2 - La Monnaie
2 - La Monnaie
2 - La Monnaie
La monnaie est l’un des instruments les plus utilisés dans notre vie quotidienne. En ce sens,
elle peut être définie comme une institution caractérisant l’économie d’échange. Il est
également possible de la présenter en insistant soit sur ses fonctions spécifiques, soit sur les
propriétés qu’elle doit nécessairement remplir pour jouer complètement son rôle. Ces
approches, non exclusives les unes des autres, sont complémentaires. Montrant la complexité
du phénomène monétaire, chacune d’elles met l’accent notamment sur la manière dont celui-
ci joue son rôle dans l’économie.
Plus récemment, les nouvelles technologies ont fait émerger de nouveaux instruments de
circulation, tels que la monnaie virtuelle, qui présente de nouveaux défis, de nature différente,
au système bancaire et aux banques centrales.
Unité de compte
Les trois
fonctions de
la monnaie
Instrument de Moyen de
réserve de valeur paiement
1
Aristote a décrit les trois rôles de la monnaie dans « L’éthique à Nicomaque » et « Politique »
2
F.A. Walker in « Money », 1878, cité par Schumpeter in « Histoire de l’Analyse économique », 1954, Paris,
Gallimard, Tome 3, page 435.
A – Unité de compte
Dans une économie où de nombreuses marchandises doivent être échangées, il faut, pour
réaliser ces échanges, pouvoir apprécier la valeur des biens et services. La thèse de Walras 3,
reprise par Denizet4, démontre, de manière claire, le rôle d’étalon des valeurs.
Dans un monde sans unité de compte, l’ensemble des agents économiques se rencontre, à un
moment donné, sur un marché pour fixer le coût des marchandises. Un commissaire-priseur
annonce des prix, centralise les offres et les demandes correspondant à ce système de valeurs
et, par un processus de « tâtonnement », modifie les prix initiaux jusqu’à l’obtention de prix
équilibrant l’offre et la demande. Lorsque la confrontation des offres et des demandes de
l’ensemble des biens a permis de dégager un ensemble de prix, les échanges ont lieu.
Dans un tel système, il existe autant de prix que de couples de biens échangés. Outre la
possibilité d’exercer un choix, le prix relatif exprime ainsi le rapport de valeurs entre deux
biens différents. Si 3 biens sont échangés, il existe 3 prix relatifs. Pour 4 biens, nous sommes
en présence de 6 prix relatifs. D’une manière générale, dans une telle économie à n biens, le
nombre de prix relatifs est de [n (n-1)] / 2 soit, par exemple, pour 1 000 biens, 499 500 prix
relatifs !
L’échange peut être simplifié grâce à un étalon de mesure. Le choix d’un de ces biens pour
mesurer la valeur de tous les autres biens simplifie grandement les calculs auxquels sont
soumis les agents économiques puisqu’il permet de mesurer la valeur de biens hétérogènes.
En effet, si le bien B, dont le prix est égal à 1, est choisi comme unité de compte, tous les
autres biens n’ont qu’un seul prix, exprimé en unité B d’où découlent tous les rapports
d’échange 2 à 2. Il ne reste, de ce fait, plus que (n - 1) prix. Avec 3 biens, nous passons de 3 à
2 prix relatifs. Pour 4 biens, de 6 à 3 prix relatifs et pour n biens de [n (n-1)] / 2 à (n-1) prix
et pour 1 000 biens de 499 500 à 999.
Toutefois, à la différence des biens de production et de consommation, la monnaie n’est pas
détruite par l’usage. Elle est le bien de référence qui permet de mesurer tous les autres.
Commun dénominateur de toutes les valeurs, elle permet une économie d’information et de
calcul et de déterminer, en conséquence, une échelle générale des prix en homogénéisant les
tarifs de l’ensemble des biens et des services. Parce qu’elle fournit une unité monétaire unique
dans laquelle les prix sont exprimés, elle permet ainsi le calcul économique et les arbitrages.
B – Moyen de paiement
La monnaie est un bien directement échangeable contre tous les autres biens, un instrument de
paiement permettant d’acquérir n’importe quel bien ou service, y compris le travail humain.
Elle est un « équivalent général ». Cette fonction de paiement doit cependant être explicitée.
Elle ne recouvre pas, en effet, le rôle d’intermédiaire des échanges. La monnaie de règlement
peut, en outre, différer de la monnaie de compte.
Payer permet de se libérer d’une dette. Toutefois, nous pouvons très bien concevoir que ce
paiement soit effectué sans utilisation de la monnaie : fourniture d’un bien (troc), d’un travail
(corvée)… Cependant, les paiements sont largement facilités par la liquidité5 de la monnaie.
En tant que phénomène social, elle doit faire l’objet d’un consensus conforté par l’État qui lui
3
L. Walras, « Éléments d’économie pure », première édition 1874, nouvelle édition Economica, 1988.
4
J. Denizet, « Monnaie et financement dans les années 80 », Dunod, 1982
5
C’est la capacité d’un actif à être aisément transformable en moyen de paiement sans perdre de valeur.
Contrairement à divers biens, la monnaie est acceptée de fait dans les paiements. On dit qu’elle constitue la
liquidité par excellence (échangeabilité parfaite).
donne un pouvoir libératoire et qui l’impose alors comme moyen de paiement à un cours
déterminé (« cours légal »).
