au ban de la corporation médicale et de la société tout court,
déchu de sa position de médecin du comte d’Artois, frère du roi Louis XVI.
Après que les commissaires du roi ont déclaré que le fluide animal était
inexistant, et que tous les effets observés dont les soulagements n’étaient
dus qu’à l’action de l’imagination. Le mot imagination est cité quatre-vingt-
quinze fois dans ce rapport d’une soixantaine de pages. Ainsi, il est admis
par de grands savants tels que Lavoisier, père de la chimie moderne, Bailly,
astronome et premier maire de Paris, Franklin, ambassadeur, physicien,
musicien et cofondateur de la Constitution des États-Unis, Jussieu,
naturaliste, Guillotin, médecin, tous autant curieux et inventifs, que
l’imagination est thérapeutique !
Figure 5.
Figure 6.
L’imagination à l’œuvre
L’ŒIL DU DÉBUTANT
L’accent suisse
M. L., 22 ans, est affligé d’un bégaiement majeur dont huit années
de traitements divers ne sont pas venues à bout. Il a quitté le lycée
précocement sans diplôme, n’a pas d’emploi et vit chez ses parents.
Le bégaiement, ses causes et/ou ses conséquences l’ont conduit à un
isolement social, cependant il maintient un contact avec autrui par
l’intermédiaire du sport.
Lors de la première consultation, M. L. me rapporte toutes les
difficultés qu’occasionne son bégaiement quasi permanent. La
moindre relation sociale comme aller chez le boulanger ou à la poste
est une épreuve qu’il affronte avec crainte et souffrance.
Soudain, sans ambages, je lui propose de parler avec l’accent suisse
et je lui en donne l’exemple. En lui parlant lentement, très lentement
comme des ronds dans l’eau qui s’étirent et qui reviennent,
tranquillement. Et quelques instants plus tard, après avoir intégré
rythme et mélodie, il parle sans accrocher avec l’accent suisse.
Surprise ! « Alors, il suffit de parler avec l’accent suisse pour ne
plus bégayer ! », s’étonne-t-il. « Eh oui ! Pour vous en tout cas ! »,
lui répondis-je.
Évidemment, une telle amélioration aussi rapide et radicale ne va pas
sans inconvénient. Après tant d’années de théories et de pratiques inutiles,
l’apparition soudaine d’une méthode aussi minimale qui réussit ne peut que
le laisser perplexe. D’autre part, cette nouvelle façon de parler le gêne,
notamment en famille avec son père avec lequel il s’entend mal…
Cette amélioration inattendue a permis d’ouvrir d’autres voies de travail
pour que, peu à peu, il puisse et accepte de parler de manière fluide en
quittant des schémas relationnels eux aussi hésitants. En jouant aussi sur le
paradoxe que l’accent suisse, qui lui permettait de parler avec beaucoup
plus d’aisance, était quasi indécelable par un auditeur non averti !
Comment est venue cette suggestion de parler avec l’accent suisse, je
l’ignore. Peut-être d’une référence à un bref stage de théâtre qu’il avait vécu
quelques années auparavant ? Cette explication est-elle une reconstruction
de ma part a posteriori ?
OHM :
organisme hypnotiquement modifié
En voici les principaux paramètres :
Formes et présentation :
Composition :
Indications :
Posologie et mode d’administration :
Contre-indications :
Mises en garde et précautions d’emploi :
Interactions :
Fertilité/grossesse/allaitement :
Effets indésirables :
Surdosage :
Pharmacodynamie dans ce cas hypnodynamie :
Pharmacocinétique dans ce cas hypnocinétique :
Prescription/délivrance/prise en charge :
L’hypnose est une langue vivante, faite de mots, bien sûr, et ils sont
fragiles, nous devons en prendre soin. Traiter le langage c’est aussi protéger
une part de notre humanité.
Les mots sont des véhicules, des formes organiques dotées de couleurs,
de sensations, de sons, de parfums et de saveurs. Ils sont une expression de
notre vitalité ; les dictionnaires des synonymes et tous leurs amis en
témoignent.
Notre vocabulaire est appauvrit par la réduction des mots employés
ainsi que l’infiltration d’expressions qui tendent plus à renforcer
massivement son point de vue qu’à le développer dans ses finesses, voire à
favoriser la conversation.
Voici quelques exemples de ces expressions paralysantes qui peuvent
aller du statut de commensal jusqu’au parasite, voire au poison en fonction
de la profondeur de leur infestation.
Donc. Commencer par la conclusion laisse peu de place au débat…
Donc voilà. Celle-ci a fonction de porter l’estocade ! Surtout quand on
n’a plus rien à dire.
Tout s’est bien passé ? Doute du restaurateur ? Il a pris des risques ?
Nous aussi ?
Si tu veux ? ou. J’hésite sur la ponctuation. Est-ce une question ou une
réponse implicite ? Demande-t-on un avis ou une approbation ?
C’est clair. Une approbation floue.
Du coup. Qui rend consécutif ce qui n’est souvent que successif.
Effectivement. Renforcement d’une approbation pléonastique.
Formater. Comme son nom l’indique.
Impacter. Idem élément de langage guerrier qui est très présent en
médecine avec ses alliés : cible, arsenal, arme, vecteur.
Gérer. Hélas de plus en présent dans la santé. Comme si le langage de la
gestion se greffait sur celui du « prendre soin »… Humaniser.
On est sur Marseille. Au-dessus ? Alors, on n’y est pas.
On a fait l’Espagne, on s’est fait un restaurant, un film, etc. Quelle
activité, quelle puissance ! Faire est-il synonyme de voyager, manger, voir ?
Un peu anthropocentré…
Positiver. Faire un effort.
Quelque part. Oui, où ça ?
Référent. Référent douleur = compétent en douleur. Pourquoi pas
référent soulagement = compétent en soulagement…
Solutionner. Mettre en solution. Diluer ?
Tout à fait. Oui ou non ?
Il faut lâcher prise. Et si tu tombes ?
Faut arrêter. Y a rien à faire !
Y a rien à faire. Faut arrêter !
Pour dessiner, il faut des crayons, pour la voix ce sont les mots. Il y en a
de fins, précis, durs, d’autres sont plus friables, doux, ou encore chauds,
absorbants, enveloppants, même élastiques, toniques, etc.
Plus la parole sera donnée (rendue ?) aux soignants et plus les patients
seront entendus et compris.
Avec l’hypnose, nous allons privilégier les verbes d’action. D’action
lente ! Ceux qui impliquent le temps dans sa durée.
Quelques-uns pour commencer, tu sais où trouver les autres.
Verbes d’action lente :
musarder, flâner, déambuler, folâtrer, promener, baguenauder,
randonner, marcher, grimper ;
sentir, humer, respirer, parfumer ;
toucher, caresser, effleurer, palper, pétrir, pincer, gratter, chatouille,
contact, douceur, frôlement, flatterie, enlacement, bain, délices, faveur,
bercer, cajoler, volupté, tâter ;
goûter, déguster, savourer, se régaler, jouir, succulent, délicieux, se
délecter ;
contempler, méditer, songer, rêver, attentif, découvrir, entrevoir,
observer, percevoir, remarquer, regarder, saisir/embrasser du regard,
distinguer, imaginer ;
discerner, déchiffrer, déceler, détecter, dénicher, dépister, deviner ;
imaginer, concevoir, construire, créer, envisager, évoquer, extrapoler,
forger, former, improviser ;
imbiber, décanter, immerger, baigner, flotter, nager, surnager, humecter,
humidifier, mouiller, hydrater, boire, pomper, absorber.
Il y a aussi tous les mots qui commencent par le préfixe « trans ». Il
ouvre les mots et leur donne du mouvement :
transaction ;
transborder ;
transcendance ;
transcription ;
transférer ;
transfigurer ;
transformable, transformer, transformation ;
transfuge ;
transfuser ;
transgresser ;
transiger ;
transiter, transitoire
translater ;
translucide ;
transmettre, transmission ;
transmutation ;
transparent ;
transpercer ;
transpirer ;
transplantation ;
transport ;
transposer ;
transversal…
D’autres, encore, sont intéressants. Ils décrivent des sensations
existantes non perçues. Très utiles pour notre travail sensoriel relié au temps
et à la conscience subjective que l’on peut en avoir… Tu vas voir, Clara,
c’est plus simple en les lisant :
invariable ;
insensible ;
invisible ;
inaudible ;
impalpable ;
imperceptible ;
indiscernable ;
insipide ;
insignifiant ;
insoluble ;
insoupçonné ;
indécelable ;
inattendu ;
incertain ;
incognito ;
inconnu ;
inconscient ;
incompris ;
incompréhensible ;
inconsistant ;
incroyable ;
invraisemblable ;
illisible ;
indéchiffrable ;
indicible ;
indéfini ;
inédit ;
inépuisable ;
inestimable…
À des degrés divers, ils te seront très utiles pour jouer sur des niveaux
variables de perception.
