Mohamed Ali Claude Boli
Mohamed Ali Claude Boli
Mohamed Ali Claude Boli
par
Claude Boli
Gallimard
Claude Boli est docteur en histoire (De Montfort University, Leicester, Angleterre) et
docteur en sociologie (Université de Nantes). Ses travaux portent essentiellement sur quatre
sujets : l'Angleterre contemporaine, les populations noires en Europe, l'histoire sociale et la
muséographie du sport. Il est Researcher Fellow à De Montfort University, et dirige
actuellement le département de la recherche au musée national du Sport à Nice. Il a été
commissaire de plusieurs expositions : Euro 96, Football and European migration, Pumphouse
Museum of People History, Manchester (UK), 1996 ; Il était une fois le Tour de France, Monaco,
2009 ; Football et Immigration, Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Paris, 2010 ; Les
footballeurs africains en France, Paris, 2010 ; Le sport s'affiche, Paris, 2011 ; Des batailles et des
jeux. Le sport français dans la Grande Guerre. Centenaire 14-18, 2014. Il est l'auteur de plusieurs
ouvrages, dont Manchester United. L'invention d'un club (La Martinière, 2004) ; Football : le
triomphe du ballon rond (Quatre chemins / Musée national du Sport, 2008). Il a codirigé Les
jeux Olympiques. Fierté nationale et enjeu mondial (Atlantica / Musée national du Sport,
2008), Allez la France ! Football et Immigration (Gallimard, 2010) et Des défis et des hommes
(Snoeck Éditions, 2013). Il est membre du comité directeur de l'Association des écrivains
sportifs.
À Basile, Éric, Déjo et Guy Michel, mes hommes de coin.
Une éducation à la porte du Sud
profond
La ségrégation était appliquée à Louisville, mais c'était une ville tranquille, pacifique et
propre. Il n'y avait pas beaucoup de crimes, pas de drogue, très peu d'alcool et de prostitution
[…]. Les seuls problèmes que Mohamed et moi avons rencontrés avec des Blancs, c'était lors
des promenades dans certains coins de la ville. Si nous nous trouvions au mauvais endroit, des
Blancs en voiture s'arrêtaient à notre hauteur pour nous dire : « Hé, les négros, qu'est-ce que
vous faites ici ? » Je ne me suis jamais battu. Personne ne m'a jamais attaqué. Ce n'était pas
comme dans le Sud profond, mais les gens nous traitaient de nègres et nous demandaient de
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dégager s'ils pensaient que nous n'avions pas le droit d'être dans tel ou tel endroit *.
C'est dans ce Louisville-là que naît, le samedi 17 janvier 1942, à
18 h 35, à l'hôpital général, Cassius Marcellus Clay Junior, premier
fils de Cassius Marcellus Clay Senior et d'Odessa Clay, née Lee Grady.
Plutôt dodu, le visage adouci d'une paire de joues rondelettes posées
sur une peau claire, Cassius est resplendissant de gaieté et d'énergie.
« G.G. » comme l'appelle Odessa, en écho au babillage qu'émet le
bébé Cassius pour extérioriser ses désirs, est aux yeux de sa mère
unique et singulier. Il fait preuve d'une précocité déconcertante. Il
apprend très vite à marcher, à parler et surtout à exprimer avec une
grande force de persuasion tout sentiment de mécontentement. À deux
ans, il lui arrivait de se réveiller au milieu de la nuit pour sortir du
placard de sa chambre tout ce qui lui était accessible. À quatre ans, il
assumait avec une certaine confiance un rôle de chef de bande parmi
ses camarades. Odessa est amusée et fière de voir l'enfant doté de
telles qualités. Quant à Clay Senior, plus distant à l'égard de Cassius
Jr, il est aussi agréablement surpris de la précocité de son fils. Plus
tard, il dira que le champion a tout naturellement hérité de certaines
de ses dispositions. Deux ans après Cassius, naît Rudolph Valentino
Clay. Les deux garçons sont très proches. Rudolph voue une
admiration sans bornes à cet aîné qui le lui rend bien en jouant
régulièrement le rôle de grand frère protecteur. Dans les jeux, Cassius
s'octroie toujours le rôle du chef et Rudolph est son fidèle lieutenant.
L'envie de tout faire comme son frère aîné le poussera plus tard à
embrasser une carrière de boxeur amateur et à se convertir à la
religion musulmane.
Bien que les salaires de la mère et du père mettent la petite famille
à l'abri du besoin, les deux garçons comprennent vite que les
ressources d'Odessa et de Cash (surnom du père) sont peu compatibles
avec un comportement dispendieux. Hamburgers et hot dogs
constituent le gros de leur alimentation tandis que le poulet et les
pommes de terre sont réservés aux jours exceptionnels. Leurs
vêtements proviennent de charity shops, magasins où les familles en
difficulté économique peuvent acheter des objets d'occasion à moindre
coût et trouver un brin d'honneur en payant habits, jouets, livres ou
disques à la mode. La famille est propriétaire d'une maison très
modeste de quatre pièces, avec un grand orme planté à l'arrière. Le
toit fuit et le porche risque de s'écrouler. Cassius Clay se souvient :
La vérité, c'est que tant que j'ai vécu à Louisville, j'ai vécu dans la semi-pauvreté […]. Bien
sûr, à Louisville, les quartiers noirs ont moins l'air de ghettos que ceux de certaines grandes
villes et il y avait des « bourgeois » parmi les Noirs, mais la famille Clay n'a réussi à entrer dans
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ce milieu que grâce à l'argent que j'ai gagné sur le ring .
Emmett Till et moi étions à peu près du même âge. Il avait été assassiné dans le canton
de Sunflower, au Mississippi, et je me revois, huit jours plus tard, planté au coin de la rue avec
une bande de copains, on regardait les photos que publiaient les journaux et les magazines de
la presse noire. Une photo le montrait en train de rire et l'air heureux. Sur une autre, il avait la
tête tout enflée et écrasée, les yeux exorbités, la bouche tordue et les lèvres toutes fendues.
Sa mère avait eu du cran. Elle avait refusé de le laisser enterrer tout de suite, pour que des
centaines de milliers de gens puissent défiler devant son cercueil ouvert, à Chicago, et
contempler son corps mutilé. On m'avait raconté qu'il était né le même jour et la même année
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que moi, et je m'étais senti une profonde affinité avec lui .
Je suis convaincu que la race caucasienne ou blanche est la race supérieure ; les
spécimens de cette race ont le cerveau plus gros et mieux constitué ; un corps mieux
développé et une ossature parfaite. Les découvertes de la science moderne prouvent que les
bâtisseurs de pyramides et les Égyptiens qui inventèrent les hiéroglyphes et les lettres étaient
des Blancs. Ainsi cette question si longtemps débattue est maintenant réglée. Les historiens
sont désormais d'accord pour considérer la race caucasienne comme la plus évoluée de toute
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l'histoire de l'humanité .
J'étais destiné à la peinture et, dans d'autres circonstances ou à une autre époque,
beaucoup plus de gens auraient su de quoi j'étais capable. Je n'ai pas de préférence parmi mes
peintures. Pour être honnête avec vous, je dirais qu'elles sont toutes de qualité. À une époque,
j'avais peint des toiles au sous-sol : c'étaient des paysages enneigés […]. Quand on les éclairait
avec des guirlandes de Noël par exemple, le soleil prenait une teinte orangée et on avait
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l'impression que le soleil et les nuages se déplaçaient sur la neige .
Il tomba par hasard sur une émission de télévision locale intitulée « Les champions de
demain », présentant des matchs de boxe amateurs à Louisville. À l'écran, il vit Joe Martin du
Columbia Gym se tenant dans le coin de l'un de ses poulains. Impressionné, il le montra à ses
parents et leur dit qu'il avait envie d'essayer la boxe. Après quelques hésitations, ils
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acceptèrent .
À l'époque, au Central High School, le jeune Clay avait déjà sa réputation : il buvait de
l'eau parfumée à l'ail et du lait avec des œufs crus, il ne fumait pas, il ne consommait jamais
de sodas ; il courait et boxait dans le vide aussi souvent qu'il marchait. Et il était très timide,
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surtout avec les filles .
Je dois avoir enseigné la boxe à environ un millier de gamins, ou tout au moins essayé de
le faire. Cassius Clay, quand il s'est mis à fréquenter le gymnase, ne valait pas mieux que la
plupart. Si les boxeurs recevaient des primes liées à leur potentiel comme les joueurs de base-
ball, je ne suis pas sûr qu'il en aurait reçu. Il était ordinaire et je doute qu'un dénicheur de
talents se serait intéressé à lui la première année. Mais au bout d'un an, il était évident que ce
petit prétentieux — il a toujours été un peu culotté, vous savez — avait un potentiel énorme.
Je suppose qu'il sortait du lot parce qu'il était plus déterminé que la plupart des autres
garçons et qu'il voulait y arriver le plus vite possible. Il avait de la volonté ; il était prêt à faire
des sacrifices pour réussir dans le sport. Je me suis rendu compte que rien ne pouvait le
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décourager. C'était le gosse le plus acharné que j'ai entraîné .
Un soir que je regardais [à la télévision] les boxeurs de Stoner surclasser par leur force et
leur style des boxeurs qui étaient venus d'un autre État pour faire une démonstration, je me
suis senti tellement impressionné que je décidai de tenter ma chance. […] je descendis au
gymnase pour essayer de parler à Stoner.
C'était un Noir calme et frêle d'allure qui se passionnait pour son travail et suivait les
moindres gestes de ses boxeurs. J'examinai la salle. Elle était moins bien équipée que celle de
Joe Martin. L'hiver, il devait faire froid dans le sous-sol de l'église de Stoner, tandis que dans le
gymnase de Martin, il faisait chaud. Et ses sacs et son matériel ne pouvaient se comparer à
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ceux de Martin .
C'étaient de magnifiques boxeurs. De vrais pugilistes. Ils cognaient sec et ils étaient
agiles. Ils savaient frapper au corps, toucher, rompre. Ils avaient un joli jeu de jambes. Ils
savaient esquiver et se dérober. Certains étaient encore plus jeunes que moi, mais leurs corps
paraissaient épanouis. Comment s'y prenaient-ils pour avoir d'aussi beaux corps ? Il fallait que
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je le sache .
Chez Fred, la discipline était dure. Les exercices étaient une vraie religion, et Fred me
forçait impitoyablement à développer certains muscles qui d'après lui étaient indispensables
pour survivre sur le ring. Il nous obligeait à faire des séries de directs du gauche, deux cents
d'affilée, des directs secs et enchaînés en cascade. Quand on se fatiguait, il nous obligeait à
recommencer de zéro en comptant jusqu'à cent, un, deux, trois… et en alignant les directs
jusqu'au jour où on se retrouvait capables de faire les deux cents sans s'en apercevoir. Puis il
passait aux combinaisons, direct, direct et crochet du droit. Ensuite revenir avec un crochet,
direct, crochet du gauche et esquive ; direct et en arrière, direct et en avant. Il nous apprenait à
bloquer, à lancer des crochets croisés du droit, et on recommençait interminablement. On
devait faire cent pompes sur les bras et cent flexions sur les genoux.
Chez Martin, tout ce qu'on nous demandait c'était de cogner sur le sac, de sauter à la
corde, de bondir sur le ring et de se cogner dessus de bon cœur. Toute la publicité faite autour
de ma vocation et des progrès de ma technique présente Joe Martin comme l'incubateur. Mais
mon style, mon ressort, mon système furent façonnés dans le sous-sol d'une église de l'East
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End .
Il avait peur de l'avion. Nous avions eu un vol plutôt rude en allant en Californie pour les
sélections. Alors, quand l'heure est venue de partir pour Rome, il a déclaré qu'il ne volerait pas,
qu'il ne pouvait pas y aller. Je lui ai dit : « Dans ce cas, tu perds tes chances de devenir un
grand boxeur. » Il m'a répondu : « Eh bien, je n'y vais pas. » Il voulait prendre un bateau ou un
autre moyen de transport. Finalement, je l'ai emmené à Central Park, ici à Louisville, et on a
discuté longuement, deux ou trois heures. J'ai réussi à le calmer et à le convaincre que s'il
voulait devenir champion du monde des poids lourds, nous devions nous rendre à Rome et
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gagner les jeux Olympiques .
Convaincu par son entourage et des spécialistes de boxe, tel Fred
Stoner, et sans doute poussé par son ambition et son ego, Cassius se
décide finalement à participer aux olympiades. Quelques semaines
avant les Jeux, le célèbre Sports Illustrated lui consacre un papier
élogieux, qui souligne à la fois l'immense assurance du jeune boxeur et
sa façon unique de faire du spectacle sur le ring, particulièrement en
dansant. D'autres journalistes, en revanche, pointent déjà
l'impertinence qui lui jouera, à n'en point douter, un tour à un
moment ou à un autre. Dans The Courier-Journal, à Louisville,
Cassius pose fièrement avec son blazer bleu de la sélection U.S. et
affiche un bel optimisme. Au sein de la délégation de boxe,
l'émergence d'une nouvelle génération talentueuse constitue également
un motif d'optimisme. Le comité olympique américain espère que les
boxeurs rééditeront les performances des jeux d'Helsinki en 1952 où
ils avaient remporté cinq titres dans les dix catégories. L'une des
vedettes de cette olympiade d'Helsinki fut Floyd Patterson, champion
olympique des lourds. Sans pour autant être l'un des leaders de la
délégation des sportifs, Cassius est celui sur qui beaucoup d'espoirs de
médaille sont fondés. Il est parmi les dix boxeurs sélectionnés. Parmi
eux, sept sont noirs. Humberto Barrera, Nicholas Spanakos et Jerry
Armstrong, respectivement d'origines italienne, grecque et irlandaise,
complètent cette équipe plurielle à l'image de la population de la
nation au drapeau étoilé.
Dans l'enceinte du village olympique qui réunit les 5 348 athlètes
de différentes nations, dont ceux des pays africains récemment
indépendants, le jeune Cassius, alors âgé de dix-huit ans, se distingue
de multiples façons. On le voit partout et surtout on l'entend
beaucoup. Lors des promenades avec ses camarades d'équipe, tel un
politicien en campagne électorale, il salue et se présente auprès de
toutes les personnes qu'il rencontre. Dans les artères du village, il
harangue à tout-va les athlètes étrangers leur annonçant qu'il sera le
prochain champion olympique. Au réfectoire, il hausse volontairement
la voix afin d'attirer l'attention. Pour se faire davantage remarquer, il
se rapproche de la star de l'athlétisme de l'époque, Wilma Rudolph,
qui survole les épreuves de sprint en remportant trois médailles d'or.
Wilma, discrète et peu diserte, tout le contraire de Cassius, déclare
plus tard :
Je l'observais de loin. Tout le monde l'aimait. Tout le monde voulait le voir, l'approcher, lui
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parler. Il ne faisait que ça, parler, parler, parler .
C'était étonnant de voir ce gamin, qui visiblement ne se rendait pas trop compte de
l'ampleur des jeux Olympiques, exprimer une telle confiance dans le village olympique. C'était
pratiquement impossible de ne pas le remarquer avec son blazer bleu avec l'insigne du comité
olympique U.S. qui paraissait trop grand sur lui. On le voyait souvent avec deux ou trois
compagnons d'équipe en train de parler et de sortir des vannes pour amuser ses camarades.
Nous les Français, on le trouvait plutôt sympathique et très drôle. Dans cette délégation, on
peut dire qu'il y avait Cassius et la ravissante Wilma. D'ailleurs, ils étaient souvent ensemble
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et ça faisait un beau couple. Tous les deux étaient jeunes, grands et très beaux .
La désinvolture de Cassius au village olympique révèle une facette
complètement différente de celui qui se réveille à 6 heures du matin
pour son footing quotidien, se repose, dîne et commence dans l'après-
midi sa séance intensive d'entraînement sur les rings jusqu'à 18 heures.
À l'intérieur de la salle de boxe et dans les dures séances
d'entraînement, il a une attitude totalement éloignée de l'impression
qu'il donne à l'extérieur. Cassius y est transfiguré. Le clown met
l'habit du besogneux. Les témoignages des autres athlètes présents se
rejoignent sur la faculté binaire de Cassius, à la fois showman et
travailleur acharné. Wilbert McClure souligne :
À Rome, il était très extraverti et en même temps très concentré sur la boxe. Personne,
dans aucune autre équipe, n'était aussi impliqué que lui. On se baladait et il serrait les mains
de tout le monde, mais il ne pensait qu'à l'entraînement. Il travaillait pour l'obtenir, cette
médaille d'or. Il s'entraînait très dur. Comme nous tous. On ne rigole pas quand on essaye de
devenir champion olympique. Et je peux vous dire avec certitude, pour l'avoir observé, qu'il se
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donnait vraiment à fond .
Si je perds, c'est ma patrie qui perd. Tout le monde au pays sera bombardé. Il faut que je
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donne tout ce que j'ai, que je le pulvérise et que je remporte la guerre pour les États-Unis .
J'ai senti, en tant que moyen et avec mes kilos en trop, que je n'avais aucune chance de
battre ce mi-lourd motivé. Je n'arrivais pas à le toucher à la face. Et Clay encaissait sans
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problème mes coups au corps. J'ai perdu aux points. Une décision parfaitement justifiée .
J'avais déjà rencontré cette grande gueule de Clay deux fois. La première fois, j'avais
gagné, la deuxième fois, en finale des Golden Gloves à Chicago, j'avais été déclaré perdant
mais, franchement, il n'y avait pas un gros écart. J'avais fait l'erreur de rentrer dans son jeu en
le poursuivant aux quatre coins du ring et Clay adorait boxer en reculant, c'était ce qu'il savait
le mieux faire. Alors, à Rome, je n'ai pas fait la même erreur, je l'ai attendu, et ça a marché. Je
n'avais pas peur de lui, je n'étais pas comme les types des pays de l'Est, des Noirs j'en avais
déjà vu beaucoup en m'entraînant au Stillman's, ils ne m'impressionnaient pas. Clay n'était
pas meilleur que moi, il ne frappait pas. Franchement, je pense que j'ai gagné et plein de gens
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le pensent aussi .
Cassius, de son côté, suit le plan de boxe qu'il s'est fixé : être très
mobile, éviter les corps à corps, asséner des coups rapides et ne pas
hésiter à reculer pour frapper efficacement. Entre le jeune Américain
fougueux et l'Australien expérimenté, on assiste à un combat avec de
beaux échanges de coups. La rencontre est très équilibrée et la décision
arbitrale devient donc indécise. Les spécialistes donnent une courte
avance à Madigan. C'est le cas de Nat Fleischer, figure de la boxe
mondiale, patron et rédacteur en chef du célèbre magazine The Ring.
Finalement, les arbitres donnent raison à l'ardente fraîcheur de
Cassius et le déclarent vainqueur aux points. Ce qu'ils veulent retenir,
ce sont certainement ses ultimes assauts, juste avant le gong final.
L'Américain un peu désarçonné par la bravoure de son adversaire se
soumet aux règles du salut de la main aux membres du staff de
Madigan, puis au corps arbitral. Quelques huées de réprobation sont
entendues dans l'enceinte. Des voix éparses s'élèvent : « Madigan
Champion ! Madigan Champion ! » Dans le camp de l'Australien, la
déception est atténuée par l'éthique du fair-play. Madigan est furieux.
Il crie à l'injustice auprès de son entraîneur mais la décision est
irrémédiable. Cassius Clay est qualifié pour la grande finale.
