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Liens entre sommeil et mémoire au fil de la vie

Géraldine Rauchs, Françoise Bertran, Malo Gaubert, Béatrice Desgranges,


Francis Eustache
Dans Revue de neuropsychologie 2011/1 (Volume 3), pages 33 à 40
Éditions John Libbey Eurotext
ISSN 2101-6739
DOI 10.1684/nrp.2011.0164
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 20/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 89.87.196.137)

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Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2011 ; 3 (1) : 33-40 Liens entre sommeil et mémoire


au fil de la vie
Sleep and memory across the lifespan

Résumé Cet article propose une revue des études consacrées aux
Géraldine Rauchs1 , Françoise
liens entre sommeil et mémoire chez l’homme, les plus
Bertran1,2 , Malo Gaubert1 , Béatrice
Desgranges1 , Francis Eustache1 nombreuses ayant été réalisées chez le sujet jeune. Les travaux de privation de sommeil,
d’imagerie cérébrale ou utilisant des méthodologies plus originales telles que la stimulation
1
Inserm-EPHE-Université de Caen électrique transcrânienne ont permis de préciser les substrats électrophysiologiques sous-
Basse-Normandie, Unité U923, GIP Cyceron,
CHU Côte de Nacre, Caen tendant l’effet bénéfique du sommeil sur la mémoire et ont abouti à la proposition de plusieurs
<rauchs@cyceron.fr> modèles théoriques. Les données chez l’enfant ou le sujet âgé, qui attirent depuis quelques
2
Service des explorations fonctionnelles années l’intérêt des chercheurs, sont fondamentales pour une compréhension globale du
neurologiques, CHU Côte de Nacre, Caen
processus de consolidation mnésique. Les études chez l’enfant soulignent le rôle du som-
meil lent dans la consolidation des apprentissages déclaratifs. Les liens entre sommeil et
Pour citer cet article : Rauchs G, Bertran mémoire procédurale, contrairement à ce qui est observé chez l’adulte, sont moins bien
F, Gaubert M, Desgranges B, Eustache F. établis. Chez le sujet âgé, la diminution du sommeil lent profond expliquerait, au moins en
Liens entre sommeil et mémoire au fil de la
vie. Rev Neuropsychol 2011 ; 3 (1) : 33-40 partie, les troubles de la consolidation en mémoire épisodique. La diminution des niveaux
doi:10.1684/nrp.2011.0164 d’acétylcholine pourrait quant à elle avoir un effet délétère sur la consolidation en mémoire
procédurale.
Mots clés : sommeil · mémoire épisodique · mémoire procédurale · enfant · vieillissement

Abstract This paper presents a non exhaustive review of studies


investigating the role of sleep in memory consolidation.
Most of the data available come from studies conducted in young adults. Sleep depri-
vation and neuroimaging studies, as well as works using more original techniques such
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as transcranial direct current stimulation have allowed precising the electrophysiological
bases of the beneficial effect of sleep on memory. They have also leaded to the proposal
of relatively accomplished theoretical models (“hippocampo-neocortical dialogue” and
“synaptic downscaling hypothesis”). Besides, only few studies have been conducted in
children and in older adults but, since few years, these populations have sparked rene-
wed interest in the scientific community. Data in these subjects are crucial for a thorough
understanding of sleep-dependent memory consolidation. Studies conducted in school-
children underlined the beneficial role of NREM (non Rapid Eye Movement sleep) in the
consolidation of declarative memories. In contrast, links between sleep stages and proce-
dural memory consolidation appear less obvious. In older adults, the dramatic decrease
in slow wave sleep may explain, at least in part, the decline in episodic memory consoli-
dation. The decrease in acetylcholine levels could be deleterious for procedural memory
consolidation.