Ces analogies et ces métaphores sont des suggestions et nul besoin
d’hypnose pour en formuler. Ce n’est pas une nouveauté, Montaigne l’avait
déjà remarqué : « La parole est moitié pour celui qui écoute et moitié pour
celui qui parle. » Dans une approche hypnotique, il est important de ne pas
« médicaliser » de manière trop importante la vie des patients, cela peut les
rendre plus vulnérables, plus malades.
Prenons une référence dans laquelle l’hypnose est très souvent utilisée :
la douleur.
Par l’hypnose, on obtient des analgésies, des anesthésies segmentaires
dites en chaussettes ou en gants ne correspondant à rien de connu en
neurologie.
Le Dr Chertok, pour montrer l’intérêt et l’efficacité de l’hypnose,
prenait une pièce de monnaie et l’appliquait sur l’avant-bras d’une personne
en lui suggérant que cette pièce de monnaie était brûlante, en la retirant
quelques minutes plus tard on pouvait observer une lésion de brûlure à
l’emplacement de la pièce alors que celle-ci était à température ordinaire.
Ceci pour montrer, si ce n’est démontrer les possibilités d’une suggestion
acceptée.
Autrement dit du point de vue neurologique, si certains fonctionnements
de la peau, du cerveau sont mal connus aujourd’hui, on peut néanmoins
agir, avoir des points d’accès qui permettent d’obtenir des changements
même si la recherche fondamentale ne permet pas, actuellement,
d’expliquer ces résultats.
C’est peut-être un défi de pratiquer une médecine qui associe les uns et
les autres dans le traitement tout en redonnant aussi une place active au
patient dans sa propre capacité à aller mieux. Cette dynamique
thérapeutique requiert un savoir-faire et du temps pour être mise en œuvre.
L’AUTOHYPNOSE
Illusion ou réalité
Clara, connais-tu ces expériences scientifiques ?
Alors, regardons ce que font nos collègues scientifiques qui travaillent
dans les neurosciences.
La transposition des sens.
Pour être un peu provocant, certains font ce qu’un certain nombre de
magnétiseurs prétendaient faire au XIXe siècle : la transposition des sens !
Nos prédécesseurs prétendaient que certaines de leurs somnambules
voyaient par l’estomac ou le poignet…
Les magnétiseurs l’ont peut-être rêvée, les poètes l’ont exaltée, les
scientifiques l’ont réalisée !
Ils observent que des sons génèrent des images et des illusions.
Quelqu’un qui froisse un tissu et une autre personne qui entend ce bruit
ont en commun la même appréciation de sa structure. Pourtant, c’est l’ouïe
et non le toucher qui prédomine. Lorsque l’on froisse ce tissu en portant des
écouteurs qui diffusent un bruit de pliage de papier, on a l’illusion de
froisser du papier.
Une odeur perçue et associée à une couleur devient une autre entité et
par conséquent exhale une odeur différente. À l’occasion d’une dégustation
des tests ont été réalisés par des œnologues où des experts percevaient des
odeurs de cassis ou de framboise dans un vin blanc coloré en rouge à leur
insu. Déclinaison commerciale immédiate, les industriels ont effacé de leurs
emballages la mention « sans colorant ». Un sirop blanc à la menthe sent
moins la menthe qu’un sirop vert !
Dans le cadre de la dégustation de vins, il apparaît que la perception est
conforme à ce à quoi l’on s’attend, avant même d’avoir perçu le goût de
l’objet.
L’imagerie cérébrale montre que lors de la dégustation d’un vin les
zones qui traitent le langage, la vision et l’olfaction sont activées. L’odeur
est associée à la couleur et aux mots pour le décrire et en établir une
2
représentation .
De la même manière, il est bien connu qu’une voiture rouge va plus vite
que les autres…
Le nerf optique répond toujours par une sensation lumineuse quelle que
soit la stimulation qui lui est appliquée. Pressé, comprimé, irrité, chauffé ou
stimulé par un courant électrique, le nerf optique répondra par une sensation
lumineuse. L’activité sensorimotrice n’est pas limitée à une région
particulière précise, d’où les capacités associatives possibles. Ainsi existent
depuis quelques années des dispositifs pour les non-voyants qui utilisent la
substitution sensorielle. Autrement dit un stimulus appartenant à un
domaine sensoriel est transformé en un stimulus d’un autre registre
sensoriel. Il en existe de deux sortes : ceux qui convertissent les stimuli
optiques en des stimuli tactiles et ceux qui partent d’un stimulus optique et
le transforment en un stimulus auditif.
Ces dispositifs nécessitent un apprentissage qui aboutit à la disparition
de la perception de celui-ci comme un élément étranger au corps. Ils
développent une nouvelle perception du monde.
Ces chercheurs innovent sans préjugés et rejoignent nos travaux qui
appréhendent la pathologie de nos patients comme un mode d’expression
créatif avec lequel nous dialoguons avec notre propre inventivité.
Cette inventivité est au cœur de l’activité humaine, elle en est une
caractéristique et l’hypnose est une voie royale pour son développement.
Le cerveau n’est pas figé, il se réorganise en permanence en fonction
des stimuli qu’il reçoit. Cette malléabilité associative est le support de
réaménagements réparateurs. Par exemple chez les aveugles de naissance,
les régions destinées à la vision sont réaffectées à la perception auditive.
En fait, nous n’avons qu’à nous inspirer de la nature et reproduire ces
modèles physiologiques où la neurobiologie naturelle trouve des solutions
plus audacieuses que la raison ne le proposerait.
La pensée analogique comme mode spatial et transversal de pensée
permet des rapprochements inédits et inconcevables d’une autre façon.
L’hypnose devient un formidable moyen à la disposition des patients et des
thérapeutes qui sauront développer leurs suggestions par une richesse
descriptive sensorielle et émotionnelle. Ce langage descriptif multiplie les
stimulations et les possibilités de réponses de l’organisme. Par ses qualités
sensibles, l’hypnose devient opérante. L’invisible devient visible. La
connaissance de la physiologie renseigne et éclaire sur les mécanismes
d’action de l’hypnose et, juste retour des choses, l’hypnose, correctement
utilisée, contribuera significativement à l’amélioration d’un grand nombre
de pathologies dans lesquelles les représentations sont déterminantes.
L’hypnose n’est pas une entité à part, ni un état différent, ni une modalité de
fonctionnement mental exceptionnel, mais une attitude relationnelle à
l’autre et, in fine, à soi-même. La dynamique hypnotique augmente la
capacité de conscience, en élargit le domaine. C’est une école de sensations,
d’émotions et de compréhension qui opère pour le sujet une réappropriation
de son existence.
La sérendipité
L’ABDUCTION
L’induction
L’hypnose est une expérience relativement simple à mettre en place. Je
parle là de l’induction, Clara. Bien sûr, tu sais qu’une induction appropriée,
c’est-à-dire personnalisée, sera bien plus efficace que ces inductions tout-
venant dites « express », « flash », faites sur scène, dans la rue voire sur le
trottoir, ce qui en dit long sur la confidentialité, la préservation de l’intimité
des sujets qu’ils soient consentants ou pris par surprise.
La conduite de la transe relève d’une compétence plus professionnelle,
car c’est le moment pendant lequel le sujet expérimente cet état hypnotique.
Les limites usuelles du temps, sa linéarité, son rythme et toutes ses
composantes sont modifiées avec tous ses contenus d’action aussi. Le temps
du retour, de la fin de la transe est lui essentiel pour semer les graines
récoltées au cours de la séance. Double dynamique de la cueillette et de
l’ensemencement. Du bénéfice immédiat et de son rendement ultérieur !
