Ey - Etudes Psychiatriques
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Ey - Etudes Psychiatriques
VOLUME I TOME I
AVERTISSEMENT À LA PRÉSENTE ÉDITION : II
PRÉFACES : SITUATION DES ÉTUDES PSYCHIATRIQUES D’H. EY IV
Dans le Monde par J. GARRABÉ VII
Dans l’œuvre d’Henri Ey par P. BELZEAUX XIII
AVERTISSEMENT. 7
Préface à la deuxième édition. 9
Argument. 13
ÉTUDE N° 1
LA « FOLIE » ET LES VALEURS HUMAINES. 15-22
ÉTUDE N° 2
LE RYTHME MÉCANO-DYNAMISTE DE L'HISTOIRE
DE LA MÉDECINE. 23-49
Les tendances actuelles de la philosophie et l'évolution de la médecine. 31
ÉTUDE N° 3
LE DÉVELOPPEMENT « MÉCANICISTE » DE LA PSYCHIATRIE
à l'abri du dualisme « cartésien ». 51-66
Pulvérisation atomistique de la séméiologie. 56
Genèse mécanique des troubles psychiques. 58
Le développement de la nosographie des « entités cliniques ». 61
ÉTUDE N° 4
LA POSITION DE LA PSYCHIATRIE DANS LE CADRE DES SCIENCES
MÉDICALES.
(La notion de « maladie mentale »). 67-82
Médecine et psychiatrie dans l'évolution historique des sciences médicales. 67
Le dilemme psychiatricide. 69
La position de la psychiatrie dans le cadre des sciences médicales dépend d'une
saine conception des rapports du physique et du moral. 73
La maladie mentale. 75
Neurologie et psychiatrie. 78
Psychiatrie et pathologie organique. 78
Psychiatrie, psychologie et sociologie. 80
Conclusions. 81
ÉTUDE N° 5
UNE THÉORIE MÉCANICISTE
La doctrine de G. de Clérambault . 83-102
Les éléments primordiaux, nucléaires et basaux. 90
La genèse mécanique des psychoses. 92
L'auto-construction du délire. 97
La nosographie et la conception de G. de Clérambault. 99
ÉTUDE N° 6
UNE CONCEPTION PSYCHOGÉNÉTISTE
Freud et l'école psychanalytique. . 103-156
La psychologie freudienne. 108
Les manifestations normales de l'inconscient. 109
L'inconscient. 112
L'évolution et l'organisation de la vie instinctivo-affective : Les pulsions
(Triebe). 115
Le développement de la libido. 117
L'infrastructure pulsionnelle fondamentale. Les tendances
sado-masochistes. 119
La superstructure pulsionnelle. 122
La structure de la personnalité. 124
L'activité symbolique de l'esprit. 127
Technique psychanalytique. 128
L'analyse. 129
La dynamique du défoulement ou catharsis. Le transfert. 132
La psychopathologie freudienne. 136
Les mécanismes inconscients des états psychopathologiques. 137
Les caractères et comportements psycho-sexuels. 137
Les névroses d'angoisse. 140
La névrose obsessionnelle 141
La névrose hystérique. 142
Les délires systématisés. 144
Les états maniaco-dépressifs. 146
Les états schizophréniques. 148
La théorie psychogénétique des états psychopathologiques. 149
Théorie du traumatisme psychique pathogène. 150
Théorie de la régression libidinale. 150
La distinction entre névroses et psychoses. 152
ÉTUDE N° 7
PRINCIPES D'UNE CONCEPTION ORGANO-DYNAMISTE
DE LA PSYCHIATRIE. 157-186
Le sens et la portée de la conception organo-dynamiste de H. Jackson. 160
L'organicisme. 163
Le dynamisme. 168
Corollaires et conséquences pratiques de notre conception.. 172
Les racines historiques de l'organo-dynanisme. 178
La conception organo-dynamiste de Pierre JANET. 179
La hiérarchie des fonctions psychiques et la dissolution des fonctions
psychiques dans l'œuvre de Pierre JANET... 179
Troubles neurologiques et psychoses. 182
Les troubles de déficit et le mécanisme des symptômes. 184
ÉTUDE N° 8
LE RÊVE « FAIT PRIMORDIAL » DE LA
PSYCHOPATHOLOGIE . 187-277
La dissolution hypnique . 189
Structure de la pensée du sommeil . 189
La pensée des phases marginales du sommeil. 189
La conscience hypnagogique. 189
Les images hypnagogiques. 191
Les hallucinations hypnagogiques visuelles. 192
Les hallucinations hypnagogiques de l'ouïe. 193
Les hallucinations gustatives et olfactives. 193
Les hallucinations cénesthésiques. 193
Troubles du langage. 193
L'affectivité. 194
La psycho-motricité. 195
La pensée du sommeil. Le rêve. 195
Les conditions d'apparition du rêve. 196
Structure du rêve. 201
Analyse phénoménologique. 201
Analyse dynamique structurale. 204
Structure négative. 204
Structure positive. 207
Rêve et événement. 210
Les théories du rêve . 213
Théorie mécaniciste du rêve. 213
Théories psychogénétistes du rêve. 214
Théories organo-dynamistes. 215
Les rapports de la dissolution hypnique et les dissolutions
psychopathologiques. 218
Historique et position du problème. 218
Structure « fantasmique » des psychonévroses et des psychoses. 228
Psychoses aiguës. Accès, crises, bouffées de délire transitoires. 229
Confusions oniriques. États oniriques. 229
Les états oniroïdes, bouffées délirantes, états crépusculaires. 233
Syndrome oniroïde de dépersonnalisation. 237
Syndromes oniroïdes interprétatifs. 238
Syndromes oniroïdes Imaginatifs. 238
Les états fantasmiques de type maniaco-dépressif. 239
Les évolutions typiques de psychoses aiguës. 239
Psychoses à évolution chronique. 240
Les psychoses délirantes chroniques. 241
Les psychoses schizophréniques. 250
Les démences. 254
Les psychonévroses. 257
Hystérie. 258
La névrose obsessionnelle. 259
ÉTUDE N° 9
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE (9)
I. – ÉTUDE CLINIQUE.
L'EXPLORATION ET LA MESURE DES FONCTIONS MNESIQUES.
1° « TESTS DE MÉMOIRE » CONTENUS DANS LES ÉCHELLES COMPOSITES D'EFFICIENCE.
2° L ES BATTERIES DE TESTS DE MÉMOIRE .
L'échelle de mémoire de WELLS (1923)
L'échelle de mémoire de WECHSLER (1945)
L'échelle de « retentivité » de CATTELL
3° LES « TESTS DE MÉMOIRE » ISOLÉS.
4° ANALYSE FACTORIELLE. LE facteur « G ».
A. – LES SYNDROMES AMNÉSIQUES
I. – L ES AMNÉSIES GÉNÉRALES A FORME PROGRESSIVE ( RIBOT ).
1° L'AMNÉSIE ANTÉROGRADE (de « FIXATION »).
2° AMNÉSIE RÉTROGRADE (ou d'évocation).
3° AMNÉSIE ANTÉRO-RÉTROGRADE.
II. – LES AMNÉSIES PARTIELLES.
1° AMNÉSIES LACUNAIRES.
2° AMNÉSIES ÉLECTIVES.
3° AMNÉSIES ÉLÉMENTAIRES SYSTÉMATISÉES.
III. – LES AMNÉSIES PÉRIODIQUES ET LES « PERSONNALITÉS MULTIPLES ».
B. – LES SYNDROMES D'HYPERMNÉSIE
1° LES « VISIONS PANORAMIQUES DE L'EXISTENCE »
2° LES « CAPACITÉS MNÉSIQUES PRODIGIEUSES ».
C. – LES PARAMNÉSIES OU ILLUSIONS DE LA MÉMOIRE
1° LES ERREURS DE LOCALISATION DANS LE TEMPS OU L'ESPACE
2° C ONFUSION DU PRÉSENT ET DU PASSÉ .
a) Les ecmnésies.
b) Les fausses reconnaissances
c) L'illusion de sosie (CAPGRAS)
d) Le sentiment de jamais vu
3° CONFUSION DES SOUVENIRS PASSÉS ET DES SOUVENIRS IMAGINAIRES.
La fabulation
II - LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE DANS LES ÉTATS PSYCHOPATHOLOGIQUES.
A. – LES ANOMALIES DE LA MÉMOIRE ET LES ÉTATS D'ARRIÉRATION
B. – LES ÉTATS D'EXCITATION INTELLECTUELLE
C. – LES ÉTATS DE FLÉCHISSEMENT PAROXYSTIQUES DE LA CONSCIENCE
1° ÉPILEPSIE ET TROUBLERS MNÉSIQUES.
Les troubles de la mémoire consécutifs à la convulsivothérapie.
2° L ES AMNÉSIES HYSTÉRIQUES . (A MNÉSIES « PSYCHOGÈNES »).
3° L ES AMNÉSIES DES ÉTATS SYNCOPAUX , DES ICTUS ET DES COMAS .
4° LES ÉTATS CONFUSIONNELS.
La « Psychose de KORSAKOFF »
Les confusions toxiques.
5° LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE DANS LA MÉLANCOLIE .
D. – ÉTATS DE DÉTÉRIORATION CHRONIQUE
1° LES ÉTATS SCHIZOPHRÉNIQUES.
2° L ES ÉTATS DÉMENTIELS .
a) PARALYSIE GÉNÉRALE.
b) DÉMENCE SÉNILE ET DÉMENCE ARTÉRIOPATHIQUE
3° LES TROUBLES MNÉSIQUES POST-TRAUMATIQUES.
III. – LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL
A. – R ESPONSABILITÉ DES AMNÉSIQUES .
B.– LA SIMULATION DES TROUBLES DE LA MÉMOIRE.
C.– L E TÉMOIGNAGE ET LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE .
IV. – THÉRAPEUTIQUE ET RÉÉDUCATION
V. – LES CONDITIONS NEURO-BIOLOGIQUES DE LA MÉMOIRE
PROBLÈME BIOLOGIQUE DE LA MÉMOIRE
PROBLÈMES NEUROLOGIQUES DE LA MÉMOIRE
VI. – APERÇU PSYCHOPATHOLOGIQUE SUR LA MÉMOIRE ET SES TROUBLES
BIBLIOGRAPHIE
ÉTUDE N° 10
LA CATATONIE (69)
§ I. – HISTORIQUE 1
1° LA « KATATONIE » MALADIE. C'est KAHLBAUM qui, en 1874…
2° LA CATATONIE INTÉGRÉE A D'AUTRES ENTITÉS NOSOGRAPHIQUES.
3° LA CATATONIE CONSIDÉRÉE COMME UN SYNDROME MOTEUR NEUROLOGIQUE :
§ II. – ÉTUDE CLINIQUE
A. – LE « SYNDROME CATATONIQUE TYPIQUE ».
1° Troubles du comportement :
a) C'est en premier lieu le NÉGATIVISME,
b) L'INERTIE PSYCHOMOTRICE
c) LES TROUBLES DE L'EXPRESSIVITÉ PSYCHO-MOTRICE. Le maniérisme
d) LES DÉCHARGES PSYCHO-MOTRICES.
1° Actes saugrenus et isolés. éclats de rire
2° Crises d'agitation impulsive
3° L'impulsivité verbale :
2° Troubles moteurs :
a) C ATALEPSIE , FLEXIBILITÉ CIREUSE :
b) S TÉRÉOTYPIES :
c) TROUBLES DE LA MIMIQUE :
SYN D R O M E S O M AT I Q U E D E L A C ATATO N I E
1°. SYNDROME NEUROLOGIQUE ASSOCIÉ
2°.TROUBLES DU MÉTABOLISME
3°.TROUBLES SOMATIQUES
4°. INFLUENCE DES AGENTS PHARMACODYNAMIQUES SUR LA CATATONIE :
SYNDROME PSYCHOLOGIQUE
a) AFFECTIVITÉ.
b) DÉLIRE
c) L'ORGANISATION DE CHAMP DE LA CONSCIENCE.
ÉTUDE N° 11
IMPULSIONS (163)
Définitons
§ I. – ANALYSE CLINIQUE DES DEUX FORMES
D'IMPULSIVITÉ
A. – LES PROTOPULSIONS
B. – LES COMPORTEMENTS IMPULSIFS
§ II. – LES IMPULSIONS AU COURS DES « MALADIES
MENTALES » ET DES « AFFECTIONS DU SYSTÈME NERVEUX »
A. – LES IMPULSIONS DANS LES DIVERSES FORMES PSYCHOPATHOLOGIQUES
1° Épilepsie et impulsions.
2° Alcoolisme et impulsions.
3° Schizophrénie et impulsions.
4° Les impulsions maniaco-dépressives.
5° L'impulsivité dans le déséquilibre psychopathique et les psycho-névroses.
Les tics
6° L'impulsivité dans les affections cérébrales et spécialement dans l'encéphalite épidé-
mique.
a) – PROTOPULSIONS KINÉTIQUES
b) – PROTOPULSIONS INSTINCTIVES
c) – COMPORTEMENTS IMPULSIFS.
§ III. – PATHOGÉNIE DES IMPULSIONS
A. – THÉORIES MÉCANICISTES
B. – THÉORIES PSYCHOGÉNISTES
C. – THÉORIES ORGANO-DYNAMISTES
1° Dissolution de l'activité volontaire
2° Classification des impulsions
I. – LES COMPORTEMENTS IMPULSIFS DANS LES NÉVROSES ET LES PSYCHOSES
II. – LES PROTOPULSIONS DÉTERMINÉES PAR DES DÉSINTÉGRATIONS PARTIELLE DES FONCTIONS
MOTRICES.
§ IV. – ESQUISSE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE L'IMPULSIVITÉ PATHOLOGIQUE
ÉTUDE N° 12
EXHIBITIONNISME (213)
ÉTUDE N° 13
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS (233)
ÉTUDE N° 14
LE SUICIDE -PATHOLOGIQUE (341)
ÉTUDE N° 16
DÉLIRE DES NÉGATIONS (427)
Défintion
§ I. – HISTORIQUE
A. – ESSAI DE CONSTITUTION D'UNE NOUVELLE ENTITÉ (COTARD)
B. – LE « SYNDROME DE COTARD » SE RENCONTRE AU COURS DE DIVERSES AFFEC-
TIONS (SÉGLAS)
ANALYSE CLINIQUE DU THÈME DE NÉGATION SELON COTARD et SÉGLAS.
Lecture de l’exposé de Séglas
Lecture de l’esposé de Cotard (434)
§ II. – ÉTUDE CLINIQUE DES DÉLIRES DE NÉGATION
A. – BRÈVE ANALYSE STRUCTURALE DES DIVERS ASPECTS DU DÉLIRE DE NÉGATION
B. – LES FORMES CLINIQUES
1° Formes mélancoliques.
1° LES DÉLIRES DE NÉGATION DES ÉTATS MÉLANCOLIQUES
2° LES DÉLIRES DE NÉGATION POST-MÉLANCOLIQUES
2° Délires de négation hors de la mélancolie.
1° FORMES CONFUSO-DÉMENTIELLES.
2° DANS LES ÉTATS SCHIZOPHRÉNIQUES
C. – PRONOSTIC
§ III. – APERÇU DES PROBLÈMES PATHOGÉNIQUES
1° THÉORIES MÉCANICISTES
2° THÉORIES PSYCHOGÉNISTES.
3° ESQUISSE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DANS LE CADRE D ' UNE THÉORIE ORGANO - DYNAMISTE
BIBLIOGRAPHIE
ÉTUDE N° 17
HYPOCHONDRIE (453)
§ I. – LES TROUBLES HYPOCHONDRIAQUES
A. – TROUBLES CÉNESTHOPATHIQUES (DUPRÉ)
B. – PRÉOCCUPATIONS HYPOCHONDRIAQUES
C. – DÉLIRES HYPONCHONDRAIQUES
1° Le délire hypochondriaque de préjudice corporel
2° Le délire hypochondriaque de transformation corporelle.
3° Le délire hypochondriaque de possession de zoopathie et de grossesse.
4° Le délire hypochondriaque d'agression corporelle.
§ II. – TABLEAUX CLINIQUES DE L'HYPOCHONDRIE
A. – L'HYPOCHONDRIE DANS LES ÉTATS DE DÉSÉQUILIBRE ET LES NÉVROSES.
L'HYPOCHONDRIA MINOR.
1° L'hypochondriaque anxieux constitutionnel.
2° L'hypochondriaque paranoïaque.
3° L'hypochondriaque obsédé.
4° L'hypochondriaque hystérique.
B. – L'HYPOCHONDRIE DANS LES PSYCHOSES. L'HYPOCHONDRIE DÉLIRANTE
1° Les formes hypochondriaques de la mélancolie et des psychoses cyclothymiques.
2° Les formes hypochondriaques de la démence précoce et des états schizophréniques
3° Les formes hypochondriaques de l'épilepsie
4° Les formes hypochondriaques des états démentiels
5° Les formes hypochondriaques des délires chroniques.
Les délires hypochondriaques systématisés
Les délires hypochondriaques paranoïdes.
Comportement et réactions antisociales des hypochondriaques
§ III. – DIAGNOSTIC
§ IV. – THÉORIES PATHOGÉNIQUES
A. – THÉORIES MÉCANICISTES
1° Hypochondrie et affections des voies et centres de la sensibilité.
2° Théorie sympathico-viscérale de Head.
3° Théorie du « Schéma corporel ».
B. – THÉORIES PSYCHOGÉNISTES
C. – THÉORIE ORGANO-DYNAMISTE
BIBLIOGRAPHIE
ÉTUDE N° 18
JALOUSIE MORBIDE (483)
§ I. – ANALYSE DE LA JALOUSIE
A. – LA JALOUSIE AMOUREUSE
1° La jalousie mélange d'amour et de haine.
2° La jalousie blessure d'amour-propre.
3° Le doute et les hésitations du jaloux.
4° Le comportement jaloux.
B. – JALOUSIE NORMALE ET JALOUSIE PATHOLOGIQUE
§ II. – ÉTUDE CLINIQUE
A. – LA JALOUSIE DÉLIRANTE LIÉE AU DÉVELOPPEMENT ANORMAL DE LA PERSONNALITÉ.
1° L' hyperesthésie jalouse de Mairet.
2° Le délire systématisé de jalousie.
B. – LA JALOUSIE DÉLIRANTE SECONDAIRE A L'ALTÉRATION PROCESSUELLE DE LA PER-
SONNALITÉ (JASPERS)
C. – LA JALOUSIE MORBIDE SYMPTOMATIQUE DE PROCESSUS ORGANIQUE
1° Le délire de jalousie alcoolique.
2° La jalousie morbide des toxicomanes.
3° Dans les affections cérébrales.
4° Dans la démence sénile.
§ III. – STRUCTURE DE LA JALOUSIE MORBIDE
BIBLIOGRAPHIE
ÉTUDE N° 19
MÉGALOMANIE (515)
Définition
§ I. – ANALYSE PSYCHOPATHOLOGIQUE DE LA MÉGALOMANIE
A. – MÉGALOMANIE ET PSYCHOLOGIE NORMALE
B. – DÉSÉQUILIBRE MÉGALOMANIAQUE DES VALEUR DU MOI AUX DIVERS NIVEAUX DE
RÉGRESSION PATHOLOGIQUE.
a) hâblerie fantastique et mythomanie
b) les états de rêverie pathologique du « délires aigus d'imagination », etc
c) Dans les états d'exaltation maniaque,
d) Dans les états oniriques et oniroïdes,
e) Dans les états démentiels.
C. – LES ASPECTS SÉMEIOLOGIQUES DES « IDÉES DE GRANDEUR »
1° Idées et sentiments euphoriques de satisfaction et de bonheur.
2° Les idées délirantes de grandeur.
3° Les délires de structure mégalomaniaque fondamentale.
§ II. – LES ASPECTS MÉGALOMANIAQUES DES DIVERSES « MALA-
DIES MENTALES »
A. – ASPECT MÉGALOMANIAQUE DES PSYCHOSES AIGUËS
1° Dans les états maniaques.
2° Dans les états mélancoliques.
3° Dans les états confuso-oniriques.
4° Dans l'épilepsie.
5° Dans les bouffées délirantes des dégénérés.
B. – MÉGALOMANIE ET ORGANISATIONS PSYCHOTIQUES ET NÉVROTIQUES CHRO-
NIQUES.
1° Dans les psycho-névroses et les états de déséquilibre psychique.
2° Dans les états schizophréniques.
3° Dans les délires chroniques.
Dans les délires systématisés
Dans les délires paraphréniques
4° Dans les démences. Dans la paralysie générale
§ III. – PATHOGÉNIE DE LA MÉGALOMANIE
(Le travail délirant de la projection du Moi dans le Monde)
BIBLIOGRAPHIE
Avertissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Argument . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
ÉTUDE N° 20
LA CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES ET
LE PROBLÈME DES PSYCHOSES AIGUES
ÉTUDE N° 21
MANIE
ÉTUDE N° 22
MÉLANCOLIE
§ I. – Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
§ II. – La crise de mélancolie typique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
A.– Conditions d'apparition . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
B. – Tableau clinique typique . . . . . . . . . . . . . . . . 124
a) Mélancolie dépressive, 125. (Faciès-Habitus, 125. Syndrome fondamental
(Aboulie, 126. Inhibition, 127. Douleur morale, 130. Pessimisme, 131). b) Mélancolie
anxieuse, 133. c) La recherche de la mort, 134. d) Syndrome physique, 136. e) Évolu-
tion et pronostic, 138.
§ III. – Analyse structurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
A.– Analyse existentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
B.– Psychanalyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
C.– Analyse structurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
(Structure négative - Perte de l'activité synthétique, 162. Trouble de la lucidité de la
conscience, 163. Déstructuration temporelle éthique, 164. Structure positive : Le
drame, 165. L'angoisse métaphysique, 167. Le retour aux fantasmes primaires.
Psychanalyse, 168).
§ IV.– Formes atypiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
1°) – Formes symptomatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Formes mineures (Dépression légère, 173. Dépression réactionnelle, 175). Formes
graves (Mélancolies délirantes, 177. Mélancolies confuso-stuporeuses, 185).
2°) – Formes évolutives. Mélancolies chroniques . . . . . 185
Évolution démentielle, 186. Évolution schizophrénique, 186. Évolution d'un délire
chronique, 187. Évolution névrotique, 189.
3°) – Formes étiologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Mélancolie d'involution, 193, Mélancolies symptomatiques d'affections du système
nerveux, 195.
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
ÉTUDE N° 23
BOUFFÉES DÉLIRANTES ET PSYCHOSES
HALLUCINATOIRES AIGUES
§ I. – Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428
ÉTUDE N° 25
LES PSYCHOSES PÉRIODIQUES MANIACO-DÉPRESSIVES
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 518
ÉTUDE N° 26
ÉPILEPSIE
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 650
ÉTUDE N° 27
STRUCTURE ET DÉSTRUCTURATION DE LA CONSCIENCE
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 756
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 761
Table analytique des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 781
Henri Ey
VOLUME I
TOMES I & II
Nouvelle édition
2006
CREHEY
La présente réédition (en deux volumes) des Études psychiatriques d’HENRI EY initiale-
ment publiées en 3 tomes, successivement en 1948, 1950, 1954, a une origine double. D’une
part, elle est dans le prolongement de l’action de l’Association pour la Fondation Henri Ey
(APFHEY) qui a permis, sous la houlette de son secrétaire général et initiateur, Robert
Michel PALEM, de son président J. GARRABÉ et de son vice président J. CHAZAUD, le renou-
veau des études eyiennes, en organisant le sauvetage et la conservation par la ville de
Perpignan des archives et de la bibliothèque qu’Henri EY (1900-1977) avait rassemblées
dans sa maison de Banyuls dels Aspres, son lieu de naissance et de retraite. Claude-Jacques
BLANC avait pour sa part assumé, au sein du collège d’épistémologie Karl POPPER (Asso.
France-Copsyrep) les années sombres où l’œuvre d’Henri Ey fut l’objet d’un oubli ingrat.
D’autre part, elle est dans le prolongement des États généraux de la psychiatrie qui se sont
déroulés à Montpellier en juin 2003 sous la présidence d’Hervé BOKOBZA. Il fut évident pour
chacun des participants à cet effort de refondation que l’œuvre d’Henri Ey constituait désor-
mais pour la pensée psychiatrique contemporaine, le socle d’un recours constant aussi bien
sur le plan clinique et épistémologique, qu’institutionnel et syndical. Il nous apparaissait
désormais incontournable d’offrir à la communauté psychiatrique le texte devenu introu-
vable de ces fameuses Études psychiatriques, haut lieu d’une clinique soucieuse du Sujet et
de son corps, inséparable d’une réflexion approfondie sur la constitution de ses propres fon-
dements.
Le texte que nous présentons est la reprise typographique intégrale du texte original de
la deuxième édition revue et augmentée publiée chez Desclée de Brouwer dont les trois
tomes totalisaient quelque 1630 pages. Nous avons voulu, en effet, donner à ce texte majeur
de la psychiatrie du XXème siècle toute la qualité de présentation que la profondeur clinique
de son contenu et la hauteur de vue de sa réflexion pouvaient requérir. Ce faisant, nous
avons pu corriger les quelques éléments typographiques erronés que comportait l’original,
en particulier uniformiser la hiérarchie des titres et intertitres sans toutefois compromettre
la pagination de l’original. Cependant, nous nous sommes permis d’ajouter dans les marges,
des « reports » strictement conformes au texte original. Henri EY, dont nous pouvons témoi-
gner qu’il était soucieux d’un pragmatisme éditorial, l’avait préconisé et mis en œuvre pour
les éditions successives de son « Manuel » de psychiatrie. Il nous est, en effet, apparu que
ce texte très dense nécessitait un meilleur repérage, sans répéter pour autant les titres et
intertitres du texte original. En même temps, nous pensons, qu’au premier coup d’œil, le lec-
teur trouvera dans ces « citations de marge » l’occasion d’une découverte de la richesse du
AVERTISSEMENT
texte même et une invitation à y entrer plus avant. Afin d’éviter toute orientation par trop
subjective, ces « citations de marge » ont fait l’objet d’une double réévaluation critique par
les membres du comité de rédaction. Nous avons également ajouté en marge de la zone titre
de chaque Étude la liste de l’ensemble des études du tome dont elle fait partie, afin d’avoir
facilement en mémoire le plan général de l’ouvrage. Chaque fois que cela nous a été pos-
sible nous avons signalé par des notes de l’éditeur entre crochets [NdÉ] les rééditions
actuelles des ouvrages en référence, afin de donner aux plus jeunes lecteurs des facilités de
recherche. Enfin, la reprise typographique intégrale a permis de générer un index général
des noms propres, qui ne figuraient pas dans le texte original.
Nous avons doté cet immense somme psychiatrique de courtes préfaces faisant le point
de nos connaissances actuelles sur ce que fût l’enseignement d’Henri Ey, sur la « situation
» des Études psychiatriques dans son vaste projet d’une « Histoire naturelle de la folie », et
sur la « refonte du savoir psychiatrique » à partir des très nombreux travaux internationaux
sur lesquels s’appuient les Études. L‘un de nous a mis en lumière leur rôle de creuset au sein
du travail éditorial de la Bibliothèque Neuro-Psychiatrique de Langue Française dans
laquelles elles ont été initialement publiées chez l’éditeur Desclée de Brouwer ainsi qu’au
sein du projet encyclopédique à auteurs multiples : le traité de psychiatrie clinique et théra-
peutique de l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale (E.M.C.) aux Éditions Techniques (Paris).
L’ensemble de ce travail éditorial, qui a couru sur près de trois années, n’a été rendu pos-
sible que par l’amitié et l’ardeur au travail de nos collègues, dont il est remarquable de noter
qu’il a mobilisé non seulement trois générations de psychiatre, des jeunes internes aux psy-
chiatres honoraires, mais aussi des spécialistes des sciences connexes. Nous voyons déjà
dans l’attrait transgénérationnel et l’intérêt des chercheurs que peuvent susciter la clinique
et la réflexion de EY, la récompense de tous nos efforts.
Notre gratitude de cœur ira à Mme Renée EY et Mr Louis EY qui, comprenant de suite
l’enjeu du projet éditorial, nous ont accordé toute leur confiance et surtout le temps de sa
réalisation. Nos remerciements iront en premier à notre complice Pierre NOËL, qui a bien
voulu mettre tout son professionnalisme, sa rigueur et sa relecture critique à l’établissement
des épreuves définitives. Jean GARRABÉ, président de l’APFHEY, dont le soutien fut essen-
tiel au démarrage du projet, a assumé l’indispensable actualisation des références présentes
dans le texte. Les doubles relectures et la constitution des « citations de marge » ont été
consciencieusement effectuées par nos chers amis psychiatres et neuro-psychiatres, publics
ou privés, psychanalystes, phénoménologues ou historiens des Universités qui n’ont ména-
gé ni leurs encouragements, ni leur temps personnel : Charles ALEZRAH, Raoul BELZEAUX,
Michel de BOUCAUD, Humberto CASAROTTI, Pierre CHENIVESSE, Jean-Christophe COFFIN,
AVERTISSEMENT
par
J. GARRABÉ
P. BELZEAUX
SITUATION DES ETUDES.
Dr Jean GARRABÉ
L’écriture et la publication par Henri EY entre 1948 et 1954 des trois premiers
tomes de ses Études psychiatriques délimitent un espace où confluent et s’entrecroi-
sent son oeuvre personnelle depuis le premier de ses ouvrages Hallucinations et
Délire, paru en 1934, et la littérature psychiatrique internationale du milieu du XIXème
siècle. Comme ces grands fleuves formés par la rencontre d’eaux issues de plusieurs
sources, cette confluence de courants de pensée différents va donner un nouveau cours
à l’histoire de la psychiatrie mondiale.
L’entre-deux guerres.
Écrit dans le droit fil de la psychiatrie clinique française, le premier ouvrage d’H.
EY « Hallucinations et Délire. Les formes hallucinatoire de l’automatisme mental »
est couronné par la Société Médico-psychologique garante de cette glorieuse tradition.
Le texte est suivi d’une bibliographie très importante des textes des différentes écoles
qui ont traité la question depuis le XIXème siècle jusqu’aux années trente. Il est préfa-
cé par Jules SÉGLAS (1856-1939), alors âgé de quatre-vingt huit ans, qui écrit : « c’est
un excellente mise au point des travaux antérieurs… » (dont ceux du préfacier lui-
même) « …qui comporte en plus une part de recherches et de vues personnelles ».
On pourrait faire la même remarque que celle de SÉGLAS à propos des ouvrages
ultérieurs d’Henri EY jusqu’à y compris les Études : on y retrouve toujours un rappel
détaillé des travaux antérieurs et contemporains avant l’exposé des vues originales qui,
elles aussi, sont toujours suivies d’une bibliographie internationale balayant l’objet de
l’étude depuis son origine jusqu’aux textes des années cinquante. Nous en donnerons
des exemples.
IX
JEAN GARRABÉ
Dans la bibliographie de son premier ouvrage EY fait figurer son article sur « La
notion d’automatisme en psychiatrie » paru dans un des premiers numéros, le n°3 de
la seconde série de L’Evolution psychiatrique (1932, IV-2° ; 3: 11-35) qui est alors
une très jeune revue où peuvent s’exprimer des idées plus novatrices que celles diffu-
sées par des revues plus anciennes comme les Annales médico-psychologiques ou
L’Encéphale. C’est ainsi qu’Henri EY cite un article d’Eugène MINKOWSKI (1885-
1972) publié dans ce même numéro sur « Le problème des hallucinations et le pro-
blème de l’espace » dont il saura se souvenir dès 1932 au moment de ses premiers tra-
vaux sur les hallucinations, mais surtout dans l’approche phénoméno -structurale de
l’Étude N°23 consacrée aux « Bouffées délirantes », comme dans son analyse des
niveaux de destructuration de la conscience exposée dans l’Étude N°27, analyse que
l’on trouvera approfondie dans son ouvrage La conscience (1962-1969) et remaniée
enfin, en 1973, dans son Traité des hallucinations. La voie nouvelle tracée par E.
MINKOWSKI (1885-1972) dans son ouvrage phénoménologique de référence sur « Le
temps vécu. Études phénoménologiques et psychopathologiques » paru en 1933, sera
non seulement d’un recours essentiel dans la rédaction de l’Étude N°22 sur « La
mélancolie », mais aussi un modèle de psychopathologie structurale. C’est à lui et à
son épouse Françoise MINKOWSKA-BROKMAN (1882-1950) qu’Henri EY devra la dia-
lectique si souvent utilisée dans les Études, de la forme et du contenu, métaphore du
négatif et du positif.
Revenant à la bibliographie de ce premier travail sur l’automatisme, on trouve éga-
lement citée la récente thèse de son ami Jacques LACAN (1901-1981) qui est, elle aussi,
composée en deux parties : l’une qui traite de la formation historique du groupe des
psychoses paranoïaques depuis ses origines avec l’emploi du terme par HEINROTH
(1773-1842) en 1818 jusqu’à la définition proposée par Emil KRAEPELIN (1856-1926)
dans l’édition de 1915 de son Lherbuch non traduite en français. L’autre qui expose
brillamment le courant novateur partagé d’ailleurs par les surréalistes qui, dans la ligne
de la « psychogenèse » de KRETSCHMER, d’Eugène BLEULER et surtout de FREUD, bat-
tait en brèche, avec l’appui actif d’Henri EY, le courant constitutionaliste défendu alors
en France par Ernest DUPRÉ (1862-1921), GÉNIL-PERRIN (1882-1964). Henri EY, tou-
jours ouvert au dialogue fécond, fait dans les Études plusieurs références aux travaux
désormais psychanalytiques de J. LACAN.
Le second ouvrage d’Henri EY parut d’abord sous la forme de deux articles cosi-
gnés avec Julien ROUART dans L’Encéphale en 1936 puis en 1938 en un seul volume
chez Doin avec une préface du professeur Henri CLAUDE (1869-1965). Cet « Essai
d’application des principes de JACKSON à une conception dynamique de la neuro–psy-
chiatrie » comprend une première partie où sont rappelés ces principes tels que le
grand neurologue anglais les avait exposés dans les Croonian Lectures, conférences
X
PRÉFACES
faites à la fin du XIXème siècle, traduites en français et publiées dans les Archives
Suisses de neurologie et de Psychiatrie en 1921 et 22, puis recueillies dans les Selected
Writings of John Hughlings JACKSON (1838-1911) par James TAYLOR. La deuxième
partie de cet essai envisage la dissolution de l’activité psychique au cours des états
psychopathologiques sous l’angle des idées de JACKSON. Il y est fait référence à
d’autres travaux des deux auteurs (Hallucinations et Délire et congrès de Prangins
pour EY, thèse pour ROUART) sur « le principe peut-être le plus général qui régit le
domaine de la psychopathologie, celui de l’écart organo-clinique ».Cette question va
constituer l’axe de réflexion de toute l’œuvre de EY. S’il est un des premiers ou le pre-
mier à la poser et à tenter d’y répondre en ce qui concerne la psychopathologie je ne
suis pas sûr qu’il n’ait pas été précédé dans celui de la neuro-pathologie par des auteurs
comme Ludo Van BOGAERT.
EY écrit alors : « l’écart organo-clinique… assure à la science psychiatrique une
double originalité de fait et de droit. L’originalité de fait, celle qui lui est si injustement
reprochée c’est que dans le domaine des sciences médicales, aucune n’est autant res-
tée dans l’ignorance des processus étiologiques en raison de la réalité psychique qui
s’interpose entre la lésion et le tableau clinique. L’originalité de droit, si méconnue par
les psychiatres eux-mêmes, est qu’en raison même de cet écart la science psychia-
trique, plus qu’une autre branche de la pathologie, a le droit de s’intéresser, en deçà
même des recherches étiologique (même supposée entièrement achevées) au groupe-
ment syndromique, à l’analyse toujours pathogéniques des faits cliniques. Autrement
dit encore, si la science psychiatrique demeure la science des causes des maladies
mentales, elle a encore pour objet l’étude analytique de la folie »(p.162).
C’est dans cette même période de l’immédiat avant-guerre que nous percevons un
frémissement annonciateur de la survenue prochaine d’un nouveau paradigme en psy-
chopathologie, celui que le regretté Georges LANTÉRI-LAURA (1930-2004) a décrit
comme étant le troisième dans l’histoire de la psychiatrie, venant après ceux de l’alié-
nation mentale et des maladies mentales et qu’il a désigné comme étant celui des struc-
tures psychopathologiques. Ainsi les deux ouvrages d’Henri EY dont nous venons de
parler après ceux d’Eugène MINKOWSKI, et la fondation de la revue avec le groupe
d’études de L’Evolution psychiatrique en sont les premières manifestations à Paris.
XI
JEAN GARRABÉ
La fuite des psychanalystes d’Europe centrale menacés par la persécution raciale vers
d’autres pays européens ou américains est bien connue des historiens de la psychanalyse.
Pour notre propos d’aujourd’hui nous rappellerons les années passées par Rudolph
LOEWENSTEIN (1898-1976) en France où il sera mobilisé en 1939 après sa naturalisa-
tion. À la suite de son départ en 1941 pour Genève puis New- York, il retrouvera Heinz
HARTMANN (1894-1979) et Ernst KRIS (1900- 1957), autres fondateurs de l’Ego psy-
chology qui aura une influence marquée sur la psychanalyse et la psychiatrie nord-
américaine. LOEWENSTEIN parallèlement à ses interventions à la Société psychanaly-
tique de Paris où, se forment des psychanalystes conformément aux recommandations
de l’Association psychanalytique internationale (I.P.A.), intervient à plusieurs reprises
à partir de 1927 à L’Evolution psychiatrique, société fondée par les rédacteurs des
volumes parus sous ce titre en 1926-1927 et qui réunit des psychiatres venus de plu-
sieurs pays avec des formations très diverses.
Il faut aussi parmi ces psychiatres contraints à l’exil rappeler le nom de Wilhem
MAYER-GROSS (1889-1911), dont EY présente largement dans ses Étude n° 24
« Bouffées délirantes » et n° 25 « Confusion » les travaux allemands et notamment
Die Oneiroïde Erlesbnissform (1924) inspiré de la psychologie structurale de Karl
JASPERS (1883-1969) avant que le titulaire de la chaire de Groningen ne soit contraint
à l’exil pour l’Angleterre. La publication en 1954 dans ce pays du traité « Clinical
Psychiatry », par W. MAYER-GROSS, E. SLATER et M. ROTH fera pénétrer dans la psy-
chiatrie de langue anglaise certaines des conceptions psychopathologiques alle-
mandes, notamment celles de l’Ecole de Heidelberg.
C’est bien une remarque du même W. MAYER-GROSS suggérant l’intérêt qu’il y
aurait à faire un parallèle entre les symptômes dits par Eugen BLEULER « primaires »
et « secondaires » dans les psychoses schizophréniques et ceux dits « négatifs » et
« positifs » par Hughlings JACKSON dans les dissolutions de la conscience, qui a ins-
piré Henri EY dans sa tentative d’appliquer les idées du second à ce groupe de psy-
choses délirantes chroniques.
Le résultat de ces recherches psychopathologiques sur les psychoses chroniques
aurait dû être exposé dans le tome III des Études psychiatriques annoncé « à paraître »
dans le deuxième mais lorsque celui-ci parut en 1954 il ne traitait que des psychoses
aiguës et déstructuration de la conscience et n’abordait ni le champ des névroses ni
celui des psychoses chroniques. Les raisons pour lesquelles les Études sont restées
inachevées ont donné lieu à diverses hypothèses dont nous reparlerons. L’absence du
Tome IV qui, lui, devait être consacré aux processus somatiques générateurs s’ex-
plique en partie par cette originalité de droit de la science psychiatrique dont nous a
parlé EY de s’intéresser en deçà des recherches étiologiques à l’analyse toujours patho-
génique des faits cliniques.
XII
PRÉFACES
Signalons cependant qu’au cours d’un symposium réuni en 1956 à Madrid par le
professeur Juan José LOPEZ IBOR (1906-1991) pour préparer le IIème Congrès mondial
que devait organiser à Zurich Manfred BLEULER (1903-1996) sous la présidence de
C.G. JUNG (1871-1961) avec pour thème exclusif la schizophrénie, EY fit une impor-
tante communication sur La concepcion organo-dinamica de la esquizofrenia dans
lequel il donne la trame de ce qu’aurait pu être une application de ses principes psy-
chopathologiques à la schizophrénie. L’intérêt de ce symposium vient en outre de ce
qu’y participèrent les principaux auteurs européens qui faisaient alors des recherches
sur le sujet : J. BARAHONA FERNANDES (Lisbonne), Manfred BLEULER (Zurich), Julio
DELGADO (Séville), Charles DURAND (Prangins), Gonzalo LAFORA (Madrid), Ramon
SARRÓ (Barcelone), Kurt SCHNEIDER (Heidelberg), Jakob WYRSCH (Berne), etc… La
lecture de leurs communications respectives nous éclaire sur l’état de la question au
milieu du XXème siècle. Pour les uns le schizophrène est un patient atteint d’une mala-
die, pour les autres c’est avant tout, dans une perspective existentielle, une personne
confrontée à une expérience vitale. La conception organo - dynamique de EY combi-
ne les deux points de vue dans la mesure où la psychose schizophrénique par sa struc-
ture à la fois négative et positive témoigne de la tentative de reconstitution par la per-
sonne du schizophrène d’un nouveau destin vital.
Mais il ne faudrait pas oublier qu’avant même que n’éclate la Seconde Guerre
Mondiale, la Guerre d’Espagne avait conduit à l’exil des médecins républicains espa-
gnols dont de nombreux neuropsychiatres. Plusieurs d’entre eux s’exilèrent en
Amérique latine, après pour certains, une étape à Paris où ils furent aidés par Clovis
VINCENT ( 1879-1947). Le fondateur de la neurochirurgie faisait déjà pratiquer avant
la guerre l’examen histologique des tumeurs opérées à la Pitié par Pio del RIO ORTEGA
(1882-1945) qui s’exila à Oxford puis à Buenos-Aires. Deux noms sont encore à citer
:celui d’Angel GARMA ZUBIRAZETTA (1904-1993) qui, après une formation psychana-
lytique en Allemagne et un temps passé à Paris fut un des introducteurs de la psycha-
nalyse en Argentine. Et surtout Dionisio NIETO (1908-1985) formé en Allemagne dans
les années trente et qui, exilé à Mexico, y fonda l’Institut de neurobiologie. C’est
NIETO, parfait connaisseur de la psychiatrie française qu’il enseignait à ses élèves, qui
utilisa pour la première fois la chlorpromazine dont il avait appris la découverte à
Paris. Cela se passa à l’hôpital de la Castañeda de Mexico en 1955. Ce fut la premiè-
re utilisation sur tout le continent américain. NIETO sera connu internationalement lors
du IIéme Congrès mondial à Zurich à la suite de sa communication décrivant les modi-
fications de la névroglie observées en utilisant la méthode de del RIO ORTEGA dans les
régions diencéphalo - limbiques chez certains malades souffrant de schizophrénie. La
critique de l’antipsychiatrie que fit NIETO est plus tardive. Elle fait référence aux
Journées organisées en 1969 à Toulouse par L’Evolution psychiatrique sur la concep-
XIII
JEAN GARRABÉ
XIV
PRÉFACES
quer que cette situation ne doit pas tarir le cours de la pensée psychiatrique française,
les premières « Journées d’études » où il présente une Esquisse du plan de l’histoire
naturelle de la folie. Ce travail ne nous est connu que par des notes recueillies pendant
ces journées des 15 et 16 Août et récemment republiées par J. CHAZAUD chez
L’Harmattan (2006). EY précise dans l’Avertissement placé en tête du premier tome
des Études que celles-ci ne sont que des « pièces détachées » de l’ouvrage qu’il rêvait
d’écrire depuis vingt ans sous ce titre d’Histoire naturelle de la folie que la guerre l’a
empêché de réaliser. L’un de nous en rendra compte plus loin.