Le 5 septembre 1960, Clay se retrouve face au terrible gaucher
polonais Zbigniew Pietrzykowski, l'espoir de toute une nation. Depuis
la victoire de Pietrzykowski contre le triple champion olympique, le
Hongrois László Papp, l'État polonais a fait de son athlète un modèle
du régime communiste. Formé à la célèbre école de boxe Feliks
Stamm, Pietrzykowski est un boxeur prometteur. Aux jeux
Olympiques de Melbourne de 1956, il avait perdu contre l'intouchable
László Papp mais obtenu une médaille de bronze. Une année
auparavant, il avait décroché les titres de champion d'Europe des
poids welters, celui des poids moyens en 1957, et des mi-lourds en
1959. Au regard de son expérience et de son parcours, Pietrzykowski
est donné grand favori. Une victoire face à Cassius Clay est donc
attendue.
Le combat à proprement parler se déroule sous le somptueux dôme
du Palazzo devant 16 000 spectateurs venus encourager les six
boxeurs italiens qui figurent en finale. Cassius est vêtu d'un short
blanc, de gants noirs, d'un gilet orné d'une bande tricolore en
diagonale et de l'insigne du comité olympique U.S. Le public prend
fait et cause pour le Polonais, suite à la rencontre précédente. La
victoire contestable de l'Américain Eddie Crook opposé au Polonais
Tadeusz Walasek dans la catégorie des moyens a provoqué un tollé du
public et par conséquent un fort taux de sympathie pour
Pietrzykowski. Visiblement troublé par ce sentiment d'anti-
américanisme, Cassius rentre tardivement dans la rencontre. Le
Polonais en profite pour mener les deux premières reprises. Le jeu du
gaucher explique également les difficultés de l'Américain. Il ne semble
pas à l'aise face à ce type de boxeur. Cassius danse autour du ring,
cherche à maintenir la distance par des directs du gauche, change de
rythme pour essouffler son adversaire, mais rien n'y fait. Il encaisse les
coups de Pietrzykowski. Au troisième et dernier round, Cassius sait
qu'il n'a pas les faveurs des cinq juges arbitres. S'il veut remporter le
combat, il lui faut attaquer avec agressivité, et pourquoi pas trouver le
K.-O. Il décide de changer de tactique. Il choisit de moins bouger,
d'assurer ses coups en restant immobile avec « les pieds bien plantés
dans le tapis ». La ruse est convaincante. Cassius a trois minutes pour
remonter les points. Il trouve deux ouvertures, et parvient à toucher le
Polonais grâce à de violentes droites portées au visage. Pietrzykowski
vacille, le nez et la bouche en sang. Grâce aux cordes et à une volonté
terrible, il évite de s'écrouler. La scène est extrêmement brutale et
dramatique. Quand il rejoint son camp, l'explosion de sang rend le
Polonais méconnaissable et complètement groggy. Plus tard, il dira :
Pendant la finale, j'ai combattu sans protège-dents. Après ma demi-finale contre l'Italien
Giulio Saraudi, je l'avais oublié dans les vestiaires. Quand je suis allé le rechercher, il avait
disparu. Les dentistes n'avaient pas le temps de m'en refaire un avant la finale qui se tenait
seulement deux jours plus tard. Clay m'a touché dans la troisième reprise et je me suis mordu
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les lèvres. Ce qui explique la quantité de sang .
« Si je suis choqué par la ségrégation en usage chez nous ? Nous avons des gens
compétents qui travaillent à cela », et il poursuit d'une façon décousue : « Nous avons les plus
grosses et les plus jolies voitures. Nous avons toute la nourriture que nous voulons. Les États-
Unis sont le plus grand pays du monde, et à propos des endroits où je ne peux aller, je dirais
qu'il y en a beaucoup plus qui me sont autorisés, beaucoup plus où je peux me rendre que
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l'inverse » …
Clay avait un jeu de jambes incroyable. Comme un poids mouche. J'ignorais alors qu'un
lourd pouvait aller si vite. Il avait un jab bizarre, même à cette époque. Avant la fin du combat,
j'avais les deux yeux au beurre noir, complètement tuméfiés. Je n'y voyais plus rien. […] Il a
gagné aux points. C'était une bonne décision… Faire l'intéressant n'appartenait pas à son
répertoire à ce moment-là. Il ne la ramenait pas trop non plus. C'était un chouette gamin, vous
savez ?
Un gosse gentil, vraiment timide. Je n'ai jamais douté qu'il serait champion du monde un
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jour. Un deuxième Joe Louis .
Cette nette victoire a cependant mis au jour des lacunes dans le jeu
du jeune boxeur, surtout s'il veut se frotter à des adversaires plus
sérieux. Sans attendre, les membres du groupe décident donc de
changer radicalement l'équipe d'encadrement de Cassius. Ils se lancent
à la recherche d'un entraîneur plus expérimenté avec une excellente
réputation dans le milieu. Cassius, qui voue un véritable culte à Ray
Sugar Robinson, le boxeur le plus créatif et le plus admiré des années
1950, avait déjà prospecté sur ce terrain. Avant son départ pour les
jeux Olympiques de Rome, il était allé à la rencontre de son idole,
dans son café à New York, pour lui faire part de son envie de l'avoir
comme entraîneur. Robinson raconte :
Je m'intéressais à lui depuis le début de l'été 1960. À cette époque, un jeune et beau
garçon, solidement musclé, s'approcha de moi, devant mon café.
— Monsieur Robinson, dit-il gentiment.
— Oui, mon vieux. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
— Monsieur Robinson, vous ne me connaissez pas, mais je pars pour Rome.
— C'est un endroit très agréable.
— Je vais là-bas pour les jeux Olympiques, dit-il. Je suis sélectionné dans l'équipe de boxe
des États-Unis. Je vais à Rome pour gagner la médaille d'or.
— Bonne chance ! lui dis-je.
— Mon nom est Cassius Marcellus Clay, dit-il.
— Cassius quoi ?
— Cassius Marcellus Clay Junior. Je suis de Louisville, dans le Kentucky. Je suis champion
des Golden Gloves. Vous êtes mon idole, Monsieur Robinson. Vous êtes le plus grand des
boxeurs.
— Je te remercie beaucoup, lui dis-je.
— Et lorsque je deviendrai professionnel, après les Jeux, je veux que vous soyez mon
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manager .
J'aime Ali car c'est la poule aux œufs d'or. Les gars comme moi, on a dû se frayer un
chemin, mais Ali, lui, il a carrément explosé la porte. Au début, je touchais dix dollars pour un
combat. On me faisait des promesses, rien de plus. Nous autres, on devait toujours marcher,
combattre, marcher, combattre… Et la plupart du temps, ce n'était pas trop drôle. C'est devenu
mieux quand j'ai commencé à gagner de l'argent et personne ne m'a proposé le championnat
du monde avant que je sois vieux. Et j'ai rencontré Ali. Bien sûr, il était encore Cassius Clay. Il
cherchait à prendre Sugar Ray Robinson comme entraîneur, mais Robinson était encore dans
la course et n'avait pas de temps à perdre avec ce jeune effronté. Il ne pouvait pas se
permettre, pour les années qui lui restaient à boxer, de gaspiller son temps avec un amateur
devenu pro, quel que soit son potentiel, et je pense que ça a blessé Ali que le grand Sugar Ray
refuse. Mais des gens lui ont dit : Il y a un homme sur la côte qui est plutôt bon combattant.
Pourquoi tu ne vas pas le voir ? Et c'est comme ça qu'Ali est venu avec moi en train. […] Je lui ai
dit : Fiston, je vais t'enseigner à gérer tes coups de poing. Il a mis des tas de types K.-O., mais il
le faisait à sa manière, avec énergie et beaucoup de tension. Je lui ai dit : Je vais t'apprendre à
devenir un puncheur vraiment puissant, pour que tu sortes l'adversaire en un ou deux rounds.
[…] Il m'a répondu : Je ne veux pas boxer comme Archie Moore, je veux combattre comme
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Sugar Ray Robinson .
Un an après ses débuts, le cercle des experts s'interroge sur les réels
talents de Clay. Est-il un clown des rings ou un innovateur, un boxeur
avant-gardiste ? La question partage. Le débat est engagé. A-t-on
trouvé un nouveau successeur digne des grands boxeurs tels que Jack
Johnson, Joe Louis ou Jack Dempsey ? Ou s'agit-il de l'une de ces
nombreuses étoiles filantes qui ont brillé aux jeux Olympiques mais
n'ont jamais confirmé les attentes et sont retombées dans l'anonymat ?
La manière de boxer de Clay interpelle. Certains lui reprochent de
placer le spectacle avant l'efficacité sur le ring. Il est critiqué pour être
davantage un boxeur de foire qu'un vrai boxeur, un hardman. Cassius
subit le discrédit d'une boxe de mouvement, de coups variés,
d'esquive.
Dès 1960, année du titre olympique, son caractère fantasque avait
été pointé du doigt. C'était déjà l'avis d'Abbott Joseph Liebling, grand
journaliste au magazine The New Yorker, connaisseur de boxe très
attiré par la montée médiatique de Clay :
Le style de Clay est certes séduisant, mais il n'est pas probant pour autant. Il est joli à voir
boxer, c'est un garçon amusant, mais ce n'est pas un vrai boxeur, ses regards sont plus
menaçants que ses poings. Quelqu'un qui utilise ses jambes comme il les utilise ne pourra pas
tenir la distance en professionnel. Je ne pense pas qu'il puisse jamais devenir un vrai poids
lourd. Pour ce qui est de ses vers de mirliton, n'oublions pas ceux de Bob Gregson, le Géant du
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Lancashire, qui en faisait d'aussi mauvais au siècle dernier .
Une grande partie des spécialistes de l'époque ont été marqués par
les frappeurs, véritables machines à détruire leurs adversaires par de
terribles victoires par K.-O. avant la limite des combats. Auprès de
cette génération de journalistes, la référence, c'est Joe Louis, un poids
lourd doté d'une droite redoutable qui remporta les trois quarts de ses
combats avant la limite. Le reproche est clair : Clay est bon boxeur
mais il n'égale pas les grands poids lourds. Ceux-là ont importé de la
rue leurs qualités de frappeurs, de cogneurs, de vrais puncheurs. Les
premiers combats ne plaident pas en faveur de Clay. Ses victoires par
K.-O. sont certes convaincantes, mais elles se terminent rarement par
une domination éclair, nette et sans bavure. Le public, les journalistes,
des anciens et de nouveaux boxeurs prennent part au débat. Le public
conspue Cassius lors du combat contre Sabedong pour ne pas avoir
battu le géant hawaïen par K.-O.
L'ancien champion du monde Jack Dempsey soutient la boxe de
Cassius. Il accorde peu d'importance à la manière ; ce qu'il apprécie le
plus, c'est sa fraîcheur et son caractère novateur. Après sa rencontre
contre Donnie Fleeman, un journaliste du Miami Herald affirme
également que Cassius, « loin d'être le plus costaud des boxeurs »,
remportera ses combats par K.-O., et il approuve son côté
spectaculaire.
Un catcheur et un nouveau combat seront les éléments
déterminants qui vont faire changer les avis sur lui. Dans les premiers
moments de sa carrière professionnelle, il fait la connaissance, lors
d'une émission de radio, d'une des personnalités les plus appréciées
des spectacles de catch, Gorgeous George. L'exubérance de Gorgeous
ébahit le jeune Clay. Le catcheur donne la mesure de ses spectacles en
garantissant au public un show extraordinaire. Parmi ses déclarations
d'avant-match, George annonce qu'il va ridiculiser ses adversaires et
lance des gages en cas de défaite. Le personnage interpelle Clay
l'extraverti :
J'ai commencé à prédire l'issue de mes combats après avoir vu Gorgeous George, le grand
lutteur. J'entendais ce Blanc clamer : « Je suis le plus grand lutteur du monde. Je suis
invincible. Je suis le plus grand ! Je suis le roi. Si ce gogo décoiffe mes jolies boucles, je le
tuerai. Si ce minable me bat, je sauterai dans le premier jet pour la Russie. Je ne peux pas être
2
vaincu. Je suis le plus beau, le plus grand ! » .
Quand j'ai vu Muhammad Ali se relever du tapis contre Sonny Banks et neutraliser le
reste de la reprise, puis reprendre ses esprits et gagner, c'est ce soir-là que je suis tombé
4
amoureux du gosse .
Combat après combat, les langues se délient : Cassius Clay est bien
le nouveau phénomène de la boxe mondiale. Le public, de plus en plus
nombreux à venir le voir, l'ovationne. Parallèlement aux journalistes,
les boxeurs confirment son style novateur, s'accordent pour dire qu'il
danse sur le ring et reconnaissent ses qualités singulières de vitesse et
de punch, que souligne Billy Daniels après avoir été victime d'un K.-O.
à la septième reprise. Tous ses combats sont scrupuleusement suivis,
commentés, débattus. Reste une interrogation en suspens dans
l'opinion des spécialistes de boxe : comment Cassius peut-il réagir face
à un ancien champion du monde ? Est-il à même de supporter la
pression d'un combat de grande envergure ? La réponse ne tarde pas à
arriver.
Le 15 novembre 1962, encore au Memorial Sports Arena de Los
Angeles, 16 200 personnes payent 182,60 dollars pour voir sa
prestation face au chevronné et ancien champion du monde mi-lourd,
face à celui qui a été son entraîneur, Archie Moore (quarante-huit
ans). Le duel est vendu comme le match de l'ancien contre le nouveau.
Sur l'affiche, sous le nom d'Archie, apparaît le titre de Champion et, à
côté de Cassius, celui de Challenger. La tactique de Moore est de
tourner autour de lui pour déjouer ses plans d'attaque et de le fatiguer
à coups de crochets au corps. Échec total. Cassius est inattaquable et
trop vif pour celui que tout le monde appelle familièrement « la vieille
mangouste ». Le public venu voir un miracle assiste à un récital
terrible du plus jeune. Pendant les trois premiers rounds, aucun des
coups balancés par Moore n'atteint Cassius. En dansant, il esquive et
martèle son adversaire de coups droits et gauches, de jabs. Le spectacle
est terrifiant pour Moore qui sombre à 1 min 35 s du quatrième
round. Moore est sèchement battu et la cote de popularité de Cassius
continue de grandir. Le magazine de référence, The Ring, et d'autres
organes de presse exposent une série de séquences photos sur la
débandade de Moore lors de la quatrième et dernière reprise. C'est
avec fair-play et honnêteté que Moore reconnaît la supériorité de
Cassius :
Le temps est venu pour le précoce Cassius Marcellus de modifier son image publique. Il
est beau gosse, avec une personnalité attachante, qui attire instantanément et gagne chacun
à sa cause. Cet amusant charmeur utilise les fanfaronnades constantes pour susciter
l'attention. Cependant sa vantardise commence à devenir irritante. Ce qui nous amusait au
départ devient lassant. Le Clay excessivement agréable ruine ses relations publiques en se
7
vantant et il est grand temps qu'il se calme .
Clay avait explosé son gant à la couture, près du pouce. En fait, c'est arrivé dès le premier
round. Je l'ai remarqué et lui ai dit : « Garde tes poings serrés. » Je ne voulais pas qu'on le
remarque car tout se passait comme prévu, si vous voyez ce que je veux dire. À la fin du
quatrième round, il a été cloué. Et Cooper pouvait encore l'assommer avec sa gauche. Cassius
était blessé : aucun doute là-dessus. Il a été touché avec ce crochet pile sur le menton. Quand
il est revenu dans le coin, je lui ai fait respirer les sels. Un des soigneurs lui a appliqué de la
glace sur le dos et les extrémités pour le faire revenir à lui. Puis j'ai craqué un peu plus la
déchirure du gant, je l'ai mis de côté et j'ai signalé à l'arbitre que son gant était fichu et qu'il en
fallait un autre. J'ignore combien de temps ça nous a fait gagner, mais ça suffisait. Sans ce
9
temps supplémentaire, je ne sais pas si Clay aurait gagné .
Je ne suis pas le plus grand. Je suis doublement le plus grand. Je ne les mets pas
seulement K.-O., je domine le round. Je suis le plus intrépide, le plus beau, le plus fort, le plus
scientifique, le plus compétent des boxeurs sur le ring actuellement. Je suis le seul boxeur qui
va de coin en coin et de club en club, en débattant avec mes fans. On me fait plus de publicité
qu'aucun boxeur n'en a jamais eu dans l'histoire de la boxe. Je réponds aux interviews des
10
journalistes tant que leurs doigts peuvent encore écrire .
Un produit de la télévision
J'avais un ami qui connaissait un peu le milieu de la boxe à Miami. Un jour il me permet
d'assister à un entraînement de Cassius. Et là, sans être un connaisseur en boxe, je reste
estomaqué par ce gamin qui s'amuse sur le ring. Je demande à mon ami s'il a un grand avenir,
ce boxeur, il me répond méchamment : comment peux-tu me poser cette question ? Regarde,
ce boxeur est un génie et il sera bientôt champion du monde des poids lourds. À chaque fois
qu'il passait à la télévision, j'écoutais attentivement ce qu'il disait et je pensais qu'il était aussi
3
bon sur l'écran que bon comédien .
Sonny Liston n'est rien. Ce type ne sait pas parler. Il ne sait pas se battre. Il a besoin de
leçons. De leçons de boxe. Et puisqu'il va se battre contre moi, il ferait bien d'apprendre à
tomber… Après avoir démoli Sonny Liston, je vais dérouiller les petits hommes verts de Jupiter
et de Mars. Et je n'aurai pas peur de les regarder, parce qu'ils ne peuvent pas être plus moches
que Sonny Liston… après sa raclée, je le donnerai au zoo du coin… Je suis jeune, je suis beau, je
suis rapide, je suis imbattable. Il est trop laid pour être champion du monde. Le champion du
6
monde devrait être joli, comme moi .
Liston a été humilié. D'abord, il a eu du mal à obtenir cette maison parce qu'elle se trouve
dans un quartier blanc. Au début, avec sa famille, il s'asseyait sur la pelouse, comme un riche
planteur. Depuis que Clay a commencé sa « chasse à l'ours », Liston n'ose plus le faire. Il est
comme prisonnier de sa luxueuse banlieue résidentielle. Il n'a plus envie de se pavaner
comme un roi. Liston, qui s'est toujours battu pour se faire accepter, a reçu le traitement
inverse de la part de Clay. Il était champion du monde et un gosse de vingt-deux ans, qui avait
eu du mal à se débarrasser de Doug Jones et de Henry Cooper, s'incrustait chez lui, dans son
camp d'entraînement, à la télévision et dans les journaux et partout, il se moquait de lui.
7
L'insolent !
« Flotte comme un papillon, pique
comme une abeille »
Que vaut le boxeur Liston ? Je n'hésite pas : il est au niveau des plus grands. Et il faut
absolument chasser cette image du Liston émergeant de sa prison, du Liston à face de gorille,
du tueur s'emparant du titre par la seule vertu — si l'on peut oser ce mot — de sa force
brutale, de son envergure, de sa brutalité. Non, dans le ring, Liston, c'est autre chose que le
garçon qui un jour assomma un policier, le roua de coups, lui cassa une jambe. C'est autre
chose que la bête féroce, puante de haine. Non, dans le ring, Liston c'est un boxeur qui
3
respecte la loi, qui agit dans la règle .