Excuse-moi de parler comme un banquier d’affaires, mais parfois cela
m’arrive… Seulement comme si.
Je viens de te parler du temps en termes de séquences qui se succèdent.
Il est visible comme les aiguilles sur le cadran de la montre. Mais en
hypnose, ce ne sont plus les mêmes montres qui le mesurent, le signalent ou
le représentent. Connais-tu Carelman avec ses « montres hybridées » ou
Dalí et ses montres molles ?
MABOUL.
LES RÉPONSES CHANGENT LES QUESTIONS…
L’ÉPOUVANTAIL À CAUCHEMARS
La beauté soulage
L’hypnose est un processus de relation. C’est vague. Cela pourrait
s’appeler politesse. Banal et audacieux. Conjuguer les deux est difficile.
Aux urgences, cette alternative est possible. Les gens ont besoin de
considération, d’être pris en compte, mais pas en les menaçant sous couvert
de précaution ou d’avertissement, pas en leur enjoignant de faire ce qu’ils
sont incapables de faire et qui les conduit précisément aux urgences.
La politesse, notion un peu désuète, brille souvent par son absence dans
nos lieux techniques, mais sitôt que les gens se rencontrent sur un sentier en
campagne, en forêt un empressement étonnant anime ces croisements
éphémères dans le « Bonjour ! » adressé le premier à ce compagnon de
passage.
La nature est un lieu de convivialité auquel nous pouvons nous référer
en confiance. Ils sont rares ceux qui n’aiment pas la nature. Sa beauté
soulage, apaise, régénère et inspire. Le beau fait du bien. Si les critères du
beau créés par l’homme dépendent de multiples paramètres, ceux liés aux
paysages et à la nature sont assez nombreux pour répondre à quasiment
toutes les nécessités hypnotiquement thérapeutiques.
BILAN SUBJECTIF
L’ACTION INTERROMPUE
Pour traiter ces névroses post-traumatiques, il existe, parmi d’autres
possibilités, une question utile : « Que faisiez-vous, précisément, à ce
moment-là quand est survenu cet événement ? » Autrement dit quelle
séquence d’action a été interrompue ? Cette question n’est pas forcément
appropriée pour toutes ces situations dramatiques, mais néanmoins il
convient de l’avoir à l’esprit pour en apprécier la pertinence. En effet, elle
permet à partir de la connaissance de l’action arrêtée d’hypnotiquement
achever celle-ci et relancer le temps. Il n’existe pas d’action qui n’ait besoin
de temps pour sa réalisation. Rien ne se passe sans le temps ! Temps et
action sont indissociables et nous pouvons agir sur l’un grâce à l’autre.
Cette « équation » est accessible et hypnotiquement réciproque !
Requiem
Bruno, lui, a failli mourir trois fois cette année-là. Tout d’abord, un
accident de voiture dont il réchappe, mais, au cours de
l’hospitalisation, sa femme le quitte et vide la maison. Il sombre
dans une dépression et tente le suicide par asphyxie comme
solution ; par chance, il s’en sort. L’inondation du 22 septembre le
surprend chez lui et il restera une demi-heure dans l’eau avant d’être
secouru. Se considérant comme un survivant plusieurs mois après la
catastrophe et indépendamment de troubles du sommeil,
d’hypervigilance, de difficultés relationnelles, il conserve une colère
contre la municipalité depuis les obsèques officielles. Selon lui,
celles-ci étaient indignes du drame qu’ont vécu les victimes. Et
souvent, la façon dont le patient trouve des solutions apporte des
renseignements au thérapeute et Bruno a été un excellent pédagogue
malgré lui.
Fin juillet 1993. Bruno vient à sa consultation et tient à me raconter
la soirée d’émotion qu’il a vécue dans le théâtre antique de Vaison-
la-Romaine. Quelques jours plus tôt le Requiem de Verdi était donné
dans ce lieu majestueux au profit des victimes de la catastrophe.
« J’étais assis au centre. Au début, l’ambiance était douce, les
lumières du couchant s’étiraient entre les collines et les cyprès
derrière le théâtre. Puis, lorsque la nuit s’est faite, les premières
notes du Requiem sont montées, et derrière l’orchestre un écran est
apparu. Sur l’écran, les cercueils des victimes se sont mis à défiler
lentement, dignement. J’ai senti alors un immense soulagement, un
hommage à la hauteur de l’événement était, enfin, rendu aux
victimes. Et ma colère s’évanouit. »
Oui, mais dans la réalité concrète du théâtre, il n’y avait pas d’écran
tendu derrière l’orchestre ! C’est dans une sorte de transe personnelle que
Bruno a trouvé par lui-même un moyen de s’apaiser. Bien sûr, il disposait
d’une belle capacité imaginative et d’une force vitale et c’est probablement
la combinaison de ces facteurs qui opérèrent le changement.
L’envahissement mental avait pris fin, les morts sont désormais avec les
morts et la vie peut reprendre. Depuis cet épisode, j’utilise, dans d’autres
cas similaires, la technique de l’écran dans une version plus ordinaire et
reproductible comme un moyen de réassociation temporelle.
La vie de Bruno a pris un cours nouveau, lui qui était timide et effacé a
découvert la musique et la danse qui lui ont permis d’élargir son cercle
relationnel. Maintenant, le temps est devenu trop court !
Les patients sont envahis par leurs images (éventuellement associées à
d’autres sensations : odeurs, bruits, saveurs, perceptions physiques) du
drame. Pour les soulager, la technique de l’écran permet d’extérioriser ces
images perturbantes.
Double peine
La journée se termine, il est bientôt 19 heures et le dernier client
s’éloigne. J’éteins les lumières du magasin et commence à baisser le
rideau de fer de la devanture. Soudain surgie de l’obscurité de la
rue, une barre de fer s’abat sur ma tête et me renverse au sol. Mon
agresseur, cagoulé, s’acharne sur moi en hurlant : « Donne-moi ton
pognon, vite ou je te massacre ! » Il m’arrache mon sac avec la
recette de la journée, trouve mes clés de voiture et s’empare de
celle-ci en quelques secondes.
Depuis, je ne vis plus, je parle à peine, je fais des cauchemars
atroces : « Il est là, il me guette, il m’attend. » Je suis obligée de me
faire accompagner dans mes déplacements et ne sors plus toute
seule. Je n’en peux plus, les gendarmes suivent sa trace, mais j’ai
peur.
J.-P.D. –
Si la doctrine exposée dans cet ouvrage conduit quelques personnes
à faire du bien, je les prie de se souvenir que cette doctrine est la
conséquence des principes établis et des faits observés par M. de Puységur.
P.B. – Parmi les conditions nécessaires quelle est celle que vous considérez
comme essentielle ?
J.-P.D. – Pour qu’un individu agisse sur un autre il faut qu’il existe entre eux
J.-P.D. – Les enfants, depuis l’âge de 7 ans, magnétisent très bien lorsqu’ils
ont vu magnétiser ; ils agissent par imitation, avec une entière confiance,
avec une volonté déterminée, sans nul effort, sans être distraits par le
moindre doute ni par la curiosité. Mais il ne faut pas leur permettre de
magnétiser parce que cela nuirait à leur développement et pourrait les
épuiser.
P.B. – Vous insistez sur les buts thérapeutiques du magnétisme animal…
D’autres buts seraient-ils envisageables ?
J.-P.D. – Le magnétisme a pour but de développer ce que les médecins
nomment les forces médicatrices, c’est-à-dire de seconder les efforts que
fait la nature pour se délivrer du mal. D’où il suit qu’on ne doit magnétiser
ni par curiosité, ni pour montrer la puissance dont on est doué, ni pour
produire des effets surprenants, ni pour convaincre les incrédules ; mais
uniquement pour faire du bien, et dans le cas où on le croit utile. Il doit être
exempt de vanité, de curiosité, d’intérêt ; un seul sentiment doit l’animer, le
désir de faire du bien à celui dont il s’occupe.
