La Culture Au Coeur Des Apprentissages

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Thierry Delavet

Marie-Françoise Olivier

La culture au cœur
des apprentissages
Un nouveau projet pour l’école :
stratégie culturelle
et territoire apprenant
Direction éditoriale : Sophie Courault
Édition : Sylvie Lejour
Coordination éditoriale : Maud Taïeb
Correction : Anne Rémond
Composition : Maryse Claisse

© 2014 ESF éditeur


Division de la société Intescia
52, rue Camille-Desmoulins
92448 Issy-les-Moulineaux Cedex
www.esf-editeur.fr
ISBN 978-2-7101-2928-8
ISSN 1158-4580

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une


part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non desti-
nées à une utilisation collective  » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but
d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans
le consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite  » (art. L. 122-4). Cette
représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu

L a collection PÉDAGOGIES propose aux enseignants, formateurs, animateurs,


éducateurs et parents, des œuvres de référence associant étroitement la réfle­
xion théorique et le souci de l’instrumentation pratique.
Hommes et femmes de recherche et de terrain, les auteurs de ces livres ont, en
effet, la conviction que toute technique pédagogique ou didactique doit être
référée à un projet d’éducation. Pour eux, l’efficacité dans les apprentissages
et l’accession aux savoirs sont profondément liées à l’ensemble de la démarche
éducative, et toute éducation passe par ­l’appropriation d’objets culturels pour
laquelle il convient d’inventer sans cesse de nouvelles médiations.
Les ouvrages de cette collection, outils d’intelligibilité de la « chose éducative  »,
donnent aux acteurs de l’éducation les moyens de comprendre les situations
auxquelles ils se trouvent confrontés et d’agir sur elles dans la claire conscience des
enjeux. Ils contribuent ainsi à introduire davantage de cohérence dans un domaine
où coexistent trop souvent la géné­rosité dans les intentions et l’improvisation
dans les pratiques. Ils associent enfin la force de l’argumentation et le plaisir de
la lecture.
Car c’est sans doute par l’alliance, sans cesse à renouveler, de l’outil et du sens
que l’entreprise éducative devient vraiment créatrice d’humanité.

Pédagogies/Outils : des instruments de travail au quotidien pour les enseignants,


formateurs, étudiants, chercheurs. L’état des connaissances facilement accessible.
Des grilles méthodologiques directement utilisables dans les pratiques.

*
**
Voir la liste des titres disponibles dans la collection « Pédagogies »
sur le site www.esf-editeur.fr
Remerciements

N ous tenons à remercier tous ceux qui nous ont aidés et particulièrement nos
interlocuteurs lors des entretiens qui ont apporté des éclairages essentiels à
notre réflexion. Nous remercions notamment Jean-Marc Autem, Laurent Bachler,
Pierre Badaroux, Anne Barrère, Renée-Paule Blochet, Pierre Boutin, Jacques
Braizaz-Latille, Jean-Charles Brunet, Thierry Houyel, Patrick Mignolas, Étienne
Ragot.
Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans la confiance, les encouragements et la
patience de Philippe Meirieu, professeur d’université.
Table des matières
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Première partie
Culture et éducation, un mariage de raison ?
1. L’improbable rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
L’approche de l’éducation que nous retenons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
L’approche de la culture que nous retenons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Définir la culture dans la stratégie culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Culture et éducation, une difficile rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
L’école, une institution culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
La culture populaire : l’exemple finlandais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

2. La stratégie culturelle, une surprise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27


L’impossible pilotage pédagogique d’un établissement scolaire . . . . . . . . 27
Une stratégie en éducation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32

Deuxième partie
Une stratégie culturelle à travers trois espaces
et en neuf principes
1. Premier espace : les contenus d’éducation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Principe 1. Réifier et partager la culture : ce « pâle objet du désir » . . . . . 43
Principe 2. Construire ensemble : l’insoutenable légèreté du projet. . . . . 53
Principe 3. Développer les compétences par la culture :
culture, socle et autres curiosités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

2. Deuxième espace : dans l’établissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79


Principe 4. Exercer un leadership :
le chef d’établissement, plus petit dénominateur commun . . . . . . . . . . . . . . 79
Principe 5. Transformer l’établissement en organisation apprenante :
La Liberté guidant le peuple. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Principe 6. Faire mieux l’essentiel : sous la démarche, la qualité . . . . . . . . 102

3. Troisième espace : une contextualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119


Principe 7. Territorialiser par la culture : « La cité radieuse » . . . . . . . . . . . . 119

5
La culture au cœur des apprentissages

Principe 8. Développer le partenariat jusqu’à l’hybridation :


« Ecce homo hybridus » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Principe 9. Considérer les temporalités :
« Luxe, calme et temporalités ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

Troisième partie
Un territoire pour apprendre
ou comment construire des parcours culturels
1. Les valeurs fondamentales du projet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
De l’égalité des chances à l’égalité des droits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Liberté de choix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
L’ouverture comme valeur : l’extérieur comme enrichissement,
la coconstruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
La créativité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

2. Des valeurs qui portent des parcours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167


Les parcours existent-ils ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Un parcours nourri par le sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Parcours et compétences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
La question du pilotage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
La construction, le suivi, la représentation des parcours. . . . . . . . . . . . . . . . . 178

3. Mettre en place un territoire apprenant :


élaborer ensemble des parcours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
L’approche conceptuelle du territoire apprenant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Un essai de schématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
L’élaboration des parcours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Les neuf principes du paradigme agencés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
La question de l’évaluation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197

4. Comment entrer dans la stratégie culturelle ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

Table des outils. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207

Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

6
Introduction

C et ouvrage a été rédigé à quatre mains, point de rencontre de deux parcours


singuliers autour d’une même question : quelle place pour la culture dans
la construction éducative de l’élève ? La singularité de ces parcours individuels
passés a nourri largement nos échanges, chacun s’enrichissant en amont de
multiples découvertes : pour l’un, la prise de conscience de ce « rôle pédagogique
aussi nécessaire qu’improbable des chefs d’établissement1 », d’où l’évidente
urgence à faire émerger cet autre possible et sortir enfin de cet unique système
d’administration de l’établissement scolaire ; pour l’autre, des rencontres
imprévues issues du monde artistique, de l’éducation et de la formation, qui
ont fait naître cette intime conviction que la culture devait réinvestir une place
fondamentale dans l’éducation.
D’une part, reconquérir obstinément cette place centrale et fondatrice pour
la culture, la penser au cœur de l’école, au cœur des apprentissages. Et, d’autre
part, refuser cette culture « cerise sur le gâteau », utilitaire et accessoire. Pour
cela, il nous faut regarder au-delà de l’école, apprendre à tisser des liens, favo-
riser les rencontres les plus imprévues, en un mot s’inscrire dans un territoire
humain.
Le maître mot de notre ouvrage est celui de la rencontre, rencontre au sein
même de l’Éducation nationale de deux univers, celui du pilotage et celui de la
culture. Rencontres humaines aussi, avec tous ceux qui, issus d’autres milieux,
ont accepté de nous raconter, d’échanger autour de cette place de la culture dans
l’éducation. Chaque dialogue nous a rendus encore plus sensibles à la complexité
de l’école, à cet empilement des dispositifs, à ce morcellement et, au fond, à ce
sentiment d’immobilisme trop fréquent. Nous sommes devenus curieux et avons
décidé d’explorer tous ces plis et replis, ces interstices qui pourraient créer des
liens et donner du sens. Enfin, une rencontre féconde autour de cette envie de
partager, de mettre en lien, car il y avait urgence à interroger la tonalité, à ques-
tionner autant l’école que la culture, parce que nous avons voulu conjuguer soli-
daires, innovants et utiles.

1. Perrenoud Ph., Le rôle pédagogique des chefs d’établissements, université de Genève, 2009.

7
La culture au cœur des apprentissages

Notre ouvrage nous a appris la rigueur, cette rigueur à plonger dans des textes
sources fondateurs de la pensée, à la découverte de ces écrits qui ont nourri
notre propos. Rigueur aussi de notre conviction qui, au fil de ces deux années de
réflexion et d’expérimentation, s’est affirmée.
Un cheminement vers une utopie, celle qui refuse le réalisme sans avenir de
ce mille-feuille d’une école statique. Nous avons choisi d’être ambitieux et de
mettre en tension l’éducation et la culture, afin de repenser l’existant selon une
logique d’économie et de simplification. Ce bien commun doit être partagé avec
l’ensemble des acteurs de l’éducation. Cet espace conjoint que nous avons large-
ment interrogé et expérimenté est devenu le point de rencontre entre l’intérieur
(l’école) et l’extérieur (le territoire), afin de « faire reculer l’espace2 ». Reprendre
ainsi cette belle idée de Bachelard, celle d’une poétique de l’espace, dans une
perspective qui prendrait en compte l’ensemble des espaces, des temporalités
et des acteurs dans une construction commune. L’humain doit être au cœur de
l’activité. Nous affirmons et revendiquons une école vivante !
Nous proposons un nouveau paradigme organisationnel, en trois espaces
et neuf principes. Nous présentons un processus, sous la forme d’un ensemble
de clés, de logiques pour décaler le regard et donner du sens au parcours
d’apprentissage de l’élève. C’est à cette entreprise de recherche de sens
qu’espère contribuer cet ouvrage, en prenant comme élément principal la
culture. Il peut, à ce titre, permettre à l’ensemble des partenaires éducatifs de
trouver des outils, mais aussi les inciter à imaginer une nouvelle approche de
l’école en inscrivant la culture comme stratégie de pilotage au service de la
construction de parcours pour les élèves.
Comme Gide, nous disant son émerveillement lorsqu’il « tournait le kaléi­
doscope doucement, admirant la lente modification de la rosace. Parfois
l’insensible déplacement d’un des éléments entraînait des conséquences boule-
versantes3 », nous proposons aussi de décaler le regard. Une sorte de kaléidos-
cope pour aider les acteurs de l’école à composer ces nouvelles histoires, ces
nouvelles images, pour de nouveaux parcours éducatifs, dans ces trois espaces,
avec ces neuf principes. Comme l’affirmait encore cet auteur, « il est bien des
choses qui ne paraissent impossibles tant qu’on ne les a pas tentées4 ».
Afin de mettre en œuvre notre paradigme, il nous faut d’abord comprendre
les éléments qui sont en jeu, leur articulation et leur perspective. C’est pourquoi
cet ouvrage comprend trois parties :

2. Bachelard G., La poétique de l’espace, PUF, 1961.


3. Gide A., Si le grain ne meurt, Gallimard, 1999.
4. Ibid.

8
Introduction

• La première partie va explorer d’un point de vue théorique les éléments dont
nous nous sommes emparés, que sont la culture, l’éducation, le pilotage,
pour en arriver à ce que nous nommons la stratégie culturelle.
• La deuxième partie présentera les neuf principes, organisés en trois espaces.
Chacun de ces principes sera exploré sous différentes entrées : d’abord, en
dialogue avec un acteur associé, ensuite, d’un point de vue théorique. Nous
exposerons, pour achever cette présentation, notre mise en œuvre concrète
et les outils que nous proposons.
• La troisième partie s’articulera autour des valeurs fondamentales qui ont
nourri notre travail, envisageant le parcours culturel de l’élève par les
éléments de sa typologie, sa construction et ses différentes étapes. Pour
terminer, nous garderons le concept de territoire apprenant.
Nous invitons donc le lecteur à une plongée dans ce processus qui fait se
rencontrer la culture et l’éducation, au cœur de la stratégie culturelle.

La stratégie culturelle en trois temps

Nouveau projet pour l’école, la stratégie culturelle articule trois axes.


1. Les choix d’orientation
La culture est envisagée comme une politique éducative et non plus comme un
objectif d’ouverture culturelle ; ce n’est pas « la cerise sur le gâteau ». Elle s’appré-
hende donc au niveau global et rassemble ainsi l’ensemble de la communauté
éducative élargie autour d’un projet commun ; c’est une démarche, un processus et
non un catalogue d’actions.
La stratégie culturelle internalise de ce fait la culture au cœur des apprentissages en
lien avec l’extérieur, que ce soit avec les partenaires culturels, associatifs, les struc-
tures territoriales ou encore les familles.
2. L’organisation du système
La stratégie culturelle s’organise en neuf principes, qui permettent d’agencer l’exis-
tant, de le faire évoluer. Ces principes se déclinent en trois espaces : celui des conte-
nus, des savoirs, des compétences en direction des élèves, celui de l’organisation de
l’école et enfin celui de la contextualisation de l’action éducative. Différents outils
conceptuels et techniques permettent son opérationnalisation.
La stratégie culturelle favorise l’agencement des actions en temps et hors temps
scolaire, sur un territoire, pour construire des parcours culturels.
3. Le pilotage du système
Contribuant à la cohésion de l’ensemble de l’action éducative, la culture ainsi envisa-
gée comme stratégie se place dans et hors l’école, au même titre que l’éducation. Les
pilotes peuvent s’en saisir pour le projet d’école, le projet d’établissement ou encore
comme stratégie globale du contrat d’objectifs.

9
Première partie

Culture
et éducation,
un mariage
de raison ?

A fin d’observer et d’analyser les relations entre culture et éducation, nous


avons largement exploré les acceptions que d’autres ont pu leur donner. Un
long travail de recherche nous a emmenés dans les textes de chercheurs, sur le
terrain au plus près des enseignants et des élèves, ailleurs, comme en Finlande
lors de notre visite d’étude. Il nous fallait ainsi prendre position et investir une
définition pour chacun des deux termes, cela pour faciliter ensuite notre travail.
1
L’improbable rencontre

L a culture et l’éducation à l’école, un « mariage de raison » ? L’école a du mal à


reconnaître la place éducative de la culture, au profit d’une entrée par connais-
sances et savoirs. Le système isole cette entrée culturelle dans quelques disci-
plines qui lui sont dédiées. Il faut renforcer et reconnaître la mission culturelle
de l’école et celle éducative de la culture, ces deux missions entrant ainsi en
résonance dans une coordination et un ancrage fort sur un territoire. L’école doit
apprendre à construire avec ses partenaires et la culture. Parce qu’elle ouvre des
perspectives multiples sur la société, elle peut devenir un objet fédérateur.

L’approche de l’éducation que nous retenons


Le concept même d’éducation questionne à la fois le citoyen, le chercheur et
l’acteur de l’école. Deux conceptions vont s’opposer dans leur démarche ainsi que
dans leur étymologie. La première, fondée sur le verbe latin educere, ex-ducere
signifiant « conduire hors de », traduit une dynamique de mouvement, voire
d’arrachement. Dans ce cas, la vision de l’éducation est d’émanciper le citoyen
en l’affranchissant de sa condition initiale. L’école permet alors d’échapper aux
déterminismes liés à l’âge et au milieu. Une seconde acception reliée au latin
educare, signifiant « élever, nourrir, prendre soin », renvoie non plus à l’arrache-
ment mais à son contraire, l’enracinement, comme le souligne le philosophe Alain
Kerlan1. Dans ce cas, notre école et l’éducation qu’elle met en œuvre devront
choisir un chemin en résonance entre héritages sociaux et mission émancipatrice
de l’école. Le savoir scolaire peut-il être le vecteur de cette démarche ? Peut-il être
un vecteur pour tous ou seulement pour ceux qui atteindront un niveau suffisant
de pertinence dans les savoirs ?
Au printemps 2013, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la
refondation de l’école de la République affirme dans son article 3 : « L’éducation
est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et
organisé en fonction des élèves et des étudiants pour favoriser leur réussite
scolaire. Il contribue à l’égalité des chances. Il les prépare à une formation

1. http://alain.kerlan.pagesperso-orange.fr/INDIVIDU_ET_SOCIETE_MR2.htm.

13
La culture au cœur des apprentissages

tout au long de la vie. » Le Code de l’éducation lui-même reste assez général :


« L’éducation est la première priorité nationale… Il contribue à l’égalité des
chances. Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission
première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République2. »
Si les textes fondateurs de l’école française mentionnent des objectifs comme
l’égalité des chances (non précisée dans son contenu) et la transmission des
connaissances (les savoirs scolaires ?), ils restent remarquablement flous sur une
définition de l’éducation. Le site officiel du ministère de l’Éducation nationale,
Éduscol, dans son dossier de présentation de l’enseignement scolaire en France,
évoque les grands principes comme la gratuité, puis bascule dans des domaines
techniques3. Le tableau souvent évoqué, Instruire – Éduquer – Former, n’a ni défi-
nition ni valeur légale. La dialectique entre instruire et éduquer perdure.
Qu’entendons-nous par éducation ? Bernard Charlot définit ce terme comme
« le processus par lequel un petit de l’espèce humaine, inachevé, dépourvu des
instincts et des capacités qui lui permettraient de survivre rapidement seul,
s’approprie, grâce à la médiation des adultes, un patrimoine humain de savoirs,
de pratiques, de formes subjectives, d’œuvres. Cette appropriation lui permet
de devenir […] : un être humain, le membre d’une société et d’une communauté
et un sujet singulier, absolument original ». Nous retenons particulièrement ce
triptyque qui prendra sens plus tard dans notre développement, une éducation
répondant à « un triple processus d’humanisation, de socialisation et de singula-
risation4 ». Une éducation qui s’assimile à ce processus et qui donne évidemment
une place importante à l’accompagnant, et donc aux enseignants.
Nous postulerons ainsi qu’éduquer se conçoit selon trois volets – des valeurs,
des outils et des institutions – et retiendrons la définition proposée par Bernard
Charlot. Les valeurs sont celles de la République ; les outils regroupent les
savoirs, les compétences ; les institutions sont celles de notre société : l’école et
ses partenaires.

L’approche de la culture que nous retenons


Il peut paraître illusoire de chercher à définir d’une façon rigoureuse le terme
« culture ». Ce mot a évidemment évolué au cours des années, recouvrant une
foule de concepts différents et nous renvoyant à des acceptions qui nous ouvrent
un univers trop vaste pour se prêter à une vision univoque. Cependant, nous

2. Code de l’éducation, article L. 111-1, modifié par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, art. 1,
JORF, 2 avril 2006.
3. http://cache.media.eduscol.education.fr/file/dossiers/07/1/2013_EnseignementScolaire
France_244071.pdf.
4. Charlot B., Les sciences de l’éducation, Un enjeu, un défi, ESF éditeur, 1995.

14
L’improbable rencontre

pouvons constater que certaines définitions correspondent à des conceptions


assez communes de la culture pour que l’on puisse dire qu’elles sont partagées
par une grande partie de la société. Le Grand Robert de la langue française met
en tension deux entrées holistiques, « l’ensemble des aspects d’une civilisa-
tion » et « l’ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés
humaines ». Le Petit Larousse (2004) décrit la culture comme l’« ensemble des
usages, des coutumes, des manifestations artistiques, religieuses, intellec-
tuelles qui définissent et distinguent un groupe, une société ». Plusieurs sources
donnent à la culture le sens suivant : « ensemble des connaissances acquises par
un individu. »
Une des premières définitions de ce terme a été avancée par l’anthropologue
Edward B. Tylor dans son recueil Primitive Culture publié en 1871. « La culture ou
la civilisation, entendue dans son sens ethnographique étendu, est cet ensemble
complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale,
les coutumes et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert l’homme en
tant que membre d’une société5. » Il associait alors le terme culture à celui de
civilisation. De cette approche historique, nous pouvons néanmoins noter trois
points qui vont venir nourrir notre réflexion et nous aider à définir plus précisé-
ment ce terme :
–– cette définition du mot culture, présentée sous la forme d’une énumération,
regroupe donc un ensemble de faits exposés, observés qui peuvent être
modifiés, complétés, et qui évoluent dans le temps. Cet aspect évolutif, en
mouvement est un élément important à noter ;
–– la culture n’est pas héritée génétiquement, elle est toujours un apprentis-
sage dont chacun va s’emparer et faire sien ;
–– elle est le résultat de la vie sociale, sans société nous ne pouvons avoir
de culture. Elle nous renvoie forcément à un groupe humain. Il est ainsi
possible de catégoriser au sens courant des cultures, comme par exemple
la culture populaire, africaine, artistique… Mais ces catégories nous
renvoient toujours à des segments particuliers d’une société, relevant d’un
genre, d’un pays ou encore d’une approche plus technique.
Cette analyse de la définition de Tylor nous enseigne que la culture inclut tous
les aspects de la vie et pas seulement les connaissances que l’on possède ; elle
nous renvoie au monde qui nous entoure comme un ensemble humain et vivant.
Il nous a semblé également intéressant de nous pencher sur la polysémie du
terme culture, afin de pouvoir en dégager une orientation qui guidera l’ensemble
de notre propos. Jean-Claude Forquin, dans son livre École et culture, nous

5. Tylor E. B., La civilisation primitive, volume 2, traduction Barbier E., C. Reinwald et Cie, 1876-
1878.

15
La culture au cœur des apprentissages

propose cinq acceptions possibles. En premier, la conception philosophique


oppose la nature à la culture. Un second sens correspond à l’idée habituelle que
nous nous faisons de l’homme cultivé et désigne les caractéristiques souhaitées
qu’il doit acquérir, « c’est-à-dire la possession d’un large éventail de connais-
sances et de compétences cognitives générales6… » Ensuite, nous retrouvons
l’acception proposée par les sciences sociales, sociologie et anthropologie ; cette
proposition fait référence aux traits spécifiques d’une société, d’une communauté
ou d’un groupe à une époque donnée quant à leur mode de vie. La culture patri-
moniale constitue le quatrième type de référent et renvoie à l’héritage collectif,
intellectuel et spirituel légué par un groupe ethnique et définissant l’identité de
ce groupe, avec la volonté de distinguer sa culture personnelle d’appartenance
des cultures proches. Enfin, la cinquième acceptation ouvre à l’universalité en
recherchant ce qui unit, à la différence de la précédente proposition qui mettait
en avant ce qui pouvait séparer. Cette dernière acception donne à la culture toute
sa valeur universelle, transcendant ainsi les frontières et les particularismes des
pensées, prônant une mémoire commune et une dimension universelle.
Nous avons donc choisi pour notre réflexion la définition adoptée par l’Organi-
sation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) : « La
culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits
distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une
société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes
de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les
traditions et les croyances7. »
Dans notre société occidentale, la culture peut apparaître comme un objet à
posséder afin d’accéder à une élite. Hannah Arendt évoquait déjà cette dérive :
« Le Philistin méprisa d’abord les objets culturels comme inutiles, jusqu’à ce que
le Philistin cultivé s’en saisisse comme d’une monnaie avec laquelle il acheta une
position supérieure dans la société, ou acquit un niveau supérieur dans sa propre
estime – supérieur, c’est-à-dire supérieur à ce qui dans son opinion personnelle
lui revenait par nature, ou par naissance8. » Il nous faut refuser cette culture
« faite d’accumulation de biens ou des signes de distinction9 », l’école n’a pas
vocation à nourrir les Philistins de notre société. Cette forme de culture ne peut
être la seule finalité de l’être. Celui-ci doit « “faire de sa vie une œuvre à travers
le métier de vivre”. Dans cette problématique de l’être, le sujet se pose dans son

6. Forquin J.-C., École et culture, Le point de vue des sociologues britanniques, De Boeck, 1996.
7. Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques
culturelles, Mexico City, 26 juillet-6 août 1982.
8. Arendt H., La crise de la culture, Folio essais, 2010.
9. Caune J., La démocratisation culturelle, Une médiation à bout de souffle, PUG, 2006.

16
L’improbable rencontre

rapport à l’autre et se construit à la fois dans sa singularité et dans son apparte-


nance à un Nous constitué par un partage de valeurs et de sensibilités. La culture
est ce qui permet de partager avec l’autre une vision de l’environnement social et
un système de reconnaissance réciproque10 ».
Même si notre choix s’est fixé sur une définition qui semble nous offrir les
dimensions recherchées, nous nous apercevons par ces propos liminaires de
cette difficulté évidente à stabiliser le terme. Au-delà de l’objet culturel, la culture
apparaît aussi et surtout comme un rapport à l’autre, aux autres, et offre ainsi une
infinité de possibles. Nous achèverons ce rapide survol des acceptions relatives
à ce mot en citant André Malraux : « Tout le destin de ce que les hommes ont mis
sous le mot culture tient en une seule idée : transformer le destin en conscience ;
fatalités biologiques, économiques, sociales, psychologiques, fatalités de toutes
sortes, les concevoir d’abord pour les posséder ensuite. Non pas changer
un inventaire en un autre, mais étendre jusqu’aux limites des connaissances
humaines la matière dans laquelle l’homme puise, pour devenir davantage un
homme, la possibilité infinie des réponses aux questions vitales11. »

Définir la culture dans la stratégie culturelle


Nous avons acté depuis de nombreuses années la place des pratiques artis-
tiques et culturelles :

« À l’école, au collège puis au lycée, l’éducation artistique apporte des connaissances


indispensables à la formation culturelle des élèves. Elle permet de développer une
approche sensible et critique du monde conjuguant plusieurs qualités : la sensibilité aux
œuvres et à leurs contextes, l’approche cognitive des langages et le développement de
pratiques expressives. Elle contribue à la construction progressive de l’identité sociale,
civique et culturelle, tout en mobilisant et développant l’initiative et l’autonomie des
élèves. Elle construit enfin nombre de repères qui fondent la culture humaniste12. »

Dans la stratégie culturelle, la culture ne peut être réduite au seul volet artis-
tique et culturel. Elle y occupe une autre place, une place plus centrale, plus
intimement liée au fonctionnement de l’établissement et à l’acte d’éduquer. La
culture est en résonance avec d’autres éléments, comme par exemple les disci-
plines scolaires, qu’elle vient en quelque sorte compléter, améliorer, enrichir.
L’ensemble des disciplines scolaires possède un fondement culturel, elles sont

10. Caune J., op. cit.


11. Malraux A., Discours « Sur l’héritage culturel » le 21 juin 1936, La politique, la culture, Folio
essais, 10 février 2009.
12. « Les dimensions artistique et culturelle des projets d’école et d’établissement », circulaire
n° 2007-022 du 22 janvier 2007.

17
La culture au cœur des apprentissages

toutes issues d’un questionnement sur le monde ; c’est cette approche anthro-
pologique de la culture qu’il nous semble important de favoriser. Comme le dit
Philippe Meirieu, « il ne s’agit pas ici de la culture-programme, recueil de vestiges
périmés dont la connaissance allusive permet de se distinguer dans le champ
social13 », mais nous parlons bien ici d’une culture qui va permettre à l’enfant de
comprendre, d’interroger le monde, des ressources qu’il pourra aller puiser dans
des savoirs scolaires, mais aussi dans des œuvres qu’elles soient plastiques,
littéraires ou musicales, des démarches collectives profondément humaines. La
culture est au centre, au cœur même de cet acte d’éduquer. Il y a donc une diffé-
rence fondamentale avec le volet artistique et culturel qui n’est, en fait, qu’un
catalogue d’actions.
Nous partageons ainsi la notion de culture aux côtés de Bernard Charlot,
par cette réponse au triptyque sur l’éducation : « L’éducation est culture14. »
L’éducation est culture, parce que l’éducation est « humanisation » ; elle permet
l’entrée dans un univers de signes, de symboles, elle permet ainsi la construction
du sens. L’éducation est culture parce qu’elle est « socialisation », « parce que
personne ne peut s’approprier le patrimoine dans son intégralité et que forcé-
ment on va entrer dans un groupe de culture ». L’éducation est culture parce
qu’elle est « singularisation » car elle est « un mouvement par lequel je me cultive,
j’entre dans la culture, ma propre culture, je deviens singulier, je me nourris aussi
par la culture des autres ».
Nous choisissons une approche de la culture plus large et globalisante que la
culture élitiste souvent mise en avant. Nous prenons un exemple courant dans le
cadre d’un séjour à l’étranger, en l’occurrence à Istanbul. L’enseignant construira
certainement son cheminement autour de grands lieux historiques et patrimo-
niaux et étudiera la Mosquée bleue, la cathédrale Sainte-Sophie et le palais de
Topkapi. Ces références ne sont pas oubliées mais Istanbul ne peut se résumer
à ce patrimoine historique classé. Istanbul est aussi une ville vivante, composée
certes d’édifices prestigieux mais tout autant d’habitants. Ainsi, un Français
pourrait-il trouver satisfaisant qu’un étranger pense comprendre la France et la
culture française en venant à Paris visiter la tour Eiffel, le Louvre et le musée de
Cluny ? Peut-on réduire une société, un pays à ses seuls monuments patrimoniaux
et à la symbolique que l’époque leur donne ?
Traditionnellement, le professeur étudiera la Mosquée bleue (ou Sultanahmet
Camii) selon plusieurs entrées : patrimoine, histoire ou histoire des arts. Cette
approche, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas suffisante dans le cadre d’un

13. Meirieu Ph., Pédagogie : des lieux communs aux concepts clés, ESF éditeur, 2013.
14. Charlot B., Conférences générales du premier Forum mondial de l’éducation de Porto Alegre,
conférence faite en portugais le 26 octobre 2001.

18
L’improbable rencontre

projet éducatif car trop limitative, trop réductrice selon des schémas scolaires.
Dans le cadre de notre approche culturelle, l’enseignant pourra travailler avec ses
élèves sur d’autres dimensions comme dans l’exemple suivant. Celui-ci croise les
domaines les plus classiques de l’approche culturelle, la Corne d’Or et ses réfé-
rences antiques, avec des domaines contemporains comme celui des migrations
internationales ou le rapport au travail et à l’activité économique d’une société.
Les domaines architecturaux et graphiques viennent compléter ce panorama.
Cela n’est qu’un exemple volontairement emprunté au registre classique d’une
action scolaire. Il veut simplement illustrer l’immensité des axes, pistes, possibles
autour de l’entrée culturelle.

Istanbul : une autre approche culturelle

1 2

Lignes, lumières, couleurs, éléments de décoration,


espace construit, architecture…

3
4

Cadres qui fournissent des éclairages :


1. Tour de Galata : la domination de Gênes, les villes italiennes en Méditerranée au Moyen Âge (1346).
2. Istanbul capitale européenne de la culture en 2010/Istanbul et ses quartiers populaires, échoppes, commerce,
mode de vie…
3. La Corne d’Or : les croisés devant Constantinople (1209). Voie maritime, lien avec le Bosphore, les détroits.
4. Le tramway, déplacements (xixe/xxe siècles). Pêcheurs stambouliotes : activités, vie économique, traditions.

19
La culture au cœur des apprentissages

L’approche culturelle que nous retenons est celle de la vie sous toutes ses
formes. Elle intègre le territoire, les habitants avec leur histoire, leur présent et
leur futur. Les éléments naturels se combinent avec les construits en relation avec
les modes de vie et l’organisation sociétale. En aucune façon l’approche patrimo-
niale ne peut répondre seule à ces interrogations.
Définissant un nouvel espace de coconstruction favorisant le changement, la
stratégie culturelle est un paradigme organisationnel. Nous proposons un retour-
nement de la place de la culture : nous n’attendons pas des effets improbables,
ou peu perceptibles, sur telle ou telle discipline ; nous dépassons la culture
émotion car actée pour tous : nous allons plus loin tout en préservant tout ce qui
a été fait avant, nous le validons, comme l’ouverture culturelle, la place pour les
disciplines artistiques. Nous repensons l’école par le prisme du pilotage éducatif
et de sa stratégie culturelle. La culture n’apparaît alors plus comme une « cerise
sur le gâteau15 » mais comme la substance même de l’acte éducatif.

Culture et éducation, une difficile rencontre


Intimement mêlées au sein des institutions républicaines depuis deux siècles,
l’éducation et la culture ont toujours entretenu des relations ambivalentes de
Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, à la création du
ministère des Affaires culturelles confié à André Malraux en 1959. Le ministère de
la Culture et de la Communication s’est doté d’une structure propre en ouvrant
peu à peu le concept de culture comme, par exemple, en élargissant le patrimoine
des Monuments historiques à l’ethnologie et à la photographie. L’Instruction
publique disparaît en 1934 au profit de l’Éducation nationale. Ces deux humani-
tés, si proches dans l’histoire française, ont aujourd’hui bien du mal à dialoguer
conjointement dans une société catégorisant, isolant les champs de la connais-
sance.

Entrer par la dialogique


Le principe dialogique, proposé par Edgar Morin, semble rendre compte de
la difficile construction liant les deux mondes que sont l’éducation et la culture.
« Dialogique signifie unité symbiotique de deux logiques, qui à la fois se nour-
rissent l’une l’autre, se concurrencent, se parasitent mutuellement, s’opposent
et se combattent à mort. Je dis dialogique, non pour écarter l’idée de dialectique,
mais pour l’en faire dériver. La dialectique de l’ordre et du désordre se situe au
niveau des phénomènes ; l’idée de dialogique se situe au niveau du principe,

15 . Olivier M.-F., Delavet T., « La culture n’est pas la cerise sur le gâteau », Cahiers pédagogiques,
n° 496, mars-avril 2012, p. 64.

20
L’improbable rencontre

et j’ose déjà l’avancer16. » Le mot dialogique apparaît dans la pensée d’Edgar


Morin comme une réponse, un défi par rapport à nos approches habituelles, nos
logiques cartésiennes qui tendent obstinément à expliquer, ou à opposer. Le réel
peut ainsi s’exprimer dans une unité complexe, c’est-à-dire à la fois complémen-
taire, concurrente et antagoniste, de deux ou plusieurs logiques, voire contraires.
La dialogique permet de penser la complexité du réel, de faire sortir les contra-
dictions pour envisager l’ensemble dans un système complexe, un système qui
repose sur la coopération.
Pour concrétiser cette idée, nous pourrions voir dialogiquement le rapport
entre l’éducation prônée par notre système institutionnel et la culture. La
première logique étant celle de l’Éducation nationale avec son institution, ses
établissements, ses enseignants, ses disciplines, ses programmes ; l’autre
logique étant celle de la culture avec ses croyances, ses valeurs, ses symboles,
ses œuvres, ses langages, ses outils. Ces deux logiques viennent explicitement
se contredire, s’opposer mais aussi se compléter. Deux tendances éducatives qui
se relient d’une façon originale, se combattant, mais qui cohabitent aussi depuis
si longtemps pour tendre vers une éducation plus vraie et plus juste. Comme
l’affirmait déjà Michel Develay en 2003, « il nous faut faire du couple savoirs-
culture le principe régulateur de l’activité scolaire pour conduire les enseignants
à se demander si, lorsqu’ils enseignent, ils tentent de donner du sens à leurs
contenus, en reliant les savoirs à la culture17 ».
Pourtant, nous ne pouvons que constater l’installation d’un système que nous
qualifierons de consommation réciproque. Le monde de l’Éducation nationale
souhaite trop souvent un « produit culturel » adapté exactement à sa demande.
Dans le monde culturel, la logique du nombre est souvent prédominante dans une
obligation de mission pédagogique, pour l’obtention de certains labels, subven-
tions de structures nationales ou départementales. Il nous faut donc sortir de
cette logique de consommation et apprendre à travailler ensemble, pour fédérer
des projets communs, où le processus et la démarche seront prioritaires sur le
résultat et où la coconstruction deviendra l’opérationnalisation.
Comme l’affirmait déjà Edgar Morin en 1997, il faut « partir des grandes
interrogations, notamment la grande interrogation anthropologique : “Qui
sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ?” Il est évident que si l’on pose
cette question, on peut répondre à l’enfant, à travers une pédagogie adéquate
et progressive, en quoi et comment nous sommes des êtres biologiques, en
quoi ces êtres biologiques sont à la fois des êtres physico-chimiques, des êtres

16. Morin E., La méthode, Éthique (t. 6), nouvelle édition, collection « Points », Le Seuil, 2006.
17 Develay M., « L’école, les savoirs et la culture comme principe de régulation du système
scolaire », colloque « Des savoirs pour un monde solidaire », Vénissieux, 2004.

21
La culture au cœur des apprentissages

psychiques, des êtres sociaux, des êtres historiques, des êtres dans une société
vivant en économie d’échanges, etc.18 ». Nous apercevons ainsi la place primor-
diale que pourrait entretenir la culture comme fondement de l’ensemble des disci-
plines scolaires. Toute discipline est de ce fait un construit culturel, une réponse
à une grande question posée à la société et qui a permis de développer des outils
que nous retrouvons dans ces disciplines.

Le rôle éducatif de la culture


Comme nous le disait déjà Jean-Claude Forquin, « le rapport entre éducation
et culture pourrait bien relever davantage en fait de la métaphore du bricolage
(comme réutilisation à des fins pragmatiques momentanées d’éléments emprun-
tés à des systèmes hétérogènes) que de celle du reflet ou de la correspondance
expressive19 ». Il est urgent de modifier ce lien entre l’éducation et la culture.
Nous sommes conscients que l’école se contente trop souvent de développer
en le compartimentant le côté instrumental des domaines culturels, en mettant
en avant une image volontairement idéalisée pour une acception sociale d’une
culture validée et autorisée. La pratique est souvent décontextualisée de l’œuvre
vivante, de la démarche, des valeurs et des questionnements fondamentaux.
Nous ne trouvons que très rarement un ancrage dans les autres disciplines de
l’école. L’expérience collective, la culture vivante développée par la société et les
groupes humains qui l’animent ne sont pas enseignées en classe.

L’école, une institution culturelle


Denis Simard nous rappelle l’urgence à « resserrer les liens entre l’école et
la culture » et à « repenser le rôle de l’école comme institution culturelle dans
le contexte de la fragmentation et de la dispersion qui caractérise la culture
actuelle20 ». Il nous faut donc envisager l’école comme une institution culturelle
ancrée dans un territoire défini comme un espace partagé. Une communauté qui
interroge et valide les objets culturels. Les disciplines seront ainsi envisagées
comme des construits culturels, des langages et des outils pour comprendre le
monde ; elles viendront se nourrir des propositions faites par les partenaires.

18. Communication au Congrès international « Quelle université pour demain ? Vers une évolu-
tion transdisciplinaire de l’université » (Locarno, Suisse, 30 avril-2 mai 1997) ; texte publié dans
Motivation, n° 24, 1997.
19. Forquin J.-C., op. cit.
20. Simard D., Repères pour une école culturelle, www.ordp.vsnet.ch/fr/resonance/2002/
octobre/Simard.htm.

22
L’improbable rencontre

Dans ce modèle, l’élève s’inscrira dans cette communauté de dialogue, où


il se confrontera aux questions fondamentales, utilisant ces outils et langages.
Il pourra ainsi intégrer les réponses que d’autres auront déjà faites avant lui et
proposer à son tour de nouveaux outils et de nouveaux langages partagés dans
son territoire. C’est cette approche que nous schématisons ci-dessous.

Une approche culturelle de l’école

Territoire : espace partagé École : institution culturelle


• Cultures vivantes et diverses • Lieu de dialogue
• Cultures patrimoniales • Lieu d’expertise
• Structures de diffusion • Lieu de questionnement
• Partenaires
Favoriser une approche
culturelle de l’enseignement
au bénéfice de l’élève

Enseignant : Savoirs :
un médiateur culturel des construits culturels
Organise le dialogue entre • Des langages pour
l’élève et l’héritage culturel comprendre le monde
(les disciplines et leur • Des outils au service
fondement culturel) du projet personnel
• Une mise en culture
de chaque discipline

Élève : inscrit dans une communauté d’interrogation et de recherche


• Élabore de nouveaux langages et outils
• Questionne, investit ces outils, les met en dialogue avec ce que d’autres ont déjà réalisé avant
• Donne du sens aux savoirs de l’école

La culture populaire : l’exemple finlandais


Le modèle finlandais s’impose aujourd’hui comme une référence incon-
tournable, soit comme exemple à suivre, soit comme mise en tension de notre
système éducatif. L’exceptionnelle réussite décrite par les études PISA21 depuis
2000 traduit des performances élevées tant d’un point de vue des résultats que
de la réduction des inégalités socio-économiques. Cette réussite prend-elle appui
sur une approche différente des éléments culturels ?
Au-delà de notre réflexion, afin de nourrir notre recherche, nous nous sommes
rendus en Finlande à Turku en 2011, pour observer le système finlandais avec
comme problématique l’intégration des parcours artistiques et culturels comme

21. Program for International Student Assessment, www.oecd.org/pisa/pisaenfranais/publication-


senfranais.htm.

23
La culture au cœur des apprentissages

facteur favorisant les apprentissages. Il s’agissait de mettre en relation les


connaissances théoriques concernant la place de la culture dans le modèle finlan-
dais et son opérationnalisation. Le fait que Turku soit la capitale européenne de
la culture en 2011 offrait ainsi une opportunité pour cette recherche. Notre obser-
vation s’est articulée autour de ce questionnement avec l’école Vähä-Heikkilän,
le collège Topeliuksen, le lycée Juhana Herttuan situés dans la ville de Turku et le
lycée Paraisten Lukio à Parainen.
En Finlande, l’échelon national définit les curricula, qui fournissent le cadre
et les objectifs à atteindre. L’échelon local, celui de la ville de Turku dans notre
cas, construit sa politique en étant le « promoteur » éducatif, l’employeur des
enseignants et le financeur. La ville organise, en totale autonomie, le service
éducatif, elle met en cohérence et nourrit les parcours. Sa politique culturelle est
vécue comme symbiotique avec sa politique éducative (à l’échelon national, le
ministère est commun). Le fait culturel ne se perçoit pas comme une opposition
entre une culture classique et une culture populaire. De nombreux Finlandais
vivent ces deux acceptions sans aucune contradiction et leur relation avec les
formes de culture devient donc naturelle et simple. La place de cet échelon local
est remarquable pour un Français. La commune de Turku possède une grande
autonomie et regroupe un territoire plus proche en France du regroupement
cantonal. Nous avons pu faire le lien avec le département de la Savoie. L’échelon
spatial équivalent serait un des sept territoires, comme la Maurienne (six cantons)
ou le territoire de Chambéry (huit cantons). Cet échelon territorial finlandais peut
donc disposer de ressources relativement importantes, il possède une autonomie
dans de nombreux domaines qui implique une gouvernance forte et précise, un
leadership assumé, y compris dans l’éducation.
C’est dans ce sens que la ville de Turku a visité la dimension culturelle de sa
politique éducative. Un travail précis de mise en relation des programmes et des
offres culturelles a été effectué par les responsables de cette commune en lien
avec les chefs d’établissement. À chaque niveau, les élèves découvrent une à
deux structures culturelles (de manière obligatoire et intégrée à la scolarité) ;
cette découverte est progressive et pensée suivant un cheminement, la commu-
nication et l’accès au livre étant le premier axe visité dans ce curriculum culturel
des élèves. La culture est placée dans une perspective non élitiste ; cette démo-
cratisation vise à donner une place importante à une culture populaire largement
partagée. Ces activités se pratiquent dans le temps scolaire mais également hors
temps scolaire avec des propositions, après la journée scolaire qui se termine au
plus tard à seize heures. De véritables parcours culturels pensés en temps et hors
temps scolaire, où l’établissement scolaire devient après les cours un lieu partagé
entre les familles, les partenaires culturels et les élèves.

24
L’improbable rencontre

L’autonomie semble être au cœur de la démarche, elle se décline à plusieurs


niveaux :
• Pour les élèves, elle constitue l’élément principal de l’apprentissage, dès
le primaire, dans le comportement attendu mais aussi dans la manière
de travailler. Dans cet espace de liberté offert par l’enseignant, les élèves
réalisent le travail demandé avec un niveau de contrainte qui pourrait nous
sembler faible. Les élèves peuvent, à certains moments de l’année, choisir
leurs enseignements et, au fil de leur scolarité, décident de leur curriculum.
Paul Robert met ainsi en avant cette particularité finlandaise comme une
des possibilités d’évolution du système français22. Les disciplines cultu-
relles ont une place importante comme celles relevant de savoirs vernacu-
laires et techniques. La filière bois, par exemple, se place comme un objet
d’éducation partagé et donnant du sens à des projets d’orientation.
• Pour les familles, le choix de l’école se fait au regard des projets des établis-
sements. L’absence de carte scolaire ne pose aucun problème mais, en cas
de désaffection d’une structure scolaire, l’établissement se remet en ques-
tion et redéfinit un projet éducatif qui s’ancre dans la culture.
• Pour les enseignants, la liberté pédagogique permet un vaste choix de
procédures, de tactiques, de processus. Les enseignants sont particuliè-
rement autonomes dans leur démarche, dans le cadre des curricula et du
projet de leur établissement. Les régulations semblent faire l’objet d’un
dialogue régulier avec le chef d’établissement, dans un esprit de compro-
mis qui constitue un élément déterminant du système. Le compromis
accepté n’est plus remis en cause et chacun y participe. Le chef d’établis-
sement recrute les enseignants sous la tutelle de la ville et organise les
périodes d’activité. Il doit conduire une politique éducative en concertation
avec les professeurs et se positionne en « leader » qui organise, fédère et
coordonne.
L’organisation avec une école primaire en six niveaux associée à un secondaire
inférieur de trois niveaux (équivalent du collège) permet un suivi, une harmoni-
sation des progressions. L’absence de rupture se remarque également avec le
secondaire supérieur et avec le supérieur. Un même professeur enseigne souvent
dans plusieurs niveaux en primaire, au collège et au lycée. Le fait que les profes-
seurs enseignent dans plusieurs disciplines, géographie et biologie, histoire,
anglais et orientation, français et arts plastiques, participe à l’absence d’enfer-
mement disciplinaire et permet une plus grande ouverture culturelle, ancrée dans
les propositions du territoire.

22. Robert P., La Finlande : un modèle éducatif pour la France. Les secrets de la réussite, ESF éditeur,
2008, collection « Pédagogies ».

25
La culture au cœur des apprentissages

La Finlande nous a confortés dans l’organisation en territoires culturels qui


crée des espaces à dimension humaine permettant des communautés de travail.
Ce pays a également mis en exergue la particularité française de dissocier les
cultures et tout particulièrement de favoriser une culture élitiste. La culture, bien
que rarement mentionnée dans les études PISA, fait pourtant partie intégrante du
système scolaire finlandais.

26
2
La stratégie culturelle, une surprise

L a mise en relation culture et éducation pose la question du positionnement


respectif de chacun de ces concepts. Nous avons choisi de proposer un
pilotage de l’éducation par la culture et de le construire à partir d’un processus
modélisé. Il est alors possible de formuler un nouveau paradigme organisationnel
qui offre une alternative à l’impossible pilotage pédagogique et éducatif.

L’impossible pilotage pédagogique d’un établissement scolaire

Le pilotage pédagogique et éducatif : chimère ou arlésienne


La question de l’existence du pilotage des établissements scolaires se pose
dès lors que l’on cherche à définir la teneur de ce pilotage. Les acteurs de l’édu-
cation ne tiennent pas forcément à la présence d’un pilotage et donc d’un pilote.
La notion de pilotage nécessite de prendre en compte deux notions : celle des
missions, des objectifs de l’école et celle des moyens mis en œuvre pour remplir
cette mission, atteindre ces objectifs.

Existe-t-il un pilote ?
Dans l’enseignement français, les pilotes de terrain, de proximité, à savoir les
inspecteurs de l’Éducation nationale et les chefs d’établissement, sont recrutés
dans le vivier des professeurs dans leur très grande majorité et sur l’a priori de
leurs compétences professionnelles passées. Les compétences en question sont
professorales et non managériales. Les choix opérés lors des concours de recru-
tement viennent bien évidemment préciser le tableau mais, au final, les qualités
professionnelles qui seront indispensables ne sont que fort peu connues et diffi-
cilement appréciées. Dans ces conditions, quel chef d’établissement, quel inspec-
teur de l’Éducation nationale (IEN) est réellement formé au management ? Lequel
possède cette vision indispensable à la définition d’une politique d’établissement
ou de circonscription ?
Le système bureaucratique que nous connaissons se positionne en affichant
les valeurs de la République sans bien se demander comment les mettre en œuvre
et surtout par quelle approche ou quelle stratégie. Si, à l’évidence, « la notion de

27
La culture au cœur des apprentissages

“pilotage pédagogique” n’est pas sans ambiguïté, on saisit bien qu’elle s’oppose
à un pilotage purement gestionnaire ou administratif 1 ». Le pilotage pédagogique
relèvera donc de pratiques d’encadrement, d’accompagnement des professeurs
dans leur interaction avec les élèves.

Actuellement, un pilotage pédagogique


pour lequel la référence reste l’inspection
Historiquement, deux lignes hiérarchiques dirigent les établissements du
secondaire. Le champ pédagogique relève de l’inspection générale, de l’inspec-
tion pédagogique régionale et aboutit aux enseignants. La chaîne administra-
tive tient son origine du ministère, de la direction générale de l’Enseignement
scolaire2, se décline via le rectorat et les directions académiques (anciennes
inspections académiques) et s’incarne dans le chef d’établissement. Ce dernier
était donc le responsable administratif, non partie prenante de la pédagogie. Dès
lors que la pédagogie était mise en œuvre par les enseignants, sous la houlette
de leurs inspecteurs, comment imaginer que puisse se développer un pilotage
pédagogique au niveau d’un établissement ? Le premier blocage réel est le repli
disciplinaire qui offre aux enseignants une situation confortable et inexpugnable.
De plus, il faut bien constater que l’essentiel de la carrière d’un professeur se
réalise à travers l’inspection pédagogique, carrière au sens où on l’entend dans
l’administration française : progression dans les échelons, changement de corps.
De la même manière, les professeurs les plus « pertinents » peuvent devenir
inspecteurs et ainsi perpétuer le système.
Si l’inspection disciplinaire reste techniquement la référence, c’est également
en raison du manque d’expertise des chefs d’établissement dans le domaine
pédagogique et en sciences de l’éducation. Le concours de recrutement des
personnels de direction, corps unique des chefs d’établissement, principaux ou
proviseurs, et de leurs adjoints, ne met pas en avant les qualités pédagogiques
mais les autres compétences techniques et la capacité à comprendre les lignes de
force de l’Éducation nationale. Il est alors assez logique de trouver des person-
nels de direction en difficulté sur le pilotage pédagogique à la fois en raison d’un
contexte défavorable et d’un manque d’expertise personnelle.

1. Perrenoud Ph., « Piloter les pratiques pédagogiques ? », Faculté de psychologie et des


sciences de l’éducation, université de Genève, 2001, intervention dans le cadre de l’université
d’été « Le pilotage pédagogique, exercice partagé ? », Montpellier, 22-27 août 2000, www.unige.
ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2001/2001_17.html.
2. DGESCO, direction de l’Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale.

28
La stratégie culturelle, une surprise

Peut-on piloter un système individualiste ?


Les pratiques enseignantes, en particulier dans le secondaire, s’appuient
sur une représentation du maître dispensant un cours, transmettant un savoir.
Chaque acteur, à partir de son vécu personnel, de ses représentations, construit
son mode de fonctionnement. L’établissement devient alors le « dénominateur
commun des habitus individuels3 ». Monica Gather-Thurler met en relation cette
approche individualiste de l’enseignement, ce fonctionnement en îlots isolés les
uns des autres avec la construction d’une « sphère privée4 » protectrice car éloi-
gnée du regard de l’autre. Les seuls éléments circulant entre les professeurs sont
alors techniques, le bruit des élèves, des comparatifs comme la performance lors
de devoirs communs, d’examens ou enfin l’approche disciplinaire5 quand un élève
dysfonctionne. Dans cette configuration, les échanges professoraux restent à un
niveau superficiel, une information ou un élément technique, et ne permettent
pas d’évolution en profondeur. Dans ces équipes, « on parle… de tout sauf de ce
que chacun fait dans sa classe6 ».
Le consensus apparent de la communauté éducative repose sur du sable, avec
comme seul élément récurrent l’accord des acteurs pour considérer la situation
comme positive. Selon cette logique, Monica Gather-Thurler parle de direction
autoritaire qui s’abstient de « gérer les conflits » ou « se retranche derrière des
règlements venant d’en haut ». Ce type d’approche individualiste se retrouve bien
dans les établissements avec un consensus mou autour de règles comme un taux
de 65 % de passage en seconde générale et technologique après le collège. Les
acteurs se concentrent sur cet objectif-indicateur et s’abstiennent de faire évoluer
leurs pratiques. L’adéquation entre le chiffre attendu et les résultats permet de
préserver la paix sociale et de ne pas réformer les pratiques.
Pour sortir de l’individualisme, il reste à aller au-delà de la « collégialité
contrainte7 » évoquée par Philippe Perrenoud. Cette dynamique s’appuiera sur
un pilotage par la culture. Ainsi le fonctionnement bureaucratique sera dépassé
par des modes de coopération entre enseignants, au-delà des modes régulés par
l’autorité. Comme l’évoque Monica Gather-Thurler, ces formes de coopération

3. Gather-Thurler M., « Relations professionnelles et culture des établissements scolaires :


au-delà du culte de l’individualisme ? », Revue française de pédagogie, vol. 109, 1994, p. 19-39,
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1994_num_109_1_1244.
4. Ibid.
5. Au sens de sanction disciplinaire, de punition.
6. Perrenoud Ph., « Réfléchir ou agir ensemble ? », Éducateur, n° 12, 7 octobre 1997, p. 8-11,
www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1997/1997_17.html.
7. Ibid.

29
La culture au cœur des apprentissages

établissent une « base de départ… vers la professionnalisation du métier8 ».


Alors, la stratégie culturelle peut organiser les bases d’une politique éducative
d’établissement entendue comme une sortie de l’individualisme pour aller vers
une politique régulée.

Quelle mission éducative, pour quel pilotage ?


Si l’école a une mission éducative, comment la définit-elle ? Il y a encore un
demi-siècle, la répartition des tâches apparaissait comme relativement simple.
L’école élémentaire avait en responsabilité de construire la nation et de donner
à tous les bases de la vie en société avec l’alphabétisation… Le lycée et l’ensei-
gnement supérieur formaient des cadres et dispensaient la culture universaliste.
L’enseignement technologique et professionnel avait en charge la formation des
ouvriers et techniciens. Aujourd’hui, les différents enseignements ont les mêmes
missions : éduquer à des valeurs citoyennes communes, instruire par des savoirs
et des compétences, préparer à l’insertion professionnelle par la compréhension
des métiers et de la formation professionnelle. Dans un contexte de massification
de l’enseignement après la Seconde Guerre mondiale, apparaît la demande de
démocratisation. Si tous ont le même accès à l’école, il convient de donner à
chacun les mêmes chances de réussite. Cette égalité des chances se construit à
partir des années 1970 par le collège unique et à partir de 1985 par l’application
des lois de décentralisation qui créent l’établissement public local d’enseigne-
ment (EPLE) autonome. L’autonomie se conçoit comme la capacité à développer
au sein des collèges et des lycées une déclinaison locale dans un cadre national.
Si un établissement scolaire doit mettre en œuvre une politique locale en
résonance avec son environnement et ne pas faire exactement la même chose que
l’on soit à Marseille ou à Dunkerque, à Paris ou à Lamotte-Beuvron, il convient de
définir cette politique et de la diriger. Toute la question du pilotage éducatif et
pédagogique est là.
Avant d’aborder le thème du pilotage, il convient de définir les deux termes
évoqués que sont « éducatif » et « pédagogique ». L’Éducation nationale distingue
techniquement l’éducatif du pédagogique. Le domaine pédagogique renvoie
au travail professoral, aux pratiques enseignantes et aux contenus. Le domaine
éducatif traite des problématiques sociales, sociétales et individuelles des
élèves. Par exemple, lorsque nous abordons le décrochage scolaire, ces élèves
qui quittent le système scolaire sans diplôme ou qui simplement pratiquent une
présence physique associée à une absence mentale, cette question appartient
techniquement à la catégorie du pilotage éducatif, c’est-à-dire ne concernerait
pas le pilotage pédagogique de l’établissement. Vouloir s’attaquer au décrochage

8. Gather-Thurler M., op. cit.

30
La stratégie culturelle, une surprise

scolaire sans poser préalablement la question du sens des apprentissages et


celle des pratiques pédagogiques ne présente que peu d’intérêt. Si l’absentéisme
scolaire s’analyse en prenant en considération le contexte de vie de l’élève, la
prise en charge pédagogique de cet élève est bien souvent le premier facteur de
décrochage.
Nous choisirons donc de parler de pilotage pédagogique en relation avec les
pratiques enseignantes et de pilotage éducatif dans le sens commun, c’est-à-dire
un sens qui prend l’éducation de l’enfant dans sa globalité et non dans le sens
« vie scolaire », restrictif, que l’Éducation nationale lui donne techniquement.

Charybde ou Scylla, immobilisme ou détachement ?


