Commentaire de L'évangile Selon Thomas

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Extrait du livre « Explorer son Royaume Intérieur » par Bernard Luguern

Un commentaire de l’Évangile selon Thomas

Dans cet article, vous trouverez une partie de mon commentaire sur l’Évangile selon Thomas
qui contient 114 paroles ou logia attribuées à Jésus. Cette collection de logia a été retrouvée en
Égypte en 1945. Dans mon livre, cette section est précédée :

➢ D’une introduction
➢ De la description des circonstances rocambolesques de la redécouverte de cet Évangile
➢ D’une présentation de l’auteur présumé de ce texte
➢ De la datation de ce texte
➢ Des particularités de cet écrit
➢ Et enfin d’une synthèse de l’enseignement de Jésus tel qu’expliqué dans cet Évangile.

Je me suis efforcé de proposer une traduction des paroles du célèbre Galiléen en français
courant. L’itinéraire spirituel proposé par Thomas est divisé en sept étapes, que j’ai appelées les
provinces du Royaume.

Bonne lecture !

Commentaire des logia de l’Évangile selon Thomas

Je vous conseille de lire les logia dans l’ordre, pour bien appréhender leur progression et de
méditer sur chacun d’entre eux avant de lire mon commentaire. Les paroles rassemblées dans
l’Évangile selon Thomas (EsT) ne sont pas à interpréter littéralement ou intellectuellement. Même si
vous pouvez avoir été déçu ou rebuté par les évangiles canoniques, commencez cette lecture sans
aprioris, vous verrez que le ton y est radicalement différent, et que l’image et le message de Jésus
qui apparaissent à travers l’EsT sont totalement nouveaux et surprenants.
J’ai repris le découpage classique en 114 logia, même si des logia pourraient être décomposés en
plusieurs paroles indépendantes. J’ai introduit des têtes de chapitres – absentes dans le document de
référence – afin de montrer la progression de cet enseignement.
Un dernier conseil, prenez le temps de vous imprégner de ces paroles, ne brûlez pas les étapes ;
comme nous l’a dit Jésus : « Avez-vous (déjà) découvert le commencement pour que vous cherchiez
la fin ? »1

Un 115e logion ?

Hippolyte de Rome2 cite une parole qui appartiendrait à l’EsT : « Celui qui cherche me trouvera
dans des enfants de sept ans, car, caché en eux, je me manifesterai quand ils auront quatorze ans. »

Note sur les traductions des logia :

Autant que possible, je propose une version accessible des paroles de Jésus, en cohérence avec
l’esprit de l’EsT. J’ai, par exemple, rajouté des mots de liaison et de la ponctuation (absente dans le
texte original en copte). Vous pouvez reprendre librement ces traductions en citant la source. De
même, j’ai dépoussiéré les citations bibliques, en proposant des traductions plus fluides.

1 Logion 18
2 Un Père de l’Église, dans « Réfutations de toutes les hérésies »
La révélation du secret

« Tout ce qui est caché paraîtra au grand jour, et tout ce qui est secret sera mis en pleine lumière. »
(Évangile selon Marc 4.21)

Le préambule de cet évangile

Le texte de l’entrée en matière de l’EsT (ci-dessus en copte) est le suivant : « Voici les paroles
cachées que Jésus, celui qui donne la Vie, a dites et qu’a retranscrites Didyme Jude Thomas ».

La première page de l’EsT.1

Dès le préambule, nous ne trouvons rien de moins que la promesse de la révélation de paroles
jusque-là cachées de Jésus. Si l’on en croit les Synoptiques, celui-ci aurait bien révélé des paroles
secrètes à ses disciples. Ne leur a-t-il pas dit en effet : « À vous il a été donné de connaître les
mystères du Royaume » ?2 Le fait qu’ils soient « cachés » introduit l’idée que ces propos ne doivent
pas être pris littéralement, qu’il faut une clé de lecture pour les interpréter et qu’ils nous parlent en
fonction de notre évolution spirituelle. Effectivement, le natif de Bethléem a utilisé notamment des
paraboles et des métaphores pour ne pas rendre son propos accessible à ceux qui ne sont pas prêts à
l’entendre. Cependant, si l’EsT a resurgi des sables du désert égyptien il y a quelques années, c’est
certainement le signe que le moment était revenu pour le monde de pouvoir bénéficier des lumières
qu’il contient. Rien ne se produit par hasard… Qui dit « paroles cachées » sous-entend également
que l’on peut découvrir leur sens. J’ai expliqué plus haut la clé de lecture de l’EsT.
Penchons-nous maintenant sur l’éditeur. « Didyme », du grec, didumos, signifie « le jumeau ».
« Thomas » vient du mot araméen « toma » qui veut également dire « jumeau ». Donc Thomas était
doublement jumeau. Le vrai nom de l’apôtre était Jude, mais il était appelé par son surnom pour le
distinguer de Judas Iscariote.
En quelque sorte, Thomas est présenté comme l’alter égo de Jésus, comme un initié.3 Pas
étonnant que ce soit lui qui ait recueilli les paroles de son frère4 ! Selon l’historien Henri-Charles
Puech, l’emploi de « Didyme Jude Thomas » est propre à la tradition des Chrétiens orientaux,5 et
indiquerait une compilation possible de l’EsT en Syrie.
Que signifie exactement l’expression « celui qui donne la Vie » accolée à Jésus ? Il est décrit

1 Image : Wikimedia Commons


2 Matthieu 13.11
3 Logion 13
4 Dans les Actes de Thomas, les paroles suivantes sont attribuées à Jésus : « Je ne suis pas Jude, que l’on appelle aussi Thomas, mais

son frère ».
5 De langue syriaque notamment

2
comme celui qui possède, mais surtout celui qui donne la VRAIE vie, la vie spirituelle. Celle-ci est à
opposer à la « mort » symbolisée par les aspects matériels périssables. Mais attention, il ne s’agit pas
de la notion de la vie éternelle promise dans les Canoniques, qui elle débuterait bien après notre
décès !
Le célèbre mystique Jean de la Croix nous explique ainsi la notion introduite dans ce
préambule : « il y a deux sortes de vies : l’une est la vie bienheureuse, qui consiste en la vue de
Dieu, et que la mort du corps doit précéder. L’autre est la vie spirituelle dans sa dernière perfection,
et c’est la possession de Dieu par l’union de l’amour. »1 Jésus est donc présenté, dès le début de cet
évangile, comme celui qui permet d’obtenir la (vraie) Vie.

Logion 1 : L’intérêt de trouver le secret de cet évangile


Et Jésus a dit : « Celui qui découvrira l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas à la mort. »

« Tes paroles donnent la vie éternelle » (EsJ 6.68)


« Jésus lui dit : ‘‘ Je suis le Chemin, la vérité et la vie ’‘ » (EsJ 14.6)
« Celui qui est pleinement présent et conscient ne meurt pas. Celui qui n’est ni présent ni conscient
est quasiment déjà mort. » (Dhammapada)

Le cheminement que Jésus nous propose est basé sur la compréhension de ses paroles. La
« mort » dont il est question ici, est à opposer à la VRAIE vie, la plénitude, la conscience de notre
divinité et de notre éternité. La « mort » signifie ici l’attachement aux valeurs terrestres éphémères.
La vraie Vie n’est autre que l’union avec le Divin, ou ce que les Orientaux appellent l’existence
après l’éveil spirituel. On devient alors un « libéré vivant ». Jésus ne va pas nous expliquer comment
éviter la mort du corps, mais comment, suite à un élargissement de notre conscience, nous relier à
notre dimension éternelle.
La conclusion « Il ne goûtera pas à la mort » peut sembler un peu surprenante, mais on en
retrouve un parallèle dans l’Évangile selon Jean (un évangile proche par certains aspects de l’EsT)2 :
« si quelqu’un suit ma parole, il ne verra jamais la mort. »3 Cependant, on voit déjà ici une
différence subtile entre l’EsT et les évangiles canoniques : dans le premier il faut d’abord « trouver
l’interprétation des paroles de Jésus » alors que dans les Canoniques, il suffit « de suivre sa parole ».

Logion 2 : Les sept étapes du parcours


Jésus a dit : « Que celui qui cherche, ne cesse de le faire jusqu’à ce qu’il trouve. Et, quand il aura
trouvé, il sera bouleversé. Et, étant bouleversé, il sera émerveillé et il régnera sur le Tout. Et, régnant
sur le Tout, il trouvera le repos. »4

« Comparée à tous les autres moyens, la Connaissance est le seul moyen direct pour la libération. De
même qu’il est impossible de cuire sans feu, de même la libération est inatteignable sans
Connaissance ». (Shankara)
« En moi, des cieux se déploient aussi vastes que le firmament. » (Etty Hillesum « Une vie
bouleversée »)

Dans le premier logion, Jésus nous a demandé de découvrir l’interprétation de ses paroles, et ici
il nous explique la marche à suivre : chercher leur sens sans relâche. Mais surtout, il nous dévoile les

1 Jean de la Croix « La vive flamme d’amour ».


2 Certains Gnostiques s’appuyaient sur l’EsJ, voire l’ont commenté comme Héracléon.
3 Jean 8.51
4 Note sur la traduction : je l’ai basée sur le papyrus d’Oxyrhynque, où il est ajouté à la fin : « et, régnant sur le Tout, il trouvera le

repos » par rapport au manuscrit de Nag Hammadi.


3
grandes lignes de sa méthode de développement spirituel. On voit ici se dessiner un cheminement en
sept étapes que j’appelle les « provinces ».

La première étape s’adresse à « celui qui cherche ».


Les aléas de la vie font souvent que l’on s’interroge sur son sens et que l’on remette en cause la
notion de « bonheur » telle que proposée par la société. Ou bien des rencontres, des conférences ou
des lectures nous laissent entrevoir l’existence d’une autre réalité au-delà de ce qui est visible. On se
tourne alors vers différents écrits philosophiques ou spirituels, on « cherche ». Cette étape est la
première province du Royaume. Elle consiste essentiellement en une prise de conscience des limites
de sa vie actuelle.

Deuxième étape : Chercher jusqu’à ce que l’on trouve.


Notre Guide nous explique qu’il faut vraiment s’impliquer pour profiter de cet enseignement.
Cela passe, par exemple, par des relectures ou des méditations de ses paroles. Mais que doit-on
chercher exactement ? Il s’agit notamment de savoir qui nous sommes vraiment, d’où nous venons,
quelle est la seule réalité, et quel est le sens de notre existence. La clé de cette investigation est
révélée au logion suivant, il s’agit de la Connaissance de sa vraie nature, autrement dit de la Gnose.
C’est l’un des sésames pour trouver l’épanouissement spirituel et le bonheur. Cette démarche
caractérise la deuxième province, même si cette quête approfondie ne se limite pas à cette étape.
Dans la première province, on décide de chercher, et, à partir de la deuxième, on s’investit dans cette
quête.

Troisième étape : On a trouvé !


Dans la troisième province, on atteint un palier, on connaît l’objet de sa quête, la Gnose, et on
l’a comprise. Ce sont cependant toujours des connaissances théoriques. L’expérimentation se
produit à partir de l’étape suivante.

Quatrième étape : Une fois que l’on a trouvé, il faut s’attendre à être bouleversé.
Le mot « bouleversé » ici est plutôt à prendre au sens de « déstabilisé ». En découvrant d’autres
réalités, nous perdons nos certitudes. C’est la première fois que Jésus se manifeste concrètement à
nous, il fait irruption dans notre vie1 et nos repères habituels n’existent plus dès lors, d’où cette
déstabilisation. Nous pouvons être tiraillés entre notre vie quotidienne et l’appel du Divin. Si nous
réussissons à résoudre ce conflit en nous, nous accédons alors à la province suivante, où nous
entrevoyons la récompense.

Cinquième étape : Du bouleversement, on passe à l’émerveillement.


Une fois que nous avons vraiment compris ce qui nous arrive, alors nous nous émerveillons. La
déstabilisation initiale fait place à de la béatitude. Marguerite Porete parlait « d’étonnement
émerveillé »2 pour caractériser cet état. Notre vie est totalement transformée en découvrant des
réalités inouïes et insoupçonnées jusque-là. C’est une province dans laquelle Jésus ne ménage pas sa
peine pour nous attirer à lui. Nous pouvons sentir son amour lors de certaines intériorisations et nous
avons parfois des avant-goûts de la capitale du Royaume.

Sixième étape : On règne alors sur le Tout.


Arrivé à ce stade, le marcheur prend conscience de sa nature divine et du fait qu’il appartient à
un « Tout », qu’il n’est pas seul. Il a alors accès aux ressources divines illimitées. Le résident de
cette province sent une puissance et une connaissance infinies à portée de sa main, comme certains
mystiques, saints, guérisseurs ou maîtres spirituels l’ont expérimenté. Il faut cependant préciser que,
dans cette avant-dernière étape, les effets sont intermittents, on n’est pas toujours « connecté ».

1 Logion 61b
2 Porete Marguerite « Le miroir des âmes simples et anéanties » (Albin Michel 2011)
4
Extase de Thérèse d’Ávila, absorbée dans le Tout1

Septième étape : En plus de régner sur le Tout, on trouve le repos.2


C’est l’apothéose ! La vie devient alors comme ces béatitudes que certains mystiques ont
connues, une entière félicité. Le « repos » est à la fois la finalité et le moyen : le terme de « repos »
de l’âme est synonyme de bonheur permanent dans la bouche de Jésus, mais aussi du calme intérieur
qui permet de trouver ce bonheur. Ce « repos » est un mélange de joie ineffable et de détachement.
Plus rien ne nous trouble. Cela peut être comparé à un état extatique, pendant lequel on se dissout
dans l’Infini divin ; on se confond avec Lui, comme la rivière qui se jette dans l’océan. Bien
entendu, il y a différentes modulations de cet état suivant les moments et nos occupations.
À noter que ce logion clé figure aussi dans l’Évangile selon les Hébreux3 dont seulement
quelques fragments ont survécu.4

Logion 3 : L’emplacement du Royaume


Jésus a dit : « Si ceux qui vous guident vous disent que le Royaume (de Dieu) est dans le ciel, alors
les oiseaux du ciel vous devanceront. S’ils vous disent qu’il est dans la mer, alors les poissons vous
devanceront. Mais, en fait, le Royaume est au dedans de vous et il est au-dehors de vous. Quand
vous vous serez connus, alors vous serez connus, et vous saurez que vous êtes les fils du Père, celui
qui donne la Vie. Mais si vous ne vous connaissez pas, alors vous êtes dans la pauvreté et vous
incarnez la pauvreté. »

« Connaissez-vous vous-mêmes et alors vous connaîtrez Dieu ». (Râmakhrisna)


« On devient ce que l’on connaît ». (Shankara)
« Lorsque la Connaissance te sera acquise, tu sauras que tu as connu Allah par Allah ». (Ibn Arabi)

L’emplacement de notre quête, le Royaume Intérieur, nous est précisé ici. Comme ce logion est
très dense, je l’ai séparé en versets pour en faciliter l’interprétation.

Premier et deuxième versets : « Si ceux qui vous guident vous disent que le Royaume (de Dieu) est
dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous devanceront. S’ils vous disent qu’il est dans la mer, alors
les poissons vous devanceront ».

Les propos de notre enseignant ne sont pas dénués d’ironie et de second degré ! Ce logion
égratigne tout d’abord ces responsables religieux ou ces gourous (« les guides ») qui nous induisent
en erreur en nous imposant leur démarche erronée pour être « sauvés ». Au contraire, Jésus nous

1 Sculpture en marbre de Gian Lorenzo Bernini (Chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome)
2 On peut y voir une allusion à la création du monde selon l’Ancien Testament, Dieu prenant du repos le septième jour, une fois son
œuvre achevée. (Genèse 2.2-3)
3 L’Évangile des Hébreux est daté du premier siècle de notre Ère. Il est cité par plusieurs auteurs du début de notre Ère : Origène,

Cyrille l’archevêque de Jérusalem et St Jérôme de Stridon. Il est probable qu’il ait été écrit avant les Canoniques.
4 Cet extrait de l’Évangile des Hébreux est cité par Clément d’Alexandrie dans « Stromates ».

5
incite à faire preuve de bon sens et d’esprit critique.

Troisième verset : « Le Royaume est au dedans de vous et il est au-dehors de vous. »

Ainsi, la grande nouveauté de cet évangile c’est que le Royaume de Dieu n’est pas « dans les
Cieux », comme on nous l’a longtemps fait croire en Occident, mais en nous, et que nous n’avons
pas besoin d’attendre notre mort terrestre et une hypothétique résurrection pour en jouir. C’est là un
des enseignements majeurs de cet évangile. Quelque part, quand des personnes disent vouloir
« trouver Dieu », c’est un abus de langage, nul besoin de le rechercher, il est déjà présent en nous. Il
s’agit juste de le faire émerger à l’intérieur de nous. Ce Royaume étant déjà là, ici et maintenant,
nous n’avons donc pas besoin d’un ecclésiastique pour nous en montrer le Chemin !
Le Royaume de Dieu est non seulement en nous, mais il est aussi partout autour de nous.
Comme le dit le carme Wilfried Stinissen : « nous cherchons Dieu, mais il n’a pas à être cherché, il
est partout, impossible de lui échapper. »1 Une fois que l’on a acquis cette Connaissance, on voit la
présence de Dieu partout, dans les autres, dans les événements qui nous arrivent, etc. L’intérieur et
l’extérieur ne font qu’un.
Le Royaume n’a pas de frontières, il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de nous. On ne peut
pas le circonscrire. Sa présence est imperceptible, comme le dit l’Évangile selon Luc : « la venue du
Royaume de Dieu ne se laisse pas observer. »2

Quatrième verset : « Quand vous vous serez connus, alors vous serez connus, et vous saurez que
vous êtes les fils du Père, celui qui donne la Vie ».

Le Père est celui vers qui se tourner pour trouver la VRAIE Vie. Cette « Vie » n’est pas à
prendre au sens d’une résurrection charnelle, cette notion ne faisant pas partie de l’EsT. Dans les
Canoniques, seul Jésus est le « fils du Père », mais, selon l’EsT, ce statut ne lui est pas réservé. La
connaissance de notre vraie nature, qui nous est demandée (« Quand vous vous serez connus »), et
plus globalement la démarche proposée par Jésus, nous permettent de vérifier le bien-fondé de ces
paroles et le fait que nous sommes les fils de Dieu, et même que nous sommes à son image. Dans la
Genèse, n’est-il pas écrit que « Dieu créa l’Homme à son image » ?3 « Quand vous vous serez
connus, alors vous serez connus », signifie que l’on prend alors conscience de la réciprocité, du fait
que Dieu lui aussi nous connaît. Et qu’il s’intéresse à nous.

Cinquième verset : « Si vous ne vous connaissez pas (vous-mêmes), alors vous êtes dans la pauvreté
et vous incarnez la pauvreté ».

« Être dans la pauvreté » signifie vivre dans l’indigence spirituelle, l’ignorance, et donc passer à
côté des merveilles que Jésus nous promet.