Key words: sleep · episodic memory · procedural memory · children · aging


doi: 10.1684/nrp.2011.0164

Correspondance :
G. Rauchs

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Les différents stades de sommeil Le sujet ne présente alors pas de mouvements oculaires et
son tonus musculaire est faible. Les stades 3 et 4, regroupés
et leurs caractéristiques sous le terme de sommeil lent profond, sont caractérisés
par une activité corticale synchronisée composée d’ondes
Le sommeil n’est pas un état physiologique unitaire lentes, de grande amplitude (au minimum 75 µV) appelées
mais regroupe différents stades caractérisés par une activité ondes delta (1-4 Hz). Durant ces stades, les mouvements
cérébrale à la fois électrophysiologique et neurochimique oculaires sont inexistants et le tonus musculaire faible. Sur
différente (figure 1). Le sommeil REM (rapid eye move- le plan neurochimique, les niveaux d’acétylcholine, élevés
ment) ou sommeil paradoxal est caractérisé par une atonie à l’éveil, diminuent fortement en début de nuit (c’est-à-
musculaire, des mouvements oculaires rapides et une acti- dire au cours du sommeil lent profond) pour remonter et
vité cérébrale intense, désynchronisée, proche de celle dépasser les niveaux d’éveil lors du sommeil paradoxal. Les
observée à l’éveil. Ce stade de sommeil s’oppose au som- concentrations de noradrénaline diminuent entre la veille
meil NREM (non rapid eye movement), qui regroupe trois et le sommeil lent profond, pour atteindre des niveaux quasi
stades de profondeur croissante (le stade 1 n’est générale- nuls au cours du sommeil paradoxal. Enfin, les niveaux de
ment pas inclus dans le sommeil NREM car il correspond sérotonine diminuent progressivement entre les trois états
plus à une phase d’endormissement). Le stade 2, également de vigilance [1]. Ces stades sont organisés en cycles de
appelé sommeil lent léger, est le plus important en quan- 90-100 minutes, comportant la succession de sommeil lent
tité au cours de la nuit (50 % du temps de sommeil). Sur léger, puis de sommeil lent profond, et enfin de sommeil
le plan électrophysiologique, il est caractérisé par la pré- paradoxal. Le sommeil lent profond est plus abondant en
sence de fuseaux de sommeil (ou « spindles » ; bouffées première moitié de nuit, alors qu’en seconde partie de nuit
d’activité de 12 à 16 Hz n’excédant pas une demi-seconde) la proportion de sommeil paradoxal augmente, alternant
et par de grandes ondes biphasiques appelées complexes K. avec des épisodes de stade 2.

Caractéristiques Éveil Sommeil lent Sommeil paradoxal

Stade 2 Stades 3-4


(sommeil lent léger) (sommeil lent profond)
Activité cérébrale
(électro-encéphalogramme)
Fuseau du sommeil Ondes lentes Activité rapide
Activité rapide
/Complexe K
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Yeux ouverts, Yeux fermés,
Mouvements oculaires mouvements Yeux fermés, mouvements
(électro-oculogramme) oculaires pas de mouvement oculaires
rapides oculaire rapides

Tonus musculaire
++ + Aboli
(myogramme)

Activité cardiaque Rapide, Lente, Rapide,


(électrocardiogramme) régulière régulière irrégulière

Activité pulmonaire
Rapide, irrégulière Lente, régulière Assez rapide, irrégulière
(respirogramme)

Stade 2 Stades 3-4


Capacité d´éveil Réveil difficile
Réveil facile Réveil très difficile

Acétylcholine +++ + ++++


Environnement Noradrénaline +++ ++ 0
neurochimique
Sérotonine +++ ++ +

Figure 1. Principales caractéristiques des différents états de vigilance.

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Article de synthèse

Enfant Jeune adulte Sujet âgé


Temps

Caractéristiques Quantité très importante de Réduction très importante du


du sommeil sommeil lent SLP, des ondes lentes et des
fuseaux de sommeil

Mémoire
épisodique Dépend du sommeil lent (Stades • SLP (ondes lentes) et S2 Troubles de la consolidation
2, 3 et 4) (fuseaux de sommeil) liés à la réduction du SLP
• SP pour aspects émotionnels,
Violon – Cor
Chien – Laisse
richesse en détails épisodiques
Table – Fauteuil • Importance de l'environnement
... neurochimique (Ach, Cortisol)

Mémoire
procédurale
Pas de lien évident avec le • SP, S2 (Parfois SLP) Troubles de la consolidation
sommeil • Importance de l'activité pourraient être liés à la
cholinergique réduction de l'activité
cholinergique et à la
diminution des fuseaux de
sommeil

Figure 2. Synthèse des relations entre sommeil et mémoire au fil de la vie.