L’Étude N°1, La folie et les valeurs humaines est le texte d’une allocution pro-
noncée à la séance inaugurale des Journées psychiatriques de Mars 1945 à la Faculté
de Médecine de Paris après donc la libération de cette ville mais avant même la fin de
la guerre.
Les deuxièmes Journées de Bonneval consacrées aux Rapports entre la Neurologie
et la Psychiatrie avec la participation de Julian de AJURIAGUERRA (1911-1992) qui
d’origine espagnole avait fait ses études de médecine à Paris dans l’entre-deux guerres
et d’Henri HÉCAEN eurent lieu en 1944 mais le texte des rapports Neurologie et psy-
chiatrie par EY et Dissolutions générale et dissolutions générales des fonctions ner-
veuses par AJURIAGUERRA et HÉCAEN qui adoptent un point de vue jacksonien ne fut
publié qu’après la guerre en 1947 chez Hermann & Cie qui en a publié en 1998 une
deuxième édition avec un avant-propos de J.C. COLOMBEL et R.M. PALEM.
L’après guerre.
Hermann, éditeur des sciences et des arts, publiera dans les Actualités scientifiques
et industrielles en 1950 les six volumes de rapports au Premier Congrès International
de Psychiatrie puis, en 1952 ceux des compte-rendus de leurs discussions au Premier
Congrès Mondial, puisqu’il changea d’intitulé au cours de son déroulement en raison
de son succès même. Pas moins de 29 pays y furent représentés
Ce congrès organisé par Henri EY marque le rétablissement des échanges interna-
tionaux au moins entre les sociétés nationales de psychiatrie alors existantes ou entre
psychiatres exerçant dans des pays où leur nombre n’avait pas encore permis de consti-
tuer de telles sociétés. Il était prévu qu’il soit présidé par Pierre JANET alors mondiale-
ment connu mais la mort de celui-ci en 1947 fit qu’il le fut par Jean DELAY (1907-
1987). Ce dernier avait été confirmé à la Libération dans ses fonctions de professeur
titulaire à la Clinique des maladies mentales et de l’encéphale dont il assurait l’intérim
depuis 1942 à la suite de la déportation à Auschwitz de Joseph LÉVY-VALENSI (1879-
1943) qui, du fait de son origine juive, n’avait pu occuper le poste auquel il avait été
élu et dont on apprit qu’il avait été gazé quelques jours après l’arrivée du convoi au
camp d’extermination.
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JEAN GARRABÉ
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JEAN GARRABÉ
dateur de l’institution qui en était devenue la Mecque à Topeka au Kansas, décrit l’état de la psy-
chiatrie américaine en se référant au mouvement psychanalytique ; sa lecture nous montre que le
succès de la psychanalyse aux Etats-Unis paraît avoir eu moins d’influence sur le développement
de la psychiatrie qu’on l’a imaginé en Europe et que son efficacité thérapeutique s’est rapidement
heurté au scepticisme des travaux d’EYSENCK. MENNINGER mentionne sa propre contribution au
Congrès International de Paris : « Processus de régulation du Moi sous l’action d’un stress
majeur ». Le troisième article enfin, le plus intéressant du point de vue de l’histoire, traite de la
psychiatrie infantile dont la naissance aux Etats-Unis est marquée par la fondation en 1952 de
l’Académie Américaine de Psychiatrie Infantile ; les auteurs signalent les articles tout récents de
Leo KANNER (1894-1981) sur l’autisme de la première enfance et ceux de René SPITZ (1887-
1974) sur les maladies psychogéniques de l’enfance.
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PRÉFACES
« extraits de l’Étude N°31, Schizophrénie « à paraître dans le tome IV des Études psy-
chiatriques ». (La figure n°2 est la reproduction du n°110 « Trous de vers… », aqua-
relle peinte par le Maître schizophrène KLOTZ et faisant partie de la collection réunie à
Heidelberg par Hanz PRINZHORN (1886-1933) dont une reproduction ornait la biblio-
thèque de Sainte-Anne ; et la figure n°3 celle d’un fragment du triptyque du « Jardin
des Délices » de Jérôme BOSCH dont une copie se trouvait dans le bureau-bibliothèque
de EY dans sa maison familiale de Banyuls dels Aspres où il s’était retiré).
XXI
JEAN GARRABÉ
L’anti antipsychiatrie.
EY avait pris en 1974 position sur L’antipsychiatrie (Son sens et ses contresens)
dans une mise à jour du Traité de Psychiatrie qui comprend une importante bibliogra-
phie internationale sur le mouvement antipsychiatrique que l’on a pu considérer
comme un feu de paille n’ayant pas eu à terme d’influence sur l’évolution de la psy-
chiatrie, alors que nous pensons qu’il en a accéléré l’évolution dans nombre de pays.
EY écrit dans le Traité des hallucinations qui, de la même manière, lui donne l’oc-
casion de donner les références de la littérature internationale depuis les premiers tra-
vaux sur les rapports entre hallucinations et délire, c’est à dire depuis la genèse même
de la psychiatrie, jusqu’en 1973 ces lignes qui peuvent servir à situer les Études dans
son histoire au XXème siècle : « Quelques conclusions s’imposent au terme de cette
étude des Psychoses délirantes et hallucinatoires chroniques :
1° Il s’agit d’espèces d’un même genre et qui peuvent se transformer d’une espè-
ce à l’autre.
2° Toutes sont processuelles (c’est à dire des manifestations sur le plan clinique)
d’une désorganisation du corps psychique en tant qu’il constitue l’être conscient, en tant
qu’il est le Moi législateur du système de la réalité et de l’unité de sa propre personne.
XXII
PRÉFACES
3° mais le processus psychotique, pour négatif qu’il soit dans sa nature, libère les
forces de l’inconscient. Il a lui-même un pouvoir dynamogénique qui donne son sens
au Délire.
4° Dans une telle perspective organo-dynamique, les psychoses, même les plus
graves et les plus chroniques ne peuvent pas, ne doivent jamais être considérées
comme irréversibles. C’est en connaissant et suivant le travail du délire qui indexe si
exactement l’activité hallucinatoire, que l’on peut et que l’on doit en évaluer et en
modifier le cours, sans se laisser aller à trop d’illusions faciles et en prenant conscien-
ce de la gravité, de la réalité, de ces maladies de la réalité ».
Le Séminaire de Thuir.
Le dernier ouvrage publié par Henri EY dans la B. N. P. L. F., le vingt deuxième
de la collection, réunit les textes des sept séances du séminaire qu’il a animé de Février
à Juin 1975 à Thuir dans les Aspres de son Roussillon natal. EY maintenant proche de
la fin de sa vie y apparaît toujours comme le grand passeur d’idées que nous révèle la
lecture des Études mais il ne s’agit plus uniquement de faciliter les échanges entre les
différentes écoles nationales, il doit aussi être le nocher qui permet à une nouvelle
génération de franchir l’obstacle qui la sépare de la connaissance de la psychiatrie
mondiale.
EY introduit chacune des six premières séances avant de laisser la parole à un col-
lègue plus jeune pour traiter la question à l’ordre du jour, mais il prend le soin de pré-
ciser qu’il avait particulièrement veillé à chaque fois à la bibliographie correspondan-
te. Les références données sont tout à fait comparables à celles des Études allant des
travaux les plus anciens aux plus récents et l’on est frappé par la rigueur de la mise à
jour qui inclut des publications de l’ensemble de la littérature internationale jusqu’en
1974.
Au cours de la septième séance EY prend parti dans les discussions interminables
qui avaient alors lieu à propos de l’application de la notion de processus psychique au
sens de JASPERS à la schizophrénie : « Certains (et généralement les Psychanalystes,
spécialistes de l’interprétation, herméneutistes intrépides qui entendent tout com-
prendre et motiver jusqu’à évacuer les obscurités du délire pour les assumer dans leur
propre langage comme je l’ai souvent fait remarquer à propos des rapports de la psy-
chanalyse,du délire et de la schizophrénie), certains donc (de M. FOUCAULT et Th.
SZASZ jusqu’à R. LAING, B. COOPER et A. de WAELHENS) contestent la validité de cette
notion et en dénoncent l’abus, mais il suffit de se reporter à l’analyse du Président
Schreber par FREUD ou telle qu’elle a été reprise par J. LACAN, « Ecrits » pp.557-583)
pour se convaincre que le délire verbal du schizophrène manifeste la réalité même
XXIII
JEAN GARRABÉ
XXIV
PRÉFACES
Dr Patrice BELZEAUX
Les Études psychiatriques d’Henri EY resteront pour longtemps une référence non
seulement pour le souffle indépassé de ses descriptions cliniques et l’empan d’une
ampleur inimaginable aujourd’hui des références qu’il véhicule (qui en fait une mine
pour tous les historiens et les chercheurs), mais aussi pour la hauteur de vue des ques-
tions qu’il pose aux nosographies et aux classifications, aux théoriciens de tous bords,
comme au champ et aux limites de la psychiatrie elle-même, questions dont la plupart
demeurent d’une actualité brûlante.
Evidemment, ce texte d’une richesse aux ramifications multiples qui en fait une
œuvre, un opus magnum, peut féconder des approches érudites extrêmement diverses :
cliniques, nosographiques, méthodologiques, théoriques, épistémologiques, histo-
riques, sémiotiques, philosophiques, éthiques voire littéraires et esthétiques.
Nous nous limiterons dans le texte qui va suivre à décrire, en particulier grâce aux
recherches effectuées sur les documents d’archives 1, la situation des Études psychia-
triques dans l’œuvre d’Henri EY et de conclure sur quelques remarques d’ordre épis-
témologique. Le lecteur désireux d’approfondir l’œuvre d’Henri EY, sa philosophie et
son influence dans le monde pourra se reporter avec profit aux ouvrages de R.M.
PALEM 2 et à celui de J. GARRABÉ 3. Nous donnons à la fin du présent texte quelques
éléments chronologiques afin de situer plus facilement parmi les quelque 600 articles
et 15 ouvrages 4 que comprend l’œuvre d’Henri EY de 1926, date de sa thèse
1. Le Fonds Henri EY (archives et bibliothèque) est conservé, par la volonté de Renée EY et après
convention avec l’Association pour la Fondation H. EY, aux Archives Municipales de Perpignan,
rue de l’ancienne Université. Directrice Mme Michèle Ros.
2. PALEM Robert Michel « Henri EY psychiatre et philosophe » éd. Rive Droite, Paris,1997 et
« La modernité d’Henri EY. L’Organodynamisme » DdB, Paris, 1997 ; trad. en japonais T.
FUJIMOTO avec préface du Pr Haruo AKIMOTO, Soronsa édit. Tokyo, 2004– « Henri EY et les
Congrès Mondiaux de psychiatrie » Traboucayre éd. Perpignan, 2000 – « Organodynamisme et
neurocognitivisme » L’Harmattan éd. Paris, 2006.
3. GARRABÉ Jean : « Henri EY et la pensée psychiatrique contemporaine » Les Empécheurs de
penser en rond, Institut Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1997.
4. On trouvera sur le site internet de l’Association pour la Fondation Henri EY « www.ey.asso.fr »
le répertoire entier de ses œuvres établi par J. GRIGNON ainsi qu’une chronologie détaillée de ses
activités personnelles, nationales et internationales (P. BELZEAUX). On y trouvera également en
base de données le répertoire détaillé complet (27000 titres) de sa bibliothèque personnelle de tra-
vail (P. BELZEAUX).
XXV
PATRICE BELZEAUX
XXVI
PRÉFACES
XXVII
PATRICE BELZEAUX
Soit comme le note R.M. PALEM un ouvrage en 6 parties de 3230 pages ! dont près
de la moitié était consacrée à la clinique des psychoses (1400 p. !). Beaucoup plus que
l’Esquisse du plan de l’histoire naturelle de la folie, objet du premier colloque de
Bonneval de 1942, ce plan de décembre 1939 est beaucoup plus proche de ce que sera
la publication réelle.
Enfin, nous avons, conservé aux archives H. EY, un cahier d’écolier manuscrit de
52 pages daté d’avril 1940 à Compiègne sous le titre « Plan de l’ouvrage : Histoire
naturelle de la folie ». Ce cahier contient des notations extrêmement intéressantes
pour situer l’origine des Études. L’ouvrage en 7 volumes, cette fois, devra s’appeler
écrit H. EY : « Essai d’histoire naturelle de la folie si l’ouvrage est assez complet et
assez riche ». H. EY note ensuite : « Il deviendra Études psychiatriques s’il n’est pas
achevé ou ne contient pas assez de documents cliniques et de développement analy-
tiques. » H. EY en était le seul auteur, mais J. ROUART devait rédiger le chapitre psy-
chothérapique…et en cas de décès, une équipe désignée était chargée d’en achever la
rédaction…(ROUART, BALVET, DELMONT, NODET, TUSQUES, DESHAIES, PICART, VIDART,
CARRIER, MIGNOT, BRISSET, FOUQUET, COLOMB). La préférence éditoriale était donnée
à Desclée de Brouwer. Mais en cas de défection Ch. DURAND était chargé de consti-
tuer une société d’édition. 6
XXVIII
PRÉFACES
Études, on comprend que le projet était en réserve et que ce n’est qu’en cas d’aboutis-
sement du projet caressé en 39-40-42, que les Études seraient devenues L’Essai d’his-
toire naturelle de la folie. Ainsi dans l’« Avertissement » du premier tome de 1948,
Henri EY déclare : « Les études que je me décide à présenter dans ces volumes consti-
tuent ‘ les pièces détachées ’ d’un ouvrage auquel je ne cesse depuis vingt ans de
consacrer l’effort que requiert, pour tous les instants, la volonté d’écrire une HISTOIRE
NATURELLE DE LA FOLIE… 7» Henri EY s’excuse ensuite qu’une « si présomptueuse
entreprise » l’amène à ne produire qu’une « série disparate et inégale de fragments,
privés à dessein de l’enchaînement que doit leur conférer, dans mon propos, leur forme
définitive. » Sans doute Henri EY pensait déjà aux fragments sémiologiques du tome
II, car cette remarque n’est pas valable pour le Tome I qui est, au contraire, déjà remar-
quablement construit.
Examinons les transformations opérées par ce passage de l’Esquisse aux Études.
Tome I : En effet, le premier tome des études correspond bien au projet final pré-
senté au colloque de 42. Il reprend l’ensemble des arguments historiques, théoriques
et psychopathologiques en insistant particulièrement comme il le soulignait dans son
Esquisse du Plan…, sur « l’aspect le plus profond du jacksonisme » « celui des rap-
ports entre le subjectif et l’objectif, le conscient et l’inconscient, la pensée vigile et le
rêve » 8 . C’est cet aspect « le plus profond du jacksonisme » qui formera la grande
Étude N°8 : Le rêve « fait primordial » de la psychopathologie. Cette étude clôture
magnifiquement la réflexion menée dans les chapitres antérieurs et l’ensemble s’avè-
re finalement beaucoup mieux construit et achevé que ne le laissait supposer le plan
de 42. De plus, à l’occasion de la deuxième édition de ce tome I en 1952, H. EY ajou-
tera à l’étude N°1 un chapitre de réflexions approfondies et actualisées sur la philoso-
phie de la médecine et de la biologie.
Tome II : Si H. EY avait respecté son Esquisse de plan de 42, les Études auraient
normalement du se poursuivre par l’exposé concernant « Les psychoses » (IV° par-
tie), puis par « Les dissolutions isolées » (aphasies, apraxies, chorées, hallucinoses)
(V° parties), puis par « Les processus à symptomatologie mentale » (hérédité, divers
processus étiologiques et réflexions sur l’écart du processus à son expression), par
« un gros volume consacré aux faux problèmes » de la sémiologie (VII° partie), enfin
par « La folie et la vie humaine » (VIII°) développant les problèmes soulevés par les
rapports de la folie avec le crime, la création esthétique et l’expérience mystique, pour
finir par les problèmes « Enseignement et assistance » (IX° partie).
XXIX
PATRICE BELZEAUX
Or, le tome II des Études psychiatriques publié en 1950 est, comme on l’a vu,
consacré aux « Aspects sémiologiques » « dépouillé à dessein » d’appareil théo-
rique, comme s’exprime H. EY dans son Argument. Constatons qu’il arrive donc bien
avant son tour (il passe de la VII° partie à la II°) et qu’il ne correspond d’ailleurs qu’en
partie au projet initial. Pour expliquer cette anticipation nous n’avons, à ce jour, aucun
document d’archive pouvant en rendre compte. Chacun, par contre aura noté, ne serait-
ce qu’en ouvrant ce second tome sémiologique, l’absence notable d’une étude portant
sur les hallucinations qui, comme on l’a vu, avait nourri presque tous les premiers tra-
vaux de H. EY en 1932-34. Cette Étude sur les hallucinations figurait pourtant dans le
tapuscrit de 39 et dans l’Esquisse du plan de 42…Nous reviendrons plus loin sur ce
point primordial et sur les hypothèses que nous nous sommes autorisés.
Par contre nous devons noter que la teneur générale des Études sémiologiques du
tome II de 50 correspond bien à l’esprit qui était indiqué dans l’Esquisse du plan :
examiner « les faux problèmes » qui sont générés par « l’atomisme sémiologique ».
« Ce sont des syndromes isolés artificiellement par l’atomisme, et dont on cherche
ensuite l’explication univoque » 9. Or, « ces phénomènes se présentent toujours en
réalité comme inclus dans un tout, dont ils dépendent, et sous des conditions structu-
rales avec lesquelles ils varient » 10. On peut être certain qu’en 1950 sur ce point de
doctrine H. EY n’aura pas lâché un pouce : « l’objet de la séméiologie psychiatrique
n’est ni un symptôme, ni une série de « troubles élémentaires », artificiellement iso-
lés », « chacun d’eux est un monde », « l’unité clinique psychiatrique est la structu-
re névrotique ou psychotique dans son mouvement évolutif » 11. Effectivement aucu-
ne des Études composant ce tome II ne traitera d’un symptôme isolé de son contexte
clinique ou de la structure qui le contient et l’exprime. Au contraire H. EY s’attachera
chaque fois à montrer la vanité du réductionnisme mécaniciste et de l’atomisme
sémiologique, particulièrement dans les Études sur la Mémoire (N°9), sur la Catatonie
(N°10), sur les Impulsions (N°11) à forte composante de travaux neurologiques. La
tâche lui sera très facilitée dans les Études portant sur l’Anxiété morbide (N°15),
l’Hypochondrie (N°17) et la Mégalomanie (N°19) qui sont par nature des troubles
transnosographiques et plus dimensionnels 12 que catégoriels. Mais l’organo-dyna-
misme ne sera pas pour autant omniprésent dans les Études du tome II, loin s’en faut.
Ainsi l’Étude N°12 sur l’Exhibitionnisme n’en comporte une référence que par son
9. Esquisse du plan…, VII° partie « Les faux problèmes » op. cit. Info psy, p.486
10. Esquisse du plan…, op. cit.
11. Études psychiatriques : Tome II, Argument.
12. Le mot « dimension » fait partie du vocabulaire employé par H. EY dans son texte de l’É-
tude N°15 sur l’anxiété pathologique. Il anticipe ainsi un débat très actuel à partir de la neuro-
psychologie tendant vers l’atomisme sémiologique avec un retour subreptice au travers du DSM
à la psychiatrie des entités que combattait avec détermination H. Ey (Étude N°20).
XXX
PRÉFACES
renvoi à l’Étude sur l’Impulsivité. De même celle, N°16, sur le Délire de négation et
N°18 sur la Jalousie n’en comportent que par son renvoi à la psychopathologie géné-
rale des délires. La phénoménologie structurale a d’ailleurs beaucoup de mal à trouver
sa portion congrue dans l’Exhibitionnisme et, dans l’Étude N°13, Perversité et perver-
sion, l’éthologie et la psychanalyse y tiennent une bonne place, comme dans l’Anxiété
morbide où, à côté des larges citations de KIERKEGAARD et de HEIDEGGER, la psycha-
nalyse est très présente par la référence constante aux travaux freudiens de J.
BOUTONNIER. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? On voit là qu’H. EY
n’a pas voulu privilégier des aspects « utiles » à sa démonstration mais a été fidèle à
sa note de bas de page de l’Argument : « offrir les images les plus variées de l’éven-
tail clinique » et il s’en faudrait de peu pour que nous ajoutions de « l’éventail psy-
chopathologique », tellement ses points de vue sur les approches psychanalytiques et
existentielles des troubles sont pénétrants. On regrettera tout de même, pour le plaisir
de les lire qu’il n’ait pas retenu les quelques autres aspects du tapuscrit de 39 :
l’Homicide, le Refus d’aliment, les Fugues, le Mutisme, le Vol… Mais on remarque-
ra toutefois que rien n’était prévu de ces grands classiques de la sémiologie que sont
la discordance, la dissociation, l’ambivalence, les phobies et les obsessions, etc. H. EY
fidèle à lui-même se réservait de ne les traiter qu’avec les structures qui les contien-
nent comme il l’exprime également dans son argument de 48. Nous verrons également
ceci à propos du problème des hallucinations. Retenons pour l’instant qu’H. EY avait
choisi de présenter ses fragments sémiologiques dépouillés, autant que faire se peut,
d’une ossature psychopathologique.
Tome III : Chacun sait que le tome III ne répond plus à ce plan d’ensemble et
intègre au cœur de chaque étude des psychoses aiguës cette structure jacksonienne et
cet « ordre systématique », pour reprendre ses mots, qu’il se réservait de ne présen-
ter que plus tard. Ainsi chaque étude sera « nourrie de la substance même de l’histoi-
re naturelle de la folie que je me réservais de n’écrire qu’après avoir publié ces frag-
ments dépouillés à dessein de leur naturelle articulation. Sans renoncer à publier un
jour cet ouvrage qui sera alors comme la conclusion de ces études, celles-ci en devien-
nent la partie intégrante. » (Argument du Tome III, 1954). Désormais les principes de
l’« Essai d’histoire naturelle de la folie » étaient intégrés dans le corps même de
chaque Étude psychiatrique. H. EY ne concevait plus un vaste chapitre central avec
son exposé théorique, ses exemples et ses « preuves » précédant la clinique comme
le prévoyaient les projets de 39-40-42, mais commençait à concevoir un ouvrage sépa-
ré des Études cliniques qui serait comme la synthèse théorico-clinique d’un travail
déjà là en puissance. Nous pouvons percevoir là une inflexion sensiblement différen-
te dans la conception organo-dynamique elle même : il devenait vain de vouloir iso-
XXXI
PATRICE BELZEAUX
ler une sémiologie dépouillée de son ensemble structural et de remettre à plus tard son
sens comme un deus ex-machina qui ordonnerait de l’extérieur un ensemble neutre à
priori. Au contraire H. EY rompt avec le passé : les pièces et les morceaux de la cli-
nique ne sont pas neutres, anidéiques ou dépouillés mais contiennent déjà tout un
« monde » en puissance qu’il y a lieu de mettre en valeur dans sa potentialité foison-
nante d’humanité vraie plutôt que de le dessécher en liste ou en index tout juste
propres aux statistiques 13. Autant donc que l’écriture elle-même soit en concordance
avec la psychopathologie de l’intégration organo-dynamique. Ce qui fera la beauté des
Études du tome III, leur poésie 14, tient certainement à cet accord jamais égalé entre le
style d’une écriture, l’objet qu’elle veut faire entendre et l’organisation psychopatho-
logique à laquelle elle se soumet. L’ordre du discours se doit d’être le reflet de la natu-
re ordonnée du monde et cet ordre est celui de la structure psychopathologique.
Changement de cap donc, dont il y a lieu de se demander par quoi, à part le temps
et l’ampleur accrue des tâches d’organisateur, il a été rendu nécessaire Nous pensons
pour notre part qu’il s’agit de l’effet « amplificateur » du 1° Congrès mondial de psy-
chiatrie de 1950 qui se situe après la rédaction du Tome II et qui retarde et, en fait,
conditionne la refonte du projet initial de 42.
La préface du 8 mai 51 (Tome I, 2° éd.) est à cet égard, très explicite :
« L’évolution de la psychiatrie contemporaine telle que, notamment, le premier
Congrès Mondial de Psychiatrie l’a révélée, me confirme dans la stricte position orga-
no-dynamiste que j’ai prise et que j’estime la seule capable d’ouvrir, sur le champ de
la psychiatrie une perspective ordonnée… » et même si son néo-jacksonisme a ren-
contré diverses critiques de bords opposés : de son point de vue « elles s’annulent »…
H. EY est donc déterminé à faire connaître, dès maintenant et complètement, ses
idées et à se jeter dans la bataille… Il construit donc ses Études sur les psychoses
aiguës suivant l’ordre rigoureux qu’impose l’organisation de la conscience et son plan
de l’histoire naturelle désormais intégré au corps du texte. Et il y met tout son maté-
riel clinique avec de nombreuses observations, qu’elles soient issues de la tradition
psychiatrique, qu’elles soient personnelles ou qu’elles soient traduites par ses élèves
d’importants auteurs contemporains allemands comme MAYER-GROSS. Il y expose de
13. H. EY ne se résout aux statistiques que dans l’Étude N°14 sur le Suicide pathologique et l’É-
tude N° 25 sur Les psychoses maniaco-dépressives et dans cette dernière comme à regret car son
expérience clinique sur le long terme ne lui indiquait aucune possibilité de spécifier pour un
même malade un quelconque ordre d’alternance, de fréquence ou de durée des crises et encore
moins de les prévoir. Au contraire, il était frappé par les formes de passage d’une variété de psy-
chose aiguë à une autre.
14. Ce terme de « poésie » nous a été soufflé par un des plus ardents relecteurs des épreuves
notre ami Jean-Claude COLOMBEL.
XXXII
PRÉFACES
a) Les psychoses chroniques. Nous avons déjà souligné qu’il manque aux Études
un grand chapitre sur les psychoses chroniques qui comprenait, comme on l’a vu, les
déséquilibres psychiques, les psychonévroses hystériques et obsessionnelles, les para-
noïas et paraphrénies puis, séparées par leur évolution démentielle : les psychoses dis-
cordantes et les démences ; chapitre auquel se serait ajouté celui sur les psychoses oli-
gophréniques. EY s’en excuse : « Ce tome ne contient qu’une partie de ce que j’avais
annoncé » (Avertissement, Tome III).
Jean GARRABÉ a tout d’abord pensé, sans doute avec raison, qu’une partie de ce
matériel clinique, celui sur les schizophrénies, a nourri les textes des volumes psy-
chiatrie de 1955 de l’EMC-psy 17. Parallèlement celui sur les psychoses oligophré-
niques a nourri les chapitres que nous savons de la plume de EY dans le Manuel de
60 18. Si l’on fait le compte, seules les névroses hystériques et obsessionnelles et sur-
tout la « paranoïa » n’ont pas fait l’objet d’un traitement véritable mais d’évocation
partielle lors de l’examen de problèmes connexes (comme dans le plan d’ensemble des
troubles de la personnalité de l’Étude n°27). Pour la paranoïa le fait d’autant plus
15. Chaque Étude comprend environ 450 à 550 entrées différentes de Nom d’Auteur (de langue
anglaise, allemande, espagnole, italienne, …). Je peux apporter le témoignage qu’en 76-77, H. EY
connaissait toujours par cœur la cotation de la Bibliothèque de Ste Anne qu’il avait contribué à
établir et qui porte aujourd’hui son nom.
16. Rappelons que la somme des pages des Études psychiatriques totalise 1620 p.
(290+550+780), alors que la somme des pages du tapuscrit tel qu’H. EY lui-même l’avait envi-
sagé totalisait 3230p. !
17. GARRABÉ J. : Préface à l’édition des écrits disponibles de H. EY sur la schizophrénie sous le
titre : « Schizophrénie, études cliniques et psychopathologiques » Les Empêcheurs de penser en
rond, Institut Synthélabo Le Plessis-Robinson, 1996. Traduction en japonais par le Dr Toshiro
FUJIMOTO (Myasaki) en 2005. J. GARRABÉ a modifié son hypoyhèse de départ. (voir texte ci-joint).
18. Les documents d’archives du fonds EY montre une relecture-correction des épreuves avant
tirage de la plume de H. EY du Chapitre « Oligophrénie » (et non des autres chapitres) du
Manuel de 1960.
XXXIII
PATRICE BELZEAUX
étonnant qu’Henri EY écrit lors de son compte rendu dans les A.M.P. de la thèse de J.
LACAN de 34 avoir participé de tellement près aux débats qui entourèrent sa rédaction
qu’il avait « quelques scrupules à en faire un compte rendu impartial ». L’on pourrait
déduire de cette absence que la paranoïa, apparemment la plus psychogénétique des
psychoses, mettait H. EY dans l’embarras et objecterait à son Organo-dynamisme.
Nous pensons qu’il n’en est rien et qu’Henri EY n’était certainement ni embarrassé, ni
à cours d’idées pour intégrer à l’entrecroisement des expériences aiguës et de la patho-
logie de la personne, la clinique de la paranoïa, son analyse phénoméno-structurale, et
surtout ses « moments féconds ». On peut même penser que l’intégration du vécu de
ces expériences aiguës « fécondes » dans le développement de la personne était le
problème majeur qui lui tenait à cœur de résoudre comme il l’écrit à fin du tome III.
« Nous étudierons l’importance des crises dans l’évolution des névroses, des délires
chroniques, (c’est nous qui soulignons) des schizophrénies et des démences. Nous
devrons alors soigneusement étudier ces maladies mentales pour saisir l’exacte portée
pratique et théorique des anastomoses (qu’il appelle aussi trait d’union) qui lient […]
la folie d’un moment à la folie d’une existence. »(derniers mots écrits du tome III,
1954) Mais le fait est que s’il a bien posé le problème, il ne l’a jamais écrit et ce ne
sont pas les « tapuscrits » des leçons du mercredi qui peuvent remplacer la présenta-
tion qu’il s’apprêtait à faire à la suite des psychoses aiguës.
Par contre, nous avons dans l’ouvrage de 63-68 « La conscience » un condensé
de ce qu’aurait pu être ces études concernant la pathologie de la personne : il s’agit du
chapitre « De l’altération à l’aliénation du Moi » dont H. EY nous dit en note : « Ce
chapitre n’est qu’une approximation anticipée des Études que nous nous proposons de
consacrer aux « maladies mentales » qui sont « chroniques » dans la mesure où elles
altèrent ou aliènent le système permanent de la personne. » Suivent alors, dans le style
dense et phénoménologique de cet ouvrage majeur, les descriptions du moi caractéro-
pathique, névrotique (hystérie et obsession), aliéné (paranoïa et schizophrénie) et
démentiel. On le voit, encore dans les années 63-68, (c’est à dire même après la publi-
cation de ses articles sur la schizophrénie dans l’EMC-psy de 55 et après la publica-
tion du Manuel écrit en collaboration avec Paul BERNARD et Charles BRISSET) H. EY
pensait pouvoir développer la suite de ses Études en consacrant un tome à la patholo-
gie de la personne et la façon dont les « crises » altèrent son développement…
Ce tome, le IV° des Études, annoncé de multiples fois, tantôt par l’éditeur et par
EY lui-même (dans le tome II, en particulier à propos de l’encéphalite épidémique)
comme portant sur les processus somatiques générateurs et tantôt par EY dans de nom-
breux passages du tome III comme portant sur les psychoses chroniques et les altéra-
tions de la personnalité, ne verra jamais le jour.
XXXIV
PRÉFACES
19. DELLILE E. « Histoire d’un livre qui n’existe pas sur la schizophrénie. Le tome IV des Études
psychiatriques d’Henri EY » Les cahiers Henri EY N°10-11 Juin 2003 pp.243-256. Publication
de l’Asso. pour la Fondation Henri EY.
20. H. EY esquissera cette question de manière flamboyante et en se heurtant aux limites mêmes
de la méthode [R.M. PALEM, Cahiers H. Ey N°5 et N°10-11] dans le dernier chapitre du Séminaire
de Thuir (1975-77) : « Vers un modèle de compréhension et d’explication du processus schizo-
phrénique ».
XXXV
PATRICE BELZEAUX
Par contre, sur le plan de la psychopathologie générale, nous pensons que son
ouvrage « La conscience » annoncé en 60 au colloque sur L’Inconscient et publié en
63 répond parfaitement à ce programme. (« La conscience et l’organisation du cer-
veau » est d’ailleurs le titre qu’Henri EY donne dans sa correspondance au futur tome
IV, DELILLE op cit). Nous ferons de plus l’hypothèse qu’il tient lieu de cette histoire
naturelle de la folie, cet ouvrage mythique, cette superstructure psychopathologique
qu’il avait un temps envisagé de n’écrire qu’après ses Études. En effet, cet ouvrage qui
traite des niveaux de structuration et de déstructuration de la conscience et des niveaux
d’organisation et de désorganisation du moi de la personne (« de l’être conscient de
soi ») a la même fonction que le chapitre psychopathologie générale : Organisation
des niveaux de dissolution de 42, compte tenu, bien entendu, des modifications et des
apports considérables dont EY c’est nourri en 20 ans de lectures et de contact au plus
haut niveau de la réflexion de l’époque. Ainsi s’expliquerait d’ailleurs, ce grand cha-
pitre central d’une centaine de pages « Neurobiologie de la conscience » qui ferme
comme un point d’orgue la phénoménologie du champ de la conscience avant de s’en-
gager dans l’analyse de l’être conscient de soi. C’est pensons-nous qu’entre phéno-
ménologie, personnalisme, psychanalyse et linguistique, EY ne veut pas que la nature
(devenue entre temps biologie et ici neuro-anatomie) ne soit oubliée. Mais, ce faisant,
H. Ey semble admettre aussi que si la pathologie de la conscience et de ses crises peut
être étroitement corrélée à la neurobiologie du cerveau, il n’en est plus de même de la
construction de la personne qui, même si elle en émane, s’en dégage presque complè-
tement par l’organisation de ses superstructures linguistiques et éthiques.
Donc de notre point de vue « La conscience » dans son projet, dans son contenu
comme dans son plan en trois parties, avec la neurobiologie au centre 21, répond par-
faitement au projet initial de l’Histoire naturelle de la folie dont les études ne sont
qu’une partie.
Mais si l’on quitte le plan de la psychopathologie pour gagner celui de la clinique,
on cherchera en vain dans toute l’œuvre un travail approfondi sur cette « intrication
complexe » entre la conscience altérée et la trajectoire de la personnalité.
Mentionnons qu’un travail avec IGERT et RAPPARD sur « Bouffées délirantes et
Schizophrénie » 22 à partir du matériel clinique de son service à Bonneval peut tenir
lieu d’approche lointaine. Seules les Études N°25 sur Les psychoses périodiques
maniaco-dépressives, qu’H. EY est tenté de prendre comme paradigme de cette ques-
21. H. EY explorera son hypothèse avec les moyens scientifiques de l’époque (E.E.G.) et avec de
talentueux collaborateurs : Cath. LAIRY, M de BARROS-FERREIRA, L. GOLDSTEINAS : « Psycho-
physiologie du sommeil et psychiatrie », Masson, Paris, 1975, 315p.
22. H. EY, C. IGERT, Ph. RAPPART : « Psychoses aiguës et évolution schizophréniques dans un
service de 1930 à 1956, A.M.P., 1957, 115 II : 231.
XXXVI
PRÉFACES
tion, et l’Étude N°26 sur l’Épilepsie offrent une esquisse de ce problème de l’organi-
sation pathologique de la personnalité à partir des crises (voir Etude N°20). C’est dire
qu’il reste, à nous ses élèves, encore beaucoup de chemin à faire.
Ajoutons cependant que c’est encore ce même travail directeur qui, deux ans avant
sa mort, importe au plus haut point à H. EY. En effet il l’appelait de ces vœux en 75
(dans la réédition largement augmentée d’une préface et d’une postface du mémoire
de 36-38 de Des idées de Jackson…) : il questionnait « en quoi, de quelle manière, à
partir de quelles qualités, les crises, les expériences délirantes primaires, c’est à dire
les moments psychotiques aigus alimentent les déformations diachroniques de la per-
sonne ». C’est dire que pour EY une bonne part du chronique s’alimentait de l’aigu et
qu’il y avait là une question brûlante non résolue.
C’était sans doute, comme nous le verrons, donner une place prépondérante à l’ai-
guë.
XXXVII
PATRICE BELZEAUX
soit qu’un fragment sémiologique dépouillé de toute psychopathologie, loin que les
symptômes ne servent qu’à illustrer des « faux problèmes », c’est l’hallucination qui
devient le paradigme de toute la psychopathologie. H. Ey n’a jamais été aussi loin
d’une conception atomiste de la sémiologie et inversement aussi loin dans la concep-
tion de la structure où chaque élément porte en lui les caractéristiques de tout l’en-
semble 23. Car d’évidence pour lui, le symptôme contient toute la psychopathologie.
La maladie mentale, quant à elle, et devenue « un phénomène naturel dépendant de
l’organisation spécifique du “ corps psychique ” humain » (préface IX). C’est le
terme de biologie (causalité biologique) nous allons y venir en conclusion, qui rem-
placera généralement celui de nature, et c’est la locution « corps psychique » qui
remplacera désormais le terme assez mal choisi de « conscience », de l’aveu d’H. EY
lui-même …
Comme nous l’avons compris, il y a une audace incroyable chez EY. Dans ses
Études, il ne veut rien moins que renverser le centre de gravité de la psychiatrie tout
entière qui doit passer des formes chroniques qui ont permis sa construction, aux
formes aiguës : « en faisant de la déstructuration de la conscience dans les psychoses
aiguës « la clé de voûte de la psychiatrie » nous rompons délibérément avec une
longue tradition qui a fondé d’abord l’aliénation mentale sur les « formes chroniques »
plus ou moins démentielle… ». L’ouvrage « La conscience » corrigera cet emballe-
ment, mais la question posée reste entière : « Que devient le « sujet » dans ces
« crises » plus ou moins longues », interroge EY « et que devient-il après ou entre ces
crises ? » passage des Études où l’on voit que EY ne dédaignait pas d’user du mot de
« sujet », en écho aux travaux psychanalytiques dont ceux de son ami J. LACAN 24…
Nous n’insisterons pas sur l’absence dans les Études de ses fameux processus
somatiques générateurs, tome IV intermittent, sur lequel EY est revenu dans son
Manuel et dans son Traité des hallucinations. On sait l’importance pour lui de l’in-
toxication expérimentale au Haschich et sa référence clinique et théorique à MOREAU
de TOURS, aux autres « drogues » aussi (mescaline, LSD, etc) et l’importance de la
XXXVIII
PRÉFACES
fameuse Encéphalite épidémique léthargique qui l’avait tant frappé et qui a joué un
rôle de première importance dans l’épistémologie psychiatrique 25 . Rappelons briè-
vement que, combattant dès 39-40-42, le règne des entités, anti-Kraepelinien dans
l’âme, il inaugurait en psychiatrie, deuxième audace, le diagnostic à deux entrées, cli-
nique et étiologique, séparées par l’écart organo-clinique. Des étiologies diverses pro-
duisant le même tableau clinique, et réciproquement une étiologie unique produisant
des tableaux cliniques distincts, force était de traiter les deux séparément, ce qu’il fit.
Là encore EY ne voulait pas perdre de vue la nature de la maladie c’est à dire son
ancrage dans le bios. Tout ceci produisant une classification anti-nosographique, troi-
sième audace, qui répondait uniquement à des cohérences structurales de niveaux dont
le propre était d’être éventuellement variables dans le temps chez un même sujet.
Enfin, quatrième audace, on pourrait en énumérer encore bien d’autres, il rendait sa
classification des maladies mentales isomorphe à la conception « naturelle » qu’il
s’en faisait (Étude N°20), à savoir à la conception qu’il avait de cette organisation
naturelle du psychisme. Les Études vont désormais donner au champ de la psychiatrie
sa cohérence, avec « une perspective ordonnée », moment majeur qui permet de défi-
nir le champ d’application d’une science, sa définition et ses limites à partir de ce que
l’on sait des lois qui régissent son « objet » et non par des nomenclatures ou des
décrets extérieurs à son objet. Cette homogénéité est certainement un des moments les
plus forts de la psychiatrie du XXème siècle. On peut dès lors comprendre que tous ses
renversements théoriques et la réhabilitation du terme de « folie », audaces et rup-
tures épistémologiques voulues, à la fois, pour recueillir la parole de l’humain encore-
là malgré son trouble et pour réorganiser le champ entier de la psychiatrie d’après
guerre, aient pu séduire des personnalités aussi différentes que BONNAFÉ, FOLLIN,
DESHAIE 26, BRISSET, etc. et « entraîner au travail d’équipe »…
XXXIX
PATRICE BELZEAUX
développer, produire des rameaux parfois aussi importants que le tronc mais sans
jamais quitter sa souche. Il y a chez le catalan cette aspiration à la synthèse 27, à
l’ordre, à l’organisation du monde et des savoirs, à cette haute spiritualité d’un Ramón
LLUL 28 pour lequel la transformation de forme, comme une greffe, est une élévation
de l’être : « plus la sève de l’oléastre va à l’olivier et plus l’olivier se développe, mais
la sève qui monte prend la forme de celui-ci » « Le symptôme décrit un monde »
écrit H. EY dans ses Études, mais ceci sans jamais perdre le contact avec le sol des
choses simples de la terre.