Cassius doit dire ça pour rigoler. Si ce n'est pas le cas, il est fou s'il s'imagine faire le poids
contre une machine de combat aussi mortelle, presque indestructible. Avec son style, Clay
court au massacre. Sa garde est trop basse, il esquive les coups et est incapable de pénétrer la
garde de Liston. Il va affronter un adversaire sacrément endurant, très technique,
5
étonnamment rapide et suffisamment fort pour assommer un éléphant d'une main .
Clay ne combat pas comme le poids lourd qu'il est censé être. Il charge rarement et rate
beaucoup. Il faut se rappeler qu'il a démarré en amateur, alors qu'il pesait 53,5 kg. Il a grandi,
mais son style est resté celui d'un poids coq. D'une certaine manière, Clay est un monstre.
C'est un poids coq de plus de 90 kg. Il n'y a pas un seul poids lourd licencié qui puisse tenir tête
6
à Liston. Ce gros poids coq n'a aucune chance .
Les jabs de Clay cinglent, mais ceux de Liston blessent. Ce dernier a des bras massifs, très
musclés, et ses jabs du gauche sont bien plus que des jabs. Ils secouent l'adversaire avec une
puissance inouïe. Même quand ils manquent de précision, ce qui est rarement le cas, ils fusent
avec suffisamment de force pour faire chanceler l'adversaire, si bien que ce dernier doit
récupérer et retrouver son équilibre avant d'attaquer à nouveau. Son crochet du gauche est
aussi vif que l'attaque d'un serpent et il n'a pas besoin d'onduler pour le balancer. Il succède
au jab à la vitesse d'un battement de tambour. Ça n'effleure jamais Liston qu'il puisse perdre
un combat. Jamais il ne monte sur le ring dans l'espoir de l'emporter aux points sur son
adversaire au quinzième round ou en se disant que, si l'occasion se présente, il le mettra K.-O.
8
Il n'a qu'un but : la destruction .
L'avis des boxeurs est aussi tranché que celui des journalistes. Le
verdict est sans appel : Liston vaincra par K.-O. Les anciens
champions du monde de la catégorie des lourds, certainement par
proximité stylistique, donnent un large avantage à Liston. Rocky
Marciano et Joe Louis (qui deviendra l'un des conseillers de Liston)
pensent d'ailleurs que Cassius est un « peu dérangé » pour oser
affronter un boxeur aussi redoutable. Seul Ray Sugar Robinson se
rapproche du camp de Cassius.
Le soir du combat approche. La pesée constitue l'un des moments
forts. Cassius est accompagné d'Angelo Dundee l'entraîneur, Drew
« Bundini » Brown le gourou, Bill Faversham le promoteur de la
rencontre ; plusieurs autres proches et l'ancien boxeur Ray Sugar
Robinson qui lui a suggéré de garder son sang-froid pour ne pas
perdre trop d'influx nerveux sont également présents. Cassius
approuve d'un mouvement de la tête sans broncher. Dès qu'il aperçoit
Liston, il le fixe droit dans les yeux et c'est l'explosion. Devant une
centaine de journalistes, Cassius, déchaîné, se met à vociférer :
Je peux te battre à n'importe quel moment, gros lard ! Je vais te détruire ! Allez, viens, je
9
suis prêt à en découdre ! T'as peur, crétin ! Je suis le plus grand .
Je suis le plus grand ! Je suis le roi du monde ! J'ai bouleversé le monde ! Je vous l'avais
bien dit ! Je suis la meilleure chose qui ait existé, j'ai ébranlé le monde ! Je suis beau ! J'ai
14
renversé Liston, alors que je viens d'avoir vingt-deux ans. Je suis le plus grand …
Le Congrès a le devoir de mener une enquête sur la boxe. Je suis convaincu sans le
moindre doute qu'il devrait sans délai examiner tous les coins et recoins de ce sport
professionnel inter-États qui porte sur des millions de dollars. Le Congrès a le devoir de faire
toute la lumière et de passer toute législation nécessaire pour empêcher la fraude et l'emprise
16
de la pègre .
1
Je n'ai pas à être celui que vous souhaitez que je sois. Je suis libre d'être qui je veux .
Une vague de critiques acerbes s'abat sur lui. Ali cristallise les
discours d'une certaine Amérique qui est alors profondément
« négrophobe », anticommuniste, et manichéenne. Comme un réflexe
de défense de la « race blanche », des personnalités influentes
d'horizons variés prennent position contre Ali.
La maison de disque Columbia retire des lieux de vente I am the
greatest !, le disque où Cassius Clay tient la vedette. Le talk-show de
l'animateur-vedette Jack Parr où Ali devait intervenir est annulé. Les
membres du Louisville Sponsoring parlent d'ingratitude 2.
La presse, avec en tête de file Jimmy Cannon, le doyen des
journalistes de boxe, mène une violente campagne contre le boxeur de
Louisville. Ali est considéré comme leader d'une véritable guerre de
religion. Cannon affirme :
Depuis ses débuts putrides, l'escroquerie dans les combats est le quartier rouge [quartier
de prostitution] du sport. Mais c'est la première fois que ça devient une arme de haine
massive. La boxe a mutilé les corps de beaucoup et ruiné bien des cerveaux, mais là, tel un
missionnaire d'Elijah Muhammad, Clay l'instrumentalise en arme pour attaquer l'esprit. J'ai
pitié de lui mais déteste ce qu'il représente. Dans les années de famine de la Grande
Dépression, les communistes utilisèrent des célébrités de la même façon que les Black
3
Muslims utilisent Clay. C'est une secte qui détourne le but noble des religions .
Des boxeurs et non des moindres, tels que les Noirs, champions du
monde, Joe Louis et Floyd Patterson, participent au lynchage
médiatique. Le premier pense qu'Ali, en se ralliant aux Black Muslims,
va s'attirer une réaction de haine du public. L'autre se présente comme
le catholique qui se battra contre Ali le musulman pour lui retirer son
titre et faire honneur à l'Amérique. Celui-ci, atteint par cette vindicte,
demeure digne.
Ali, donc, fait partie des Black Muslims, une organisation qui est à
la fois une secte religieuse et un mouvement politique avec des idéaux
radicaux. Les « musulmans noirs » rejettent en bloc le christianisme,
soupçonné de maintenir le pouvoir de la population blanche. Une de
leurs singularités les plus notables est le refus de porter un nom
américain, hérité de l'esclavage, et de lui préférer un patronyme
musulman. Cassius Clay deviendra donc : Cassius X Clay, puis, en
mars 1964, Mohamed Ali. La conversion à la religion musulmane du
boxeur de Louisville est loin d'être un « coup de tête » comme le
prétendent certains journalistes de l'époque. Il s'agit de bien plus que
cela. Il a fallu un ensemble de circonstances qui ont été nourries par
l'expérience du racisme au quotidien, un environnement favorable et
une certaine naïveté pour le conduire à cette direction spirituelle. La
vocation du jeune boxeur tisse des liens étroits entre une religion qui
était marginalisée et qui devient, durant les années 1960, l'une des
forces visibles de l'émergence d'un pouvoir noir. Cassius Clay devenu
Mohamed Ali participe à sa façon aux cris de révolte d'une minorité
invisible devenue, de par son appartenance à la foi musulmane, une
menace pour l'intelligentsia blanche.
La présence de communautés noires d'obédience musulmane aux
États-Unis est ancienne 5. Le mouvement des Black Muslims, mélange
de préceptes d'un islam sunnite traditionnel et d'un nationalisme
inspiré de Marcus Garvey, naît à la fin des années 1920. Wallace D.
Fard en est le père fondateur. Installé à Detroit, il se dit originaire de
La Mecque et exhorte à la libération des Noirs, spoliés par « les
démons aux yeux bleus ». À Detroit, grande métropole du Midwest,
s'est construit un lieu de culte musulman où les fidèles sont rebaptisés.
Leur prénom est suivi du X, rappelant l'héritage africain inconnu et
disparu au fil des années d'esclavage. Sous l'autorité de Fard se met en
place une organisation très structurée. Il crée un groupe d'autodéfense
nommé le F.O.I. (Fruit of Islam) qui s'entraîne à la boxe et au karaté,
délivre un enseignement destiné aux jeunes filles conçu pour
l'apprentissage des bonnes manières d'épouse et de mère intitulé
Muslim Girls Training Corps, lance un corpus d'enseignement pour
les jeunes écoliers, etc. Attirés par cette « nouvelle religion », d'autres
groupes se forment avec plus ou moins de succès, et des scissions
idéologiques apparaissent. Une frange beaucoup moins radicale
(refusant le rejet de l'appartenance à la nation américaine) que celle de
Detroit se forme autour d'Abdul Ahmed. En 1934, à Chicago, Wallace
D. Fard fonde la Nation de l'Islam. Une année plus tard Elijah
Muhammad lui succède.
Ce personnage de petite carrure transforme en profondeur l'image
et l'organisation de la Nation de l'Islam. Elijah Muhammad, né Elijah
Robert Poole, vécut dès l'enfance dans le bain de la religion en étant le
fils d'un pasteur de Géorgie (sud des États-Unis). Plus tard, en quête
de travail dans les usines de Chevrolet, il est sauvé de la misère par W.
D. Fard qui en fait son principal homme de confiance. À la tête de
l'organisation et doté d'un charisme hors du commun, Elijah tente
d'unir toute la communauté des Black Muslims. Sa popularité
s'accroît quand il décide de défendre ceux qui sont hostiles à la
mobilisation durant la Seconde Guerre mondiale. Objecteur de
conscience, il passe trois ans de sa vie en prison. À sa libération, il est
élevé au rang de martyr. Si toute la communauté noire ne partage pas
forcément son rejet du christianisme, de l'assistance publique et du
gouvernement fédéral, du mariage mixte, ou du sport de haut niveau,
la croyance au fait qu'Elijah s'est sacrifié pour la cause noire est
solidement partagée. Le charisme de « l'Honorable Elijah
Muhammad », comme il est nommé par ses disciples, notamment par
un certain Malcolm X 6, permet une rapide augmentation des lieux de
culte musulmans. Alors qu'il y en avait quatre (Detroit, Chicago,
Milwaukee et Washington) dans les années 1930-1940, ils passent en
quinze ans à soixante-dix-huit. Parmi les fidèles, nombreux sont ceux
qui ont été recrutés lors de leur détention en prison (comme
Malcolm X) ou dans les organisations d'assistance aux familles de
condition sociale précaire. À la fin des années 1960, la Nation of
Islam revendique plus de 200 000 membres 7 répartis dans vingt-sept
États.
En 1961, Malcolm X prend la direction du journal de diffusion de
la philosophie des musulmans, Muhammad Speaks. Tribune des
aspirations d'une partie des Afro-Américains, le journal devient aussi
l'une des publications les plus lues dans la communauté noire. Des
émissions radiophoniques et télévisées complètent les moyens de
propagande. Elles ont principalement pour cible les jeunes déracinés
des régions du Sud profond perdus dans les vicissitudes des grandes
cités urbaines et industrielles, et la population juvénile incarcérée en
prison et en quête de guide spirituel.
Durant les années 1960, celui qui permet aux Black Muslims de
devenir une puissante force politique est incontestablement
Malcolm X. Il devient naturellement le leader du mouvement avec une
aura sans égale qui permet durant plusieurs années un rayonnement et
une popularité des thèses soutenues par Elijah Muhammad. Né en
1925 à Omaha dans le Nebraska, Malcolm Little a été témoin des
atrocités du racisme blanc quand, enfant, il a vu sa maison flamber et
son père pasteur (membre actif de l'Universal Negro Improvement
Association de Marcus Garvey) être assassiné par un groupe du Ku
Klux Klan. Marquée par cet épisode, sa mère tomba dans une terrible
dépression nerveuse et finit dans un asile. Malcolm et ses frères et
sœurs furent alors confiés à différentes familles d'adoption. Malcolm
s'installe ensuite chez l'une de ses sœurs à Boston où il plonge dans la
délinquance. Sa réputation de voyou grossit dans le quartier de
Roxburg à Boston où il est connu sous le surnom de « Detroit Red »
pour sa peau et sa chevelure rousse. En 1946, il sera incarcéré pour
cambriolage et condamné à dix ans de réclusion. C'est là, en prison,
qu'il décide, encouragé par des « frères musulmans », d'entreprendre
une correspondance régulière avec Elijah Muhammad 8. À sa sortie de
prison, en 1952, il devient l'un des plus importants lieutenants du chef
de la Nation of Islam. Deux années plus tard, il prend la direction de
la Mosquée 7 de Harlem, à New York, l'une des plus fréquentées du
pays. Orateur hors pair, il parcourt l'Amérique pour porter au sein de
la communauté noire, des plus démunis aux catégories aisées, un
discours tranché sur cette Amérique raciste où les Noirs sont mis au
ban de la société civile. Grâce à sa force de persuasion renforcée par
une intelligence hors du commun, il enchante les foules noires et attire
l'attention des médias nationaux et internationaux de toutes couleurs
confondues. Par ses apparitions publiques dans les petites, moyennes
et grandes villes, il réussit à implanter les principes de l'islam dans le
cœur et l'esprit de nombreuses personnes. La génération de l'après-
guerre est séduite par ses discours qui questionnent l'héritage africain,
et surtout la condition noire dans une société de discrimination et de
séparation raciale. La « grande gueule de Louisville » est parmi ces
nombreux jeunes qui sont littéralement envoûtés par l'appel de la
Nation of Islam, et en particulier par les propos d'Elijah Muhammad.
Le jeune Cassius rencontre le nationalisme noir en 1960, lors de
son voyage à New York, alors qu'il veut demander à Sugar Ray
Robinson d'être son entraîneur. Déambulant dans les rues de Harlem,
le jeune de Louisville est fasciné par un Noir, debout sur une caisse à
savon, qui harangue les passants : « Achetez noir ! » Ces paroles
renvoient aux messages de mouvements communautaristes tels que le
Garveyisme ou l'islam des Black Muslims. Cassius médusé trouve un
courage absolu chez ce Noir qui ose se rendre visible dans le
maelström de la foule bigarrée new-yorkaise. Il est secoué par cette
scène et garde secrètement en lui l'image de la bravoure manifestée par
cet homme.
Si l'expérience de la religion musulmane à proprement parler a lieu
pour Cassius en 1961, alors qu'il fréquente le quartier d'Overtown à
Miami, où on peut l'apercevoir parmi la communauté des musulmans
noirs et des lecteurs de Muhammad Speaks, il faut remonter à sa plus
tendre enfance pour trouver les motivations d'un rapprochement des
thèses séparatistes prônées par les Muslims. Le jeune Cassius avait en
effet entendu parler des préceptes d'Elijah Muhammad bien avant son
titre olympique, plus précisément lors du tournoi des Gants d'or à
Chicago. Il raconte :
Là, juste avant les jeux Olympiques, j'ai vu un journal de Nation of Islam, Muhammad
Speaks. Je n'y ai pas fait trop attention mais certains trucs m'ont travaillé l'esprit. Quand j'étais
petit, un garçon de couleur nommé Emmett Till avait été tué pour avoir sifflé une femme
blanche. Emmett Till avait le même âge que moi, et même s'ils ont attrapé les types qui
l'avaient lynché, rien ne leur est arrivé. Des choses comme ça se passaient tout le temps. Et
même dans ma vie, il y avait plein d'endroits où je ne pouvais pas aller, d'endroits où je ne
pouvais pas manger. J'ai gagné une médaille d'or aux jeux Olympiques en représentant les
États-Unis, et en revenant à Louisville, j'étais traité comme un Nègre. Des restaurants
refusaient de me servir. Des gens m'appelaient « Boy ». Puis à Miami (en 1961), pendant un
entraînement, j'ai rencontré un disciple d'Elijah Muhammad appelé Capitaine Sam (Saxon). Il
9
m'a invité à une réunion et ma vie a changé .
Mon premier souvenir de Mohamed Ali, c'est lorsque mon mari m'a parlé de ce jeune
boxeur qui avait assisté à de nombreuses réunions dans tout le pays. Puis, un jour, il
m'annonce qu'il s'était converti et nous en étions ravis. Malcolm avait adopté Cassius et le
considérait comme un petit frère. Il sentait que sa mission était d'aider ce jeune à se tenir
droit, en équilibre sur ses deux jambes. Il ne voulait pas que d'autres exploitent son talent et il
sentait qu'il pourrait faire plus. Mais mon mari était conscient que cette conversion ne devait
pas gêner la carrière du boxeur et que Cassius Clay ne devait pas annoncer publiquement qu'il
appartenait à la Nation of Islam. Il pensait que la religion de ce jeune homme restait une
10
affaire personnelle, privée, et que sa conversion lui apporterait une force intérieure .
La version simpliste du combat, propagée par la presse, consistait à dire que le combat
engageait un « espoir blanc » et un « espoir noir ». L'espoir blanc d'une victoire de Patterson
était, en substance, un désir contre-révolutionnaire de remettre à sa « place » le Noir révolté,
personnifié par Ali dans le monde de la boxe. Au contraire, l'espoir noir était de voir écraser
Lazare, de voir la défaite de l'oncle Tom, de recueillir une preuve symbolique de la victoire du
Noir autonome sur le Noir subalterne. L'ampleur du soutien apporté par les Noirs à Mohamed
Ali n'avait aucune relation avec l'idéologie raciste des musulmans noirs. Même les disciples
respectueux de la mémoire du bien-aimé Malcolm X (et beaucoup d'entre eux méprisaient
Mohamed Ali pour les propos indignes qu'il avait tenus après la mort de Malcolm) préféraient
Mohamed Ali et le tenaient pour un moindre mal : car Ali s'accordait mieux à l'attitude de
fureur des Noirs d'aujourd'hui, alors que Patterson était un anachronisme situé à des milliers
d'années-lumière […] la révolution noire s'est concentrée dans la haine mortelle, le mépris
1
glacial, envers Floyd Patterson et l'art lèche-bottes des guignols à son image .
On peut se dire que tout le sport dépend de moi et que si, comme une sorte de Galaad
fait maison, je n'arrivais pas à battre ce grand méchant Clay, alors la boxe mourrait. C'est
absurde. D'un autre côté, et j'en suis persuadé, la boxe a besoin d'une nouvelle image. Je
l'affirme et je suis catégorique : l'image d'un Black Muslim champion du monde des poids
lourds est une honte pour ce sport et cette nation. Cassius Clay doit être battu et le fléau Black
Muslim extirpé de la boxe. […] On ne peut admirer un champion dont le credo est « haïssez les
Blancs ». Je n'ai que mépris pour les Black Muslims et pour leurs idées… je suis catholique. Je
ne crois pas que Dieu nous ait créés pour nous haïr les uns les autres. Je pense que les Black
4
Muslims ont tort de prêcher la ségrégation, la haine, la rébellion et la violence .
Patterson dit qu'il va rendre le titre à l'Amérique. Si vous croyez que le titre a quitté
l'Amérique, voyez à qui je paye mes impôts. Je suis américain. Mais lui est un soi-disant Négro
sourd qui a besoin d'une bonne fessée. Je vais le punir pour les choses qu'il dit, lui faire mal. Ce
type a choisi le mauvais moment pour s'adresser à la mauvaise personne. Quand Floyd
s'adresse à moi, il touche à un point universel. Nous n'estimons pas que les Black Muslims
aient le titre, pas plus que les baptistes ne pensaient qu'ils l'avaient quand Joe Louis était
champion. Me croit-il suffisamment ignorant pour attaquer sa religion ? J'ai plein d'amis
catholiques de toutes les races. Et qui suis-je pour faire autorité sur la religion catholique ?