SP : sommeil paradoxal ; SLP : sommeil lent profond ; S2 : stade 2 ; Ach : acétylcholine.

Rôle du sommeil dans la consolidation profond et le stade 2 participeraient également à la conso-


lidation des apprentissages procéduraux [2] (figure 2).
mnésique chez le jeune adulte Plus récemment, une étude pharmacologique a montré que
la suppression de sommeil paradoxal, par administration
La majorité des études sur les liens entre sommeil et d’un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline, ne
mémoire a été réalisée chez le jeune adulte et s’est focali- perturbait pas la consolidation d’une habileté perceptivo-
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sée sur la mémoire procédurale et la mémoire épisodique motrice [4]. L’amélioration des performances au cours de
(voir [2] pour une revue concernant également les autres la nuit était en revanche corrélée à la densité de fuseaux de
systèmes de mémoire à long terme). sommeil, caractéristiques du stade 2 de sommeil. Bien
qu’en apparente contradiction avec les résultats des études
de privation de sommeil mentionnés ci-dessus, cette étude
Sommeil et mémoire procédurale suggère que ce n’est pas le sommeil paradoxal per se qui
Le rôle du sommeil dans le processus de consolidation est bénéfique à la consolidation mnésique mais plutôt cer-
des souvenirs a été beaucoup étudié par le biais de priva- tains phénomènes qui lui sont associés, tels que l’activité
tions de sommeil. Celles-ci peuvent être totales, partielles cholinergique ou l’expression de certains gènes impliqués
(privation de la première ou de la seconde moitié de la nuit, dans la plasticité synaptique [4].
afin d’évaluer l’impact d’une privation de sommeil lent pro-
fond ou de sommeil paradoxal, respectivement) ou encore
sélectives d’un stade de sommeil donné (l’expérimentateur Sommeil et mémoire épisodique
réveille alors le sujet chaque fois qu’il voit apparaître sur le Plusieurs études utilisant des tâches d’apprentissages de
tracé EEG les signes caractéristiques du stade de sommeil paires de mots, sémantiquement liés ou non, ont montré
visé). La méthode de privation partielle de sommeil a ainsi que le sommeil lent profond, qui prédomine en première
permis de montrer que le sommeil paradoxal était particu- partie de nuit, favorisait la consolidation de ce type
lièrement impliqué dans la consolidation en mémoire pro- d’apprentissage (pour revue voir [2]). Par la suite, l’intérêt
cédurale. Ceci a été démontré aussi bien pour des épreuves des chercheurs s’est porté sur les fuseaux de sommeil. Les
évaluant les habiletés perceptivo-motrices (tâche de dessin études montrent que la densité de fuseaux de sommeil
en miroir), perceptives (tâche de discrimination de textures augmente au cours de la nuit post-apprentissage, compa-
visuelles) et cognitives (épreuve de la tour de Hanoï ; [3] rativement à une condition sans apprentissage. Par ailleurs,
pour revue). D’autres études suggèrent que le sommeil lent cette augmentation de la densité de fuseaux de sommeil