Il fut un temps où l’on associait dans l’Éducation nationale la nomination d’un
ministre avec une nouvelle et énième réforme. Avec comme sous-entendu, de la
part d’enseignants comme de personnels de direction, que le ministre passerait
et que la réforme s’enliserait dans les méandres d’une administration accumulant
les dispositifs éducatifs comme dans un mille-feuille. Cela ajoutait à l’idée qu’une
réforme était sur le fond inutile, que la tentative du ministre relevait plus de la
volonté de passer à la postérité que d’un projet politique opérationnalisable.
Cette approche donnait toute sa noblesse à un immobilisme bien confortable qui
évitait de remettre en cause les pratiques, qui permettait de ne pas réellement
s’interroger sur la réussite de la mission confiée : éduquer des enfants.
Le système éducatif français a bien évolué depuis quarante ans, il a su accueil-
lir un public différent et trouver de nouvelles approches et formes pédagogiques :
le travail en groupe (approche socioconstructiviste), l’évaluation par compé-
tences, le statut de l’erreur comme obstacle épistémologique9, la pédagogie
différenciée… Cependant, le sentiment d’immobilisme est renforcé par la difficulté
rencontrée par l’ensemble des acteurs quand ils veulent opérer un changement.
Au sommet de la hiérarchie, il est bien difficile d’engager une réforme de fond,
la quasi-stagnation sur le décret de 1950 qui définit le statut des enseignants
en est la caricature. Ainsi, il est demandé de mettre en œuvre des dispositifs et
des approches pensés au xxie siècle avec un statut des enseignants conçu dans
la période d’après-guerre et selon les logiques de l’époque. Dans l’impossibilité
d’engager des réformes fondamentales, chaque ministre tente de faire évoluer
le paquebot à l’aide de petits coups de rame comme les travaux pratiques enca-
drés et l’aide personnalisée au lycée, l’accompagnement éducatif en collège…
Malheureusement, ces dispositifs sont souvent détournés sur le terrain, parfois
supprimés par le ministère lui-même.

9. Bachelard G., La formation de l’esprit scientifique, Librairie philosophique J. Vrin, 1999


(1re édition 1938), chapitre 1er.

31
La culture au cœur des apprentissages

Dans les établissements et les écoles, il est également bien difficile d’enga-
ger une réflexion et de la mettre en œuvre car l’autonomie dont sont dotés les
collèges et les lycées s’exerce dans un cadre assez strict. Exercer cette autonomie
implique de développer une réflexion, une analyse de la situation locale, puis de
faire des propositions qui peuvent être refusées par les lignes hiérarchiques, de
s’engager sur des résultats… Le détachement est bien plus confortable, surtout si
on le complète par un conformisme à la doxa éducative au sens d’une représen-
tation d’« un rapport imaginaire des individus à leurs conditions d’existence10 ».

Une stratégie en éducation ?


Dans l’Éducation nationale française, la notion de stratégie est en général
réduite à un ensemble de techniques, d’opérations comme dans le cas de « stra-
tégies pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique11 ». Celle-ci décline alors
des services, une feuille de route, des sujets d’examens, un discours institution-
nel. Nous proposons d’aborder la notion de stratégie dans un sens différent, plus
large, plus sociologique.

Le concept de stratégie
Formalisée au xviie siècle par Pascal, la notion actuelle de stratégie trouve
son origine dans la théorie des jeux. La création de modèles mathématiques au
xxe siècle et leur développement grâce à l’informatique permettent d’analyser les
comportements des différents acteurs inscrits dans des jeux. Historiquement, la
stratégie est associée à l’art militaire de Sun Tzu12 à Clausewitz13, définie comme
la capacité de faire évoluer ses choix selon les réponses de l’adversaire ; le tout
s’opposant à la notion de tactique beaucoup plus simple, beaucoup plus immé-
diate qui se met en œuvre dans une projection temporelle restreinte. La notion
de stratégie trouve également son origine dans les théories économiques, par
exemple chez Hobbes14 : il met en avant le rôle de l’État, seul capable d’équilibrer
les logiques individuelles qui incitent chaque individu à ne jouer que dans son
intérêt propre au détriment de tous les autres.

10. Althusser L., Positions, éditions Sociales, 1976.


11. www.education.gouv.fr/pid29064/ecole-numerique.html.
12. Sun Tzu, L’art de la guerre, James Trapp (traducteur), Guy Trédaniel éditeur, 2011.
13. Von Clausewitz C., De la guerre, Chaliand G. (adaptateur), Murawiec L. (traducteur), Tempus
Perrin, 2006.
14. Hobbes T., Léviathan ou matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, Mairet G.
(traducteur), Gallimard, 2000.

32
La stratégie culturelle, une surprise

Pour la notion de stratégie, nous considérons donc qu’elle implique une


planification, même restreinte, à long terme en fonction d’objectifs conscients
ou inconscients. Ainsi l’affirmation de la nécessité d’une stratégie éducative
est lourde de sens dans la mesure où elle implique qu’elle n’est pas consubs-
tantielle au fonctionnement de l’éducation en France. L’idée même de stratégie
peut déranger en cela que le domaine de l’éducation semble pouvoir s’en passer,
d’autant plus que l’adversaire n’existe pas. La stratégie devient cependant aussi
nécessaire dans une Éducation nationale qui doit faire face aujourd’hui à des diffi-
cultés majeures que dans Carthage menacée par Scipion afin qu’aucun Polybe ne
rapporte : « Je ne sais pourquoi, mais j’éprouve comme un sentiment de terreur en
pensant qu’un jour quelqu’un donnera le même ordre devant ma cité natale15… »

Une proposition de pilotage stratégique


Entre contrôle et liberté, comment placer la stratégie ? La stratégie cultu-
relle organise un système selon un ensemble de principes et, dans ce sens, elle
contrôle le fonctionnement en fonction de valeurs, de règles. Même si elle ne
peut se départir de cet aspect contraignant, elle offre par les possibles ouverts un
espace de liberté aux différents acteurs dans le cadre d’un objectif commun posi-
tionné par des valeurs. Dans un premier temps, cette stratégie se définit comme
une stratégie de rupture qui remet en cause le paradigme de l’organisation. Les
habitudes de fonctionnement sont contestées, voire évaluées, et ce mouvement
permet de dégager des opportunités.

Quel paradigme en éducation ?


Paradigme tire son origine du grec, paradeigma, qui veut dire modèle ou
exemple, lui-même étant une évolution d’un terme signifiant montrer ou compa-
rer. L’ensemble des éléments constitutifs du modèle permet à un groupe de
chercheurs de communiquer, selon Kuhn16. Ainsi le paradigme se différencie du
modèle théorique par sa contextualisation et sa non-transférabilité à d’autres
champs. Il se compose de trois éléments fondamentaux. Les « généralisations
symboliques », dans notre cas la culture comme objet d’apprentissage, consti-
tuent un premier élément. La construction de parcours relevant des démarches
entreprises forme des exemples de solutions à des problèmes. Enfin par une
approche ontologique, le troisième élément va envisager une refonte des objets
eux-mêmes. Sans aller jusqu’à Kuhn qui change le monde en changeant de para-
digme, nous reconsidérons les éléments constitutifs de l’école pour proposer un

15. Polybe, Livre XXXVIII, IV, La chute de Carthage, 21 et 22, cité par Gérard Chaliand, Anthologie
mondiale de la stratégie, Des origines au nucléaire, collection « Bouquins », Robert Laffont, 1990.
16. Kuhn T. S., La tension essentielle, Tradition et changement dans les sciences, Gallimard, 1990.

33
La culture au cœur des apprentissages

nouveau paradigme. La stratégie culturelle devient alors une « méta-architecture


mentale » opérationnalisée.

Stratégie et opportunité
Le positionnement de l’opportunité au sein d’une démarche stratégique inter-
pelle. Schumpeter évoque déjà en 1911 la « destruction créatrice » dans laquelle
l’irruption de nouveaux produits, considérés comme des opportunités, vectrice
de désordre, ne peut être contrée que par une dynamique entrepreneuriale.
Dans notre stratégie, l’opportunité prend une place primordiale, à l’opposé d’une
vision linéaire du temps, comme instants essentiels « suspendus entre deux
néants17 ». La stratégie rencontre alors l’opportunité, elle crée les conditions de
sa venue afin que « la force du temps se condense dans l’instant novateur où la
vue se dessille18 », comme l’écrit Gaston Bachelard. Il s’agit alors de construire les
conditions de sa venue par une structuration organisationnelle et des intentions
clairement affirmées.
La stratégie culturelle n’est pas seulement une réponse ponctuelle à un
problème rencontré dans un établissement, mais bien une approche globale et
argumentée qui permet de définir un paradigme organisationnel pour l’école,
fondé sur la culture. Quand un problème apparaît comme insurmontable pour une
entité, il convient de reconsidérer le fondement même de l’organisation et non de
tenter de l’améliorer à la marge, avec les méthodologies passées ; sinon, aucune
solution véritable n’émergera. La stratégie culturelle est en ce sens une approche
stratégique de l’organisation que l’on appelle éducation car elle positionne autre-
ment des éléments fondamentaux. Ces éléments fondamentaux sont la place de
la culture comme substrat éducatif, le rôle de l’ensemble des acteurs (les profes-
seurs, le chef d’établissement, les inspecteurs pédagogiques), le contexte (le
territoire, les partenaires) et les objectifs de l’école.

Différencier la stratégie culturelle des autres approches culturelles


dans l’éducation
La stratégie culturelle se différencie d’une politique culturelle classique ou
d’une politique d’ouverture culturelle et ne peut se confondre avec des dispositifs
mis en œuvre ou des formes de pensée. Nous énumérons ci-dessous ce que n’est
pas la stratégie culturelle.
• Un ensemble de sorties « récréatives ». Si la stratégie culturelle prend
en compte les sorties culturelles, elle n’entend pas en faire un objectif.
L’ouverture culturelle est un objectif utile et louable en soi mais qui se

17. Bachelard G., L’intuition de l’instant, Stock, 1932.


18. Ibid.

34
La stratégie culturelle, une surprise

révèle insuffisant au regard des ambitions affichées. « Emmener » des


élèves sur une scène nationale, faire connaître la Cantatrice chauve
sont des actions pertinentes mais qui ne sauraient définir une politique
culturelle. Limitées dans leur définition élitiste de la culture, ces actions
traduisent une approche difficilement généralisable.
• Un catalogue de propositions culturelles. Pour confortable, conformiste
qu’il soit, le catalogue des actions culturelles d’un établissement ne
définit pas un projet culturel et éducatif pour tous. Le traditionnel volet
artistique et culturel se résume bien souvent à un catalogue d’actions
qui ont le mérite d’exister mais qui manquent cruellement de cohérence,
qui ne correspondent pas aux volontés d’apprentissage, de progression,
volontés consubstantielles aux missions de l’Éducation nationale. Cette
approche, une action-un professeur, rattachée au projet d’établissement,
manque clairement d’objectifs et de sens stratégique. Chacun présuppose
que l’ouverture culturelle se suffit à elle-même et ne nécessite aucune
analyse, aucune justification, ne sert pas à atteindre les objectifs définis
par un projet d’établissement, par un contrat d’objectifs. Au final, on
peut se demander si cette ouverture culturelle ne se rapproche pas plus
d’une volonté de communication, de légitimation, de singularisation
que d’une volonté d’éducation.
• Un élitisme ou une culture « low-cost ». Quelle place donner à la culture
dans la société française, avec quelle culture et quelle est la part de l’école
dans ces choix ? Traditionnellement, la culture fait référence aux grandes
œuvres littéraires, au patrimoine… Un peu comme si l’on enseignait la
cuisine aux Français en prenant comme modèle les restaurants étoilés. Pour
autant, l’acculturation culinaire française en cours pourrait être contre-
carrée autrement qu’en critiquant les fast-foods ou en suivant l’une des
multiples émissions spécialisées du paysage audiovisuel. Pire, si le salut
doit venir de la télévision et de ses émissions, à quoi sert l’école ?
• Des connaissances dans un domaine artistique. La culture ne peut se limiter
aux disciplines dites artistiques. Toute discipline a un socle culturel, car elle
a été, est et sera construite par une population, une société. La stratégie
culturelle se veut fondée sur un ensemble d’approches culturelles ; identi-
fier, décrire, analyser le Parthénon, c’est intéressant, mais est-ce suffisant ?

La stratégie culturelle est une vision politique de la société ; politique et


citoyenne, au sens justement où les penseurs de la cité grecque du ve siècle avant
Jésus-Christ auraient pu l’imaginer. Est-ce à dire que vingt-cinq siècles de « déve-
loppement », de « civilisation » ont pu aboutir à des impasses ?

35
La culture au cœur des apprentissages

La recherche d’une modélisation et d’un processus organisationnel


La stratégie culturelle est un système, un construit. Elle ne peut se considérer
qu’en tant que processus qui se nourrit d’un ensemble d’éléments qui dialoguent
et interagissent. Il nous a donc semblé pertinent de mettre à jour ces « incon-
tournables », que nous avons nommés des principes, et de comprendre comment
chacun pouvait se définir en tant qu’unité mais aussi en tension avec les autres.
La modélisation devenait l’acte indispensable afin de mettre à jour et de vérifier
l’organisation et la mise en œuvre du processus, au-delà de la singularité d’un
lieu, de l’implication d’une équipe ou encore des propositions de partenaires. Le
système doit être observé dans sa structure minimale, donc modélisée. Celle-ci se
construit ensuite selon la couleur et la saveur d’un territoire donné. Cette modéli-
sation permettra que chaque lieu soit dans cette approche particulière. À l’image
d’un terroir, il pourra par la stratégie culturelle mettre en place très rapidement,
et d’une façon pérenne, un processus performant.

Deux types de relation entre éducation et culture


C’est ainsi que ces deux schémas vont tenter d’expliquer la progression de
notre démarche, en montrant comment un état initial peut être pensé en tant que
nouvelle organisation.
• L’éducation consomme le champ culturel (visite de musées, actions venant
alimenter précisément un programme…).
• La culture se positionne comme « offre de services » dans le cadre de son
obligation de missions pédagogiques (intervenants en milieux scolaires,
artistes, accès au spectacle).
• Le territoire donne des moyens à l’éducation (commune pour les écoles,
conseil général pour les collèges…), des moyens pour la culture (schéma
départemental, accès au spectacle, collégiens au concert…).
Ce type de relation dresse une frontière étanche entre le territoire et les deux
acteurs que sont éducation et culture.

36
La stratégie culturelle, une surprise

Situation initiale : le schéma classique


de relations univoques, consommation et moyens

Éducation
Les élèves

Financement

Prestation,
intervenant Territoire
Visite
Musée...
Financement

Culture
Sa/ses populations

La culture permet une nouvelle organisation de l’éducation selon trois


espaces, neuf principes, au service de valeurs priorisées comme l’éducabilité.

Notre proposition : la stratégie culturelle comme paradigme organisationnel

Égalité Liberté Ouverture vers


de droits de choix l’extérieur

Établissement :
école/EPLE
Leadership Parcours
Démarche qualité enseignants
Organisation Éducation
apprenante
Les élèves

Contexte
Alternance
Continuité

Partenariat
commune
Culture

Temporalités ISOMORPHISME
Territorialisation

Culture
Contenu Sa/ses populations
Parcours
Compétences
élèves
Culture :
un objet éducatif
Projet commun
Créativité Respect Éducabilité

37
La culture au cœur des apprentissages

–– La stratégie culturelle devient centrale, dressant une frontière poreuse


entre l’éducation et la culture, qui se nourrissent et s’enrichissent mutuel-
lement par de nombreux points de rencontre, constructions…
–– Trois espaces, neuf principes créent un front dans l’ensemble éducation-
culture et bousculent, infléchissent le système, avec pour l’établissement
scolaire la cohérence et l’égalité des chances, pour le territoire la dynamique
d’agencements et d’hybridation, et pour les contenus d’enseignement la
matière d’un projet partagé autour d’une approche par compétences.
Ce paradigme organisationnel renforce autant les élèves (parcours, orienta-
tion) que l’école (égalité, réussite), les partenaires (coconstruction, communi-
cation) et les enseignants (légitimation, formation). Il permet de construire des
parcours élèves après avoir été utilisé pour élaborer des parcours de formation,
initiale et continue, pour les professeurs selon une logique d’isomorphisme.

La stratégie culturelle, un paradigme organisationnel


Ce paradigme organisationnel propose une structuration éducative de l’école
autour de la culture. Il répond au besoin de prendre en considération tous les
enfants de la République, ceux que l’école nomme élèves. Nous refusons d’accep-
ter qu’une partie de ces élèves soient dans un tel échec à l’école, qu’ils la quittent
sous une forme ou une autre, ces fameux décrocheurs. Nous refusons une école
dont au final la mission se bornerait à transmettre des savoirs scolaires et à
sélectionner les élèves doués et méritants qui poursuivront de brillantes études,
tandis que les autres, pas assez brillants, peu méritants, subiront ces voies de
relégation scolaire et sociale. Il est pour nous impossible de faire évoluer l’école
sans accepter un changement de paradigme : vouloir récupérer les décrocheurs
avec le même système qui les a créés est une illusion, voire un mensonge. Ajouter
un nouveau dispositif ne solutionnera que quelques cas d’espèce ou autres situa-
tions individuelles.
La stratégie culturelle repense le fonctionnement de l’école autour de grands
principes organisationnels comme la territorialisation, le partenariat ou le
leadership du chef d’établissement. La culture n’apparaît pas comme la cerise sur
le gâteau offerte à certains, mais comme le ferment de l’ensemble de la construc-
tion intellectuelle et sociale proposé à l’enfant. Ainsi, celui-ci peut construire son
rapport au monde plutôt que de subir son rapport à la conformité avec le modèle
scolaire.
Paradigme organisationnel, la stratégie culturelle offre un modèle de pilotage
des établissements qui inclut le savoir disciplinaire et le place au service de
l’enfant et de ses compétences. Elle propose également une démarche permet-
tant l’évolution des pratiques professorales pour sortir de l’impasse actuelle
en refusant l’approche bureaucratique, la logique des moyens, au profit d’une

38
La stratégie culturelle, une surprise

approche par le sens. Ce paradigme s’appuie sur des valeurs définies à la fois
dans le substrat du modèle et dans les objectifs structurants de ce même modèle :
l’ambition au service des élèves, une égalité des chances plutôt que des moyens,
la construction de la liberté de choix pour les élèves.
Ces éléments théoriques, associés à l’observation en Finlande, nous ont
permis d’envisager et de proposer un système pour piloter l’école par la culture,
par la mise en œuvre de la « stratégie culturelle », organisée en trois espaces et
neuf principes.

39
Deuxième partie

Une stratégie
culturelle à travers
trois espaces et
en neuf principes

À la question de la nature d’un établissement scolaire, nous apportons une


réponse organisée en trois espaces. Le premier considère les contenus d’édu-
cation, les pratiques enseignantes et l’évaluation. Le second pose les modalités
du pilotage, de la formation des enseignants et de la qualité de l’enseignement.
Le troisième inscrit l’établissement dans son contexte humain, spatial et tempo-
rel. La culture permet de créer des circulations différentes entre ces espaces et de
proposer une nouvelle approche de l’éducation.
La réflexion, l’expérimentation ont permis de dégager neuf principes qui
constituent l’ossature de la stratégie culturelle. Chaque principe a été observé par
différentes facettes comme pour en épurer tous les possibles. Ce cheminement
a toujours commencé par un état des lieux qui, très vite, nous a donné la clé du
blocage et le point de départ pour le refus de cet état de fait. La rencontre et le
dialogue avec des professionnels de l’éducation, des artistes, des sociologues,
des chefs d’entreprise et autres acteurs culturels et sociaux ont ouvert les
possibles. Afin de nourrir ce nouveau chantier, nous avons lu de nombreux
La culture au cœur des apprentissages

ouvrages théoriques à la recherche d’une définition consensuelle ou pas du


principe abordé. Tous ces documents, ces dialogues ont établi le cadre dans
lequel nous formulons et mettons en œuvre nos propositions en les illustrant
par des exemples. À partir de cette recherche et pour cette démarche de terrain,
nous avons construit des outils transposables à d’autres situations.

42
1
Premier espace :
les contenus d’éducation

D es contenus d’éducation reformulés, modifiés permettent de faire évoluer


l’acte éducatif et les acteurs. D’ordinaire, aborder les contenus d’enseignement
équivaut à prendre en compte les entrées disciplinaires. Si, à l’évidence, ils se
définissent également par la « portée intellectuelle et morale des différentes acti-
vités et disciplines que renferment l’enseignement et la science de l’éducation1 »,
nous avons fait le choix d’entrer dans les contenus par une démarche éducative
centrée sur trois principes : la culture, un objet d’apprentissage, le projet culturel,
un outil pour construire ensemble, et le développement des compétences par la
culture.

Principe 1. Réifier et partager la culture : ce « pâle objet du désir2 »


La réification désigne traditionnellement la transformation d’une abstrac-
tion en un objet concret. En pédagogie, elle peut prendre une connotation très
péjorative si elle consiste à se limiter aux objets pédagogiques définis comme
un ensemble de connaissances restituées lors d’évaluations. Par exemple, accu-
muler des dates en histoire présente un intérêt limité. Interrogeons-nous sur ce
qu’est un objet. Un objet est un construit humain par le sens qui lui est donné.
Nous concevons le monde comme un monde d’objets, qu’ils soient physiques ou
intellectuels. En conséquence, la représentation d’un objet est en général infinie.
Nous développons dans ce principe une proposition de description d’un objet
culturel.

La fausse conception : la culture complète la discipline


À l’école, l’objet culturel est souvent abordé sous deux formes, soit comme
un complément à l’acte d’enseignement, soit comme un outil illustratif utilisé par
un professeur. Son utilisation au-delà des disciplines dites artistiques reste
limitative et ne sert souvent qu’à compléter un savoir ; le manuel d’histoire avec

1. Antoine G., Passeron J.-C., La réforme de l’université, Calmann-Lévy, 1966.


2. En référence à La femme et le pantin, Pierre Louÿs, dont est inspiré le film Cet obscur objet du
désir de Luis Buñuel.

43
La culture au cœur des apprentissages

toutes ses références artistiques et culturelles est un bon exemple de cette utili-
sation. L’objet culturel peut devenir aussi un « leurre pédagogique » pour motiver
les élèves ; la visite d’un lieu patrimonial pour aborder une période historique est
un exemple souvent proposé. Dans ces mises en œuvre, l’objet culturel étudié
reste trop souvent un élément « récréatif » pour les élèves et ne répond pas à la
mission première de l’école, celle d’éduquer et de donner du sens aux apprentis-
sages. L’approche d’un professeur et d’une action ne permet pas de sortir de ce
type de fonctionnement scolaire classique.
La culture ne peut se résumer à ce « pâle objet du désir » inaccessible et
inassouvi par définition chez un enseignant. Dans ce cas, elle permettrait seule-
ment de satisfaire les derniers niveaux d’aspiration décrits par Maslow dans son
modèle théorique sur la motivation. Si la culture ne doit pas avoir comme objec-
tif la satisfaction des besoins professoraux, elle peut se mettre au service des
élèves ; alors l’objet partagé deviendra par un retournement l’objet du désir qu’il
nous faudra éclairer et enrichir.

Entretien : un artiste du spectacle vivant


Ce musicien de jazz, qui intervient également auprès d’élèves dans le cadre de rési-
dences artistiques, est interrogé sur la culture envisagée comme objet.
L’objet artistique permet un apport sur plusieurs niveaux. Tout d’abord, il crée la ren-
contre entre des personnes différentes, ce qui leur permet de percevoir que le monde
s’organise de manières différentes. Ensuite, pour l’objet, cela joue sur la perception
des choses. Il s’agit du domaine du sensible. Le domaine du sensible permet de recou-
vrir des domaines qui sont valables dans d’autres matières comme structurer sa pen-
sée, s’organiser pour mieux se faire comprendre. Dans le cas de la composition d’une
carte postale sonore, c’est un des domaines qui est mis en avant. Structurer sa pensée,
mais au travers d’une approche sensible, poétique. Il ne s’agit pas forcément du mode
de pensée habituelle des enfants aussi bien à l’école qu’avec leurs parents. Dans ce
cas, les approches sont peut-être plus souvent de production, de réussite. Dans mon
cas, il n’y a pas de vrai, il n’y a pas de faux, mais une capacité sensible à organiser les
éléments les uns avec les autres.
Le centrage sur un objet partagé peut également apporter quelque chose aux ensei-
gnants. L’ouverture pour travailler les matières qui sont les leurs mais avec un autre
angle. Dans notre monde, la question centrale est souvent par quel angle on prend les
choses. La présence d’un artiste et le centrage sur un objet culturel doivent pouvoir
permettre de prendre les choses sous des angles différents. Quand la production
fonctionne, c’est l’angle de la créativité, de la sensibilité et de la poésie des choses.
Cela permet donc à l’enseignant de voir qu’il y a d’autres entrées pour une matière
et, de ce fait, d’autres modes d’évaluation de l’enfant. Des enfants peuvent réus-
sir merveilleusement bien sous l’angle scolaire et être en difficulté en situation de
créativité. L’enseignant doit donner des clés à un enfant pour qu’il puisse évoluer à
l’avenir dans le monde. Si on met en œuvre toujours les mêmes clés qui utilisent les

44
Premier espace : les contenus d’éducation

mêmes portes, on risque de se tromper et de mettre certains enfants en situation


d’échec. Par exemple, sur les cartes postales sonores, il y a mille entrées possibles,
liées à la perception de l’espace, aux mathématiques, à l’informatique, à la physique,
à l’histoire ou au français…
L’objet partagé apporte d’abord à l’artiste une dimension personnelle qui lui permet
de s’ouvrir. Dans un deuxième temps, cela place l’artiste dans un autre rapport à la
société. L’artiste est souvent considéré comme un chômeur, même quand il travaille
soixante-dix heures par semaine. Quand l’artiste devient utile aux yeux d’une société
productiviste, cela lui donne une autre fonction que celle de divertissement, souvent
trop mise en avant à mon avis. La culture est généralement perçue comme du divertis-
sement à travers des industries culturelles, alors que l’objet culturel partagé permet de
ne pas être dans du divertissement de masse.
Partager un objet implique un partenariat entre un artiste et un enseignant ; il est
présupposé à l’organisation de l’événement. La différence est dans l’objet culturel
qui pourrait être porté uniquement par un enseignant. Dès lors qu’il y a une structure
culturelle, il y aura forcément un partenariat. Par contre, un objet culturel peut être
construit à l’intérieur même d’un établissement scolaire. Un objet culturel peut-il être
monté uniquement par un professeur ? On ne demande pas à l’artiste d’être ensei-
gnant, même si on espère qu’il a un minimum de sens pédagogique. Et on a besoin
d’un artiste parce que les enseignants ne sont pas forcément dans cette pensée. Peut-
on avoir un objet culturel s’il n’est pas partagé avec un artiste ? Ce n’est pas sûr, on
risque d’avoir un objet pédagogique. Grâce à mon travail, l’enseignant peut s’emparer
d’une autre dimension.
Cette démarche m’est utile en tant qu’artiste citoyen, au sens politique noble du terme.
Mon action a du sens et je ne suis pas là uniquement pour encaisser un chèque. Si on
veut qu’il y ait une résonance, il faut forcément qu’il y ait une coconstruction sur un
objet, un espace partagé, sinon il risque d’y avoir de la consommation. Quand je fais un
spectacle scolaire, il est horripilant pour moi de voir arriver une classe qui s’installe, qui
consomme le spectacle et repart sans poser la moindre question. Dans cette situation,
j’ai l’impression d’avoir vendu un spectacle scolaire et d’être parti. Ce qui fait la spéci-
ficité de ces métiers culturels, c’est le partage. Car on donne, contre rémunération bien
sûr, un temps de poésie, un temps de réflexion et, pour être cela, il faut qu’il soit partagé.
L’artiste et l’enseignant n’ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes savoirs et ce qui
m’intéresse, c’est qu’un enseignant s’empare du projet pour transmettre aux élèves.
La dernière fois, par exemple, j’ai plutôt senti un professeur motivé intéressé par le
projet, même si, dans la pratique, je ne sais pas ce qu’il a pu en faire après ce temps
de partage. J’aimerais pour autant pouvoir revenir après pour voir si l’enseignant a fait
un travail autour de la narration sonore ou d’autre chose.
Être artiste est un chemin qui peut se construire dans une école, dans un théâtre
mais, après, chacun se construit. Donc, mon point de vue ne peut qu’être unique, lié
à mon propre parcours. Par conséquent, la culture seule est-elle suffisante, ne faut-il
pas forcément l’accoler à la présence de l’artiste ? L’objet dans ce cas-là est trans-
férable, transversal et peut peut-être jouer un rôle dans un établissement scolaire.
En l’occurrence, les contenus sont des objets que l’on partage alors que les actions,
les dispositifs sont des outils.

45
La culture au cœur des apprentissages

L’approche théorique : la culture, un objet éducatif


La culture comme objet ?
La culture est une construction humaine. Elle est constituée de nombreux objets
et forme, en tant que tels, un objet éducatif avec des valeurs, des connaissances, des
savoir-être, des savoir-faire. Chaque objet culturel est porteur de sens, avec ses attri-
buts et ses liens que sont : signifiant, représentation, idée, œuvre, connaissances…
Nous prenons par exemple la peinture de Gustave Caillebotte Les Raboteurs
de parquet (1875), exposée au musée d’Orsay3, une des premières œuvres qui
nous parle du prolétariat urbain. Cette œuvre descriptive est particulièrement
réaliste sur des ouvriers de la ville. Ce tableau constitue une véritable analyse
documentaire : gestes, outils, matériaux servent à nourrir des connaissances
dans un contexte sociétal, celui du xixe siècle. Mais cette même œuvre reprise
en 1988, par le réalisateur Cyril Collard, dans un court-métrage, avec une choré-
graphie d’Angelin Preljocaj, nous semble ouvrir d’autres possibles, et ces autres
connexions brouillent ainsi les pistes habituelles. C’est d’ailleurs le chorégraphe
qui en parlera le mieux : « Cyril avait l’air de dire, tout comme Caillebotte : “Vous
aviez cru voir quelque chose, mais en fait, c’est encore d’autre chose qu’il s’agit.”
Ce que l’on laisse à voir n’est pas forcément ce qui est4. »
L’objet culturel nous permet de mieux comprendre le monde car, en tant que
construction humaine, il donne des informations et répond aux questions qu’ont
pu se poser les hommes et les femmes dans différentes sociétés, d’ici et d’ail-
leurs, d’hier et d’aujourd’hui, favorisant, au-delà des connaissances formelles,
des ouvertures, des questionnements plus sensibles, au-delà des apparences.

La culture, un objet construit : la culture première, la culture seconde


Notre réflexion vient se nourrir des travaux du sociologue Fernand Dumont
de l’université Laval au Québec. Les concepts de culture première et de culture
seconde ont été largement développés et décrits, mais il nous semble néanmoins
important de distinguer ces deux significations.
La culture première est celle dont hérite l’homme à sa naissance et correspond
à des modes de vie, des comportements et des croyances issues de la « famille »
et plus largement de la société : « La culture première est un donné. Les hommes
s’y meuvent dans la familiarité des significations, des modèles et des idéaux
convenus : des schémas d’actions, des coutumes, tout un réseau par où l’on
se reconnaît5. » La culture seconde correspond à la distance, ce second regard

3. www.musee-orsay.fr.
4. Cruz F., Angelin Preljoca, Topologie de l’invisible, éditions Naïve, 2008.
5. Dumont F., Le lieu de l’homme, La culture comme distance et mémoire, éditions Hurtubise-HMH,
1968.

46
Premier espace : les contenus d’éducation

porté sur le réel… La culture seconde peut se comprendre comme un ensemble


de codes, de valeurs, de signes… d’une société. « Continuité de l’espace et du
temps, […] elle ne saurait être enfermée ni dans le monde ni en elle-même6. »
Elle n’exclut donc pas la culture première mais vient revisiter l’objet culturel, en
en reprenant le sens et en l’élargissant, en le questionnant, développant ainsi
d’autres possibles, d’autres domaines.
L’école entretient des relations très étroites entre ces deux perspectives. En
tant qu’institution, elle nous renvoie à la culture première d’une société, elle
est la garante des savoirs, de ce que l’élève doit connaître, les références. Mais,
fondamentalement, elle ouvre par sa mission à la culture seconde et donc doit
faire acquérir à l’élève d’autres dispositions, démarches, pour tendre vers un
esprit « cultivé ».

La culture, un objet désiré : un rapport au monde


Dans un article du journal Le Monde, en mars 2012, Françoise Benhamou,
une des spécialistes mondiales de l’économie de la culture, revenait sur une
conception particulière de la consommation culturelle. « Quand les économistes
ont commencé à réfléchir sur les consommations culturelles, ils ont fait le paral-
lèle avec la drogue. On n’assouvit pas son désir d’héroïne en la consommant. Au
contraire, le désir ne fait qu’augmenter à chaque dose. C’est à peu près la même
chose avec la culture : plus on la consomme, plus on aime ça et plus on a envie
d’en consommer. En économie, on dit que l’utilité marginale de l’héroïne, comme
celle des biens culturels, est croissante… C’est en partie ce qui justifie l’investis-
sement public dans l’éducation culturelle : l’État cherche à créer chez les citoyens
les moyens de développer leur goût pour la culture7. » Alors, comment développer
cette appétence culturelle, en favorisant l’entrée par le sens ?
La culture est alors envisagée comme objet, mais aussi comme rapport au
monde, rapport aux autres et rapport à soi. La question du sens est ainsi posée,
un savoir n’a de sens qu’en référence aux rapports qu’il produit avec le monde.
C’est pourquoi, au-delà des savoirs, la place de l’enseignant est primordiale, car il
devient le passeur culturel. Son rapport au savoir sera donc l’élément fondamen-
tal de la transformation qu’il fera de l’objet culturel.
Chaque enfant hérite par sa culture première d’un certain nombre de concep-
tions, de significations, de connaissances. On voit malheureusement qu’actuel-
lement, ces représentations sont fortement hétérogènes suivant les origines

6. Dumont F., op. cit.


7. Castello-Lopes D., « La culture, plus on la consomme, plus on a envie d’en consommer »,
Le Monde.fr, 9 mars 2012, www.lemonde.fr/culture/article/2012/03/09/la-culture-plus-on-la-
consomme-plus-on-a-envie-d-en-consommer_1655773_3246.html.

47
La culture au cœur des apprentissages

sociales des familles. L’enseignant a par conséquent la tâche d’enrichir, de trans-


former ce rapport à la culture et donc au monde pour chacun de ses élèves. Mais
l’enseignant est lui aussi héritier d’une culture première, qui lui donne une posture
face à la culture, et c’est en ce sens qu’une formation de qualité doit lui permettre
d’intégrer la culture seconde la plus appropriée à son rôle de passeur culturel.
Il doit accompagner l’élève dans ses parcours, enrichir sa culture première et
lui donner de ce fait les outils pour comprendre le monde. C’est ainsi que les
inquiétudes formulées par Anne Barrère8 dans L’éducation buissonnière, autour
des « activités électives » des adolescents, ces activités fortement imprégnées
de domaines artistiques et culturels, issues de la culture première de ces mêmes
adolescents, renforcent l’urgence de prendre conscience que l’école est en train
de perdre une partie de ses missions éducatives. Les adolescents accèdent
actuellement, par eux-mêmes, à une culture que l’on pourrait considérer comme
seconde, et donc un rapport au monde fortement inégalitaire ; l’école doit repen-
ser ce rapport qu’elle a entretenu depuis un certain nombre d’années avec la
culture.

Quel rapport à la culture entretiennent les enseignants ?


La question du rapport qu’entretiennent les enseignants avec la culture est
une vraie question, dans le sens où la culture a un rôle de médiatrice dans les
relations humaines. À l’école, ce rapport est souvent réduit à une accumulation de
connaissances : « Il y a une rencontre entre la culture première d’un sujet et des
objets culturels, mais qui repose sur un faible niveau d’activité du sujet… d’où le
peu d’appropriation de la culture qui en résulte9. »
Il nous faudrait évacuer cette question d’utilité de la culture au profit d’un
développement de sens, sens à donner au monde, au rapport avec les autres,
ou même à soi-même. La culture doit donc, dans cette acception, intégrer l’en-
semble des disciplines de l’école, et non rester attachée à certaines disciplines
dites artistiques. Il nous faut repenser et intégrer la dimension culturelle de
chacune des disciplines. « Faire du couple savoirs-culture le principe régulateur
de l’activité scolaire devrait conduire les enseignants à se demander si, lorsqu’ils
enseignent, ils tentent de donner du sens à leurs contenus, en reliant les savoirs
à la culture10. »

8. Barrère A., L’éducation buissonnière. Quand les adolescents se forment par eux-mêmes, Armand
Colin, 2011.
9. Simard D., Falardeau É., Émery-Bruneau J. et Côté H., « En amont d’une approche culturelle de
l’enseignement : le rapport à la culture », Revue des sciences de l’éducation, vol. 33, n° 2, 2007,
p. 287-304, http://id.erudit.org/iderudit/017877ar.
10. Develay M., L’école, les savoirs et la culture comme principe de régulation dans le système
scolaire, 2004, www.pedagopsy.eu/develay.htm.

48
Premier espace : les contenus d’éducation

Notre mise en œuvre : retrouver pour chaque discipline


ses fondements culturels
Envisager les enseignements par la relation entretenue par le savoir et la
culture est devenu pour nous une évidence. Lors de la rencontre avec un objet
culturel, il faut l’aborder avec des entrées disciplinaires multiples. Une architec-
ture s’envisage d’un point de vue géographique, historique, technique, littéraire,
scientifique. Une telle entrée peut permettre de développer des stratégies de
contournement de la difficulté scolaire. La décomposition en profondeur de
l’objet culturel permet de créer des espaces de dialogue, des interactions entre
une équipe éducative et des partenaires culturels. Cette décomposition traduit
l’ambition de la démarche et le refus de rester en périphérie comme parfois
peut-être l’ouverture culturelle. Les deux niveaux de travail se superposent : une
culture qui nourrit les disciplines et des objets culturels partagés et observés en
profondeur selon les prismes de regards croisés (artistes, associations, struc-
tures, familles…).

Comment ?
Nous avons mis en œuvre un projet artistique et culturel, sous la forme d’une
résidence artistique dans l’établissement scolaire. Cette présence artistique a été
déclinée sous deux formes : la création, avec la présentation d’un cinéma-concert,
et l’univers, le travail de l’artiste qui sera partagé sous la forme d’ateliers autour
de la mise en lien de la musique et de l’image.
L’objet culturel se compose donc de deux niveaux dans cet exemple : le
premier niveau est le visionnage d’un court-métrage muet, La fièvre des échecs,
de Vsevolod Poudovkine, datant de 1925. Ce court-métrage illustre le conformisme
incarné dans ce cas par la passion collective des échecs et la perte de sens de sa
propre existence par le joueur d’échecs qui oublie sa fiancée. Le second niveau
se fait autour des ateliers musique/image que l’artiste met en place. Les axes
proposés dans la fiche suivante établissent des liens avec les activités discipli-
naires qui peuvent alors être associées selon des approches variées : l’environ-
nement de l’élève, les thématiques culturelles, les compétences visées du socle
commun ou l’histoire des arts. Cette résidence artistique sort de la consommation
culturelle pour devenir un objet culturel partagé qui ouvre de larges perspectives
aux professeurs.

Les outils proposés


La fiche objet permet de décomposer l’objet culturel dans toutes ses dimen-
sions, de développer tous les axes qui permettent de faire les liens avec les disci-
plines, les compétences, le territoire, l’histoire des arts.

49
La culture au cœur des apprentissages

Outil 1 : fiche objet. Portée pédagogique et décomposition par dimensions

Objet : résidence artistique

Œuvres : Les aventures du prince Ahmed – La fièvre des échecs (cinéma-concert). Compagnie (Mic)zzaj

Proposition artistique : découverte d’univers visuels et sonores, lien musique/image, utilisation des outils
numériques de composition sonore

L’environnement culturel d’où est issu l’objet

1. Culture immédiate 2. Culture générale

L’environnement proche, la ville… Le patrimoine cinématographique

Les grands axes de références de l’objet

1. Les traces du passé 2. L’évolution sociétale, 3. L’imagination, la créativité


l’évolution technique

Les films muets du début Les outils de création sonore et L’imaginaire poétique, la narration
du xxe siècle musicale d’aujourd’hui des concerts sous casques
La société des années 1970,
immigration, violence…

Les ouvertures favorisées

1. Découvrir 2. S’ouvrir sur d’autres milieux 3. Développement personnel


son environnement proche

L’univers musical Regard sur la société Création d’univers sonores

La portée pédagogique

Niveau scolaire choisi : 6e

Les disciplines scolaires concernées

Français : littérature, journalisme…

Technologie : utilisation du matériel informatique, usage du son MP3…

Histoire : la société contemporaine

Musique : la musique assistée par ordinateur, la musique narrative

50
Premier espace : les contenus d’éducation

Les compétences du socle visées

Compétence 1 : La maîtrise de la langue

Compétence 4 : La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication

Compétence 5 : La culture humaniste

Compétence 6 : Les compétences sociales et civiques

Compétence 7 : L’autonomie et l’initiative

L’histoire des arts

1. Domaines 2. Périodes 3. Thématiques

Arts du son xe siècle Arts, techniques, expressions

Arts du langage xe siècle Arts, créations, cultures

Arts du spectacle vivant xe siècle

Les partenaires associés

1. Partenaires locaux 2. Partenaires départementaux 3. Partenaires autres

Espace culturel Compagnie artistique

L’apport des partenaires

1. Ouverture culturelle 2. Pratique : sensibilisation, 3. Autre


(spectacle, exposition…) atelier

Espace culturel, bibliothèque Compagnie artistique

Compagnie artistique

Les objets culturels associés

Cartes postales anciennes

La fiche suivante propose un exemple de déclinaison de l’objet culturel précé-


demment analysé.

51
52
OBJET : Les aventures du prince Ahmed – cinéma-concert – Compagnie (Mic)zzaj, 2011
Avec : Pierre Badaroux, contrebasse et ordinateur ; Bruno Angelini, piano, clavier ; Rodrigo Sanz, ordinateur, traitement et objets sonores, guitares

Les domaines artistiques : Autres œuvres en relation (2011/2012) :


1. Les arts visuels : cinéma ­ ersépolis, film d’animation (programmation collégiens au cinéma)
P
2. Les arts du langage : contes des Mille et une nuits, Le cheval volant ­La fièvre des échecs (cinéma-concert P. Badaroux, avril 2012)
3. Les arts du son : cinéma muet mis en sons ...
4. Les arts du spectacle vivant : cinéma-concert

Thématique n° 1 : Thématique n° 2 : Thématique n° 3 :


La culture au cœur des apprentissages

« Arts, créations, cultures » « Arts, techniques, expressions » « Arts, mythes et religions »


L’œuvre d’art, la création et les traditions L’œuvre d’art et l’influence des techniques L’œuvre d’art et les mythes et grandes figures
Les contes et légendes, récits, mythes et leurs évolutions d’inspiration : le merveilleux (Disciplines
(Disciplines concernées : français, littérature, Le cinéma muet, le son et la musique dans le cinéma concernées : français, littérature, arts
histoire) (Disciplines concernées : musique, arts plastiques, plastiques, histoire...)
sciences/technologie)
Les contes des Mille et une nuits La représentation du merveilleux
Ce texte est universellement connu, les Mille Les aventures du prince Ahmed de Lotte Reiniger, 1926. dans les contes
et une nuits rassemblent des récits autour Le tout premier long-métrage d’animation de l’histoire
d’un thème central unificateur : Shéhérazade. du cinéma. Une première version musicale est présentée Ressources sur le site de la BNF :
Il a été mentionné pour la première fois au en sélection officielle, section Cannes Classics au Festival http://expositions.bnf.fr/contes/enimages/
xe siècle, sous la forme d’un recueil anonyme,
de Cannes le 25 mai 2007 : extraits vidéo www.commeau- salle1/index.htm
écrit en arabe, issu d’un substrat indo-persan, cinema.com/bandes-annonces/les-aventures-du-prince-
enrichi de deux strates successives, le cycle ahmed-animation,48688-video-9921. Les animaux : le cheval du prince Ahmed
de Bagdad et les récits égyptiens. Ressources La technique du film d’animation : films de silhouettes D’autres animaux merveilleux : le bestiaire du
en ligne sur le site de la BNF, Bibliothèque À l’origine du film de silhouettes : le théâtre d’ombres Moyen Âge (BNF : http://expositions.bnf.fr/
diffusé dans les foires et les silhouettes découpées, arti-
Outil 2 : fiche objet. Déclinaison en histoire des arts

nationale de France : http://expositions.bnf. bestiaire/feuille/index_fantastiq.htm)


fr/1001nuits. sanat. Étienne de Silhouette légua son nom à cette forme.
Ces deux approches, l’une fixe, l’autre animée, ont été
réunies grâce au cinéma d’animation. De Charles Armstrong
(The Clown And His Donkey, 1910) à Michel Ocelot (Princes
et Princesses, 1998) : www.commeaucinema.com/film/
princes-et-princesses-jeunesse-animation,63.
Premier espace : les contenus d’éducation

En bref Décomposer et questionner

L’objet culturel doit être systématiquement :


– approfondi, décomposé, analysé dans toutes ses dimensions ;
– partagé entre les disciplines, donc entre des professeurs ;
– partagé avec des acteurs extérieurs experts dans un domaine artistique,
culturel ou éducatif.
Chaque objet culturel s’aborde en questionnant les disciplines : comment la com-
préhension de l’objet peut-elle être facilitée par les connaissances acquises à
l’école ? Comment la proportionnalité en mathématiques peut-elle aider les élèves
à comprendre une église romane ? Comment les ponts étudiés en technologie
enrichissent-ils la compréhension des arcs romans ou gothiques ?
La place de l’objet culturel est inversée : il ne vient plus illustrer un cours ou servir
l’ouverture culturelle, il entre dans une logique d’interrelation et de compréhension
du monde à l’aide de clés disciplinaires. Il ne faut pas partir d’une proposition
culturelle et ensuite chercher à la raccrocher à différents enseignements mais, au
contraire, partir de l’objet culturel et le construire en commun.
L’objet culturel, dès lors qu’il est partagé et coconstruit, qu’il émerge du territoire,
qu’il est un outil pour le pilotage, retrouve toutes ses dimensions.

Principe 2. Construire ensemble : l’insoutenable légèreté du projet11


La démarche de projet est entrée dans l’éducation depuis plusieurs décennies.
Associée à l’autonomie mise en place en 1985 et complétée par la loi d’orientation
sur l’éducation de 1989, elle peine pourtant à pénétrer le quotidien car elle se
heurte à l’approche disciplinaire et apparaît bien souvent comme une surcharge
de travail.

La fausse conception : un professeur, un projet


Face aux difficultés rencontrées en éducation, les solutions ne peuvent venir
d’une démarche personnelle dans laquelle la valeur individuelle de l’enseignant,
son implication, ses compétences pourront s’exprimer. Si l’effet professeur
ne peut être nié, le cumul des actions individuelles ne peut offrir de solutions
pérennes. L’augmentation de la charge de travail professorale ne peut corres-
pondre à une amélioration de la performance.
Dans le domaine du projet, les acteurs n’ont jamais partagé la même vision.
Sur le terrain, les professeurs postulent souvent qu’un établissement n’est que

11. En référence à L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera.

53
La culture au cœur des apprentissages

la somme des actions des acteurs alors que l’encadrement tente de donner une
cohérence. Si les projets d’établissement peinent à trouver une place efficiente,
les contrats d’objectifs ont pu le faire. Cependant, ils se sont définis dans les
logiques d’objectifs puis d’opérationnalisation et enfin d’évaluation par les indi-
cateurs. Ces trois logiques amènent à un glissement vers les bras tentateurs d’un
système bureaucratique. Aux logiques de moyens développées pour atteindre
les objectifs, peuvent correspondre des logiques de performances vides de sens.

Entretien : un conseiller technique et un professeur


Un conseiller technique de l’Éducation nationale en charge de la mise en œuvre des
contrats d’objectifs et des projets d’établissement.
Le projet d’établissement est un réseau complexe de relations où se combinent la
variété des disciplines, la multiplicité des domaines de développement avec leur valeur
de référence et la totalité des objectifs de formation. Il permet de donner un sens à
l’enseignement disciplinaire, d’éclairer la référence aux valeurs, d’enrichir la culture
pédagogique de chacun et de faire évoluer les pratiques individuelles et collectives. Le
projet d’établissement engage le travail de l’établissement dans une politique globale
permettant de mettre en œuvre les orientations nationales et académiques, dans le
cadre particulier et le contexte de l’établissement.
De ce fait, il prend en compte les caractéristiques locales et s’élabore à partir d’un
diagnostic général qui fait apparaître les pôles les plus importants de la vie de l’éta-
blissement. Fruit d’une concertation, il sert de fondement à la réflexion relative au
contrat d’objectifs conclu avec l’autorité académique. Le contrat d’objectifs s’appuie
sur ces objectifs généraux qui engagent la politique de l’établissement et mentionne
les indicateurs qui permettront d’apprécier la réalisation de ces objectifs. Le projet
d’établissement et le contrat d’objectifs qui l’opérationnalise sont bien les outils du
management au service des orientations de l’établissement public local d’enseigne-
ment. Ils engagent le travail de toute la communauté, le choix des dispositifs et la
stratégie pour les atteindre.
Et c’est bien là que se situe le véritable enjeu ; car si les orientations nationales et aca-
démiques sont la référence, la stratégie pour les atteindre relève, elle, de l’autonomie
des acteurs. Les stratégies organisationnelles peuvent donner un temps l’illusion de
l’efficacité, mais dans la mesure où elles ne s’inscrivent pas dans ce qui fait le fonde-
ment de l’acte pédagogique, elles deviennent rapidement obsolètes. Seule une straté-
gie faisant appel à ce qui fonde l’acte pédagogique peut se révéler pertinente dans la
construction du lien entre tous les acteurs dans et hors l’établissement : c’est ce qui
fait de la culture d’un espace vivant la stratégie de mise en cohérence des systèmes au
service d’un territoire.
Un professeur de philosophie : la culture comme base d’un projet commun.
La définition du mot culture est problématique et sujette à débat presque depuis
l’origine. Il y eut une polémique célèbre entre Herder et Kant autour du sens du mot
culture. Pour Herder, la culture, c’est d’abord l’ensemble des mœurs et la tradition.

54
Premier espace : les contenus d’éducation

Cette culture est le propre d’un groupe social et historique donné. Elle varie d’un pays
à l’autre, d’une époque à l’autre. Ici le mot culture désigne aussi bien les grandes créa-
tions de l’esprit, tel le Roi Lear de Shakespeare, que les choses et les gestes les plus
élémentaires : une paire de bottes, l’art du tricot, la baguette de pain, le béret basque,
etc. Tout ce que notre époque regroupe sous l’étrange vocable de patrimoine culturel.
C’est en quelque sorte une transmutation de la culture en ma culture. La culture est
le domaine où se déroule l’activité spirituelle et créatrice de l’homme. Ma culture est
l’esprit d’un peuple auquel j’appartiens et qui imprègne à la fois ma pensée la plus
haute et les gestes les plus simples de mon existence quotidienne.
Mais alors, qu’est-ce que la culture pour Kant ? Ainsi qu’il le formule lui-même, la
culture véritable est celle qui permet à la raison d’exercer un pouvoir sur la sensibilité
pour lui faire « jeter un regard en direction de l’infini ». C’est la capacité de se rendre
sensible aux idées universelles et notamment éthiques, de ressentir ce que Kant
nomme des idées pratiques. C’est en somme la disposition au sentiment moral. C’est
ce même sentiment moral que nous exigeons de chaque homme. Et c’est donc ce sen-
timent moral qui fonde la nécessité et l’universalité du sentiment qui accompagne le
sublime. C’est parce qu’il ouvre la voie à la moralité, parce qu’il s’adresse en l’homme
à ce qui lui permet d’être moral, c’est-à-dire sa liberté, que le sentiment du sublime
peut être dit universel et nécessaire. C’est en cela qu’il transcende les particularismes
nationaux et l’esprit des peuples. Pour Kant, les peuples ont une culture, mais ils n’ont
pas d’esprit. Seule l’humanité est capable de se tourner vers la dimension spirituelle de
la vie. Ce sont là deux des grandes conceptions de la culture qui s’affrontent, invoquant
les particularismes fondateurs des identités ou l’universalisme quelque peu abstrait de
la morale et de la dignité humaine.
Si, pour ma part, je suis sensible plutôt à la dimension universelle de la culture et si je
cherche dans les œuvres de l’esprit ce qui rapproche les hommes plutôt que ce qui les
oppose, je regrette surtout que le langage courant et institutionnel parle des arts et de
la culture. Cela n’a pas toujours de rapport. Si je cherche dans l’art une ouverture sur
l’universel, je ne trouve pas beaucoup d’intérêt à un art dont toute la valeur repose sur
sa capacité à représenter des particularismes locaux. Ceci étant dit, voici quelques élé-
ments qui répondent au positionnement de la culture comme base d’un projet commun
dans un établissement.
Je constate dans mon établissement, comme probablement dans d’autres établisse-
ments, une séparation entre les projets artistiques et culturels et les projets scienti-
fiques quasi inexistants. On parle parfois de culture scientifique. Et on me demande
en tant que référent culturel d’inciter les collègues de sciences à porter des projets sur
la culture scientifique. La culture semble appartenir au pôle humanités de l’établisse-
ment. Si l’on souhaite faire de la culture quelque chose de commun aux humanités et
aux sciences, il faut poser le plus clairement possible ce que l’on attend de ces projets
pour le développement de l’esprit : l’esprit critique, l’exercice du jugement, etc. Ensuite
c’est à chaque discipline de penser en quoi elle contribue à tout cela. Il faut donc que
les enseignants soient désireux de donner à leur savoir et à leur discipline une portée
plus large et plus haute que la simple acquisition de compétences disciplinaires. Cela
passe peut-être par des temps de réflexion et d’échanges pour essayer de voir ce qu’il
y a encore de commun entre les disciplines. La recherche non pas d’un socle commun
mais d’une ambition éducative commune permet de voir se jouer dans nos disciplines

55
La culture au cœur des apprentissages

quelque chose qui les dépasse en soulignant leur grande valeur. C’est ainsi qu’émer-
geront des valeurs non pas communes mais universelles.
Cela implique de mettre l’accent sur une certaine conception de l’éducation. On dit
souvent que l’école a deux missions : former des hommes éclairés et préparer ces
hommes à intégrer la société. Ce deuxième aspect vient souvent au premier plan. On
attend de l’école qu’elle forme les élèves pour qu’ils trouvent du travail. Et on mesure
la pertinence d’une discipline ou d’une série de baccalauréat en termes de « débou-
chés ». Or l’importance culturelle d’un savoir ne peut pas se réduire au fait qu’il aide à
trouver un emploi bien payé dans ce que nous croyons que sera la société de demain.
Pour qu’une politique éducative soit porteuse de valeurs culturelles universelles, il
faut attendre autre chose de l’école que des individus adaptés aux exigences sociales
et économiques. Je suis sensible au fait de rappeler que la mission première de l’école,
c’est la formation de l’esprit humain.
Évidemment, cela reste une formule vague : « la formation de l’esprit humain ». Mais
peut-être que l’un des moyens pour faire de la culture un objet partagé serait de com-
mencer par demander aux acteurs de l’éducation ce qu’ils souhaitent mettre dans cette
formule. L’objet partagé n’est pas un donné. Il est à construire, ensemble. Pour cela, en
bon philosophe, je partirai d’une situation qui interroge, une idée ou un fait qui nous
amène à nous demander : pourquoi… ?
Un dernier point en forme d’invitation : j’ai fait lire en cette année rousseauiste un petit
livre à mes élèves, Discours sur les sciences et les arts. Rousseau associe ce que nous
avons pris l’habitude de séparer : les sciences et les arts. Il en fait une critique radicale,
expliquant qu’ils sont la cause de notre corruption morale. Il a été récompensé pour
avoir soutenu cette thèse avec talent. Et pourtant il n’emploie pas le mot « culture ».
Est-ce alors une critique de la culture ? Je vous laisse lire le texte de Rousseau, car il
me semble que c’est une très belle défense de la culture.

L’approche théorique : culture et projet


Il semble intéressant d’interroger l’origine latine du mot « projet » (proji-
cere), car celle-ci nous donne quelques éléments de compréhension de ce terme
trop souvent utilisé. Cette origine nous renvoie à l’idée de « jeter en avant »,
de « projeter », et donc vers ce dessein, cet avenir que l’on souhaite. C’est à la
Renaissance, et à travers l’architecture, que la notion de « projet » est devenue
prégnante. L’anticipation méthodique de la réalisation technique était devenue
indispensable. Ce qui nous renvoie au projet tant dans sa technique, ses actions,
mais aussi comme une idée que l’on veut réaliser. Le projet se différencie du but
et des objectifs, qui sont, eux, particulièrement définis et réalisables ; le projet,
lui, est plus incertain, c’est ce que Jean-Pierre Boutinet nomme « une anticipa-
tion opératoire individuelle ou collective d’un futur désiré12 ». Il semble aussi

12. Boutinet J.-P., Anthropologie du projet, PUF, 1990.

56
Premier espace : les contenus d’éducation

important de préciser que l’emballement actuel de notre société pour une telle
approche a quelque peu tendance à être réductrice et limiter malheureusement
la notion de projet à l’obtention d’aides financières ou de moyens humains, par
exemple.
Nous nous référons donc aux travaux de Jean-Pierre Boutinet qui décline
l’élaboration du projet en trois étapes : « l’analyse de la situation (diagnostic
parfois aidé par un intervenant externe), l’esquisse d’un projet possible (repo-
sant sur un compromis entre le souhaitable et les contraintes), les choix straté-
giques (la stratégie est chargée de gouverner l’action au regard du projet et des
circonstances)13 ».
L’éducation nationale14 définit la notion de projet, déclinée dans deux accep-
tions particulières propres à ce ministère : le projet d’établissement, le contrat
d’objectifs.

