Premiers Pas Vers Les Maths
Premiers Pas Vers Les Maths
Premiers Pas Vers Les Maths
Rémi Brissiaud
Sommaire
Introduction : Pourquoi ce livre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Chapitre 1 : Deux façons de « parler » les nombres :
le comptage et les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
◗ Les enfants en petite section comprennent mal le comptage . . . 8
◗ Deux significations très différentes des « mots-nombres » :
numéros et noms de nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
◗ Une autre façon de « parler les nombres » :
les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
◗ Deux façons différentes de représenter les nombres :
les collections-témoins et les signes linguistiques . . . . . . . . . . . 14
◗ Les configurations de doigts ne sont pas
des collections-témoins comme les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Chapitre 2 : Dénombrer en construisant une collection-témoin :
pourquoi et comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
◗ Trois conditions pour dénombrer : créer mentalement les unités,
les énumérer et les totaliser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
◗ Mieux que le comptage, les collections-témoins permettent
la création mentale d’unités et leur totalisation . . . . . . . . . . . . . 23
◗ L’énumération se fait presque à l’identique dans le cas
des collections-témoins et dans celui du comptage . . . . . . . . . . 26
◗ L’enseignement précoce du comptage crée
un « effet Canada Dry » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Chapitre 3 : Enseigner le comptage d’objets en PS :
un choix pédagogique dangereux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
◗ Le subitizing et les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
◗ Les trois premiers nombres ne se « voient » pas . . . . . . . . . . . . 35
◗ Le subitizing et le comptage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
◗ Le subitizing favorise l’accès aux premiers nombres,
mais il ne l’assure pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
◗ En France, il est prudent de ne pas enseigner le comptage
d’objets en petite section . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
◗ Une priorité pour la petite section : enseigner le système
des trois premiers nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
© Retz, 2007.
ISBN : 978-2-7256-2701-4
Chapitre 4 : La clé de la compréhension des nombres :
les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
◗ Les constellations et les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
◗ Privilégier les problèmes de comparaison pour favoriser
les décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
◗ Compréhension des nombres, comparaison
et décompositions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
◗ Des « enfants compteurs » en grave difficulté . . . . . . . . . . . . . . . 55
Conclusion : Et la dyscalculie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Pourquoi ce livre ?
epuis longtemps, les pédagogues s’élèvent contre l’idée
D qu’il y aurait des enfants doués en mathématiques et
d’autres qui ne le seraient pas. Et pourtant cette idée per-
siste dans l’opinion. La raison de ce hiatus nous est révélée
par les recherches sur les difficultés durables en mathéma-
tiques chez les enfants de 8 à 12 ans dont les procédures de
calcul sont très déficientes : ces enfants ont mal compris ce
qu’on leur enseignait quand ils étaient tout petits à l’école
maternelle ; ils ont mal compris le comptage des objets…
L’explication de leur échec en mathématiques remonte donc
si loin dans leur passé scolaire qu’on est tenté de le faire
remonter plus loin encore, jusqu’aux gènes…
Mais, au lieu de décréter que ces enfants sont peu doués
pour les mathématiques, considérons plutôt qu’ils n’ont pas
réussi leur première rencontre avec les nombres. Nous
savons en effet que l’enfant qui est fragile pour diverses rai-
sons possibles (retard dans l’acquisition du langage, notam-
ment) et qui rate sa rencontre avec les premiers nombres
risque de se retrouver durablement en difficulté d’appren-
tissage en mathématiques. Même si, en matière d’appren-
tissages, le passé ne prédétermine jamais le futur, il y a des
premières rencontres qu’il vaut mieux réussir. C’est le pro-
jet de ce petit livre que de décrire ce qu’est une première
rencontre réussie avec les nombres.
6 2. Je tiens à remercier une nouvelle fois André Ouzoulias pour sa collaboration durant
toute cette période et pour sa relecture attentive et critique de ce petit livre.