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
est positivement corrélée non seulement aux performances de sommeil [11]. Une étude utilisant la technique de sti-
mnésiques obtenues avant le coucher, suggérant l’existence mulation électrique transcrânienne chez des sujets jeunes
d’un lien avec les capacités générales d’apprentissage, a montré que l’application au cours du sommeil de sti-
mais aussi à l’amélioration des performances après une mulations électriques indolores, au niveau frontal, à une
nuit de sommeil, confirmant leur rôle dans la consolidation fréquence mimant celle des ondes lentes endogènes favo-
mnésique (pour revue voir [2]). L’ensemble de ces études rise la consolidation en mémoire épisodique. Ce type
indique donc que le sommeil lent (englobant les stades 2, de stimulation augmente la quantité d’ondes lentes et de
3 et 4) favorise la consolidation en mémoire épisodique fuseaux de sommeil, confortant le rôle de ces ondes dans
(figure 2). Cependant, d’autres études ont rapporté des le processus de consolidation des souvenirs [12]. Enfin, ce
résultats plus ou moins discordants [2], mettant en lumière, transfert ne peut opérer que si les niveaux d’acétylcholine
par exemple, un effet bénéfique du sommeil paradoxal et de cortisol sont réduits en début de nuit [11].
pour la consolidation de textes à valence émotionnelle L’existence d’un tel transfert des traces mnésiques vers
[5], vraisemblablement lié à l’activation importante de le néocortex a été démontrée, et ce de manière plus impor-
l’amygdale durant ce stade de sommeil. De la même tante chez des sujets ayant dormi après l’apprentissage
manière, grâce à une tâche consistant à mémoriser deux comparés à des sujets privés de sommeil [13]. Ces derniers
listes de mots, la position de chaque mot sur une feuille de travaux soulignent également l’importance du cortex pré-
papier et la liste d’appartenance, nous avons montré que le frontal, dans sa partie ventro-médiane, dans la récupération
sommeil paradoxal favorisait la consolidation des aspects des souvenirs anciens (c’est-à-dire consolidés).
spatiaux et des détails phénoménologiques des souvenirs Il convient de mentionner qu’une autre hypothèse,
tandis que le sommeil lent profond était bénéfique aux appelée « théorie de l’homéostasie synaptique », a été pro-
aspects temporels [6]. posée par Tononi et Cirelli [14] pour expliquer le rôle du
Depuis quelques années, les études sur les liens entre sommeil dans les processus d’apprentissage et de mémoire.
sommeil et mémoire se sont enrichies d’une nouvelle Selon ce modèle, nos synapses sont au réveil à un certain
méthodologie : l’imagerie cérébrale fonctionnelle. Ainsi, niveau d’efficacité. À mesure que la journée avance, en rai-
dans une étude en tomographie par émission de positons, son des apprentissages auxquels nous sommes confrontés,
Peigneux et al. [7] ont montré que l’hippocampe, activé l’efficacité de certaines synapses est augmentée. Un tel état
lors d’une tâche de navigation spatiale dans une ville vir- de surrégime ne peut durer éternellement car il a un coût
tuelle, était à nouveau activé au cours des épisodes de élevé en termes d’énergie et d’espace, et sature progressi-
sommeil lent profond suivant l’apprentissage. De manière vement la capacité à apprendre de nouvelles informations.
intéressante, plus l’hippocampe était réactivé au cours de Selon Tononi et Cirelli [14], il y aurait au cours du som-
la nuit, plus l’amélioration des performances le lendemain meil à ondes lentes (c’est-à-dire sommeil lent profond) un
était importante. recalibrage de l’activité des synapses, en gardant toutefois
Plus récemment, lors d’une étude en imagerie par réso- une trace des expériences passées, c’est-à-dire en main-
nance magnétique fonctionnelle (IRMf), Rasch et al. [8] ont tenant une différence entre les synapses potentialisées et
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utilisé une épreuve consistant à associer une image et une celles qui ne l’ont pas été. Cette théorie, comme celle du
localisation spatiale. Au cours de la séance d’apprentissage, dialogue hippocampo-néocortical, attribue un rôle majeur
une odeur de rose était vaporisée dans la pièce. Les auteurs au sommeil lent et aux ondes lentes dans le processus de
montrent que le fait de présenter à nouveau l’odeur au consolidation. Elle est étayée par des études comportemen-
cours du sommeil lent profond permet d’améliorer significa- tales chez l’Homme montrant une augmentation locale de
tivement les performances des sujets. Aucune amélioration l’activité des ondes lentes au cours du sommeil après un
n’est observée si une odeur différente est vaporisée ou si apprentissage moteur, corrélée à l’amélioration des perfor-
l’odeur de rose est présentée pendant un épisode de som- mances après la nuit de sommeil, mais également par des
meil paradoxal. Par ailleurs, la présentation de l’odeur au études moléculaires chez le rongeur montrant une potentia-
cours du sommeil lent profond induit une activation de lisation synaptique à l’éveil et une dépotentialisation durant
l’hippocampe, à la base du mécanisme de consolidation le sommeil.
au cours du sommeil.
Tous ces travaux ont contribué à affiner un modèle
de consolidation des souvenirs au cours du sommeil Liens entre sommeil et mémoire chez
proposé pour des souvenirs déclaratifs [9] et largement
inspiré du modèle standard de la consolidation mnésique l’enfant et au cours du vieillissement
[10]. Selon ce modèle, appelé le « dialogue hippocampo- normal
néocortical », les traces mnésiques récemment acquises
seraient réactivées au sein d’ensembles neuronaux hip- La plupart des recherches sur la consolidation mnésique
pocampiques lors des épisodes de sommeil lent profond au cours du sommeil ont été réalisées auprès de jeunes étu-
puis transférées progressivement vers différentes aires néo- diants. Les données dans d’autres populations telles que les
corticales, pour un stockage à long terme. Ce transfert enfants ou les sujets âgés sains sont moins nombreuses mais
opérerait notamment grâce aux ondes lentes et aux fuseaux attirent, depuis quelques années, l’intérêt des chercheurs.

