Olivier FLOURNOY Articles 1967
Olivier FLOURNOY Articles 1967
Olivier FLOURNOY Articles 1967
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Olivier F lournoy
La sublimation
Présenté à la Société suisse de psychanalyse, à Lausanne, le 1e mai 1965.
Également présenté au 26e Congrès des psychanalystes de langues romanes. Paris. octobre-
novembre, 1965.
Paru dans la Revue française de psychanalyse. Volume 31, Numéro 1, 1967.
http://www.flournoy.ch/docs/Olivier_FLOURNOY_Articles_1967.pdf
La sublimation
Olivier Flournoy
La notion de conflit est pour la psychanalyse certainement une des notions les
plus fondamentales. Que l’on prenne les différents chapitres de la théorie psy-
chanalytique, le conflit y est toujours présent, qu’il soit structuré et motif à répé-
tition ou structurant et motif à défense ou à élaboration ou déstructurant et
motif à régression.
La théorie des instincts nous offre l’antagonisme des instincts sexuels et des
instincts du Moi, puis de ceux de vie et de ceux de mort, enfin des tendances
libidinales et des tendances agressives. Elle nous offre aussi des possibilités de
conflits entre les différents stades de développement de la libido.
La première théorie de l’appareil psychique nous présente un conflit entre
l’inconscient et la censure, un deuxième conflit entre le préconscient et une cen-
sure secondaire.
Les principes fondamentaux qui régissent la vie psychique sont celui du plai-
sir opposé au déplaisir et celui de la réalité en conflit avec le premier.
La deuxième théorie de l’appareil psychique avec ses trois instances nous
offre la possibilité de conflits intrasystémiques et de conflits intersystémiques.
Bref, que la métapsychologie soit génétique, économique, topique ou struc-
turale, elle est toujours en mouvement, toujours en déséquilibre, à la recherche
d’un réajustement, et le conflit défensif y est roi. La clinique nous offre bien sûr
le même tableau et du fait que l’expérience analytique se vit à deux personnes,
l’aspect conflictuel apparaît sous un angle plus personnologique ; nous sommes
en présence du conflit avec la mère, du conflit œdipien, du conflit avec les objets,
etc., et nous vivons les conflits du transfert et du contre-transfert.
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Une seule activité du patient semble y échapper, c’est celle qu’on appelle de su-
blimation. A priori, la sublimation représenterait donc la sublimation d’un conflit,
autrement dit quelque chose de non conflictuel.
Et pourtant les activités de sublimation les plus classiques ou les plus évi-
dentes, peindre, jouer de la musique, cueillir des fleurs, écrire ou bricoler, n’appa-
raissent pratiquement jamais comme telles dans le dialogue analytique. Il n’est
que d’en parler pour qu’un sentiment de gêne, de malaise ou de plaisir ambigu,
ou encore une apparente indifférence ne les accompagne aussitôt chez l’analysé,
et pour que l’analyste y prête la même attention qu’à tout autre discours plus
directement en rapport avec le conflit défensif.
Ce sont ces dernières considérations qui m’ont incité à prendre la sublimation
comme sujet de ce travail et à tenter de voir ce que signifie cette distance entre
l’impression clinique et l’idée théorique qu’on s’en fait.
Je vais maintenant non pas vous dire avec fidélité ce que Freud en dit mais
vous faire part de mes impressions à la lecture de ce que Freud en dit.
Cette façon d’assimiler Freud me paraît tout à fait justifiée mais doit être
signalée. A juste titre les œuvres de Freud représentent la bible du psychanalyste,
on s’en convainc en voyant les analystes des tendances les plus diverses, voire
opposées, toujours trouver et citer les mots de Freud qui confirment leur orien-
tation personnelle.
Par un double processus d’assimilation et d’accommodation, mon orienta-
tion personnelle va donc se préciser et se laisser préciser au cours de cette lecture.
* * *
Si le terme de sublimation apparaît en 1897 dans une lettre à Fliess (n° 61),
Freud ne le reprendra qu’en 1905.