Cependant, nous pouvons concevoir une situation dans laquelle une personne qui livre un bien
reçoit, non pas de la monnaie, mais une reconnaissance de dette. C’est alors le crédit qui a
permis l’échange. De même, le paiement ne renvoie pas nécessairement à un échange de
marchandises (paiement des impôts). Ainsi, les notions de paiement et d’échange peuvent
donc être distinguées.
Nous pouvons également dissocier les notions d’unité de compte et de moyen de paiement. En
effet, l’histoire monétaire récente nous en a donné un exemple. Bien que pendant de longues
périodes de l’économie il y ait eu simultanéité de ces deux concepts, cette dichotomie est
illustrée avec la création de l’European Currency Unit (ECU), qui était bien une unité de
compte européenne mais non un moyen de paiement.
6
La monnaie constitue un « lien entre le présent et l’avenir » (Keynes).
II – L’ÉVOLUTION DES FORMES DE LA MONNAIE
Nous pouvons distinguer historiquement plusieurs formes de la monnaie qui ont pu coexister
ou se succéder. La succession chronologique des formes d’échanges monétaires, utilisée à des
fins pédagogiques, ne correspond pas à une réalité historique en ce sens que le troc pur et
simple ne semble pas avoir existé, les échanges dans les sociétés primitives ayant en fait des
formes complexes : les opérations de comptes courants et l’usage du chèque sont connus à
Babylone au VIIème siècle avant J.C. ; le bimétallisme (or – argent) existe en Lydie où il fut
introduit par Crésus au VIème siècle avant J.C. ; le papier monnaie est émis en Chine au
IIIème siècle avant J.C.
La monnaie - marchandise
Il s’agit d’un bien divisible (sel, coquillages, thé, tissus, tabac, hachettes de cuivre en Gaule,
arachides et mil en Afrique…) pouvant se conserver, inspirant confiance, facilement cessible,
accepté comme ayant une certaine valeur d’usage.
La monnaie métallique
Les biens de consommation utilisés ont été rapidement remplacés par des métaux précieux
(or, argent) qui avaient toutes les qualités pour être universellement acceptés (désirés pour
leur beauté) et pour être conservés :
- Homogènes, donc facilement divisibles
7
La double coïncidence de volonté, quant aux objets de l’échange et du moment de l’échange, exige la recherche
d’une information coûteuse en temps et en revenus.
8
Ce sont des coûts variables dus aux transport et stockage éventuel des biens échangés ainsi qu’aux risques de
détérioration qui accompagnent ces opérations. Ils dépendent notamment de nombreux facteurs tenant à la
nature, à la fragilité, au volume et à la quantité des biens sur lesquels porte le troc. Ces coûts de transaction
affectent tout acte d’échange, troc ou non, mais leur spécificité dans le cadre du troc est qu’ils pèsent sur les
deux parties en présence, sur les biens vendus et achetés.
9
A Uruk, 4 000 avant J.C. : épi d’orge. En Égypte, en Grèce, à Rome : la tête de bétail (« pecus »).
- inaltérables, leur durée de vie étant presque infinie
- grande valeur, du fait de leur rareté, pour un poids et un volume assez réduits
- aisément transportables
D’abord « pesée » (on remettait une certaine quantité de métal), puis « comptée » (boules de
métal avec risque de fourrage), la monnaie métallique a rapidement été « frappée ». En effet,
devant la puissance qui s’attache à sa détention et, par conséquent, à sa création, à sa
fabrication et à sa mise en circulation, le pouvoir politique s’est réservé le droit d’émettre des
signes monétaires et de définir l’étalon monétaire (pouvoir régalien de « battre monnaie »).
Cette monnaie, émise par le Prince (l’État), avait, pour valeur nominale, son contenu garanti
en métal et possédait un pouvoir libératoire10.
Il s’agit là d’une présentation relativement idéale de la monnaie métallique car, en pratique, le
souverain peut avoir intérêt à altérer le contenu métallique des pièces. Il impose alors leur
utilisation pour une valeur nominale supérieure à sa valeur intrinsèque en diminuant la teneur
en métaux précieux des pièces.
Cette dissociation entre valeur intrinsèque de la pièce et valeur conférée par le pouvoir
politique nous amène à la logique qui prévaut à l’émission de la plupart des pièces
contemporaines. Celles-ci ne constituent plus de la monnaie métallique. Il s’agit, en fait,
d’une monnaie divisionnaire qui ne subsiste plus qu’à titre d’appoint. Elles sont frappées dans
un métal de faible valeur et l’État leur donne une valeur légale qui les conduit à être acceptées
dans les paiements.
10
Facilité que possède la monnaie de permettre à un débiteur de se libérer de sa dette, jusqu’à un certain
montant, par la fourniture de cette monnaie à son créancier.
Le billet (monnaie fiduciaire)
D’un point de vue historique, il conviendrait de distinguer précisément deux catégories de
billets : le billet d’État et le billet de banque.
Le billet d’État est un papier-monnaie émis par la puissance publique, ou en son nom, avec
comme contrepartie des créances dur l’État.