1 Wilfried Stinissen « L’abandon » (Éditions du Carmel 2012)


2 Luc 17, 20
3 Genèse 1.27

6
Georges de la Tour a bien montré les alternatives qui s’offrent à nous : les ténèbres ou la lumière, le savoir livresque ou
l’expérience directe, les valeurs périssables (le crâne) ou éternelles.1

Pour bien entamer ce parcours

Avant de décrire les différentes provinces, notre enseignant va maintenant nous prodiguer des
conseils par rapport à cet itinéraire spirituel.

Logion 4 : Être dans la candeur et fusionner avec le Tout


Le quatrième logion peut être séparé en trois parties indépendantes :
Logion 4a : Jésus a dit : « L’homme âgé n’hésitera pas à interroger un petit enfant de sept jours sur
le lieu de la vie, et (ainsi) il vivra ».
Logion 4b : « Car beaucoup de premiers seront derniers ».
Logion 4c : « Et ils deviendront un seul être ».

« Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé. » (Évangile selon Matthieu
23.12)

Logion 4a : « L’homme âgé n’hésitera pas à interroger un petit enfant de sept jours sur le lieu de la
vie, et il vivra. »

Dans ce logion, on assiste à la rencontre d’un homme âgé et d’un nourrisson. On s’attendrait à
ce que ce soit « l’homme âgé » qui apprenne des choses à son cadet, mais il n’en est rien. Le choix
de l’image d’un enfant de sept jours n’est pas accidentel. Les juifs sont traditionnellement circoncis
à huit jours comme il est demandé dans l’AT : « au huitième jour, on circoncira le prépuce de
l’enfant. »2 Notre Guide nous donne comme exemple à suivre celui de cet enfant, non formaté par
une religion, dans la confiance et le lâcher-prise. En effet, un nourrisson n’a pas encore d’égo, de
conscience de son individualité. Les Canoniques montrent notre enseignant reprenant l’exemple du
petit enfant, symbole de pureté et d’insouciance : « À ce moment les disciples s’approchèrent de
Jésus et dirent : ‘’ Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux ? ‘’. Il appela à lui un petit
enfant et le plaça au milieu d’eux. »3 On le remarquera, au fil des citations, l’Évangile de Matthieu
se caractérise par le fait que son auteur accolait systématiquement « des Cieux » au Royaume. Cela a
créé des idées reçues sur son emplacement. Marc, Luc et Jean parlent simplement de « Royaume de
Dieu ». Le « lieu de la vie », dont il est question ici, est notre Royaume. À condition de prendre

1 Georges de la Tour « Marie-Madeleine à la veilleuse », Musée du Louvre. Image : Wikipédia


2 Lévitique 12.2-3
3 Matthieu 18.1-2

7
conscience de son existence, nous pouvons d’ores et déjà avoir accès à la vraie Vie.1
Le marcheur ferait bien de s’inspirer de la candeur des nourrissons et de s’abandonner à ce qui
vient, tel un nouveau-né vis-à-vis de sa mère. C’est alors qu’il recevra ce qui lui est nécessaire. Jésus
nous met indirectement en garde contre l’erreur qui consiste à en faire de trop au niveau spirituel, à
tomber dans l’activisme, ou à être perpétuellement dans l’attente.
On retrouve de nombreuses références à la numérologie dans les textes bibliques. Le chiffre sept
symbolise notamment l’unité à atteindre, ce qui crée un lien entre les logia 4a et 4c qui traitent de ce
concept.

Logion 4b : « Beaucoup de premiers seront derniers. »

Une certaine modestie, humilité, et l’absence de condescendance sont nécessaires sur cette Voie.
De plus, un des enseignements de ce court verset est de privilégier la constance et d’éviter un trop
grand empressement. Chacun chemine à son rythme. Que l’on atteigne le bout du Chemin tôt ou
tard, l’essentiel est de l’atteindre ! Ce logion nous incite aussi à prendre confiance en nous et à ne
pas envier les personnes qui semblent plus avancées. De toute manière, Dieu donne quand il veut et
à qui il veut. Typiquement, il ne se manifeste directement qu’à partir de la quatrième province.

Logion 4c : « Ils deviendront un seul être ».

Notre enseignant introduit ici une idée nouvelle, que l’on ne retrouve pas dans les Canoniques,
le retour à l’unité entre l’Homme et Dieu, aussi appelée la non-dualité. Grâce à la Gnose, nous
prenons conscience que nous sommes de la même essence que Lui.

On peut aussi comprendre ce verset, au niveau intérieur, dans le sens d’éviter la dispersion de
l’esprit, de faire en sorte que nos facultés2 soient unifiées, aillent dans la même direction.

Logion 5 : Ouvrir les yeux sur la Réalité


Jésus a dit : « Connais ce qui est devant toi, et ce qui t’est caché se révélera à toi ; car il n’y a rien de
caché qui ne puisse se manifester ».

« Pour ceux qui connaissent, c’est affaire de connaissance, pour ceux qui ont l’esprit fruste, c’est
affaire de foi ». (Maître Eckhart – « Sermons »)3
« Celui qui connaît sa vraie nature ne voit pas autre chose qu’Allah en tout ce qu’il voit ». (Ibn
Arabi)
« Le monde est écume et les attributs de Dieu comme l’océan. Sur la surface de l’océan, l’écume de
ce monde forme un voile. Fends donc l’écume pour arriver à l’eau. » (Rûmî)

Voici un logion qui prête à diverses interprétations, en particulier le début. Il apporte des
compléments d’information sur ce que Jésus nous a précisé plus haut : « le Royaume est au-dehors
de vous ».4
On trouve la clé de l’interprétation de ce logion dans l’Évangile selon Philippe. L’auteur nous
dit que, « sur terre, on peut voir le soleil, sans pour autant être le soleil ». Par contre dans le monde
spirituel, si l’on voit une réalité, on devient cette réalité. Cela est résumé par Philippe de cette
manière : « ce que tu vois, tu le deviendras. »5 Dit autrement, ce que nous « voyons », c’est-à-dire la
1 Voir le commentaire du premier logion pour une explication de la « vraie Vie ».
2 Entendement, mental, mémoire et imagination….
3 « Justus in perpetuum vivet »
4 Fin du 3e verset du logion 3
5 « Il est impossible à quiconque de voir quelque chose des réalités (supérieures) à moins de devenir comme elles. Au contraire,

l’homme sur terre voit le soleil sans être le soleil, et il voit le ciel et la terre, et tout le reste, sans être rien de tout cela. Il n’en va pas
de même dans la Vérité (NDLA dans le monde spirituel). Au contraire, si tu as vu quelque chose de ce lieu-là, tu es devenu cela.
8
réalité à laquelle nous croyons, nous le devenons. Ainsi, si nous voyons le Divin dans toutes choses,
alors nous nous identifions à Lui, nous ne formons plus qu’un avec Lui. C’est pourquoi, au lieu de
voir le monde d’une manière étriquée, nous devrions plutôt voir la manifestation du Divin, dans les
autres, les événements, les situations, etc. Il est important de reconnaître ce qui se cache dans ce que
nous vivons, tout ce que nous expérimentons étant l’œuvre de Dieu et le produit de nos choix.
Notre guide nous certifie que si nous changeons notre vision de la réalité, alors ce qui est caché
à nous se manifestera. En effet, la vraie connaissance n’est obtenue que par l’identification à Dieu,
source de toutes connaissances. Ce dernier n’a plus de secrets pour nous à partir du moment où nous
réalisons notre vraie nature, nous avons, dès lors, accès au Tout.
Les Hindous parlent d’un voile devant nos yeux, « la Mâyâ », qui nous empêche de voir les
réalités, et qu’il faut déchirer. Ce voile, c’est nous qui nous le créons en fait, par notre refus de voir
en face notre réalité divine et à cause de nos conditionnements. Râmakhrisna ajoute que « lorsque
l’on a réalisé que Mâyâ est irréelle, l’égo différencié est pour ainsi dire complètement balayé et
effacé. Il n’en reste plus aucune trace ». On se fond alors dans le Tout. Ainsi donc, en écartant ce
voile, en voyant Dieu en toutes choses, tout s’éclaire pour nous.
Au passage, Jésus nous donne un des noms de son Père : « Ce qui est », une appellation voisine
de celle qui figure dans l’Exode : « Je suis celui qui est. »1

Logion 6 : Être dans l’authenticité


Les disciples l’interrogèrent : « Veux-tu que nous jeûnions ? Comment devons-nous prier ? Devons-
nous faire l’aumône ? Qu’observer en matière de nourriture ? » Jésus leur répondit : « Ne mentez
pas, et ce que vous n’aimez pas, ne le faites pas, car tout est dévoilé au Ciel. En effet, il n’y a rien de
caché qui ne soit révélé, et rien de couvert qui ne soit découvert. »2

Comme au logion précédent, on retrouve l’idée qu’il n’y a rien de caché qui ne puisse être
révélé. Les mots-clés répétés « caché » et « révélé » font le lien entre ces deux logia. Cela illustre le
fait que l’EsT n’est pas un recueil de paroles mises bout-à-bout sans ordre précis, mais un texte
mûrement pensé et ordonné.
L’ascétisme et les faux-semblants ne sont clairement pas la clé pour faire émerger son Royaume
Intérieur. Jésus le répète à de nombreuses reprises. D’ailleurs ce dernier est décrit dans les
Synoptiques comme un bon vivant.3 Il y a là une rupture par rapport aux traditions des Juifs dont le
mode de vie s’appuyait sur des périodes de jeûne et une nourriture en accord avec les prescriptions
du Dieu de l’Ancien Testament (casher) voire végétarienne (pour les Esséniens). Jésus prend
clairement ses distances par rapport aux rituels de l’AT. La prière vocale est même suspecte pour
notre Guide, qui lui préfère la prière intérieure. En fait, seuls nos actes spontanés, nos élans,
comptent vraiment pour le Père. Dans tout l’EsT, Jésus nous demande d’éviter l’ostentation, de lui
préférer la sincérité et la spontanéité, de « ne pas faire ce que nous n’aimons pas », d’être nous-
mêmes en un mot. La voie spirituelle de l’EsT passe par la recherche personnelle et intérieure, et
non pas par des manifestations extérieures.

Logion 7 : Canaliser nos pulsions animales


Jésus a dit : « Bienheureux le lion que l’homme mangera, alors le lion deviendra homme.
Malheureux l’homme que le lion mangera, alors l’homme deviendra lion ».4

Ainsi, si tu as vu l’Esprit, tu es devenu Esprit, si tu as vu Jésus, tu es devenu Jésus et si tu as vu le Père, tu deviendras le Père. C’est
pourquoi, en ce lieu-ci (sur terre), tu vois toute chose sans te voir toi-même, mais, dans ce lieu-là (dans le monde spirituel), tu te vois,
car ce que tu vois, tu le deviendras ». (Évangile selon Philippe 44)
1 Exode 3.14
2 Il y a une nuance ici : « caché » signifie quelque chose de délibéré, comme des paroles ésotériques, tandis que « couvert » signifie un

état de fait, comme la Mâyâ par exemple.


3 « Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites : Voilà un goinfre et un ivrogne, un ami des publicains et des

pécheurs ! » (Luc 7.34). Voir aussi Matthieu 11.19


4 Je me suis appuyé sur la traduction de Jean Doresse qui est la plus logique.

9
« Ne crains la chair ni ne l’aime. Si tu la crains, elle te dominera et si tu l’aimes, elle t’engloutira et
t’étouffera ». (Évangile selon Philippe 62)
« Le tumulte des sens emporte la sagesse, comme la tempête, un vaisseau sur l’océan ». (Bhagavad
Gîtâ 2.67)

Un logion commençant par « Heureux » ou « Bienheureux » est ce que l’on appelle une
béatitude. Ces formules simples à retenir étaient bien adaptées aux cultures orales. Les Canoniques
en contiennent également.1 Le « Jesus Seminar »2 (JS) a jugé cette parole comme non authentique, la
voyant comme l’ajout d’une communauté ascétique. Pour ma part, je pense que sa concision, sa
profondeur et sa clarté font qu’elle a vraisemblablement été prononcée par le Nazaréen. De plus, elle
s’adresse à tout le monde en fait, l’EsT étant une leçon de vie pour tout un chacun.
Ce logion n’a pas de parallèle dans les Canoniques. Il traite de nos pulsions, le lion représentant
traditionnellement les pulsions animales, incontrôlées. Celles-ci sont de diverses sortes : agressivité,
colère, impulsivité, libido, addictions, désirs irréfrénés, etc.

Premier verset : « Bienheureux le lion que l’homme mangera, alors le lion deviendra homme. »

Jésus nous recommande de canaliser notre énergie primaire,3 et de nous appuyer dessus, pour
bien avancer sur le Chemin. Mais surtout, ne laissons pas cette énergie animale prendre le contrôle
de notre vie ! Ne nous en rendons pas esclaves ! C’est une condition sine qua non de la réussite
personnelle et spirituelle.
Le lion, pour les Manichéens, signifiait le désir sexuel.4 L’EsT ne prône pas vraiment
l’abstinence sexuelle, mais il conseille une certaine retenue dans ce domaine, le désir sexuel ne
devant pas accaparer toute notre attention et notre temps. Cet enseignement étant une recherche de la
paix intérieure et extérieure, tout ce qui ne va pas dans ce sens est à juguler. Le message de Jésus a
été compris de différentes manières chez les premiers Chrétiens, certains comme les Encratites5
prônant l’abstinence sexuelle et d’autres comme les Carpocratiens6 s’adonnant au libertinage.

Deuxième verset : « Malheureux l’homme que le lion mangera, alors l’homme deviendra lion ».

Il est inenvisageable d’espérer avancer sur cette voie spirituelle sans une certaine maîtrise de ses
pulsions. Les Upanishad nous donnent le conseil suivant : « expérimentez le monde, mais ne laissez
pas le monde vous dominer. Absorbez la nourriture, mais ne permettez pas à la nourriture de vous
dévorer. Buvez, mais ne laissez pas la boisson vous dévorer ». On peut aussi assimiler le « lion » du
deuxième verset aux émotions. Il est nécessaire de ne pas nous laisser submerger par celles-ci pour
faire éclore notre potentiel personnel et spirituel. Le sage demeure dans l’équanimité.7

Logion 8 : Préférer l’unité à la multiplicité


Et il a dit : « L’homme avisé est comparable à un pêcheur qui jeta son filet dans la mer. Il le remonta
plein de petits poissons. Parmi eux il trouva un gros et beau poisson. Le pêcheur avisé rejeta alors
tous les petits poissons à la mer et choisit le gros sans hésiter. Que celui qui a des oreilles pour
1 Elles sont au nombre de huit dans l’Évangile selon Matthieu et de quatre dans l’Évangile selon Luc.
2 Il s’agit un groupe d’environ 200 exégètes bibliques, fondé aux États-Unis en 1985. Le « Jesus Seminar » passa au crible les paroles,
les paraboles et les récits des évangiles canoniques et de l’EsT au cas par cas, afin d’en extraire les propos et les actes
vraisemblablement authentiques de Jésus.
3 Au niveau énergétique, cette énergie primaire se retrouve au niveau du deuxième chakra.
4 Voir en particulier le Psautier manichéen copte, lui aussi retrouvé en Égypte, au Fayoum.
5 L’Encratisme était une branche très ascétique du Christianisme primitif qui fut condamné au IVe siècle par l’empereur Théodose Ier.
6 Les Carpocratiens étaient les suiveurs de Carpocrate, philosophe gnostique égyptien du IIe siècle. On les connaît à travers les

témoignages d’Irénée de Lyon et de Clément d’Alexandrie.


7 L’équanimité est une disposition d’esprit basée sur un mélange de détachement et de sérénité à l’égard de toute sensation ou

évocation, agréable ou désagréable. Voir le chapitre à ce sujet dans la synthèse.


10
entendre entende ! »

Voici la première parabole de cet évangile, celle du pêcheur avisé. Jésus n’a pas choisi ce thème
au hasard, certains de ses premiers disciples en effet, étaient des pêcheurs selon la tradition. Il utilise
des paraboles afin que ceux qui ne sont pas prêts à recevoir son message « voient sans voir et
entendent sans comprendre. »1 Ce logion nous encourage à faire preuve de discernement et de
constance, au contraire de l’homme du logion précédent, qui se laisse dévorer par ses pulsions.
Choisir « le gros poisson », c’est adopter une démarche spirituelle une bonne fois pour toutes.
C’est d’autant plus crucial dans notre société actuelle caractérisée par une surabondance de
propositions et une infinité de connaissances à portée de main, et donc un risque de dispersion. Dans
ce domaine, Jésus nous met plusieurs fois en garde contre la dispersion, le « zapping ».
Notre enseignant introduit ici également un de ses thèmes favoris, le fait de privilégier la qualité
à la quantité. On peut aussi comprendre que ce logion prône la modération, le fait d’éviter le
superflu et la surconsommation.
On trouve aussi, dans ce logion, l’idée sous-jacente que l’on peut se mettre en marche sur ce
chemin spirituel à tout moment.2 On peut s’être égaré, avoir pêché seulement des petits poissons
dans notre filet, mais, si l’on repère le gros poisson et que l’on décide de le garder, alors tout peut
s’ouvrir pour nous. À noter que la notion de « péché » ne fait pas partie de l’enseignement de notre
évangile.
L’EsT s’adresse à des hommes et des femmes avisés et ouverts, à l’image de ce pêcheur.
Comme le dit fréquemment Jésus, « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! ». Cette
exhortation revient six fois dans l’EsT et figure également dans les Canoniques. Elle lui permet
d’insister sur certains messages au contenu ésotérique. Il nous signifie par là qu’il faut creuser le
sens de ses paroles, et aller au-delà du premier degré.
Swami Shraddhânanda Giri3 compare les « petits poissons », dans la vie quotidienne, à ces
plaisirs éphémères que l’on ressent. L’homme avisé les reconnaîtra à leur juste valeur, et ne s’y
attachera pas. « Il rejettera tous ces petits poissons à la mer ». Seul le Divin, « le gros poisson »,
donne la joie permanente.
Cette parabole figure aussi dans les Canoniques, mais son sens en est radicalement différent.
Voici la version de l’EsMat : « Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet que l’on jette
en mer et qui ramène toutes sortes de choses. Quand il est plein, les pêcheurs le tirent sur le rivage,
puis ils s’asseyent, recueillent dans des paniers ce qu’il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien.
Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les
justes pour les jeter dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents. »4
Dans l’EsT, le marcheur spirituel, à l’instar du pêcheur avisé, est encouragé à faire preuve de
discrimination tout au long du parcours. Le parallèle dans l’EsMat traite de la séparation des bons
poissons et des autres, autrement dit des hommes bons ou mauvais, lors d’un supposé jugement
dernier. Le message du Galiléen est tout autre ici ! À noter que la notion d’enfer est absente de
l’EsT, le paradis et l’enfer étant uniquement des créations mentales.

Ce logion5 et le précédent sont liés, et ils nous montrent que, pour ne pas être dévorés par nos
pulsions, ni par les tentations, nous devons faire preuve de discernement et nous concentrer sur
l’essentiel.