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Sommeil et mémoire chez l’enfant et l’adolescent lors de l’apprentissage implicite de séquences (tâche de
temps de réaction sériel) au cours du sommeil chez l’enfant.
L’enfance est une période caractérisée par une plasticité Toutefois, l’absence d’amélioration des performances après
cérébrale et comportementale extraordinaire, permettant une nuit de sommeil n’exclut pas nécessairement un effet
l’acquisition d’une quantité très importante d’informations. bénéfique du sommeil sur le long terme. En effet, chez de
Par ailleurs, le sommeil de l’enfant contient une très grande jeunes oiseaux (diamant mandarin ou zebra finch) appre-
quantité de sommeil lent profond, qui décroît ensuite rapi- nant leur chant, les performances diminuent après les
dement à l’âge adulte. Plus précisément, à la naissance et premiers épisodes de sommeil. Cependant, les oiseaux qui
durant le premier mois de vie, l’on distingue deux types de présentent la détérioration la plus importante des perfor-
sommeil : le sommeil calme et le sommeil agité, se suc- mances en début d’apprentissage parviennent, à l’issue
cédant en cycles d’environ une heure. Progressivement, le des trois mois de suivi, à la meilleure imitation de chant
rythme jour-nuit de 24 heures s’instaure sous l’influence de [17]. Selon les auteurs, la réactivation des représenta-
la lumière du jour et des stimulations de l’entourage et les tions du chant au cours du sommeil va, en l’absence
caractéristiques de la structure du sommeil de l’adulte se de feedback sensoriel, rendre ces représentations fragiles
mettent en place. Vers l’âge de 8 semaines apparaissent les mais potentiellement plus malléables. Ainsi, lors des ses-
premières ébauches de fuseaux de sommeil. Chez l’enfant sions d’entraînement suivantes, les représentations du chant
entre 6 mois et 4 ans, le temps de sommeil diurne dimi- ne seraient pas encore trop figées, offrant d’importantes
nue tandis que le sommeil profond devient de plus en plus possibilités de « remodelage », d’ajustement de ce compor-
important la nuit. La durée des cycles de sommeil s’allonge tement. L’ensemble de ces données [16, 17] suggère d’une
progressivement pour atteindre les 90 minutes de l’adulte. part que certains aspects de la consolidation des appren-
Vers 6 mois apparaissent les premiers complexes K. Entre tissages implicites ont préférentiellement lieu à l’éveil chez
4 et 12 ans, le temps total de sommeil diminue avec la l’enfant, et d’autre part que la consolidation mnésique n’est
disparition de la sieste. C’est une période où l’enfant est pas achevée à l’issue de la première nuit post-apprentissage.
généralement très bon dormeur la nuit, avec un sommeil Backhaus et al. [18] montrent, quant à eux, une
très profond, et très vigilant dans la journée. Le sommeil de amélioration des performances en mémoire épisodique
l’adolescent est sous l’influence des contraintes scolaires uniquement après une période de sommeil, qu’elle sur-
et sociales. À cette période, on assiste souvent à un dés- vienne juste après l’apprentissage ou de manière différée.
équilibre entre les besoins physiologiques en sommeil et Par ailleurs, les performances mnésiques des enfants (âgés
la quantité réelle de sommeil qui aboutit à une privation de 9 à 12 ans) sont positivement corrélées à la quantité de
chronique de sommeil et une somnolence au cours de la sommeil NREM (stades 2, 3 et 4), mais négativement à la
journée. quantité de sommeil paradoxal, soulignant, comme chez
Quelques études se sont intéressées aux liens entre l’adulte, le rôle du sommeil lent dans la consolidation en
sommeil et apprentissage/mémoire chez l’enfant, certaines mémoire épisodique. Un effet bénéfique comparable du
d’entre elles montrant des résultats opposés à ceux classi- sommeil a également été observé lors de la consolidation
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quement rapportés chez l’adulte. d’images à valence émotionnelle [19] et chez des adoles-
Dans une étude réalisée chez des enfants de 6 à 8 ans, centes lors d’une tâche d’apprentissage de vocabulaire [20]
Wilhelm et al. [15] ont étudié la consolidation en mémoire (figure 2).
procédurale, au moyen d’une épreuve de finger tapping Pour résumer, le sommeil chez l’enfant favorise la
(consistant à reproduire des séquences avec les doigts), et consolidation en mémoire épisodique. Cet effet semble
en mémoire épisodique par le biais d’une tâche consis- lié à la quantité très importante de sommeil lent durant
tant à mémoriser des objets dessinés sur des cartes et leur cette période. En revanche, contrairement aux adultes, les
localisation ainsi qu’une tâche d’apprentissage de paires de enfants ne montrent pas de gain de performances au cours
mots. Pour les épreuves de mémoire épisodique, les perfor- du sommeil pour des tâches procédurales ou implicites.
mances des enfants sont significativement meilleures après Ce résultat est tout à fait surprenant dans la mesure où
un intervalle de rétention dominé par du sommeil, comparé les structures neuro-anatomiques sous-tendant ces types
à une période équivalente de veille diurne. Il n’existe d’apprentissages sont matures bien avant celles impliquées
en revanche aucune corrélation entre l’amélioration des dans la mémoire déclarative/épisodique. Ces résultats
performances au cours de la nuit et les stades de som- suggèrent que des aspects de la consolidation en mémoire
meil. De manière surprenante, et contrairement à ce qui procédurale et implicite ont lieu préférentiellement à l’éveil
est classiquement observé chez l’adulte, l’amélioration des chez l’enfant.
performances à l’épreuve de finger tapping est plus impor-
tante après une période de veille qu’après une période
de sommeil, suggérant qu’au cours du développement des
aspects majeurs de la consolidation en mémoire procédu- Sommeil et mémoire au cours du vieillissement
rale ont lieu à l’éveil (figure 2). Dans la même veine, Fischer Au cours du vieillissement, plusieurs modifications
et al. [16] rapportent, dans une étude réalisée chez des physiologiques concernant le sommeil, le fonctionnement,
enfants de 7 à 11 ans, une détérioration des performances la neurochimie et l’anatomie du cerveau peuvent avoir un