Pourquoi ferais-je un truc aussi idiot ? Il veut ramener le titre en Amérique ! je me comporte
comme un vrai Américain, bien plus que lui. Pourquoi laisserais-je un vieux Négro me
6
ridiculiser ?
Regardez mes mains, les articulations en sont douloureuses et enflées à force de frapper
sur sa tête. À présent donnez-moi qui vous voulez, désignez le challenger que vous estimez le
7
meilleur .
Le puncheur à part
Le grand Ali n'a jamais été plus grand boxeur qu'à Houston contre Williams. Ce soir-là, il a
été le boxeur le plus ravageur qu'il y ait jamais eu. Il a dominé dès la cloche, a assommé
Cleveland quatre fois et l'a roué de coups jusqu'à ce qu'il crache le sang. C'était incroyable
comment il pouvait le pilonner sans prendre le moindre coup. Ali avait été plus rapide que ses
adversaires, mais là, il était plus mûr et plus costaud aussi. Il était intrépide, jeune, fort et
1
compétent, au mieux de sa forme comme boxeur .
Ali n'est pas de la même espèce que ses prédécesseurs. Il frappe souvent. Sans doute pas
aussi fort que les précédents détenteurs du titre, mais il marque beaucoup plus de points. Il
inflige une punition davantage par la haute fréquence des contacts que par la puissance brute
2
de ses coups. L'effet cumulatif est dévastateur .
Cassius Clay est devenu, après son cinquième championnat du monde victorieux, peut-
être le plus étonnant poids lourd de tous les temps. Il n'a sans doute pas le punch de certains
de ses plus récents prédécesseurs comme Joe Louis et Rocky Marciano qui, d'un seul coup,
étaient capables de foudroyer leurs adversaires. Mais sa morphologie, sa classe et surtout sa
prodigieuse mobilité lui ont permis de créer une sorte de style, un jeu sans précédent chez des
hommes de son poids et où l'intelligence affleure à chaque geste. Pour celui qui est devenu
3
Mohamed Ali, le tapis du ring, c'est une piste de danse ceinturée de cordes .
Il est aussi rapide que l'éclair, le boxeur le plus vif que j'aie jamais rencontré. Il frappe plus
vite qu'un poids mouche, il bouge plus qu'un poids léger ; mais quand on encaisse un coup, on
5
est sûr d'avoir été frappé par un poids lourd. Oh oui, c'est le plus grand, c'est vrai .
Et comment ça a commencé ce truc sur son nom ! je ne l'ai pas consciemment appelé
« Clay ». En fait, à la signature du combat, le promoteur m'a demandé : « Vous arriverez tous
les deux de Houston quinze jours à l'avance pour vous préparer au combat et aider la promo. »
Et il ajoute : « Ça te va, Ernie ? » et je réponds : « OK pour moi si ça va à Clay. » Je ne voulais
pas l'insulter. Je l'avais toujours connu sous le nom de Cassius Clay. Et là, il m'a dit : « Mon
nom est Mohamed Ali. » J'ai dit que je trouvais ça bien, mais il a continué : « Pourquoi refuses-
tu de m'appeler Mohamed Ali ? Tu es juste un oncle Tom. » Bon, je n'avais pas voulu le blesser.
Mais quand j'ai vu à quel point ça l'énervait quand je l'appelais « Clay », j'ai continué. Pour
2
moi, c'était juste une façon d'assurer la promo .
Avec « Quel est mon nom ? », Ali ne posait pas de question, il exigeait. Ali était déterminé
à le lui faire dire, et ce combat a été absolument horrible. Si Ali avait été malveillant, c'est le
genre de type qu'il aurait pu donner à voir tout le temps. Pourtant, ce jour-là, c'était bien lui et
son côté obscur […] il a montré une facette de son caractère que j'ai encore beaucoup de mal à
comprendre aujourd'hui. Ce n'était pas réellement lui — je ne devrais pas dire ça, je suppose
car ça prouve mon affection pour Ali — mais il l'a fait. Je ne peux pas dire que c'est faux, je l'ai
vu. J'y étais et c'était profondément immoral. Il voulait blesser Terrell. Je sais, c'est bizarre de
dire d'un boxeur qu'il veut blesser son adversaire, mais quand vous connaissez la boxe, vous
comprenez ce que je veux dire. Ali est monté sur le ring pour faire du mal, vexer et humilier
6
Ernie Terrell. C'était un horrible combat, vicieux, et méchant .
Les gens m'ont vu combattre depuis des années et je n'ai jamais été un boxeur vicieux.
Coller un pouce dans l'œil de l'adversaire, lui frotter l'œil sur la corde ! C'est faux, jamais je ne
ferai volontairement un truc pareil. Je ne nie pas que j'ai voulu lui faire dire mon nom à tout
7
prix. Je l'avais mauvaise, ce soir-là .
J'étais à Louisville avec Willie Pastrano qui boxait Johnny Holman au Freedom Hall. Willie
et moi, nous étions dans notre chambre d'hôtel en train de nous reposer en regardant la
télévision lorsque le téléphone sonna. C'était un appel venant du hall. Un type qui était au
bout du fil me dit :
Je m'appelle Cassius Marcellus Clay. J'ai enlevé les « Gants d'or ». Je suis le champion de
Louisville, Kentucky. J'ai remporté le tournoi de l'A.A.U. [instance dirigeante de la boxe
amateur]. J'ai gagné un tournoi par-ci, un tournoi par-là. Je veux vous parler !
Je dis alors à Pastrano qu'un fou en bas voulait nous parler. Est-ce que je pouvais lui dire
de monter ? Willie me répondit : Ouais ! Nous n'avons rien de mieux à faire. Un grand et beau
garçon entra alors dans la chambre. Il était accompagné de son frère Rudy. Il parla avec nous
pendant trois heures et demie. Il évoqua tous les boxeurs que j'avais dirigés. Ceux avec qui
j'étais passé à la télévision. Il me dit que j'avais un surnom, « l'homme-coupure », parce que
j'avais Carmen Basilio qui avait toujours les arcades ouvertes. Il me demanda aussi : combien
vos boxeurs couvrent-ils de kilomètres au footing ? Pourquoi courent-ils ? Qu'est-ce qu'ils
mangent ? Est-ce qu'ils mangent une fois, deux fois, trois fois par jour ? Combien de temps
restent-ils éloignés de leur femme avant un combat ? Il voulait tout savoir sur la boxe. Il était
1
affamé de connaissances. C'était un étudiant en boxe .
Je n'ai jamais forcé le gamin. J'ai toujours laissé Cassius être Cassius et Muhammad être
Muhammad. Comment un nain comme moi pourrait-il lui dire ce qu'il a à faire ? En outre, il
voulait croire qu'il s'était fait tout seul, alors, soit, je lui ai fait sentir que tout venait de lui. Ça
a toujours fonctionné de la même manière. Je lui disais quelque chose et il faisait mine de ne
pas être intéressé. Puis, plus tard, il se mettait à bouger d'une manière particulière ou à
essayer une combinaison dont nous avions parlé plus tôt. Quand il descendait sur le ring, je lui
disais alors quelque chose comme : « C'est génial ce que tu viens de faire, Muhammad. Tu
envoies ton direct avec souplesse en l'accompagnant avec toute l'épaule, exactement comme
je l'avais imaginé. » En fait, je lui ai appris tous les coups possibles, uppercut du gauche, croisé
2
de la droite… tout de A à Z .
Il [Cassius Clay] s'était baptisé lui-même : « le plus Grand ». Mais toutes ses fantaisies
n'étaient pas conseillées pour un boxeur et je lui en fis la remarque, un jour, au gymnase de
Wiley. Ce dont tu as besoin, lui dis-je, c'est de quelqu'un qui te surveille, qui te maintienne en
bonne condition physique et morale. J'ai l'homme qu'il te faut. Drew Brown, qui se fait appeler
Bundini. Il était avec moi, à mon camp, il y a quelques années. Je vais te l'envoyer. Il te plaira. Il
t'aidera. Sugar Ray, dit-il, si cet homme vous a aidé, il m'aidera. Bundini lui plut tout de suite. Il
aimait rire et Bundini faisait tout pour le faire rire. Mais Bundini savait aussi être sérieux et il
1
le faisait travailler dur .
Bundini est de ceux qui entourent les champions de boxe sans que
l'on sache exactement la fonction pour laquelle ils ont été recrutés. Ce
brillant orateur à l'humour recherché est né en 1929 dans une famille
pauvre de Sanford en Floride. Élève doué mais trop récalcitrant, il ne
réussit pas à s'intégrer dans le système scolaire et l'abandonne. À
treize ans, il décide de s'engager dans la marine comme mousse, c'est-
à-dire chargé des sales corvées. Deux années passent, et il est démis de
ses fonctions pour avoir menacé de mort un officier avec une feuille
(outil tranchant utilisé par les bouchers pour couper la viande).
Passionné de littérature de voyages et esprit aventureux, il n'hésite pas
à rejoindre la marine marchande quand l'opportunité se présente.
Pendant douze ans, il parcourt le monde en mer. Il se passionne pour
les langues et les cultures étrangères. Au contact de gens d'horizons
divers, il se façonne un personnage à la mesure de ses rêves. Au
passage d'une côte indienne 2, il s'imagine gourou et invente de toutes
pièces un personnage fictif à qui il trouve un nom aux résonances
mystérieuses et intrigantes : Bundini !
Dans les années 1950, las des voyages en mer, il retrouve la terre
ferme. New York est la ville où il se cherche un nouveau destin. Il
passe de métiers précaires à des emplois durables, avant de trouver
dans la boxe un endroit d'expression libre. L'univers pugilistique est
ouvert à toutes ses fantaisies verbales. Il prend goût à la boxe quand il
est introduit dans le cercle des vedettes locales et en découvre les
coulisses aux côtés de Sugar Ray Robinson.
Avec Ali, sa brillante culture et sa spiritualité supplantent sa simple
fonction d'« homme de coin ». Au zénith de sa carrière, Mohamed Ali
trouve en Bundini un véritable gourou. Ce dernier lui permet de
cultiver son sens de la repartie et d'inventer des formules qui
répondent parfaitement à la mégalomanie poétique du boxeur. À
l'instar de Clay, Bundini est anticonformiste dans sa façon de faire.
Habituellement, les hommes de coin assistent l'entraîneur pour des
tâches subalternes. Bundini lui, au bord du ring, conduit la marche du
rythme des mouvements d'Ali, en hurlant des mots inédits pour un
cornerman :
Danse, champion ! Danse ! Ne cède pas à la tentation ! Brille de tous tes feux ! Fais-nous
rêver ! Ce soir c'est le spectacle garanti ! Montre-lui que tu es une créature de rêve ! L'heure est
3
venue d'embrasser la mort ! Cuisine-le, champion, cuisine-le !...
J'ai rencontré Ali — je crois que c'était en mars 1961 — quand je vendais le journal
Muhammad Speaks dans la rue. Il m'a abordé en disant : « Salut, Frère ! » et a commencé à me
parler. Et j'ai dit : « Eh, tu as commencé l'enseignement ! » Il a répondu : « Ben, je ne suis pas
allé à la mosquée, mais je sais de quoi tu parles. » Là, il s'est présenté : « Je suis Cassius Clay. Je
vais être champion du monde de boxe des poids lourds. » J'ai dit : « Je sais, mec. Je t'ai suivi
pendant les J.O. » Alors il m'a demandé : « Tu veux voir mon album ? » Je l'ai suivi à l'hôtel, il
partageait sa chambre avec un autre boxeur. Son album était plein d'articles sur lui et je l'ai
bien étudié. Il s'intéressait à lui-même et à l'islam. On a parlé des deux, en même temps. Il
semblait familier avec certains points de notre enseignement, alors qu'il ne l'avait jamais
appris. Je le trouvais un peu trop sûr de lui. Je savais que si je pouvais lui enseigner la vérité, il
5
serait grand. Aussi, l'ai-je invité à la mosquée .
Dans la chambre de Clay, je remarquai que ses vêtements étaient accrochés sur un
portant. Il n'avait pas de placard et très peu d'habits. Je lui proposai : « Puisque j'ai droit à des
frais de représentation, pourquoi n'irait-on pas faire un peu de shopping ? Acheter des
chemises, par exemple ? On pourrait aller chez Burdines ? » Dans le grand magasin, il y avait
des chemises en solde. C'est ce qu'on a regardé en premier. Leur prix était de 2,99 dollars. Clay
n'était pas sûr de sa taille. Le vendeur s'est approché et a dit : « Vous ne pouvez pas les
essayer. » Le chef de rayon est arrivé à son tour et a expliqué que c'était un règlement de la
maison, les Noirs n'avaient pas le droit d'essayer les vêtements. Il a probablement dit
« Nègre », personne ne disait « Noir » à cette époque. J'ai dit : « C'est invraisemblable, on est
dans un grand magasin ! Je veux parler au directeur. » Quand le directeur est apparu, je lui ai
expliqué que je travaillais pour Sports Illustrated et que nous devions faire des photos. J'ai
souligné : « Cet homme a remporté une médaille d'or olympique. » Il a rétorqué : « Ça ne
change rien. » Puis il m'a pris à part et a ajouté : « Écoutez, c'est le règlement. Nous ne faisons
2
qu'appliquer la politique du magasin. Les Nègres n'ont pas le droit d'essayer les articles . »
Au fil de l'après-midi, Ali devient de plus en plus agité, et les questions des journalistes
continuent à affluer :
— Que pensez-vous de la guerre du Vietnam ?
— Je ne sais rien sur le Vietnam.
— Savez-vous où c'est ?
— C'est quelque part, par là.
— Êtes-vous un faucon [partisan de l'intervention] ou une colombe [pacifiste et
résolument contre l'engagement militaire] ? Cette guerre est-elle juste ?
— Que pensez-vous de la résolution du golfe du Tonkin ? Que pensez-vous de Lyndon
Johnson ? Pourriez-vous tuer un Vietcong ? Et si ce Vietcong essaye de vous tuer ?
Ali devenait dingue et ça a continué comme ça je ne sais même pas pendant combien
d'heures. Finalement, au dixième coup de fil : « Que pensez-vous des Vietcongs ? » Ali
explose : « Eh mec, je n'ai rien contre les Vietcongs. » Et boom, c'était là, énorme. C'est ce que
3
les médias attendaient .
Pour cette prestation à vomir, la boxe devrait le renvoyer au tapis sur sa grosse tête. Un
adulte morveux, qui s'est vanté jusqu'à la nausée de ses compétences au combat et se cache
dans un trou de souris quand l'Armée l'appelle, devrait être destitué de son titre. Et au diable,
5
le cliché du titre gagné sur le ring qui ne peut se perdre que sur le ring .
Une génération de journalistes nés dans les années 1910 voit dans
les propos d'Ali les effets dégradants d'une jeunesse gâtée par le boom
économique de l'après-guerre. Les principaux coupables sont ceux qui
à leurs yeux prennent à contre-pied l'American way of life, les figures
du mouvement beatnik et hippie, immortalisées dans la littérature par
Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Ken Kesey et au cinéma par James
Dean ou Marlon Brando. Le doyen de l'association des écrivains
sportifs, Red Smith, est hors de lui :
À pousser des cris d'orfraie de peur que l'armée ne l'appelle sous les drapeaux, Cassius
offre un spectacle désolant, tout comme ces sales voyous qui manifestent avec des pancartes
6
contre la guerre .
Jimmy Cannon, une autre grande figure du journalisme sportif,
croit voir dans les propos d'Ali l'attitude caractéristique d'une époque
en pleine mutation où les valeurs américaines sont défiées par de
nouveaux codes culturels imposés par les jeunes. Il écrit dans le New
York American Journal :
Clay fait partie des beatniks. Il va bien avec ces fameux chanteurs que personne ne
supporte et ces voyous à moto portant une croix de fer sur leurs blousons de cuir et ces
garçons aux longs cheveux sales et ces filles au look négligé et ces gamins de l'université
dansant nus en cachette dans des boums et ces étudiants rebelles qui touchent le chèque de
papa chaque mois et ces peintres qui copient les logos de boîtes de soupe et ces glandeurs qui
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préfèrent le surf au travail et tout ce culte de la jeunesse dorlotée qui s'ennuie .
Vous avez déshonoré non seulement votre titre mais aussi le drapeau américain et les
principes dont il est le symbole. […] Excusez-vous publiquement pour vos propos
8
antipatriotiques sinon vous serez chassé du ring .
Comme boxeur, Muhammad Ali est fini. Quel que ce soit le résultat de son prochain
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combat, il est fini. Il devrait prendre garde. Il n'est plus en sécurité dans la rue .
Muhammad, Cassius. Je m'en fous de ton nom, je t'ai entendu à la télé ! [...] Espèce de
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lâche, sale renégat de Noir ! Dommage que j'aie pas une bombe, je t'enverrais en enfer !
Cassius Clay ? C'est vous ? Vous croyez que vous valez mieux que mon fils ? Espèce de
salaud de Nègre ! Je prie le Bon Dieu pour qu'on vous incorpore dès demain. Pour qu'on vous
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incorpore et qu'on vous fusille sur-le-champ !
« Pourquoi tout le monde tient-il tant à savoir ce que je pense du Vietnam ? Je ne suis ni
politicien ni chef de parti. Je ne suis qu'un boxeur. » Russell rétorque : « Eh bien, il s'agit d'une
guerre plus barbare que les autres, et dans la mesure où un champion de boxe finit toujours
par être l'objet d'une mystique, je suppose que les opinions du champion du monde suscitent
davantage qu'une banale curiosité. En règle générale, il ne nage pas à contre-courant. Vous les
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avez surpris .
Le champion du monde des poids lourds me fait vomir. Je ne suis pas un super patriote.
Mais je pense que tout homme, s'il est vraiment un homme, a le devoir de protéger et de
servir son pays en cas de besoin. De ce point de vue, ce champion est une honte. J'incite mes
concitoyens à boycotter massivement tous ses combats. Ces théâtres vides seraient le
meilleur hommage possible à ces garçons dont le corbillard passe si souvent ces temps-ci
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devant le théâtre de Main Street, USA .
Pour un certain nombre, cette question était la raison de notre présence à sa conférence.
En fait, tous nous étions très impatients d'entendre la réponse et les arguments de Mohamed.
Je crois aussi qu'il y avait parmi nous quelques étudiants tentés par des positions radicales. Ali
savait que cette question était extrêmement sensible et il ne voulait pas donner l'impression
de nous influencer. Avec malice, il trouvait une façon drôle d'atténuer le sérieux de la question
en disant que si l'étudiant avait en tête une prise d'otage ou un braquage de banque, ce serait
intéressant parce qu'il touchait les allocations d'aide aux plus démunis. L'assistance se mit à
rire et Ali continua à parler d'un de ses amis qui avait prévu de braquer une banque mais
2
oublia de faire sonner son réveil .
Un témoin de Harvard, l'université huppée de la côte Est, se
souvient d'avoir été très impressionné par la personnalité de
Mohamed Ali :
Nous autres étudiants blancs, nous étions curieux de le voir et de l'entendre. On nous
avait prévenus de son aisance verbale. Mais c'était peu dire quand on l'a rencontré réellement.
Il était fascinant et tout en lui donnait l'impression qu'il maîtrisait tout et qu'il avait réponse à
tout. Un de mes amis avait prédit des vues acerbes d'Ali sur le racisme institutionnel du
pouvoir blanc. Il a fourni des arguments suffisamment clairs et précis pour que nous nous
3
sentions mal à l'aise et résolument favorables aux droits acquis par les Noirs .