Le billet de banque, quant à lui, n’est, à l’origine, qu’un simple certificat représentatif d’un
dépôt de monnaie métallique (le montant des billets ne dépasse pas celui du stock de métal
sous-jacent). L’idée en revient à Palmstruch, banquier suédois, qui avait pris l’habitude,
depuis 1656, d’en remettre en échange des effets de commerce escomptés11. Il est donc une
monnaie de papier émise par une banque privée, ou un organisme de ce type, à partir d’une
contrepartie, intégrale ou partielle, en or dans un premier temps, et à l’occasion d’octrois de
crédit par la suite.
Avec le temps, estimant que la confiance régnait et donc que leur conversion en métal ne sera
pas demandée, en même temps, par l’ensemble des détenteurs, l’émetteur a émis plus de
billets qu’il ne conservait de métal12. S’ajoutant à la monnaie métallique, ces supports ont été,
dès lors, progressivement consacrés comme une véritable monnaie fiduciaire. Le même type
de processus a été mis en œuvre par les Goldsmiths londoniens (orfèvres) puis par la Banque
d’Angleterre, à l’origine banque privée concurrente, qui s’imposera par la suite13.
La confiance dans le billet de banque n’a été cependant totale que lorsque l’État lui conféra le
cours légal14. Ce fut le cas, en France, en 1870. Dès lors, tout créancier fut obligé de
l’accepter en paiement dans les limites du pouvoir libératoire qui lui était accordé.
Cette idée d’une émission de billets plus ou moins indépendante des encaisses métalliques fut
au cœur d’une controverse au XIXème siècle.
D’un côté, les tenants de la Currency School, dont David Ricardo est le principal représentant,
regroupés sous le nom d’École de la circulation, considèrent que dans un monde où l’idée de
monnaie est encore très largement associée au métal, un morceau de papier ne peut pas être
monnaie. Si une banque émet ce document sur lequel est inscrite une somme, elle doit donc
en posséder l’équivalent en or et / ou argent, en réserve, dans ses coffres. Dans cette optique,
la monnaie reste le métal et le billet, un substitut commode au métal, permettant de faciliter la
circulation.
D’un autre côté, l’École de la banque (Banking School), représentée par Tooke et Thornton,
remet en question cette vision archaïque de la nature du billet. L’or continue, certes, à jouer
un rôle prépondérant puisque le billet est convertible, mais la banque peut émettre des billets
pour une valeur supérieure à son encaisse métallique. En effet, ce sont les besoins de
l’économie qui appellent la création de billets. Lorsque l’activité se développe, le montant des
crédits commerciaux tend à s’accroître. Or, c’est en contrepartie de ces crédits accordés que la
banque émet des billets.
Ces deux analyses de la nature des billets de banque conduisent chaque école à prôner une
politique différente en matière d’émission.
11
L’effet de commerce est un titre constatant une créance d’une somme d’argent à court terme (lettre de change,
billet à ordre). Les banques peuvent racheter, avec une décote, avant terme, ces effets : c’est l’escompte.
12
En 1666, toutefois, suite à une émission trop importante de billets sans contrepartie métallique, la banque de
Palmstruch est liquidée.
13
L’acte de Peel ou « Banker Charter Act » lui accordera, en effet, en 1844, le monopole de l’émission de billets.
14
Obligation faite par la loi d’accepter les billets et les pièces en paiement d’une dette.
Les partisans du « currency principle », appliqué en Grande-Bretagne, voient dans
l’intervention de l’État un moyen de limiter l’émission de billets pour assurer la stabilité
monétaire. Une banque peut, en effet, être conduite à procéder à de nombreuses émissions. Le
surplus de billets dans la circulation peut perturber l’activité économique, en provoquant une
hausse des prix. Il revient alors à l’État d’empêcher les déséquilibres en réglementant
l’émission.
Les défenseurs du « banking principle », appliqué en France, refusent, au contraire, toute
réglementation étatique. La liberté d’émission peut être compatible avec la stabilité : l’excès
de billets n’est pas à redouter puisque l’émission est rythmée par le mouvement des affaires.
La banque ne décide pas arbitrairement du montant à injecter dans le circuit économique. Elle
diffuse ces billets en satisfaisant les demandes de crédit émanant des commerçants qui lui
fournissent, en contrepartie, des effets. Il ne peut donc pas y avoir un accroissement de billets
en circulation puisque ceux-ci font l’objet d’une demande. En outre, le remboursement du
crédit se traduit par un retour des billets à la banque ou par un afflux de métal. Si le montant
des remboursements l’emporte sur celui des crédits nouvellement consentis, la quantité de
monnaie en circulation diminue. La circulation monétaire se réduit ainsi automatiquement
quand l’activité économique se ralentit.
Aujourd’hui, la distinction est peut-être de moindre importance mais non pour autant dénuée
de portée.
17
The Denationalization of Money, 1976
COMMENT SE DEROULE UNE TRANSACTION SUR LE « RESEAU BITCOIN » ?
Une transaction prend place entre deux adresses
Vous avez acheté des bitcoins sur une plateforme d’échanges. Chaque montant est alors sauvegardé dans une
adresse alphanumérique (suite de lettres et de chiffres de 27 à 34 caractères) sur le réseau bitcoin.
À l’inverse d’une adresse email, vous ne choisissez pas votre adresse bitcoin. Celle-ci est générée
automatiquement par votre porte-monnaie électronique ainsi qu’une clé privée (chaîne de caractères relativement
longue sauvegardée dans votre portefeuille). En règle générale, l’utilisateur ignore tout de cette clé privée qui
joue, en quelque sorte, le rôle de mot de passe lié à cette adresse.
