L'abordage
L'abordage
L'abordage
flottants, soit deux navires de mer, soit un navire de mer et un bateau de rivière.
Pour que l’abordage ait un sens légal, deux conditions sont essentielles : 1) Il faut qu’il y ait choc
2) Que le choc ait lieu entre deux navires.
L’abordage est donc un évènement de mer particulièrement redouté des armateurs et des marins.
Cela peut s’expliquer notamment par la gravité des dommages pouvant en résulter, autant
matériels que corporels, et a fortiori, par les montants souvent considérables nécessaires à la
réparation de ceux-ci.
En effet, l’abordage est particulier car il s’agit d’une situation qui peut causer un panel très
élargi de dommages, aussi bien matériels qu’immatériels, aussi bien personnels qu’aux tiers.
D’un cas d’abordage peut découler d’autres situations qui sont à classer parmi les évènements de
mer. On peut à cet égard évoquer l’exemple d’un abordage en mer entre deux navires, au cours
duquel un navire tiers intervient pour porter assistance.
L’assistance maritime, constitue également un évènement de mer, les situations et les régimes
applicables sont alors combinés.
Trois conditions doivent donc être réunies pour permettre l’application de cette loi : un accident,
dans lequel est impliqué au moins un navire (au sens stricte) ; et intéresse un autre navire, un
bateau de navigation intérieure ou un engin non amarré à poste fixe (c’est-à-dire, par exemple :
pédalo, planche à voile, barque...).
LES problèmes nés de l’abordage se présentent à peu près dans les mêmes termes en matière de
navigation intérieure et au regard de la navigation maritime, et les solutions sont inspirées des
mêmes principes dans les deux cas »26.
Comme évoqué précédemment, l’abordage maritime est encadré sur le plan international par la
Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910. Ce texte a pour objet principal la réparation des
dommages subis des suites de l’évènement. Toutefois, ce texte n’encadre pas la prévention de ce
type d’évènement : c’est à cet effet que la convention COLREG a été signée en 1970, qui comme
nous l’avons évoqué, « complète les textes juridiques par des dispositions techniques »28.
Il conviendra tout d’abord d’étudier les trois types d’abordage maritime (A) ; puis de s’intéresser
au régime de responsabilité extracontractuelle pour faute prouvée consacré par les textes (B).
La Convention de Bruxelles de 1910 sur l’abordage maritime évoque, dans ses articles 2 et 3,
trois conceptions de l’abordage : l’abordage fortuit, l’abordage douteux et l’abordage fautif. La
convention propose ainsi trois visions de la réparation des dommages, que nous traiterons dans le
cadre de cette étude.
La Convention de 1910 dispose : « Si l’abordage est fortuit, s’il est dû à un cas de force
majeure, ou s’il y a des doutes sur les causes de l’abordage, les dommages sont supportés par
ceux qui les ont éprouvés »29.
Par ailleurs, « Si’ l’abordage est causé par la faute de l’un des navires, la réparation des
dommages incombe à celui qui l’a commise »30.
On ne peut nier que la Convention de Genève de 1960 relative à l’unification des règles en
matière d’abordage en navigation intérieure s’inspire très clairement de son homologue de la
matière maritime. En effet, cette convention reprend les trois conceptions de l’abordage
consacrées en droit maritime : fautif, douteux ou fortuit ; et les évoque dans des termes
similaires. À propos de l’abordage fautif, elle dispose : « Si le dommage est causé par la faute
d’un seul bateau, la réparation du dommage incombe à celui-ci ».32
En effet, en matière maritime, une loi du 3 janvier 1969 (aujourd’hui codifiée aux articles L.
5342-1 et suivants du Code des transports), encadre les opérations de remorquage. Cette loi
prévoit que le remorquage hauturier se fait sous la responsabilité du remorqueur ; alors que le
remorquage portuaire s’effectue sous la responsabilité du remorqué38. Toutefois, l’opération de
remorquage étant de manière quasi-systématique soumise à un contrat, c’est celui-ci qui prévoira
les règles applicables pour la réparation des dommages. Ainsi, de manière générale, les contrats
de remorquage conclus prévoient que les dommages subis par le remorqué, le remorqueur ou les
tiers, sont supportés par le remorqué, « sauf à démontrer la faute lourde ou le vice propre du
remorqueur »39.