« Dans chaque établissement, le projet d’établissement définit, sous forme d’objectifs et de


programmes d’actions, […] les modalités particulières de mise en œuvre des programmes
nationaux et des orientations nationales et académiques et précise les activités scolaires
et périscolaires qui y concourent. Le projet d’établissement précise les voies et les moyens
mis en œuvre pour assurer la réussite de tous les élèves et pour associer les parents à ces
objectifs. Dans chaque établissement, doit être établi un projet de contrat d’objectifs.
En cohérence avec le projet d’établissement, […] il définit des objectifs à atteindre à une
échéance pluriannuelle (de 3 à 5 ans) sous forme d’un programme d’actions […]. »

Nous remarquons que dans les trois étapes proposées par Jean-Pierre
Boutinet, seules les deux premières sont abordées dans la proposition de l’Édu-
cation nationale, alors que la notion de stratégie, elle, n’est pas évoquée. Les
projets dans les établissements scolaires apparaissent souvent in fine comme un
programme d’actions, alors que la stratégie semble être l’élément fondamental
de gouvernance du projet.

Articuler les différences, afin de construire des finalités partagées


Jean-Bernard Paturet15 nous explique que « le principe essentiel de tout
projet reposera donc sur le partage, la parole, sur “la parole opérante”, comme
dit Merleau-Ponty, fondement de toute citoyenneté. Parole considérée à la fois
comme matériau et comme outil de l’action ». L’élément fondamental est par
conséquent un échange autour d’un « projet » à réaliser, et cette rencontre est le
signe principal de réussite.

13. Boutinet J.-P., op.cit.


14. Bulletin officiel, n° 36 du 6 octobre 2005.
15. Paturet J.-B., « Le projet comme “fiction commune” », Revue Empan, 2002.

57
La culture au cœur des apprentissages

La difficulté que nous rencontrons dans l’éducation est l’individualisme des


enseignants, ceux-ci n’ont pas vraiment envie d’échanger sur leurs pratiques. Les
raisons invoquées sont nombreuses et diverses : la peur d’être jugé, le manque
de temps, le secret d’une expertise gardée comme le savoir-faire d’un grand
chef… Et pourtant de nombreuses études16 ont montré que les établissements
dans lesquels les élèves réussissent sont ceux dans lesquels les enseignants
coopèrent, reconnaissent que l’amélioration des conditions de travail est une
tâche collective et non individuelle. Mais le système français est très centralisé,
ce qui ne favorise pas forcément les échanges, sinon autour d’une même disci-
pline, sur les difficultés liées aux élèves, sur les résultats des évaluations… Peu de
possibilités sont offertes afin de pouvoir construire ensemble. Pourtant, comme
le souligne Anne Barrère, le travail en équipe pourrait nourrir « un bilan positif,
lorsqu’il allège la charge mentale de la gestion de classe et la responsabilisation,
voire culpabilisation des enseignants à son égard, et s’articule ainsi avec les
problèmes quotidiens concrets17 ». Il l’est aussi lorsqu’il est un facteur de progres-
sion et de développement professionnel.
Des équipes éducatives autour de projets partagés qui deviennent des
communautés de travail. Au-delà de cette réflexion propre à l’éducation, à son
système et à ses acteurs, nous vous proposons de faire une petite incursion dans
une particularité historique, une expérience originale, qui pourrait bien, d’une
certaine façon, éclairer notre cheminement.
En France, entre 1942 et 1954, se sont développées les communautés de
travail ; ces communautés correspondaient à un ensemble d’une cinquantaine
d’entreprises autogérées. Ce système est issu d’une expérience originale de la
communauté Boimondau des « Boîtiers de montres du Dauphiné », fondée par
Marcel Barbu en 1941 à Valence, puis dirigée par Marcel Mermoz : le principe
fondateur de la communauté de travail est de placer l’organisation au service de
l’homme.
Il existe actuellement des communautés de travail qui sont des regroupements
de collectivités territoriales cherchant à établir une coopération transeuropéenne
de type multilatéral. Ces communautés fonctionnent à une échelle beaucoup plus
vaste que celles des années 1950 ; elles peuvent regrouper l’ensemble d’une
chaîne de montagne, par exemple. Dans la plupart des cas, ces coopérations
reposent sur des bases juridiques non contraignantes et de durée indéterminée.
Les « entités coopérantes » disposent rarement de compétences indépendantes
de celles de leurs membres, mais intensifient leurs relations par des réunions

16. Gather-Thurler M., Innover au cœur de l’établissement scolaire, ESF éditeur, 2000.
17. Barrère A., Lessard C., « Autour des mots, quand les enseignants travaillent ensemble »,
Recherche et Formation, 2005, n° 49.

58
Premier espace : les contenus d’éducation

régulières. Il est rare qu’elles soient dotées de pouvoirs de décision dépassant


ceux (institutionnellement reconnus) de leurs membres. De ce fait, leurs repré-
sentants tendent à agir et à se déterminer d’abord en tant que membres de leurs
instances d’origine.
Pourquoi ne pas envisager un tel fonctionnement ? L’établissement scolaire
n’est-il pas de fait une communauté éducative ? Pourquoi ne pas élargir d’ailleurs
cette instance aux familles, aux partenaires et au premier degré afin de s’inscrire
dans son territoire ? Cela permettrait à cette communauté (territoire) de travailler
autour de projets partagés.
La notion de projet se construit traditionnellement autour de logiques carté-
siennes, en général aptes à améliorer le fonctionnement des organisations
compliquées. En effet, les problèmes rencontrés sont alors diagnostiqués, ce
qui permet de dégager des objectifs puis de déterminer l’opérationnalisation
et enfin d’évaluer ; le contrôle, l’évaluation deviennent alors les éléments clés.
Cependant, cette vision nie la dimension systémique de l’école. Les difficultés
en anglais se résoudront peut-être partiellement ainsi, mais la performance
globale de l’école évoluera au mieux à la marge. L’approche systémique postule
un environnement changeant, ce qui rend les certitudes inopérantes. Par ailleurs,
la systémique passe de compliquée à complexe et les solutions simples à un
problème n’existent plus. Le centrage sur le diagnostic serait abandonné au profit
d’un centrage sur des valeurs qui détermineraient des objectifs, des stratégies
et des régulations. L’enseignant ne se questionnerait plus sur son enseignement
mais sur l’apprentissage des élèves. La démarche de projet aurait alors bien
évolué et l’égalité des chances, la culture trouveraient leur place.

La culture comme projet commun


Quelle place donne-t-on à la culture dans les dispositifs institutionnels de
l’Éducation nationale que sont le projet d’établissement et le contrat d’objectifs ?
Le volet artistique et culturel est rattaché au projet d’établissement et doit donner
les grands axes de la politique en matière d’art et de culture de l’établissement. La
plupart du temps, ce volet se résume à un catalogue d’actions. Ne peut-on envi-
sager la culture autrement que dans cette perspective de « supplément d’âme » ?
Ne serait-il pas plus intéressant de repenser son rôle en tant qu’élément fédérant
un projet commun, élément partagé dans une communauté de travail ?
Car, comme l’affirme Jean-Claude Forquin, « la culture est le contenu substan-
tiel de l’éducation, sa source et sa justification ultime : l’éducation n’est rien hors
de la culture et sans elle18 ». Actuellement, notre école peine à mettre du sens

18. Forquin J.-C., École et culture, Le point de vue des sociologues britanniques, De Boeck-Wesmael,
1999.

59
La culture au cœur des apprentissages

dans les actions, les espaces de vie, les projets collectifs ou individuels. Pourquoi
ne pas envisager que la culture puisse jouer un rôle essentiel dans cette construc-
tion du sens, entendu à la fois comme rapport social et comme projet collectif, et
donc venir nourrir enfin un véritable projet partagé ? Il nous faut aujourd’hui sortir
de cette dichotomie née avec la séparation de l’éducation et de la culture au tour-
nant du siècle dernier. L’action culturelle en éducation en serait le dernier avatar
qui doit laisser sa place à un projet culturel repensé en termes systémiques.

Notre mise en œuvre : vers une communauté de travail


La professionnalisation des professeurs doit se faire à travers la construction
d’une communauté de travail appuyée sur une culture commune (dans le sens
d’une culture professionnelle partagée). Cette communauté de travail regroupe
les acteurs internes et externes de l’établissement autour de la culture avec ses
différents constituants que sont l’artistique, le numérique, le développement
durable, etc.
Pour les professeurs, il s’agit de formaliser ce temps de travail par des heures
annualisées. Il s’agit donc bien de toucher au statut des enseignants, celui défini
par le décret de 1950 et encore en vigueur. Comment imaginer une école du
xxie siècle, celle de l’Internet, d’une société mondialisée, avec un cadre datant
de la reconstruction d’après-guerre ? Un temps obligatoire de concertation ne
veut pas dire augmenter la charge de travail mais travailler autrement. Il ne s’agit
pas de pratiquer un « toujours plus19 » différent de celui évoqué par François de
Closets, mais le « enfin mieux ». Ces heures annualisées peuvent s’organiser par
quinzaine et constituer ainsi le temps de réflexion et de préparation indispensable
au fonctionnement d’une communauté de travail.
La culture est au cœur de ces groupes projets car elle est l’élément que tous
peuvent se partager, acteurs internes ou partenaires extérieurs. Le seul autre
point de rencontre est l’élève que d’autres nomment enfant, jeune, adolescent…
Seuls ces deux éléments peuvent être communs à tous. Nous partons du premier
pour atteindre le second à travers les parcours culturels de chaque élève.

Comment ?
Ces temps seraient ceux de groupes projets spécifiques ou ceux de l’ensemble
des protagonistes réunis autour d’un choix stratégique. Les groupes projets
peuvent être modulables dans l’année afin de garder souplesse et efficience.
Dans les établissements, fonctionnent déjà des groupes projets comme celui
de la classe d’intégration en sixième dont le projet est transdisplinaire au sens
où il se focalise sur des compétences du socle et n’entre pas par les disciplines.

19. De Closets F., Toujours plus !, Grasset, 1982.

60
Premier espace : les contenus d’éducation

Un groupe projet « école ouverte » se met en place six mois avant la première
session, il comporte différents partenaires associatifs et se complète avec les
artistes qui intègrent le projet naissant. Ces exemples doivent se généraliser et
sortir du volontariat pour devenir un mode de fonctionnement dans un établisse-
ment scolaire.
Le conseil d’administration de l’établissement doit être en mesure d’analyser
la situation en amont afin d’être force de proposition. Trop souvent, il consacre
l’essentiel de son temps aux tâches courantes ou se focalise sur un point de
blocage, comme la répartition de la dotation horaire globale, au lieu d’analyser
la mission première de l’établissement : éduquer, enseigner. Le conseil d’admi-
nistration vient dans ce cas confronter directement les pratiques et les objectifs
réalisés avec l’expertise du constat.

Les outils proposés


Le projet d’établissement : à quoi sert-il ? Obligatoire depuis la loi d’orienta-
tion de 1989, puis réaffirmé en 2005, le projet d’établissement est souvent diffi-
cilement différencié du contrat d’objectifs car ils s’inscrivent tous deux dans une
logique cartésienne du projet. Comme tout projet systémique, l’entrée se fait alors
par les valeurs qui donnent sens au diagnostic en l’ancrant dans un territoire et
des problématiques contextualisées. Ces valeurs, par nature utopiques, peuvent
donner un sens humain et social au projet. La cohérence, critère essentiel du
projet, se traduit dans une stratégie éducative globale qui donne un sens lisible
pour tous à la démarche. Ainsi, le pilotage par le sens parfois utilisé au niveau de
l’action se manifeste au niveau d’un fonctionnement beaucoup plus global.
La construction d’un projet d’établissement impose de travailler par étapes,
que le pilote doit préciser et cerner pour l’ensemble des membres de la commu-
nauté éducative. L’outil suivant les présente et les contextualise.

61
La culture au cœur des apprentissages

Outil 3 : tableau des étapes de construction du projet d’établissement

Leur approche
Exemples concrets
Des volets emboîtés (le travail s’organise
dans un établissement
en quatre étapes)

Valeurs de l’école au Intervenants Égalité des chances


regard de ses missions Groupes de travail Ambition

État des lieux : Outils de diagnostic avec Territoire rural de montagne, difficulté en
diagnostic de territoire des groupes de travail langue française, organisation politique
et d’établissement culturelle efficiente
Analyse d’un tableau de bord

Stratégie éducative Groupes de travail La culture comme stratégie


globale et réunion plénière

Référentiel Réunions plénière, Communication, apprendre à apprendre


le choix des priorités ou résoudre les situations à problèmes

Après le projet d’établissement, le contrat d’objectifs : le principe de projet


peut se concevoir à travers le contrat d’objectifs. Selon un rythme triennal ou
quadriennal, un contrat d’objectifs doit être signé entre l’autorité académique
et l’établissement. Le principe même de ces contrats est de construire ensemble
au sein de l’établissement une vision partagée. Les structures de collaboration
vont donc être mises en avant pour définir cette vision. Le conseil pédagogique,
les journées de réflexion en assemblée générale ou en groupe de travail vont
permettre d’établir les différents points. Parfois, un audit externe est proposé par
l’institution afin de se dégager d’une situation trop complexe sur le fond ou de
relations d’équipe trop compliquées.
Après une phase de diagnostic qui détermine les forces et faiblesses d’un
établissement, vient une phase qui précise les objectifs prioritaires. Dans notre
cas, l’amélioration de la maîtrise de la langue française, revisiter la relation au
travail, l’autonomie furent les trois objectifs retenus. Il est aisé de constater que
ces objectifs peuvent s’adapter à un grand nombre de collèges car ils corres-
pondent à des problèmes classiques et récurrents. Ces trois objectifs constituent
également des leviers permettant une amélioration des compétences des élèves :
levier technique dans la maîtrise de la langue, levier psychologique dans leur
relation au travail et levier organisationnel dans la compétence autonomie. Mais
l’essentiel est ailleurs, dans le choix commun d’une politique et sa mise en œuvre
conjointe.

62
Premier espace : les contenus d’éducation

Outil 4 : rendre cohérent projet d’établissement


et contrat d’objectifs par la stratégie culturelle

3 ESPACES
EPLE/COHÉRENCE CONTEXTUALISATION CONTENU/VALEUR
AGENCEMENT

VALEURS

ÉTAT DES LIEUX

PROJET

VOLET ARTISTIQUE ET CULTUREL


D’ÉTABLISSEMENT STRATÉGIE ÉDUCATIVE GLOBALE

RÉFÉRENTIEL

3 OBJECTIFS

CONTRAT
D’OBJECTIFS STRATÉGIES OPÉRATIONNELLES

ÉVALUATION/RÉGULATION

Programme d’actions en cohérence


et partagé entre les disciplines
et le territoire

Parcours éducatif et culturel de l’élève

63
La culture au cœur des apprentissages

Comme nous vous le proposons dans le schéma précédent, il est indispensable


de lier projet d’établissement et contrat d’objectifs. Complémentaire, le contrat
d’objectifs émerge du projet d’établissement dont il constitue une opérationnali-
sation. La stratégie culturelle, par ses trois espaces, fournit le substrat intellectuel
et l’outillage dans lequel le projet d’établissement peut se structurer en amont
de la construction du contrat d’objectifs. Le projet d’établissement englobe alors
deux contrats d’objectifs successifs, même si l’état des lieux évolue, modifiant
les stratégies opérationnelles. Ces dernières peuvent se construire autour de nos
principes comme l’utilisation des actions culturelles qui viennent servir le socle et
favoriser une approche par compétences.
Si la démarche de projet se conçoit au niveau d’un établissement scolaire et de
son territoire, elle se décline également à un niveau opérationnel et au niveau des
acteurs, comme dans l’exemple du travail en groupe projet pour l’école ouverte.
Dans le cadre de priorités communes entre l’établissement, les écoles de secteur,
les associations et les structures territoriales, autour de la maîtrise de la langue,
du rapport au livre, à la littérature, à la lecture, un projet culturel partagé a été
élaboré. Avant d’entrer dans l’action des partenaires, il nous a semblé pertinent
d’élaborer une grille dans laquelle chacun inscrivait les éléments qui motivaient
son activité et pouvaient modifier l’état de l’existant. Les objectifs communs
étaient d’apprendre à travailler ensemble pour donner une dimension culturelle
plus ambitieuse au territoire par le biais d’un dispositif école ouverte dont on
considère qu’il faisait partie intégrante de ce même territoire. Autour de ce projet
commun, chacun pouvait trouver sa place pour une coconstruction réussie. Nous
vous proposons cet exemple de grille méthodologique.

64
Outil 5 : grille d’inscription des partenaires dans un projet culturel partagé

Visées Motivations/réflexion Travail autour de la langue française, dans un dispositif hors de l’école
Opportunités/demandes Résidence artistique, proposition école de musique, lien avec les associations jeunesse
Partenaires, Collège École de musique Association
positionnement
Objectifs de la structure Enseignement Enseignement Animation
Référents CPE (conseiller principal Directeur Directeur
d’éducation)
Impact Buts Travailler la langue française Créer des liens, permettre Créer des liens, permettre
approfondissement et pratique approfondissement et pratique
Ce que ce projet va Redonner l’envie d’écrire, Mettre en place une chorale, Partager un projet culturel,
apporter spécifiquement liens avec les disciplines proposer une pratique régulière proposer une pratique
Acteurs Domaines ou disciplines Français/musique Pratique chorale Encadrement
Personne, référent … … …
Fonction CPE Intervenant Animateur
Dispositif utilisé École ouverte Projet pédagogique Liaison collège/association
Pour l’élève Résultats attendus : les apprentissages
Nouveautés Écriture de chansons Lien musique/texte Atelier d’écriture
Approfondissement Voix, écriture, langue française Voix Écriture
Ressources Disponibles Encadrement professeurs Matériel son, aide au travail vocal Aide à l’encadrement des groupes
Attendues Matériel, aide technique … …

65
Premier espace : les contenus d’éducation
La culture au cœur des apprentissages

En bref
Le projet envisagé comme processus
La construction du projet :
– Chercher, partager des valeurs, y compris comme utopie commune.
– Accepter les emboîtements successifs : projet d’établissement, contrat
d’objectifs, projet-action
– Rechercher la cohérence par une stratégie éducative globale.
– Référentialiser les points forts et les points faibles du diagnostic.
– Établir un glossaire commun.
La déclinaison du projet :
– Construire sur un territoire un projet éducatif commun autour des écoles,
des établissements du secondaire en s’appuyant sur une ou des valeurs
communes. Les parcours des élèves pourront ensuite être déclinés.
– Centrer la communauté de travail sur l’acte d’éduquer à travers le projet
et en la confrontant à l’autre. Pour la mise en œuvre, il faut nommer un
enseignant-relais choisi pour ses compétences en sciences de l’éducation
et son expertise pédagogique. Issu du premier ou du second degré, il aura
pour charge d’animer, de coordonner, d’accompagner les groupes projets
sur un territoire. En fonction du territoire et des établissements rattachés,
il pourrait être totalement déchargé de classe.
La démarche :
– La logique cartésienne, diagnostic, objectifs, mise en œuvre, évaluation,
reste limitée dans son efficacité car elle est trop axée sur le contrôle, sur
les résultats.
– La logique systémique semble plus appropriée car en évolution, néces-
sitant de constants ajustements et centrée sur les acteurs. Elle implique
par ailleurs de travailler en équipe. L’incertitude épistémologique de l’acte
d’enseigner peut alors se traduire dans la construction de projets, c’est-à-
dire mettre en place des hypothèses de changement maîtrisé.

Principe 3. Développer les compétences par la culture :


culture, socle et autres curiosités20

La fausse conception : une culture éthérée


La culture aurait-elle une singularité propre dans l’Éducation nationale, restant
réservée aux disciplines artistiques et culturelles ? Ainsi pour l’histoire des arts,
quatre disciplines sont obligatoirement impliquées : les lettres, l’histoire-géogra-
phie, l’éducation musicale et les arts plastiques. Les autres disciplines peuvent
également participer sur la base du volontariat, comme si la technologie n’avait

20. En référence à Amour, Prozac et autres curiosités de Lucia etxeBarria.

66
Premier espace : les contenus d’éducation

pas de base culturelle alors qu’elle étudie très souvent l’architecture, sans parler
de l’éducation physique et sportive qui s’aventure très largement dans la danse…
La culture et son corollaire, l’ouverture culturelle, constitueraient un espace
de liberté pour les enseignants, à l’opposé des disciplines encadrées par un
programme. L’ouverture culturelle serait alors un plus, distinct de l’enseignement
fondamental et basé sur des formes de volontariat des professeurs et des élèves.
La culture n’a pas à être évaluée, d’autant plus qu’elle se cantonne majoritaire-
ment à l’ouverture culturelle. Les enseignants refusent très souvent d’évaluer
l’ouverture culturelle en prétextant que cela risquerait de provoquer un manque
d’appétence des élèves pour ces domaines.
La culture n’a aucune légitimité dans la gouvernance et le pilotage d’un
établissement comme stratégie éducative globale.

Entretien : un inspecteur du premier degré


Le fondement de l’école républicaine repose sur l’acquisition complémentaire d’ap-
prentissages instrumentaux et culturels. Les éléments d’ordre culturel nécessitent
un outillage de base (écouter, lire, comprendre, mémoriser, relier…) et s’acquièrent
progressivement : ils sédimentent cette culture humaniste qui éclaire les élèves sur ces
toutes premières questions liées à l’humanité. Dès la maternelle, la lecture d’histoires
s’inscrit dans cette dynamique : le maître assume fondamentalement le rôle de passeur
en donnant les repères et les clés essentielles pour permettre aux élèves de mobiliser
un regard plus éclairé sur un monde toujours plus complexe. La culture n’est pas une
discipline ou bien encore un plus qui serait offert aux élèves : tout enseignant, dès la
maternelle, a un devoir – un devoir d’ingérence culturelle. Toute sa pratique doit être
tendue vers cet objectif de meilleure intelligibilité du monde, posture que les élèves
construisent patiemment à travers des situations pédagogiques dynamiques et rigou-
reuses articulant l’acquisition de connaissances et de compétences.
L’élève doit pouvoir poser un regard sensible sur les œuvres qui l’entourent. Il doit
pouvoir donner une signification à la présence de cette œuvre. Il doit pouvoir mettre en
réseau ses découvertes, ses questionnements pour tisser un parcours culturel ouvert,
inachevé et prospectif.
C’est par ces rencontres régulées, organisées et structurantes avec des œuvres choi-
sies par l’équipe enseignante que l’école construit un rapport au monde, un rapport
sensible, signifiant et structurant la biographie culturelle de chaque individu. Pour
faire progresser les connaissances et les compétences des élèves, ceux-ci doivent éga-
lement pouvoir s’approprier progressivement la démarche liée à la création d’œuvres
en étant à la fois au contact d’artistes mais aussi en créant eux-mêmes. C’est dans ces
interactions et ces approches pédagogiques très complémentaires que se construit
progressivement et de manière buissonnière cette posture d’amateur éclairé.
Concernant l’efficacité supposée de la culture en termes pédagogiques, je n’oppose
pas la culture et le travail classique : sans doute, ces termes mériteraient-ils d’être
explicités pour éviter des contresens ou pour lever des ambiguïtés.

67
La culture au cœur des apprentissages

Le « travail classique » n’a de sens que s’il permet à l’élève de découvrir le monde, de le
comprendre, de s’y insérer, d’agir sur lui, de découvrir l’autre et de mieux se connaître
soi-même.
L’école doit permettre à l’élève d’adopter un questionnement progressif et fécond sur
les objets culturels mis à disposition. C’est ce rapport signifiant au monde qui peut
faire progresser les élèves sur des apprentissages instrumentaux et vice versa. Ce n’est
pas la dialectique, voire l’opposition entre travail classique et culture qu’il semble utile
de cultiver mais plutôt leur articulation sensée. Les démarches engagées entretiennent
une articulation continue intégrant un indispensable rapport d’intimité aux œuvres
mais, au-delà, ces approches structurantes permettent de comprendre à travers la sin-
gularité de chacune des œuvres ce qui est posé comme objet d’universalité.
Concernant l’ouverture culturelle, si elle sert d’alibi à un enseignement qui serait
essoufflé et qui nécessiterait alors des respirations culturelles appelées ouvertures,
nous faisons fausse route, me semble-t-il. Non pas que ces ouvertures culturelles
soient néfastes mais il s’agit d’ancrer la pratique pédagogique ordinaire de classe dans
cette dimension culturelle permanente, ce que j’ai appelé précédemment le devoir
d’ingérence culturelle. La culture dans l’Éducation nationale, cela doit se traduire par
une posture et une pratique qui inscrit chaque discipline dans ce regard éclairé à tout
objet de savoir : celui-ci n’est jamais désincarné. L’eros et le savoir savant doivent pou-
voir s’étayer pour donner chair à un corpus de rencontres avec des objets de culture
s’inscrivant dans un réseau de repères qui charge émotionnellement et culturellement
le rapport entretenu aux mondes. La culture est une question de point de vue et
d’énonciation : chacun choisit dans la palette de ses connaissances et de sa biographie
culturelle les entrées qui lui semblent les plus fécondes pour éclairer ce rapport intelli-
gible aux mondes qui portent à travers leur diversité ces questionnements universels.
La validation d’un parcours culturel pose la question de la validité et de la cohérence
des repères construits au fil des années : le travail d’équipe est requis pour tenter une
structuration d’un parcours transdisciplinaire et copiloté par des enseignants porteurs
de didactiques et de pratiques très diverses. C’est justement l’existence des disci-
plines qui permet d’enrichir ce rapport culturel aux mondes toujours plus complexes.
L’amateur éclairé peut ainsi se saisir d’outillages conceptuels et disciplinaires variés
pour éviter le totalitarisme d’un point de vue unique. C’est dans ce faisceau discipli-
naire que se construit et s’entretient ce rapport culturel et complexe aux mondes.
Le socle par essence n’est pas une construction dans laquelle chaque discipline repré-
sente un pilier ou une des sept compétences. Le socle ouvre cette voie des regards
croisés dont la pertinence ne peut appartenir qu’à une réflexion d’équipe, seul moyen
pour apprécier la construction de ce parcours culturel que chaque élève mobilise
patiemment à travers des connaissances déclaratives, des capacités et des attitudes.
Ce parcours n’est pas un produit fini dont les effets seraient identifiables : c’est une
dynamique qui installe une posture et des connaissances adaptées à l’âge des élèves.
Ce parcours, c’est aussi un formidable levier initiant ou consolidant le lien social pour
lequel le récit est la forme discursive majeure.

68
Premier espace : les contenus d’éducation

L’approche théorique : référentiel, compétences, socle et culture


Avant de développer plus précisément chacun de ces concepts, il nous semble
indispensable de repositionner cette réflexion dans un contexte plus large qui est
celui du curriculum.
L’étymologie suggère deux sens au mot curriculum. Le premier désignerait
une « course », un « parcours ». Cette acception appliquée à l’apprenant nous
renverrait à l’idée du mouvement même, de la progression de celui-ci qui inclut
son rythme, ses stratégies, ses objectifs, ses réajustements… Le second sens
désignerait le « lieu où l’on court », par conséquent le lieu prévu à cet effet, plus
ou moins organisé comme dans notre domaine de l’éducation, le système d’ensei-
gnement et d’apprentissage et, plus largement, l’école.
Il y a donc deux façons de définir « curriculum », selon que l’on se place du côté
des décideurs, en externe, ou du côté de l’apprenant, en interne :
–– vu par les décideurs comme les responsables des institutions ou les spécia-
listes d’une discipline faisant l’objet d’un apprentissage, le curriculum
désignerait ce que l’enseignant doit faire apprendre et la façon dont il doit
procéder ;
–– vu par l’apprenant, le curriculum peut définir ce que ce dernier a l’opportu-
nité d’apprendre. Le parcours d’éducation apparaîtrait comme un ensemble
suivi d’expériences et d’apprentissages, intégrant l’ensemble des expé-
riences de vie nécessaires au développement de l’élève.
Nous voyons par cette approche rapide autour de ces acceptions qu’il nous
faut donc envisager les différents niveaux de construction, afin de comprendre la
place et les environnements où se situe l’approche par compétences.

Le niveau macro : la référentialisation


Afin de faire suite au principe précédent et donner du sens à la phase dite de
« référentiel » dans l’élaboration du projet d’établissement, nous allons observer
et développer ce qui nourrit cette phase, qui doit permettre la déclinaison du
contrat d’objectifs, pour tendre vers les parcours éducatifs et d’apprentissages
des élèves.
Ce modèle, largement développé par Gérard Figari21, utilise une grille d’analyse
permettant de reproduire les dimensions constitutives d’un dispositif éducatif.
Nous parlerons ainsi du modèle ICP (Induit – Construit – Produit). L’induit désigne
les déterminants, les origines ; le construit met en exergue le processus, l’élabora-
tion ; enfin, le produit expose l’actualisation, la programmation et les effets. Nous
sommes ainsi dans une vision ternaire du système que le projet d’établissement,

21. Figari G., Évaluer : quel référentiel ?, De Boeck université, 1995.

69
La culture au cœur des apprentissages

le contrat d’objectifs vont mettre en œuvre pour une durée de huit ans, avant –
après – pendant. Cela permet une évaluation de ce type de dispositif en amont
(pronostique), pendant (formative) ou après (sommative). Cette perspective
permet un système vivant qui peut largement se réajuster, l’évaluation se plaçant
au cœur de la formation. Cet emboîtement est important, car on ne peut détacher
les apprentissages des élèves de leur environnement immédiat.

Le niveau mezzo : les compétences, le socle


Comment mobiliser les savoirs dans une logique de compétences ? Cette
notion même de compétences semble affoler le monde enseignant. En 2002,
Philippe Perrenoud relevait déjà cette inquiétude : « On entend souvent dire que
les programmes orientés vers les compétences “sacrifient les savoirs” pour leur
substituer des compétences22. » Il est évident que cette approche demande du
temps de travail, mais elle interroge réellement l’acte d’enseigner. « Là est le véri-
table choix : veut-on conserver des programmes encyclopédiques, sans se soucier
de préparer les élèves à s’en servir autrement que pour réussir des examens ? Ou
veut-on enseigner moins de savoirs et prendre le temps d’entraîner leur mobili-
sation et leur transfert dans la résolution de problèmes, la prise de décisions, la
conduite de projets ? » Il nous semble que cette qualité d’enseignement ne peut
qu’être porteuse de sens pour l’élève.
Qu’appelle-t-on une compétence ? C’est une construction, correspondant à
une famille de situations et de processus complexes qui seront utilisés pour réali-
ser une tâche. C’est dans ce sens que Philippe Perrenoud affirme que « l’approche
par compétences transforme une partie des savoirs disciplinaires en ressources
pour résoudre des problèmes23 » et que ces mêmes savoirs deviennent donc des
ressources au même titre que des capacités, des informations… L’approche par
compétences consiste ainsi à parvenir à mobiliser l’ensemble de ces ressources
et à les mettre en synergie au moment opportun, intelligemment et efficacement,
au lieu d’accumuler des savoirs encyclopédiques que l’élève aura du mal à opéra-
tionnaliser et à utiliser dans les situations de vie.

Le socle commun, ses origines


L’article 9 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’ave-
nir de l’école arrête le principe d’un socle commun en précisant que « la scola-
rité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à
l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de

22. Perrenoud Ph., Savoir, c’est pouvoir transférer ?, Cahiers pédagogiques, n° 408, novembre
2002.
23. Perrenoud Ph., L’approche par compétences, une réponse à l’échec scolaire ?, université de
Genève, 2000.

70
Premier espace : les contenus d’éducation

compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa


scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et profession-
nel et réussir sa vie en société ». Par l’article 2 de la même loi, « la Nation fixe
comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la
République ».
La définition du socle commun prend également appui sur la proposition de
recommandations du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne en
matière de « compétences clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long
de la vie ».
La réflexion actuelle s’oriente vers un socle fondé sur une culture commune à
tous les élèves lors des dix années de la scolarité obligatoire (école élémentaire
et collège), dont les composantes seraient :
–– les langages pour penser et communiquer ;
–– les méthodes et outils pour apprendre ;
–– la formation de la personne et du citoyen ;
–– l’observation et la compréhension du monde ;
–– les représentations du monde et l’activité humaine24.
Les connaissances et compétences s’organisent alors au sein de ces cinq
domaines retenus que les disciplines et approches pédagogiques viennent nourrir.

Le niveau micro : l’activité complexe


Cette approche par compétences implique donc un véritable bouleversement,
un changement des pratiques des enseignants. Elle présuppose que ces derniers
puissent travailler en équipes pour réfléchir collégialement sur la coordination
du travail d’apprentissage des compétences et de validation des différentes
connaissances, capacités ou attitudes, la validation des compétences, dans leur
discipline mais aussi et surtout dans des projets communs. Les projets inventés,
mis en œuvre, coconstruits par les communautés de travail peuvent se décliner
en tâches complexes et deviennent ainsi des outils au service de la validation
des compétences. Le groupe de travail DGESCO25 « Évaluation et validation de la
compétence 3 du socle » définit la tâche complexe comme « une tâche mobilisant
des ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu…) et externes
(aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documen-
taires…) ». La tâche complexe correspond à des situations de la vie courante,
que l’élève va rencontrer au fil de son parcours personnel ou scolaire. Il est
donc particulièrement important de le familiariser à se confronter à ce type de

24. www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-de-connaissances-et-de-competences.html.
25. Direction générale de l’Enseignement scolaire au sein du ministère de l’Éducation nationale.

71
La culture au cœur des apprentissages

situation et à la résoudre. La tâche complexe a la particularité de pouvoir se


réduire en un ensemble de tâches simples et c’est cette décomposition que
l’élève doit comprendre, afin de trouver des solutions lorsqu’il est confronté à
des situations nouvelles. Il pourra alors mettre en œuvre un ensemble d’outils
déclinés en connaissances, capacités et aussi attitudes.
Quelle est donc la place de la culture dans le socle ? Il ne faut en aucun cas
limiter l’entrée culturelle aux simples disciplines artistiques. La culture doit deve-
nir un savoir transversal, comme le précise Philippe Meirieu26, un savoir utilisant
« des outils de construction de la personne et les conditions d’acquisition et de
communication des savoirs spécifiques ». Et c’est dans ce sens que la culture se
décline en compétences, connaissances, capacités et attitudes, mises en œuvre
dans des projets individuels et collectifs pour les élèves. Il faut que le socle
commun de connaissances, compétences et culture puisse enfin expliciter claire-
ment cet objectif.

Notre mise en œuvre : une évaluation partagée


Il s’agit de permettre une évaluation de l’élève en acceptant que cette évalua-
tion puisse être partagée par d’autres acteurs que les enseignants, partenaires,
associations jeunesse… Elle doit également toucher les compétences au-delà du
cadre disciplinaire.
Repenser les modalités d’apprentissage permet de repositionner les acteurs
de l’éducation, de partir de leurs possibles pour un système plus vivant. L’élève
est envisagé dans son ensemble, dans son environnement scolaire, dans son
territoire et dans son environnement personnel. Ainsi le système est-il réajusté
selon une logique de processus d’apprentissage et l’essentiel n’est plus l’évalua-
tion du résultat, mais celle du processus d’apprentissage selon une logique plus
juste pour les élèves que la seule entrée disciplinaire.

Comment ?
Le projet construit par l’équipe selon une démarche de référentialisation
évoquée en théorie permet de positionner les compétences. L’environnement est
mis en relation systémique avec l’action et le projet visé. Des projets opération-
nels que nous appellerons actions mettront en œuvre ces compétences et ces
parcours.

26. Meirieu Ph., « Du socle commun aux fondamentaux de la citoyenneté », Le café pédagogique,
7 février 2005.

72
Premier espace : les contenus d’éducation

La démarche de référentialisation
Nous vous proposons d’analyser les différents éléments du contexte de l’éta-
blissement : situation, acteurs, relations, fonctionnement.
1. Ce qui relève de l’induit : les croyances, l’existant.
2. Ce qui relève du construit : par les acteurs, l’équipe éducative élargie.
3. Ce qui relève du produit issu de l’interaction entre les deux éléments précités.
Ce contexte est mis en relation avec les éléments de réalisation : les contenus,
les méthodes, les évolutions envisagées, les finalités.
1. Ce qui relève de l’induit : programmes, socle…
2. Ce qui relève du construit : par les acteurs, l’équipe éducative élargie.
3. Ce qui relève du produit issu de l’interaction entre les deux éléments précités.
Le produit prend donc la forme d’une relation entre l’établissement et le
territoire : réalisation de parcours culturels, constructions d’actions avec les
partenaires.
Nous vous livrons ci-après la grille de référentialisation que nous avons réali-
sée en amont du contrat d’objectifs d’un collège. Cette grille est divisée en deux
parties :
• ce qui ressort des éléments du diagnostic donnant ainsi les explications ;
• les réalisations et attentes qui permettent par croisement de faire émerger
le construit (le processus) pour atteindre le produit (les attentes, disposi-
tifs).

73
74
Un exemple de référentialisation appliquée

Situation Collège rural


Connaissance
Commandes Ouverture culturelle
des déterminants Induit
Contraintes Difficultés de maîtrise de la langue

Connaissances Représentations Relations enseignants/élèves


des acteurs Fonction Travail en équipes sur l’individualisme Construit
Explications
Connaissances Pouvoir Lien avec les parents et les partenaires
des relations Interactions culturels
La culture au cœur des apprentissages

Niveaux d’espaces culturels


Connaissances
Système inter/enseignants
des fonctionnements Produit
partenaires/territoire

Programmes
Définition Savoirs
Socle commun
des contenus Décisions
Pilotage éducatif/pédagogique

Stratégie éducative culturelle


Facilitation Situations
Cohérence des actions
des processus cognitifs Méthodes
Territoire apprenant
Réalisations
Travail en réseaux
Régulation et évolution Changement
Parcours culturels de l’élève
du système Production
Coconstruction des actions

Partenariat/coconstruction
Finalités Compétences partagées
Explication théologique
Valeurs Ambition/motivation
Égalité des droits
Premier espace : les contenus d’éducation

L’opérationnalisation de cette démarche passe également par la tâche


complexe. Chaque action se définit comme une tâche complexe, elle-même décom-
posée en tâches simples qui servent de support à des compétences déclinées
dans le socle. La culture est en mesure de valider l’ensemble des compétences
dès lors que l’action part du socle et se construit ensuite. L’opérationnalisation
est possible quelle que soit la compétence visée et ne se limite pas à la compé-
tence humaniste comme cela est parfois proposé.

Les outils proposés


Une résidence artistique autour de la chanson française s’est déroulée dans le
cadre du dispositif école ouverte. Ce projet est abordé sous la forme d’une tâche
complexe. Cette dernière passe dans un premier temps par une décomposition en
tâches simples relevant des connaissances, des capacités et des attitudes.

Outil 6 : déclinaison d’une action culturelle en tâche complexe

Résidence d’un artiste auteur-compositeur (chanson française)


Tâche complexe : écriture et mise en voix de chansons
Connaissances Capacités Attitudes
Disciplines et enseignements Disciplines et enseignements
concernés concernés

1. Français 1. Français
Concentration
Étude de la langue : grammaire, Écrire correctement un court texte
orthographe, lexique Attention à soi
Lecture : initiation à la poésie, textes Écouter, comprendre les textes et aux autres
issus de la chanson française de chanson
Participation à
Expression écrite : textes favorisant Expression écrite : jeux poétiques, un projet collectif
l’expression poétique production de courts textes
Autonomie dans
Expression orale : dialogue, débat, Expression orale : être capable la réalisation
lecture à voix haute de lire avec expression les textes
de chanson. Dialoguer, argumenter Initiative
ses choix en utilisant le vocabulaire
approprié Respect du choix
collectif

2. Éducation musicale 2. Éducation musicale Créativité

Écouter : registre de la chanson Écouter et comprendre les textes


française de chanson
Comprendre la musique : répertoire Mettre en relation d’autres auteurs-
de la chanson française compositeurs actuels
Produire : interpréter, créer Écrire de courts textes de chanson
Proposer une interprétation

75
La culture au cœur des apprentissages

3. Histoire des arts 3. Histoire des arts


Registre de la chanson française Mettre en relation les chansons
de l’auteur en résidence (texte,
Vocabulaire relatif à ce registre
musique, style, instruments…) avec
d’autres chansons, à différentes
époques

Découverte d’autres auteurs de Resituer les auteurs-compositeurs


chansons, en lien avec les grandes dans le contexte géographique
périodes et les thématiques et historique

Dans un second temps, ces éléments qui servent d’indication d’évaluation


dans le projet sont mis en relation avec les items du socle pour donner un outil
d’aide et de suivi aux enseignants.

Outil 7 : grille actions spécifiques/items et compétences


Projet d’écriture de chansons – Résidence artistique avec Hervé Peyrard
Validation des compétences du socle

Indication pour l’évaluation


Items Indication pour l’évaluation
dans le projet
LIRE
Adapter son mode de lecture Lire à haute voix un texte L1. Lire et dire à haute voix
à la nature du texte proposé littéraire ou non, déjà étudié le texte des chansons
et à l’objectif poursuivi. ou en cours d’analyse, de de l’auteur en résidence.
manière à en mettre en L2. Lire à haute voix
évidence le sens et l’intérêt. ses propres textes
de chanson.

Dégager, par écrit Après lecture d’un texte, L3. Dégager les éléments
ou oralement, l’essentiel en reformuler les grandes constitutifs d’une
d’un texte lu. lignes, de préférence à l’oral. chanson dans sa forme
Après lecture par l’élève et dans l’usage des mots
ou le professeur d’un texte (vocabulaire, registre…).
documentaire d’une ou
deux pages, dégager
le thème, prélever les
informations importantes,
rendre compte de la
progression d’un récit bref.

Comprendre un énoncé, Reformuler une consigne L4. Comprendre le protocole


une consigne. en explicitant la nature demandé pour l’élabora-
des tâches à accomplir. tion d’une chanson.
On pourra travailler sur la
confrontation des consignes.

76
Premier espace : les contenus d’éducation

Indication pour l’évaluation


Items Indication pour l’évaluation
dans le projet
ÉCRIRE

Rédiger un texte bref, Répondre à une question E1. Écrire une chanson
cohérent et ponctué, par un énoncé complet, en utilisant les jeux
en réponse à une question construit et pertinent. Tenir poétiques proposés.
ou à partir de consignes compte des indications du
données. libellé et des consignes
d’écriture données.

Utiliser ses capacités Vérifier la cohérence : E2. Articuler les étapes


de raisonnement, – énonciative (choix de la démarche
ses connaissances des pronoms, marques d’écriture.
sur la langue, savoir faire de subjectivité…) ; E3. Relire en analysant
appel à des outils variés – logique (articulation ses erreurs et en
pour améliorer son texte. des idées par les corrigeant.
les subordonnants
et les coordonnants…). E4. Utiliser des outils d’aide
à l’écriture.
Compléter ou préciser ses
connaissances en utilisant
des outils : manuels de
grammaire, dictionnaires,
guides de conjugaison…

DIRE

Adapter sa prise Tenir un propos acceptable D1. Expliquer aux autres


de parole à la situation socialement, adopter une élèves les choix opérés
de communication. attitude et choisir un niveau pour l’écriture du texte
de langue (familier, courant, de sa chanson.
soutenu) en fonction de son D2. Travailler avec les autres,
ou de ses interlocuteurs et argumenter, coopérer,
selon les effets recherchés. dialoguer autour
de choix.

Participer à un débat, Écouter et prendre en


à un échange vocal. compte les propos d’autrui.
Exposer et faire valoir
son point de vue.

Évidemment, ces items peuvent être supprimés, modifiés selon le choix des
enseignants.
Dans un dernier temps, à partir de tous ces outils, une grille d’évaluation
individuelle est élaborée. Cette dernière formalise la mise en œuvre de la tâche
complexe et permet un suivi individuel des élèves. Dans l’expérimentation en
question, seul un élève a pu voir entériner tous les items proposés, tous avaient
plusieurs items acquis. Ce travail peut être réalisé dès la classe de sixième, ce
qui permet ensuite aux élèves d’aborder de nombreuses fois un item et favori-
sera la validation de la compétence et du socle à la fin du collège. La démarche

77
La culture au cœur des apprentissages

s’applique tout aussi bien à un socle différent, autour de méta-compétences.


En effet, l’important est dans les étapes de la démarche et non dans le nombre ou
la nature des compétences.

Outil 8 : grille générale compétences/groupe

Compétence 1 : Compétence 5 :
maîtrise de la langue culture humaniste
Avoir des connaissances
Domaines Lire … …
et des repères
Adapter
Dégager
son mode
par Relevant
de lecture Établir
Items écrit ou de la culture …
à la nature des liens
oralement artistique
du texte
l’essentiel
proposé

Capacités L1 L2 L3 … H1 H2 H3 H4 …

Élève 1 oui oui oui … oui oui oui oui …

Élève 2 oui non non … oui oui oui oui …

Élève 3 oui oui oui … oui oui non non …

… … … … … … … … … …

En bref
Lier culture et compétences

Toute action culturelle tire sa légitimité dans sa capacité à porter un regard sur les
compétences qu’elle va développer dans les apprentissages. L’acte d’évaluer
les compétences est une construction permanente qui structure la pédagogie.
Le travail autour des actions culturelles se construit collégialement afin de restituer
le côté transversal et non disciplinaire des compétences et du socle.
• Ladémarche professorale et pédagogique est un préalable à l’entrée dans les
compétences.
• Faceà la difficulté conceptuelle et pratique liée à la décomposition excessive
opérée parfois à l’intérieur d’une discipline pour valider des compétences, les abor-
der par la culture simplifie l’entrée.
• La culture permet de valider des compétences que les seules disciplines n’abordent
que très peu – des compétences essentielles à l’inscription des élèves dans notre
société comme la créativité, l’adaptabilité.

78
2
Deuxième espace : l’établissement

U n pilotage revisité, repensé permet de faire évoluer l’acte éducatif et ses


acteurs. D’ordinaire, la question du pilotage d’un établissement se pose en
termes de structure, de moyens humains, d’heures de cours et de leur organisa-
tion, comme le rappelle Yves de Saint-Do dans le premier paragraphe de son
ouvrage : « Le chef d’établissement… définit et propose la structure pédagogique
globale1. » Nous avons fait le choix d’entrer dans le cœur de l’établissement non
par une approche bureaucratique, mais par une démarche managériale centrée
sur trois principes : exercer un leadership, transformer l’établissement en organi­
sation apprenante, mettre en œuvre une démarche qualité.

Principe 4. Exercer un leadership :


le chef d’établissement, plus petit dénominateur commun2
Exercer un leadership pourrait se définir comme la capacité d’un individu
à mener ou conduire des acteurs individuels, une organisation dans le but
d’atteindre certains objectifs. Ceux du chef d’établissement sont, par nature,
multiples mais son rôle premier est d’accompagner le changement. Nous envisa-
geons que la culture peut être le levier qui va l’aider.

La fausse conception : pilotage et pédagogie, une dichotomie


Les chefs d’établissement eux-mêmes, comme les autres acteurs de l’édu-
cation, peinent à définir leur rôle. Pour les parents d’élèves, ils symbolisent
l’ordre et la sécurité dans un lieu d’éducation et sont aussi parfois perçus comme
le dernier rempart face au professeur. Pour les enseignants, ils doivent être
capables de ramener à la raison, voire d’évincer les élèves récalcitrants. Pour leur
hiérarchie, ils ont pour mission d’administrer et faire évoluer leurs structures, en

1. Pointereau D., De Saint-Do Y., Le rôle pédagogique du chef d’établissement, Nouvelles missions,
nouveaux outils, 5e édition, Berger-Levrault, 2010.
2. En référence à une certaine idée de l’école, le plus petit dénominateur commun à deux ou à
plusieurs fractions est le plus petit commun multiple (PPCM) de leurs dénominateurs.

79
La culture au cœur des apprentissages

utilisant leurs capacités et leur charisme. Il existe autant de visions du rôle des
chefs d’établissement que de parties prenantes.
Le pilotage par les résultats est souvent évoqué. Chacun s’en approche sous
des formes diverses et incomplètes ; cependant, la mesure d’une performance ne
peut être rejetée. Que ce soit un taux de passage en classe supérieure, un taux
de réussite à un examen, un pourcentage de validation de compétences, un
taux d’absentéisme… ou un nombre de jours de formation, ces indicateurs sont
indispensables à la compréhension mais ne suffisent pas à lui donner du sens.
Au final, il serait possible de piloter un établissement sans s’intéresser à la
boîte noire de la classe, du cours, sans s’intéresser à la pédagogie qui resterait
ainsi le domaine réservé et exclusif des professeurs et des corps d’inspection.

Entretien : deux personnels de direction


Un principal de collège
Les rôles du chef d’établissement sont multiples. Le rôle le plus important est l’impul-
sion qu’il peut donner à l’établissement de par son action propre. Il y a à la fois un
rôle pédagogique et un rôle administratif. La couleur de l’établissement sera celle du
chef d’établissement. Il manage une équipe qui obtiendra des résultats et ses résul-
tats dépendront de l’investissement du principal et de sa présence. D’où l’importance
d’être sur le terrain toute la journée et, de ce fait, je gère les domaines administratifs
après la fin des cours. Le pédagogique est traité pendant la journée. Le pédagogique ne
se limite pas simplement à ses aspects livresques et cognitifs mais également à la pré-
sence pendant les cours, au self, lors de l’accompagnement éducatif… Il est très impor-
tant d’être présent, d’aller voir les élèves. Pour moi, c’est un rôle essentiel, c’est pour
ça qu’on nomme le chef d’établissement « principal ». C’est celui qui fait tout bouger.
Cependant, le chef d’établissement hiérarchise ses objectifs. Le premier est celui des
résultats que l’on peut avoir et celui du bagage intellectuel que l’on veut transmettre
aux élèves. Le premier est donc axé sur la pédagogie. Que mettons-nous en place dans
l’établissement pour donner un bagage de qualité à nos élèves ? Cette année avec le
contrat d’objectifs, on a très tôt retravaillé pour faire en sorte que les actions aillent
dans le sens des apprentissages. Donner du sens aux apprentissages et permettre aux
élèves d’y trouver du plaisir. Le second est celui de l’écoute de nos enseignants. Voir
avec eux leur évolution de carrière, être à côté d’eux quand ils montent des actions,
quand il y a des soucis en classe. C’est un accompagnement très fort pour les ensei-
gnants qui sentent que l’on fait corps avec eux.
Les axes de la politique éducative sont ceux du projet d’établissement : faire réussir
nos élèves, travailler autour de l’élève avec les apprentissages et le préparer pour
l’orientation future.
Le chef d’établissement est donc un leader. Fortement. S’il ne l’est pas, quelqu’un
d’autre va prendre la place. S’il n’est pas à la tête de l’établissement, d’autres se
chargent de piloter à sa place. Il ne s’agit pas d’être autoritaire, il faut être là, savoir où
l’on va. Sans pour autant tout gérer. Personnellement, j’ai un type de leadership plutôt

80
Deuxième espace : l’établissement

ouvert mais ferme. Il s’agit bien d’entendre tout le monde mais, en fin de compte, c’est
le chef d’établissement qui décide. Ne pas faire preuve d’autoritarisme, prôner un style
libéral, en étant quelqu’un qui rayonne. Mon travail est d’anticiper, de mettre en place
la collaboration tout en cherchant le consensus. Collaboratif et démocratique.
Sur le fond, je sépare le pédagogique de l’éducatif. Le pédagogique est au niveau des
apprentissages alors que l’éducatif se situe au niveau du périscolaire. Le pédagogique
est ce qui se passe au niveau d’une classe. C’est davantage disciplinaire. Les parents,
par exemple, ont également un rôle éducatif que reprend l’établissement quand il
enseigne aux élèves des savoir-être, y compris des savoir-être dans la société comme
être respectueux. Les actions sont plus du domaine éducatif que du domaine pédago-
gique.

Un proviseur de lycée général


Les missions du chef d’établissement pour moi les plus importantes doivent pouvoir
se détacher de leur aspect purement technique, même si cet aspect est quand même
une partie visible d’importance, perçue immédiatement par les enseignants, notre hié-
rarchie, les familles. Le mot tendance en ce moment est « gouvernance », mot que je
trouve un peu pompeux. Je n’ai pas l’impression d’avoir une mission de gouvernance
mais plutôt de leadership ; l’effet chef d’établissement, c’est générer un état d’esprit,
un climat, une appétence au sein de l’établissement. La lettre de mission, que finale-
ment nous nous écrivons, à la suite d’un diagnostic, décrit des intentions ; à nous de
réfléchir à une ou des stratégies, dans un lieu aux caractéristiques observées et bien
sûr à son public, ses ressources humaines et les élèves.
Sur la question de la hiérarchisation des missions, nous devons faire marcher « notre
boutique » et nous devons tout mettre en œuvre pour que cela tourne (planifier,
organiser, contrôler…) ; l’effet établissement comprend cette partie de nos missions.
Cet effet établissement passe de manière forte par un effet chef d’établissement qui
peut sans aucun doute s’appuyer sur une approche ou un management traditionnel et,
systématiquement, sur un management peu classique, un regard neuf ou complémen-
taire de ce qui a déjà été fait, dans tous les cas au maximum novateur ou déclencheur
d’actions, d’évolution. Donc, je dirais que cette hiérarchisation est floue, ces missions
doivent se superposer, s’exprimer en parallèle.
Une mission que je m’exprime en priorité quand même, c’est l’acquisition d’une culture
d’établissement partagée, et mes intentions précisées, présentées à tous les acteurs
doivent pour moi les amener à une autonomie d’action, susciter de nouveaux enjeux
mobilisateurs, faire émerger des synergies qui contribueront au changement ou au
mouvement. Le pire pour moi serait l’immobilisme ou pire encore le recul (ce que j’ai
déjà connu dans une démarche que j’avais initiée concernant l’évaluation des élèves,
la régulation, etc.).
Les axes de ma politique éducative évoluent fortement en fonction du diagnostic
que je m’efforce de construire de manière précise à chaque mutation. Ce diagnostic
doit m’amener à une hiérarchisation d’objectifs. Dans mon établissement précédent,
les objectifs étaient multiples, évidemment liés à un objectif fort du contrat qui était
d’augmenter le taux de réussite des élèves au brevet, qui devenait uniquement
indicateur de performance, et aussi de les guider vers un choix d’orientation réfléchi,
accepté et porteur d’espoir. La démarche était donc de les amener à la culture au sens

81
La culture au cœur des apprentissages

large du terme pour influer sur l’estime de soi, donner une idée d’appartenance à un
établissement scolaire mais aussi à un quartier. Dans mon établissement actuel, le
problème est un peu différent, mais d’autres problématiques lourdes sont bel et bien
présentes, surtout dans le domaine du pilotage éducatif. Donc, mon projet éducatif
aura des objectifs adaptés : travail sur la protection des élèves, sur l’information éga-
lement avec les familles. Je m’appuie, là aussi, sur la culture pour travailler sur l’estime
de soi et la mise en confiance des élèves en leur faisant découvrir ou tout simplement
exprimer des compétences ou talents extrascolaires.
Être un leader n’est pas si simple, confrontés que nous sommes parfois à l’immobi-
lisme de certains enseignants, parfois même à une animosité ou un rejet des rap-
ports hiérarchiques. Rien n’est facile et cette culture d’établissement ne se fait pas
quelquefois sans douleur, cette posture de leader sans situation conflictuelle. Mon
style de leadership correspond à mon caractère et, moi aussi, je suis assailli par le
doute parfois. Aurais-je dû être plus directif ou moins tolérant ? J’ai systématiquement
besoin, en particulier en arrivant dans un établissement, de développer mes valeurs
personnelles, pour qu’il n’y ait pas de confusion dans mes intentions, qu’elles soient
comprises immédiatement, même si elles ne sont pas acceptées. Ces valeurs, je les
présente fortes et immuables, mais certainement pas floues et fluctuantes, acceptées
ou pas. Ensuite, je pense que je mets en place une pratique participative et non bru-
tale pour générer des actions (échanges avec les équipes de manière informelle et/
ou organisée). L’équipe de direction tâche d’être transparente et de ne rien cacher de
ses intentions ou éventuelles contraintes. Cela n’empêche pas des décisions parfois
tranchées sur lesquelles nous ne revenons pas.
Pour conclure, je dirais que j’ai de moins en moins l’envie de jouer un rôle qui ne
correspond pas à ma personnalité, j’ai envie d’être vrai et que cela se sente dans mon
relationnel.