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
impact négatif sur la consolidation des souvenirs au cours Les premiers travaux réalisés auprès d’une population
du sommeil (pour revue voir [3]). de sujets âgés ont mis en évidence des corrélations entre
De manière générale, les personnes âgées se plaignent les performances mnésiques obtenues lors d’une épreuve
de difficultés à maintenir un sommeil nocturne, d’un som- de mémoire épisodique et la durée moyenne des cycles de
meil non réparateur, d’un réveil matinal précoce et d’une sommeil, soulignant l’importance de l’architecture d’une
tendance à somnoler au cours de la journée. Ces plaintes nuit de sommeil pour le bon fonctionnement de la mémoire.
sont objectivées par des modifications de l’enregistrement Aucun lien avec la quantité de sommeil lent profond ou
polysomnographique. Ainsi, le sommeil du sujet âgé est de sommeil paradoxal n’est rapporté [3]. Plus récemment,
plus fragmenté (augmentation du nombre de transitions Hornung et al. [24] ont évalué l’effet de différentes mani-
entre les stades de sommeil, reflétant des difficultés à main- pulations visant à augmenter ou à supprimer la quantité
tenir un stade de sommeil donné). L’enregistrement montre de sommeil paradoxal sur la consolidation en mémoire
également une augmentation du nombre et/ou de la durée épisodique et en mémoire procédurale. La suppression
des phases d’éveil au cours de la nuit. L’efficacité de som- de sommeil paradoxal était réalisée grâce à une priva-
meil (rapport entre le temps passé à dormir et le temps tion sélective de ce stade de sommeil. L’augmentation
passé au lit) diminue, devenant inférieure à 80 %. La quan- était soit « physiologique », liée au classique phénomène
tité de sommeil lent profond diminue très nettement, dès la de rebond après une privation sélective de sommeil para-
trentaine, au profit du stade 1. Les analyses quantifiées des doxal, soit pharmacologique (administration d’un inhibiteur
tracés électro-encéphalographiques montrent que les ondes de l’acétylcholinestérase [5 mg de donépézil avant le cou-
lentes delta (1-4 Hz), caractéristiques du sommeil lent pro- cher)]). Ces différentes manipulations n’ont aucun effet
fond, sont moins nombreuses et d’amplitude réduite. Par sur la consolidation en mémoire épisodique. En revanche,
ailleurs, il existe également des modifications des fuseaux l’amélioration des performances à l’épreuve de mémoire
de sommeil et des complexes K, ondes typiquement obser- procédurale était plus importante dans le groupe ayant
vées lors du stade 2, qui sont moins nombreuses, moins bénéficié de l’augmentation pharmacologique de sommeil
bien formées et d’amplitude ou de fréquence réduite. Enfin, paradoxal. Ces résultats suggèrent que l’activation choliner-
le sommeil paradoxal ne serait affecté qu’à partir de 50 gique associée au sommeil paradoxal, plus que le stade de
ans et de manière moindre que le sommeil lent profond. sommeil en lui-même, serait déterminante pour la consoli-
Les modifications se traduisent surtout par le fait que la dation mnésique (figure 2).
durée des épisodes reste constante alors qu’elle augmente Une autre étude réalisée chez des sujets jeunes et des
au fil de la nuit chez le sujet jeune, une réduction de la sujets cinquantenaires a démontré l’existence de troubles
