Un Si Tendre Ennemi (PDFDrive)
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Un Si Tendre Ennemi (PDFDrive)
Hannay Barbara
Harlequin (2012)
Etiquettes: azur
Si on avait dit à Sandy qu'elle devrait un jour cohabiter avec l'insupportable Max Jardine, frère
de Dave, son meilleur ami, elle ne l'aurait jamais cru. Elle avait déjà du mal à rester dans la
même pièce que Max, alors passer plus de vingt-quatre heures en compagnie de cet ours mal
léché, cela relevait carrément du défi ! Mais malheureusement, un cas de force majeure la
contraignait à cette promiscuité : Dave venait d'être enlevé en Somalie et sa femme, partie sur
place pour tenter de le faire libérer, lui confiait, ainsi qu'à Max, leur petite fille Molly jusqu'à
leur retour. Il ne lui restait plus qu'à faire contre mauvaise fortune bon cœur, et à s'occuper de
l'adorable fillette avec son ennemi de toujours...
Un si tendre ennemi
de Barbara HANNAY
En entendant les coups qu'on frappait à sa porte, Sandy eut l'intuition qu'il s'était passé quelque
chose de terrible. Elle se précipita pour ouvrir et trouva sur le seuil Isabel, sa meilleure amie,
qui serrait désespérément contre sa poitrine sa fille Molly, un bébé de dix mois.
— J'ai besoin de toi, Sandy, si tu peux m'accorder un moment.
Le regard d'Isabel était rempli de terreur et Sandy passa autour de ses épaules un bras
protecteur.
— Tu sais que je suis toujours disponible pour toi, Bel. Entre et dis-moi ce qui ne va pas.
Isabel pénétra dans la maison et aperçut immédiatement les dossiers accumulés sur la table du
salon.
— Excuse-moi, je te dérange en plein travail.
— Non, ne t'inquiète pas. Ça peut attendre. Rapidement, Sandy fit disparaître dans une
chemise les dessins qu'elle venait de terminer. Pour l'instant, il valait mieux qu'elle oublie ses
propres préoccupations concernant le catalogue commercial qu'elle devait remettre l'après-
midi même à l'imprimeur. Il était évident qu'Isabel était en proie à des problèmes plus
importants.
— Que puis-je faire pour t'aider ?
Le visage habituellement serein de son amie se crispa et des larmes ruisselèrent sur ses joues.
— C'est Dave !
— Dave... Il lui est arrivé quelque chose en Afrique ? s'enquit Sandy.
Deux mois plus tôt, le mari d'Isabel avait été détaché auprès d'une organisation humanitaire
australienne pour forer des puits en Somalie.
Isabel serra sa petite fille plus fort encore.
— C'est si terrible, si inattendu. Il a été pris en otage... C'est une affreuse erreur, et maintenant,
il est aux mains de rebelles somaliens.
Elle essaya de ravaler les sanglots qui la secouaient de nouveau.
— Je n'arrive pas à le croire, s'exclama Sandy en prenant la main de son amie.
C'était le genre de chose qui n'arrivait pas aux gens ordinaires et, en tout cas, pas à Dave
Jardine, le garçon avec qui elle avait grandi, le compagnon de jeux de son enfance. L'image de
cet homme gai et charmant aux prises avec un groupe de soldats en armes lui était intolérable.
Comment sa femme parvenait-elle à supporter cela ?
— Que peut-on faire ? murmura Sandy, accablée.
— Je vais partir là-bas, répondit Isabel d'une voix pleine de détermination.
— Toi aussi ? Mais que feras-tu ?
— Apparemment, il semble que je sois la seule à pouvoir aider Dave, expliqua Isabel, les yeux
emplis de frayeur. C'est du moins ce que pense le personnel de l'ambassade d'Australie sur
place. Comme Dave a été détaché en Somalie dans le cadre d'un programme humanitaire, ils
tendant les bras.
Accablée, Sandy s'interrogea. Préférait-elle imaginer Max faisant irruption dans sa chambre ou
l'aidant à se hisser en minijupe jusqu'à la fenêtre ? Sa décision fut vite prise.
— En définitive, compte tenu de la longueur respective de nos jambes, je pense qu'il est plus
raisonnable de te laisser grimper.
— Parfait, répondit-il en se hissant d'un bond jusqu'à l'appui de la fenêtre avant de disparaître
à l'intérieur.
Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer sa réaction devant cet immense lit dans cette pièce
exigu . Il devait trouver cet aménagment complètement ridicule. En réalité, ce grand lit n'était
pas de son fait : elle avait opté pour cette maison meublée à cause de son loyer modéré et de
sa proximité du centre.
La porte s'ouvrit sur Max.
— Si ces dames veulent bien se donner la peine d'entrer... Sandy le remercia du bout des
lèvres et s'engouffra che elle la tête haute, Molly dans les bras. Sur le seuil du salon, elle se
tourna vers lui dignement :
— Pourrais-tu me préciser l'objet de ta visite ?
— Il me semble que nous devrions discuter des dispositions à prendre pour Molly.
Sandy le toisa. Le combat commençait avant qu'elle ait pu établir un plan de bataille.
— Isabel a déjà décidé de ce qui est le mieux pour sa fille.
— Mais ce bébé est également ma nièce ! rétorqua-t-il en balayant le salon du regard.
Sandy remarqua que ses sourcils se fronçaient tandis qu'il passait en revue les jouets, le lit
pliant, le siège-auto, la poussette, sans parler des piles de vêtements qui auraient pu équiper
toute une halte-garderie.
Il eut un regard dubitatif en direction des brochures et des classeurs qu'elle avait entassés sur
son canapé et de l'ordinateur qui trônait sur la table du coin salle à manger, entouré d'un
monceau de papiers.
— Il y aura plus de place quand j'aurai rangé les affaires de Molly dans la chambre, expliqua-
t-elle en toute hâte.
— De quelle chambre veux-tu parler ?
— La mienne, répondit-elle en piquant un fard.
— Tu veux dire que tu vas entasser tout ce fourbi dans cet espace minuscule ?
— Au moins une partie, marmonna-t-elle.
— Dans ce cas, il faudra te contenter d'un lit plus petit. Sandy préféra ignorer cette
provocation et le suivit, portant toujours Molly, tandis qu'il inspectait la itchenette en silence. Il
revint ensuite dans le salon où sa silhouette massive semblait occuper tout l'espace. inalement
il lui fit face, et la dévisagea de ses yeux bleus à l'éclat inquiétant.
— Ce n'est pas raisonnable, Sandy. Tu ne peux pas t'occuper de Molly correctement dans une
si petite maison !
— Je te rappelle qu'Isabel n'y a pas vu d'inconvénient.
— Elle n'était plus en pleine possession de ses moyens. oilà bien le genre de coup bas auquel
il fallait s'attendre de la part de Max, songea Sandy, bien décidée à ne pas se laisser
impressionner.
— Isabel n'avait pas perdu la tête au point de faire courir le moindre risque à sa fille et c'est
moi qu'elle a choisie pour prendre soin d'elle, rétorqua-t-elle en plongeant son regard dans
celui de Max. Tu pourrais au moins en tenir compte.
Celui-ci détourna le regard.
— Pourquoi refuses-tu de me faire confiance, Max ?
— Je suis sûr que tu es pleine de bonnes intentions, Sandy. Mais je ne peux pas m'empêcher
de me rappeler...
Elle l'interrompit pour monter au créneau :
— Je crains que tu n'aies pas remarqué que je n'ai plus dou e ans !
Il esquissa un bref sourire tandis qu'une étincelle amusée s'allumait dans son regard.
— h que si ! Il est clair que tu as grandi en âge et en sagesse.
Sandy sentit sur ses joues une rougeur soudaine qu'elle tenta de dissimuler en baissant la tête
vers la petite.
— Ce dont je me rappelle, c'est ta réaction lorsque tu es venue à l'hôpital le jour de la
naissance de Molly. Tu clamais haut et fort que tu craignais de la lâcher si tu la prenais dans tes
bras.
Sandy poussa un soupir d'exaspération.
— Les nouveau-nés, c'est différent. Mais maintenant, je suis très à l'aise avec Molly.
— Pourtant, je t'ai entendue dire que tu attendrais qu'elle soit en âge de faire les magasins avec
toi pour t'occuper d'elle. Alors seulement, tu lui enseignerais la stratégie des soldes et où boire
un vrai café italien en ville.
Sandy jeta à Max un regard incrédule. Elle se souvenait à peine avoir proféré toutes ces
âneries. Cet homme devait avoir enregistré toutes ces inepties pour pouvoir un jour les utiliser
contre elle.
— D'accord, je reconnais qu'au début, j'avais un peu d'appréhension, mais depuis, Molly et
moi, on est devenues de vraies copines, pas vrai, mon trésor ?
En guise de réponse, Molly se débattit faiblement entre ses bras tout en poussant un petit
gémissement de protestation.
Sandy tenta de juguler cette tentative de soulèvement en faisant sautiller le bébé sur son bras
pour le calmer comme elle avait si souvent vu Isabel le faire avec autant de dextérité que de
succès.
— Si je comprends bien, reprit Max, tu vas essayer déjouer à la nounou tout en continuant à
travailler ?
— Bien sûr, et cela ne devrait poser aucun problème, répliqua-t-elle tandis que le petit visage
écarlate de Molly se crispait et que retentissait un cri déchirant.
Décontenancée, Sandy l'assit par terre à ses pieds et, à sa grande surprise, les pleurs cessèrent
immédiatement.
— Tu as vu ça ? demanda-t-elle à Max. Je n'aurai pas besoin de la porter toute la journée. Il
me suffira de l'asseoir au milieu de ses jouets et de la surveiller tout en travaillant.
Le regard de Max, qui s'était radouci tandis qu'il contemplait sa nièce, se durcit de nouveau.
— Je n'ai pas l'intention de te la laisser, Sandy.
— Je te demande pardon ?
— Tu m'as parfaitement compris. Je ne t'abandonnerai pas Molly.
— Dis donc, comment peux-tu insinuer que, me la laisser, ce serait l'abandonner ?
— Ne le prends pas comme une attaque personnelle, répliqua-t-il avec une calme
détermination.
— Et comment suis-je censée le prendre, s'il te plaît ?
— Comme une histoire de famille - le lien du sang, si tu veux. n ne peut attendre d'une simple
amie qu'elle se charge d'une telle responsabilité.
— Tu oublies que je ne suis pas une simple amie, comme tu dis, mais la marraine de Molly,
s'écria-t-elle.
Au moment où ces mots franchissaient ses lèvres, elle regretta de les avoir prononcés : Max,
cet ennemi sans c ur, cet ogre abominable, n'était-il pas à la fois l'oncle et le parrain de Molly
? Elle porta immédiatement le combat sur un terrain plus favorable :
— Peux-tu m'expliquer comment tu vas t'y prendre ? Il n'y a pas la moindre femme sur ta
propriété, seulement une fine équipe de bras cassés.
— Naturellement, je vais engager une nurse diplômée.
— Eh bien, figure-toi que si Isabel avait voulu d'une nurse pour s'occuper de sa fille, elle en
aurait choisi une elle-même. Elle tenait à ce que ce soit quelqu'un de confiance, quelqu'un
qu'elle connaissait qui s'occupe de Molly, pas une étrangère bardée de diplômes !
Max passa longuement sa main dans ses cheveux tout en s'absorbant dans la contemplation du
carrelage du salon.
— Elle a dit qu'elle ne voulait pas de nurse ?
— C'est exact, rétorqua Sandy avec la plus grande fermeté.
— Eh bien, puisque nous sommes parrain et marraine de Molly, il nous faudra donc partager
cette responsabilité.
2.
— Pourrais-tu m'expliquer ce que tu entends par là ? s'enquit Sandy, alarmée par ce que
semblait suggérer Max.
— Nous sommes ses parrain et marraine et nous devrons donc prendre soin d'elle. Ensemble.
— Tu veux dire toi et moi ?
— C'est ça.
— Impossible !
— Pourquoi ?
— Etre parrain ou marraine n'est qu'un engagement de pure forme.
— Délicieuse contradiction féminine ! Tu viens de me soutenir que, si tu devais t'occuper de
Molly, c'est parce qu'elle était ta filleule !
Sandy se sentait perdre du terrain et passa nerveusement sa main dans sa courte chevelure
brune.
— Je veux dire que ça ne signifie pas que nous allons assumer ces responsabilités ensemble,
répliqua-t-elle.
Une lueur malicieuse s'alluma dans les yeux de Max.
— Je ne vois qu'une seule solution raisonnable à ce problème : Molly et toi, vous allez
emménager dans mon ranch, près de Goodbye Creek, jusqu'au retour d'Isabel. De cette
façon, nous pourrons réellement coopérer.
L'estomac de Sandy se noua à cette idée.
— Coopérer ! J'aimerais que tu m'expliques en quoi consistera ta coopération ! Je vois d'ici
qui va faire toutes les concessions ! Pourquoi devrais-je accepter d'aller m'enterrer avec toi au
fin fond de l'Outback ?
— Parce que, répondit Max sur un ton exagérément patient, comme je te l'ai déjà expliqué,
nous devons partager cette responsabilité. Cela nous permettra aussi à tous deux de continuer
à travailler, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil significatif aux dossiers empilés sur le divan.
D'ailleurs, il me semble plus facile d'emporter à Goodbye Creek ton petit matériel que de faire
transhumer quelques milliers de têtes de bétail vers ce délicieux pavillon urbain.
Il paraissait si prétentieux et sûr de lui que Sandy l'aurait volontiers giflé. D'autant plus qu'elle
commençait à se sentir piégée.
— Ça ne peut pas marcher.
— C'est pourtant un compromis qui permettrait de résoudre bien des difficultés.
Elle aurait aimé pouvoir lui dire qu'elle était trop occupée, qu'elle avait une demi-douzaine de
contrats à honorer en même temps. Mais même si elle réussissait à proférer un tel mensonge, il
était clair que Max parviendrait à retourner cet argument contre elle. Néanmoins, elle ne put
s'empêcher de lui tenir tête :
— Ça va être la bagarre permanente entre nous ! Il fit mine d'être choqué.
— Mais pourquoi donc ?
— Maxwell Jardine, je te rappelle que nous n'avons jamais été d'accord sur rien et qu'à part
l'air que nous respirons, nous n'avons rien en commun.
Max sourit de toutes ses dents.
— Allons, Sandy, je te croyais capable de discuter en adulte !
La rage faillit l'étrangler : elle qui aurait tant voulu se sentir sûre d'elle, un peu hautaine, même, il
suffisait d'une parole ou d'un regard de Max pour lui faire perdre tout son aplomb.
L'expression de celui-ci s'adoucit fugitivement ; il fit un pas vers elle et lui posa les mains sur les
épaules.
— Sandy Elisabeth Brown, dit-il d'une voix solennelle, nous nous entendons sur l'essentiel.
Le souffle coupé, elle perçut la chaleur de ses paumes à travers son fin chemisier.
— Nous sommes tous deux d'accord sur le fait que Molly requiert des soins attentifs et pour
cette occasion du moins, nous avons quelque chose à accomplir ensemble : nous devons lui
tenir lieu de parents. Sans doute as-tu raison de dire que ça n'ira pas sans mal, mais je suis sûr
que nous allons finir par nous entendre, pour son bien.
Un instant, Sandy affronta le regard troublant de ses yeux bleus. Cela lui suffit pour se sentir
immédiatement moins sûre de pouvoir argumenter avec logique.
— Ensemble, nous allons mettre toutes les chances de notre côté, pour Molly et pour notre
travail, continua-t-il.
Ce qu'il lui proposait était complètement irréaliste ! songea Sandy. Comment envisager de vivre
sous le toit de Max qui ne manquerait pas d'évaluer à chaque occasion ses talents maternels ?
Il aurait vite fait de découvrir qu'elle n'y connaissait absolument rien ! Pourtant elle était prête à
se battre jusqu'au bout pour éviter cette terrible humiliation. Elle sentit soudain qu'elle inclinait
lentement la tête comme pour acquiescer à sa proposition sans doute parce que le regard de
Max détenait un réel pouvoir hypnotique. Il eut vite fait de profiter de cet avantage
déloyalement acquis :
— Je te promets de participer. Je donnerai le biberon et le bain à Molly, je ferai tout ce qu'il
faudra. Si tu préfères, on pourra même établir une répartition des tâches !
Elle passa une main tremblante sur ses yeux. Jamais, même dans ses fantasmes vengeurs les
plus fous, elle n'avait imaginé Max aux prises avec un bébé. Elle s'efforçait de se représenter la
scène lorsque la sonnerie du téléphone retentit.
— Mon Dieu ! C'est sûrement l'imprimeur ! Je lui avais promis une série de dessins avant 5
heures, dit-elle en se ruant sur l'appareil. Allô, ici Sandy Brown...
— Sandy, proféra une voix féminine un peu inquiète, c'est Sue Easton de l'imprimerie A la
Page. Je me demandais...
Sandy la rassura : le travail était prêt et elle était sur le point de le lui transmettre. Au même
moment, résonnèrent fugitivement derrière elle les pleurs de Molly. Après avoir raccroché en
hâte, elle se retourna et vit Max, tranquillement assis sur le canapé, l'air satisfait, qui faisait
sauter sur ses genoux le bébé manifestement ravi.
— Tu vois bien que tu as besoin d'aide. Je vais m'occuper de ce petit ange pendant que tu
boucles ce qui te reste à faire.
— Je te remercie, répondit-elle d'un ton mal assuré.