L’approche théorique : affirmer le leadership


Quelles sont les missions d’un chef d’établissement ? « Le chef d’établisse-
ment bureaucratique, donnant la priorité aux seules tâches administratives et
à la seule temporalité de la forme scolaire n’a certes pas disparu dans les faits,
mais il se voit discrédité au vu des nouvelles normes d’action3. » Les fonctions du
chef d’établissement ont fortement évolué ces dernières années ; elles restent
néanmoins définies dans le référentiel du Bulletin officiel du 1er janvier 2002.
Nous relevons, dans ce référentiel, les missions prioritaires que sont « Conduire
une politique pédagogique et éducative d’établissement au service de la réussite
des élèves, en y associant l’ensemble des membres de la communauté éduca-
tive », « Conduire et animer la gestion de l’ensemble des ressources humaines »,

3. Barrère A., « Les chefs d’établissement au travail : hétérogénéité des tâches et logiques
d’action », Travail et formation en éducation, n° 2, 2008, mis en ligne le 18 décembre 2008, http://
tfe.revues.org/index698.html.

82
Deuxième espace : l’établissement

« Conduire une politique d’orientation » et enfin « Assurer les liens avec l’envi-
ronnement ». Le chef d’établissement devient l’interface entre l’intérieur (ensei-
gnants, élèves, personnels) et l’extérieur (familles, partenaires, jeunes, territoire),
il se voit donc attribuer de plus en plus de rôles : politique, pédagogique, admi-
nistratif…
Au fil des années, les chefs d’établissement ont vu leurs missions s’élar-
gir, entre autonomie, pédagogie et management. Et pourtant, comme Philippe
Meirieu l’évoque dans sa Lettre à un ami chef d’établissement, nous savons, nous
comprenons tout ce morcellement, mais… nous savons aussi que de nombreux
chefs d’établissement « ont déjà revêtu la tenue et emprunté les attributs sociaux
du chef d’entreprise […] et que personne, autour d’eux, ne comprendrait qu’ils
abandonnent ce qui est associé à une reconnaissance sociale qu’ils considèrent, à
juste titre, comme précieuse. Il faut donc continuer… mais le rôle du “pédagogue”
est peut-être ici d’aider le chef d’établissement à “ne pas trop se raconter d’his-
toires” et, s’il n’en change pas pour autant tous ses comportements quotidiens, à
avoir à l’égard de lui-même cette vigilance qui rappelle sans cesse que l’éducation
des personnes n’est pas tout à fait la même chose que la fabrication des objets4 ».
Pour s’extraire de l’administration d’un établissement, il est urgent de s’inter-
roger sur ce rôle pédagogique que doit exercer le chef d’établissement. Philippe
Perrenoud évoque un rôle « aussi nécessaire qu’improbable5 ». Ces éléments
relèvent autant de l’organisation que de ses acteurs. Un pilotage nécessaire
« parce que la pédagogie ne peut être cantonnée dans la classe » et que la réussite
dépend de la « continuité et de la cohérence des démarches d’enseignement »,
deux explications parmi bien d’autres. Un pilotage improbable, qui s’éprouve par
l’attitude des enseignants « qui s’accommodent mieux d’une inspection lointaine
que d’une intervention du chef d’établissement », et aussi parce que les chefs
d’établissement, comme le système, « ne sont pas encore prêts à assumer les
implications pratiques d’un rôle pédagogique6 ».
Mais au-delà de ces observations et remarques, un autre problème émerge
et relève de la formation même du chef d’établissement. Autrefois primus inter
pares, celui-ci doit aujourd’hui revêtir un nouveau costume. Combien sont en
mesure d’accompagner, de proposer des pratiques pédagogiques, quelles
connaissances ont-ils en fin de compte de ce qui se passe dans leur établisse-
ment et dans les classes ? Le disciplinaire a pris le dessus sur le pédagogique,
il semble important que la didactique soit intégrée dans ce pédagogique, et seul

4. Meirieu Ph., Entreprise, Lettre à un ami chef d’établissement, http://meirieu.com/DICTION


NAIRE/entreprise.htm, mis en ligne le 21 janvier 2011.
5. Perrenoud Ph., Le rôle pédagogique des chefs d’établissement, Université de Genève, 2009.
6. Ibid.

83
La culture au cœur des apprentissages

le chef d’établissement peut avoir ce rôle pour impulser et accompagner ces


nouvelles pratiques. Reste à former ces personnels de direction, leur donner les
outils nécessaires pour nourrir leurs représentations, afin de dépasser réellement
ce rôle bureaucratique et administratif qui semble leur être attribué.
Quelle nouvelle posture adopter en réponse aux difficultés de pilotage ?
Peut-on parler de management, lorsqu’il est question d’un établissement scolaire,
à l’égal d’une entreprise ? Il semblerait que le management de ce type d’institution
éducative soit relativement complexe et particulièrement délicat. Une complexité
liée au fait que l’enseignement relève « de processus sociocognitifs subtils, aux
enjeux sans cesse renouvelés puisqu’ils dépendent de l’évolution des disciplines
enseignées, des connaissances accumulées en pédagogie et en andragogie
ainsi que, plus généralement, des dynamiques collectives façonnant les projets
de société. Délicat parce que l’enseignement et, d’une manière plus générale,
l’éducation doivent réussir le difficile exercice consistant à préparer les élèves à
s’insérer dans la société de demain, tout en aiguisant leur regard critique, en les
aidant à penser différemment7 ».
Nous relevons alors la difficulté à manager un établissement scolaire. Peut-
être faudrait-il envisager une nouvelle posture et regarder vers le leadership afin
de répondre à nos interrogations. Avant de poursuivre notre propos, il semblerait
judicieux de définir ce que nous entendons par leadership. Il existe un grand
nombre de définitions concernant le leadership, mais toutes se rassemblent autour
de la notion de processus, d’élaboration d’une relation entre des personnes et un
leader, ainsi que l’expression d’une orientation, et enfin l’exercice d’une influence
sur ce même groupe. Le leadership apparaît donc comme un moyen, un outil pour
assurer ou effectuer un changement. Dans le domaine de l’éducation, on peut
parler de leadership pédagogique ; il peut être défini « comme un processus qui
consiste à influencer les différents acteurs de l’école, […] à se centrer sur le but
conjointement choisi de favoriser l’apprentissage de tous les élèves. […] La défi-
nition implique que le leader pédagogique soit orienté vers le changement8 ». Le
système suédois est intéressant en tant qu’exemple, car après une période tour-
née vers une forme de management par le Rektor, où le chef d’établissement avait
la possibilité de licencier les professeurs, de les rétribuer au mérite…, il semblerait
que le pays, actuellement, se tourne vers des formes de leadership pédagogique,

7. Grandjean Lüthi F., Le leadership des directions d’établissement scolaire, L’Harmattan, mars
2012.
8. Garon R. et Archambault J., « Le leadership pédagogique et le leadership en matière de justice
sociale », Vie pédagogique, n° 155, septembre 2010.

84
Deuxième espace : l’établissement

mettant en avant la réussite de tous les élèves et interpellant ainsi les professeurs
sur leur propre terrain, la pédagogie9.
Nous entendons le leadership comme capacité à piloter les pratiques profes-
sorales tout en renforçant la professionnalisation des enseignants. Sur ce point,
l’équilibre est difficile entre la tentation de l’imposition d’un savoir appuyé sur
des valeurs et celle du développement de dispositifs, de bonnes pratiques. Pour
autant, nous nous efforçons de construire cette évolution des pratiques par une
analyse réflexive au niveau d’un espace restreint, territoire, établissement. Cette
posture pilotée associe différents acteurs et s’appuie sur un élément commun, la
culture.
La culture et le leadership deviendraient-ils un couple indissociable ? Nous
avons vu précédemment que le principe de la mise en œuvre d’un leadership est
la créativité, le mouvement, le changement, l’innovation… Les leaders construc-
teurs laissent une œuvre, une organisation qui fonctionne, ils laissent un modèle,
une inspiration, une motivation, une influence, une ambition partagée. La culture,
nous l’avons définie précédemment avec ses objets partagés comme fondement
des disciplines, compréhension du monde qui nous entoure, rapport à l’autre et à
soi-même. Elle développe la créativité, l’adaptation au changement, l’acceptation
de la différence, l’ouverture d’esprit. La culture nous permet de nous confronter
à la réalité, au concret, elle nous permet d’intégrer, d’expliquer, d’accepter, de
diriger, de mettre en place des stratégies innovantes. La culture est par excellence
l’objet partagé avec l’ensemble de la communauté de travail et permet le déve-
loppement d’une orientation commune (par les objets partagés), l’habilitation
des acteurs (l’ensemble des acteurs se retrouve autour de l’entrée par la culture),
la transformation de l’organisation (la culture fédère, donne du sens, permet
les coconstructions…), par l’engagement des acteurs dans le cadre du contexte
scolaire au sein d’un territoire. Elle devient ainsi l’élément principal et donc fédé-
rateur d’un leadership partagé à l’intérieur d’un établissement scolaire.

Notre mise en œuvre : culture et chef d’établissement


au croisement des rencontres
Le leadership par la stratégie culturelle donne du sens aux différents
niveaux opérationnels de l’école. Il favorise les dynamiques de changement qui
permettent les évolutions des pratiques pédagogiques au niveau de la structure
mais également aux niveaux individuels.

9. Collberg D., « Quelle identité pour les chefs d’établissement ? La Suède, entre décentrali-
sation et recentralisation », Revue internationale d’éducation, Sèvres, n° 60, septembre 2012,
p. 117-128.

85
La culture au cœur des apprentissages

Le chef d’établissement se situe à la frontière entre l’intérieur de l’établisse-


ment et le monde extérieur. Dans ses missions, il doit « assurer le lien avec l’envi-
ronnement », quelles que soient les acceptions retenues de cet environnement.
Ainsi sa légitimité ne souffre aucune contestation dans ce domaine. La culture se
trouve sur la même frontière. À l’intérieur de l’établissement, elle irrigue les disci-
plines, donne sens à la formation d’un élève, tout en trouvant ses sources à l’exté-
rieur dans les champs scientifiques, sociaux, artistiques et culturels. La culture et
le chef d’établissement se positionnent donc sur le même espace partagé, ce qui
permet au chef d’établissement d’exercer un leadership naturel.

Comment ?
Ainsi le leadership s’exerce par l’entrée culturelle, au service de la pédagogie :
le chef d’établissement ne s’intéresse pas aux projets culturels pour les viser, les
contrôler mais se préoccupe des compétences, savoir-faire, capacités… qui vont
être développés chez les élèves, de la place que ces actions vont prendre dans
le parcours éducatif personnel de chaque élève, de ces outils, ces démarches au
service de la réussite de tous les élèves proposés par son établissement. Par cette
approche, il pénètre dans le cœur de la pédagogie et étaye sa vision par l’évolu-
tion des pratiques qu’il entend favoriser.

Les outils proposés


Le chef d’établissement pilote en amont toutes les actions à travers une
démarche de projet qui vient nourrir le fonctionnement éducatif. Par délégation
et maîtrise des processus et des contenus, il assure un management très éloigné
de ce partage invisible que l’on rencontre parfois : un chef d’établissement qui
ne s’engage pas vraiment dans les actions, qui se contente de les superviser.
Il doit ainsi alterner les postures afin de permettre la cohérence, le partenariat
et la complémentarité des actions. Nous vous proposons ci-après, sous la forme
d’un tableau, les différentes postures que le chef d’établissement va prendre afin
de permettre la mise en œuvre d’un leadership participatif et transformationnel.

86
Deuxième espace : l’établissement

Les différentes fonctions et postures des pilotes

Continuité école/collège Une stratégie globale du projet d’établis-


Conseil école/collège sement et du contrat d’objectifs qui :
Formation territoire • incarne la continuité pédagogique
apprenant, état des lieux Fonctions école-collège-lycée-supérieur
des actions culturelles du pilotage • donne du sens au conseil école/collège
et nourrit son programme d’actions
Chefs d’établissement et IEN

• travaille la cohérence, la continuité


des actions au service de l’élève

Des parcours qui Pilotage pédagogique : s’appuie sur


permettent l’expres- la recherche, analyse les pratiques,
sion de la diversité des favorise une approche réflexive
postures du pilote, dans Consultance : audite les attentes,
le cadre d’un pilotage prospecte les besoins
affirmé, garant des
valeurs et des priorités Animation : guide, travaille en équipe,
Postures
éducatives négocie
des pilotes
Accompagnement : crée des situations
innovantes, pense la formation d’une façon
globale
Délègue, organise : met en place des
groupes projets, développe une démarche
qualité par la culture, favorise le leadership

Ce positionnement implique qu’avant chaque action proposée, un dialogue


partagé puisse se mettre en place. Une réflexion préliminaire donnera lieu à la
constitution d’un argumentaire de légitimation par le porteur du projet afin d’affi-
ner les objectifs, la problématique initiale à laquelle doit répondre l’action et les
effets élèves souhaités. Une étude de faisabilité déterminera ensuite les moyens
disponibles, les délais, les coûts et les enjeux. Enfin, une équipe constituée
par plusieurs enseignants et des partenaires culturels se mettra en place et un
enseignant porteur du projet sera désigné.
Le changement peut, d’une façon formelle, s’opérer selon trois axes :
1. construire une vision partagée, un consensus ;
2. fédérer les acteurs, les habiliter à la démarche ;
3. entamer la transformation de l’organisation, tout en déléguant des respon-
sabilités, en particulier à travers des structures de collaboration.
L’ensemble s’organise selon le contexte local.
Nous prenons ainsi l’exemple d’un établissement en zone rurale, dont le
constat partagé par l’ensemble des acteurs est l’isolement culturel. L’accom-
pagnement du chef d’établissement va donc se situer au niveau des enseignants,
par un soutien individuel et une incitation collective à repenser les actions
existantes, les partager avec les partenaires dans le territoire. L’idée n’est pas

87
La culture au cœur des apprentissages

d’ajouter de nouveaux dispositifs, ce qui risquerait encore de morceler l’exis-


tant et de fragiliser la cohérence, mais de favoriser « le travail ensemble » et la
circulation entre l’intérieur et l’extérieur. Cette démarche difficile doit replacer le
territoire comme espace de vie pour l’élève, l’enfant, donner du sens et compléter
les savoirs dans et hors de l’école.
Le renouvellement du contrat d’objectifs est souvent le moment favorable
pour permettre ce changement. De nombreuses réunions permettent en effet
cette réflexion commune.
Le tableau ci-dessous expose chacun des trois axes, en décomposant, pour
chaque phase, la dimension ou l’objectif à développer et l’opérationnalisation qui
en a été faite dans un collège rural.

Outil 9 : du leadership à la transformation de l’organisation

1. Le développement 2. L’habilitation 3. La transformation


d’une orientation commune des acteurs de l’organisation

Opération- Opération- Opération-


Dimension nalisation Dimension nalisation Dimension nalisation
dans le collège dans le collège dans le collège
Construction Un collège Soutien Accompa- Renforce- Utilisation
d’une visée isolé culturel- individuel gnement ment de des actions
partagée lement du chef la culture existantes
Ambition : d’établisse- de l’établisse- pour les
élèves/ ment ment enrichir,
enseignants les structurer
et les mettre
en cohérence
Dévelop- Construction Soutien Temps de Vision Mise en
pement d’un contrat individuel rencontre partagée cohérence
d’un consen- d’objectifs, Outils autour des et en projets
sus sur les avec trois internes trois objectifs autour des
objectifs et objectifs numériques objectifs
les priorités partagés :
formations,
mise en
réseaux péda-
gogiques
Formulation Qualité des Présentation Modélisation Création de Réunions de
d’attentes parcours du modèle de la structures de construction
élevées de Maîtrise des approprié démarche : collaboration Élaboration
performance compétences objet – parte- de parcours :
du socle naire – socle temporalités,
Mise en place partenaires,
de parcours territoire
culturels

88
Deuxième espace : l’établissement

Dans cet établissement, de nombreuses actions étaient déjà existantes :


collège au cinéma, cinéma italien, action théâtre, défi lecture, pour n’en citer que
certaines. Le choix d’une stratégie globale culturelle va donc favoriser la cohé-
rence des actions et permettre aux enseignants de coconstruire entre eux et avec
les partenaires. Cette stratégie globale culturelle pilotée par le chef d’établisse-
ment va permettre de favoriser l’atteinte des trois objectifs :
• Objectif 1 : favoriser l’ambition des élèves. La culture redonne du sens au
territoire de vie de l’élève, favorise particulièrement l’image qu’il peut en
avoir et l’ouvre aussi sur d’autres possibles. Cette approche privilégie donc
l’ambition.
• Objectif 2 : développer une attitude responsable et citoyenne. La culture
facilite la démarche de projet, collectif ou individuel, travaille sur le respect
(des autres, de l’environnement…) et sur l’autonomie.
• Objectif 3 : vivre mieux au collège pour mieux apprendre. La culture travaille
particulièrement l’estime de soi, redonne confiance, instaure un climat de
bien-être. Elle favorise le collectif et redonne ainsi au collège une place
centrale où l’on échange, invente, dialogue, partage…
Pour chacun des objectifs, des actions culturelles viendront en tant que situa-
tions pédagogiques nourrir les parcours d’apprentissage des élèves et permettre
ainsi d’évaluer des effets pour atteindre les trois objectifs choisis. Nous voyons
donc que la cohérence des actions est donnée par cette stratégie, au-delà d’une
entrée qui aurait pu être thématique (autour du cinéma, par exemple) mais qui
serait restée détachée de l’action globale.
Mettre en place un leadership s’apparente à une stratégie de pilotage ayant
la culture comme levier principal. Voici donc l’exemple d’un outil d’aide à l’auto­
évaluation de sa politique pour le chef d’établissement. Les cinq dimensions de
mise en œuvre du leadership sont abordées successivement (les deux relatives
au contexte et les trois explorées précédemment concernant la démarche) ;
elles sont déclinées en objectifs, puis développées sous forme d’items et enfin
opérationnalisées en tant que tâches permettant une autoévaluation du chef
d’établissement.

89
La culture au cœur des apprentissages

Outil 10 : grille d’aide à l’autoévaluation de la mise en œuvre


d’un leadership par la culture

Grille d’aide pour installer un leadership participatif et transformationnel


Items pour l’évaluation
Dimensions
Objectifs visés Items opérationnels formative
à développer
du chef d’établissement
Les conditions 1. Développer Construire les actions Encourager la construc-
du contexte la culture culturelles autour tion d’actions en lien
scolaire de l’établissement des valeurs éducatives avec toutes les parties
prenantes
2. Mettre en œuvre Impulser et encourager Communiquer les offres
des stratégies les nouvelles actions et inviter les partenaires
pour le change- culturels dans des
ment réunions communes
3. Mettre en cohé- Coconstruire Encouragee les actions en
rence le territoire des actions lien avec les partenaires
et l’établissement avec le territoire culturels et les familles
4. Favoriser Favoriser Encourager le travail
un renouveau la transdisciplinarité transdisciplinaire
pédagogique
Les conditions 1. Mettre en Favoriser par la place Démontrer que la volonté
favorisant cohérence de la culture l’ambition de changement des
l’engagement les objectifs dans l’établissement pratiques est utile pour
au changement personnels le parcours des élèves
et ceux du groupe et pour l’établissement
2. Opérationnaliser Construire des actions Démontrer le fondement
les croyances autour de la place culturel de chaque disci-
liées au contexte de la culture pline et sa place dans
le parcours de l’élève
3. Stimuler Restructurer les temps, Fournir des ressources,
les individus favoriser les échanges, communiquer, aménager
soutenir les équipes le temps et le calendrier
pour les coconstructions
4. Encourager Construire l’offre Faire émerger les besoins
la formation de formation autour de formation des équipes
des actions culturelles en lien avec le territoire
La transformation 1. Renforcer Enrichir, structurer Faciliter les instances
de l’organisation l’établissement et mettre en cohérence de coconstruction
les actions par l’entrée
culturelle
2. Créer des Mettre en place Mettre en place des
structures de des réunions structures autour de
collaboration avec délégation chaque projet, facilitant
l’autonomie et les
initiatives pour enrichir
l’existant

90
Deuxième espace : l’établissement

L’habilitation 1. Accompagner Aider les initiatives Encourager les nouvelles


des acteurs les équipes propositions, les
partages dans l’équipe
2. Stimuler Favoriser le dialogue Faciliter les échanges
les équipes et la mise en réseau entre les membres de
intellectuellement autour des projets l’établissement
culturels
3. Présenter un Modéliser la démarche Fournir à l’équipe la
modèle approprié procédure à suivre pour
à la démarche atteindre les objectifs
Le développement 1. Construire une Identifier les spécificités Chercher à créer
d’une orientation vision partagée et besoins du territoire le consensus autour
commune de la place de la culture
2. Développer Analyser le contexte et Donner la notion
un consensus déterminer les priorités d’objectifs prioritaires
sur les objectifs à atteindre
3. Développer Développer une pensée Donner une vision
un consensus stratégique stimulante de ce que
sur les priorités l’équipe peut réaliser
en utilisant la culture
comme stratégie

La formation des personnels de direction et des inspecteurs de l’Éducation


nationale pour le premier degré est le maillon essentiel pour compléter la forma-
tion des enseignants et favoriser le leadership. Ce public des personnels d’enca-
drement constitue le point clé de la construction de parcours par le leadership
dans le cadre d’une collaboration interne et externe vers une convergence et une
cohérence au sein d’un territoire. Nous proposons un module de formation de
type hybride pour ces cadres. Cette formation serait constituée de huit unités
d’enseignement et pourrait devenir un outil pour la mise en œuvre des conseils
école-collège10 appuyés sur un territoire, sur la culture.
Ce schéma décrit les interactions entre les différents modules de formation
pour aboutir en UE 6 bis à un leadership appuyé sur la stratégie culturelle et
œuvrant pour la construction de parcours. Les outils que sont le projet d’établis-
sement (PE) et le contrat d’objectifs (CO) deviennent ainsi, assis sur la stratégie
culturelle et ses neuf principes, des leviers qui donnent du sens à l’action éduca-
tive sur un territoire, mettent en lien les savoirs, lient l’extérieur de l’école au
scolaire, rendent opérationnels ces savoirs (UE 3 et 4). Lors de l’élaboration du
contrat d’objectifs, l’existence d’une stratégie globale peut être évoquée dans
les rencontres intermédiaires ou dans les réunions préparatoires. Cette stratégie
globale est un outil de pilotage au service du personnel de direction pour faire

10. Décret n° 2013-683 du 24 juillet 2013 modifiant les articles D. 401–1, 2, 3 et 4 du Code de
l’éducation.

91
92
Les trois espaces du paradigme organisationnel

EPLE CONTENU CONTEXTE


COHÉRENCE VALEURS AGENCEMENT

Responsabilité pédagogique
Utiliser les outils : PE et CO
UE 2
La culture au cœur des apprentissages

Bilan
Ingénierie de PILOTAGE Personnaliser Perspective
Partager construction de Tableau de bord dans son EPLE ou (Parcours indivi-
Donner
dans un parcours culturels sa circonscription duel des élèves)

UE 5
du sens
trois objectifs du contrat d’objectifs (UE 5).

territoire UE 6 UE 6 bis UE 7 UE 8
UE 3
UE 4

Définir une stratégie globale culturelle


Coconstruire un projet commun
UE 3 bis
Un exemple d’organisation d’un parcours de formation
évoluer les pratiques enseignantes, afin d’atteindre les priorités fixées par les
Deuxième espace : l’établissement

En bref Opérationnaliser la gouvernance

Plus petit dénominateur commun dans la mise en œuvre d’une stratégie éducative,
le chef d’établissement joue un rôle essentiel, sa posture lui permet d’exercer un
leadership ; les valeurs développées servent l’établissement et non un pilotage auto-
centré ou autoritaire. Un chef d’établissement doit se positionner en professionnel,
prendre en compte les axes prioritaires qui ont été mis en œuvre et impulser dans la
continuité une conduite de changement.
La formation des personnels de direction doit les professionnaliser dans les
domaines du management et des sciences de l’éducation (des compétences initiales
renforcées et validées par une formation) et aborder la question d’une stratégie
éducative et pédagogique. Ainsi le pilotage par la stratégie culturelle peut faire
l’objet d’un module spécifique de la formation statutaire ou de la formation continue.
Sur la nature de la fonction, la terminologie (principal, proviseur) gagnerait à être
modifiée, et l’effectif réduit en associant plusieurs collèges, lycées ou en regroupant
les écoles avec des collèges. Afin de limiter la course à la catégorie, qui définit le
niveau et la rémunération associée, qui favorise les mutations successives, fragilise
la politique et le pilotage éducatif, une modification des typologies d’établissement
pourrait être envisagée. Ainsi les chefs d’établissement seraient nommés pour cinq
ans minimum, car en dessous de cette durée il est peu concevable de mener une
politique et leur rémunération serait liée à la capacité à mener cette politique et non
à la taille de l’établissement.
Une collaboration entre les corps d’inspection et les chefs d’établissement permet-
traient un pilotage enrichi et le rattachement des enseignants à cette seule
hiérarchie. Quelle que soit leur discipline, les inspecteurs, présents dans les établis-
sements, pourraient ainsi concourir à l’élaboration de la politique pédagogique par
leur entrée disciplinaire et didactique, ils contribueraient ainsi à sa mise en œuvre et
à son inscription dans le parcours des élèves.

Principe 5. Transformer l’établissement en organisation apprenante :


La Liberté guidant le peuple11
Dans le cadre d’un leadership participatif, la culture permet de faire évoluer
un établissement vers le concept d’organisation apprenante. La transformation
se conçoit dans une dynamique, ce qui implique la volonté de changer. Elle inter-
roge le fondement même d’un établissement scolaire, sa nature intime. Dans une
opposition à la conformation, à la mise en forme, au « conformisme », l’établisse-
ment apprenant assume son autonomie sans pour autant perdre son âme : non
delenda scola.

11. En référence à Eugène Delacroix et à son tableau inspiré des Trois Glorieuses, La Liberté
guidant le peuple.

93
La culture au cœur des apprentissages

La fausse conception : l’établissement autosuffisant


Un établissement scolaire pourrait être défini comme une association de
professeurs et d’élèves dans une organisation uniquement pilotée par des règles
que le chef d’établissement, représentant de « l’administration », serait chargé de
contrôler. Dans ce sens, un établissement n’a rien à apprendre de nouveau, il n’a
pas à évoluer autrement que par la lecture du Bulletin officiel pour l’organisation
ou par l’application des nouveaux programmes pour le champ pédagogique. Les
pratiques et le rapport au monde restent immuables, voire déconnectés de la
société. L’établissement n’a pas à apprendre, il représente la connaissance par
nature.

Entretien : un conseiller technique chargé de la formation

Ce cadre chargé de la formation dans l’Éducation nationale est interrogé sur


la capacité d’un établissement à apprendre.
L’établissement scolaire est un système piloté par les règles. En premier, par des règles
de droit, même si, comme tout système, il fabrique également ses propres règles, il
les interprète, il fabrique sa propre logique. Une partie de ces règles de fonctionne-
ment entre en contradiction ; le décret de 1985 codifié est-il réellement compatible
dans ses finalités avec les décrets qui régissent le temps de travail des enseignants ?
Donc, l’établissement est au minimum une organisation apprenante auto-adaptative :
il s’adapte aux contradictions que la règle et le droit génèrent. Si la règle n’est pas
suffisante pour qu’un système fonctionne, cela nécessite des compétences adaptatives
et des compétences développementales et apprenantes. Pour un proviseur de lycée,
son établissement doit s’adapter à l’environnement et se développer grâce à des rela-
tions étroites avec son environnement : partenariats industriels, sociaux, politiques…
L’établissement va grandir, entretenir son aura et son influence sur son territoire parce
qu’il apprend et que ses acteurs internes développent même des liens et une ouverture
avec l’extérieur.
Par contre, entre l’adaptation à son territoire et la création de quelque chose de nou-
veau, j’aurais tendance à dire non, puisque la nouveauté est très difficile à générer.
De plus, dans la mesure où l’établissement est piloté par les règles, il aura du mal à
s’en affranchir. Si cela se produit dans un établissement, il sera probablement recadré
par l’institution. Dans l’exemple de la réforme du lycée, certains ont mis en œuvre
des politiques très originales pour l’accompagnement personnalisé et ces politiques
n’étaient pas forcément dans l’esprit de la réforme. Elles étaient plutôt restées dans un
fonctionnement bureaucratique et l’établissement ne s’est donc pas montré capable
d’apprendre et d’évoluer. Ceux qui se sont affranchis des règles ne l’ont pas forcément
fait dans un esprit d’ouverture, de création, mais parfois pour recréer au contraire de
l’ancien.
Le développement des capacités apprenantes des établissements scolaires passe
par la clarification de ce que l’on appelle l’autonomie. Non pas seulement respon-
sabiliser les acteurs mais donner de véritables marges d’action et de décision pour

94
Deuxième espace : l’établissement

l’organisation du cœur de métier, à savoir la pédagogie. La réforme du lycée peut ainsi


permettre la création d’une organisation auto-apprenante qui, en s’inscrivant dans le
cadre, saura arbitrer des choix. C’est un challenge, en particulier pour les chefs d’éta-
blissement. La globalisation des moyens donnés à l’établissement est probablement
le levier le plus pertinent, comme la budgétisation de tous les coûts (salariaux, fonc-
tionnement…) ; la réforme actuelle du cadre budgétaire et comptable est peut-être une
des voies qui sera employée. Le vecteur essentiel de cette évolution ne peut être que
le chef d’établissement-manager-leader. La formation mise en place par les académies
pour les enseignants ne peut aujourd’hui véritablement servir cette évolution. La for-
mation actuelle ne développe pas forcément les énergies mais fait plutôt se répéter les
attitudes précédentes.
Au final, la question posée est celle du microbe qui vient bousculer les attitudes de
son hôte. Comment le système, choqué par l’intervention externe, évite l’homéostasie,
c’est-à-dire la digestion du microbe ? Quand on réfléchit à la stratégie du changement,
il faut simultanément envisager la stratégie pour lutter contre l’absorption et veiller à
ce que les acteurs de l’EPLE s’approprient le changement pour aller ailleurs, pas forcé-
ment plus loin, mais ailleurs.

L’approche théorique : l’organisation apprenante, ses origines


Le terme organisation apprenante est issu du monde du privé, de l’entreprise.
Cette notion a surtout été développée aux États-Unis, dans les années 1980, sous
l’impulsion de Peter Senge qui a explicité sa théorie dans le recueil La cinquième
discipline12. À l’époque, les entreprises étaient confrontées aux changements
de leur environnement, à la fois par la concurrence, mais aussi par l’arrivée des
nouvelles technologies ; elles ont dû reconsidérer leurs méthodes de manage-
ment et favoriser ainsi le renouvellement des pratiques d’encadrement. On voit
actuellement émerger un management qui valorise et motive l’individu, met en
cohérence et socialise l’ensemble des ressources, savoir-faire et compétences
au service de l’efficacité et de la production. Les entreprises actuelles tendent à
sortir de plus en plus d’un système tayloriste, pour donner à chaque opérateur
une vision de l’ensemble du processus et de ses finalités. Cette démarche a
pour objectif prioritaire la motivation de chacun des acteurs dans l’entreprise.
Le monde de l’entreprise, dont l’existence même dépend complètement de la
société, évolue et envisage un management différent, qui implique chacun des
acteurs dans le processus en vue de l’efficacité de la production.
Pourquoi l’école de son côté reste-t-elle encore sur un processus taylo-
riste ? Les enseignants ne s’interrogent pas ou peu sur l’ensemble du parcours
de l’élève, chacun se positionne suivant son niveau ou sa discipline. L’école

12. Senge P., La cinquième discipline, First éditions, 1991.

95
La culture au cœur des apprentissages

fonctionne, même si chacun ne sait pas en fin de compte pourquoi et comment


chaque étape s’articule, les professeurs n’ont aucune idée de ce qui se passe
dans les différentes étapes du processus scolaire. Lorsqu’il y a un travail collectif,
il est pour la plupart du temps de courte durée. Quant au chef d’établissement,
son action relève souvent d’une gestion de tâches administratives et, même s’il
souhaitait impulser, modifier les pratiques, il faudrait qu’il puisse s’inscrire lui
aussi dans la durée… Comment faire pour que chacun se sente impliqué dans le
processus d’apprentissage et puisse avoir cette envie de partager et d’avancer
collectivement sur le long terme, au profit de la réussite de l’élève ?
L’école peut-elle devenir une organisation apprenante ? Elle est censée
enseigner, donc apprendre… mais l’école en tant qu’acteur collectif peut-elle
apprendre ? Pour cela, il nous faudrait envisager certains changements profonds
des habitus des acteurs de l’école. Qu’ils acceptent la valeur de la diversité, afin
de s’enrichir mutuellement et de s’enrichir au contact d’autres partenaires, au lieu
d’être cloisonnés par discipline, par niveau ou par établissement. Que le monde
enseignant accepte le droit à l’erreur, accepte qu’il ne peut pas et ne sait pas
tout, mais qu’il peut encore apprendre et s’enrichir, cela simplement en s’ouvrant
sur son environnement et en regardant différemment les choses. Que la pratique
enseignante se « déprivatise », qu’elle quitte cette hiérarchie et ce cloisonnement
des disciplines, des statuts… faisant que certains paraissent plus nobles que
d’autres.
Tout cela permettrait un véritable travail collectif autour du processus et du
parcours de l’élève, une équipe qui pourrait se nourrir de la diversité interne et
externe et qui donnerait du sens à son action. Elle développerait ainsi les grands
axes d’une organisation apprenante tels que nous pouvons les retrouver dans le
recueil publié par Peter Senge avec ses collaborateurs, en 2000, second ouvrage
opérationnalisant et formalisant sous la forme d’outils et d’exemples concrets sa
pensée d’origine. Dans ce recueil13, il développe les « cinq disciplines » ou axes
pour mettre en place une organisation apprenante :
–– la pensée systémique (qui permet de reconnaître les blocages et les leviers
de changement dans les organisations) ;
–– la maîtrise personnelle (qui permet à chacun de rapprocher la réalité d’un
idéal) ;
–– les modèles mentaux (qui permettent de nous défaire de nos idées précon-
çues) ;
–– la vision partagée (qui unit les hommes) ;

13. Senge P., La cinquième discipline, Le guide de terrain : stratégies et outils pour construire une
organisation apprenante, First éditions, 2000.

96
Deuxième espace : l’établissement

–– l’apprentissage en équipe par le dialogue (à ne pas confondre avec la


discussion).

Ces cinq axes peuvent être très facilement transférés dans une école pour
permettre une première approche, une première réflexion pour tendre vers une
organisation apprenante.

La formation des enseignants, un outil au service de l’organisation apprenante ?


La formation des enseignants est certainement le levier le plus important
pour modifier les pratiques, apporter de nouveaux savoirs et développer d’autres
compétences. Si nous examinons ce qui se passe dans la réalité de la formation
continue des enseignants, nous observons que les pratiques actuelles ne favo-
risent pas l’émergence d’un travail collectif. Les formations émanent du rectorat,
sous la forme d’un catalogue de propositions variées, ces offres de qualité sont
pour la plupart animées par des membres de l’Éducation nationale, inspecteurs,
enseignants ; rares sont les formations dont les opérateurs sont issus d’un autre
milieu, ce qui permettrait d’ouvrir sur d’autres pratiques enrichissantes. Elles sont
pour la plupart en lien direct avec les disciplines ou/et avec les nouveautés et
priorités des programmes… Les formations qui permettent un travail de réflexion
sur les sciences de l’éducation, les approches sociologiques, ou encore le monde
de l’entreprise sont également peu fréquentes.
Chaque enseignant peut s’inscrire d’une manière individuelle et la mise en
œuvre de l’action de formation se fait souvent dans un lycée possédant des salles
assez spacieuses et se trouvant géographiquement bien placé pour les déplace-
ments des enseignants. Le groupe d’apprenants est donc éphémère et ne peut
s’inscrire dans la durée d’un apprentissage collectif. Les établissements ont la
possibilité de faire une demande de formation, mais, souvent, celle-ci, quand elle
est acceptée par le rectorat, ne relève pas vraiment d’une action d’ouverture en
lien direct avec le territoire et avec d’autres partenaires hors Éducation nationale,
sinon pour certaines formations culturelles en partenariat avec les directions
régionales de l’action culturelle (DRAC) ou autour de l’éducation au développe-
ment durable (EDD). Lorsqu’un enseignant réalise un stage, rares sont les retours
mutualisés avec l’équipe.
Nous voyons donc que l’action de formation fonctionne d’une façon complè-
tement indépendante et autonome. Elle ne favorise pas réellement l’émergence,
l’utilisation des connaissances et compétences internes à l’établissement, ni l’ou-
verture de l’école sur la société et son environnement, et n’utilise que rarement
les possibilités offertes par le territoire. Comme si l’école était autosuffisante et
pouvait à la fois se former et former.

97
La culture au cœur des apprentissages

L’EPLE doit donc s’ouvrir sur lui-même, mais aussi sur son environnement
Par les lois de décentralisation, l’État a ouvert l’école au territoire, le collège
a été « donné » au département et le lycée à la région, avec le statut d’établis-
sement public local d’enseignement (EPLE), qui permet l’entrée d’autres acteurs
dans la gouvernance de l’établissement. L’EPLE peut aussi devenir, par sa place
particulière dans un territoire, un lieu fédérateur pour ce dernier. Cette ouverture
et cette intégration dans un territoire deviennent donc une source d’enrichis-
sement et permettent ainsi de donner du sens, car les jeunes apprennent dans
l’école mais aussi dans leur environnement, qu’il soit citadin ou rural. Cela permet
d’ouvrir les disciplines au monde et leur donner le lien culturel qu’elles ont perdu.
Les territoires de plus en plus s’organisent d’un point de vue culturel : écoles de
musique, scènes départementales, festivals, réseaux autour du patrimoine et/ou
des parcs régionaux ou nationaux… La culture tisse des liens sociaux, des liens
de vie, et prend place dans une société qui bouge. Les territoires se montrent et
se reconnaissent par leur identité culturelle : un festival, un parcours sur l’archi-
tecture, un salon du livre. L’école a tout à gagner à coconstruire avec son envi-
ronnement, afin de mutualiser les ressources (intervenants, artistes, formations)
et surtout s’ouvrir enfin. Cela veut dire aussi que d’autres acteurs pourront être
associés dans les parcours coconstruits entre l’établissement et son environne-
ment.
L’EPLE doit également partager avec son territoire et devenir une organisation
apprenante, créative et innovante. « Pour que ses acteurs deviennent capables
d’assumer les responsabilités nécessaires, l’école doit concevoir et créer de
nouvelles opportunités d’apprendre et surtout se dégager des pratiques qui
légitimaient jusqu’à présent la centralisation de la planification, du contrôle et
du pilotage ; et cesser de croire qu’il suffit d’améliorer les évaluations natio-
nales et internationales, ou de réécrire et d’harmoniser les plans d’études. Les
recherches récentes sur l’innovation montrent au contraire que les systèmes
scolaires ne se transformeront qu’au prix d’une compétence accrue d’auto-orga-
nisation, c’est-à-dire d’une exploitation optimale des ressources intellectuelles
et émotionnelles de tous les acteurs qui les composent14. » Le plus difficile reste
à faire changer le regard de ces acteurs, leur donner envie et surtout les rassu-
rer sur ce changement. Et, comme le dit Peter Senge : « Si vous commencez à
penser différemment, vous voyez les choses différemment. Et toutes vos actions
commencent à changer. »

14. Gather-Thurler M., « Stratégies d’innovation et place des acteurs », in J.-P. Bronckart et
M. Gather-Thurler, Transformer l’école, De Boeck supérieur, collection « Raisons éducatives »,
2004.

98
Deuxième espace : l’établissement

Notre mise en œuvre : ouvrir la formation sur le territoire


La formation apparaît comme un point clé et propose de faire connaître
l’ensemble du processus éducatif de l’élève qui fera de lui un citoyen, en lien
avec la société. Elle devient donc un dispositif de construction d’une organisation
apprenante selon le principe d’une efficacité passant par le « disons – faisons ».

Comment ?
L’organisation apprenante se crée par l’ouverture sur son territoire, source
d’enrichissement, de mutualisation, de pérennité. Ces différentes remarques
nous renvoient à trois axes prioritaires d’un pilotage partagé entre l’EPLE et son
territoire, vers une organisation apprenante, dont le levier principal serait la
culture :
–– un processus de connaissances qui vise à partager l’information, la mettre
en cohérence et la dimensionner à l’échelle du projet culturel de territoire.
Cela afin de créer entre tous les acteurs un langage commun, une vision
partagée, pour ajuster les stratégies vers les finalités souhaitées ;
–– une gestion des ressources actuelles disponibles : financières, humaines,
techniques… et des besoins au profit des finalités, cela afin de mutualiser et
d’utiliser au mieux les ressources et, si nécessaire, d’en créer de nouvelles.
Le territoire doit être en mesure à tout moment de redéployer les ressources
en fonction des aléas et des priorités retenues ;
–– la conduite du changement, pour évaluer et accompagner les stratégies
d’acteurs. Cette veille est essentielle pour créer les conditions d’une orga-
nisation apprenante et mesurer les changements nécessaires à accomplir.

Les outils proposés


Afin d’étayer notre propos, nous allons développer un exemple d’un projet
construit avec la Maison des écrivains et de la littérature (MEL). Dans ce cas,
la plus grande difficulté résidait non pas dans la recherche de partenaires ou
d’objectifs, mais dans le centrage sur des valeurs communes. En l’absence de
valeurs communes affirmées, chacun risquait de se recentrer sur ses objectifs et
de se désintéresser de la globalité. L’élève, objet de l’enseignant, trop tradition-
nellement imposé à tous les partenaires et détaché de l’aspect citoyen (sauf dans
sa dimension scolaire), plus encore de celui d’enfant, se devait d’être réintégré
dans son environnement et exploré sous la forme de parcours partagés d’appren-
tissage autour d’une entrée commune, celle de l’appétence au livre, l’ouverture
sur la littérature.
Organiser une journée de réflexion sur un territoire afin qu’un EPLE devienne
une organisation apprenante implique d’associer plusieurs paramètres.
Les participants relèvent de groupes distincts. Bien sûr, il y a des enseignants
mais à la fois du premier et du second degré. Ils appartiennent aux différents

99
La culture au cœur des apprentissages

collèges du territoire et à plusieurs secteurs pour les écoles. Ainsi, aucun groupe
ne pourra se verrouiller sur ses logiques propres et tous devront rester ouverts
aux autres approches. Les acteurs politiques sont également présents sous la
forme d’élus ayant en charge la question culturelle, de responsables de commu-
nautés de communes et d’une chargée de mission culture dans le territoire. À
ces acteurs politiques, s’ajoutent des professionnels associatifs des secteurs
éducation et culture, des bibliothécaires, bénévoles ou professionnels. Des repré-
sentants de parents et des élèves participent : s’ils ne sont pas décisionnaires,
leur capacité à investir ces champs est également un gage d’investissement et
de pérennité. Enfin, les « experts » du thème abordé apportent leur concours,
la Maison des écrivains et de la littérature étant venue avec des auteurs, un
cinéaste, des journalistes.
La thématique retenue est celle de « la question de la question à l’auteur ».
Cette approche favorise les regards croisés et évite le piège du centrage pédago-
gique. L’auteur, acteur culturel incontournable, devient espace de convergence de
logiques différenciées : le livre et la littérature pour les bibliothèques, la littéra-
ture et la lecture en éducation, un salon du livre pour le territoire…
Le territoire peut ainsi réfléchir comme un système apprenant et l’école
devenir une organisation apprenante. La situation de départ : chaque acteur est
intéressé par un aspect qui correspond à son champ d’action ou par une relation
bilatérale de type consumériste, mais les champs de la rencontre autour du livre
ont pour objectif de décaler le regard des pratiques habituelles de chacun des
partenaires en utilisant un questionnement commun.

Outil 11 : tableau d’organisation d’une rencontre autour de la littérature

Place
Attentes Craintes Besoins
archétypale
de chacun de chacun de chacun
du livre
Territoire Renforcer un salon Non-adhésion Partager avec Objet de
du livre ; des autres le monde consommation
le pérenniser acteurs de l’Éducation et de culture
nationale
Fédérer autour
du livre
Réseau de Ouvrir des Rencontre de Faire des Objet d’expert,
bibliothé- bibliothèques, difficultés par bibliothèques codifié et classé
caires augmenter les bénévoles des centres
les adhérents du réseau culturels
Enseignants Préparer Perte de temps Légitimer Objet étudié,
les ateliers pour un contenu une action référence
d’écriture, les dont ils ne par la culture Support
actions concrètes voient pas de cours
(calendrier, nombre l’utilité
d’heures…)

100
Deuxième espace : l’établissement

La « question de la question à l’auteur » permet de trouver un espace de


dialogue, de rencontre et de dégager d’autres possibles.
La problématique scolaire posée est le développement de l’envie de lire. Pour
cela, il est possible de multiplier les injonctions professorales, les exercices… ou
alors d’utiliser une approche en double boucle : modifier le comportement et les
approches des acteurs, professeurs et professionnels du livre, du territoire. Ainsi,
chacun peut sortir de la consommation de l’autre (le professeur « consomme » un
auteur pour son enseignement ; l’auteur, l’association jeunesse « consomment »
l’école), tout en restant sur sa singularité. Il fallait poser une problématique pour
laquelle aucun n’avait de réponse : la question de l’auteur, sa place, son environ-
nement, sa forme. La rencontre lors de ce « colloque » favorise l’émergence de
nouvelles approches, provoque de nouvelles actions.
Cette démarche en double boucle impose d’accepter une part de risque
car cette situation problématique n’a pas de solution a priori et peut échouer.
L’essentiel est dans la démarche et la capacité des acteurs à faire émerger des
réponses communes. En l’occurrence, sur le territoire concerné, un ensemble
d’actions à la fois collectives et individualisées, scolaires (ateliers…) et issues des
acteurs du territoire (café littéraire…) se sont mises en place ; la réussite fut à ce
point surprenante qu’un acteur non présent initialement sur le territoire l’a investi
en proposant une programmation ressentie par tous comme « concurrente ».

Outil 12 : schématisation systémique de l’organisation


apprenante sur un territoire
Nouvelles rencontres :
Nouveaux savoirs : Les auteurs,
La question à l’auteur, les nouveaux partenaires
sa place, son environnement,
sa forme
Objectif du projet :
Développer l’envie de lire

Analyse des possibles :


Partenaires : – Construire des actions
Associations autour de l’accueil
Bibliothèques des auteurs
Politiques – Mettre en relation
Analyse des liens entre
Enseignants le projet du territoire
l’action et les effets
avec les actions des
de la journée de rencontre
différents partenaires

Nouvelles propositions :
Formations bibliothèques
Développement de nouvelles actions Sur la base de cette analyse :
– Planification des projets
– Modification des projets

101
La culture au cœur des apprentissages

À partir du concept d’organisation apprenante, nous aboutirons dans la troi-


sième partie à celui de territoire apprenant. « Entre l’adaptation à son territoire
et la création de quelque chose de nouveau15 », la stratégie culturelle permet de
penser l’école, le territoire, la culture autrement, par d’autres circulations.

En bref Associer réseau et processus

Ne pas dissocier l’établissement du secondaire des écoles primaires et du terri-


toire : une organisation apprenante implique un territoire apprenant. Organiser les
établissements en réseau tridimensionnel : même niveau d’enseignement, niveaux
différents et territoire avec ses acteurs (pour un collège : réseaux collège-collège,
écoles-collèges-lycées, collège-acteurs du territoire).
Postuler que le changement des pratiques enseignantes se fera en stimulant la créa-
tivité. La créativité se conçoit comme un processus : il s’agit de sortir de l’approche
par tâche pour entrer par le processus d’ajustement sur un territoire.
Seule la démarche permet de devenir un établissement apprenant et la formation,
structurée autour d’un territoire avec les différents acteurs, permet d’entrer dans
le processus. Déclaration d’intention et projection d’une formation généraliste ne
permettent pas d’enclencher le mouvement.

Principe 6. Faire mieux l’essentiel : sous la démarche, la qualité16


Évoquer la qualité dans un établissement scolaire peut sembler iconoclaste.
Cependant, l’élève et son éducation constituent le centre de notre action, cœur de
notre métier qu’il nous faut accepter de questionner sans tabous.

La fausse conception : la qualité par les moyens


À la suite de la massification de l’enseignement après la Seconde Guerre
mondiale, la question des moyens est devenue centrale en éducation. Pour
simplifier cette approche dite bureaucratique, tout semble parfois se résumer à
un nombre d’élèves par classe, un nombre d’heures de cours ou de dédoublement
ou, si la performance est évoquée, un taux de réussite à un examen. À l’évidence,
si la question des moyens ne disparaît pas, elle est aujourd’hui en retrait sur le
fond. Ce n’est pas d’une hypothétique augmentation des moyens que viendra la
réponse aux difficultés de l’école.

15. Extrait de l’entretien présenté dans ce principe.


16. En référence à un slogan symbolique de l’utopie de Mai 68, « Sous les pavés, la plage ».

102
Deuxième espace : l’établissement

La question de la qualité ne peut se centrer sur l’enseignant. Ainsi, certaines


études sur la qualité dans l’enseignement envisagent le professeur comme
client, d’autres l’État, le rectorat et les collectivités territoriales17. Dans ce cas,
la démarche qualité développée place comme fournisseur de l’établissement
scolaire les partenaires institutionnels, les entreprises, les partenaires culturels
et les associations. L’élève est alors considéré à la fois comme un client ou usager
et comme une « matière d’œuvre ».

Entretien : un chef d’entreprise


Ce chef d’entreprise est interrogé sur la place de la culture et la notion de qualité.
En fait, les démarches qualité dans les entreprises ont surtout pour objet de réinterro-
ger le fonctionnement de l’entreprise avec un autre point de vue, axé soit sur la qualité
des produits ou des prestations, soit sur les notions de responsabilités sociales des
entreprises.
Il faut décaler le focus sur le point de vue pour juger l’ensemble des process de l’entre-
prise par un autre biais. Aborder la qualité dans l’éducation nationale est une ques-
tion compliquée. Un chef d’entreprise pourra toujours parler d’une démarche qualité
dans l’éducation nationale en fonction des résultats que l’institution peut produire
pour le monde de l’entreprise lui-même. Cette approche correspondrait à une vision
bureaucratique et archaïque. Si c’est cette démarche-là que l’on valide, je n’en vois
pas l’intérêt, car nous ne serons pas dans un processus et nous risquons de fortes
résistances. Les jeunes qui viennent sur le marché de l’entreprise sont-ils bien formés
et opérationnels, savent-ils vraiment ce qu’est le monde en général et particulièrement
celui de l’entreprise ?
Pour autant, la culture a sa place dans l’entreprise. La culture développe des capacités
autres, elle peut donner confiance en soi, elle fait tomber la résistance au changement,
elle régularise, elle donne des notions d’exigence de travail… Le monde de l’entre-
prise a beaucoup changé et se poser la question de quoi souffrent les entreprises
aujourd’hui est peut-être la bonne question.
Par exemple, le carreleur d’il y a dix ans posait des carrelages de vingt centimètres par
vingt sur les murs et de trente par trente au sol. Il doit poser aujourd’hui des carreaux
d’un mètre par trois. Poser un carreau d’un mètre par trois dans une pièce de treize
mètres cinquante par six mètres quatre-vingt, cela nécessite une réflexion beaucoup
plus importante de la part du carreleur pour savoir de quel point de la pièce il faut
partir. Des connaissances en mathématiques, en géométrie dans l’espace sont néces-
saires. Quand on pose du trente-trente et du vingt-vingt, les objectifs du carreleur
seront uniquement la solidité et la facilité d’entretien alors que quand on pose du
carrelage d’un mètre par trois, on est dans un niveau d’exigence qui est celui de la
décoration, celui de la qualité, voire de l’ultra luxe. Quelqu’un qui doit poser des

17. Quénet P. et Soudjian G., « Le management de la qualité des normes ISO 9000-2000 – est-il
applicable à l’Éducation nationale ? », Technologies & Formations, n° 105, 2002.

103
La culture au cœur des apprentissages

carreaux d’un mètre par trois ou alors infiniment petit d’un demi-centimètre par un
demi-centimètre parce que l’on va faire une mosaïque artistique dans une salle de
bains est forcément différent du carreleur d’avant. En général, on intervient là-dessus
sur des appartements haut de gamme ou dans l’hôtellerie de luxe. Quelqu’un qui
gagne le salaire d’un carreleur ne passe pas son week-end dans l’hôtellerie de luxe. Il
ne va pas non plus au théâtre ou à l’opéra, lieux qu’il pourrait peut-être rénover dans
les semaines suivantes. S’il n’a pas rencontré à un moment dans sa vie la différence
entre le beau et ce qui ne l’est pas, afin de comprendre l’exigence de qualité, sa tâche
sera difficile par le sens qu’il pourra lui donner.
Mettre de la culture et mettre de l’autorité dans l’éducation nationale pourraient amé-
liorer la qualité.
Il faut permettre à des personnes, même quand leur niveau de formation est consi-
déré comme faible, et encore plus dans ce cas, d’accéder à la culture, une culture
populaire locale, je parle à dessein de paysages, d’environnement, de gastronomie,
de connaissances de l’histoire locale, de connaissances du monde des entreprises.
Tous ces savoirs doivent être envisagés par l’angle des pratiques, de la rencontre
avec des artistes. Pour les artisans de mon entreprise, il est intéressant et important
qu’ils puissent rencontrer des artistes, ainsi ils deviendront de meilleurs artisans. La
possibilité de donner à tous une ouverture culturelle est essentielle. Quand j’étais poli-
tique je le faisais par conviction humaniste parce que je pensais que les gens seraient
meilleurs, que les élèves deviendraient des adultes différents. Aujourd’hui je suis chef
d’entreprise et je sais que dans mon entreprise ils deviendront de meilleurs salariés
pour le produit intérieur brut du pays et pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
Cette imprégnation culturelle fera que dans cinq mois ou après dix ans ils n’auront pas
peur du changement, ils auront toujours envie d’aller de l’avant, ils seront toujours
curieux, la culture leur donnera cette curiosité et le monde de l’entreprise fera le reste.
La seconde notion importante est celle de l’autorité. Je suis patron, je suis l’employeur
et j’ai ainsi « le dernier mot » ; il est alors beaucoup plus simple de se mettre dans une
situation égalitaire pour permettre à tout le monde de trouver un intérêt à collaborer
et participer dans l’évolution d’un projet. Ce que j’ai vu de l’éducation nationale c’est
précisément cette notion d’autorité qui semble manquer, l’éducation nationale n’arri-
vera pas à organiser des projets éducatifs, n’arrivera pas à faire entrer la culture ou à
faire rentrer le monde de l’entreprise en son sein si à un moment donné, on ne nomme
pas un chef de file.
Les projets d’établissements, les projets de territoires, les projets pour l’ensemble de
l’éducation nationale ne pourront exister que si, à un moment donné, on désigne des
chefs de file qui vont organiser cela. Je ne peux pas faire évoluer mon entreprise si je
ne suis pas considéré comme le vrai patron. Je trouve dommage que la question de la
gouvernance ne soit pas plus claire dans l’éducation… Je crois beaucoup à l’importance
de la territorialisation, un chef d’établissement pourrait être un excellent manager dans
ce type d’organisation sur un territoire ce qui correspondrait d’une certaine façon à une
entreprise, mais faut-il encore qu’il puisse être un pilote, un vrai…

104
Deuxième espace : l’établissement

L’approche théorique : bureaucratique versus qualitatif


La question de la qualité est aujourd’hui naturelle dans les espaces indus-
triels, voire dans les services comme, par exemple, pour les services hospitaliers.
C’est pour autant une nécessité, s’assurer de la qualité répond en effet à un
besoin fondamental du vivant. Dès lors que l’homme a vécu en groupe, les tâches
à effectuer ont été divisées en fonction des capacités individuelles.
Au fil du temps est apparue la notion de contrôle de la production par rapport
aux résultats attendus. Durant le Moyen Âge, les corporations des métiers
édictent des normes pour garantir une régularité des prestations. Cette régularité
est d’autant plus nécessaire que les échanges commerciaux sont importants. Au
milieu du xviiie siècle, apparaît une nouvelle période économique visant à l’accu-
mulation collective de richesses et non plus de biens de subsistance individuels.
L’émergence de la production en série induit deux notions nouvelles : la traduction
des besoins en spécifications de production et la standardisation des produits
(des pièces qui les composent et de leur interchangeabilité). La qualité se traduit
alors à travers les problèmes de conformité. Avec l’augmentation constante du
niveau d’exigence jusqu’au xxe siècle, la qualité de fabrication et la régularité
de l’obtention d’un niveau de qualité donné sont deux difficultés majeures. Les
progrès techniques perpétuels induisent une complexité jamais atteinte des
procédés de fabrication et rendent d’autant plus prégnants les problèmes de
non-conformité. Au début du xxe siècle, Taylor18 met en place l’organisation scien-
tifique du travail pour augmenter la productivité des entreprises et s’emploie à
réduire les non-conformités de ce qui est produit grâce à une exigence absolue du
respect du mode opératoire de fabrication. Premiers pas d’une démarche qualité,
cette méthode ne tient pas compte d’éventuels aléas mécaniques ou humains.
Dans les années 1930, Shewhart19 invente des théories mathématiques qui
permettent de prévoir le contrôle d’un processus de fabrication. Il y a, à partir
de ces théories, une rupture dans la gestion de la qualité de production puisque
l’on passe d’une imposition de normes a priori et leur inspection a posteriori à
un contrôle tout au long du processus de fabrication. Pour autant, la dimension
humaine n’est toujours pas réellement prise en compte. La qualité est encore
définie par comparaison à un produit conçu et largement standardisé par les
ingénieurs ; la satisfaction du client, de l’usager n’existe pas encore. Dans les
années 1950, la demande dépasse l’offre, le contrôle budgétaire se développe
en Europe, la gestion de la qualité n’est plus un souci majeur. Pourtant, durant

18 . Taylor F. W., The Principles of Scientific Management, 1911, http://archive.wikiwix.com/


cache/?url=http://socserv2.socsci.mcmaster.ca/~econ/ugcm/3ll3/taylor/sciman&title=[1].
19. Shewhart W. A., Statistical Method from the Viewpoint of Quality Control, Department of
Agriculture, 1939.