latence d’apparition de ce stade de sommeil (50 à 60 min de la consolidation en mémoire épisodique au cours du
vs 90 minutes chez le sujet jeune) et une diminution de la sommeil chez les sujets cinquantenaires, corrélés à la quan-
densité des mouvements oculaires rapides [3]. tité de sommeil lent profond [25]. Ces résultats ont été
Plusieurs arguments suggèrent une altération du pro- en partie répliqués par Aly et Moscovitch [26] dans une
cessus de consolidation mnésique au cours du sommeil. étude évaluant la mémorisation d’histoires et d’événements
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Tout d’abord, les sujets âgés se plaignent de leur mémoire personnels après une période de sommeil ou d’éveil. Les
et en particulier de leur mémoire épisodique qui béné- auteurs mettent en évidence un effet bénéfique du som-
ficie du sommeil lent profond dont la quantité est très meil sur la consolidation mnésique, et une corrélation entre
fortement réduite chez ces personnes. De plus, le vieillis- l’amélioration des performances et le nombre d’heures pas-
sement s’accompagne de changements dans l’activité de sées à dormir au cours de la nuit (figure 2).
l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien conduisant, de Seules deux études se sont intéressées à la consolidation
manière très schématique, à une augmentation des niveaux d’apprentissages procéduraux/implicites chez le sujet âgé.
de cortisol en début de nuit susceptible d’interférer avec le Ainsi, Spencer et al. [27] n’observent pas d’amélioration
processus de consolidation mnésique [21]. Par ailleurs, il des performances lors d’une tâche d’apprentissage de
a été montré que les niveaux d’acétylcholine diminuent au séquences après une nuit de sommeil, quelle que soit la
cours du vieillissement [22]. Ceci n’aurait pas de consé- condition d’apprentissage (implicite ou explicite), suggérant
quence sur la consolidation en mémoire épisodique, à une altération du processus de consolidation en mémoire
condition que l’encodage, qui lui nécessite des niveaux éle- procédurale au cours du vieillissement. L’étude de Peters
vés d’acétylcholine, soit bien réalisé, mais pourrait avoir un et al. [28] utilisant la tâche du rotor test, montre une amé-
impact négatif sur la consolidation d’apprentissages procé- lioration des performances après un délai d’une semaine,
duraux au cours du sommeil paradoxal. inférieure chez les sujets âgés comparés à des sujets jeunes.
Enfin, les études d’imagerie cérébrale chez le sujet jeune Par ailleurs, la densité de fuseaux de sommeil augmente
ont souligné l’importance du cortex préfrontal dans la récu- après l’acquisition chez les sujets jeunes et est corrélée aux
pération des souvenirs consolidés. Or, le cortex préfrontal performances uniquement dans ce groupe de sujets, sug-
est l’une des régions les plus sensibles aux effets de l’âge, gérant là encore une altération des liens entre sommeil et
tant sur le plan structural que sur le plan fonctionnel [23], et mémoire chez le sujet âgé.
l’une des régions principales impliquée dans la génération Pour résumer, les études réalisées chez le sujet âgé sain
des ondes lentes. montrent une altération du processus de consolidation en