Les discours étaient importants, pas seulement pour Ali mais aussi pour tous ceux qui les
écoutaient. Il obligeait les gens à réfléchir et leur délivrait des informations auxquelles ils
n'auraient jamais eu accès. Partout où il allait, il exaltait les foules. Il lisait ses poèmes et
parlait de Nation of Islam. Les jeunes étaient en désaccord avec certains de ses propos. Je me
souviens, nous étions dans une université de San Francisco, et il a commencé à se plaindre des
odeurs de marijuana. Sur un autre campus où il y avait des couples interraciaux, il a critiqué le
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mélange des races. Et bien entendu, c'était le style d'Ali .
Le 4 avril 1969, un fait rend la parole d'Ali encore plus libre. Dans
une interview accordée à une chaîne télévisée quelques mois plus tôt, il
parle d'un retour possible sur le ring en ajoutant sur un ton
humoristique que « gagner un paquet d'argent » ne serait pas une
raison négligeable. Cette déclaration en forme de boutade résonne
dans l'oreille d'Elijah Muhammad comme un rejet des valeurs de la
religion musulmane. Ali est exclu ! La voix des Black Muslims,
Muhammad Speaks, publie ce communiqué signé d'Elijah
Muhammad :
Nous tenons à dire au monde que nous sommes en désaccord avec Mohamed Ali. La
fraternité des disciples de l'Islam, sous l'égide d'Elijah Muhammad, a décidé de suspendre
Mohamed Ali. Il n'a plus le droit de parler ou de rendre visite à aucun Muslim, ni de participer
à aucune activité religieuse des Muslims. M. Mohamed Ali a manifestement fait l'idiot.
Quiconque, homme ou femme, vient à Allah pour ensuite s'en remettre à l'ennemi d'Allah
dans l'espoir d'assurer sa survie, sous-estime le pouvoir qu'a Allah de lui venir en aide.
M. Mohamed Ali a le sport dans le sang. M. Mohamed Ali fait le contraire de ce que nous
enseigne le Coran. M. Mohamed veut une place dans le monde du sport. Il l'adore.
M. Mohamed Ali ne portera plus le nom sacré de Mohamed Ali. Nous l'appellerons Cassius
Clay. Nous lui retirons le nom d'Allah jusqu'à ce qu'il mérite à nouveau de le porter. Cette
déclaration a pour objectif de dire au monde que nous, les Muslims, ne validons pas le désir
qu'exprime M. Mohamed Ali de faire partie du monde du sport pour de l'argent.
7
Allah est tout-puissant sur terre comme au ciel. Allah suffit .
Voici Ali dégagé d'une pression énorme sur ses activités, ses
déclarations, son mode de pensée. Les « fans » d'Ali sont ravis. Ils
considèrent que cette excommunication est la preuve d'une parole de
plus en plus libérée. Pour certains, la virulence des propos de
« l'Honorable Elijah Muhammad » montre enfin qu'il déteste le sport
et qu'il a vu dans la célébrité du boxeur un moyen de populariser
l'organisation religieuse. Écarté du monde sportif, il se voit aussi rejeté
par ses « frères musulmans ». Le coup est dur. Cependant, Ali
continue d'intervenir dans les universités avec enthousiasme, tout en
ne perdant pas de vue le retour possible sur un ring... Ses avocats
continuent de harceler la justice afin qu'elle revienne sur sa décision et
qu'il puisse enfin reprendre les gants. Ali reçoit plusieurs refus de
différentes cours de justice mais il persévère car il sent que l'Amérique
de cette fin des années 1960 est en train de changer. L'opposition à la
guerre du Vietnam est de plus en plus vive. Quant au cas Mohamed
Ali, certains commencent à penser que l'Amérique s'est trompée…
Le mouvement civique sort des États-Unis et fait tâche d'huile à
l'étranger, notamment en France. Au cœur des tourments de l'été
1968, la revue Les Temps modernes dirigée par Jean-Paul Sartre
consacre plusieurs articles au pouvoir noir propulsé dans le slogan
Black Power 8.
À la fin des années 1960, l'Amérique fait sa mue et Mohamed Ali
contribue incontestablement à cette mutation. Le banni du ring et des
Muslims séduit à nouveau.
Le retour du roi
Plus loin, il distille quelques phrases qui en disent long sur une
envie profonde de se mesurer au nouveau champion de la catégorie
des lourds. Comme pour la promotion de ses précédents combats, il se
lance dans un de ses exercices favoris, prédire l'issue de la rencontre en
livrant la scène du combat :
C'est un petit poème que j'ai écrit sur Smokin' Joe Frazier. Ah… Je serais sorti du bois, en
dansant — pop, pop — je prends mon temps — pip — je m'arrête, je regarde mon adversaire
— whomp — je lui parle, « Tu t'appelles comment ? » — paf — j'expédie un jab — whap — je
m'éloigne de lui, je reprends mon souffle — pop, pop, pop — très vite — je le laisse approcher,
je l'accroche, vas-y, défoule-toi — thunk. Sept ou huit reprises plus tard, il est mort. Pop, pop,
pop, whaaap. C'est fini. Frazier ne m'a jamais rencontré sur le ring. Et si un jour, il me croise,
on verra que c'est un champion de pacotille. Je suis le champion du monde des poids lourds. À
la retraite. Pour rien au monde je ne remonterai sur le ring parce qu'ils m'en ont chassé. Si je
revenais, je renierais ma parole, tout ce que j'ai dit depuis trois ans. Il faut que je reste à l'écart.
2
Vous ne pouvez qu'imaginer mon combat contre Frazier. Car je ne boxe plus .
L'armée d'Ali, qui a fait sa première apparition à Atlanta […], lors de son combat contre
Jerry Quarry, s'est lancée dans un véritable défilé de mode en exhibant longs manteaux de
fourrure, vestes marron et chapeaux Borsalino à larges bords. Un homme, vêtu d'un pardessus
d'hermine blanche, a garé sa Rolls-Royce de la même couleur devant l'hôtel Statler Hilton et a
tendu un billet de cinquante dollars au portier. « Tiens, mon garçon, surveille ma voiture… Je
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reviens dans trois reprises, à peu près . »
Quinze arbitres. Je veux quinze arbitres pour ce combat car il n'existe aucun homme à
part moi capable de suivre le rythme que je vais imposer. Aucun homme aujourd'hui ne peut
2
me battre. Je suis trop rapide. Trop malin. Trop beau .
Il peut garder sa belle gueule, je n'en veux pas. Moi, je vais juste essayer de lui arracher
les tripes. Je vais le travailler au corps. Pas de discours, là, je serai dans l'action. Regardez-le
bien. Il protégera sa jolie tête et je la lui laisserai jusqu'au troisième ou quatrième round. Et
c'est là que vous verrez la différence : son corps n'en pourra plus. Là, il tentera de protéger son
corps meurtri et sa tête s'incIinera. C'est là que je viserai la tête : elle ne sera plus aussi jolie et
3
ce sera le cadet de ses soucis .
Personne ne savait qui arbitrerait le match ce jour-là. Le matin, la presse locale avait
publié les photos de sept différents arbitres possibles et j'étais l'un d'eux. On aurait tous tué
pour avoir le job. À 16 heures, je reçois un coup de fil de Frank Morris, de la Commission des
sports de l'État de New York, me demandant d'aller au Garden. Il ne me dit pas que j'ai la
place, juste que je suis assigné au Garden. C'est là que l'intensité sur et hors du ring était
4
extraordinaire. […] En arbitrant Mohamed Ali, on ne pouvait ignorer qui il était .
Le combat était palpitant, bourré de suspense. Du début à la fin, il a vibré de cette forme
particulière d'excitation inhérente aux championnats du monde des poids lourds. Il a fallu
attendre le dernier tiers de la rencontre — si tant est qu'une telle partition soit pertinente —
pour que les crochets ravageurs de Frazier lui permettent de prendre réellement l'avantage. Le
rythme, tellement soutenu, stupéfiait les spectateurs qui se demandaient, vers la fin du
match, où les boxeurs allaient puiser l'énergie nécessaire pour maintenir cette tension
électrique. Grâce au knock-down de la dernière reprise, l'intérêt sera maintenu jusqu'à la fin.
Frazier descendit du ring, propriétaire indiscutable de la ceinture de champion du monde, une
revendication sur laquelle planait jusque-là l'ombre de son prédécesseur défroqué,
5
Muhammad Ali .
Les Blancs disent que j'ai perdu. Enfin, certains Blancs. Mais tous les Noirs savent que j'ai
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gagné. Je suis musulman. Je suis objecteur de conscience. Je n'ai pas pu perdre .
Le vrai ou le faux Noir ?
Les trois combats que se sont livrés Mohamed Ali et Joe Frazier
ont mis en évidence une interrogation qui émerge dans les années
1970 au sein de la communauté afro-américaine : qui de ces deux
champions est le plus représentatif de l'Amérique noire ? Chacun des
boxeurs va tenter de livrer les meilleures garanties pour obtenir un
soutien inconditionnel de la communauté noire. Mohamed Ali est le
premier à lancer le pari que les Afro-Américains devront faire un
choix à chacune de ses prestations contre Frazier. Dès leur première
rencontre, les moqueries d'Ali touchent de plein fouet l'origine sociale
de son adversaire. Durant toute sa campagne médiatique d'avant-
match, Ali s'est borné à traiter Frazier d' « oncle Tom », de
campagnard et surtout d'être « intellectuellement limité ».
Ce dernier reproche n'est pas anodin, il révèle consciemment ou
non une confrontation entre deux Amériques noires : l'une qui s'est
constituée en un groupe relativement discernable par une volonté de
visibilité où le paraître est primordial, et l'autre au contraire, qui est
restée attachée à des valeurs où l'invisibilité prédomine et est perçue
comme un acte résilient. Mohamed Ali et Joe Frazier cristallisent ces
deux schémas d'une communauté en quête de pouvoir et de
reconnaissance sociale. Dans leurs combats, Ali l'exubérant, le tape-à-
l'œil, l'artiste du ring, veut réduire Joe Frazier à l'image d'une
Amérique noire taciturne (car marquée par un complexe d'infériorité
« raciale »), besogneuse, et socialement marginalisée par un déficit
intellectuel.
C'est un fait essentiel que, dans les années 1970, les duels entre les
deux meilleurs boxeurs divisent toutes les catégories de l'Amérique
noire. Le match Ali-Frazier n'est pas qu'un simple combat de boxe.
Pour une partie de la population américaine, l'affrontement est
matière à se représenter et à se positionner socialement. Le combat est
également l'expression de deux Amériques qui commencent à se
distancier et à ne plus se reconnaître dans une expérience commune,
celle de la condition noire. Tandis que Mohamed Ali se rapproche des
idéaux des classes dominantes, Joe Frazier se fait le représentant des
catégories dominées. Frazier saisit l'occasion des confrontations avec
Mohamed Ali pour prouver qu'il incarne les valeurs de la majorité des
Noirs. Avec une vie inchangée malgré l'argent de la boxe, il montre
qu'il est le meilleur représentant de la communauté « en boxant
comme un forcené pour gagner sa vie, plutôt que de faire des shows
télévisés 1 » comme il le souligne dans une interview. En fait, Frazier
exprime les vues d'une frange de la population noire délaissée par les
actions de promotion d'une petite et grande bourgeoisie noire. Frazier
a trouvé dans la boxe une raison d'être, en ne rejetant pas ses origines
sociales.
Dans un film qui retrace sa rivalité avec Ali, Frazier livre quelques
pièces qui permettent de comprendre le puzzle. On le voit diriger son
club de boxe (là où il a débuté sa carrière), situé dans la zone des bad
lands (les « bas-fonds »), près d'une vieille voie ferrée dans le nord de
Philadelphie. Dans ce quartier d'une Amérique où tous les marqueurs
sont ceux de la pauvreté (chômage élevé, fort taux de criminalité,
habitat délabré), Frazier affirme qu'il est à la maison et qu'il est fier de
cette appartenance. Cet endroit qu'on « appelle ghetto, c'est chez
lui 2 ».
Mohamed Ali appartient à la population qui a bénéficié des
victoires du mouvement des droits civiques. Elle s'est constituée et
construite autour des valeurs bourgeoises et des aspirations d'une
classe émergente avec pour credo l'éducation des enfants, la
participation active aux mondes économique et politique, la visibilité
médiatique dans les puissants relais d'opinion. La fin des années 1960
a vu l'éclosion d'une classe moyenne supérieure noire décomplexée,
ayant pris ses distances avec les valeurs défendues par ses aînés, très au
fait des codes culturels de la culture dominante, et très attentive aux
nouveaux moyens d'information comme la télévision. Mohamed Ali,
quoiqu'il s'en défende, appartient à cette nouvelle catégorie sociale,
cette nouvelle élite noire. En dehors du ring, il expose les signes d'une
vie qui est loin de celle que vivent les autres boxeurs noirs, excepté
peut-être Floyd Patterson. L'arrêt provisoire de sa carrière a été le
début d'un embourgeoisement qui peut être observé à travers ses lieux
de résidence dans les banlieues chics de grandes villes (Chicago,
Miami, Philadelphie). George Plimpton évoque cette vie de luxe lors
d'une visite qu'il effectue dans la résidence d'Ali, en 1971 :
Au volant du camping-car bleu qu'il avait acheté sur un coup de tête en Floride un mois
auparavant, Ali se dirige vers sa nouvelle propriété de Cherry Hill dans le New Jersey [en
banlieue de Philadelphie]. La maison en retrait de cinquante mètres par rapport à la route est
construite dans un style ibérique avec une cour intérieure et un toit en tuiles. De nombreuses
lanternes espagnoles montées sur des pieds en fer forgé parsèment le jardin. Elles s'allument
automatiquement au crépuscule, en même temps que des grappes de projecteurs placés dans
les arbres : une fois la nuit tombée, les murs ocre de la maison brillent comme à la fête
foraine. […] Voici la chambre principale […]. Il allume le lustre. La chambre est entièrement
tapissée de moquette rouge clair, presque rose bonbon. Le lit rond est recouvert d'un édredon
rouge. Ali escorte alors ses « invités » vers la salle de bains, frappe à la porte et s'annonce pour
s'assurer qu'il n'y a personne, avant de laisser les visiteurs se presser à l'intérieur afin
d'admirer les murs vermillon, les lavabos en marbre noir, la baignoire encastrée, très « Rome
3
antique », avec des robinets en or et des fleurs posées sur une étagère .
Le passage de Cassius Clay à Mohamed Ali, s'il s'accompagne
d'une transformation identitaire, bouleverse également le destin du
gamin de Louisville, dont la notoriété est désormais internationale. Au
début des années 1970, Ali sait qu'il n'appartient plus à bien des
égards au monde des boxeurs professionnels noirs qui sont
majoritairement issus des couches populaires les plus pauvres, fils de
parents ayant quitté le Sud profond pour rejoindre les mégalopoles du
Nord-Est (Detroit, Philadelphie) afin de trouver un emploi et échapper
à une discrimination raciale même relative. Ali choisit une façon
astucieuse de disqualifier Frazier en l'associant à l'image du Noir
dépassé, démodé, passif. En fait, c'est celui qui n'a pas eu le courage
de prendre le train de l'Histoire en menant des combats pour la fierté
noire comme Ali l'a fait. C'est une astuce imparable venant d'une
personnalité qui a effectivement marqué les esprits d'une grande partie
de la population noire et blanche puisqu'elle a été au cœur de la
révolution sociale des sixties. Partant de son statut d'acteur de la
révolte noire, Ali traite Frazier de « faux Noir ». Lors de leur première
confrontation, Ali avait précisé ses pensées :
Frazier n'est pas un vrai champion. Personne ne veut lui parler. Ah si, peut-être Nixon si
jamais il devient président. Je ne pense pas qu'il m'appellera. Mais 98% des Noirs sont pour
moi. Ils s'identifient à mon combat. Le même qu'ils mènent chaque jour dans la rue. Si je
gagne, ils gagnent. Si je perds, ils perdent. Chaque Noir qui croit que Frazier va me battre est
4
un oncle Tom. Tous les Noirs veulent me voir gagner .
Joe est trop moche pour être champion. Joe Frazier est trop bête pour être champion. Le
champion du monde doit être beau et malin comme moi. Demandez à Frazier : « Comment tu
5
te sens, champion ? » et il répondra : « Bof ! bof !»
C'est une sensation extraordinaire de travailler dans un pays régi par des Noirs. J'aimerais
que tous les Noirs d'Amérique voient ça. En Amérique, on nous fait croire que nous ne
pouvons rien faire sans l'homme blanc et surtout, tout ce que nous connaissons de l'Afrique,
c'est la jungle. Tout ce que nous voyons de l'Afrique, ce sont des autochtones qui
accompagnent des Blancs en safari. Parfois, on verra un Blanc se faire capturer par un gorille
et être sauvé par des Noirs. On ne nous montre jamais les voitures africaines, les bateaux
africains et les avions africains. On ne parle jamais des chaînes de télévision africaines. Ici,
tout est noir : les soldats, le président, les visages sur les billets. Cela paraît impossible et
pourtant vingt-huit millions de personnes gèrent ce pays sans qu'aucun Blanc ne soit
impliqué. Je croyais que les Africains étaient des sauvages mais depuis que je suis ici, j'ai
compris que bon nombre d'entre eux sont plus sages que nous ne le sommes. Ils parlent
anglais et deux ou trois autres langues. Impressionnant, non ? C'est nous, en Amérique, qui
4
sommes des sauvages .
Quel est l'homme que doit rencontrer Ali ? Voici son histoire…
Le 22 janvier 1973, le monde de la boxe redécouvre l'ancien
champion olympique des poids lourds 1968, George Foreman. À
Kingston, en Jamaïque, Foreman remporte le titre mondial, en
malmenant Joe Frazier, mis K.-O. au deuxième round après qu'il a
touché le tapis à six reprises. Dans les jours qui suivent le match,
l'écho du souvenir de Sonny Liston resurgit. Foreman est-il la nouvelle
terreur des poids lourds ? A-t-on trouvé le boxeur aux coups les plus
terribles de l'histoire des puncheurs ? Foreman est-il la nouvelle brute
du ring ? Ali aurait-il le courage de l'affronter ?
Interrogations, attentes et fascination se mêlent quand il s'agit de
parler de George Foreman. Au moment de l'ascension médiatique de
George Foreman, Mohamed Ali a connu deux cuisantes défaites, l'une
contre Joe Frazier, l'autre contre un boxeur de petite renommée, Ken
Norton. C'est le scénario idéal pour provoquer le duel entre la
nouvelle étoile montante et la légende vacillante.
George Foreman a suivi le parcours de la majorité des champions
dans la catégorie des lourds. Excepté Gene Tunney, l'Amérique a
produit des boxeurs lourds d'extraction populaire avec des parents
occupant des métiers peu valorisés. Ils ont connu l'extrême pauvreté.
Plusieurs ont un passé de détenu. Tous ont trouvé dans la boxe une
échappatoire à un destin qui semblait se diriger tout droit vers les
délits criminels. Tous ont eu un entraîneur qui a transformé leur vie.
Tous ont rêvé de devenir champion du monde.
George Foreman est né en 1949, à Marshall, une petite bourgade
du nord-est de l'État du Texas. Issu d'une famille pauvre et livré à lui-
même dès l'adolescence, il cède aux sirènes de l'argent facile et tombe
dans la délinquance. À quinze ans, il fait partie de ces jeunes qui
vivent de la petite criminalité dans les rues de Houston. Au même
moment, le projet politique d'une « Grande Société » mise en place
dès 1964 par le parti démocrate transforme son destin. Comme il le
dit lui-même, il est sauvé par le programme d'apprentissage d'un
métier manuel (Job Corps) lancé sous la présidence de Lyndon B.