P.B. – Il est difficile de ne pas céder à certaines demandes.
magnétiseurs ?
j.-p.d. – Si vous avez déjà fait des remèdes, et que vous ayez un médecin,
vous lui ferez part de votre résolution, en lui demandant le secret, et vous le
prierez de trouver bon que vous employiez le magnétisme comme auxiliaire
de la médecine. Il est essentiel que le médecin soit informé du parti que
vous avez pris. Dans les maladies graves, l’action du magnétisme est
souvent insuffisante. Le magnétisme produit quelquefois l’effet qu’on
désirerait obtenir d’un médicament qui devient alors inutile. On avait
prescrit de l’opium le soir, pour calmer de vives douleurs et ramener le
sommeil ; les douleurs ont cessé après la séance du magnétisme, le malade
dort paisiblement, et vous ne donnez pas l’opium. Il est de l’honnêteté de
l’informer des phénomènes que vous avez obtenus : c’est même un devoir
de lui donner l’occasion de s’éclairer sur les effets du magnétisme, pour
qu’il puisse, selon les circonstances, en joindre l’usage aux moyens qui lui
sont connus par ses études et par son expérience. Il y aurait de la témérité à
s’en rapporter uniquement au magnétisme pour la guérison des maladies
graves. Aussi suis-je bien loin de conseiller le magnétisme comme un
moyen exclusif : je le conseille seulement comme auxiliaire de la médecine.
Plusieurs médecins qui ont fait employer le magnétisme sous leurs yeux
m’ont affirmé qu’il leur avait été d’un grand secours pour faciliter
l’administration des remèdes, et pour en assurer l’efficacité.
P.B. – Oui, mais comment reconnaître un bon magnétiseur ?
j.-p.d. – Si vous êtes trop fatigué, si vos forces sont épuisées, discontinuez ;
vous n’agiriez plus. Si l’inquiétude que vous cause l’état de votre malade,
ou le défaut de sommeil, vous ont mis dans un état nerveux, cessez de
magnétiser : vous lui feriez mal. Attendez que vous soyez dans un état de
calme, et que la confiance l’emporte sur la crainte. La chose la plus difficile
pour un magnétiseur qui veut s’instruire, c’est qu’il faut pour ainsi dire qu’il
y ait en lui deux hommes qui ne doivent jamais exister ensemble, mais
successivement ; l’un qui agit, l’autre qui observe ou qui raisonne.
P.B. – En conclusion, quelle place doit occuper le magnétisme dans le cadre
éclairages.
LE TURC ET LA ROSE
Et parfois, c’est difficile. C’est difficile aussi quand nous ne parlons pas
la langue du patient… C’est ce qui est arrivé à Sophie Cartier, infirmière.
« Tout de suite après ma formation en hypnose, j’ai été confrontée à un
patient turc qui devait avoir une gastroscopie. Gros problème : je ne parle
pas le turc ! Et le patient ne parle pas anglais… Mais je suis formée à
l’hypnose. J’ai donc réfléchi à la façon dont je pouvais accompagner ce
monsieur et une solution m’est venue à l’esprit : le mime.
« J’ai donc mimé l’examen. Tout d’abord du côté patient : l’installation,
le ressenti avec les nausées, l’importance de la respiration et la durée de
l’examen qui est de trois minutes. Puis du côté praticien, avec l’introduction
de l’endoscope, les gestes techniques éventuels et immédiatement après la
gastroscopie le résultat. Et après la démonstration à blanc, la mise en œuvre
directe de l’examen avec une infirmière qui attire l’attention du sujet sur les
différentes étapes de l’examen, voire qui fait comme si des nausées
existaient, évitant de les ressentir lui-même ! »
La gastro-entérologue a réussi à faire son examen sans souci qui s’est
conclu par un résultat négatif. Le patient semblait satisfait de la manière
dont tout s’était passé. Sa mimique nous le faisait comprendre ! Double
bénéfice.
Preuve en est que le lendemain, le patient est revenu dans notre service
pour nous offrir une rose à chacune afin de nous remercier. Ce qui montre
que malgré la barrière de la langue, il y a toujours une solution pour réaliser
un examen dans de bonnes conditions.
Ce jour-là, j’avais réussi à capter son attention. Et c’est là souvent la
difficulté.
Dans cet exemple, ce n’est pas le langage qui fait obstacle, mais plutôt
le déroulement de l’examen lui-même qui se complique.
EN SERVICE DE FIBROSCOPIE
Décembre 2014, M. F. se présente pour avoir une fibroscopie
bronchique. Lors de sa consultation avec le pneumologue, il a demandé s’il
pouvait bénéficier d’une séance d’hypnose pour l’examen.
À cet effet, je me présente auprès de M. F. en lui disant que je vais
m’occuper de lui et rester à ses côtés pendant tout l’examen. Tout en
vérifiant ses données administratives, je m’informe sur ses loisirs et ce qu’il
aime afin de personnaliser la séance d’hypnose. Nous nous mettons
d’accord sur le thème de la pêche à la truite dans un lac.
M. F. s’installe dans le fauteuil d’examen, et afin d’améliorer son
confort le dossier est incliné légèrement, puis les volets roulants sont
baissés pendant que je lui explique le déroulement de la fibroscopie
pulmonaire.
Une anesthésie locale (spray de Xylocaïne® dans le nez et au fond de la
gorge, puis une mèche dans chaque narine) est nécessaire. Il ne respire plus
que par la bouche.
Et là, je débute la séance en parlant de l’eau calme, de la brume posée à
la surface de l’eau, du soleil qui se lève et se reflète à la surface de l’eau, le
montage de la ligne, l’installation sur la berge, les appâts qu’il a choisis et le
temps qu’il a envie de passer à la pêche. Sans oublier, bien sûr, la pause
casse-croûte avec les boissons chaudes ou froides ainsi que les sandwichs.
Pendant tout ce temps, nous avons ôté les mèches et débuté la
fibroscopie bronchique avec le médecin. À ce moment, celui-ci me fait
comprendre qu’il a besoin de faire des biopsies. M’adaptant aux nécessités
techniques de l’examen, je propose à M. F. de saisir sa ligne et de la lancer
au moment où le médecin réalise les biopsies. Je synchronise l’action du
médecin avec le geste imaginaire du pêcheur et chaque fois que nous
ramenons une biopsie, c’est aussi une belle prise pour M. F. au bord du lac !
J’ai dû changer la pince à biopsie en cours d’examen, et le patient est resté
tellement calme dans l’action qu’il ne s’est rendu compte de rien.
À la fin de l’examen, j’ai fait revenir le patient ici et maintenant, dans la
salle d’endoscopie. Calme, détendu et reposé, ravi de cette nouvelle
expérience.
La fibroscopie est un examen qui dure habituellement trois minutes.
Pour M. F., l’examen a duré vingt-cinq minutes et nous avons fait quatre
pots de trois biopsies chacun. Pendant l’examen, sa notion du temps s’est
modifiée et chose exceptionnelle, il n’a pas toussé une seule fois. Énorme
avantage, pour le médecin également, qui rend extrêmement confortable la
réalisation d’examens. Le praticien n’est pas gêné pour faire les biopsies et
ainsi, l’examen dure moins longtemps.
Le médecin convaincu de l’efficacité de l’hypnose dans ce type
d’examen encourage, maintenant, les patients inquiets à réaliser la
fibroscopie bronchique dans ces conditions. Et vu comme cela s’est passé
avec M. F., je pense qu’il va nous faire bonne presse !
Avant cette formation, seulement deux ou trois anesthésistes nous
demandaient de cesser de faire du bruit au moment de l’induction.
Maintenant, c’est évident pour une grande partie d’entre nous d’autant plus
quand nous sommes plusieurs dans la salle à avoir été formés à l’hypnose.
Les équipes d’anesthésie l’ont remarqué : elles injectent moins de drogues
et les patients se réveillent beaucoup plus calmement.
Alors pourquoi se priver d’une méthode où tout le monde a tout à
gagner ? Le patient et le personnel soignant ont chacun du positif à en tirer.
Le personnel travaille dans une ambiance plus sereine, détendue et
forcément le patient, aussi, bénéficie de cette sérénité. L’hypnose a changé
les personnels soignants dans leur façon d’aborder le patient. Cette manière
plus humaine de le prendre en charge retentit sur l’ambiance générale du
bloc. Avec un profond sentiment du travail bien fait pour le personnel
soignant.
EN SERVICE DE DIALYSE
Les motifs des séances concernent les soins invasifs, les insomnies, les
angoisses, les douleurs, le diabète, les troubles du comportement
alimentaire. Les indications sont multiples et non exhaustives.