— Ensuite, on organisera votre déménagement à Goodbye Creek. Je passerai la nuit à l'hôtel
et dès demain matin, nous serons à pied d'œuvre.
Le visage de Molly se crispa soudain pour devenir progressivement écarlate. Sandy remarqua
qu'elle avait l'air étrangement concentrée.
— Oh ! Oh ! s'exclama Max, perdant un peu de sa superbe.
Il souleva Molly avec une grimace circonspecte.
— Aurait-elle sali sa couche ? demanda Sandy.
— C'est bien possible.
En voyant l'air déconfit de Max, elle réprima un sourire.
— Merci beaucoup de la prendre en charge une petite demi-heure. C'est vrai, il me reste
quelques tâches à accomplir, surtout si je dois quitter la maison demain. Je vais te donner ce
qu'il te faut, dit-elle en extrayant vivement d'un carton une couche immaculée qu'elle posa sur le
canapé.
— C'est le moment que tu choisis pour me laisser tomber ? gémit-il en brandissant Molly à
bout de bras.
— Désolée, mais ces dessins devraient déjà être chez l'imprimeur, lança-t-elle en s'emparant
d'un dossier avant de se précipiter vers la porte. Ne t'en fais pas. Je suis sûre que tu vas t'en
sortir !
Curieusement, elle avait l'impression de déserter au début du combat.
Le lendemain, dans l'avion de Max, Sandy eut la surprise de ressentir une bouffée de nostalgie
en survolant les vastes espaces de Goodbye Creek Station, le ranch de la famille Jardine. Cela
faisait cinq ans qu'elle n'était pas revenue dans cette propriété qu'elle connaissait naguère aussi
bien que le quartier de Goodbye Creek où ses parents possédaient un supermarché. Ils
l'avaient vendu avant de déménager sur la côte quand elle était partie étudier à l'Université.
Ce matin, elle avait embarqué à l'aube en compagnie de Max et de Molly, emportant les
nombreux bagages du bébé mais seulement quelques vêtements, un carton de disquettes et du
papier à dessin pour elle-même. Max avait en effet soutenu qu'il était équipé de matériel
informatique dernier cri. Durant les cinq heures de vol, Molly s'était réveillée de temps en
temps. Sandy l'avait dûment nourrie, changée et amusée en jouant au « petit cochon qui va au
marché ».
Max avait entretenu une conversation polie sur le temps et le paysage, mais elle avait
l'impression qu'il se comportait comme s'ils s'étaient rencontrés la veille et non pas comme s'ils
se connaissaient depuis plus de vingt ans. Pourtant, tandis que l'avion amorçait sa descente et
que défilaient sous ses yeux les plaines au sol rouge de son enfance, son cœur se serra. Elle
sentit qu'ils ne pourraient plus feindre d'ignorer le passé qui les unissait.
Elle remua nerveusement sur son siège, étonnée d'être si émue de revoir les grands eucalyptus
et les enclos d'herbe tendre, parsemée en ce début d'été de fleurs multicolores. Max suivait le
cours de la rivière dont elle reconnaissait chaque méandre, depuis les cascades bondissantes
jusqu'aux rapides tourbillonnants qui s'apaisaient un peu plus bas pour former une sorte de
bassin. C'avait été le lieu de pique-nique mythique de leur enfance. Lorsqu'elle avait dix ans,
Sandy était fière de pouvoir descendre les rapides jusque-là, agrippée à un vieux pneu de
tracteur. Dans ces moments-là, Dave n'était pas avare de compliments.
« Tu es aussi courageuse qu'un garçon ! s'écriait-il. Et tu n'as pas crié une seule fois sur tout le
parcours. N'est-ce pas, Max, qu'elle est super ? »
Mais ce dernier se contentait de hausser les épaules d'un air indifférent.
Maintenant, plus ils approchaient de la maison, plus Sandy se sentait gagnée par l'émotion.
— Nous voilà chez nous, murmura Max avec un petit sourire de satisfaction en poursuivant la
descente.
Les enclos et les granges aux toits rouilles où l'on stockait le fourrage apparurent, puis elle
aperçut les vieux bâtiments et la barrière de bois délavée qui dataient de la première époque
des pionniers. Elle jeta un coup d'œil à Molly qui somnolait dans son siège enfant derrière elle.
— La petite est déjà venue ici ?
— Non, répondit Max. C'est la première fois qu'elle pose le pied sur la propriété de la famille.
Un moment solennel... Tout cela lui reviendra un jour !
— A moins que tu ne te décides à avoir des enfants.
Il tourna vers elle ses inquiétants yeux bleus qui se voilèrent d'amertume.
— C'est vrai, murmura-t-il en détournant la tête, c'est encore possible.
L'avion survola une mare où s'ébattaient des canards, non loin d'un vieux moulin à vent. Elle
sentit ses yeux s'embuer de nostalgie tandis qu'il lui semblait entendre le grincement de la
pompe qui alimentait autrefois les abreuvoirs et elle détourna la tête :
— Ça alors, tu as posé une antenne parabolique !
— Eh oui, il faut bien vivre avec son temps.
Ils dépassèrent une série de hangars et d'ateliers.
— J'ai installé aussi des éoliennes et des capteurs solaires pour alimenter une pompe
électrique.
— Ça marche mieux ? demanda-t-elle d'un ton dubitatif en examinant les équipements
flambant neufs.
— Maintenant, l'alimentation en eau est beaucoup plus régulière. Avant, il y avait sans cesse
des problèmes lorsqu'il n'y avait pas suffisamment de vent.
Lorsqu'ils passèrent au-dessus de l'habitation principale, une construction de bois de plain-
pied, confortable mais rustique avec sa véranda envahie de vigne vierge, Sandy poussa un cri
de surprise :
— Dis donc ! Quel changement ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Oh. je me suis contenté de la repeindre, expliqua-t-il tout en se préparant à atterrir.
L'avion toucha enfin la piste.
— Quelle différence ! reprit Sandy, toujours plongée dans la contemplation de la maison.
Les murs de bois avaient été peints d'un bleu profond sur lequel se détachait le blanc de la
treille et le toit métallique qui brillait comme de l'argent. Max lança à Sandy un regard inquiet :
— Elle te plaît ?
— C'est magnifique, Max. Je n'aurais pas cru qu'on puisse arriver à un tel résultat. Qui a
réalisé tout ça ?
— Je l'ai fait moi-même, pendant la saison sèche, bien sûr. Tandis que l'avion s'arrêtait, Sandy
s'étonna du nombre de semaines que Max avait dû consacrer à ce travail solitaire.
— Bravo ! C'est vraiment extraordinaire, déclara-t-elle avec un enthousiasme sincère.
Il eut l'air un peu gêné. Il est vrai qu'il était plus habitué de sa part à des sarcasmes qu'à des
compliments.
Un vieux camion les attendait au bout de la piste pour les conduire à la maison.
La matinée était déjà bien avancée et le soleil brûlant lorsqu'ils purent enfin se rafraîchir dans la
cuisine. Sandy sortit la timbale de Molly et s'assit à table, le bébé sur ses genoux, tandis que
Max tirait une bouteille d'eau du réfrigérateur. Avant de refermer la porte, il en examina le
contenu en fronçant les sourcils.
— J'aurais dû faire des courses en ville, dit-il en remplissant deux verres. Je crains de ne rien
avoir qui convienne à une femme pour le petit déjeuner. Moi, je me contente d'un steak avec
des œufs.
Les yeux de Sandy s'arrondirent :
— Et que sais-tu de ce que les femmes aiment pour le petit déjeuner ?
Sa question avait fusé trop vite, sans qu'elle en ait mesuré les sous-entendus un peu offensants.
Pour elle, Max était le type même du célibataire endurci, menant une vie de reclus au bout du
monde. Pourtant, elle reconnaissait qu'avec sa virilité un peu rugueuse et primitive, il pouvait
attirer une certaine catégorie de femmes - dont, Dieu merci, elle ne faisait pas partie !
En tout cas, une chose était sûre : si elle l'avait blessé, il ne raterait pas une occasion de lui
rendre la monnaie de sa pièce.
— Voyons un peu, rétorqua-t-il en levant les yeux au plafond. Par quel miracle pourrais-je
savoir ce que les femmes prennent au petit déjeuner ?
Il fit mine de s'absorber dans une intense réflexion.
— Ah ! Il me semble que dans les pubs à la télé, elles boivent toujours un grand verre de jus
d'orange.
Incapable de répondre du tac au tac, Sandy se concentra sur l'eau qu'elle était en train de faire
boire à Molly.
— Mais je serais incapable de te préciser d'où je tiens qu'elles adorent commencer par un
yaourt basses calories parfois accompagné d'un soupçon de muesli.
Il s'assit avant de poursuivre :
— Je crois avoir vu un film français dans lequel il apparaissait que les Européennes adorent le
café-croissant.
— J'ai compris, susurra Sandy entre ses dents, et je plains de tout mon cœur les malheureuses
qui ont dû supporter ton machisme de bon matin.
Il but une longue gorgée d'eau.
— Dans ce cas j'espère que tu seras capable de te débrouiller seule.
— Parfaitement. Molly et moi prendrons des œufs brouillés avec des toasts et nous nous
passerons volontiers de tes grâces matinales.
Elle détourna la tête pour échapper à son regard moqueur mais ne put s'empêcher d'imaginer
les circonstances particulières qui avaient pu amener une femme à partager le petit déjeuner de
Max.
Par exemple un lit aux draps frais, sur lequel se détachait son corps puissant et bronzé
qu'enlaçaient deux bras blancs et charnus.
Elle s'efforça de chasser cette pensée importune.
— Aurais-tu des bananes ? demanda-t-elle dans un effort pour changer de sujet. Je vais en
écraser une pour ie déjeuner de Molly pendant que tu prépares son lit.
— Non, je n'en ai pas, malheureusement. Il va falloir que tu lui donnes un des petits pots que
nous avons apportés. Tout à l'heure, nous ferons une liste et j'irai en ville dès demain matin.
Sandy était si soulagée d'en avoir fini avec le redoutable sujet des admiratrices de Max qu'elle
décida de se montrer particulièrement aimable et coopérative.
Plus tard, pour le déjeuner, Max prépara des sandwichs au rosbif qu'ils mangèrent sous la
véranda pendant que Molly empilait des cubes sur le tapis.
Un moment après, pendant que le bébé faisait la sieste, Max proposa à Sandy de visiter les
lieux. Il avait préparé deux chambres mitoyennes dans la partie la plus fraîche de la maison. La
pièce qu'il lui avait réservée, et où elle avait parfois dormi dans son enfance, était pleine de
charme avec son lit de fer forgé et ses rideaux de coton rose et blanc. Dans un cadre d'argent,
Sandy eut îa surprise de découvrir une photo de Dave et elle, prise cinq ans plus tôt lorsqu'ils
sortaient ensemble. A l'époque, Sandy avait dix-huit ans et Dave n'avait pas encore rencontré
Isabel.
Sur la photo, ils étaient en train de danser. Dave riait et elle-même avait l'air épanouie et
romantique.
Mais un souvenir moins agréable lui revint brusquement à l'esprit.
La soirée de Dave s'était terminée par un incident embarrassant qu'elle avait désespérément
essayé de chasser de sa mémoire. Sans doute Max avait-il fait de même car sur le moment, il
avait été aussi furieux qu'elle.
Etonnée, elle désigna le cliché.
— Pourquoi ne t'es-tu pas débarrassé de cette photo ? Max posa la valise et se raidit, comme
en proie à une indéniable émotion :
— Ça ne m'est pas venu à l'idée.
Sandy se sentit soulagée. Il devait avoir oublié ce qui s'était passé, cette nuit-là.
Ou alors, contrairement à elle, qui en avait été profondément marquée, il n'y avait attaché
aucune importance particulière.
Elle mit un moment à retrouver son calme et à se convaincre qu'elle était ravie qu'il ait pris tout
cela avec autant de détachement.
Ils consacrèrent la soirée à aménager des barrières tout autour de la véranda jouxtant les
chambres des nouvelles arrivées. Il fallait que le bébé puisse crapahuter et jouer dans un
espace absolument sûr pendant que Sandy travaillerait. Lorsqu'ils eurent terminé, elle défit ses
bagages, prit une douche rapide et laissa Molly jouer avec ses cubes dans son parc. Pendant
ce temps, Max descendit jusqu'aux bungalows des employés pour régler quelques problèmes
concernant l'exploitation et les avertir de la présence de ses invitées.
Dès son retour, il se mit à préparer des steaks et de la salade pour le dîner tandis que Sandy
couchait Molly après lui avoir donné son biberon.
Tout s'était déroulé sans encombre et Sandy ne put s'empêcher de trouver Molly très facile et
Max bien conciliant. Mais cela allait-il durer ?
Ils dînèrent ensemble et prirent le café en parlant d'anciennes connaissances communes. A la
grande surprise de Sandy, Max se révélait agréable et plein d'humour.
— Veux-tu un digestif ? lui proposa-t-il après avoir avalé sa dernière gorgée de café.
— Non merci, je suis trop fatiguée. Mais prends-en, si ça te fait plaisir.
Il la regarda pensivement.
— Tu ne m'as jamais parlé de ton séjour en Angleterre, après la fac.
— Je ne pensais pas que ça pouvait t'intéresser.
— En fait, je me demandais si tu avais trouvé ce que tu cherchais.
— Eh bien, ces deux ans passés à Londres m'ont permis d'avoir un premier contact avec le
monde du travail.
Il y eut un court silence.
— Figure-toi que j'ai eu l'impression que tu prenais la fuite, reprit-il.
Le charme était rompu et l'atmosphère devint instantanément plus tendue.
— Je ne vois vraiment pas ce qui aurait pu me faire fuir, répliqua Sandy.
— Dave et toi, vous avez été si proches pendant des années ! Tout le monde croyait que vous
alliez vous marier.
— Pas du tout, tout le monde savait bien que ce n'était pas sérieux ! répondit-elle, étonnée que
Max ait pu croire qu'elle était si accrochée. Entre Dave et moi, c'a toujours été très sympa : on
riait bien, on s'adorait, on a eu des tas de bons moments, mais il manquait quelque chose, si tu
vois ce que je veux dire... D'ailleurs, quand on s'est séparés, ni l'un ni l'autre n'avons été
malheureux.
Le rouge lui était monté aux joues et elle s'abstint d'ajouter que chaque fois qu'il y avait eu
quelqu'un dans sa vie, depuis, le même désarroi l'avait envahie. C'était plutôt à elle, sans doute,
qu'il manquait quelque chose : elle avait eu beau rencontrer des jeunes gens charmants et prêts
à tout pour lui plaire, jamais elle ne s'était sentie réellement amoureuse.
Une flamme bleue s'alluma dans les yeux de Max.
— Et tu pensais pouvoir trouver ce que tu cherchais à Londres ?
Au regard qu'il lui lança, son cœur bondit dans sa poitrine. Personne n'avait le droit de lui poser
ce genre de question, surtout pas Max !
— Non, je ne m'attendais à rien de tel, finit-elle par répondre en espérant qu'il ne devinerait
pas qu'elle mentait.
— Aucun gentleman ne s'est jeté à tes pieds ?
Il fallait mettre un terme à cette conversation ridicule, se dit Sandy dont le cœur battait à se
rompre à chaque regard de Max. Bien sûr, elle avait rencontré là-bas plusieurs jeunes gens
charmants, mais aucun ne l'avait conquise. Cependant, elle aurait préféré mourir que de
reconnaître ce qu'elle n'avait jamais osé avouer à personne, pas même à sa meilleure amie : à
vingt-trois ans, elle était sûrement la seule femme de son âge, en dehors des nonnes au fond de
leurs couvents, à être encore vierge.
Elle releva le menton en espérant que cela lui donnerait une expression plus déterminée.
— Bien sûr que j'ai rencontré des hommes, mon cher Max. Mais tu n'auras droit à aucun récit
détaillé. Je n'ai pas de comptes à te rendre sur ce sujet.
Elle se leva et repoussa sa chaise.
— D'ailleurs, je ne t'ai pas questionné sur tes compagnes de petit déjeuner.
Il se dressa à son tour et la toisa de toute sa hauteur.
— Et qu'aimerais-tu savoir ?
— C'est un sujet qui ne présente pour moi aucun intérêt. Et maintenant, si tu le permets, je vais
t'aider à desservir la table et à ranger.
Ils travaillèrent un moment dans la cuisine en silence, entassant la vaisselle dans l'évier, jusqu'à
ce que leurs doigts se frôlent sur le mitigeur.
Sandy était sur le point de retirer sa main lorsque Max la saisit et la garda un instant dans la
sienne. Le sang afflua au visage de la jeune femme et son corps se raidit.
Elle aurait voulu le repousser mais sa propre réaction la déconcertait : jamais elle ne s'était
sentie aussi troublée par un simple attouchement. Immobile près de l'évier, elle contemplait la
large main bronzée qui emprisonnait ses doigts pâles et dont chaque mouvement contre sa
paume semblait précipiter les battements de son cœur.
— Sandy, murmura-t-il, sans qu'elle puisse bouger ni répondre. Sandy...
Il lui souleva légèrement le menton de son autre main, pour la contraindre à croiser son regard.
Max semblait aussi ému qu'elle et sa respiration se fit plus courte. Elle sentit ses doigts caresser
son visage, brûlants comme des flammes sur sa peau.
— Sandy Brown, que ça te plaise ou non, je continuerai à te surveiller comme je l'ai toujours
fait !