Ainsi la crainte de s’éloigner du sol des choses-mêmes et d’encourir le reproche
d’un pur verbalisme l’engage à une vigilance de chaque instant. À l’instar de FREUD
dans le Président Schreber, il redoute que le psychiatre en épousant trop bien les
formes verbales du Délire, finisse par délirer avec le patient, – thème du tome I, inlas-
sablement repris dans son Traité des hallucinations– et inversement il redoute qu’à
condamner trop radicalement le courant mécaniciste qui « réalise » la métaphore
délirante (Étude N°5), il ne soit lui-même beaucoup trop entraîné dans la métaphore et
bien loin de ses « doigts solidement refermés sur une poignée de faits ; ces faits qui
ont soumis mon orgueil et ma révolte…» qu’il opposait à J. LACAN dans leur joute de
1946 aux troisièmes journées de Bonneval. Ainsi lorsque entraîné par le feu de sa des-
cription des Bouffées délirantes (Étude N°23) les métaphores jaillissent là où, précisé-
ment, dans le discours du patient, elles « perdent de leur épaisseur », il s’en explique
et s’en excuse presque : « C’est la raison pour laquelle une description phénoménolo-
gique de ce vécu exige un « style » lui-même métaphorique. Si nous l’avons trop
employé au gré du lecteur, il voudra bien convenir que c’était pure nécessité » (p.298).
Le lecteur attentif découvrira qu’il y a dans les Études une réflexion épistémologique
constamment sous jacente sur le pouvoir de la métaphore, sur l’idéalité, sur la réalité,
sur l’interprétation des signes et sur ce qui lie les faits aux théories. C’est ce problème
et celui de la validité du signe clinique qu’il approfondira plus tard magistralement
avec sa « Naissance de la médecine » dans son dialogue fécond avec le Michel
FOUCAULT de la « Naissance de la clinique » et de « Les mots et des choses ».
27. Il y a de la catalanité dans cette disposition d’esprit. Eugène d’ORS cité dans la grande Étude
N°8 du Tome I p.213, apôtre du Noucentisme, l’ordre du nouveau siècle en catalogne (1900) et
fondateur avec Pompeu FABRE de la langue catalane prescrit dans ses Glossari de «.porter l’anec-
docte au rang de la Catégorie.», esprit de système que tous les catalans, S. DALÍ en tête, que fré-
quentait de temps à autre H. EY, font couramment et comme naturellement…
28. « L’arbre de science de Ramon Llull refleurit » (Discours de réception prononcé le 31 mai
1972 lors de la cérémonie d’investiture d’H. EY, en qualité de Docteur Honoris Causa de
l’Université de Barcelone), Evolut. Psychiat, XXXVII, 2, pp. 61-87. Reproduit in « Henri EY, un
humaniste catalan dans le siècle et dans l‘histoire » R.M. PALEM et Coll. Trabucaire éd.
Perpignan, 1997.
XL
PRÉFACES
XLI
PATRICE BELZEAUX
Patrice BELZEAUX
Président du CREHEY
Secrétaire gén. adjt de
l’Association pour la Fondation Henri Ey
XLII
PRÉFACES
1932 : suite de travaux souvent avec le Pr Henri CLAUDE sur les hallucinations et son travail
personnel sur l’automatisme que EY considérera toujours comme essentiel.
1934 : son premier ouvrage préfacé par J. SÉGLAS « Hallucinations et délire. Les formes
hallucinatoires de l’automatisme mental » 32 dans lequel le travail sur l’automatisme est repris
et dans lequel il est toujours question d’une possible psychogénèse directe des troubles mentaux
à laquelle H. EY préférera, sitôt après au grand regret de J. LACAN, la conception d’une psycho-
génèse indirecte.
1936 : le mémoire dans l’Encéphale avec J. ROUART qui introduit le jacksonisme comme axe
de la théorisation. Publié sous la forme d’une monographie préfacée par H. CLAUDE en 1938
« Essai d’application des principes de Jackson à une conception dynamique de la neuro-psy-
chiatrie ». Doin éd. Paris
1942 15-16 août : 1° journées de Bonneval dont le Compte rendu par Jacques DELMONT a
été édité à 100 exemplaires hors commerce en 1943, rééditées avec bonheur, en fac-similé, sous
la direction de J. CHAZAUD, L . BONNAFÉ et P. NOËL dans le N°5 de mai 1999 de L’Information
psychiatrique 33.
1943 : 2° Journées de Bonneval consacrées à « Les rapports de la neurologie et de la psy-
chiatrie » avec Ajuriaguerra et Hécaen. Editées en 1947 chez Hermann, Paris. Rééd. : Hermann
édit. 1998 avec une préface de R.M. PALEM et J.Cl.. COLOMBEL, 124p.
1946 : 3° Journée de Bonneval sur « Le problème de la psychogénèse des névroses et des
psychoses ». Éditées en 1950 chez Desclée de Brouwer (DdB) dans la Bibliothèque de Neuro-
Psychiatrie de Langue Française. Paris 34.
1947 : « La psychiatrie devant le surréalisme » texte majeur sur l’esthétique et la folie paru
dans la revue L’Évolution psychiatrique 35, dont on trouvera des fragments dans le Tome II des
Études en particulier comme contre point dans l’Etude N°13 : Perversité et perversion.
1948 : Tome I des Etudes psychiatriques. Historique, méthodologie, psychopathologie géné-
rale. (Bibliothèque Neuro-Psychiatrique de Langue Française, Desclée de Brouwer, 296 p.).
1950 : 4° Journée de Bonneval sur l’Hérédité avec H. Duchêne (non publié à ce jour).
1950 : Publication en Espagnol à Madrid de « Estudios sobre los délirios » 36 que H. EY
citera comme complément indispensable au tome III de ses Etudes.
1950 : Tome II des Etudes psychiatriques. Aspects sémiologiques. (Bibliothèque de Neuro-
32. Réédition : Coll. Trouvailles et retrouvailles dirigées par J. CHAZAUD, L’Harmattan, 1998.
33. Réédité avec une préface revue et augmentée « La folie au naturel ; le premier colloque de
Bonneval comme moment décisif de l’histoire de la psychiatrie », L’Harmattan éd. 2005. Le texte
de H. EY est agrémenté des notes prises par L. BONNAFÉ quelques mois après les Journées de 42
en préparation du 2° colloque de Bonneval en 43, des commentaires rétrospectifs de ce dernier et
d’une analyse de ces journées par J. CHAZAUD.
34. Réédition, Bibliothèque des introuvables, Coll dirigée par J. SEDAT, Tchou édit. Paris, 2004.
35. Réédité dans les Cahiers H. EY N°12-13 mars 2004 pp.21-78. Publication de l’Asso. pour la
Fondation Henri EY, Perpignan.
36. Réédition : 1998 Presentación J. GARRABÉ (Evocación de Henri EY) et H. CASAROTTI (La
aportación de Henri EY al diagnóstico de la psicosis delirante), Fundación archivos de
Neurobiologia, Ed Triacastela, Madrid, 199p.
XLIII
PATRICE BELZEAUX
XLIV
PRÉFACES
Témoins de l’enseignement d’Henri EY lors des « mercredi de Ste Anne » salle Magnan ou
dans la bibliothèque, les tapucrits sont aussi la première source des « Études psychiatriques ».
Nous donnons une liste non exhaustive de ces documents d’archives tels qu’on peut les consul-
ter à la Bibliothèque Henri Ey de Ste Anne et aux Archives Municipales de Perpignan qui abri-
tent le fonds EY (Directrice M. ROS).
Fonds Ey de Perpignan *
« Les Délires »: Monographies dactylographiées successives (1933, 39, 46, 49, 51, 53).
« Psychoses paranoïaques », revu et mise à jour en 1938, 43
« Les idées et les thèmes des délirants chroniques, les mécanismes d’édification, les délires fan-
tastiques et systématisés, la pathogénie des délires, le délire d’influence » (1935, 38, 41, 46),
« Délires d’imagination » (1933, 36). « Idées de persécution » (1935, 38), de « Jalousie mor-
bide » 36, 38, 41, 47 (pour l’Étude N°18).
« Délires systématisés chroniques et psychoses paranoïaques »: 151p. en 1951, 112p. en 1961.
« Les Etats paranoïdes » pour la Semaine des Hôpitaux de Paris (juillet 1931).
« Le Groupe des paraphrénies » (1935, 38, 43, 45, 46).
« Les délires d’imagination » (1936, 38).
« La confusion mentale » (1941).
« L’encéphalite léthargique » (43p.), « Délire aigu » (1951, 31p.), « Psychose de Korsakoff »
(1937, 39, 42, et 51, 37p.). « Troubles mentaux de l’encéphalite épidémique » 46p. (1953).
« Les psychoses alcooliques » (1942, 1952).
« L’Hystérie »: article de la Gazette des hôpitaux de 1935 et appendice dactylo. de 17p. en 38-
39, 45-46, 1951.
« Le vol pathologiques », « l’Homicide pathologique » (1933, 1942).
« Epilepsie » (1931), dactylo (E) et manuscrit ; « Pathogénie, étiologie et traitement de l’épi-
lepsie » 85p. (1944) ; « Étude clinique de l’Epilepsie » (1951).
« Les états d’arriération profonde (idiotie et imbécilité) » 1938, « L’Idiotie » (1932, 1942),
« La Débilité mentale », « Le Mongolisme », « L’orientation prof. des instables et des
débiles ».
« Troubles mentaux et troubles circulatoires d’involution »: 40p. (1948-51).
« Les Démences » (dactylo. et notes manuscrites), texte revu en 1939, 42, 45, 46.
« Les aphasies I »: 1935, 1943, 47, 53. « Les aphasies II »: 1950, 57 (162p. au total, en 2
volumes reliés).
« Hérédopsychiatrie »: L’Hérédité, Constitutions, Déséquilibre, Dégénérescence. Monographies
de 1937, 1949-50. Cela fera à terme un tapuscrit de 176pages : « Rapport des Journées de
Bonneval de juillet 1950 », dont la 1ère partie (Ey) s’intitule « Hérédopsychiatrie » et la 2ème
(H. Duchène): « De la dégénérescence à la génétique. Essai sur l’évolution des conceptions de
l’hérédité en psychiatrie ».
XLV
PATRICE BELZEAUX
37. Liste aimablement communiquée par Nadine RODARY, Bibliothèque H. Ey Ste Anne, Paris.
XLVI
ÉTUDES PSYCHIATRIQUES
HISTORIQUE - MÉTHODOLOGIE - PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE
ÉTUDES PSYCHIATRIQUES
TOME II
TOME III
TOME IV (à paraître)
[NdÉ : page de garde telle qu’elle figure dans l’exemplaire de la 2ème édition de 1952]
4
BIBLIOTHÈQUE NEURO-PSYCHIATRIQUE DE LANGUE FRANÇAISE
ÉTUDES
PSYCHIATRIQUES
HISTORIQUE – MÉTHODOLOGIE –
PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE
PAR
Henri EY
2ème ÉDITION
revue et augmentée
Copyright pour le Cercle de Recherche et d’Édition Henri Ey (CREHEY), Perpignan, tous droits de reproduction,
de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
6
Avertissement
J'ai ainsi cédé aux amicales injonctions de ceux qui ont eu, certes,
7
beaucoup de peine à me démontrer qu'il y avait quelque urgence ou
quelque intérêt à la publication de ce « jeu de cartes » psychiatrique,
mais qui m'ont rapidement convaincu que je ne pouvais indéfiniment
passer sous silence un travail auquel ils ont puissamment collaboré,
soit par notre habituel commerce d'idées, soit par la stimulation que
n'a pas manqué d'apporter à mon labeur, le vivant témoignage de leur
sympathie.
8
PRÉFACE A LA DEUXIÈME ÉDITION
L'accueil qui a été fait aux premiers volumes de mes Études me donne l'occasion
de les revoir et de les quelque peu augmenter. Les suppléments que j'y apporte – sauf
pour ce qui est du développement sur les rapports de la philosophie et de la médecine
contemporaines – sont cependant assez minces. Ils consistent surtout en précisions sur
certains points de vue importants et en quelques références à des travaux parus depuis
la première édition de cet ouvrage.
Quant à l'argument contraire, lequel m'est également opposé et qui est celui d'une
trop grande servilité à l'égard de la pensée d'un « neurologiste », si grand fût-il, il est
bien clair – tout au moins pour moi – que ma fidélité à l'organicisme ne va pas jusqu'à
me faire assimiler purement et simplement la psychiatrie à la neurologie. Je crois
m'être suffisamment expliqué et avoir assez milité dans ce sens pour ne pas tomber
sous le coup de cette critique et de ce contresens.
Au vrai, ma position, non pas éclectique mais critique, est celle d'un équilibre
doctrinal qui entend échapper aux naïvetés de la psychogenèse ou de la sociogenèse
et aux absurdités du mécanicisme neurologique du siècle dernier. Je l'ai répété cent
fois et je le redis encore. Il convient de dépaser, tout en même temps, le monisme et
le dualisme – l'opposition somatique-psychique – l'antinomie des facteurs constitu-
tionnels ou de milieu – et celle de la forme et du contenu – mais il faut aussi mainte-
9
nir la « maladie mentale » dans sa structure originale, dans sa consistance naturelle,
sans la laisser glisser vers la simple « pathologie d'organe » ou de fonction et sans la
laisser s'évaporer dans la nuée des réactions socio- ou psychogénétiques du compor-
tement. C'est pourquoi, outre les faiblesses internes de son système que je ne suis pas
à même hélas ! de porter à son degré voulu de perfection, la conception que je défends
a nécessairement contre elle de dresser tout ensemble ceux qui demeurent attachés à
une conception neurologique (même de forme « jacksonienne » « senso strictu ») des
troubles mentaux et ceux qui ne voient dans la maladie mentale, et notamment dans
les névroses, qu'un produit, un événement des circonstances de l'histoire ou même de
l'Histoire.
J'ai la conviction trop profonde que la psychiatrie pour marquer sa place exacte
dans la classification des sciences et pour s'adapter rigoureusement à son objet doit se
garder de ces deux dangers (celui d'être « trop organiciste » et celui de ne l'être pas
assez) pour ne pas persévérer fermement dans la voie que je me suis tracée et dont ces
Études montreront (et ont peut-être déjà montré) qu'elle suit assez rigoureusement et
patiemment une direction tout à la fois, traditionnelle et nouvelle.
C'est cela qui représente pour moi l'essentiel d'une conception organodynamiste de
la psychiatrie et ce sont les corollaires de cette conception qui forment les diverses
parties de cet ouvrage qui par un paradoxal, sinon funeste, excès de vitalité, renaît déjà
avant d'être achevé.
Henri EY,
Bonneval, le 8 mai 1951.
10
Je dédie ces « Études » :
Henri EY.
PREMIÈRE PARTIE
MÉTHODOLOGIE - HISTOIRE
PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE
ARGUMENT
13
Étude n° 1 1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
LA « FOLIE » ET LES
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de De Clérambault.
6. Freud et la psychanalyse.
VALEURS HUMAINES
7. Conception Organo-dynamiste.
1 8. Rêve et psychopathologie.
15
ÉTUDE N°1
Il faut saisir jusque dans leurs racines, dans les erreurs de l'esprit, les causes de
cette décadence où l'énergie des psychiatres se décourage et s'épuise en circuit fermé.
C'est tout d'abord le désintérêt presque total des pouvoirs publics et de l'opinion
publique à l'égard des problèmes sociaux de la psychiatrie. Cela peut et doit étonner
puisque l'aliénation mentale a, pour la société et dans la société, une telle résonance
qu'elle s'impose comme un phénomène médico-social de première grandeur et que
c'est, en effet, l'aspect de la pathologie qui requiert le plus immédiatement l'attention
des gouvernements. Rien de surprenant dès lors que la loi de 1838 ait été la première
loi d'assistance. Mais une fois défini, par elle (ou tout au moins par l'exercice devenu
rapidement traditionnel de ses dispositions), une fois défini l'aliéné comme un être
dangereux et à interner, une fois créé l'asile destiné à le recueillir et à le traiter, une fois
la part du feu faite, une fois « tuée la marionnette », le problème a pu paraître défini-
tivement résolu. Du même coup la société, ayant apaisé sa conscience collective et
assuré sa sécurité, a rejeté hors de son champ d'action ces êtres gênants et inquiétants
dont le bourdonnement importun et stérile menace son repos. Et plus aucun intérêt ne
Depuis la loi de 1838 ... le
désintérêt presque total s'est attaché aux « fous » autre que le devoir de subvenir tant bien que mal à leur oné-
des pouvoirs publics... et reuse existence. Qui oserait en effet s'intéresser à ces pauvres machines, à ces dange-
le peu d'empressement reux explosifs, opiniâtres si étrangement dans leur persévérance à persister dans leur
pour l'assistance psychia-
être et parfois leur lignée ? La mort est généralement le remède que, sans aller toute-
trique décidément recon-
nue comme un assez fois jusqu'à leur assurer, on souhaite à leur infortune.
médiocre tremplin... Si certaines expériences du passé nous ont montré quel parti pouvait être tiré de
la misère humaine par une exploitation démagogique bien orchestrée autour de
quelques « slogans » : lutte contre l'alcoolisme, lutte contre la tuberculose, lutte contre
les maladies vénériennes, etc., thèmes sans cesse renouvelés et peut-être, hélas! éter-
nels de la propagande politico-sanitaire, elles ont révélé peu d'empressement pour l'as-
sistance psychiatrique décidément reconnue comme un assez médiocre tremplin.
Faudrait-il penser que se doit établir comme une hiérarchie dans la misère et qu'elle
aurait, elle aussi, ses privilégiés et ses sacrifiés ?
Si c'est le critère de l'importance numérique qui doit mesurer l'intérêt à accor-
der aux fléaux sociaux, faut-il rappeler qu'un demi-million de familles sont, du fait des
affections psychopathiques, plus ou moins frappées d'inquiétude et de malheur ? Et si
c'est le critère pratique de la récupération sociale, est-il si éclatant d'évidence que les
guérisons et les récupérations sociales soient moins nombreuses chez nos malades
(chez qui elles atteignent un minimum de 30 à 35 pour cent) que dans ces maladies qui
suscitent le plus constamment la sollicitude de l'État et la pitié publique ?
A peine une exception est-elle cependant consentie pour cette portion de l'as-
sistance psychiatrique qui s'applique à l'enfance anormale. Certes les plus grands
espoirs que l'on peut fonder sur une plus grande plasticité de la pathologie psychia-
16
FOLIE ET VALEURS HUMAINES
la psychiatrie alors que dans certains pays étrangers, au contraire, il fait partie inté-
grante de la culture médicale. Je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que 3 ou
4 pour cent seulement d'étudiants en médecine ont été placés dans des conditions d'en-
seignement ou simplement d'information telles qu'ils ont pu un moment se poser la
question de leur éventuelle vocation psychiatrique, la plupart d'entre eux ignorant tout
et de notre science et de notre carrière, alors que nous sommes 300 spécialistes pour
soigner quelque 300.000 malades psychopathes.
Les raisons d'un divorce aussi profond entre la médecine et la psychiatrie, entre
les hôpitaux et les asiles, entre la Salpétrière et Sainte-Anne, et qui va même jusqu'à
diviser le corps médical psychiatrique en deux parties, d'ailleurs inégales, les raisons
d'une telle séparation me paraissent résulter de la confusion même de la notion de
maladie mentale. Tantôt la psychose est considérée comme une maladie « non orga-
nique » (« puisqu'elle est psychique »!) et elle entre dans le domaine fantomatique du
« psychisme pur », de l'imagination et pour tout dire du néant. Tantôt entièrement
réduite aux affections organiques cérébrales, viscérales, humorales qui la déterminent
en effet, et confondue avec elles, elle devient « une maladie comme les autres » et rien
de plus. Autant dire que dans les deux cas la psychose perd toute existence, la psy-
chiatrie tout objet et le psychiatre toute importance ! Celui-ci plus ou moins incons-
ciemment assimilé à l'aliéné est regardé comme un jongleur de mots auquel on veut
bien reconnaître parfois quelque talent d'esprit bien plus propre à divertir qu'à forcer
l'estime.
On susciterait certainement bien des réactions et des protestations chez les
médecins, et spécialement les neurologistes, qui sont accoutumés à penser de la sorte,
si l'on se risquait à leur dire que leur attitude nihiliste à l'égard de la psychiatrie trou-
ve son origine dans la vieille conception cartésienne des rapports du physique et du
moral. C'est pourtant, je crois, ce qui explique que, chez nous plus qu'ailleurs, la sépa-
ration absolue du « mode de l'étendue » et du « mode de la pensée » se soit transpo-
sée et concrétisée en ce profond et néfaste fossé qui sépare dans l'esprit de tant de
médecins (lesquels prêtent et reprochent volontiers cette idée aux psychiatres) la
médecine de la psychiatrie. Il y a là, je supplie qu'on y prenne garde, un dangereux
17
ÉTUDE N°1
18
FOLIE ET VALEURS HUMAINES
rarchisé des médecins spécialistes pour tous les établissements publics de cures, d'as- …la nécessité d'un cadre
sistance et de prophylaxie psychiatriques. unique et hiérarchisé des
médecins spécialistes…
*
* *
Permettez-moi maintenant quelques brèves réflexions sur la valeur humaine
d'une psychiatrie non seulement médicale et biologique, mais qui doit se montrer réso- …La psychiatrie doit se
montrer résolument an-
lument « anthropologique » pour se trouver à la hauteur et à la mesure de son objet.
l
thropologique pour se
Pour bien saisir les exigences du problème pratique de la psychiatrie il faut, en trouver à la hauteur et à
effet, que soit exactement apprécié son objet la « folie », forme générique de toutes les la mesure de son objet…
psychoses et névroses. Rapportons-nous aux intuitions concrètes essentielles du pro-
blème, à ses « images d'Épinal ».
Regardons notre malade, comme un faisceau de forces tendues jusqu'à la mena-
ce dans la farouche concentration de son être hostile et irrité, investi de l'énigmatique
meurtre qui monte étrangement jusqu'à sa main. Ou voyons-le frappé de vertige, chan-
celant, trébuchant contre l'implacable réseau des contraintes logiques et sociales,
comme captif de la transparence perdue de son langage et ivre du rêve qui a éclaté en
lui, plein de vide, décimé et déchu.
Ces deux images, celle de l'effroi et celle de la pitié interfèrent et se mélangent
dans l'appréhension du problème humain que pose l'aliénation mentale. Le psycho-
pathe est en effet à la fois pitoyable et redoutable.
Mais, entre ces deux images extrêmes de l'intuition primitive, nous devons pla-
cer les cent images qui les mêlent. Ne voir dans la série qu'une de ces extrémités c'est
se condamner à vouloir ou laisser tous les aliénés en liberté ou écraser tous les psy-
chopathes sous le poids de la loi de 1838. Mais comme nos malades ne sont pas tous
des êtres dangereux ni tous des êtres déments, il faut que la psychiatrie assure son
contact bienfaisant avec toute l'étendue et la variété de son objet. Il faut, et ceci est plus
aisé à concevoir qu'à réaliser et à légaliser, il faut que le service fermé, unique pièce,
1. C'est de ce point de vue que se réclament la plupart des mouvements psychiatriques qui, un peu
partout, à la phase de « défense sociale » tentent de substituer une phase de « défense de l'homme
aliéné ». - Cet effort de « désaliénation », tâche fondamentale de la psychiatrie, a inspiré les
Journées psychiatriques Françaises de 1945 et de 1947 (BERNARD, BONNAFÉ, DAUMEZON,
FOUQUET, SIVADON, etc ... ). En Hollande avec RUMQUE, Van den HOLSTET, Van den BERG et en
Suisse avec BLEULER, BINSWANGER, etc..., dans les pays Anglo-Saxons avec de nombreuses
équipes, dans tous les pays peut-on dire, le vieil asile s'ouvre et le psychiatre s'ouvre avec lui. Les
travaux de l'école de Zurich comme ceux de celle d'Heidelberg s'inspirent plus nettement encore
de cet aspect « anthropologique » de la psychiatrie. Récemment, reprenant un des thèmes déve-
loppés chez nous par BONNAFÉ (Le personnage du Psychiatre, « Evolution Psychiatrique », 1948),
W. SCHULTE (Fortschritte der Neuro, octobre 1950) étudiait « le Psychiatre devant le miroir de son
malade ». De tels enthousiasmes - même et surtout s'ils doivent alarmer certains dans leur « mau-
vaise conscience » - sont l'honneur de notre profession.
19
ÉTUDE N°1
…il faut que le service jusqu'ici, de l'échiquier ne soit plus qu'une phase, ni nécessaire ni suffisante, d'un cycle
fermé, unique pièce, jus- d'assistance plus souple et plus varié comprenant des services d'observation, des ser-
qu'ici, de l'échiquier ne
vices de cures libres, des services de réadaptation sociale et de placement familial, des
soit plus qu'une phase, ni
nécessaire ni suffisante, colonies agricoles ; de telle sorte que l'internement ne puisse constituer ni la seule, ni
d'un cycle d'assistance même la plus fréquente solution d'assistance.
plus souple et plus Le remède administratif, qui paraît tenter quelques esprits et qui consisterait à
varié…
établir deux catégories artificielles de malades, l'une répondant au mélange assez obs-
cur de notions comme la « curabilité, l'acuité et la bénignité », et l'autre groupant les
« déchets » appelés à la fois « chroniques » « incurables » et « dangereux » (outre
qu'une telle organisation ne tarderait pas à faire éclater dans la pratique l'absurdité et
l'incohérence d'un tel assemblage) aggraverait encore tous les inconvénients du systè-
me actuel qui n'a justement pas su ou pu satisfaire, dans un même organisme juridico-
administratif, à la diversité des exigences naturelles du fait psychiatrique.
Mais revenons encore à l'objet de nos réflexions, au malade envisagé encore sous
son aspect générique. Il fut un temps (peut-être non révolu pour tous) où avec l'aliéné
tout psychopathe était considéré comme une machine. La maladie mentale, sorte de
monstre, semblait s'emparer de son être le posséder et en détruire totalement l'humani-
té. Cependant pour les techniciens modernes, plus attentifs aux mouvements de la vie
psychique de nos malades, la «folie », sous quelque forme psychopathique ou névro-
tique qu'elle se présente, ne saurait constituer une aliénation de substance, une forma-
tion mécanique hétérogène à la nature humaine. Le problème de la « folie » dans sa
généralité et sa multiplicité, tel qu'il se propose à notre sagacité, serait inintelligible si
tous les hommes ne possédaient des instincts et des passions qui, sans cesse, s'opposent
à leur unité, s'ils n'avaient ni mémoire ni imagination par quoi ils sont sollicités de s'éva-
der du présent et du réel, s'ils ne contenaient pas, dans les deux sens du mot, les sorti-
lèges et les enchantements de leur enfance et de leurs rêves. La « folie » brise seulement
le flacon de ces inconscientes vapeurs. C'est dire qu'elle est immanente à la nature
humaine, qu'elle est en puissance chez tous les hommes. Et ceci, qu'on veuille bien ne
pas s'y tromper, n'équivaut certes pas à reprendre, pour notre propre compte, cette
absurdité que l'on prête si souvent au psychiatre et qui serait la négation même de la
psychiatrie, savoir : que tous les hommes seraient « fous », - mais incline bien plutôt à
…ce malade est pour
nous, malgré sa maladie, considérer avec la profonde identité de matière, l'essentielle diversité de structure de
une surface de contact l'homme normal et du malade. Aussi est-il pour nous, ce malade, malgré sa maladie,
humain, une profondeur une surface de contact humain, une profondeur de résonance, un accent, un cri qui
de résonance, un accent,
émeut et blesse comme un écho du drame le plus authentiquement humain. Et cela l'as-
un cri qui émeut et blesse
comme un écho du drame sistance psychiatrique se doit de ne pas l'oublier. Les efforts des médecins ont répondu
le plus authentiquement depuis longtemps, sans que l'administration et la loi aient reconnu et consacré leurs ini-
humain… tiatives, à cette exigence du malade d'être traité avec le maximum d'égards dûs au maxi-
20
FOLIE ET VALEURS HUMAINES
mum d'humanité qu'il peut encore représenter. C'est ainsi que s'est constitué à l'intérieur … Il faut augmenter cet
de l'asile pour beaucoup de malades un nouveau monde, une néo-société. Il faut aug- effort, l'élargir et le faire
circuler au travers d'un
menter cet effort, l'élargir et le faire circuler au travers d'un système assez varié, pour
système assez varié, pour
permettre à chaque malade de se rapprocher le plus possible de la vie sociale. permettre à chaque mala-
de de se rapprocher le
* plus possible de la vie
sociale…
* *
De telles réformes, si elles ne constituent rien de plus que ce qui est voulu
depuis longtemps par la plupart des psychiatres, exigent cependant un enthousiasme et
une opiniâtreté qui doivent caractériser le renouveau psychiatrique que nous attendons
tous. Elles exigent aussi beaucoup de réflexion et de préparation car elles ne s'accom-
moderaient pas d'une trop hâtive improvisation. Enfin elles exigeront de puissants
moyens matériels. Il sera nécessaire, en effet, d'aménager des établissements, d'en
construire, de les équiper à la mesure des grands progrès thérapeutiques acquis depuis
30 ans. Il sera nécessaire notamment de renforcer le cadre, ridiculement restreint en
France, des médecins spécialistes chargés de tous les services de cette assistance. Nul
doute, cependant, en fin de compte, que les finances privées et publiques bénéficie-
raient du courant de réadaptation sociale et de l'effort thérapeutique accru qui ne man-
querait pas de se produire.
21
Étude n° 2
LE RYTHME MÉCANO-DYNAMISTE
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
DE L’HISTOIRE DE LA MÉDECINE
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de De Clérambault.
6. Freud et la psychanalyse.
7. Conception Organo-dynamiste.
8. Rêve et psychopathologie.
Au cours des nombreuses discussions que nous avons depuis vingt ans avec notre
maître P. GUIRAUD, de ces discussions qui auront été pour nous à la fois un enseigne-
ment et un stimulant, cet excellent esprit nous déclara un jour: « Au fond, quand nous
sommes en présence d’un malade, je dis : il a une maladie - et vous, vous dites -il est
malade ». Nous lui fîmes remarquer que c’était dans cette opposition fondamentale
que résidaient les deux attitudes d’esprit qui se sont toujours combattues et ont alter-
né tout le long de l’évolution des doctrines médicales. Ce qui peut paraître un simple
jeu de mots est, en fait, le point de départ de deux conceptions entièrement différentes
de la pathologie. D’un côté une conception à la fois vitaliste, biologique, humorale et …« .Au fond, quand nous
totaliste, celle d’une pathologie synthétique relativement peu soucieuse de considérer sommes en présence d’un
la maladie comme un « corps étranger ». D’un autre côté une conception à la fois malade, je dis : il a une
maladie - vous, H. Ey,
mécaniciste, anatomiste, solidiste et atomistique d’une pathologie analytique appli-
vous dites - il est mala-
quée à isoler des « entités » « maladies ». C’est ce perpétuel (peut-être cet éternel) de... » (P. GUIRAUD)
balancement entre deux doctrines, leur interférence, leur opposition, leur succession
dans le succès de leur périodique hégémonie qui constitue le rythme de l’histoire de
la Médecine. Nous proposons d’appeler ces deux types de pathologie : la pathologie
dynamiste et la pathologie mécaniciste.
Cette idée a été lumineusement exprimée dans le livre de Gaston BAISSETTE sur
« HIPPOCRATE » 1. Cet historien de la médecine, en parlant de la fameuse, de la gran-
diose querelle dont les doctrines médicales sont nées, a écrit, à propos du primordial
antagonisme de deux cités, de deux écoles : COS et CNIDE : « cette rivalité est allée
s’amplifiant à travers les siècles, comme le rythme même des deux attitudes fonda-
mentales de l’esprit... Depuis lors deux théories sont en présence pour définir la cause
de la maladie : ou bien elle est due à une influence exogène extérieure étrangère à l’or-
1. G. BAISSETTE, Hippocrate, 1 vol., Éd. Grasset, Paris, 1931. [NdÉ: Rééd.: BAISSETTE G.:
Hippocrate, Paris, Plon, 1950.]
23
ÉTUDE N°2
ganisme qu’il faut déceler et combattre : aussi comme cette médecine étudie toujours
des faits isolés non rattachés à l’ensemble, certains auteurs l’ont appelée analytique.
Ou bien la maladie n’est pas étrangère à l’organisme, elle se rattache à tout un enchaî-
nement d’associations liées à la vie même du patient, elle est soudée au mécanisme
intrinsèque de la vie : on entendra appeler cause interne ou cachée ou endogène cette
cause morbifique et médecine synthétique celle qui s’y rattache parce qu’elle est liée
à l’ensemble des manifestations du corps humain. Ces deux positions ont tour à tour
occupé l’esprit suivant un rythme que nous retrouvons dans les alternances : COS et
CNIDE, hippocratisme et galénisme, vitalisme et organicisme, médecine synthétique et
médecine analytique... »
Les deux pôles d’attraction qui ont toujours sollicité et sollicitent l’esprit du patho-
logiste sont en effet le dynamisme et le mécanicisme pour autant qu’il s’agit de deux atti-
tudes doctrinales qui correspondent à une des plus profondes antinomies de la raison.
Le dynamisme est caractérisé, comme doctrine physio-pathologique par sa concep-
tion vitaliste et finaliste de l’organisme considéré comme un équilibre de force instinc-
tives déterminant ses formes et ses fonctions et subordonné au fonctionnement syner-
gique de ses parties dans la persévération de son être. Les corollaires de ce point de vue
... avec le dynamisme et le général sont l’humorisme, le totalisme et le physiologisme. En pathologie, le dynamisme
mécanicisme il s’agit de
est endogéniste et constitutionnaliste : les maladies sont comprises par lui comme des per-
deux attitudes doctrinales
qui correspondent à une turbations des fonctions vitales, leur étiologie est mixte, externe et interne. La cause inter-
des plus profondes anti- ne des maladies leur confère ce caractère d’être plutôt des affections que de purs et
nomies de la raison... simples accidents. La maladie n’est pas considérée seulement comme un traumatisme
mais comme une déchéance, un déséquilibre fonctionnel : elle est une réaction.
Le mécanicisme est caractérisé en tant que doctrine physio-pathologique par sa
conception matérialiste et déterministe de l’organisme considéré comme un agrégat
d’organes, de parties contribuant par l’addition de leurs forces et la juxtaposition de
leurs formes à former un ensemble soumis au hasard. Les corollaires de ce point de
vue général sont: le solidisme, l’atomisme et l’anatomisme. En pathologie, le mécani-
cisme est exogéniste : les maladies sont des processus parasites. La maladie n’est pas
considérée comme une déchéance, un déséquilibre fonctionnel mais comme l’effet
d’un simple traumatisme. La maladie n’est qu’un accident.
Le dynamisme est d’inspiration biologique et physiologique. Le mécanicisme est
d’inspiration physique et morphologique. Le premier admet une relative autonomie de
la vie par rapport à la matière. Le second fait de la vie une matière « simplement » plus
complexe. Le dynamisme accepte une certaine indétermination de la vie et de ses modi-
fications. Le mécanicisme est mathématiquement déterministe.
Chez beaucoup, chez la plupart des auteurs et dans beaucoup de systèmes toutes
ces thèses ne sont pas groupées correctement ni complètement mais chacune de ces
24
RYTHME DE LA MÉDECINE
1. On trouvera dans le livre de G. BAISSETTE, Hippocrate et dans tous les ouvrages d’Histoire de la Médecine,
les indications bibliographiques, les analyses et commentaires nécessaires sur le Corpus Hippocraticum.
2. D’ailleurs M. BAISSETTE insiste sur le fait que l’âme n’est pas dans Hippocrate séparée du jeu des forces
matérielles. Rien de plus juste et rien de plus conforme à la grande tradition qui va d’ARISTOTE à BERGSON.
25
ÉTUDE N°2
1. On reconnaît dans cette philosophie de la nature l’influence des grands thèmes des spéculations
grecques ( contre les Eléates, la dialectique des contraires d’HÉRACLITE ). C’est une métaphysique
du Devenir et de l’unité dynamique du monde que celle d’HIPPOCRATE.
On saisit de quel tour « moderne » et « hégelien » elle peut paraître de nos jours.
26
FOLIE ET VALEURS HUMAINES
en face de COS, sa rivale. THÉOPOMPE n’a pas écrit moins de douze livres sur cette riva-
lité, cette opposition de doctrines! CTÉSIAS, EURYPION et plus tard CHRYSIPPE (336)
sont les représentants les plus connus de l’école de CNIDE. C’étaient surtout des ana-
tomistes. Leurs doctrines en font les premiers opposants au dynamisme hippocratique
et, en mécanicistes authentiques, on les voit, au travers de leurs travaux et théories,
appliqués à la morphologie, à l’empirisme, à l’isolement des entités et aux médica-
tions spécifiques.
Dans les siècles qui suivirent le Dogmatisme, avec POLYBE le gendre
d'HIPPOCRATE, THÉNATOS, DRACON, DIOCLES de Caryste et PRAXAGONAS de COS, animé
par la pensée de PLATON d’abord puis d’ARISTOTE, reprit à son compte le dogme hip-
pocratique. Tandis que l’empirisme des Égyptiens (ÉRASISTRATE, HÉROPHILE,
SÉRAPION, et PHILINUS) s’opposait à la tradition de COS par son solidisme anatomique
et son goût des entités morbides.
Plus tard, juste avant l’ère chrétienne, nous retrouvons la même opposition entre …Plus tard, juste avant
l’ère chrétienne, nous
le Pneumatisme (AGATHON de Sparte, ARCHIGÈNE d’Apennée, ARETÉE de Capadoce)
retrouvons la même oppo-
et le Méthodisme (ASCLÉPIADE, THÉMISON, SORANOS d’Éphèse). Tandis que les secta- sition entre le Pneuma-
teurs du pneumatisme s’appuyaient sur ZÉNON, les méthodistes se revendiquaient d’É- tisme et le Méthodisme…
PICURE. Or, comme l’écrit L. ROBIN 1, entre ÉPICURE et ZÉNON « l’opposition est par-
tout, sur le terrain du matérialisme entre le vitalisme et le mécanisme, sur le choix d’un
patronage présocratique (HÉRACLITE ou DÉMOCRITE ) : à la place des combinaisons
fortuites, le finalisme... ; à la place d’une agrégation des simples le mélange total. Bref
ce sont moins des différences que des réactions, et comme le corps à corps, de deux
philosophies ». Les deux mouvements doctrinaux cherchèrent enfin à se concilier dans
les doctrines éclectiques de CELSE et de GALIEN qui clôturèrent l’évolution médicale
de l’Antiquité.
A la Renaissance les mêmes principes doctrinaux dressèrent les médecins les uns …A la Renaissance les
mêmes principes doctri-
contre les autres. La chimiatrie de PARACELSE était d’inspiration dynamiste et néo-hippo-
naux dressèrent les méde-
cratique. Elle déclencha la réaction des Iatromécaniciens (HARVEY, SANCTORIUS, cins les uns contre les
BORELLI) qui s’abritaient sous le couvert du mécanicisme de DESCARTES. BAGLIVI autres…
lui-même finit par s’emporter « contre ceux qui ne voient dans l’estomac qu’une cornue,
dans le cœur qu’un ressort, dans les viscères que des cribles, dans les artères que des tubes
hydrauliques, dans les poumons qu’un soufflet, dans les muscles que des cordes... ».
L’hippocratisme prit sa revanche avec VAN HELMONT et avec « l’Hippocrate anglais »,
SYDENHAM, à la fin du XVII siècle; il acquit une vigueur nouvelle au cours du XVIIIe siècle avec
E
STAHL, HOFFMAN et plus tard avec l’école de Montpellier sous la direction de BARTHEZ 2.
27
ÉTUDE N°2
1. On trouvera dans un grand nombre de travaux, articles et volumes l’indice de cette évolution.
Citons parmi eux le livre de P. MAURIAC : Aux confins de la Médecine (1926); celui de BONNIER :
Défense organique et centres nerveux; celui d’ALLENDY : Orientation des idées médicales
(1929) ; le livre de TZANK : Immunité, intolérance et biophylaxie (1932) et ses articles dans la
Presse médicale . Le volume de RAPPIN : Considérations sur les maladies infectieuses ; celui de
Ch. NICOLLE : Destin des maladies infectieuses ; celui de JACQUELIN : Directive en pratique médi-
cale (1935) ; celui de A. LUMIÈRE : La renaissance de la Médecine humorale (1935), celui de
DELORE : Les tendances de la médecine contemporaine (1936). Le développement de la
Médecine psycho-somatique particulièrement en Amérique sous l’influence des travaux de
WEISS et DUNBAR (1943) constitue un mouvement médical qui revient à la conception « totalis-
te » hippocratique traditionnelle. – Nous y insisterons plus loin pp. 33 et 34.
28
RYTHME DE LA MÉDECINE
1. Nous avons tous lu, par exemple, avec intérêt les travaux considérables de Charles ACHARD ou
ceux de Noël FIESSINGER (Cf. spécialement : Les troubles des échanges nutritifs d'ACHARD, 1926,
et les Traversées biologiques de FIESSINGER, 1937).
29
ÉTUDE N°2
Deux autres aspects de cette réaction sont sensibles dans le développement des
études sur les types biotypologiques des écoles française, italienne ou allemande et l'im-
…Le livre d'Oswald portance des facteurs psychiques et sociaux dans les maladies. Le livre d'Oswald
SCHWARZ a constitué le SCHWARZ - et de ses collaborateurs 1 a constitué le point de rencontre du mouvement psy-
point de rencontre du
chanalytique et du « vitalisme » allemand de Von UEXKULL, de H. DRIESCH , de V. Von
mouvement psychanaly-
tique et du « vitalisme » WEIZSACKER et a constitué le prélude du mouvement qui aux U. S. A. a donné l'essor à
allemand de Von la Médecine psychosomatique (WEISS et DUNBAR, 1943). Celle-ci ne constitue, somme
UEXKULL, de H. DRIESCH , toute, qu'un retour au sein maternel de la Médecine, à « l'utérus » hippocratique.2
de V. Von WEIZSACKER et a
Naturellement, la thérapeutique « moderne » a suivi le mouvement, elle est deve-
constitué le prélude du
mouvement qui aux nue plus humorale et moins « spécifique » (hormones, chocs, antihistaminiques, etc.).
U.S.A. a donné l'essor à Enfin l'anatomie-physiologie du XIXe siècle, sans rien perdre de ses conquêtes,
la Médecine psychosoma- s'oriente également dans un sens plus profondément biologique et moins morpholo-
tique (WEISS et DUNBAR,
gique. La physiologie des organes est réintégrée dans le milieu intérieur « humoral ».
1943)…
Au lieu d'être, comme à l'époque nécessaire et féconde de l'analyse physiologique,
concentrée sur les fonctions spéciales des organes c'est maintenant sur les grands pro-
cessus biologiques de régulation et d'équilibre du milieu humoral que la physiologie
se tourne : intégration des métabolismes dans les équilibres cellulaires, les rythmes et
les circuits vitaux oscillants (physique biologique) – intégration des activités orga-
niques dans la vie de relation par les activités nerveuses etc. Tels sont les thèmes prin-
cipaux de la physiologie moderne où l'organe s'efface devant la fonction, la partie
devant le tout. Sans doute un très grand nombre de travaux sont encore conçus dans
un esprit différent, mais ce que nous voulons souligner, c'est qu'après le XIXe siècle,
alors que l'humorisme et le vitalisme paraissaient morts, le XXe siècle les voit non peut-
être prédominer encore mais déjà renaître.