AU BLOC OPÉRATOIRE
Le bloc opératoire avec ses locaux, ses bruits, ses tempéraments, sa
technicité est un environnement plutôt hostile à l’hypnose. Et petit à petit,
l’aisance à choisir les mots, l’application à chercher le bon ton et une
équipe de plus en plus ouverte ont amené l’hypnose à faire ses premiers pas
dans les salles d’opération. Et de fil en aiguille, de la réflexion à la pratique,
il ne fait plus si froid au bloc. On entend moins : « Détendez-vous, ça va
bien se passer ! », mais : « Soyez rassuré et prenez le temps de penser à
quelque chose d’agréable. »
Les « Calmez-vous, on s’occupe de vous ! » ont cédé la place à « Nous
veillons sur vous et votre sécurité, vous pouvez être rassuré ». Les
invitations à la rêverie, à l’imaginaire gagnent un peu de terrain face au
classique « Respirez bien fort dans le masque » !
Nous sommes bien sûr loin du travail de Milton Erickson, mais
accueillir un patient en mettant l’accent sur son confort, l’équiper des
appareils de surveillance en lui parlant de sa sécurité et de notre
bienveillance, et l’endormir en l’invitant à la rêverie ; que du simple, que du
concret, que du bonheur ! Les patients sont plus détendus, plus souriants,
plus complices même. Le rôle du soignant devient plus ludique, plus
intimiste, et tellement plus enrichissant, nous relate un infirmier
anesthésiste. Il poursuit par :
« La richesse de l’échange supplante même la monotonie de la routine.
Imaginez pendant l’entretien de l’anesthésie que le patient endormi est…
peut-être… parti à la découverte d’un pays imaginaire, remonté dans un
souvenir d’enfance, ou simplement bien à un endroit de son choix. Et le
retour, enfin le réveil, est d’autant plus serein, d’autant plus apaisant, pour
le patient et l’anesthésiste quand il s’agit d’un simple retour à un endroit où
l’on était déjà bien, en sécurité, rassuré, sur la table d’opération.
« Anesthésie et hypnose font, par nature, bon ménage, et les techniques
hypnotiques sont sans nul doute un atout supplémentaire, un outil de travail
efficace et simple, utilisable au quotidien.
« En utilisant l’hypnose j’ai le sentiment d’être passé du statut de
technicien de l’anesthésie à celui de soignant. »
Comme tu le vois, Clara, l’ambiance change au bloc. Elle change aussi
dans d’autres services et le voyage est souvent au programme. Jean-Pascal
Sagot, infirmier, va nous en parler.
EN SERVICE DE CANCÉROLOGIE
LA COMPTABILITÉ
Le maître mot de « gestion ». Ceux qui décident des critères de qualité
sont des experts qui ne pratiquent pas notre métier. Qu’en connaissent-ils ?
Peut-être faudra-t-il lors d’une crise de « gestion » des urgences amener
avec humanité les patients à l’étage comptabilité… Que se passera-t-il la
nuit ? Existe-t-il un service de « gestion de nuit » ? La gestion continue sans
doute, mais ce sont des soignants qui doivent appliquer des mesures dans
lesquelles ils ne se reconnaissent pas. C’est une violence qui leur est faite.
La réponse fréquente à ces contraintes est le burn-out avec son cortège de
culpabilité, de dépression et autres symptômes. Après les difficultés
médicales et scientifiques qu’il a fallu surmonter, ce sont maintenant des
critères étroits de financement appliqués à une vision segmentée et à court
terme de la qualité des soins.
Bien sûr, ces formations font évoluer les fonctions des soignants,
notamment avec la consultation infirmière. Le personnel infirmier gagne en
responsabilité et sait développer sa spécificité, le personnel aide-soignant
lui aussi acquiert du savoir-faire, etc. et c’est de plus en plus tout un service
qui utilise l’hypnose. Naturellement, pour soigner les patients, mais aussi
pour la qualité accrue du travail en commun. Pour le bénéfice réciproque
d’une meilleure relation entre professionnels qui peut s’étendre jusqu’à un
projet d’établissement.
Cet enseignement de l’hypnose est étonnant : il est émancipatoire et
fécond et c’est toujours une grande joie que de voir comment toute cette
créativité, toute cette inventivité se révèle dans des situations difficiles. Plus
il est utilisé et plus il grandit, avec un effet boule de neige !
Urgences :
hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc à Lyon
Témoignage du Dr Jean-Pierre Lavignon.
IMPRO DE GUITARE
CINÉ EN 3D
OVATION ! SALUT !
OLA !
Mme J. doit subir une ponction lombaire qui est réalisée uniquement
avec l’hypnose. Elle adore le foot et c’est en allant soutenir son équipe
fétiche du Real de Madrid que la ponction aura lieu. Elle n’aura aucun
souvenir de la piqûre.
APAISEMENT
Mme B. souffre d’une entorse de la cheville droite, mais surtout
d’anxiété majeure. En effet, son père est hospitalisé dans notre service de
réanimation en phase terminale ; elle aurait souhaité lui parler avant qu’il
soit inconscient. Cependant, elle accepte une séance d’hypnose et souhaite
repartir en Thaïlande sur la plage. Au réveil, elle nous remercie pour l’aide
physique apportée, et surtout pour la détente au cours de laquelle elle a pu
entrer en communication télépathique avec son père… Les patients trouvent
des solutions étonnantes par eux-mêmes.
TRICHER AU GOLF !
Les résultats sont là, les médecins en sont tous convaincus, maintenant.
Cependant, il faudra en analyser les conséquences. De façon générale,
l’hypnose permet de diminuer la prise des anxiolytiques, celle de produits
d’anesthésie et aussi d’antalgiques. Mais elle contribue surtout à établir un
dialogue ou plutôt un échange émotionnel hypnotique bien loin du préjugé
(hélas souvent vérifié) selon lequel un bloc opératoire est froid, les gens
muets, et où tout est robotisé et inaccessible.
C’est aussi en salle de réveil ou plutôt SSPI (salle de surveillance post-
interventionnelle) que l’hypnose a trouvé sa place. En effet ma pratique
régulière a conquis en peu de temps mes collègues qui, face à un patient
difficile, m’appellent dans des situations aussi variées qu’état de panique,
crise de spasmophilie, douleur. L’hypnose a donc permis d’instaurer un
climat de confiance, chose étonnante et non prévue au sein de nos équipes.
Au-delà de la diminution des médicaments, elle a permis bien des fois
d’éviter la perfusion d’anxiolytiques. Mieux, c’est une bonne dose
d’hypnose SVP qu’il a fallu !
Quatre petites années ont suffi pour montrer au centre hospitalier
d’Annecy Genevois que l’hypnose avait vraiment son intérêt dans la prise
en charge des patients qui sont tous plus satisfaits, mieux soulagés et mieux
aidés qu’auparavant et, raison de plus d’apprécier l’hypnose : un retour plus
rapide à leur domicile.
On parle des patients, mais qu’en est-il des soignants ? Ces derniers ont
rapidement compris aussi l’intérêt de cet apport thérapeutique. En effet, des
patients mieux soulagés et satisfaits ont moins sollicité le personnel déjà
débordé et pour ceux et celles qui sont formés, ils travaillent avec moins de
fatigue et plus de considération. À ce confort s’ajoute la sensation de ne
plus être de simples techniciens de santé, mais aussi d’utiliser, de s’autoriser
et même de s’offrir des moments de fantaisie sans être burlesques, se sentir
tout simplement humain, sortir de ses neuf points et offrir aux autres la
possibilité de le faire.
RECHERCHES
CHAPITRE 7
Machinisation ou imagination ?
Un article récent de Courrier international intitulé « Le corps
réinventé 1 » fait l’inventaire de l’actualité de la réalité virtuelle du corps et
de ses éventuelles applications thérapeutiques. Il pose immédiatement les
limites de cet apport : notre imagination ! Cependant ce qui est exploré
correspond à une « machinisation » de notre esprit. Alors, quels ordinateurs
munis de quels logiciels vont remplacer notre environnement ? Tant de la
reconstitution physique du contexte que du remplacement de la présence
humaine…
Les travaux sont avancés et relativement spectaculaires. Cela a
commencé dans les années 1980 dans l’esprit de Jaron Lanier qui a inventé
le concept de « réalité virtuelle » et de « souplesse homonculaire ».