Dans Les trois essais sur la sexualité, il donne un aperçu théorique de ce qu’il
entend par sublimation, et nous met en garde du fait que c’est un concept nou-
veau qui ne lui est pas encore familier. Néanmoins on peut s’en faire une idée.
D’abord Freud en parle comme de quelque chose qui fait que la curiosité de ce
qui est sexuel peut être transformée en un intérêt esthétique 1 ; puis il reprend
cette même curiosité sexuelle comme pouvant être transformée en intérêt scien-
tifique. 2 Sublimation et formation réactionnelle sont du reste mal différenciées
l’une de l’autre à cette époque. 3
Enfin le passage peut-être le plus clair est celui où Freud met en parallèle
la perversion, la névrose et la sublimation comme les trois issues possibles de la
sexualité infantile polymorphe. La perversion résultant d’une inhibition à s’en
1
S.E., VII, 156.
2
S.E., VII, 194.
3
S.E., VII, 178.
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qui inclut le Moi sous forme d’instincts du Moi, il doit vraisemblablement s’agir
de l’instinct du Moi, qui transforme l’instinct sexuel si l’on veut que la transfor-
mation soit décrite en termes actifs.
Une autre difficulté à saisir ce concept de sublimation me semble ici la sui-
vante : nous nous trouvons devant une triple possibilité d’évolution de la vie fan-
tasmatique infantile : sa conservation (perversion), sa transformation sous l’effet
du conflit défensif (névrose) et enfin sa transformation par sublimation. Le but
de la sublimation n’étant plus une satisfaction sexuelle, l’issue normale de la vie
fantasmatique infantile serait non sexuelle, et l’objet de la sublimation étant un
accomplissement culturel, l’issue normale de cette vie infantile serait non fantas-
matique. Ce qui semble impliquer que la vie fantasmatique adulte ne serait que
le produit de conflits défensifs ou encore de l’ordre des formations réactionnelles.
Et en effet plus tard nous verrons Freud tenter de le démontrer à propos de la
religion et nous le verrons faire l’apologie de la science et souhaiter l’avènement
d’une civilisation scientifique (Avenir d’une illusion).
Mais alors si la sublimation implique un dégagement de la vie fantasmatique,
où donc pourra-t-on trouver l’objet plus élevé qu’elle réclame. L’attitude scienti-
fique se veut dégagée de l’ordre des valeurs mais elle l’implique par son existence
même : l’ordre des valeurs est-il autre chose qu’un ordre subjectif, et le désir de
Freud de remplacer les valeurs religieuses par les valeurs scientifiques ne fait-il
pas précisément partie de sa vie fantasmatique d’adulte ?
Ainsi la sublimation en tant que processus limité à la transformation de la vie
fantasmatique infantile en intérêts culturels apparaît comme un concept incom-
plet, faute de précision sur l’objet et le but auxquels l’énergie de ces fantasmes est
destinée.
En 1908 dans l’article traitant de La morale sexuelle et la nervosité dans le
monde moderne, on retrouve la définition classique de la sublimation en tant que
transformation de la libido et son orientation vers des buts plus élevés, mais
on y lit que certains pervers, les homosexuels, sont connus pour leurs aptitudes
à sublimer, c’est-à-dire leurs aptitudes aux accomplissements culturels. 1 Cela
s’expliquerait-il par le fait qu’un homosexuel arrive à une certaine cohésion de
sa personne sur un plan génital qui l’empêche d’effectuer l’acte génital adulte
menant à la reproduction ? L’homosexuel sublimerait alors la sexualité génitale,
l’énergie génitale dont il dispose et dont il n’a que faire. Ce problème est repris
dans Le cas du Président Schreber (1911) et Freud précise alors que ce sont les ho-
mosexuels qui refusent de se laisser aller aux satisfactions sensuelles qui contri-
buent le plus aux intérêts de l’humanité. 2 Il est paradoxal de constater que la
sublimation, processus essentiellement normal et d’origine sexuelle soit décrite
par Freud comme particulièrement forte chez l’homosexuel masculin et même
1
S.E., IX, 190.