D'une pirouette elle se dégagea de son étreinte, furieuse contre lui, sans trop oser s'avouer
pourquoi.
— Mets-toi bien dans la tête que tu n'es ni mon frère, ni mon ange gardien, s'écria-t-elle.
Retourne à tes travaux de peinture, vis ta vie et laisse-moi profiter de la mienne.
Convaincue qu'elle allait fondre en larmes, elle se rua dehors, le laissant seul dans la cuisine.
3.
Le lendemain matin, lorsque Sandy pénétra dans la cuisine, la vaisselle n'avait toujours pas été
faite. Il s'y était même ajouté une poêle dégoulinant de graisse, une tasse et diverses assiettes
dont Max avait dû se servir à l'aube pour petit déjeuner.
— Pour qui se prend-il ? demanda-t-elle à Molly en contemplant cet univers de désolation.
La petite se contenta de frotter son nez contre l'épaule de Sandy en poussant un petit
gémissement. Elle avait passé une mauvaise nuit et semblait encore grognon ce matin. Sandy se
sentait elle aussi mal réveillée : chacun à leur façon, Max et Molly Jardine l'avaient empêchée
de fermer l'œil.
Elle posa le bébé par terre pour partir à la recherche d'une casserole où faire cuire leurs œufs.
Hélas, Molly se mit immédiatement à crier. Sandy dut la distraire en chantant avec un entrain
forcé tandis qu'elle faisait griller les toasts et se préparait un thé. La sonnerie du téléphone
retentit et après quelques hésitations, elle se décida à répondre. Bien lui en avait pris : c'était
l'imprimeur qui la rappelait de Brisbane pour lui demander quelques éclaircissements au sujet
du catalogue.
Lorsqu'elle revint dans la cuisine, quelle ne fut pas sa surprise d'y trouver Max debout, les
mains sur les hanches, contemplant Molly qui tapait à tour de bras sur le sol avec une casserole
en hurlant. Immédiatement, elle la prit dans ses bras :
— Tu aurais pu au moins l'occuper d'elle, lança-t-elle.
— Et toi, où étais-tu ?
— Il se trouve que je répondais à un appel professionnel urgent. Je t'informe que j'ai passé la
nuit à essayer de calmer ta nièce. Et toi, peux-tu nous dire où tu étais ?
— J'avais des instructions à donner, rétorqua-t-il. Avec ces nouvelles responsabilités, je suis
contraint de déléguer davantage et...
— Qu'est-ce que tu insinues ? Qui a passé la nuit à bercer Molly, chaque fois qu'elle s'est
réveillée ? Moi ! Et qui a filé en laissant la cuisine dans cet état ? Toi !
— Désolé que tu aies passé une mauvaise nuit, mais tu ferais mieux de te calmer, dit-il en
s'emparant avec affectation de Molly. J'avais l'intention de faire toute la vaisselle après le
déjeuner comme j'en ai l'habitude.
Sandy était sur le point d'entamer une nouvelle diatribe lorsqu'une acre odeur de brûlé monta à
ses narines.
— Je crains que tu n'aies laissé brûler les toasts, dit Max, imperturbable, en débranchant
l'appareil et en ouvrant la fenêtre, Molly toujours bien calée sur son bras gauche.
« C'est bien de lui, se dit Sandy, furieuse. Exactement le genre de type à posséder un avion, le
dernier modèle de portable et une antenne parabolique, mais à se refuser à acheter un grille-
pain automatique ! »
Un sourire imperceptible de Max attira son attention sur les œufs qui prenaient fond dans leur
casserole. Elle se précipita vers la cuisinière pour couper le feu. Décidément, ce n'était
vraiment pas son jour !
Molly, quant à elle, semblait de meilleure humeur. Elle riait aux éclats tandis que Max
chatouillait son petit ventre. Comment cette traîtresse pouvait-elle réserver ses grâces à cet
individu après avoir tenu sa pauvre marraine éveillée toute la nuit ?
Sandy s'adossa au mur, en proie à un total accablement.
— Je l'emmène dehors le temps que tu prépares un autre festin, suggéra-t-il.
Elle respira un bon coup avant d'acquiescer de la tête : elle avait besoin d'air et de tranquillité.
Cependant, dès qu'ils eurent disparu, elle ressentit une curieuse impression d'abandon, comme
si elle s'était retrouvée exclue par leur complicité. Il se débrouillait si aisément avec le bébé qu'il
ferait sûrement un bon père ! Elle se surprit à penser aux compagnes de Max, se demandant
combien d'entre elles avaient souhaité l'épouser et lui donner un enfant.
Etonnée du cours que prenaient ses pensées, elle se força à se concentrer sur sa tâche.
Lorsqu'ils revinrent, la table était dressée sous la véranda et tout était prêt. Elle avait renoncé
aux œufs et préparé une quantité de porridge : Max était peut-être encore affamé, lui aussi.
— Merci, lui dit-il en installant Molly sur ses genoux pour la nourrir à la cuillère.
— Ce serait plus pratique si nous avions une chaise haute, remarqua Sandy lorsque Molly eut
à plusieurs reprises tenté de s'approprier au vol la cuillère pleine.
— Je vais le noter sur ma liste de courses mais je ne peux pas te garantir qu'il y en aura à
Goodbye Creek.
— Tu y vas ce matin ?
— Tu veux m'accompagner ?
Elle hésita, plus tentée qu'elle n'aurait cru, pensant déjà à ce qu'elle avait à se mettre pour
l'occasion. Il la regarda pensivement.
— Naturellement, après la nuit que tu as passée, je comprendrais tout à fait que tu en profites
pour travailler tranquillement, si j'emmène Molly. Et puis, il fait si chaud aujourd'hui...
— Tu as raison, ça m'arrangerait bien d'avoir quelques heures à moi. Je vais l'habiller et lui
préparer un biberon.
— Je crois qu'il vaut mieux que je lui emporte une tenue de rechange. Nous risquons de rester
presque toute la journée là-bas.
A 10 heures du matin, les catalogues de Sandy étaient pratiquement terminés et elle n'avait plus
rien à faire. Elle passa le reste de la journée à tourner en rond dans la maison et se surprit plus
d'une fois à guetter de la véranda la camionnette de Max. Après le déjeuner, elle fit la vaisselle
en pestant contre les mœurs culinaires des vieux garçons et mit en route l'arrosage de la
pelouse. Enfin, elle se décida à aller cueillir des fleurs dans le jardin de curé que la grand-mère
de Max avait planté bien des années auparavant derrière la maison.
Après avoir arrangé dans un vase roses, iris et pieds d'alouette, elle plia le linge de Molly qui
séchait à l'extérieur. Vers 16 heures, elle commençait à penser au dîner lorsqu'elle entendit la
ouverte du bébé.
— Et que pense Isabel de notre organisation pour nous occuper de Molly ? reprit Sandy.
— Au début, elle a eu du mal à y croire.
— C'est normal. Personne ne nous a jamais considérés comme les meilleurs amis du monde !
— Cela dit, le premier choc passé, elle s'y est faite. L'ambassade lui a fourni une adresse e-
mail. Ça nous permettra de garder le contact.
Lorsqu'elle revint de la cuisine avec les deux assiettes de Stroganoff fumant, Max huma l'air
avec intérêt.
— Ça sent bon.
— Ça va sûrement te plaire. Tu reconnais l'odeur ?
Il piqua un morceau de bœuf et un champignon et dégusta délicatement.
— C'est plus raffiné que ce que je mange d'habitude.
— Sharon a dit que c'est ton plat préféré.
Max faillit s'étrangler et avala une gorgée d'eau.
— Mon plat préféré ?
— Oui. Elle l'a cuisiné de ses blanches mains... sans savoir que je serais là pour y goûter aussi.
— C'est une bonne cuisinière, tu ne trouves pas ?
— Si, et j'ai pensé que, le moins que je pouvais faire, c'était de nous préparer un petit dîner
aux chandelles, comme elle l'aurait sans doute fait elle-même - si elle était restée, conclut-elle
insidieusement.
— Dis donc, tu ne serais pas un peu jalouse ?
Les joues de Sandy s'enflammèrent. C'était bien de Max d'essayer maintenant de la
déstabiliser. Elle prit une autre bouchée pour se donner le temps de réfléchir.
— Tu prends tes désirs pour des réalités, lança-t-elle. Ça ne te suffit pas d'avoir Sharon,
Helena et Susan pendues à tes basques. Il faudrait en plus que je rejoigne l'équipe !
Il fronça les sourcils, contraignant Sandy à baisser les yeux. Lorsqu'il la regardait ainsi, cela lui
donnait la chair de poule, tout comme autrefois, lorsqu'elle était adolescente.
Mais la voix de Max l'arracha à ces déplaisants souvenirs :
— Heureusement, c'est un poids en moins d'être sûr que tu ne me poursuivras pas de ton
affection !
Au ton sur lequel il avait prononcé ces mots, elle comprit qu'il était aussi gêné qu'elle d'aborder
le sujet
— Tant mieux, Max, car je ne t'ai jamais trouvé très attirant.
Il soupira ostensiblement.
— Désolé, mais trois femmes sur quatre, ce n'est pas un trop mauvais score pour un homme
des bois !
Sa voix s'adoucit soudain.
— Franchement, Sandy, personne ne peut les blâmer d'avoir voulu porter secours à un
malheureux bébé sans défense !
Elle se tourna vers Molly qui rongeait placidement un croûton de pain dans sa chaise.
— Tu devrais avoir honte, s'exclama-t-elle. Ce n'est pas Molly qui déchaîne tant d'intérêt
féminin !
Il sourit tranquillement.
— Je dois avouer que j'étais loin de me douter des répercussions qu'entraînerait cette petite
promenade en ville. Je voulais juste faire faire un tour au bébé, mais il fallait d'abord que je
passe au cabinet d'Helena. D'ailleurs, elle aurait bien pu m'avertir...
— T'avertir ?
— Oui, il semble que l'association d'un bébé adorable et d'un mâle célibataire dans la fleur de
l'âge produise sur les femmes de puissants effets magnétiques. C'a sûrement dû être constaté
médicalement ! Enfin, en ce qui te concerne, tu n'as pas l'air trop touchée par l'épidémie.
Sandy se leva en repoussant violemment sa chaise.
— J'ai été vaccinée quand j'étais jeune, rétorqua-t-elle sarcastiquement.
Un moment, elle hésita, comme hantée par un souvenir indésirable.
— Je vais préparer le biberon de Molly pour la nuit. Avant de gagner la cuisine, elle se tourna
vers Max, toujours assis à table.
— Dis donc, j'allais oublier de te transmettre un message de la part de ta grande amie, le Dr
Robert-Jones. Elle voudrait que tu lui confirmes si tu as toujours besoin d'un smoking pour le
bal du ranch Mungulla.
Sur ce, elle s'éclipsa prestement, sans attendre la réponse.
Le lendemain, Sandy en avait plus qu'assez de Max. Debout dès l'aube, il avait passé la
matinée à ses travaux d'éleveur. A midi, il avait surgi et lui avait donné des instructions détaillées
pour faire rôtir une énorme pièce de bœuf qu'il avait sortie de la chambre froide la veille.
— Les employés doivent arriver vers le coucher du soleil mais ils ne se mettront pas tout de
suite à table. Arrange-toi pour qu'il y ait assez de pommes de terre, lança-t-il en quittant la
cuisine après le repas sans un regard pour la vaisselle sale empilée dans l'évier.
Quelques minutes plus tard, il passait de nouveau la tête par la porte de la cuisine.
— Ah ! Il y a un Anglais qui doit se joindre à nous, ce soir. Tout le monde l'appelle Milord
Cow-boy. Il travaillait au ranch Mungulla et il s'y connaît vraiment bien en chevaux, alors, je l'ai
embauché pour quelques semaines.
Il jeta un coup d'œil à l'évier avec une moue d'écolier pris en faute.
— Excuse-moi de tout laisser en plan pour une fois, mais Milord et moi, nous avons pas mal à
faire en ce moment pour dresser de nouveaux chevaux. Cette saison, il a tellement plu que le
sol est gorgé d'eau. Impossible de se servir des motos dans les pâturages, ça dérape trop. On
doit donc revenir à nos bonnes vieilles bêtes !
Elle soupira ostensiblement.
— Si j'ai les mains abîmées, je compte sur toi pour m'offrir ma prochaine manucure !
Du bout des doigts, il effleura la main qu'elle lui montrait et fit un clin d'œil.
— Si je le lui demande gentiment, je suis sûr que Sharon se fera un plaisir de te faire une
manucure complète gratuitement, murmura-t-il en disparaissant avant que Sandy ait eu le temps
de répondre.
A 5 h 45, peu avant le coucher du soleil, Sandy alluma le four. Peu après, elle entendit les pas
de Max qui entrait dans la maison. Les hommes seraient sûrement contents de boire quelques
bières avant le dîner. Elle enfourna la viande qui attendait dans la lèchefrite, disposée sur une
grande quantité de pommes de terre. Quelques heures auparavant, elle avait sorti du
congélateur une énorme tarte aux pommes.
Pour l'occasion, elle avait de nouveau dressé la table comme la veille et habillé Molly d'une
mignonne petite robe rose et blanche. Elle connaissait assez l'Outback pour savoir qu'elle
n'avait pas besoin de se mettre sur son trente et un, mais elle avait quand même passé un jean
blanc et un haut de soie rouge sans manches.
Naguère, elle adorait ce genre de soirée. Elle s'asseyait sous la véranda pour regarder la nuit
tomber et les premières étoiles apparaître, écoutant le chant des grillons tandis que les hommes
se lançaient dans d'interminables histoires. Si leurs blagues étaient parfois un peu osées, ils s'en
excusaient et jamais elle ne s'était sentie gênée le moins du monde.
— Le rôti embaume, s'exclama Max en entrant dans la cuisine, les cheveux encore mouillés de
la douche. Il achevait de boutonner sa chemise qu'il n'avait pas encore rentrée dans son jean.
Sandy trouva qu'il sentait bon, une odeur à la fois fraîche et un peu épicée qui lui donna
fugitivement envie de se blottir dans ses bras.
Epouvantée par cette réaction, elle fit quelques pas en arrière.
— Dis donc, Sandy, tu as une sacrée allure... Crois-tu que ce soit bien raisonnable de te
pavaner dans ce jean devant tous les types que nous attendons ce soir ?
— Qu'est-ce qui ne va pas avec mon jean ?
— Rien du tout, au contraire. J'ai peur qu'il ne donne des idées à nos gaillards !
— Et quel genre d'idées, s'il te plaît ?
— Je crains qu'ils aient l'impression que tu es disponible et qu'ils ont le champ libre.
Sandy croisa les bras et pencha la tête en le regardant froidement, troublée par le triangle de
peau hâlée qu'elle apercevait par l'ouverture de la chemise.
— Eh bien, j'ignorais que je n'étais pas disponible, figure-toi. Tu leur as parlé de moi ?
— Je leur en ai touché un mot pour éviter qu'ils ne se fassent des idées et qu'ils croient qu'on
est ensemble.
— J'en suis ravie, grommela-t-elle en cherchant bruyamment dans le placard une casserole où
faire bouillir de l'eau pour les haricots.
— Malheureusement, le doute subsiste dans leurs esprits !
— Ça ne m'étonne pas, avec les cohortes de femmes qui défilent ici !
— Là, tu te trompes complètement. Je suis loin d'être un tombeur, dit-il en finissant de boucler
sa ceinture.
Les mouvements de Max mettaient en valeur sa silhouette élancée, son torse puissant et musclé
et son ventre plat. Sandy oublia un instant les aspects déplaisants du personnage mais se dit
qu'il valait mieux ne pas lâcher la bride à son imagination.
— Je t'engage vivement à aller remplir tes devoirs d'hôte pendant que je...
— Pendant que tu joueras les Cendrillon ? Pas question ! Il s'approcha et saisit sa main au vol.
— N'oublie pas que nous sommes associés. Je ne veux pas que tu te terres dans la cuisine
comme une esclave. Viens, prenons Molly et allons boire un verre sous la véranda.
Sandy fut soulagée de voir arriver les employés, Chad et Diego, avec Squirt, le jeune apprenti.
Ils s'étaient faits beaux tous les trois, chacun dans son style, mais semblaient un peu intimidés et
gênés tandis que Max faisait les présentations et tendait à la ronde les canettes de bière.
Sandy était sur le point de rompre la glace en les questionnant sur leur travail de la journée
lorsqu'un autre homme surgit dans la véranda. Ce devait être le jeune Anglais, le fameux Milord
Cow-boy. Sa silhouette se détachait à contre-jour sur le couchant et la jeune femme lui trouva
une allure typiquement britannique. Le soleil de l'Outback avait hâlé son teint, cependant, avec
ses cheveux châtains coupés court, ses yeux gris-bleu et son maintien très digne, il avait l'air de
sortir du même moule que les jeunes gens qu'elle avait rencontrés à Londres.
Max le présenta à Sandy sous le nom de Simon Fox. Tandis qu'ils échangeaient une poignée
de main, il remarqua l'attention que l'Anglais portait à la jeune femme et son regard s'assombrit.
De son côté. Sandy fut touchée que Simon s'intéresse sincèrement à Molly qui suçait
tranquillement son pouce, blottie contre sa poitrine.
Simon accepta une bière et s'assit à son côté. La conversation était un peu languissante mais
Sandy prit plaisir à entendre ces hommes rudes discuter des mérites comparés des motos et
des chevaux dans le ranch.