Premiers pas vers les maths
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Premiers pas vers les maths
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6. Brissiaud (1989).
Premiers pas vers les maths
Cette image est le symbole Cette image risque d’être reconnue comme
de « un, un et encore un ». le pouce, l’index et le majeur
plutôt que comme le symbole
de « un, un et encore un ».
Un exemple d’usage des doigts qui n’est pas celui d’une collection-témoin
Il est fréquent que lorsqu’on demande son âge à un jeune enfant, il lève
simultanément le pouce, l’index et le majeur en disant : « J’ai trois ans,
comme ça. » Mais le même enfant à qui l’on montre trois autres doigts
(l’index, le majeur et l’annulaire, par exemple) se révèle souvent incapable
de dire combien il y en a. Comment expliquer un tel comportement ? C’est
d’autant plus surprenant que, de manière générale, les tâches de production
(produire une collection de 3 doigts) sont moins bien réussies que les tâches
de reconnaissance (reconnaître une collection de 3 doigts). Dans ce cas, c’est
souvent le contraire qu’on observe !
L’explication est simple. Le jour de son anniversaire, les parents de cet enfant
lui ont dit qu’il avait trois ans et ils ont vraisemblablement essayé de lui
expliquer ce que signifie « avoir trois ans ». Mais comment faire ? Comment
expliquer à un enfant de cet âge ce qu’est « un an » ? Pour expliquer ce que
sont « trois assiettes », par exemple, le plus simple est évidemment d’entamer
un dialogue avec l’enfant en présence de trois assiettes. Mais c’est impossible
avec l’unité « an ». En désespoir de cause, certains parents montrent trois
doigts à leur enfant en lui disant : « Tu as trois ans ; comme ça », et c’est
évidemment ce geste que l’enfant reproduit par la suite alors qu’il n’en com-
prend pas la signification.
La plupart du temps, donc, l’enfant qui montre 3 doigts, toujours les mêmes,
en disant qu’il a trois ans, n’a certes pas compris la notion d’âge, mais n’a pas
compris non plus le nombre 3. Il ne fait qu’associer un geste à une expression
(« j’ai trois ans »). Son usage du mot « trois » est trompeur. Certains
pédagogues pourraient penser que sa réflexion sur les nombres est bien
plus avancée qu’elle ne l’est en réalité.
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Premiers pas vers les maths
Dénombrer en construisant
une collection-témoin :
pourquoi et comment ?
récisons d’abord ce que signifie « dénombrer ». Le mot
p « dénombrement » est formé à partir de « nombre », et
nous appellerons donc ici « dénombrement » tout procédé
(les psychologues disent toute « procédure ») permettant
d’accéder au nombre, dont la construction d’une collection-
témoin de doigts et le comptage.
L’objet de ce chapitre sera, dans un premier temps, de
comparer ces deux formes de dénombrement en nous inté-
ressant plus particulièrement aux cas où la construction
d’une collection-témoin de doigts est décrite verbalement à
l’aide d’une décomposition en unités simples : un, un, un…
Dans un second temps, nous essaierons de comprendre
pourquoi un grand nombre de pédagogues ont décidé d’en-
seigner à nouveau le comptage dès la petite section de l’école
maternelle, malgré les dangers que comporte ce choix.
23
Chapitre 2
LE COMPTAGE :
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Premiers pas vers les maths
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Chapitre 3
Enseigner le comptage
d’objets en PS : un choix
pédagogique dangereux
e comptage, parce qu’il met seulement en relief l’énumé-
l ration, permet mal de comprendre que pour dénombrer
une collection, il faut en totaliser les unités. Comment les
enfants qui apprennent précocement à compter accèdent-
ils à cette idée de totalisation et, donc, de nombre ? Seront-
ils tous en retard dans leur compréhension des premiers
nombres ? Ceux qui progressent le moins vite combleront-
ils finalement ce retard ? Toutes ces questions vont être
abordées dans ce nouveau chapitre.