Johnson, pour lutter contre la pauvreté. C'est dans un des centres
d'apprentissage qu'il rencontre Doc Broaddus, enseignant mais aussi
entraîneur. Foreman décide d'apprendre la boxe. Au vu de résultats
plus que probants, il envisage sérieusement d'en faire son métier.
En 1968, il devient champion olympique des lourds. Au cours de
cette olympiade, il se désolidarise de nombreux athlètes noirs
américains qui veulent profiter de l'impact médiatique des jeux pour
manifester contre le sort réservé aux Afro-Américains. Tandis que
Tommie Smith et John Carlos lèvent leur poing ganté de noir sur le
podium à l'écoute de l'hymne américain, Foreman brandit la bannière
étoilée après sa victoire finale. Cette distance avec les « Blacks
révoltés » se poursuit quand on le voit s'afficher avec Lyndon B.
Johnson, et surtout le gouverneur de Californie, Ronald Reagan, qui a
tenu des propos très durs à l'encontre d'Ali lorsque celui-ci a refusé
d'aller au Vietnam. Au contraire de Mohamed Ali, George Foreman se
fait plutôt discret sur la scène médiatique et dans le mouvement des
droits civiques. Les politiciens ont fait de lui un « Noir respectable »
pour ne pas dire « sans histoires ».
En 1972, trois années après son passage professionnel, Foreman
impressionne par ses performances. En 37 combats, il ne connaît
aucune défaite et a mis ses adversaires K.-O. à 35 reprises !
En 1973, à Kingston, il décroche le titre mondial et devient célèbre.
Devant des millions de téléspectateurs de la chaîne privée H.B.O., qui
pour la première fois retransmet un combat de boxe, Foreman réalise
un match époustouflant contre le meilleur boxeur du moment : Joe
Smokin' Frazier. La presse est impressionnée. Tous les commentateurs
parlent du retour d'un puncheur de talent. Les adversaires d'Ali
sonnent le gong pour parler de la fin de règne de son style. Les
performances de Frazier et de Foreman donnent des raisons de croire à
une transition de la boxe poids lourds. Les années « sans Ali » sont
perçues comme celles de l'éclosion d'une nouvelle génération de
boxeurs. Une certaine nostalgie des boxeurs puissants nourrit les
papiers de journalistes de boxe. En l'absence d'Ali, Frazier est nommé
à deux reprises boxeur de l'année par le magazine de référence The
Ring.
En 1974, une année après sa victoire contre Frazier, Foreman
conserve son titre mondial, à Caracas, au Venezuela. Comme dans le
combat contre Frazier, son adversaire Ken Norton touche le tapis à
plusieurs reprises avant que l'arbitre n'arrête le massacre. Cette fois, la
presse trouve dans la démonstration de Foreman contre un « boxeur
cérébral », tel que Norton, des motifs pour dire qu'Ali a peu de chance
de battre Foreman. Les victoires faciles d'Ali contre des adversaires
jugés « insignifiants » depuis son retour en 1971 conduisent une
certaine presse à se poser des questions sur le niveau réel d'Ali.
Beaucoup de journalistes doutent d'un retour flamboyant. Pour eux,
les atouts de Foreman (âge, puissance, palmarès) sont plus nombreux
que ceux d'Ali qui ne peut se prévaloir de son expérience après ses
trois années et demie passées éloigné des rings. Un vent de frayeur
souffle sur les fans d'Ali.
Après le match contre Norton, l'image terrifiante d'un Foreman
invincible s'était propagée dans toute la presse. À l'aube de la
rencontre contre Ali, cette impression s'amplifie. Ali joue de sa prose
pour déstabiliser Foreman. Il commence par nier ses qualités de style
et pointe les ressemblances entre Foreman et les boxeurs du début du
e
XX siècle. En somme, il en fait un boxeur du passé… Pour bien
George Foreman n'est qu'une grosse momie. D'ailleurs, je l'ai officiellement surnommé
« la Momie ». Il se déplace avec lenteur, comme une momie, et aucune momie ne peut battre
le grand Mohamed Ali. En fait, vous croyez tous à ces trucs qu'on voit dans les films : par
exemple ce type qui détale dans la jungle aussi vite que s'il concourait pour le record des 100
mètres. Une momie le pourchasse : boum, boum, boum. « Au secours je n'arrive pas à me
débarrasser de la momie ! au secours ! À l'aide ! La momie me rattrape. À l'aide ! La momie est
toute proche ! » Et la momie le chope, évidemment. Eh bien, cessez de croire à ces âneries.
1
Aucune momie ne m'attrapera .
Dans la capitale zaïroise, le plus beau plateau du « boxing business ». À droite, Mohamed
1
Ali, l'enfant chéri des sportifs africains. À gauche, George Foreman, le bûcheron du ring .
Mohamed Ali est nettement le favori des Zaïrois, du moins si l'on en croit le sondage
réalisé par le Journal de Zaïre : 75 % des lecteurs pensent que la victoire lui reviendra […]
Mohamed Ali est peut-être, avec James Brown et Aretha Franklin, la plus connue des
2
célébrités afro-américaines .
La joie qu'a apportée aux Zaïrois la victoire de Mohamed Ali sur George Foreman a été
plus intense que celle qu'ils avaient ressentie il y a quelques mois lorsque leurs Léopards
[surnom de l'équipe nationale de football] enlevèrent la C.A.N. [Coupe d'Afrique des Nations
de football]. L'enjeu était autrement plus important et le Zaïre a démontré à cette occasion sa
capacité d'organiser à la perfection une compétition sportive du plus haut niveau. […] Près de
60 000 personnes étaient venues assister à la mise à mort du « méchant » George […]
Groupes d'animation et orchestres en vogue se relayaient sur la pelouse autour du ring, et la
foule déchaînée scandait presque sans interruption son cri de guerre, « Ali Buma ye ! » Après
l'entrée en matière représentée par le combat entre le Zaïrois Tshinza et le Dahoméen Oke
3
[…], Mohamed Ali a démontré qu'il était bel et bien le plus fort, le plus grand .
La nuit prochaine, à Kinshasa (Zaïre), Mohamed Ali (trente-deux ans et neuf mois) tentera
un fantastique pari : redevenir champion du monde des poids lourds sept ans après avoir été
déchu de son titre. Ce « come-back » paraît d'autant plus impossible que George Foreman, son
cadet de six ans, est doué d'une puissance de frappe exceptionnelle. Malgré ses jambes agiles
et sa vitesse, il est en effet peu probable que l'ex-Cassius Clay puisse éviter le punch de son
rival pendant les quinze reprises. Si Mohamed Ali est en effet l'idole de toute l'Afrique,
4
conquise par sa forte personnalité, Foreman est le favori logique pour tous les techniciens .
Ali s'accorde à Clay
Mohamed Ali est champion du monde à trente-deux ans. Il a réussi l'incroyable pari de
ressusciter Cassius Clay. Ce Championnat du monde africain, qui opposait deux Noirs
américains, a pris une dimension exceptionnelle dans le cadre inhabituel du Zaïre. Il n'a pas
seulement tenu éveillée toute une nation, et plus spécialement sa capitale Kinshasa, mais il a
d'abord amusé, intrigué le monde entier. Si Mohamed Ali est un clown, il est un clown de
génie, et certainement le plus grand champion de sa génération. À l'intelligence et à
l'expérience de l'ex-Cassius Clay, George Foreman, le tenant du titre, pourtant solide athlète, a
1
opposé une force brutale, mais souvent aveugle .
À Manille, je lui ai foutu des coups, des coups qui auraient pu faire effondrer un
immeuble. Et il les a encaissés. Il les a encaissés et il s'en est remis. C'est cette partie-là du
bonhomme que je respecte. C'était un vrai combattant. Il m'a bien amoché à Manille et il a
gagné. Mais je l'ai renvoyé chez lui dans un sale état. Regardez-le, maintenant : il est
complèment rincé, fini [...] Il s'est toujours moqué de moi. C'était moi l'abruti, celui qui s'était
pris trop de coups dans la tête. Et maintenant, qui c'est l'abruti ? Lui ou moi ? Qui c'est qui a du
2
mal à s'exprimer ? Il n'arrive même plus à parler .
En tant que président, je trouvais qu'il était juste de reconnaître les gens qui avaient
atteint l'excellence dans le domaine du sport. J'ai toujours voulu rencontrer les meilleurs
sportifs américains, et Mohamed Ali en faisait de toute évidence partie. Mais au-delà de cela,
quand j'ai pris mes fonctions, nous étions une nation déchirée. Il y avait des conflits entre
familles, des conflits dans les universités et dans les rues. Nous étions confrontés à
d'importants problèmes raciaux ; la guerre du Vietnam avait exacerbé les différends ; et il y
avait bien sûr l'héritage du Watergate. Et parmi les grands défis que mon administration a dû
relever figurait cette question : comment guérir ce pays ? On ne pouvait pas faire en sorte que
tout le monde s'entende, mais il fallait au moins faire cesser les cris et essayer de s'écouter les
uns et les autres […] Et faire venir Mohamed Ali au Bureau ovale faisait partie de cette
stratégie globale. Je pensais qu'il était important de tendre la main et de montrer de façon
individuelle et collective que nous pouvions avoir d'importantes différences sans
nécessairement nous haïr. En bref, si je voulais rencontrer Mohamed, c'était non seulement à
cause de mon intérêt pour le sport, mais aussi dans le cadre de ma stratégie globale visant à
2
panser les blessures de la division raciale, du Vietnam, et du Watergate .
Kenny, c'est toi qui dois prendre le titre à Ali. Si tu ne le fais pas, personne ne reprendra le
5
titre à Mohamed Ali. Si la décision est tant soit peu serrée, il gardera le titre. Il est la boxe .
Tant que je serai là, le Madison Square Garden ne proposera plus à Ali de se battre de
nouveau. La boxe est un jeu de jeunes hommes. Ali a trente-cinq ans, il a encore la moitié de
sa vie devant lui. Pourquoi prendre des risques ? Il n'a plus rien à prouver. Je n'ai pas envie qu'il
vienne me voir un jour et qu'il me dise : « Qui êtes-vous ? » Le truc, dans la boxe, c'est partir au
3
bon moment, et le quinzième round d'hier soir était le bon moment pour Ali .
Je serais le plus grand abruti du monde si je devenais un loser après avoir été le premier
triple champion du monde. Aucun sportif noir n'est jamais arrivé là où je suis arrivé. Mon
1
peuple a besoin d'un Noir qui soit au sommet. Il faut que je sois le premier .
C'est toujours plus facile d'en parler une fois fini. Ali voulait retrouver la couronne qu'il
avait abandonnée deux ans plus tôt. Il a raté le coche. Il savait ce qu'il faisait. Merde, j'aurais
fait la même chose. Ce combat était réglo. Ali a passé des examens physiques pendant deux
jours entiers. Et ils lui ont donné le feu vert. Croyez-moi, je ne voulais pas. Sûrement pas, je
vous dis. Je racontais à tout le monde qu'Ali n'aurait pas dû. On était amis. C'était l'idole de
mon enfance. Je me souviens, en 1971, je suis venu à son camp d'entraînement de Deer Lake. Je
me suis mis à genoux et je l'ai supplié de me prendre comme sparring-partner. Je suis fier
d'avoir appris le métier à ses côtés. Il était mon mentor. Un homme, un vrai. Je respectais tout
ce qu'il faisait, je vénérais la terre qu'il foulait. Admettons-le, je lui dois énormément. Une
5
dette que l'argent ne peut pas rembourser .
J'avais été incapable d'abandonner la boxe, alors c'est la boxe qui m'a abandonné. Aucun
des boxeurs noirs qui m'avaient précédé n'avait su s'arrêter au sommet de sa carrière. Je
voulais être le premier. La vérité est que si j'avais gagné mon dernier combat, j'aurais
continué. Même à soixante ans, j'aurais encore essayé de réaliser l'impossible. On a écrit que
j'ai boxé trop longtemps et que ma passion m'a détruit. Mais si c'était à refaire, je ne m'y
prendrais pas autrement. Et ma réussite valait bien quelques souffrances. Mon cœur et ma
raison me tenaient des discours opposés. Et quand je dus me décider, je fis le choix du cœur.
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J'ai toujours été mon plus redoutable adversaire .
Épilogue
LA FIN DU REBELLE ?
Après sa semi-retraite en 1979, Mohamed Ali aime à répéter qu'il
est le Kissinger noir. Cette référence au Prix Nobel de la paix 1973 et
à celui qui fut le chef de la diplomatie américaine de 1973 à 1977 n'est
pas fortuite. Elle est le fruit d'une profonde mutation de la part de
quelqu'un qui, traité de rebelle et d'ennemi de l'intérieur dans les
années 1960 par l'État américain, à la suite de sa conversion à l'islam
ou de ses positions sur le Vietnam, se vit désormais comme un
ambassadeur de l'Amérique, terre de la démocratie.
En 1980, les États-Unis sont empêtrés dans deux « affaires »
internationales délicates. La diplomatie est mise à rude épreuve lors de
la révolution khomeyniste en Iran. En novembre 1979, des étudiants
islamistes pénètrent dans l'ambassade américaine pour exiger
l'extradition de Mohammad Reza Chah (l'ancien président, en exil au
Caire), et prennent en otage toutes les personnes présentes à
l'intérieur. Pendant quatre cent quarante-quatre jours, l'ambassade
devient le cœur de l'activité politico-médiatique du pays. Des centaines
de combattants de la Révolution montrent quotidiennement leur haine
du « grand Satan » américain, défiant la toute-puissante Amérique et
son président Jimmy Carter. Ce dernier pense alors à Mohamed Ali
pour apaiser la situation. Après avoir hésité puis s'être rétracté, il
décide finalement de le faire intervenir sur un terrain où il pense
pouvoir obtenir un résultat probant — celui du sport. Jimmy Carter
prévient que l'intervention soviétique en Afghanistan affectera
gravement les relations actuelles et futures entre les États-Unis et
l'Union soviétique. Les Américains trouvent alors dans l'appel au
boycott des jeux Olympiques de 1980, qui doivent avoir lieu durant
l'été à Moscou, un moyen efficace de protestation. Pour réussir à
mobiliser un maximum de pays, ils ont besoin de l'appui des pays
africains. La popularité d'Ali sur le continent noir va servir de fer de
lance à ce « Non à Moscou ». Ali fait une tournée en Afrique noire. Sa
mission est un échec mais il en sort grandi. Il devient l'image même de
cette Amérique qui a su mettre fin à la discrimination « raciale » et a
su faire d'un boxeur controversé un héros national.
FIGURE OLYMPIQUE
En 1996, aux jeux Olympiques d'été d'Atlanta, Mohamed Ali
émeut la terre entière. Atlanta, la ville où il a fait son retour de
boxeur, est le théâtre d'une scène qui reste comme l'une des images les
plus mémorables de l'histoire des olympiades. Choisi comme la
dernière personne du relais de la torche, il est celui qui allume la
flamme de la vasque olympique. Ali, physiquement diminué, trouve la
force pour réussir un geste simple mais devenu difficile pour quelqu'un
atteint de la maladie de Parkinson depuis une dizaine d'années. Dans
cette édition du centenaire des Jeux, Mohamed Ali a l'honneur
d'allumer le chaudron olympique lors de la cérémonie d'ouverture.
Devant plus de 100 000 spectateurs, sa silhouette apparaît et son
corps s'expose. Gardée secrète depuis plusieurs mois, la participation
d'Ali n'est pas une surprise, c'est une évidence. L'État américain, et en
particulier le président Bill Clinton, a voulu cette présence à plusieurs
titres. Pour le chef d'État, Ali représente l'un de ceux qui ont alerté
l'opinion publique sur l'ignominie de la guerre au Vietnam ; il affiche
par ses titres sportifs une carrière accomplie ; il montre par son
courage que la maladie de Parkinson ne l'empêche pas de vivre. Dans
l'atmosphère bouillonnante du lancement des Jeux, l'Amérique et des
millions de téléspectateurs à travers le monde retiennent leur souffle
pour voir Ali, le champion olympique de 1960, Ali le triple champion
du monde des poids lourds, le showman, le voltigeur du ring. En
l'apercevant d'abord sur l'écran géant installé dans l'une des tribunes,
les spectateurs croient à un montage. Cette illusion d'un revenant se
dissipe. Le doute ne dure que quelques secondes. Ali est bien là, en
chair et en os dans le stade. D'un geste tremblant mais assuré, il
récupère la flamme olympique de la main droite. La main gauche ne
cesse de trembler. Le visage est concentré sur la mission. Pendant
quelques instants, les spectateurs et les téléspectateurs ne le quittent
pas des yeux. Ali pointe délicatement le flambeau qui allume la grande
vasque. Celle-ci restera allumée pendant les dix-sept jours de la
compétition. Dans le stade, joie et larmes se confondent pour célébrer
plus qu'un champion : une icône du XXe siècle.
LITTÉRATURE
Très peu de sportifs dans le monde peuvent s'enorgueillir d'avoir
autant inspiré les écrivains que Mohamed Ali. Habitués à inscrire le
sport dans le domaine de la haute culture, les Américains s'intéressent
à la « matière Clay puis Ali ». De grands noms de la littérature se sont
rapprochés du sportif pour faire émerger un sujet éminemment
caractéristique de l'exception américaine. Norman Mailer trouve dans
le combat de Kinshasa l'accomplissement du voyage égotique d'Ali.
L'avocat et écrivain Thomas Hauser, à travers un travail méticuleux,
pénètre les ressorts qui ont permis au boxeur d'inventer son destin.
Mike Marqusee, Américain résidant en Angleterre, se projette dans les
années 1960 et essaie de comprendre ce qui dans la personnalité d'Ali
a favorisé la formation d'une conscience américaine nouvelle. David
Remnick se penche sur les raisons pour lesquelles le qualificatif de
héros utilisé pour parler d'Ali n'est point usurpé. Les nombreux
articles des journalistes de Sports Illustrated depuis le début des
années 1960 contribuent à installer Ali dans le top 10 des figures
sportives. Gerald Early, écrivain de la boxe et directeur d'études sur
les Afro-Américains, fait entrer les écrits de Mohamed Ali dans
l'Histoire. Joyce Carol Oates se révèle particulièrement puissante dans
ses envolées pour évoquer le champion.
Le monde universitaire a lui aussi montré son intérêt pour Cassius
Clay / Mohamed Ali. Ces travaux touchent des domaines aussi variés
que l'Amérique noire, la masculinité, le rapport entre le sport et la
politique. Le pays des religions messianiques ne peut ignorer le boxeur
devenu personnage public, ainsi, l'icône Mohamed Ali va même, sous
le crayon de Neal Adams, jusqu'à défier Superman dans une bande
dessinée, Superman contre Cassius Clay (Mohamed Ali), publiée une
première fois en France en 1978 par Sagédition, et rééditée en 2011
par les éditions Atlantic.
Du côté de l'Angleterre, la fulgurance poétique de Hugh
McIlvanney s'est trouvé un complice pour traiter du noble art comme
d'un art majeur. Les universités également, sous l'impulsion de Paul
Gilroy et Stuart Hall, ont publié plusieurs travaux comparant la
condition des Noirs d'Angleterre à ceux d'Amérique.