— Il y a un tas de situations où un bon cheval battra toujours une moto à plate couture,
affirmait Diego. Au nord, il y a trop de creux et de bosses pour une moto et puis pour
rassembler le bétail, on n'a rien trouvé de mieux qu'un cheval !
Tout à ses souvenirs, Sandy ne suivait plus la conversation : elle se rappelait comme elle aimait,
il n'y a pas si longtemps, partir en expédition avec les éleveurs ; comme elle adorait le
martèlement des sabots quand elle parcourait au galop les vastes plaines rouges ! Le cœur
battant, elle observait les hommes qui attrapaient le bétail au lasso. Qu'il était impressionnant de
voir ces grands gaillards débordant d'énergie, capables de marquer au fer et de vacciner une
bête en moins d'une minute, habitués à travailler sous le soleil et dans la poussière !
Pendant toutes ses années de lycée, quand la saison humide prenait fin et qu'on commençait à
rassembler le bétail, elle n'avait jamais laissé passer une occasion de rejoindre l'équipe de
Goodbye Creek Station.
La voix traînante de Chad arracha la jeune femme à sa rêverie :
— Rien ne vaudra jamais un cheval pour accompagner les bêtes et les surveiller, conclut-il
avant de lamper une longue gorgée de bière.
Sandy se tourna vers Simon.
— D'après ce que m'a dit Max, vous êtes un expert en chevaux.
— On dit que j'ai le contact avec eux. Ils échangèrent un sourire complice.
— Il n'est pas trop mauvais pour un Angliche, reconnut Diego.
— Ça fait longtemps que vous êtes en Australie ? demanda Sandy.
— Un an et demi. Bien trop longtemps à en croire ma famille !
— Je suppose que vous leur manquez.
— Mon père en a assez de me voir traîner aux antipodes. Il pense que je devrais rentrer à la
maison.
— Il est éleveur, lui aussi ? s'enquit-elle en observant du coin de l'œil Max qui s'agitait sur sa
chaise.
— Alors, ce rôti, il vient ? s'exclama-t-il brusquement. Quel rabat-joie ! pensa Sandy en
sentant la moutarde lui monter au nez. Pour la première fois depuis son arrivée à Goodbye
Creek, quelqu'un lui parlait comme à un être humain et naturellement, il fallait que Max
intervienne ! Elle eut envie de l'envoyer sur les roses. Au fond, les autres vendredis soir, il
devait bien s'occuper lui-même de la cuisine. Mais elle renonça en sentant le regard impatient
des employés : ils risquaient d'être choqués et cela ne ferait que les renforcer dans l'idée qu'elle
était bien la petite amie de Max, ce qui était la dernière chose qu'elle voulait qu'on croie.
Aussi se leva-t-elle pour remettre Molly dans les bras de son parrain avant de filer docilement
dans la cuisine. Ce monstre ne perdait rien pour attendre...
Le rôti était cuit à point et les pommes de terre, délicieuses. Le reste de la soirée se déroula
sans incident. Après le repas, tout le monde vint se rasseoir sous la véranda. Pour la première
fois depuis son arrivée, Sandy se sentait vraiment bien : les anecdotes et les blagues fusaient ;
l'ambiance était chaleureuse et détendue.
Lorsque les hommes furent partis, elle coucha Molly avant de revenir dans la cuisine où elle eut
la surprise de trouver Max, les bras plongés jusqu'aux coudes dans l'eau de vaisselle. Sans dire
un mot, elle prit un torchon et travailla tranquillement à ses côtés, fixant l'obscurité de la nuit par
la fenêtre, au-dessus de l'évier. Pas question de laisser son regard dériver vers les mains
puissantes et les bras musclés !
Au-dehors, le clair de lune éclairait les écuries de ses rayons argentés et on entendait, près de
la rivière, un courlis solitaire qui lançait inlassablement son appel déchirant.
Une fois de plus, l'amour de l'Outback envahit son cœur et elle se souvint que naguère elle
avait cru qu'elle ne quitterait jamais ce coin de terre. Ce soir, enfin, elle se sentait de nouveau
chez elle. Pourtant, elle espérait de toute son âme voir bientôt revenir Dave et Isabel. Alors,
elle savait qu'elle retournerait à Brisbane.
Elle quitterait l'Outback.
Elle quitterait Max, aussi.
— Combien de temps comptes-tu passer à essuyer cette assiette ?
Arrachée à sa rêverie par le ton sarcastique de Max, elle se remit précipitamment au travail.
Secouant la tête d'un air exaspéré, il s'attaqua à la lèchefrite huileuse avec une éponge
métallique.
— Merci pour ton aide ce soir. C'était chouette, cette touche féminine, les fleurs, le vin rouge,
sans oublier la tarte aux pommes !
Elle lui sourit, étonnée de le sentir si changeant, d'une minute à l'autre. Elle commençait à
comprendre ce qui, en lui, pouvait attirer certaines femmes. Par moments, elle était obligée de
s'avouer qu'elle avait elle-même du mal à résister à son charme. Plus d'une fois, aujourd'hui,
pendant son absence, elle s'était prise à songer qu'il n'aurait pas fallu la pousser beaucoup pour
qu'elle le trouve... digne d'intérêt.
Et peut-être même très intéressant, s'il avait voulu s'en donner la peine.
Elle se demanda pourquoi il ne s'était pas marié. Les candidates ne semblaient pas faire défaut,
pourtant ! Maintenant que Dave avait entamé une nouvelle carrière, il aurait fallu quelqu'un à
Max pour l'aider à s'occuper du ranch, tout en tenant la maison. Quand elle pensait aux
rénovations qu'il avait entreprises ces dernières années, elle comprenait à quel point il avait
travaillé dur. Trop, sans doute.
— Vous avez l'air de faire la paire, Simon et toi ! lança-t-il après un long silence.
Il plongea un instant ses yeux dans ceux de Sandy avant de se remettre à gratter
frénétiquement la lèchefrite.
— Oui. Il a l'air charmant, n'est-ce pas ?
— Charmant, répéta-t-il en ricanant. On croirait entendre ma grand-mère. Je me demande ce
que vous fricotiez ensemble pendant qu'il t'aidait à préparer le dessert !
Consciente que rien ne pouvait échapper à son œil de lynx, elle préféra aller droit au fait.
— Simon m'a demandé de l'accompagner au bal à Mungulla.
— Il ne manque pas de culot ! grommela-t-il en laissant le plat retomber bruyamment dans
l'évier avant de se redresser pour mieux la toiser.
— Tu lui as expliqué pourquoi c'était impossible, j'espère ?
Elle releva le menton.
— Pas du tout ! J'ai envie d'aller à cette fête que Ruth et Tom Neville donnent pour leur
dixième anniversaire de mariage. D'ailleurs, tu y vas bien toi-même avec Helena !
— Elle m'en a parlé il y a déjà plusieurs semaines. J'ai accepté avant... bien avant ce qui est
arrivé à Dave, sinon...
Pendant un long moment, il fit mine de s'affairer silencieusement à ses tâches ménagères.
— Eh bien, Simon n'a pas pu m'en parler depuis des semaines puisqu'on s'est rencontrés ce
soir.
— C'est vrai, tu le connais à peine.
Sandy agita son torchon humide en direction de Max.
— Puis-je te rappeler une fois de plus que tu n'es pas mon grand frère et que tu n'as pas à
surveiller mes sorties ?
— Et que comptes-tu faire de Molly ?
— N'essaie pas d'utiliser Molly, Max. Tu sais aussi bien que moi qu'ici, on emmène les enfants
au bal dès leur plus jeune âge. Dave, toi et moi, on s'y est fait les dents tous les trois. Les
Neville ont des tas de chambres pour accueillir les petits.
Max s'adossa à l'évier et la regarda pensivement.
— J'irai, Max, reprit-elle en appuyant un index vengeur sur son torse musclé. Et je compte
bien y prendre du bon temps.
Il saisit alors ses doigts et les emprisonna dans sa grande main douce encore humide.
Sandy en eut le souffle coupé. Max avait plaqué sa main contre lui et elle ressentit l'incroyable
désir qu'il la serre tout entière, très fort.
Ses yeux étaient si bleus lorsqu'on les voyait de tout près !
— Dis donc, tu as toujours été mignonne, murmura-t-il en lui caressant l'intérieur du poignet,
mais je ne sais pas si tu es consciente de l'effet que tu produis dans cette tenue ?
Elle ne se risqua pas à répondre, trop occupée à contempler sa bouche. Plutôt sexy, en
définitive, quand il souriait comme cela !
— Et quel effet je produis, s'il te plaît ?
La voix de Max s'étrangla dans sa gorge et elle sentit la caresse de sa bouche douce et tiède
sur sa joue. Deux bras puissants l'enlacèrent et elle sut que bientôt des lèvres se poseraient sur
les siennes.
Mais pas question de le laisser faire !
Elle se dégagea prestement de son étreinte et battit en retraite dans un coin de la cuisine,
furieuse et haletante.
Immobile, Max l'observait tranquillement.
— Je ne veux pas de tes baisers.
— Je suppose que tu te réserves pour Simon !
— Tu as tout deviné, lança-t-elle.
Le regard de Max se durcit et son visage se ferma.
— Eh bien, bonne chance et... bonne nuit !
— Bonne nuit, répondit-elle en écho tandis qu'il s'éloignait lentement.
Elle se laissa tomber sur une des chaises de cuisine.
Ils s'étaient trouvés si près l'un de l'autre, ils avaient été si près de s'embrasser... Mais Sandy
était sûre qu'elle ne pouvait rien faire de pire. Il fallait à tout prix éviter que cette situation se
reproduise !
5.
— J'ai bien peur de ne rien avoir d'assez habillé, déclara Jessie Block, la propriétaire de
l'unique boutique de mode de Goodbye Creek. D'ailleurs, je n'ai presque rien à ta taille, Sandy.
— Je suis trop petite ?
— Trop petite, non. Plutôt trop jeune ! Ici, les filles rapportent tous leurs vêtements de la ville
ou bien elles les achètent par correspondance.
— Mais je n'ai plus le temps de me faire envoyer quoi que ce soit !
On était déjà mercredi, trois jours avant le bal. C'était le premier jour où Max pouvait garder
Molly et Sandy en avait profité pour filer en ville faire quelques courses. Elle savait qu'elle avait
peu de chances de trouver quoi que ce soit de joli et elle n'avait eu qu'à jeter un coup d'œil aux
collections de Jessie pour s'en convaincre. Mieux vaudrait encore s'en tenir à la petite robe
noire qu'elle avait emportée à tout hasard. Elle y avait souvent eu recours dans le passé et
même si cette tenue n'était ni très habillée ni très tendance, elle ferait encore l'affaire, une fois
de plus.
Désespérément, Jessie explorait ses portants.
— Désolée, dit-elle tandis que Sandy secouait négativement la tête face à une abomination vert
pomme et rose saumon. Je crois que je n'ai rien qui puisse te convenir.
— Tant pis. J'aurais dû me douter qu'il était trop tard. Merci de vous être donné tant de peine,
dit Sandy en se dirigeant vers la porte.
— Attends une minute, je viens juste d'avoir une idée ! Jessie se précipita dans son arrière-
boutique et en revint triomphalement avec un carton dans lequel elle se mit à fouiller
fébrilement.
Sandy, qui ne croyait plus au miracle, voulut l'arrêter.
— Ah ! Nous y voilà, s'exclama soudain Jessie en extrayant du carton un sac en plastique
poussiéreux. Et je suis sûre que c'est ta taille !
Sandy jeta vers le vêtement un coup d'œil dubitatif. Cela ressemblait davantage à un rideau
pailleté qu'à une robe du soir.
— Une fois sur toi, je suis convaincue qu'elle fera beaucoup d'effet, reprit la commerçante.
Sans attendre la réponse de Sandy, elle la conduisit à une minuscule cabine au fond de la
boutique.
Par acquit de conscience, Sandy se mit en devoir d'enfiler la robe dont le tissu léger lui semblait
curieusement vaporeux et moulant à la fois. Lorsqu'elle se retourna vers le miroir, elle n'en crut
pas ses yeux : la marraine de Cendrillon n'aurait pas accompli une transformation plus magique
!
D'un bleu argenté merveilleusement assorti à ses yeux, la robe semblait taillée dans un rayon de
lune. Le bustier asymétrique qui dégageait une épaule moulait sa poitrine au plus près et la jupe
était fendue haut sur la cuisse.
« Ce sera plus pratique pour danser », se dit-elle.
Lorsqu'elle sortit de la cabine, Jessie poussa un cri d'admiration.
— Je savais qu'elle t'irait ! Tu es absolument irrésistible ! Max n'a qu'à bien se tenir.
— Je me soucie fort peu de l'opinion de Max. D'ailleurs, ce n'est pas avec lui que je vais au
bal.
Mais comme elle prononçait ces mots, elle sentit son cœur se serrer. Si elle n'ignorait pas que
ce n'était pas Max qui l'accompagnerait à Mungulla, pourquoi avoir pensé à lui dès qu'elle
s'était vue dans cette robe ?
— Simon Fox m'a invitée, reprit-elle. Max y va de son côté, avec le Dr Robert-Jones.
— Je vois, répondit Jessie d'un air sceptique.
— En tout cas, ça ne m'empêchera pas d'acheter cette robe. Combien coûte-t-elle ?
— Elle est soldée, précisa Jessie après avoir indiqué un prix ridiculement bas. D'ailleurs, ici, je
ne pourrais la vendre à personne d'autre.
Ayant quitté le magasin, Sandy se sentit d'humeur plus guillerette. Ces derniers temps, elle
n'arrivait pas à se sortir Max de la tête. La nuit, elle s'autorisait inconsciemment à rêver de lui
en se rappelant qu'il l'avait trouvée « mignonne », mais à la clarté du jour, il valait mieux ne pas
oublier le cortège de femmes qui l'entourait. Justement, il avait choisi d'emmener une de ses
admiratrices au bal. Alors, autant se montrer positive : dans cette nouvelle robe, il y avait des
chances que Simon la juge « mignonne », lui aussi.
Les deux jours suivants, Sandy afficha un calme olympien. Cependant, lorsque arriva le
samedi, jour du bal, elle était aussi excitée qu'une gamine à son premier rendez-vous.
Ils devaient partir à quatre pour le ranch Mungulla. Simon, Max, Molly et elle retrouveraient là-
bas Helena qui arriverait directement de Goodbye Creek.
A l'arrière du 4x4 qui les emmenait, ils avaient entassé une valise contenant leurs vêtements de
soirée soigneusement plies, leur tente et leurs duvets, et le lit pliant de Molly.
Sandy savait d'expérience que, le plus souvent, on passait une nuit blanche à danser et à boire
jusqu'au petit jour. Néanmoins, elle avait prévu de planter la tente près de la rivière pour s'y
reposer quelques heures avant le long voyage de retour. A l'aller, elle préféra rester à l'arrière
avec Molly tandis que les deux hommes étaient assis à l'avant. Ce qui ne l'empêcha pas de
bavarder avec entrain, essayant de se faire une opinion sur Simon avant le bal.
Ils évoquèrent la vie à Londres. Le jeune homme connaissait nombre de pubs et de restaurants
qu'elle avait fréquentés, elle aussi, et ils découvrirent qu'ils avaient souvent assisté aux mêmes
spectacles, chacun de son côté. Max, en revanche, les écoutait sans desserrer les dents, les
mains crispées sur le volant. Cet accès de mauvaise humeur rappela à Sandy le Max
d'autrefois qui méprisait la copine de son petit frère. Par comparaison, elle trouvait Simon
absolument adorable.
Ils quittèrent enfin la route goudronnée pour la piste de terre qui menait au ranch Mungulla.
Simon se tourna vers Sandy.
— Quel dommage que nous ne nous soyons jamais rencontrés quand vous étiez à Londres ! Je
vous aurais emmenée dans notre ferme du Devon.
— Ça alors, j'adore le Devon ! s'exclama-t-elle.
Au même moment, le 4x4 vacilla sur un énorme nid-de-poule et Sandy fut projetée contre la
portière tandis que Molly se réveillait en pleurant.
Les yeux soupçonneux de la jeune femme rencontrèrent le regard glacial de Max dans le
rétroviseur et elle eut la nette impression qu'il avait délibérément engagé le véhicule sur ce trou
pour mettre un terme à son bavardage avec Simon. Mais s'il croyait pouvoir lui gâcher ainsi sa
soirée, il en serait pour ses frais.
Le soleil commençait à descendre sur la ligne bleue des collines, à l'horizon, lorsqu'ils
atteignirent Mungulla. Beaucoup de voitures étaient déjà garées à l'ombre des saules pleureurs
qui bordaient les berges de la rivière. Des tréteaux et des chaises avaient été installés sur la
pelouse, face à la longue maison basse et un peu à l'écart, un plancher de bois avait été dressé
pour le bal. Sur les tulipiers qui bordaient la façade, on avait placé des guirlandes électriques
multicolores qui donnaient à l'ensemble du décor une sorte de gaieté féerique.
« Ce sera sûrement magnifique dès que la nuit sera tombée », songea Sandy.
Ils descendirent du 4x4 et étirèrent leurs membres engourdis. Simon prit le bras de Sandy et lui
proposa courtoisement de l'aider à installer Molly.
— C'est bon, mon vieux, coupa Max en ouvrant la portière arrière et en tendant à Simon la
tente d'un geste si brusque que le jeune Anglais eut du mal à attraper le lourd ballot. Occupez-
vous de ce paquet, je me charge du reste.
