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REGARDS

IDÉES DE PHYSIQUE

Des électrons contre du soleil

La conversion de l’énergie lumineuse en énergie électrique se développe.
Mais jusqu’où peut-on augmenter les rendements ?
Jean-Michel COURTY et Édouard KIERLIK

À
l’heure du développement assez d’énergie pour exciter les électrons différence de potentiel de 1,1 volt). Cette
durable, la lumière du Soleil du solide. L’énergie de ces électrons ne peut énergie, un photon peut l’apporter. L’éner-
est vue comme une source pas prendre n’importe quelle valeur. Elle gie de ces grains de lumière dépend de leur
d’énergie propre et inépui- est limitée à des intervalles bien définis, longueur d’onde : 1,1 eV correspond à une
sable. Encore faut-il la transformer en éner- les « bandes d’énergie ». Les matériaux qui longueur d’onde de 1,1 micromètre, dans
gie utilisable, notamment en électricité avec constituent les cellules photovoltaïques l’infrarouge proche. Les photons d’énergie
des cellules photovoltaïques. Si le principe sont des semi-conducteurs, tel le silicium, inférieure (de longueur d’onde supérieure)
de ces cellules est simple, leurs perfor- pour lesquels deux bandes sont en jeu : la ne peuvent donc être absorbés. Comme
mances sont limitées. Pour l’instant... bande de valence (dernière bande totale- ils représentent au sol près de 20 pour cent
ment remplie d’électrons) et, un peu au- de l’énergie solaire, c’est une première rai-
Des performances dessus en énergie, la bande de conduction son du rendement limité des cellules pho-
(première bande non totalement remplie). tovoltaïques, et cela explique qu’il y a moins
médiocres, mais… d’électrons libérés que de photons incidents.
Examinons une cellule photovoltaïque type, Tous les photons d’énergie supérieure au
de 15 centimètres de côté. La notice nous gap peuvent être absorbés : un tel photon a
apprend qu’elle peut fournir un courant de l’énergie suffisante pour déloger un électron
huit ampères (5 ⫻ 1019 électrons par seconde) de la bande de valence, où se crée un trou,
sous une tension de 0,6 volt, soit une puis- et le porter dans la bande de conduction.
sance de 4,8 watts. Par ailleurs, la puissance Comme c’est le cas de toute la lumière visible,
lumineuse reçue au sol est, avec un bon enso- les cellules nous apparaissent noires.
leillement, d’environ un kilowatt par mètre Que devient l’excès d’énergie? Par exem-
carré, soit environ 24 watts sur la cellule et, ple, un photon « rouge » de 1,6 eV a 0,5 eV
grossièrement, de l’ordre de 7 ⫻ 1019 photons de plus que le gap, supplément qui peut
Dessins de Bruno Vacaro

par seconde. Ainsi, le rendement énergétique servir à créer un trou à 0,3eV au-dessous du
atteint à peine 20 pour cent, tandis que la sommet de la bande de valence et porter
conversion photon-électron au sein de la l’électron correspondant à 0,2eV au-dessus
cellule dépasse les 70 pour cent. du minimum de la bande de conduction. Mais
Or un argument thermodynamique 1. L’AVION SOLAR IMPULSE, aux ailes recouvertes très rapidement, les électrons perdent de
démontre qu’on est loin de l’optimum : en de panneaux solaires, volant au-dessus d’une l’énergie par collisions avec les atomes et se
considérant la lumière comme le vecteur « ferme solaire ». retrouvent au niveau minimal de la bande de
d’énergie qui fait fonctionner un moteur conduction. Dans le même temps, par des
entre une source chaude (la surface du Soleil, Les semi-conducteurs ont leur bande de mécanismes similaires, chaque trou est com-
à 6 000 kelvins) et une source froide (la conduction entièrement vide et sont donc blé par un électron de la bande de conduc-
Terre, à 300 kelvins), on calcule un rende- isolants, car seuls les électrons situés dans tion d’énergie supérieure, électron dont le
ment théorique maximal de 95 pour cent ! la bande de conduction sont mobiles. départ crée un trou, et ainsi de suite : l’éner-
Alors, pourquoi une si faible performance ? Toutefois, dans les semi-conducteurs, gie du trou finit par remonter au maximum
Pour le comprendre, il faut se plonger l’écart d’énergie entre ces deux bandes, le de la bande de valence.
dans le fonctionnement de la cellule. Le « gap », est relativement faible : il vaut Le reste de l’énergie est passé dans les
principe est simple : dans le domaine visi- 1,1 électronvolt (eV) pour le silicium (l’éner- vibrations du réseau cristallin, c’est-à-dire
ble, les photons, ces grains de lumière, ont gie gagnée par un électron soumis à une dans l’élévation de température du maté-