Cette clé est utile lors des transactions. Chaque fois que vous émettez une transaction, le client bitcoin l’utilise
pour signer la transaction afin que le réseau puisse vérifier qu’il s’agit bien du propriétaire de l’adresse qui a
initié le paiement. Comme pour l’envoi d’un email, vous aurez besoin d’une adresse de destination pour réaliser
une transaction. Il vous faudra également spécifier un montant à transférer.
Une transaction en bitcoins ne nécessite pas que l’ordinateur du destinataire soit allumé. Le réseau prendra en
compte la transaction et elle apparaîtra dans le portefeuille du destinataire dès qu’il sera connecté à l’Internet.
Comme pour l’email également, une transaction est définitive : une fois envoyée, on ne peut pas l’annuler.
Une fois la transaction effectuée, elle doit être validée par le réseau
Une transaction en bitcoins, une fois envoyée par l’émetteur, est finale et irréversible. Cependant, pour éviter une
potentielle fraude et notamment l’annulation d’un paiement, il est prudent d’attendre qu’une transaction ait bien
été confirmée par le réseau avant de la considérer comme irréversible.
Si vous vendez un objet et que vous attendez un paiement en bitcoins, la transaction apparaîtra dans votre porte-
monnaie dès que l’acheteur aura validé son paiement. Mais, pour autant, cette transaction ne sera pas encore
confirmée par le réseau. Les transactions reçoivent une confirmation toutes les dix minutes environ.
La première confirmation que reçoit une transaction correspond au moment où elle est incluse dans un nouveau
bloc au sein de la chaîne de bloc. Chaque nouvelle confirmation correspond à un bloc supplémentaire généré
après le bloc en question. En clair, plus votre transaction sera enregistrée profondément dans la chaîne de bloc,
plus celle-ci sera considérée comme sûre et irréversible et plus elle recevra de confirmations. Comme le réseau
produit 1 bloc en moyenne toutes les dix minutes, une transaction reçoit environ 150 confirmations par jour.
Une seule confirmation peut offrir une sécurité suffisante pour de petites transactions. Toutefois, pour des
montants importants, il est prudent d’attendre qu’une transaction ait accumulé au moins 6 confirmations (1 heure
d’attente environ). Chaque nouvelle confirmation diminue exponentiellement le risque de fraude.
La volonté de ses créateurs est de donner naissance à une monnaie échappant au contrôle des
États et donc non soumise à la tentation de la « planche à billets », un mal selon eux à
l’origine de crises telles que celle des subprimes. En d’autres termes, selon une vision
libertaire, les adeptes des bitcoins voient, dans la fin du monopole des banques centrales sur
l’offre de la monnaie et la « débancarisation », l’assurance que les citoyens se réapproprient
leur devise.
Le bitcoin échappe ainsi à toutes les règles monétaires traditionnelles. Sachant qu’il n’est
utilisé que sur l’Internet, sa valeur est fragile puisqu’il n’est relié ni à un décret
gouvernemental, ni à une marchandise susceptible de renforcer la confiance que ses
utilisateurs pourraient avoir en lui. En d’autres termes, il n’a pas de « valeur tangible » mais
uniquement une « valeur d’usage » - celle que veulent bien lui reconnaître les personnes qui
l’utilisent - qui repose exclusivement sur la certitude que d’autres individus / entreprises
accepteront le bitcoin comme moyen de paiement. Cette devise peut donc à tout moment être
concurrencée par une autre monnaie virtuelle qui, si elle obtient la préférence des utilisateurs,
lui ferait alors perdre toute sa valeur.
L’existence d’une base publique de données, consultable à tout moment, permet à l’usager de
suivre les opérations qu’il a réalisées. Cette qualité confère à cette monnaie un statut de porte-
monnaie virtuel et rend la création de faux bitcoins difficile. Toutefois, si les transactions sont
publiques, l’identité des clients reste cryptée. Les facilités offertes par les nouvelles
technologies, associées à l’opacité des monnaies virtuelles, constituent ainsi des risques
majeurs de blanchiment de capitaux (En 2011, Silk Road, un site illégal de vente de drogue et
de trafic d’armes, avait fait du bitcoin sa monnaie de prédilection).
Créé automatiquement, il n’est pas généré par le cycle traditionnel des prêts bancaires. Plus de
11 millions de bitcoins pour une contrevaleur d’environ 6,5 milliards USD circulent, à l’heure
actuelle, dans le monde. Principalement échangé contre des yuans, des dollars et/ou des euros,
il peut également s'échanger contre des cryptomonnaies (Ethereum, Litecoin…) sur une
dizaine de plates-formes mais sous certaines contraintes. Il est actuellement impossible pour
des raisons de sécurité, de régler les transactions à l’aide de cartes de débit / crédit ou via le
système Paypal. Les offreurs de bitcoin ne souhaitent pas, en effet, être payés via ces moyens
de paiement car il est relativement aisé, dans certaines zones géographiques, d'annuler une
opération payée par carte bancaire alors qu'une transaction en bitcoin est définitive.