Il rassembla les affaires du bébé et se dirigea vers la maison, suivi de Sandy qui portait Molly
dans ses bras.
— J'espère que tu ne vas pas nous gâcher la soirée en te comportant comme un ours,
murmura-t-elle entre ses dents.
— Tu rêves !
— Dis donc, tu as failli le flanquer par terre en lui lançant cette tente.
— Inutile de te lamenter sur son sort, ce n'est pas une mauviette ! Comment crois-tu qu'il s'y
prenne pour dresser un cheval ou pour prendre un taureau au lasso ?
— Ce n'est pas de lui qu'il s'agit, mais de ton comportement. Tu pourrais au moins te montrer
correct avec mon cavalier, ce serait plus agréable pour tout le monde.
— Bien sûr, et j'espère que tu seras aussi aimable avec Helena !
— Naturellement, répondit-elle d'une voix rogue.
Leur hôtesse, Ruth Neville, les accueillit chaleureusement et leur indiqua où installer le lit de
Molly. Le soleil était presque couché lorsque les invités, en tenue de soirée, se rassemblèrent
sur la pelouse.
— Nous ferions mieux de nous changer, suggéra Max. J'espère que Simon a réussi à monter la
tente. Tu veux y aller la première, Sandy ?
— Non, vous, les hommes, vous serez sûrement plus rapides que moi.
Pendant qu'ils s'habillaient, elle s'assit au frais sur la rive. Elle tenta de s'absorber dans la
contemplation de ce paysage tranquille sans pouvoir néanmoins échapper au trouble qui la
gagnait : elle avait beau essayer de se concentrer sur Simon, c'était le visage de Max qui la
hantait.
Elle ne pouvait s'empêcher de l'imaginer en train de se changer, à quelques mètres d'elle, dans
la tente : il lui semblait voir son large dos et ses longues jambes ; ses muscles jouant souplement
tandis qu'il enfilait sa chemise avec un petit mouvement latéral du cou, lorsqu'il boutonnait son
col et nouait sa cravate... Pourtant, elle n'avait jamais regardé Max s'habiller. Comment
pouvait-elle avoir des fantasmes aussi précis ? C'était absurde !
Bientôt les deux hommes réapparurent, éblouissants dans leurs smokings sombres, leurs
chemises blanches et leurs élégants nœuds papillons noirs. Sandy sourit à Simon en se gardant
de toute comparaison. Bien sûr, Max était plus grand, plus brun, plus viril. Il avait les épaules
larges, des yeux d'un bleu intense, une bouche d'une sensualité ravageuse... Mais était-il bien
sage d'accorder au physique tant d'importance ?
Simon, lui, était élégant, charmant et bien élevé, le gendre idéal, le cavalier parfait pour une
soirée de rêve.
— Vous êtes magnifiques, tous les deux ! s'écria-t-elle en fixant Simon.
— Ne t'éternise pas, lança Max en la voyant se glisser dans la tente, on a soif.
— Vous pouvez y aller, Max, intervint Simon, j'attendrai Sandy.
— Pas question, rétorqua ce dernier, agressif. On reste ensemble !
Dans un coin de la tente, les hommes avaient laissé une lanterne allumée. A sa lumière
tremblotante, Sandy se maquilla tant bien que mal en utilisant le minuscule miroir de son blush.
Elle était bien décidée à se composer un look plus spectaculaire que de coutume, aussi ne
lésina-t-elle pas sur le crayon et le mascara, sans oublier la touche finale de rouge à lèvres.
Après avoir enfilé sa robe pailletée, elle ébouriffa de ses doigts enduits de gel sa courte
chevelure brune et émergea enfin, assez satisfaite d'elle-même.
— Ces messieurs n'ont pas attendu trop longtemps ?
Les deux hommes qui contemplaient la rivière en silence se retournèrent simultanément. Sandy
eut alors pleinement conscience de l'effet que produisait sur eux cette tenue un peu excentrique.
— Mon Dieu, Sandy, vous êtes absolument ravissante ! s'exclama Simon.
Max ne dit rien et demeura immobile, comme pétrifié. Mais sous son regard, Sandy sentit son
cœur battre la chamade et ses genoux flageoler.
A son grand soulagement, Max sembla retrouver rapidement ses esprits et se dirigea vers elle
avec une expression inquiète sur le visage.
— Nous attendons Sandy Brown, mademoiselle. Vous ne l'auriez pas vue, par hasard ?
— Elle a filé avec un bohémien, répliqua-t-elle en s'efforçant de garder son calme malgré la
conscience aiguë qu'elle avait du regard de Max posé sur elle.
Elle prit le bras de Simon et lui sourit.
— On y va, monsieur Fox ?
— Quand vous voudrez, mademoiselle Brown.
Le trio traversa les prés qui séparaient la rivière de la maison et rejoignit les autres invités.
Parmi ceux-ci se trouvait une grande femme au strict chignon qui avança dans leur direction.
C'était Helena Robert-Jones.
Elle était vêtue d'une élégante robe du soir de soie crème qui s'accordait parfaitement à ses
cheveux auburn et aux perles qui ornaient son long cou.
— Mon cher Max...
— Bonsoir, Helena, dit-il en l'embrassant discrètement sur la joue. Je suis content que vous
ayez pu vous libérer, en fin de compte.
— Je dois dire que j'ai instamment prié le Ciel de ne faire naître aucun bébé et de ne
provoquer aucune crise d'appendicite pendant cette soirée !
— Je suis sûr que personne n'osera tomber malade ! assura Max en la prenant par le coude
pour lui présenter Sandy et Simon.
— Ainsi, vous êtes la personne avec qui j'ai parlé au téléphone. Je vous croyais bien plus
jeune...
— D'habitude, Sandy fait à peine son âge, coupa Max d'un ton sec.
— Ah bon ! susurra Helena avec un petit rire, c'est fou l'effet qu'on arrive à produire avec un
peu de maquillage !
Tout en reconnaissant qu'Helena était belle et fort distinguée, Sandy n'apprécia guère cette
remarque. Elle dut s'avouer avec une certaine amertume que Max et son amie formaient un
beau couple.
Naturellement, tout ça n'avait rien à voir avec de la jalousie ! Elle se moquait bien de la vie
amoureuse de Max !
Une serveuse s'approcha d'eux avec un plateau chargé de cocktails au Champagne. Après
avoir pris chacun une flûte, ils échangèrent des toasts tandis que des amis des ranchs voisins les
rejoignaient. Ceux qui avaient connu Sandy naguère la saluèrent comme une vieille amie.
La nuit tomba tout d'un coup, pendant qu'elle discutait chevaux avec Simon. Les jeux de
lumière des projecteurs suspendus dans les arbres et orientés vers la piste de danse envahirent
soudain l'ombre du jardin. Elle chercha du regard Max et Helena mais ils avaient disparu.
Quelques rares couples évoluaient déjà sur la piste au son d'une musique qui s'élevait des haut-
parleurs. Lorsque Simon s'approcha pour l'inviter, elle refusa d'abord gentiment en lui
expliquant qu'elle préférait attendre qu'il y ait un peu plus d'ambiance mais, sur son insistance,
finit par accepter.
— Max est parti en voiture à la rencontre de l'orchestre. Il a eu peur qu'ils se trompent de
route, expliqua son cavalier.
— Helena est avec lui ? ne put-elle s'empêcher de demander.
— Je n'en sais rien, répondit-il en lui prenant la main pour l'entraîner vers la piste.
Il la guidait expertement, au rythme de la musique, sans tenter de la frôler. Ce Simon était un
amour, songea-t-elle : très à l'aise dans l'Outback mais capable de se comporter en gentleman
! Pourquoi donc ne lui plaisait-il pas davantage ?
Lorsque le disque prit fin, ils restèrent côte à côte sur la piste, attendant que la musique
reprenne.
— Vous êtes magnifique, Sandy, la reine de la soirée !
— Merci, répondit-elle en souriant mais sans ressentir la moindre émotion.
Un slow romantique se fit entendre, et Simon la serra de nouveau dans ses bras.
— Ça vous déplaît qu'on vous ait surnommé Milord Cowboy ? lui demanda-t-elle pour
essayer de mieux cerner sa personnalité trop lisse.
— Au début, ça m'énervait un peu mais je m'y suis fait.
— Vous êtes un type très sympa, vous savez.
Il plongea son regard dans le sien comme pour chercher la réponse à une question qu'il n'osait
pas poser.
— Si j'ai bien compris, vous avez grandi ici, reprit-il. Mais vous n'en parlez guère.
Elle fit une grimace significative.
— Tout le monde connaît mon histoire... Ici, impossible de garder le moindre secret.
— Je m'en suis déjà aperçu, répondit-il avec un sourire.
— Alors, vous savez tout de moi.
Il eut l'air un peu embarrassé et ils dansèrent un moment en silence.
— Je sais seulement que tout le monde s'attendait à ce que vous épousiez Dave, le frère cadet
de Max. Mais ça ne s'est pas fait et maintenant, vous voilà de retour avec un bébé qui est,
paraît-il, la fille de Dave.
— Evidemment, raconté comme ça, c'a l'air vraiment suspect !
Elle lui expliqua rapidement qu'elle n'avait jamais pris au sérieux sa relation avec Dave et le mit
au courant des circonstances du départ d'Isabel en Afrique. Visiblement, cette version de
l'histoire semblait plus à son goût.
Il la tenait toujours par la taille et Sandy s'écarta un peu de lui, déçue de ne pas trouver cette
soirée aussi magique qu'elle l'avait rêvée.
Pourtant, rien ne manquait au décor : le vaste ciel étoile de l'Outback, comme une immense
coupole tendue de velours noir et piquée de diamants, l'appel familier des cacatoès qui se
répondaient d'arbre en arbre, le long de la rivière, les odeurs de fleurs et de terre humide qui se
mêlaient mystérieusement dans la nuit.
Et autour d'eux, des gens heureux, qui travaillaient dur et avaient envie de profiter pleinement
d'une des rares occasions qui leur étaient offertes de se mettre sur leur trente et un et de
prendre du bon temps.
Avec Simon, c'aurait pu être une nuit inoubliable, mais elle savait déjà qu'il n'en serait rien. Elle
7
8.
Une immense déception envahit Sandy.
Quelques heures plus tôt, elle aurait été ravie à la perspective de regagner ses pénates, mais
maintenant, même si ses sentiments pour Max étaient très confus, elle se sentait désespérée à
l'idée de quitter Goodbye Creek Station.
Max la regardait pensivement.
— C'est bien ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Rentrer à Brisbane le plus vite possible...
Elle s'agrippa au bureau pour empêcher ses mains de trembler.
— En réalité, je me demandais si je n'allais pas essayer de trouver du travail dans la région.
Etonné, il releva la tête.
— Dans un ranch ?
— Non, plutôt un emploi créatif, du genre de celui que j'ai en ville — dans la communication
ou le marketing, par exemple.
Cette idée lui trottait dans la tête depuis quelques jours, mais de manière si vague qu'il aurait
été fou d'en parler.
Max posa Molly par terre et elle fila à quatre pattes explorer la pièce. Puis il se releva
lentement et se tourna vers Sandy.
— Dis donc, je ne vois pas ce qu'il y a à vendre ou à faire connaître, ici. Le bon air ?
Elle hésita un peu avant de se lancer.
— C'est une idée qui m'est venue l'autre jour, quand je suis descendue en ville. C'est fou
comme Goodbye Creek s'est dépeuplée en cinq ans ! Maintenant, on dirait presque une ville
fantôme !
Il prit un stylo sur son bureau et le fit rouler entre ses doigts.
— Tu as sans doute déjà entendu parler de l'exode rural, non ?
— Bien sûr, puisque ma propre famille a déménagé en ville. Mais il faut penser à tous ceux qui
ont passé toute leur vie ici et qui veulent rester, eux. Ils appartiennent à cette petite ville et les
éleveurs, comme toi, ont également besoin d'une cité vivante et prospère. Celles de la côte
sont bien trop éloignées.
— Et qu'as-tu exactement en tête ?
— C'est encore un peu vague, répondit-elle en détournant les yeux pour échapper à son
regard bleu perçant. Néanmoins, il doit bien y avoir moyen d'attirer du monde à Goodbye
Creek.
— Des touristes ?
— Pourquoi pas ? Ce serait un début, dit-elle prudemment. Cela pourrait donner un coup de
fouet à l'économie et les habitants cesseraient de s'exiler. C'est l'or qui a attiré ici les premiers
colons. Peut-être pourrais-je faire quelques recherches sur ce thème et voir ce que ça donne ?
Elle espérait pouvoir communiquer son enthousiasme à Max. Aussi poursuivit-elle :
farouche qu'on aurait pu croire qu'il allait s'attaquer au maigre mobilier de la pièce.
— Ne t'en fais donc pas ! Personne n'a été blessé. C'est vraiment une tempête dans un verre
d'eau !
Mais Max semblait peu décidé à s'asseoir et arpentait la pièce comme un tigre en cage. A la fin
pourtant, il la rejoignit sur le banc, les mains crispées sur les genoux tandis qu'elle mouchait
Molly dont le nez s'était mis à couler.
— J'ai eu peur qu'on t'ait tiré dessus, lança-t-il en se relevant et en recommençant à marcher
de long en large. J'attends une explication valable, Sandy !
Ça y est, le sergent Max est de retour, se dit-elle.
— J'aimerais presque avoir commis un crime pour avoir le plaisir de te l'annoncer maintenant,
s'écria-t-elle. Ça te fournirait une bonne excuse pour te mettre en rogne ! Mais
malheureusement, tout ce que j'ai fait, c'est d'essayer de donner à ce pauvre petit trou perdu
de Goodbye Creek une chance de sortir de sa torpeur !
— Tu sombres dans le mélo !
— C'est plutôt toi avec ton air sinistre ! Bon, maintenant, veux-tu savoir ce qui s'est produit ou
préfères-tu continuer à te donner en spectacle ?
— J'ai l'impression que tu t'en es chargée pour nous deux, dit-il ironiquement en se rasseyant à
côté d'elle. Alors, de quoi s'agit-il ?
— De pas grand-chose, à vrai dire, répondit-elle en esquissant un sourire tremblotant. J'étais
au pub avec Mick Laver et tout se déroulait pour le mieux. Je lui exposais les possibilités
locales de développement culturel et mon idée de festival. Ça avait réellement l'air de le
passionner...
Elle serra Molly plus fort contre son cœur.
— Je lui ai expliqué comment je pensais faire connaître l'histoire de la ville et le rôle qu'avait
joué son pub au moment de la ruée vers l'or. Il était complètement excité. Alors, quand je lui ai
parlé de la fusillade entre le Capitaine Firelight et la police, il a été trop furieux qu'on ait rénové
le mur et comblé les trous. Et c'est là qu'il a perdu la tête...
Max fit une moue résignée.
— Ici, tout le monde sait qu'il a tendance à passer rapidement à l'acte !
— Tu aurais pu m'avertir ! Bon, enfin, il a eu une illumination et il a décidé qu'il fallait tirer de
nouveau quelques balles dans le mur...
— Dans le mur de son pub ? fit Max, incrédule. Elle acquiesça.
— Tu as tout compris. Avant que j'aie pu l'arrêter, il a sorti sa carabine de sous le comptoir et
le mur du pub de Goodbye Creek peut maintenant s'enorgueillir de deux beaux trous tout
neufs.
— Mais pourquoi t'en es-tu pris à un pareil excité ?
— J'ignorais qu'il était capable de réagir ainsi, rétorqua Sandy, sur la défensive.
— Et qu'est-ce que tu as fait pour le mettre dans cet état ? Tu lui as fait miroiter la pub, les
hordes de touristes assoiffés défilant dans son établissement ? Tu lui as dit que l'âge d'or était
de retour ?
— Naturellement, s'écria Sandy, c'est ma faute !
— Tu aurais dû y aller doucement et éviter de prendre des risques alors que tu étais là pour
t'occuper de Molly.
Elle se redressa d'un bond et le toisa.
— Dis donc, je croyais que c'était une responsabilité partagée. J'ai fait ma part et j'ai seulement
demandé une journée de liberté.
— Dès que je te perds de vue une heure, tu vas te fourrer dans les pires ennuis !
C'était plus que n'en pouvait supporter Sandy.
— Et toi, tu sais quel est ton problème ?
Molly se mit soudain à tousser et Sandy, oubliant le procès qu'elle instruisait, lança à Max un
regard de glace.
— Tu crois qu'elle a pris froid ? Elle a été trempée comme une soupe, hier, pendant l'orage.
Il fronça les sourcils d'un air déconfit.
— Je ne sais pas, murmura-t-il. C'est la deuxième fois que ça lui arrive aujourd'hui, mais, au
déjeuner, elle a bien mangé.
Il toucha le petit genou dodu de sa nièce.
— Tu ne vas pas tomber malade, mon petit opossum. Maman et Papa seront là demain et on
tient à ce qu'ils te retrouvent en pleine forme.
Il jeta un regard accusateur en direction de Sandy.
— S'il n'y a pas de problème, pourquoi la police te retient-elle ici ?
Elle haussa les épaules.
— Il se trouve qu'un inspecteur est en tournée en ville. Alors, le sergent est particulièrement
nerveux. Lorsqu'ils ont entendu les tirs, ils ont fait irruption dans le pub en dégainant leurs
armes.
— On dirait qu'aujourd'hui, ils sont tous un peu cinglés.