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mémoire épisodique, à mettre en relation avec la réduction la vie, entre mémoire et sommeil. Les travaux soulignent
majeure de la quantité de sommeil lent profond. Pour les également l’intérêt de prendre en charge les troubles du
apprentissages procéduraux, de plus amples investigations sommeil du sujet âgé, ceux-ci pouvant aggraver les défi-
sont nécessaires mais le ralentissement dans la cinétique cits cognitifs déjà présents. Ceci est d’autant plus vrai qu’il
d’acquisition de ce type d’apprentissage pourrait être dû, existe aujourd’hui des traitements non pharmacologiques
outre les déficits de mémoire épisodique (fortement impli- semblant avoir une certaine efficacité. Ainsi, dans une
quée dans les premiers stades de l’apprentissage, voir par étude réalisée auprès de sujets âgés, Raymann et al.
exemple [29]), à une réduction de l’activation cholinergique montrent qu’une élévation de la température corporelle
au cours du sommeil paradoxal. de 0,4 ◦ C, sans modification de la température centrale,
supprime les phases de veille nocturne, double presque
la quantité de sommeil lent profond et diminue forte-
Conclusion ment la probabilité d’un réveil matinal précoce. Cette
simple manipulation de la température corporelle améliore
Les données de la littérature démontrent, grâce à des
donc les troubles du sommeil typiquement associés au
approches expérimentales différentes mais complémen-
vieillissement [30]. Enfin, l’utilisation combinée de la
taires, le rôle bénéfique du sommeil dans le processus
lumière et de la mélatonine chez des patients en institu-
de consolidation des souvenirs. Pour la mémoire épiso-
tion répondant, pour la majorité d’entre eux, aux critères
dique, la consolidation opérerait principalement au cours
diagnostiques de maladie d’Alzheimer, montre des effets
du sommeil lent grâce à un dialogue transitoire entre
bénéfiques sur les symptômes cognitifs (ralentissement du
l’hippocampe et le néocortex, permettant de transférer les
déclin évalué par le MMS), non cognitifs (diminution des
traces mnésiques récemment acquises et encore fragiles
symptômes dépressifs et de l’agitation, etc.) et sur la qualité
vers des sites néocorticaux pour un stockage à long terme.
du sommeil (augmentation de la durée et de l’efficacité du
Ce modèle semble également pertinent chez l’enfant et
sommeil, réduction de la latence d’endormissement et de
au cours du vieillissement. Pour la mémoire procédurale,
la fragmentation du sommeil) [31]. Ces derniers travaux
les études n’ont pas encore permis d’aboutir à une modé-
ouvrent la voie pour le développement de nouvelles thé-
lisation aussi fine du processus. De plus, les liens entre
rapeutiques visant à améliorer la qualité du sommeil
sommeil et mémoire procédurale sont encore mal compris
mais également les performances mnésiques des sujets
chez l’enfant. Au cours du vieillissement, la réduction de
âgés.
l’activation cholinergique pourrait expliquer l’atteinte du
processus de consolidation. De plus amples investigations
sont nécessaires pour avoir une meilleure compréhension Conflits d’intérêts
des interactions, complexes mais aussi variables au fil de Aucun.

Références
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 20/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 89.87.196.137)

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© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 20/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 89.87.196.137)

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