Après un important débat doctrinal et jurisprudentiel sur la validité de ces clauses et sur le
caractère impératif ou supplétif de la loi de 1969, les auteurs et la jurisprudence s’accordent
désormais à dire que celle-ci a un caractère supplétif de volonté et que des dispositions
contractuelles peuvent y déroger40.
Dans les cas « classiques » d’abordage (ne relevant pas d’un régime de responsabilité
contractuelle), le régime applicable pour la réparation des dommages devrait théoriquement être
celui de la responsabilité du fait des choses, prévu par l’article 1242 du Code civil41, qui prévoit
un régime de responsabilité sans faute, de plein droit, et dispose : « On est responsable non
seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par
le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ».
En pratique, il est assez courant que la faute en question soit une faute de
barre, un non-respect des règles de conduite des navires énoncées dans la convention
COLREG de 1972.
À titre liminaire, il convient de préciser que l’essentiel, pour ne pas dire la totalité, du
Contentieux lié à l’abordage réside dans la réparation des dommages nés d’un tel
Évènement ; c’est pourquoi nous concentrerons notre développement sur les
Mécanismes des régimes de responsabilité de l’abordage en matière maritime.
La Convention de 1960 relative à l’abordage fluvial dispose quant à elle, dans son article 2 al.
1er et dans des termes similaires, que « L'obligation de réparer un dommage n'existe que si le
dommage résulte d'une faute. Il n'y a pas de présomption légale de faute ».
Cette absence de présomption légale de faute ne rend pas toujours la réparation des dommages
aisée pour la partie en demande. Cela permettait d’une part de contourner l’obligation de prouver
une faute, et d’autre part d’échapper à la prescription de deux ans en matière d’abordage (contre
5 ans en droit commun)62.
En effet, dans le cadre du régime de responsabilité du fait des choses établi par l’article
1242 du Code civil, aucune faute ne doit être prouvée pour permettre la réparation des
dommages, facilitant ainsi la tache de la partie à l’origine de la demande de réparation.
La Cour de cassation française a toutefois mis définitivement un terme à cette possibilité par un
arrêt du 21 janvier 1952, en indiquant que l’article 1384 ne peut être invoqué qu’à titre
subsidiaire « toutes les fois qu’une disposition spéciale de la loi ne l’a pas, explicitement ou
implicitement écartée»63
Parmi les cas d’abordage envisagés par les textes, on constate, comme évoqué
précédemment, trois types de situations : abordage fautif, abordage douteux, et
abordage fortuit. Les dommages résultant d’un abordage fautif , semblent être les plus simples à
réparer dans la mesure où les textes envisageant les régimes de responsabilité exigent que la
preuve de l’existence d’une faute soit ramenée. En effet, il est « évident que l’abordage […]
implique qu’il y ait un lien de causalité suffisant entre le comportement fautif de l’un et le
dommage subi par l’autre»64. Se pose toutefois la question de savoir quelle est concrètement la
faute. En pratique, cette faute correspond la plupart du temps à une faute de barre ou au non-
respect d’une règle de navigation, telles que celles édictées par la convention COLREG ou
encore par les règlements nationaux de conduite sur les voies de navigation intérieures ; cette
faute est donc de manière générale commise par le capitaine de l’unité impliquée ou par son
équipage.
Par ailleurs, en droit maritime, une distinction est opérée entre faute nautique et faute
commerciale du capitaine. La faute nautique constitue une faute de barre, telle
qu’évoquée précédemment ; alors que la faute commerciale correspond à une faute
commise par le capitaine dans le cadre de l’exercice de ses fonctions commerciales65.
Nous évoquerons dans un premier temps à l’abordage fautif, dont l’imputabilité est
certaine (§1) ; et dans un second temps à l’abordage fortuit ou douteux, dont
l’imputabilité est incertaine (§2).
Dans le cas d’un abordage fautif, la situation la plus courante implique généralement
un seul fautif, mais il est également possible de rencontrer une situation où plusieurs
personnes ont concouru, par leur faute, à la réalisation du dommage. Ce cas particulier
entraine un concours de responsabilité, dont nous étudierons les modalités dans le
cadre de ce développement.
In fine, la difficulté principale dans la réparation des dommages dans le cas d’un
abordage fautif consiste en la détermination du responsable parmi les différents acteurs
impliqués. Une fois le responsable identifié et la preuve d’une faute rapportée, la
réparation du dommage incombe à ce responsable déterminé. Il faut toutefois noter
que les limitations de responsabilité de l’armateur prévues par la Convention de
Londres du 19 novembre 1976 sont applicables aux dommages résultant d’un
abordage. Ces limites de responsabilité seront étudiées dans la suite de notre étude.