*
* *
Au terme de cet exposé nous pouvons embrasser d'un regard le perpétuel balan-
cement des doctrines médicales. Tantôt l'une, tantôt l'autre des attitudes extrêmes a
dominé la médecine dans la succession des siècles. Peut-on faire un bilan du mouve-
ment le plus efficace, déterminer si les conceptions dynamistes hippocratiques ont
30
RYTHME DE LA MÉDECINE
apporté plus de faits précis, se sont montrées plus fécondes que les doctrines mécani-
cistes anti-hippocratiques ? La balance paraît à peu près égale à cet égard entre les
deux mouvements. Il est juste cependant de faire remarquer que le mécanicisme du
XIXe siècle paraît avoir entraîné l'acquisition d'une masse de connaissances considé-
rables mais il semble actuellement avoir atteint ses limites et comme son épuisement.
En général d'ailleurs les théories mécanicistes paraissent avoir été toujours plus empi-
riques, plus cliniques et plus thérapeutiques dans leur application à la pathologie inter-
ne. Nous verrons qu'il n'en est pas de même pour cette partie de la médecine qu'est la
psychiatrie. Mais dans le domaine des maladies organiques, des affections des divers
appareils, elles semblent non seulement nécessaires mais peut-être supérieures aux
doctrines humorales. Il n'en reste pas moins que lorsque chaque phase du mouvement
mécaniciste atteint ses limites il doit être renouvelé et laisser la place au souffle hip-
pocratique qui ranime la pathologie que le mécanicisme a tendance à « dessécher » et
à « atomiser ». La médecine se régénère à chaque phase de son développement en ... La médecine se régénè-
renouant périodiquement avec l'esprit de synthèse dynamiste et vitaliste par quoi elle re à chaque phase de son
développement en renou-
reprend contact avec l'unité de la vie. Si donc les deux mouvements sont nécessaires
ant périodiquement avec
et féconds, si malgré son incontestable mérite d'avoir orienté la médecine, notamment l'esprit de synthèse dyna-
au XIXe siècle, vers des découvertes splendides et que nul ne peut sérieusement songer miste et vitaliste par quoi
à avilir, cependant le mécanicisme s'essouffle et atteint assez rapidement ses propres elle reprend contact avec
l'unité de la vie....
limites. Il est donc naturel qu'après les tendances anti-hippocratiques mécanicistes et
matérialistes de la médecine du siècle dernier, une nouvelle ère maintenant se lève...
D'ailleurs même quand l'une ou l'autre conception paraît avoir acquis une hégé-
[Mais en fait]: ... les deux
monie presque incontestée dans le détail des théories pathologiques, les deux ten-
tendances fondamentales
dances fondamentales de l'esprit médical ne cessent de s'affronter. Ce sont elles qui de l'esprit médical ne ces-
passionnent les débats de la médecine. Qui ne voit que, lorsque nous discutons sur l'or- sent de s'affronter...
ganisme, l'origine parasitaire ou cellulaire du cancer, sur la contagion de la tuberculo-
se, sur l'efficacité d'un vaccin, sur l'étiologie du diabète, sur l'autonomie des néphroses,
ou l'importance du facteur « rhesus », etc., ce sont encore les reflets de ces deux atti-
tudes d'esprit qui entrent en jeu et figurent comme l'écho, après vingt-cinq siècles, des
querelles qui, dans la mer Égée, opposèrent Cos et CNIDE...
31
ÉTUDE N°2
32
RYTHME DE LA MÉDECINE
33
ÉTUDE N°2
plus en queue mais en tête de la médecine. Rien d'étonnant non plus à ce que de nom-
breux neurologistes comme H. JACKSON au XIXe siècle, comme GOLSTEIN plus récem-
ment, aient grandement contribué à réagir contre la médecine mécaniciste. Depuis
vingt ans, tous les traités de médecine, de physiologie, de pathologie, l'ensemble même
de la littérature médicale portent la marque de cette nouvelle orientation « synthé-
tique ». C'est elle que nous allons maintenant tenter de définir en montrant qu'elle s'in-
sère dans un mouvement qui la dépasse Il faudrait une connaissance beaucoup plus
exacte et approfondie de la philosophie et de l'évolution des sciences que celle que je
puis mettre au service du lecteur, pour tracer un tableau fidèle de l'empreinte philoso-
phique sur ces nouvelles tendances de la médecine contemporaine.
*
* *
En s'éloignant du mécanisme et de la nosographie statique et morphologique, en
retournant à l' « utérus hippocratique » la médecine contemporaine a retrouvé l'aspect
...C'est une profonde dynamique de l'organisme et de ses altérations morbides. C'est une profonde modifi-
modification des concepts cation des concepts de causalité qui a accompagné et engendré cette volte-face. Rien
de causalité qui a accom-
de plus éloigné de la médecine du siècle dernier que ces notions qui correspondent à
pagné et engendré cette
volte-face...
des formules comme « crises salutaires », « défense de l'organisme », « réaction vita-
le », « évolution fonctionnelle de l'ensemble des organes », « évolution et dissolution
de fonctions ». « énergie psychique », « phénomène de suppléance », de « compensa-
tion», de « structure du comportement », « d'interactions du terrain constitutionnel et
des facteurs exogènes », idiosyncrasies de tempérament et de caractère, « cycles évo-
lutifs morbides - héréditaires ou acquis, engageant la totalité de l'organisme »,
…Tous ces concepts réin- (Gestalt), « réponses a-spécifiques », etc. Tous ces concepts réintroduisent la finalité
troduisent la finalité dans
dans l'étiologie et la pathogénie des maladies. Cette cause finale s'opposait, au temps
l'étiologie et la pathogé-
nie des maladies...
où KANT se préoccupait de garantir la valeur apodictique de la science newtonienne, à
la forme de finalité causale efficiente, comme une conation interne vers son objet s'op-
pose à la relation de l'effet relativement à la cause que le déterminisme de l'extérieur
transitivement, rigoureusement et entièrement. Ainsi, un abîme séparait le monde à
causalité physique du monde de la causalité téléologique que le génie du philosophe
1. On trouvera dans des livres comme celui de Th. BOVET, Einführung in die philosophischen
Grundprobleme der Medizin, Zurich, 1934, d'A. DOGNON, Biologie et médecine 1948 ou Il libro
della vita de B. DISERTORI (1947). Ou encore l’excellent et récent mémoire de P. LAIN ENTRALGO,
La enfermedad humana en la patologia contemporeana, « Arbor », Madrid, 1948, auquel j'aurai
l'occasion de me référer à plusieurs reprises vu sa bonne documentation sur tous ces problèmes.
Le gros ouvrage de ce dernier auteur (La historia clinica), I volume, 775 pages, Madrid, Investig.
Cientificas, 1950) constitue un monument de valeur inestimable qui permet de suivre pas à pas
dans l’Antiquité à la Renaissance. puis avec STAHL, BICHAT et H. JACKSON, la tradition ininter-
rompue de la médecine dynamiste contemporaine. [NdÉ: La Historia clinica (1950) de Pedro
LAIN ENTRALGO, référence essentielle pour EY, a été rééditée à Madrid en 1998 par Triacastella.]
34
RYTHME DE LA MÉDECINE
1. H. DRIESCH, Philosophie des Organismus, 1ère édit. 1909 et Der Mensch und der Welt, 2e édit.
1944.
35
ÉTUDE N°2
1. Cf. notamment l'art. paru dans « Dialectica », vol. Il, Nos 3-4, 1948.
2. Dialectica, vol. LI, 11, n°8 3-4, 1948.
36
RYTHME DE LA MÉDECINE
de trop jouer sur les mots, je pourrais dire que la pathologie, d'externe est devenue de
plus en plus interne 1.
37
ÉTUDE N°2
senal thérapeutique les substances antibiotiques qui, d'abord recueillies à partir de moi-
sissures, puis synthétisées industriellement, sont en train, grâce aux recherches de
DUBOS, WAKSMAN, etc., de vaincre la virulence de tant de maladies (streptomycine,
tyrothricine, actinomycine, dihydro-streptomycine, chloromycétine, auréomycine et
d'autres encore issues de bactéries comme les subtilines, la bacitricine, etc., ou d'acti-
nomycètes comme la terramycine et peut-être encore issues de tissus animaux comme
le lait, le miel, le sang, les larves, etc.). Autrement dit, la vie vient au secours de la vie
soit qu'il s'agisse de la vie du malade lui-même soit qu'il s'agisse de la vie d'organismes
capables de lutter avec lui et qui lui fournissent sinon la substance, tout au moins le
modèle de leurs propriétés médicatrices.
Cette « réaction » vitale de l'organisme dans la maladie infectieuse dépend natu-
rellement du terrain. Et si nous venons de voir, comme l'affirmait déjà Cl. BERNARD,
le terrain conditionne l'action des microbes, son rôle ne se limite pas à cette partie de
la pathologie. Les notions de tempérament, de biotype, sont devenues aussi familières
au médecin actuel que celles de diathèse et d'idiosyncrasie au temps de la Renaissance
et de l'Antiquité. Qu'il s'agisse des biotypes de SIGAUD, de PENDE, de CORMAN, de
KRETSCHMER, de SCHELDON, etc., toutes ces études convergent vers une conception
holistique de l'individualité biologique et morphologique qui lie le mode de réaction
de l'organisme à sa forme et aux propriétés caractérielles de ses « résistances », de ses
« méiopragies », de toutes les modalités anatomophysiologiques de tolérance ou
d'agressivité à l'égard de la maladie. Or ces dispositions tempéramentales sont évi-
...C'est justement la fonc- demment héréditaires et familiales. C'est justement la fonction du concept d' « hérédi-
tion du concept d' « héré- té » que d'opérer également dans la pathologie un groupement synthétique où chaque
dité » que d'opérer égale-
malade efface sa propre individualité au profit d'un cycle morbide plus large.
ment dans la pathologie
un groupement synthé- L'application des principes de la génétique à la pathologie humaine, si elle a pu mettre
tique où chaque malade en évidence des affections ou malformations à caractère dominant ou récessif, s'est
efface sa propre indivi- assez rapidement heurtée à d'extrêmes difficultés. Ces difficultés sont faciles à com-
dualité au profit d'un
prendre par la crise même que traverse la génétique Weissmanienne. Le gène conçu de
cycle morbide plus
large... plus en plus comme un monde infra-atomique ou un monde dynamique, et dont la spé-
cificité et la fixité des caractères sont rendues conjecturales (pleïtropisme, plurifacto-
rialité, etc.) ne parait plus avoir l’autonomie absolue qu'on lui attribuait il y a quelques
années. La notion d'épistase, d'hypostase, d'effet de position exprime que la structure
du milieu génotypique influe sur chacun des gènes mais surtout que le milieu extérieur
paraît influer aussi sur le déterminisme de la répartition factorielle. Sous le nom de
« Dauervariationen » ou de « mutations provoquées », cette influence a fortement
orienté la génétique vers une conception moins rigide où l'hérédité cytoplasmique, la
matroclinie, trouvent bon gré, mal gré, leur place. L'assouplissement de ces méca-
nismes génétiques rend mieux compte de l'écart qui sépare les manifestations phéno-
38
RYTHME DE LA MÉDECINE
typiques d'un individu à l'égard de sa formule génotypique (fait rendu évident par la
discordance - si faible qu'en soit le taux - entre jumeaux mono-ovulaires). C'est enco-
re ce que rend sensible l'introduction de concepts comme ceux de penétrance ou d'ex-
pressivité (TIMOFEEF-RESSOVSKY). L'évolution de la génétique vers une conception
plus dynamique revient à introduire dans le champ de l'hérédité le conflit vital qui
oppose les forces de constance et celles de variation, le germen et le soma n'étant pas
deux parties séparées de l'être mais deux systèmes énergétiques en équilibre comme
l'organisme organisé et son milieu organisant. De telle sorte que dans cette perspecti-
ve, la maladie héréditaire, loin de nous apparaître comme une entité spécifique, pour
ainsi dire immuable et soumise seulement au jeu de cache-cache de la récessivité et de
la dominance, se présente à nous comme un processus dynamique et plastique à carac-
tère familial. Rien de plus instructif à ce sujet que les études comme celles de Van
BOGAERT ou de M. BLEULER 1. Pour Van BOGAERT l'étude de la Chorée de
HUNTINGTON, telle qu'elle résulte des recherches de KEHRER, aboutit à rattacher au
« noyau » choréodémentiel une choréocinésie ou choréodystonie constitutionnelle, un
tremblement constitutionnel progressif, les tempéraments et psychoses choréiques
sans hypercinésie, des équivalents épileptiques, des hyperalgésies épisodiques, des
formes de parésies avec l'ataxie, le tic convulsif, la myoclonie familiale. L'étude des
familles atteintes de sclérose tubéreuse (BOURNEVILLE) conduit à y voir la manifesta-
tion de formes neuro- et viscéropathologiques extrêmement diverses. Ainsi l'indivi- ...Ainsi l'individualité de
dualité de la « maladie héréditaire » tend-elle à s'effacer au profit d'un trouble méta- la « maladie héréditaire »
tend-elle à s'effacer au
bolique plus global et à manifestations multiples où intervient non seulement la for-
profit d'un trouble méta-
mule génotypique qui a constitué son support chromosomique mais encore toutes les bolique plus global et à
influences du milieu individuel. De telle sorte que, dans ce domaine de l'hérédité, la manifestations multiples
médecine contemporaine a précisé les notions fécondes d'une dynamique interne où intervient non seule-
ment la formule génoty-
« endogène » de la maladie, liée à la formation même de l'organisme sans verser dans
pique qui a constitué son
les excès d'abstractions d'une pathologie « purement » héréditaire d'entités génétiques. support chromosomique
Nous venons d'indiquer comment l'idée d'une « maladie » considérée comme un mais encore toutes les
« être de raison » et pour ainsi dire matérialisée, « hypostasiée » dans le microbe ou influences du milieu indi-
viduel....
le gène, a perdu du terrain conformément à une conception plus large de la vitalité de
l'organisme malade. Cette résistance à la notion de « maladie isolée » d'organe ou de
fonction, de maladie spécifique se retrouve encore dans la médecine contemporaine
dans la répugnance à dire d'un malade qu'il « a » 2 telle ou telle maladie et dans le fait
39
ÉTUDE N°2
qu'on dit plus généralement qu'il présente tel ou tel « syndrome », (anémie, septicé-
mie, insuffisance ventriculaire gauche, etc.). Ainsi, le champ de la clinique tend-il à se
différencier en fonction de grands groupements symptomatiques exprimant des
troubles anatomiques et fonctionnels en relation avec des systèmes vitaux de régula-
tion et de coordination de fonctions. C'est ainsi que le système de coordination fonc-
tionnelle hormonal, sans s'éclairer beaucoup dans la mesure même où il s'agit de
« cycles » qui se pénètrent, s'engendrent et se recoupent, a, depuis trente ans, acquis
une importance toujours plus considérable dans la pathologie des échanges de l'orga-
nisme et la constitution des maladies des différents organes. Les acquisitions de la
physiopathologie du cycle hormonal, des gonades, de l'hypophyse et de la cortico-sur-
rénale pour ne parler que de celles qui ont été ces dernières années l'objet d'investiga-
tions et de progrès les plus sensationnels (folliculine, lutéine, cortisone, A.C.T.H., etc.)
l'intérêt physiologique et pathologique de ce vaste système de corrélation aneurale a
un peu supplanté celui de système nerveux autonome ou système neurovégétatif qui
...Ces tendances de la lui est immédiatement et profondément associé. Ces tendances de la pathologie
pathologie moderne à moderne à s'intéresser aux « ensembles », aux « systèmes fonctionnels » est remar-
s'intéresser aux « en-
quable dans deux aspects caractéristiques de la médecine actuelle. Tout d'abord l'im-
sembles », aux « systèmes
fonctionnels » est remar- portance de la pathologie du système réticulo-endothélial (EPSTEIN, IJEHLINGER,
quable dans deux aspects PITTALUCA, etc.). Ce système pour ainsi dire nouveau est disséminé dans l'ensemble de
caractéristiques de la l'économie (rate, ganglions, moelle osseuse, foie, endocrines, téguments). L'étude de
médecine actuelle...
sa pathologie (hystiocymatoses dysplasiques de surcharge, réticuloses de réserve ou
hyperplasiques, etc.) a permis de grouper un certain nombre de maladies dysmétabo-
liques ou infectieuses. C'est ainsi que dans le même groupe des réticuloses entrent la
maladie de NIEMANN-PICK (phosphatide), la maladie de GAUCHER (cérébroside), de
SCHULLER-CHRISTIAN (Cholesterol) rapprochées des lipoïdoses et peut-être de l'athé-
rome et du syndrome d'obésité. C'est ainsi encore que dans le groupe des réticuloses
métaplasiques (SEZARY), il y a lieu de ranger dans un même groupe d'affections à évo-
lution lente le mycosis fongoïde, la maladie d' HODGKIN et un certain nombre d'autres
formes leucémiques et dermato-musculaires. Ainsi s'établit une large voie de commu-
nication entre les affections dont les parentés n'étaient pas évidentes.
...Plus caractéristique Plus caractéristique encore est la conception du « syndrome d'adaptation » de
encore est la conception SELYE 1. La thèse générale qu'il défend (et constituerait une sorte de banalité dans le
du « syndrome d'adapta-
mouvement actuel de la médecine si elle ne s'appuyait sur une expérimentation consi-
tion » de Selye
dérable) c'est qu'il existe une modalité univoque de réponse de l'organisme à une
...Ce « stress »... agression quelle qu'elle soit. Ce « stress » ( processus et notion où se combinent et se
complètent l'allergie et la défense) se déroule selon SELYE en quatre phases : Choc
1. Hans SELYE, Stress, 3e édition, 1950.[NdÉ: Stress a été analysé par H. AUBIN in L'Évolution
psychiatrique, XVI, 2, 1951, 315-319.]
40
RYTHME DE LA MÉDECINE
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ÉTUDE N°2
1. Les travaux de N. Wiener (Cybernetics or control and communication in the animal and the
machine, 1948), de ASHBY (The electronic Brain, 1946) etc... ont donné lieu en France à trois
articles importants : celui de GASTAUD (Semaine des Hôpitaux, 1949), celui de SCHUTZENBERGER
(Evolution Psychiatrique, 1949), celui de COSSA (Annales Médico-Psychologiques, 1950). On
trouvera une bonne mise au point de ce problème dans l’excellent petit livre de J. LHERMITTE
(Incarnation de l'esprit. Le cerveau de la pensée. Paris, Éd. Bloud, 1951).
42
RYTHME DE LA MÉDECINE
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ÉTUDE N°2
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RYTHME DE LA MÉDECINE
des phénomènes. Parallèlement, mais non sans point de contact originel ou conflictuel,
est issu, profondément enraciné dans l'existence dramatique de KIERKEGAARD et la
philosophie de HUSSERL, un mouvement de pensée, la phénoménologie existentialiste,
qui a mis l'accent sur l'activité nucléaire de l'existence de l'homme comme foyer de
rayonnement du monde dans lequel il existe et qui existe « pour lui ». La réduction
phénoménologique des essences (Wesen) de HUSSERL a été souvent opposée à la phé-
noménologie du « Dasein » de HEIDEGGER ou de JASPERS, mais pour autant que l'un et
l'autre se fondent sur l'intentionnalité opérante du sujet ou plutôt de l'existant et de
l'historicité qui lui dévoile son monde, l'une et l'autre forme de cette « psychologie
descriptive », l'une exposant les articulations de l'homme avec sa vérité, et l'autre sa
mise en situation dans le monde, elles se complètent. Elles se ramifient en multiples
bourgeons dont l'existentialisme français (SARTRE, MERLEAU-PONTY, G. MARCEL, etc.)
est l'un des plus vigoureux. Cet entrechoc de doctrines, de morales, de politiques,
d'idéologies confuses et parfois qui se pénètrent là où elles prétendent s'opposer,
constitue la trame philosophique de notre époque. Au lieu de chercher ce qui les dis-
tingue, tâche que chacune d'elles se propose sans y parvenir toujours, si nous tenons à
dégager leur orientation humaine la plus générale, nous pourrions dire que toutes met-
…la nature de l'homme,
tent au premier plan de leur horizon l'acte créateur de la personne humaine. Cet acte
son existence, son
est, certes, envisagé dans des perspectives différentes : génétique avec BERGSON, his- Dasein, sa spiritualité, sa
torique avec le marxisme, psychologique avec la phénoménologie. Sans doute est-il liberté ou son historicité
envisagé tantôt comme l'effet de la liberté, tantôt comme sa cause, ou encore confon- constituent le centre de la
philosophie actuelle.
du avec l'acte de la conscience ou considéré comme un acte plus total qui engage toute
Tandis que des siècles qui
la personne, etc... Mais la nature de l'homme, son existence, son Dasein, sa spirituali- nous ont précédé avaient
té, sa liberté ou son historicité constituent le centre de la philosophie actuelle. Tandis mis au premier plan de
que des siècles qui nous ont précédés avaient mis au premier plan de leurs préoccu- leurs préoccupations le
monde physique, son
pations le monde physique, son accord logique avec l'esprit et la nature de ses lois,
accord logique avec l'es-
c'est une vaste réflexion sur l'homme en tant qu'il s'identifie avec son destin qui consti- prit et la nature de ses
tue le foyer de la pensée philosophique de nos temps troublés. lois…
Envisager l'humanité de notre corps et non pas seulement son animalité, sa végé-
tativité, sa minéralité, c'est fatalement introduire dans la nature et l'existence humaine
un conflit entre la corporéité et la spiritualité, la juxtaposition cartésienne d'un corps
séparé de son âme ou seulement et parallèlement coexistant avec elle, est impensable
pour tous, il semble que tous visent et doivent s'accorder, bon gré mal gré, à voir que
les rapports du physique et du moral ne sont pas des rapports topographiques dans l'es-
pace mais des rapports conflictuels dans la durée. De sorte que l'idée que la vie psy-
chique émerge 1 de la vie organique devrait être - et au fond est l'intuition fondamen-
45
ÉTUDE N°2
… l'idée que la vie psy- tale de notre conception de la nature des choses pour autant qu'elle peut nous être com-
chique émerge de la vie mune. C'est elle qui oriente la médecine vers une pathologie de la personne incom-
organique devrait - et au
préhensible sans elle.
fond est l'intuition fonda-
mentale de notre concep- Si, en effet, le psychisme était seulement « coextensif » à la totalité de l'organis-
tion de la nature des me, le rapport du physique et du moral se trouverait réglé dans le sens où on peut dire
choses… qu'un compte est réglé, c'est-à- dire quand il n'existe plus. L'idée s'impose alors d'el-
le-même que ces rapports sont des relations dynamiques entre ce par quoi nous
… ces rapports (du phy-
sique et du moral) sont sommes « en soi » de la nature et ce par quoi nous existons « pour nous » dans le
des relations dynamiques monde. C'est ce que justement personne mieux que FREUD n'a saisi et c'est le sens déci-
entre ce par quoi nous sif de l'opposition du « Moi » et du « Ça » dans la réalité de notre être.
sommes « en soi » de la
Ainsi, n'est-ce pas, me semble-t-il, par hasard, que la Psychanalyse est née à notre
nature et ce par quoi nous
existons « pour nous » époque dont elle est un des reflets les plus authentiques. Si, comme le disait HEGEL, l'in-
dans le monde. C'est ce conscient est la « corporéité de l'esprit », nous pouvons mieux saisir que ces reflets de l'or-
que justement personne ganisme que sont les imagos et les complexes liés à la vie de nos instincts et qui passent
mieux que FREUD n'a saisi
dans l'épanouissement, le déploiement de notre vie de relation, de notre « être-dans-le-
et c'est le sens décisif de
l'opposition du « Moi » et monde », sont comme les liens qui nous enchaînent à notre corps. Rien d'étonnant, dès
du « Ça » dans la réalité lors, à ce que, tout comme le rêve est un reflux vers le corps qu'il symbolise et comme les
de nôtre être… névroses et les psychoses qui ont la même signification, notre corps lui- même quand il
est malade épouse la forme des complexes qu'il a lui-même engendrés. C'est le sens le
plus authentique du principe même de la Médecine Psychosomatique.
Naturellement, elle ne pouvait se présenter que comme une application de la théo-
rie psychanalytique de l'inconscient. Celui-ci, d'après FREUD, constitue, en effet, un
système de forces que symbolisent les besoins de l'organisme (libido), qui figurent
dans la vie psychique la pesée de l'organisme et des formes « historiques » de ces ins-
tincts réfractés dans les péripéties de leur développement. Ce système instinctuel est
en opposition avec la conscience personnelle, le Moi, en tant que forme d'existence
humaine morale et sociale, il subit donc, pour entrer dans l'existence et la conscience,
une déformation symbolique au niveau de la couche d'images. Le déplacement des
intentions et significations du monde complexuel s'opère dans les fonctions du corps,
par le moyen du « langage des organes » et, grâce à la « complaisance somatique »,
c'est-à-dire à la plasticité du clavier corporel. La projection de conflits inconscients sur
le plan somatique, leur conversion sur la surface ou les organes du corps constitue l'en-
semble de la théorie « psychogénétique » des affections somatiques.
Cet aspect psychogénétique des maladies avait été, depuis longtemps - et
même depuis toujours - étudié par les neurologistes et les psychiatres (D EJERINE
et G LAUCKER 1, par exemple). Le traité de O. S CHWARZ 2, les ouvrages de
46
RYTHME DE LA MÉDECINE
H EYER 1, de VON WYSS 2, VON WEISZACKER, etc., avaient, avant la guerre, familiarisé
la médecine allemande avec ces points de vue exposés d'ailleurs par FREUD magistra-
lement et à plusieurs reprises. Mais, c'est aux U. S. A. que le mouvement psychosoma-
tique a pris véritablement son plus grand essor 4. Malgré les fortes oppositions qu'il sus-
cite, il n'en représente pas moins un des aspects les plus caractéristiques de l'évolution
de la médecine.
C’est naturellement, aux troubles fonctionnels, c'est-à-dire à ces désordres
variables, réversibles, « engagés » dans la vie psychique, dans les « situations vitales »,
sans lésions organiques bien déterminées que la médecine psychosomatique s'est d'abord
adressée. De pareils troubles sont très fréquents, WEISS et ENGLISH ont montré qu'un tiers
des malades qui se présentent aux consultations des médecins aux U. S. A. se plaignent
de ces troubles. A la Clinique Mayo, 82% de 20.000 malades souffrant de troubles diges-
tifs ont paru entrer dans ce groupe. Les relations de ces symptômes avec les émotions et
les tendances affectives ont été mises en évidence dans l'hypertension artérielle, l'asth-
me, l'ulcus gastrique, la migraine, les troubles de la menstruation, etc... Et les revues spé- … Le symptôme physique,
cialisées américaines sont remplies d'observations de ce genre qui montrent que la la « souffrance » des
pathologie de divers organes est en rapport avec la personnalité du malade. Le symptô- fonctions et des organes
est en relation avec l'an-
me physique, la « souffrance » des fonctions et des organes est en relation avec l'an- goisse. Il n'y a plus de
goisse 5. Il n'y a plus de « monarchie du symptôme physique ». (Lain Entralgo). « monarchie du symptôme
Pour chaque type d'affection de ce genre comme pour chacune d'elles, on a envi- physique » … (LAIN
sagé de mettre en évidence un « psychoma », c'est-à-dire le complexe psychique qui ENTRALGO)…
l'accompagne.
Prenons comme exemple l'ulcus peptique. FRENCH et ALEXANDER ont décrit un
« type gastrique » de réaction de la personnalité qui se rencontre chez 1'ulcéreux.
Celui-ci a une personnalité fragile, infantile, un besoin de protection constant. Il com-
pense cette infériorité par une vie active, forcée et orientée vers la puissance et le
triomphe de ses entreprises. La dynamique de sa personnalité est conditionnée par la
bipolarité de sa vie affective - pôle de l'angoisse et de la passivité, pôle de l'activité
47
ÉTUDE N°2
48
RYTHME DE LA MÉDECINE
*
* *
Par cette dernière remarque, nous revenons à notre point de départ touchant l'as-
pect philosophique de la médecine en tant que science biologique. Nous avons vu que
l'orientation générale de cette science tend à lui faire abandonner les concepts de cau-
salité mécanique pour revenir à une causalité « interne » plus exactement « vitaliste et
humaniste ». Elle ne peut pas, cependant, aboutir à une conception de la maladie qui
la réduirait à n'être qu'une volonté de mort sans renoncer à toutes les acquisitions que
nous devons à l'anatomie pathologique, à la chimie, à la physique, à la microbiologie,
etc... Il faut donc recourir à une forme « multidimensionnelle » – et en quelque sorte
« complémentaire » – de la causalité en pathologie humaine. Les phénomènes mor-
bides s'inscrivent en effet en fonction d'une double coordonnée, le déterminisme –
même s'il n'est que relativement déterminé – de la nature et la finalité de l'organisme
dans sa totalité psychosomatique. Si la médecine du XIXe siècle ne considérait que le
déterminisme de la nature qui faisait de la médecine une « Science naturelle », si la … la médecine doit trou-
médecine du XXe siècle a tendance - sans d'ailleurs que cette tendance soit générale et ver la ligne de ses progrès
dans l'équilibre de ces
exclusive - à ne considérer que le « sens de la maladie » qui transforme la médecine
deux tendances qui sont
en anthropologie, il semble que, sollicitée comme au temps d’HIPPOCRATE entre CNIDE comme les contraires
et COS, elle doive trouver la ligne de ses progrès dans l'équilibre de ces deux tendances qu'elle a pour mission de
qui sont comme les contraires qu'elle a pour mission de concilier. concilier…
49
Étude n° 3
LE DÉVELOPPEMENT « MÉCANICISTE »
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
4. La notion de « maladie mentale ».
DE LA PSYCHIATRIE
5. La doctrine de G. de Clérambault.
6. Freud et la psychanalyse.
7. Conception Organo-dynamiste.
C'est un fait que la Psychiatrie en tant que Science est née chez nous en France …la Psychiatrie en tant
après la Révolution française. Pour bien comprendre les conditions de cette naissance que Science est née chez
il faudrait déterminer par quelles racines profondes morales, philosophiques et sociales nous en France après la
Révolution française…
elle plonge dans l'histoire des siècles précédents 1. Ils nous semble que si le fait psy-
chiatrique s'est constitué comme objet de la Science médicale, c'est 1°) parce que dans
l'évolution du monde social chrétien, après l'humanisme de la Renaissance et de la
Réforme, et après la libération des valeurs individuelles qu'il a commandées, le problè- …le problème de la liber-
té et de la responsabilité
me de la liberté et de la responsabilité s'est trouvé si brutalement posé qu'il a dû, du
s'est trouvé brutalement
même coup et nécessairement, susciter le problème corollaire de ses limites, c'est-à-dire posé…
celui de la « folie ». Ce n'est pas par hasard qu'un des tout premiers psychiatres, Paul
ZACCHIAS 2 , était médecin légiste du Pape ; 2°) parce que dans l'évolution de la pensée
philosophique et le développement des Sciences naturelles, les rapports du physique et
du moral se sont situés sur le plan de la physiologie nerveuse et ont exigé une science
des troubles mentaux fondée sur une théorie de ces rapports. Ce n'est pas par hasard que
le premier ouvrage de psychologie pathologique fût le fameux traité de CABANIS 3; 3°)
parce que les progrès de l'assistance aux malades et malheureux devaient s'intéresser
davantage aux « malades mentaux » dont l'existence posait des problèmes pratiques
d'organisation et de législation. Ce n'est pas par hasard qu'on fait remonter au geste phi-
1. Naturellement on trouve dans la « nuit » du Moyen Age, des traces de préoccupations psy-
chiatriques. Indiquons spécialement les aspects psychopathologiques du thomisme (cf. à ce sujet
KOPP, Zeitschr. f.d.g. Neuro., 152, p.178 et plus récemment le travail de E. KRAPF (Thomas
d’Aquino, Monografias Index Neurologia y Psiquiatria, 1943).
2. Paul ZACCHIAS (1582 - 1659). (Cf. L'étude que C. VALLON et G. GENIL-PERRIN lui ont consa-
crée dans L'Encéphale en 1912).[NdÉ: VALLON C. et GENIL-PERRIN C. La psychiatrie médico-
légale dans l’œuvre de Paul Zacchias (1584-1659). Paris : Doin ; 1912.]
3. CABANIS, Rapports du Physique et du Moral. 1ère édition, 1802.
51
ÉTUDE N°3
1. Si l'état misérable des malades entassés à Bicêtre ou à « Bedlam » est connu de tous, si on n'ou-
blie pas cependant le mérite de DAQUIN (1792) ni celui de CHIARUGI (1793), ni ceux d’ HAYPER
(1807) ou de MULLER (1799) à Wurzburg, etc… il convient de rappeler les efforts faits dans les
pays musulmans dès le VIIIe siècle (FERREDIN KOCIM cité par BIRNBAUM dans le Traité de BUMKE
- DESRUELLES et BERSOT, Ann. Med. Psycho. 1938), la fondation de l'asile de Valencia par le Père
J.G. JOFRE, et l'œuvre des Frères Saint Jean de Dieu dans les « Charités » (P. SÉRIEUX), des
Franciscains (Lille, Saint Venant), des Lazaristes (St. Lazare), etc…
2. Outre le livre de KRAEPELIN (Hundert Jahre von Psychiatrie, 1918) [NdÉ: KRAEPELIN E. Cent
ans de psychiatrie (1918) ; traduction française : Bordeaux : Mollat; 1997.], il faut consulter celui
de LAIGNEL-LAVASTINE et VINCHON (Les malades de l'esprit et leurs Médecins, 1930), l'article de
BIRNBAUM (Traité de Bumke, 1928), l'ouvrage de W. BROMBERG (The mind of man, New-York,
1920) le volume d’ ADAM (Uber Geisteskrankheit im alter und neuem Zeit, 1928), et surtout « A
History of Medical Psychology » [NdÉ: New-York: Norton & company ; 1941] de Gregory
ZILBOORG et G.W. HENRY. Rappelons aussi de quel secours est le fameux index « Die Literatur
der Psychiatrie, Neurologie und Psychologie von 1459-1799 » de Heinrich LAEHR, (Berlin,
1900), pour ce qui concerne les précurseurs de la Science Psychiatrique.
52
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
un corps de doctrine utile et enseignable, capable de guider, dans les problèmes pra-
tiques, l'esprit de leurs héritiers.
Sans doute c'est bien des aspirations profondes de l'humanité qu'est monté leur
enthousiasme mais c'est lui qui, dans sa forme résolue, a créé, codifié, formé la
Psychiatrie. Il n'a fallu rien de moins que le desséchement, opéré, comme nous allons voir,
par le Mécanicisme dans lequel leur époque les a fourvoyés pour attiédir à la fin du siècle,
et spécialement dans notre pays ce zèle, qui déjà pourtant avait soulevé des montagnes.
Dès son institution, par cet élan collectif de recherches, la Psychiatrie devait médi- …Dès son institution, par
ter et les psychiatres discuter sur la nature de son objet, c'est-à-dire, dans leur essence et cet élan collectif de
recherches, la Psychiatrie
leur signification, décrire les rapports du physique et du moral. De la grandeur de cet
devait méditer et les psy-
objet dépend la difficulté de la tâche du psychiatre mais aussi la particulière éminence de chiatres discuter sur la
sa fonction. Qu'il se soit parfois trouvé dépassé par la difficulté de l'entreprise, que lui- nature de son objet, c'est-
même parfois se soit interdit d'y appliquer son esprit, il n'en reste par moins que le pas- à-dire, dans leur essence
et leur signification,
sionnant intérêt qui s'attache à une telle démarche fait de lui l'artisan par excellence d'une
décrire les rapports du
œuvre médico-psychologique pleine d'embûches, d'obscurité et de dangers: la science physique et du moral…
des rapports du corps et de l'esprit. Même s'il en est parfois saisi d'effroi, même s'il
cherche, dans la fausse humilité positiviste, à s'évader du problème qui l'étreint, même
s'il cherche par les solutions faciles à assurer son repos, c'est toujours vers ce vertige qu'il
est ramené par la considération de l'objet même de ses investigations. C'est dire que par
le débat qu'il suscite dans l'esprit du psychiatre, ce problème redoutable s'institue enco-
re comme objet perpétuel de discussion des psychiatre entre eux 1.
Le « cartésianisme » […]
Le « cartésianisme », 2 en rendant particulièrement urgent et inéluctable le pro-
a certainement servi la
blème des rapports du « physique » et du « moral, considérés comme deux substances cause psychiatrique, mais
juxtaposées (l'ordre de la pensée et l'ordre de l'étendue), a certainement servi la cause il a engagé la science
psychiatrique, mais il a engagé la science psychiatrique dans une impasse. C'est ce que psychiatrique dans une
impasse…
nous allons examiner.
***
Tout d'abord il est aisé de comprendre que le dilemme cartésien: « ou c'est phy-
sique ou c'est psychique » constitue bien un système dualiste de deux termes qui s'op-
posent et s'excluent. Aussi cette position, métaphysique a-t-elle pesé de tout le poids
de sa simplicité dans toutes les discussions psychiatriques où se pose le problème des
relations causales et structurales du physique et du moral. D'où l'éternel et stérile
1. Une preuve de ce que nous avançons, nous est fournie par le dernier numéro des Annales medi-
co-psychologiques (Octobre 1948), à propos de la communication de P. ABELY sur le
Diencéphale, carrefour psycho-somatique.
2. Nous disons le « cartésianisme », pensant plus à MALEBRANCHE qu'au philosophe des
Méditations dont les spéculations si vivantes et concrètes ont pu être considérées comme à l'ori-
gine du mouvement phénoménologique qui pose la pensée comme un mode d'existence en soi et
pour soi.
53
ÉTUDE N°3
siècle tandis que PINEL, ESQUIROL, FODÉRÉ, DUBOIS (d'Amiens), LELUT 1, etc... incli-
naient à soutenir l'origine morale de la folie, FERRUS, CALMEIL, BROUSSAIS, GEORGET,
BOTTEX, VOISIN, FOVILLE, LUYS, etc...avançaient l'étiologie organique des maladies
…On se tournait alors mentales. On se tournait alors vers la statistique pour vider le débat : ESQUIROL estimait
vers la statistique pour que 409 hommes sur un total de 1578, et que 580 femmes sur un total de 1940 étaient
vider le débat sur les
aliénés pour des raisons morales, tandis que, en Angleterre, KNIGHT en 1827 trouvait un
causes morales ou phy-
siques de la folie… seul cas de ce genre sur 700... – On connaît également la fameuse controverse qui, en
1843, opposa PARCHAPPE à MOREAU. Celui-ci prouvait, par la statistique, que les causes
physiques l'emportent sur les causes morales et celui-là démontrait par le même procé-
dé « la prédominance des causes morales dans la génération de la folie ». Naturellement
la statistique ne pouvait résoudre des questions qui la dépassaient dans l'ignorance où
l'on se trouvait (et où nous sommes encore) de toutes les causes « physiques » et
« morales ». Les discussions les plus vives, le heurt le plus brutal entre « matérialistes »
et « spiritualistes » paraît s'être produit vers 1840 et on trouvera de ces préoccupations
passionnées un écho très vivant dans les premiers tomes des Annales Médico-psycho-
logiques (CERISE, LELUT, BAILLARGER, etc.). Il suffit de lire les grandes controverses du
milieu et de la fin du XIXe siècle, telles les fameuses discussions de 1854 sur les mono-
manies, de 1845 et de 1855 sur les analogies du rêve et de la folie, de 1855 sur les hal-
lucinations, de 1861sur la classification des maladies mentales, pour se convaincre que
toujours et sans cesse le même « dilemme » écrase et stérilise tous les débats.
Ce qui paraît avoir tempéré cependant dans le pays même de DESCARTES la lutte
des « organicistes » et des « psychistes », c'est que, après le développement de la psy-
chologie sensationniste et l'énorme poussée mécaniciste et atomistique qui, comme
nous le verrons, s'est poursuivie pendant tout le XIXe siècle, la plupart des esprits
étaient gagnés, parfois à leur insu même, mais d'avance, à la cause « organiciste ». Une
autre raison c'est l'indifférence que certains cliniciens (et non des moindres) opposè-
rent à ces discussions, tout occupés qu'ils étaient à inventorier et explorer la riche et
neuve moisson de faits qui se proposaient à leur observation. – Dans notre période
1. Tous ces auteurs ne s'opposaient pas toujours à l'étiologie organique de la folie mais admet-
taient souvent à côté de cas où les psychoses morales étaient déterminantes, des cas où les causes
physiques étaient déterminantes.
54
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
1. Discussion sur la « Psychogenèse » des troubles psychiques (HENRI EY, J. ROUART, J. LACAN,
L. BONNAFE, S. FOLLIN, H. NODER, BELEY, LAROQUE, DUCHÊNE, COURCHET, FREY, etc.) [NdÉ: IVe
colloque de Bonneval. Le problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses. Paris:
Desclée de Brouwer; 1950. Réédition Bibliothèque des Introuvables. Paris :Tchou ; 2004.]
2. Georg. Ernst STAHL. De anima morbis (1708). Cf. à propos de cette fameuse discussion des
« Psychistes » et des « Somatistes » l'article de BIRNBAUM dans le Traité de BUMKE (Tome I).
3. Fondation des « Archiv » für Psychiatrie (1874)
4. Traité des maladies mentales. 1ère édition 1845. La 2e édition a été traduite en français en 1865
par le Dr. DOUMIC et copieusement annotée par BAILLARGER qui joua dans la Psychiatrie françai-
se le même rôle important et déterminant que GRIESINGER dans la Psychiatrie allemande.