« Surtout toi ! » faillit répondre Sandy, mais au même moment Molly fut de nouveau secouée
par une quinte de toux.
— Il vaudrait peut-être mieux la ramener chez toi tout de suite, Max, suggéra Sandy, un peu
inquiète. Je serai là dès que possible.
Max se pencha anxieusement sur le bébé qui lui adressa en retour un sourire radieux.
— Elle n'a pas l'air mal, répondit-il. Je préfère toucher un mot à Dan Kelly pour éviter tout
problème.
— Dis donc, est-ce que tu pourrais une fois me laisser régler mes propres affaires ?
Mais avant que Max ait pu répondre, une porte intérieure s'ouvrit et Mick Laver surgit, flanqué
d'un homme en uniforme.
— Vous êtes libre de partir, annonça l'officier de police. Aucune charge ne peut être retenue
contre vous, pas plus que contre ce demeuré !
— Pas trop tôt, marmonna Sandy.
Elle avait pratiquement gâché tout son après-midi à transpirer dans cette salle étouffante, sans
pouvoir faire seulement la moitié de ce qu'elle avait prévu.
Max serra la main du policier avec autant de chaleur que s'il leur avait sauvé la vie avant de se
tourner vers Sandy.
— On y va ? Ça ne t'ennuie pas de ramener Molly ? Le siège bébé est resté dans ta voiture.
Le sergent Kelly fit un petit clin d'œil à la jeune femme en redressant sa casquette.
— Assurez-vous que la petite voyage bien dans son siège, n'est-ce pas, miss Brown ?
— Bien sûr, répondit Sandy avec un grand sourire, tout en se réservant d'en discuter avec Max
dès qu'ils seraient dehors.
Mais Molly se remit à tousser de plus belle, si fort que Sandy en fut alarmée.
— Bon, le festival de Goodbye Creek attendra. Ce qui passe en premier, c'est la santé de
notre petit trésor.
Pendant le voyage de retour, une pensée réconfortante traversa fugitivement l'esprit de Sandy :
si Max s'était mis dans une telle colère, n'était-ce pas qu'il lui portait un réel intérêt ?
Cependant, à leur arrivée au ranch, Molly fut prise d'une toux de plus en plus forte et Max
appela Helena au centre médical. Malheureusement, elle était sortie pour une urgence.
— Nous pourrions peut-être lui frictionner la poitrine avec une pommade à l'eucalyptus,
suggéra Sandy.
Max courut chercher le remède pendant qu'elle mettait Molly en pyjama. Ensemble, ils
scrutèrent le bébé allongé sur la table du salon pendant qu'elle lui faisait sa friction : elle n'avait
pas l'air mal, seulement un peu abattue, même quand Sandy se risqua à la chatouiller.
Ensemble, ils lui donnèrent son dîner, la bercèrent et la couchèrent. Ils furent soulagés de la voir
immédiatement sombrer dans le sommeil, comme si elle était épuisée.
— Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda Sandy en se penchant sur le petit lit. Tu crois
qu'il faut la surveiller toute la nuit ?
— Peut-être que tout ce dont elle a besoin, c'est de dormir d'une traite pendant douze heures,
répondit-il d'une voix incertaine. Préparons-nous quelque chose à manger, et après, on verra
bien.
Ils dînèrent sur le pouce dans la cuisine, en silence, évitant d'évoquer le retour d'Isabel et de
Dave, tout comme l'abominable journée passée en ville. Au milieu du repas, Max alluma la
radio pour faire diversion. Les résultats des rencontres de cricket entre l'Australie et
l'Angleterre s'égrenèrent, monotones, tandis que Sandy disposait sur les assiettes les crackers,
le fromage et les raisins qu'elle avait achetés. Puis Max retourna dans la chambre de Molly et
en revint, le regard sombre.
— Elle dort toujours, mais elle n'arrête pas de tousser.
Il avait l'air si abattu que Sandy ne put s'empêcher de lui remonter le moral. Aux résultats
sportifs avaient succédé les accents lugubres d'un orchestre symphonique.
— Ça ne sert à rien de rester assis à nous morfondre ! Occupons-nous un peu. Si on faisait
une petite partie de cache-tampon ?
Il reposa son couteau et sembla s'absorber dans une profonde réflexion avant de la fixer d'un
air amusé.
— Cache-tampon ? Et qu'est-ce qui est caché, Sandy ? Avec un léger sentiment de ridicule,
elle se mit à psalmodier sur un ton un peu enfantin la fameuse comptine :
— Avec mes. petits yeux, je cherche quelque chose qui commence par... A.
— Une araignée ? proposa-t-il.
— Où donc ? s'écria Sandy en bondissant de sa chaise. Elle avait une peur bleue des araignées
mais s'aperçut rapidement qu'une fois de plus, elle s'était fait avoir.
— Joue franc-jeu, Max, dit-elle en se rasseyant. Il n'y a pas la moindre araignée ici !
— D'accord. Je recommence. Quelque chose qui commence par A... Sur le mur, au centre
d'un pêle-mêle consacré à la famille, il aperçut une photo de son grand-père pendant la guerre.
— Un ambulancier ?
— Tu lis dans mes pensées, ma parole ! s'écria-t-elle en tapant du plat de la main sur la table.
— Tu ne savais pas que c'était mon violon d'Ingres ? dit-il en se levant pour s'approcher d'elle.
Il ne souriait plus maintenant mais la fixait intensément.
— Et toi, Sandy, saurais-tu me dire à quoi je pense ? D'instinct, elle sentit qu'il désirait
l'embrasser, cependant, elle aurait préféré se laisser brûler vive que de le lui dire. Il la prit par la
main, l'attira à lui et ils restèrent un long moment face à face, échangeant des regards lourds de
questions muettes. Puis il l'attira contre lui et se pencha vers son visage. Ses lèvres brûlantes
cherchèrent les siennes et les effleurèrent longuement tandis que ses mains se faisaient plus
insistantes.
Cette fois, elle n'avait plus peur et elle se lova au creux de ses bras.
C'était un baiser bien différent de celui qu'ils avaient échangé cinq ans plus tôt. Aujourd'hui, elle
n'était plus poussée par l'urgence d'un désir sans espoir, mais se sentait baignée dans un océan
de tendresse. Jamais elle n'aurait cru qu'un baiser pouvait receler tant de douceur, de plénitude
et de promesses.
Max ne cessait de l'embrasser et elle sentait sa bouche s'ouvrir doucement sous cette caresse
brûlante. Alors seulement, leurs corps s'enlacèrent sans hâte, appliqués à savourer une intimité
qui les mena au bord du vertige.
Une larme de bonheur roula sur sa joue et Max la recueillit de ses lèvres.
— Ma chère Sandy, murmura-t-il, tu ne peux pas savoir...
Soudain, elle crut entendre frapper doucement à la porte. Tournant brusquement la tête, elle vit
Helena Robert-Jones debout sur le seuil de la cuisine, les yeux ronds d'étonnement, avec aux
lèvres un petit sourire crispé qui lui faisait perdre beaucoup de sa superbe.
— Mon Dieu, lança-t-elle, les mains sur les hanches, comme c'est mignon, tout ça !
Muette de surprise, Sandy s'arracha aux bras qui l'enlaçaient, mais il était trop tard pour nier
l'évidence. Max s'éclaircit la gorge avant de parler.
— J'ai essayé de te joindre, Helena. Nous nous faisons du souci pour Molly.
— Pas possible ! Enfin, vous n'avez pas l'air trop accablés ! J'ai frappé un moment à la porte
d'entrée, mais comme personne ne venait, je me suis décidée à entrer. J'ai l'impression que, si
j'étais arrivée seulement deux minutes plus tard, la situation aurait été vraiment embarrassante !
De la chambre de Molly leur parvint une quinte de toux.
— C'est le bébé, dit Max.
— Je ne l'aurais jamais deviné, lança Helena d'un ton acide.
Max lui jeta un regard peu amène.
— Pouvons-nous compter sur toi, je veux dire du point de vue professionnel ?
— Si ce n'était pas le cas, mon cher Max, je ne serais pas là ! Quand j'ai eu ton message, je
me trouvais chez les Pearson dont les quatre enfants ont la rougeole. Le plus jeune est vraiment
mal et il faut que je les rappelle avant de rentrer chez moi.
— Dans ce cas, merci beaucoup d'avoir pris le temps de passer voir Molly.
— Qu'est-ce qui lui arrive donc ? interrogea Helena avec un semblant d'intérêt.
— Elle n'arrête pas de tousser.
— Et elle est grognon, ajouta Sandy, mais elle n'a pas de fièvre.
— Je ferais mieux de l'examiner, dit Helena en reprenant le sac qu'elle avait posé par terre.
Elle se dirigea vers la chambre, suivie de Max, tandis que Molly continuait à pleurer.
— Voulez-vous un café ? lui proposa Sandy.
— Je veux bien, merci, répondit la jeune femme depuis le couloir.
Sandy empila nerveusement la vaisselle sale dans l'évier. Pourvu que Molly n'ait pas attrapé la
rougeole ! L'année dernière, il y avait eu une épidémie terrible. Des enfants en étaient même
morts, songea-t-elle en versant machinalement le café dans trois tasses qu'elle disposa sur un
plateau avec un pot de lait et du sucre. Et les Pearson étaient les plus proches voisins de Max !
Quel serait le diagnostic d'Helena ?
Quoique inquiète, elle ne pouvait pourtant s'empêcher de revivre le baiser qu'elle avait échangé
avec Max. Malgré l'apparition malencontreuse d'Helena, la sensation qu'elle avait éprouvée
demeurait en elle, comme la promesse d'un bonheur à venir et un merveilleux talisman.
Le médecin réapparut dans la cuisine, rangeant son stéthoscope dans son sac.
— Je ne crois pas qu'il faille trop s'en faire. Pour le moment, aucun symptôme de rougeole. Je
lui ai donné un calmant et elle a eu l'air tout de suite mieux. Si vous avez le moindre doute, vous
pouvez toujours m'appeler.
— Je suis vraiment soulagée que ce ne soit pas trop grave, s'exclama Sandy en posant le café
sur la table. Etre parent, quelle angoisse !
— Tu as l'air épuisée, Helena, dit Max en lui tendant une tasse de café dans laquelle Sandy
remarqua qu'il avait ajouté de son propre chef du lait et du sucre.
— C'est normal, je n'arrête pas de courir les routes.
— Médecin de campagne dans l'Outback du Queensland, ce n'est pas un choix de vie facile,
reconnut Sandy avec un certain respect.
Helena but une longue gorgée de café.
— Vous avez de la chance de rentrer en ville dans un jour ou deux, répondit-elle en lançant à
Max un regard entendu. Ici, la vie est dure. Regardez ce grand garçon, il doit savoir tout faire,
réparer une moto en panne dans le désert aussi bien qu'assister une vache en train de vêler !
Le sourire de Sandy se figea sur ses lèvres.
— C'est vrai que vous êtes héroïques, tous les deux !
— Sûrement, répliqua Helena d'un ton sarcastique en reposant sa tasse. Mais si je veux le
rester, je ferais mieux de filer...
Max la raccompagna galamment jusqu'à sa voiture.
Sandy esquissa un salut mais ils lui avaient déjà tourné le dos et s'éloignaient en discutant. Tout
comme le soir du bal, elle se dit qu'ils formaient un couple bien assorti. Grands et beaux tous
les deux, deux fortes personnalités, sûrs d'eux, sexuellement à l'aise, ça se devinait. Une bonne
équipe!
Elle fixa son café qui refroidissait dans sa tasse à moitié vide. Une demi-heure plus tôt, dans les
bras de Max, elle était au septième ciel : il l'avait serrée si fort, il l'avait embrassée si
tendrement, il avait murmuré son nom...
Maintenant, elle était de retour sur terre, le cœur brisé. Et la vérité lui apparut, claire et glaciale
comme une aube d'hiver dans l'Outback. Ce soir, elle venait d'être engagée dans l'équipe des
innombrables conquêtes de Max...
10.
L'esprit confus, Sandy se dirigea vers l'évier : elle tenait à avoir fini de ranger la cuisine avant le
retour de Max. Allait-il se comporter comme si ce baiser n'avait jamais eu lieu ? Ou
reprendrait-il les choses là où il les avait laissées ?
Elle se sentait en proie au vertige et ses yeux étaient brûlants de larmes. La question n'était plus
de savoir si elle aimait Max mais si lui, l'aimait.
Helena, Sharon, Susan... les avait-il embrassées aussi tendrement, aussi amoureusement ? Cela
lui semblait impossible.
Quand elle eut terminé de ranger, Max n'était toujours pas rentré. Pour éviter de s'imaginer ses
adieux à Helena, elle concentra toute son attention sur Molly, le seul membre de la famille
Jardine dont elle voulait s'inquiéter, ce soir.
Elle regagna sa chambre dont elle ouvrit la porte de communication avec celle du bébé pour
mieux l'entendre si jamais elle pleurait. En plein désarroi, elle se mit au lit, espérant que la petite
et elle passeraient une bonne nuit.
Tout à coup, elle se dressa sur son lit, aux prises avec un sentiment d'angoisse inouï. Un bruit
avait hanté ses cauchemars, un halètement pénible et rauque, comme si quelqu'un étouffait.
Molly !
Elle bondit hors du lit et se rua dans la chambre. Molly respirait avec difficulté. Le cœur de
Sandy se mit à battre follement, tandis qu'elle soulevait le bébé.
— Qu'est-ce qui t'arrive, mon petit ange ? Oh, mon Dieu, que faire ?
Molly serrée contre sa poitrine, elle se précipita dans la chambre de Max. Il était déjà debout
et un rayon de lune éclairait son visage crispé par l'anxiété.
— Elle va plus mal ? demanda-t-il. Sandy acquiesça :
— J'ai l'impression qu'elle a de plus en plus de difficulté à respirer.
Pendant un moment, ils écoutèrent, pétrifiés, les bruits inquiétants que produisait la respiration
du bébé.
— J'appelle immédiatement Helena, dit-il.
— Je vais encore la frictionner avec de la pommade à l'eucalyptus. Je ne vois pas quoi faire
d'autre.
« Oh, Isabel, murmura Sandy en revenant dans la chambre de Molly, j'ai pourtant fait de mon
mieux pour prendre soin de ta petite fille. »
Dans ses bras, Molly gémit faiblement.
— Mon trésor, mon petit trésor, reprit Sandy en la déshabillant et en la frictionnant, ça va aller,
le docteur va bientôt arriver.
Elle entendit bientôt les pas de Max derrière elle.
— Pas de chance, s'exclama-t-il. Personne ne répond, ni Helena, ni le centre médical. Je ne
comprends pas ce qui se passe.
— Qu'est-ce qu'on peut faire ?
Max respira profondément et croisa les bras sur son torse nu.
— Je n'en sais rien. Continuer à appeler, sans doute...
— On pourrait peut-être téléphoner à la femme d'un voisin, il y en a certaines qui ont des
enfants.
— On n'a pas besoin de remèdes de bonne femme, grommela-t-il en haussant les épaules. Ce
qu'il nous faut, c'est une réelle assistance médicale. Et ça ne servirait à rien de l'emmener en
ville en voiture si Helena n'y est pas : elle est le seul médecin à cent kilomètres à la ronde. Je
vais continuer à l'appeler jusqu'à ce que j'obtienne une réponse.
Le cœur serré, Sandy le vit retourner vers la cuisine où se trouvait le téléphone. Il avait une telle
confiance en Helena ! Elle seule pouvait les sortir de là !
Sandy posa ses lèvres sur la joue douce de Molly pour se donner du courage.
— Il doit bien y avoir un autre moyen de trouver de l'aide, murmura-t-elle.
Molly semblait un peu mieux et Sandy se mit à arpenter le couloir tout en chantant doucement
des berceuses qui lui revenaient à la mémoire. Mais la respiration du bébé restait sifflante et
précipitée.
Elle entra dans le bureau qu'éclairait un rayon de lune argenté qui filtrait à travers les rideaux et
s'approcha de la fenêtre, cherchant du réconfort dans le spectacle qu'offrait la nuit calme de
l'Outback.
Au-dehors, les ombres obscures des arbres et la masse des écuries lui parurent presque
hostiles. Elle sentit des larmes perler à ses cils mais se reprit immédiatement : il fallait qu'elle
reste forte, pour Molly. Tournant le dos à la fenêtre, elle contempla machinalement autour d'elle
les étagères garnies de livres de toutes sortes.
— Je me demande si, dans tout ce fatras, je ne pourrais pas trouver un manuel de
puériculture..., murmura-t-elle à Molly.
Elle alluma le plafonnier et, Molly toujours serrée contre elle, se mit à parcourir avidement les
titres des yeux. La plupart des ouvrages traitaient de gestion d'exploitation agricole et de
commerce international, mais il y avait aussi des romans d'aventure et d'espionnage, comme on
pouvait s'y attendre chez un célibataire du genre de Max. Naturellement, il n'y avait vraiment
aucune raison qu'il soit en possession d'un livre concernant les maladies infantiles. Découragée,
Sandy s'assit dans un fauteuil, espérant qu'il allait surgir, porteur de bonnes nouvelles.
L'ordinateur tout proche lui rappela fugitivement leur joie, en début d'après-midi, quand ils
avaient reçu le message d'Isabel et Dave. Mais maintenant, il était plus de minuit et ils allaient
arriver dans quelques heures. Dans quel état trouveraient-ils leur fille ?