En réponse à la première question, nous verrons que les
toutes petites collections, celles dont la taille ne dépasse pas
trois, constituent un domaine privilégié pour que les enfants
accèdent à l’idée de totalisation. Et ceci grâce à un phénomène
connu sous le nom de subitizing. Dans ce petit domaine, les
enfants ont la possibilité de raisonner différemment. Il n’est
pas exagéré de parler des 3 premiers nombres… et des autres1.
Le subitizing est un phénomène plus complexe qu’on ne
le pense généralement. Le mot anglais subitizing contient le
radical « subit » qui signifie « instantané ». Le traitement
numérique des collections ne contenant pas plus de trois
unités a effectivement quelque chose d’instantané, mais
beaucoup de gens se trompent sur la nature de ce qui est ins-
tantané. Nous verrons que la clé de la compréhension de ce
phénomène est la distinction, introduite dans le chapitre pré-
cédent (p. 22) entre l’énumération et la totalisation.
Le lecteur pourra avoir l’impression que, dans ce chapitre,
nous consacrons beaucoup de place au dénombrement des
toutes petites collections, jusqu’à 3, mais il y a de bonnes rai-
32
1. Fischer (1992).
Premiers pas vers les maths
◗ ne
Les trois premiers nombres
se « voient » pas
Avant d’examiner les effets du subitizing dans le cas d’un
enseignement précoce du comptage, il est indispensable
d’insister sur le fait que le subitizing correspond seule-
ment à une énumération automatique et qu’il ne conduit
35
Chapitre 3
36
4. Carey (2004).
Premiers pas vers les maths
◗ Le subitizing et le comptage
38
6. Carey (2004).
Premiers pas vers les maths
44
Premiers pas vers les maths
La clé de la compréhension
des nombres :
les décompositions
ans ce chapitre, nous analysons deux des principales
D pratiques pédagogiques que les documents officiels pour
l’école maternelle recommandent de mettre en œuvre afin
d’aider les élèves à comprendre les nombres : l’usage de
constellations et la résolution d’un type particulier de pro-
blèmes, ceux où il s’agit de construire une collection équi-
potente1 à une collection donnée (aller chercher le nombre
de bouchons nécessaires pour fermer une collection donnée
de bouteilles, par exemple). Dans une classe, l’usage des
constellations peut s’effectuer dans le cadre de diverses
activités, et la tâche de construction d’une collection équi-
potente à une collection donnée peut être proposée sous
plusieurs variantes. Nous allons montrer que les varian-
tes de ces activités les plus efficaces ont une caractéristi-
que commune : elles conduisent les enfants à connaître les
décompositions des premiers nombres.
46 2. S’agissant de l’école maternelle, ce sont les mêmes car aucune modification notable
n’a été introduite en 2007.
Premiers pas vers les maths
4. La situation peut évidemment se décliner dans des contextes variés : si l’on dispose
de figurines représentant des chevaux et d’autres représentant des personnages
censés vouloir être des cavaliers, on peut s’interroger pour savoir s’il y aura assez 51
de chevaux, trop ou exactement ce qu’il faut, etc.
Chapitre 4
53
Chapitre 4
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Premiers pas vers les maths
4. Des images telles que celles qui sont utilisées dans cette activité sont regroupées
au sein d’un album intitulé 1, 2 et 3 (Retz, 2005). De plus, cet album peut servir de
62 contexte à l’introduction des faces du dé et des écritures chiffrées de ces trois nombres.
5. Cf. les jouets de J. dans le chapitre 2, pp. 26-27.
Premiers pas vers les maths
PUIS :
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Premiers pas vers les maths
67
Chapitre 5
7. On peut aussi fabriquer des feuilles illustrées qu’on place dans des pochettes
72 en plastique transparentes. La mallette Je compte… tu compares (Retz, 2005) propose
un matériel complet : 32 fiches cartonnées avec trois contextes de comparaison.