Cependant, en cas de faute personnelle et prouvée du pilote, ce dernier pourrait également voir sa
responsabilité engagée80. La disposition de la Convention de 1960 se retrouve in extenso
dans la loi de 1967 relative à l’abordage maritime81.
Concernant la réparation des dommages, il est prévu par la Convention que chacun
des fautifs impliqués dans la réalisation de l’abordage répare les dommages qu’il a
causés, proportionnellement à la gravité de sa faute82. En cas de responsabilité solidaire,
la répartition est la même, et chaque responsable bénéficie d’un recours contre l’autre s’il paie
une part du dommage supérieure à la répartition effectuée relativement à la
gravité de la faute (c’est-à-dire en application des règles de la Convention).
En matière maritime, la loi de 1967 aujourd’hui codifiée dans le Code des transports,
prévoit un régime tout à fait semblable à celui envisagé en matière fluviale. En effet,
lorsqu’il y a un abordage engageant la faute de l’un et l’autre des navires ; on devrait en
principe également avoir une réparation in solidum. Ce régime est écarté en matière
d’abordage pour les dommages matériels, il est en revanche conservé pour les
dommages corporels : l’article 4 de la loi de 1967 le prévoit expressément et dispose
dans son deuxième alinéa : « Les dommages causés, soit aux navires, soit à leur cargaison, soit
aux effets ou autres biens des équipages, des passagers ou autres personnes se trouvant à bord,
sont supportés par les navires en faute, dans ladite proportion, sans solidarité à l'égard des
tiers. Les navires en faute sont tenus solidairement à l'égard des tiers, pour les dommages causés
par mort ou blessures, sauf recours de celui qui a payé une part supérieure à celle que,
conformément à l'alinéa précédent du
présent article, il doit définitivement supporter ».
Ainsi, le passager d’un navire victime du fait d’un tel abordage pourra se retourner contre l’un
ou l’autre des armateurs des navires pour obtenir la réparation du dommage qu’il a subi ; charge
à ces armateurs d’exercer un recours par la suite si cela s’avère nécessaire.
L’abordage fortuit est celui qui résulte d’un cas de force majeure. La qualification
d’abordage fortuit suppose toutefois que le cas de force majeure soit prouvé, et que
l’évènement envisagé qui remplisse les critères d’irrésistibilité, d’imprévisibilité et
d’extériorité tel qu’exigés par la jurisprudence83. En effet, la jurisprudence française en
la matière a conservé son exigence relative aux critères de la force majeure lorsqu’il
s’agit de l’abordage, et ce malgré le fait que le droit maritime ne se soit jamais fait « d’idée
aussi stricte des évènements qui exonèrent les capitaines et leurs armateurs »84.
Lorsqu’un abordage résulte de la survenance d’un cas de force majeure, les textes
applicables, autant la Convention de 1910, la loi française de 1967 en matière maritime,
que la Convention de 1960 en matière fluviale, prévoient que les dommages sont
supportés par ceux qui les ont éprouvés.
On constate donc in fine que la force majeure, en matière d’abordage tout comme en
droit commun, constitue une cause d’exonération de responsabilité. Dans notre cas
précis, c’est l’unité de navigation, ou du moins ses responsables, qui se trouvent
exonérés.
Quels sont les évènements maritimes qui peuvent constituer des cas de force majeure ?
Il convient en premier lieu de préciser que la navigation en mer comporte un certain
nombre de risques inhérent à celle-ci ; ainsi, des évènements qui pourraient
potentiellement constituer des cas de force majeure dans un autre contexte sont des
évènements normaux dans le cadre de la navigation maritime (par exemple, la tempête,
la brume). Ce n’est que lorsque « les évènements normaux ont un caractère anormal »85 que
ceux-ci peuvent être considérés comme relevant de la force majeure. De manière
générale, la brume et les courants marins ne sont pas considérés comme des cas de
force majeure86. Il a par ailleurs été jugé que l’abordage résultant d’une panne
mécanique imprévue ne constitue pas un cas d’abordage fortuit87.
Les dommages réparables faisant suite à un cas d’abordage sont nombreux et divers.