Autrement dit, l’aptitude à apprendre à contrôler des objets inanimés en
modifiant notre perception des mouvements de notre propre corps. Les
expériences en réalité virtuelle ont montré qu’il était possible pour des
étudiants d’apprendre à diriger des appendices mécaniques placés sur leurs
membres et même de se servir de leurs mains avec leurs pieds et
inversement. « L’inversion (des mains et des pieds) nous apprend que les
gens s’adaptent et qu’ils adoptent la méthode la plus pratique pour faire
l’exercice qu’on leur a demandé », explique Andrea Stevenson Won,
doctorant à Stanford et responsable de l’étude publiée dans le Journal of
Compute Mediated Communication. Andrea Stevenson Won a orienté sa
recherche dans le domaine du traitement de la douleur et s’inspire de la
technique du miroir pour soulager les douleurs de « membre fantôme ». Ces
techniques reposent sur la modification de la perception qu’a le patient de
lui-même. De sa forme en mouvement !
Les recherches ne portent pas que sur l’amputation, mais aussi sur des
modifications ultérieures à un choc telles que la neuro-algodystrophie. Le
corps est là modifié : douloureux, gonflé et impotent. Cette chercheuse se
demande si la représentation améliorée du corps douloureux dans un espace
virtuel favorable aura un effet thérapeutique. Elle a raison et nous pourrions
rêver de la voir collaborer à des programmes impliquant l’hypnose.
Des machines qui impliqueraient simultanément le patient et le
médecin ! Regarder si les activations neuronales correspondent en miroir,
miroir inversé, identiques ou…
Un travail d’équipe
Ce travail d’équipe a démarré à partir de l’observation d’un
chirurgien… Il a vu… il a cru… Il a vu au cours d’une de ses gardes cette
infirmière anesthésiste qui usait d’hypnose associée au MEOPA (mélange
protoxyde d’azote-oxygène utilisé dans la prise en charge de la douleur)
pour permettre la réduction de fractures simples et de luxation chez des
patients hospitalisés aux urgences. Il a vu tous ces patients qui revenaient de
leur voyage hypnotique avec le sourire et ne parlaient ni de douleur, ni de
fracture ou de luxation mais de moment magique… Convaincu de l’intérêt
de l’hypnose dans ces situations, il a alors imaginé que l’hypnose pouvait
être appliquée à des patients atteints d’algodystrophie qu’il avait opérés et
qu’il revoyait en consultation. L’hypnose appliquée à ces patients a permis
en effet de travailler sur la douleur, de réaliser un travail sur le schéma
corporel et l’émotion qui faisait disparaître les symptômes
dysautonomiques (œdème, sudation anormale, perturbation des phanères et
pilosité) et les troubles sensitifs (hyper ou hypoesthésie). Mais lorsque le
membre était enraidi par des mois d’immobilisation un travail
complémentaire de kinésithérapie associé et l’utilisation de MEOPA
antalgique apparaissait comme utile pour libérer plus rapidement le
mouvement. C’est alors qu’est née l’idée d’un travail pluridisciplinaire
centré sur la pratique de l’hypnose. Un vrai travail d’équipe… le
chirurgien recrutant le patient… l’anesthésiste prescrivant l’utilisation du
MEOPA… l’infirmière anesthésiste guidant la séance d’hypnose et
administrant le MEOPA… le kinésithérapeute massant et mobilisant le
membre enraidi…
L’hypnose est ainsi entrée au cœur de l’équipe soignante et au service
du patient !
Le cas de Mme G.
Mme G. présente une algodystrophie de la main droite. Cette pathologie
s’est mise en place à la suite d’une entorse banale du poignet ayant été
traitée de manière orthopédique (immobilisation par attelle). Plus d’un an
après, la main est gonflée avec les troisième, quatrième et cinquième doigts
totalement rétractés et refermés dans la paume de la main, au point que les
ongles commencent à s’incruster douloureusement dans cette paume. La
toilette sous ces doigts rétractés est devenue impossible et une macération
odorante très désagréable est décrite avec beaucoup d’émotion par
Mme G. ! Outre les doigts bloqués, le poignet est tombant et impossible à
relever, le coude a une position figée en flexion à quatre-vingt-dix degrés.
De l’extrémité des doigts au sommet de l’épaule la douleur est présente. La
scintigraphie du membre supérieur droit réalisée a amené l’équipe médicale
à douter de la réalité de l’algodystrophie. Un travail intensif d’une semaine
en kinésithérapie et ergothérapie n’a pas permis de faire évoluer la situation.
Dans ces conditions incertaines, l’indication d’hypnose est posée. Les
médecins acceptent de tenter l’expérience mais sans conviction majeure.
Mme G. sera alors hospitalisée une semaine pendant laquelle nous allierons
hypnose, kinésithérapie et ergothérapie.
Lorsque je rencontre Mme G., elle est souriante et contente qu’on lui ait
donné une chance avec l’hypnose. « Peut-être…, me dit-elle. Cela me
permettra de décoller un peu les doigts afin qu’il n’y ait plus d’odeur
désagréable… c’est tout ce que je demande ! » Je fais connaissance avec
Mme G. qui me raconte les circonstances de son accident, l’évolution du
traumatisme initial dans le temps, les conséquences que cela a eu dans sa
vie (arrêt du travail, problèmes financiers, compassion de la famille jusqu’à
culpabilisation et dépression chez son mari…). Je perçois la souffrance
importante de Mme G., mais je ne m’investirai pas plus longtemps dans un
domaine qui n’est pas de ma compétence… Nous commencerons, l’après-
midi même, la première séance d’hypnose associée à du massage et une
rééducation passive. Installée sur une table de rééducation, Mme G. cherche
une position confortable. Les stores de la pièce sont légèrement baissés.
J’installe le masque pour l’administration du MEOPA sur le nez et la
bouche de Mme G. Je démarre la séance d’hypnose seul avec la patiente,
car la kinésithérapeute qui va effectuer le massage et la mobilisation passive
doit s’occuper d’un autre patient et nous rejoindra dix à quinze minutes plus
tard, après la phase d’induction. Le thème de la séance est le voyage. Peu
importe la destination pour Mme G… La phase d’induction en cours,
Mme G. se met à bouger… à bouger de plus en plus et de façon très
désordonnée… ses muscles se contractent, sa tête s’agite de droite à gauche
et elle crie… elle crie sa douleur : « J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal… », alors
même qu’aucune douleur n’existait en amont et qu’aucune manipulation
susceptible d’être douloureuse n’a été entreprise. Seul face à cette situation,
je me pose des questions… « Que se passe-t-il ? Dois-je continuer la
séance ? Dois-je arrêter alors que Mme G. a été spécifiquement hospitalisée
pour ce travail ? Au secours, mes maîtres en hypnose ! »
Avant même que je ne trouve une réponse à mes interrogations, Mme G.
s’apaise… s’apaise de plus en plus… plus un cri… plus un mouvement…
comme si rien ne s’était jamais passé ! Je décide donc de reprendre la
séance et invite Mme G. à continuer à se laisser aller à ce calme tranquille,
à cette détente… et la guide dans ce voyage extraordinaire qu’elle voulait
vivre… elle y est je le sens… Ouf ! Et dans ce pays, je lui propose de
rencontrer un sage. Ce sage va lui apprendra à se protéger de l’« extérieur »,
pour que cet « extérieur » ne soit pas désagréable… Ma collègue
kinésithérapeute arrive discrètement et commence, à mon signal, à
mobiliser délicatement les doigts, le poignet, le coude, l’épaule sans
qu’aucun signe de douleur ne soit perceptible. Mme G. a le visage détendu
et elle se laisse aller, se laisse porter, se laisse guider… comme protégée de
l’extérieur. Au cours de ce voyage, Mme G. a accepté que ses doigts se
soulèvent légèrement, juste ce qu’il faut pour laisser passer un gant et faire
disparaître les mauvaises odeurs… Je lui ai alors proposé de revenir « ici et
maintenant », dans cette salle de kinésithérapie, sur cette table où elle était
installée, en ce lundi de juillet… et je l’ai aidée à retrouver progressivement
les sensations de son corps, les sensations de son esprit conscient… Sa tête
s’est soulevée et ses yeux ont cherché immédiatement la main droite… et
elle observe ses doigts… qui ont accepté de se soulever légèrement, juste ce
qu’il faut pour laisser passer un gant de toilette et faire disparaître les
mauvaises odeurs… juste ce qu’elle avait espéré…
Mme G., très enthousiaste, veut poursuivre dans le monde de l’hypnose.