2
S.E., XII, 61.
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plus efficace que chez la femme qui – comme il le dit – « montre peu d’aptitudes
à la sublimation par inhibition de la pensée due à une suppression sociale de la
sexualité ». En ceci l’homosexuel serait plus normal que la femme normale. A
moins qu’ici Freud ait manifestement confondu sublimation et formation réac-
tionnelle. Je suis d’avis que les homosexuels montrent au cours de l’analyse non
seulement des transformations de leurs tendances sexuelles mais aussi une lente
transformation ou maturation de leurs aspirations culturelles. Le côté rancunier
ou revanchard de leurs aspirations cédant peu à peu le pas à une satisfaction
moins réactionnelle, plus personnelle et par là plus disponible pour autrui, plus
altruiste. Ceci fait penser que sublimation et formations réactionnelles peuvent
avoir toutes deux le même objet mais que seule la sublimation fait coïncider
l’objet et le but. Une des caractéristiques de la sublimation se dégage ainsi peu à
peu : celle de l’objet-but. Au cours de la longue transformation d’un homosexuel
vers la résolution de ses problèmes pendant et après une psychanalyse, ses aspi-
rations culturelles lui servent de moins en moins à compenser ses difficultés et
de plus en plus lui apportent des satisfactions par elles-mêmes, la sublimation
prend le pas sur les processus défensifs, l’objet devient le but. Ceci fait soudain
entrevoir un parallélisme entre génitalisation et sublimation qui seraient toutes
deux des concepts limites où l’objet et le but coïncideraient, l’un dans la sphère
sexuelle et l’autre dans une sphère caractérisée comme plus élevée, tous deux
dégagés des composantes de la vie fantasmatique conflictuelle de l’enfance.
Le petit Hans (1909) et L’homme aux rats (1909) ne nous apportent guère
d’éléments nouveaux. Chez l’un et l’autre, Freud mentionne la sublimation
comme simultanée soit à un refoulement soit à une inhibition. 1 Elle y apparaît
plutôt comme un processus défensif de l’ordre de la formation réactionnelle,
à moins qu’il ne s’agisse d’un processus normal qui se développerait indépen-
damment et parallèlement à un processus névrotique, ce qui demande alors une
explication d’ordre économique. Ce serait, j’imagine, admettre une source ins-
tinctuelle trop intense qui se diviserait entre les deux processus, mais une telle
explication devrait être corroborée par la recherche d’une cause physiologique
justifiant un phénomène psychologique.
Dans la cinquième des Cinq Conférences (1909), on poursuit les avatars de la
sublimation qui apparaît cette fois-ci comme une des trois solutions à la levée
du refoulement, les deux autres étant l’action du jugement moral et l’accès à
une sexualité satisfaisante. 2 On peut donc semble-t-il la distinguer d’un juge-
ment moral consistant en un contrôle volontaire du désir refoulé dont on a pris
conscience.
Nous pouvons ainsi dégager de cette conférence la conclusion idéale de l’ana-
lyse réussie : la triple destinée heureuse de l’époque infantile : la génitalité, les
1
S.E., X, 138.
2
S.E., XI, 53-55.
REV. FR. PSYCHANAL.
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1
S.E., XI, 80
2
Tr. Fr. I74.
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trer le passage des tendances sexuelles infantiles et du choix d’un objet incestueux
aux plus hauts intérêts éthiques et religieux de l’homme. Par contre le même
Jung aurait échoué dans la démarche inverse, à savoir que rêves et névroses sont
une dissolution régressive de la sublimation, mais ce serait, ajoute Freud, que
Jung n’était pas prêt à supporter la tempête d’indignation qui l’aurait accueilli et
Freud conclut polémiquement en disant que la préhistoire théologique de tant
de Suisses explique l’attitude de Jung au même titre que la préhistoire socialiste
d’Adler explique l’attitude d’Adler vis-à-vis de la psychanalyse.