Logion 9 : Être réceptif et disponible


Jésus a dit : « Le semeur sortit, la main pleine de semences, et il les jeta à la volée. Il en tomba sur le
chemin. Les oiseaux vinrent, et ils les picorèrent. Il en tomba d’autres sur les pierres. Celles-ci ne

1 Luc 8.10
2 Une idée déjà mentionnée au logion 4b.
3 Auteur d’une lecture « advaitiste » de l’EsT. Voir bibliographie.
4 Matthieu 13.47-50
5 À noter que ce logion est cité par Clément d’Alexandrie dans « Stromates » livre VI

11
s’enracinèrent pas dans le sol, et il n’en sortit pas d’épis. D’autres graines tombèrent dans les ronces.
Ces dernières étouffèrent la semence et le ver les mangea. Enfin, il en tomba d’autres sur la bonne
terre, et il en poussa de bons fruits. Elles produisirent soixante mesures pour une mesure, et, même
jusqu’à cent vingt mesures ».

« Dieu est un laboureur, et le grain Sa Parole. Le soc est son Esprit, et mon cœur le champ
ensemencé. » (Angelus Silesius)1
« La simplicité d’esprit mène facilement à Dieu. Si une personne est simple, les notions spirituelles
fructifient aisément en elle, comme une semence germe facilement, croît et porte des fruits dès
qu’elle se trouve placée dans un sol épierré et labouré. » (Râmakhrisna)

Voici une parabole bien connue, que l’on trouve dans le Nouveau Testament,2 celle du semeur.
Cependant, son interprétation, comme pour la parabole précédente, celle du pêcheur avisé, est
différente dans l’EsT. Dans les Synoptiques, la graine représente le message de Dieu, mais dans
l’EsT une nouvelle interprétation est introduite : la graine comme métaphore du Royaume Intérieur.
À la différence de Thomas, les auteurs des Synoptiques ont rajouté des explications à cette parabole
ce qui laisse à penser que la version de Thomas est la plus ancienne. Je vous prie de vous reporter à
la synthèse de l’enseignement de l’EsT où j’ai déjà commenté cette jolie parabole. J’ajouterai juste
que « ces semences qui ne s’enracinèrent pas dans le sol » montrent un danger sur la voie spirituelle,
le manque d’enracinement.

Logion 10 : Rallumer le feu sacré en nous !


Jésus a dit : « J’ai jeté un feu sur le monde, et je surveille les braises jusqu’à ce qu’il s’enflamme. »

« Dieu est un feu consumant, un feu d’amour d’une force infinie, qui peut consumer tout ce qu’Il
touche et le changer en Lui-même. Toutefois, Il brûle les hommes autant que chacun y est disposé et
en est capable ; Il brûle plus les uns et les autres moins, autant qu’Il lui plaît, de la manière et dans le
temps qu’Il le trouve bon. » (Jean de la Croix « La vive flamme d’amour »)

Vu l’absence de contexte dans lequel ces paroles ont été prononcées, il peut y avoir différentes
compréhensions de ce logion. On pourrait penser que ce « feu » que Jésus entretient, ces « braises »,
seraient pour plus tard, pour le moment de notre résurrection, au supposé « jugement dernier », au
sens où le Christianisme « classique » l’entend. C’est le sens du parallèle à notre logion dans
l’Évangile selon Luc : « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il fût déjà
allumé ! »3 qui évoque un embrasement à venir. Mais cette interprétation n’est pas dans la logique de
l’EsT, qui prône une « résurrection » de notre vivant.
Jésus nous indique que nous avons en nous des braises que nous pouvons raviver à tout moment.
Elles sont tout le temps disponibles pour nous. Une fois que le Nazaréen constate que notre « feu »
intérieur a « pris », il se manifeste à nous. Une grande passion, tel un feu dévorant, s’empare de ceux
qui sont bien avancés spirituellement.

1 Angelus Silesius « Le voyageur chérubinique » traduction de Maël Renouard (Rivages poche 2004)
2 Marc 4.3-20, Matthieu 13.3-23 et Luc 8.4-15
3 Luc 12.49

12
Jésus est souvent représenté la main sur le cœur, telle une source inextinguible d’amour, comme dans la jolie église de
Rumengol (Finistère).1

Certains mystiques témoignent même s’être enflammés d’amour pendant des extases.
Marguerite Porete (c. 1250-1310), une mystique chrétienne, faisant partie des Béguines2, le dit avec
ses mots : « Cette âme est si brûlante en la fournaise du feu d’amour, qu’elle est devenue feu, à
proprement parler, si bien qu’elle ne sent pas le feu, puisqu’elle est feu en elle-même par la force
d’Amour qui l’a transformée. »3 Ironie du sort, Marguerite Porete a été brûlée en place de Grève à
Paris, car la démarche vers Dieu qu’elle proposait, ne nécessitant pas de passer par l’Église, a été
jugée hérétique. Son livre, apologie de l’amour et de la liberté spirituelle, fut condamné par
l’Inquisition.
Joachim Bouflet, consultant auprès des postulateurs4 du Vatican, a documenté plusieurs cas
d’embrasement des mystiques.5 Un cas célèbre est celui de Gemma Galgani, une mystique laïque
stigmatisée, qui a vécu à Lucques en Italie. Selon les témoignages de son confesseur, Monseigneur
Volpi, des embrasements quotidiens enflammaient son visage et rendaient sa peau brûlante.

Gemma Galgani (1878-1903), une habitante de la septième province.6

Monseigneur Volpi s’intéressa plus tard au cas de Teresa Palminota (1896-1934) qui présentait
des phénomènes mystiques proches de ceux de Gemma. Il raconte que les objets qu’elle portait à sa
bouche (médailles, chapelets, images…) se consumaient. Il était impossible de lui prendre sa
température, les thermomètres classiques se brisant ! De même, il fut impossible de prendre la
température d’un autre célèbre mystique italien, le Padre Pio, pendant son service militaire. Les
infirmiers eurent recours à un thermomètre de bain qui indiqua une température de 48°5C !

Le Royaume n’est clairement pas pour les « tièdes », les indécis. Plus loin, Jésus déclare que
« celui qui est près de moi est près du feu. »7 Le « feu » peut ainsi être vu comme une métaphore de
la capitale du Royaume. Mais malheureusement, pour beaucoup, le Royaume est encore à l’état de
1 Photo de l’auteur.
2 Les béguines constituaient une communauté religieuse féminine laïque d’Europe du Nord-Ouest (XIIe-XIVe siècles). Elles vivaient
dans des espaces réservés, les béguinages. On peut en visiter un dans le centre d’Amsterdam.
3 Marguerite Porete « Le miroir des âmes simples et anéanties » (Albin Michel 2011)
4 Postulateurs ; les personnes chargées d’évaluer la validité des requêtes de béatification et de canonisations.
5 Voir son intéressante « Encyclopédie des phénomènes extraordinaires de la vie mystique tome 1 », chapitre 3 « incendium amoris »
6 Image libre de droits, car photographie datant de plus de 70 ans.
7 Logion 82

13
braises…

Logion 11 : Rechercher ce qui est pérenne


Jésus a dit : « Ce Ciel disparaîtra, et Celui qui est au-dessus de lui passera1, et les morts ne seront pas
vivants, et les vivants ne mourront pas. Quand vous êtes en contact avec ce qui est mort, vous en
faites du vivant, mais quand vous serez dans la lumière, que ferez-vous ? Quand vous étiez un, vous
êtes devenus deux. Mais, une fois dans la dualité, qu’avez-vous l’intention de faire (pour revenir en
arrière) ? »

« Le Vivant est celui qui ne s’identifie pas à un état corporel et mental, assujetti à la joie et à la
souffrance. Les états d’un corps et celui d’un mental apparaissent et disparaissent, ainsi connaissent-
ils la naissance et la mort. » (Swami Shraddhânanda Giri)2
« Sous le ciel, il n’y a rien qui soit stable, rien qui ne dure à jamais. » (Bouddha)

Voici un logion qui joue sur la dualité vivant/mort afin de nous interpeller.

Premier verset : « Ce Ciel disparaîtra, et Celui qui est au-dessus de lui passera, et les morts ne seront
pas vivants, et les vivants ne mourront pas »

L’entame de ce verset peut sembler énigmatique. En fait, notre enseignant évoque


l’impermanence de ce qui nous entoure. Comme le dit la sagesse orientale « Il y a une chose qui ne
change pas, c’est le changement ». De même, Héraclite d’Éphèse, un philosophe grec présocratique
a écrit que « l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Cette notion
d’impermanence du monde autour de nous est capitale à réaliser sur le Chemin. Si l’on bâtit notre
vie sur une supposée permanence des choses qui nous entourent, on est assurément dans l’erreur.
Selon l’une des lois spirituelles que j’ai déjà mentionnée, la seule réalité, c’est ce qui est éternel.
Thérèse d’Ávila le résume fort bien : « Tout passe, Dieu lui ne change pas ».
Le « Ciel », dont il est question ici, représente notre perception de la réalité qui nous entoure, et
« Celui qui est au-dessus » notre vision du Divin, tout cela changeant à travers le temps. Par
exemple le Dieu de l’AT, le Démiurge, apparaît comme décalé, c’est le moins que l’on puisse dire,
par rapport à celui du NT, et encore plus par rapport à celui de l’EsT, comme si la vision divine
muait en fonction de l’évolution de l’humanité et de son niveau de conscience. Quoi qu’il en soit, il
y a une continuité dans la présence du Père pour les hommes. Il est probable que d’autres prophètes
se manifesteront dans le futur, que Jésus se réincarnera, ou que d’autres paroles de lui seront
retrouvées. D’autres religions pourront même voir le jour, mais la notion d’un Dieu suprême, à notre
écoute, perdurera. L’Évangile selon Luc, pour sa part, comporte ce parallèle intéressant à notre
verset : « Le Ciel et la terre disparaîtront, mais mes paroles, elles, ne passeront point. »
Ensuite quand Jésus nous dit que les « morts », c’est-à-dire les personnes non spirituelles, « ne
seront pas vivants », cela signifie qu’il ne faut pas attendre d’une quelconque fin des temps une
résurrection dans la chair, mais, qu’au contraire, nous pouvons d’ores et déjà trouver la Vie. Jésus
résume cette dernière notion par le fait que les « vivants3 ne mourront pas ». C’est l’idée déjà
introduite par les premiers et troisièmes logia. L’Évangile selon Philippe nous le confirme : « ceux
qui disent que le Seigneur est mort d’abord puis qu’il est ressuscité sont dans l’erreur, car il est
ressuscité d’abord, puis il est mort. »4 La « résurrection » c’est maintenant !

Deuxième verset : « Quand vous êtes en contact avec ce qui est mort, vous en faites du vivant, mais
quand vous serez dans la lumière, que ferez-vous ? »

1 Selon Paul, le 3e Ciel serait le Royaume de Dieu (Voir 2 Corinthiens 2.12)


2 Swami Shraddhânanda Giri « L’évangile selon Thomas » (Les deux océans 1998)
3 Les « vivants » selon Jésus sont les unifiés et les éveillés.
4 Évangile selon Philippe 21

14
Lors de leur vie terrestre, beaucoup de gens vénèrent des valeurs périssables. On pense aux
Hébreux dans l’AT qui adoraient le veau d’or, en l’absence de Moïse ou à la société de
consommation qui est mise sur un piédestal de nos jours. Ce qui est « mort » représente ici les
futilités terrestres. Comme nous dit la fameuse expression biblique : « Vanité des vanités. »1 En
résumé, ne misons pas sur ce qui est amené à périr.
Ensuite, notre Guide nous demande « ce que nous ferons une fois dans la lumière ». « Être dans
la lumière » signifie avoir atteint le Graal spirituel. Jésus nous invite à réfléchir à notre attitude et à
nos actions à ce moment-là. L’essentiel est de s’imaginer dans cette « lumière » divine, dans le
Royaume, comme si on y était déjà. Pour pouvoir passer dans un autre état, il faut déjà s’y projeter.
De nos jours, c’est ce que l’on appelle la visualisation créatrice. Le fait que la pensée soit créatrice
est une des réalités spirituelles vérifiables. Bouddha ne dit pas autre chose : « ce que tu penses, tu le
deviens, ce que tu imagines, tu le crées. »
Un élément de réponse, à la question de ce verset, nous est donné plus loin, quand Jésus déclare
que l’unifié, autrement dit celui qui est dans la lumière, « deviendra comme lui, et lui deviendra
cette personne. »2 À la question de savoir ce qu’il ferait « une fois dans la lumière », le sage hindou
Swami Nirmalananda Giri, lui, répond tout simplement : « rien ». En effet, une fois dans la lumière,
on trouve « le repos » qui nous est promis au second logion.

Troisième verset : « Quand vous étiez un, vous êtes devenus deux. Mais, une fois dans la dualité,
qu’avez-vous l’intention de faire (pour revenir en arrière) ? »

Le début de ce verset fait allusion à notre unité originelle avec Dieu, mais les circonstances ont
fait que nous nous sommes retrouvés séparés de lui. Les religions l’expliquent de différentes
manières, parfois naïves. On pense notamment à l’histoire d’Adam et Ève chassés du paradis dans
l’Ancien Testament. On peut voir aussi, dans le début du verset, une allusion au processus
d’individualisation, un processus tout à fait normal au début de notre vie.
Jésus nous interpelle ensuite : « une fois dans la dualité, qu’avez-vous l’intention de faire pour
revenir en arrière ? ». Nous avons notre libre arbitre, Jésus ne nous dicte pas notre attitude.
Cependant, on le comprend à la lecture du reste de l’EsT, le Nazaréen nous encourage à retrouver
l’unité originelle, celle du « paradis perdu avant la chute », où Dieu et l’Homme ne faisaient qu’un.
C’est la mise en pratique de cette non-dualité qui est la clé de la vraie Vie. Un parallèle à ce verset
se trouve dans les « Dialogues avec l’ange » retranscrits par Gitta Mallasz3 : « Ne sépare pas ce qui
est UN », sous-entendu Dieu et l’Homme.

En résumé, face à l’impermanence du monde, une chose, elle, ne change pas, la présence divine.

Logion 12 : Le successeur inattendu désigné par Jésus


Les disciples dirent à Jésus : « Nous savons que tu nous quitteras un jour. Qui sera le plus grand
parmi nous ? » Il leur répondit : « Si nécessaire, référez-vous à Jacques le juste, pour les questions
spirituelles et terrestres ».

Si l’on en croit ce dialogue, Jésus aurait adoubé Jacques le Juste, l’un de ses quatre demi-frères,
comme son successeur pour ceux qui auraient besoin d’un référent. On peut se demander les raisons
de ce choix. Après la mort de Jésus, Jacques est devenu un des leaders de la communauté judéo-
chrétienne de Jérusalem. Même si ce dernier jouissait d’une aura considérable, on s’attendrait plutôt
à ce que le Nazaréen désigne Pierre comme son successeur. La tradition apostolique a en effet placé
l’Église catholique sous l’autorité de Saint Pierre, suite à une phrase, que beaucoup d’exégètes

1 Ecclésiaste 1.2
2 Logion 108
3 Son livre contient les messages reçus pendant la Seconde Guerre mondiale par quatre amis. Des messages qui leur auraient été

donnés par un ange. Certaines paroles de cet ange se rapprochent du message de l’EsT.
15
s’accordent à considérer comme un ajout tardif : « Tu es Pierre, et, sur cette pierre, je bâtirai mon
Église. »1
Curieusement, Jacques le Juste2 semble avoir plus marqué les historiens de son époque que
Jésus. Ce dernier figure dans très peu de textes du premier siècle en dehors de ceux du NT, et les
mentions le concernant dans des textes extra-bibliques pourraient être des ajouts postérieurs. Ainsi le
fameux passage de Flavius Josèphe (mort vers l’an 100 à Rome), historien romain d’origine juive :
« à la même époque vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l’appeler un homme, car il était un
faiseur de miracles… Et il attira à lui beaucoup de Juifs et beaucoup de Grecs. C’était le Christ. Et
lorsque sur la dénonciation de nos premiers citoyens, Pilate l’eut condamné à la crucifixion, ceux
qui l’avaient d’abord chéri ne cessèrent pas de le faire, car il leur apparut trois jours après être
ressuscité, alors que les prophètes divins avaient annoncé cela et mille autres merveilles à son sujet.
Et le groupe appelé d’après lui celui des Chrétiens n’a pas encore disparu. »3 Il faut bien avouer que
cela ressemble à une copie pure et simple des Synoptiques.
St Paul raconte leurs rencontres à Jérusalem,4 où Jacques faisait figure de sage, d’arbitre et en
était une sorte « d’évêque » avant l’heure. L’historien Flavius Josèphe, toujours dans les
« Antiquités juives » parle également de lui. Il fut exécuté en l’an 62 par lapidation, le grand-prêtre
Anan ayant profité de la vacance temporaire du pouvoir romain pour le faire condamner. Jacques le
juste fut accusé d’avoir « transgressé la loi ».5 À noter que Flavius Josèphe ne cite même pas Pierre
ni Paul, ce qui confirme encore plus la renommée de Jacques. Une épître du NT est attribuée à ce
dernier.6

On peut remarquer que ce logion comporte un indice au niveau de la datation de l’EsT. En effet,
si le ou les rédacteurs de l’EsT avaient écrit bien après la mort de Jacques le juste, comme
l’affirment certains, ils auraient certainement omis ce logion devenu obsolète. On peut donc en
déduire une rédaction de l’EsT contemporaine de la vie de Jacques le Juste, soient dans les années
40 ou 50 après J.C. Sinon à quoi bon le citer comme le référent ?

Le choix de Jacques comme son successeur par Jésus a de quoi surprendre. En effet, le premier
prônait le maintien des coutumes juives et vivait d’une manière ascétique, ce qui le distinguait de
son frère. Il représentait la tradition, et, quelque part, le passé. Même si la démarche prônée par
l’EsT est individuelle, visiblement notre Guide souhaitait qu’une communauté puisse diffuser son
message après sa mort. On peut penser que Jacques, de par son lien familial avec Jésus, représentait
une certaine continuité. En comparaison, on le verra plus loin, Pierre est caricaturé dans notre
Évangile.
Dans ce logion, Jésus transmet le flambeau terrestre au frère de Jude. Mais son successeur
spirituel semble bien être Thomas, comme nous allons le voir au logion suivant.

Logion 13 : Devenir des alter égo de Jésus comme Thomas


Jésus demanda à ses disciples : « Comparez-moi, et dites-moi à qui je ressemble ». Simon-Pierre lui
répondit : « Tu ressembles à un ange7 juste ». Matthieu lui dit : « Tu ressembles à un sage
philosophe ».
Thomas, à son tour, lui fit cette réponse : « Maître, ma bouche n’acceptera absolument pas que je

1 Matthieu 16.18
2 Hégésippe, un chrétien du IIe siècle, parle de Jacques dans ses mémoires de la façon suivante : « Le frère du Seigneur, Jacques, reçut
l’administration de l’Église avec les apôtres. Nous l’appelons « le juste », puisque beaucoup portaient le nom de
Jacques. » (« Histoire ecclésiastique » 2.23.4).
3 Flavius Josèphe « Les Antiquités Juives ».
4 Par exemple dans le récit suivant de Paul : « Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem rendre visite à Céphas(Pierre) et

demeurai auprès de lui quinze jours. Je n’ai pas vu d’autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur ». (Galates 1.18-19)
5 La polémique, suite à son exécution, qui a provoqué le renvoi du grand-prêtre qui venait à peine d’être nommé, semble indiquer que

Jacques était un personnage important dans la société de Jérusalem.