La France répond timidement à l'appel, sauf pour pointer les effets
du boxing-business sur son plus illustre représentant, et en souligner le
caractère fantasque. Le journaliste Paul Katz sonne le gong de
l'enquête sur l'étrangeté du boxeur. L'écrivain Patrice Lelorain et le
philosophe Alexis Philonenko ouvrent les premières brèches de
l'alitologie littéraire dans l'Hexagone. Benoît Heimermann, le
journaliste et grand reporter à L'Équipe, spécialiste du sport
américain, trace une nouvelle direction où la boxe cristallise l'histoire
originelle du pays. Elizabeth Chambon, Frédéric Roux et Alban
Lefranc complètent ce tableau d'un pays qui se prend de passion pour
Mohamed Ali.
En 2004, l'éditeur allemand Benedikt Taschen publie G.O.A.T.
(Greatest Of All Time), un ouvrage à la mesure de la grandeur du
boxeur. L'œuvre fait 792 pages, compte plus 3 000 documents
iconographiques, mesure 50 × 50 cm et pèse 34 kg.
MODÈLE D'ARTISTES
L'image de Cassius Clay, alias Mohamed Ali, s'est imposée dans
une mémoire collective globalisée grâce à l'inspiration d'artistes aux
talents multiples.
Ce sont les photographies de Flip Schulke et de Neil Leifer du
magazine Sports Illustrated, et de l'œil ami d'Howard Bingham, qui
immortalisent les instants magiques de Cassius Clay, dont les poses
sont devenues l'expression marquante des années 1960. La
photographie de Cassius Clay prise par Neil Leifer, debout, furieux,
tandis que Sonny Liston est allongé sur le tapis lors de leur première
confrontation, appartient désormais à l'Histoire de la photographie
sportive. Cassius Clay, ce jour-là, n'est pas seulement devenu l'un des
plus jeunes champions du monde des poids lourds, mais aussi l'un des
premiers sportifs dont l'arrogance, la beauté et la performance furent
saisies dans une image aujourd'hui célèbre.
Dans les années 1970, la figure d'Ali interpelle le regard d'artistes
iconoclastes et révoltés. En 1978, Andy Warhol en fait l'un des
modèles du siècle, tout comme il l'avait fait avec Mao, Marilyn
Monroe, Mick Jagger, Liz Taylor...
Le sens du verbe et la musicalité de ses mouvements subjuguent un
artiste de la rue : le Haïtien de New York Jean-Michel Basquiat. Ce
dernier fait du boxeur de Louisville un champion du peuple. Au début
des années 1980, Basquiat réalise des tableaux autour de ses Black
Heroes. Une de ses œuvres est consacrée au trompettiste Miles Davis,
une autre est intitulée « Cassius Clay ».
Le souvenir de l'œuvre pugilistique de Mohamed Ali à Kinshasa est
délivré par la force d'expression du tableau de LeRoy Neiman, le
peintre des couleurs vives.
L'art contemporain aussi participe à cette célébration. En 2011,
Michael Kalish réalise un portrait en 3D baptisé « ReAlise », une
sculpture monumentale composée de 1 300 sacs de frappe de boxe.
UN HOMME DE CINÉMA
En 1962, nous en avons déjà parlé, le cinéma entre dans la vie de
Cassius Clay qui fait une brève apparition dans un film prémonitoire :
Requiem pour un champion. Depuis, les réalisateurs ont suivi le
parcours du boxeur lors des différentes étapes de sa vie. La
métamorphose de Cassius Clay en Mohamed Ali est le fil conducteur
d'un film dirigé par Jim Jacobs.
William Klein choisit l'angle de l'homme révolté et du revenant de
Kinshasa pour évoquer la personnalité de Mohamed Ali. Ainsi, dans
Muhammad Ali. The Greatest 1964-1974, il embarque les cinéphiles
dans les tourments et réussites d'un boxeur d'exception. Le chef-
d'œuvre de William Klein, cinéaste photographe épris de liberté, ne
traite pas seulement de son itinéraire sportif mais également des façons
dont Mohamed Ali incarne une époque.
Leon Gast, avec When we Were Kings, offre un remarquable
documentaire sur la rencontre à Kinshasa, l'une des plus belles pages
de la construction d'une légende. Le film documentaire couronné d'un
Oscar en 1997 traduit en outre les enjeux du match qui dépassent
largement le périmètre du ring : valorisation du mobutisme,
célébration du panafricanisme, premier événement mondialisé qui se
tient en Afrique, promotion des musiques noires.
Les matchs homériques entre Ali et Frazier sont remarquablement
mis en images dans un documentaire signé Dave Anderson. Plus qu'un
film, il propose une vision de l'Amérique, celle qui se projette en Ali et
celle qui s'identifie à Joe Frazier.
Comme d'autres grandes figures historiques, la vie de Mohamed
Ali a fait l'objet d'un biopic. Réalisé par Michael Mann, ce film
hollywoodien à gros budget comprend une pléthore de vedettes.
Will Smith, l'une des stars de la nouvelle génération des acteurs afro-
américains, est celui qui est choisi pour incarner le boxeur. L'intérêt
pour Ali ne se dément pas dans les années 2010. Derik Murray, avec
Facing Ali, rassemble les paroles des adversaires d'Ali pour en faire
une histoire vue de l'autre côté du ring. Bill Siegel, dans The Trials of
Muhammad Ali, nous rappelle l'une des périodes les plus
mouvementées de sa vie sportive, celle qui croise la guerre du Vietnam
et ses choix en tant que musulman.
UN PATRIMOINE AMÉRICAIN
Le 14 juin 2003, quelques semaines avant son inauguration
officielle, le musée de la Constitution américaine (National
Constitution Center) accueille Mohamed Ali dans le cadre du Flag
Day, la journée consacrée à la fête nationale et à la commémoration
du drapeau Stars and Stripes. Ali est choisi pour hisser le drapeau
étoilé au-dessus du bâtiment qui marque l'un des grands moments de
la construction de la nation américaine. À cette occasion, le président
du centre déclare : « Mohamed Ali symbolise tout ce qui fait la
grandeur de l'Amérique 1. »
Dès la fin de sa carrière, Mohamed Ali est devenu l'une des
personnalités les plus récompensées des États-Unis. Le monde sportif,
politique et la société civile contribuent à faire de lui un véritable
monument historique, un objet de patrimoine. Le magazine Sports
Illustrated l'a l'élu sportif du siècle. Des historiens des États-Unis du
Sud n'oublient jamais de le mentionner dans leurs publications, leurs
écrits, leurs travaux. Chaque année, des millions d'enfants sont
sensibilisés à son parcours dans le cadre du Black History Month.
Enfin, l'État l'a honoré de la Presidential Medal of Freedom, la plus
haute récompense qu'un civil puisse recevoir.
L'histoire de Mohamed Ali n'est plus réduite à celle du sportif. Elle
reflète aussi les facettes multiples d'un acteur engagé dans le
mouvement civique, dans l'aide aux plus démunis, dans un rôle
d'ambassadeur de la paix, dans l'action humanitaire, dans
l'investissement aux actions sociales à l'échelle nationale et locale. Au
même titre que les grandes personnalités de la politique, Ali est inscrit
dans le roman national américain. Le personnage controversé des
années 1960 a laissé la place à l'une des figures les plus remarquables
et les plus appréciées de l'Amérique d'aujourd'hui. « Je suis
l'Amérique », s'amusait à dire Mohamed Ali pour faire taire les
multiples attaques de son supposé manque de patriotisme. Depuis
plusieurs décennies, le parcours d'Ali fait figure de modèle, d'exemple
pour les jeunes générations. En 2005, la ville de Louisville ouvre un
musée consacré à sa carrière et à sa vie. Plus qu'un espace dédié au
champion, l'endroit se veut un lieu d'apprentissage de valeurs telles
que la confiance en soi, le courage, le dévouement et le respect. Ce
sont des thèmes sur lesquels se sont bâtis les principes mobilisateurs de
l'identité des États-Unis.
É
UN HÉROS INTERNATIONAL
En 2000, lors d'une interview organisée dans le cadre de la Journée
mondiale de la Réconciliation, l'ancien président sud-africain et Prix
Nobel de la paix, Nelson Mandela, déclare que Mohamed Ali est l'un
de ses héros, affirmant que ce qu'il aime dans la boxe, ce n'est pas la
violence mais ce qu'en a fait Ali : un art des plus nobles. Le héros Ali
rassemble sur son nom des personnalités très diverses par leur pays
d'origine, leur profession ou leur statut social. Le réalisateur Spike Lee
parle de l'impact d'Ali sur la communauté noire dans l'éveil de la
fierté de se sentir noir et beau durant les années 1960. Le footballeur
suédois du Paris Saint-Germain, Zlatan Ibrahimović, déclare qu'il n'a
qu'une idole : Mohamed Ali. Mourad Boudjellal, le président
médiatique du R.C.T., le club de rugby de Toulon, choisit Ali comme
référence dans sa façon d'aborder la vie et pour porter un regard sur la
place des personnes issues de l'immigration. Plusieurs sportifs français
de disciplines différentes (Nicolas Anelka, Teddy Tamgho, Djibril
Cissé) arborent avec fierté des vêtements où apparaissent de façon
ostensible les noms de Cassius Clay ou de Mohamed Ali.
La presse hexagonale, L'Équipe, notamment, en a fait une
personnalité incontournable du sport mondial. En 1999, il est
plébiscité derrière le footballeur Pelé dans la liste des plus grands
sportifs du XXe siècle. En 2012, un numéro spécial lui est consacré
pour fêter ses soixante-dix ans.
En Angleterre, tous les grands boxeurs noirs (Chris Eubank,
Lennox Lewis) citent régulièrement le boxeur de Louisville comme
l'une des personnes qui a nourri leur passion pour la boxe. D'autres
athlètes britanniques voient également en Ali un role model. Quant à
la presse, elle ne tarit pas d'éloges. En 1999, la B.B.C. fait d'Ali le
« Sportif du siècle ».
L'Allemagne, où il a combattu à deux reprises, l'honore de la
médaille de la paix Otto Hahn. L'Afrique continue de l'idolâtrer. Au
Maroc, il reçoit des mains du roi Hassan II le Ouissam al-Arch, la plus
haute distinction de l'État. La C.É.D.É.A.O. (Communauté
Économique Des États d'Afrique de l'Ouest) lui rend un vif hommage
lors d'une cérémonie officielle.
L'OBJET CULTE
La puissance d'une icône est mesurable à la quantité de
productions littéraires et audiovisuelles, et aux références qu'elle a
suscitées. L'attraction commerciale est également un critère de la
grandeur d'une personnalité mondialement connue et adulée. À partir
des années 1980, les entreprises sont en compétition pour associer
l'image de leur produit avec celle du Greatest. Ali apparaît dans les
réclames pour des produits de consommation, comme les hamburgers
ou les céréales. En 2008, l'entourage prend la mesure du poids
économique d'Ali et confie 80 % des droits de commercialisation de
son nom et de son image à la société new-yorkaise C.K.X. (qui a
comme clients Woody Allen, Robin Williams, la famille d'Elvis
Presley), pour 50 millions de dollars. L'exploitation de son image
s'accroît considérablement, en dépit d'une concurrence de sportifs
dont l'aura a bénéficié de nouveaux moyens de diffusion, notamment
via Internet. Ali reste une icône très demandée et convoitée. Les jeux
électroniques, le nouveau loisir domestique, usent de son image dans
un duel rêvé Ali contre Tyson. Il est commercialisé par PlayStation 3,
en 2009. La collaboration avec Adidas est l'une des plus anciennes et
des plus emblématiques. Dans les années 1970, il s'associe avec
l'équipementier sportif allemand. La collaboration perdure. En 2007,
Ali participe à un spot publicitaire Imposssible is nothing. Un montage
où il est vu aux côtés de sportifs vedettes du moment (Zinédine
Zidane, Haile Gebreselassie, David Beckham…). En janvier 2014,
plusieurs articles (chaussures, veste, pantalon…) de la marque aux
trois bandes sont commercialisés dans une collection inédite,
uniquement dédiée au boxeur, et appelée « Muhammad Ali ».
Mohamed Ali devient une égérie dans le domaine du luxe. En
2012, il fait partie des légendes sportives (tout comme Diego
Maradona, Zinédine Zidane et Pelé) devenues ambassadeurs de la
marque Louis Vuitton. Cette campagne dans la presse écrite est
déclinée par un clip vidéo où apparaît le musicien Mos Def, qui joue
avec les mots d'Ali sur un ring.
En 2010, l'esprit Cassius Clay transparaît dans un spot publicitaire
réalisé par Martin Scorsese, pour le parfum Bleu de Chanel. L'acteur
et mannequin français Gaspard Ulliel déclare dans une conférence de
presse : « I am not going to be the person I am expected to be
anymore », en écho à la célèbre phrase d'Ali prononcée au lendemain
de sa victoire contre Liston, le 26 février 1964.
En février 2014, la société américaine Authentic Brands Group
(A.B.G.) rachète les droits d'exploitation de l'image d'Ali pour la
somme record de 200 millions de dollars. Désormais la riche
collection de photos, de vidéos, et de phrases célèbres comme « Float
like a butterfly, sting like a bee » ou « The Greatest of all time »
appartient à A.B.G. Le champion constitue toujours une attraction et
ses objets sont devenus des produits de luxe qui intéressent de riches
collectionneurs. Depuis les années 1990, l'intérêt croissant pour les
objets sportifs aborde un nouveau marché : celui des ventes aux
enchères. La paire de gants portée lors de son premier titre de
champion du monde en 1964 contre Sonny Liston s'est vendue à
836 500 dollars. La même année, en 2014, les gants qu'il revêtait lors
de sa première confrontation contre Frazier, au Madison Square
Garden en 1971, sont adjugés à un acquéreur qui n'a pas souhaité
donner son nom, pour 388 375 dollars (290 000 euros).
L'AMÉRIQUE « POST-RACIALE » ?
Dans un bureau célèbre, on aperçoit la photo culte de Cassius Clay
debout surplombant Sonny Liston couché. Ce bureau, c'est celui de
Barack Obama, le premier président noir des États-Unis. En 2009,
Obama livre ses pensées au quotidien USA Today qui célèbre les
cinquante ans de carrière d'Ali. L'article est intitulé : « Ce que
Mohamed Ali signifie pour moi ». Son talent sportif est naturellement
évoqué, mais c'est l'exemplarité de son itinéraire qui est surtout
exposée. Produit d'une variété de populations venues des quatre coins
de la planète, les États-Unis sont restés, jusqu'aux années 1960, un
pays qui se caractérisait par une stratification bâtie sur des lois de
discrimination raciale. Les populations noires se trouvèrent
marginalisées et dépourvues des droits les plus élémentaires. L'arrivée
d'Obama en 2008 a fait résonner dans la conscience américaine et
mondiale l'idée que la nation la plus puissante venait d'accomplir un
pas de géant dans la constitution d'une ère « post-raciale ».
Mohamed Ali fait partie de ceux qui ont contribué à faire de la
question raciale un sujet primordial. Le consensus autour de
l'exemplarité de Mohamed Ali renvoie à une vision de l'Amérique qui
trace progressivement un avenir où les populations noires sont moins
stigmatisées et moins enclines au poids des perceptions et
représentations dont elles souffrent depuis plusieurs siècles. Le succès
et la notoriété mondiale d'Ali ont contribué à donner une autre image
de l'Amérique, à véhiculer une autre idée de la nation qui se construit
un nouveau destin, dans lequel les Afro-Américains ne sont plus
inaudibles ni invisibles mais bien présents, dans les espaces de
reconnaissance que sont la politique, les médias, l'armée, la sphère
économique, le sport, etc.
Mohamed Ali, en ce sens, a préparé le terrain à Barack Obama
pour construire l'Amérique du XXIe siècle.
*
The Greatest s'est éteint le 3 juin 2016 à Phoenix (Arizona) à l'âge
de soixante-quatorze ans.
ANNEXES
REPÈRES CHRONOLOGIQUES
1942. 17 janvier : Cassius Marcellus Clay Jr naît, au General Hospital de Louisville, à 18 h 30.
Le bébé pèse 3 kilos. C'est le premier fils de Cassius Marcellus Clay Sr, peintre
d'enseigne et d'Odessa Lee Grady Clay, femme de ménage.
1944. Naissance du frère, Rudolph Valentino Clay, qui embrassera une carrière de boxeur,
sans succès. Il se convertira à la religion musulmane comme son frère, et deviendra
Rahaman Ali.
1949. Cassius Clay fréquente l'école de la Virginia Avenue, puis le collège Du Valle (Du Valle
junior High School).
1954. Début de la carrière de boxeur au Columbia Gym. Son entraîneur est policier. Première
apparition dans l'émission consacrée aux jeunes boxeurs très prometteurs, « Les
champions de demain » (Tomorrow's Champions), diffusée sur la chaîne locale,
W.A.V.E.-T.V.
1956. Cassius Clay remporte le Kentucky Golden Gloves, tournoi qui réunit les meilleurs
boxeurs amateurs de la région.
1957. Abandon pendant une année de ses activités de boxe. Les médecins diagnostiquent un
problème de souffle au cœur. Première rencontre avec son futur entraîneur Angelo
Dundee.
1958. Sèchement battu par un boxeur plus expérimenté, après que son entraîneur, Joe
Martin, a décidé d'arrêter le match à la deuxième reprise.
1959. 11 mars et 4 avril : gagne deux prestigieux tournois, respectivement les National
Golden Gloves à Chicago et le championnat de la National Amateur Athletic Union
dans la catégorie mi-lourds. Cette même année, il devient finaliste des Pan American
Games. Battu par Amos Johnson.
1960. 11 juin : obtient son diplôme de fin d'études secondaires (il arrive 376e sur 391).
3 septembre : remporte la médaille d'or des jeux Olympiques, en mi-lourds, face au
Polonais Zbigniew Pietrzykowski. Passe professionnel après cent huit combats
amateurs (huit défaites).
26 octobre : se lie avec onze businessmen locaux qui créent une structure pour le
soutenir, le Louisville Sponsoring Group. Reçoit une prime à la signature de 10 000
dollars. Achète une Cadillac rose pour ses parents.
29 octobre : effectue son premier combat « pro » au Freedom Hall de Louisville, devant
6 000 spectateurs. Victoire aux points contre Tunney Hunsaker.
19 décembre : rejoint le camp d'entraînement d'Angelo Dundee, au Fifth Gym de
Miami Beach. La relation avec Dundee va durer vingt et un ans.
1961. 19 avril : gagne son match qui l'oppose à Lamar Clark. Première d'une longue série de
victoires où Ali prédit le round où son adversaire perdra. Commence à fréquenter la
mosquée de Miami, deux années avant son premier contact (à Chicago) avec les Black
Muslims. Première apparition dans deux publications à diffusion nationale, Life et
Sports Illustrated.
1962. Rencontre avec Malcolm X dans une mosquée à Detroit lors d'un prêche donné par
Elijah Muhammad, leader du groupe radical Nation of Islam.
10 février : touche le tapis au premier round au cours de son onzième combat
professionnel, pour l'emporter à la quatrième reprise comme il l'avait prédit.
1963. 10 juin : pour la première fois, fait la une de Sports Illustrated. Apparaîtra en
couverture trente-sept fois ; seul le basketteur Michael Jordan a fait mieux.
18 juin : effectue son premier combat à l'étranger. Rencontre l'Anglais Henry Cooper à
Wembley dans une confrontation qu'il remporte à la cinquième reprise (il l'avait
prédit) après avoir touché le tapis à la quatrième reprise.