Cependant, certains sites autorisent leur clientèle à utiliser des moyens de paiement alternatifs
- cartes prépayées, portefeuilles électroniques, espèces, comptes Paypal vérifiés, cartes
bancaires avec vérification 3D Secure, etc.
Jusqu'en novembre 2013, il était habituel de considérer le cours pratiqué sur la plateforme
Mount Gox (Japon) comme représentatif du marché du fait de l’important volume de
transactions s’y effectuant. Sa faillite (février 2014) n’a pas affecté le cours observé sur les
autres sites. Aujourd’hui, www.bitcoinaverage.com, intégrant près d’une quarantaine de
plateformes pour établir un indice pondéré du cours du bitcoin, joue ce rôle de référence.
Mais déjà, il n’est plus besoin d’aller sur l’Internet ou de se rencontrer physiquement pour
s’échanger cette monnaie. Au Canada (Vancouver), les utilisateurs peuvent désormais en
acheter ou en vendre grâce à des distributeurs automatiques ! Pour effectuer une transaction,
un individu qui détient un compte en bitcoins devra s’identifier par le biais d’un contrôle
biométrique. Une fois authentifié, il pourra commander quotidiennement la somme de son
choix, à condition de ne pas dépasser 3 000 dollars canadiens (près de 2 100 euros) pour que
cette opération ne soit pas qualifiée de blanchiment d’argent. Le distributeur (Robocoins) lui
envoie un code QR dans le porte-monnaie électronique de son smartphone et imprime un
ticket.
Sa capitalisation boursière (et non sa masse monétaire, expression jugée impropre aux
cryptomonnaies) se développe au fur et à mesure que son réseau d’utilisateurs s’accroît. Bien
que virtuelle, la génération de bitcoins n’est toutefois pas infinie. Elle se découpe en « blocs »
de 10 minutes environ (laps de temps moyen estimé pour le calcul de la résolution de l’un
d’eux). Durant les 210 000 premiers blocs, 50 bitcoins étaient générés toutes les 10 minutes.
Mais ce cap est désormais passé et ce sont, à présent, 25 bitcoins qui sont engendrés à chaque
résolution de bloc. Quand les 210 000 blocs alloués à cette phase seront épuisés (environ
quatre ans), on passera à 12,5, puis à 6,25, puis à 3,125, et ainsi de suite. Sachant qu'un
bitcoin est divisible jusqu’à 8 chiffres après la virgule, les dernières phases de génération
seront infinitésimales. Ce ralentissement arrivera à son apogée lorsque 21 millions de signes
seront émis. A partir de ce point, qui sera atteint aux alentours de 2035-2040, plus aucun
denier virtuel de ce type ne pourra être produit. Sa mise en circulation suit, de ce fait, une
courbe de croissance dégressive.
Ainsi, cette monnaie présente-t-elle une caractéristique inédite : elle est intrinsèquement
déflationniste, se distinguant de la sorte de ses consœurs : un agrégat monétaire non conçu
pour s’adapter à la production de richesse et un processus de création induisant une baisse du
prix des biens et services libellés en bitcoins : une déflation permanente !
De surcroît, contrairement aux monnaies traditionnelles dont la valeur décroît notamment
avec l’inflation, le prix de cette devise devrait augmenter au fur et à mesure de la
généralisation de son utilisation. Ce signe monétaire serait-il alors une réserve de valeur ? Le
bitcoin, qui valait moins d’1/1000ème USD à sa création, s’échangeait à mi-juillet 2016, près
de 650 USD ! Mais tout comme l’or, son cours tend à progresser dans les périodes de forte
tension sur les marchés.
Cependant, en dépit de sa progression globale sur le long terme, cette monnaie apparaît
malgré tout intrinsèquement instable et sujette à toute une série de pathologies récurrentes
(forte variation dans sa liquidité, extrême volatilité de son cours : 175% par an entre juillet
2010 et juillet 2013 ; emballements spéculatifs : rendement annuel moyen de près de 400%,
effondrement du cours début 2015,…). Est-ce un effet de rareté, prompt à nourrir la
spéculation ? À la différence d’un marché conventionnel, où une banque centrale n’hésite pas
à intervenir pour défendre une monnaie et limiter sa volatilité, le bitcoin est laissé libre à la
spéculation.
Au total, la perte de valeur entre son cours le plus haut et celui d’aujourd’hui est d’environ
80%, éliminant ainsi la vocation du bitcoin à être une monnaie de réserve substitutive, parfois
alléguée lorsque son cours était proche de ses sommets. Par ailleurs, la très faible utilisation
comme moyen de paiement de transactions commerciales licites en fait un instrument de
spéculation et de contournement des lois qu’une monnaie de plein exercice.
Mais, dès l’origine, de nombreux risques techniques ont été invoqués à l’encontre du bitcoin :
- risque lié à l’irréversibilité des transactions
- risques opérationnels liés au logiciel et à l’environnement informatique (fichier wallet
mal protégé, banque passante requise pour charger les blocs, etc.)
- risque de change (sa relative jeunesse l’expose à de fortes fluctuations de cours)
- risque technologique (il est souvent avancé que le réseau ne pourrait pas monter en
puissance pour traiter toutes les transactions en mode peer to peer).
Au plan économique, il a fait également l’objet de critiques :
- une « bulle » bien réelle pour cette devise virtuelle pourrait se produire ! La difficulté de
lui assigner une « valeur fondamentale » comme pour toute monnaie traditionnelle, fait
d’elle le terreau du boursicotage et autres manipulations comme en atteste son parcours
heurté.