6 Voir l’ouvrage très documenté de Pierre-Antoine Bernheim « Jacques, frère de Jésus » pour plus d’informations sur la vie de

Jacques.
7 Ce mot peut être aussi traduit par « envoyé » ou « prophète ».

16
dise à qui tu ressembles ». Jésus lui rétorqua : « Je ne suis plus ton maître puisque tu as bu et que tu
t’es enivré à la source bouillonnante que je t’ai dispensée ». Et Jésus l’entraîna, ils se retirèrent, et il
lui dit trois paroles. Lorsque Thomas revint vers ses compagnons, ils lui demandèrent : « Que t’a-t-il
dit ? » Thomas leur répondit : « Si je vous dis une seule des paroles qu’il m’a dites, vous ramasserez
des pierres et vous me les jetterez ; et un feu sortira des pierres et il vous brûlera. »1

« Ils sont moi et je suis eux, je suis eux et ils sont moi ». (Jésus parlant de ses frères spirituels dans
« Pistis Sophia »)2
« Je suis devenu Celui que j’aime, et Celui que j’aime est devenu moi ! » (Mansur al-Hallâj)3

Il s’agit clairement ici de la reconnaissance par Jésus de Thomas comme étant un éveillé. Par
contre, on ne sait plus à quel saint se vouer, entre Jacques mis en avant dans le logion précédent, et
maintenant Thomas !
On peut imaginer que Jésus a trouvé floue la réponse de Pierre quand l’apôtre le compare à « un
ange juste », et celle de Matthieu trop distante et incomplète quand il le décrit comme « un sage
philosophe ». Les Juifs ne pouvaient pas prononcer le nom de Dieu, mais ce n’est pas la raison pour
laquelle Thomas ne se permet pas de décrire Jésus. À la différence de Pierre et Matthieu, le
rédacteur de l’EsT donne une réponse satisfaisante : il ne saurait absolument pas dire à quoi
ressemble son « maître ». Matthieu et Pierre portent des regards extérieurs sur Jésus. Par contre,
comme Thomas ne fait plus qu’un avec lui, il ne peut le décrire. On ne peut se représenter que ce qui
est extérieur à nous. Notre Guide annonce à Thomas, qui a bien assimilé son enseignement, « qu’il
n’est plus son maître », étant donné qu’ils sont devenus un seul et même être, il n’y a plus de maître
ni d’élève.
Thomas apparaît clairement comme un éveillé car il s’est « enivré à la source bouillonnante » de
Jésus, c’est-à-dire qu’il a bu ses paroles. Il est clair que Jésus lui a révélé ses « mystères », ses
secrets.4 On retrouve l’image de cette « source bouillonnante » dans le récit de la guérison d’un
paralytique : « Il existe à Jérusalem, une piscine qui s’appelle en hébreu Bethesda et qui a cinq
portiques. Sous ces portiques gisaient une multitude d’infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui
attendaient le bouillonnement de l’eau, car l’ange du Seigneur descendait par moments dans la
piscine et agitait l’eau. Le premier alors à y entrer, après que l’eau eut été agitée, se trouvait guéri,
quel que fût son mal ». Ces « infirmes, aveugles, boiteux, et autres impotents » ne sont-ils pas ceux
qui vivent sans la présence ni la parole de Dieu ? La « source bouillonnante » que Jésus a
« dispensée » à Thomas montre que le natif de Bethléem nous donne exactement ce dont nous avons
besoin à un moment donné, la bonne mesure, tel un pasteur fournissant la nourriture adaptée à ses
brebis, et ceci, jusqu’à ce que nous devenions comme lui.
Quelles sont ces trois paroles que Jésus révéla à Thomas ? Beaucoup a été écrit là-dessus…
Henri-Charles Puech mentionne un verset de l’Évangile selon Jean (EsJ) : « Je suis le Chemin, la
Vérité et la Vie ».5 D’autres commentateurs proposent les « trois mots d’un pouvoir extraordinaire
des Naassènes6 » : « Kaulakau, Saulasau, Zeésar ».7 D’autres commentateurs ont écrit qu’il s’agirait
du nom de Dieu, d’une incantation secrète ou bien d’une prière de protection. D’autres enfin, citent

1 En voici le parallèle dans l’EsMat : « Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : ‘’ Au
dire des gens, qu’est le fils de l’homme ? ‘’ Ils lui répondirent : ‘‘ Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie, et pour d’autres
encore, Jérémie ou un autre prophète ’‘. »
2 « Pistis Sophia » (la Foi et la Sagesse) est un écrit gnostique attribué à Valentin, candidat recalé au poste d’évêque de Rome en 143,

ou à l’un de ses disciples. C’est un texte très ésotérique détaillant le monde divin.
3 Cité par Louis Massignon dans « Le Diwan d’al-Hallâj » (Seuil 1992). Mansur al Hallâj (c. 858- 922), prédicateur soufi en Iran puis

en Inde, a été crucifié pour ses idées hétérodoxes, comme celle de l’union possible de l’âme avec Dieu.
4 cf. logion 62
5 Jean 14.6
6 Communauté gnostique active en Égypte et en Syrie à partir de IIe siècle de notre Ère. Certaines de leurs formules rituelles ont été

retrouvées.
7 Réfutation de toutes les hérésies (Elanchos) V 8.5

17
« Iota, alpha, et oméga » qui sont mentionnés dans la Pistis Sophia.1 Pour ma part, je pense que ces
trois mots peuvent, tout simplement, être déduits de la finalité de cet enseignement et du rapport
entre Jésus et Thomas. Je vous laisse méditer là-dessus, comme le dit Jésus, « que celui qui a des
oreilles pour entendre entende ! ».
Suivant le conseil de Jésus : « soyez prudents comme les serpents. »2, Jude ne révèle rien de ce
que son frère lui a dit. Toute vérité n’est pas bonne à entendre, d’où la réaction possible des autres
disciples, qui, sous l’emprise de la jalousie, pourraient jeter des pierres à Thomas. La lapidation était
une pratique courante chez les Juifs. Mais finalement, cela se retournerait contre eux, à l’image des
pierres qui les brûleraient. Un retour de flammes qui rappelle la notion de karma des Bouddhistes et
Hindouistes.

En conclusion, voici un logion qui présente Thomas comme l’alter égo de Jésus, ayant intégré
son enseignement. Ce dernier lui donne donc la légitimité pour nous rapporter ses propos. À
l’exemple de Thomas, allons nous abreuver à la source bouillonnante !

Logion 14 : Nos attitudes nous trahissent.


Le quatorzième logion peut être séparé en deux parties indépendantes :
Logion 14a : Jésus leur dit : « Si vous jeûnez, vous vous ferez du mal, si vous priez
(machinalement), vous serez ignorés, et si vous faites (ostensiblement) l’aumône, vous ferez du mal
à votre âme ».
Logion 14b : Quelle que soit la contrée où vous faites route, si l’on vous reçoit, ce que l’on mettra
devant vous, mangez-le, et guérissez les malades parmi eux. Car ce n’est pas ce qui entrera dans
votre bouche qui vous souillera, mais c’est ce qui en sortira qui le fera.

« Ils imposeront les mains aux malades, et les malades, seront guéris. » (Évangile selon Marc
16.18).
« On fait toutes sortes d’ascèses pour devenir ce que l’on est déjà. » (Ramana Maharshi)
« Lorsque vous marchez, mangez et voyagez, soyez présents. »
« La simplicité procure davantage de bonheur que la complexité. » (Bouddha)

Logion 14a : Jésus leur dit : « Si vous jeûnez, vous vous ferez du mal, si vous priez
(machinalement), vous serez ignorés, et si vous faites (ostensiblement) l’aumône, vous ferez du mal
à votre âme ».

Ce logion apporte un complément de réponse de la part Jésus à la question précédente des


disciples : « Veux-tu que nous jeûnions ? Comment devons-nous prier ? Devons-nous faire
l’aumône ? Qu’observer en matière de nourriture ? »3 Comme c’est la deuxième fois que ses
disciples l’interrogent sur ces pratiques, cela montre que celles-ci étaient visiblement au cœur de
leurs préoccupations ! Le Jésus de l’EsT est résolument iconoclaste, prenant le contre-pied de ses
apôtres, toujours attachés aux valeurs de l’Ancien Testament (AT). Sa réponse ne varie pas : éviter
les manifestations visibles, convenues, privilégier le travail sur soi, rechercher Dieu en soi et
préférer la sincérité à l’extériorisation.
Aux prières vocales en groupe, notre Guide nous demande de privilégier les prières intérieures,
telles que l’intériorisation, dont j’ai déjà parlé. Certaines méditations, à l’orientale, trouveraient sans
doute grâce à ses yeux. De plus, lors de prières vocales, au sein d’une assemblée, certaines
personnes sont à genoux, se représentant Jésus loin d’elles, sur un trône « dans les Cieux » à la

1 « L’Iota signifie que l’univers émane de lui, l’Alpha qu’il retournera d’où il est sorti, et l’oméga, que ce sera la fin des fins » (Pistis
Sophia)
2 Logion 39
3 Logion 6

18
droite de son Père. Or, selon l’EsT nous devons devenir son alter égo, comme Thomas, donc abolir
toute distance entre Jésus et nous. Et enfin, le fait de demander des grâces crée un abîme entre, d’un
côté les demandeurs, et, d’un autre, Dieu le pourvoyeur de bienfaits. Au contraire, dans l’EsT, il
nous est demandé de réaliser l’absence de dualité entre Lui et nous.
L’aumône, en soi, n’est pas mauvaise si elle est sincère, mais il convient de ne pas nous vanter
de nos actes de charité, ce que notre Guide résume par : « ce que ta main droite fait, que ta main
gauche ne le sache pas. »1 Le jeûne, non plus, n’est pas mauvais en soi, il peut même avoir des
vertus purificatrices ou thérapeutiques, mais il convient d’éviter l’ostentation.

Logion 14b :
Premier verset : « Quelle que soit la contrée où vous faites route, si l’on vous reçoit, ce que l’on
mettra devant vous, mangez-le, et guérissez les malades parmi eux. Car ce n’est pas ce qui entrera
dans votre bouche qui vous souillera, mais c’est ce qui en sortira qui le fera. ».

Jésus attend, de notre part, une simplicité, une attention et une ouverture aux autres en toutes
circonstances. Une fois bien avancés sur cette Voie, certains acquièrent des capacités de thérapeute,
et notre Guide les encourage à les utiliser sans retenue. Le mot « guérir » ici ne signifie pas
uniquement procéder à des guérisons physiques, mais aussi à aider spirituellement les autres, en leur
éclairant le chemin et en leur montrant ce qu’elles pourraient changer dans leur vie.

Deuxième verset : « Ce n’est pas ce qui entrera dans votre bouche qui vous souillera, mais c’est ce
qui en sortira qui le fera ».
Le conseil de Jésus est de faire attention à nos propos, d’avoir une parole impeccable. Il
convient de dire ce que l’on pense et d’éviter de médire d’autrui. Comme on l’a vu dans la synthèse,
être dans le jugement c’est se voir comme séparé des autres, ce qui est une représentation erronée de
la réalité.
À un niveau plus terre à terre, en disant que « ce n’est pas ce qui rentre dans notre bouche qui
nous souille », Jésus s’insurge contre les interdits alimentaires, à l’image de ceux des Juifs de son
époque. Ainsi, pour ces derniers, les animaux aquatiques sont jugés purs, donc mangeables,
seulement s’ils ont des écailles et des nageoires. Un verset très actuel finalement, avec toutes ces
controverses sur la nourriture halal et casher !

Logion 15 : Savoir être reconnaissant


Jésus a dit : « Quand vous verrez celui qui n’a pas été engendré par une femme, vénérez-le, et
adorez-le, celui-là est votre Père ».

L’emploi des termes à connotation dualiste « vénérez-le » ou « adorez-le » par Jésus peut
sembler pour le moins surprenant voire hors contexte dans l’EsT… On peut même se demander s’il
s’agit bien d’une parole originale de Jésus ou d’une élaboration louangeuse du rédacteur. Quoi qu’il
en soit, ce logion développe des idées dans la droite ligne de l’enseignement de l’EsT.

Premier verset : « Quand vous verrez celui qui n’a pas été engendré par une femme ».

Celui qui « n’a pas été engendré par une femme » c’est bien évidemment Jésus, qui est censé
avoir été enfanté par l’Esprit-Saint. Il y a une certaine ambiguïté dans ce logion, notre enseignant
pouvant apparaître à la fois comme le Fils et le Père. Mais, aller à la rencontre de Jésus, c’est,
quelque part, aller à celle de Dieu. En effet, comme le dit le Nazaréen, « qui m’a vu a vu le Père. » 2
Jésus parle donc bien ici de lui-même, se présentant comme une passerelle vers son Père.

1 Logion 62b
2 EsJ 14.9
19
Deuxième verset : « Vénérez-le, et adorez-le, celui-là est votre Père ».

On peut être un peu dérangé par les expressions « vénérez-le » et « adorez-le » qui pourraient
donner l’impression d’un Jésus distant et au-dessus des hommes, la suite de l’EsT nous montrant un
Jésus accessible et sans prétention. Mais en fait, on retrouve ici une idée sous-jacente dans l’EsT,
celle de la reconnaissance : étant donné que notre Guide nous aime inconditionnellement, il nous
demande une certaine réciprocité.
Il y a eu de nombreuses controverses après sa mort sur la vraie nature du Galiléen, homme ou
Dieu ? Égal ou inférieur à son Père ?1 Selon la Gnose, la question de sa vraie nature ne se pose pas,
il est forcément d’essence divine. La fin du verset nous indique que Jésus se positionne comme notre
« Père », l’égal de Dieu. Il est celui qui donne la Vie grâce à ses paroles. Dans l’Évangile selon Jean,
le Nazaréen se met aussi sur un pied d’égalité avec Lui : « le Père et moi sommes un. »2
La plupart des logia de l’EsT peuvent être lus d’une manière intérieure. Ainsi, dans cette
approche, « celui qui n’a pas été engendré de la femme » signifie notre Royaume Intérieur, notre
conscience si l’on préfère. Il convient donc de le respecter, car c’est notre lien avec l’Absolu.

Logion 16 : Les conséquences sur nous de cet enseignement


Jésus a dit : « Il est possible que les hommes pensent que je suis venu apporter la paix dans le
monde, mais ils ne savent pas que je suis venu semer les dissensions sur la terre : le feu, l’épée et le
conflit.
En effet, au sein d’une maisonnée de cinq, trois seront contre deux et deux contre trois, le père
contre le fils et le fils contre le père, mais ils deviendront unifiés (à la fin) ».

« Tout royaume dont les habitants luttent les uns contre les autres finit par être détruit. Et toute
maison dont les habitants s’en prennent les uns aux autres ne pourra perdurer. » (EsMat 12.25)

Le début du logion : « Il est possible que les hommes pensent que je suis venu apporter la paix dans
le monde, mais ils ne savent pas que je suis venu semer les dissensions sur la terre : le feu, l’épée et
le conflit ».

Si l’on prend cette parole de Jésus au sens prophétique, on peut imaginer qu’il était conscient
que son enseignement novateur et iconoclaste allait jeter le trouble sur la terre, créer des
déchirements et des violences. C’est bien ce qui est arrivé ! Il a d’ailleurs été crucifié pour avoir
proposé des idées révolutionnaires et en avance sur son temps. Ses suiveurs ont souvent été
vilipendés, combattus, voire martyrisés.
Il est clair que l’enseignement de Jésus bouleverse nos idées reçues et les principes, les dogmes,
que nous connaissons. Il sème la zizanie pour mieux nous faire réfléchir et surtout pour nous faire
changer. Notre Guide nous avertit d’une façon très imagée que ses paroles peuvent jeter le trouble
chez ses suiveurs, les déstabiliser, les obliger à faire table rase du passé (« le feu »), créer des
oppositions (« l’épée ») voire des « conflits » en eux. C’est en devenant entier3 que nous pouvons
dépasser ces dissensions.

La deuxième partie du logion : « En effet, au sein d’une maisonnée de cinq, trois seront contre deux
et deux contre trois, le père contre le fils et le fils contre le père ».

Si l’on fait une lecture intérieure de ce passage, cette « maison » représente l’Homme, le chiffre
cinq en numérologie symbolisant l’Homme dans sa totalité. Les « cinq dans la maison » ne sont
autres que nos différentes facultés (entendement, mental, mémoire, imagination et inconscient) qui
1 Voir à ce sujet le livre de Frédéric Lenoir « Comment Jésus est devenu Dieu » (Le Livre de Poche 2010)
2 Jean 10.30
3 Un être « entier » est un être unifié, qui maîtrise ses sens et les différentes composantes de son esprit.

20
peuvent s’opposer ou aller dans des directions différentes. La dispersion mentale est assurément un
obstacle majeur sur cette voie.
Les « cinq dans la maison » peuvent aussi signifier nos cinq sens qui n’en feraient qu’à leur
guise, n’étant pas contrôlés par notre volonté. Un des buts de l’enseignement de Jésus est
précisément de maîtriser nos sens, afin de trouver l’unité, un préalable à l’intériorisation qui permet
de faire émerger notre Royaume Intérieur. Ainsi, par exemple, quand nous nous recueillons, nous ne
devons pas être distraits par le bruit ambiant. Il est important de reprendre le contrôle de sa propre
maison. On y arrive en faisant la paix en nous, et en rassemblant nos facultés et nos sens, comme un
parent qui rassemble ses enfants turbulents.
Cette deuxième partie du logion montre aussi que le fait de nous engager sur cette voie risque de
nous mettre en porte-à-faux vis-à-vis de vos proches, d’être incompris. Jésus y revient tout au long
de l’EsT.1

Le dernier verset : « Ils deviendront unifiés (à la fin) ».

Le terme « monakhos » en grec, que j’ai traduit par « unifiés », vient de « monos » qui signifie
« tout seul, solitaire » ou « qui est un ». Sa racine a donné des mots comme monacal ou moine. Ces
« unifiés » sont ceux qui ont aboli toutes les dualités, y compris celle entre l’Homme et le Divin. Au
niveau intérieur, ils ont réussi à rassembler toutes leurs facultés. Le Royaume leur est promis !

Logion 17 : Se préparer à l’extraordinaire


Jésus a dit : « Je vous donnerai ce que l’œil n’a jamais vu, ce que l’oreille n’a jamais entendu, ce que
la main n’a jamais touché et ce que vous n’avez jamais ressenti ».