De manière générale, un évènement tel qu’un abordage aboutit de manière quasisystématique
à la survenance de dommages. Le Code des transports dans son article
L. 5131-4 issu de la loi de 1967 en matière maritime et la Convention de Genève dans
son article 1er en matière fluviale évoquent les dommages causés aux unités de
navigation en cause (navire ou bateau), à leurs cargaisons, aux biens et personnes se
trouvant à bord.
§ 1 : Le dommage personnel
Dans le cas d’un abordage pour faute commune, plusieurs unités subissent un
dommage personnel, qui correspond au dommage qui est subi par la coque les moteurs
des navires ou bateaux en cause. Toutefois, comme nous l’avons évoqué
précédemment, l’article 4 de la loi de 1967 sur l’abordage maritime et l’article 4 de la
Convention de 1960 sur l’abordage fluvial, indiquent que les dommages en cas de
fautes communes sont réparés par les fautifs à proportion de la gravité de chaque faute.
Afin de déterminer cette proportion, on se fie généralement aux constatations de
l’expert intervenu des suites de l’incident89.
Dans le cas d’un abordage résultant d’une faute exclusive, si l’on se place du point de
vue du fautif, les dommages personnels correspondent aux dommages subis par
celui-ci. De manière générale, ce dommage personnel correspond à des dommages
matériels subis par l’unité fautive, c’est-à-dire les dommages subis par la coque et les
machines du navire ou du bateau de navigation intérieure.
Du point de vue du fautif, les dommages subis par les autres unités impliquées dans
l’évènement constituent en tout état de cause des dommages aux tiers, dont la
réparation est supportée par le fautif, conformément à la législation applicable, aussi
bien en matière maritime que fluviale. Toutefois, les dommages subis par les tiers
constituent également de leur point de vue un dommage personnel, dont la réparation
est supportée par le fautif.
Les dommages aux tiers réparables en application de la loi de 1967 relative à l’abordage
maritime codifiée dans le Code des transports et par la Convention de 1960 relative à
l’abordage fluvial, peuvent se subdiviser en deux catégories principales, les dommages
matériels (A) et les dommages corporels (B).
A. Dommages matériels
On distingue parmi les dommages matériels deux principaux types de dommages, les
dommages causés aux marchandises transportées (a) et les dommages causés aux
unités, navires ou bateaux, impliquées dans l’évènement (b).
a) Les dommages causés à la marchandise transportée
L’activité principale résultant de la navigation, qu’elle soit maritime ou fluviale, est le
transport de marchandise. En conséquence, les navires et bateaux sont quasiment
toujours chargés de marchandise. Dans le cas d’un abordage, peu importe les
circonstances dans lesquels celui-ci se produit, la marchandise peut subir des
dommages, plus ou moins grave selon la nature de celle-ci. Il s’agira, pour l’unité
transportant cette marchandise, de dommages causés aux tiers, peu importe que l’unité
transportant la marchandise soit l’unité fautive dans la survenance de l’abordage.
Toutefois, si l’abordage est causé par la faute d’une unité tierce, le risque pour le chargeur « est
que le transporteur invoque comme cause d’exonération un abordage qu’il a lui-même subi et
dont il n’est pas responsable »91.
De manière générale, le chargeur qui place des intérêts (dans notre cas une marchandise) à bord
d’un navire est assuré pour la perte de cette marchandise, on parle à cet égard d’assurance
facultés92.
En tout état de cause, si l’abordage provient de la faute exclusive d’un tiers (qui n’est donc pas
l’unité sur laquelle les marchandises étaient transportées), un recours peut être exercé par la
victime ou son assureur subrogé contre celui-ci, mais ce recours pourrait ne pas aboutir, en
raison de la possibilité pour le transporteur d’invoquer la faute nautique du capitaine comme
cause d’exonération93.
b) Les dommages causés à une unité de navigation
Dans le cas d’un abordage, aussi bien fortuit que pour faute exclusive ou pour faute
commune, les unités de navigation subissent des dommages, notamment sur la coque
et les moteurs. Afin de couvrir ces dommages, l’armateur souscrit généralement une
assurance de dommage qui prend la forme particulière de l’assurance « corps et
machines », dont nous étudierons les modalités plus tard.
En parallèle des dommages matériels que nous avons évoqués, des dommages
corporels peuvent survenir dans le cas d’un abordage.