55
ÉTUDE N°3
…Mais le « cartésianis- Mais le « cartésianisme » ne pose pas seulement mal le problème, il l'engage
me » ne pose pas seule- nécessairement vers une solution « mécaniciste » qui aboutit rapidement à une impas-
ment mal le problème, il
se 1. Rapidement, en effet, spiritualistes et matérialistes se mirent d'accord sur une for-
l'engage nécessairement
vers une solution « méca- mule qui assurait aux premiers le repos et aux seconds la victoire. L'esprit, dans la
niciste » qui aboutit rapi- perspective même que prête le dualisme cartésien à la discussion, l'esprit est ou abso-
dement à une impasse… lu (spiritualistes) ou rien (matérialistes). Cela revient, à peu près, au même et tout le
monde se trouve du même côté de la barricade et d'accord pour déclarer que les phé-
nomènes psychiques (en tant que « parallèles » au cerveau ou identifiés aux parties du
cerveau) ne sont rien d'autre pour notre connaissance scientifique que des atomes céré-
braux. C'est ainsi que la « psychologie » associationniste et sensationniste et le méca-
nicisme physiologique des localisations cérébrales ont collaboré pour orienter l'évolu-
tion de la Psychiatrie vers le mécanicisme intégral auquel vers la fin du XIXe siècle tous
les psychiatres se sont à peu près ralliés. Ce mécanicisme intégral peut se résumer en
quelques propositions qui rejoignent les thèses anti-hippocratiques du « mécani-
cisme » de la Pathologie générale : l'atomisme séméiologique – la pathogénie méca-
nique des symptômes – et la notion d'entités spécifiques. Aussi allons-nous voir le
développement des idées s'effectuer tout au long du XIXe siècle dans ce triple sens.
dans cette voie ou même de s'y engager (FALRET père, notamment) mais la tendance se
trouve indiquée chez presque tous. La notion de monomanie consacrait cette idée, fon-
damentale dans le système théorique en développement, qu'il existait des troubles psy-
chiques partiels (« localisés » paraphrasera-t-on selon le mot de MOURGUE).
…c'est surtout le concept
Mais c'est surtout le concept d'hallucinations qui constitue le ferment « psy-
d'hallucinations qui
constitue le ferment cholytique » par excellence. Par son truchement en effet la structure globale des délires
« psycholytique » par va disparaître et ceux-ci vont se briser et s'émietter en mille morceaux, séparés du tout
excellence… dont les hallucinations ne sont pourtant qu'une partie. L'hallucination devient en effet
d'abord un phénomène sensoriel élémentaire (REIL - BROUSSAIS - MICHEA). Ensuite
elle devient l'effet d'une excitation, d'une « épilepsie » des centres sensoriels
(TAMBURINI, LEUBUCHER, RITTI, WERNICKE, KAHLBAUM, SÉGLAS jusqu'en 1895, etc...).
Il faut lire dans la thèse de MOURGUE 2 le récit de cette réduction du délire à une de ces
1. Le Dualisme renvoie nécessairement au Monisme comme à son reflet dans la dialectique inter-
ne de ce couple de notions antinomiques par quoi l'un se définit par l'autre, suppose l'autre.
2. R. MOURGUE. Etude clinique sur l'évolution des idées relatives à la nature des hallucinations
vraies. Thèse Paris, 1919.
56
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
parties, l'hallucination, et les controverses qui s'élevèrent alors sur la nature et la genè-
se de l'hallucination. Rappelons notamment la grande discussion de 1855 à la Société
médico-psychologique 1 et celle de 1874 à l'Académie de Berlin. Peu à peu l'idée
gagne et s'infiltre dans toute la Psychiatrie. Elle sape l'unité structurale du délire pour
le présenter comme basé sur des « accidents » sensoriels et naturellement cent varié-
tés d'hallucinations furent décrites: hallucinations psycho-sensorielles (BAILLARGER),
– pseudo-hallucinations de HAGEN et de MICHEA, – hallucinations aperceptives de
KAHLBAUM, – pseudo-hallucinations de KANDINSKI, – auto-représentations apercep-
tives de G. PETIT, – hallucinations aperceptives de SÉGLAS, etc. Bien plus la notion
d'hallucinations réputée d'abord phénomène sensoriel, admettant toujours davantage
dans sa compréhension les hallucinations psychiques (BAILLARGER) synonymes de
pensée étrangère où la sensorialité ne joue plus de rôle, c'est tout le cortège des idées
« autochtones » (WERNICKE), du « Gedankenlautwerden », de l'écho de la pensée, du
vol et du devinement de la pensée, du commentaire des actes qui, avec G. DE
57
ÉTUDE N°3
Et on connaît les étiquettes à vrai dire assez burlesques par quoi l'analyse clinique
atteint dans ce domaine une manière de perfection dans l'emploi de sa technique abs-
traite. La distinction des obsessions « idéatives », « phobiques », « impulsives », le raf-
finement d'une subtilité toujours plus atomistique qui conduit à opposer l'obsession et
les moyens de défense de l'obsédé, à sectionner tous les liens entre l'obsession et le
délire ou l'activité hallucinatoire, le souci de la réduire à un corps étranger comme une
escarbille sur la conjonctive, participent de cette même opération systématique qui
coupe et tue la matière vivante des névroses et des psychoses.
Nous pourrons illustrer ailleurs et bien facilement encore la continuité histo-
rique de cette vivisection dans le domaine des délires, de la catatonie, de l'hystérie, de
l'épilepsie tour à tour « ramenés » à des mécanismes simples, « basés » sur des troubles
élémentaires selon un procédé qui ne peut paraître réussir qu'au prix d'une perte de
substance et d'une abstraite simplification. Au terme de cet écartèlement, la Psychiatrie
ne présente que des pièces et des morceaux et pour avoir voulu l'engager dans la voie
de ses explications neuro-mécanicistes, l'aliéniste ne peut plus que contempler comme
des objets inertes, ces « membra disjecta » que, sous son microscope, il ne parvient
plus ni à reconnaître ni à utiliser.
58
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
le centre moteur du langage est détruit: quand ce sont les images auditives c'est le
centre acoustico-verbal qui est détruit, etc... Tel est le schéma de ce que MOURGUE …ce que MOURGUE appel-
appelle une théorie neurologique « paraphrase » de l'atomisme séméiologique, parce le une théorie neurolo-
gique « paraphrase » de
qu'elle consiste à paraphraser la question dans la réponse qu'elle prétend lui apporter.
l'atomisme séméiolo-
Certes une telle conception de l'aphasie est bien loin d'être purement imaginaire. Elle gique, consiste à para-
repose sur des faits: les lésions incontestables des centres sensori-moteurs qui corres- phraser la question dans
pondent au syndrome aphasie. Mais elle dépasse ces faits quand elle prétend que les la réponse qu'elle prétend
lui apporter….
innombrables variétés que son analyse atomistique lui présente, répondent à des faits
précis et qu'elle prétend localiser aussi aisément sur la surface du cerveau ces atomes
de langage qu'elle le fait sur ses schémas. On sait à quelle infinité de formes et de sous-
formes d'aphasie l'analyse atomistique a conduit et au prix de quels artifices les sché-
mas interprétateurs (« paraphraseurs ») s'adaptaient péniblement à ce découpage des
fonctions du langage. On le voit – et nous aurons l'occasion d'y revenir – ce que l'on
peut reprocher au neuro-mécanicisme atomiste dans son application à l'aphasie ce n'est
pas d'affirmer qu'il y a des lésions et des lésions assez bien localisées – ce que tout le
monde, même GOLDSTEIN, admet – mais c'est de faire si intimement dépendre le
tableau clinique de la topographie des lésions que se puisse décalquer chaque symptô-
me isolé sur des points isolés du cerveau. Nous en avons assez dit pour faire com-
prendre que c'est sur le modèle de ce travail que vont s'exercer toutes les entreprises,
désormais classiques, qui se sont ingéniées à présenter une théorie mécaniciste des
états psychopathologiques.
Le concept de centres d'images qui correspond plus exactement aux exigences
de la psychologie atomiste qu'aux faits eux-mêmes, a constitué en effet la pièce maî-
tresse de toute psychopathologie mécaniciste. Toute la vie de l'esprit pouvant à ses
yeux se réduire au jeu des images ou souvenirs de sensations, tout trouble de la vie de
l'esprit pourra se réduire à des perturbations de centres d'images. Le problème de
l'aphasie proposait aux théoriciens un trouble négatif: l'absence de langage ou des
…La théorie accentuait
troubles de la fonction du langage et on trouvait la solution du problème dans la dis-
encore son caractère de
parition des images des mots. Les études et expériences de physiologie cérébrale ne paraphrase en traduisant
tardèrent pas à rendre plausible pour la sphère motrice l'usage de la notion d'excitation en termes pathogéniques
des centres. Dès lors il ne restait plus qu'un pas à franchir pour transposer ce concept les symptômes, ou en
matérialisant les méta-
aux centres d'images et expliquer pathogéniquement par leur « excitation » tous ces
phores dont se servent les
troubles de la vie de l'esprit qui se présentent cliniquement non comme des opérations malades pour nous dire
qui ne se produisent pas mais comme des phénomènes qui apparaissent anormalement « On me transmet des
à la conscience. Ainsi la théorie accentuait encore son caractère de paraphrase en tra- paroles... On me fabrique
des idées », « On m'en-
duisant en termes pathogéniques les symptômes, ou en matérialisant les métaphores
voie un courant élec-
dont se servent les malades pour nous dire « On me transmet des paroles... On me trique »…
fabrique des idées », « On m'envoie un courant électrique ». Ainsi se satisfaisait enco-
59
ÉTUDE N°3
60
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
de mots. Et c'est en vain qu'il tente de communiquer au jeu épars des symptômes qu'il
entrechoque dans ses mains, parfois habiles, cette profonde vie qu'il lui a retirée en les
séparant de leur structure significative, naturelle. Il s'ingénie par la richesse des détails,
la boursouflure de l'expression à enfler le symptôme, à orner l'élément, à surcharger la
fonction de l'atome, à l'étaler, le grandir jusqu'à en faire l'égal du tout dont il ne reste
pourtant que la partie.
Un trait, en définitive, caractérise en effet d'une manière décisive le mécanicis- …Un trait, en définitive,
me: c'est l'explication du tout par la partie, du supérieur par l'inférieur: c'est l'hallu- caractérise en effet d'une
manière décisive le méca-
cination phénomène sensoriel mécanique qui explique le délire – c'est le trouble du
nicisme: c'est l'explica-
schéma corporel qui explique la dépersonnalisation – la perte des engrammes qui tion du tout par la
explique l'amnésie – les troubles du tonus qui expliquent le comportement catatonique, partie…
etc... Nous retrouverons dans toutes nos études particulières ce type d'explication
essentiellement mécaniciste. Et « mécanicistes » nous apparaîtront les conceptions de
WERNICKE, G. De CLÉRAMBAULT, de KLEIST ou de PAVLOV exactement dans la mesure
où elles expliquent un état psychopathologique par un trouble basal et partiel. C'est
dire combien le mécanisme a fait de ravages dans toute la Psychiatrie et pas seulement
ancienne mais contemporaine et pas seulement française mais mondiale.
1. La « réflexologie » de PAVLOV se présente sous un double aspect, ainsi que nous l'avons souli-
gné dans notre étude critique [NdÉ: « Les théories réflexologiques de .I.P. PAVLOV et la psychia-
trie.», L'Évolution psychiatrique, XII, 1, 1947, 197-219.]. Tantôt elle s'érige en théorie psychogé-
nétique du conditionnement par les événements du milieu. Tantôt elle « périphrase » selon le mot
de MOURGUE, l'analyse de comportement en termes de physiologie cérébrale et elle « explique »
les délires par exemple et les névroses par des troubles partiels de la dynamique cerébrale. A cet
égard, les traductions récemment publiées par « la Raison » (1951) ne font que confirmer la posi-
tion strictement mécaniste prise par le célèbre physiologiste russe telle que nous avons pu en
prendre déjà connaissance notamment dans l'article (publié dans l'Encéphale, 1933) sur la para-
noïa et dans la fameuse lettre à Pierre JANET (Journal de Psychologie, 1933) sur la paranoïa et les
obsessions.
61
ÉTUDE N°3
…Or l'idéal du mécani- d'origine organique, position qui définit l'organicisme psychiatrique en général, mais
cisme n'est pas seulement encore de considérer la maladie mentale comme n'étant pas mentale du tout, comme
de pouvoir considérer la
étant une maladie identique à la scarlatine ou au rétrécissement mitral. On conçoit que
maladie mentale comme
une maladie d'origine cet effort soit demeuré assez vain et cet idéal illusoire; mais en cet effort, en cet idéal
organique, position qui réside l'esprit mécaniciste authentique, celui qui en se développant a précipité la
définit l'organicisme psy- Psychiatrie vers une nosographie rigide dans l'espoir, généralement déçu mais toujours
chiatrique en général,
renouvelé, de découvrir sous chaque espèce clinique bien délimitée une étiologie spé-
mais encore de considé-
rer la maladie mentale cifique, c'est-à-dire de découvrir des maladies mentales où les symptômes seraient si
comme n'étant pas menta- étroitement unis à leurs causes organiques qu'ils s'identifieraient avec elles, c'est-à-dire
le du tout… par conséquent de faire de chaque « maladie mentale » une « maladie particulière ».
Dans l'ensemble il y a une profonde unité de conception entre ces deux doctrines dont
l'une affirme la mécanicité du processus et l'autre sa spécificité. Cela se conçoit clai-
rement d'ailleurs si l'on veut bien convenir que rien ne spécifie davantage un tableau
clinique relativement à un autre que d'identifier chacun d'eux à un dérangement molé-
culaire cérébral différent. Si en raison des attitudes d'esprit parfois contradictoires de
certains auteurs (attitudes qui mesurent plus exactement la difficulté de rester cohérent
avec sa propre théorie, qu'elles ne compromettent la profonde unité de ces positions
doctrinales) on était tenté de nous accuser de « forcer les choses », d'artificialisme, et
peut-être aussi d'aveuglement passionné, nous nous contenterions de rappeler que
l'histoire des doctrines médicales a toujours montré que la tradition hippocratique dont
le mécanicisme est le plus authentique adversaire s'est toujours caractérisée, depuis la
lutte qui opposait COS à CNIDE, par son peu d'attraits pour les « entités spécifiques »;
tandis qu'au contraire, avec le développement de la Médecine anti-hippocratique au
XIXe siècle, devaient nécessairement fleurir une infinité d'entités anatomo-cliniques,
expressions dans la pathologie générale du même esprit atomistique dont nous avons
plus haut mis en lumière les ravages dans la Psychiatrie, à la même époque. Nous
sommes donc, il me semble, fondés à critiquer dans le mouvement mécaniciste lui-
même cette tendance, corollaire de l'atomisme, à découper les tableaux et évolutions
cliniques en maladies distinctes, en entités, unes et indivisibles.
Naturellement en dehors de cette obligation doctrinale qui a pesé sur les esprits
plus qu'on ne se l'imagine, la nécessité de mettre un peu d'ordre et de clarté dans l'in-
ventaire de ce nouveau domaine récemment conquis par la Médecine a contribué éga-
lement à poursuivre et même à accentuer ce travail nosographique.
…Dès ses premiers pas la Dès ses premiers pas la Psychiatrie scientifique « tomba » sur une « maladie »,
Psychiatrie scientifique
une entité clinique dans le sens le plus fort du terme. Avec BAYLE et plus tard FOURNIER
« tomba » sur une « mala-
die », une entité clinique et NOGUCHI l'histoire de cette affection a été entièrement connue. La « démence para-
dans le sens le plus fort lytique » isolée, rattachée à la syphilis, par une hypothèse vérifiée anatomiquement et
du terme. Avec BAYLE… bactériologiquement, constitue une sorte de modèle de travail scientifique. L'esprit des
62
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
psychiatres a été depuis hanté par l'idée d'affections psychiatriques bien caractérisées.
Et c'est ainsi que l'historique des problèmes particuliers des diverses psychoses met en
évidence l'espoir chaque fois renouvelé et régulièrement déçu que l'on avait mis la
main sur une nouvelle entité de ce genre. La Psychose périodique, Le Délire chro-
nique, Le Délire des négations, La Catatonie, L'hystérie, La démence précoce, La
Schizophrénie, La Confusion mentale primitive, etc...ont été et restent encore considé-
rés souvent comme des « affections » autonomes. Il serait bien facile de retracer l'his-
torique des études qui ont permis, à travers mille difficultés cliniques, de définir, de
préciser, d'approfondir les tableaux cliniques qui correspondent à ces « Entités », mais
cela nous entraînerait trop loin. Il nous suffit de souligner ici que cette préoccupation
« nosographique » est devenue obsédante et que la Psychiatrie « classique » présente
tous ces syndromes comme des maladies qui attendent encore la détermination de leur
agent spécifique, de leur pathogénie particulière, de leur anatomie pathologique spé-
ciale et de leur traitement étiologique approprié. Certains mettant moins d'espoir dans
l'avenir et le progrès de la science, prétendent déjà s'en passer en plaçant leur confian-
ce dans l'idée d'une maladie « essentiellement » autonome (c'est le concept d'entité
« génétique », « factorielle » acceptée avec tant de faveur par la Psychiatrie alleman-
de depuis vingt ans...)
Ne serait-il pas possible cependant de se demander si la notion de « Psychose » … Ne serait-il pas possible
n'est pas précisément contradictoire avec l'idée d' « entité » et cela en analysant sim- cependant de se demander
si la notion de
plement la pathologie de la Paralysie Générale. La méningo-encéphalite syphilitique
« Psychose » n'est pas pré-
se traduit en effet par un tableau clinique assez caractéristique pour avoir une valeur cisément contradictoire
pratique. Mais il y a assez de formes cliniques différentes du processus et d'autres pro- avec l'idée d' « entité »…
cessus qui par ailleurs peuvent ressembler tellement dans leur expression clinique à
celui-là (pseudo-paralysies générales) 1 qu'en théorie on ne peut pas parler d'une « enti-
té » absolument spécifique. La notion même de psychose dans une perspective plus
dynamiste apparaît comme une forme caractéristique des modifications de la vie psy-
chique par un processus organique à quoi elle ne se résume pas, ni dans sa pathogénie
ni même dans son étiologie. Autrement dit, ce que nous appelons psychose n'est qu'une
forme typique de dissolution sous l'influence de plusieurs processus possibles.
Nous pouvons alors concevoir avec clarté pourquoi les « entités« cliniques sont
si peu distinctes les unes des autres dans la nature, c'est qu'elles ne sont jamais, en
fonction d'un processus donné (syphilis, sénilité, etc...) que des formes cliniques au
travers desquelles une même maladie et un même malade peuvent passer. Nous pou-
vons aussi clairement juger pourquoi les maladies mentales, dès que leur nature méca-
no-spécifique n'est plus soutenable deviennent nécessairement des syndromes. Or c'est
1. Le concept de « pseudo » a une fonction générale dans la pathologie, c'est de définir à la fois
quelles sont les « vraies » maladies et combien elles ressemblent aux « fausses ».
63
ÉTUDE N°3
ce double mouvement qui s'est de plus en plus accentué à partir de la fin du XIXe siècle,
l'importance des formes symptomatiques n'a fait que croître avec les progrès des
études étiologiques et la valeur syndromique des maladies mentales est devenu
presque une banalité pratique sinon théorique. Mais il faut aller plus loin et s'il n'est
pas nécessaire de considérer les psychoses comme des maladies, il n'est même pas suf-
fisant de les définir comme des syndromes. Elles constituent des formes morbides dont
l'originalité pathologique est de constituer des anomalies d'évolution de la vie psy-
chique sous l'influence d'une « somatose » , anomalies impliquant la mise en jeu des
forces psychiques qui organisent les « troubles mentaux » , les « maladies mentales »,
les « psychoses », les « névroses » selon les lois propres au niveau de la dissolution
correspondant à l'action du processus organique pathogène.
C'est dans la mesure même où l'on envisage la maladie comme un processus
mécanique simple tout entier donné dans son action, tout entier passivement subi que
l'on se figure les maladies comme des entités en soi. Rien d'étonnant à ce que le mou-
vement mécaniciste psychiatrique se soit pour ainsi dire épuisé dans ses dernières
démarches en persévérant dans un effort stérile pour compartimenter, détailler, morce-
ler la psychiatrie comme il s'était stérilisé en essayant de s'appliquer à pulvériser les
symptômes et à faire des troubles psychiques un schéma statique, mécanique, confor-
me au mécanicisme cartésien.
*
* *
…L'évolution de la L'évolution de la Psychiatrie embourbée dans le mécanicisme au XIXe siècle
Psychiatrie embourbée nous paraît donc dépendre d'un « noxus » primordial, la mauvaise position « carté-
dans le mécanicisme au sienne » du problème des rapports du physique et du moral. Si après notre argumenta-
XIXe siècle nous paraît
donc dépendre d'un
tion un doute persistait, nous renvoyons purement et simplement aux quelque cin-
« noxus » primordial, la quante pages écrites par PEISSE sous le titre Notice historique et philosophique sur la
mauvaise position « car- vie, les travaux et les doctrines de Cabanis, en forme de préface du fameux ouvrage 1
tésienne » du problème et on se convaincra de l'influence qu'a exercée au travers de CABANIS, le cartésianisme
des rapports du physique
et du moral…
1. Rapports du physique et du moral par Pierre, Jean-Georges CABANIS, 8e édition. Baillière, édi-
teur, 1844 - (1ère édition en 1802) - CABANIS, ami de MIRABEAU et de CONDORCET, était un fami-
lier du salon de Mme. HELVÉTIUS où il rencontrait TURGOT, CONDILLAC, VOLNEY, DEGERANDO, LA
ROMIGUIÈRE, etc. Il était à la fois médecin et philosophe de l'école sensationniste. PEISSE nous dit
à ce sujet « qu'il n'avait qu'une connaissance générale et assez incomplète des travaux de ses pré-
décesseurs ». Son érudition philosophie « ne remontait pas plus haut qu'à LOCKE ». « On n'étudie
pas, remarque PEISSE, ce qu'on méprise ». Pour lui, comme pour la plupart de ses contemporains,
l'histoire de la philosophie n'était guère que celle des aberrations de l'esprit humain. Les écrits de
CONDILLAC, de BONNET et des philosophes vivants de la même école, étaient les principales
sources où il puisa les éléments psychologiques de son système. L'ouvrage de CABANIS eut non
seulement un grand retentissement à son époque mais encore une influence profonde sur le déve-
loppement de la science psychiatrique française. Le dogme du matérialiste sensationniste se ../..
64
DÉVELOPPEMENT MÉCANICISTE DE LA PSYCHIATRIE
sur tout le développement de la Psychiatrie qui a glissé vers une conception de la psy-
chopathologie sur le modèle de la mécanique animale.
Naturellement contre cette « mécanisation » toutes les grandes œuvres des cli-
niciens se sont toujours dressées (contre eux-mêmes parfois, quand ils n'ont été que
des théoriciens hasardeux). Qu'il s'agisse d' ESQUIROL, de GRIESINGER, de J.P. FALRET, …ESQUIROL, GRIESINGER,
de MOREL, de MOREAU (de Tours), de KRAEPELIN, de MAGNAN, de SÉGLAS ou de J.P. FALRET, MOREL,
MOREAU (de Tours),
BLEULER, tous ont toujours su retrouver la substance vivante de la folie vue et obser-
KRAEPELIN, MAGNAN,
vée dans sa nature et non déformée par sa réfraction dans la doctrine traditionnelle. SÉGLAS ou BLEULER, tous
Mais un certain nombre de « mouvements » caractérisant la phrase contemporaine de ont toujours su retrouver
l'évolution de notre science ont secoué le joug du vieux mécanicisme. Dans la ligne de la substance vivante de la
folie vue et observée dans
MOREAU (de Tours), de HUGHLINGS JACKSON, les conceptions de P. JANET s'inscrivent
sa nature et non déformée
dans cette salutaire réaction. FREUD, Adolf MEYER, KRETSCHMER en remontant aux par sa réfraction dans la
sources du dynamisme hippocratique ont puissamment contribué à l'affranchissement doctrine traditionnelle…
de la Psychiatrie. Et enfin la phénoménologie et la psychologie structurale de Martin
HEIDEGGER, de JASPERS, de MINKOWSKI, de BINSWANGER, ont remis en honneur l'ana-
lyse psychologique et concrète des maladies mentales qui paraissait définitivement
compromise ou périmée aux yeux d'une psychiatrie devenue purement formaliste et
abstraite.
Pour bien prendre conscience de ce nouvel élan « dynamiste » et lui donner sa
pleine efficacité il faut précisément remonter à la source même de l'erreur du « dua-
lisme cartésien » et trancher une fois pour toutes le nœud gordien. Pour cela il ne suf-
fit pas de dire comme certains psychiatres, et surtout certains psychiatres américains,
que « le physique et le moral » c'est la même chose ou parler de l'unité « somato-psy-
chique », car en même temps que l'on paraît renoncer au dualisme statique on l'énon-
ce de nouveau par la « copule » qui exprime cette solution purement verbale. Il faut au
../.. trouve par lui érigé en une véritable institution. PEISSE, sensationniste également, déploie un
immense effort pour disculper son auteur des reproches de « matérialisme » sans y réussir. Il est
vrai de dire pourtant que si l'ouvrage Rapports du physique et du moral de l'homme est conçu en
conformité absolue avec l'associationnisme, la lettre à M.F. sur les causes premières témoigne,
selon le mot de PEISSE, que CABANIS se tenait « éloigné de l'étroit et absurde matérialisme ensei-
gné dans les livres d'HOLBACH et de la METTRIE ». Mais ce sont les Rapports qui nous intéressent
spécialement ici et qui ont été déterminants. C'est une collection, de douze Mémoires dont les six
premiers furent lus à l'Institut national au cours des ans IV et V. La lecture de cet ouvrage consi-
dérable est assez fastidieuse, il constitue une très longue paraphrase des travaux de CONDILLAC et
des sensationnistes. C'est une sorte d'exposé de la psychologie associationiste telle qu'elle va
devenir la base de ce que l'on appellera plus tard la « psycho-physiologie ». La sensation et l'ima-
ge et leur « degré », l'idée y sont identifiés aux traces cérébrales, au « mouvement moléculaire »
du cerveau de telle sorte que le moral étant de même nature que la physique, il ne s'agit plus que
de déterminer la réversibilité de leur action. La pensée n'est que la sécrétion mécanique par le cer-
veau des phénomènes psychiques, telle est la formule qui devait connaître l'extraordinaire fortu-
ne que l'on sait.
65
ÉTUDE N°3
contraire se faire une idée théorique claire des rapports dynamiques et évolutif ou, si
…il faut se représenter l'on veut, « dialectiques » 1. C'est-à-dire qu'il faut se représenter dans une hypothèse
dans une hypothèse qui
qui doit être féconde que le physique est le substratum nécessaire mais non suffisant
doit être féconde que le
physique est le substra- du psychique, que c'est le mouvement même de la vie qui nous fait passer de l'orga-
tum nécessaire mais non nique au psychique. Le psychisme constitue dans cette perspective la forme supérieu-
suffisant du psychique, re de notre existence en tant qu'intégration de nos fonctions organiques. Le sens de la
que c'est le mouvement
folie alors apparaît aisément, elle est ce trouble de la vie psychique, cette dissolution
même de la vie qui nous
fait passer de l'organique de ses structures qu'entraîne un trouble du substratum organique. Il n'y a pas lieu de se
au psychique… demander si la maladie mentale est purement psychogène, elle ne l'est pas. Il n'y a pas
lieu de se demander si elle est purement physique, elle ne l'est pas. Elle est une moda-
lité inférieure de la vie psychique troublée dans et par son propre substratum orga-
nique. Elle est organiquement conditionnée et psychiquement structurée, par consé-
quent psychogenèse et mécanicisme sont également faux et à renvoyer dos à dos en
tant qu'ils représentent les deux termes antinomiques du « dualisme cartésien ». Le
« monisme » n'est pas plus satisfaisant que le « dualisme ». Il faut renoncer à l'un
comme à l'autre et les dépasser. Ce n'est qu'à ce prix que se peut arracher la Psychiatrie
aux tenailles qui l'enfermaient nécessairement dans un « mécanicisme intégral » faute
de pouvoir aisément s'orienter vers une « psychogenèse pure ».
Ainsi peut s'ouvrir largement la voie d'une Psychiatrie organo-dynamiste fon-
dée non plus sur le dualisme cartésien mais sur une conception dynamiste et dialec-
tique des rapports des structures vitales et des structures psychiques, de l'Organisme et
de l'Esprit.
66
Étude n° 4
1. Folie et valeurs.
LA POSITION DE LA PSYCHIATRIE
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
DANS LE CADRE
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de De Clérambault.
67
ÉTUDE N°4
68
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
Le caractère irritant et vain de cette discorde procède du terrain mal assuré sur
lequel elle se déroule et qu'acceptent également ses protagonistes : l'absurde concep-
tion qui dans le domaine de la psychopathologie considère que « maladie organique »
et « psychisme » sont deux termes qui s'excluent dans la notion (dès lors contradic-
toire) de maladie mentale.
Essayons de nous placer sur le terrain même où s'opposent ces deux conceptions.
L'une plaide l'origine « purement psychique » des variations pathologiques qu'étudie
la psychiatrie. L'autre identifie « purement et simplement » le trouble psychopatholo-
gique à un « simple accident anatomophysiologique ». On nomme les partisans de la
première théorie « psychistes », « psychologues » ou mieux « psychogénétistes », car
ils défendent ce que l'on est convenu d'appeler la psychogenèse des « maladies men-
tales ». On nomme les seconds « organicistes » ou « somatistes » ou mieux « méca-
nicistes 2 », en tant qu'ils défendent, le caractère « purement physique » des « mala-
dies mentales ».
1°) THÈSE PSYCHOGÉNÉTISTE : La « maladie mentale » doit, selon elle, être consi- …Dans la thèse psycho-
dérée comme une variation déterminée par des facteurs exclusivement « psychiques ». génétiste, la « maladie
Ce sont par exemple des facteurs inconscients pathogènes (FREUD) ou des influences mentale » est mentale
deux fois, une fois dans
de milieu (suggestion dans la théorie de BABINSKI, réactions aux situations vitales
ses symptômes et une fois
comme dans la théorie d'Adolphe MEYER ou d'ADLER). La « maladie mentale » est dans son étiologie…
mentale deux fois, une fois dans ses symptômes et une fois dans son étiologie.
Prenons, par exemple, un cas d'un délire hallucinatoire. Voici une malade qui se
plaint d'être « hypnotisée », « envoutée » par un homme dont la « voix » l'importune
en pénétrant dans toutes ses pensées. Il lui tient des propos orduriers et obscènes et lui
envoie des sensations sexuelles, affreuses ». Un tel état psychopathologique, dit-on,
n'a rien à voir avec les méthodes et les notions habituelles de Médecine générale. Ici
tout est psychique et relève entièrement de la compréhension psychologique : cette
femme a refoulé ses désirs sexuels, ses « pulsions » dans son inconscient et elles trans-
paraissent sous forme de délire hallucinatoire, elles sont projetées. Comprendre sa
psychose c'est l'expliquer.
Prenons un autre exemple qui mette encore mieux en évidence la position des psy-
chogénétistes à l'égard de la Médecine. Il s'agit cette fois d'une jeune fille immobili-
1. Ce néologisme est certes bâtard mais il nous paraît trop expressif pour devoir y renoncer.
2. Il importe à ce sujet de dissiper cette ambiguïté, car, comme nous le verrons plus loin, on peut être
partisan d'une théorie « organiciste » de la Psychiatrie sans tomber dans l'excès du « mécanicisme ».
69
ÉTUDE N°4
sée par une paralysie complète des membres inférieurs mais sans aucun signe « objec-
tif » de lésion de la moelle. Nous l'hypnotisons et lui suggérons qu'elle peut marcher.
Elle guérit et au cours de l'hypnose nous apprenons qu'elle préférait rester « clouée sur
place » plutôt que de se marier. Il s'agit d'une « fausse maladie », ses troubles étaient
« purement psychique ». Il y a un abîme (BABINSKI) entre cette paralysie et une para-
lysie « organique », car si c'est psychique ce ne peut être organique et inversement.
Ainsi aux yeux des «psychogénétistes » de telles variations anormales de la vie
psychique relèvent de la motivation psychologique, elles doivent être l'objet d'une
analyse compréhensive au sens de JASPERS et d'une thérapeutique psychique. Par là la
Psychiatrie apparaît comme le champ de ces variations psychiques ou « fonction-
nelles » qui « n'ont rien à voir » avec la pathologie générale. On « corse » cette posi-
tion parfois de quelques sarcasmes à l'adresse de ces Psychiatres de la vieille école qui
s'obstinent à considérer qu'il n'y a pas seulement un jeu de mot dans la notion de
« maladie » mentale.
Nous ne désirons pas trop insister ici pour montrer que cette conception ne tend à
…aucune psychogénèse
intégrale ne pourrait rien moins qu'à ôter du « trouble » son caractère pathologique, car aucune psychogé-
expliquer pourquoi chez nèse intégrale ne pourrait expliquer pourquoi chez tel sujet l'inconscient ou telle situa-
tel sujet l'inconscient ou tion deviennent « pathogènes ». Elle sera toujours contrainte à réintroduire le « fac-
telle situation deviennent
teur organique » dont elle prétend si légèrement se passer...
« pathogènes »…
…Elle sera toujours Ce que nous voulons par contre souligner c'est que dans une telle perspective la
contrainte à réintroduire Psychiatrie se confond avec la Psychologie, c'est-à-dire avec l'étude des « réactions »
le « facteur organique » ou des « situations » ou des « mécanismes » purement psychologiques et perd par
dont elle prétend si légè-
conséquent, avec toute autonomie, tout droit d'existence. La « maladie mentale » n'est
rement se passer...
pas une maladie.
70
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
l'euphorie pathologique, un accès d'anxiété, une idée délirante, une hallucination sont
uniquement et directement le produit d'un trouble pathologique localisé des centres
nerveux tout au plus admet-elle comme un « épiphénomène » un certain « contenu »
psychologique, contingent, des troubles neurologiques « basaux » : la méningo-encé-
phalite syphilitique créée de l'euphorie et de la mégalomanie comme l'intoxication
alcoolique provoque par ses excitations sensorielles des zoopsies. En fait, les symp-
tômes qui constituent la « maladie mentale » apparaît comme une sorte d' « artefax »,
de corps étranger. La maladie Paralysie Générale, c'est l'encéphalite syphilitique. Tout
le reste n'est que « contingence » et sans intérêt.
Revenons, par exemple, au cas du délire hallucinatoire auquel nous faisions allu-
sion plus haut. En fait, dit-on, cette malade a des lésions cérébrales qui déclenchent au
niveau de ses centres corticaux un automatisme anormal, des sensations anormales,
des perceptions sans objet. Elle a des hallucinations et des troubles de la sensibilité
générale, qui font partie si intimement d'un processus de névraxite que c'est lui qui
cause directement et immédiatement ses hallucinations dans le mécanisme desquelles
n'interviennent que le siège et l'intensité de son action pathogène. – Revenons à notre
hystérique, il ne s'agit pas d'une paralysie, certes, mais en fait il s'agit d'une affection
neurologique « plus haut située », plus « fonctionnelle », c'est une atteinte des centres
psycho-moteurs, d'où l'aspect pseudo-volontaire de la contracture ou de la paralysie.
Sans doute certains. facteurs « psychiques » peuvent occasionnellement intervenir,
notamment l'émotion, mais c'est en provoquant un trouble fonctionnel des centres cor-
ticaux 1. Ainsi dans tous les cas il n'y a pas de psychisme qui entre dans l'élaboration …[Dans le mécanicisme]
et la structure des troubles. Toute psychose est soigneusement expurgée de toute struc- toute psychose est soi-
ture psychique. Elle n'est plus qu'une forme vide identifiée avec le processus qui l'en- gneusement expurgée de
toute structure psychique.
gendre. Même dans le cas où en se trouve en présence d'un délire il ne faudra pas
Elle n'est plus qu'une
« perdre son temps » à le parcourir « en long et en large », à l'approfondir. Rien n'est forme vide identifiée avec
plus « ennuyeux » ni plus « inutile ». Il faut bien plutôt se demander de quelle tumeur le processus qui l'en-
cérébrale, de quelle induction, de quel trouble hormonal il provient. Tout se résume à gendre…
cela, car le délire lui-même ne représente rien d'autre que l'effet direct de ce processus
sur les divers centres idéo-sensoriels ou psycho-moteurs du cerveau. Ainsi l'objet de
la Psychiatrie n'est pas autre chose que celui de la Pathophysiologie ordinaire. Cet
objet « n'a rien à voir » avec le psychisme. On ne saurait sans scandale mêler les fac-
teurs psychiques et les troubles physiopathologiques à quoi se réduisent les psychoses.
71
ÉTUDE N°4
Quant à la méthode, loin également de toute analyse psychologique « qui coupe les
cheveux en quatre » ce qu'il faut, c'est perfectionner les méthodes anatomo-clinique,
physiologique, expérimentale qui, ayant si bien réussi à Claude BERNARD pour étudier,
les fonctions du foie, doit encore servir au médecin pour déterminer les fonctions iso-
lées du cerveau et leurs troubles dont la mosaïque constitue ce qu'on appelle par un
abus évident des « Psychoses ».
…Dans une telle pers- Dans une telle perspective la « maladie mentale » est physique deux fois dans ses
pective la « maladie symptômes qui sont mécaniquement formés et dans son étiologie. Elle perd sa struc-
mentale» est physique
ture psychique, elle n'est qu'une maladie du viscère cérébral et la psychiatrie se
deux fois dans ses symp-
tômes qui sont mécani-
confondant avec la neurologie perd tout droit à l'existence. La « maladie mentale »
quement formés et dans n'existe pas, elle est « une maladie » comme les autres1.
son étiologie... Pour achever de décrire cette violente opposition de doctrines qui volatilise la
Psychiatrie dans l'étau d'un dilemme entre les termes desquels il n'y a pas de place
pour elle, nous devons nous attarder quelque peu à considérer le cadavre de la
Psychiatrie et la falote silhouette du psychiatre passé dans ce laminoir.
La Psychiatrie n'existe ni pour les uns, ni pour les autres. En tant qu'aspect pur et
simple de la pathologie générale elle est rejetée par les psychogénétistes. En tant que
« pure psychologie » elle est niée par les mécanicistes. Mais pour tous, elle n'est éga-
lement qu'un mythe dans la mesure même où la notion de « maladie mentale » leur
apparaît à chacun en tant qu'il répudie un des termes qui la constitue comme une
« contradictio in adjecto ». Le délire hallucinatoire est une forme « réactionnelle » de
la vie psychique et non pas une maladie entrant dans le cadre de la pathologie géné-
rale pour les Psychogénétistes. C'est une production mécanique de symptômes par la
syphilis ou une tumeur cérébrale et non pas une « maladie mentale » aux yeux des
Mécanicistes... Ceci donne l'occasion d'entendre parfois dans les milieux de
Neurologie et de Psychiatrie des réflexions d'une naïveté savoureuse. Recueillons
quelques « perles » de ce florilège ou plutôt de ce « sottisier ». Ce savant professeur
dit : « De deux choses l'une ou c'est organique et ce n'est pas psychique ou c'est psy-
chique et ce n'est pas organique ». Dans une société savante, on présente un délire au
cours d'un état crépusculaire épileptique et un ardent contradicteur s'écrie : « Je ne
comprends pas, vous expliquez ce délire en faisant intervenir l'inconscient et c'est un
1. Nous aurions pu craindre de nous voir accusé de dresser de toutes pièces l'argumentation que
nous entendons combattre comme pour en mieux triompher. Fort opportunément, Mr HARTENBERG
en écrivant son article intitulé : Il n'y a pas de maladies mentales, (Presse Médicale, 1er novembre
1947) et en y développant par avance toute l'argumentation de la thèse mécaniciste nous soustrait
au reproche de lutter contre des moulins à vent... Dans la réponse de M. GELMA (Presse Médicale,
3 janvier 1948) c'est le deuxième terme de l'a1ternarive cartésienne qui une fois de plus reparaît
avec la notion de maladie mentale ou maladie « sine materia ». Éternel balancement...
72
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
épileptique. C'est donc organique et ça n'a rien ,à voir avec l'inconscient ». Un neuro-
logiste soucieux de garnir son service de malariathérapie s'insurge contre le placement
des P. G. dans les hôpitaux psychiatriques. « La P. G. étant une méningo-encéphalite
syphilitique, qu'a-t- elle à voir avec la Psychiatrie ?» – Un médecin s'étonne que des
épileptiques soient placés dans un asile avec des délirants. « je ne comprends pas, un
délire c'est de l'imagination, bon ! je comprends que vous le preniez, c'est pour vous.
Ça n'a pas de réalité. C'est purement psychique. » – Dans un service de neuro-chirur-
gie on s'indigne. « Ils ont fait le diagnostic de confusion mentale et l'ont interné et
c'était une tumeur cérébrale ! » Ou encore et inversement: « C'est une simple réaction
psychogénétique due aux événements », c'est une inadaptation à une situation vitale
qui n'a rien à voir avec la médecine somatique », etc. Et voilà comment, faute de se
voir reconnaître un objet précis à sa science par une saine notion de la « maladie men-
tale », la Psychiatrie se voit réduite soit à n'être qu'une vague fumée philosophique, un
flux verbal sans réalité ou une orthopédie morale, soit à être confondue avec l'étude
des déterminants organiques des troubles qu'elle vise. Placée entre ces deux termes
contradictoires elle perd toute substance, toute consistance et toute vie.
Mais qu'est donc le psychiatre qui a ainsi perdu l'objet propre de sa science ? Eh …Mais qu'est donc le psy-
bien ! il subit le même sort et il disparaît. Il s'évanouit accablé sous les sarcasmes ou chiatre qui a ainsi perdu
l'objet propre de sa scien-
torturé par sa propre perplexité quand, s'engageant lui-même dans l'étau du dilemme
ce ? Eh bien ! il subit le
mécano-psychiste, il se fait « hara-kiri ». Tantôt il se réfugie dans une fausse psychia- même sort et il disparaît…
trie « purement médicale » où il consume son complexe d'infériorité à la recherche de …Tantôt il se réfugie dans
la pierre philosophale, sans se consoler du paradis « vraiment médical » perdu. – une fausse psychiatrie
« purement médicale»…
Tantôt, renonçant à être médecin, il devient redresseur de torts, directeur de conscien-
…Tantôt, renonçant à être
ce, psychohygiéniste, orienteur professionnel, psychotechnicien quand il ne s'engage médecin, il devient redres-
pas dans les spéculations philosophiques à la recherche de l'absolu, jonglant avec des seur de torts, directeur de
mots, jouant avec des bulles de savon et collant des étiquettes auxquelles il croit à conscience, psychohygié-
niste, orienteur profes-
peine, car « son royaume n'est pas de ce monde ». – Tantôt enfin il se détourne de tant
sionnel,...
de difficultés et de mystères pour se réfugier dans un dilettantisme délicat et désabusé...