À travers cet enseignement, Jésus nous ouvre à l’inouï, à l’inimaginable. Depuis 2000 ans, de
nombreux religieux ou laïcs ont effectivement accédé à la plénitude promise par Jésus et résumée
dans ce recueil.
« Ce que nous n’avons jamais ressenti » signifie l’amour infini et inconditionnel de Jésus pour
nous. J’ai mentionné la reprise par St Paul de ce logion dans le chapitre sur la datation de l’EsT2.
Thomas ajouta par rapport à lui : « ce que la main n’a pas touché ». Cette addition peut être
comprise comme le fait d’appréhender ou d’expérimenter la présence de Jésus. Le natif de Tarse, à
la différence du Jésus de l’EsT, ne promettait pas de jouir du Royaume de notre vivant, c’est
vraisemblablement pourquoi il a omis cette partie. De plus, l’enseignement de l’EsT fait appel aux
cinq sens « spirituels »3 alors que, selon Paul nous avons seulement besoin de nos sens classiques et
de la foi.
Par rapport à Thomas, Paul ajouta « des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment » ce
qui montre que, selon le natif de Tarse, la « récompense » vient de Dieu, alors que, selon Thomas,
elle vient de notre recherche intérieure. Paul se projetait dans le futur, alors que pour Thomas, la
« récompense » est à portée de main dans le présent. On touche du doigt là des divergences
fondamentales entre les messages de Paul et de notre évangéliste.

À travers ce logion très prometteur, Jésus nous pousse à nous mettre en chemin et à rentrer en
première province.

1 Par exemple au logion 31 : « Un prophète n’est pas reçu dans son village. »
2 1 Corinthiens 2.9, possiblement une reprise du Livre d’Isaïe 64.4
3 Jésus revient sur le ressenti spirituel au logion 22b, toujours avec l’image de la main.

21
Première province : S’engager dans la bonne direction

Dès à présent, commence la description successive des sept jalons par notre enseignant. En y
regardant bien, on distingue à chaque fois un logion qui sert de marqueur pour l’accès à une
nouvelle province.1
Ainsi, l’entrée dans la première province est marquée par « bienheureux celui qui prend place
dans le commencement. Alors, il connaîtra la fin et il ne goûtera pas à la mort. »2 En effet, cette
étape consiste à s’engager dans la bonne direction. À ce stade, Jésus nous indique surtout des choses
à comprendre, mais aussi quelques qualités à acquérir. Cette partie, comprenant neuf logia, est assez
courte, car on y reste rarement très longtemps. Soit on passe à la suite, soit on met l’idée de côté.

Note : Des pastilles de à indiquent la province où l’on se trouve.

Logion 18 : Le début du Chemin


Les disciples demandèrent à Jésus : « Dis-nous comment adviendra notre fin ». Il leur répondit :
« Avez-vous (déjà) découvert le commencement pour que vous cherchiez la fin ? Car là où est le
commencement, là est la fin. Bienheureux celui qui prend place dans le commencement, il connaîtra
la fin et il ne goûtera pas à la mort ».

« Au commencement était le Logos…et le Logos était Dieu. » (EsJ 1)


« Le début et la fin d’un cercle se confondent. » (Héraclite d’Éphèse)3

Les disciples, sous l’influence de l’AT, éprouvaient de l’inquiétude par rapport à leur « fin ». La
réponse de Jésus les a certainement pris une nouvelle fois à contre-pied.

Premier et second versets : Les disciples demandèrent à Jésus : « Dis-nous comment adviendra notre
fin ». Il leur répondit : « Avez-vous (déjà) découvert le commencement pour que vous cherchiez la
fin ? Car là où est le commencement, là est la fin ».

« Découvrir le commencement » c’est réaliser qu’à l’origine nous étions UN avec Dieu.4 C’est
la première étape de la Gnose. « Jésus est l’Alpha et l’Oméga, le début et la fin, il a été, il est et il
sera » nous dit l’Apocalypse de Jean. Le « commencement » et la « fin » se rejoignent, ne font
qu’un, c’est ce que l’on appelle fréquemment la « Source » ou le Plérôme.5 Nous en venons, et nous
sommes appelés à y retourner. Il nous est demandé de tourner notre regard vers elle, car c’est là que
l’on trouve la plénitude. Ce message est en rupture avec la vision juive du salut « à la fin des
temps », car que ce que Jésus met en avant n’a pas de fin. À l’appui de cette conception, entre
autres, des sages orientaux et des scientifiques nous disent que notre vision linéaire du temps est
erronée. Tout se confond en Dieu, passé, présent et futur.
Jésus réprouve ces questions relatives à notre futur, ces attentes, ces vains projets, qui nous
empêchent d’apprécier le moment présent. Les disciples, dont il est question ici, pensaient, comme
le philosophe Alain (1858-1951) : « qu’espérer, c’est être heureux ». Jésus, lui, était en phase avec
Sénèque, philosophe et dramaturge romain, quand ce dernier affirmait : « tu cesseras de craindre
lorsque tu cesseras d’espérer ».

1 Au fur et à mesure des recopies, quelques anomalies se sont glissées dans l’ordre des logia, mais cela ne remet pas en cause la
cohérence d’ensemble. Par exemple, je pense que les logia 86 et 94 étaient initialement situés plus loin dans l’EsT.
2 Logion 18
3 Héraclite d’Éphèse était un philosophe grec (IVe et Ve siècles av. J.-C.).
4 Voir logion 22
5 Le mot Plérôme vient du terme grec signifiant « plénitude ».

22
Il arrive que des personnes qui se lancent sur une voie spirituelle fassent les choses dans le
désordre et l’empressement, et, pour aller plus vite, cherchent à connaître la fin avant de connaître le
début. De faux guides peuvent les induire en erreur, en leur promettant monts et merveilles sans
effort de leur part. La réalité est tout autre… Sur ce Chemin, Il ne faut pas brûler les étapes !
Le deuxième verset fait penser à l’une des règles de vie heureuse mise en avant par les sages de
l’Advaita Vedanta : quand on travaille sur un projet à long terme, il est judicieux de ne pas se
projeter en permanence dans sa conclusion, mais de se concentrer sur la tâche courante. Cela est
valable aux niveaux personnel et professionnel. Par exemple, lorsque l’on prépare un gâteau, le plus
important est de trouver du plaisir dans chacune des étapes, choisir une recette, pétrir la pâte,
mélanger les ingrédients, disposer les décorations, etc. plutôt que de penser en permanence à la
dégustation.

Le dernier verset : « Bienheureux celui qui prend place dans le commencement, il connaîtra la fin et
il ne goûtera pas à la mort ».

Ce verset nous incite à nous mettre en marche sur le chemin. Savoir d’où l’on vient, c’est
connaître non seulement le point de départ, mais aussi le point d’arrivée. Ainsi, en bouclant la
boucle, on trouve la Vie.

Logion 19 : La nature de la réalité


Jésus a dit : « Bienheureux êtes-vous d’avoir été avant de vous être incarnés ! »
Si vous devenez mes disciples, et que vous écoutez mes paroles, ces pierres vous serviront.
Le paradis est semblable à cinq arbres qui ne bougent ni en été, ni en hiver, et dont les feuilles ne
tombent pas. Qui connaîtra la signification de ce qui précède ne goûtera pas à la mort ».

« Sans origine, sans terme, je suis cette vie qui, identique, persiste, éternelle. Cette vie, c’est Dieu. »
(Hildegarde de Bingen « Le livre des œuvres divines »)
« Il n’existe rien de permanent, si ce n’est le changement. » (Bouddha)

Ce logion nous en dit plus sur la « Source », appelée ici « le paradis », que je viens d’évoquer.

Premier verset : « Bienheureux êtes-vous d’avoir été avant de vous être incarnés ! »
L’Évangile selon Philippe reprend cette béatitude et ajoute : « Celui qui est a été, sera. »1 Jésus
nous indique que nous avons tous une âme éternelle qui constitue notre essence véritable. Ainsi,
avant de nous être incarnés sur terre, nous avons déjà existé, bien que sous une forme différente, et
notre âme continuera d’exister après notre mort terrestre. Quand nous réalisons l’éternité de notre
âme, alors notre regard sur l’existence change forcément. Un chapitre est consacré à la réincarnation
dans l’EsT, mais aussi dans les Canoniques, dans la synthèse des enseignements. Je vous invite à
vous y reporter.

Deuxième verset : « Si vous devenez mes disciples, et que vous écoutez mes paroles, ces pierres
vous serviront ».
Ce verset peut sembler obscur au premier abord, si on ne le relie pas au précédent et au suivant.
Il doit être compris dans le contexte de la Source. Les « pierres » sont permanentes, à son image.
Son pendant dans les Canoniques aide à préciser la signification de notre verset : « Le diable lui dit :
‘’Si tu es Fils de Dieu, dis à cette pierre qu’elle devienne du pain. ‘’ »2 L’Évangile selon Luc indique
qu’être fils du Père donne des pouvoirs surnaturels. C’est vraisemblablement aussi la signification
de notre verset. Ainsi, une fois en résonance avec le Divin, tout devient possible. Même de simples

1 EsP 57
2 Luc 4.3
23
pierres peuvent nous servir, c’est pour dire ! D’autres logia de l’EsT confirment cette interprétation.1
Ces « pierres » peuvent également être comprises comme l’image de la pérennité des paroles de
Jésus. Dans l’Antiquité, les enseignements divins étaient gravés sur des tablettes. L’allusion aux
« pierres » fait également penser à la lithothérapie, cette pratique qui consiste à soulager grâce aux
pierres.

Troisième verset : Le paradis est semblable à cinq arbres qui ne bougent ni en été, ni en hiver, et
dont les feuilles ne tombent pas. Qui connaîtra la signification de ce qui précède ne goûtera pas à la
mort ».
C’est la seule mention du paradis dans l’EsT. Il s’agit ici bien évidemment d’un Éden intérieur,
du Royaume. C’est d’ailleurs un état plutôt qu’un lieu. Ce verset est incompréhensible si l’on ne
connaît pas la loi spirituelle suivante : la véritable réalité c’est ce qui est permanent. Celui qui
comprendra cette loi fondamentale « ne goûtera pas à la mort », autrement dit, il trouvera la vraie
Vie.
Quand Ramana Maharshi demande « Qui suis-je ? » et qu’il répond qu’il n’est pas son corps,
c’est parce que celui-ci ne peut pas être « réel », étant périssable. La conclusion du sage hindou est
que seule son âme éternelle, qu’il appelle Âtman, est la réalité. Cela ne veut pas dire que notre corps
n’existe pas pendant une certaine durée, que nous vivons dans un rêve. Cela signifie simplement que
notre corps n’est pas une chose à laquelle nous pouvons nous raccrocher, car il ne peut pas nous
apporter le bonheur durable. Ainsi, pour démêler l’important de l’accessoire, il convient de voir si
l’on est en présence de quelque chose de permanent ou de passager. D’autres explications à ce sujet
se trouvent dans le chapitre « Qu’est-ce que la Réalité ».
À l’image de ces arbres au feuillage persistant, le Royaume est permanent par opposition à
l’impermanence de la vie terrestre. Comme l’écrit Élisabeth de la Trinité, la célèbre carmélite de
Dijon2 : « Dieu est immuable, il ne change jamais. Il t’aime aujourd’hui comme il t’aimait hier, et
comme il t’aimera demain. » Des traditions anciennes, en particulier chez les Manichéens3 et dans le
traité gnostique la Pistis Sophia, identifiaient ces cinq arbres du paradis avec les cinq sens spirituels,
qui nous permettent d’appréhender les réalités supérieures. L’activation de ces cinq sens
supplémentaires permet d’enrichir notre vie.
Mais quels sont ces cinq sens « spirituels » ? Il y a tout d’abord le « troisième œil », qui permet
de voir au-delà des apparences et de recevoir des images appelées « flashs » ou des intuitions. Il est
situé entre les sourcils. Plus nous nous investissons au niveau spirituel, plus nous sentons notre
troisième œil s’ouvrir. Cela commence par des visions floues et intermittentes, puis nous recevons
des visions plus nettes et plus fréquentes. Beaucoup plus de gens que l’on ne pense ont des visions
de la Vierge Marie, de saints de toutes origines, ou d’autres dimensions ou réalités. Il n’est pas rare
que Jésus partage des images de sa vie terrestre avec ceux qui ont créé les conditions de sa
rencontre. Ces visions ne s’oublient pas !

Le deuxième sens spirituel est la clairaudience.4 De nombreux guérisseurs sont ainsi guidés lors
des soins, c’est mon cas. Des guides, ou des saints, pas toujours les mêmes, nous parlent à l’oreille.
Bernadette Soubirous, la voyante de Lourdes, dispense des précieux messages à Nevers, là où est la
châsse contenant son corps intact.

1 Les logia 48 et 106 par exemple.


2 Lettre à sa sœur.
3 Des textes retrouvés au Fayoum en Égypte en 1930 y font allusion.
4 Jésus y fait allusion au logion 33 : « ce que tu entendras chuchoté à l’oreille… »

24
Bernadette Soubirous (1844 -1879) telle que l’on peut la voir à St Gildard à Nevers après qu’elle ait été enterrée
pendant 46 ans. Elle aime donner des conseils et elle n’a rien perdu de son franc-parler.1

Thérèse de Lisieux, quant à elle, se rend disponible pour ceux qui savent l’entendre dans la
basilique2 ou dans la cathédrale de sa ville.

Le troisième sens spirituel est celui des ressentis, grâce aux mains ou même grâce au corps. De
nombreux magnétiseurs peuvent ressentir l’endroit où le patient a mal juste en passant leurs mains à
quelques centimètres de son corps, en le « scannant ». Pendant la Première Guerre mondiale, dans
les tranchées, des soldats indiens étaient spécialisés dans la recherche d’eau. Ils détectaient avec
précision la présence de nappes souterraines grâce aux vibrations ressenties dans leur corps.

Thérèse de Lisieux (1873 -1897), qui, conformément à sa volonté, « passe son ciel à faire du bien sur la terre. »3

L’odorat spirituel, quant à lui, est également assez courant. Sainte Thérèse de Lisieux s’est
manifestée des milliers de fois avant ou pendant un miracle par un parfum de roses caractéristique. Il
n’est pas rare de le ressentir en arrivant au Carmel où se trouvent ses reliques. Quelques-uns de ses
innombrables miracles sont cités dans le livre « Les miracles de Sainte-Thérèse » ou sur le site web
du Carmel de Lisieux. Entre 1907 et 1926, la publication « Pluie de Roses » a présenté plus de 3200
témoignages de grâces et de guérisons attribuées à la sainte normande. La présence de Bernadette
Soubirous se caractérise par un parfum qui est un mélange de lys et d’encens, un parfum
enveloppant. On le sent parfois près de sa châsse, mais pas seulement. Une personne de confiance,
qui a passé un week-end à l’espace Bernadette à Nevers, m’a raconté que, le jour de son départ, le
parfum de la sainte l’a suivi pendant dix minutes de l’église où repose désormais son corps jusqu’à
la gare.

On trouve moins d’exemples du goût spirituel. Certains éveillés qui ont rencontré Jésus
affirment avoir reçu des nourritures qui ne sont pas de ce monde, au goût qu’ils n’avaient jamais
connu sur terre.

Logion 20 : Faire le nécessaire pour rencontrer Dieu


Les disciples demandèrent à Jésus à quoi le Royaume des Cieux est comparable. Il leur

1 Image : Nièvre tourisme


2 On sent sa présence par exemple à gauche en entrant dans la basilique, près de sa statue.
3 Image libre de droits, car photographie datant de plus de 70 ans.

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répondit : « Il est comparable à une graine de moutarde. Celle-ci est la plus petite parmi toutes les
semences, mais, lorsqu’elle tombe sur une terre travaillée, elle produit une grande plante et devient
un abri pour les oiseaux. »

« L’Âtman qui est en moi, résidant dans le lotus de mon cœur, est plus petit qu’un grain de riz ou
qu’un grain d’orge, et encore plus petit qu’une graine de moutarde ou que le germe d’un grain de
millet. Et pourtant, cet Âtman qui est en moi est plus grand que cette terre, plus vaste que l’espace
intermédiaire, plus vaste que l’espace céleste, et même bien plus grand que tous ces mondes. »
(Chandogya Upanishad)

L’expression « le Royaume des Cieux » dans la bouche des disciples fait référence à la vision
juive du salut céleste. Dans les Canoniques, cette expression se retrouve uniquement dans l’Évangile
selon Matthieu. Jésus l’emploie une seule fois dans l’EsT, probablement pour se mettre au niveau de
ses auditeurs.
On retrouve cette parabole de la graine de moutarde, ou de sénevé, sous une forme voisine dans
les Synoptiques. Jésus nous présente le Royaume comme à peine perceptible, à l’image de cette
graine minuscule. Sur le chemin spirituel, il y a une période de gestation, à l’instar des graines
ensemencées, mais, si notre terrain est fertile, notre croissance spirituelle est exponentielle à l’instar
de « la grande branche »1, nous trouvons un refuge en nous, et nous devenons, à notre tour, un
« abri » pour les autres. Comme déjà vu dans la synthèse, l’émergence du Royaume n’est pas une
manifestation spectaculaire, mais elle se caractérise par la paix, le silence, la conscience au-delà du
mental, et l’inspiration. Une fois que l’on a intégré la non-dualité, il se produit un déclic et les
choses s’accélèrent. Nombreux sont les témoignages dans ce sens. Mais tout cela n’est possible que
si « notre terre est travaillée », c’est-à-dire si nous avons effectué un travail sur nous et si nous
sommes dans l’ouverture. Notre Guide revient là-dessus tout au long de l’EsT.
De son côté, l’Évangile selon Marc nous dit que « le Royaume de Dieu est comme une graine de
sénevé, la plus petite de toutes les semences qui, une fois semée, monte et devient la plus grande de
toutes les plantes potagères avec de grandes branches, au point que les oiseaux peuvent s’abriter
sous son ombre. »2 Dans l’Évangile selon Marc, contrairement à l’EsT, il n’est pas nécessaire de
travailler son terrain intérieur, le sénevé (autre nom de la moutarde), poussant sans effort préalable
de la personne. Pour Marc, le travail est achevé une fois la graine divine introduite dans la personne.
On note là encore une différence fondamentale dans la compréhension du message de Jésus entre les
auteurs des Canoniques et Thomas.3

Logion 21 : Être humble, vigilant, et disponible


Ce logion donnant des conseils pratiques est la concaténation de trois paroles de Jésus, d’où ma
division en logia 21a, 21b et 21c.