Ce passage est intéressant où Freud dit qu’il se permet pour une fois des
arguments téléologiques, et manifestement son argumentation échoue. Il est
bien évident que nous avons tous une préhistoire et que nous avons tous une
option, Freud compris, qu’elle soit religieuse, areligieuse, politique ou apolitique.
Néanmoins comme nous l’avons vu, Freud envisage à cette époque la religion
et l’éthique bien plus sous l’angle de formation réactionnelle de type défensif
que sous celui de la sublimation. Il semble alors que les rêves et les névroses
pourraient être liés à une dissolution régressive de ces formations réactionnelles,
et que en accord avec l’échec de Jung l’objet-but de la sublimation soit une ins-
titution plus stable, moins réversible que celui de la formation réactionnelle. La
sublimation me paraît indissociable de son objet-but, et celui-ci en tant que
participant de l’intersubjectivité ou de la communauté ne peut se dissoudre par
régression individuelle. Dans le cas de la religion par exemple la sublimation
est aussi liée à la religion en tant que phénomène collectif qui a son originalité
propre, indépendante de l’individu, et en cas de régression, l’objet-but subsiste
en soi et n’est abandonné ou désinvesti que par le sujet régressant ; par contre,
lorsque la religion sert d’objet pour une formation réactionnelle, les contre-in-
vestissements ou les surinvestissements feront d’elle un objet variant selon l’hu-
meur du sujet, tantôt dévalorisé, tantôt survalorisé.
La même année, Freud cite encore ce conflit avec Jung dans son article sur
Le narcissisme (1914) et à propos de l’investissement du Moi par la libido, avec
comme corollaire une perte de la réalité, il mentionne Jung qui se débarrasse de
ce problème par la remarque que « de cette condition pourrait résulter la psy-
chologie d’un anachorète ascétique mais non une démence précoce », et Freud
d’ajouter « un tel anachorète qui s’est efforcé d’extirper toute trace d’intérêt sexuel
ne présente pas même forcément une disposition pathogène de la libido. Il peut
bien avoir totalement détourné des êtres humains son intérêt sexuel, et pourtant
l’avoir sublimé sous forme d’un intérêt accru pour le domaine divin, naturel ou
animal, sans que sa libido ait subi une introversion dirigée sur les objets imagi-
naires, ou un retour au Moi ». 1
Ce texte me permet d’être plus explicite. Les objets imaginaires en question
sont les objets de l’enfance, les objets fantasmatiques (S.E.: his fantasies) ; quand
1
S.E., XIV, 80, tr. LAPLANCHE.
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Freud n’est pas d’accord avec Jung à propos de la religion, produit de la sublima-
tion des conflits infantiles, il serait opposé au fait que Jung transforme le fan-
tasme familial de l’enfant en un fantasme religieux de l’adulte, dans la mesure où
Jung confond libido et intérêt psychique en général. Par contre, dans sa dernière
remarque sur l’anachorète, Freud nous montre la sublimation comme un détour-
nement de l’intérêt sexuel fantasmatique d’origine infantile vers un intérêt accru
pour le domaine divin, naturel ou animal, cette fois-ci non plus fantasmatique
ni sexualisé. La sublimation comprend donc un abandon des fantasmes et une
désexualisation de l’objet-but, avec sa valorisation sur le plan inter-personnel ; il
n’y a donc a priori aucune raison que la religion de Jung ou le socialisme d’Adler
ne puissent être des objets-buts de la sublimation freudienne dans la mesure où
ils représentent autre chose que des formations réactionnelles investies de libido
sexuelle.