- selon Dorit Ron et Ami Shamir, chercheurs de l’Institut Weizman (Israël), le livre public
des bitcoins montre qu’à fin 2012, 78% des unités étaient restées bloquées sur les
comptes (thésaurisation). Prenons garde à spéculer car l’observation de l’évolution du
cours de cette devise semble favoriser les premiers acquéreurs de la monnaie (early
adopters). Cette situation, si elle était avérée, pourrait laisser penser à un schéma de
Ponzi (montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des
premiers clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants) voire à
une « tulipomanie » (nom donné à « crise de la tulipe », période de très forte hausse
suivie de l'effondrement du cours de l’oignon de tulipe aux Pays-Bas au milieu du
XVIIème siècle. Au plus fort de cet engouement, en février 1637, des promesses de vente
pour un bulbe se négociaient pour un montant égal à dix fois le salaire annuel d’un artisan
spécialisé. Certains historiens ont qualifié cette crise de « première bulle spéculative » de
l’histoire économique).
- l’engouement pour cette monnaie pourrait d’une part, avoir un impact sur la stabilité des
prix et sur celle des systèmes financiers et d’autre part, perturber la politique monétaire
(vitesse et quantité de monnaie en circulation) et, in fine, l’efficacité et la transmission de
celle-ci.
- si les monnaies virtuelles se substituent aux réelles, le bilan de la banque centrale
diminuerait et les décisions qu’elle aurait à prendre n’auraient pas l’impact attendu. Dans
les pays où de telles devises ont pris un poids non négligeable, les pouvoirs publics ont
rapidement réagi. Ainsi, la société des télécoms chinoise Tencent avait lancé pour le
compte de sa clientèle sa propre monnaie, Q-coin, dont le taux de change était fixé par
rapport au yuan renminbi. Devant le succès de cette initiative, les autorités chinoises ont
décidé d’y mettre unilatéralement fin, en juin 2009, arguant de son possible impact sur le
système financier réel. Au total, « si elles ne semblent pas encore, à ce jour, menacer la
stabilité financière compte tenu de leurs liens limités avec l’économie réelle, de leurs
faibles volumes, leur développement doit être attentivement surveillé18 ».
- En Union européenne, l’Autorité Bancaire Européenne estime que les bitcoins sont des
« représentations virtuelles » de monnaie. En octobre 2015, la Cour de Justice de l’Union
européenne a confirmé que les opérations d’échanges de bitcoins contre devises
conventionnelles étaient exonérées de TVA au motif que le bitcoin était une « devise
virtuelle » et non comme un bien et ou service.
Ainsi, les monnaies virtuelles ne posent pas de problèmes en tant que moyen de paiement car
elles devraient se développer avec l’essor des smartphones. En fait, leur légalité, leur contrôle
et leur fiscalisation alarment car elles peuvent être moteurs de changements
comportementaux.
En définitive, s’il n’existe pas de définition juridique de la monnaie, les économistes, en
revanche, définissent la monnaie comme tout ce qui est généralement accepté en paiement de
18
Virtual Currency Schemes, Banque centrale européenne, Octobre 2012.
biens / services ou pour le remboursement de dettes. Quelle que soit sa forme (coquillage,
cailloux, or, papier,…), elle a trois fonctions principales dans toutes les économies : elle est
intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Pour autant, peut-on
qualifier le bitcoin de monnaie voire de monnaie locale virtuelle ? En effet, il semble répondre
aux caractéristiques économiques de la monnaie :
- unité de compte : il permet de mesurer la valeur d’un bien qui fait l’objet d’une
transaction.
- instrument d’échange : il permet d’acheter un grand nombre de biens ou de services sur
l’Internet ou dans des commerces de proximité.
- instrument d’épargne : il peut être stocké dans des portes-monnaies électroniques ou dans
des coffres-forts électroniques sur serveur puis utilisés pour des achats ou revendus
contre des euros ou une autre devise selon un prix qui fluctue en fonction de l’offre et de
la demande.
Mais même s’il semble répondre aux caractéristiques économiques de la monnaie, cela ne
signifie pas pour autant qu’il sera obligatoirement accepté comme instrument monétaire par
tous les agents économiques i.e. être considéré comme une monnaie ayant cours légal.
Néanmoins, s’il semble que les acheteurs aient de moins en moins de raisons d’avoir recours à
l’argent liquide du fait de multiples innovations technologiques, sommes-nous prêts à devenir
une société sans numéraire ? En tout état de cause, est-ce la mort annoncée des billets de
banque ? Si les espèces est aujourd’hui une solution coûteuse pour les banques et pour les
entreprises qui gèrent des opérations financières, celles-ci auront des difficultés à convaincre
les consommateurs de renoncer aux billets et aux pièces, en particulier les personnes âgées. Si
la technologie est en place pour une vie sans monnaie, la société a un long chemin à parcourir
avant que tous les paiements soient effectués en monnaie numérique.