105
La culture au cœur des apprentissages

cette période, de nombreux auteurs posent les bases de la gestion de la qualité.


Deming décrit une méthode et des principes de management qui reposent sur
l’analyse des différents types de causes de non-qualité20. À partir des années
1970, le modèle japonais des cercles de qualités se répand dans un monde en
crise.
Dans l’éducation, la question de la qualité n’est jamais posée en ces termes.
Pour autant, chaque acteur à son niveau d’intervention s’interroge sur la perti-
nence et le sens qu’il donne à son action. L’inspecteur du premier degré se
demande s’il réussit à améliorer l’éducation dans sa circonscription ; le chef d’éta-
blissement qui cherche à faire progresser ses élèves et à améliorer les résultats
dans leur ensemble de son collège ou de son lycée ne se pose pas pour autant la
question de la pertinence et du sens de son action. Il s’inscrit simplement dans
une logique de performance.
Le concept de démarche qualité dans l’éducation pose problème par son exis-
tence même. Concept issu du monde économique, du monde de l’entreprise, il ne
semble pas légitime de prime abord. Dans le domaine de l’éducation, la démarche
qualité s’intéresse à la qualité d’un service public, dans ce cas : efficience et
durabilité.
La qualité renvoie dans un premier temps à la qualité du pilotage éducatif d’un
établissement scolaire21. Or, ce pilotage est lié en grande partie aux différents
niveaux dont l’établissement dépend directement ou indirectement : le pilotage
national avec ses choix, ses orientations structure les organisations académiques
et départementales, même si elles constituent le second niveau de gouvernance.
Le troisième niveau de gouvernance, celui de l’établissement public local d’ensei-
gnement (EPLE, c’est-à-dire collège ou lycée), associe l’autonomie et la respon-
sabilité. La qualité du pilotage d’un établissement ne peut donc que dépendre de
la qualité des pilotages nationaux et académiques. Cependant, l’établissement
n’a aucun moyen d’action et d’influence sur ses niveaux supérieurs ; il faut par
conséquent agir en concertation avec ces deux niveaux de gouvernance tout en
adaptant sa politique éducative à ces choix et à son contexte local.

Pour quels besoins ?


Ainsi, la première approche va se positionner sur l’ensemble des besoins
des acteurs : les élèves bien sûr, les enseignants, les familles… Ces besoins
doivent être formulés et être objectivés. Si les besoins des élèves sont toujours

20. Deming W. E., Out of the Crisis, traduction Gogue J. M., Hors de la crise, éditions Economica,
1991.
21 De Ketele, J.-M. et Gerard F.-M., « La qualité et le pilotage du système éducatif », in
M. Behrens (éd.). La qualité en éducation, Pour réfléchir à la formation de demain, Presses de
l’Université du Québec, collection « Éducation-Recherche », 2007.

106
Deuxième espace : l’établissement

prioritaires en tant qu’usagers premiers du service public, ceux des enseignants


ont également toute leur place, que ce soit en termes de formation ou d’organi-
sation. Les besoins des enseignants doivent être observés selon le prisme des
objectifs premiers (liés aux acteurs) et selon l’analyse réalisée pour transformer
les objectifs des enseignants en leviers du pilotage.
Sur un second plan, il convient de prioriser les objectifs et, en particulier, de
se centrer sur un nombre très restreint, voire sur un seul objectif. Dans ce cadre,
il faut définir clairement quels peuvent être les effets attendus dans un certain
nombre de champs : sur les élèves, sur les enseignants, sur la bonne marche de
l’établissement. Ainsi, un enseignant qui désire monter un atelier photo l’exprime
sous forme d’un besoin que l’on doit faire passer après la définition de ce que
les élèves vont en retirer dans leur parcours de formation. Les besoins des élèves
peuvent être approchés par la culture comme interface entre le socle commun de
connaissances, de compétences et de culture et les programmes disciplinaires.
La culture permet l’inscription de l’école dans les attentes sociétales avec la
construction d’une plus grande cohérence entre les objectifs professoraux et la
construction de l’individu.

Une nouveauté ?
Il est remarquable d’observer que certaines approches de la démarche qualité
ont déjà intégré le monde de l’Éducation nationale. La création d’un observatoire
des bonnes pratiques, la mise en avant très fréquente de ces mêmes bonnes
pratiques dans les gouvernances nationales et académiques ne sont-elles pas
la déclinaison éducative du benchmarking ? Cette technique de marketing qui
consiste à s’inspirer des pratiques des autres entreprises afin d’améliorer ses
résultats connaît ainsi une adaptation dans l’école. Chaque enseignant, chaque
discipline, chaque établissement peut, de cette façon, progresser sans avoir à
innover systématiquement.

Notre mise en œuvre : envisager la qualité par le processus


Dans notre approche, nous envisageons la qualité sous la forme d’un proces-
sus dont l’objectif est d’investir le sens. Travailler, ce n’est pas simplement faire
quelque chose, mais c’est surtout faire quelque chose de soi et donc donner
du sens à son action. Le métier d’enseignant ne peut se résumer à des routines
autour de tâches qui se limiteraient à faire acquérir des connaissances, vers l’at-
teinte de meilleurs résultats. Celui de chef d’établissement ne peut pas non plus
se limiter au pilotage d’une succession d’établissements dont le choix n’a pas été
vraiment pensé dans la continuité de la mise en place d’une politique éducative
partagée avec un territoire, mais plutôt en fonction du type d’EPLE.

107
La culture au cœur des apprentissages

Construire une démarche qualité, c’est mettre en place un processus où la


culture deviendrait le « fil rouge ». Les fonctions liées à des attitudes et à des
valeurs comme la créativité, la flexibilité, la synergie… seraient favorisées.

Comment ?
Il faut décaler là aussi le regard, intégrer une unité qui se nomme le territoire,
investir la durée, permettre une mise en réseau des établissements (écoles/
collèges) et supprimer le classement des établissements dans le secondaire (ils
sont regroupés en cinq catégories financières). Tout cela afin d’éviter cette fuite
en avant, qui oublie l’essentiel, le sens de l’action et donc l’appétence au change-
ment au profit d’une simple ambition personnelle. Il faut donner enfin à l’EPLE, à
son pilote et à son équipe le pouvoir du changement.
Le sens doit, de nouveau, être investi, le sens du travail pour l’enseignant,
pour le chef d’établissement, pour l’élève, pour les partenaires et les familles.
Un sens à trouver dans un ancrage territorial et où la culture devient l’élément
central, parce que la culture :
–– retisse les liens entre le passé et le changement en incorporant le présent
dans l’histoire de chaque personne ;
–– est partagée avec les partenaires, les politiques et les familles ;
–– est le fondement de chaque discipline…
Nous nous sommes donc penchés sur ce que l’on appelle la qualité de l’ensei-
gnement. Pour améliorer cette qualité, il faut aller chercher ceux qui la mettent
en œuvre, les accompagner, les rassurer pour qu’ils acceptent de modifier leurs
activités et, par conséquent, leur investissement ainsi que les perspectives qu’ils
avaient envisagées. Ce processus, que l’on présentera comme une évaluation
formative, s’ajustera et se modifiera au cours du temps, car la notion de durée
est aussi pour nous l’élément indispensable pour instaurer une démarche qualité.

Les outils proposés


La culture permet de donner du sens aux démarches et aux contenus. La
qualité est à la fois un principe constitutif et une conséquence de la stratégie
culturelle vue comme un processus alimenté par la culture. La culture agissant
sur le cœur de l’éducation, son action peut être évaluée par différents outils
classiques comme la performance ou l’évolution des pratiques. Notre réflexion a
permis de construire trois outils : un modèle d’évaluation formative, un tableau
de positionnement et un tableau de bord.

108
Deuxième espace : l’établissement

Nous avons librement repris et réinvesti le modèle d’évaluation formative


de Bouchard et Plante22. Cette démarche intègre différentes dimensions de la
qualité : la prise en compte des usagers, des parties prenantes, la recherche de la
performance, de la pertinence et l’ajustement.
La qualité va pouvoir se décliner en un certain nombre d’éléments différen-
ciés, comme la durabilité, l’efficience, l’équité, la pertinence… La durabilité est
particulièrement importante dans le cas des organisations scolaires. Celles-ci
s’appliquent à obtenir un résultat sur le long terme, que ce soit au niveau des
élèves ou au niveau d’un fonctionnement qui comporte une assez forte inertie. La
culture est un domaine ancré dans la durabilité si on l’inscrit dans l’espace mental
des élèves et que l’on arrive à les faire adhérer à cette vision.
L’efficience est aujourd’hui un point clé, car elle compare l’efficacité à l’en-
semble des moyens humains, matériels, intellectuels qui ont été déployés pour
obtenir un résultat. Quelle serait l’utilité d’obtenir un résultat brillant, certes,
mais ne pouvant être reproduit sans l’utilisation de moyens extraordinaires et
d’une énergie hors du commun ? Par exemple, le temps de travail des personnels
de direction de l’Éducation nationale, chefs d’établissement et leurs adjoints,
est aujourd’hui estimé par le ministère à une fourchette de quarante à soixante-
cinq heures par semaine. Il est illusoire de songer à demander une charge de
travail supplémentaire à ces personnels : au contraire, une démarche qualité
devrait pouvoir se fixer comme objectif d’arriver à un meilleur résultat pour un
temps de travail plus raisonnable. L’évolution des pratiques enseignantes, qui est
l’un des objectifs de la stratégie culturelle, peut ainsi sur le long terme améliorer
l’efficience de l’école sans que, pour autant, il soit systématiquement nécessaire
à une équipe de direction d’analyser chaque pratique.
La pertinence étudie le rapport entre les intentions du pilotage et les besoins
qui ont été diagnostiqués. Ainsi une action d’ouverture culturelle peut-elle être
pertinente pour améliorer le niveau en langue française des élèves ou encore
leur motivation.
Autour de l’exemple d’un collège d’une zone rurale, nous avons mis en rela-
tion les différents éléments de ce modèle avec ceux issus du terrain, comme,
par exemple :
• L’à-propos : cet établissement est considéré par les enseignants comme un
collège isolé culturellement, car géographiquement dans une zone éloignée
des structures « reconnues » comme lieux de culture (scène nationale,
musées…).

22. Bouchard C. et Plante J., La qualité : mieux la définir pour mieux la mesurer, université de Liège,
2002.

109
La culture au cœur des apprentissages

• Les besoins : l’ouverture culturelle semble être l’objectif partagé par


l’ensemble des enseignants. Suite au diagnostic interne, l’amélioration des
résultats est aussi un autre objectif poursuivi par l’équipe éducative.
• La pertinence : lors de l’élaboration du nouveau contrat d’objectifs, une stra-
tégie globale culturelle semble s’imposer. La culture est envisagée comme
fondement des disciplines, comme lien entre l’école et son environnement
et comme besoin largement évoqué.
• La synergie : un choix partagé entre les enseignants et les partenaires
d’actions pertinentes, qui répondent à des problématiques élèves et dont
les effets pourront être mesurés, doit être fait.
• L’efficience : la qualité des actions doit se penser en relation avec les effets
attendus et non en relation avec les moyens alloués. Les actions doivent
ainsi gagner en cohérence et les moyens doivent être complémentaires, au
service de parcours.
• L’efficacité : la mesure des effets, le réajustement des actions, les projets
pédagogiques partagés par plusieurs enseignants doivent permettre d’at-
teindre les objectifs, d’où l’obligation de choisir des indicateurs pertinents.
L’ensemble de cette mise en œuvre autour d’une stratégie collective culturelle
et d’actions partagées doit permettre à cet établissement de s’ouvrir sur son
territoire, de s’enrichir avec l’apport des partenaires et de coconstruire autour
d’objectifs communs, comme autour de la place du livre et de la lecture entre les
associations, les partenaires culturels, les politiques territoriales et l’école.

110
Outil 13 : modèle d’évaluation librement inspiré de Bouchard et Plante

À-PROPOS
FLEXIBILITÉ : leadership du chef d’établissement
Contraintes : programmes Ajustements
de l’Éducation nationale
et organisation administrative
Environnement :
politique et territoire
(offre)
Besoins :
ouverture culturelle Besoins :
ouverture culturelle
IMPACT : et amélioration des résultats
ouverture, objectifs
PERTINENCE : partagés, liens
choix d’une stratégie avec le territoire
globale culturelle

Organisme – Service – Programme Résultats :


compétences du socle, brevet
Objectifs Moyens Intervenants Effets :
prévus, autres
Moyen et long
Court terme
termes
COHÉRENCE

SYNERGIE : choix des actions

EFFICIENCE : modification du processus, moyens/actions


DURABILITÉ
EFFICACITÉ : actions/résultats

111
Deuxième espace : l’établissement
La culture au cœur des apprentissages

Ce schéma peut permettre au chef d’établissement de réfléchir d’une façon


globale à l’ensemble des éléments proposés, en relation avec sa situation de
terrain.
Au-delà de cette approche conceptuelle, il nous a semblé pertinent d’aider les
équipes à s’approprier cette démarche qualité. L’approche culturelle va permettre
de tisser les liens nécessaires et de donner à la fois une approche globale parta-
gée, mais aussi une possibilité d’ouverture sur le territoire.
Nous avons choisi de mettre en place cet accompagnement, lors du renou-
vellement du contrat d’objectifs de cet EPLE. Dans cette phase de réflexion, les
réunions d’équipe fréquentes permettent cette approche. Nous sommes partis
des éléments du modèle précédent en les regroupant (outil 14, colonne 1). Au fil
de notre suivi, nous avons rencontré des inquiétudes et des résistances, qui nous
ont paru pour la plupart communes à tous les établissements, c’est pourquoi
nous les avons notées dans le tableau (colonne 3).
Le processus d’accompagnement se fait en huit phases ; pour chacune de
ces étapes, nous avons relevé les éléments marquants (colonne 2), suite à nos
observations. Nous avons chaque fois fait émerger des propositions (colonne 4)
qui pouvaient être investies soit par l’équipe de direction, soit par les enseignants
ou partenaires. Dans la dernière colonne, nous avons souhaité faire ressortir une
première planification afin que les équipes comprennent que le temps institution-
nel de la durée d’un contrat d’objectifs peut devenir un cadre pertinent.
Ce tableau de planification explique la démarche, positionne dans un calen-
drier les différentes phases, de la première où les acteurs ne pensent pas être
concernés à la dernière qui met en place une évaluation de type formatif pour un
réajustement de ces mêmes acteurs et du système lui-même. L’outil 14 présente
d’une manière non exhaustive les inquiétudes et les résistances des parties
prenantes à chaque phase et les met en relation avec un exemple concret.

112
Outil 14 : pour une démarche qualité

Phases du
Phases
modèle
du Inquiétudes et résistances des acteurs Propositions Planification
(Bouchard
processus
et Plante)

Pour aider la mise en place


Chef d’établissement Enseignants Exemple d’un collège
du processus

Implication à visée courte : Routines : renouvellement Expliquer l’intérêt


Phase 1 : attente du changement des actions engagées, du changement
À-propos
non concerné de l’établissement, gestion individualisme, consommation et de l’inscription Année 1
administrative dans la durée Construction du nouveau
contrat d’objectifs
Inquiétudes égocentriques : Inquiétudes égocentriques : Écouter et aider dans la Choix des objectifs
comment éviter comment finir mes démarche : rassurer, soutenir, en regard du diagnostic
Contraintes Phase 2 : et de la stratégie
les problèmes avec programmes ? montrer l’intérêt d’une
Besoins état initial, « culturelle »
les enseignants ? Comment ne pas avoir de organisation collective
Pertinence individualisme
Comment faire évoluer problèmes avec les familles ?
sa carrière ?

Inquiétude sur Inquiétude sur l’inscription Démontrer que ce


les conséquences de dans la durée du changement : changement est inscrit dans Année 2
l’inscription dans la durée comment être sûr que ces la durée : communication, État des lieux des
Phase 3 :
du changement : comment changements dureront dialogues, constructions partenaires culturels
Cohérence l’EPLE, un pilote,
piloter un processus inscrit dans le temps et ne seront accompagnées et prévues du territoire et/ou
Synergie une équipe :
sur plusieurs années ? pas oubliés mais enrichis sur plusieurs années avec départementaux
une organisation
Comment faire évoluer ma et développés ? progression État des lieux des
carrière si je m’implique dans dispositifs possibles
ce territoire sur le long terme ?

113
Deuxième espace : l’établissement
114
Phases du
Phases
modèle
du Inquiétudes et résistances des acteurs Propositions Planification
(Bouchard
processus
et Plante)

Pour aider la mise en place


Chef d’établissement Enseignants Exemple d’un collège
du processus

Inquiétudes sur Inquiétudes sur Communiquer sur l’ensemble


le changement : qu’est-ce qui le changement : comment des propositions, écouter les
Phase 4 :
va vraiment changer ? Quelles articuler ces changements demandes et présenter les
proposition
La culture au cœur des apprentissages

plus-values personnelles avec mon emploi du temps nouvelles actions en insistant


d’un
apporte ce changement et mes programmes ? sur la cohérence, la durée
changement
au regard des contraintes et la coconstruction Année 2
(carrière, pilotage) ? Problématique
Inquiétudes sur les dispositifs Inquiétudes sur les dispositifs Permettre la mise en avant des et effets élèves :
utilisés : comment inscrire ce utilisés : comment modifier nouveaux acquis : réalisation choix des actions,
changement dans l’ensemble le fonctionnement habituel d’outils d’aide à la lisibilité de des dispositifs
Phase 5 :
des dispositifs d’un EPLE ? sans se trouver en difficulté ? ces acquis (grilles socles…),
premières
Flexibilité Comment évaluer l’impact mise en place de projets
expérimentations
Impact de ces changements sur expérimentaux qui seront le
les pratiques enseignantes point d’une réflexion partagée
et les résultats des élèves ? avec l’ensemble de l’équipe

Inquiétudes liées au travail Inquiétudes liées au travail Faciliter les échanges entre
Année 2
avec les partenaires : avec les partenaires : les enseignants, les
Continuation et/ou
comment coconstruire pour comment trouver dans partenaires et le territoire
réajustement des actions
que chacun trouve sa place ? les propositions culturelles Opérationnaliser ces
Phase 6 : Formation : territoire
Quels outils territoriaux, un enrichissement des démarches avec des outils
coconstructions apprenant
quelle complémentarité disciplines ? Comment de contractualisation (charte
Organisation de l’équipe
des dispositifs ? Comment travailler ensemble avec ou contrat de territoire)
et pilotage pédagogique
le chef d’établissement des partenaires non EN ?
du chef d’établissement
peut-il s’y prendre ?
Phases du
Phases
modèle
du Inquiétudes et résistances des acteurs Propositions Planification
(Bouchard
processus
et Plante)

Pour aider la mise en place


Chef d’établissement Enseignants Exemple d’un collège
du processus

Inquiétudes liées au pilotage : Inquiétudes liées au Instaurer un leadership Années 3 et 4


comment améliorer, faire positionnement : comment participatif avec la création Repérage des projets,
mieux avec l’existant ? utiliser, améliorer et partager d’instances de collaboration enrichissement des
Phase 7 : Comment déléguer et les compétences de chacun ? Répondre aux besoins par actions menées par
Efficience amélioration modifier les pratiques des formations coconstruites l’apport de partenaires
de l’existant enseignantes et rendre sur le territoire en lien avec ou d’autres pratiques
pérennes les coconstructions les projets Mise en cohérence des
et partenariats ? actions et élaboration
des parcours culturels
Évaluer dans une démarche individualisés pour
formatrice les équipes élargies chaque élève en temps
au territoire et hors temps scolaire,
Phase 8 : en lien avec une
Efficacité
évaluation orientation pensée
Durabilité
formative DNB, socle,
renouvellement du
contrat d’objectifs

115
Deuxième espace : l’établissement
La culture au cœur des apprentissages

Un tableau de bord peut être construit comme aide à la décision du chef d’éta-
blissement afin d’avoir une vision globale. Il sera, dans un second temps, partagé
avec les équipes éducatives pour favoriser le dialogue et l’implication (indicateurs
du contrat d’objectifs). Enfin, il peut s’articuler avec la stratégie éducative suivie
pour la renforcer et la piloter. Il intègre le nombre de partenaires, le nombre
d’actions coconstruites, le nombre d’élèves en parcours personnalisés, le pour-
centage d’items du socle proposés à la validation par un partenaire extérieur, le
pourcentage de professeurs en formation construite autour de la stratégie cultu-
relle, le pourcentage de professeurs inscrits dans un projet transversal prenant
appui sur la stratégie culturelle… Il est également possible de positionner l’éta-
blissement par rapport à une échelle graduée de un à cinq pour son implication,
la mise en œuvre de partenariats, de projets coconstruits sur un territoire.

Outil 15 : tableau de bord partiel construit autour des indicateurs,


outil de suivi de la démarche

Type Valeur Valeur lors de


Libellé indicateur
indicateur initiale l’évaluation
Nombre de partenaires culturels du collège : 0 2
nationaux
Nombre de partenaires culturels du collège : 1 5
départementaux
Indicateurs Nombre de partenaires culturels du collège : 3 5
de contexte territoriaux
Nombre d’enseignants concernés par les projets 3 15
culturels
Nombre d’autres partenaires (associations…) 3 6
Nombre de professeurs autres que ceux 0 5
des disciplines artistiques
Nombre de personnels autres, du collège, impliqués 0 1
Nombre de dispositifs en dehors du temps scolaire 1 1
(accompagnement éducatif, école ouverte…)
Indicateurs Nombre d’actions culturelles en lien avec l’HDA 1 4
de réalisation
Nombre d’actions culturelles en lien avec le CDI 1 9
Nombre d’actions culturelles incluant un parcours 1 9
de découverte des métiers
Nombre de projets culturels en lien avec 1 9
les compétences du socle

116
Deuxième espace : l’établissement

Type Valeur Valeur lors de


Libellé indicateur
indicateur initiale l’évaluation
Nombre de professeurs investis dans des actions 3 15
culturelles
Nombre de professeurs qui travaillent ensemble 2 15
pour la mise en place des actions culturelles
Nombre de professeurs qui lient les actions 1 15
Indicateurs
culturelles et le socle commun
de résultats
Nombre d’actions partagées entre plusieurs disciplines 1 9
Nombre de formations conjointes culture, EPLE 0 2
partagées avec des partenaires
Nombre de réunions de construction d’actions, 2 9
partagées avec les partenaires culturels
Nombre de nouveaux partenaires culturels du collège 5
Nombre d’actions partagées avec les partenaires 3
culturels et politiques du territoire
Indicateurs Nombre de structures de collaboration dans le 2
d’impact collège incluant des partenaires culturels
Nombre d’actions culturelles prises en compte 9
dans la validation des compétences du socle
commun

Cependant, il convient de ne pas se limiter à ce type d’indicateurs, très quanti-


tatifs dans le comptage, alors que l’approche initiale est au contraire qualitative.
Par exemple, un nombre élevé de nouveaux partenaires culturels n’a de sens
que dans des situations particulières de changement de politique éducative, de
renouvellement du projet d’école, d’établissement. Dans ce cadre, les nouveaux
partenaires témoignent d’un dynamisme, d’une recherche pédagogique affinée.

En bref Faire moins, faire mieux

Faire mieux l’essentiel, mais qu’est-ce que l’essentiel ? L’articulation entre l’école et
la société est l’axe principal. La stratégie culturelle permet d’agir sur cette interac-
tion car elle ne peut se construire qu’en partenariat. Elle interroge le territoire, ses
populations, ses politiques. Mettre en cohérence les objectifs éducatifs retenus, les
moyens déployés et les processus développés permet de se centrer sur l’élève et son
parcours, c’est-à-dire l’essentiel. Cette réflexion se formule autour de la pédagogie
déployée sur le terrain. Elle impose une base solide en sciences de l’éducation et sur
les évolutions de la recherche actuelle.
L’efficience est encore aujourd’hui ignorée au profit de la logique de moyens ou
du désintérêt pour l’efficacité. Chaque action éducative, chaque projet, chaque
cours doit se poser en ces termes. Le socle commun répond déjà en partie à cette
interrogation ; bien loin d’un ensemble de connaissances disciplinaires, bien loin du
programme, il impose de se recentrer sur des compétences par nature transversales.

117
3
Troisième espace :
une contextualisation

Imposer la contextualisation permet de faire évoluer l’acte éducatif et ses acteurs.


Si certains voient encore l’école comme un sanctuaire, protégé et séparé des
fureurs du monde, nous avons fait le choix de repositionner l’établissement et
son fonctionnement pédagogique autour de trois principes : territorialiser par la
culture, développer le partenariat et considérer les temporalités.

Principe 7. Territorialiser par la culture : « la cité radieuse1 »


La territorialisation semble, a priori, ne pas devoir être questionnée sur sa
relation à l’éducation. En effet, l’histoire française postule l’unité territoriale et
son corollaire, la mise en œuvre d’une politique unique sur l’ensemble d’un terri-
toire. Si les programmes nationaux, les lois, y compris celles relatives à la chose
scolaire, s’appliquent indifféremment dans les régions, départements, cantons…,
cela n’implique pas le renoncement à la territorialisation d’une politique
éducative.

La fausse conception : la transparence du territoire


La conception première du territoire pour les enseignants est son absence.
Hormis dans les secteurs de recrutement, les zones d’éducation prioritaire, ou
comme caractère identifiant les difficultés d’un établissement scolaire, comme le
collège rural de montagne, la notion de territoire n’existe pas.
Le territoire culturel, les structures culturelles de proximité sont envisagés
comme des prestataires de service. L’école consomme un espace, des ressources,
selon les besoins qu’elle identifie ou les subventions accordées.

1. En référence à la Cité radieuse de Le Corbusier.

119
La culture au cœur des apprentissages

Entretien : un directeur d’établissement culturel


Ce directeur est interrogé sur le lien territoire-culture.
Il est difficile de définir le terme de territoire, comme il m’est difficile de donner une
définition personnelle. Il a fallu que je m’y confronte, au moment où j’ai moi-même
considéré que le territoire était l’un des fondements sur lequel j’envisageais d’écrire
et d’asseoir le schéma des enseignements artistiques. Il me semble que le territoire
est d’abord lié à une notion de lieu de vie, vie réelle ou vie en creux. On peut imaginer
effectivement un territoire, malheureusement, accueillant une population comme un
espace dortoir. Il ne reste pas moins que ce sera bien sûr un territoire qui se caracté-
rise en creux car, pour moi, le territoire a la population qui y habite, en tenant compte
d’ailleurs des populations qui l’ont précédée et qui ont construit peut-être à son insu
une identité territoriale, historique. En tout cas, pour moi, le territoire est lié effective-
ment aux gens qui l’habitent, ou qui l’ont habité, et à la façon dont il va y avoir alliance
objective, fructueuse, productive de richesses entre le territoire et ses habitants et ses
habitants et des territoires. Dès lors, une rue peut être effectivement considérée pour
moi comme un territoire, évidemment un quartier, un village, etc.
Il me semble que non seulement le territoire a une dimension culturelle mais j’aurais
tendance à dire que ce qui définit le mieux le territoire, c’est ça. C’est ce qui donne les
fondements de sa légitimité, de sa force, de son histoire, de son authenticité et de son
intégrité. À partir de là, il paraît inévitable de faire que le territoire devienne l’un des
fondements de la pensée et de l’écriture d’une politique culturelle.
Si on pouvait repenser l’histoire comme une éducation culture, il pourrait paraître
légitime qu’avant Jules Ferry ou André Malraux, quelqu’un pose la question d’une vraie
politique nationale d’accès à la culture et aux pratiques artistiques pour tous, avant
même la question de l’éducation accessible à tous.
Mettre en œuvre une politique culturelle sur un territoire reste complexe. Il faut être
très vigilant sur la question des outils, car la société a une tendance à faire très vite son
miel de tel ou tel dispositif, de tel ou tel outil, de telle ou telle démarche contractuelle,
qui nous permettrait d’imaginer que nous avons trouvé le fil à couper le beurre. Par
voie de conséquence, il me semble que la notion d’outil doit se remettre toujours en
question et il faut faire confiance à la rencontre sur le territoire des populations et des
ressources artistiques et culturelles. Il faut donner du sens à ce qui me paraît être un
outil permanent, c’est-à-dire la médiation comme démarche commune en éducation et
en culture.

L’approche théorique : polysémie du territoire


Le territoire se définit comme un élément de maillage de l’espace en géogra-
phie, ce qui renvoie à son appropriation par une population et à sa délimitation
par un pouvoir politique. Cette appropriation d’un espace par une population ne
vaut pas pour autant l’assimilation du concept à celui de terroir, et à sa définition
par des qualités physiques particulières comme la pente, l’altitude et le climat.

120
Troisième espace : une contextualisation

La charge symbolique de terroir, légèrement péjorative en ce qui concerne par


exemple les accents, peut devenir valorisante si l’on évoque un terroir viticole.
Ces différentes acceptions différencient le terroir agricole bien connu d’un Vidal
de La Blache, avec son Tableau de la géographie de la France2 en 1903, d’un
territoire aujourd’hui vécu, que ce soit une banlieue, un centre-ville ou un espace
rural. Si le territoire semble souvent exister aux yeux de ses habitants, il reste
cependant malaisé à délimiter. La frontière, si précise dans l’imaginaire avec la
ligne de crête, « la ligne bleue des Vosges », « le boulevard périphérique pari-
sien », devient mouvante et incertaine dans les domaines qui nous intéressent.
Dans le contexte de l’éducation, la carte scolaire donnait un cadre précis au
territoire scolaire, en affectant automatiquement les élèves d’une zone géogra-
phique à un établissement, avec une précision parfois redoutée : telle rue pari-
sienne jusqu’au numéro douze, tel hameau dans une commune rurale devenait
la frontière désignée comme limite… Aujourd’hui, cette carte scolaire connaît des
dérogations, un assouplissement voulu par le pouvoir politique en 20073 et les
limites de recrutement des établissements sont devenues plus floues, favorisant
parfois une certaine concurrence.
Dans le monde culturel, la notion de frontière semble encore plus difficile à
explorer. La culture se vit dans des espaces entrelacés, ce qui ne fait pas dispa-
raître les territoires mais rend les frontières poreuses ; le rayonnement de telle
scène nationale se superpose à celui d’un centre départemental et à celui d’une
politique culturelle locale.
Le sentiment d’appartenance à un territoire permet également de dépasser
largement les notions juridiques, politiques, économiques qu’il peut receler. La
force du concept juridique tient au rôle de l’État. Aujourd’hui, après trente années
de décentralisation, la situation a grandement évolué et place ainsi les collectivi-
tés territoriales en position d’actrices pour les politiques éducatives et culturelles.

Le territoire et les politiques éducatives


Les lois de décentralisation ont « donné » les collèges au département, les
lycées à la région avec un statut d’établissement public local d’enseignement
(EPLE), permettant ainsi l’entrée d’acteurs extérieurs à l’Éducation nationale dans
la « gouvernance » des établissements scolaires, via le conseil d’administration et
le projet d’établissement.

2. Vidal de La Blache P., Tableau de la géographie de la France, paru comme préambule et tome 1
de l’Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution, publiée sous la direction d’Ernest
Lavisse, 1903.
3. Lettre de mission à Xavier Darcos signée par le président de la République et le Premier
ministre, 5 juillet 2007.

121
La culture au cœur des apprentissages

Depuis 1983, la décentralisation a attribué aux collectivités locales les charges


de fonctionnement et d’équipement des locaux scolaires et ouvert la voie à l’auto-
nomie des établissements dans le secondaire. La décentralisation s’est faite en
direction de représentants élus dans les communes, départements, régions qui
disposent de ressources propres et d’un pouvoir de décision. La déconcentration
se traduit dans la nouvelle gouvernance de l’éducation par un transfert du pouvoir
de décision à des représentants du pouvoir central, le recteur et ses inspecteurs
d’académie dans les départements, les principaux et proviseurs pour les collèges
et lycées.
Décentralisation et déconcentration posent en germe la nécessité d’une poli-
tique éducative locale, donc appuyée sur un territoire. Les zones d’éducation
prioritaires (ZEP) mises en place à l’instigation d’Alain Savary en 1981 appellent
à des partenariats – comme toutes les politiques d’accompagnement qui vont se
succéder trente ans durant, des animations éducatives périscolaires (AEPS) aux
politiques d’accompagnement à la scolarité, mobilisant fortement les associa-
tions ; les politiques d’aménagement des rythmes de l’enfant, sous leurs appel-
lations successives, font de même. À partir de 1999, les contrats éducatifs locaux
(CEL), initiés par quatre ministères (Jeunesse et Sports, Ville, Culture, délégation
interministérielle à la Ville), proposent aux collectivités de contractualiser dans
une logique de projet éducatif local. Il s’agit là de politiques éducatives territoria-
lisées, c’est-à-dire initiées par l’État et déclinées sur les territoires.
Cette territorialisation de l’éducation s’est donc, dans un premier temps, déve-
loppée dans les situations qui semblaient les plus tendues avec la politique de
la ville, l’éducation prioritaire en particulier. Cependant, l’autonomie des établis-
sements permet aujourd’hui d’envisager le développement de politiques éduca-
tives locales dans tous les contextes, voire pose cette territorialisation comme
indispensable. Décentralisation et déconcentration présupposent que l’égalité
républicaine se trouve mieux représentée ainsi que par une uniformité jacobine
encore très présente dans les esprits.

Le contrat tripartite
La loi pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 donne la possibilité à
la collectivité territoriale « si elle le souhaite » d’être partie prenante du contrat
d’objectifs conclu entre l’établissement (EPLE) et l’autorité académique. Dans
l’annexe de cette loi, il est mentionné que les contrats d’objectifs des EPLE
doivent devenir tripartites. Il faudra certainement quelques années d’expérimen-
tation pour construire ce conventionnement. Néanmoins, il semble intéressant
d’envisager enfin un véritable diagnostic partagé, de définir trois objectifs jugés
« prioritaires » et opérationnels sur la durée du contrat. Ces objectifs communs
devraient permettre à chacune des parties de proposer des actions, des
démarches dans la complémentarité, la cohérence et non le chevauchement ou

122
Troisième espace : une contextualisation

la juxtaposition, comme cela est quelquefois le cas. Cette proposition pourrait


être envisagée comme une véritable avancée, une nouvelle forme de « gouver-
nance », qui favoriserait la coéducation, vers une démarche plus démocratique.
Le territoire peut donc s’apparenter à un espace de constructions et d’échanges.
Comme pour le principe de Zong Bing dans lequel le paysage est l’illustration de
la relation entre une terre, au sens de terroir climatique, et l’humain par les sens,
les actes, la pensée, la territorialisation traduit une interaction entre une popula-
tion et son espace de vie et de formation.

Le territoire, un espace multiforme


Pourtant, lorsque nous envisageons de définir plus précisément le territoire,
nous nous confrontons à sa délimitation. Quelle dimension lui donner ?
Cet espace peut tout à la fois être un réseau virtuel qui dépasse largement les
frontières géographiques et, grâce à Internet, investir « le monde » ; il peut aussi
se constituer par des alliances, des contreparties, ou encore il peut se recentrer
sur la famille, ou s’ouvrir sur des reconnaissances de compétences…
Afin de simplifier notre approche, nous préférons considérer que le territoire
peut apparaître sous la forme de deux niveaux distincts :
–– organisationnel de proximité et/ou institutionnel (commune – bassin –
école-collège – conventionnement avec une structure culturelle) ;
–– un réseau d’acteurs et des relations qu’il accueille.
Afin d’articuler ces deux niveaux, il semblerait intéressant de parler d’« agen-
cement », tel que l’énonce Frédéric Huet4, qui renvoie « aux relations (les
supports, les collectifs et l’espace-temps) que les acteurs entretiennent avec leur
environnement. L’agencement rend compte du processus de combinaison de ces
éléments hétérogènes ». Ce qui implique forcément une multitude de possibles
dans ces relations, mais aussi dans les partenaires potentiellement associés.
C’est un système qui se nourrit par des opportunités, des envies, des besoins,
mais aussi par des compromis.
La culture apparaît donc, non comme un objet que posséderait un territoire,
mais plutôt comme une stratégie pour fédérer et rendre lisible le territoire. Vers
le « territoire apprenant » comme le développe Bernard Bier5, « penser un projet
partagé semble indissociable de la reconnaissance d’une légitimité de chacun et
de tous à entrer dans un débat public sur l’éducation et de la reconnaissance des

4. Huet F. et al., « Entre territoire et apprentissage, les dynamiques d’agencement », Projectics/


Proyéctica/ Projectique, 2008/1, n° 0, p. 55-67, DOI : 10.3917/proj.000.0055.
5. Bier B., « Des villes éducatrices ou l’utopie du territoire apprenant », Informations sociales,
2010/5, n° 161, p. 118-124.

123
La culture au cœur des apprentissages

savoirs de chacun et de tous. Dans ce cadre, tous se retrouvent à la fois “formés


et formateurs” ».
Nous reviendrons plus tard sur la construction des parcours culturels, sur les
questions d’agencement et de territoire apprenant, afin d’en explorer d’autres
facettes.

Notre mise en œuvre : repenser les rôles


Nous considérons que la culture peut donner un sens à une politique éduca-
tive territorialisée. Repenser en territoires, c’est aussi repenser le rôle du collège,
qui devient alors, par son implantation et son public, le lieu de la convergence
et de la cohérence pour des parcours culturels construits, progressifs, entre les
niveaux scolaires, les partenaires et les dispositifs. La culture se transforme en
une stratégie éducative au service de la réussite des élèves.

Comment ?
Le chef d’établissement devient le maillon essentiel pour permettre la
coconstruction de ces parcours. La culture s’affirme comme une stratégie parta-
gée avec son équipe, dans l’opérationnalisation de parcours, qu’il impulsera,
proposera, fédérera, avec une visée globalisante. Ces parcours coconstruits
sur un territoire, tisseront ainsi des liens entre les disciplines (projets transver-
saux), les niveaux (premier/second degrés, classes), les partenaires (structures,
parents, artistes), les temps (projets en temps et hors temps scolaire). Cette stra-
tégie doit ainsi permettre :
–– un travail d’équipe élargi qui englobe les partenaires, dans une visée de
démultiplication de l’impact de la proposition culturelle, au-delà d’une
juxtaposition d’actions isolées (c’est-à-dire au-delà du catalogue d’actions) ;
–– un agencement partenarial et politique favorisant de nouveaux ensembles
géographiques, poreux et de coconstructions ;
–– une prise en compte du parcours de l’élève dans ses temporalités, favori-
sant des trajectoires choisies, véritable aide au projet d’orientation ;
–– une relation pérenne avec le territoire proposant des offres de qualité, enri-
chies par des propositions extérieures.
Afin d’inscrire cette stratégie dans la durée, il est indispensable de vérifier
deux éléments du processus :
–– le cadre, qui définit le rôle de chacun par une convention précisant la place
et le rôle de chaque partenaire. Le contrat tripartite pourrait s’inscrire dans
cette logique ;
–– le pilotage délégué au niveau de l’EPLE (collège), car le collège est le lieu
évident de la cohérence et de la convergence des dispositifs sur un terri-
toire, garant de l’égalité des chances.

124
Troisième espace : une contextualisation

Une telle mise en œuvre permet des circulations, des échanges et des liens
entre des communes, des partenaires (éducation, jeunesse, culture, politique)
qui jusque-là n’avaient que peu de contacts. Ces circulations et ces échanges
indiquent des ruptures mais aussi des continuités qui bousculent les frontières
traditionnelles, ce qui explique en partie certaines difficultés rencontrées lors
de la réforme des rythmes scolaires dans le premier degré (au-delà des aspects
financiers). Le territoire peut se fédérer en créant de nouveaux liens territoriaux
entre des espaces pensés habituellement comme discontinus ou univoques. Les
pratiques culturelles viennent ainsi concrètement réinterroger le territoire dans
sa dimension symbolique autant que physique, et le réinscrire dans un processus
innovant.

Les outils proposés


Envisager le territoire, c’est considérer l’expertise de chacun. Pour mettre
en œuvre une telle démarche, il est indispensable d’effectuer un état des lieux
partagé des possibles et des propositions, premier outil au service d’une poli-
tique territorialisée. Chaque structure pourra ainsi se positionner et apporter
des éléments à la construction commune. La fiche de proposition partenariale
ci-dessous doit s’accompagner d’une réflexion menée dans l’établissement qui
interroge les actions enseignantes pour mettre en cohérence l’ensemble des
démarches et coconstructions.

Outil 16 : fiche de proposition partenariale pour coconstruire


les actions du parcours culturel des élèves

Titre de la proposition, de l’action


Structure support
Période envisagée
Niveau/âge concerné
Choix du/des type(s) d’action proposé(s) par le partenaire
Typologie Disciplines Rencontre Intervenant : Posture(s)
des propositions scolaires avec quel objet artiste, élève
concernées culturel médiateur envisagée(s) :
culturel… Spectateur
Nombre Découvreur
d’heures
Interprète
Effectif
Ingénieur
Médiateur
Conférence, rencontre,
débat : apport de
connaissances,
échanges

125
La culture au cœur des apprentissages

Rapport à l’objet,
l’œuvre : visite musée,
exposition, patrimoine,
spectacle…
Sensibilisation,
découverte :
animations, ateliers
de courte durée…
Temps fort : résidence,
festival, action sur
un temps plus long…
Pratique : ateliers,
cours, associations…
Axe professionnel
Durée et lieu Métiers Rencontres Champs Formations
professionnel rencontrés : … profession- professionnels abordées : …
de la rencontre : … nelles abordés : …
proposées : …

En compilant les propositions des différentes structures, un comité de pilotage


pourra réaliser un état des lieux global. Cet état des lieux des actions portées
sur un territoire peut permettre d’organiser les parcours selon une typologie qui
combine établissement et territoire, temps scolaire et hors temps scolaire.
Nous développons ci-après les outils supports de la démarche élaborés dans
un territoire rural de montagne. Suite au diagnostic culturel commandé par le
conseil général, il est apparu que cet espace avait certaines difficultés concernant
la lecture, le rapport au livre. Nous avons pu constater que :
–– des évaluations Éducation nationale font état de scores relativement bas
et des élèves nombreux sont en grande difficulté en ce qui concerne la
maîtrise de la langue ;
–– une seule bibliothèque municipale existe dans un territoire qui comporte
pourtant quatre collèges ;
–– il n’y a pas de manifestations autour de cette thématique de la lecture
publique.
Suite à cette analyse, l’ensemble des partenaires a décidé de réfléchir afin
d’élaborer un projet commun, autour de la place du livre et de la lecture. Ce projet
partagé permettrait ainsi la construction d’une continuité d’actions entre le temps
scolaire, le hors-temps scolaire, les familles et les loisirs.
Nous vous proposons ci-après une première grille concernant les partenaires
potentiellement impliqués dans cette approche commune autour de la littérature.
Afin d’enrichir le « local », nous avons sollicité la Maison de la littérature, parte-
naire national.

126
Troisième espace : une contextualisation

Chacun devait pouvoir préserver ses missions, garder sa singularité et mettre


au service du projet commun des dispositifs, offres, idées… Ce tableau a donc
permis de structurer la démarche préalablement aux coconstructions.

Outil 17 : grille de positionnement autour d’un projet commun

Point
Type de de vue sur Identification Moyens
Structure Missions
structure le territoire des difficultés proposés
(objectifs)

Collège EPLE Éducation et Ouvrir Difficultés Projet dans


enseignement le collège au niveau le cadre de la
aux familles de la langue liaison école/
et partenaires française collège
pour les
élèves

Syndicat Regroupe- Animer et Construire Partager un Projet


mixte ment de coordonner un projet projet avec commun
communes des projets territorial les établis- « En avant
sur le terri- autour sements pays le livre »
toire du livre scolaires

Réseau des Bibliothèque Développer Développer Développer Développer


bibliothèques départe- la lecture les biblio- des biblio- et mutualiser
mentale publique, thèques thèques de le réseau des
bibliothèque au-delà du qualité, lieu bibliothèques
de qualité lieu de dépôt culturel et lieu
de rencontres

Maison des Association Promouvoir Favoriser Donner à Dispositif


écrivains et de nationale la littérature la résidence la littérature « L’ami
la littérature d’écrivains sa place dans littéraire »,
de la région l’école résidences
d’écrivains

Chaque partenaire a ses propres objectifs relatifs à sa structure et à ses


missions. L’établissement scolaire devient le lieu de convergence et de cohérence
pour tous ces partenaires. Le chef d’établissement devient donc l’opérateur de
ce projet.
Souvent, les partenaires de l’école doivent répondre aux besoins des ensei-
gnants (tel intervenant, tel objet au regard des programmes). Dans ce projet
partagé autour de l’approche de la littérature, l’enseignant s’inscrit dans une
logique de formation, l’auteur dans une logique de création ; chacun doit garder
sa singularité et c’est la tension produite qui va nourrir le projet. En aucun cas,
l’auteur ne doit se placer dans la production d’un produit spécifique « école »,
mais doit faire découvrir la genèse de son œuvre, son métier, la difficulté de l’écri-
ture, l’objet livre, l’édition…

127
La culture au cœur des apprentissages

Chaque partenaire est interpellé autour d’un système de coconstruction, qui


prend en compte :
–– les attentes de chacun ;
–– les différentes parties prenantes ;
–– les différentes temporalités ;
–– les outils proposés par chacun ;
–– les liens à construire.
Le chef d’établissement doit agencer les différentes propositions, en regard
du positionnement et de l’implication de chacun. Les questions suivantes se sont
alors posées :
–– Au niveau du collège : comment impliquer les familles ? Comment travailler
avec un auteur ?
–– Au niveau du syndicat mixte de la communauté de communes : comment
construire avec le public scolaire ? Comment travailler avec un auteur ?
–– Au niveau des bibliothèques : comment construire des parcours autour du
livre en temps et hors temps scolaire, dans et hors établissement ?
Le projet s’est ensuite mis en perspective avec l’apport singulier de chaque
partenaire.

Des actions et des dispositifs

Structure Moyens proposés Mise en œuvre

Collège Projet autour de la liaison Actions en temps scolaire : défi lecture


école/collège Résidence d’écrivains dans le collège
Partage des lectures choisies avec
les familles (défi lecture)
Café littéraire
Syndicat mixte Fédérer autour du projet Salon du livre autour des écrivains accueillis
« En avant pays le livre » Différents temps forts pour accompagner
le projet
Lien avec les autres communes
Bibliothèques Développer et mutualiser Lectures théâtralisées
le réseau de bibliothèques Aide à l’élaboration de biographies
Prêt de livres autour de ces biographies
Aide à la création d’une bibliothèque
(bibliothèque dans le collège ?)
Maison des Dispositif « L’ami littéraire », Recherche d’écrivains
écrivains et résidences d’écrivains Formations
de la littérature
Réalisation de dossiers autour des écrivains
Aide à l’élaboration d’outils divers

128
Troisième espace : une contextualisation

Le lien éducation et culture sur un territoire peut se penser en termes systé-


miques. Chaque partenaire participe à la construction collective des parcours,
qu’il appartienne au monde de l’éducation, de la culture ou des associations, des
collectivités locales, afin de donner de la cohérence à l’ensemble.
Le territoire peut donc se comprendre dans les liens, les relations qui s’éta-
blissent entre les partenaires. Nous vous proposons ci-après un schéma illustrant
l’apport de chacun (structures culturelles, associatives, territoriales) dans un
projet commun. Cette construction partagée s’organise autour d’un collège et des
écoles de son secteur et peut s’étendre aux lycées. Le projet commun se décline
en différents temps suivant les publics (enseignants, partenaires, élèves, jeunes),
les temporalités et les espaces.

129
130
Pour la construction des parcours culturels en temps et hors temps scolaire

ÉCOLES
COLLÈGE
Partenaires secteur de recrutement
Structures
du monde artistiques
de l’entreprise et culturelles
et de l’artisanat Autres structures éducatives

Structures Archives,
La culture au cœur des apprentissages

nationales et musées,
Projet culturel partagé départementales, parcs nationaux,
Établissements Mise en festivals,
d’enseignement Pour les enseignants, les élèves, régionaux
cohérence orchestres
artistique, et ouverture les partenaires associatifs,
professeurs, sur des les jeunes structures éducatives Réseaux
intervenants en techniques des bibliothèques
milieu scolaire et des Temps Parcours culturels
de formation (accès à l’œuvre,
métiers
Ressources histoire des arts)
artistiques
Parcours de première
Accès sensibilisation Lectures Accès
au spectacle Accès au
Soutien technique Parcours de pratique publiques, au patrimoine
Propositions spectacle,
Pratique collective livres, naturel,
pédagogiques Parcours de concert et
lectures immatériel,
Enrichissement découverte cinéma
des métiers théâtralisées matériel
des apprentissages
Partenaires
locaux :
Outil 18 : représentation systémique d’un territoire culturel

associations Enrichissement de la proposition artistique


jeunesse, festivals, Mise en cohérence avec les politiques culturelles des Ouverture vers d’autres esthétiques
dispositifs locaux territoires (formations partagées, accès aux publics…) Découverte des métiers liés au monde du spectacle,
Contrats locaux culturels de l’architecture, des métiers d’art et de l’artisanat…
Troisième espace : une contextualisation

En bref Partager au lieu de différencier

• Repenser les projets d’école, les projets d’établissement, les contrats d’objectifs,
les projets des structures culturelles, des associations autour de lignes directrices
communes. Réaliser un diagnostic partagé, école, établissement du secondaire,
territoire, et établir des conventions cadres avec les partenaires.
• Construire des formations conjointes Éducation nationale, structures culturelles,
associations en réponse aux besoins spécifiques de ces acteurs et en lien avec les
lignes directrices définies.
• Apprendre à partager les ressources : le CDI (centre de documentation et d’informa-
tion au sein d’un collège) devient centre de ressources local, la restauration scolaire
est ouverte aux élèves du premier degré bien sûr, mais également à des associa-
tions… L’établissement est pensée comme lieu de vie locale.
• Envisager un directeur pédagogique de l’Éducation nationale sur un territoire qui
pourrait piloter plusieurs établissements scolaires, premier et second degrés, sur ce
territoire et développer des synergies. Une expérimentation pourrait être faite sur
des territoires ruraux ou dans des banlieues. Il s’agirait de remplir une fonction de
leadership spécifique, fondée sur une formation en sciences de l’éducation, sur une
capacité à opérationnaliser une pensée…

Principe 8. Développer le partenariat jusqu’à l’hybridation :


« Ecce homo hybridus6 »
Le partenariat évoque traditionnellement un mode de relation souvent
univoque entre deux individus ou structures. Caduques aujourd’hui dans une
société mouvante, les relations doivent désormais s’envisager selon une autre
approche. Nous allons donc développer dans ce principe une proposition de
cheminement qui conduit du partenariat à l’hybridation.

La fausse conception : opposer intérieur et extérieur


La place de la culture dans l’éducation se présente souvent sous une forme
duale, la culture savante et scolaire par les enseignements disciplinaires et la
culture extérieure par les partenaires et l’ouverture culturelle.
En France, l’éducation-institution fondée par les lois de Jules Ferry au
xixe siècle s’oppose à l’idée d’école-service, c’est-à-dire au service des familles.
S’il n’est probablement pas souhaitable d’inféoder sans limites l’école aux désirs
et besoins des parents, l’école-institution pose toutefois problème. En effet, la

6. En référence à Ecce homo de Friedrich nietzSche.

131
La culture au cœur des apprentissages

transmission des savoirs dont elle se donne la mission peut conduire à investir
les professeurs et seulement les professeurs de la construction éducative. Dans
cette opposition entre une école consumériste dont la pédagogie est tournée vers
une « conception bancaire7 » et une école libératrice dans laquelle « les hommes
s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde8 », le risque est de démis-
sionner et de laisser aux seuls enseignants et à la seule Éducation nationale la
responsabilité de l’éducation.
Dans l’école, bien souvent, les partenaires culturels, artistes, associations
sont invités afin d’illustrer un domaine disciplinaire ou de participer à une action
d’ouverture culturelle. En effet, et pour paradoxal que ce soit, l’école a bien
conscience de son enfermement disciplinaire et intellectuel et lutte contre lui
par la consommation d’actions et de partenaires. Ceux-ci vont intervenir, réaliser
une opération et parfois la monnayer sous une forme ou une autre sans que l’on
puisse qualifier ceci de partenariat. Dans ce cas, le partenariat n’est en fait qu’une
consommation réciproque dans laquelle aucune construction n’a été réalisée.
Il a cependant l’avantage de satisfaire l’ensemble des acteurs.

Entretien : un responsable associatif


Le partenariat avec un établissement scolaire, ses apports et sa définition nous sont
présentés par un responsable associatif.
L’association, à travers ses animateurs et son coordinateur, est partenaire des trois
collèges implantés sur son territoire. L’association est présente tout d’abord comme
« partenaire de l’intérieur ». Ainsi les animateurs sont régulièrement et fréquemment
présents dans le collège pour partager le quotidien des élèves, les temps de repas,
temps d’intercours… Les animateurs et le coordinateur participent aussi à l’élaboration
et à l’animation de projets divers (prévention, sorties scolaires, école ouverte) en lien
avec l’équipe enseignante et de vie scolaire du collège et parfois en présence d’autres
partenaires. Ces projets peuvent se concrétiser en temps scolaire comme extrascolaire.
Ensuite, au-delà de ce « partenariat de l’intérieur », l’association est aussi « partenaire
en périphérie », autour du collège. Sur des temps « hors scolaires », en semaine ou
pendant les vacances scolaires, les animateurs retrouvent des jeunes rencontrés à
l’intérieur du collège, pour des temps d’accueil et parfois d’accompagnement de pro-
jets de loisirs éducatifs. Les temps à l’intérieur du collège et les temps hors collège se
complètent et contribuent chacun à enrichir les relations éducatives entre jeunes et
animateurs de l’association.

7. Freire P., Lefay L. (traduction), Lefay M. (traduction), Pédagogie des opprimés, La Découverte,
collection « (re)découverte », 2001.
8. Ibid.