73
ÉTUDE N°4
grande partie responsable de son succès chez les gens cultivés et très probablement les
médecins, mais elle ne fait qu'exprimer une intuition simpliste et quasi-universelle
celle d'une séparation, d'une simple juxtaposition de la matière et de l'esprit, du mode
de l'étendue et du mode de la pensée comme s'il s'agissait des deux termes d'une
essentielle contradiction. Cette doctrine de la transcendance est l'idée fondamentale
du parallélisme et elle paraît satisfaire à la fois le « matérialisme moyen » qui pense
le psychique comme un simple épiphénomène et ne s'en soucie plus et le « spiritua-
liste moyen » qui, après une vague génuflexion à l'adresse de l'Esprit, s'empresse à
l'orgie du mécanicisme, se tenant pour garanti par l'abîme que son dualisme établit
entre l'âme et le corps, contre toute intervention du principe « spirituel » autre que
« surnaturelle ». Mais l'accord entre matérialistes et spiritualistes n'est pas seulement
de surface et d'irréflexion, il est en un certain sens plus profond. Les uns et les autres
adoptent le parallélisme. Pour les uns il s'agit de deux PLANS parallèles. Pour les autres
il s'agit de deux faces du même PLAN. A cette différence près la conception reste la
même qui ou bien développe les deux ordres d'existence en séries parallèles de telle
…Un trait reste égale-
ment commun à ces deux sorte que seule importe la série mécanique, l'autre restant d'un autre monde, – ou bien
manières de voir qui pro- envisage la réalité selon deux perspectives différentes, deux « façons de parler » et
cèdent de la même rejette l'une dans le pur verbalisme et l'autre dans la pure mécanicité. Un trait reste
erreur : c'est l'absence de
également commun à ces deux manières de voir qui procèdent de la même erreur :
développement dyna-
mique, de mouvement c'est l'absence de développement dynamique, de mouvement génétique et dialectique
génétique et dialectique entre le physique et le moral. Pour les uns comme pour les autres la vie psychique ne
entre le physique et le se déploie pas.
moral…
Or, c'est précisément cette perspective dynamiste et vitaliste, qui fait également
…Pour les uns comme
pour les autres la vie psy- défaut à ces théories, qu'il faut introduire dans le vertigineux problème qui nous occu-
chique ne se déploie pe. Ce n'est que dans cette nouvelle position du problème des rapports du physique et
pas… du moral que nous arracherons la Psychiatrie au dilemme psychiatricide qui l'étrangle.
Et cette position peut se résumer d'un mot : elle substitue au monisme ou au dualisme
l'idée des rapports d'une vivante dialectique entre l'infrastructure vitale et la super-
structure psychique de la personne 1.
Nouvelle position? Oh! c'est une façon de parler, car elle est aussi vieille que le
monde. On en suit les modalités diverses de présentation au travers les philosophies
d'ARISTOTE, de SAINT THOMAS et, plus près de nous, de HEGEL et de BERGSON. Elle est
inséparable en médecine du véritable esprit hippocratique.
Entre le physique et le « moral » il y a la vie. C'est dire que les rapports du phy-
sique et du moral ne sont pas des rapports de contiguïté, ne se situent pas dans un
parallélisme de plans ou de faces, mais qu'ils doivent être envisagés dans une pers-
pective plus naturelle comme des formes d'évolution de la vie. C'est comme deux
74
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
aspects formels de ce mouvement qui s'inscrit dans l'histoire d'un organisme qu'il y a
lieu de concevoir la vie organique et la vie psychique, non point séparées, non point
juxtaposées, mais l'une étant engendrée par l'autre, par son épanouissement, sa
« vivante dialectique ». Si la nature, envisagée plutôt comme « naturante » que comme
« naturée » ne fait pas de sauts, elle se déploie cependant en structures de réalité telles
qu'elles constituent une hiérarchie allant du monde physique au monde organique et
du monde organique au monde psychique sans qu'il soit possible d'expliquer entière-
ment les formes supérieures par les échelons inférieurs. Sans pouvoir ici tracer la cour-
be complète de cette évolution, pour le moment il nous suffira d'en définir le sens 1.
Tout se passe comme si les fonctions organiques s'intégraient par l'action. du sys-
tème nerveux dans des cycles fonctionnels constituant une forme, une organisation par
quoi l'organisme, se retirant de plus en plus de l'emprise immédiate du milieu externe,
s'incorporant l'expérience passée, prenant une sorte de distance à l'égard des condi-
tions extérieures du présent, crée une causalité interne: le psychisme. Cette vie psy-
chique, profondément engagée dans la morphologie même du système nerveux, tend
à s'en dégager par une activité qui ne parvient toutefois jamais à s'en affranchir tota-
lement. Ainsi se constituent des automatismes des fonctions associatives et verbales et
aussi un système de valeurs, fonction du développement historique de la personnalité
qui entrent en jeu dans les opérations d'intégration de la conscience et de la volonté. …Cet édifice, ce progrès
Ainsi s'échafaude la personnalité qui doit être conçue comme une trajectoire contenant fonctionnel profondément
enraciné dans l'activité
des instances virtuelles et inconscientes. Cet édifice, ce progrès fonctionnel profondé-
organique se déploie dans
ment enraciné dans l'activité organique se déploie dans les formes supérieures de la les formes supérieures de
vie psychique selon un élan propre, celui de la liberté. Le psychisme en tant qu'il est la vie psychique selon un
et constitue la forme d'organisation personnelle et adaptée, enveloppe et contient l'or- élan propre, celui de la
liberté….
ganisme dont il émane mais qu'il dépasse.
1. Cf. notre travail « Troubles nerveux et système nerveux », Évolution Psychiatrique, 1947, no 1.
75
ÉTUDE N°4
Mais d'autres variations peuvent être introduites dans le système fonctionnel psy-
chique. Elles proviennent du « poids » de l'organisme, de ses perturbations et notam-
ment des altérations cérébrales qui altèrent le mouvement spirituel de l'être.
Voyez cet homme: il pense et agit, il est adapté au réel, fait son métier, converse
avec ses semblables, s'applique, réfléchit. Mais que se passe-t-il? Sa pensée se trouble,
son psychisme se distend, il n' « y est plus », ses paupières se ferment, son tonus s'ef-
fondre, il s'endort. Et sa pensée retirée du pôle de l'action régresse, se dissout, sa
conscience troublée se remplit de fantasmes, reflue vers l'inconscient. Et c'est le rêve.
Voyez maintenant cet autre, il était bien adapté, capable de travail, sa pensée était
nette et juste, mais sa conscience a perdu sa netteté, le monde du rêve envahit sa pen-
sée encore vigile mais amoindrie. Il projette son inconscient dans la réalité. Il délire.
Et c'est la folie.
Tel est le schéma fondamental de la « maladie mentale » de toute « maladie men-
…car la folie est une tale», car la folie est une forme, à aspects multiples, de niveaux variés de la dissolu-
forme, à aspects mul- tion hypnique décontractée, ralentie et organisée selon ces modalités typiques d'évo-
tiples, de niveaux variés
lution qui constituent les Psychoses et les Névroses 1.
de la dissolution hyp-
nique décontractée, Les psychoses (et pour ne pas compliquer nous assimilerons ici celles qui pro-
ralentie et organisée viennent d'un arrêt du développement et celles qui expriment une dissolution d'un édi-
selon ces modalités fice qui a atteint son développement, de même que nous envisagerons les névroses et
typiques d'évolution qui
les psychoses comme des niveaux simplement différents de « maladies mentales »)
constituent les Psychoses
et les Névroses… sont donc des « maladies » en ce qu'elles sont déterminées par un processus morbide
organique qui dépend de la pathologie générale et elles sont « mentales » en tant
qu'elles représentent des types de régression de la vie psychique.
Nous voyons maintenant par ce changement radical de perspective que discuter
sur la causalité « psychique » ou « organique » de telle ou telle forme de différencia-
tion de la vie psychique, cela revient à discuter sur le caractère normal ou morbide de
cette variation. Mais la « batrachomyomachie psycho-organique » appliquée à l'inté-
rieur du champ de la psychopathologie est absurde, car toutes les « maladies men-
tales » (comme le rêve est conditionné par le sommeil) sont déterminées par des pro-
cessus organiques pathogènes qui altèrent l'être psychique.
Et c'est pourquoi la Psychiatrie est une branche de la médecine.
Mais la « maladie mentale » est une bien étrange maladie. Elle ne se résume pas
en effet dans le processus générateur (la syphilis dans la P. G.). Elle représente une
forme de régression de la vie psychique. Sa structure est complexe. Elle comprend un
aspect négatif : Absence et altération des fonctions supérieures atteignant un degré
plus ou moins profond et un aspect positif : la nouvelle organisation de la vie psy-
76
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
NATURE ORGANIQUE ».
Les maladies organiques sont des menaces à la vie, les « maladies mentales » …Les maladies orga-
sont des atteintes à la liberté. Et ceci rend compte de ce fait que l'aspect le plus niques sont des menaces
à la vie, les « maladies
caractéristique de la Psychiatrie est médico-légal. En effet le processus morbide en
mentales » sont des
entravant, en dissolvant l'activité psychique, amoindrit la liberté et la responsabilité atteintes à la liberté. Et
du malade mental. Une telle vérité d'évidence est cependant méconnue parfois par ceci rend compte de ce
des psychiatres qui ne voient pas clairement que le propre de l'activité psychique fait que l'aspect le plus
caractéristique de la
étant l'intégration des fonctions dans une série d'actes de plus en plus indéterminés,
Psychiatrie est médico-
elle ne peut se définir que par la marche vers la liberté, l'autonomie de la raison et légal…
de la personnalité, tandis que le propre des « maladies mentales » est justement, en
la faisant régresser, de « sous-intégrer » l'activité psychique dans des cycles de plus
en plus automatiques et déterminés. La psychiatrie est une pathologie de la liberté,
c'est la Médecine appliquée aux amoindrissements de la liberté. Toute psychose et
toute névrose est essentiellement une somatose 2, qui altère l'activité d'intégration
personnelle (conscience et personnalité). La Psychiatrie est, à cet égard, la
Pathologie de la liberté.
1. L'aliénation qui en représente seulement l'aspect le plus total n'est en quelque sorte qu'un
concept abstrait et limite, car aucun de nos malades n'est complètement « étranger » à l'humanité.
2. C'est la conclusion à laquelle parvient également P. HABERLIN ( « Der Gegenstand der
Psychiatrie », Archives suisses de Neurologie et Psychiatrie, 1947, 60, p. 132-144) au terme de son
excellente et pénétrante analyse de la notion de maladie mentale. – C'est dans ce sens également que
conclut l'étude si réfléchie et documentée de ERIK ESSEN MÜLLER (« Uber den Begriff des Funktionel
und organischen in der Psychiatrie », Acta Psychiatrica, 1943). Il dénombre dans le concept de
maladie organique quatre sens (somatose – affection centrale – hétérogénéité à l'égard du psychis-
me normal – non conditionnement psychologique). Ces critères varient dans leur proportion, selon
le niveau des troubles mentaux considérés, mais les uns ou les autres existent toujours.
77
ÉTUDE N°4
V . – Neurologie et Psychiatrie.
Ce que nous venons de dire notamment de la structure dynamique des psychoses
peut paraître s'appliquer à certains aspects des troubles neurologiques. Les rapports de
la Neurologie et de la Psychiatrie ont fait l'objet ailleurs d'une discussion très appro-
…Le déploiement, l'évo- fondie 1. Contentons-nous de préciser ici notre position. Le déploiement, l'évolution,
lution, la dialectique des la dialectique des fonctions neuro-psychiques suppose l'organisation, inscrite généra-
fonctions neuro-psy- lement dans l'anatomie du système nerveux – de fonctions – qui, relativement aux
chiques suppose l'organi-
intégrations supérieures et globales dont elles sont l'objet quand le système fonction-
sation…
nel est complètement « mûr » et parvenu au terme de son évolution, se comportent
comme des fonctions basales élémentaires et instrumentales. Un processus cérébral
peut les atteindre « isolément » et entraîner ainsi leur désintégration. Ce genre d'acci-
dent, le seul qui soit unanimement reconnu comme constituant un fait neurologique
est différent des dissolutions globales et apicales des fonctions d'intégration globales
et supérieures qui constituent les opérations de la vie psychique la plus organisée. Ces
dissolutions globales apicales sont les « maladies » mentales telles que nous les avons
définies et sont l'objet de la Psychiatrie. Ainsi notre organicisme est garanti contre la
thèse mécaniciste qui confond purement et simplement Neurologie et Psychiatrie.
Pour nous, une névrose, comme une psychose, est avant tout une somatose. Nous
repoussons donc l'idée fausse d'une séparation radicale entre les « maladies orga-
niques » et les « maladies mentales ». Mais nous ne saurions cependant souscrire à
cette autre idée fausse que la pathologie organique et la pathologie mentale se confon-
dent purement et simplement ; soit qu'avec les mécanicistes, nous les fassions coïnci-
der l'une et l'autre par la production également mécanique des symptômes qui consti-
tuerait au fond de la même manière l'infarctus pulmonaire ou la schizophrénie ; soit
qu'avec certains « psychosomatistes », nous considérions la maladie de BÜRGER et
l'hystérie comme ressortissant du même mécanisme « de conversion 2 ».
1. Pour le moment nous nous contentons de renvoyer simplement à la discussion qui nous a oppo-
sé à J. de AJURIAGUERRA et à H. HÉCAEN (Les rapports de la Neurologie et de la Psychiatrie, Édit.
Hermann, Paris, 1947). [NdÉ : rééd. Hermann, Paris, 1998]
2. L'École « psychosomatique » ou « psycho-somatique » ne répudie souvent le dualisme que
pour le remplacer par un principe aussi faux, celui de l'unité ou de la totalité, ce qui la conduit à
une solution purement verbale et à une véritable confusion de plans.
« Un-malade-qui-vomit » toutes les fois qu'il prend un potage chez son frère n'est pas le même
selon que le médecin découvre qu'on lui sert à son insu chez celui-ci, une semoule à l'égard de
laquelle il est (ou son estomac est) intolérant – ou que le psychiatre découvre que c'est un hysté-
rique qui exprime par son vomissement névrotique qu'il ne peut « tolérer » son frère…/…
78
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
…/… Réfléchissons un peu sur ces cas cliniques grossiers et de pratique constante sous mille et
mille aspects variés. Ce qu'il y a de commun entre ces deux aspects de la pathologie, c'est que l'un
et l'autre trouble est déterminé par un certain désordre somatique. Pour le vomissement « orga-
nique » il s'agit d'un désordre neuro-végétatif (dans la constitution duquel entre d'ailleurs certai-
nement une part instinctivo-complexuelle) mais qui reste de l'ordre d'un trouble essentiellement
physiologique et en quelque sorte, comme dit HÄBERLIN (Archives Suisses de Neurologie, 1947)
« périphérique ». Pour le vomissement « névrotique » sa pathogénie le situe sur un autre plan,
celui de l'organisation névrotique de la personnalité. Mais cette « organisation défectueuse », cette
– « inorganisation congénitale » ou cette « désorganisation acquise » est, à son tour, une somato-
se et ne peut être qu'une somatose. – Voyons ce qu'il y a de différent : c'est que l'une et l'autre affec-
tion ne se situent pas sur le même plan d'organisation ; l'une se joue sur celui de la vie « végétati-
ve », pour si soudée qu'elle soit à la dynamique des instincts et des aspects, et l'autre se joue sur
celui de la vie de relation, celui pas lequel l'être s'ouvre au monde. Il s'agit de structures différentes.
Tel est le sens concret que nous entendons donner et conserver à une distinction, qui nous
paraît nécessaire, entre la Pathologie « organique » et la Pathologie « mentale », sans tomber
dans les absurdités du dilemme « cartésien ». Mais si nous entendons sortir des difficultés du
« dualisme », ce n'est pas, répétons-le, pour tomber de Charybde en Scylla, dans la confusion du
« monisme ». Il suffit de lire par exemple les réflexions si consciencieuses et si sérieuses de
JOSEPH PERLSON (Journal of Nervous and Mental Disease, 1944, 100, pp. 606 à 612) et ses efforts
pour échapper au « dilemme des concepts étiologiques de maladie mentale et organique », pour
se convaincre que le « principe de totalité et d'unité » constitue chez la plupart des « psychoso-
matistes » une solution très a à la mode, certes, mais purement verbale. Sans cesse reparaît sous
leur plume la « dualité » ou si l'on veut la « variété », qu'ils voudraient bannir de « l'unité » de
l'organisme. C'est que, qu'on le veuille ou non, l'organisme n'est pas un « tout » homogène, il est
organisé et c'est comme une organisation de structures « comme un certain ordre composé » qu'il … C'est que, qu'on le
s'offre à nous. C'est pourquoi, malgré les efforts de ceux qui ne cessent de nous parler d'unité et veuille ou non, l'organis-
de réversibilité, ou encore de leur « indifférence à l'égard de toute différenciation » on ne saurait, me n'est pas un « tout »
en définitive, situer sur le même plan la pathologie organique et la pathologie mentale : elles ont
homogène, il est organisé
pour objet des somatoses de structures différentes.
et c'est comme une orga-
Pour une compréhension plus complète de toute cette discussion il faudrait se reporter aux tra-
vaux de DUNBAR, de WEISS et d'ENGLISH, connus de tous, au livre de ZILBOORG et HENRY (A History nisation de structures
of Medical Psychologie, New-York 1941), à celui de STANLEY COBB (La frontière de la Psychiatrie, « comme un certain ordre
Harvard Press, Cambridge, Massachusetts, 1943), etc. Chez nous, L'Évolution Psychiatrique composé » qu'il s'offre à
(1948) a discuté à plusieurs reprises de ce problème (NACHT, PARCHEMINEY) et nous avons eu l'oc- nous…
casion d'y préciser notre position (notamment dans l'analyse de la « Patologia Psicosomatica »
publiée par la Société de Psychanalyse de Buenos-Aires sous la direction de ARNALDO RASCOVSKY,
dans notre récent travail « Objet et limites de la Psychiatrie », Semaine des Hôpitaux, juin 1951
[NdÉ: 1710: 27-39. Voir aussi Info.Psy. 1972, 48 1: 37-45] et dans le chapitre « Psychiatrie et
Médecine psycho-somatique » de la « Somme de Médecine contemporaine » dirigée par LERICHE).
[NdÉ: Leriche, Mondor, Debré et coll.: in tome 2: La pathologie, 1952, 465p.]
79
ÉTUDE N°4
constitue une maladie organique différente d'une manie pour autant que. celle-ci
admette des « facteurs organiques » – et elle en admet. Et cette différence ne dépend
pas seulement du « lieu affecté »1 de l'organe atteint, elle dépend d'une structure dif-
… D'où il résulte claire-
ment que la neurologie férente des troubles : ici perturbation des fonctions végétatives (ou même
dans ce nouvel aspect de sensori-motrices) intégrées dans le substratum vital de l'organisme, là altération de
la question se rapproche l'activité psychique en tant que forme d'intégration. D'où il résulte clairement que la
davantage de la « patho-
neurologie dans ce nouvel aspect de la question se rapproche davantage de la « patho-
logie organique de l'in-
frastructure » que de la logie organique de l'infrastructure » que de la « pathologie organique de la super-
« pathologie organique structure psychique ». Ainsi nous ne confondons pas la Psychiatrie et la Médecine
de la superstructure somatique générale, fût-elle « psychosomatique ».
psychique….
1. Nous examinerons ce problème dans nos Études N°6 et N°7 notamment et il a fait l'objet de
notre réunion de 1945 à Bonneval (La psychogénèse des troubles psychiques, 1950), [NdÉ: H.Ey
a du ajourner ce colloque prévu en 1944 puis 1945, daté de 1946 dans ses C.R. (voir p.85). J.
LACAN date, par contre, son exposé de sept. 47. Publié en 50 chez DDB, rééd. Tchou, 2004].
L'article de J. REID, The concept of Psychogenesis, Amer. J. of Psych., avril 1948, montre que
plus qu'on le dit ou qu'elle le croit, l'École Américaine est préoccupée de ce problème central.
2. Cf. p. 133 à 135.
80
LA NOTION DE « MALADIE MENTALE »
(rôle pathogène du trauma psychique, de la « Urszène »), et la considération des chocs … la Gestaltpsychologie,
émotionnels engendrés par les situations, sont à la base de la Psychiatrie américaine, le behaviourisme, […]
tout imprégnée de l'importance attribuée par Adolf MEYER à la « Sociogenèse ». Pour une certaine conception
archaïque de la psycha-
nous, nous ne saurions même sous le poids d'une si écrasante autorité nous plier à cette
nalyse […], et la considé-
manière de voir, qui prend les effets des « maladies mentales » pour leurs causes... ration des chocs émotion-
Pour si importants, et nous l'admettons comme une évidence que soient ces facteurs nels engendrés par les
de milieu (la configuration sociale des troubles mentaux, leur inclusion dans une struc- situations, sont à la base
de la Psychiatrie améri-
ture familiale ou un développement « historique » d'événements) notre observation
caine…
clinique, et l'hypothèse théorique qui en découle, nous interdisent de voir dans les dif-
ficultés, les « maladjustments » à la vie sociale, des causes de troubles qui nous parais-
sent leur préexister, leur survivre, ou mieux encore les conditionner. Ce renversement
de perspective qui exige le courage d'aller contre une certaine « mode » actuelle, nous
paraît nécessaire, si la Psychiatrie veut rester appliquée à son objet, pour si étendu
qu'on le conçoive dans la pratique et pour si humain qu'il soit dans son essence. Il y a …Il y a dans le trouble
dans le trouble mental pour nous, quelque chose de plus profond que ces variations de mental pour nous,
quelque chose de plus
comportement que nouent ou dénouent les « fonctions de la vie de relation » à la sur-
profond que ces varia-
face de notre être. C'est le propre du trouble mental en effet que de désadapter l'indi- tions de comportement
vidu dans le groupe. Mais sa désadaptation dépend du trouble, elle ne le détermine que nouent ou dénouent
pas. Nous ne confondons pas la Psychiatrie avec la Psychologie ou la les « fonctions de la vie
de relation » à la surface
Psychosociologie même « psychanalytiques ».
de notre être…
VIII.– Conclusions.
La Psychiatrie est une science médicale qui a son objet propre : la « Maladie men- …La Psychiatrie est une
science médicale qui a son
tale », c'est-à- dire la somatose à symptomatologie mentale. Elle s'intègre nécessaire-
objet propre : la « Maladie
ment dans la pathologie générale pour expliquer la genèse des régressions de la vie mentale », c'est-à- dire la
psychique, ces niveaux de dissolution que représentent les psychoses et les névroses. somatose à symptomatolo-
Mais celles-ci ne pouvant se réduire dans leur structure réelle à leur processus géné- gie mentale…
rateur (la P. G. est causée par la méningo-encéphalite mais le tableau clinique ne peut
être entièrement expliqué par elle) et admettant un mécanisme psychologique dans la
formation de leurs symptômes font l'objet d'une Science médicale spéciale. La psy-
chiatrie a une relative autonomie, comme son objet; le fait psychiatrique a une origi-
nalité propre.
Elle se distingue de la Neurologie non pas en ce que celle-ci est le domaine de la
pathologie cérébrale (puisqu'elle l'est également) mais en ce que leurs objets sont dif-
férents : La Neurologie étant la science médicale des désintégrations partielles des
fonctions neuro-psychiques élémentaires, provoquées par les processus cérébraux qui
altèrent les voies et centres de ces fonctions – et la Psychiatrie étant la science médi-
81
ÉTUDE N°4
1. Ce souci de définir l'objet et les limites de la Psychiatrie a inspiré mon travail paru sous ce
titre dans la Semaine des Hôpitaux, juin 1951.
2. Soulignons qu'ici nous utilisons le terme de « psychopathe » dans son sens général et non
dans le sens restreint de son emploi à l'étranger où il correspond à celui de « déséquilibré ».
82
Étude n° 5
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de G. de Clérambault.
LA DOCTRINE DE G. de CLÉRAMBAULT
83
ÉTUDE N°5
quelque danger. On a tendance, en effet, à isoler des phénomènes toujours plus petits ;
à chercher derrière la molécule, l'atome et, sous celui-ci, l'électron cliniques. On sait
ce que ce travail a donné dans deux domaines bien connus : les formes cliniques de
l'aphasie et celles de l'activité hallucinatoire. Si bien qu'on n'arrivait plus à se recon-
naître dans les mille formes d'aphasie et d'hallucinations psycho-sensorielles, psy-
chiques ou psycho-motrices verbales. Il y a donc dans toute conception mécaniciste
une sorte de tendance à « pulvériser » la symptomatologie clinique en une myriade de
petits syndromes et de petits symptômes toujours de plus en plus artificiellement iso-
lés et subtilement distingués. Ce travail de désintégration analytique est même réputé
mesurer le degré de finesse clinique du psychiatre et permet à chacun d'innombrables
travaux sur de « petits points particuliers » auxquels seul l'autoriserait, affirme-t-il, le
« vrai » esprit scientifique. Cette tendance atomiste se révèle encore par la répulsion
corollaire que manifeste le psychiatre mécaniciste à l'égard des notions qui désignent
la totalité, la cohésion du tout dont il s'ingénie à ne voir que les parties. C'est ainsi que
des termes comme « délire » se sont vidés de leur sens primitif pour exprimer seule-
ment une partie de leur contenu (idée délirante) et non plus l'état général d'erreur et
d'illusion dans lequel se trouve plongée la conscience. C'est ainsi que certains troubles
ou mieux certains « états » de troubles comme ceux qui altèrent la lucidité et le degré
d'efficacité de la synthèse psychique (troubles de la conscience, de la personnalité,
états de dépersonnalisation, états oniroïdes, états crépusculaires, etc.) sont systémati-
quement négligés parce que difficilement, sinon tout à fait, irréductibles, aux éléments
qui les composent. C'est pourquoi enfin certains psychiatres témoignent tant de répu-
gnance à étudier la « conscience morbide », les « structures » de pensée normale ou
…le degré de tendances pathologique et manifestent tant de malaise à entendre parler de l'activité onirique ou
mécanicistes de chacun
de l’importance du délire ou du rêve qui se prêtent si mal à l'analyse de parties trop
pourrait se mesurer à son
attitude d'opposition à évidemment conditionnées par le tout. On pourrait dire plaisamment que le degré de
l'égard de la notion tota- tendances mécanicistes de chacun pourrait se mesurer à son attitude d'opposition à
liste de « structure »... l'égard de la notion totaliste de « structure »...
84
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
85
ÉTUDE N°5
choc qui produit « proprio motu » de lui-même et par lui-même des mouvements, de
…l'esprit mécaniciste se la pensée, des hallucinations, du délire, des impulsions, etc. Nous pouvons dire à cet
mesure à l'emploi qu'il
égard que l'esprit mécaniciste se mesure à l'emploi qu'il fait de la notion d'excitation,
fait de la notion d'excita-
tion… concept essentiellement mécaniciste.
Les corollaires « extrêmes » de cette théorie de la genèse mécanique des
troubles sont facile à comprendre : 1° La pathologie mentale n'a que faire de l'étude
des fonctions psychiques et des études psychologiques. Tout se résumant dans l'action
de l'agent physique et notamment cette modalité du choc qu'est l'excitation, les
troubles mentaux sont justiciables d'une pathologie complètement « apsychique » ou
psychique seulement, comme le disait de CLÉRAMBAULT par pure contingence et
comme par ricochet. 2° Les troubles mentaux sont des produits accidentels méca-
niques qui, « n'ayant rien à voir» avec les fonctions psychiques de l'individu qui consti-
tuent les tendances de sa personnalité, doivent être envisagés comme des inclusions de
« corps étrangers » dans le psychisme sain de l'individu. 3° Les troubles mentaux doi-
vent être considérés comme une sorte de juxtaposition dans l'espace de phénomènes
mécaniques constituant non des structures psychiques mais des figures géométriques,
matérielles qui se posent sur le psychisme de par ailleurs (au sens spatial du terme)
parfaitement sain, du « malade » qui n'est pas fou mais simplement porteur de lésions
produites par des chocs et génératrices de phénomènes physiques.
Ainsi toute théorie mécaniciste court toujours sans pouvoir jamais l'atteindre
après le trouble psychique. Celui-ci fuit plus exactement devant une hypothèse qui
l'exclut totalement dès ses prémisses...
3° La troisième thèse impliquée dans la conception psychiatrique mécaniciste
est que tout le tableau clinique repose comme une pyramide sur sa pointe, sur un ou
quelques-uns de ses éléments. Cette thèse est tout à fait essentielle dans la perspective
mécaniciste, car, après avoir divisé le tableau clinique en éléments et avoir tenté de
réduire la genèse de l'ensemble à une production fortuite et mécanique d'un ou de
… l'esprit mécaniciste
n'a-t-il de trêve ni de quelques uns de ces éléments, on en vient à l'idée que ce ou ces éléments sont basaux
repos qu'il n'ait expliqué et constituent une sorte de « clé de voûte » du tableau clinique. Aussi l'esprit mécani-
le supérieur par l'infé- ciste n'a-t-il de trêve ni de repos qu'il n'ait expliqué le supérieur par l'inférieur, la
rieur, la structure psycho-
structure psychopathologique par le développement d'un de ces éléments fondamen-
pathologique par le déve-
loppement d'un de ces taux. C'est ainsi qu'on a essayé de réduire la démence à un trouble de l'attention, la
éléments fondamentaux… catatonie à un trouble du tonus musculaire ou à « un trouble psycho-moteur », la psy-
…/… de la mécanique et que par conséquent être dynamiste c'est être nécessairement mécaniste.
Mais ce qui distingue en pathologie le mécaniste et le dynamiste demeure essentiel, c'est que pour
l'un l'aspect physique suffit à expliquer tout le trouble, tandis que pour l'autre doit intervenir la
notion d'un équilibre de forces antagonistes. Ceci est en psychopathologie d'une extrême impor-
tance puisque de ces deux perspectives dépend la possibilité de faire intervenir les fonctions psy-
chiques dans le déterminisme des troubles, dans la formation des symptômes.
86
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
87
ÉTUDE N°5
maladies comme des espèces absolument distinctes, comme des entités spécifiques.
Nous avons également montré que la naissance de la Psychiatrie à une époque où
régnait le mécanisme antihippocratique du XIXe siècle, l'avait tout naturellement orien-
tée vers l'isolement nosographique d'entités. C'est ainsi, et pour cette raison qui méri-
tait d'être approfondie, que le travail des psychiatres s'est modelé sur celui des patho-
logistes qui ont considéré, tout au long du siècle dernier, les formes particulières des
maladies comme des « êtres de raison », des « entités ». Seulement, si en pathologie
interne les « maladies » se prêtent encore relativement bien à ce découpage et à l'iso-
lement des formes, l'application du procédé à la Psychiatrie ne pouvait pas manquer de
prendre un caractère presque dérisoire. Aux yeux mêmes des autres médecins (qui
pourtant poursuivent le même travail d'isolement des entités) les psychiatres « décou-
vrant » des maladies mentales comme « le délire de persécution », etc... ont été et sont
plus ou moins finement raillés. Si ceux qui se livrent à ces critiques n'ont guère le droit
de les formuler généralement, il n'en reste pas moins qu'elles sont fondée et qu'il faut
en tenir compte. Nous sommes, peut-être, nous, autorisés à nous les permettre, dans la
mesure même où nous avons fait le procès du mécanicisme en général avant de faire
celui du mécanicisme psychiatrique en particulier. S'imaginer l'esprit découpé en
petites facultés particulières, qu'un processus cérébral mécaniquement abolit ou exci-
te de telle sorte qu'il se produit des symptômes partiels et fondamentaux, c'est se faire
nécessairement une idée du processus pathologique telle qu'il apparaît comme créa-
teur, formateur de symptômes particuliers et bien distincts, c'est-à-dire pathognomo-
niques. A l'inverse en effet d'une doctrine que nous préciserons plus loin et qui voit
dans tout processus morbide une modification de l'organisme et de ses fonctions, appe-
…La maladie est considé- lant une réaction du tempérament et de la personnalité psychique, la conception méca-
rée dans un tel système,
niciste, qui attribue tout au processus mécanique, tend nécessairement à lui conférer
comme une sorte de corps
étranger, d'être toujours
l'autonomie même d'une nature spécifique. La maladie est considérée dans un tel sys-
semblable à lui-même et tème, comme une sorte de corps étranger, d'être toujours semblable à lui-même et tou-
toujours capable de com- jours capable de communiquer à l'organisme, de lui « coller », de faire passer en lui,
muniquer à l'organisme,
sa nature spéciale et pathognomonique. Et c'est ainsi que le psychiatre classique et
de lui « coller », de faire
passer en lui, sa nature
mécaniciste (toujours obsédé par la magnifique mais assez mal comprise découverte
spéciale et pathognomo- de la paralysie générale) s'oriente sans cesse et nécessairement vers la prospection de
nique… formes et d'entités toujours plus distinctes.
*
* *
88
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
1. Société clinique de Médecine mentale (avril 1920, décembre 1923, janvier 1934), dans les
Annales médico-psychologiques (1921 p. 359, 360 et 460 – 1924, p. 85, 86 et 87 et 172-173);
dans deux articles fondamentaux parus dans la Pratique médicale française (mai 1925 et juin
1926) et dans la communication au Congrès de Blois de 1927 (p.176 à 189).[NdÉ: Textes réunis
par G. FRETET in G. de CLÉRAMBAULT : Œuvres psychiatriques. Paris: puf, 1942, 2 tomes 455p.
et 822p., Rééd.par les éd. Frénésie, coll. Les introuvables de la psychiatrie,1998]
89
ETUDE N°5
…sa Théorie de
G. de CLÉRAMBAULT s'est occupé spécialement des psychoses hallucinatoires
l'Automatisme mental chroniques et des délires. Nous verrons d'ailleurs que sa Théorie de l'Automatisme
constitue une véritable mental constitue une véritable doctrine de psychopathologie générale. C'est donc à
doctrine de psychopatho-
propos de ces psychoses qu'il a mis en évidence un ensemble d'éléments séméiolo-
logie générale.
giques fondamentaux. Ces éléments en se groupant constituent le syndrome basal ou
C'est donc à propos de nucléaire commun à une grande quantité d'états psychopathologiques. Il a appelé lui-
ces psychoses qu'il a mis même ce groupement « Syndrome S »2 mais on ne continue pas moins de l'appeler
en évidence un ensemble
généralement syndrome d'automatisme mental. Il comprend tout d'abord ce qu'il
d'éléments séméiolo-
giques fondamentaux…
appelle des phénomènes positifs3 ou phénomènes d'intrusion. Parmi les plus caracté-
90
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
91
ETUDE N°5
92
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
étrangers). L’analyse prend acte des déclarations des malades : « Je ne sais ce qu'ils
veulent dire... je n'y comprends rien... je n'y suis pour rien... Ça se passe en dehors de
moi... C'est absurde... C'est drôle... Voilà ce que j'entends ou je sens, c'est tout ce que
je puis vous dire. » Comme si de telles formules, banales chez nos délirants, ne pou-
vaient s'expliquer autrement par les processus de « neutralisation » et tout simplement …le groupement de tous
par l'activité automatique et inconsciente inhérente à toute pensée normale ou patho- ces symptômes, le fameux
syndrome d'automatisme,
logique. Mais pour G. de CLÉRAMBAULT, l'inconscience des significations et les
[…] ne soutient avec la
déchets pourtant constants et « physiologiques » de l'exercice même de toute activité personnalité que des rap-
psychique constituait une manière de preuve de la genèse apsychique des troubles ! Il ports contingents et même
suit de là que le groupement de tous ces symptômes, le fameux syndrome d'automa- nuls…
tisme, le syndrome S., le syndrome de passivité, le syndrome de contrainte, le syndro-
me d'interférence, le syndrome de parasitisme comme il l'a appelé tour à tour, il suit de
là que ce syndrome basal et nucléaire ne soutient avec la personnalité que des rapports
contingents et même nuls, fait contre lequel s'inscrit en faux l'observation clinique la
plus simple et la moins exercée.
Le deuxième caractère que G. de CLÉRAMBAULT confère à ces éléments basaux
c'est d'être des éléments générateurs, constructifs, des facteurs de néoformation.
Chacun d'eux est animé d'une sorte de puissance créatrice qui lui est propre et qu'il tire
directement du processus générateur par voie d'excitation et d'irritation. C'est là, nous
l'avons souligné, la thèse la plus caractéristique des conceptions mécanicistes. Elle
s'exprime chez G. de CLÉRAMBAULT en une formule essentielle : les éléments du syn-
drome sont le produit direct d'excitations des cellules nerveuses. Pour ce qui est de
cette origine mécanique, irritative et de la nature primitivement apsychique du « syn-
drome d'automatisme » il n'est que de se rapporter à certains passages de ses articles.
C'est ainsi qu'il a écrit au sujet de la nature irritative des troubles: « Quelques-uns des
phénomènes négatifs, prodromes éloignés de démence, peuvent résulter d'atteintes
directes et destructives. Négligeons-les. D'autres, plus subtils, peuvent résulter d'inhi-
bitions autrement dit d'interférences. Ces interférences résulteront elles-mêmes d'irri-
tation avec ou sans dérivation. Quant aux phénomènes positifs que nous groupons sous
le nom de phénomènes d'intrusion, ils semblent relever d'un processus de dérivation,
lui-même suite d'une irritation » 1. On ne saurait mieux dire que tous les phénomènes
(sauf ceux « qu'il néglige », notons-le) sont d’origine irritative, des produits de l’exci-
tation des cellules nerveuses. Les processus nerveux qui engendrent ainsi du psychis-
me sont évoqués presque à chaque page de l'oeuvre de G. de CLÉRAMBAULT. Ils y sont
décrits parfois comme des métaphores par lesquelles l'auteur passe sans cesse du plan
physiologique au plan psychique comme s'ils se correspondaient point par point ou
même comme s'ils se confondaient exactement. Pour lui par exemple, dire qu'on passe
93
ETUDE N°5
d'une idée à l'autre ou dire que l'influx nerveux dérive sont des expressions équiva-
…C'est cette « analogie » lentes. C'est cette « analogie » qui préside à tous ses développements sur ce thème, de
qui préside à tous ses telle sorte qu'en définitive c'est un véritable « délire » histologique qu'il superpose
développements sur ce
purement et simplement au psychisme du délirant :
thème, de telle sorte qu'en
définitive c'est un véri-
table « délire » histolo- « Donc l'irritation supposée irradie par cycles préformés : autrement dit des associations
gique qu'il superpose physiologiques servent du courant dans quelque mesure comme directions préférentielles. Une
purement et simplement phrase complète, soit pourvue, soit dépourvue de sens, suscite une autre phrase complète et un
au psychisme du déli- dialogue à se constituer. Le courant tourne dans des anneaux intriqués, passant quelquefois par
rant… forçage de l'un à l'autre, tout circuit nouvellement gagné restant acquis ; de là un réseau toujours
croissant ; lui-même dépend d'autres réseaux et ainsi de suite. L'extension graduelle des réseaux
de dérivation a pour corollaire l'extension de l'idéation artificielle : ce sont là deux faces d'un
même processus1. L'extension graduelle des réseaux (c'est-à-dire des zones d'influence de chaque
foyer d'irritation) rencontre en chemin des agrégats tous constitués (souvenirs et tendances) qu'el-
le englobe, exalte et s'annexe. Ces souvenirs et tendances bien loin d'être à la source de la psy-
chose sont passifs : ils y figurent seulement au titre d'inclusion dans le processus neurologique.
La dérivation a ses habitudes. Tout influx morbide se diffuse surtout en descendant ; la dérivation
ascensionnelle est rare et n'est jamais que partielle... ! (P.M.F. 1926, p. 247) ». - Lisons encore :
« Dans les raisonnements hallucinatoires ces mêmes processus et coups de temps se retrouvent,
mais déclenchés et entretenus par une irritation organique ; ils deviennent de ce fait plus intenses,
plus continus, plus extensifs. L'irritation non seulement élargit ses zones d'influence mais s'avan-
ce elle-même, portée par des lésions histologiques dans un trajet serpigineux projetant des pru-
rits dispersés de plus en plus confluents... Le processus qui primitivement exalte des points iso-
lés exalte actuellement des systèmes ; des lots d'idées sont constitués qui vont s'exploiter comme
d'eux-mêmes. L'organisation automatique est un résultat naturel de la constitution cérébrale
même... Les lésions en cause sont, au moins pour les zones qui les entourent, stimulantes et non
destructives » (P. M. F. 1926, P. 251)
Nous pourrions multiplier ces citations que le lecteur pourra lui-même choisir
avec facilité…
…notons cette sorte de 1. C'est nous qui soulignons pour bien noter cette sorte de paralogisme qui consiste à « réaliser »
paralogisme qui consiste une métaphore, à la prendre à la lettre. Si quelqu'un pouvait penser que nous tenons à offrir ici
à « réaliser » une méta- une image caricaturale de la théorie de l'automatisme mental, nous le prions de se rapporter aux
phore, à la prendre à la textes et de les lire complètement. Nous soupçonnons en effet beaucoup des plus fervents adeptes
lettre… (note 1) de la doctrine de n'avoir jamais lu comme nous avons nous-mêmes lu et relu les travaux de G. de
CLÉRAMBAULT.
2. Malgré ce que nous lui avons vu affirmer plus haut, à savoir que c'était le processus d'irrita-
tion qui est majeur et primitif, il parle constamment de dérivation, sans doute pour préparer
l'identification des troubles avec des troubles chronaxiques.
94
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
1. C'est nous qui soulignons pour bien montrer que G. de CLÉRAMBAULT paraît ici conscient du
procédé qu'il emploie et que nous avons dénoncé dans une note précédente.
2. p. 182 des Comptes Rendus.
95
ETUDE N°5
« Le syndrome S. est présent dans les formes ou dans les moments comportant lucidité,
calme, parfois euphorie, plus rarement un peu de dépression, bref laissant les sujets susceptibles
de perceptions fines et d'introspection 1. Il disparaît dans les états aigus comportant agitation,
anxiété ou dépression grave, dans les onirismes généraux, les confusions et les démences, c'est-
à-dire les états où pour raisons variées le sentiment du moi inférieur est diminué. La démence ou
la confusion ne coïncident jamais avec lui que transitoirement et dans une proportion inverse 2 ;
le syndrome et elles tendent réciproquement à s'exclure. Ainsi les sentiments généraux tels que
dépersonnalisation ne sauraient expliquer le syndrome bien qu'en vertu d'une cause commune ils
puissent parfois coïncider » (Congrès de Blois, p. 177).
1. Ceci est peut-être le seul argument valable de toute l'argumentation théorique de la doctri-
…[Reconnaissons que] la ne. La grande difficulté pour les théories structurales et dynamistes est de s'appliquer à ces cas
grande difficulté pour les de conscience claire, lucide et apparemment sans trouble. Il semble cependant, et nous le ver-
théories structurales et rons à propos des obsessions, de la paranoïa et des paraphrénies, que l'analyse clinique per-
dynamistes [comme la mette le plus souvent de retrouver un ensemble de troubles sous-jacents et des troubles néga-
nôtre] est de s'appliquer à tifs des hautes sphères de l'activité psychique. Il semble surtout que le facteur temps doive
ces cas de conscience clai- intervenir en ce sens que, dans ces cas, si « l'esprit » ne paraît plus troublé, il l'a été profondé-
re, lucide et apparemment ment mais antérieurement.
sans trouble…(note 1) 2. Ceci est une exigence de la doctrine plus qu'une constatation clinique valable. Car inversement
à ce que nous soulignons dans la note précédente, la doctrine mécaniste se trouve mal à l'aise dès
qu'il s'agit de s'appliquer à des états de troubles globaux et de forme très dégradée de la pensée.