Anxieuse, elle se levait pour quitter la pièce à la recherche de Max car la respiration de Molly
se précipitait encore, lorsque le mot « bébé », entrevu au dos d'un vieux livre poussiéreux,
attira son attention.
« J'élève mon bébé jusqu'à trois ans », disait le titre.
Elle s'empara de l'ouvrage et parcourut rapidement la table des matières avant de laisser
échapper un cri de joie : un long chapitre était consacré aux problèmes de santé. Au même
moment, Max pénétra dans la pièce, les yeux pleins d'angoisse.
— J'ai enfin réussi à joindre le centre médical. Ils m'ont dit qu'il s'était produit un grave
accident sur l'autoroute et qu'He-lena avait dû se rendre sur place. En ce moment, elle se
trouve dans une ambulance, en train de s'occuper d'un blessé qu'on transporte dans un état
critique à l'hôpital du Mont Isa.
S'approchant de Molly, il lui caressa doucement la tête.
— Comment va notre petit ange ?
Mais maintenant, la détresse respiratoire de Molly était si évidente que Sandy n'eut pas besoin
de lui répondre.
— Regarde, je viens de trouver ce vieux livre et j'espère que ça pourra nous aider un peu.
— Ne te fais pas trop d'illusions : je crois qu'il appartenait à ma mère ou peut-être même à ma
grand-mère. Je vais essayer de joindre les secours héliportés.
Sans le regarder s'éloigner, Sandy feuilleta rapidement le livre à la recherche d'une description
des symptômes respiratoires de Molly.
Elle désespérait lorsqu'elle trouva enfin.
Le croup... il s'agissait du croup, une forme aiguë et grave de laryngite. Les yeux de Sandy
remontèrent avidement vers le haut de la page. Les troubles décrits étaient exactement ceux
que présentait Molly et le premier conseil donné était d'appeler immédiatement le médecin.
Pourtant, dans le paragraphe suivant, il était question du soulagement apporté par
l'humidification de l'air à la vapeur.
« Emmenez l'enfant dans la salle de bains et faites couler une douche ou un bain chaud.
Lorsque l'air de la pièce sera saturé de vapeur, l'humidité améliorera rapidement la respiration
de l'enfant », était-il précisé dans l'ouvrage.
Sandy se redressa, tenant toujours Molly dans les bras. Enfin, il lui était possible d'agir. Elle se
rua dans la salle de bains, déposa doucement Molly sur le tapis, enveloppée dans une épaisse
serviette, et ouvrit un à un tous les robinets d'eau chaude. Puis elle s'assit par terre, le dos
appuyé au mur carrelé de blanc. Reprenant le bébé dans ses bras, elle le berça tendrement
tandis que la pièce s'emplissait progressivement d'une vapeur de plus en plus épaisse.
Vingt minutes plus tard, Max frappa à la porte.
— Vous êtes là ?
— Oui, entre !
La porte s'ouvrit mais il resta figé sur le seuil, devinant vaguement deux formes humaines à
travers l'air saturé de buée.
— Je viens juste d'arriver à joindre les secours héliportés ! Comment va Molly ? dit-il en
s'agenouillant à leur côté.
— Regarde, j'ai suivi les conseils de ton vieux bouquin... Tu as vu comme elle respire mieux ?
Un vrai miracle !
Max poussa un long soupir de soulagement et vint s'asseoir tout près de Sandy, sa tête
touchant presque la sienne.
— J'ai réussi à parler à une infirmière du centre qui m'a conseillé de procéder exactement
comme tu l'as fait. D'après elle, c'est très efficace, sauf dans les cas les plus graves.
Sandy se tourna vers lui et sentit la chaleur de son épaule nue contre la sienne.
— Comment te remercier, Sandy ? reprit-il. Tu as su faire ce qu'il fallait alors que je m'agitais
vainement, comme un imbécile.
— Je suis si heureuse que ça ait marché !
Max fixait tendrement Molly endormie. La poitrine étroite du bébé se soulevait régulièrement et
sa respiration paraissait profonde et paisible. Il baissa la tête et effleura de ses lèvres les
boucles blondes.
— Ne me refais plus jamais une peur pareille, mon petit ange, chuchota-t-il.
Quand il se redressa, ses yeux rencontrèrent ceux de Sandy et son visage prit une expression si
étrange qu'un long frisson la parcourut tout entière.
Il s'éclaircit la gorge.
— Tu crois que... Il y a une chance que...
Soudain, sa main s'avança comme malgré lui et se posa doucement, hésitante, sur les cheveux
humides de Sandy. Lentement, il suivit du doigt la courbe de sa joue jusqu'à son menton levé
vers lui. Son pouce s'attarda sur ses lèvres charnues. Il semblait maintenant si timide...
Sandy sentit qu'il désirait l'embrasser mais que quelque chose le lui interdisait encore.
— Qu'essaies-tu de me dire, Max ?
— Plus tard, souffla-t-il en regardant de nouveau Molly. Ce n'est pas encore le moment.
Mais le désir de Sandy était si puissant qu'elle ne put s'empêcher de relever la tête et de lui
tendre ses lèvres, presque à son corps défendant. Le visage de Max se pencha vers le sien,
comme attiré par un mystérieux aimant. Puis leurs bouches se touchèrent et s'unirent dans un
baiser profond qui vint combler tous les silences, effacer tous les non-dits du passé. Le corps
de Sandy se mit à vibrer d'un désir passionné et elle jeta vers le bébé endormi un regard
inquiet.
— Tu avais raison, soupira-t-elle tandis que la bouche de Max s'attardait avec une
merveilleuse douceur sur ses paupières, son cou, son épaule. Ce n'est pas le moment.
— Je vais la prendre, dit-il en soulevant tendrement Molly avant de se redresser. Crois-tu
qu'on puisse la recoucher dans son lit, maintenant ?
— J'en ai l'impression. Ça fait longtemps qu'elle n'a plus eu de quinte de toux.
— Je la ramène dans sa chambre. Peux-tu fermer les robinets ? Je crois qu'il n'y a plus guère
d'eau chaude.
Sandy remit de l'ordre dans la salle de bains mais elle sentait son corps brûler d'un désir fou.
Après s'être rendue dans sa chambre et y avoir ôté sa chemise de nuit toute trempée après une
heure et demie de bain de vapeur, elle avait enfilé un ample T-shirt pour la nuit. Puis elle
traversa le hall en direction de la chambre de Molly qu'elle trouva vide. Etonnée, elle passa la
tête dans celle de Max.
Il était étendu sur son lit, Molly nichée au creux de son bras, et fit à Sandy un clin d'œil
expressif en tapotant la place vide, à côté du bébé.
— Je crois qu'il vaut mieux quand même que nous passions le reste de la nuit avec elle,
chuchota-t-il.
— Avec elle ? Tu veux dire toi et moi, tous les trois ?
— C'est ça. Tu as quelque chose contre ?
— Non, non. Pourquoi ? répondit-elle timidement, toujours debout au pied du lit.
Elle baissa les yeux, brusquement consciente de sa tenue. Croisant vivement les bras sur sa
poitrine, elle se risqua à faire deux pas en avant.
Elle n'aspirait à rien d'autre qu'à s'allonger sur ce lit, consentante, à côté de Max. S'il lui faisait
l'amour comme il l'avait embrassée, elle était sûre qu'il ne pourrait rien y avoir de plus beau au
monde... Pourtant des vestiges de son ancienne peur subsistaient : il avait tant d'expérience et
elle, si peu. Mais elle savait que Max ne tenterait rien tant que Molly serait là, entre eux deux.
Précautionneusement, elle se glissa entre les draps frais et blancs, rassurée par la tiède
présence du petit corps contre elle. Bientôt, elle n'entendit plus qu'un bruit régulier de
respirations mêlées. Elle pensa qu'ils s'étaient tous deux endormis mais doucement une main
caressa son épaule.
— Détends-toi, Sandy. Tu es épuisée et tu as besoin de dormir.
— Je crois que je ne pourrai pas y arriver.
— C'est pourtant ce que font la plupart des parents, à cette heure, surtout lorsque leur enfant a
été malade toute la nuit et qu'il vient juste de se calmer.
— Bien sûr, approuva-t-elle en remontant le drap sous son menton.
— Dis donc, tu n'as pas cru par hasard que j'utilisais un bébé innocent pour t'attirer dans mon
lit ?
— Absolument pas !
Il se pencha au-dessus de Molly pour lui chuchoter à l'oreille d'une voix un peu rauque et
incroyablement attirante :
— Je crois que je ne manque pas d'arguments plus loyaux pour réussir à te convaincre, tu sais.
Elle repensa à la vague de désir qui l'avait submergée lorsqu'il l'avait embrassée dans la salle de
bains. Tout son être en vibrait encore. Le moment n'était-il pas enfin venu de lui avouer son
manque d'expérience ?
— Max, chuchota-t-elle, les yeux au plafond, tu t'y connais en... en virginité ?
Il n'y eut pas de réponse et Sandy hésita à insister. Tant de fois, par le passé, elle n'avait lu
dans les yeux de Max que moquerie et dérision !
— Tu m'as entendue ?
— Oui, Sandy, mais je ne sais que te répondre. Ta question concerne-t-elle ma vie personnelle
ou veux-tu engager un débat d'ordre sociologique ?
Elle se sentit rougir jusqu'au cou.
— Je faisais plutôt allusion à un phénomène de société, répondit-elle en détournant la tête. De
nos jours, les filles font l'amour de plus en plus tôt.
— C'est vrai.
— Mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a des filles parfaitement normales, en bonne santé,
bien dans leur peau, qui...
— Dis donc, Sandy, tu pourrais m'expliquer pourquoi on se retrouve en train de parler de ça
en pleine nuit ?
Etait-il incapable de deviner ?
Il se souleva à demi pour éteindre la lampe de chevet et une fois de plus, elle se surprit à
admirer les muscles qui jouaient harmonieusement sous sa peau hâlée. Puis elle sentit les lèvres
sensuelles de Max caresser sa bouche et ses paupières dans l'obscurité.
— Calme-toi et dors, Sandy.
Il l'embrassa de nouveau avec tendresse. Elle songea alors que, pour la première fois de sa vie,
elle partageait le lit d'un homme.
— Pense seulement à la chance que nous avons de pouvoir veiller tous deux sur ce petit trésor,
chuchota-t-il en lui effleurant l'épaule de ses lèvres. Cela dit, tu ne perds rien pour attendre, je
te le promets.
Sandy aurait bien voulu réfléchir plus longtemps au sens de ces mots, mais blottie dans le noir
près de ces deux êtres, elle sentit une vague de bonheur parfait l'envelopper tout entière.
— Ça t'est égal, alors ? poursuivit-elle, obstinée.
— Comment, égal ?
— Eh bien... que je n'aie jamais...
Elle ne put achever sa phrase. Max resta silencieux.
— J'ai l'impression que si je n'ai jamais..., reprit-elle péniblement, que si je n'ai jamais fait
l'amour, c'est, en quelque sorte, à cause de toi...
Il s'assit soudain à côté d'elle et elle sentit son regard qui la scrutait malgré l'obscurité.
— J'aimerais que tu sois un peu plus claire.
— Tu m'as embrassée, il y a longtemps, tu sais, la nuit de l'anniversaire de Dave.
— Oui.
Son ton était très calme mais elle crut y déceler une certaine tension.
— Depuis, je n'ai jamais vraiment pu m'intéresser à aucun autre homme, Max.
Il s'allongea de nouveau, les yeux au plafond.
Il avait l'air furieux et elle regretta désespérément d'avoir engagé cette conversation : ils étaient
tous deux épuisés et elle aurait mieux fait de suivre le conseil de Max et de dormir. Avec cette
confession maladroite, elle avait complètement gâché les quelques bons moments qu'ils avaient
passés ensemble. Il était clair que le dernier sujet qu'il avait envie d'aborder au lit avec une
femme, c'était bien le pourquoi et le comment de son manque d'expérience sexuelle.
Comme pour lui prouver qu'elle avait vu juste, il se leva brusquement et se dirigea vers la
véranda.
— Où vas-tu ?
— J'ai besoin de réfléchir, lança-t-il. Et je n'y parviendrai pas tant que je resterai dans ce lit à
côté de toi.
Puis il disparut dans l'obscurité de la nuit.
11.
Seule à côté du bébé endormi, Sandy put enfin laisser libre cours à ses larmes. Elle aurait tant
voulu rejoindre Max ! Si seulement elle n'avait pas fait cette confession déplacée qui n'avait
contribué qu'à compliquer leur relation !
Ou plutôt qui l'avait à jamais détruite...
Quelques heures plus tôt, Max l'avait embrassée dans un moment de grâce total.
Il lui avait même dit : « Tu ne perds rien pour attendre, je te le promets ».
Mais ensuite, elle avait perdu la raison, lui jetant sa virginité à la tête, l'assommant avec ses
complexes ! Et elle n'aurait pas de deuxième chance...
Demain, dès que Molly aurait retrouvé ses parents, Max la mettrait dans un avion pour se
débarrasser d'elle au plus vite.
Mon Dieu ! Si elle avait su se taire, en ce moment même, Max dormirait paisiblement dans ce
lit au lieu de rôder au-dehors comme une âme en peine !
Quand Sandy s'éveilla, le soleil brillait déjà haut dans le ciel, posant des reflets couleur de miel
sur les poutres et le parquet de la chambre. Elle s'étira en bâillant et se retourna. Molly n'était
plus à son côté. Se redressant sur ses coudes, toutes les péripéties de la nuit lui revinrent à
l'esprit et brusquement la panique l'envahit.
Où était-elle passée ? Etait-il possible qu'elle soit retombée malade ?
— Max ! héla-t-elle en courant à travers la maison.
Elle passa dans sa chambre pour enfiler un short et un polo à toute allure. Puis elle reprit son
exploration. Hélas, elle jetait un coup d'œil dans chaque pièce sans trouver personne. Arrivée
dans la cuisine, elle se laissa tomber sur une chaise, anxieuse et hors d'haleine.
« Calme-toi ! Tu t'en es sortie cette nuit pendant la crise et tu vas t'en sortir encore, se dit-elle
en se forçant à respirer profondément. S'il y avait eu quoi que ce soit de grave, Max t'aurait
réveillée. »
Soudain, elle perçut du bruit dans la véranda et tendit l'oreille. Des rires d'homme et des petits
cris joyeux !
Elle s'y précipita et les vit.
Max était accroupi et devant lui, solidement campée sur ses petites jambes, Molly s'agrippait à
son genou pour conserver son équilibre. Elle riait et poussait des gloussements tandis qu'un
minuscule chiot se roulait à ses pieds.
— Mon Dieu, s'écria Sandy en s'approchant. Regarde-la. Qui aurait cru qu'elle récupérerait si
vite ?
Max prit Molly sur un bras et le chiot sur l'autre et se redressa.
— Ah, te voilà, dit-il en lui adressant un regard bienveillant. Tout à l'heure, j'ai jeté un coup
d'oeil dans la chambre et j'ai trouvé Molly bien réveillée tandis que tu dormais encore.
— Merci de t'être occupé d'elle. J'ai dormi comme un loir, et toi ?
— Très bien, merci.
Sandy n'en aurait pas mis sa main au feu, étant donné ses traits tirés et ses cernes bleuâtres.
— Je ne peux pas croire que Molly soit aussi fraîche, s'ex-clama-t-elle en plantant
impulsivement un baiser sur la joue rebondie du bébé.
— Au centre médical, l'infirmière m'a averti qu'avec les bébés, ça se passe comme ça : ils ont
l'air d'être au plus mal et une heure plus tard, ils pètent le feu. Regarde, elle essaie de tirer
l'oreille du chien ! Je me demande si ses parents m'autoriseront à lui en faire cadeau ?
— Ça m'étonnerait qu'ils soient contre. Dave adorait les chiens quand il était petit, répondit
Sandy en caressant la tête du minuscule animal.
Elle ne pouvait s'empêcher d'être un peu déçue. Max agissait comme s'il ne s'était rien passé
cette nuit... Leurs relations ne changeraient donc jamais ?
— Isabel et Dave vont arriver en début d'après-midi. Je vais préparer leur chambre, reprit-elle
d'un ton détaché en s'apprê-tant à s'éloigner.
— Un moment, lança Max en laissant le chiot rejoindre ses frères dans un vaste panier. Il faut
d'abord que tu prennes ton petit déjeuner.
— J'avoue que j'ai une faim de loup. Tu as déjà mangé ?
— Pas encore. Veux-tu que nous déjeunions ensemble ?
— Bonne idée, répondit Sandy en se dirigeant vers la cuisine.
— Jus d'orange ? proposa Max en installant Molly dans sa chaise haute.
— S'il te plaît. Mais je vais le chercher.
Elle remplit deux verres tandis qu'il sortait d'un placard un paquet de céréales pour bébé.
— Peux-tu surveiller Molly pendant que je nous prépare quelque chose ? demanda-t-il. Que
dirais-tu d'œufs au bacon ?
— Je crois que c'est exactement ce qu'il me faut.
Il dut comprendre à sa voix que quelque chose clochait car il se retourna et la fixa intensément.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Sandy resta un moment sans répondre. Effectivement, rien n'allait comme elle le souhaitait. Elle
était folle de Max mais ce sentiment ne lui procurait aucun bonheur. Au contraire, une sourde
angoisse l'envahissait.
Elle versa quelques cuillerées de céréales dans le bol de Molly.
— Rien, finit-elle par balbutier. Tout baigne.