132
Troisième espace : une contextualisation

Pour l’association, de l’intérieur ou en périphérie, le partenariat avec le collège se


vit tout au long de l’année. Ce partenariat permanent ou continu peut être distingué
d’autres plus ponctuels ou discontinus. Partenaires permanents ou partenaires ponc-
tuels se retrouvent parfois dans des démarches de projets pilotées par le collège,
les seconds venant enrichir et ouvrir le partenariat noué par les premiers (continus)
et qui peuvent être parfois gagnés par la routine et l’essoufflement. Les partenaires
permanents peuvent partager souvent la caractéristique d’être locaux, du territoire de
référence. Ils peuvent être amenés à se côtoyer pour les projets communs vécus avec le
collège et ses élèves, et peuvent aussi se retrouver pour d’autres projets ou rencontres
dans lesquels le collège n’est pas. Certains partenaires issus de l’extérieur du territoire,
partenaires plus ponctuels ou réguliers, qui apportent une connaissance d’expériences
vécues sur d’autres territoires du département, de la région ou au-delà.
En plus de ces distinctions de régularité (le temps) ou territoriales (espaces géo-
graphiques et périmètres d’intervention), il me semble que l’on peut distinguer les
partenaires par leur nature, leur métier. Certains sont des spécialistes (apportant une
technique, porteurs d’une discipline particulière), d’autres sont plus polyvalents ou
généralistes et « passeurs d’expériences ». Enfin, il y a des partenaires de « gestion »
quand d’autres sont plutôt de « projet ». Les seconds seront à la fois des partenaires
qui, autour du collège, s’intéresseront au « pourquoi » et au « comment » des projets
quand les premiers semblent être avant tout garants d’un respect de réglementations
et de bonne utilisation de fonds publics.
Il me paraît indispensable que l’élève se rende compte que des partenaires (adultes)
multiples interagissent avec le collège et travaillent ensemble à la réussite de projets et
d’actions qui lui bénéficieront. Le partenariat doit se concrétiser dans des projets
et actions qui apportent à l’élève ouverture, diversité des formes d’apprentissage,
occasions de prendre des responsabilités, de réussir et de se mettre en lien avec « le
monde des adultes ». Le partenariat doit augmenter les chances pour l’élève de croiser
des regards d’adultes bienveillants, confiants dans les jeunes et porteurs d’espoir
pour l’avenir. L’enseignant peut attendre du partenariat du soutien pour la conduite
de projets hors « face-à-face pédagogique ». Des partenaires peuvent lui apporter des
compétences complémentaires, des contenus plus spécifiques. L’enseignant peut trou-
ver chez des partenaires des postures éducatives et pédagogiques permettant chez tel
ou tel élève un déclic, le passage d’un palier que l’enseignant seul, dans le cadre et le
temps dont il dispose, ne peut pas déclencher.
L’établissement et toute l’équipe éducative peuvent recevoir du partenariat des
apports, un enrichissement de contenu, une diversification des adultes présents
bénéfiques pour l’ambiance générale une ouverture. L’établissement peut augmenter
ses chances de garantir un parcours scolaire réussi et épanouissant à chacun de
ses élèves.
Chaque partenaire peut s’inscrire dans un ensemble de relations et de dynamiques
caractérisées par la réciprocité : chacun apporte et reçoit. Chacun partage des compé-
tences, des connaissances (des élèves notamment), du temps, des moyens d’actions,
et chacun augmente ses possibilités de mener à terme des projets avec les élèves, de
conduire ses missions.
Un partenariat réussi autour d’un collège devrait aboutir au renforcement d’une cohé-
sion et d’une cohérence éducative à l’échelle d’un territoire. Un partenariat réussi

133
La culture au cœur des apprentissages

se traduirait par l’existence d’une communauté éducative forte de sa diversité de


membres (enseignants, chefs d’établissement, bénévoles, professionnels associatifs
et institutionnels, élus, parents, artistes…) et porteuse d’une vision partagée d’une
société réservant une place centrale à ses enfants et à ses jeunes. Avec un partena-
riat réussi, les membres d’une communauté éducative réaliseront ensemble et avec
les élèves des projets culturels de nature à rayonner sur l’ensemble d’un territoire
et porteurs de sens pour toutes les familles et les habitants de ce territoire. Une des
conditions essentielles pour la réussite du partenariat autour d’un collège est alors
que le chef d’établissement soit porteur de cette vision d’une société confiante en ses
enfants et ses jeunes, qu’il ait réfléchi à une stratégie de partenariat et qu’il ait (et se
donne ?) les moyens d’animer et de mettre en œuvre cette stratégie au service d’une
vision partagée.

L’approche théorique : envisager de nouvelles formes de partenariat


Le partenariat dans l’Éducation nationale est souvent construit autour d’une
relation que nous pourrions considérer de consommation. La plupart des struc-
tures, associations, organismes culturels ont une obligation éducative envers
l’école, tous espèrent pouvoir tisser des liens avec l’éducation. Mais comment
cela se passe-t-il dans la réalité ? Lorsqu’un enseignant demande l’intervention,
par exemple, d’un guide du patrimoine, c’est très souvent pour illustrer son
cours d’histoire ; les ateliers proposés par l’école de musique doivent intégrer
le programme d’éducation musicale. Toutes ces offres culturelles doivent corres-
pondre à un point précis du programme. On parle volontiers d’ouverture cultu-
relle comme ces moments, le soir, réservés à certains élèves volontaires qui sont
l’occasion d’assister à un spectacle. Le monde culturel offre des prestations qui
se transforment très vite en un produit pédagogique de consommation. Nous
assistons même à la production par certaines structures culturelles, certaines
compagnies de dossiers dits « pédagogiques »…
Loin de nous de refuser ce type de pratiques car, pour certains élèves, cela sera
le seul moment où ils auront la chance de rencontrer la culture, et loin de nous
aussi de ne pas reconnaître le travail de sensibilisation que certains enseignants
passionnés font dans leur classe depuis de nombreuses années. Mais, comme
le dit Philippe Perrenoud, « l’école a son espace propre, protégé des fureurs
du monde. On y enseigne et on y apprend. Les autres activités sociales n’y ont
pas droit de cité, ou alors seulement sur “invitation” et parce qu’on leur prête
des vertus éducatives. Cet espace n’est pas clos, mais il prétend maîtriser son
ouverture9 ». C’est comme si tout « objet culturel » entrant dans l’école se

9. Perrenoud Ph., Espaces-temps de formation et organisation du travail, Texte d’une intervention


au colloque « Repenser les espaces éducatifs », Fondation Gulbenkian, 28-30 novembre 2001.

134
Troisième espace : une contextualisation

transformait, se métamorphosait et perdait ainsi sa « liberté » culturelle, pour


venir, comme une belle image, donner une couleur, une saveur à une discipline
qui peine à retrouver le sens premier de ses origines. Cette école annexe, l’espace
de quelques actions menées en partenariat, des territoires étrangers et cette
même école s’évertue à transformer ces actions pour les rendre « utiles » à son
propre système interne…
C’est pourquoi nous souhaitons, dans un premier temps, interroger ce mot
partenariat, interroger ses acceptions, ses pratiques afin d’envisager dans un
deuxième temps d’autres perspectives, peut-être plus enrichissantes pour l’élève
au-delà de ce processus d’offre et de demande.
Partenariat est un mot récent, entré dans le dictionnaire Robert en 1984. Il
désigne l’association de partenaires, visant ainsi à établir des relations, des
collaborations… Ces partenariats se construisent toujours autour d’une action
qui n’est ni commanditée, ni déléguée, ni encore moins simplement financée,
cette action est donc obligatoirement négociée. Le partenariat entre institutions,
l’Éducation nationale et les structures culturelles, par exemple, doit supposer,
comme l’explique Danielle Zay, « le constat de problèmes communs, le diagnostic
de l’intérêt d’une action concertée, la définition d’objets cadrés dans le temps, la
répartition claire des zones d’intervention et de responsabilités de chacun, des
modalités de régulation de l’action en cours, le souci d’établir des procédures
d’évaluation de l’action selon des critères acceptés par chacun des partenaires10 ».
Nous comprenons très vite que les pratiques actuelles sont déjà bien éloignées
de ces acceptions premières.
La relation entre partenariat et travail conjoint permet d’appréhender une
organisation des partenariats. Corinne Mérini a observé que les actions partena-
riales se structuraient souvent autour de trois types de réseaux d’ouverture et de
collaboration (ROC). Elle a ainsi établi une cartographie de chaque réseau à partir
des indicateurs suivants :
–– la durée de l’action ;
–– le type d’ouverture mis en place ;
–– la forme du réseau ;
–– les enjeux de l’action.
Elle a ensuite classé les dispositifs en différentes catégories, en voici deux, les
plus utilisés à l’école.
« Le ROC 1 est un réseau d’action de type “regard”. Il s’agit d’aller voir à
l’extérieur de l’école ou de faire venir quelqu’un dans l’école pour rencontrer ou
pour entendre (deux à trois heures) qui s’organise autour d’un témoignage ou

10 . Zay D., Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, 2e édition, Nathan, 1998.

135
La culture au cœur des apprentissages

d’une visite. Ce réseau est centré sur le commanditaire – ici l’enseignant – afin
de faciliter la circulation de l’information11. » Cette catégorie correspond à ce que
les enseignants nomment souvent « ouverture culturelle » et qui vient illustrer un
point précis du programme.
« Le ROC 2 est un réseau de type “action”. Le temps de l’action va être
moyennement long (six à douze semaines), c’est le cas par exemple des ateliers
de pratiques artistiques et culturelles. Le réseau a une forme binaire, d’un côté,
les partenaires qui proposent leur terrain et (ou) leur savoir-faire et, de l’autre, la
classe12. » Cette catégorie inclut la pratique de l’esthétique concernée.
Nous retrouvons dans ce type de partenariat tous les projets montés avec des
artistes ou des structures culturelles, ce qui correspondait, dans le plan Tasca-
Lang13 « arts et culture », aux classes à PAC (projet artistique et culturel). La forme
de partenariat la plus largement utilisée par les établissements scolaires est le
type 1, un échange court dont le commanditaire est l’enseignant.
Ces types de partenariats restent relativement figés, la finalité semble être
l’élément le plus important. Ces actions sont, pour la plupart, comme nous l’avons
déjà suggéré, des objets culturels au service de l’Éducation nationale. Cette façon
d’envisager le partenariat est particulièrement limitative et ne concerne l’élève
que dans son contexte scolaire d’apprentissage ; à aucun moment d’autres
temporalités sont interrogées, par exemple la possibilité d’actions en dehors de
l’école dans une continuité et non une opposition, comme éléments constitutifs
d’un parcours culturel. Le partenariat devrait être conçu comme « un mode d’or-
ganisation qui solidarise les acteurs issus de mondes divers autour de ce qui fait
problème dans une situation donnée » et cela afin de permettre la construction
« des communautés sur la base des différences de chacun14 ».
« Par son étymologie (en latin hybrida signifie “sang-mêlé”), le terme “hybri-
dation” évoque une fécondation qui ne suit pas les lois naturelles : c’est le fait
de croiser deux espèces ou deux genres différents, pour provoquer la naissance
de spécimens réunissant, à un degré plus ou moins marqué, des caractères
spécifiques des deux parents. Si l’hybridation intergénérique est assez rare
dans la nature (le mulet, produit du croisement de l’âne et de la jument, en est
l’exemple classique), l’hybridation interspécifique est beaucoup plus fréquente,

11. Mérini C., « Le partenariat : histoire et essai de définition », Actes de la Journée nationale de
l’OZP, 5 mai 2001.
12. Ibid.
13. Plan « Tasca-Lang » de développement des arts et de la culture à l’école en 2000.
14. Mérini C., « Trois obstacles au développement du partenariat », Cahiers pédagogiques,
Hors-série n° 24, janvier 2012.

136
Troisième espace : une contextualisation

en particulier dans le règne végétal : les flores sont riches en exemples d’hybrides
entre espèces apparentées15. »
L’hybridation permet une nouvelle forme du partenariat, de la coopération
qui consiste à se répartir les tâches à la collaboration qui, par la coconstruction,
permet de partager objectifs et compétences au service de l’élève. Nous nous
retrouvons actuellement dans une société où la culture est multiforme, sans
frontières, poreuse… Les esthétiques se mêlent, les artistes investissent les lieux
de vie, notre environnement s’ouvre et retrouve son histoire dans une contem-
poranéité sans cesse réinventée. Cette porosité culturelle nous entraîne dans un
nouvel agencement des partenariats. L’école ne peut plus rester enfermée dans
ses murs et consommer du « culturel »… Elle doit aussi répondre aux changements
de la société, sous peine de perdre une grande partie de son rôle éducatif. C’est
donc dans un souci d’élaboration de formes nouvelles, en réponse à ce monde qui
bouge, qui change, qu’il nous faut apprendre à construire autrement et utiliser ces
transversalités culturelles actuelles pour dépasser et aller au-delà de la simple
approche par les connaissances, qui souvent favorise uniquement le bon élève.
C’est pourquoi l’hybridation nous semble être une réponse pertinente, dans le
sens où elle élabore de nouvelles formes de relations – l’hybridation comme mise
en œuvre de situations favorisant les rencontres, les échanges et donc particuliè-
rement la transversalité. Il nous faut penser la pluralité des apports au-delà de la
seule approche didactique, envisager que l’Éducation nationale peut construire
par confrontation, par échanges et par approches plurielles. Ces nouveaux agen-
cements permettront ainsi une nouvelle mise en contexte où le territoire prendrait
toute sa place, s’inscrivant dans une dynamique de construction de projet culturel
de société.
Le territoire devient donc le cœur de ces recompositions, agencements et
hybridations qui convoquent les connaissances, mais aussi l’éphémère, l’humain
et le sensible. Des figures différentes émergent de rencontres et coopérations
inattendues, de pratiques renouvelées et revisitées, de croisements au-delà des
temporalités classiques. Les murs de l’école s’ouvrent enfin et durablement vers
des territoires devenus poreux, permettant ainsi de nouvelles constructions et
des modalités de coopération innovantes vers la fabrique de nouveaux territoires.
C’est dans cette perspective que nous aborderons le partenariat, et plus
particulièrement celui qui marque l’ouverture de l’établissement vers d’autres
acteurs, d’autres logiques, d’autres univers qui n’ont a priori pas vocation à
œuvrer ensemble.

15. Article « Hybridation », Encyclopedia Universalis, 2013.

137
La culture au cœur des apprentissages

Notre mise en œuvre : chacun doit trouver sa place


Comment construire la cohésion, la cohérence éducative autour de l’élève à
l’échelle d’un territoire ? La culture est portée par la société, les objets culturels
sont partagés avec les autres acteurs sociaux, culturels, artistiques, politiques.
La culture est le seul élément que tous peuvent offrir et coconstruire avec l’édu-
cation.

Comment ?
Pour permettre ce type d’organisation au sein d’un territoire, il nous faut être
très attentifs à ce que chacun puisse trouver sa place. Le pilotage est donc essen-
tiel et le chef d’établissement par sa situation peut tout à fait l’assumer. Chaque
partenaire doit être actif, il est important de dépasser l’approche uniquement
didactique, sans pour autant se retrouver dans un relativisme qui déstabiliserait
les équipes. Il semble donc essentiel de créer des outils et, en l’occurrence, un
référentiel commun au projet est indispensable.
En amont, l’équipe formée doit déterminer les objectifs visés, les actions qui
seront mises en œuvre doivent interroger le rôle de chaque partenaire, ainsi que
l’évaluation. On comprend aisément que ces nouvelles formes de rencontres et
d’échanges ne seront plus dépendantes de la durée, ni de la forme, mais que cette
hybridation des pratiques, nouvel agencement du territoire, apparaît alors comme
un processus à un moment donné et non comme une finalité. Face à des réponses
stéréotypées, l’hybridation apporte une incertitude créatrice.

Les outils proposés


La difficulté à établir des relations de coconstruction avec des partenaires
nous amène en préambule à présenter deux exemples en lien avec :
–– une résidence artistique autour d’un auteur-compositeur de chansons ;
–– un projet autour de la filière bois.
L’opérationnalisation de ces deux propositions s’est réalisée dans un passage
progressif d’actions impliquant des partenaires à des actions coconstruites avec
eux. Dans le premier exemple faisant intervenir un auteur-compositeur, les écueils
évités ont été :
–– la réalisation de chansons par l’équipe de l’école ouverte (professeurs et
animateurs) à la manière de l’auteur-compositeur ;
–– la réalisation de chansons déléguée à l’auteur-compositeur qui travaillerait
seul avec les élèves et qui fournirait ainsi un produit consommé par l’école ;
–– la réalisation d’un spectacle scolaire vu par les familles alors que les élèves
ne sont pas des artistes. Dans ce cas, l’instrumentalisation des élèves ne
les amène pas à progresser, à donner du sens au monde qui les entoure,
mais à entrer dans une forme de consommation ;

138
Troisième espace : une contextualisation

–– la transformation des élèves en exécutants pour une prescription artistique


comme lors d’un apprentissage scolaire, la forme, le fond étant prévus dès
la construction de l’action.
La coconstruction a ainsi valorisé la créativité, des outils conceptuels ont été
mis à disposition des élèves (comment créer un texte, matériaux pour la création,
matériaux pour la mise en musique). Un accompagnement conjoint artiste, école
de musique, animateur, professeur s’est mis en place. La restitution a consisté à
participer à un concert du groupe avec trois chansons intégrées dans la program-
mation. Les élèves ont donc, à travers une forme scolaire, participé à un véritable
concert avec ses professionnels, son public. Chaque partenaire a conservé son
rôle dans une logique de complémentarité. Le partenariat a permis d’atteindre un
bien commun supérieur à l’ensemble des atteintes individuelles possibles.
La construction de nombreuses relations partenariales nous a amenés à
nous interroger sur une typologie des propositions faites par ces partenaires et
des postures découlant de ces propositions. Le partenariat envisagé dans leur
matière permet aux enseignants de créer ensuite des situations d’apprentissage
plus cohérentes, en complémentarité avec les autres activités scolaires.
Nous proposons ci-dessous un court tableau faisant émerger les grandes
formes que prennent souvent les actions avec les partenaires. Nous essayons de
mettre en regard cette typologie avec les postures adoptées par les intervenants.

Outil 19 : positionnement des partenaires

Conférence, rencontre, débat : apport de connaissances, échanges


Typologie Rapport à l’objet, l’œuvre : visite musée, exposition, patrimoine, spectacle…
des Sensibilisation, découverte : animation, atelier de courte durée…
propositions Temps fort : résidence, festival, action sur un temps plus long…
Pratique : atelier, cours, association…

Expert : apporte des connaissances, des savoirs particuliers


Animateur : fait découvrir
Posture
Médiateur : met en relation
des partenaires
Passeur : accompagne une pratique, un savoir-faire
Révélateur : donne du sens, fait réfléchir

Par exemple, dans le cas du projet construit autour de la résidence de l’auteur-


compositeur, nous avons pu relever au moins quatre types de propositions :
1. Temps fort : résidence de l’artiste (rencontre, travail, œuvre…).
2. Rapport à l’objet : la chanson française (accès à différents concerts, écoute
d’œuvres avec les intervenants de l’école de musique, discographie…).
3. Sensibilisation : au-delà d’une première sensibilisation apportée lors de
la résidence artistique, des ateliers divers ont permis aux élèves d’approcher

139
La culture au cœur des apprentissages

l’écriture, le texte, la musique… Ces ateliers ont été proposés par l’école de
musique, les associations jeunesse et les bibliothèques.
4. Pratique : des ateliers « chorale », ou encore écriture de chansons, peuvent
permettre à l’adolescent de pratiquer chaque semaine. Ces pratiques régulières
sont le fruit d’un choix individuel suite à la sensibilisation, la rencontre dans le
temps de l’école. Ce type de proposition doit rester en dehors de l’école et venir
enrichir les parcours personnels culturels des élèves.
Les postures des partenaires selon ces entrées ont permis de mettre en lien les
enseignements, mais aussi le territoire et le hors-temps scolaire.
1. Temps fort – postures : l’artiste s’est positionné alternativement en tant
qu’expert (sa qualité de professionnel du monde de la chanson française), comme
passeur en mettant en relation d’autres artistes, d’autres écritures avec son
travail, et aussi comme révélateur en donnant du sens au travail effectué dans les
enseignements de français, de musique.
2. Rapport à l’objet – postures : les propositions des différents partenaires ont
permis aux élèves de découvrir (animateur) l’univers de la chanson française.
3. Sensibilisation – postures : les différents intervenants de l’école de musique,
du milieu associatif, ainsi que les bibliothèques ont accompagné les jeunes dans
des pratiques (passeur).
Notre second exemple porte sur la filière bois. Ce projet répond à un constat :
des élèves avec peu d’ambition et qui, souvent, se retrouvent dans ces métiers.
Pourtant, ce secteur économique pourrait développer pour ces jeunes des débou-
chés intéressants à tous les niveaux socioprofessionnels. Le travail du bois est
un vaste réseau qui part des métiers de la forêt (forestier, coupeur, garde…),
en passant par le travail d’usinage de ce bois pour aller à la construction et au
design, voire à l’objet d’art.
Il nous a semblé intéressant de construire un projet qui prenne naissance dans
une particularité du territoire, comme ici avec une commune « porte » d’un parc
régional et développant une filière bois importante. Mais au-delà des métiers clas-
siques, orientation régulière des élèves du collège (scieries ou forêts), nous avons
souhaité visiter l’ensemble des possibles pour favoriser une autre ambition, vers
des métiers spécialisés et performants (construction, design…) et pourquoi pas
jusqu’au métier d’art (compagnonnage, artisan…). Les partenaires sollicités, outre
les collectivités (communes, conseil général), seront de différents types :
–– les particuliers : familles, entreprises locales… ;
–– les structures départementales et nationales ayant une antenne départe-
mentale : parc régional, CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de
l’environnement), chambre des métiers, CNDB (Centre national du bois),
Office national des forêts ;

140
Troisième espace : une contextualisation

–– les professionnels : Confédération de l’artisanat et des petites entreprises


du bâtiment (CAPEB), ordre régional des architectes (architectes, desi-
gners).

Un référentiel commun sera élaboré, comportant quatre objectifs à atteindre ;


ces objectifs seront accompagnés d’une proposition de mise en œuvre qui pourra
servir d’indicateur pour l’évaluation, ainsi que des propositions d’actions en lien
avec les partenaires associés.

Outil 20 : référentiel d’objectifs partagés

Quelques Typologie des Postures


Mise en œuvre/
Objectifs propositions propositions des
évaluation
d’actions possibles partenariales partenaires

Développer Proposer des Visites du territoire Sensibilisation Animateur :


la connaissance actions autour avec guide du parc, il fait
de son territoire du paysage et de découverte découvrir
naturel ses composantes du patrimoine
en lien avec paysager
les partenaires et patrimonial
concernés (parc
régional)

Développer Découverte Sensibilisation Animateur


des actions de la filière bois
permettant et de ses étapes
de comprendre sur le territoire
les étapes et au-delà
de la filière bois

Favoriser Mettre en place Chaque entreprise Sensibilisation Passeur


la mixité un parrainage entre ou collectivité
sociale les professionnels proposant une
et le vivre et les élèves étape de la filière
ensemble bois instruit une
action avec un
groupe d’élèves avec
l’obligation d’une
réalisation (objet,
exposition, visite…)

Favoriser les temps Proposer à chaque Rencontre Révélateur


d’échanges et groupe des temps
de réajustement institutionnalisés
du projet d’échanges réguliers

Réaliser un temps Proposer un temps Temps fort Médiateur


fort mêlant fort de restitution
l’ensemble
des publics

141
La culture au cœur des apprentissages

Quelques Typologie des Postures


Mise en œuvre/
Objectifs propositions propositions des
évaluation
d’actions possibles partenariales partenaires

Mettre Réaliser des actions Réaliser des actions Atelier Expert


en relation où plusieurs mêlant les différentes
les actions avec disciplines seront disciplines : réaliser
les disciplines sollicitées, avec de nouveaux
scolaires un professeur meubles pour le CDI,
référent avec l’aide d’un
architecte designer

Favoriser Proposer Proposer pour Rencontre, Révélateur


une orientation des actions chaque action débat
choisie en lien avec la réalisation
et ambitieuse des parcours des fiches métiers
de formation correspondantes…

Développer En plus de proposer Rencontre, Passeur,


le lien avec pour chaque action débat révélateur
les entreprises sous la réalisation
la forme de tutorat des fiches métiers
et de stages correspondantes,
prévoir des temps
en entreprises
lors des différentes
actions…

Nous voyons dans cet exemple comment le collège, par l’intermédiaire de son
chef d’établissement et de l’équipe pédagogique, va s’emparer du « savoir-faire »
de son territoire pour aller à la fois transformer et enrichir des savoirs (connais-
sances, savoir-faire, savoir-être), donner du sens à des parcours d’orientation et
permettre à des élèves en difficulté de trouver dans de nouveaux parcours une
ambition qui favorisera la réussite de chacun… Mais au-delà de l’atteinte des
objectifs déterminés en commun, le territoire pourra lui aussi s’enrichir, peut-être
s’ouvrir sur de nouveaux métiers et, surtout au regard de sa population et des
familles, devenir un territoire intéressant et non ce territoire rural qui n’offre que
peu de perspectives. On pourra observer que le référentiel est devenu l’outil de
pilotage et que les actions pourront prendre des formes multiples, dialoguant
entre elles, en temps courts et d’autres plus longs, réguliers ou non, mêlant
enseignants, familles, partenaires, sur un territoire qui, au fil des agencements,
prendra une autre dimension.

142
Troisième espace : une contextualisation

En bref Construire ensemble

• Trouver la troisième voie entre consumérisme et irresponsabilité sociale par la


coconstruction d’actions de partenariat menant à une hybridation par la culture et
dans la culture.
• Construire des approches pluridisciplinaires impliquant un partenaire culturel qui
coconstruit.
• Refuser la consommation culturelle par les enseignants et l’instrumentalisation des
élèves par les partenaires.
• D’un point de vue organisationnel, créer des équipes projets dans lesquelles il y a
égalité entre les partenaires (le partenaire n’est pas instrumentalisé par l’école et
vice versa).
• Repenser le temps au sein de l’établissement en supprimant à certains moments le
rythme une heure, un professeur, une discipline.
• Construire des référentiels communs avec les partenaires.

Principe 9. Considérer les temporalités :


« luxe, calme et temporalités16 »
Comment considérer le temps de l’éducation et le transposer dans une institu-
tion comme l’Éducation nationale ? Les temps à prendre en compte sont-ils ceux
de l’enfant, ceux de l’institution, ceux du monde extérieur ?

La fausse conception : l’heure de cours comme unique moyen


d’apprentissage
L’école s’organise autour de temporalités spécifiques qui rythment la vie des
élèves, des familles, des établissements, voire de la nation. Ainsi, tout changement
dans la structure horaire devient un sujet de débat et de controverse, comme en
témoigne la concertation développée depuis la rentrée 2012 autour des rythmes
scolaires. Cette approche présuppose que l’acte d’éducation se détermine en un
moment précis, presque ritualisé : l’année scolaire et, en creux, les périodes de
vacances, la semaine scolaire et, en creux, les activités personnelles des acteurs
de l’éducation, la journée scolaire et enfin l’heure de cours.
Cette heure de cours, référence constante de l’emploi du temps des élèves, du
temps de service des enseignants, détermine le temps de l’apprentissage comme
au théâtre avec l’unité de temps, de lieu (la salle de cours) et d’action. Cette

16. En référence à L’invitation au voyage de Charles Beaudelaire.

143
La culture au cœur des apprentissages

approche ramène l’acte éducatif à une expression unique et suppose que seules
les actions de ce moment privilégié, par ailleurs disciplinaire, peuvent concourir
véritablement à l’éducation, les autres temps appartenant au périscolaire, aux
loisirs, au temps perdu…

Entretien : Anne Barrère, sociologue de l’éducation


L’école peut-elle encore considérer l’élève uniquement dans sa dimension scolaire ?
Il n’est pas simple de répondre à cette question dès que l’on se demande précisément
ce que signifie concrètement d’envisager, comme le disent les textes officiels depuis
une vingtaine d’années, l’adolescent « globalement ». Envisager le contexte de vie
d’un élève, sa trajectoire personnelle, certains de ses problèmes de vie peut paraître
une démarche salutaire et favorable à l’apprentissage ainsi qu’à un bon climat péda-
gogique. L’école française a une tradition historique de méfiance de l’enfance et de
l’adolescence, qui, même si elle est estompée aujourd’hui, continue à faire penser
qu’elle est trop centrée sur les dimensions purement scolaires de la transmission. Mais
de quoi parle-t-on lorsqu’il est question de dimension non scolaire ?
Des recherches montrent qu’une trop grande contextualisation sociale des appren-
tissages peut arriver à des attentes moins fortes face aux élèves, et du coup à une
moindre exigence qui construit des inégalités. Et les adolescents eux-mêmes ne sont
pas forcément favorables à ce que l’école fasse intrusion dans leur autonomie adoles-
cente ! Par contre, ils se plaignent effectivement de ce que les enseignants ne les consi-
dèrent, plus ou moins bien, qu’en fonction de leurs résultats scolaires ; ils aimeraient
une relation pédagogique qui en soit plus indépendante. C’est peut-être cela qui serait
le plus nécessaire : favoriser une relation pédagogique qui ne réduirait pas l’élève à
ses résultats et qui le reconnaîtrait, par ailleurs, dans ses intérêts et sa personnalité
globale. Il est clair d’ailleurs que le plébiscite général pour les sorties, voyages et cer-
tains projets scolaires tienne au fait qu’adultes et élèves s’y voient « autrement », ce
qui montre un réel besoin en la matière.
La culture inscrite dans son territoire, dans ses temps, joue un rôle dans la réussite
scolaire. Des études montrent que les pratiques culturelles organisées dans les
conservatoires ou écoles de musique, de théâtre, de danse sont corrélées avec des
résultats scolaires meilleurs que la moyenne. Mais ce type de corrélations est difficile à
interpréter et à transformer en causalités. En fait, les activités culturelles et artistiques
proposées aux jeunes dans des institutions ou associations apparaissent très proches
de l’école par leur cadre.
Certains chercheurs comme Joël Zaffran, dans son livre, Le Temps de l’adolescence, en
parlent comme de loisirs « quasi scolaires ». Ils supposent des contraintes de temps,
de travail, d’investissement et parfois de performance proches de l’école. Mais à la
fois, ces formes institutionnalisées de culture peuvent souffrir des mêmes maux que
l’école : désinvestissement, découragement des jeunes devant de mauvais résultats…
Toutefois, dans un ancien travail sur les lycéens, j’avais mis en évidence que toutes
les activités structurées en dehors de l’école contribuaient aussi à construire un
« agenda », où les devoirs pour l’école finissaient par prendre place dans un emploi du

144
Troisième espace : une contextualisation

temps structuré. Par contre, les loisirs très informels des sociabilités juvéniles et de ses
sorties, ou encore de la télévision et de l’ordinateur, rendent cette gestion plus difficile.
Le pari de l’institution scolaire française, lors de la massification de l’enseignement
secondaire, était bien de rendre la culture de l’élite accessible à tous ! L’absence de
réflexion globale sur les programmes scolaires en France témoigne de l’espoir mis dans
les transformations structurelles plus que dans des contenus. Pourtant, ceux-ci ont
malgré tout évolué, dans le sens d’une diversification des objets et courants culturels
accueillis à l’école : littérature de jeunesse, culture de l’image, culture numérique ont
fait leur entrée à l’école, avec plus ou moins de force selon les postures des ensei-
gnants.
Par ailleurs, qu’est-ce que la culture de l’élite ? Sa définition ne fait plus l’unanimité,
à l’heure où les cadres supérieurs et les milieux bourgeois écoutent davantage de
rock parfois que d’opéra et font aussi du karaoké ! Sa définition traditionnelle comme
culture de la « classe dominante » est discutée à l’heure où les sociologues de la
culture, après le sociologue américain Richard Peterson, parlent de nouvelles fractures
entre « éclectiques », capables de circuler entre plusieurs types de culture, et non-
éclectiques, « enfermés » dans un seul type de culture, en haut ou en bas de la société.
Bernard Lahire a par ailleurs bien montré, dans La culture des individus, que les
jeunes scolarisés arrivaient justement à circuler entre plusieurs types de culture, les
jeunes de milieux populaires, parce que la culture académique de l’école leur apporte
d’autres références, et les jeunes de milieux aisés, parce que la sociabilité juvénile
aujourd’hui se fait aussi largement par la diffusion de modèles culturels appartenant
aussi aux cultures populaires et urbaines actuelles. Le problème s’est donc complexifié
aujourd’hui, mais le rôle de l’école, s’il s’est infléchi, reste central dans ce qui est non
plus la transmission d’une culture monolithique, mais l’aptitude à diversifier ses réfé-
rences et ses capacités de circulation.
Pour proposer seulement quelques connexions dans toutes les relations possibles
entre ces concrets, culture, temporalités, école, égalité des chances, je pense que la
culture scolaire aujourd’hui a du mal à se définir, d’une part, parce que l’égalité des
chances est trop mise à mal dans la réalité pour qu’elle y trouve une légitimation très
stable et, d’autre part, parce qu’elle a largement perdu sa position de monopole, en
raison de tous les accès non institutionnels, en particulier numériques, aux savoirs et
à des formes de culture très diversifiées. Elle doit refonder son projet éducatif, autour
d’une idée forte, ce qu’interdit une vision en termes de course et de concurrence sco-
laire – où il y aura toujours des perdants – et en articulant les aspects patrimoniaux
d’une culture qui reste à transmettre et des formes de culture vivante, vécue ou prati-
quée, où évoluent les adolescents en dehors de l’école.
Par ailleurs, la question des temporalités est intéressante : la culture scolaire se définit,
surtout dans l’enseignement secondaire, par son caractère impersonnel, mais aussi sa
temporalité immuable, cyclique et cumulative. Certes, bien des dispositifs tentent de
la personnaliser, bien des projets cherchent à rompre la routine des matières et des
périodes qui se succèdent en introduisant des temporalités plus longues, ou même
cherchent à favoriser des logiques de remédiation ou de rattrapage des savoirs non
assimilés. Mais les adolescents font l’expérience, en dehors de l’école, de tempora-
lités beaucoup plus brèves, de polyactivité et sont dans des logiques constantes de
découverte et d’exploration d’activités. L’école, si elle ne saurait être dans une pure

145
La culture au cœur des apprentissages

logique d’adaptation et si elle a sans doute vocation à défendre un temps long contre
le « zapping permanent », doit au moins se poser la question de la légitimation de
temporalités aussi éloignées de la vie sociale actuelle, mais aussi peut-être en explorer
partiellement de nouvelles.

L’approche théorique : Chronos, Kairos et Aiôn


Il nous faut observer comment se présente « le temps » dans l’éducation.
L’école, institution pleinement représentative de la société, s’est construite
en privilégiant l’accumulation des connaissances, organisant les temps selon
des modèles individuels qui se juxtaposent et où seuls comptent les résultats
et performances et non les processus. L’école s’inscrit donc en général dans
la sempiternité, c’est-à-dire dans des formes indéfinies dans le temps et non
sujettes à une évolution. Ces permanences temporelles rythment l’école en
constituant le Chronos. Cependant, l’Aiôn symbolise ce temps, cette immobilité
pendant laquelle une modification est possible afin de construire ce futur en lui
donnant sens. Enfin, le Kairos sera ce « bon moment », pendant lequel l’action
devient possible et opère un basculement. Nous considérons donc que le Chronos
actuel de l’école ne fonctionne pas de manière satisfaisante (décrochage…) et
que le moment d’agir est venu avec ce temps métaphysique, le Kairos, qui nous
inscrira dans une nouvelle période, l’Aiôn, en l’occurrence le territoire apprenant,
précurseur d’un nouveau Chronos. Notre travail vise par conséquent à synchroni-
ser, mettre en cohérence et en sens le Chronos (les jalons temporels) et le Kairos
(la motivation et le sens) du parcours d’apprentissage de l’élève.
Le temps de l’éducation devient une condition relative à la durée. L’école,
particulièrement dans le second degré, s’organise en heures de cours, indépen-
dantes les unes des autres, mais répondant dans leur ensemble aux demandes
institutionnelles des programmes de l’Éducation nationale. Il serait légitime de
penser que ces « emplois du temps » se construisent en regard de différents
axes, comme par exemple les difficultés scolaires, ou pourraient être modifiés
à chaque période pour favoriser la cohérence des apprentissages, ou dans une
logique de projets transversaux. Dans la réalité, nous sommes très éloignés de
ces approches, ces emplois du temps répondent à des demandes individuelles,
une fiche de « vœux » est d’ailleurs renseignée par les enseignants en fin d’année
scolaire. Les professeurs s’organisent au mieux par rapport à des impératifs
de postes (interventions sur plusieurs établissements) ou par rapport à des
demandes personnelles, comme, par exemple, pouvoir disposer d’une matinée
ou éviter l’émiettement de leur présence dans l’établissement…
À cette organisation utilitaire, personnelle et peu cohérente avec les appren-
tissages des élèves, il serait préférable d’envisager l’école comme l’ensemble des
pratiques éducatives et culturelles qui permettent l’émancipation des individus.

146
Troisième espace : une contextualisation

Une praxis éducative, permettant ainsi une modification des rapports et dont
l’organisation temporelle serait une vraie résultante et une vraie réponse. C’est
dans leur sens de parcours d’éducation qu’il nous semble intéressant d’interro-
ger les temporalités. Des parcours qui offrent des possibilités de rencontres, qui
questionnent le quotidien en référence aux objets du passé, qui proposent des
outils conceptuels, mais aussi culturels, afin de donner du sens et de la cohérence
à l’ensemble des apprentissages.
Il faut donc envisager plusieurs temps et favoriser le temps pensé et construit
au lieu de celui subi et chronologique. Il faut aussi apprendre à rechercher les
composantes les plus courtes de ces temps et les assembler, les solidariser
comme nous le proposait déjà Gaston Bachelard : « Le temps ne se remarque que
par les instants ; la durée n’est sentie que par l’instant. Elle est poussière d’ins-
tants, mieux, un groupe de points qu’un phénomène de perspective solidarise
plus ou moins étroitement17. »
Retrouver ainsi tous les temps qui vont permettre l’émergence de ces
« histoires de vie », associer, faire dialoguer les temps personnels, les institu-
tionnels, les familiaux, les en-groupes, les entre-pairs et les temps où l’enfant,
l’adolescent est seul.
Il est maintenant indispensable de réfléchir en intégrant le temps global pour
réaliser un tissage de sens entre tous ces temps multiples, mais aussi de le penser
en relation avec l’action, comme le temps des loisirs, celui du travail, de l’appren-
tissage ou encore celui du désœuvrement. Il semble intéressant d’appréhender le
temps comme facteur pédagogique comme nous le propose Aniko Husti : « C’est
par ce fait qu’on a transformé le temps comme un impératif neutre en une variable
pédagogique. On pourrait considérer le résultat de cette démarche comme la
création d’une variable nouvelle de l’enseignement : le “temps” mobilisé par le
professeur est devenu un facteur intrinsèque et significatif de l’enseignement et
de l’apprentissage18. » Envisager de cette façon les différents temps de l’élève, de
l’enfant et de l’adolescent dans un système qui pourrait être considéré comme
celui de la « reliance éducative » pouvant ainsi valoriser d’autres savoirs déve-
loppés en dehors du temps scolaire, comme le développement des capacités
relationnelles, l’épanouissement personnel, l’autonomie et la capacité à trans-
férer les apprentissages. « Notre conception actuelle de l’éducation est devenue
trop étriquée », affirment Roger Sue et Marie-Françoise Caccia, « elle passe certes
par l’école, qui fait bien son travail, mais par bien d’autres modes d’activités,

17. Bachelard G., L’intuition de l’Instant, Stock, 1932 (édition poche 1994).
18. Husti A., Temps mobile, INRP, 1985.

147
La culture au cœur des apprentissages

familiales, associatives, périscolaires, qui devraient être intégrées dans un projet


éducatif global19… »
L’Éducation nationale a très souvent essayé d’inscrire dans ses documents et
textes officiels ces dimensions et ces temporalités. La circulaire de 1998, « Temps
scolaire, périscolaire et extrascolaire20 », relative à l’aménagement des temps
et des activités de l’enfant, invitait déjà à une « réflexion globale sur l’équilibre
entre temps scolaire, périscolaire et extrascolaire ». Cette même circulaire évoque
aussi une taxonomie des différents temps de l’enfant. « En dehors du temps des
apprentissages scolaires, qui relève de la responsabilité de l’Éducation nationale,
on peut en effet distinguer deux temps pour l’organisation d’activités :
–– le temps périscolaire, immédiatement avant ou après l’école, c’est-à-dire :
le temps du transport scolaire, la période d’accueil avant la classe, le temps
de la restauration à l’école, après la classe, les études surveillées, l’accom-
pagnement scolaire, les activités culturelles ou sportives, le mercredi après-
midi ;
–– le temps extrascolaire situé en soirée, le mercredi lorsqu’il n’y a pas classe,
en fin de semaine et pendant les vacances. »
Dans la circulaire de 2008, concernant l’éducation artistique et culturelle, l’in-
citation à la coconstruction avec les partenaires extérieurs est largement encou-
ragée. « L’initiation à de véritables pratiques artistiques doit être recherchée dans
toutes les écoles et tous les établissements scolaires. Le prolongement de cette
initiation hors de l’école doit également être favorisé21. »
La circulaire de mai 2013 concernant le parcours d’éducation artistique et
culturelle évoque « la priorité gouvernementale donnée à l’éducation artistique et
culturelle », fédérant les parcours autour d’une valeur commune, celle de l’égalité
des chances. « La mise en place du parcours d’éducation artistique et culturelle a
pour ambition de viser un égal accès de tous les jeunes à l’art et à la culture, dans
le respect de la liberté et des initiatives de l’ensemble des acteurs concernés. »
La coconstruction et la prise en compte des différents temps de l’enfant, autour
d’un projet de parcours cohérent, sont souhaitées : « Sa mise en œuvre résulte
de la concertation entre les différents acteurs d’un territoire afin de construire une
offre éducative cohérente à destination des jeunes, qui aille au-delà de la simple
juxtaposition d’actions, dans tous les domaines des arts et de la culture22. »

19. Sue R. et Caccia M.-F., Autres temps, autre école, Impact et enjeux des rythmes scolaires, Retz,
2005.
20. Circulaire interministérielle n° 98-144 du 9 juillet 1998, BO 29 du 16 juillet 1998.
21. Circulaire n° 2008-059 du 29 avril 2008, ministère de l’Éducation nationale.
22. Circulaire n° 2013-073 du 3 mai 2013, ministère de l’Éducation nationale.

148
Troisième espace : une contextualisation

Enfin, la dernière réforme en date, celle des rythmes scolaires, décret du


24 janvier 2013, a provoqué de violents débats. À la suite de ces réactions, le
texte initial a été complété par le décret de mai 2014 afin de « répondre au mieux
aux difficultés de mise en œuvre de la réforme et permettre des assouplisse-
ments adaptés aux réalités locales qui le nécessitent ». Cet exemple nous permet
d’observer les enjeux et difficultés d’une construction entre l’école et les collec-
tivités.
Pourtant, au-delà de ces textes, qui évoquent et incitent à la prise en compte
de ces temporalités, qu’en est-il dans la réalité ? Dans une étude pour le minis-
tère de la Culture en 2011, Sylvie Octobre et Nathalie Berthomier nous donnent
à analyser des éléments pertinents issus de leur synthèse. « Les enfants ont
des rapports au monde de la culture qui sont caractérisés par une mutation
des rapports au temps23. » Elles observent que le type de consommation cultu-
relle évolue entre 11 ans et 17 ans. On peut penser qu’à 11 ans, l’enfant, encore
empreint des pratiques scolaires et des jeux de l’enfance, se retrouve dans la
lecture de livres ; cette même lecture personnelle passe de 33 % à 9 % à 17 ans !
Même type de changement concernant l’utilisation d’un ordinateur, qui passe à
l’inverse de 14 % à 66 % ! On se rend compte que plus l’adolescent avance dans
l’âge, plus il va choisir des pratiques culturelles concernant les nouveaux médias.
Cette étude est enrichie par les travaux de la sociologue Anne Barrère, qui
nous explique qu’en 2003, 82 % des 15-19 ans regardaient la télévision tous les
jours, 90 % déclaraient une pratique sportive, 49,5 % déclaraient une pratique
artistique en amateur (octobre 2009). Cette chercheuse évoque ainsi la place
importante de ces activités « électives ». « L’école occupe très fortement leur
temps, à raison de vingt-cinq heures par semaine… Les activités électives peuvent
avoisiner les vingt heures par semaine, sans tenir compte de la consommation du
type musique et autres jeux sur smartphones. » Anne Barrère interroge largement
l’école et constate que cette institution est en train de perdre la part éducative
qui est la sienne, en laissant les adolescents se construire en dehors de l’école.
« C’est par ce biais que se fait aujourd’hui, sans que personne ni aucune institu-
tion ne le maîtrise vraiment, une part majeure de l’éducation des adolescents.
C’est principalement dans ce monde d’images, de sons, de consommation et
d’usages numériques, de styles, d’activités et de pratiques multiples qu’ils
forment aujourd’hui le caractère24. » Afin de nourrir notre propos, il nous semble
intéressant d’ouvrir la réflexion plus largement, autour de certaines notions qui

23. Octobre S., Berthomier N. (DEPS) « L’enfance des loisirs, Éléments de synthèse », Études
cultures, n° 6, 2011.
24. Barrère A., L’éducation buissonnière, Quand les adolescents se forment par eux-mêmes,
Armand Colin, 2011.

149
La culture au cœur des apprentissages

mettent en avant les choix sociétaux qui peuvent influer sur cette question des
temporalités.
Claude Lévi-Strauss dans ses travaux25 développe une réflexion théorique
autour des notions de société « froide » et de société « chaude ». Ces sociétés
sont caractérisées par l’attitude subjective que chacune d’entre elles peut adopter
à l’égard de la dimension historique, et plus largement comment elles se situent
dans son processus de mouvement. « Une société comme la nôtre se veut résolu-
ment dans l’histoire et elle cherche dans l’image qu’elle se fait de son mouvement
(il serait plus exact de dire : dans les images conflictuelles que les groupes qui la
composent se font de ce mouvement) à trouver le moteur de son changement26. »
De ce fait, nous pouvons considérer que notre société se constitue, d’une certaine
façon, sous une forme cumulative. Une accumulation de connaissances, comme
nous pouvions déjà la retrouver au xviiie siècle dans les principes fondamentaux
de l’Encyclopédie de Diderot : « Le but d’une encyclopédie est de rassembler les
connaissances éparses sur la surface de la Terre, d’en exposer le système général
aux hommes avec qui nous vivons et de le transmettre aux hommes qui viendront
après nous27. »
La reconnaissance sociale se retrouve donc dans ce « plus » de connaissances
et vient rencontrer dans notre monde contemporain l’accélération des techniques
de communication, rendant ainsi possible l’acquisition de savoirs en « temps
réel ». Notre société tend à effacer la notion de temps, même dans le domaine de
l’éducation. À l’école, nous assistons à la détresse de ces « enfants bolides » tels
que les nomme Francis Imbert28. Ils sont nombreux à vivre actuellement dans cette
idéologie de l’immédiateté et, comme nous le dit Raymond Bénévent, ils « payent
les pots cassés. Sommés d’être élèves plus tôt, donc enfants moins longtemps,
les tout-petits sont pris dans d’invivables projets parentaux ou professoraux
instituant la petite section de maternelle en première année de préparation à
Polytechnique29… » Comment parler alors du temps d’apprentissage, comment
accepter les délais nécessaires à la démarche personnelle d’appropriation que
seul l’apprenant peut mettre en acte et qui consiste en ce travail sur soi-même,
lent et laborieux, mais indispensable… Il nous faut accepter le « délai », accep-
ter que le temps se matérialise dans des étapes. Il nous faut donner du sens au

25. Lévi-Strauss C., Race et histoire, 6, 1952.


26. Entretien avec Claude Lévi-Strauss, Le Nouvel Observateur, 5 juillet 1980.
27. Diderot D., Prospectus pour l’Encyclopédie, 1750.
28. Imbert F., Enfants en souffrance, élèves en échec, ESF éditeur, 2004.
29. Bénévent R., « L’idéologie de l’immédiateté », La lettre de l’enfance et de l’adolescence,
2003/3, n° 53, p. 9-22, DOI : 10.3917/lett.053.0009.

150
Troisième espace : une contextualisation

temps, mais aussi l’envisager dans sa globalité, et non par une accumulation de
durées qui peinent à être cohérentes.
Les établissements scolaires doivent être en relation avec le territoire dans
lequel ils sont installés, avec les entreprises, les associations, les structures cultu-
relles qui y déploient leur activité, avec les familles des élèves qu’ils accueillent,
avec les acteurs territoriaux. Ils doivent imaginer de nouveaux lieux où apprendre
et inventer d’autres environnements d’apprentissage.
Pour donner du sens aux enseignements, il est possible d’enrichir les savoirs
par des actions culturelles, véritables situations complexes en lien avec l’environ-
nement. Ces activités réalisées permettent à l’adolescent de se questionner et de
se mettre en relation avec les savoirs de l’école. Elles favorisent dans un contexte
différent le questionnement réflexif :
–– ce que je suis capable de faire ;
–– ce à quoi je m’engage ;
–– ce que j’ai réalisé ;
–– ce dont j’ai besoin ;
–– ce que j’ai découvert :
• du monde professionnel,
• des voies de formation,
• de moi-même.

Il est possible d’envisager de développer dans ce contexte, autre que celui


de l’école, des compétences et donc de permettre une évaluation partagée entre
l’école et les partenaires, dans l’espace des temporalités. Pour cela, l’équipe
éducative élargie doit élaborer un référentiel commun de compétences et
construire les actions en concertation, en lien avec les savoirs, comme enrichisse-
ment et mise en contexte des disciplines.
Accompagnés par les équipes pédagogiques et éducatives, les élèves adop-
teront une attitude favorisant la réflexivité, autour de leurs apprentissages, leurs
activités dans et hors de l’école. Ils pourront ainsi identifier les différentes étapes,
jusqu’à celle de l’évaluation de leurs compétences :
–– le contexte dans lequel s’est déroulée l’activité ;
–– sa fréquence ;
–– leur rôle et implication dans l’activité ;
–– les objectifs fixés/atteints/non atteints ;
–– les compétences visées ;
–– les modes d’évaluation des compétences (école-hors école, la fréquence,
les outils).

151
La culture au cœur des apprentissages

Apprendre demande du temps, il faut donc organiser l’apprentissage en


espace-temps, sous sa forme biographique avec des choix, des aiguillages et
des relances éducatives – la forme biographique s’entendant comme la narration
prenant en compte le temps scolaire, les actions éducatives hors temps scolaire,
les temps familiaux et sociaux constituant un ensemble d’apprentissages.

Notre mise en œuvre : ancrer la réalité éducative dans la globalité


de l’élève
La prise en compte des temps, en s’intéressant à des métacompétences déve-
loppées dans des parcours, ne réduit pas l’élève à ses performances scolaires. On
retrouve autant d’objets culturels que de temporalités. Notre société s’est large-
ment organisée dans un système d’accès aux cultures par l’école (disciplines,
projets) par les partenaires associatifs (projets éducatifs) ou par les partenaires
culturels (écoles de musique, ateliers artistiques, accès aux spectacles).

Comment ?
Il faut organiser l’ensemble de ces propositions, les rendre cohérentes et
pertinentes pour que chacun puisse construire son propre parcours culturel,
faire dialoguer le temps scolaire en relation avec les disciplines et le hors-temps
scolaire. Pour cela, il faut accepter de partager l’idée d’un parcours éducatif
qui chemine entre les temps proposés. Il faut aussi apprendre à construire en
complémentarité, apprendre à partager des métacompétences, avoir une vision
commune.

Les outils proposés


L’opérationnalisation se réalise à travers la création de parcours d’élèves
intégrant des temps scolaires et les autres temps vécus. La stratégie culturelle
permet d’aborder cette démarche de parcours et permet de construire autour du
jeune, de l’élève.
Le parcours est à envisager dans sa globalité, il doit partir du collège sur
des temps obligatoires ; il pourrait prendre la forme de choix pour les élèves
(des options obligatoires sur des périodes et des dispositifs comme l’accom-
pagnement éducatif ). Ces actions dans l’établissement seraient des actions
de sensibilisation qui deviendront des actions de spécialisation au libre choix
des élèves dans certains domaines culturels. Afin de structurer ces parcours,
les compétences devraient être partagées, dans le sens où l’objet de ce même
parcours intégrerait un travail autour de ces compétences, qui pourraient ainsi
être visitées, enrichies, développées et enfin validées d’une façon conjointe entre
les partenaires et l’équipe éducative.
Nous entrons alors dans une politique éducative de type curriculaire, car,
au-delà du curriculum prescrit (disciplines, compétences), du curriculum réel (les

152
Troisième espace : une contextualisation

apprentissages formels de l’élève), nous abordons le curriculum caché, celui qui


tisse, donne du sens et met en réseau les savoir-faire, capacités et connaissances.
Ainsi l’approche culturelle dans ses temporalités devient bien le levier principal
d’un véritable parcours éducatif au service de la construction de l’individu.
Si les outils de prise en compte des temporalités des élèves sont fondamen-
talement ceux de la construction des parcours traités ultérieurement dans cet
ouvrage, un outil de planification permet aux pilotes d’appréhender, d’articuler
les parcours, cela afin de ne pas en rester à des empilements hasardeux. Cette
planification, prenant en compte le temps scolaire, le hors-temps scolaire, le
temps établissement et le temps-hors établissement, permet de faire un état
des lieux et d’amorcer un échange avec une équipe éducative élargie dans une
logique prospective.
Dans un second temps, afin de faciliter la construction des parcours, il est
indispensable de prendre en considération deux entrées : la typologie des actions
culturelles et les postures élèves envisagées.

Outil 21 : typologie des parcours, des postures enseignantes et élèves

Une typologie favorisant la liberté de choix et se structurant


Typologie
selon quatre axes :
des actions
– Enrichissement disciplinaire (temps scolaire)
constituant
– Sensibilisation (temps scolaire)
les parcours
– Expérimentation (temps scolaire et hors temps scolaire)
culturels élèves
– Pratique régulière (hors temps scolaire)

Coopération : travailler en équipe, partager


Collaboration, coconstruction : agir ensemble pour un objectif
Expérimentation : créer de nouvelles situations d’apprentissage
Postures
Réalisation : créer des outils…
des enseignants
Accompagnement : prendre en compte la différenciation
Lâcher-prise : favoriser l’autonomie
Évaluation : guider, rendre acteur

Spectateur : regarder, écouter


Découvreur : explorer, s’essayer
Postures
Interprète : faire, réaliser
des élèves
Ingénieur : inventer
Médiateur : mettre en relation

Les postures d’élèves


Nous comprenons aisément que la posture élève est donc l’élément partagé.
Cette typologie permet d’aborder l’action culturelle en réfléchissant à son impact
sur l’élève. Dans un premier temps, afin d’illustrer notre propos, nous dévelop-
pons quelques exemples de postures d’élèves.

153
La culture au cœur des apprentissages

• Spectateur : l’élève assiste à un spectacle (danse, théâtre…), à un concert,


regarde un film, visite un lieu patrimonial ou architectural (visite avec guide
du patrimoine, architecte), découvre une exposition (galerie scientifique,
musée, exposition temporaire…), assiste à un café littéraire ou à une lecture
(bibliothèque, festival du livre…).
 ans cette posture, c’est le rapport à l’œuvre, à l’objet culturel qui est
D
favorisé.
• Découvreur : l’élève va découvrir une démarche, le travail d’un artiste, d’un
artisan. Par exemple, comment un écrivain met en mots ses émotions, ses
histoires. Découvrir son espace proche par le son, la danse, l’image, l’archi-
tecture. Comprendre ce que les esthétiques, les objets culturels racontent
du monde.
L ’élève va explorer les facettes d’un objet, d’un univers artistique, des
métiers qui sont en relation, des outils et de l’environnent (histoire, tech-
niques…).
• Interprète : l’élève découvre la démarche de l’artiste ou de l’expert. Suivant
les esthétiques ou les domaines, les situations d’interprètes peuvent
varier : chanter seul, dans une chorale, lire, dire un texte de théâtre,
une poésie. Découvrir les mélanges de couleur, les différents outils, les
techniques propres aux arts plastiques. Travailler le geste, l’espace, par
l’approche de la danse…
L ’élève se met en situation de s’essayer en respectant les consignes qui lui
sont données.
• Médiateur : l’élève donne du sens à ses savoirs, mais aussi met en relation
les disciplines avec leurs fondements culturels. Il va également pouvoir
développer certaines compétences. Par exemple, dans une découverte
architecturale, il peut découvrir l’importance des matériaux (histoire,
découvertes techniques, facilités de construction, choix de société…) ;
l’ensemble des disciplines est ainsi convoqué pour permettre au futur
citoyen de comprendre que les choix architecturaux et urbanistiques sont
importants dans une société.
L ’élève va mettre en relation les objets et œuvres qu’il a rencontrés, les
démarches découvertes, les situations de réalisation qu’il vient d’explorer
avec ce qu’il apprend à l’école.
• Ingénieur : l’élève peut faire, par exemple, le choix de l’écriture biogra-
phique, qu’il viendra nourrir d’outils et de démarches (français, histoire/
géographie, langues vivantes…), autour d’un corpus d’ouvrages et de
rencontres (opportunités dans son territoire : bibliothèque, CDI, café litté-
raire…) ; il pourra aussi s’inscrire dans des ateliers d’écriture proposés, par
exemple, par une association en lien avec un festival autour du livre.

154
Troisième espace : une contextualisation

L ’élève est en mesure de mettre en relation l’ensemble des savoirs,


connaissances, démarches, œuvres, objets culturels, références histo-
riques, histoire des arts, cela afin de se mettre en situation de réaliser lui
aussi un objet culturel en réponse à une problématique qui sera sienne.

Des actions culturelles en fonction des postures d’élèves


Afin que les parcours élèves culturels soient cohérents entre les différentes
temporalités, il est important de mettre en relation et en dialogue la posture
élève attendue avec la typologie des actions. Nous allons donc expliciter ce lien
en prenant comme exemple une proposition artistique liant le patrimoine, les arts
plastiques autour d’une résidence d’un artiste plasticien30.
Action d’enrichissement des disciplines. Posture élève : spectateur. Autour d’un
objet partagé issu du patrimoine local, une meule de fromage, les élèves, avec
l’aide de leurs professeurs, ont interrogé les disciplines : histoire, géographie,
documentation, arts plastiques, littérature. L’approche culturelle et artistique
de ces disciplines a donc été enrichie et questionnée par l’action partagée avec
l’artiste et les différents partenaires.
–– L’artiste en résidence a présenté son travail : ses photographies et ses
vidéos.
–– Des visites de la coopérative laitière (fabrication, filière, métiers, environ-
nement…) ont été organisées, cela afin de redécouvrir l’environnement
proche.