C'est la raison peut-être pour laquelle un clinicien comme G. de CLÉRAMBAULT s'est peu intéres-
sé à l'onirisme et aux états de désagrégation schizophrénique qui comportent des troubles néga-
tifs si évidents et si profonds qu'ils se prêtent mal à ses interprétations mécanistes.
3. Ce que nous nions catégoriquement (Cf. les premiers paragraphes de la page XIII de la préface
de P. GUIRAUD à l’Œuvre de G. de CLÉRAMBAULT).
96
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
« La Personnalité seconde n'est pas une zone définie du cerveau réservée à une idéation
spéciale. C'est un système d'associations constitué par des irradiations fixées, superposé ou intri-
qué aux systèmes antérieurs normaux. C'est un ensemble fonctionnel utilisant pour conducteurs
les mêmes réseaux que les fonctions normales, mais avec des sélections et des suppressions.
Probablement des commutations dues au genre même de l'influx font que le courant passe selon
telle figure ou selon telle autre, peut-être aussi, comme en physique, plusieurs courants peuvent
être transmis sur un seul fil. Quoi qu'il en soit, le courant factice tend à modifier la substance
conductrice; le réseau devient de plus en plus propice aux courants factices partant de points nou-
veaux qui consistent en des épines neurologiques. Ainsi la Personnalité Seconde se résume en des « Ainsi la Personnalité
habitudes de conduction. Tout un système d'associations se constitue par dérivation et s'accroît Seconde se résume en des
par dérivation. Il constitue un but d'idées et de tendances susceptibles d'alterner en bloc avec la habitudes de conduction.
Personnalité Prime, de la combattre et de la diriger. La Personnalité Seconde commence à l'écho Tout un système d'asso-
de la pensée et aux non-sens ; elle s'achève par les hallucinations organisées... Ainsi la ciations se constitue par
Personnalité Seconde est faite des résultats accumulés de dérivations incessantes et innom- dérivation et s'accroît par
brables. Ces dérivations sont de cause mécanique et obéissent à des lois mécaniques. Leur face dérivation…Ces dériva-
physiologique présente une descente dans l'axe nerveux ; leur face psychologique peut être défi- tions sont de cause méca-
nie: majoration péjorative. Par suite la Personnalité Seconde doit se révéler inférieure intellec- nique et obéissent à des
tuellement et moralement à la Personnalité Prime et le plus souvent y règne une dominante hos- lois mécaniques.» (de
tile. L'idée de persécution est ainsi d'origine mécanique. La préséance organisatrice, sensible dès CLÉRAMBAULT)
le début, réside dans les forces intrinsèques, non dans un plan préétabli, exactement comme pour
tant de complexes naturels tels que cristaux et polypiens » (P. M. F. 1926, p. 254 et 255).
97
ETUDE N°5
Ainsi nous voici éclairés: la Personnalité Seconde est une sorte d'inclusion néo-
plasique, une manière de polichinelle et de « robot » physiologique sinon anatomique,
moins même : un objet, un corps étranger. Ce que G. de CLÉRAMBAULT n'explique pas
ou n'explique que par des lointaines et vagues « explications » pseudo-physiologiques
c'est comment se constitue, se crée cet interlocuteur mécanique doté de tous les attri-
buts, des pensées, des désirs, des tendances de la Personnalité Prime tout en lui restant
radicalement hétérogène. C'est à ce point extrême d'obscurité et de verbalisme que le
conduit toute sa doctrine. Refusant une participation efficiente et active aux couches
profondes de la personnalité inconsciente du sujet (comme nous l'avons déjà souligné)
dans l'édification du délire, il se trouve contraint d'admettre une sorte de génération
spontanée et mécanique d'un personnage qui ressemble au sujet comme un frère mais
…Cette image que le déli- ne saurait, à ses yeux avoir sans scandale, de parenté avec lui. Cette image que le déli-
re construit, G. de re construit, G. DE CLÉRAMBAULT la réalise dans sa doctrine, la matérialise pour la jux-
Clérambault la réalise
taposer à la personnalité du malade et la justifie, pour ainsi dire, en lui conférant un
dans sa doctrine, la maté-
rialise… caractère de « réalité ». Devant cette conséquence si étrange de la conception mécani-
ciste, devant cette sorte de « démonstration par l'absurde » l'esprit inflexible de G. DE
CLÉRAMBAULT n'a pas reculé et il n'est qu'à lire les dernières paroles qu’il a prononcées
peu de temps avant sa mort 1 pour se convaincre de la place que tenait cette concep-
tion dans sa doctrine et dans ses définitives cogitations. En voici quelques passages
caractéristiques :
« La pensée extrapersonnelle est inférieure à l'idéation personnelle. Elle est plus proche
« Les hallucinations pen- de la Démence : elle représente la forme mentale qui sera dans plusieurs années celle du mala-
sent. ». (de CLÉRAMBAULT) de... Les hallucinations pensent. Nous pouvons saisir en partant de l'écho la complication idéique
qui progressivement extensive aboutira à l'exploitation très active d'un thématisme très étendu.
Déjà dans l'écho pur et simple la transposition syntactique de « je » et « il » (il sort au lieu de je
sors) est le travail personnel de l'hallucination... Chaque formule lancée reste acquise et le travail
d'idéation se continuant les formules vont se complétant d'un jour à l'autre ; ainsi se forme tout
un roman d'origine extrapersonnelle : c'est le délire auto-constructif. Ce délire auto-constructif est
plus absurde que le délire personnel du sujet... Toutes les fois que la malade exprime une idée
dont l'absurdité contraste avec son apparente intégrité mentale, nous pouvons être sûrs qu'elle lui
a été fournie par les voix... En résumé il existe un délire autoconstructif, dont une activité idéo-
hallucinatoire fait tout le travail. Ce travail organisateur peut être suivi depuis l'écho jusqu'à la
période des stéréotypies. »
Telle est la forme extrême de la doctrine. Tel est son aboutissant naturel. Là où
certains affectent de ne voir qu'une simple exagération verbale et pour ainsi dire une
« clause de style », une sorte de « façon de parler », ou une pure métaphore, il faut au
98
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
contraire voir la clé de voûte du système 1. La doctrine mécaniciste implique la conclu- …La doctrine mécanicis-
sion à laquelle G. DE CLÉRAMBAULT aboutit : il se crée une petite machine parlante et te implique la conclusion
à laquelle G. de
pensante dans le cerveau du délirant. Alors de deux choses l’une. Ou bien la person-
CLÉRAMBAULT aboutit : il
nalité secondaire autoconstruite, hallucinante et délirante (dans le sens fort et transitif se crée une petite machi-
de ces participes) pense, choisit, parle, fût-ce automatiquement et alors on ne voit pas ne parlante et pensante
comment elle ne se confond pas, à quelque niveau, avec la personnalité prime ; et alors dans le cerveau du déli-
rant…
on ne voit pas pourquoi il est nécessaire de lui attribuer une origine hétérogène extrin-
sèque et mécanique. Ou bien la personnalité seconde n'est qu'un agrégat, un polypier
de phénomènes automatiques sans continuité avec la personne prime et alors on ne
comprend qu'elle pense, qu'elle parle, qu'elle choisisse, qu'elle hallucine, qu'elle déli-
re. Il n'y a pas d'échappatoire théorique à ce dilemme qui condamne avec l'argument
le plus simple et le plus profond la doctrine. C'est avec intention que nous avons
employé en énonçant les deux termes du dilemme les mots automatiquement et auto-
matiques pour bien illustrer quelle ambiguïté se cache sous cette notion 2. On peut sup-
primer dans ce dilemme ces deux mots et tout est clair. On peut, comme nous l'avons
fait, les y introduire et la pensée perd sa clarté. C'est grâce à cette ambiguïté, et à elle
seule, que le sens profond de la théorie de l'automatisme mental de G. DE
1. Nous pourrions illustrer par une petite anecdote cet état d'esprit. En sortant de la séance de la
Société médicopsychologique où G. de CLÉRAMBAULT venait de prononcer les paroles dont nous
venons de rapporter l'essentiel, un de nos distingués collègues nous raillait un peu de l'émotion
dans laquelle l'intervention de G. de CLÉRAMBAULT nous avait plongé. Il s'étonnait de notre émoi
car, disait-il : « Ses mots avaient certainement dépassé sa pensée » et il s'agissait là, selon lui, seu-
lement de métaphores. L'analyse de la doctrine de CLÉRAMBAULT montre bien, pour qui connaît
son œuvre, qu'il s'agit au contraire de la clé de voùte du système, telle qu'il nous l'a léguée dans
ce solennel testament.
2. Pour l'analyse complète de cette ambiguîté voir la première partie de notre livre Hallucinations
et Délires, Alcan, Paris, 1934. [NdÉ: Rééd. L'Harmattan, Paris, 1999]
99
ETUDE N°5
100
DOCTRINE DE G. DE CLÉRAMBAULT
101
ETUDE N°5
102
Étude n° 6
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
Les dernières années du XIXème siècle ont vu naître une doctrine psychologique
et psychopathologique qui a eu une influence décisive sur la Psychiatrie de notre
temps. Des études sur les névroses et notamment sur l'hystérie, SIGMUND FREUD a tiré
une méthode, une doctrine et une thérapeutique qui ont vraiment et justement révolu-
tionné le monde des psychiatres et des psychologues. La conception freudienne tient
– pour ce qui est de l'essentiel – en quelques mots : la vie psychique est gouvernée par
des forces instinctives inconscientes ; elle subit sous l'empire de ces forces des dévia-
tions qui constituent les psychonévroses. Le rôle ainsi attribué à l'Inconscient rap-
proche la psychologie freudienne de la psychologie et de la métaphysique de
l'Inconscient, telles qu'on les trouve, par exemple, chez SCHOPENHAUER, chez
NIETZSCHE 1 et chez HARTMANN, d'une part, et de la psychopathologie, issue de l'étu-
de de l'hystérie ou de l'hypnose par l'école française (BERNHEIM, JANET) d'autre part.
…quelles que soient ses
Mais quelles que soient ses sources médicales ou philosophiques, la psychopathologie sources médicales ou phi-
de FREUD constitue une telle innovation, qu'il n'est guère possible, dans le domaine des losophiques, la psychopa-
sciences psychologiques, de trouver une autre découverte qui n'ait, comme celle-ci, thologie de FREUD consti-
tue une telle innovation…
aucun précurseur véritable.
Dès que parurent les premiers travaux de FREUD 2, ils suscitèrent un grand mouve-
ment d'enthousiasme dans les pays de langue allemande, où de nombreux et véritables
apôtres de la psychanalyse se levèrent (MAEDER, JUNG, SILBERER, STECKEL). Certains
psychiatres, JUNG et surtout BLEULER, tirèrent rapidement parti des données psychanaly-
tiques pour pénétrer la psychopathologie de la démence précoce (Schizophrénie). Une
1. Cf. spécialement le livre de F. WITTELS, Sigmund Freud, Vienne, 1924. - LOPEZ IBOR (Nietzsche
y su psicologia, « Arbor », 1950) souligne la parenté du « Dionysios » nietzschéen et du « Ça »
freudien.
2. Article dans la « Revue Neurologique » de 1895; Studien uber Hysterie, en collaboration avec
BREUER en 1895; Traumdeutung, 1900; Psychopathologie des Alltagslebens, 1901; etc.
103
ÉTUDE N°6
énorme littérature ne tarda pas à être publiée sur les thèmes psychanalytiques. De
grandes publications périodiques ont vu le jour (Imago – Jahrbuch der Psycho-analyse
– Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse – The International Journal of
Psychoanalysis – The Psychoanalytic Quarterly – The Psychoanalytic Review – Revista
de Psicoanalisis – Revue Française de Psychanalyse – Zentralblatt für Psychoanalyse
– etc ... ). Mais surtout de grands centres d'études, des instituts, parfois de véritables
« chapelles », se sont constitués un peu dans tous les pays. À Vienne, autour de FREUD
naturellement, aidé par sa fille Anna FREUD, maintenant à Londres. À Budapest, autour
de S. FERENCZI qui a particulièrement étudié les névroses, la technique thérapeutique et
la sexualité infantile. À Berlin, où K. ABRAHAM a développé ses travaux sur l'application
de la psychanalyse aux psychoses (démence précoce, mélancolie) et au caractère. À
Prague, autour d'OTTO FENICHEL. En Suisse, soit à Zurich autour de JUNG, soit à
Genève-Lausanne, avec BAUDOUIN, FLOURNOY, ODIER, de SAUSSURE. En Angleterre,
avec E. JONES, gardien de l'orthodoxie freudienne tout au moins jusqu'au schisme de
Mélanie KLEIN (1940) et à qui on doit des travaux importants sur la sexualité chez la
…Une énorme littérature
ne tarda pas à être femme, sur le Sur-Moi, sur la culpabilité et la peur. À Londres, ces dernières années,
publiée sur les thèmes Mélanie KLEIN a particulièrement étudié la technique chez les enfants et sur le Sur-Moi
psychanalytiques… pré-œdipien et a conçu pendant la guerre, en conflit avec les « vrais freudiens », les
« complexes » sous une forme nouvelle et révolutionnaire. Mais c'est surtout aux
États-Unis, où FREUD donna des conférences à l'université de Clark déjà en 1909, que le
mouvement psychanalytique a pris, dès avant la guerre et durant ces dernières années,
beaucoup d'ampleur, d'abord avec WILLIAM A. WHITE, JELLIFFE, BRILL et ultérieure-
ment 1 avec 0. RANK, (Études sur les mythes et légendes et sur le « Traumatisme de la
naissance »), F. ALEXANDER (Le caractère névrotique, Les Névroses organiques) et T.
REIK, (Les dogmes religieux), etc. Le mouvement très actif de la médecine psychoso-
matique (DUNBAR, WEISS) des centaines de psychanalyses didactiques chez de jeunes
médecins témoignent de l'énorme actualité de ce puissant mouvement. En Amérique du
Sud avec Arthur RAMOS, Pizzarro CRESPO, A. GARMA, RASCOVSKY, PICHON RIVIÈRE,
etc... ont pu se constituer des groupes analytiques importants 2.
Toutes ces branches, ces écoles de l'orthodoxie freudienne ont été, ou sont encore en
lutte ouverte avec certaines tendances « dissidentes » et la Psychanalyse a déjà connu de
1. RANK, ALEXANDER, REIK, etc., ont publié leurs principaux ouvrages alors qu'ils étaient encore en Europe.
2. L'excellent livre de Honorio DELGADO, de Lima: « Sigmund FREUD » (1926), témoigne de l'intérêt
que la Psychiatrie Sud-américaine n'a cessé de porter à la Psychanalyse. [NdÉ: Honorio DELGADO
(1892-1949) a publié en 1919 le premier ouvrage en espagnol sur la psychanalyse et a dirigé en
1926 un numéro du Mercurio peruano consacré à FREUD (c’est de ce volume dont parle Ey).
Nommé titulaire de la première chaire de psychiatrie du Pérou il devint un farouche ennemi des
idées freudiennes pour des raisons mal connues, la correspondance entre ces deux auteurs n’ayant
pas été publiée.]
104
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
grands schismes (ADLER, STECKEL, RANK, REICH, SCHULZ-HENCKLE, etc.). Celui de …toutes ces branches,
STECKEL (de Vienne), qui envisagea la psychanalyse comme une simple psychothérapie ces écoles de l'orthodoxie
freudienne ont été, ou
et se désintéressa de tout ce qui n'est pas de caractère actuel dans les névroses, c'est-à-dire,
sont encore en lutte
par exemple, des conflits infantiles anciens. L'hérésie de JUNG (de Zürich) constitue un ouverte avec certaines
des mouvements dissidents les plus connus. Pour JUNG, en effet (et nous verrons plus loin tendances « dissidentes »
l'intérêt de ces antithèses), la libido est une sorte d'élan vital qui soutient l'organisme et le et la Psychanalyse a déjà
connu de grands
maintient dans un état de perfection normale et les névroses sont le résultat d'une aspira-
schismes…
tion contraire. C'est dire combien JUNG rejoint la pensée d' HEINROTH. Une autre diffé-
rence fondamentale sépare JUNG et FREUD. Alors que, pour ce dernier, l'inconscient
contient des complexes individuels, ceux-là mêmes qui sont liés au développement psy-
chologique ontogénique de l'individu, pour JUNG, l'inconscient est essentiellement collec-
tif et ses manifestations ne sont pas autre chose que des symboles de la vie collective.
JUNG se sépare de FREUD par son « moralisme » et ses tendances sociologiques. Plus
récemment à la Société de Psychanalyse de Londres, Mélanie KLEIN s'est faite le cham-
pion d'une dissidence vraiment en opposition avec le freudisme par sa conception du
Sur-Moi et des mécanismes préœdipiens (le sado-masochisme constituant le noyau struc-
tural de la personnalité). Nous donnerons un peu plus loin un bref compte rendu de cette
mémorable discussion. Aux U. S. A. les idées de F. ALEXANDER, de REICH, Karen
HORNEY, etc., ont profondément modifié la technique et la doctrine freudienne. .
Certains pays, cependant, comme l'Italie, la Belgique, la Suède où s'est poursuivi
depuis cinquante ans un grand développement des études psychiatriques, sont demeu-
rés à peu près complètement réfractaires à la psychanalyse. En Allemagne, la doctri-
ne psychologique et psychiatrique « sensu stricto » a beaucoup influencé l'analyse
psychopathologique, Mais depuis 1930, il n'y a presque plus de mouvement psycha-
nalytique allemand. Il faut d'ailleurs souligner que la psychiatrie allemande, malgré
une intégration massive de cette nouvelle psychologie de l'Inconscient, a toujours
marqué une grande résistance à l'égard de la « psychogenèse » freudienne. BUMKE (qui
a été un des plus grands opposants de la doctrine de FREUD) a, pour ainsi dire, banni
de l'immense « Traité » qu'il a dirigé, les points de vue trop psychanalytiques
(1928-1931). Le développement des études phénoménologiques et de la
Daseinsanalyse de JASPERS à Ludwig BINSWANGER a limité dans la psychiatrie de
langue allemande la marée freudienne.
En France, la doctrine de FREUD a été connue très tard. Avant la guerre de 1914-
1918, seuls quelques articles, et le livre de RÉGIS et HESNARD 1 avaient pu mettre les
psychiatres français au courant de cette conception et « en garde » contre elle. Ce n'est
qu'après la guerre, vers 1918 ou 1920, que l'on a vu se constituer chez nous une véri-
1. RÉGIS et HESNARD: La Psychanalyse des Névroses et des Psychoses, Paris, Alcan, 1e édit.,
1914, 2e édit., 1922. [NdÉ: Rééd.: L'Harmattan, 2002]
105
ÉTUDE N°6
…Et cela sous le patrona- table école psychanalytique. Et cela sous le patronage de notre maître CLAUDE, qui
ge de notre maître voulut introduire – sans y adhérer d'ailleurs – l'esprit psychanalyste dans les études
CLAUDE, qui voulut intro-
psychiatriques. Malgré beaucoup de sarcasmes, il eut le courage et le mérite d'intro-
duire – sans y adhérer
d'ailleurs – l'esprit psy- duire la psychanalyse dans l'enseignement officiel de la Faculté de Paris. La princes-
chanalyste dans les se Marie Bonaparte aida par la suite beaucoup à la diffusion des travaux de l'École
études psychiatriques… parisienne. A peine connue, la conception du Maître de Vienne, et à peine publiés les
premiers travaux de Mme SOKOLNIKA, de LAFORGUE, de HESNARD, d'ALLENDY, etc...,
les réactions d'opposition furent et sont restées très violentes contre cette manière d'en-
visager la psychologie et surtout la psychiatrie (BLONDEL, GENIL-PERRIN, etc..).
L'irritation n'est d'ailleurs pas encore calmée, et la profonde et dédaigneuse indiffé-
rence de la plupart des psychiatres français a longtemps maintenu le « clan » psycha-
nalyste hors de toute efficacité doctrinale et psychopathologique 1. Cependant la
Société de Psychanalyse de Paris a groupé des esprits fort distingués, comme E.
PICHON, CODET, Mme CODET, BOREL, ALLENDY, LOEVENSTEIN, LAFORGUE, LACAN,
MALE, PARCHEMINEY, NACHT, etc... Son Institut et sa publication, la Revue Française
de Psychanalyse, étaient, avant la guerre de 1939, en pleine activité. Les jeunes géné-
rations de psychiatres paraissent s'être intéressés davantage que leurs aînés au mouve-
ment psychanalytique. Le cercle d'études « L'Évolution psychiatrique » groupe à Paris
depuis vingt ans des psychiatres soit psychanalystes, soit sympathisants au mouve-
ment freudien, tout en gardant à son égard une attitude de compréhension qui n'exclut
pas la critique. Depuis la fin de la guerre 1939-45, l'activité de l'École psychanalyste
française a repris et à certains égards dépassé son niveau antérieur si nous en croyons
…à l'égard de la psycha-
le nombre toujours croissant de jeunes psychiatres qui subissent des analyses didac-
nalyse nous sommes à la
fois « sympathisants » et tiques. Nous pouvons exprimer assez justement, semble-t-il, l'état d'esprit des psy-
méfiants. Notre sympathie chiatres français de notre génération, en disant qu'à l'égard de la psychanalyse nous
va aux nouveautés de sommes à la fois « sympathisants » et méfiants. Notre sympathie va aux nouveautés
l'exploration et de la
de l'exploration et de la compréhension des psychonévroses et en général de
compréhension des psy-
chonévroses […] Notre l'Inconscient qui nous sont ainsi offertes. Notre méfiance va aux interprétations trop
méfiance va aux interpré- exclusivement psychogénétiques d'une part, et aux spéculations métapsychologiques
tations trop exclusive- d'autre part. Nous étudierons ailleurs 2 les problèmes généraux que soulève la psy-
ment psychogénétiques
chologie freudienne, et nous les placerons dans la perspective rigoureusement critique,
d'une part, et aux spécu-
lations métapsycholo- qui est celle dans laquelle s'est situé ROLAND DALBIEZ, à qui l'on doit l'ouvrage fran-
giques d'autre part… çais le plus remarquable sur la méthodologie de la psychanalyse. Pour l'instant, dans
106
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
cette étude, après avoir ainsi fixé l'étendue du mouvement psychanalytique, il nous
suffira d'exposer les principales thèses de la doctrine du point de vue psychopatholo-
gique général, en nous en tenant à un résumé tout à fait succinct.
La conception psychanalyste est une conception antimécaniciste au premier chef.
Son aspect antimécaniciste « extrémiste » réside dans sa théorie psychogénétique des
troubles mentaux. Pour çà, elle s'oppose, au maximum, aux théories mécanicistes qui
font dépendre si étroitement les symptômes des lésions. Pour les psychanalystes, les
symptômes dépendent si peu des lésions, qu'il n'y en a pas du tout ou qu'elles sont tout
à fait contingentes, et que, pour certaines mêmes, elles devraient plutôt être considé-
rées comme un effet que comme une cause des névroses. C'est cette thèse que l'on a
vu se généraliser depuis FREUD jusqu'aux conceptions de l'École Américaine en pas-
sant par Adolf MEYER. Elle constitue donc sous cette forme la position la plus diamé-
tralement opposée aux conceptions mécanicistes. Et pourtant, si la théorie psychana- …si la théorie psychana-
lytique est profondément et au maximum antimécaniciste, la conception psycholo- lytique est profondément
et au maximum antiméca-
gique freudienne n'a cessé d'emprunter à la psychologie atomiste et mécaniciste un
niciste, la conception psy-
certain nombre de ses concepts. C'est ainsi que quelques-unes de ses explications se chologique freudienne n'a
décalquent sur le modèle des réflexes conditionnels 1. Effectivement la psychologie cessé d'emprunter à la
freudienne a une certaine tendance à s'opposer aux conceptions phénoménologiques et psychologie atomiste et
mécaniciste un certain
structuralistes, et à retrouver une certaine forme de l'atomisme psychologique (inclus
nombre de ses concepts…
d'ailleurs peut-être dans une méthode associationniste, dont le nom même – psycha-
nalyse – est tout un programme). Par exemple, la conception presque spatiale de la
théorie des instincts, des rapports du Conscient et de l'Inconscient, ou de la structure
de la personnalité. Par exemple, encore, ces interminables analyses casuistiques de
pulsions, sous-pulsions, contre-pulsions, etc... ou ces démontages de mécanismes
complexuels qui aboutissent à quelque chose d'assez analogue à un morcellement
d'éléments ou à une mosaïque de pièces et de morceaux.
Ainsi, si la psychanalyse, en tant que théorie de la genèse des troubles mentaux,
est à l'opposé des conceptions mécanicistes, ce serait une erreur de croire qu'elle repré-
sente sous tous ses aspects l'exacte et constante antithèse du mécanicisme. Mais telle
qu'elle est, la psychanalyse constitue un puissant mouvement révolutionnaire contre la
psychiatrie mécaniciste classique. Disons, avant d'aborder cet exposé, que la doctrine
a subi depuis vingt ans de profondes modifications encore inachevées. C'est générale-
ment à la forme première (psychogénèse de l'affect refoulé et inconscient) que l'on se
réfère, même encore maintenant dans les milieux psychiatriques. Mais c'est surtout la
1. Cf. à ce sujet l'ouvrage de R. DALBIEZ qui fait, assez paradoxalement, grand état de cette ana-
logie, soulignée d'ailleurs par un grand nombre d'auteurs – et les discussions de L'Évolution psy-
chiatrique en 1941 (n° 1 - 1947). [NdÉ: La deuxième édition de l’ouvrage de R. DALBIEZ La
méthode psychanalytique et la doctrine freudienne a été publiée dans la Bibliothèque Neuro-psy-
chiatrique de Langue Française. Paris : Desclée de Brouwer; 1950 où paraîtront les Etudes.]
107
ÉTUDE N°6
théorie des instincts, de la régression, des réactions du Moi qui constituent les aspects
les plus actuels du « Freudisme », comme nous allons le voir. On peut même se
demander si avec les travaux d’ALEXANDER (1937) la psychanalyse ne tend pas à deve-
nir une « psychosynthèse », ce qui a pu faire craindre à Charles BAUDOUIN 1 que « ce
…il ne nous est pas inter-
retour lorsqu'il sera jugé du dehors par des personnes étrangères à l'analyse (et surtout
dit en abordant l'exposé
de la doctrine de FREUD si les analystes ne veulent pas convenir franchement de ce qui, dans leurs conclusions
et de son École et tout en actuelles, marque en effet un retour) sera interprété superficiellement comme une
proclamant notre admira- simple abdication et une palinodie mal dissimulée... Or ce serait injuste... » Certes.
tion et, à certains égards,
Mais il ne nous est pas interdit en abordant l'exposé de la doctrine de FREUD et de son
notre adhésion à la psy-
chanalyse, de bien École et tout en proclamant notre admiration et, à certains égards, notre adhésion à la
prendre conscience qu'el- psychanalyse, de bien prendre conscience qu'elle a fortement évolué, ce qui est tout à
le a fortement évolué… son honneur sinon à son avantage doctrinal.
§ I – LA PSYCHOLOGIE FREUDIENNE
Elle a été toute entière, et reste naturellement encore (malgré l'importance tou-
jours grandissante accordée, ces dernières années, à la structure et aux forces du
« Moi ») basée sur l'Inconscient. Il existe au centre de notre personnalité un foyer de
forces psychiques inconscientes qui meuvent et manœuvrent l'action et la pensée
humaines. Comment, autour de cette idée fondamentale, se groupent toutes les thèses
de la théorie psychanalytique, c'est ce que nous allons essayer d'exposer le plus rapi-
dement et le plus clairement possible. Certains ne manqueront pas de trouver cet expo-
sé banal ou trop simpliste. Nous croyons pourtant nécessaire qu'il soit élémentaire, car
il est parfois difficile aux psychanalystes de parler clairement et aux psychiatres
non-psychanalystes d'être en ce domaine de bonne volonté 2.
108
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
.../...D'autres ouvrages en français sont extrêmement importants pour l'étude approfondie du freu-
disme, ce sont par exemple: le Traité de JONES (traduit de l'anglais par JANKELEVITCH) ; l'ouvra-
ge de WITTELS (traduit de l'anglais par HERBERT) ; le livre de RÉGIS et HESNARD : La Psychologie
des névroses et des psychoses; le livre de LAFORGUE et ALLENDY. La Psychanalyse et les
Névroses ; l'ouvrage de Ch. BAUDOUIN (Genève) : La Psychanalyse (1939) ; le Petit livre de S.
NACHT : Psychanalyse des Psychonévroses (1935) ; l'importante thèse de Lettres de R. DALBIEZ:
La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne (1936), etc... Les études critiques dirigées
contre la psychanalyse sont nombreuses : deux ont eu un grand succès chez nous, ce sont le livre
de Ch. BLONDEL : La Psychanalyse, et celui de GENIL-PERRIN: Psychanalyse et criminologie.
1. C'est à partir de la méthode d'exploration par associations d'idées que la pensée de FREUD s'est
élancée vers la conquête de l'Inconscient. En tout cas, l'école de Zürich avec BLEULER et JUNG a
beaucoup développé l'étude des associations d'idées en fonction d'un trait d'union caché et ses
études ont eu beaucoup de faveur au début de l'ère psychanalytique. - Cf. spécialement le cha-
pitre du Traité de JONES : Valeur pratique de l'association verbale.
2. Certains « lapsus linguae » ou « calami » ont été classés par MERINGER et MAYER, selon leur
mécanisme, en lapsus d'interversion (Milo de Vénus, au lieu de Vénus de Milo), en lapsus d'an-
ticipation (Molo, au lieu de Milo), en lapsus de rappel (Vénus de Milus), en lapsus de contami-
nation (Veno de Milus). Ce sont des lapsus liés à des caractères formels. Les psychanalystes, et
notamment FREUD (Psychopatho. vie quotid., p. 60-70), contrairement à ce que paraissent penser
certains de leurs critiques, ne font aucune difficulté pour en admettre l'existence.
109
ÉTUDE N°6
110
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
conscientes les parties les plus cachées de l'âme est parfaitement réalisable 1 ». Ainsi
la vie mentale quotidienne révèle que les actes et les pensées des hommes obéissent à
des principes, de détermination secrets et inconscients 2. Tout se passe dès lors,
comme si des tendances inconnues, refoulées, parvenaient à se faire jour et à diriger
nos actions et nos pensées malgré le refoulement qu'elles subissent. Tel est le premier
et le fondamental schéma de la vie de l'esprit dans la psychologie freudienne : il exis-
te des manifestations concrètes d'une force qui, malgré son refoulement, parvient
encore à se révéler. Ces manifestations sont l'expression, l'effet de l'Inconscient. Elles
subissent, pour aboutir à la surface de la conscience, une déformation, une véritable
réfraction psychologique.
Mais si, chez le sujet lucide et vigilant, on note ces coulées, ces poussées du psy-
chisme inconscient, chez le dormeur l'Inconscient bourgeonne plus richement et direc-
tement dans le rêve. Le rêve est une manifestation plus ou moins directe de
l'Inconscient, il en constitue une sorte d'émanation transposée et transfigurée ; il est
comme un bourgeon plein d'une sève inconsciente tout imprégnée d'instincts. C'est …le rêve est comme un
une production thématique de l'Inconscient. Les images, les événements, les péripé- bourgeon plein d'une sève
inconsciente tout impré-
ties, tout le contenu concret, représentatif et émotionnel du rêve constituent un thème
gnée d'instincts…
et ont un sens. Ce sens, le rêve le reçoit du contenu affectif qu'il exprime. Car l'essen-
ce de la pensée du rêve, c'est d'être une poussée complexuelle affective qui exprime
les désirs refoulés. Le rêve est toujours l'expression d'un désir, et particulièrement d'un
désir infantile, a d'abord proclamé FREUD (il a ensuite admis d'autres mécanismes
affectifs du rêve). C'est dans ce sens que STECKEL a écrit : « Im Traume ist der Affekt
das einzige Wahre » (l'affectivité est la seule chose qui soit vraie dans le rêve). Le
thème du rêve, c'est son contenu manifeste. Le sens du rêve, c'est son contenu latent
ou réel. La production onirique est ainsi le type même de toute production de
l'Inconscient à structure double : un contenu manifeste qui symbolise le contenu réel.
Le rêve est relativement au complexe affectif, comme le signe à la chose signifiée. Il
n'exprime pas, cependant, directement le désir du dormeur (ou tout autre complexe
affectif) ; il ne constitue qu'une sorte d'allégorie supportable pour la conscience assou-
pie, au prix et à la condition d'un certain travestissement. Car, chez le dormeur, la
« Censure » veille encore. Et cette « Censure » ne permet à certaines idées ou com-
plexes inconscients de pénétrer dans la conscience qu'après qu'elle leur ait infligé une
déformation, qu'elle les ait « travestis ». … notre conviction ne
provient pas de l'accumu-
1. Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora), « Revue française de Psychanalyse », tome II, n° 1, p. 70. lation des exemples sou-
2. Ces faits ne nous paraissent pas douteux, et notre conviction ne provient pas de l'accumulation vent naïfs […], mais de
des exemples souvent naïfs et même un peu niais que l'on trouve dans tous les traités de l'expérience que nous
Psychanalyse (où un bon tiers de l'exposé doctrinal comprend un grand luxe de développement avons pu acquérir per-
sur ces divers points), mais de l'expérience que nous avons pu acquérir personnellement de la psy- sonnellement de la psy-
chanalyse, condition indispensable à une véritable certitude vécue. chanalyse…(note 2)
111
ÉTUDE N°6
II.– L'Inconscient.
…L'Inconscient L'Inconscient (Unbewusste) est cette partie du non-conscient, qui n'est pas acces-
(Unbewusste) est cette sible à l'évocation volontaire par suite du refoulement (Verdrängung). Le caractère
partie du non-conscient,
d'inaccessibilité à l'évocation volontaire est pour FREUD ce qui distingue l'Inconscient
qui n'est pas accessible à
l'évocation volontaire par proprement dit du préconscient (Vorbewüsste). L'Inconscient est le domaine psy-
suite du refoulement chique qui ne peut être évoqué à la conscience que par des procédés spéciaux, comme
(Verdrängung)… l'hypnose ou la psychanalyse.
L'autre trait fondamental de la psychologie freudienne de l'Inconscient, c'est que
celui-ci est lui-même un produit du refoulement. Les processus inconscients sont
maintenus à l'écart, « refoulés » par certaines forces répressives exerçant une action
inhibitrice. Ces forces de répression ne sont pas des forces conscientes, ce sont des
inhibitions, elles-mêmes inconscientes qui constituent la « Censure ». La force qui
empêche une idée ou un sentiment de passer de l'état inconscient à l'état préconscient
c'est la « Censure ». C'est elle qui produit les refoulements et cause les résistances qui
s'opposent à la prise de conscience. Mais comme l'a écrit excellemment de SAUSSURE :
112
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
« Il ne faudrait pas entendre par ce terme une sorte d'entité psychique placée à la fron-
tière de l'inconscient et du préconscient, et arrêtant au passage toute tendance contrai-
re aux désirs conscients de l'individu. Le mot de censure indique l'ensemble des idées,
souvenirs, sentiments, etc... qui produisent sur d'autres groupes d'idées une action
inhibitrice. C'est un terme synthétique analogue, par exemple, au mot de nature,
lorsque nous l'employons dans l'ensemble des forces qui agissent dans la nature l. »
FREUD a soin de dénoncer lui-même toute interprétation anthropomorphiste de la
« Censure ». « Ne vous représentez pas le censeur du rêve sous les traits d'un petit bon-
homme sévère ou d'un esprit logé dans un compartiment du cerveau, d'où il exercerait
ses fonctions 2. »
Comme le souligne DALBIEZ 3, cette conception de l'Inconscient le fait dépendre
moins de sa faiblesse intrinsèque que des forces qui s'opposent à sa propre force. Aussi …Aussi l'Inconscient de
l'Inconscient de FREUD se présente-t-il comme une partie du non-conscient mais une FREUD se présente-t-il
comme une partie du
partie seulement, FREUD n'ayant jamais songé à dire que tout ce qui n'était pas
non-conscient mais une
conscient (les mécanismes habituels, les automatismes montés, l'activité associative partie seulement, FREUD
fortuite) faisait partie de l'Inconscient proprement dit, c'est-à-dire résultait de la n'ayant jamais songé à
contre-action de la « Censure ». dire que tout ce qui n'était
pas conscient (…) faisait
Mais de quoi est fait cet « Inconscient »? Il a une constitution essentiellement
partie de l'Inconscient
dynamique 4 il est fait de forces, de tendances, de pulsions en conflit. Par là, proprement dit, c'est-à
l'Inconscient se présente comme cette partie de l'esprit qui est animée par les instincts dire résultait de la
(Le Ça. Das Es). Cependant l'Inconscient ne doit pas être confondu avec la sphère ins- contre-action de la
« Censure »…
tinctive proprement dite, il représente aussi une dérivation, une intégration énergé-
tique des forces instinctives dans un système antagoniste de répressions dirigées
contre elles-mêmes, d'où la notion de conflits intrapsychiques inconscients et plus
généralement de complexes affectifs inconscients lesquels sont des groupements de
tendances inconscientes, où l'instinct élaboré s'oppose à ses propres pulsions. Ce
caractère conflictuel et complexuel des instances inconscientes provient de l'époque de
l'élaboration primaire des instincts durant l'enfance. Car un autre aspect fondamental
de l'Inconscient, c'est d'être un mode de pensée de type infantile. Enfin un autre carac-
tère primordial également de la structure de l'Inconscient, c'est sa nature sexuelle ou
plutôt libidinale, mais comme tous les instincts ne sont pas libidinaux, ainsi que nous
le verrons, ce caractère n'est pas aussi exclusif que les premières études de FREUD le
laissaient supposer.
Nous pourrions donc, avec JONES, définir l'Inconscient, comme « cette région
113
ÉTUDE N°6
de l'esprit dont les éléments se trouvent en état de refoulement. Ces éléments sont de
nature dynamique, présentent un caractère instinctif, infantile, irraisonné et ont une
forte teinte de sexualité ». A ces attributs « cliniques » de l'Inconscient, JONES ajoute
encore un certain nombre de caractères psychologiques 1. Les processus mentaux
inconscients sont régis uniquement par le principe de plaisir et non comme les pro-
cessus conscients, à la fois par le « principe de plaisir » et le « principe de réalité ».
Ils sont sans rapport avec l'idée de temps. Ils sont très éloignés de la réalité extérieu-
re. Ils ignorent la contradiction. Ils ignorent la négation : les idées inconscientes ne
peuvent s'exprimer que dans des termes positifs (ceci équivaut au stade asséritif des
croyances d'après JANET). Dans l'Inconscient des idées opposées peuvent être inter-
changeables et avoir une signification identique. Les processus inconscients subissent
très facilement les processus « primaires » de condensation et de déplacement (ce qui
s'observe au maximum dans ce bourgeon de l'Inconscient qu'est le rêve). Les idées
dans l'Inconscient n'ont pas une forme verbale.
Nous verrons plus loin que FREUD a légèrement modifié son schéma 2 de l'appa-
reil psychique en attribuant un plus grand rôle encore aux forces refoulantes (appelées
alors non plus « Censure » mais désormais « Ueberich » ou Sur Moi), qu'il place dans
la sphère de l'Inconscient.
Telle est la conception aussi simple et fidèle que possible de l'Inconscient selon la
psychologie freudienne. La nouveauté a étonné et a suscité naturellement de nom-
breuses critiques. Disons en un mot et fixons brièvement notre position à l'égard de ce
problème crucial.
Pour certains, en effet, l'Inconscient « n'existe pas ». La notion de psychisme et
celle de conscient coïncident si exactement qu'il n'y a pas de psychisme inconscient.
Pour d'autres, l'Inconscient existe, mais est considéré comme une infrastructure psy-
chique qui n'a pour ainsi dire, par définition, aucune efficience. Ces deux critiques nous
paraissent inexactes, car il paraît évident, pour parler très simplement, que si nous igno-
rons beaucoup de choses de nos propres pensées et de nos propres sentiments, nous
agissons et pensons souvent « malgré nous ». Mais nous ferons volontiers à la concep-
…Pour nous l'Inconscient tion freudienne de l'Inconscient une troisième critique qui lui est parfois adressée.
ne constitue pas une per- L'Inconscient ne constitue pas une personnalité dans la personnalité. Cette conception
sonnalité dans la person- nucléaire, fermée, autonome, rappelle un peu trop l'auto-construction de G. de
nalité…
CLÉRAMBAULT, d'inspiration si nettement mécaniciste. Certes, on comprend que les psy-
chanalystes demeurent attachés à cette conception de FREUD, car elle constitue la garan-
tie et l'exclusivité de la thérapeutique psychanalytique : l'Inconscient ne peut jamais
114
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
devenir conscient sans psychanalyse. Mais une telle théorie rend cependant l'efficacité
du traitement psychanalytique assez obscure. De plus, l'étanchéité des deux « parties »
du psychisme conduit nécessairement à doter la partie inconsciente de tous les attributs …L'Inconscient, pour les
de la partie consciente (raisonnement logique, volonté, puissance de mensonge, etc ... ). psychanalystes, n'est plus
seulement une infrastruc-
L'Inconscient n'est plus seulement une infrastructure de la conscience, une phase vers
ture de la conscience, une
la conscience, mais une autre « Conscience », il est considéré, somme toute, comme phase vers la conscience,
une Conscience et même une « Sur-conscience » ! En fait, s'il paraît absolument néces- mais une autre « Cons-
saire pour la psychologie freudienne, de concevoir l'Inconscient comme l'effet d'un cience », il est considéré,
somme toute, comme une
refoulement par des forces instinctives, il doit suffire pour accepter l'essentiel de la
Conscience et même une
conception psychanalytique de se figurer l'Inconscient comme le poids de la structure « Sur-conscience » !…
instinctuelle, et de son organisation primitive restée sous-jacente à l'activité conscien-
te. Cela n'enlève rien à son « existence » ou à son « efficience » dans la vie psychique,
et cela le débarrasse d'un certain anthropomorphisme.
La force qui anime la vie instinctive, c'est la libido. Elle a la valeur d'une force
sexuelle. C'est une sorte de faim sexuelle 1. Cette énergie sexuelle est à la base de toute
l'évolution de la personnalité. Elle se fixe sur des activités physiologiques diverses avant
de se concentrer, comme nous allons le voir, sur la sphère génitale, et cette évolution de
la « Libido » va imposer des transformations profondes à toute la personnalité.