Max s'immobilisa au milieu de la cuisine, les sourcils levés. On aurait dit qu'il allait parler,
cependant il resta silencieux et se retourna vers la cuisinière.
Après avoir ajouté un peu de lait dans le bol, Sandy se mit à nourrir Molly tandis que Max
s'activait de son côté. Malgré son désarroi, elle l'observait du coin de l'œil, pendant qu'il cassait
les œufs. Elle ne pouvait s'empêcher de détailler sa silhouette parfaite, ses longues jambes
moulées dans son jean...
— Fais donc attention, Molly a le visage tout barbouillé de céréales ! lança-t-il en se
retournant sans deviner qu'elle le fixait depuis un long moment.
Elle essuya en rougissant les joues et le petit menton du bébé.
— Désolée, j'étais perdue dans mes pensées !
— Et peut-on savoir à quoi tu pensais ?
Elle s'empourpra de nouveau et avala une gorgée de jus d'orange pour se donner une
contenance : elle s'imaginait justement Max en train d'ôter ce fameux jean, si jamais ils faisaient
l'amour, par exemple.
Cependant, mieux valait ne pas aborder cette question.
— Je me disais que quand nous nous sommes revus à Brisbane, nos relations ressemblaient à
celles de notre adolescence, lorsque nous passions notre temps à nous bagarrer parce que
nous nous détestions. Mais il me semble que nous avons progressé et maintenant, nous nous.
..je veux dire... nos rapports... sont devenus moins... conflictuels.
Il se leva pour se resservir en bacon.
— Je ne t'ai jamais détestée, Sandy.
Elle reposa son verre d'une main tremblante.
— Mais, Max...
— Je sais que tu l'as toujours cru, continua-t-il. et en définitive, j'ai pensé que ça valait mieux.
— Mais... mais quand on était jeunes ?
— Tu étais folle de Dave et moi, j'étais jaloux, avoua-t-il, le regard fixé sur son assiette.
— Jaloux ?
Lorsqu'il releva enfin les yeux vers elle, Sandy fut bouleversée par leur expression presque
tragique.
— Même quand tu n'étais qu'une gamine maigrichonne, Sandy, j'étais fasciné par ton sourire et
par tes yeux. Mais c'est mon petit frère qui te plaisait ! Tu t'émerveillais de tout ce qu'il faisait...
Tu le trouvais tellement formidable, tellement aventureux !
Sandy tendit vers Max une main tremblante.
— J'avais peur de toi, Max. Tu passais ton temps à nous rembarrer, Dave et moi.
— Moi aussi, j'étais jeune, à l'époque. Je ne comprenais pas bien ce qui m'arrivait et je ne
maîtrisais pas mes réactions.
Stupéfaite, elle aspira une longue goulée d'air : comment son cœur allait-il supporter cette
nouvelle révélation ? Ainsi, pendant toutes ces années, Max ne l'avait pas haïe...
Mais à quoi bon remuer le passé, aujourd'hui ? Leurs relations en seraient peut-être apaisées,
néanmoins le malaise et le doute ne pouvaient que subsister, irrémédiablement.
— Quoi qu'il en soit, nous ferions mieux de manger, reprit-il d'un ton bourru, comme s'il
regrettait ses aveux. Il faut préparer la maison pour nos grands voyageurs.
La matinée se passa à nettoyer et à ranger la chambre d'Isabel et de Dave. Malgré les efforts
de Max pour se montrer poli et même prévenant, une tension demeurait entre eux, presque
palpable. Contrairement à la veille, Sandy ne voyait plus briller dans ses yeux la moindre
étincelle de charme ou de séduction.
Heureusement, Isabel et Dave apparurent enfin et elle fut distraite de ses sombres pensées par
les cris de joie des retrouvailles. Quelle ne fut pas la surprise des nouveaux arrivants de
constater qu'en si peu de jours, Molly avait grandi et se mettait debout sans aide !
Au milieu de ces épanchements de bonheur familial, Sandy avait du mal à détacher les yeux du
visage de Max, espérant toujours secrètement que son regard allait enfin s'adoucir, Hélas, il
avait repris ses airs supérieurs.
Sandy s'assit en face de lui dans le salon pendant qu'il racontait avec beaucoup de
ménagements la crise de croup de Molly à ses parents. Ils accueillirent la nouvelle avec un
sang-froid remarquable. Evidemment, en comparaison d'un enlèvement par un groupe de
rebelles armés, cet épisode était sans doute un drame mineur...
Dave se mit alors à relater ses aventures en Somalie. Tous étaient suspendus à ses lèvres,
fascinés par les terribles épreuves qu'il avait subies lors de sa capture et de son
emprisonnement. Un peu à l'écart, Max serrait les poings dans ses poches et de temps en
temps, Sandy ne pouvait s'empêcher de tourner les yeux vers lui, incapable d'oublier son
étreinte et les baisers qu'ils avaient échangés la nuit précédente.
La conversation prit ensuite un tour plus léger. Dave et Isabel racontèrent qu'en arrivant à
Brisbane, ils avaient eu l'occasion d'entendre sur la radio locale une information concernant un
curieux incident survenu dans un pub de Goodbye Creek.
— Je t'avais bien dit que ça attirerait l'attention des médias ! s'exclama Sandy, triomphante, en
direction de Max. Tu vas voir, Goodbye Creek est en passe de devenir un lieu touristique
incontournable !
— Ce n'est pas parce qu'on en a dit trois mots dans le poste que ça va changer quoi que ce
soit, répliqua Max en bâillant.
— En tout cas, merci de tout cœur pour la façon dont vous avez soigné Molly, s'écria Isabel en
changeant de sujet. Cependant, je dois vous avouer que je suis un peu déçue car j'espérais que
vous auriez d'autres révélations à nous faire.
— Au sujet de Molly ? s'enquit Sandy.
— Pas du tout. A votre sujet, à tous les deux. Voilà presque deux semaines que vous vivez ici
ensemble et vous vous comportez encore comme chien et chat !
Sandy et Max échangèrent un coup d'œil gêné tandis que Dave traversait la pièce pour taper
sur l'épaule de son aîné.
— Courage, grand frère, Isabel est une marieuse à tous crins qui sévit partout où elle passe. Et
toi, Sandy, ne t'en fais pas, on te ramènera bientôt à la civilisation, loin de ce vieil ours, de ses
troupeaux et de l'Outback !
— Je vois que je peux toujours compter sur la famille pour me comprendre, répondit Max en
assénant à son tour une bourrade à son frère.
Dès la fin du dîner, Isabel et Dave, épuisés par le décalage horaire, allèrent se coucher avec
Molly, le lit d'enfant ayant été installé dans leur chambre.
Pour la dernière fois, Sandy et Max se retrouvaient seuls dans la cuisine.
Il coula un regard découragé vers la pile d'assiettes sales.
— Mon prochain investissement sera un lave-vaisselle !
— Bonne idée ! s'exclama Sandy. Mais une fois que nous serons tous partis...
Sa voix se brisa et elle se détourna vers l'évier pour commencer à laver les assiettes.
— Ça fait drôle de ne plus avoir à s'occuper de Molly, remarqua Max en rangeant le lait dans
le réfrigérateur.
— Je trouve aussi. Je m'étais bien habituée à jouer les mères de famille.
— Tu as été formidable avec elle, une vraie petite maman. Ces paroles allèrent droit au cœur
de Sandy.
— Ça m'a bien plu, en définitive. Et toi aussi, tu étais si doux... Je pense que tu ferais un père
merveilleux.
Elle n'attendait pas vraiment de réponse mais Max resta si longtemps silencieux qu'elle finit par
se retourner. Il se tenait 1 immobile au milieu de la cuisine, les mains dans les poches, l'air si
malheureux que Sandy sentit son cœur se serrer.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Max ?
— Sandy, pardonne-moi...
— Te pardonner ? Mais pourquoi ? Il poussa un long soupir.
— D'avoir été si odieux pendant tant d'années. Tu sais, la nuit où tu as cru que tu embrassais
Dave...
A ces mots, Sandy sentit sa gorge se serrer affreusement. Elle aurait voulu protester mais
aucun son ne pouvait franchir ses lèvres.
— Cette nuit-là, reprit-il, j'ai tout gâché. Et je n'arrive pas à me le pardonner.
Sandy prit une longue inspiration.
— S'il te plaît, arrête de te torturer ! Ce serait plutôt à moi de te présenter des excuses.
— Mais tu étais si jeune...
— Tu ne m'as pas fait peur, tu sais.
— Bien sûr que si ! Je t'ai volontairement trompée et terrorisée. Tu t'es enfuie parce que tu ne
supportais plus de me parler ou même de me voir. Tu as quitté le pays. C'est toi qui me l'as dit,
Sandy. Je t'ai terriblement blessée, et cette idée m'est insupportable...
Elle s'essuya les yeux d'une main tremblante, horrifiée par le remords que trahissait la voix de
Max. Cette douleur poignante, c'est elle qui l'avait provoquée.
Elle l'avait volontairement laissé seul, en proie à sa culpabilité, sans vouloir reconnaître sa
propre part de responsabilité.
— C'est complètement faux ! se récria-t-elle en faisant un pas vers lui. Jamais tu ne m'as
trompée ni effrayée...
Il lui jeta un regard incrédule.
— Depuis le début, je savais que ce n'était pas Dave que j'embrassais.
Incapable de supporter plus longtemps la vue du beau visage de Max marqué par le chagrin,
elle s'approcha et lui prit la main.
— Je t'en prie, crois-moi. Je regrette de ne pas te l'avoir avoué plus tôt... j'avais si honte de ma
conduite cette nuit-là !
— Mais tu m'as dit que tu n'avais jamais pu t'intéresser à aucun autre homme depuis !
— Ce n'est pas parce que tu m'avais traumatisée, Max. C'est tout simplement parce que je n'ai
jamais rencontré d'homme pour qui j'aie éprouvé le même désir que pour toi !
Bravement, elle lui prit la main et la porta à ses lèvres.
— Tes baisers étaient si... si merveilleux. Je te désirais tellement... Jamais je n'ai plus éprouvé
un tel plaisir.
Lorsqu'il baissa lentement la tête vers elle, elle lut dans ses yeux un mélange d'espoir et
d'incrédulité. Sans comprendre où elle trouvait ce courage, elle se dressa sur la pointe des
pieds et effleura de ses lèvres sa mâchoire anguleuse.
— Personne n'embrasse aussi bien que toi, Max, et tout ce dont j'ai envie, c'est que tu
recommences.
Le cœur battant à tout rompre, elle attendit sa réponse. Soudain, il la prit par la taille et l'attira à
lui.
— Tu veux dire qu'il n'y a plus rien qui nous sépare ?
— Rien du tout.
Elle sentit la tension se relâcher en lui.
— Et si je t'embrassais encore, là, tout de suite ?
Elle comprit qu'il recommençait à la taquiner et vit enfin fleurir sur ses lèvres un sourire plein de
promesses.
— Je crois que j'arriverais à le supporter, murmura-t-elle.
— Dans ce cas, je vais voir ce que je peux faire, dit-il en jetant un coup d'œil indécis à la
vaisselle qui encombrait encore la cuisine. Peut-être devrions-nous trouver un décor plus
romantique. Sortons dans le jardin.
Il la souleva doucement dans ses bras et l'emmena ainsi sous la véranda.
— Où nous trouvions-nous exactement, cette nuit-là ? chu-chota-t-il.
Avec un petit rire, Sandy lui montra la balustrade dans l'ombre. Lorsqu'il l'eut déposée à terre,
elle le prit par le bras et le poussa contre un des piliers de bois.
— Je crois que tu devais être par là... et moi, ici, répondit-elle en se blottissant contre lui.
Elle passa ses bras autour de son cou. Leurs lèvres et leurs corps se joignirent enfin. Au
moment où la bouche de Max se posa sur la sienne, Sandy eut l'impression curieuse qu'elle
rentrait enfin chez elle après un long voyage.
Ce fut d'abord un lent et long effleurement. Puis leurs bouches se prirent avec une force si
intense, si profonde, que Sandy se sentit au bord du vertige. Une montée brutale de désir la
parcourut et elle n'eut plus qu'une envie, se laisser aller à la fièvre sauvage que Max lui avait
communiquée.
— Je t'aime, Sandy, murmura-t-il en reprenant son souffle. Ils restèrent quelques secondes
face à face.
Le cœur de Sandy se mit à battre follement et des larmes perlèrent à ses cils. Malgré tout, elle
se retint de pleurer.
— Tu... tu m'aimes ?
Jamais, de toute sa vie, elle n'avait ressenti un tel bonheur. Pourtant, elle refusait d'y croire. Le
verbe aimer signifiait-il la même chose pour Max et pour elle ?
— Qu'est-ce que ça veut dire, pour toi, aimer, Max ? Helena, est-ce que tu l'aimes, elle aussi ?
— Helena ?
Il recula d'un pas et, dans la pénombre, elle sentit peser sur elle son regard étrange,
énigmatique.
— Inutile de faire comme si tu ne me comprenais pas, dit-elle en secouant la tête.
— Je t'assure qu'il n'y a absolument rien entre Helena et moi. Il y a dix-huit mois, quand je l'ai
rencontrée, j'ai bien pensé qu'il pourrait se passer quelque chose entre nous, cependant ça ne
s'est pas produit. Nous sommes amis, voilà tout.
— Mais vous allez si bien ensemble... Vous avez l'air du couple idéal.
— Vois donc la réalité en face, Sandy ! Le contrat d'Helena touche à sa fin et dans quelques
mois, elle rentrera chez elle, en ville. D'ailleurs, je ne crois pas qu'elle aimerait passer sa vie
dans un ranch perdu de l'Outback. Tant qu'elle était là, ça nous a arrangés tous les deux de
sortir en ville ensemble, voilà tout.
Il l'attira de nouveau contre lui.
— Ce n'est pas la femme qu'il me faut, Sandy. Ce n'est pas toi.
Sandy crut que son cœur se rompait dans sa poitrine. Il lui prit le menton et plongea son regard
dans le sien.
— Sandy, murmura-t-il d'une voix que l'émotion altérait, tu es la seule femme que j'aime, la
seule avec qui je veuille partager ma vie.
Il la serra contre lui et elle sentit que leurs deux cœurs battaient à l'unisson.
— J'ai besoin de toi, Sandy, et j'ai besoin de toi ici. Je veux que tu vives ici avec moi et que
nous vieillissions ensemble. Y a-t-il une chance que ça te convienne ?
— Une chance ?
Elle comprit qu'en cet instant se réalisaient enfin ses rêves les plus fous et, avec un sanglot, elle
nicha sa tête au creux de l'épaule de Max.
— Une très forte chance, murmura-t-elle. Dis-moi, Max... ne serais-tu pas en train de me faire
ta demande en mariage ?
— Eh bien, répondit-il avec un sourire timide, veux-tu m'épouser, Sandy ?
Il l'entraîna vers l'escalier qui donnait sur le jardin, s'assit sur la dernière marche et la prit sur
ses genoux.
— Je sais bien que j'ai prétendu pouvoir lire dans tes pensées, mais en ce moment, je
préférerais que tu me dises clairement quels sont tes projets. J'ai tellement peur de me tromper
!
— Max, je suis follement amoureuse de toi, répondit-elle en l'embrassant avec tant de
détermination et de fougue qu'ils en furent tous deux surpris. Je n'aurais jamais pensé que tu
puisses m'aimer et j'étais toute triste à la pensée de rentrer seule à Brisbane.
Elle se pelotonna contre lui pour mieux le couvrir de caresses et de petits baisers.
— Alors, cette réponse ? Veux-tu m'épouser et vivre avec moi dans ce ranch ?
— Bien sûr, Max. Avec joie !
Quand il l'embrassa avec passion, elle sentit monter en elle un frisson de désir, brûlant comme
un éclair et suave comme le parfum entêtant des jasmins, porté par les souffles tièdes de la nuit.
Au-dessus d'eux s'étendait le ciel obscur, piqueté d'étoiles scintillantes. Seuls les cris des
courlis dans les bois lointains venaient rompre le silence.
Soudain, en cet instant de parfait bonheur, une pensée absurde fit tressaillir Sandy.
— Max ?
— Oui, mon amour ?
— Tu es vraiment sûr que ça n'a pas d'importance ?
— Quoi donc ?
— Que je n'aie pas d'expérience...
Il desserra son étreinte tout en gardant les mains de Sandy emprisonnées dans les siennes.
— Tu tiens vraiment à ce que nous reprenions cette passionnante discussion sur l'évolution des
mœurs au XXIe siècle ?
— Oui, dit Sandy en plongeant son regard dans celui de Max pour tenter de lire dans ses
pensées.
Il l'embrassa tendrement sur le bout du nez.
— Tu veux dire que je serai le premier ?
— Eh bien oui. Ça t'ennuie beaucoup ?
— Comment peux-tu poser une telle question, mon amour ? dit-il en resserrant son étreinte.
C'est pour moi un privilège d'être ton premier amant... et ton futur mari.
Follement heureuse, elle laissa ses lèvres errer sur le visage de Max et au creux de son cou.
— Au fond, d'une certaine façon, j'ai toujours su que je faisais bien de t'attendre, avoua-t-elle.
— Nous avons tous deux longtemps tardé avant de nous retrouver, mais peut-être pouvons-
nous essayer de rattraper le temps perdu ? dit-il en la soulevant dans ses bras.
— Je n'ai pas de plus cher désir, mon amour.
Sur ce, ils regagnèrent la maison, tous deux émus et rayonnant de bonheur.