Enfin dans Le narcissisme, Freud précise les rapports entre sublimation et
idéal du Moi. La sublimation consiste en ce que la pulsion choisisse un autre but,
éloigné de la satisfaction sexuelle. L’idéalisation exalte l’objet sans que sa nature
soit changée : « Tel qui a échangé son narcissisme contre la vénération d’un
idéal du Moi élevé n’a pas forcément réussi pour autant à sublimer ses pulsions
libidinales. L’idéal du Moi requiert cette sublimation mais il ne peut l’obtenir de
force. »
Et encore : « La formation d’idéal augmente les exigences du Moi et c’est le
plus puissant facteur favorisant le refoulement ; la sublimation représente l’issue
qui permet de satisfaire à ces exigences sans amener le refoulement. 1
Ainsi Freud lie la sublimation au déplacement du but de la pulsion loin de la
satisfaction sexuelle, déplacement qui permet d’éviter le refoulement. En outre,
il indique bien la concordance entre l’objet-but et l’idéal du Moi tout en les
distinguant toutefois. La difficulté présente provient précisément d’une vue peu
claire du système du Surmoi, et du concept d’idéal du Moi qui n’est pas non plus
différencié de celui du Moi-idéal. Néanmoins, il ressort de ce texte qu’on peut
appeler l’objet-but de la sublimation un idéal du Moi mais il faut préciser que cet
idéal du Moi en soi ne suffit pas puisqu’il peut aussi bien favoriser le refoulement
que requérir la sublimation.
Cette même question se pose à propos de Les pulsions et leur destin (1915).
La sublimation y est présentée comme une des quatre vicissitudes de la pulsion,
soit sublimation, refoulement, changement en son contraire et retournement sur
soi. Elle est mentionnée dans la phrase suivante : Ainsi le mot aimer (to love) se
déplace de plus en plus vers la sphère d’une relation de pur plaisir entre le Moi
et l’objet ; le mot aimer se fixe aux objets sexuels dans le sens le plus strict, ainsi
qu’aux objets qui satisfont les demandes des pulsions sexuelles sublimées ». 2
1
S.E., XIV, 95, tr. LAPLANCHE
2
S.E., XIV, 137.
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rables à l’éclosion artistique, Freud dit qu’il est possible que la constitution de
l’artiste comporte une grande aptitude à la sublimation et une certaine faiblesse
à effectuer des refoulements.
Nous savons qu’a différents moments, Freud a déclaré à propos des beaux-arts
qu’un mystère que la psychanalyse ne saurait éclairer les entourait et ceci d’une
façon assez élective comme si ce mystère ne concernait pas la science par exemple.
La création artistique jouit en somme pour Freud d’un privilège curieux. A
ce propos les psychanalystes qui aiment à se raccrocher à la notion d’un déter-
minisme rigoureux sont étonnés de la fin du Léonard de Vinci où Freud rend
hommage au hasard, à l’indéterminisme ou encore au don de sublimation qui
était l’apanage du grand artiste.
Marie Bonaparte par exemple, parmi beaucoup d’autres, ne s’est pas laissée
décourager et a tenté de montrer les origines des qualités artistiques dans un
attachement de type spécifique à la mère. Pourtant toute explication psychana-
lytique par la constellation familiale ou fantasmatique archaïque ne suffit pas à
expliquer l’originalité de la création artistique, pas plus du reste que celle de la
recherche scientifique. Je pense que la peinture par exemple a fasciné Freud à
la fois dans son rôle de psychanalyste et dans son intérêt esthétique d’homme
cultivé, d’où la difficulté à y voir soit un problème analytique : l’œuvre devient-
elle une sublimation par rapport à la relation analyste-analysé ?, soit un pro-
blème culturel : l’œuvre répond-elle aux normes esthétiques de notre civilisa-
tion ? Actuellement nous assistons à une éclosion massive de jeunes peintres et
notre ordre de valeurs s’en trouve bouleversé. Il faudra laisser passer du temps
pour que les valeurs définitives émergent du lot, indépendamment de leur valeur
psychanalytique de formations réactionnelles ou de sublimations.