Logion 21a : Mariam4 demanda à Jésus à quoi ses disciples ressemblent. Il lui répondit : « Ils
ressemblent à des petits enfants installés dans un champ qui ne leur appartient pas. Quand viendra le
propriétaire, ce dernier leur dira : ‘‘ Rendez-moi-le ! ’‘ Alors les enfants se mettront à nu devant le
propriétaire, et ils lui laisseront son champ ».
Logion 21b : « Si le maître de maison sait que le voleur va venir, il veillera avant qu’il n’arrive et il
ne le laissera pas percer un trou dans la demeure5 de son Royaume pour en emporter les biens. Vous
aussi, soyez vigilants par rapport au monde ! Rassemblez toutes vos forces, de peur que les pillards

1 L’image de la « grande branche » rappelle la progression spirituelle exponentielle déjà mentionnée : « Les graines produisirent
soixante mesures pour une mesure, et jusqu’à cent vingt mesures. » (Logion 9)
2 Marc 4.30-32
3 Le Jesus Seminar a considéré que la version de Thomas était la plus proche de la parabole originale.
4 Marie-Madeleine
5 Autre traduction possible : le siège, le palais, le cœur de son Royaume

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ne trouvent un chemin pour arriver jusqu’à vous, car le profit que vous espérez (du Royaume), ils le
raviront ».
Logion 21c : « Qu’il y ait à l’intérieur de vous-même un homme averti ! Le fruit étant mûr, cet
homme vient sans attendre, la faucille à la main, et il récolte. Que celui qui a des oreilles pour
entendre entende ! »

« Personne n’est propriétaire de rien. On n’est même pas propriétaire de ses vêtements. Tout nous a
été prêté ». (Maître Philippe de Lyon)

Logion 21a : Mariam demanda à Jésus à quoi ses disciples ressemblent. Il lui répondit : « Ils
ressemblent à des petits enfants installés dans un champ qui ne leur appartient pas. Quand viendra le
propriétaire, ce dernier leur dira : ‘‘ Rendez-moi-le ! ’‘ Alors les enfants se mettront à nu devant le
propriétaire, et ils lui laisseront son champ ».

Mariam, ici, c’est Marie-Madeleine, qui est très présente dans les textes gnostiques retrouvés en
Égypte, un évangile lui étant même attribué.1 Dans le « Dialogue du Sauveur »2, elle est même une
des trois disciples, avec Judas et Matthieu, à recevoir des enseignements privés de la part de Jésus.
Marie de Magdala est présentée dans le Nouveau Testament (NT) comme une disciple de Jésus,
qui l’aurait suivi jusqu’à ses derniers instants, et aurait été le premier témoin de sa résurrection. Pour
cela, l’exégète Hippolyte de Rome (c. 170-235) la désignait comme « l’Apôtre des Apôtres ». Elle
est citée une douzaine de fois dans les évangiles canoniques,3 plus que la plupart des apôtres. Le
reste est encore plus hypothétique : la compagne de Jésus ? Une pécheresse repentie ? En tout cas,
Mariam était une figure emblématique pour la communauté qui s’inspirait de l’EsT.4 Selon le
Dialogue du Sauveur, elle aurait eu accès au Tout. Pour cette raison, et à cause de son sexe, il
semble y avoir eu une certaine jalousie de la part de certains apôtres, dont Pierre, envers elle.
Les textes retrouvés à Nag Hammadi contiennent plusieurs dialogues qu’elle aurait eus avec
Jésus. Ici, suite à sa question concernant la caractéristique des disciples, il précise qu’il ne faut pas
s’attacher à nos biens terrestres, à l’image des petits enfants qui abandonnent le champ à son
propriétaire. Il convient de bien prendre conscience que nous ne sommes que des locataires sur terre,
tout appartenant à Dieu. Par contre, dans le logion suivant, notre enseignant nous dit qu’il ne faut
surtout pas se laisser dépouiller de l’essentiel. Certains commentateurs bibliques ont interprété ce
genre de paroles de Jésus comme une exhortation à être « tout petits », effacés et obéissants devant
la figure de Dieu et ses représentants sur terre. Ce n’est pas du tout ce qui est signifié dans l’EsT par
notre Guide. Il ne nous infantilise pas, au contraire il nous encourage à prendre notre destin en
main.5
Ce dialogue peut être interprété d’une autre manière. On retrouve de nouveau ici l’image du
« champ » comme la représentation de notre « coupe » intérieure.6 Les « maîtres du champ »
peuvent être compris comme étant Dieu et Jésus. Ce dernier nous recommande de leur laisser la
place à l’image des petits enfants du logion, afin qu’ils vivent en nous. C’est une notion capitale à
comprendre sur cette voie spirituelle, même si ce n’est pas quelque chose que l’on met en œuvre en
première province ! Il faut savoir également se « mettre à nu » devant Dieu, car, comme vu
précédemment, « tout est dévoilé à Lui. »7 Il est inutile de lui mentir, ni de se mentir d’ailleurs.

1 L’évangile de Mariam, aussi appelée Marie-Madeleine, a été découvert en Égypte en 1896. Ce manuscrit est conservé au Musée
National de Berlin.
2 Voir « Les Manuscrits de Nag Hammadi Tome I » du Pr. James M. Robinson (Le jardin des livres 2008)
3 Dans certains passages, il est difficile de savoir de quelle Marie parlent dans les canoniques.
4 cf. l’Évangile selon Marie-Madeleine, le dialogue du sauveur, et la Pistis Sophia.
5 cf. logion 2
6 L’image du champ a déjà été utilisée dans la parabole du semeur au logion 9 et dans le logion précédent.
7 Logion 6

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Logion 21b : « Si le maître de maison sait que le voleur va venir, il veillera avant qu’il n’arrive et il
ne le laissera pas percer un trou dans la demeure de son Royaume pour en emporter les biens. Vous
aussi, soyez vigilants par rapport au monde ! Rassemblez toutes vos forces, de peur que les pillards
ne trouvent un chemin pour arriver jusqu’à vous, car le profit que vous espérez (du Royaume), ils le
raviront ».

« Si les habitants d’une maison sont éveillés, les voleurs ne peuvent rentrer. » (Râmakhrisna)
« La vigilance est le sentier vers la vie, la négligence est le sentier vers la mort. » (Dhammapada)

Au niveau extérieur, Jésus nous prévient ici qu’il faut protéger « nos biens » les plus chers, nos
acquis spirituels, par la vigilance de tous les instants. Le « voleur », représente la dispersion qui nous
empêche d’avancer sur le chemin, à l’image des futilités, qui nous « volent » notre réalisation de vie.
C’est pourquoi Jésus nous conseille d’être « vigilants à l’égard du monde ».
Dans ce logion, il y a un seul « voleur » alors qu’au logion 103, il y en a plusieurs. Au niveau
intérieur, ce pillard représente le mental. Il se manifeste sous la forme des assauts incessants des
pensées et des désirs. Jésus nous assure que ces derniers viendront forcément. Il nous donne un
début de solution pour y remédier, « rassembler toutes nos forces », c’est-à-dire canaliser notre
esprit, mais aussi toutes nos facultés, afin de nous concentrer sur l’essentiel, notre quête. Il nous
encourage à la vigilance dans ce domaine. Karlfried Graf Durkheim, philosophe allemand imprégné
de la culture Zen, quant à lui, disait que « la vigilance est la vertu principale sur le chemin
intérieur ». Ne nous endormons donc pas sur nos acquis, et refusons le sommeil spirituel !
St Paul avait tendance à voir les ennemis à l’extérieur, dans les communautés aux idées
divergentes des siennes, et le philosophe Jean-Paul Sartre disait que « l’enfer c’est les autres », mais,
selon l’EsT, nous sommes notre propre ennemi et c’est à travers nos propres faiblesses que nous
devenons vulnérables et que nous laissons « notre demeure être pillée ». Nous blâmons les autres
alors que nous sommes les seuls responsables de notre destinée.

Logion 21c : « Qu’il y ait à l’intérieur de vous-même un homme averti ! Le fruit étant mûr, cet
homme vient sans attendre, la faucille à la main, et il récolte. Que celui qui a des oreilles pour
entendre entende ! »

« Un homme alla voir une représentation théâtrale. Il avait emporté une couverture. Lorsqu’il arriva,
la pièce n’était pas encore commencée. Il étendit sa couverture, se coucha, et s’endormit. Quand il se
réveilla, la pièce était terminée. Alors il roula sa couverture et s’en retourna chez lui. »
(Râmakhrisna)

Jésus nous demande d’être aux aguets afin de saisir les opportunités quand elles se présentent.
Et quelle meilleure opportunité que celle d’explorer notre Royaume Intérieur ? Les Canoniques
contiennent ce parallèle : « Vous aussi, tenez-vous prêts, car c’est au moment que vous n’imaginez
pas que le Fils de l’Homme va venir. »1 Les Canoniques conseillent d’être sur le qui-vive par rapport
au retour de Jésus alors que l’EsT conseille de ne pas laisser passer la chance du Royaume de notre
vivant. Par rapport aux promesses de Jésus, soyons comme « l’homme avisé qui est venu sans
attendre, la faucille à la main et qui a récolté le fruit mûr ! »

Logion 22 : Où la nature de l’unité nous est précisée


Ce logion clé peut être séparé en deux parties, la liaison entre les deux étant assurée par la
répétition du mot « petits ». S’il n’y avait qu’un logion à retenir en première province, ce serait bien

1 Matthieu 24.44
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celui-là !

Logion 22a : Voyant des petits qui tétaient, Jésus dit à ses disciples : « Ces petits sont
semblables à ceux qui entrent dans le Royaume ».
Logion 22b : Ils lui demandèrent : « Alors est-ce en étant petits que nous entrerons dans le
Royaume ? » Jésus leur répondit : « Si de deux vous faites un, si vous rendez le dedans comme le
dehors, le dehors comme le dedans, si vous faites le haut comme le bas, et de l’homme et de la
femme un seul être, si bien que l’homme ne soit plus homme et que la femme ne soit plus femme, si
vous remplacez vos yeux par d’autres, vos mains par d’autres, vos pieds par d’autres, et une image
par une autre, alors vous entrerez dans le Royaume ».

« La vision ordinaire n’est pas une vision. La vision réelle est celle où il n’y a plus ‘‘ celui qui voit ’‘
et ‘‘ ce qui est vu ’‘. Elle ne dépend pas de l’œil, si ce n’est l’œil de la sagesse. Dans la vision qui se
passe de l’œil, il n’y a plus de place pour la division. » (Mâ Ananda Moyî)

Logion 22a : « Voyant des petits qui tétaient, Jésus dit à ses disciples : ‘‘ Ces petits sont semblables
à ceux qui entrent dans le Royaume ’‘ ».

Notre enseignant utilise à nouveau l’image des petits enfants.1 Pour faire émerger notre
Royaume, soyons insouciants comme eux ! Ceux-ci ne sont pas dans la dualité, n’ayant pas
conscience de leur existence. Cela ne signifie pas tomber dans l’infantilisme, mais juste nous laisser
aller comme des nouveau-nés, nous abandonner. Et, comme ces derniers, de nous confondre avec
notre source de vie. Les Canoniques contiennent des paroles voisines : « Laissez venir à moi les
petits enfants, car le Royaume de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent. »2 À l’image de ces
nourrissons inséparables de leurs mères, prenons conscience de notre relation étroite au Divin.

Logion 22b : Ils lui demandèrent : « Alors est-ce en étant petits que nous entrerons dans le
Royaume ? » Jésus leur répondit : « Si de deux vous faites un, si vous rendez le dedans comme le
dehors, le dehors comme le dedans, si vous faites le haut comme le bas, et de l’homme et de la
femme un seul être, si bien que l’homme ne soit plus homme et que la femme ne soit plus femme, si
vous remplacez vos yeux par d’autres, vos mains par d’autres, vos pieds par d’autres, et une image
par une autre, alors vous entrerez dans le Royaume ».3

« Tu dois regarder le monde avec les yeux de Notre Seigneur ». (Thérèse de Lisieux)
« Pour recevoir l’illumination divine, Il faut d’abord devenir aussi simple qu’un enfant. »
(Râmakhrisna)

Jésus nous donne ici sa définition de la non-dualité. Il nous a déjà dit, au début de l’EsT, qu’il ne
fallait pas être dans la dualité homme/Divin.4 Il revient rapidement là-dessus ici, et il ajoute de
nouveaux éléments à prendre en compte.
« Rendre le dedans comme le dehors » c’est avoir une vie intérieure et une vie extérieure en
harmonie. Il ne sert à rien de faire des « bonnes œuvres » si nous ne sommes pas sincères au fond de
nous-même. En outre, l’état de notre Royaume Intérieur se projette à l’extérieur de nous, par
exemple dans nos paroles et nos actes. Une fois que notre Royaume Intérieur est rempli de lumière,
le monde change autour de nous. De même, notre perception de ce qui nous entoure, de la réalité,
change. Comme l’écrit le conférencier indien réputé Swami Chinmayananda, « le sage ignore ce qui
est l’intérieur et ce qui est extérieur, car ces deux concepts n’existent qu’en fonction du corps ».

1 Il a déjà employé cette image au logion 4a.


2 Matthieu 19.14
3 On en trouve un parallèle proche dans 2 Clément 12.2 (130-160 après J.-C.)
4 Au troisième logion notamment.

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« Faire le haut comme le bas » a plusieurs interprétations possibles. La première est qu’il n’y a
pas de différence entre le Divin (le « haut ») et les hommes (« le bas »), selon la correspondance
entre le macrocosme et le microcosme. On pense à la célèbre formule attribuée à Hermès
Trismégiste1 : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce
qui est en bas. »2 Le « haut » peut être aussi compris comme ce qui est immatériel et le « bas »
comme ce qui est matériel. Dans ce cas, il nous est demandé ici de bien faire les choses simples
comme les choses spirituelles plus élevées. On peut voir dans ce verset une allusion au vœu de Jésus
mentionné dans les Canoniques : « réaliser le Ciel sur la terre ». Au niveau énergétique, notre Guide
nous demande d’être à la fois bien enraciné et d’avoir notre chakra coronal grand ouvert.
« Faire de l’homme et de la femme un seul être, si bien que l’homme ne soit plus homme et que
la femme ne soit plus femme » veut dire aller au-delà de la dualité entre les sexes. Merci de bien
vouloir vous reporter au chapitre « Dépasser nos côtés masculin et féminin » où j’ai déjà traité ce
sujet.
« Remplacer nos yeux par d’autres », de nous jours on dirait plutôt : « voir les choses d’un œil
neuf » signifie ouvrir nos « yeux de l’esprit » évoqués par Me Philippe : « Il n’y a que celui dont les
yeux de l’esprit sont ouverts qui voit les choses telles qu’elles sont » ou bien par Platon : « Les yeux
de l’esprit ne commencent à être perçants que quand ceux du corps commencent à baisser. » Cela
signifie avoir une vision « spirituelle » de l’existence, et considérer ce qui nous entoure avec un
filtre divin.
« Remplacer nos pieds par d’autres pieds », c’est avoir les pieds solides, être bien ancré. C’est
aussi avancer d’un pas confiant, ferme et résolu sur le chemin spirituel. Cela peut signifier aussi un
changement de direction dans la vie, aller vers ce qui est permanent, plutôt que vers ce qui est
périssable.
« Remplacer nos mains par d’autres », dans la logique du message de l’EsT, c’est avoir une
main gouvernée par notre cœur et non pas par l’égoïsme et tendre la main aux autres.
« Remplacer une image par une autre » signifie renouveler notre perception du monde, notre
référentiel, et éviter les aprioris, les stéréotypes, les jugements et les conditionnements. Mais c’est
aussi changer l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, nous voir comme des êtres divins, et
non pas comme des êtres séparés du Tout.

En résumé, ce logion nous incite à abolir les dualités homme/Divin, extérieur/intérieur,


supérieur/inférieur, et masculin/féminin. L’Évangile selon Jean va dans le même sens, mentionnant
que Jésus « prie pour ceux qui croiront en lui, afin que tous soient un. »3

Logion 23 : L’unité est le but à atteindre


Logion 23a : Jésus a dit : « Je vous choisirai un sur mille et deux sur dix mille ».
Logion 23b : Ceux-ci ne formeront qu’un seul être.

« Étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie ». (Évangile selon Matthieu 7.14)
« Le nombre d’hommes capables d’arriver à la sagesse divine est très limité. C’est pourquoi la
Bhagavad Gîtâ dit : ‘‘ dans un millier d’hommes, il ne s’en trouvera peut-être qu’un seul pour
aspirer à la perfection ». (Râmakhrisna)

On peut noter tout d’abord le parallèle étonnant entre la Bhagavad Gîtâ citée par Râmakhrisna
ci-dessus et les paroles de notre Guide. Cette épopée, écrite plusieurs siècles avant la naissance de
Jésus, qui renferme des leçons de vie, est l’un des textes essentiels de l’Hindouisme. Le Nazaréen y

1 Hermès Trismégiste est un personnage mythique de l’Antiquité gréco-égyptienne auquel ont été attribués des textes comme le
« Corpus Hermeticum » ou la « Table d’émeraude ». Ces écrits ont influencé les Hermétistes et les Alchimistes.
2 « La Table d’Émeraude »
3 Jean 17.20-21

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aurait-il eu accès ?

Logion 23a : Jésus a dit : « Je vous choisirai un sur mille et deux sur dix mille ».

Cette déclaration pourrait faire penser à un tri entre les bons et les mauvais le jour du jugement
dernier, à une élection au Paradis, voire à une initiation dans une secte. Mais il n’en est rien ici,
Jésus nous indiquant juste que c’est lui qui sélectionne ceux qui sont prêts et qui leur ouvre la porte.
Cette Voie est « la porte étroite » comme dirait le romancier André Gide. Ou, formulé autrement
dans les Canoniques : « il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ».1 La voie que notre Guide nous
propose nécessite une grande détermination de notre part, un réel investissement, et une grande
persévérance. Bien entendu, si l’on suit d’autres voies, il y a d’autres « portiers ». Un parallèle à ce
logion se trouve dans la « Pistis Sophia »2.

Logion 23b : « Ceux que j’ai choisis3 ne formeront qu’un seul être ».

Jésus continue ici à dévoiler la Gnose pour les débutants. Après avoir décrit l’unité au logion
22b, notre Guide aborde ici l’intérêt de la réaliser. En effet, il choisit uniquement les personnes « qui
ne forment qu’un seul être », c’est-à-dire qui sont d’une seule pièce et qui ont réalisé la non-dualité.
À ce stade de l’EsT on n’en est qu’à la première province, mais Jésus nous montre déjà le but à
atteindre.
Dans les Canoniques, Dieu est présenté, certes comme miséricordieux, mais lointain et hors de
portée. Au contraire, selon l’EsT, on peut Le trouver en nous et fusionner avec Lui. Comme un
nuage n’est pas séparé du ciel, nous faisons partie intégrante du Tout, nous sommes liés à lui. Il est
important de méditer sur ce point et de l’intégrer dès la première province, car il est à la base de
l’enseignement de Jésus.

Logion 24 : La localisation du Royaume


Ses disciples lui demandèrent : « Renseigne-nous sur le lieu où tu te trouves, puisqu’il nous est
nécessaire de le chercher ». Il leur répondit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! Il
y a de la lumière à l’intérieur d’un être lumineux, et celui-ci illumine forcément le monde entier.
Mais si une personne n’émet pas de lumière, alors elle n’est que ténèbres (spirituelles). »

Jésus nous explique ici vers quoi nous devons tendre, vers où tourner notre regard et nous donne
un conseil dans le choix d’un éventuel guide. Comme dans un logion précédent,4 les disciples
veulent à tout prix localiser le Royaume de Dieu. Ils l’imaginent certainement « là-haut », dans « le
Ciel ». Mais ils font fausse route, c’est pourquoi Jésus utilise l’expression insistante « que celui qui a
des oreilles pour entendre entende » au début de sa réponse, et non pas à la fin comme dans les
quatre autres occurrences. On peut en supposer de l’emploi de cette formule qu’il se désole de voir
ses disciples rechercher des réponses en dehors d’eux.
Il utilise la métaphore de « la lumière à l’intérieur d’un être lumineux » pour représenter le
Royaume Intérieur rayonnant d’un être abouti et pour indiquer à ses disciples, et ici aux personnes
en première province, là où ils doivent chercher.
Le Royaume n’a pas d’adresse, il est immatériel et invisible, mais, en même temps, il est ici et
maintenant. Il est partout, en nous et autour de nous.5 Il peut être vu comme un état de conscience.
Selon notre Guide, le moyen de le localiser c’est tout simplement de chercher la « lumière » divine
qui se trouve en nous. Malheureusement, chez beaucoup de gens celle-ci est tamisée….