Action de sensibilisation. Posture élève : découvreur. L’artiste en résidence,


dans son travail, interroge la problématique du patrimoine et du lien social.
Les élèves ont participé à une dégustation avec des professionnels afin d’uti-
liser et de connaître les mots associés au fromage. Ils ont donc découvert le lien
entre les mots et le goût, effectué des croquis rapides autour de phrases éton-
nantes, où les sens interpellaient l’image et le signe.
Action de sensibilisation. Posture élève : interprète. L’artiste a proposé des
ateliers de pyrogravure sur bois, afin que les élèves s’essaient aux outils qui
seront utilisés sur l’œuvre définitive.
Les élèves ont répondu à des consignes précises et ont pris contact avec de
nouveaux outils : ateliers de dessin, initiation à la pyrogravure.
Action d’expérimentation. Postures élève : ingénieur et médiateur. L’objectif
de cette action était de développer un imaginaire de la dégustation du fromage,

30. Fondation FACIM, « Dessine-moi le goût du beaufort », artiste Laurent Moriceau, http://
fondation-facim.fr.

155
La culture au cœur des apprentissages

mettre en lien l’identité de ce territoire avec un objet symbolique que les élèves
se sont approprié et ont investi. La croûte de la meule est pyrogravée par chacun
des élèves de la classe concernée, qui réalisent ainsi une décoration gravée sur
ce fromage. L’ensemble des savoirs, savoir-faire, techniques se met au service de
l’œuvre collective.
Cette meule décorée a ensuite été exposée, le temps d’une journée, dans les
caves de la coopérative de fromage, au milieu des autres meules, œuvre artis-
tique collective.
Cette meule, œuvre éphémère, sera ensuite découpée et partagée entre tous
les élèves du collège. Ces jeunes pourront ainsi déguster le fromage, faisant dialo-
guer et donnant du sens aux savoirs, mais aussi à leur territoire de vie.
L’analyse de cette action partenariale nous permet de comprendre les diffé-
rentes étapes qui vont faire que le projet prendra sens pour l’élève. Il va de soi
que ces étapes peuvent se réaliser en temps scolaire, hors temps scolaire ou en
faisant se mêler les temporalités, ce qui était le cas dans cet exemple.
On peut penser que les actions culturelles s’entrecroisent, dialoguent et
surtout activent le sens et la cohérence pour l’élève entre l’intérieur et l’exté-
rieur de l’école. Les outils conceptuels issus de ses apprentissages formels à
l’école doivent lui servir dans sa vie de chaque jour, et les actions culturelles sont
souvent des propositions qui permettent à la fois de mettre en action les savoirs,
mais aussi d’interroger le symbolique et donc la construction de l’humain. Dans
le projet présenté précédemment, l’artiste a redonné du sens au commun, permis
aux jeunes de ce collège de voir « le beau dans l’ordinaire », de réfléchir à l’his-
toire et au devenir de leur communauté de montagne.
En ce qui concerne la pratique régulière, dernier type d’action dans notre typo-
logie, celle-ci concerne le hors-temps scolaire ; ce type de pratique peut naître
de ces actions, ces rencontres artistiques qui donnent envie d’aller plus loin. Les
actions culturelles et artistiques décrivent un parcours collectif qui pourrait être
complété par un parcours individuel prenant en considération une activité spor-
tive, la participation à une école de musique… Chaque partenaire du parcours
collectif peut faire des offres individuelles aux élèves. Les élèves débutent leur
parcours collectivement et le développent individuellement. Une cohérence peut
ainsi se dégager à partir de choix initiés par l’école. Cette capacité de proposition
peut être contractualisée au départ ; elle peut également être préexistante. Il faut
alors que le territoire soit organisé, pour répondre à ces demandes, d’où l’impor-
tance de la coconstruction.

156
Troisième espace : une contextualisation

En bref Repenser temporalités et fonctions

Il est impératif d’élargir les temporalités scolaires pour prendre en compte l’appren-
tissage dans ses multiples dimensions en s’appuyant sur la culture, élément partagé
par l’école avec les associations, les familles, les partenaires.
Il faut donc utiliser les dispositifs existants pour les mettre en complémentarité, en
les agençant afin qu’ils ne se juxtaposent pas. Le collège, par exemple, peut coordon-
ner ce parcours des élèves comme garant de l’égalité des chances et de la cohérence
des parcours. Réintégrer dans les dispositifs scolaires la culture des jeunes permet-
tra de redonner du sens à la chose scolaire.
Il convient de faire de l’établissement scolaire un lieu de vie. Le CDI, centre de docu-
mentation et d’information en temps scolaire, devient une bibliothèque, un centre
culturel ouvert aux familles, à la population hors temps scolaire, voire en temps
scolaire. Ce centre culturel, ouvert au public, tisserait des liens entre une population
et son école.

157
Troisième partie

Un territoire
pour apprendre
ou comment
construire des
parcours culturels

N otre modèle organisationnel se développe avec des principes et s’ancre


autour d’un corpus de valeurs toutes unies par l’ambition. Une ambition est
déclinée à un premier niveau pour l’élève, pour l’enfant, le citoyen, une ambition
de la réussite pour tous à l’opposé d’une sélection par la performance scolaire ou
par l’origine sociale. Et, à un second niveau, on trouve une ambition pour l’école
qui doit retrouver ainsi sa place essentielle dans la société.
1
Les valeurs fondamentales du projet

L a stratégie culturelle n’est pas la volonté de développer une organisation


éducative découlant de valeurs préalablement et arbitrairement choisies en
amont. Ce paradigme organisationnel ne peut se concevoir sans un substrat
essentiel, permettant de « sortir de la ronde des valeurs et d’échapper au chœur
des pleureuses1 » par la résonance de ses choix au-delà d’une juxtaposition
théorique.
L’extérieur est donc envisagé comme un levier et une richesse, la créativité
comme une attitude, et la liberté comme une construction pour cueillir le fruit
défendu et accéder, autant que faire se peut, à l’égalité des chances.

De l’égalité des chances à l’égalité des droits


Le terme « égalité des chances », un contresens ? Égalité vient du latin aequa-
lis, qui veut dire uni, juste, c’est la notion d’équité qui semble prévaloir dans
cette étymologie, alors que lorsque nous parlons de chance, nous entrons dans le
domaine de l’incertitude et de l’aléatoire. Pourtant, l’égalité des chances se veut
être un concept qui affirme que les individus disposent des mêmes chances, des
mêmes opportunités de parcours, indépendamment de leurs origines sociales,
ethniques ou familiales.
Une égalité que l’on retrouve d’ailleurs mentionnée dans le préambule de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, où l’on affirme que tous les
êtres humains naissent égaux en dignité et en droit. L’égalité des chances peut
être considérée comme un concept lié étroitement aux valeurs de la République.
Anticipée par la loi Guizot en 1833, l’école républicaine française a tendu vers le
modèle de l’égalité des chances bien que la réalisation de ce mécanisme ait été
fort long à se mettre en place. On considère que la création de l’école gratuite et
obligatoire par les lois Ferry (1881/1882) est une étape décisive dans l’accès de
tous les élèves à l’éducation.

1. Hadji C., Penser et agir l’éducation, De l’intelligence du développement au développement des


intelligences, ESF éditeur, 1995.

161
La culture au cœur des apprentissages

Cependant, s’il est vrai qu’en France, le caractère obligatoire et gratuit de


l’école publique assure l’égalité d’accès à l’éducation, les pouvoirs publics
ont pris conscience, dans les années 1960 et 1970, des inégalités qui existent
en matière de parcours scolaire puis de réussite sociale. Face à ce constat, la
puissance publique se positionne, depuis les années 1980, comme garante de
l’égalité des chances. Les différentes définitions élaborées autour de ce concept
convergent vers l’idée d’une démarche volontariste visant à réduire, voire à faire
disparaître, ces inégalités, mais, malheureusement, d’une façon que l’on peut
considérer comme vaine.
Comme nous le disent certains sociologues, l’égalité des chances ne signifie
pas l’égalité des conditions, mais bien le « droit égal pour tous d’entrer dans une
société inégale2 ». L’école française ne risque-t-elle pas de valoriser le mérite ?
D’où la crainte formulée par François Dubet sur cette égalité des chances comme
« modèle scolaire dominant : placés dans des conditions d’égalité initiale, les
élèves doivent être hiérarchisés et orientés en fonction de leurs résultats afin que
tous aient les mêmes chances de réussir et donc d’échouer3 ». Alors, peut-être
nous faudrait-il dépasser ce terme ? Car, comme le dit Philippe Meirieu, « il faut
passer du “mythe de l’égalité des chances” (il y a la Française des Jeux pour ça !)
au “droit à l’éducation pour tous”4… »
Affirmer une éducation, avec une même ambition, pour donner le meilleur à
tous. En cela, la culture va permettre cette équité. La culture s’articule avec la vie,
elle est au cœur d’une approche globale qui permet à l’enfant de donner du sens
à ses acquisitions. Il faut favoriser l’accès à la culture pour tous dans l’éducation,
car cette notion est porteuse de liens, elle sert à relier les hommes entre eux, elle
nous renvoie ainsi aux invariants de l’humanité, pour donner du sens aux ques-
tions fondamentales. La culture permet l’ouverture sur le monde, elle raconte la
société et donc la vie. La culture dans toutes ses formes (pratiques artistiques,
projets partagés, enrichissement des disciplines…) doit devenir une voie possible,
en tant qu’autorisation à aborder autrement les élèves, pour « réparer » la forme
scolaire, aider les élèves, et de ce fait redonner du sens et travailler ainsi à une
éducation pour tous.

2. Duru-Bellat M., Les inégalités sociales à l’école, PUF, 2002.


3. Dubet F., Entretien réalisé dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire » sur le
thème « Solidarité, logement et cohésion sociale », Catherine Panassier, juin 2012.
4. Meirieu Ph., Dix renversements nécessaires pour construire une école démocratique…, www.
meirieu.com/MANIFESTESETPROPOSITIONS/dixrenversements.htm.

162
Les valeurs fondamentales du projet

La liberté de choix
Comment est-on passé de l’école obligatoire de la Troisième République, qui
allait libérer le peuple par l’éducation, à l’obligation dans l’école qui contraint et
fait passer les élèves à l’aune de nos pratiques si peu pédagogiques ?
Le choix d’un parcours est le témoin d’une liberté donnée à l’élève dans le
processus d’éducation. Il repose sur la logique d’apprentissage évoquée par
Antoine Prost : « Les savoirs ne se transmettent pas, ils se reconstruisent et
chacun le fait pour son propre compte, à sa façon et suivant son propre rythme5 » ;
cependant, si seul l’élève peut apprendre, seul le professeur peut lui permettre
d’apprendre à apprendre. Ce professeur devra alors abandonner sa chaire profes-
sorale, dont l’aspect valorisant ne doit pas être négligé, au profit d’une posture
de facilitateur, de médiateur.
Les logiques suivies par les différents élèves ne peuvent qu’être différenciées,
ce qui pose la question de la normalité. L’acte scolaire s’appuie sur le concept de
norme au sens étymologique et géométrique, celui de l’équerre latine (norma).
Par extension, la normalité scolaire se construit autour d’idées, de règles et de
fonctionnements comme les programmes scolaires, l’heure de cours mais égale-
ment, si l’on retient l’acception grecque de nomos, la loi, la coutume pour arriver
à l’idée de modèle, voire de bien. Il nous faut donc nous éloigner de Cicéron et
permettre à l’élève de ne pas être « ad normam alicujus sapiens » (sage sur le
modèle de quelqu’un).
Nous formulerons donc une injonction paradoxale sous la forme d’une indis-
pensable liberté de choix pour les élèves comme préalable à l’inscription dans
une normalité sociétale revisitée et composée d’individus singuliers.
Aujourd’hui, l’école ne laisse quasiment aucun espace de liberté aux élèves.
Faire du latin en cinquième, prendre l’espagnol en quatrième… restent une conve-
nance. Ces options demeurent marginales dans la construction intellectuelle. De
même, l’éducation au choix prônée aujourd’hui dans le champ de l’orientation
ne peut prendre un sens que si elle s’appuie sur la construction d’un rapport à
la société, à la notion de travail dans un espace social. Dans le cas contraire, il
s’agit de tenter maladroitement d’améliorer l’orientation par l’échec, colonne
vertébrale de l’école française. Dans une société qui s’est complexifiée depuis
le milieu du xxe siècle, les normes traditionnelles n’existent plus et chacun doit
tracer sa voie dans une société beaucoup plus libre, alors qu’il n’a pas forcément
acquis le bagage intellectuel nécessaire à cette liberté. Peut-être faut-il rappeler
combien l’accès à la culture permet cette construction de la liberté, et pour cela
simplement citer l’extrait de ce texte magnifique qu’est le Canto General de Pablo

5. Prost A., Éloge des pédagogues, Seuil, 1985.

163
La culture au cœur des apprentissages

Neruda, écouter ce professeur de vie qui nous dit combien cette culture permet
liberté et humanité. « Ici prend fin ce livre qui est né de la colère comme une
braise, comme les territoires de forêts incendiées, et je désire que, tel un arbre
rouge, il continue à propager sa flamme claire. Mais dans ses branches, tu n’as
pas trouvé que la colère ; si ses racines ont cherché la douleur, elles cherchèrent
aussi la force, et je suis cette force de pierre pensive, cette joie de mains rassem-
blées6. »

L’ouverture comme valeur : l’extérieur comme enrichissement,


la coconstruction
Régis Debray, dans son Éloge des frontières7, questionne la notion d’ouverture
à l’échelle des nations. Il s’interroge aussi sur l’aptitude à créer des frontières que
nous nommons poreuses dans le sens où elles conservent leur capacité à définir
deux espaces différenciés qui établissent des règles de passage et d’échange
entre eux. Le philosophe oppose « l’école, d’un côté, les croyances et les intérêts,
de l’autre », comme si une frontière séparait l’école de la société, comme si les
« intérêts » ne pouvaient qu’agir négativement.
L’école a toujours été d’une certaine façon un lieu singulier « hors de la vie ».
Mais il y a deux façons d’être hors de la vie, la première où l’école pourrait être
considérée comme une pause, un lieu qui socialise, qui favorise certains appren-
tissages dont l’abstraction, pour, en fait, mieux retourner dans la vie. Mais il y a
aussi l’école qui enferme, qui se sépare de la vie jusqu’à l’oublier, considérant
qu’elle est en elle-même une fin. Nous assistons actuellement à une sorte de
rupture, l’école se crée elle-même ses propres frontières, elle se referme et ne
dialogue plus vraiment avec la société. Loin de nous de refuser la forme scolaire
qui devrait en l’occurrence donner des outils et permettre à l’élève de construire
ses choix et de développer sa créativité. Pourtant, les caractères fondamentaux
mêmes de l’école sont accentués vers une certaine « perversion ». L’abstraction
peut très vite tourner à l’intellectualisme, de même ce lieu que certains pour-
raient à juste titre qualifier de lieu neutre peut aussi très vite devenir un lieu clos,
à l’image de ces monastères médiévaux. Pourquoi ces dérives : par crainte, par
conservatisme ?
Si, pour Mohamed Cherkaoui parlant des professeurs, « commander est la
forme la plus pure de la domination institutionnelle8 », est-ce à dire que l’extérieur

6. Neruda P., Chant général, traduction C. Couffon, Gallimard poésie, 13 mars 1984.
7. Debray R., Éloge des frontières, Gallimard, collection « Blanche », 2010.
8. Cherkaoui M., Sociologie de l’éducation, collection « Que sais-je ? », PUF, octobre 2010.

164
Les valeurs fondamentales du projet

pourrait remettre en cause cette domination ? Le professeur doit devenir celui qui,
par ses compétences, introduit l’extérieur dans le cursus scolaire, coconstruit
avec cet « étrange étranger », devient ce médiateur, ce « passeur culturel9 ».
Il nous faut donc nous échapper du paradigme des jésuites qui, au xvie siècle,
sortaient délibérément l’école du siècle, ce monde qu’ils reformulaient par leur
enseignement en refusant les langues vernaculaires… Car aujourd’hui, « l’école
prétend préparer à la vie10 », ce qui implique qu’elle prépare des enfants à agir
dans une société, pas qu’elle les prépare à maîtriser des savoirs scolaires dont la
transférabilité sera toujours difficile. S’ouvrir sur l’extérieur n’est pas la marque
d’un utilitarisme réducteur mais celle d’une ambition qui modèlera un enseigne-
ment autre, et cela ne relève pas du miracle. Car comme nous l’enseigne Hannah
Arendt, « nous connaissons l’auteur des “miracles”. Ce sont les hommes qui les
accomplissent, les hommes qui, parce qu’ils ont reçu le double don de la liberté
et de l’action, peuvent établir une réalité bien à eux11 ».

La créativité
La créativité apparaît souvent comme une source de désordre ; peut-elle se
voir comme une valeur ?
Ce concept, caractérisé par des interactions combinant à la fois des compo-
santes cognitives, donc relatives aux connaissances, d’autres conatives autour
de la personnalité, de la motivation et enfin des composantes liées au contexte et
à l’environnement, ne semble pas a priori favorisé par l’école. En effet, les ensei-
gnants attendent trop souvent des élèves qu’ils suivent les consignes, travaillent
de façon silencieuse et posent des questions de compréhension ou de précision
sur les disciplines enseignées. La performance est évaluée par des épreuves
souvent sommatives, la bonne réponse est le principe qui atteste de la réussite.
A contrario, apprendre ou s’engager dans des actions créatives permet de se
préparer à se tromper et à l’accepter. Inciter l’élève à savoir prendre des risques
est une part fondamentale de l’éducation à la créativité.
Alors, ne pourrait-on envisager la créativité sous un autre angle ? Accepter
ainsi que le développement de l’être humain est en fin de compte un processus
créatif ? Car, très vite, l’enfant est obligé de construire diverses représentations
du monde en utilisant des solutions nouvelles nécessitant pour certaines des

9. Zakhartchouk J.-M., L’enseignant, un passeur culturel, collection « Pratiques et enjeux péda-


gogiques », ESF éditeur, 1999.
10. Perrenoud Ph., Quand l’école prétend préparer à la vie…, Développer des compétences ou ensei-
gner d’autres savoirs ?, collection « Pédagogies [outils] », ESF éditeur, 2011.
11. Arendt H., La crise de la culture, Folio essais, 2010.

165
La culture au cœur des apprentissages

connaissances précises mais, pour d’autres, une inventivité plus personnelle.


On peut aisément considérer que l’enfant s’est engagé dans un processus créatif
à un niveau personnel. L’être humain focalise en lui-même l’imprévisible et la
nouveauté, comme nous l’affirme Michel-Louis Rouquette : « Les individus, alors,
presque paradoxalement, détiennent seuls la clé du changement12. »
La créativité, par définition, est la capacité à produire des combinaisons d’élé-
ments, sans un nécessaire aboutissement. À partir de cette hypothèse, on peut
dire que tous les individus sont porteurs de cette aptitude et sont donc créatifs.
Il est aussi intéressant de constater le rapprochement des termes productivité et
créativité, car il établit la possibilité d’une évaluation quantitative, sinon quan-
tifiable. Si le nombre d’éléments est limité, la quantité des combinaisons va à
l’infini. La créativité se situerait ainsi à ce niveau de la profusion combinatoire.
On peut donc considérer la créativité comme capacité de production des combi-
naisons même les moins élaborées, sans recherche d’un langage spécifique, de
passer du « désordre initial », comme le nomme Paul Valéry, à l’ordre final inclus
dans le processus de construction.
Une pédagogie qui favorise la créativité devrait donc élargir le champ des
possibles, afin de permettre à l’élève d’exercer et de développer sa propre
créativité. L’enseignant doit être capable de prendre des risques plutôt que
d’opter pour la prudence et le conservatisme des méthodes traditionnelles. Il
doit permettre ainsi à l’élève d’utiliser tous les possibles pour nourrir son projet,
comme nous le dit Marcel Proust : « Une heure n’est pas qu’une heure. C’est un
vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats13. »
On peut légitimement s’interroger sur l’apparente similitude que notre
système contemporain attribue aux termes créativité et innovation. Et pourtant,
si la créativité reste la capacité singulière d’un être à mettre en œuvre un concept
neuf, à imaginer une autre solution plus originale, elle reste individuelle. Par
contre, si nous sommes créatifs individuellement, voire seuls, nous ne pouvons
innover qu’avec les autres. Et c’est en cela qu’il semble indispensable de dévelop-
per la créativité, pour permettre l’innovation. Comme nous le dit François Taddei :
« Seuls les pays qui mettent en œuvre des politiques de réforme de leur système
éducatif pour promouvoir l’adaptabilité et la créativité chez l’adulte et l’enfant
sont susceptibles de demeurer à la pointe du développement humain et techno-
logique14. » Plus l’organisation sociale sera créative et plus l’activité innovatrice
deviendra intense ; pourquoi ne pas envisager enfin une telle acception ?

12. Rouquette M.-L., La créativité, 7e éd., PUF, collection « Que sais-je ? », 2007.
13. Proust M., Le temps retrouvé, Gallimard, 30 novembre 1989.
14. Rapport OCDE sur la créativité dans l’éducation, Former des constructeurs de savoirs collabo-
ratifs et créatifs : un défi majeur pour l’éducation du 21e siècle, 28 février 2009.

166
2
Des valeurs qui portent des parcours

L a loi de refondation de l’école de la République1 institue l’éducation artistique


et culturelle comme composante de l’éducation et crée dans ces domaines un
« parcours pour tous les élèves tout au long de leur scolarité ». La circulaire inter-
ministérielle n° 2013-073 du 3 mai 2013 précise que ces parcours se construisent
sur l’ensemble des temps de l’élève, scolaire, périscolaire et extrascolaire, et
s’inscrivent sur un territoire en prenant appui sur les ressources locales dans le
cadre de démarches de projet et de partenariats.

Les parcours existent-ils ?


Dans la réalité du terrain, le parcours dans les établissements se caractérise
par une répartition, une juxtaposition des thématiques et des domaines en fonc-
tion du niveau comme dans l’exemple ci-dessous pour un collège. Dans le cas le
plus positif, l’association prend en compte un domaine artistique et culturel, un
champ d’application comme l’art roman local en classe de cinquième et des réfé-
rencements disciplinaires comme l’art religieux au Moyen Âge.

Volet culturel

Arts du son (classe à projet artistique et culturel)


6e
Classes d’intégration en montagne
Architecture, patrimoine
5e
Étude du patrimoine local
Spectacle vivant
4e
Voyage latin, cinéma italien (festival)
Arts visuels, collège au cinéma
3e
Voyage en Italie, échange des germanistes

1. Article L. 121-6 du Code de l’éducation, modifié par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013,
article 10.

167
La culture au cœur des apprentissages

Les intentions révélées par ce type de parcours ne peuvent suffire à construire


un parcours ; la réalité reste très aléatoire, soumise pour les élèves aux rencontres
avec certains enseignants, à l’établissement fréquenté… Dans un premier temps,
il semble indispensable de structurer ces parcours, d’en faire une construction
par et pour l’élève, de type portfolio. Cela sera un outil utilisé dans les temps
d’évaluation ; par exemple, au brevet des collèges, l’élève pourrait présenter son
parcours en temps et hors temps scolaire. Ainsi, cette trace, hors notation qui
n’aurait aucun sens, aura valeur symbolique et constitutive de l’identité de l’élève
à laquelle l’école aura contribué.
Nous pensons que le parcours culturel ne peut être envisagé seulement autour
de la fréquentation de domaines artistiques. Cette entrée reste une première
approche, légitime par son objectif de permettre à chaque élève, chaque enfant,
au cours de sa scolarité, de rencontrer une esthétique dans ses différents formes,
œuvres, pratiques et artistes. Ce parcours culturel, mis en œuvre et piloté, serait
une avancée considérable. Il nous faut envisager le parcours culturel comme un
outil qui se construit et vient nourrir les apprentissages ; rappeler nos valeurs
comme constituantes de ces mêmes parcours et du projet dont ils seront issus ;
envisager ainsi des parcours qui seront développés autour de compétences trans-
versales, comme principe moral, toujours positif, universel, inaccessible, mais
où le projet prend toute sa place, en tant que construction commune partagée,
se rapprochant de ce fait de ces valeurs fondamentales. Ces compétences trans-
versales, particulièrement enrichies par la culture, représentent un ensemble de
repères permettant ainsi de mieux cerner les dimensions importantes de l’appren-
tissage et qui doivent être sollicitées autant dans les domaines disciplinaires que
dans les domaines généraux de formation.
Si ces parcours ne sont qu’une accumulation d’actions, par ailleurs légitimes
dans leur contenu, mais sans cohérence entre elles et avec le territoire, alors nous
limitons le construit au cadre habituel de l’ouverture culturelle.
Le parcours se conçoit comme un cheminement, fort différent d’errements
soumis aux vents porteurs ou contraires. Qu’il soit trajectoire, transition ou bifur-
cation, il ne pourra qu’être nourri par le sens que lui donneront les enseignants et
les élèves et ne sera pas une juxtaposition artificielle de programmes, de dispo-
sitifs ou d’actions. L’élève pourra à la fois connaître et arpenter le chemin tracé.
De nombreux pays, notamment anglo-saxons, utilisent le concept de curri-
culum développé sous trois formes, le curriculum formel, le réel et le caché2. La
France inscrit sa réflexion tout particulièrement dans le curriculum formel, celui
que les programmes prescrivent et dont les services de l’inspection vérifient la

2. Perrenoud Ph., « Curriculum : le formel, le réel, le caché », université de Genève, 1993,


www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_21.html.

168
Des valeurs qui portent des parcours

réalisation (en partie, le curriculum réel). Nos parcours se rapprochent dans leur
globalité de ce concept de curriculum car ils développent l’ensemble des aspects ;
le curriculum caché tout particulièrement, car, au-delà de la connotation idéolo-
gique que l’on veut parfois lui donner, il permet de penser l’éducation en termes
de hors-temps scolaire, voire hors de l’école. L’école peut donc s’inscrire dans
des logiques qui ne lui seraient pas exclusives. Ainsi, le secondaire pourrait se
construire à partir de l’enseignement primaire, de la liaison école-collège, ou à
partir d’une approche territorialisée.

Un parcours nourri par le sens


Dans le dispositif que nous proposons, nous distinguons le parcours de
l’enfant, de l’adolescent, et les étapes qui permettent de l’accompagner. Ce
dispositif comprend trois niveaux : celui de l’enfant, l’adolescent, puis un second
niveau où se situe l’établissement scolaire et, enfin, le dernier, celui du territoire.
L’accompagnement dans ce dispositif obéit, lui, à une triple logique : celle du
sens, celle de l’apprentissage et, enfin, celle de l’ambition.
Ces trois logiques d’actions alimentent les interactions et les transactions
favorables au développement de compétences.

Accompagner les parcours : trois espaces en relation

L’établissement
scolaire

Disciplines
Actions
Enseignants

L’enfant Sens Le territoire


L’adolescent Apprentissages
Ambition
Savoirs
Partenaires
Savoir-faire
Familles
Savoir-être
Métiers
Savoir-devenir

169
La culture au cœur des apprentissages

Afin de rendre plus opérationnel ce schéma, il semblerait intéressant de déve-


lopper plus précisément chacune des logiques proposées.

La construction du sens
Il est particulièrement important de pouvoir dépasser le moment présent pour
éviter le morcellement. La structuration des liens entre les apprentissages et l’en-
vironnement culturel, autour de situations complexes « vivantes », permet cette
approche par le sens. Cette démarche qui doit tendre vers une certaine forme de
généralisation favorise la mise à distance par rapport à la tâche (l’action, le cours,
la discipline…). Dès lors, l’élève peut développer son propre projet et mobiliser
ses ressources pour résoudre des problèmes qui prennent sens pour lui.

La construction des apprentissages


Les activités productives doivent se transformer en activités constructives. La
mise en situation des savoirs pour résoudre des situations de vie quotidienne ou
professionnelle permet à l’élève de développer ses propres compétences (renfor-
cer, pratiquer…). Cette logique favorise des démarches non linéaires, en permet-
tant de reconnaître les différents aspects qui servent à définir les problèmes. Elle
facilite particulièrement le tâtonnement, l’exploration de pistes variées, la mise
à l’essai d’hypothèses, pour mettre en avant une solution au milieu d’autres,
reconnaissant au passage le droit à l’erreur comme élément de construction. Ces
situations développent la créativité et incitent à exploiter les ressources person-
nelles, en acceptant la diversité et l’originalité des démarches au-delà d’une
réponse uniforme.

Le développement de l’ambition
Il est important d’accroître l’appétence à résoudre des situations complexes,
afin de restaurer le plaisir de la compétition avec soi-même, d’accepter le nouveau
et de souligner la joie de réussir. Cette logique permet de transformer la peur en
satisfaction, en sortant de son habitude et en mettant en réseau et en connexion
l’ensemble des situations et savoirs disponibles. Le jugement critique exercé
par l’élève autour de ces situations permet à ce dernier d’apprécier les enjeux,
d’évaluer l’exactitude des propositions et de mettre en perspective ses propres
solutions. Cette démarche développe la méta-cognition et, plus largement, ce que
nous nommons « apprendre à apprendre ».
L’ensemble de ces trois logiques s’articule autour de l’appropriation de diffé-
rents langages, choisis en fonction des situations. Elles développent particulière-
ment la communication envisagée sous l’angle de l’échange de points de vue et
de la confrontation d’idées. Cette compétence doit être sollicitée pour permettre

170
Des valeurs qui portent des parcours

le partage d’idées, de sentiments, d’émotions, de perceptions, de valeurs… afin


de confronter avec son entourage sa propre perception du monde et mettre en
avant sa singularité.
La construction des parcours se structure autour de cette notion essentielle
qu’est le sens. Les apprentissages mis en œuvre, dans ces parcours culturels,
s’articulent autour de trois méta-compétences selon une logique d’ambition, de
réalisation personnelle qui rejoint ici l’égalité des chances dans la mesure où elle
ouvre sur des réels et non plus des possibles.

Parcours et compétences
Les parcours culturels développent des compétences dans un processus
d’apprentissage dynamique, constructif pour l’élève.
Au-delà de la taxonomie et des référentiels de compétences nombreux qui,
souvent, ne s’intéressent qu’au résultat et oublient le processus en jeu, il nous
semble indispensable de proposer un modèle alternatif, qui s’appuie sur la
culture comme élément transversal et porteur de sens et de lien. Cette proposi-
tion partagée par un ensemble d’acteurs devrait alors permettre d’envisager non
plus une juxtaposition d’actions, mais des propositions liées organisant ainsi le
parcours de l’élève autour de compétences inscrites pleinement dans le proces-
sus d’apprentissage.
Nous considérons la compétence comme « une organisation dynamique de
l’activité mobilisée et régulée par un sujet pour faire face à une tâche donnée
dans une situation déterminée3 ». Nous estimons aussi que la compétence est
« mortelle », qu’elle n’est pas transférable et que nous développerons dans
chaque situation un certain nombre de capacités transférables dans des familles
de situations. Ces capacités permettront ainsi d’outiller, d’équiper l’élève pour
nourrir son parcours personnel d’apprentissage.
Nous nous appuierons également sur les travaux de Gérard Vergnaud, autour
du schème envisagé comme « une totalité dynamique fonctionnelle et une orga-
nisation invariante de l’activité pour une classe définie de situations4 » et de ses
composantes que sont : le but, les sous-buts et anticipations, les règles d’action,
de prise d’information et de contrôle, les invariants opératoires et les inférences.

3. Coulet J.-C., « La notion de compétence : un modèle pour décrire, évaluer et développer les
compétences », Le travail humain, 2011/1, vol. 74, p. 1-30, ISSN : 0041-1868, ISSN en ligne : 2104-
3663, ISBN : 97821305876.
4. Pastré P., Mayen P. et Vergnaud G., « La didactique professionnelle », Revue française de péda-
gogie, n° 54, 2006.

171
La culture au cœur des apprentissages

Modèle de la compétence

Les invariants opératoires :


identification des propriétés, relations et transformations des objets
et sélection de l’information pertinente.

Les inférences :
ajustements incessants des actions.

Les règles d’action :


différentes prises d’information, successions d’actions.

Les buts et sous-buts :


intention, désir, besoin, motivation, attente.

Changement Régulation Résultats


de schème (activité constructive) (réflexivité)

Schéma librement inspiré de La compétence, Théorie et pratiques, Jean-Claude Coulet, CRPCC,


Université Rennes 2, IFÉ, 9 mai 2012.

Par cette acception, nous pouvons repositionner chaque situation proposée à


l’élève comme un processus qui va transformer l’action en activité constructive,
où les actions seront régulées par l’élève lui-même et permettront ainsi la modi-
fication de ses schèmes. Il nous faut donc en priorité traquer le processus et non
l’accumulation d’actions. Nous pouvons aussi nous focaliser sur tel ou tel autre
grain de description, soit l’objet de l’apprenant, soit les tâches ou encore l’orien-
tation vers autrui.
Comme nous l’avons développé dans notre troisième principe, le socle de
compétences, de connaissances et de culture est un outil qui permet d’aborder
l’évaluation sous la forme de capacités, connaissances et attitudes. Ce référen-
tiel permet, au sein de l’établissement, d’évaluer ces compétences en prenant
appui sur des actions mêlant plusieurs disciplines. Néanmoins, cet outil, par sa
complexité, est souvent difficilement partageable avec les partenaires. Il nous
faut donc envisager, comme nous le propose Jean-Claude Coulet, de définir trois
grandes compétences qui pourraient être :
–– communiquer : cela concernerait toutes les formes de langage (écrit, oral,
langue maternelle, langue étrangère, image, son…) ;
–– conceptualiser les situations de la vie quotidienne et professionnelle, en
mettant en situations réelles les savoirs (situations-problèmes) ;
–– développer ses propres compétences : apprendre à apprendre.

172
Des valeurs qui portent des parcours

L’ensemble des compétences du socle peut ainsi se retrouver dans cette


classification simplifiée, par regroupement en regard des situations proposées.
Ces trois grandes compétences peuvent être partagées dans la construction
de parcours culturels pour les élèves, s’inscrivant dans un processus d’appren-
tissage et donnant à chaque partenaire sa place dans ce même processus. La
schématisation s’opère selon une approche systémique qui met en tension
intérieure et extérieure suivant une double vision : les acteurs et les espaces, et
une approche en trois méta-compétences (communiquer, aborder les situations-
problèmes, apprendre à apprendre5).
Le parcours culturel devient donc l’élément indispensable qui permet de
mettre en relation l’intérieur (établissement scolaire) et l’extérieur (territoire),
donnant du sens à l’ensemble des apprentissages. Ces parcours sont envisagés
sous la forme de projets coconstruits, dans une logique systémique, permettant
des trajectoires individualisées. Le travail se fait en équipe, entre enseignants,
partenaires culturels, associatifs, politiques et familles. Chaque parcours doit
être construit autour d’objectifs généraux, qui peuvent être opérationnalisés
et évalués par les acteurs clés, dans une visée de positionnement et de choix
de ces acteurs. Les parcours doivent être pilotés et faire l’objet de régulation si
besoin. Ils doivent surtout permettre à l’enfant, l’adolescent, dans des situations
proposées, de passer d’une activité productive à une activité constructive, lui
permettant d’organiser et de capitaliser les composantes d’un véritable projet
d’apprentissage.
Le schéma ci-après modélise la construction d’un parcours autour de quatre
axes indispensables :
–– projet commun entre des acteurs du territoire et les établissements sco-
laires (écoles, collèges, lycées…) : visées et impact ;
–– choix et positionnement des différents acteurs (objectifs, outils) ;
–– organisation (actions et dispositifs proposés par les acteurs) ;
–– stratégies et pilotage (cohérence).

5. Coulet J.-C., université de Rennes.

173
La culture au cœur des apprentissages

Outil 22 : de l’activité productive à l’activité constructive

TERRITOIRE

ÉTABLISSEMENT ÉLÈVE

Activités productives

Enseignants Partenaires

Supports
Communiquer
Altérité
Situations
de vie Programmes Méthodes
Disciplines Situation-
Actions Partenaires
problème
Socle Objets

Apprendre
à apprendre Organisation
Renforcer
Pratiquer
Approfondir
Changement
de schème

Ce qui peut donner, d’une façon plus opérationnelle et autour d’une action
particulière :
–– projet commun – projet territoire, « développement de la lecture » ;
–– partenaires et acteurs : Maison des écrivains et de la littérature, Syndicat
mixte de l’Avant-Pays savoyard, Savoie Biblio (réseau des bibliothèques)
associations jeunesse ;
–– objectif du contrat d’objectifs et du territoire : maîtrise de la langue,accès au
plaisir de lire. Forme et dispositif : liaison école/collège, atelier/rencontre
avec l’écrivaine Fabienne Swiatly ;
–– pilotage par le collège, mise en cohérence des différents dispositifs au
service du projet lecture.

174
Des valeurs qui portent des parcours

Outil 23 : opérationnalisation

TERRITOIRE

COLLÈGE ÉLÈVE CM2/6e

Journée
ÉCOLE
commune Activités productives
autour du livre Enseignants Partenaires
(associations/
familles) Communiquer Lectures de textes
Par le livre, la littérature, personnels /livres
Rencontre/ l’écriture
continuité Maison
école/collège des écrivains
Programmes
(CM/6e) et de
Disciplines
la littérature
Actions Situation-problème Approche (MEL)
Socle Se raconter avec les mots par les sens Écrivain
en résidence
Élargir/partager Réseau des
bibliothèques
Apprendre
Ateliers Ateliers
à apprendre
Concours Expérimenter l’écriture d’écriture
de nouvelles
Bibliothèques
Changement
de schème

La question du pilotage
Le collège qui termine la scolarité obligatoire s’affirme comme le lieu de
convergence et de cohérence de la construction de ces parcours. Garant de
l’égalité, porteur de l’ambition pour un territoire, il se positionne en lien avec le
premier degré.
Si la place et le rôle du chef d’établissement ont été précisés par le leadership,
la question d’un comité de pilotage reste posée. La composition de ce « copil »
pourrait varier en fonction du territoire et de ses structures scolaires. A minima,
il comportera le(s) collège(s) et les écoles associés autour de la liaison école-
collège, par exemple ; la liaison lycée-collège peut élargir l’assise. Les partenaires
de l’école, représentants de la collectivité, opérateurs culturels, associations
jeunesse… prennent part à ce pilotage. À partir d’un état des lieux réalisé dans le

175
La culture au cœur des apprentissages

cadre de l’approche territoriale6, les parcours seront organisés selon une typolo-
gie qui combine établissement et territoire, temps scolaire et hors-temps scolaire.
Le collège pourrait devenir le lieu de convergence des parcours culturels. Afin de
favoriser une approche constructive et progressive de ces mêmes parcours, il est
important de distinguer les objectifs particuliers de l’école et du collège et cela
en regard des programmes ; c’est ce que nous avons essayé de modéliser dans
le schéma ci-dessous. Cette distinction liminaire permettrait aux actions de se
compléter et surtout d’offrir à l’élève des outils divers pour nourrir son projet
personnel.
Évidemment, la continuité école-collège se construit autour de la notion
de sens. Même si l’école doit apporter les outils conceptuels et sensibiliser, le
collège doit approfondir, comme nous le voyons dans le schéma ci-dessous,
cette progression ; ce dialogue ne peut exister que par la recherche de sens entre
l’école, les savoirs et le territoire.

Parcours culturel et artistique des élèves sur un territoire


Un collège/des écoles de secteur

Plateforme de suivi/Médiation/Coordination du parcours culturel des élèves

L’école : sensibiliser,
donner des outils, COLLÈGE
ouvrir au monde…

Des rencontres ÉCOLE ÉCOLE


avec les œuvres Parcours
et les créations culturel
Des outils pour et artistique
comprendre : apprendre ÉCOLE de l’élève ÉCOLE
à regarder, à écouter,
ressentir l’espace,
les lieux… Le collège : approfondir, donner du sens aux savoirs…

Des résidences 1. Un lieu d’accueil pour les équipes artistiques


artistiques : 2. Des outils à la disposition des équipes enseignantes :
• rencontres formation des résidences d’artistes
pour les enseignants ;
3. Cohérence avec les programmes, en lien avec l’ensemble
• rencontre avec l’œuvre
des disciplines : construction d’actions partagées
et la création pour les
élèves ; 4. Cohérence avec le contrat d’objectifs : effets élèves,
• sensibilisation des pilotage pédagogique
élèves (ateliers…). 5. Cohérence entre le temps scolaire et le hors-temps scolaire

6. Outil : fiche proposition d’une structure pour construire des parcours culturels éducatifs.

176
Des valeurs qui portent des parcours

Une typologie des parcours


Les différents parcours culturels proposés aux élèves peuvent se différencier
afin de permettre un positionnement et une gradation dans l’apprentissage. Nous
envisageons ainsi quatre types de parcours qui viennent se rencontrer, entrer en
résonance, se féconder et s’enrichir. Ils impliquent chacun une attitude particu-
lière de l’élève.
• Le parcours d’enrichissement des disciplines va concerner l’ensemble des
disciplines qui vont ainsi retrouver leur fondement culturel ; il se réalisera
plutôt dans le temps scolaire.
L ’élève sera dans la découverte à la fois de nouveaux univers, mais aussi du
sens que donne la culture aux disciplines scolaires.
• Le parcours de sensibilisation est la résultante de projets partagés entre
les enseignants de diverses disciplines et les partenaires. Il se construit
autour d’actions interdisciplinaires et s’articule entre le temps scolaire et le
hors-temps scolaire. Il peut se décliner autour de propositions artistiques
et culturelles, sous la forme d’une rencontre d’un univers artistique. Cet
univers peut être composé d’œuvres créées, montrées, partagées, ouvrant
ainsi des possibles sur des envies d’aller plus loin.
L ’élève se sensibilisera au monde artistique et culturel, en prenant le temps
d’écouter, de regarder, de ressentir l’espace, le son, les mots, les images,
les paysages…
• Le parcours d’expérimentation : ce type d’actions et de dispositifs spéci-
fiques en temps et hors temps scolaire permet d’approcher et de s’essayer
autour d’une esthétique, un domaine, un médium particulier pour l’appro-
fondir et en trouver ainsi les possibilités créatives.
L ’élève développera sa créativité en associant les possibles et s’essayant,
accompagné par les artistes, les enseignants, les médiateurs, les anima-
teurs.
• Le parcours de pratique est directement issu de l’ensemble des parcours
précédents, dans la mesure où il est le résultat d’un choix qui fait suite à
des découvertes, des rencontres, des explorations diverses. Le parcours de
pratique s’inscrit alors dans la durée et dans la régularité, il va permettre
d’approfondir pour aller plus loin, autant dans la mise en perspective
autour des œuvres et domaines que dans la pratique des gestes, le choix
des outils et médias et des dispositifs et processus.
L ’élève, tel un ingénieur maîtrisant ses outils, va entrer lui-même dans une
pratique éventuellement régulière. Il pourra alors devenir pour d’autres
élèves un passeur.

177
La culture au cœur des apprentissages

La construction, le suivi, la représentation des parcours


La stratégie culturelle s’inscrit dans la double logique de la construction et de
la mise en place d’outils de suivi des parcours.

La nécessaire construction d’un méta-parcours


entre les acteurs de l’éducation
Nous ne pouvons envisager une construction de parcours sans une première
approche qui se situe au niveau du territoire, entre le monde de l’Éducation natio-
nale, les politiques, les partenaires culturels et associatifs et les familles.
Quels sont les attentes de chacun, les compétences, les dispositifs ? Au
sein du territoire, il semble indispensable de mettre en place une concertation
entre tous les acteurs du parcours éducatif de l’élève, afin de rendre cohérent
l’ensemble des actions. Ces instances peuvent prendre la forme de comités locaux
ou territoriaux de pilotage, un pilotage partagé entre l’Éducation nationale (le
principal du collège en lien avec les acteurs du territoire).
Au-delà des entrées spécifiques de chaque partenaire, il est indispensable
que ces parcours culturels viennent nourrir les apprentissages des élèves et
donc puissent permettre à ces derniers de développer certaines compétences.
Celles-ci sont en amont énoncées et choisies, pour être développées par plusieurs
acteurs, dans des situations diverses, tant dans le temps scolaire que hors temps
de l’école.
La complexité de l’approche du parcours questionne. Nous avons repéré un
certain nombre de dimensions indispensables à la mise en place du parcours :
les objets culturels, les niveaux scolaires, le socle (domaine de compétences et
capacités), la pluri-annualité de l’élève, celle de l’établissement, des partenaires
et du territoire. L’impossibilité de représenter simplement plus de deux dimen-
sions nous a amenés à choisir de développer ces cinq dimensions sous la forme
d’un tableau de bord partagé entre les différents acteurs. Il se subdivise en un
diptyque de pilotage (établissement et territoire) et un triptyque lié aux acteurs
(élèves, enseignants et partenaires). Chaque volet décline alors un nombre
restreint d’axes. Le chef d’établissement, par son leadership, intervient sur l’en-
semble des cinq volets ; par ce fait, il est le garant de l’égalité des chances sur un
territoire dans lequel il crée des groupes d’autonomie et de responsabilité autour
des parcours (comme indiqué dans le principe du leadership).

178
Des valeurs qui portent des parcours

Outil 24 : les parcours, volets liés au pilotage

Volet 3 : établissement,
Volet 4 : territoire,
par niveau scolaire ou par groupe
par année ou période
de compétences

Axe 1 Objectifs du contrat d’objectifs Domaines


Socle (compétences, capacités) Projet
Disciplines Dispositifs

Axe 2 Projet Partenaires


Actions Actions

Cette approche implique deux pilotages qui se rencontrent : le chef d’établis-


sement qui représente l’éducation, valide les actions en regard de ses objectifs,
et l’acteur territorial qui valide les propositions artistiques ou culturelles en lien
avec ses choix politiques.

Outil 25 : les parcours, volets liés aux acteurs

Volet 5 : partenaire,
Volet 1 : élève, Volet 2 : enseignants,
par année ou
par âge par niveau ou par cycle
par période

Axe 1 Socle (compétences, Socle (compétences, Domaines


capacités) capacités) Dispositifs
Objet (culturel)

Axe 2 Domaines Programme discipline Projet


Dispositifs Actions Actions
Actions Partenaires
Exemple de déclinaison pour un objet dans un collège en 2012-2013

L’objet décliné dans la fiche objet (outil 1) est maintenant observé en termes
de parcours à travers le prisme des cinq volets. Cet objet culturel, résidence
artistique autour du dialogue entre l’image et le son, trouve ainsi sa place dans
les dimensions liées aux acteurs et dans celles liées au pilotage. Vous trouverez
ci-après une mise en forme succincte sous la forme de tableaux regroupant les
différents volets.

179
La culture au cœur des apprentissages

Opérationnalisation dans un collège

Volet 5 : partenaire,
Volet 1 : élève, Volet 2 : enseignants,
par année ou
par âge par niveau ou par cycle
par période

Axe 1 Socle domaine de Socle domaine de Musique actuelle


compétences : maîtrise compétences : maîtrise improvisée
de la langue et TICE, de la langue et TICE Musique assistée
compétence 1 du socle, (choix des capacités par ordinateur
construction d’un spécifiques) Musique narrative,
récit ; appétence pour Résidence artistique littérature
le travail ; autonomie autour du dialogue Ateliers approfondis-
(choix des capacités entre l’image et le son sement hors temps
spécifiques) (live et assisté par scolaire, école de
ordinateur) musique, associations
cinéma/concert

Axe 2 TICE/musique/lettres/ Narration pour Maîtrise des langages


arts plastiques le professeur de lettres, Réalisation de cartes
Résidence artistique expression, le paysage postales sonores
Réalisation de cartes sonore en arts plas-
postales sonores tiques et éducation
musicale
Réalisation de cartes
postales sonores
Compagnie (Mic)zzaj,
école de musique,
associations,
bibliothèques
Radio RCF

Volet 3 : établissement,
Volet 4 : territoire,
par niveau scolaire ou par groupe
par année ou période
de compétences

Axe 1 Contrat d’objectifs : objectif n° 1 Musique actuelle improvisée


la langue française, objectif n° 3 Musique assistée par ordinateur
l’autonomie Musique narrative, littérature
Socle domaine de compétences : Maîtrise des langages
maîtrise de la langue et TICE, Ateliers approfondissement hors
compétence 1 du socle, construction temps scolaire, école de musique,
d’un récit ; appétence pour le travail ; associations
autonomie (choix des capacités
spécifiques)
TICE/musique/lettres/arts plastiques

Axe 2 Maîtrise des langages Compagnie (Mic)zzaj, école de


Réalisation de cartes postales sonores musique, associations, bibliothèques
Radio RCF
Ateliers approfondissement hors
temps scolaire, école de musique,
associations

180
Des valeurs qui portent des parcours

Ensuite, par exemple au niveau d’un établissement, un tableau synoptique


de l’ensemble des objets doit être réalisé. Si l’action est évidemment commune
à tous les acteurs, ce qui explique que le catalogue d’actions soit l’ébauche
des parcours, la prise en compte des cinq volets permet la conception de méta-
parcours.

Un exemple de parcours en sixième


Ce parcours élèves pour le niveau sixième comporte cinq périodes banalisées
de deux ou trois jours autour de la problématique de la langue française, des
langages, ce domaine ayant été identifié comme facteur d’échec lors du diagnos-
tic. Ces cinq périodes représentent environ soixante-dix heures (scolaires) qui
vont permettre de développer les compétences des élèves, y compris au service
des disciplines dont les horaires ont été modifiés. Le travail réalisé autour de la
langue française et plus largement de la communication est bien directement en
lien avec la performance telle que l’on peut la concevoir dans l’une ou l’autre
des disciplines. Les programmes définis par le ministère de l’Éducation nationale
mentionnent ainsi comme priorité ce centrage que l’on soit en français ou en
sciences de la vie et de la Terre (SVT).
Nous ne pouvons envisager un véritable parcours culturel, dans son acception
de parcours d’apprentissage, si nous restons dans l’organisation classique, une
heure/un cours. Il faut repenser l’horaire en respectant les volumes inscrits dans
les programmes, mais reconsidérer des temps plus longs dédiés aux parcours
culturels. Notre exemple s’inscrit dans ce type d’organisation, qui va banaliser
au moins deux journées par période, pour cette approche particulière. Cette
approche peut être liée au réaménagement du temps scolaire, pour le premier
degré dans le cadre d’une continuité pédagogique.
Cinq périodes et au moins cinq propositions en direction des élèves sont défi-
nies. Ces actions se développent autour d’une présence artistique sous la forme
de résidences, dans le cadre de certaines propositions émanant des partenaires
culturels locaux, ou en lien avec les structures culturelles départementales. Cette
rencontre dans ces périodes banalisées en temps scolaire permet à tous les
élèves d’avoir une première sensibilisation, par une expérimentation relevant du
domaine, par la rencontre de professionnels et aussi par les différentes actions
construites autour de ces propositions et en lien avec les savoirs, les disciplines
de l’école mais également le parcours des métiers. Dans un second temps,
des offres personnalisées venant nourrir cette première rencontre, permettant
d’approfondir le domaine, la pratique, l’ouverture sur l’accès professionnel, sont
proposées par les partenaires du territoire, hors temps scolaire, en cohérence
avec l’existant et le réalisé dans la logique du parcours.

181
182
Les prémices d’un parcours en sixième
Contrat d’objectifs : objectif n° 1, la langue française en 6e
Socle commun : compétences 1, 3, 5, 6, 7 (items, voir grilles individuelles)
Projet : communiquer dans son environnement, utiliser différents langages
Temps scolaire Hors temps scolaire
Domaine Objet culturel Partenaire(s) Disciplines/dispositifs Actions prévues Actions prévues Partenaire(s)
Période 1 Chanson H. Peyrard Français, musique, Ateliers d’écriture Atelier chorale École de musique
Musique française (Chtriky) vie scolaire de chansons Atelier mise en musique Département
La culture au cœur des apprentissages

Écriture École ouverte Mise en voix et en scène des textes


Liaison école/collège Concerts
Période 2 Environnement Parc de SVT, EPS Randonnée, découverte Atelier communication Parc de Chartreuse
Patrimoine Chartreuse Classe d’intégration du milieu naturel Découverte d’un autre parc CDDP Savoie
Création de dépliants Filière bois Parc des Bauges
touristiques Territoire, CAUE
Période 3 Autoportrait F. Swiatly Français, SVT, AP Atelier d’écriture Atelier d’écriture (nouvelles) Association jeunesse
Littérature littéraire MEL (aide personnalisée) (autoportrait) Concours de nouvelles Territoire politique
Écriture Liaison école/collège Cafés littéraires
Salon du livre
Période 4 Film, festival Festival cinéma AP, EPS, mathéma- Découverte du film Construction de Cinéma local
Cinéma en station Les Arcs tiques, géographie européen (burlesque) la programmation cinéma Station de ski locale
Patrimoine Court séjour Atelier improvisation Parcours cinéma
naturel théâtre burlesque Découverte des métiers
Découverte d’une du cinéma
station de ski Découverte des métiers
de la station
Période 5 Environnement P. Badaroux Français, AP, musique Réalisation de cartes Ateliers radiophoniques Radio locale
Musique sonore (Mic)zzaj Résidence d’artistes postales sonores Concerts Départements
TICE Ateliers musiques actuelles École de musique
Des valeurs qui portent des parcours

Afin de développer notre approche, nous proposons un zoom sur l’« autopor-
trait littéraire » de la troisième période, les différentes actions proposées viennent
nourrir le parcours culturel individualisé de l’élève.

Typologie
Contenu TSE TSHE HTE HTHE
de l’action
Enrichissement L’œuvre Gagner sa vie, la démarche
des disciplines de l’auteure s’articulant autour des cinq sens,
la matière autobiographique venant nourrir des
actions partagées entre plusieurs enseignants. X X
Des références à d’autres œuvres tissent des
connexions et élargissent le champ. Cela donne X X X X
matière à une histoire des arts ancrée dans une
œuvre contemporaine qui trouve sa source dans
d’autres œuvres selon le choix des enseignants.

Sensibilisation Temps de rencontre avec l’auteure autour de son


écriture, de son œuvre et de sa démarche. X X
X
X
Cafés littéraires

Expérimentation Les ateliers d’écriture sur deux jours construisent


X X
l’expérimentation.

Pratique Ateliers d’écriture mis en place par


les associations jeunesse X
X X
Concours de nouvelles

TSE : temps scolaire dans l’établissement.


TSHE : temps scolaire hors établissement.
HTE : hors temps scolaire dans l’établissement.
HTHE : hors temps scolaire hors établissement.

Cette approche de la notion de parcours de type tableau de bord représente


actuellement un niveau de difficulté trop élevé pour une opérationnalisation
effective ; elle peut être un outil méthodologique pertinent pour les pilotes mais
reste trop gestionnaire. L’humain et le terrain s’inscriront difficilement dans un
cadre aussi contraignant. À la suite de cette analyse, nous avons souhaité déve-
lopper une approche empirique.

183
3
Mettre en place un territoire apprenant :
élaborer ensemble des parcours

N ous avons modélisé et opérationnalisé sur plusieurs départements une forma-


tion dont l’objectif est la construction de parcours éducatifs. Cette entrée
permet la mise en place d’un territoire apprenant articulé autour de la liaison
école-collège. Cet objectif de continuité pédagogique associe premier et second
degrés par définition, le territoire et les partenaires par le choix d’une stratégie
culturelle. Le territoire apprenant est un objet partagé entre les différents acteurs
(voir outil 28, trouver son entrée dans le modèle) et correspond à l’une des formes
d’aboutissement du processus.
Au-delà de l’ensemble des outils et démarches que nous venons de proposer,
il est temps à présent de nous interroger et d’aller fouiller ce concept très souvent
utilisé mais dont les références restent encore beaucoup trop floues – d’exami-
ner ce qui, au fond, nous apparaît maintenant comme une évidence et que nous
rencontrons lors de nos actions de formation sur le terrain. Nous avons largement
défini les concepts de territoire, d’organisation apprenante, de partenariat, et
nous voici donc face à un nouvel objet conceptuel que nous allons essayer de
préciser.
Qu’est-ce qu’un territoire apprenant ? Devons-nous réduire ce concept à la
somme des connaissances et apprentissages de cette entité ou devons-nous
envisager une nouvelle approche ?