Je pense que l’indéterminisme auquel Freud rend hommage, que le mystère
auquel il se heurte, qu’aussi la faiblesse des tentatives psychanalytiques d’expli-
cation du talent artistique chez une Marie Bonaparte, sont précisément liés au
fait que l’objet-but de la sublimation a cette caractéristique délicate de devoir
correspondre à un idéal de soi comme à un idéal de l’autre et enfin, à un idéal
collectif, ce qui implique encore plus qu’une désexualisation ou une « débru-
talisation » comme on l’a proposé, une déconflictualisation des relations, des
échanges aconflictuels si faire se peut ; l’objet-but implique donc une reconnais-
sance. Et le psychanalyste doit se limiter à la reconnaissance de la sublimation
chez son analysé, lui donnant par là sa valeur interpersonnelle correspondant à
celle que l’analysé a cherchée en vain dans la constellation familiale archaïque,
tout comme il doit renoncer à trouver une valeur culturelle aux sublimations de
son analyse, et en laisser le soin aux personnes dont c’est le métier, critiques d’art
ou historiens par exemple.
Freud s’est lancé à corps perdu dans sa sublimation scientifique, aucun obs-
tacle ne l’a arrêté. Chaque pas en avant impliquait un effort qui le mettait en
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tenant dans une région plus élevée, telle la bataille des Huns dans le tableau de
Kaulbach » 1. Freud fait allusion par là au fait que religion, morale et valeurs
sociales proviennent du Surmoi, lequel est composé d’identifications et de re-
nonciations aux premiers objets, lequel est – nous dit expressément Freud – en
grande partie une formation réactionnelle au choix des parents comme objet
pour satisfaire les pulsions.
Et si le problème de la sublimation est de nouveau obscurci, ce n’est pas telle-
ment qu’il y ait des batailles dans les sphères élevées faute de sublimation, mais
c’est bien dû au fait que le système du Surmoi qui implique les notions de valeurs
est assimilé à une formation réactionnelle.
Ainsi les valeurs élevées agréées par le Surmoi sont-elles par nature chargées
de formations réactionnelles et ne peuvent être l’objet d’une sublimation. Pour-
tant, dans la mesure où ces valeurs élevées, dans la mesure où religion, éthique,
esthétique ne seraient pas un idéal du Moi d’origine parentale, la sublimation
devrait être possible. Il faudrait que le Surmoi en devenant conscient perde sa
fonction de processus de défense pour pouvoir valoriser l’objet vers lequel se fait
une sublimation. Ainsi, si après s’être identifié au père sous l’emprise de la terreur
et avoir lié la religion ou l’éthique à cette identification on réussit par l’analyse,
par exemple, à se réconcilier avec le père et à atténuer la fonction défensive du
Surmoi, du même coup la religion ou l’éthique perdent leur valeur de formation
réactionnelle et peuvent devenir un problème actuel pour le Moi, ou peut deve-
nir l’objet-but d’une sublimation.
Ceci rappelle la question posée tout à l’heure, cet objet-but de valeur non
défensif, non réactionnel, ou encore aconflictuel rejoint-il le Moi idéal ? Moi
idéal fait de narcissisme et d’objets aconflictuels également. Question qui appa-
raît aussi dans ce texte sous cette forme : « Toute sublimation n’a-t-elle pas lieu
par la médiation du Moi qui débute en changeant la libido sexuelle objectale en
libido narcissique puis poursuit éventuellement son action en lui procurant un
autre but ». 2
Quant à la présence embarrassante de l’instinct de mort, elle pose en effet des
questions insolubles dont la plus simple serait de se demander ce qu’il devient
si nous sommes en présence d’une sublimation qui s’accomplit efficacement. Si
cette sublimation implique la désintrication des pulsions, que deviennent les
pulsions de mort ? L’instinct de mort apparaît alors comme l’opposé de tout
changement, de toute évolution, je dirai plus, de toute efficacité de la psychana-
lyse ; plus une personne devient apte à sublimer, plus il y a désintrication et plus
l’instinct de mort se libère pour s’opposer à la sublimation. Il nous fait arriver à
ce paradoxe : plus il y a de sublimation plus il y aura de formations défensives.
Les paradoxes auxquels nous mène invariablement l’instinct de mort ont été
1
S.E., XIX, 39.
2
S.E., XIX, 30.