Tous les jours de cette même semaine, elle sera prise en charge en hypnose
et kinésithérapie… et tous les jours nous observons un nouveau progrès. Le
vendredi, la main est libérée des souffrances, elle s’est ouverte au monde,
un peu comme la fleur qui s’ouvre au matin. Seule une légère rétraction de
la dernière phalange des deux derniers doigts de la main persiste… Le
poignet a lui aussi retrouvé une vie, il est à nouveau libre et Mme G. arrive
à l’utiliser pour relever sa main. Quant au coude, il a accepté l’extension
complète, plus aucune barrière…
En quittant le service, Mme G. nous remercie, heureuse d’avoir
rencontré l’hypnose sur son chemin. Deux mois plus tard, les progrès
restent acquis. La patiente n’a rien perdu de ses capacités, la main, le
poignet et le coude sont toujours ouverts au monde. En revanche, la
rétraction de la dernière phalange des deux derniers doigts est toujours
présente… Une nouvelle hospitalisation alliant hypnose et kinésithérapie
est prévue pour que la main retrouve sa liberté totale.
La pratique hospitalière
Nous pouvons également souligner la chance d’exercer l’hypnose dans
une structure de soins tel l’hôpital qui permet la rencontre naturelle de
l’Autre et qui offre un éventail de possibilités de la pratique de l’hypnose
majeur dans des domaines très diversifiés. Cependant la structure
hospitalière ne présente pas que des avantages pour cette pratique. En effet,
développer cette technique dans un système soignant complexe tel l’hôpital
où interviennent plusieurs corps de métiers ayant chacun une action bien
spécifique auprès du patient est un véritable parcours du combattant. Il est
rare dans nos pratiques soignantes d’être en tête à tête avec le patient. Pour
un même soin souvent plusieurs corps de métiers sont indispensables autour
du patient. Pour que l’hypnose puisse être mise en place il faut donc que
l’équipe soignante dans son ensemble (médicaux, paramédicaux) adhère au
projet. Chaque intervenant de l’équipe devient donc acteur à part entière de
l’acte d’hypnose, chacun dans sa fonction spécifique. La pratique de
l’hypnose dans une structure hospitalière est donc une affaire d’équipe, elle
peut même constituer un lien puissant fédérateur de l’équipe. La preuve,
c’est qu’est née au CHU de Toulouse une consultation
hypnose/kinésithérapie mettant en scène infirmiers anesthésistes,
kinésithérapeutes et médecins autour d’un même objectif : guider des
patients porteurs de SDRC vers un processus de guérison rapide. Au final,
mettre en place l’hypnose dans une structure hospitalière est une sorte de
défi. Relever ce défi demande une certaine énergie, de l’intuition, de la
créativité et de la conviction… mais c’est possible !
Un moyen de se faire plaisir
Enfin nous pouvons terminer en abordant le sujet de la pratique de
l’hypnose comme moyen pour le thérapeute de se faire plaisir. Un vrai
bonheur ! Il est toujours bon de garder le meilleur pour la fin. N’est-il pas
passionnant d’écouter et comprendre quelle « séance d’hypnose inachevée »
est en train de vivre le patient qui souffre ? Et n’est-il pas riche de partager
son temps comme le préconisait Erickson à « parler le langage du patient »
et à tenter de « construire une nouvelle scène vivante dans un espace-temps
différent pour permettre de terminer la séance inachevée et ainsi autoriser
les émotions à redonner un certain équilibre au corps… pour que renaisse
un corps moins douloureux, voire un corps sans douleur… » ?
Si les débuts sont toujours prudents dans cette pratique, les résultats et
le ressenti positif des patients incitent à proposer rapidement et de plus en
plus fréquemment l’hypnose comme complément thérapeutique.
Rapidement, il n’est plus envisageable de prendre en charge un patient sans
l’approche hypnotique, qu’elle soit formelle ou simplement informelle.
L’hypnose est un véritable outil de communication qui aide et enrichit celui
qui en bénéficie mais qui également enrichit celui qui pratique. Une
approche de cet outil relationnel devrait être proposée à tout soignant quel
que soit son domaine de compétence afin d’optimiser la prise en charge des
patients. En s’interrogeant sur sa propre pratique chaque soignant pourrait
utiliser l’outil et en étendre les indications au point que l’outil pourrait
même devenir, comme dans cette expérience au CHU de Toulouse, un outil
de transition pour la création de nouvelles activités. L’usage de l’hypnose
nécessite cependant une formation initiale spécifique ainsi qu’une
formation continue et c’est peut-être à ce niveau que le bât blesse… En
effet, les restrictions budgétaires que connaissent aujourd’hui les
établissements de santé peuvent freiner le développement de ces
formations. De la même manière, si la pratique de l’hypnose rime avec soin
pour le patient et démarche qualité pour l’institution, cette technique
demande un investissement en temps ramenant encore à la notion
d’économie de santé. Alors que les barrières mentales et culturelles
commencent à tomber, que les études scientifiques sont aujourd’hui
convaincantes sur le bien-fondé de l’hypnose, n’est-ce pas la logique
comptable qu’il va falloir dorénavant contourner pour avancer dans la
pratique plus généralisée de cette technique non médicamenteuse très
efficace ?
C’était une journée banale, je devais me rendre dans un hôpital pour une
conférence. Avec un démarrage un peu matinal, la route départementale me
mène de Vaison jusqu’à l’autoroute à Bollène. La routine.
Arrivée au péage. Ralentir, s’arrêter, prendre le ticket, la barrière qui se
lève, première, seconde, troisième. Les vitesses s’enchaînent avec l’entrée
sur l’autoroute proprement dite, puis se glisser dans le flux de voitures.
Calculer la distance de sécurité et garder une vitesse régulière dans les
limites autorisées.
Nous sommes des milliers les uns à côté des autres. Seuls.
Tous ces conducteurs dans leurs véhicules, il doit bien y avoir des
raisons à circuler en ligne droite solitaire… De toute façon, nous sommes
en sécurité. Elle est même visible, jaune fluo… La route est très bien
balisée, fléchée, monotone. Le temps est long sur ces lignes droites au
milieu de paysages inaccessibles et lointains.
D’ailleurs, le service d’entretien coupe les arbres qui bordent, depuis
des années, la chaussée. Un double avantage : ni le regard, ni la voiture ne
se heurteront à ce rideau, maintenant abattu. Par mesure de sécurité. C’est
important la sécurité !
Ici tout est organisé, pas d’improvisation envisageable. Certains
panneaux indiquent de façon ambiguë la présence d’une gendarmerie à la
prochaine sortie, secours ou menace… Cette route est un canal, une voie de
communication anonyme, sans attrait, dont des bretelles se détachent, de
temps à autre, pour rejoindre quelque ceinture forcément périphérique !
Rien, ici, n’est fait pour inspirer quoi que ce soit. C’est la voie. Avec un
A comme autoroute. Tout est connu, planifié de A à Z comme zoo…
Installe-toi confortablement. La voiture dispose dans sa puce de
télépéage d’une sonnerie t’avertissant de ton arrivée à destination. Aie
confiance… c’est pour bientôt !
De temps en temps, quelques camions ou voitures plus lents, à doubler.
Automatiquement. Coup d’œil dans les rétros et la manœuvre s’enclenche,
à peine accélérée.
Sans même m’en rendre compte, mes yeux suivent la bande centrale ou
plus exactement la barrière centrale, en béton. Elle est bâtie de blocs
préfabriqués gris et scellés les uns aux autres, il reste cependant entre ces
immenses parpaings des interstices, des sortes d’encoches par où il était
possible de les saisir lors de la construction. Et là dans ces sombres
anfractuosités, je vois des herbes folles.