Dès lors, quelle pourrait être la part de l’argent liquide dans les économies modernes ? La
réponse relève de pratiques culturelles, comme le suggère la comparaison entre Français et
Allemands, ces derniers étant traditionnellement plus attachés aux paiements en liquide. Il
faudrait sans doute de fortes incitations voire des taxes pour rendre plus onéreuse l’utilisation
d’espèces. De surcroît, l’économie informelle est le segment de l’économie qui utilise le plus
de monnaie liquide. Enfin, une grande partie des monnaies internationales circulent hors de
leur zone de prédilection : près de 60% des dollars circulent hors des États-Unis, 25% des
euros circulent en dehors de la zone euro. Au final, il semble qu’à moyen terme, nous ne
dirigeons pas vers la fin de l’argent liquide.
D – Les monnaies complémentaires
Outre les monnaies « parallèles 19», la seconde moitié du XXème siècle a donné à voir un grand
nombre de cas de monnaies complémentaires20. En France, il y a près d’une trentaine en
circulation et autant en projet21.
Mais ces monnaies locales complémentaires (MLC) ne sont pas l’apanage de la France. De
nos jours, la mondialisation leur donne une nouvelle actualité, plus particulièrement depuis la
dernière crise financière. Rien qu’en Europe, il en existe près d’une soixantaine en
Allemagne, environ 70 en Espagne. En Grèce, leur nombre a connu, une croissance rapide
durant la période 2008-2014, pour atteindre un pic de 70, dont une quarantaine sont encore
actives.
Notons également l’existence d’une autre forme de MLC : les monnaies matières premières.
Par exemple, le système WAT, créé en 2000 au Japon, consiste à valoriser l'énergie propre
produite par des coopératives citoyennes grâce à des éoliennes et des panneaux solaires. Le
wat correspond à 1 kilowattheure d'énergie et vaut entre 75 et 100 yens (environ 60 à
90 centimes d'euros). Il circule sur un papier, billet ou ticket, le plus souvent imprimé par des
entreprises qui utilisent ce support pour faire de la publicité à l’endos. Autre exemple, le leaf,
créé par des agriculteurs de la région de Kobé, est une monnaie convertible en un panier de
produits agricoles. Ces deux monnaies, qui n’ont pas de parité fixe avec le yen, ont un cours
qui évolue dans le temps.
Au final, il y en aurait, aujourd’hui, plus de 5 000 à travers le monde.
19
Dollarisation en Amérique latine et en Europe centrale et orientale, miles pour les compagnies de transport
aérien, bons d’achats depuis les services de restauration jusqu’aux services culturels et aux services de proximité,
émergence de programmes de fidélisation de la clientèle, naissance et développement de systèmes d’échange
local, fausse monnaie...
20
Les monnaies complémentaires sont « des réseaux monétaires qui opèrent en complément de la devise
nationale, que ce soit au niveau local, régional ou national » (www.complementarycurrency.org).
21
La revue de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n°14, Septembre-Octobre 2013.
22
Le seul cas où une monnaie locale tomberait sous le coup du Code pénal est le cas du délit d’imitation
(article 442-6) lorsque ses supports présentent avec les billets en euros une ressemblance trop forte.
Son utilisation répond à des motifs très divers
Selon une enquête menée, en France, en 2016, par l’Institut Veblen et le mensuel Alternatives
Economiques (Dossier Spécial, mai 2016) auprès de 41 collectifs de monnaies locales et
complémentaires, les motivations et les difficultés rencontrées lors du lancement de tels
signes monétaires sont de diverses natures (plusieurs réponses possibles) :
Leur utilisation peut aussi répondre à une logique purement commerciale dans une stratégie
de fidélisation de la clientèle (s’miles, cartes privatives par exemple) et parvenir ainsi à une
situation de « concurrence monopolistique ».
Lorsque les entreprises échangent entre elles, celles-ci peuvent avoir intérêt à se passer de
monnaie officielle, à l’instar du barter et du wir (pour wirtschaftring : cercle économique), à
la fois, pour réduire les sorties d’espèces liquides et pour resserrer les liens commerciaux au
sein d’un groupe d’entreprises.
La banque WIR est un organisme sans but lucratif suisse. Outre son siège (Bâle), elle possède 6 succursales
pour environ 200 salariés. Le total de son bilan atteignait, en 2015, 5,2 milliards de francs suisses. Elle opère,
tant en franc suisse (CHF), qu’avec sa propre monnaie, le franc wir (CHW), et le wir euro (CHE), « devise inter-
entreprises » créée en 1934, afin de faciliter les échanges économiques entre ses membres. En adhérant au
« réseau wir », les partenaires s’engagent à figurer dans l’« annuaire wir » et à accepter les paiements en wir
selon un pourcentage choisi (30, 50 ou 100%). Depuis l’an 2000, elle offre ses services à une clientèle privée.
Selon le rapport de gestion 2014, elle compterait près de 60 000 PME-PMI clientes. À l’observation, le franc wir
apparaît comme une devise contracyclique, ses échanges augmentant en période de récession.
Notons un fait rare. La Suisse, en raison du wir, se caractérise par une triple présence dans la nomenclature ISO
4217 (CHF, CHW et CHE) laquelle codifie les trois lettres qui désignent internationalement les devises tandis
que pour la plupart des pays ils n’en ont qu’une du fait de l’unicité de leur monnaie. Le wir représente 1% de
l’agrégat suisse M1 soit 5,5 milliards de francs suisses.