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* * *
1
S.E., XIX, 257.
2
S.E., XX, 72.
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1
L’avenir d’une illusion, S.E., XXI, 54; tr. fr. BONAPARTE, 121.
2
Avenir d’une illusion, S.E., XXI, 54 ; tr. fr. BONAPARTE, 146.
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annule magiquement les peurs liées à l’instinct de mort (1930). Nous sommes
loin de l’idée d’une sublimation qui dégage l’objet-but du conflit défensif in-
fantile. 1
Si les pulsions agressives jouent un rôle aussi important que les pulsions li-
bidinales, l’hostilité par contre ne leur est pas nécessairement liée, et Barbara
Lantos fait une distinction d’un grand intérêt à ce propos. Elle nous rappelle
en effet que dans le comportement animal, les instincts les plus destructeurs
consistant à déchirer la victime pour la dévorer ne sont pas accompagnés d’hos-
tilité. Il est vraisemblable que le lion ne se sent pas hostile vis-à-vis du mouton ;
par contre, l’hostilité jaillit dans les situations de rivalité et précisément dans ce
cas, la lutte ne finit souvent pas par la destruction ou la dévoration du vaincu.
Cet auteur introduit donc une ébauche de classification de l’énergie agressive
puisqu’elle constate que son expression est différente si elle est intriquée aux
instincts sexuels ou aux instincts de conservation.
Si Barbara Lantos admet elle aussi que l’origine de l’énergie de sublimation
se trouve à un niveau oral, nous voyons qu’elle réintroduit la notion d’instincts de
conservation ou d’instincts du Moi.
Ce sont ces instincts de conservation, dont on voit la réalisation originale chez
l’animal sous forme d’agression dévorante et destructrice qui sont pour cet auteur
la source de l’énergie neutralisée, à disposition des activités humaines, lesquelles
détiennent leur valeur par identification au bon objet. Elle lie donc la sublimation
à un refoulement précoce et profond d’instincts dévorateurs ou cannibales.
Revenons à cette notion d’énergie neutre ou désexualisée, notion dont Hart-
mann, Kris et Lœewenstein ont été je crois les promoteurs à New York. Hart-
mann dans ses études sur la psychologie du Moi distingue des processus d’auto-
nomie primaire du Moi tels que l’activité motrice du nouveau-né, la mémoire,
etc., et des processus d’autonomie secondaire du Moi tels que par exemple l’inté-
gration d’un mécanisme de défense du Moi dans la personnalité sous la forme
d’un trait de caractère structuré.
Ces fonctions autonomes du Moi sont investies soit d’énergie sexuelle neu-
tralisée soit d’énergie agressive neutralisée. Le concept d’énergie pulsionnelle
neutralisée est difficile à saisir du fait qu’il implique une action du Moi pour
la neutraliser et que pour ce faire le Moi doit bien trouver son énergie quelque
part ; ce danger d’un raisonnement circulaire est bien celui sur lequel on risque
sans cesse de s’achopper. Aussi Hartmann se pose-t-il la question d’une éner-
gie neutralisée dès l’origine, question que Freud avait posée notamment avant
l’introduction du narcissisme (instincts du Moi).
À propos de la sublimation, Hartmann envisage donc une triple origine de
1
Mme Marcelle Spira me fait remarquer que pour Melanie Klein le mouvement et la parole sont des
sublimations. Pour ma part, il s’agit d’activités autonomes du Moi qui, de par leur investissement, pour-
ront contribuer à l’expression d’émois érotiques, de défenses ou de processus de sublimation.
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Lorenz mentionne les petits des oies qui faute de mère s’attachent à un objet
quelconque qui devient pour eux un objet de valeur.
Spitz montre que les singes de Harlow se servent du singe en fil de fer pour
apaiser leur faim – il représente la valeur nourriture – mais lui préfèrent entre
leurs repas la construction chauffée et poilue qui représente la valeur chaleur et
confort.
Odier, lui, exprime son ordre de valeur personnel quand il dit distinguer
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