1 Matthieu 22.14
2 « Je vous le dis, on en trouvera un sur mille, deux sur dix mille... »
3 Les termes « choisis » ou « élus » plus loin ne sous-entendent pas de prédestination.
4 Logion 20
5 Souvenons-nous du troisième logion.

31
La fin de ce logion peut aussi se résumer par ce chiasme1 : « L’Homme de lumière donne de la
lumière aux Hommes ». C’est pourquoi, dans le NT, Jésus dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière
du monde. » 2 Un homme éclairé (ou un vrai guide si l’on en cherche un) se remarque, « il illumine
forcément le monde entier ». Mais, tant que la personne n’a pas fait émerger son Royaume Intérieur,
elle ne dégage rien, elle se trouve dans les « ténèbres », dans la « pauvreté » spirituelle dont parlait
le troisième logion.

Logion 25 : Aimer son prochain comme soi-même


Jésus a dit : « Aime ton frère comme ton âme, veille sur lui comme sur la prunelle de ton œil. »3

« La connaissance, c’est l’expérience que fait l’homme de l’unité qui unit tous les hommes. »
(Maître Eckhart)
« Tout ce que l’on donne à autrui, on se le donne à soi-même. Sachant que telle est la vérité,
comment peut-on encore refuser quoi que ce soit à son prochain ? » (Ramana Maharshi)

La première province se limite à quelques fondamentaux, et l’amour du prochain en fait partie.


Cependant, cet évangile y fait peu référence directement, comme si cela allait de soi. Les termes de
« lumière » et de « feu », utilisés çà et là, peuvent cependant se confondre avec l’amour. À partir du
moment où nous avons réalisé que notre prochain et nous-même ne formons qu’une seule entité, que
nous faisons partie d’un Tout, alors notre regard sur les autres change forcément. Mais avant de
vouloir aimer et aider les autres, il faut déjà commencer par s’aimer soi-même ! Comme tous les
hommes ne font qu’un, il faut bien comprendre que ne pas aimer notre semblable c’est ne pas nous
aimer nous-même et, à plus forte raison, faire du mal à notre prochain, c’est en faire à nous-même.
L’évolution spirituelle d’une personne se mesure à l’augmentation de son amour pour les autres,
c’en est assurément le meilleur baromètre, et c’est en ce sens que ce logion doit être compris. Maître
Philippe de Lyon, que j’ai déjà mentionné, insistait beaucoup sur l’amour du prochain lors de ses
séances de guérison en groupe. Par exemple il disait : « Nul n’aime Dieu s’il n’aime son prochain. Si
quelqu’un vient vous demander une paire de souliers, quelque apparence qu’il ait, donnez-la-lui,
donnez-lui aussi un chapeau, une veste et un pantalon, car c’est peut-être Dieu Lui-même », ou bien
encore : « Vous devez être une Providence pour tous ceux qui viennent à vous. »4
L’idée véhiculée par cette parole de Jésus se retrouve aussi dans les Canoniques : « Tu aimeras
ton prochain comme toi-même »5, cependant, la vision de notre évangile est différente de celle de
l’Ancien Testament, selon lequel il s’agit d’un commandement divin. Selon l’EsT, c’est la Gnose
qui nous ouvre à l’amour du prochain.

Logion 26 : Éviter les jugements


Jésus a dit : « Tu remarques la paille qui est dans l’œil de ton frère, mais la poutre qui est dans
ton œil, tu ne la vois pas. Lorsque tu auras rejeté la poutre de ton œil, alors tu y verras plus clair pour
rejeter celle de l’œil de ton frère ».

« Je ne vois pas d’autre issue que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et
anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. » (Etty Hillesum « Une vie
bouleversée »)

1 Un chiasme est une figure de style consistant à inverser l’ordre des termes dans les parties symétriques d’une phrase de manière à
former un parallèle ou une antithèse. Exemple : « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger ».
2 Matthieu 5.14
3 Cf. le Lévitique 19.18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
4 Paroles extraites de sa biographie par Alfred Haehl : « Vie et paroles du Maître Philippe » (Dervy 1995)
5 Matthieu 22.39

32
De nouveau, voici une remarque que nous retrouvons sous une forme voisine dans les
Canoniques.1 Ce logion et le précédent parlent de notre regard sur les autres et contiennent le mot de
liaison « œil ». Cela montre, encore une fois, que l’EsT n’est pas une simple collection de logia sans
ordre précis, comme décrété par ses premiers exégètes, mais qu’il y a bien une logique dans leur
agencement.
La « poutre dans notre œil », n’est autre que la manifestation de notre égo et de notre orgueil,
qui nous fait nous sentir à la fois différents des autres et supérieurs à eux. Mais cette vision est
erronée, car nous sommes tous issus de la même Source, et donc tous frères, chacun avançant à son
rythme. La Sagesse millénaire indienne précise : « Tous les objets et créatures sont en nous, et nous
sommes en partie à l’intérieur de tous les objets et créatures. »2 Celui qui fait « du deux UN » ne voit
plus les choses de la même manière. Toutes ces raisons font que Jésus nous demande de ne pas être
dans le jugement. De plus, il est important de ne faire aucune supposition par rapport aux autres.
Comme nous n’avons pas forcément tous les éléments pour juger, il vaut mieux éviter d’interpréter
leur attitude et leur comportement.
En outre, chez les autres nous trouvons souvent des représentations de nous-mêmes que nous
n’aimons pas. Ils agissent comme des révélateurs. Il convient de travailler sur nos propres défauts
avant d’en accuser les autres.

Ce logion est le dernier de cette première province et, à ce titre, son récapitulatif et la transition
vers la province suivante. On peut apprécier nos progrès par la diminution des jugements que l’on
porte sur les autres et celle-ci est un sésame vers l’étape suivante.

1 Matthieu 7.1-5 et Luc 6.41-42


2 Jabala Darshana Upanishad
33
Deuxième province : Le début de l’intériorisation

La deuxième province est caractérisée par un début de mise en pratique des enseignements de
Jésus, en particulier de l’intériorisation. Dès le logion qui suit, Jésus nous recommande ainsi de nous
ménager des plages de calme pour pouvoir méditer régulièrement. Des doutes pouvant survenir dans
cette province, notre Guide nous prodigue des conseils pour aller de l’avant.

Logion 27 : Pratiquer le recueillement


Jésus a dit : « Si vous ne jeûnez pas du monde, vous ne trouverez pas le Royaume. Si vous
n’observez pas le Shabbat comme il devrait l’être, vous ne verrez pas le Père ».1

« Le Fils de l’Homme est maître du Shabbat. » (EsMat 12.8)

Premier verset : « Si vous ne jeûnez pas du monde, vous ne trouverez pas le Royaume. »
Au niveau extérieur, cela signifie prendre du recul par rapport au « monde » et ses sirènes,
cultiver un certain détachement vis-à-vis de lui. Cela ne signifie pas forcément aller vivre dans un
monastère loin de tout, le message global de l’EsT s’opposant à ces solutions extrêmes, mais plutôt
refuser les valeurs fallacieuses de la société actuelle. Celles-ci sont véhiculées par exemple par la
publicité, les journaux télévisés sombrant dans le catastrophisme, ou bien encore par les émissions
de télé-réalité. Il est nécessaire d’être vigilant par rapport à ce qui nous entoure afin de ne pas nous
laisser détourner de la Voie.
Au niveau intérieur, il faut savoir « jeûner du monde », c’est-à-dire s’isoler pour trouver Dieu en
nous, c’est une condition sine qua non de la progression spirituelle. Des pratiques d’intériorisation
ont été introduites dans la synthèse.

Deuxième verset : « Si vous n’observez pas le Shabbat comme il devrait l’être, vous ne verrez pas le
Père ».
On peut comprendre ici que le concept initial de Shabbat2 a été détourné au fil des générations,
et, qu’à l’époque de Jésus, il était devenu, pour certains Juifs, l’observation obligatoire d’un rite
établi plutôt qu’un moment de recueillement. Au contraire, Jésus nous dit qu’il faut « observer le
Shabbat comme le Shabbat devrait l’être », c’est-à-dire revenir à ses fondamentaux et profiter de ce
moment pour nous recentrer, réduire nos activités extérieures, et bien sûr être avec Dieu. En lien
avec le premier verset, cela doit être un moment de calme, favorable à l’intériorisation. Le Shabbat
ne doit pas être une démonstration extérieure de foi ou de vertu ni une célébration pour se donner
bonne conscience à l’instar des Pharisiens. Jésus nous a déjà dit qu’il n’y a pas d’obligation à faire
ce que nous n’aimons pas, car « tout est connu de Dieu. »3 D’ailleurs Jésus passait outre le Shabbat
en tant que règle. Ainsi il a guéri un paralysé à Bethesda pendant cette période4. Le vrai Shabbat, qui
permet d’être seul avec Dieu et soi-même, ne passe pas par des prescriptions contraignantes. Et l’on
n’a pas besoin d’être juif pour l’observer !
Au niveau intérieur, dans l’image du Shabbat on retrouve l’idée de couvre-feu des sens. Il y a,
dans ce logion, une allusion à la nécessité de faire le silence en soi. D’ailleurs, le Shabbat véritable,
le recueillement, ne devrait pas se limiter pas à un rite hebdomadaire, mais devrait être une
disposition permanente.

1 « Voir » Dieu dans les écrits chrétiens signifie le rencontrer plutôt que littéralement le voir.
2 Le Shabbat est le jour de repos hebdomadaire dans le Judaïsme, du vendredi soir au samedi soir. Il est consacré à Dieu, en souvenir
de la création.
3 Logion 6
4 Jean 5.2-9

34
Les propos suivants d’Etty Hillesum résument bien ces deux versets : « Être à l’écoute de soi-
même. Se laisser guider non plus par les inclinations du monde extérieur, mais par une urgence
intérieure. Il faut s’affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations convenues. »1

Logion 28 : Aller au-delà des apparences et ouvrir notre cœur


Jésus a dit : « Je me suis incarné parmi les hommes et je me suis manifesté à eux. Hélas, je les
ai tous trouvés ivres. Je n’ai trouvé personne parmi eux qui eût soif, et mon âme s’est attristée pour
eux, car ils sont aveugles dans leur cœur et ils ne voient pas. Car vides, ils sont venus au monde,
vides aussi ils s’évertuent à sortir du monde. Maintenant ils sont ivres, mais quand ils auront évacué
leur vin, alors ils se repentiront ! »

« Où courez-vous, hommes ivres ? Vous avez bu le vin de l’ignorance. » (Hermès Trismégiste)2


« Pour parler de ‘‘ toi ‘‘ et de ‘‘ moi ’‘, il faut vraiment que l’homme, enivré par le vin de Mâyâ3, ait
perdu la raison ! » (Shankara)4

Voici un logion qui tourne autour du peu d’appétence de la plupart des hommes pour le Divin.
Même s’il n’a pas d’équivalent dans les Canoniques, ce logion est bien dans le style des paroles de
Jésus.

Premier verset : « Jésus a dit : « Je me suis incarné parmi les hommes et je me suis manifesté à
eux. »
Jusqu’au IVe siècle des controverses ont fait rage dans l’Église sur la nature de Jésus. On
comprend grâce à ce verset qu’il est bien un être divin qui s’est incarné, et non pas un être humain
ayant acquis une sagesse supérieure. Il est possible que ce verset ait aussi un deuxième sens plus
ésotérique, montrant sa présence à l’intérieur de nous, « dans notre chair ».

Second et troisièmes versets : « Hélas, je les ai tous trouvés ivres. Je n’ai trouvé personne parmi eux
qui eût soif, et mon âme s’est attristée pour eux. »
Au grand regret de Jésus, ce n’est pas le fait de boire ses paroles qui a étanché la soif de la
plupart des hommes, mais c’est le « vin » du « monde » qui les a rendus étourdis. Ceux-ci sont
comme ces « bateaux ivres » qui se laissent porter au gré des courants, ne prenant pas leur vie en
main. Ils ressemblent à ces hommes saouls, ayant bu le « vin de Mâyâ »5 dont parle Shankara, et qui
ont un voile sur les yeux. Le Nazaréen souhaite nous abreuver grâce à sa source vivifiante. Il
ressemble à une oasis au milieu d’un désert que les caravaniers assoiffés n’auraient pas repéré….

Quatrièmes et cinquièmes versets : « Ils sont aveugles dans leur cœur et ils ne voient pas ».
Les hommes dont il est question ici ressemblent aux prisonniers de la caverne de Platon. Ils
n’ont pas compris que c’est grâce à notre cœur et à notre ouverture de conscience, et non pas grâce à
nos yeux que nous pouvons distinguer la réalité. La cécité que Jésus évoque, résultat de la Mâyâ, est
à mettre en contraste avec l’ouverture à la « lumière » des êtres spirituels. Voici ce que nous dit
l’Évangile selon Philippe à ce sujet : « pour le moment,6 nous pouvons voir les manifestations de la
création. Nous avons coutume de dire qu’elles sont fortes et estimables, alors que ce qui est caché
serait faible et méprisable. Voici ce qui en est de ces manifestations en vérité : elles sont faibles et
méprisables, mais c’est ce qui est caché qui est fort et estimable. »7 Autrement dit notre hiérarchie
des valeurs n’est pas la bonne, « ce qui est caché » (le Divin) surpasse sans conteste les valeurs

1 Hillesum Etty « Une vie bouleversée » (Seuil 1995)


2 Hermès Trismégiste est un personnage mythique de l’Antiquité gréco-égyptienne auquel ont été attribués des textes comme le
« Corpus Hermeticum » ou la « Table d’émeraude ». Ces écrits ont influencé les Hermétistes et les Alchimistes.
3 La Mâyâ, pour les Hindous, est un voile qui empêche de voir la Réalité.
4 Shankara Shrî « Le plus beau Fleuron de la Discrimination » (Librairie Maisonneuve 1998)
5 Voir citation ci-dessus.
6 Sur terre
7 Évangile selon Philippe 124

35
terrestres.

Sixième verset : « Car vides, ils sont venus au monde, vides aussi ils s’évertuent à sortir du monde. »
« Vide » ici est à prendre au sens de vide de la Connaissance. Ces hommes représentent le
dénuement spirituel mentionné au troisième logion et les ténèbres. Ils ne tirent pas profit de le leur
incarnation.

Dernier verset : « Maintenant ils sont ivres, mais quand ils auront évacué leur vin, alors ils se
repentiront ! ».
Cette « ivresse » est provoquée par l’illusion concernant notre vraie nature. Ces personnes
pensent être uniquement des êtres de chair, posséder des choses (« ma » voiture, « ma » maison…),
et se voient séparées des autres. Quand ces hommes ivres des plaisirs terrestres mourront, ils se
repentiront ! En effet, une partie du voile se lève à ce moment-là, c’est ce que Jésus appelle
« évacuer son vin », et là nous revoyons notre vie et beaucoup réalisent qu’ils auraient pu mieux
utiliser leur temps sur terre. Pour ne pas avoir des regrets, comme ces hommes, il est préférable
d’avoir « soif » des paroles de Jésus.
Les logia 24, 25, 26 ainsi que celui-ci, utilisent des images en rapport avec la vision (la lumière,
la prunelle de notre œil, l’œil et la cécité) ; c’est pourquoi il me semble que ce logion aurait été
mieux placé en 27e position. Toujours est-il que ces quatre logia autour de ce thème illustrent des
axes de travail :
➢ rechercher la lumière à l’intérieur de nous.
➢ être dans l’amour du prochain.
➢ être dans le non-jugement.
➢ éviter l’aveuglement, aller au-delà des apparences.
➢ reconnaître la validité des paroles de Jésus.

On peut penser que les hommes dont Jésus parle ici n’ont cultivé aucune de ces vertus…

Logion 29 : Les rapports entre le corps et l’esprit


Jésus a dit : « Si la chair résulte de l’esprit, c’est une merveille ! Mais si c’est l’esprit qui est
advenu grâce au corps, c’est la plus grande des merveilles ! Mais l’on peut s’étonner du fait que
cette grande richesse habite dans cette pauvreté ».

« Votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu. » (St Paul
1 Corinthiens 6.19)
« Rends honneur à ton corps, il est un noble écrin où il faut conserver l’image de Dieu. » (Angelus
Silesius)

Il convient de replacer ce logion dans son cadre historique pour bien le comprendre. En effet,
des débats autour du rapport au corps ont agité les premières communautés chrétiennes, avec des
réponses très diverses. Ainsi, par exemple, s’est formé un courant très ascétique du Christianisme
primitif, l’Encratisme, dont les membres méprisaient la chair.1 D’après eux, l’âme, suite au péché
d’Adam et Ève, a chuté dans le monde terrestre, où la matière et la chair sont intrinsèquement
mauvaises. Pour empêcher que sa décadence dans le monde ne se perpétue, ils allaient jusqu’à
condamner toute relation sexuelle. De même, à cause de leur mépris de la chair, ils ne mangeaient
pas de viande. Ils ne buvaient pas non plus de vin, produit de la terre.
La dualité entre l’esprit et la chair est un principe de base de l’Évangile selon Jean : « ce qui est né de la
chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit »2 et, plus loin : « c’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert

1 Comme pour nombre de courants chrétiens des premiers siècles, on ne connaît les Encratites que par leurs détracteurs, comme Irénée
de Lyon.
2 Jean 3.6

36
de rien. »1 D’après Jean, le salut vient de l’extérieur, donc le corps ne joue aucun rôle et il est même
pénalisant. Le principal représentant du Néo-platonisme, Plotin, allait encore plus loin que Jean, car
pour lui « le corps est la prison de l’âme ». Au contraire, dans l’Évangile selon Philippe, Jésus préconise
une attitude neutre vis-à-vis du corps : ne l’aimer outre mesure ni le détester.

Premier verset : « Si la chair est advenue grâce à l’esprit, c’est une merveille ! »

Ce verset pourrait faire penser au prologue bien connu de l’Évangile selon Jean : « Et le Verbe
s’est fait chair »2 qui relate l’incarnation de notre enseignant. Celui-ci aurait été enfanté par l’Esprit-
Saint, qu’il appelle sa « Mère ». C’est assurément une merveille ! Au niveau personnel, ce verset
peut aussi être compris comme un encouragement à la maîtrise du corps par l’esprit, en particulier la
maîtrise des sens. Pour certains yogis, cette discipline constitue une voie spirituelle par elle-même.