Elles sont folles ! Oui, folles de pousser là ! Ces brindilles qui persistent
à vouloir pousser là où le milieu est le plus hostile, minéral, gazé, pollué. Là
où les architectes, les ingénieurs, les ouvriers, tous ont pris soin de bien
creuser, aplanir, combler, bitumer et bétonner ce ruban de vitesse
sécuritaire. Les instructions étaient claires et précises. Pas une touffe, pas un
poil, pas une herbe, encore moins une fleur ne doit repousser. Et pourtant…
Les plans les plus étudiés avaient été élaborés pour tracer des lignes courbes
si droites, un peu comme des plates-bandes, mais pour les voitures. Plate-
bande n’a jamais été très flatteur, ni excitant, davantage évocateur d’un
contrôle castrateur…
Au même moment, je réalise que le soleil qui se lève à ma droite
projette les ombres des voitures sur ce parapet vertical. Comme si cette
ombre se déplaçant sur le béton ébréché décrivait une horloge solaire
linéaire avec une graduation inexorable sans numéro, vertigineusement
horizontale ! Toujours la même heure, allongée, étirée. Le temps a disparu.
Sans prévenir. Cette monotonie a des effets anesthésiants. La répétition à
l’identique donne la fausse certitude que l’habitude est la normalité. Et une
sorte d’assoupissement m’envahit. Une torpeur alourdissante, engluante.
Comme un choc sans impact, les herbes en bordure me font signe. Mon
esprit commence à flotter, la voiture est en pilotage automatique… C’est
alors que se produit un phénomène étrange. Une voix étonnante sort de
l’autoradio. Un chant ? Un murmure ? Elle me parle, s’adresse à moi et
semble être celle des herbes, les folles du bord de la route. En tout cas, c’est
mon impression. Peut-être mon esprit se laisse-t-il lui aussi
« chlorophylliser » ?
Les folles ! Que font-elles là ? Personne ne prend soin d’elles. Bien au
contraire. Personne ne les arrose, ni ne les bine, sinon ce serait au marteau-
piqueur ! Quelle vitalité les pousse à grandir au milieu de l’adversité ? Une
existence non désirée et non reconnue. Elles doivent en avoir des qualités
pour ressurgir dans cet univers calibré et univoque… Là où tout est payant,
la trajectoire prévisible et jalonnée ; elles s’installent à la marge,
vagabondes, discrètes et s’enracinent. Comme une espérance.
Et cette voix entêtante qui semble m’appeler par l’autoradio. Je sais, je
sais, tu t’interroges sur cette expérience. Moi-même en suis encore troublé.
Ce n’étaient que quelques mots un peu énigmatiques : « De l’autre côté…
de l’autre côté… » Peut-être ces herbes forment-elles un réseau d’évasion ?
Le « Transhypno botanique tour » ? Depuis ma précédente expérience, je ne
m’étonne plus de rien avec elles.
Pure coïncidence certainement, un panneau indique une station-service.
Clignotant, ralentissement, parking.
Attiré, hypnotisé par cette voix, je ne prends même pas la peine de
fermer la porte et traverse ce que les « techniciens de surface » nomment :
espaces verts. Où est le gazon ? Où est la pelouse ? Les pâquerettes et le
pissenlit ? Les cabrioles des sauterelles ? Les apéros des abeilles et des
papillons ? Les pique-niques des escargots ? Il ne reste qu’une herbe
industrielle, scarifiée, roulée, tondue ! Espace vert ! Un espace vert !
Quelle misère que cette techno-appellation pour un succédané végétal
dépourvu de racines ! Une simple surface colorée, un contrôle des
apparences, une culture hors-sol du réel…
Mais au fond, là, derrière un bosquet, survivant d’une autre vie, une
brèche apparaît.
L’ENTRÉE DE SECOURS
VÉGÉTACTIF
LE GENIUS LOCI
Maintenant que tes pas sont plus assurés, le vallon se fait plus
enveloppant et il s’en dégage une présence mystérieuse, un peu
indéfinissable. Les anciens la nommaient genius loci, le génie des lieux.
Celui qui ordonnait aux plantes, aux rochers leur harmonie. Une sorte
d’alchimie qui s’établit dans un souffle. Hélas, tous les lieux n’ont pas de
genius loci. Certains ne sont que des lieux dits. Tu l’as remarqué la vie est
partout ici. Dans ces creux et ces collines, les génies des lieux sont joueurs
et souvent malicieux. Leurs fantaisies s’accordent, à la fois ingénieuses et
poétiques. C’est une terre habitée ! C’est à cela que l’on reconnaît leur
présence.
Quand tu es entré, le vallon t’a semblé, fugacement, tel que tu l’as
connu. Seul un agencement original, quasi imperceptible, lui a donné cette
étrangeté lors de sa redécouverte. Une sorte de déjà-vu indéfinissable. Un
frisson du temps, sans doute. Les points cardinaux, ici, sont innombrables,
cachés dans les plis du temps, au-delà des quatre horizons.
Regarde les merveilles autour de toi, l’élégante légèreté de simples
graines de pissenlit qui s’envolent, hésitantes et sûres de leur destin. Le vol
plané giratoire des graines du charme chahuté comme à la fête foraine. Les
noix de coco dérivant au gré des vagues en quête d’une île nouvelle et tant
d’autres voyageuses portées par les vents et le souffle d’une imagination
apaisante.
C’est une réserve pour consoler aussi.
Malgré tout le soin qu’apporte le genius loci à cet endroit, les larmes,
les soucis et les orages n’y sont pas absents et les ondées sont parfois
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abondantes. Certains hivers, le gel, comme une camisole , emprisonne les
herbes, folles ou non, et parfois saisit au cœur les plus vigoureux d’entre
nous.
Heureusement, ici le temps est versatile et dans ce jardin, nous savons
lui porter secours, prendre soin de lui. C’est probablement un des rares
endroits où le temps soit considéré. Cette forêt existe depuis si longtemps,
si longtemps que nous avons appris à le soigner. Il est ici chez lui. Partout
ailleurs, on le cherche, on en manque, on lui court après. Pourtant ces
plaies, ces blessures du temps ont leurs remèdes ici. Le temps est
arborescent !
C’est un lieu qui le protège et où les herbes sont solidaires. Les souches
bourgeonnent, les bambous s’appuient les uns sur les autres, souples et
solides. Les racines sont des écluses qui irriguent ce réseau invisible où
chaque brin est relié à chaque tronc dans les talus, les collines et les
clairières.
Regarde, Clara, les longues graminées au chignon épicé mènent la revue
et « pimprenellent » les clairières, les coccinelles « muguettent », rubis à
l’épaule des hêtres nonchalants.
Ici le jardin apaise, l’errance trouve son refuge et la douleur se dissout
dans le sourire du génie des lieux. Le jardin se transforme, la mosaïque des
parcelles s’anime. Le foisonnement des essences n’est que désordre
superficiel. Les plantes échangent, les feuilles sont volantes, c’est un flux
ubiquitaire. Cet espace dont tu débroussailles, peut-être, les accès est fait de
pleins et de déliés, de vide et de respiration. Il a l’air sauvage et c’est
comme cela qu’il aime être cultivé.
Ce jardin n’était connu que de quelques jardiniers érudits, poètes
rêveurs ou bergers farouches. Tu sais maintenant qu’il est à califourchon sur
ta mémoire à jouer avec ses retrouvailles inédites. Parcours-le en tous sens,
celui du futur par exemple.
Voilà un autre secret. Précieux lui aussi.
Toutes ces graines ont une propriété étonnante, elles sont nomades. Et
c’est à un voyage spécial que tu es convié : une migration en âge !
Le génie des lieux est joueur et s’amuse avec le temps comme un maître
en origami. Artiste virtuose des pliages et des retournements… C’est aussi
un endroit d’oubli aux vertus cicatrisantes. Une mémoire apaisée.
De laquelle émerge ce haïku. Opportun.
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Ozaki HÔSAI
Titre
Copyright
Dédicace
Préface
Introduction
Entrer en soi-même
Capter l’attention
Illusion ou réalité
La sérendipité
L’induction
La beauté soulage
Machinisation ou imagination ?
Un travail d’équipe
Le cas de Mme G.
La pratique hospitalière
Postface
Bibliographie
Remerciements
Du même auteur chez Odile Jacob
DU MÊME AUTEUR
CHEZ ODILE JACOB
L’Hypnose, 2002.
Éditions Odile Jacob
Des idées qui font avancer les idées