1964. 24 janvier : déclaré inapte après les notes médiocres qu'il obtient à l'examen
d'aptitude au service militaire, il est contraint de passer un deuxième test.
25 février : il devient champion du monde en battant le tenant du titre Sonny Liston, à
la septième reprise par K.-O. Le lendemain, annonce lors d'une conférence de presse sa
conversion à l'islam.
6 mars : adopte le nom de Mohamed Ali, donné par Elijah Muhammad.
14 mai : effectue une tournée en Afrique, où il rencontre notamment le président
égyptien Gamal Abdel Nasser, et le roi des Ashanti, Osei Prempeh II, à Kumasi (Ghana).
14 août : premier mariage. Épouse Sonji Roi.
1965. 21 février : Malcolm X est assassiné lors d'un meeting à Harlem. L'appartement d'Ali
est incendié dans la même soirée.
25 mai : second match contre Sonny Liston qui dure moins de trois minutes. En
novembre, une directive du gouvernement abaisse le niveau d'aptitude mentale pour
anticiper une implication plus longue dans le conflit vietnamien.
1966. 10 janvier : divorce de Sonji Roi.
17 février : les critères de recrutement des soldats ont été revus. Ali est désormais apte
au service militaire. Il souhaite être exempté pour motifs religieux ; sa demande est
rejetée. Le boxeur est sévèrement critiqué dans le monde politique et pugilistique.
16 août : Ali envoie un courrier au Louisville Sponsoring Group pour résilier son contrat
avec le groupe. Herbert Muhammad, le fils d'Elijah Muhammad, devient le manager
d'Ali.
1967. 22 mars : effectue son dernier combat avant le retrait de sa licence. Interdit de rings
durant trois ans et demi.
28 avril : convoqué au centre d'examen et d'incorporation, il refuse de servir l'armée
au motif qu'un ministre du culte musulman, ce qu'il est, doit être exempté de service
militaire. La New York State Athletic Commission et la World Boxing Association lui
retirent immédiatement son titre de champion du monde des poids lourds.
8 mai : inculpé par un jury fédéral.
20 juin : un jury de Houston (composé uniquement de Blancs) le condamne à cinq ans
d'emprisonnement et à une amende de 10 000 dollars, la peine maximale.
1968. Un comité de soutien s'organise autour d'intellectuels et de George Lois, directeur
artistique du magazine Esquire. Pour le numéro d'avril, le magazine présente Ali en
couverture avec une image qui se réfère au tableau de la Renaissance d'Andrea
Mantegna, Le Martyre de saint Sébastien.
6 mai : la Cinquième Cour d'appel confirme la sanction d'Ali.
1969. 4 avril : Elijah Muhammad annonce dans Muhammad Speaks (la revue de Nation of
Islam) l'exclusion d'Ali qui avait envisagé de revenir au sport à cause de problèmes
financiers.
2 décembre : apparition dans une comédie musicale, à Broadway, Big Time Buck White.
1970. 26 octobre : retour tonitruant sur le ring à Atlanta (Géorgie) en battant Jerry Quarry à
la troisième reprise.
1971. 8 mars : rencontre Joe Frazier au Madison Square Garden (New York) devant 20 455
spectateurs, dont plusieurs célébrités. Les deux boxeurs se partagent le gain record de
cinq millions de dollars. Frazier remporte le match et Ali touche le tapis au quinzième
et dernier round.
28 juin : cinquante mois après son refus d'être mobilisé, la Cour suprême casse à
l'unanimité sa condamnation pour vice de forme.
1972. Premier pèlerinage à La Mecque. Effectue des combats d'exhibition, en particulier au
Japon et en Irlande.
11 juillet : reçu par le Premier ministre irlandais.
1973. 31 mars : opposé à Ken Norton, il subit la deuxième défaite de sa carrière
professionnelle. Après le combat, l'examen médical révèle qu'il a boxé avec la
mâchoire brisée.
1974. 28 janvier : prend sa revanche sur Joe Frazier en l'emportant aux points.
30 octobre : à Kinshasa, Ali reconquiert son titre de champion du monde en battant
George Foreman, à la huitième reprise par K.-O.
10 décembre : reçu à la Maison-Blanche par le président Gerald Ford.
1975. 25 février : mort d'Elijah Muhammad.
1er octobre : rencontre Joe Frazier pour la troisième fois. Il l'emporte dans une des
rencontres les plus éprouvantes de l'histoire de la boxe.
2 décembre : offre 100 000 dollars pour empêcher la fermeture d'un centre
communautaire juif pour personnes âgées.
1976. Sortie de sa première autobiographie, Le Plus Grand, aux Éditions Gallimard. Achat
d'une ferme de trente-cinq hectares dans le Michigan à Berrien Springs.
2 septembre : divorce de sa seconde épouse, Belinda Boyd, qui l'avait épousé à l'âge de
dix-sept ans.
28 septembre : bat Ken Norton à l'issue de leur troisième duel.
1er octobre : lors d'un voyage, Ali annonce qu'il abandonne la boxe « sur les
recommandations de son chef spirituel, Wallace Muhammad ». La décision est vite
abandonnée.
1977. 19 juin : troisième mariage, avec Veronica Porsche rencontrée à Kinshasa en 1974.
29 septembre : après une victoire alarmante contre Earnie Shavers, le médecin d'Ali,
Ferdie Pacheco, l'avertit des risques de santé qu'il prend en poursuivant sa carrière. Il
n'est pas écouté et décide de démissionner.
1978. 15 février : perd son titre mondial contre un jeune boxeur, Leon Spinks.
10-19 juin : effectue une visite officielle en U.R.S.S. et rencontre le président Brejnev.
15 septembre : reprend sa couronne de champion du monde en battant Leon Spinks,
devenant ainsi le premier poids lourd de l'histoire à gagner trois fois le titre.
1979. 26 juin : décide de mettre fin à sa carrière et informe la W.B.A. (World Boxing
Association) qu'il souhaite renoncer à sa ceinture. Il effectue plusieurs tournées
d'adieu en Europe, organisées par l'agence I.M.G., qui lui rapportent près de 2,5
millions de dollars de droits d'image.
7 novembre : s'implique dans la crise des otages. Il propose à des étudiants iraniens
son échange contre soixante otages retenus à l'intérieur de l'ambassade américaine à
Téhéran.
1980. 31 janvier : le président Carter le nomme émissaire en Afrique, avec pour mission de
convaincre les pays africains de boycotter les jeux Olympiques organisés à Moscou,
pour protester contre l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique.
16 avril : annonce son retour à la compétition.
23 juillet : obtient l'autorisation des instances médicales de boxer contre le tenant du
titre Larry Holmes, champion W.B.C. (World Boxing Council).
2 octobre : perd son combat. Pour la première fois, son entraîneur Angelo Dundee jette
l'éponge pour arrêter la rencontre.
1981. 4 février : est indirectement impliqué dans un scandale financier : 21,3 millions de
dollars auraient été détournés.
1er septembre : il décide de combattre Trevor Berbick.
10 septembre : les instances médicales de la W.B.C. bloquent l'autorisation de boxer.
C'est sans conséquence pour la tenue du match.
11 septembre : Ali est humilié par Berbick et perd la rencontre aux points. « On ne
rajeunit pas. Le temps m'a rattrapé », déclare Ali à la conférence de presse, devant
plusieurs journalistes, en larmes. Il termine donc sa carrière professionnelle avec 61
combats, 56 victoires (dont 37 victoires par K.-O.), et 5 défaites.
1984. Ali déclare officiellement qu'il est atteint de la maladie de Parkinson.
1986. Ali demande réparation et réclame 50 millions de dollars à la justice pour
condamnation arbitraire après son refus d'incorporation en 1967. Non-lieu.
19 novembre : épouse Lonnie Ali qu'il rencontra quand elle était petite fille à Louisville.
1990. 8 février : décès à soixante-dix-sept ans de son père Cassius Marcellus Clay Sr.
2 décembre : malgré son état de santé, contribue à la libération de quinze boucliers
humains retenus en otages en Irak.
1992. Célébration du 50e anniversaire d'Ali à Los Angeles. Plusieurs célébrités sont conviées,
Howard Cosell fait un émouvant hommage à la télévision.
1993. 13 avril : première rencontre entre Ali et Nelson Mandela.
1994. 20 août : décès à soixante-dix-sept ans de sa mère, Odessa Lee Grady Clay.
1995. Décès à l'âge de soixante-dix-sept ans d'un ami fidèle, le journaliste Howard Cosell. Ali
est présent aux funérailles.
1996. 19 juillet : allume la vasque olympique lors de la cérémonie d'ouverture de la centième
édition à Atlanta.
1998. Avril : le magazine GQ le proclame « sportif du siècle ».
15 septembre : nommé messager de la paix des Nations unies.
1999. À l'approche du millénaire, reçoit plusieurs distinctions dont le titre de sportif du siècle
par Sports Illustrated et U.S.A. Today. L'État du Kentucky le nomme « habitant du
Kentucky du siècle ».
2001. 25 décembre : sortie du film Ali, réalisé par Michael Mann.
2002. Octobre : fait la une du magazine Esquire qui fête ses soixante-dix ans.
17-19 novembre : émissaire des Nations unies, il se rend en Afghanistan en guerre.
2003. Rencontre le Dalaï Lama à Bloomington dans l'Indiana.
2005. 19 novembre : inauguration du Centre Muhammad Ali, à Louisville. Magnifique
bâtiment de six étages.
2006. 28 janvier : au Forum économique et mondial de Davos (Suisse), devient le premier
lauréat du Prix C-100 qui salue son rôle dans le rapprochement entre les mondes
musulman et occidental.
2007. 5 juillet : C.K.X., société chargée de l'exploitation de son nom et de son image, change
d'appellation et devient Muhammad Ali Entreprises L.L.C.
2009. 12 février : afin d'honorer ses actions menées pour lutter contre les inégalités sociales,
Ali reçoit le prix présidentiel de « l'Association nationale pour l'avancement des gens
de couleur » (N.A.A.C.P.).
Sortie d'un jeu vidéo pour PlayStation 3 et Xbox 360. Dans ce jeu virtuel, Mohamed Ali
affronte Mike Tyson.
Avril : pour célébrer le 20 000e numéro du quotidien français L'Équipe, un panel de
sportifs s'est réuni pour élire « les plus grands athlètes de l'histoire ». Mohamed Ali
occupe la première place.
2010. 10 mai : pour la quatrième année consécutive, Ali termine à la première place de la
liste des plus grands athlètes du monde établie par Q score.
2012. 1er février : décès d'Angelo Dundee, il avait quatre-vingt-dix ans.
13 septembre : reçoit la médaille de la liberté dans le cadre du 225e anniversaire de la
constitution américaine.
2014. Janvier : Adidas lance une collection Muhammad Ali.
24 février : d'après le Washington Post, qui publie des documents émanant du F.B.I. et
datés de 1966, le combat entre Mohamed Ali et Sonny Liston, en 1964, aurait été
truqué.
31 juillet : les gants utilisés par Mohamed Ali lors de sa première rencontre contre Joe
Frazier (en 1971) sont vendus 388 375 dollars (290 000 euros) aux enchères.
2015. Appel de Mohamed Ali à tous les musulmans contre les mouvements djihadistes.
2016. Lancement, au Centre Muhammad Ali, d'un nouveau festival de films consacré aux
productions afro-américaines : Black Film Festival.
3 juin : disparition de Mohamed Ali, à la suite d'une longue maladie. Il avait soixante-
quatorze ans.
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Notes
1. Ibid., p. 42.
2. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 15.
3. Frédéric Roux, Alias Ali, Paris, Fayard, 2013, p. 13.
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2. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 43.
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 18.
2. Muhammad Ali et Richard Durham, Le Plus Grand, op. cit., p. 49.
1. Ibid., p. 50.
2. New York Times, 17 septembre 1996.
3. Muhammad Ali et Richard Durham, Le Plus Grand, op. cit., p. 51.
4. Ibid., pp. 52-53.
5. The Badge. « Official publication of the Jefferson County
Fraternal Order of Police », octobre 1957.
ROME 1960
1. Muhammad Ali et Richard Durham, Le Plus Grand, op. cit., pp. 65-
66.
2. The Filson Historical Society, The Filson News Magazine, vol. 6,
o
n 1.
3. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 31.
LA QUÊTE DU MENTOR
CLOWN AVANT-GARDISTE
UN PRODUIT DE LA TÉLÉVISION
1. Arthur G. Lentz (ed.), United States 1960 Olympic Book, op. cit.,
p. 37.
2. Entretien avec John Hooper, Paris, septembre 2013.
3. Entretien avec Carlos Costa, Paris, juin 2013.
4. Muhammad Ali, E.S.P.N., vol. 1. 1963-1965. Cassius Clay, archives
filmiques, 2011.
5. Entretien avec Brian Hartford, Londres, avril 2012.
6. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 130.
7. Ibid., p. 136.
« FLOTTE COMME UN PAPILLON, PIQUE COMME UNE ABEILLE »
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., pp. 68-
69.
2. Nick Tosches, Night Train, Paris, Rivages/Noir, 2007, p. 30.
3. Sport mondial, n° 79, 1962, p. 19.
4. Sport mondial, n° 81, 1963, p. 23.
5. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 74.
6. Ibid., pp. 74-75.
7. Ibid., p. 75.
8. Ibid.
9. Muhammad Ali, E.S.P.N., vol. 1. 1963-1965, op. cit.
10. Ibid.
11. Angelo Dundee, I Only Talk Winning, Toronto, Methuen, 1983.
12. David Remnick, King of the World, op. cit., p. 195.
13. Archives radio A.B.C., 25 février 1964.
14. Muhammad Ali, E.S.P.N., vol. 1. 1963-1965, op. cit.
15. The Miami News, 26 février 1964 ; The Miami Herald, 26 février
1964.
16. Sport mondial, n° 93, avril 1964, p. 46.
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 92.
2. Mike Marqusee, Redemption Song. Muhammad Ali and The Spirit
of the Sixties, Londres, Verso, 2000, p. 9.
3. New York Journal American, 24 mars 1964.
4. Boxing & Wrestling, juillet 1964.
5. Michel Fabre, Les Noirs américains, Paris, Armand Colin, 1967, p.
139.
6. Malcolm X et Alex Haley, L'autobiographie de Malcolm X, Paris,
Presse Pocket, 1993, p. 142.
7. Manning Marable et Leith Mullings, Freedom. Une histoire
photographique de la lutte des Noirs américains, Paris, Phaidon, 2003,
p. 285.
8. Malcolm X et Alex Haley, L'autobiographie de Malcolm X, op. cit.,
p. 151.
9. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 99.
10. Ibid., p. 109.
11. New York Times, 7 mars 1964.
12. Paris Match, 7 mars 1964.
13. Raymond Meyer et Claude Girard, La Boxe, Paris, La Table
Ronde, 1965, p. 64.
LE REBELLE ET LE MODÈLE
LE PUNCHEUR À PART
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 178.
2. The Ring, août 1966.
3. L'Équipe, 23 mai 1966.
4. Sunday Telegraph, 22 mai 1966.
5. The Washington Post, 7 août 1966.
É
LES GANTS DU DÉSHONNEUR
LE SAVANT
1. José Torres, Cassius Clay. Les poings d'Allah, Paris, Solar, 1973, p.
132.
2. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 150.
3. Muhammad Ali, E.S.P.N., vol. 2. 1966-1967, op. cit.
LA GARDE NOIRE
1. Ray Sugar Robinson, Dieu m'a prêté la foudre, op. cit., p. 263.
2. The New York Times, 29 septembre 1987.
3. Muhammad Ali, E.S.P.N., vol 1. 1963-1965, op. cit.
4. Orlando Sentinel, 4 octobre 1987
5. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit.,
pp. 100-101.
6. Philly.com (The Philadelphia Inquirer), 9 janvier 1998.
È
LES « NÈGRES BLANCS »
LA TOURNÉE DU BANNI
LE RETOUR DU ROI
LA DÉFAITE VICTORIEUSE
1. The New York Post, 8 mars 1971.
2. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 375.
3. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., p. 251.
4. Ibid., pp. 257-258.
5. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 384.
6. Sports Illustrated, 15 mars 1971.
7. The Guardian, 9 mars 1971.
8. L'Équipe, 8 mars 1971.
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., tome
2, p. 17.
2. Ibid., p. 18.
À BOUT DE SOUFFLE
LA CHUTE DU ROI
1. Brian Kilmeade, The Games Do Count. America's Best and
Brightest on the Power of Sports, New York, Reganbooks, 2004, pp. 40-
41.
2. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., tome
2, pp. 34-35.
3. Archives I.N.A., 5 mars 1976.
4. Archives I.N.A., 7 mars 1976.
5. Ken Norton, Going the Distance, New York, Sportspub, 2000,
p. 130.
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., tome
2, p. 112.
2. Stephen Brunt, Facing Ali, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 272.
3. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., tome
2, p. 120.
1. Thomas Hauser, Mohamed Ali. Sa vie, ses combats, op. cit., tome
2, p. 137.
e
2. Howard Zinn, Le XX siècle américain. Une histoire populaire de
1890 à nos jours, Marseille, Agone, 2003, p. 308.
3. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 552.
4. Newsweek, 4 octobre 1980.
5. Benedikt Taschen (dir.), Greatest of all time. Hommage à
Muhammad Ali, op. cit., p. 552.
6. Ibid., p. 554.
7. Muhammad Ali, L'âme du papillon. Les saisons de ma vie, Paris,
Presses du Châtelet, 2005, pp. 151-152.
É
ÉPILOGUE
Mes pensées vont à tous ceux qui ont, de près ou de loin, contribué à la réalisation de cet
ouvrage. Je remercie particulièrement Anne, ma première lectrice (My Greatest love of all), et
mes fils Clément et Thomas. Une place spéciale est accordée à toutes les personnes
interviewées, et à mes collègues universitaires Jean-François Diana, Paul Dietschy, Jean-Paul
Derai, Jean-Michel Faure, Marion Fontaine, Yvan Gastaut, Piero-D. Galloro, Pierre Lanfranchi,
Julien Sorez, Lilian Ndjaga-Mba, Pap Ndiaye, Harry Mephon, Stéphane Mourlane, Rafael Poli,
Didier Rey, Gautier Sergheraert, Kevin Marston Tallec, Matt Taylor et Naïma Yahi. Une pensée
chaleureuse va à mes amis Tayeb Belmihoub, Mohamed Berouane, Stéphane Drici, Michel
Erlich, Frank « Lopez » Hubert et la famille Roussel, ainsi qu'aux boxeurs Jean-Claude Bouttier,
Lucie Bertaud, Aya Cissoko, Jean-Marc Mormeck, Mike Tyson. Un petit clin d'œil pour l'équipe
de la librairie Millepages de Vincennes avec qui j'ai passé des heures exclusives à parler de
boxe et de boxe…
Last but not least, ma reconnaissance va à Gérard de Cortanze, qui m'a permis de réaliser ce
projet qui me tenait tant à cœur. Encore merci pour votre patience.
Couverture : Cassius Clay en janvier 1963. Photo © Marvin Lichtner / Pix Inc. / The LIFE Images
Collection / Getty Images.
Combat contre Sonny Liston, mai1965. Photo © George Silk / The LIFE Picture Collection /
Getty Images.
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Mohamed Ali
par Claude Boli
■ « Je suis l’Amérique. »