88] Idées de physique © Pour la Science - n° 393 - Juillet 2010

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Regards

riau. Morale de l’histoire ? Parmi tous les

photons incidents, ne sont captés que ceux
ayant une énergie supérieure au gap. Ces
photons créent une paire électron-trou, et
l’énergie que l’on peut espérer récupérer
est au mieux égale à celle du gap.
On est face à deux exigences contra-
dictoires: pour augmenter le nombre de pho-
tons captés, il faut diminuer le gap, mais 2. UN PANNEAU PHOTOVOLTAÏQUE est composé de nombreuses cellules constituées d’un maté-
on récupère alors moins d’énergie par riau semi-conducteur, généralement du silicium. Lorsqu’un photon (ligne ondulée rouge) d’énergie
photon, l’énergie en excès étant transfor- suffisante arrive, il est absorbé et crée une paire électron-trou (en bleu) : un électron (de charge
mée en chaleur. Un compromis est donc à négative) quitte la bande d’énergies de valence, où il laisse un trou (de charge positive), et rejoint
trouver, qui dépend de la façon dont sont la bande d’énergies de conduction. Grâce à un dopage avec d’autres éléments, une couche (en
jaune) du silicium présente un excès d’électrons et l’autre (en bleu) un excès de trous. Il en résulte
répartis les photons en fonction de la lon- au sein du matériau un champ électrique qui déplace l’électron dans un sens et le trou dans le
gueur d’onde. Pour la lumière solaire, l’op- sens opposé. La recombinaison immédiate de l’électron et du trou est ainsi évitée.
timum est un gap de 1,4 eV, qui donnerait
un rendement de 33 pour cent. À défaut de 3. LORSQU’UN PHOTON d’énergie supérieure
trouver le matériau idoine, d’autres pistes Électron Bande au gap est absorbé et crée une paire
existent pour accroître le rendement. de conduction électron-trou, l’énergie en excès est vite
perdue sous forme de chaleur : en raison
des collisions avec les atomes
...des espoirs de progrès
Énergie

du semi-conducteur, l’énergie de l’électron

Bande interdite se retrouve au bas de la bande de conduction
La première piste est de manipuler le rayon- Photon (gap) et celle du trou au sommet de la bande
nement solaire pour mieux l’adapter aux de valence.
cellules existantes : par exemple convertir
Trou
les photons les moins énergétiques en pho- Bande
tons plus énergétiques grâce à des compo- de valence
sants optiques spéciaux, ou au contraire LES AUTEURS
créer à partir d’un photon très énergétique
une gerbe de photons d’énergie plus basse À ce jour, on atteint 43 pour cent, un ren-
(mais supérieure au gap) grâce à des maté- dement prometteur, mais qui ne s’obtient
riaux fluorescents. On reste néanmoins très qu’avec des techniques très élaborées, par
loin de la réalisation du rayonnement idéal conséquent coûteuses et non adaptées à Jean-Michel COURTY
et Édouard KIERLIK
qui serait monochromatique (avec une seule une production de masse. On ne les trouvera sont professeurs de physique
longueur d’onde) et d’énergie égale au gap. donc pas à l’œuvre dans les fermes solaires à l’Université Pierre
Une autre piste plus prometteuse est telles que Waldpolenz, près de Leipzig, qui et Marie Curie, à Paris.
d’empiler des couches successives de fournit 40 mégawatts pour une superficie Leur blog: http://idphys.free.fr
matériaux à gaps différents. Imaginons par totale de 110 hectares, dont 40 couverts par
exemple deux couches ayant pour gaps 1,1 les 550 000 cellules au tellurure de cad-
et 2 eV : si la lumière arrive sur la couche à mium, ou CdTe (soit quatre pour cent de ren-  BIBLIOGRAPHIE
2 eV, seul le spectre visible et ultraviolet dement moyen !). J.-F. Guillemoles, The quest
sera absorbé, mais il fournira plus d’éner- Peut-être des cellules à haut rende- for very high efficiency in
gie par photon qu’avec un gap plus bas. Les ment équiperont-elles des avions comme photovoltaic energy conversion,
Europhysics News, vol. 41(2),
photons infrarouges passeront à travers le Solar Impulse, développé par Bertrand Pic- pp. 19-22, 2010.
cette première couche et une part d’entre card et André Borschberg, et qui a volé récem-
eux seront absorbés par la seconde pour ment avec la seule lumière du Soleil. Avec ses B. J. Feldman, An Introduction to
solar cells, The Physics Teacher,
fournir autant d’énergie par photon que la 200 mètres carrés de cellules et un rende- vol. 48(5), pp. 306-308, 2010.
cellule au silicium. Il en résultera un gain ment global moyen de 12 pour cent, cet avion
d’énergie. Avec une structure à trois couches, ne déployait pas plus de puissance (six kilo-
on s’attend, en concentrant au maximum la watts) que celui des frères Wright. Mais, grâce
lumière solaire sur la cellule, à des rende- au Soleil (et à de bonnes batteries), il a pu Retrouvez les articles de
ments maximaux de l’ordre de 63 pour cent. voler nuit et jour sans kérosène. I fr J.-M. Courty et É. Kierlik sur
www.pourlascience.fr

© Pour la Science - n° 393 - Juillet 2010 Idées de physique [89