L’approche conceptuelle du territoire apprenant


Au-delà des premières approches géographiques autour d’un espace partagé
au service du développement de la personne et de la société1, nous envisageons
le territoire apprenant en mobilisant un concept issu de la philosophie de Gilles

1. Jambes J.-P., Territoires apprenants, Esquisses pour le développement local du xxie siècle,
L’Harmattan, 2001.

185
La culture au cœur des apprentissages

Deleuze, celui d’agencement2. L’agencement chez Deleuze est un agencement fait


d’inventions, de singularités, de possibles, continuellement inscrit dans un mouve-
ment de transformation. Ce philosophe a largement visité ce concept et en a extrait
quatre composantes3 :
–– un état de choses : les éléments, objets qui sont choisis, comme par
exemple les actions enseignantes, les programmations culturelles… ;
–– des énoncés : des styles, des structures de pensée qui pourraient être
symbolisés simplement par les relations habituelles entre le monde de
l’éducation et celui de la culture ;
–– des territoires : la délimitation géographique. Un territoire doit rester à
dimension humaine, afin que les acteurs puissent se réunir facilement ;
–– des processus de déterritorialisation : comment inventer d’autres
démarches, d’autres structures ?
L’agencement est donc pour Deleuze un mouvement collectif, qui va créer des
relations entre des éléments hétérogènes et leur environnement, mettant ainsi en
œuvre un processus pensé comme une évolution constante et non comme une
stabilité et encore moins comme une finalité. Ce qui explique l’importance de la
déterritorialisation, dans le sens de « quitter une habitude, une sédentarité4 »
En cela, l’agencement nous permet de reformuler, dans notre paradigme,
la problématique du territoire apprenant en l’abordant par l’articulation des
dynamiques de construction et d’apprentissage entre les trois espaces que nous
proposons que sont EPLE-école, environnement et contenus. Il nous faut donc
permettre les agencements divers et surtout favoriser la déterritorialisation, en
ouvrant par exemple l’école. Les neuf principes proposés dans chacun de nos
espaces, par leur mise en œuvre, permettent les circulations, les errances produc-
tives. Ils sont autant d’éléments, de démarches, de perspectives, qui supposent
la stimulation, la médiation des acteurs et de leur environnement. Ces principes
viennent s’inscrire dans les phases intermédiaires, dans les interstices, sorte
de raffinement, où vont se créer les agencements, les points de rencontre, de
confrontation, de transformation et où les composantes s’affectent les uns les
autres.
Il s’agit d’une certaine façon de transformer le réel dans une logique de
« transduction5 », développer cette attitude de la pensée, donnant au lieu, au

2. Huet F., « Du territoire productif au territoire apprenant : une dynamique d’agencement »,


Revista Tecnologia e Sociedade - 1re édition, 2011, ISSN (version numérique) : 1984-3526.
3. Deleuze G. et Guattari F., Mille plateaux, éditions de Minuit, 1980.
4. Deleuze G., L’anti-Œdipe, éditions de Minuit, 1972.
5. Lefebvre H., Critique de la vie quotidienne, volume II, fondements d’une sociologie de la
quotidienneté, L’Arche, 1962.

186
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

territoire le statut d’espace de production, favorisant la mise en créativité de


ses habitants. Il nous faut aussi penser à l’action et à son historicité, comment
passer de l’habitude, du « prêt-à-penser6 » à une position évolutive, qui accepte
l’imprévu et se nourrit de la complexité. Il ne faut pas envisager le territoire appre-
nant sur le mode d’une économie de connaissances. Il faut le réfléchir en termes
de compromis et d’évolution des cadres de perception et d’action des acteurs. La
culture est affirmée comme stratégie de pilotage permettant l’émergence de cette
dynamique.
Ce processus doit, dans sa mise en œuvre, se situer par rapport à des repères
pour mieux aider la démarche générale ; ces points de méthode et de réflexion
pourraient s’articuler autour de ces quatre axes :
–– l’affirmation de la personne en tant que sujet actif : le partenaire, l’ensei-
gnant, l’élève… ;
–– la possibilité de dépasser les limites spatiales, par les coopérations : créa-
tion de groupes projets, d’agencement d’actions en temps et hors temps
scolaire ;
–– l’inscription dans un temps long pour mieux agir sur le temps court : un
parcours doit s’inscrire sur plusieurs années, et non sur une seule année
scolaire ;
–– la fluidité et la complémentarité des propositions et actions : les actions
partenariales doivent être en lien avec les actions disciplinaires, elles
offrent ainsi une opportunité pour mettre en relation les savoirs et donner
du sens.

Un essai de schématisation
Dans le schéma présenté ci-après, nous pouvons observer comment la culture
en tant que stratégie pédagogique globale permet la mise en place d’un territoire
apprenant. Cette stratégie permet la flexibilité et redonne au territoire sa forme
d’espace pensé, signifié et informé par l’expérience humaine.
Nous proposons une construction en deux temps : le premier, celui qui déter-
mine et définit les fondements vers l’agencement, et le second, celui de l’action
et de la coconstruction. Afin de faciliter l’émergence des différents agencements,
nous avons choisi d’ancrer notre réflexion dans un axe fort de l’Éducation natio-
nale qu’est la continuité école-collège. Cette continuité va donc s’incarner dans
des parcours culturels et artistiques en temps et hors temps scolaire, comme
nous l’avons déjà largement développé. Ces actions coconstruites permettront
ainsi l’émergence d’un programme, qui pourra s’institutionnaliser dans le conseil

6. Jullien F., Traité de l’efficacité, Grasset, 1997.

187
La culture au cœur des apprentissages

école-collège. Elles pourront ensuite être développées dans une commission


culture constituée à la fois des enseignants mais aussi de partenaires du terri-
toire.

La stratégie culturelle au service du territoire apprenant

Incarner la continuité pédagogique entre l’école et le collège

Paradigme organisationnel :
• Un agencement en 3 espaces Climat scolaire :
• Une stratégie culturelle, • Permettre un pilotage
comme stratégie pédagogique démocratique
pour développer l’approche • Partager le choix
TEMPS
par compétences des priorités
CADRE DE DE
• Des espaces RÉFÉRENCE : l’ACTION :
de construction
mis en cohérence L’agencement L’agencement
1. Composition 1. Objectifs : Continuité
des collectifs : les coconstruire et mettre école/collège
pilotes, les acteurs… en cohérence les actions
(équilibre, progressivité,
2. Supports et énoncés continuité…)
(ce que l’on partage) :
Institution les valeurs, les cadres PARCOURS
institutionnels, 2. Méthode : faire ÉLÈVES
(cf. MEN) émerger les leviers,
Circulaire le glossaire commun…
les points de partage,
n° 2013-073 utiliser les outils
3. Territoire : l’état
PEAC - Conseil des lieux (les acteurs, (typologies, postures)
école/collège les partenaires) Conseil
3. Démarche : construire école/collège
4. Processus : choix autour d’une approche
des priorités (conti- partagée par compé-
nuité école/collège, tences
construction
de parcours
culturels)
Territoire :
Partenariat, identifier
les partenaires Conseil école/collège - Contrats tripartites
principaux existants : • Mettre en place une commission culture
• structures culturelles • Structurer le programme d’actions
• structures associatives des parcours EAC
• Mettre en cohérence les CO et les PE
• Conventionner

Le territoire apprenant, un processus


de mise en créativité par la culture

188
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

Le territoire apprenant, dans la perspective que nous présentons, va favo-


riser l’apprentissage des activités collectives. Chaque partenaire doit sortir de
son propre territoire d’actions et de structuration. Les moyens et le calendrier
sont des éléments bloquants souvent évoqués. Alors que, dans cette logique de
collectif, un climat de confiance s’instaure, permettant l’émergence de projets,
favorisant une lisibilité commune et une mise en complémentarité du point de
vue des moyens, mais aussi une attente bienveillante des contraintes calendaires
individuelles.
Les parcours d’éducation artistique et culturelle deviennent des outils au
service du territoire apprenant, ils permettent au niveau des acteurs :
–– un processus d’apprentissage autour d’actions communes et complémen-
taires ;
–– une modification de l’inscription de chacun dans cette construction, en
envisageant l’ensemble des phases, les besoins, la cohérence, l’équilibre
et la progressivité ;
–– des actions favorisant la pluridisciplinarité, tant dans l’école que dans le
territoire avec les partenaires.
Penser le territoire apprenant, c’est faire se rencontrer des institutions
comme l’école, les structures culturelles, les structures associatives et territo-
riales.
Dans un second temps, il faut leur permettre de dépasser les « styles » et
« énoncés7 », c’est-à-dire être en mesure de se mettre d’accord dans un dialogue
commun et de déterminer le territoire qui deviendra celui du projet partagé. Cet
agencement conduira évidemment à la modification des relations entre acteurs et
à la production de nouveaux possibles, nouvelles inventions, nouvelles inscrip-
tions sur ce territoire. Nous rejoignons en élargissant le concept « des villes
éducatrices » à d’autres territoires et acceptons, avec Bernard Bier, l’opportunité
de « s’inscrire dans cette logique de work in progress8 ».

L’élaboration des parcours


Le territoire nous semble donc l’unité permettant des coconstructions d’ac-
tions culturelles. Cette dimension humaine de l’espace va favoriser les circula-
tions dans et hors de l’école. Les actions vont pouvoir se compléter, s’agencer
dans des parcours culturels et artistiques pour les élèves, en articulant le temps
scolaire et le hors-temps scolaire.

7. Deleuze G. et Guattari F., op. cit.


8. Bier B., « Des villes éducatrices ou l’utopie du territoire apprenant », Informations sociales,
2010/5, n° 161, p. 118-124, www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-5-page-118.htm.

189
La culture au cœur des apprentissages

Ces parcours deviennent l’outil de partage et de construction pour les acteurs


de ce territoire, et aussi un objet porteur de sens au service de l’enfant, l’élève,
l’adolescent… Envisager les parcours nous demande de positionner l’ensemble
des acteurs et de réfléchir autour de quatre axes :
–– le pilotage : un pilotage partagé IEN, chef d’établissement où les parte-
naires sont force de propositions ;
–– la structuration : typologies et postures qui doivent permettre aux ensei-
gnants, aux partenaires de construire des actions, favorisant l’équilibre, la
progressivité et la cohérence ;
–– la place de l’élève, de l’enfant, de l’adolescent : une typologie des postures
permettant là aussi cohérence, diversité et équilibre ;
–– l’évaluation : des compétences à définir entre l’ensemble des acteurs, favo-
risant ainsi une évaluation plus juste car partagée avec d’autres acteurs
que ceux de l’école.
Territoire de projet à dimension humaine, le territoire apprenant se compose
généralement d’écoles, d’un collège, de lycées. Au service des enfants, des
adolescents, des élèves, il est le lieu de coconstructions d’un ou plusieurs
parcours culturels et artistiques en temps et hors temps scolaire, avec les parte-
naires culturels et territoriaux. Chaque territoire est singulier, il permet un travail
d’équipe élargie, dans une visée de démultiplication de l’impact de la proposition
culturelle, au-delà d’une juxtaposition d’actions isolées, favorisant des relations
pérennes, créatives et innovantes. Cet espace est donc un lieu de dialogue et de
travail entre les partenaires institutionnels, associatifs, culturels et les équipes
éducatives du premier et du second degré.

Des éléments de construction du territoire apprenant


Lors d’une première rencontre, un diagnostic, état des lieux des actions, est
effectué pour faire émerger l’existant et envisager un nouvel agencement. Afin
de créer une culture commune, un glossaire partagé, définissant certains termes
comme action, projet, éducation, culture et territoire, est élaboré.
Dans un second temps, des outils conceptuels sont présentés concernant les
typologies d’actions, postures des différents acteurs que nous avons dévelop-
pées précédemment dans les principes 7, 8 et 9. Nous complétons ci-après cette
approche par les postures enseignantes inspirées des travaux de Dominique
Bucheton et Yves Soulé9.

9. Bucheton D. et Soulé Y., « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant
dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées », Éducation et didactique,
vol. 3, n° 3, octobre 2009, http://educationdidactique.revues.org/543.

190
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

Les postures d’étayage enseignantes :


1. d’accompagnement : l’enseignant apporte une aide, provoque les discus-
sions, la recherche de sens, de références, d’outils, le retour réflexif. Il
observe, intervient peu ;
2. de contrôle : mise en place d’un cadrage de la situation d’apprentissage,
visant l’avancée des tâches réalisées par le groupe, de nombreux réajuste-
ments et une adresse collective ;
3. d’enseignement : formulation, structuration des savoirs en lien avec l’acti-
vité ; apports ponctuels, à des moments spécifiques. Les savoirs, les tech-
niques, les outils sont nommés et explicités ;
4. de lâcher-prise : l’enseignant favorise l’autonomie, donne la responsabilité
aux élèves de leur travail et l’autorisation d’expérimenter d’autres chemins.
Il fait confiance aux élèves et utilise leurs apports pour les communiquer
au groupe. Il met en avant la construction collective, les échanges et les
discussions.
L’ensemble de ces outils conceptuels va permettre au groupe de travail du
territoire de se questionner sur les formes des actions déjà proposées. Grâce à
ces outils, les acteurs vont pouvoir coconstruire des actions, en faisant alterner
les postures, les typologies ; ils vont ainsi inventer des parcours qui ne seront plus
simplement une juxtaposition d’actions, mais qui viendront enrichir l’existant en
le structurant au service du développement de compétences.
Pour illustrer notre propos, nous vous proposons ci-dessous un tableau de
mise en relation entre les postures et les typologies.

Relations entre les postures et les typologies

Posture Typologie Typologie Posture Posture


élève action proposition partenaire enseignant
Spectateur Enrichissement Sensibilisation Expert Accompagnement
Sensibilisation Rapport à l’œuvre Animateur
Rencontre
Temps fort
Découvreur Sensibilisation Sensibilisation Animateur Lâcher-prise
Expérimentation Temps fort Passeur
Interprète Expérimentation Pratique Animateur Enseignement
Pratique régulière Sensibilisation Expert et contrôle
Temps fort Passeur
Médiateur Ensemble Ensemble Révélateur Accompagnement
des actions des propositions et enseignement
Ingénieur Obligation d’avoir Obligation Obligation Lâcher-prise
mis en relation d’avoir rencontré d’avoir
les actions l’ensemble des rencontré
d’enrichissement, propositions l’ensemble
sensibilisation et des postures
expérimentation et propositions

191
La culture au cœur des apprentissages

Dans un troisième temps, l’ensemble des pilotes et partenaires doit faire le


choix des priorités, des opportunités pour finaliser les actions en temps et hors
temps scolaire qui constitueront l’ossature des parcours.
Dans un « territoire apprenant » que nous avons accompagné, l’équipe éduca-
tive et les partenaires culturels ont construit un parcours culturel et artistique
s’inscrivant dans la continuité école-collège, en direction des élèves de CM2/6e.
Ce parcours dialogue entre différentes esthétiques (danse, littérature, théâtre)
et entre différentes disciplines (français, langues vivantes, histoire, éducation
physique et sportive). Il s’articule entre le temps scolaire et le hors-temps scolaire
sur deux années.

Esquisse d’un premier parcours culturel

Méta-compétences
Socle commun Communiquer
Niveaux de Postures de
Projets/Actions Items par tous les langages
parcours l’élève
compétences Résoudre des situa-
tions-problèmes
Sur temps Compétences
scolaire : communes
au cycle 3
1 – Le corps Enrichissement Spectateur C5 Méta-compétences
et la voix Pratiquer non verbales
Sensibilisation Découvreur diverses formes
Écoles primaires d’expression à
Spectacle : Expérimentation Explorateur visée artistique
– Artistes de la
compagnie en Ingénieur C6
résidence Comprendre
– Conférencier : l’importance du
histoire de la respect mutuel
danse et accepter les
différences

C7
Avoir une bonne
maîtrise de son
corps
S’impliquer
dans un projet
individuel
et collectif
Manifester
curiosité,
créativité
à travers
les activités
conduites

192
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

Méta-compétences
Socle commun Communiquer
Niveaux de Postures de
Projets/Actions Items par tous les langages
parcours l’élève
compétences Résoudre des situa-
tions-problèmes
2 – Du conte au Enrichissement Spectateur C1 Dire (CM) Méta-compétences
théâtre Reformuler verbales :
Sensibilisation Découvreur un texte ou langue française
Écoles-collège : des propos lus
Spectacle Expérimentation Explorateur ou prononcés
– Visite des lieux par un tiers
de spectacle Ingénieur
Adapter sa prise
vivant de parole à
– Intervenants : la situation
imaginaire du Prendre part
texte et réalité à un dialogue
quotidienne
Prendre la parole
en public
3 – Techniques Enrichissement Spectateur C2 : 6e Langues vivantes A2
théâtrales au Réagir et
service des Sensibilisation Découvreur dialoguer : établir
langues un contact social
Expérimentation Ingénieur Réagir à des
Initiation aux propositions,
langues vivantes à des situations
par la chanson,
les comptines… Parler en continu :
reproduire
un message oral
Écrire : écrire
un court texte,
une description
Écouter et
comprendre :
saisir un message
oral en vue de
réaliser une tâche

Dans le temps scolaire par exemple, les classes de cours moyen vont travailler
autour de la résidence artistique d’une compagnie de danse. Les élèves alterne-
ront entre une posture de spectateur lors du spectacle proposé par l’artiste sous
la forme d’une conférence dansée, et une sensibilisation dans des ateliers. Hors
temps scolaire, une association culturelle permettra l’accès à deux spectacles
dont un de théâtre, partagé avec les sixièmes. Des ateliers chorégraphiques et
de théâtre pour les élèves volontaires se dérouleront les mercredis. Ces parcours
premier degré se situeront dans le cadre de l’enrichissement des disciplines :
sport scolaire, histoire, histoire des arts, français ; ils prendront la forme d’une
première sensibilisation aux différentes esthétiques.

193
La culture au cœur des apprentissages

Outil 26 : les quatre axes d’un parcours artistique et culturel

➙➙Continuité école-collège

Fonctions du pilotage
Une stratégie globale du projet d’établissement
➙➙Conseil école-collège et du contrat d’objectifs qui :
➙➙Formation territoire ➙➙incarne la continuité pédagogique
apprenant école-collège-lycée-supérieur
État des lieux ➙➙donne du sens au conseil école-collège et nourrit
Chefs d’établissement et IEN

des actions culturelles son programme d’actions


➙➙travail la cohérence, la continuité des actions
au service de l’élève
Des parcours qui permettent ➙➙Pilotage pédagogique : s’appuie sur
l’expression de la diversité la recherche, analyse les pratiques, favorise
Le territoire apprenant : construire les parcours culturels des élèves (cohérence et continuité des actions)

Postures des pilotes


des postures du pilote, dans une approche réflexive
le cadre d’un pilotage affirmé, ➙➙Consultance : audite les attentes, prospecte
garant des valeurs et des les besoins
priorités éducatives ➙➙Animation : guide, travaille en équipe, négocie
➙➙Accompagnement : crée des situations innovantes,
pense la formation d’une façon globale
➙➙Délègue, organise : met en place des groupes
projets, développe une démarche qualité par
la culture, favorise le leadership
Les parcours s’articulent autour de quatre axes et de huit entrées

➙➙Cohérence avec le projet ➙➙Conférence, rencontre, débat : apport


culturel et les priorités de connaissances, échanges
Typologie des

du territoire ➙➙Rapport à l’objet, l’œuvre : visite musée,


propositions

➙➙Articulation des différentes exposition, patrimoine, spectacle…


offres entre le temps scolaire ➙➙Sensibilisation, découverte : animations, ateliers
et le hors-temps scolaire de courte durée…
Partenaires

➙➙Formation territoire ➙➙Temps fort : résidence, festival, action


apprenant sur un temps plus long…
➙➙Pratique : ateliers, cours, associations…
Des parcours qui articulent ➙➙Expert : apporte des connaissances, des savoirs
Posture des
partenaires

le temps et le hors-temps scolaire particuliers


et permettent la prise en compte ➙➙Animateur : fait découvrir
de la diversité des propositions ➙➙Médiateur : met en relation
et des postures des partenaires ➙➙Passeur : accompagne une pratique, un savoir-faire
➙➙Révélateur : donne du sens, fait réfléchir
actions constituant

➙➙Appui sur les enseignements Une typologie favorisant la liberté de choix


Typologie des

obligatoires et se structurant selon 4 axes :


les parcours

➙➙Cohérence ➙➙enrichissement disciplinaire (en temps scolaire)


➙➙Complémentarité, progressi- ➙➙sensibilisation (en temps scolaire)
vité et équilibre entre 1er et 2nd ➙➙expérimentation (en temps scolaire et hors temps
degrés par niveau et domaine scolaire)
Enseignants

➙➙Pluridisciplinarité ➙➙pratique régulière (hors temps scolaire)


Des parcours qui permettent ➙➙Accompagnement : aide, discussion, outils,
l’expression de la diversité des retour réflexif
Postures des
enseignants

postures d’enseignement, dans ➙➙Contrôle : cadrage de la situation


une logique d’actions répondant d’apprentissage, avancée des tâches
à des problématiques élèves ➙➙Enseignement : formulation, structuration
et dont les effets sont évalués des savoirs en lien avec l’activité
➙➙Lâcher-prise : favoriser l’autonomie, la
responsabilité, l’expérimentation, la confiance
Des capacités, savoirs, Une approche par compétences dans l’école
Compétences

savoir-faire mobilisés dans des (socle commun) et hors de l’école par le partage
contextes différents de 3 métacompétences :
➙➙communiquer (tous les langages)
➙➙résoudre des situations-problèmes
➙➙apprendre à apprendre
Élèves

Des parcours prenant en compte ➙➙Spectateur : j’ai regardé, écouté, visité…


Postures des élèves

l’hétérogénéité des élèves ➙➙Découvreur : j’ai exploré, je me suis essayé


en favorisant la diversité ➙➙Interprète : j’ai fait, j’ai réalisé
des postures d’apprentissage, ➙➙Médiateur : j’ai mis en relation ce que j’ai découvert
permettant une évaluation avec ce que je savais ou ce que j’ai appris
plus juste ➙➙Ingénieur : j’ai inventé, en utilisant ce que je savais,
ce que j’ai découvert et ce que j’ai appris

194
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

Effets attendus Effets attendus sur Effets attendus Effets attendus


sur le leadership les pratiques enseignantes sur le territoire sur les élèves

➙➙Évolution de
➙➙Dynamique d’équipe la réflexion sur
(favoriser la mise la prise en compte
en place de groupes de la diversité (aider
en responsabilité, les décrocheurs,
mise en place de stratégies pédago-
délégations giques de gestion
pédagogiques…) ➙➙Des actions
de l’hétérogénéité)
coconstruites avec ➙➙Amélioration
➙➙Lien avec la recherche des objectifs et des de l’estime de soi
➙➙Évolution des pratiques compétences partagés
(s’interroger sur l’état d’évaluation, approche dans une collaboration
de la recherche, mettre ➙➙Évaluation par
par compétences : et le respect de
en perspective son compétence plus juste,
mettre en œuvre l’autonomie et
action avec l’état actuel positive
la différenciation des attentes de chaque
de cette recherche)
partenaire ➙➙Développement
➙➙Intégration de
➙➙Réflexion sur la de la créativité
l’interdisciplinarité ➙➙Sortie de
pédagogie (l’action dans les actions la consommation
comme une démarche ➙➙Perception de
pédagogique : forme, culturelle la cohérence
outils, supports, ➙➙Envisager l’action
comme un complexe du parcours
situation…) ➙➙Des parcours cohérents d’apprentissage
pédagogique et dans et hors temps
disciplinaire : situation dans et hors de l’école
➙➙Ouverture sur scolaire
d’apprentissage
le territoire (se mettre mettant en œuvre des
en lien avec les connaissances, des
dynamiques
territoriales : capacités, des savoir-
faire, des savoir-être
sociétales, au service des
professionnelles) compétences

195
La culture au cœur des apprentissages

En sixième, le travail portera plus précisément sur la voix et utilisera l’apport


des langues vivantes. Un atelier théâtre, sous la forme de temps forts, sera ainsi
mis en place, en lien avec des artistes en résidence. Cette approche de la langue
sera approfondie dans les disciplines et des ateliers seront organisés dans le
cadre de l’accompagnement éducatif. Les associations proposeront des temps
d’écriture.
Dans ce territoire de montagne où les jeunes sont souvent inscrits dans des
clubs de ski, nous remarquons qu’ils sont fréquemment en difficulté dans les
situations de communication. Alors que ce sont des sportifs de haut niveau, ils
sont très mal à l’aise avec leur corps. Ces parcours culturels et artistiques viennent
donc répondre à cette problématique élève et les effets peuvent être observés.
Par l’inscription dans le territoire, par l’approche compétence, par le lien avec les
disciplines et par la continuité entre l’école et le collège, ces parcours redonnent
le plaisir, le sens et l’envie d’apprendre. Au niveau de l’équipe enseignante, les
coconstructions permettent de véritables dialogues. Les enseignants envisagent
ainsi des formations communes entre niveaux mais aussi avec les partenaires,
chacun pouvant apporter une expertise qui devient utile au projet commun.
Nous vous proposons pages 194-195 un tableau qui synthétise cette organisa-
tion des parcours pensée en termes de pilotage, de niveaux, de postures élèves
et de compétences. Ces outils conceptuels que sont les typologies et les postures
sont indispensables à la construction des territoires apprenants. Ils permettent
aux acteurs d’anticiper, d’agencer l’ensemble des actions.

Les neuf principes du paradigme agencés


L’ensemble de notre réflexion présentée dans ce recueil nourrit la stratégie
culturelle, paradigme organisationnel qui s’articule autour de neuf principes
organisés en trois espaces, et qui trouve toute sa finalité dans l’individualisation.
C’est un ensemble de parcours structurés en typologie en regard des objectifs,
qui vient nourrir le sens et l’appétence que chaque enfant trouvera dans sa propre
construction, mêlant le travail scolaire aux propositions de son territoire et aux
envies et désirs d’aller plus loin dans ce cheminement.
Nous avons organisé, dans le tableau ci-après, chacun des neufs principes,
selon la place que celui-ci pourrait trouver dans ces constructions, son apport
particulier, son opérationnalisation et enfin les outils en relation, cela afin d’aider
ceux qui le souhaitent à mettre en place de telles approches : construction de
parcours et instauration de territoires apprenants.

196
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

Outil 27 : repositionner les 9 principes dans l’agencement des parcours

Place dans Opérationna-


Point fort Outils
le parcours lisation

Objet Base, fondation Partager Décomposition Fiche objet


de l’objet culturel

Projet Démarche Fédérer Choix partagé Grille d’inscription


des partenaires

Compétences Certification, Sortir du Tâche complexe Grille générale


évaluation disciplinaire des compétences

Leadership Pilotage Donner de la Groupe autonome Grille d’aide à


cohérence et et responsable la mise en place
responsabiliser d’un leadership

Organisation Formation Apprendre Formation Tableaux et


apprenante ensemble conjointe schéma sur
une rencontre
dans un territoire
apprenant

Qualité Ambition Processus Progression Tableau


de planification

Partenariat Ouverture, sortie Coconstruction Action partagée Grille


de l’Éducation du référentiel
nationale commun

Temporalités Dimensions Refus du Action hors État des lieux


multiples morcellement et dans le temps du territoire
scolaire

Territoria- Ancrage, Universalisme Mise en Grille


lisation singularisation cohérence des de positionne-
ressources ment des acteurs

La question de l’évaluation
L’évaluation du parcours est-elle possible ? Rappelons en préambule que
ces parcours sont des projets coconstruits entre différents partenaires et que ce
cheminement a pour objectif premier de donner du sens à l’ensemble des appren-
tissages et de permettre des trajectoires autonomes et choisies qui doivent
alimenter le projet personnel.
Ce rappel offre déjà une première réponse à la question posée. Chaque acteur
peut évaluer par ses propres outils la progression effectuée. Prenons l’exemple de
ce niveau de sixième : les enseignants, ayant fédéré avec les partenaires culturels
un projet autour de la langue française et des langages, peuvent parfaitement
valider des items du socle commun autour de ce domaine de compétence.

197
La culture au cœur des apprentissages

On peut aussi aisément penser que les productions de ces élèves en ce qui
concerne l’écrit devraient s’être enrichies par ces parcours. De la même façon,
une école de musique avec ses dispositifs internes d’évaluation pourra également
vérifier l’atteinte de certains objectifs, ainsi que l’effectif des nouveaux inscrits
dans des ateliers chorale ou de musiques actuelles.
Un autre type d’évaluation se fera aussi par chacun des partenaires, autour de
l’appétence et du plaisir d’apprendre. Combien d’élèves « décrocheurs » en situa-
tion de production d’écrits ont pu reprendre confiance et réinvestir ce champ ?
Une autre approche doit aussi être développée : une évaluation conjointe
autour de certaines compétences choisies lors de la coconstruction et qui pourrait
nourrir une évaluation plus juste pour l’élève par un ensemble de regards et de
situations diverses. La lecture à voix haute, par exemple, dans un cadre scolaire
peut, par le côté artificiel de la situation, mettre en difficulté certains élèves. Cette
même lecture, dans le cadre d’un café littéraire, où le même adolescent, devant
un public varié, va lire un extrait du livre Gagner sa vie, sera le moyen choisi pour
présenter ce passage qu’il aime particulièrement, il lira alors avec expression et
facilité ce court texte. Il est évident que ces deux situations doivent être prises en
compte pour permettre une évaluation plus juste.
Il nous faut aussi nous poser la question de l’évaluation du parcours dans son
ensemble. Pour répondre à cela, il nous faut repositionner le parcours dans le
cadre du projet personnel de l’élève : comment ce même élève, cet enfant ou
adolescent va-t-il chercher à « s’équiper » pour plus tard choisir un métier. Ces
parcours, comme nous l’avons déjà vu, sont des outils qui vont lui permettre de
développer des compétences transversales, autour de valeurs fondamentales.
Pour tout projet qui doit être évalué, il nous faut à la fois un référent et un
référé, c’est-à-dire deux prises d’information sur ce parcours afin d’en voir les
évolutions. Cette évaluation doit être organisée, construite et présentée par
l’élève lui-même. Le premier outil d’évaluation de ce parcours culturel pourrait
prendre la forme d’un portfolio de compétences. Chaque compétence choisie
dans la coconstruction du projet de parcours serait explicitée tant dans sa forme
que dans les situations proposées avec l’élève. Ce dernier pourrait ainsi, à l’aide
d’un ensemble d’éléments, de traces (réalisation, articles de presse, vidéos…),
faire état de sa progression – progression aussi bien dans le contexte scolaire que
dans un approfondissement choisi au niveau de certaines pratiques.
Un second outil pourrait prendre la forme d’un livret d’apprentissage qui
accompagnerait le portfolio et ferait état d’une analyse critique des apprentis-
sages. Comment ces différentes situations proposées, choisies et approfondies
lors des parcours culturels ont permis tel apprentissage et comment aller plus
loin, pour quelles questions, quels besoins ? Un livret partagé entre les ensei-
gnants, les partenaires et les familles permettrait des trajectoires personnelles
construites avec les parcours, pour répondre aux besoins éducatifs spécifiques.

198
Mettre en place un territoire apprenant : élaborer ensemble des parcours

La diversité et la cohérence des parcours culturels proposés, les trajectoires


personnalisées, l’ancrage dans un territoire proche et vivant, le regard critique,
les ajustements, les retours, les approfondissements et les perspectives qui
seront suggérés par l’ensemble des acteurs éducatifs pourraient permettre en
fin de collège l’émergence d’un véritable projet personnel pour une orientation
pleinement choisie.

Quels outils pour évaluer ?

Nous devons dépasser la compilation des actions menées comme certifiant la réali-
sation d’un parcours personnel. Ainsi dans l’exemple finlandais, la commune de
Turku évalue les parcours par l’utilisation d’un livre individuel pour chaque élève, le
Kulttuuripolku Kulturstigen10. Nous suggérons donc l’utilisation d’un portfolio numé-
rique qui pourrait intégrer différents volets comme celui du pilotage par le territoire
et les établissements, celui de l’action par les partenaires et les professeurs, les
temporalités et le volet du suivi de son projet personnel par l’élève.

10. Littéralement : chemin culturel en extérieur, c’est-à-dire parcours culturel hors école. Dans
la pratique, il se réalise dans des lieux culturels locaux du primaire au secondaire inférieur
(l’équivalent du collège).

199
4
Comment entrer
dans la stratégie culturelle ?

L e modèle organisationnel décrit dans cet ouvrage dans la deuxième partie peut
être utilisé par des acteurs différents dont les logiques professionnelles diver-
gent. C’est justement ces divergences que la stratégie culturelle entend prendre
en compte pour trouver des solutions au service des élèves et plus largement
d’une population. Nous avons donc essayé de proposer des clés d’entrée dans le
modèle afin de faciliter la première approche.
Très logiquement, trois groupes d’acteurs entrent par l’objet culturel dont
l’opérationnalisation est l’action menée auprès des élèves. La continuité est ainsi
faite entre une approche historique centrée sur une action – un professeur, éven-
tuellement un partenaire – et la démarche décrite par la stratégie culturelle. De la
même manière, le chef d’établissement entre par la question du leadership, cœur
de ses problématiques, voire de ses problèmes de fonctionnement au quotidien.
Ainsi, la stratégie culturelle devient bien pour lui un outil au service de son pilo-
tage d’établissement. Cependant, il s’agit d’un premier niveau car les acteurs de
la culture vont ensuite développer le mode relationnel, du partenariat à l’hybrida-
tion, pour enfin trouver leur place dans un territoire apprenant qui se caractérise
par la capacité de l’ensemble des acteurs du territoire à évoluer conjointement et
à construire un espace autour de la réflexion, autour de formations communes.

201
202
Outil 28 : trouver son entrée dans le modèle

Les acteurs politiques


Les acteurs de la culture Les chefs d’établissement Les professeurs
et territoriaux
Phase 1 Principe 1 : Considérer la culture Principe 1 : Considérer Principe 4 : Exercer un leadership Principe 1 : Considérer
Comment comme un objet culturel la culture comme un objet la culture comme un objet
entrer ? culturel culturel
Phase 2 Principe 8 : Développer Principe 9 : Considérer Principe 8 : Développer le partenariat Principe 1 : Considérer
Se rencon- le partenariat jusqu’à les temporalités jusqu’à l’hybridation la culture comme un objet
trer, partager l’hybridation Principe 5 : Transformer l’établissement culturel
en organisation apprenante

Principes
Phase 3 Principe 2 : Construire ensemble Principe 7 : Territorialiser Principe 6 : Faire mieux l’essentiel, la démarche Principe 3 : Développer
La culture au cœur des apprentissages

Construire un projet qualité les compétences par la culture


ensemble Principe 8 : Développer le parte-
nariat jusqu’à l’hybridation
Résultante Territoire apprenant
Outil 16 : fiche de proposition Dispositif existant Outil 4 : rendre cohérent projet d’établissement Outil 1 : fiche objet-portée
partenariale Convention cadre et contrat d’objectifs par la stratégie culturelle pédagogique
Outil 5 : grille d’inscription Outil 16 : fiche de proposition Outil 9 : du leadership à la transformation Outil 2 : fiche objet/déclinaison
des partenaires dans un projet partenariale de l’organisation HDA
culturel partagé Outil 10 : grille d’aide à l’autoévaluation de Outil 6 : déclinaison d’une
la mise en œuvre d’un leadership par la culture action culturelle en tâche
Outil 11 : tableau d’organisation d’une complexe
rencontre autour de la littérature Outil 7 : grille actions spéci-
fiques/items et compétences

Outils spécifiques
Outil 14 : pour une démarche qualité
Outil 15 : tableau de bord partiel construit Outil 8 : grille générale
autour des indicateurs, outil de suivi compétences/groupe
de la démarche
Outil 12 : schématisation systémique de l’organisation apprenante Outils 24 et 25 : les parcours, volets liés au pilotage et aux acteurs
sur un territoire Outil 26 : les quatre axes d’un parcours artistique et culturel
Outil 17 : grille de positionnement autour d’un projet commun Outil 27: repositionner les principes dans l’agencement des parcours
Outil 18 : représentation systémique d’un territoire culturel
Outil 21 : typologie des parcours, des postures enseignantes et élèves

des acteurs
par l’ensemble
Outils partagés
Comment entrer dans la stratégie culturelle ?

Le parcours des élèves se construit ainsi autour d’un méta-parcours qui struc-
ture le territoire et lui donne sens. Ce méta-parcours s’élabore par les liens entre
les acteurs et par leur capacité à fonctionner ensemble. Loin de la juxtaposition
d’un ensemble d’actions disparates, il se veut pensées et actions communes ou
complémentaires.

203
En guise de conclusion

N ous avons perçu au fil de nos rencontres le morcellement, l’individualisme,


l’empilement de cette école qui peine à trouver sa voie entre ajustements et
« refondation ». Des élèves, des enfants, des jeunes que l’on laisse sur le côté
du chemin, une société qui marchandise jusqu’à l’acte d’apprendre. Il nous faut
aujourd’hui nous mobiliser autour d’un projet commun, repenser une école qui
ne renonce pas à ses ambitions culturelles. Il nous faut lancer ensemble le défi
d’entrer dans les savoirs par leur dimension culturelle, aider l’élève à se récon-
cilier avec l’école, à donner du sens à ce qu’il apprend et à retisser les liens entre
tous ces objets de savoirs désordonnés. Ce n’est pas renoncer aux exigences
de l’apprentissage, ni rejeter les disciplines que d’envisager la culture dans sa
véritable dimension, celle qui donne la réponse aux questions fondamentales de
l’humanité. Il est urgent de « ré-internaliser » la culture dans l’école, travailler le
sens des disciplines par les « œuvres » humaines qui les ont construites. Cette
approche va permettre à tous les élèves la même égalité des droits d’accès à cette
culture vivante, ces espaces de respiration dans lesquels les enfants vont pouvoir
inventer, découvrir, tisser, être fiers d’être des élèves.
Pour répondre à ce défi, nous avons souhaité mettre en évidence de quelles
manières et sous quelles conditions la culture peut devenir l’élément fédérateur,
ce puissant levier de pilotage d’un établissement scolaire, mais aussi et surtout
cet élément qui va lier et donner du sens au parcours éducatif de l’élève. Souvent,
dans l’Éducation nationale, les accompagnements se situent au niveau de
l’enseignant ; loin de nous de considérer cela non pertinent, mais plutôt comme
insuffisant dans une visée sur le long terme. Notre réflexion et nos propositions
se situent donc en amont, au niveau du pilotage, ce niveau trop souvent oublié
dans les actions, dispositifs et formations proposés. Il est impossible d’envisager
une modification de la place de la culture dans l’éducation si l’on ne structure
pas le champ d’intervention des différents acteurs. C’est dans cette complémen-
tarité que nous pensons pouvoir trouver les éléments qui inscriront les actions
dans la durée. Il nous faut donc envisager la culture comme élément intimement
présent dans l’acte d’éduquer ; « l’éducation est culture », nous rappelle Bernard
Charlot, que nous avons largement cité dans notre ouvrage. Ainsi, nous avons lu
de nombreux textes de chercheurs en sociologie, en sciences de l’éducation, de
philosophes… et nous nous sommes très vite rendu compte que bien d’autres
avaient déjà ouvert tous ces possibles. Nous avons pris appui sur ces travaux

205
La culture au cœur des apprentissages

pour argumenter notre réflexion, mais nous avons aussi compris qu’il n’était pas
facile de faire changer les habitudes dans notre univers de l’éducation.
Notre proposition se veut au service des autres, les chefs d’établissement, les
enseignants, les partenaires politiques et culturels, mais surtout au service de
l’élève. Nous avons choisi de rester au plus près du concret, au plus près de l’éta-
blissement, du territoire, des actions et projets. Tous nos principes ont été expéri-
mentés, explorés, mis en confrontation avec la réalité du terrain. Nous souhaitons
que notre réflexion puisse rester proche du contexte de l’école, de ce que vivent
les chefs d’établissement, les enseignants, les partenaires, les élèves. Notre
ouvrage a été largement nourri par nos convictions, ces mêmes convictions qui,
au fil de nos rencontres, se sont concrétisées dans nos neuf principes. Notre para-
digme autour de cette stratégie culturelle reste un agencement que chacun doit
s’approprier dans son territoire avec ses partenaires, chacun donnera sa tonalité,
sa nuance, choisira ses matériaux pour composer au plus près de la singularité de
son espace proche. Une sorte de « ritournelle » deleuzienne répète le passé pour
l’élancer vers l’avenir : déterritorialiser pour mieux territorialiser. Il devient urgent
d’inscrire le territoire dans un mouvement, c’est ce processus que nous revendi-
quons. Et cet espace de projet va permettre l’émergence des parcours d’éducation
artistique et culturelle pour les élèves. Ces véritables parcours éducatifs permet-
tront aux enfants, adolescents d’investir leur environnement, de s’en nourrir et de
donner du sens à leur parcours d’apprentissage.
Au terme de notre propos, nous souhaitons simplement faire partager notre
recherche, nos découvertes, faire vivre tout cela d’une manière contagieuse.
Nous croyons au territoire en tant que nouvelle entité incontournable ; quel que
soit son éloignement ou son isolement, le territoire est porteur de richesses qui
n’attendent qu’à être partagées. En aidant, en accompagnant ses acteurs, nous
confortons leur existence et leur ambition. Nous croyons à un apprentissage
continuel, nous croyons à d’autres possibles. Nous pensons qu’il est urgent de
créer de nouveaux réseaux, de faire émerger ces nouveaux espaces de dialogue
et de construction, telles ces « villes invisibles » d’Italo Calvino. La culture est
maintenant au cœur de ces territoires, au cœur des apprentissages.
« Quand tu manges un gâteau rond, commences-tu par le centre ? »
En retournant la place de la culture, en refusant qu’elle soit la cerise sur le
gâteau, nous avons voulu infirmer ce proverbe haoussa et donner sens à l’école,
en créant des outils, en agençant l’existant à l’aide de nos principes. À travers le
territoire apprenant, la culture est bien au cœur des apprentissages.

206
Table des outils

Outil 1 : fiche objet. Portée pédagogique et décomposition par dimensions


Outil 2 : fiche objet. Déclinaison en histoire des arts
Outil 3 : tableau des étapes de construction du projet d’établissement
Outil 4 : rendre cohérent projet d’établissement et contrat d’objectifs
par la stratégie culturelle
Outil 5 : grille d’inscription des partenaires dans un projet culturel partagé
Outil 6 : déclinaison d’une action culturelle en tâche complexe
Outil 7 : grille actions spécifiques/items et compétences
Outil 8 : grille générale compétences/groupe
Outil 9 : du leadership à la transformation de l’organisation
Outil 10 : grille d’aide à l’autoévaluation de la mise en œuvre d’un leadership
par la culture
Outil 11 : tableau d’organisation d’une rencontre autour de la littérature
Outil 12 : schématisation systémique de l’organisation apprenante sur un territoire
Outil 13 : modèle d’évaluation librement inspiré de Bouchard et Plante
Outil 14 : pour une démarche qualité
Outil 15 : tableau de bord partiel construit autour des indicateurs, outil de suivi
de la démarche
Outil 16 : fiche de proposition partenariale pour coconstruire les actions
du parcours culturel des élèves
Outil 17 : grille de positionnement autour d’un projet commun
Outil 18 : représentation systémique d’un territoire culturel
Outil 19 : positionnement des partenaires
Outil 20 : référentiel d’objectifs partagés
Outil 21 : typologie des parcours, des postures enseignantes et élèves
Outil 22 : de l’activité productive à l’activité constructive
Outil 23 : opérationnalisation

207
La culture au cœur des apprentissages

Outil 24 : les parcours, volets liés au pilotage


Outil 25 : les parcours, volets liés aux acteurs
Outil 26 : les quatre axes d’un parcours artistique et culturel
Outil 27 : repositionner les principes dans l’agencement des parcours
Outil 28 : trouver son entrée dans le modèle

208
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214
Dans la collection Pédagogies

ANTHOLOGIE DES TEXTES CLÉS EN PÉDAGOGIE


Danielle Alexandre
APPRENDRE À PENSER, PARLER, LIRE, ÉCRIRE
Acquisition du langage oral et écrit
Laurence Lentin
APPRENDRE AVEC LES PÉDAGOGIES COOPÉRATIVES
Démarches et outils pour l’école
Sylvain Connac
APPRENDRE… OUI, MAIS COMMENT ?
Philippe Meirieu
L’AUTORITÉ À L’ÉCOLE, MODE D’EMPLOI
Martine Boncourt
L’AUTORITÉ AU COLLÈGE, MODE D’EMPLOI
Guillaume Caillaud
L’AUTORITÉ ÉDUCATIVE DANS LA CLASSE
Douze situations pour apprendre à l’exercer
Bruno Robbes
L’AUTORITÉ EN ÉDUCATION
Sortir de la crise
Gérard Guillot
AUTORITÉ OU ÉDUCATION ?
Entre savoir et socialisation : le sens de l’éducation
Jean Houssaye
BANLIEUES : LES DÉFIS D’UN COLLÈGE CITOYEN
Jacques Pain, Marie-Pierre Grandin-Degois, Claude Le Goff
LE CHOIX D’ÉDUQUER
Éthique et pédagogie
Philippe Meirieu
LES CLASSES RELAIS
Un dispositif pour les élèves en rupture avec l’école
Élisabeth Martin, Stéphane Bonnéry
LES COMPÉTENCES TRANSVERSALES EN QUESTION
Bernard Rey
COMMENT IMPLIQUER L’ÉLÈVE DANS SES APPRENTISSAGES
Charles Hadji
CONCEVOIR UN PROJET DE FORMATION
Compétences, objectifs, affectivités, Instructional design
Alain Rieunier
COURANTS ET CONTRE-COURANTS
DANS LA PÉDAGOGIE CONTEMPORAINE
Daniel Hameline
DE L’APPRENTISSAGE À L’ENSEIGNEMENT
Pour une épistémologie scolaire
Michel Develay
DÉBUTER DANS L’ENSEIGNEMENT
Témoignages d’enseignants, conseils d’experts
Coordonné par Jean-Luc Ubaldi
LA DÉMOCRATIE AU LYCÉE
Robert Ballion
DES ENFANTS ET DES HOMMES
Littérature et pédagogie 1 : la promesse de grandir
Philippe Meirieu
DÉVELOPPER LA PRATIQUE RÉFLEXIVE DANS LE MÉTIER D’ENSEIGNANT
Professionnalisation et raison pédagogique
Philippe Perrenoud
DEVENIR COLLÉGIEN
L’entrée en classe de sixième
Olivier Cousin, Georges Felouzis
DICTIONNAIRE DES INÉGALITÉS SCOLAIRES
Coordonné par Jean-Michel Barreau
DIX NOUVELLES COMPÉTENCES POUR ENSEIGNER
Invitation au voyage
Philippe Perrenoud
L’ÉCOLE À L’ÉPREUVE DE L’ACTUALITÉ
Enseigner des questions vives
Coordonné par Alain Legardez
et Laurence Simonneaux
L’ÉCOLE FACE AUX PARENTS
Analyse d’une pratique de médiation
Patrick Bouveau, Olivier Cousin, Joëlle Favre-Perroton
L’ÉCOLE INCLUSIVE : UN DÉFI POUR L’ÉCOLE
Repères pratiques pour la scolarisation des élèves handicapés
Pascal Bataille, Julia Midelet
ÉCOLE, LA GRANDE TRANSFORMATION
François Muller, Romuald Normand
L’ÉCOLE, MODE D’EMPLOI
Des « méthodes actives » à la pédagogie différenciée
Philippe Meirieu
L’ÉCOLE POUR APPRENDRE
Jean-Pierre Astolfi
L’ÉDUCATION CIVIQUE AUJOURD’HUI : DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE
Georges Roche avec Y. Basset, J.-M. Fayol-Noireterre, M. Langanay, C. Paillole, G. Bach
ÉDUCATION ET FORMATION : NOUVELLES QUESTIONS, NOUVEAUX MÉTIERS
Sous la direction de Jean-Pierre Astolfi
ÉDUCATION ET PHILOSOPHIE
Approches contemporaines
Sous la direction de Jean Houssaye
ÉDUQUER CONTRE AUSCHWITZ
Histoire et mémoire
Jean-François Forges
ÉLÈVES À PROBLÈMES, ÉCOLES À SOLUTIONS ?
Cécile Delannoy
ÉLÈVES ET PROFESSEURS : RÉUSSIR ENSEMBLE
Outils pour les professeurs principaux et les équipes pédagogiques
Jean-Luc Guillaumé
ÉMILE, REVIENS VITE… ILS SONT DEVENUS FOUS
Philippe Meirieu, Michel Develay
ENCYCLOPÉDIE DE L’ÉVALUATION EN FORMATION ET EN ÉDUCATION
André de Peretti, Jean Boniface, Jean-André Legrand
ENFANTS EN SOUFFRANCE, ÉLÈVES EN ÉCHEC
Ouvrir des chemins
Francis Imbert
L’ENFANT PHILOSOPHE, AVENIR DE L’HUMANITÉ
Ateliers AGSAS de réflexion sur la condition humaine (ARCH)
Jacques Lévine avec la collaboration de Geneviève Chambard, Michèle Sillam,
Daniel Gostain
L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL AUJOURD’HUI
Dominique Raulin
ENSEIGNER À L’ÉCOLE MATERNELLE
Quelles pratiques pour quels enjeux ?
Jacqueline Pillot
ENSEIGNER : AGIR DANS L’URGENCE, DÉCIDER DANS L’INCERTITUDE
Philippe Perrenoud
ENSEIGNER EN CLASSES HÉTÉROGÈNES
Jean-Michel Zakhartchouk
ENSEIGNER POUR ÉMANCIPER, ÉMANCIPER POUR APPRENDRE
Jacques Cornet, Noëlle De Smet
ENSEIGNER, SCÉNARIO POUR UN MÉTIER NOUVEAU
Philippe Meirieu
ENSEIGNER, UN MÉTIER SOUS CONTRÔLE ?
Coordonné par Olivier Maulini et Monica Gather Thurler
ENSEIGNER SELON LES TYPES DE PERSONNALITÉ
Marion Tamano, Dorothée Fox, Franck Jullien
ENTRER DANS L’ÉCRIT AVEC LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE
Laurence Pasa, Serge Ragano, Jacques Fijalkow
L’ENVERS DU TABLEAU
Quelle pédagogie pour quelle école ?
Philippe Meirieu
FAIRE L’ÉCOLE, FAIRE LA CLASSE
Philippe Meirieu
FAIRE TRAVAILLER LES ÉLÈVES À L’ÉCOLE
Sylvain Grandserre, Laurent Lescouarch
LA FINLANDE : UN MODÈLE ÉDUCATIF POUR LA FRANCE ?
Paul Robert
LE GUIDE JURIDIQUE DES ENSEIGNANTS
Écoles, collèges et lycées de l’enseignement public
Laurent Piau
HARCÈLEMENT ET CYBERHARCÈLEMENT À L’ÉCOLE
Une souffrance scolaire 2.0
Jean-Pierre Bellon, Bertrand Gardette
L’INCONSCIENT DANS LA CLASSE
Transferts et contre-transferts
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
INNOVER AU CŒUR DE L’ÉTABLISSEMENT SCOLAIRE
Monica Gather Thurler
L’INSTANT D’APPRENDRE
Une approche dynamique de l’échec scolaire
Emmanuelle Plantevin-Yanni
LETTRE À UN JEUNE PROFESSEUR
Philippe Meirieu
JE EST UN AUTRE
Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse
Jacques Lévine, Jeanne Moll
LIRE OU DÉCHIFFRER
L’apprentissage de la lecture en question
Éveline Charmeux
MÉDIATIONS, INSTITUTIONS ET LOI DANS LA CLASSE
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
LA MÉTACOGNITION, UNE AIDE AU TRAVAIL DES ÉLÈVES
Coordonné par Michel Grangeat, sous la direction de Philippe Meirieu
LES MÉTHODES QUI FONT RÉUSSIR LES ÉLÈVES
Danielle Alexandre
MÉTIER D’ÉLÈVE ET SENS DU TRAVAIL SCOLAIRE
Philippe Perrenoud
LES MICROLYCÉES
Nathalie Broux, Eric de Saint-Denis
MILLE ET UNE PROPOSITIONS PÉDAGOGIQUES
Pour animer son cours et innover en classe
André de Peretti, François Muller
LA NEUVILLE : L’ÉCOLE
AVEC FRANÇOISE DOLTO
SUIVI DE DIX ANS APRÈS
Fabienne d’Ortoli et Michel Amram
LES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES EN FORMATION INITIALE ET EN FORMATION CONTINUE
Daniel Hameline
L’ORGANISATION DU TRAVAIL, CLÉ DE TOUTE PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE
Philippe Perrenoud
ORTHOGRAPHE : À QUI LA FAUTE ?
Danièle Manesse, Danièle Cogis, Michèle Dorgans, Christine Tallet
PARENTS D’ÉLÈVES : MODE D’EMPLOI
Guillaume Caillaud
LA PÉDAGOGIE À L’ÉCOLE DES DIFFÉRENCES
Fragments d’une sociologie de l’échec
Philippe Perrenoud
PÉDAGOGIE ALTERNATIVE EN FORMATION D’ADULTES
Éducation pour tous et justice sociale
Rémi Casanova, Sébastien Pesce
PÉDAGOGUES DE L’EXTRÊME
Rémi Casanova, Sébastien Pesce
PÉDAGOGIE : DICTIONNAIRE DES CONCEPTS CLÉS
Apprentissage, formation et psychologie cognitive.
Françoise Raynal, Alain Rieunier
PÉDAGOGIE, DES LIEUX COMMUNS AUX CONCEPTS CLÉS
Philippe Meirieu
PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE : DES INTENTIONS À L’ACTION
Philippe Perrenoud
LA PÉDAGOGIE ENTRE LE DIRE ET LE FAIRE
Le courage des commencements
Philippe Meirieu
LA PÉDAGOGIE : UNE ENCYCLOPÉDIE POUR AUJOURD’HUI
Sous la direction de Jean Houssaye
PÉDAGOGUE ET RÉPUBLICAIN : L’IMPOSSIBLE SYNTHÈSE ?
Philippe Lecarme
PENSER L’ÉDUCATION
Notions clés en philosophie de l’éducation
Coordonné par Alain Vergnioux
LA PERSONNALISATION DES APPRENTISSAGES
Agir face à l’hétérogénéité, à l’école et au collège
Sylvain Connac
PETITE ENFANCE : ENJEUX ÉDUCATIFS DE 0 À 6 ANS
Coordonné par Nicole Geneix et Laurence Chartier
LES POLITIQUES SCOLAIRES MISES EN EXAMEN
Onze questions en débat
Claude Lelièvre
PREMIERS PÉDAGOGUES : DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCE
Sous la direction de Jean Houssaye
PRÉPARER UN COURS
Tome 1 : Applications pratiques
Alain Rieunier
PRÉPARER UN COURS
Tome 2 : Les stratégies pédagogiques efficaces
Alain Rieunier
PRÉVENIR LES SOUFFRANCES D’ÉCOLE
Pratique du Soutien au Soutien
Jacques Lévine, Jeanne Moll
PROFESSEURS ET ÉLÈVES : LES BONS ET LES MAUVAIS
Jean Houssaye
QUAND L’ÉCOLE PRÉTEND PRÉPARER À LA VIE…
Développer des compétences ou enseigner d’autres savoirs  ?
Philippe Perrenoud
QU’EST-CE QUE LA PÉDAGOGIE ?
Le pédagogue au risque de la philosophie
Michel Soëtard
QUESTIONNER POUR ENSEIGNER ET POUR APPRENDRE
Le rapport au savoir dans la classe
Olivier Maulini
RADIOGRAPHIE DU PEUPLE LYCÉEN
Pour changer le lycée
Coordonné par Roger Establet
RÉUSSIR L’ÉCOLE DU SOCLE
Francis Blanquart, Céline Walkowiak
RÉUSSIR SA PREMIÈRE CLASSE
Ostiane Mathon
RÉUSSIR SES PREMIERS COURS
Jean-Michel Zakhartchouk
LES RUSES ÉDUCATIVES
Cent stratégies pour mobiliser les élèves
Yves Guégan
LA SAVEUR DES SAVOIRS
Disciplines et plaisir d’apprendre
Jean-Pierre Astolfi
SAVOIRS SCOLAIRES ET DIDACTIQUES DES DISCIPLINES
Une encyclopédie pour aujourd’hui
Sous la direction de Michel Develay
LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION, UN ENJEU, UN DÉFI
Bernard Charlot avec la collaboration de la CORESE,
J. Gautherin, J. Hédoux et A. Tuijnman
SOCLE COMMUN ET COMPÉTENCES
Pratiques pour le collège
Annie Di Martino et Anne-Marie Sanchez
STIMULER LA MÉMOIRE ET LA MOTIVATION DES ÉLÈVES
Une méthode pour mieux apprendre
jean-Philippe Abgrall
LES TICE EN CLASSE, MODE D’EMPLOI
Ghislain Dominé
LE TRIANGLE PÉDAGOGIQUE
Jean Houssaye
VIOLENCES ENTRE ÉLÈVES, HARCÈLEMENTS ET BRUTALITÉS
Les faits, les solutions
Dan Olweus
VIVRE ENSEMBLE, UN ENJEU POUR L’ÉCOLE
Francis Imbert et le Groupe de Recherche en Pédagogie Institutionnelle
Y A-T-IL UNE VIE APRÈS L’ÉCOLE ?
Georges Snyders

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