Premiers pas vers les maths
QUAND L’ENSEIGNANT COMPTE LES POULES ET LES POUSSINS ALORS QUE L’ENFANT
NE VOIT QUE LE VERSO DU CARTON, CELUI-CI PEUT ANTICIPER LE RÉSULTAT DE LA
CORRESPONDANCE TERME À TERME ET MÊME LA DIFFÉRENCE :
Je compte Je compte
les poules : les poussins :
un, deux, trois. un, deux, trois,
quatre, cinq.
J’ai compté
J’ai compté
les poussins :
les poules :
un, deux, trois,
un, deux, trois.
quatre, cinq.
73
Chapitre 5
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Premiers pas vers les maths
Les lapins
c o p a i n s8
77
8. Texte original, extrait de Brissiaud (1989).
Chapitre 6
Comment améliorer
la pédagogie du nombre
à l’école maternelle ?
ans ce petit livre, quelques idées forces ont été avancées
D concernant une « première rencontre réussie » avec les
nombres. Nous avons souligné que le comptage est une pra-
tique qui, pour de nombreux enfants, reste longtemps obs-
cure si les nombres ne sont pas abordés à l’aide de leurs
décompositions (grâce aux collections-témoins de doigts, à
l’analyse de constellations, aux comparaisons de la taille de
diverses collections…). Ces idées forces sont encore large-
ment méconnues, tout comme les travaux de recherche qui
les fondent.
L’enjeu d’une amélioration de la pédagogie du nombre
à l’école maternelle n’est pas seulement de permettre une
réussite plus complète et plus précoce pour les enfants qui
vont réussir de toute façon, quelle que soit la pédagogie
adoptée. Il est surtout de prévenir l’échec de ceux qui sont
moins avancés dans leur apprentissage du langage. En cas
d’enseignement précoce du comptage, ils sont en effet les
plus exposés à ce risque. Les recherches sur le sujet sont
formelles : une mauvaise compréhension du dénombre-
ment est une cause spécifique de l’échec grave et durable
en mathématiques.
Notre pays a la chance d’avoir une école maternelle qui
scolarise les enfants dès 3 ans, et pour certains vers 2 ans.
Dès lors, c’est à elle que revient la responsabilité princi-
pale dans le travail de prévention de l’échec. Or, il existe
une marge de manœuvre certaine pour améliorer les pra-
tiques pédagogiques dans le domaine des premiers appren-
tissages numériques. En effet, les textes officiels pour
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Premiers pas vers les maths
1. C’est peut-être aussi une allusion à une compétence innée que partagerait l’être
humain avec les animaux et qui leur permet de distinguer des grandeurs lorsqu’elles
sont assez différentes. Cependant, Susan Carey (2004) considère que cette capacité
de représentation approximative des nombres ne joue aucun rôle dans le progrès
des enfants dans l’appropriation des premiers nombres.
2. Pour des textes en français, on peut se référer à Bideaud, Lehalle et Vilette (2004) ; 81
Fischer (2005) ; Rousselle (2005).
Chapitre 6
7 objets 19 % 47 % 80 %
11 objets 5% 37 % 45 %
83
Chapitre 6
3. Il est probable qu’ils ont été prélevés dans un article en français qui parle de
ses travaux. Cependant, le plus souvent, de tels chiffres sont inintelligibles sauf
à se reporter au texte original, en l’occurrence l’ouvrage que Rochel Gelman a écrit
en 1978 avec Randy Gallistel. Lorsqu’on examine les conditions dans lesquelles
ils ont été obtenus, on s’aperçoit que le tableau précédent renvoie une vision
84 particulièrement déformée des compétences réelles en dénombrement des enfants
d’âges correspondants.
Premiers pas vers les maths
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Et la dyscalculie ?
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Références bibliographiques
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Les droits d’auteur de cet ouvrage sont intégralement versés
à l’organisation humanitaire Inter Aide (www.interaide.org)
qui soutient l’aide à la scolarisation des jeunes enfants
dans les pays en voie de développement.