Deuxième verset : « Si c’est l’esprit qui est advenu grâce au corps, c’est la plus grande des
merveilles ! »

« L’âme est un cristal et la divinité sa lumière. Le corps où tu vis est l’écrin de tous deux. »
(Angelus Silesius)3

La plus grande des merveilles cependant, selon Jésus, c’est que nous n’ayons pas besoin
d’attendre notre mort terrestre pour devenir des êtres spirituels. C’est une nouveauté apportée par
l’enseignement de l’EsT. Le corps rend possible notre élévation spirituelle, il en est le « véhicule ».
Râmakrishna ne disait pas autre chose : « ce n’est qu’un réceptacle, mais il sert de demeure à la
divine Mère. »4 Le corps vu comme une « merveille » représente le fait de pouvoir profiter de notre
existence charnelle pour nous élever.

Dernier verset : « Mais l’on peut s’étonner du fait que cette grande richesse habite dans cette
pauvreté. »

On peut être surpris par l’emploi par Jésus de deux termes apparemment contradictoires
« merveille » et « pauvreté » pour qualifier le corps. Notre enseignant aimait manier les paradoxes
pour nous interpeller. Le premier terme se réfère au corps qui permet à l’esprit de s’élever, au
réceptacle de notre étincelle divine, alors que la « pauvreté » c’est celle de l’Homme qui s’identifie à
son corps. Notre guide ne nous a-t-il pas déjà dit : « si vous ne connaissez pas votre vraie nature,
alors vous êtes dans la pauvreté. » ?5 Ramana Maharshi, qui répétait sans cesse à ses visiteurs :
« vous n’êtes pas ce corps ! », allait dans le même sens que Jésus.

Pour résumer ce logion, en aucun cas, notre corps ne constitue notre identité véritable, mais il a
incontestablement un rôle à jouer en permettant notre élévation spirituelle.

Logion 30 : Jésus est tout le temps présent pour nous.


Jésus a dit : « Où il y a trois personnes, elles ne sont pas sans Dieu. Où il y en a une seule, moi
je suis (également) avec elle. »6

Voici un logion qui a rendu perplexes beaucoup de commentateurs de l’EsT. Il y a presque


autant de compréhensions que d’exégètes ! Certains y ont vu une allusion à la Trinité, d’autres un

1 Jean 6.63
2 Jean 1.14
3 Angelus Silesius « Le voyageur chérubinique » traduction de Maël Renouard (Rivages poche 2004)
4 Râmakhrisna vénérait la déesse Kali, qu’il appelait sa « Mère divine ».
5 Logion 3
6 La traduction est basée sur la version grecque. À noter qu’à la fin de celle-ci figure le verset « Fendez du bois, je suis là, soulevez la

pierre, et vous me trouverez là » qui est placé à la fin du logion 77 dans la version copte.
37
discours sur la nature du Père ou une allusion à des dieux mineurs, etc. Mon commentaire se base
sur la version grecque qui me paraît la plus intelligible. La version copte inciterait à penser qu’il
s’agit de l’immanence de Jésus dont il est question ici.

Premier verset : « Où il y a trois personnes, elles ne sont pas sans Dieu ».


Ce verset a un parallèle dans les Synoptiques : « Si deux d’entre vous s’accordent sur la terre
pour demander une chose quelconque, celle-ci leur sera accordée par mon Père qui est dans les
Cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. »1 On peut
comprendre de ce passage de l’Évangile selon Matthieu que le fait d’être rassemblés dans un même
élan, ou dans un même lieu, crée ce que l’on appelle un égrégore2. Ainsi, on peut imaginer que nos
demandes sont mieux entendues lors d’une cérémonie religieuse ou dans un lieu de culte très
fréquenté. Thomas ne contredit pas Matthieu sur ce point, sans pour autant mettre en avant la
nécessité d’être à plusieurs pour s’adresser à Dieu. Il privilégierait plutôt le rapprochement avec
d’autres marcheurs sur la Voie.

Deuxième verset : « Où il y en a une seule, moi je suis avec (en) elle ».


Il y a deux traductions possibles : le fait que Jésus soit avec cette personne ou en elle. Cela ne
change pas fondamentalement l’interprétation de ce verset, Jésus se trouvant de toute manière avec
ceux qui ont appris à s’isoler et à s’unifier. Ces personnes peuvent le retrouver dans leur Royaume
Intérieur ou sentir sa présence autour d’elles.

Logion 31 : L’attitude possible de nos proches suite à notre engagement sur la Voie
Jésus a dit : « Un prophète n’est pas reçu dans son village, et, de même, un thérapeute ne guérit
pas ceux qui le connaissent. »

« Comment se fait-il qu’un saint prophète ne soit pas honoré par sa famille, mais qu’il le soit à
l’étranger ? Les parents d’un jongleur, quand ils vivent avec lui, ne s’assemblent pas autour de lui
pour voir ses exercices, tandis que les étrangers qui vivent loin restent bouche bée devant ses tours
merveilleux ». (Râmakhrisna)

Le sens général, ici, est, qu’une fois engagés sur cette Voie, nous ferons sans doute face à
l’étonnement, voire à la réserve ou à la désapprobation de ceux qui nous connaissent. Les
Canoniques reproduisent le premier verset du logion,3 mais, curieusement, omettent le second.4
Pourtant il y a peu de doutes sur l’authenticité de ce dernier, qui est bien dans le style clair et concis
des paroles de Jésus.
Premier verset : « Un prophète n’est pas reçu dans son village. »

Dans l’Évangile selon Luc, nous lisons : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie »5, qui
va dans le même sens que notre verset. Pour illustrer cet adage, l’Évangile selon Matthieu (EsMat)
raconte l’accueil mitigé de Jésus à Nazareth de la manière suivante : « S’étant rendu dans sa patrie,
il enseignait dans leur synagogue, d’une telle manière que ses auditeurs étaient frappés et disaient :
‘‘ D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ? Celui-là n’est-il pas le fils du charpentier ? N’a-t-
il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne

1 Matthieu 18.19-20
2 Un égrégore est le produit des énergies cumulées de plusieurs personnes vers un but partagé.
3 Marc 6.4, Matthieu 13.57, Luc 4.24 et Jean 4.44
4 Il se peut que les auteurs des Canoniques aient vu dans les paroles de Jésus une allusion à la secte mystique des thérapeutes, qui

ressemblaient, par certains côtés, aux Esséniens et qui étaient très réputés pour leur capacité de guérisseurs. Selon Philon
d’Alexandrie, outre la Torah, les Psaumes et les Prophètes, ils s’appuyaient sur des écrits apocryphes. Ils pratiquaient une forme de
méditation. Leur profil « gnostique » a pu faire peur aux évangélistes officiels.
5 Luc 4.24

38
sont-elles pas toutes chez nous ? D’où lui vient donc tout cela ?’‘ Et cela les empêchait de croire en
lui. » 1 De même, beaucoup de marcheurs spirituels ont été rejetés par leur entourage ! À noter que le
« Jude » mentionné dans cet extrait de l’EsMat n’est autre que le compilateur présumé de notre
évangile, « Thomas », comme on l’a vu, étant juste un surnom.
Il nous est difficile de voir avec un regard neuf quelqu’un que nous côtoyons depuis des années,
encore moins de l’imaginer comme un prophète. C’est ce qui est arrivé à Jésus qui a été récusé par
sa famille. Le NT laisse ainsi apparaître des dissensions entre ses frères et sa mère d’un côté, et
Jésus de l’autre. Par exemple dans l’Évangile selon Marc nous lisons : « Les siens, l’ayant appris,
partirent pour se saisir de lui, car ils disaient : ‘’ Il a perdu la raison !’’ »2 On sent un fort scepticisme
de la famille de Jésus vis-à-vis de lui, tout du moins au moment de son « coming-out ». L’Évangile
selon Jean le résume ainsi : « Pas même ses frères en effet ne croyaient en lui. »3 Bien sûr, en
seconde province nous ne sommes pas des « prophètes », mais le constat de Jésus s’applique à nous
aussi.
Au niveau intérieur, le fait « qu’un prophète ne soit pas reçu dans son village » signifie que nous
pouvons avoir du mal à nous analyser lucidement et à prendre du recul par rapport à nous-même et à
notre situation spirituelle. On peut manquer d’objectivité.

Deuxième verset : « Un thérapeute ne guérit pas ceux qui le connaissent. »

On retrouve ici une idée voisine de celle du premier verset : il est souvent difficile de prendre du
recul quand il s’agit de soigner nos proches, et ces derniers peuvent manquer de confiance en nous.
Le thème de la guérison revient à deux reprises dans l’EsT, un logion précédent nous ayant déjà dit :
« quelle que soit la contrée où vous faites route, si l’on vous reçoit, guérissez les malades parmi
eux. »4 Par contre, l’Évangile selon Thomas ne mentionne pas les guérisons miraculeuses attribuées
à Jésus. Cet ouvrage s’intéresse plus au message qu’au messager.
On peut noter un parallèle entre le « prophète » et le « thérapeute » : tous les deux ne disent pas
forcément ce que l’on a envie d’entendre. Jésus nous parle ici de ces thérapeutes qui, au-delà de
prescrire des médicaments, expliquent au patient ce qu’il doit changer pour retrouver la santé (mieux
se connaître, changer son regard sur le monde, changer ses habitudes, etc.). Souvent leurs remarques
peuvent être déstabilisantes. Il en est de même des prophètes qui nous demandent de changer notre
façon d’être.
Au niveau intérieur, le fait « qu’un thérapeute ne guérisse pas ceux qui le connaissent » signifie
que l’on a du mal à se guérir soi-même. Pourtant, Jésus nous affirme que c’est possible : « Médecin,
guéris-toi toi-même ! »5

En conclusion, évitons de nous laisser ralentir sur le Chemin par le regard et le jugement de nos
proches.

Logion 32 : Soyons forts et affirmés


Jésus a dit : « Une forteresse bâtie sur une haute montagne ne peut tomber (aux mains de
l’ennemi), et ne peut non plus être cachée (aux regards) ».

En peu de mots, ce logion véhicule plusieurs idées fortes sur cette voie spirituelle.

Premier verset : « Une forteresse bâtie sur une haute montagne ne peut tomber (aux mains de
l’ennemi) ».

1 Matthieu 13.54-57
2 Marc 3.21
3 Jean 7.5
4 Logion 14
5 Luc 4.23

39
Cette constatation peut être vue comme une variante d’une parabole bien connue du NT :
« quiconque écoute mes paroles et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti
sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont déferlé, les vents ont soufflé et se sont
déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas croulé; c’est qu’elle avait été fondée sur le roc ! Et
quiconque entend mes paroles et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé
qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont débordé, les vents ont soufflé
et se sont rués sur cette maison, et elle s’est écroulée. Comme sa ruine a été grande ! »1 Si l’on base
notre interprétation là-dessus, ce verset nous explique que les fondations de notre évolution
spirituelle doivent être solides. C’est assurément un leitmotiv dans l’EsT.
En analogie avec ce verset, Thérèse d’Ávila, dans son chef-d’œuvre « Le livre des demeures »2,
utilise l’image d’un château fortifié pour représenter ce que j’appelle notre Royaume Intérieur. Au
milieu de ce château inexpugnable, elle explique que l’on trouve l’endroit où nous pouvons nous
unir à Dieu, après être passé par différentes expériences ou demeures. Elle précise que tout le monde
possède ce « château intérieur », mais elle regrette que la plupart des gens restent sur le chemin de
ronde.
Une autre interprétation possible de ce verset est que nous devons rendre imprenable ce que
nous avons de plus cher, notre esprit, le protéger des différentes attaques ou intrusions, en particulier
de notre mental, de notre égo et des illusions du monde.
De plus, l’image de la « haute montagne », signifie mettre notre Royaume Intérieur sur un
piédestal et le garder tout le temps à l’esprit. Et traditionnellement, la « haute montagne » est le
symbole du calme que nous devons rechercher afin de progresser sur le Chemin.

Deuxième verset : « Cette forteresse ne pourra non plus être cachée (aux regards) ».

On retrouve la même idée que celle vue précédemment, « un être spirituel illumine forcément le
monde entier. »3 Il se reconnaît à la lumière qu’il dégage et il ne passe certainement pas inaperçu !
Au niveau intérieur, cette « forteresse », notre Royaume Intérieur est visible pour celui qui ouvre les
yeux, ne demandant qu’à être révélée ! Cette image de la lumière que l’on émet se retrouve au
logion suivant.

Logion 33 : Partager la bonne nouvelle !


Jésus a dit : « Ce que tu entendras dans (le creux de) l’oreille, proclame-le sur tous les toits.
Personne en effet n’allume une lampe et ne la met sous un boisseau4. On ne la met pas non plus en
un lieu caché, mais sur le lampadaire afin que, quiconque entrant ou sortant, voie sa lumière ».

En lien avec le logion précédent, notre Guide nous parle de l’attitude à adopter, une fois que l’on
a accès à la Connaissance du Royaume.

Premier verset : « Ce que tu entendras dans (le creux de) l’oreille, proclame-le sur tous les toits. »5
Une fois que nous avons découvert la Gnose, la bonne attitude est de ne pas la garder pour nous.
Et ceci dès les premières provinces ! En Occident, le clergé a longtemps monopolisé la
connaissance, par exemple en proposant des messes ou des écrits seulement en latin, et non pas dans
la langue vernaculaire, afin que la masse des fidèles n’aie pas accès au savoir. L’expérience directe
n’était pas vue d’un bon œil ! Jésus nous demande de faire tout le contraire ici. Cependant, il faut le
faire avec discernement,6 adapter notre discours à nos interlocuteurs, sinon cela peut se retourner
contre nous. Comme précisé par notre Guide : « ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens de peur

1 Matthieu 7.24-27
2 Écrit en 1577
3 Logion 24
4 Un boisseau est un dispositif pour masquer la lumière d’une lampe. À l’époque de Jésus, on utilisait des lampes à huile.
5 En voici un parallèle dans les Synoptiques : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour ; et ce que vous entendez

dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits ». (Matthieu 10.27)


6 « Ce que tu entendras chuchoté à l’oreille » sous-entend la divulgation de secrets.

40
qu’ils ne le traînent dans la boue. »1

Derniers versets : « Personne en effet n’allume une lampe et ne la met sous un boisseau. On ne la
met pas non plus en un lieu caché, mais sur le lampadaire afin que, quiconque entrant ou sortant,
voie sa lumière ».
Une fois que nous avons pris conscience de cette Connaissance, nous rayonnons de la lumière et
nous devenons, à notre tour, une lumière pour les autres. Ceux-ci se tournent spontanément vers
nous, ce qui est un bon indicateur de notre progression spirituelle.
Le parallèle de ce logion dans l’Évangile selon Matthieu2 met en avant la nécessité de briller par
ses bonnes œuvres, une idée totalement étrangère à Jésus. De son côté, l’EsT évoque les personnes
qui font profiter aux autres de leurs découvertes.

Logion 34 : Quel guide choisir ?


Jésus a dit : « Si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont (à coup sûr) tous deux dans une
fosse ».

« Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres ». (Évangile selon Jean
8.12)
« À des degrés divers, nous sommes tous des aveugles, guidés par des aveugles, qui guidons des
aveugles. » (Bouddha)

Au début du chemin, nous pouvons éprouver le besoin de faire appel à un guide ou à une
institution. Jésus manie à nouveau l’ironie et nous met en garde contre ceux qui nous proposent une
approche dogmatique et obscurantiste plutôt que la Connaissance et l’expérience directe. Un
avertissement toujours très actuel étant donné l’émergence de nombreuses sectes ! On retrouve ce
parallèle à notre logion dans les Canoniques : « Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des
aveugles. Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse. »3 J’ai déjà
parlé des recommandations de Jésus pour le choix d’un guide : essayer d’être son propre guide ou
sinon être vigilant et surtout faire confiance au destin pour qu’il mette le bon guide au bon moment
sur notre route. Dans l’Évangile selon Marie-Madeleine, nous trouvons ce conseil judicieux :
« Veillez à ce que personne ne vous égare en disant : “Le voici” ou “Le voilà”, car c’est à l’intérieur
de vous que vous trouverez Jésus. Ceux qui le chercheront le trouveront. » Même si nous avons
parfois du mal à le croire, nous avons déjà tout en nous.

1 Logion 93
2 « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le lampadaire, là où elle brille pour tous ceux qui
sont dans la maison. C’est ainsi que votre lumière doit briller devant les hommes, afin qu’ils voient le bien que vous faites et qu’ils
glorifient votre Père qui est dans les Cieux ». (Matthieu 5.15-16)
3 Matthieu 15.14 (// Luc 6.39)

41
La parabole des aveugles guidant d’autres aveugles par Pieter Brueghel.1

Nous venons de voir à la suite deux logia sur les guides, jouant sur le contraste entre la lumière
et la cécité. Le logion précédent nous disait de ne pas garder notre savoir pour nous, de le proclamer
sur tous les toits. Thomas a cru bon, juste derrière, d’ajouter un avertissement : nous méfier des faux
mentors. Il nous conseille plutôt d’être notre propre guide. Dans l’EsT, il ne s’agit pas de croire qui
que ce soit, mais d’expérimenter par nous-mêmes et ensuite de partager sans imposer ses
conceptions à quiconque.

Logion 35 : Soyons vigilants !


Jésus a dit : « Il est impossible à quelqu’un d’entrer dans la maison d’un homme fort et de la
prendre par la violence, à moins qu’il ne lui lie les mains. Mais, si c’est le cas, il mettra sa maison
sans dessus dessous. »

Cet aphorisme est proche du logion 21b qui, lui aussi, nous parlait de l’homme qui défend sa
maison contre les intrusions. Les Canoniques contiennent un parallèle très proche : « quand un
homme fort et bien armé garde sa maison, tous ses biens sont en sûreté. »2
En lien avec le logion précédent sur les guides, Jésus nous conseille d’être forts et vigilants vis-
à-vis des responsables religieux ou des gourous, qui risqueraient de nous imposer leurs dogmes. Ces
personnes pourraient nous « lier les mains », nous bâillonner, nous jeter de la poudre aux yeux, et
ainsi nous entraîner dans un cul-de-sac. Il est préférable de suivre notre propre voie et d’écouter
notre intuition.
Jésus nous conseille aussi d’être vigilants par rapport à ce qui peut nous écarter de la Voie. Ce
sont notre complaisance, notre manque de résolution et d’implication qui peuvent nous en éloigner
et saccager nos acquis spirituels.
On retrouve de nouveau ici l’image de la « maison » comme représentation de notre être
intérieur. Le logion 21 contenait déjà une recommandation concernant la vigilance. Celle-ci est
réitérée ici. Soyons « forts » et sur nos gardes, maîtrisons notre esprit, sinon nous nous retrouverons
« sans dessus dessous » et nous risquerons alors de passer à côté de notre vie.
Ce logion est un récapitulatif des points à travailler dans la deuxième province, dans laquelle on
débute l’intériorisation et où l’on commence à se recentrer.

La suite, y compris la description des provinces suivantes, se trouve dans mon livre :

1 Musée de Capodimonte à Naples. Image : Wikipédia


2 Luc 11.21. Voir également Matthieu 12.29
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