Les formes premières du barter auraient circulé 6 000 ans avant J.C en Mésopotamie, en Phénicie et à Rome. De
nos jours, les agences de barter constituent une alternative aux opérations monétaires et aux établissements
bancaires en remplissant un rôle d’intermédiaire entre les entreprises. Ces structures aident, en effet, les firmes
en facilitant leurs transactions (vente de services, produits ou stocks non écoulés) afin que celles-ci puissent
notamment financer leurs investissements et / ou leurs dépenses courantes. Ainsi, en France, une entreprise peut
s’inscrire sur le réseau de France Barter, créée en 2014, pour vendre ses marchandises (Au plan comptable, la
vente est enregistrée TVA incluse). Son « compte France Barter » est crédité de barter euros dont elle peut
librement jouir auprès des autres entreprises membres.
Au niveau mondial, le volume annuel échangé est relativement stable (de l’ordre de 16 milliards USD).
L’International Reciprocal Trade Association (IRTA) (www.irta.org) distingue : le retail barter destiné aux PME
et TPE (20% des transactions), le corporate barter dédié aux ETI et grandes entreprises (30%) et le countertrade
ou counterpurchase qui est un système de compensation entre États (50%).
Ainsi contribuent-elles à ce que les revenus engendrés localement soient dépensés sur place
(Il suffit de l’accepter pour faire partie de la communauté de paiements). Elles peuvent avoir,
de ce fait, une vocation sociale en relocalisant l’économie sur un territoire et en favorisant la
cohésion communautaire via les échanges et activités entre les acteurs locaux. Sous leur
forme « fondante » (elles perdent de leur valeur après un certain temps en cas de non-
utilisation), elles circulent plus vite et dynamisent alors l’économie régionale.
Elle suscite la méfiance des pouvoirs publics dont elle questionne le pouvoir
monétaire.
Parmi les inspirations des créateurs de monnaie privées, se trouve, parfois, une idéologie,
notamment aux États-Unis, marqués par l’histoire du free-banking : jusqu’au début du
XXème siècle, le pouvoir de création monétaire des banques américaines échappait à tout
contrôle de la puissance publique. Cet extrême morcellement a montré ses limites avec la
récurrence de crises financières qui a conduit progressivement à l’émergence d’une banque
centrale (Federal Reserve, 1913). Dès lors qu’une monnaie privée circule dans l’économie et
est acceptée par d’autres banques, la faillite de son émetteur peut déstabiliser tout le système
des paiements.
Les monnaies locales, émises sous trois formes : papier (vignettes, bons, souches exprimant
l’unité de compte choisie), scripturale ou électronique, soulève de nombreuses problématiques
notamment juridiques.
Tout d’abord, lorsque les supports-papier utilisés sont remboursables, fractionnables et
donnent lieu à un rendu de monnaie, le risque de contrefaçon et d’imitation de cette monnaie
est élevé car elle ne bénéficie pas des nombreux signes de sécurité qui protègent les billets (la
lutte contre la contrefaçon est à la charge des initiateurs du projet).
Autre interrogation, celle de son articulation avec le système de paiement officiel. Sa
convertibilité en euro n’est pas assurée car elle dépend du bon vouloir de l’émetteur. De
surcroît, en l’absence d’un Institut d’émission, sa valeur n’est jamais garantie : elle n’est donc
pas un instrument d’épargne ou une réserve de valeur « certaine ».
Enfin, la solidarité que les monnaies locales instaurent entre leurs membres a pour effet de les
soustraire aux prélèvements obligatoires captés sur les flux monétaires et au financement de la
solidarité nationale. Le problème s’est posé, en France, dans les années 1990, à propos des
systèmes d’échange locaux (SEL) mis en cause devant les tribunaux pour « travail au noir ».
La justice n’a pas condamné les « Selistes » considérant qu’il s’agissait d’échanges mineurs,
qui n’auraient pu avoir lieu dans le cadre du marché. S’il venait à prendre de l’ampleur, un
compromis fiscal s’imposerait.
Toutefois, bien qu’il ne s’agisse pas de monnaies à proprement parler, elle est un moyen de
paiement encadré par la réglementation bancaire et financière. En France, l’Autorité de
Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) doit apprécier, au cas par cas, selon les
caractéristiques spécifiques de chaque projet, si l’émission d’une monnaie locale relève ou
non de la qualification d’opérations de mise à disposition de la clientèle ou de gestion des
moyens de paiement. Le cas échéant, ces activités supposent un agrément de l’ACPR qui
diffère selon la qualification du support envisagé.
Au final, si la confidentialité du phénomène laisse penser que ses conséquences sur la
circulation fiduciaire sont limitées, leur présence, leur présence peut réduire le rôle de « fluide
de l’échange » de la monnaie officielle. Par ailleurs, si la Banque de France n’a jamais
apporté son soutien à de telles initiatives, elle ne s’y oppose pas non plus au motif que ce
phénomène a peu d’impact sur la circulation fiduciaire d’une part, en raison du caractère local
et limité de ces expériences qui ne représentent que de faibles montants en France, sans
commune mesure avec ce qui a pu être observé à l’étranger (cf. le wir et le chiemgauer) et
d’autre part, car l’émission de ces nouveaux supports se fait par échange initial avec des
euros, ce qui induit qu’il n’y a pas ou peu de modification sur le volume fiduciaire en
circulation.