C'est que les processus mentaux dans leur ensemble, les opérations, les forces qui
constituent la personnalité psychique ont un aspect dynamique qu'ils empruntent pré-
cisément à la « Libido ». Il existe à la base de la personnalité une dynamique de désirs.
Il paraît y avoir 2, dès le début de la vie, deux systèmes d'activité mentale qui sont pour
ainsi dire les embryons de ce que sera ultérieurement le Conscient et l'Inconscient.
Lorsque le système primitif réceptif de stimulations extérieures est mis en action, il se
produit un état d'agitation qui est ressenti comme un malaise (Unlust), auquel se sub-
stitue un état de plaisir (Lust), par la satisfaction d'une tendance appelée désir. Ainsi
se créent des cycles de satisfaction qui substituent au malaise, le plaisir, par le jeu des
tendances imaginatives. Ce n'est qu'ultérieurement que se forme le deuxième système
qui va satisfaire le désir, non plus par l'imagination, mais par des actions. Dans le pre-
mier stade entièrement soumis au principe du plaisir, l'énergie circule librement dans
tout le système, à travers les souvenirs et les images satisfaisantes.
1. On sait que pour JUNG la libido a plutôt la valeur du « potentiel affectif », en général
(BAUDOUIN).
2. Cf. la Traumdeutung (chapitre 11).
115
ÉTUDE N°6
Dans le second, l'énergie psychique ne peut plus se déplacer librement, elle se heurte
à la barrière des choses, au principe de réalité.
…à partir de 1920, FREUD Mais à partir de 1920, FREUD s'est occupé d'un autre groupe d'instincts fonda-
s'est occupé d'un autre mentaux, les « instincts de mort 1 ». Ces instincts ont été désignés par WEISS 2 sous le
groupe d'instincts fonda- nom de Destrudo pour bien les opposer à la Libido. Les tendances qui représentent, en
mentaux, les « instincts de
effet, les besoins de satisfaction hédonique, selon le principe de plaisir, sont les ten-
mort »…
dances de la Libido, ce sont les instincts narcissiques libidinaux du Moi. Mais il exis-
te aussi des tendances connues généralement sous le nom d'instinct de conservation,
et qui admettent, pour si paradoxale que la chose paraisse, à côté des formes de l'ins-
tinct libidinal, un instinct « léthal ». Cette forme d'instinct n'est pas un réflexe contre
la mort en général, mais seulement contre la mort accidentelle. Car, l'instinct de
conservation est aussi une tendance de l'organisme vers la mort naturelle.
« L'organisme, dit FREUD (Essais de Psychanalyse), ne veut mourir qu'à sa manière ;
et ces gardiens de la vie que sont les instincts ont été primitivement des satellites de
la mort. » C'est ainsi que la masse des processus instinctifs se partage ces deux ver-
sants d'une même tendance qui unit irrémédiablement la Vie et la Mort. « A chacune
de ces deux variétés d'instincts se rattacherait un processus physiologique (construc-
tion et destruction) ; l'une et l'autre seraient à l'œuvre dans chacune des parties de la
substance vivante, mais elles y seraient mélangées dans des proportions variables, si
bien qu'une de ces parties pourrait à un moment donné, s'affirmer comme étant plus
particulièrement représentatives d'Éros 3 ». Ainsi la Libido ou instinct de vie et l'ins-
tinct de mort ou léthal, constituent les deux tendances instinctives fondamentales (en
quoi le sexualisme de FREUD rejoint le vitalisme). Mais, comme le fait remarquer
excellemment DALBIEZ, « il subsiste toujours (aux yeux de FREUD) un couple d'ins-
tincts opposés, Éros et Thanatos. Pour lui, comme pour le vieil HÉRACLITE, la
recherche philosophique s'arrête devant une contrariété primitive et irréductible. Le
conflit est le père des choses ». Un autre aspect fondamental de cette dialectique des
instincts de vie et de mort réside dans la dualité des systèmes pulsionnels conformes
selon FREUD 4 aux deux principes d'EMPÉDOCLE: « filia »et « ne›kow » (Liebe-Streit
– Amour-Agressivité).
Tel est l'aspect le plus général de la théorie des instincts d'après FREUD, allant
depuis la seule considération initiale de la Libido jusqu'à la doctrine des instincts de
destruction qui limite le champ de la Libido et soustrait – en un certain sens – FREUD
au reproche de « pansexualisme ». On consultera sur la dialectique des instincts ou des
116
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
A) – LE DÉVELOPPEMENT DE LA LIBIDO :
Nous devons examiner tout d'abord l'évolution de la vie des instincts et d'abord de
la Libido qui, rappelons-le, a été presque exclusivement étudiée par FREUD (au moins
jusqu'en 1920). La Libido, en franchissant une série d'étapes, va transformer sa forme
subjective primitive en Libido objectale. Car au début, la Libido reste fixée, accrochée
au corps propre (phase de l'auto-érotisme), et ce n'est qu'ensuite qu'elle s'en détache
pour se projeter sur un objet. Cet objet s'élargit ensuite, jusqu'à englober, non plus le
corps propre ni la propre personne (phase narcissique), mais une autre personne
(phase hétéro-érotique).
La PHASE AUTO-ÉROTIQUE correspond aux stades les plus primitifs du développe- Les étapes de la libido…
ment de la Libido. Une loi domine ce développement: c'est celle de la double fonction
des organes. La bouche donne bien des satisfactions gustatives, mais elle est aussi sus-
ceptible de procurer des satisfactions sexuelles. Quand un organe déterminé devient le
siège de cette double fonction, FREUD l'appelle zone érogène. Or la sexualité infantile
se développe de telle sorte que ces divers plans d'organisation correspondent à des
zones érogènes déterminées. Il existe d'abord un érotisme buccal ou oral, dont la
forme la plus caractéristique est la succion, – il se forme ensuite une nouvelle zone
érogène qui correspond à l'érotisme anal, la Libido envahit alors les sensations issues
soit de la muqueuse ano-rectale, soit de l'acte de défécation, soit du produit de la défé-
cation (les jeux et préoccupations infantiles sont très fréquemment orientés vers des
satisfactions de ce dernier genre, tirées de la manipulation des matières ou de leurs
divers substituts). L'érotisme urétral est à peu près contemporain, mais paraît généra-
lement moins typique. – Ce n'est « qu'en dernier ressort » que l'érotisme se concentre
sur l'appareil génital proprement dit – c'est l'érotisme génital ou stade phallique carac-
térisé par le fait que la zone érogène prévalente est constituée par les muqueuses du
gland et du clitoris.
Après cette période auto-érotique, s'observe la PHASE NARCISSIQUE, la Libido res-
tée attachée jusqu'ici à des parties du corps investit l'ensemble de la propre personne,
qui vient de s'organiser sous la double pression de la Libido et de la formation du Moi.
Ce tout fonctionnel, centre, cause et effet de la Libido, s'érige en objet privilégié sur
lequel se réfléchit comme dans son miroir tout le système pulsionnel érotique.
117
ÉTUDE N°6
118
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
Le complexe de castration est généralement lié à l'Œdipe. Il trouve son fonde- …Le complexe de castra-
ment physiologique ; pour ainsi dire plastique, dans la comparaison que les enfants font tion…
du sexe du petit garçon et de la petite fille. Le garçon craint d'être amputé du phallus.
La fille croit qu'elle en a été amputée. C'est cette différence morphologique qu'investit
l'angoisse du complexe de castration. Chez le petit garçon l'angoisse de pouvoir être
châtré, et chez la petite fille, le regret de l'avoir été (l'envie du pénis) constituent les
formes les plus fréquentes de l'anxiété inhérente à ce complexe. Aussi le complexe de
castration est-il avant tout un complexe de frustration. On comprend dès lors que les
études des psychanalystes aient rapproché cet affect de privation de la crainte de se
séparer des matières fécales identifiées au pénis (JONES), du complexe de sevrage
(STARCKE) et du moment primordial de la séparation d'avec le corps maternel, lors du
traumatisme de la naissance (FERENCZI, etc ... ). Il s'incorpore à ce complexe un fort sen-
timent de culpabilité par la signification de châtiment sanglant impliquée dans la cas-
tration et ensuite explicitée sous forme d'images de menaces vengeresses, de blessures,
d'instruments tranchants, d'opérations chirurgicales, de plaies, images qui se présentent
dans les fantasmes et les rêves de castration. L'éveil de la sexualité infantile étant, sous
forme d'auto-érotisme avec masturbation et ses équivalents, ou sous forme de complexe
d'Œdipe, l'objet d'une forte réaction d'angoisse, première ébauche du complexe de cul-
pabilité, trouve dans l'image de la castration un point d'équilibre constant.
Le complexe de culpabilité si intimement lié, comme nous venons de le voir, aux …Le complexe de culpa-
précédents traduit la peur qui est une composante fondamentale de la sexualité comme bilité…
inversement l'angoisse peut s'érotiser. La peur, l'angoisse est donc intimement liée au
développement et même au point de départ de la Libido 1. Elle se canalise et se concré-
tise dans le complexe de castration, dans le désir et la crainte intimement mêlés d'être
puni (autopunition), dans l'interdit, le « tabou » plein d'horreur, de dégoût, de honte et
de frayeur dont est frappée la sexualité. Et à mesure que va se développer la person-
nalité, ce complexe va s'incorporer par « introjection » à l'inflexible sévérité du Sur-
Moi, système d'images de la cruauté des disciplines premières et des premiers châti-
ments, liés à l'image parentale.
1. Cf. Le traumatisme de la naissance d'OTTO RANK, 1924, trad. fr. Payot, 1928.
119
ÉTUDE N°6
Plusieurs années, déjà, avant 1939, se déroulait à Londres une violente discussion
entre Anna FREUD et Mélanie KLEIN, à la Société de Psychanalyse de Londres 2. Tout
d'abord la controverse se cantonna autour de la technique des psychanalyses d'enfants.
Mélanie KLEIN ayant introduit la Thérapeutique de Jeu 3, Anna FREUD reproche à cette
méthode de se situer hors du plan essentiel : le transfert 4.
Un peu plus tard, Mélanie KLEIN acquit la conviction que les phantasmes primitifs
sont déterminés par des processus d'identification antérieurs à la phase de l'Œdipe et
consistent essentiellement en une introjection ou une projection de l'image maternel-
Anna FREUD et Mélanie le. Tantôt cette image, la mère, est vécue comme un bon objet à absorber, à s'incorpo-
KLEIN… rer, tantôt comme un mauvais objet à rejeter, ce double mouvement pulsionnel s'opé-
rant sur le mode oral 5.
S. ISAACS 6 dans une note inédite que nous a communiquée S. LEBOVICI, résume
ainsi cette position sur ce stade « psychotique » du développement instinctif du nour-
risson normal :
« Le contenu primaire de tout processus mental est le phantasme inconscient. C'est
la base de tout processus conscient et inconscient. A un stade primitif, l'introjection est
vécue comme une incorporation. A un stade ultérieur, elle est imaginée comme une
incorporation. Quand l'enfant imagine qu'il a déchiré sa mère, sa vie mentale est déchi-
rée et désintégrée. Le bébé vit comme si « la-mère-qui-est-en-moi-est-en-morceaux ».
C'est par conséquent toute une capacité hallucinatoire qui s'attache à ces fantasmes
d'introjection du sein maternel ».
Cette théorie, basée sur l'étude psychanalytique d'enfants de moins de trois ans,
120
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
met donc l'accent sur la structure sadique orale et les courants d'agressivité dirigés sur
soi, en soi ou hors de soi chez le nourrisson. A cette conception « hétérodoxe » Anna
FREUD a vivement réagi, mettant en évidence le narcissisme, l'absence de choix objec-
tal chez le nourrisson, qui est plongé dans une vie purement hédonique.
Tel est le syncrétisme, la fusion qui soumet à sa loi biologique le double principe
de plaisir et de déplaisir comme deux termes également positifs du binôme pulsionnel.
On comprend mieux dès lors que les tendances sado- masochistes du stade oral se
retrouvent au stade anal sous une forme encore plus différenciée et qu'elles investis-
sent ensuite d'agressivité ou d'agressivité tournée contre soi dans le désir d'autopuni-
tion, la structure complexuelle de l'Œdipe et de la castration ou encore des fixations
narcissiques ou homosexuelles.
121
ÉTUDE N°6
C) – LA SUPERSTRUCTURE PULSIONNELLE :
122
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
vient soit des sensations de la défécation, soit des sensations issues du produit de l'ac- …Le caractère anal…
te de défécation, soit encore des deux. Or les trois éléments essentiels du caractère anal
sont, d'après FREUD, l'autoritarisme, la ponctualité et la parcimonie. C'est que l'enfant
au stade de l'érotisme anal présente trois attitudes caractéristiques : il cherche à obte-
nir le maximum de plaisir, il retarde la défécation autant que possible, – il se retient,
ne « fait » qu'à sa volonté et selon le seul rythme de ses désirs, – il considère le pro-
duit de la défécation comme sa propriété. Ces trois attitudes caractéristiques devien-
nent caractérielles chez des sujets qui restent fixés à ce stade, d'où l'autoritarisme, la
culture de son pouvoir d'agir à volonté, d'être maître chez soi, le plaisir de ranger les
objets qui vous appartiennent, l'attachement aux objets de la propriété et notamment à
l'argent (particulièrement symbolique des matières fécales dans le folklore universel).
L'avarice, la méticulosité, une vie orientée et étriquée, de fortes pulsions auto- et hété-
ro-agressives, l'esprit de système, un rigorisme sévère, un mélange paradoxal de
besoin, de propreté et de pratique sordides constituent les traits caractériels de « l'ana-
lité ». Il existe deux sous-variétés de ce caractère anal, c'est l'anal érotique (traits de
caractère correspondant au barbouillage et à la manipulation des matières fécales), et
le sadique-anal, chez qui les pulsions agressives contre autrui, contemporaines du
stade auto-érotique anal, sont très fortes.
…Le caractère narcis-
D'autres traits de caractère ou de comportement habituel constituent le caractère
sique…
narcissique : sentiment de son importance, attitude égo-centrique à l'égard du monde,
croyance à la toute puissance des idées et des désirs, surestimation de l'objet aimé,
désir d'être aimé plus que d'aimer.
…Le caractère d'autopu-
Le caractère d'auto-punition se manifeste par ce que les psychanalystes appellent
nition…
la névrose d'échec (LAFORGUE). Tout se passe comme si le sujet détruisait lui-même
inconsciemment toutes ses chances de réussir, d'arriver, d'être heureux, défaisant dans
un perpétuel travail de Pénélope la trame de son existence
Nous pouvons indiquer encore ici quelques traits du comportement sexuel habi-
tuel qui par leur forme stéréotypée témoignent du privilège complexuel qui s'attache,
pour ces sujets à certaines images contemporaines d'un stade érotique auquel ils sont
demeurés rivés. Tel est le cas dans le choix du partenaire ou de l'objet érotique (dilec-
tion pour les femmes viriles, pour les prostituées, pour les personnes du même sexe,
etc ... ), dans les attachements sentimentaux passionnels (dilection pour les femmes
mariées, don Juanisme, etc ... ), dans les pratiques sexuelles « perverses », etc... C'est
bien dans ce chapitre consacré à la psychologie normale freudienne que devraient en
1. Les études psychanalytiques caractérologiques sont celles qui offrent le plus grand effet
« comique » sur les lecteurs profanes ou non prévenus. C'est que l'écart est maximum entre les
manifestations du caractère et du comportement et la situation affective primitive, entre l'avare
et l'enfant sur son pot.
123
ÉTUDE N°6
effet être étudiés ces cas soignés et souvent guéris par les psychanalystes sous les dia-
gnostics de « névroses de caractère » –de perversions sexuelles – frigidité – impuis-
sance – de névroses d'échec – de timidité – et plus généralement de « névroses ». Nous
nous expliquerons plus loin sur ce point, en étudiant la théorie psychanalytique des
névroses.
Naturellement les psychanalystes ont étendu leurs études et leurs analyses jus-
qu'aux types intellectuels, au choix d'une profession, etc... Un des aspects les plus
curieux de la métapsychologie freudienne des processus sociaux de sublimation c'est
la psychanalyse de la pensée primitive, soit des mœurs et de la structure sociale des
sociétés archaïques ou primitives (sacrifice, totémique, exogamie, sorcellerie, canni-
balisme, etc ... ) soit des mythes (mythes universels de l'ogre, du Père terrible, des per-
sonnages phalliques, démoniaques, etc ... ).
Enfin certains psychanalystes (notamment REIK, LAFORGUE, de SAUSSURE, etc ...)
voient dans la métaphysique et l'appareil logique de l'esprit des reflets de la libido
sublimée 1.
Pour le moment, sans qu'il soit nécessaire d'insister davantage, il nous a suffi de
bien montrer que le développement instinctivo-affectif du système pulsionnel et son
organisation dans l'Inconscient commanderaient, d'après FREUD et ses disciples, l'es-
prit humain de l'adulte, du savant ou du saint, comme ils conduisent le comportement
…C'est là un des aspects instinctif et primitif de l'enfant dans ses langes, ou gouvernent celui du névrosé. C'est
les plus discutables de la là un des aspects les plus discutables de la « Métapsychologie » freudienne pour qui
« Métapsychologie » freu-
la vie de l'esprit ne serait que le reflet ou même l'effet de l'Inconscient. Nous aurons à
dienne pour qui la vie de
l'esprit ne serait que le examiner ce problème ailleurs. Disons simplement ici qu'une forte réaction contre
reflet ou même l'effet de cette manière de voir s'est inscrite récemment dans le livre d'ODIER 2 et dans l'ouvra-
l'Inconscient… ge de Viktor E. FRANKL 3.
124
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
daires des activités et des besoins organiques. C'est l'instance du ça (das Es), le domai-
ne obscur des désirs latents et primitifs de l'animalité. Dans cette couche psychique, le
principe de plaisir (et celui du déplaisir) règne en maître. C'est l'activité dévorante,
insatiable et tyrannique de la Libido bestiale ou des pulsions destructrices.
Au-dessus de cette tendance qui constitue la partie refoulée de l'Inconscient, il y a
l'instance du Sur-Moi (Ueber-Ich) ou de la Censure, instance également inconsciente. Ce
que FREUD appelle le Sur-Moi, (et qu'il place en fait « en dessous » du Moi) c'est, insis-
tons-y, la partie refoulante de l'Inconscient. FREUD fait dériver ces forces refoulantes
inconscientes de l'introjection de l'image parentale : « Le Sur-Moi par un choix unilaté-
ral semble n'avoir adopté que la dureté et la sévérité des parents, leur rôle prohibitif,
…En fait ce que FREUD
répressif, » Ceci demande un éclaircissement. En fait ce que FREUD appelle le Sur-Moi,
appelle le Sur-Moi, mal-
malgré les dénégations de ceux de ses disciples qui sont ou feignent d'être sensibles au gré les dénégations de
reproche d'amoralisme ou d'antimoralisme, c'est un sévère système d'interdictions, c'est ceux de ses disciples qui
la conscience morale de l'homme. Pour lui, la moralité, l'impératif moral simplement sont ou feignent d'être
sensibles au reproche
« hypothétique » ne serait qu'un artifice d'éducation provenant du mécanisme d'intro-
d'amoralisme ou d'anti-
jection 1 ou d'identification lorsque le sujet incorpore à son Moi, la répression qui lui moralisme, c'est un sévè-
vient d'abord d'autrui. C'est un aspect de l'identification. Comme le fait remarquer re système d'interdictions,
DALBIEZ, la célèbre phrase de Mme de SÉVIGNÉ est un exemple frappant du mécanisme c'est la conscience mora-
le de l'homme…
psychologique d'identification : « J'ai mal à votre poitrine ». Mais ici l'identification est
à l'opposé du processus de désir. Quand l'objet du désir ne peut pas être atteint, il est
incorporé, identifié au Moi (je désire mon Père... je suis mon père... je suis en partie
double mon père et moi 2) et c'est l'introjection. L'enfant placé dans la situation univer-
selle du complexe d'Œdipe s'incorpore l'image de ses parents et notamment de celui qui
représente l'autorité, l'interdiction, le châtiment : « Petits enfants, nous avons connu ces
êtres supérieurs qu'étaient pour nous nos parents, nous les avons admirés, craints et plus
tard assimilés, intégrés à nous-mêmes » (FREUD) 3. Ainsi le Sur-Moi est l'héritier direct
du complexe dŒdipe 4. Il s'établit une sorte de « conversion », de « transfert » de l'éner-
gie psychique d'abord tendue vers la réalisation du désir, ensuite employée à le contra-
rier. Tel est le schéma de l'introjection de l'image du « Maître » qui constitue le point de
départ du système refoulant inconscient, de la Censure, disait d'abord FREUD, du
Sur-Moi, a-t-il dit ensuite, sans que cette désignation constituât un progrès bien sensible
pour sa théorie. De là découle la structure de l'appareil psychique inconscient : un sys-
tème de forces refoulées et un système de forces refoulantes.
1. Notion introduite par FERENCZI (1909). Nous renvoyons au passage du petit volume de Ch.
BAUDOUIN des Actualités scientifiques et industrielles, édité par Hermann (1939), que l'auteur
consacre aux débuts de l'introjection selon l'École anglaise, p. 30 à 42.
2. Essais de Psychanalyse, p. 194-196.
3. Essais de Psychanalyse, p. 203.
4. Ibidem, p. 203.
125
ÉTUDE N°6
Tous les débats qui se sont institués et risquent de durer encore longtemps sur
« l'amoralisme » freudien ont tourné sur la notion et la nature du « Sur-Moi ». Si le
« Sur-Moi » est au-dessus du Moi, il est évident que celui-ci est tenu sous la dépen-
…le livre d'O DIER et dance de cette instance inconsciente et primitive et tout idéal du Moi n'est que le pro-
même celui que A. duit d'une conjonction du Sur-Moi 1. Par contre, le livre d'ODIER et même celui que A.
HESNARD vient de publier HESNARD 2 vient de publier tout récemment et qui est si riche en réflexions et obser-
tout récemment …insis-
vations, insistent sur le fait que le Sur-Moi n'est qu'une caricature de la morale, ne
tent sur le fait que le
Sur-Moi n'est qu'une constitue qu'une « prémorale » analogue aux premières ébauches de l'intelligence qui
caricature de la morale, constituent une « prélogique », mais on comprend qu'il y a là un danger inhérent à la
ne constitue qu'une théorie de FREUD et à sa « topique » de l'appareil psychique. Ce danger c'est celui de
« prémorale »…
réduire tous les impératifs moraux à des interdits ou des tabous primitifs et enfantins.
…La seule manière La seule manière d'échapper à cette perspective « amoraliste » pour les psychanalystes
d'échapper à cette pers- qui peuvent être sensibles à ce reproche, c'est de voir dans le « Sur-Moi », un
pective « amoraliste » « Sous-Moi », un « Contre-Ça » contemporain du système pulsionnel lui-même.
pour les psychanalystes
Au-dessus de cet appareil, ou plutôt à sa surface existe l'instance du Moi,
qui peuvent être sensibles
à ce reproche, c'est de c'est-à-dire l'ensemble des fonctions psychiques soumises au principe de réalité, des
voir dans le « SurMoi », fonctions d'adaptation au réel, c'est-à-dire encore l'ensemble des processus psychiques
un « Sous-Moi », un conscients ou préconscients (pouvant être évoqués à la conscience). Si nous avons
« Contre-Ça » contempo-
bien compris la pensée de Freud sur ce point, le Moi, c'est-à-dire le lieu ou plutôt la
rain du système pulsion-
nel lui-même… forme de la conscience, représenterait toutes les opérations et toutes les instances psy-
chologiques non « inconscientes », puisque la psychologie freudienne admet par défi-
nition un Inconscient toujours et nécessairement inconscient. Nous touchons ici à l'un
des points les plus faibles de la psychanalyse ou psychologie de l'Inconscient qui
néglige ou « met de côté » le processus conscient et préconscient dans la même mesu-
re où la psychologie universitaire ignore l'Inconscient. Ce qui caractérise en effet le
plus profondément la conception freudienne de la personnalité humaine, c'est qu'elle
la réduit ou tend à la réduire à n'être qu'un bourgeon de la vie instinctive, comme elle
réduit ou tend à réduire la nature et la structure de l'esprit à un de ses « éléments », à
un de ses « mécanismes de base », reprise assez inattendue, soulignons-le encore, de
la psychologie atomistique...
1. C'est ainsi que H. HARTMAN et R. LŒWENSTEIN dans leurs Comments on the formation of psy-
chic structure, « The psychoanalytic study of the child », 1946, écrivent que la fonction du
« sur-moi », est la formation des « idéaux ». C'est ainsi encore que NACHT dans son récent ouvra-
ge (De la pratique à la théorie psychanalytique, Presse Universitaire, Paris, 1950, p. 27) écrit :
« On voit à quel point le « moi » est tributaire de l'inconscient élémentaire qui lui fournit un
apport constant d'énergie pulsionnelle ». Et comme pour mieux faire saisir encore que le
« sur-moi », selon lui, ne se constitue qu'après le « moi », il ajoute : « C'est cette énergie qui lui
permettra (au « moi ») quand se formera le « sur-moi » etc... ».
Nous pourrions, à foison, multiplier les citations qui montrent bien que pour la plupart des ana-
lystes le « sur-moi » « coiffe » le moi.
2. L'univers Morbide de la Faute, Presse Universitaire, Paris, 1949.
126
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
127
ÉTUDE N°6
vité humaine, mais cela ne peut être qu'en acceptant le risque d'une attitude hérétique
à l'égard du dogme freudien. Admettre en effet la psychologie freudienne et notam-
ment la conception d'un Inconscient, principe de détermination du conscient, c'est bien
admettre que, puisque l'Inconscient est la cause profonde de notre psychisme, celui-ci
n'est, en fin de compte, que l'effet, le signe de celui-là. Et c'est bien ainsi qu'il faut
entendre la conception purement freudienne de l'activité symbolique de l'esprit et du
Moi. La mémoire, l'association des idées, l'organisation des habitudes, nos actions
volontaires, nos actes les plus désintéressés ou les plus libres en apparence comme les
lapsus, les images de nos rêves, nos sentiments, nos passions, nos émotions ne sont
que des expressions de notre Inconscient à la fois refoulant et refoulé.
Le principe de toute explication psychanalytique est de voir dans l'oubli ou l'évo-
cation de nos souvenirs, les fantasmes de notre imagination, les ratés de notre pensée
ou de notre comportement, dans nos désirs, nos craintes, dans les intentions ou les
choix de notre volonté, – des signes d'une mémoire, d'une imagination, d'une intelli-
gence et d'une volonté autonomes et primitives, véritable personnalité seconde incar-
cérée dans l'Inconscient, et exclusivement déterminante de notre personnalité. Le psy-
…Le psychanalyste a hor- chanalyste a horreur du hasard et de la surface. Tout pour lui a un sens caché. Il flai-
reur du hasard et de la re partout le mystère et cherche sous toutes les manifestations psychiques, traitées
surface. Tout pour lui a
comme des symboles les « véritables mobiles », les causes non seulement de leurs
un sens caché…
formes, mais encore de leurs déformations. Si nous nous sommes complu à souligner
et à décrire ce « travers » des psychologues freudiens, c'est qu'en répétant avec eux
La psychanalyse tend à que sous les contenus manifestes il y a les contenus réels, que sous les signes il y a les
une extension indéfinie
choses signifiées, nous admettons bien que leur conception de l'activité symbolique
qui lui nuit, puisqu'elle se
heurte nécessairement, à repose, certes, sur une base réelle, mais aussi que, pour si justifiée qu'elle soit (et, nous
un certain niveau, à une le croyons, en grande partie justifiée, comme nous aurons l'occasion de le dire, quand
impossibilité logique et nous examinerons à la fin de ces Études la valeur scientifique et morale de la psycha-
de fait : la limite que le
nalyse), elle tend à une extension indéfinie qui lui nuit, puisqu'elle se heurte nécessai-
Moi conscient impose à
l’Inconscient… rement, à un certain niveau, à une impossibilité logique et de fait : la limite que le Moi
conscient impose à l’Inconscient. Cette impossibilité constitue l'impasse dans lequel
se débat actuellement la doctrine freudienne.
§ II – TECHNIQUE PSYCHANALYTIQUE
128
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
I.– L'Analyse:
Elle repose sur trois techniques, à vrai dire inséparables mais d'importance inéga-
le : les associations de mots – l'onirocritique – et l'association libre
La méthode des mots inducteurs (à laquelle on peut rattacher également la …Les mots inducteurs…
méthode du « test de Rorschach ») a été anciennement employée, notamment par
l'école de Zürich. Elle a été rapidement délaissée. Elle consistait à éveiller par des
mots des associations d'idées ou d'autres mots. Les réactions ainsi obtenues sont ran-
gées soit dans la catégorie des associations intrinsèques fondées sur une ressemblan-
ce essentielle entre le sens du mot stimulation et du mot-réaction (coordination, par
exemple pomme-poire – prédication, par exemple serpent-venimeux – dépendance
causale, par exemple chagrin-larmes), soit dans la catégorie des associations extrin-
sèques (couplement formel plume-plumeau – ressemblance phonétique : encre-ancre
– rime : carte-charte), soit dans la catégorie des rapports mixtes (rapports médiats ou
indirects : associations dépourvues de sens – absence de toute réaction – ou simple
répétition du mot indicateur). Les réponses du sujet le classent soit dans le type objec-
tif, à prédominance de réactions impersonnelles déterminées, soit par le sens objectif
du mot ou par ses caractères linguistiques, soit dans le type subjectif à caractère égo-
centrique qui se manifeste dans les associations prédicatives et surtout dans les
constellations. Ce sont ces constellations idéo-affectives qui ont la plus grande signi-
fication pour le psychanalyste 1.
La méthode d'analyse des rêves ou onirocritique est la pièce maîtresse de toute …L'analyse des rêves ou
onirocritique est la pièce
psychanalyse. Le sujet évoque un rêve dans tous ses détails et il est prié ensuite d'as-
maitresse de toute psy-
socier librement ses idées sur chaque détail évoqué à la mémoire. Il se produit alors chanalyse…
généralement un débloquage des souvenirs inhibés et un envahissement progressif
d'images ou de représentations qui explicitent le thème fondamental du rêve. Les rap-
prochements opérés par le sujet lui-même, les constellations idéo-affectives qui se
révèlent peuvent ainsi restituer la signification générale du rêve par rapport aux com-
plexes dont il est l'expression symbolique. L'analysé cherche lui-même des interpréta-
tions de ce symbolisme et ses tâtonnements, ses résistances, ses « scotomisations »,
ses « sur-déterminations », ses « images-écrans », etc... se déroulent devant le psy-
chanalyste, à peu près muet, et lui permettent de pénétrer dans le mécanisme profond
de l'élaboration du rêve et par conséquent des processus de l’Inconscient dont il
témoigne. A cet égard, l'analyse du rêve opère « au ralenti », en sens inverse et en plei-
1. Nous avons insisté sur ce point pour bien montrer que la méthode des associations verbales
n'exclut pas la possibilité d'associations autres que celles de type « complexuel ». Nous avons
puisé les éléments de cet exposé dans le chapitre XXIII du traité de JONES.
129
ÉTUDE N°6
ne clarté sur le travail synthétique de formation, qui, lui, s'est opéré d'un seul coup
pendant le sommeil. Comme sur un cliché photographique plongé dans un bain révé-
lateur, certains détails se précisent, s'enchaînent et se rejoignent pour composer les
Figures signifiées. C'est un puzzle de substance vive qui se construit par un lent tra-
…Quiconque n'a jamais vail de patience et s'éclaire brusquement de vives et fulgurantes illuminations.
analysé un rêve ne peut se Quiconque n'a jamais analysé un rêve ne peut se faire une idée du travail complexe
faire une idée du travail
que représentent et ce rêve et l'analyse qui le reproduit et le reconstitue en sens inver-
complexe que représentent
et ce rêve et l'analyse qui se. Le sujet qui « associe » autour des images de ce rêve est dans une sorte d'état d'hyp-
le reproduit et le reconsti- nose, état analogue à celui où nous nous trouvons quand nous laissons flotter notre
tue en sens inverse… esprit au gré de ses fantasmes, durant la rêverie 1.
C'est précisément cet état de relâchement et d'automatisme psychique qui est
recherché dans la méthode des associations libres, qui est « la règle d'or » de toute
psychanalyse. Le sujet pense tout haut, incorporant pour ainsi dire la présence du psy-
chanalyste à sa propre pensée sans en être gêné. Quand l'association libre atteint son
degré maximum de liberté, non seulement la présence du psychanalyste, mais même
le contrôle de la censure du sujet disparaissent : ce qui parle alors, c'est presque direc-
tement l'Inconscient du sujet. Le psychanalyste note alors les points autour desquels
s'ordonnent les associations, et il pénètre avec le malade lui-même dans le secret de
son Inconscient. Naturellement, cette liberté d'association idéale est très rare. Au début
des analyses, on ne l'obtient jamais et sa possibilité indique que les « résistances » ont
cédé ; elle est un test autant qu'un moyen de guérison.
Tels sont les trois procédés habituels. Tous trois sont à la base des procédés de
dévidement des contenus de conscience sans retenue. Les résistances qui s'opposent à
cet exercice, le plus libre possible, d'associations retiennent principalement et presque
exclusivement l'attention du psychanalyste, de même que toutes les manifestations de
l'Inconscient – lapsus, actes manqués, actes symptomatiques, etc...
L'ensemble de ces procédés d'analyse sont utilisés au cours des séances de psy-
…Les séances durent une
heure. Elles sont le plus chanalyse. Ces séances durent une heure. Elles sont le plus rapprochées possible (au
rapprochées possible (au moins trois fois par semaine) parfois, surtout au début, elles doivent être quotidiennes.
moins trois fois par Le sujet est étendu sur un divan, ayant le psychanalyste derrière lui, de façon à être le
semaine) parfois, surtout
moins gêné possible par sa présence, à être placé dans une situation qui favorise l'as-
au début, elles doivent
être quotidiennes. Le sociation libre. Contrairement à ce que beaucoup de profanes croient, l'attitude du psy-
sujet est étendu sur un chanalyste est celle d'un observateur impartial et silencieux, indulgent mais réservé. Il
divan … se borne à orienter de temps en temps les associations et à proposer, quand le travail
spontané de prise de conscience des processus inconscients lui paraît assez avancé, des
1. Au lieu de travailler sur le rêve fait, le psychanalyste peut travailler sur le rêve en train de se
faire par l'emploi de la méthode du Rêve éveillé (R. DESOILLE, Exploration de l'activité sub-
consciente par la méthode du rêve éveillé, Paris, éd. d'Artrey, 1938).
130
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
interprétations qui découlent déjà des interprétations amorcées dans l'esprit du patient. …proposer des interpré-
Naturellement ces séances sont très diverses : parfois le « matériel » est très abondant, tations qui découlent déjà
des interprétations amor-
parfois il est nul et la séance se passe dans un silence total, symptomatique de l'ac-
cées dans l'esprit du
croissement des résistances, de la négativation du transfert, etc... patient…
Les conditions exigées d'un psychanalyste pour être un bon analyste sont: d'abord
être lui-même psychanalysé 1 pour ne pas participer aux résistances et aux divers « tru-
quages » de l'Inconscient du malade, savoir, au contraire, les déjouer, et ne pas apporter
…[ L'analyse laïque ] a
dans l'analyse la projection de son propre Inconscient, – ensuite, d'être informé de la ouvert le cercle psycha-
théorie psychanalytique, – enfin, devrions-nous dire, il doit être médecin et médecin psy- nalytique à une foule de
chiatre. Cette dernière condition, que le bon sens exige, non seulement n'est pas requise « psychanalystes », qui
n'ont aucune idée de ce
de FREUD, mais a même été formellement répudiée par lui, ce qui a ouvert le cercle psy-
qu'est la clinique psycho-
chanalytique à une foule de « psychanalystes », qui n'ont aucune idée de ce qu'est la cli- pathologique; de telle
nique psychopathologique; de telle sorte que les problèmes qui sont soumis à leur saga- sorte que les problèmes
cité sont dangereusement mutilés et incompris, pour n'être point sinon confondus au qui sont soumis à leur
sagacité sont dangereuse-
moins confrontés avec ceux qui constituent l'objet de la psychopathologie.
ment mutilés et incom-
Quant au sujet psychanalysé, il doit être assez jeune pour que son psychisme soit pris…
encore plastique ; il doit être aussi assez intelligent et enfin il doit payer des séances
de psychanalyse pour stimuler son effort de libération et garantir sa persévérance 2. …la durée du traitement,
elle est généralement très
Quant à la durée du traitement, elle est généralement très longue et dure toujours
longue et dure toujours
plusieurs mois, et même plusieurs années. On sait à ce propos que STECKEL s'est fait plusieurs mois, et même
le champion des psychanalyses courtes. FERENCZI et RANK (1924) ont préconisé des plusieurs années…
1. K. JASPERS dans son récent et violent « factum » antifreudien (Zur Kritik der Psychoanalyse,
« Nervenarzt », 20 novembre 1950) fait un grief aux « Sectes » psychanalytiques d'imposer non
seulement un dogme, mais une foi et d'en faire la condition même de l'exercice de la pratique psy-
chanalytique. Il souligne que « en dernière analyse », si l'on peut s'exprimer ainsi, l'analyse didac-
tique n'est régulièrement terminée que lorsque le candidat est parvenu à récipiscence, lorsqu'il
s'est identifié à son analyste et que, pour soi disant dégager sa personnalité, il s'en remet à un
autre du soin de la former. Cette abdication de sa propre liberté comme fondement à l'aptitude
d'analyser autrui lui paraît constituer un dangereux péril. C'est ce que pour notre propre compte
nous avons toujours pensé. Il est certes souhaitable que la technique psychanalytique s'apprenne
et l'analyse didactique est certainement la meilleure école, mais reste à savoir si toutes les garan-
ties exigées pour l'initiation ne dépassent pas leur but. A cet égard, il est certainement regrettable
que FREUD ait commis l'immense erreur de consacrer de son autorité l'exercice de la psychanaly-
se hors du cadre de la médecine. Si la psychanalyse était considérée simplement comme une
forme de l'art de guérir, si les psychanalystes renonçaient à ce particularisme qui leur fait et leur
fera tant de tort, les garanties d'une spécialisation médicale n'exigeraient certainement pas autant
de « rites ».
2. Ceci est incontestablement juste du point de vue psychologique et il serait grossier de prétendre
qu'il y a dans l'établissement de cette règle seulement un souci d'intérêt matériel. Mais le carac-
tère absolu qu'on a voulu lui donner peut paraître excessif, car tous, nous connaissons des psy-
chanalyses conduites en dehors de ce que nous pourrions appeler cette « règle d'argent » et qui
ont, peut-être, réussi aussi bien que celles qui s'y sont conformées.
131
ÉTUDE N°6
Tout processus inconscient qui parvient à être évoqué à la conscience perd son
pouvoir d'action. Telle est la première proposition, d'où FREUD est parti, qui demeure
fondamentale dans ses conceptions psychopathologiques et qui est restée longtemps la
base de la technique psychanalytique. C'est la force refoulante de l'Inconscient, de la
« Censure » ou du « Sur-Moi », qui incarcère dans l'Inconscient tel ou tel « com-
plexe ». Comment peut être rompu, dès lors, cet équilibre? Par la méthode psychana-
lytique que nous venons d'exposer dans ses grands traits : par la méthode des associa-
tions « libres », le complexe inconscient est assiégé et forcé à « sortir » de son retran-
chement. Dès que le patient entrevoit le sens des métaphores, des déplacements, des
1. Fr. ALEXANDER, Psychoanalysis of the total personality, « Nervous and Mental Diseases
Monographs », n° 52, 1933. On se rapportera au sujet des modifications de la technique aux dis-
cussions du Symposium des Résultats thérapeutiques (« Intern. Zeitsch. Psychanalyse », 1937, n°
1 – « Internationnal journal of Psychan. », 1937, n° 2-3) et au livre de S. LORAND, The Technique
of Psychoanalytic therapy, 1947.
2. De nouvelles techniques de « psychanalyse collective » ont vu le jour et semblent aux U. S. A.
avoir gagné la faveur de certains Psychothérapeutes. La plus connue est le « Psychodrame » de
MORENO ; mais il existe d'autres variantes : discussions analytiques, pseudotraumatismes com-
plexuels cathartiques, scénarios destinés à obtenir une « abréaction » violente des complexes
etc.... Les essais de Narcoanalyse qui ont été si efficaces pendant la guerre prétendent jouer sur
le clavier de l'Inconscient des psychanalyses abrégées.
132
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
133
ÉTUDE N°6
134
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
135
ÉTUDE N°6
…personne ne pourra lui-même cette expérience véritablement convaincante qui consiste à conduire une
être entièrement convain- analyse 1. En dehors des critères « scientifiques » signalés par DALBIEZ, de similitude,
cu, s'il ne réalise
de vérification, d'évocation et de fréquence, il reste le plus important, purement intui-
lui-même cette expérience
véritablement convain- tif, celui que DALBIEZ appelle de convergence et que nous appellerions plutôt le critè-
cante qui consiste à re thématique, inséparable de cet art qu'est la technique analytique 2.
conduire une analyse… Nous pouvons donc conclure que la technique psychanalytique, même si elle
n'obtient pas les résultats thérapeutiques qu'on lui attribue généralement (et peut-être
en grande partie à tort), est une excellente méthode psychothérapique. Elle justifie en
tout cas pleinement l'importance de la psychologie de l'Inconscient.
C'est de l'étude des Névroses que FREUD est parti, rappelons-le encore une fois.
De là, il a édifié une Psychologie et précisé une Technique. Nous devons maintenant
envisager comment cette Psychologie et cette Technique lui ont permis, à lui et à ses
élèves, de présenter une conception générale de la Psychopathologie 3. Nous divise-
rons cet exposé en deux paragraphes : l'étude de la structure des états psychopatholo-
giques du point de vue de la psychologie freudienne, – la théorie psychogénétique des
Névroses et des Psychoses.
1. Nous nous sommes toujours étonnés du peu de curiosité des psychiatres en général, pour la
technique même de l'analyse. C'est pourtant la seule façon de se faire une opinion sur la valeur
de la psychanalyse. Cette technique est particulièrement simple dans les cas de délire, où la vie
inconsciente est pour ainsi dire « à fleur de peau », où le matériel psychanalytique est encore plus
abondant et plus accessible que dans un rêve. Cela nous paraît un exercice facilement réalisable
pour tous les psychiatres. Nous avons nous-mêmes tiré le plus grand bénéfice de quelques ana-
…Nous avons nous-
lyses poursuivies pendant des mois. Le milieu de l'asile, par ses défenses naturelles et la situation
mêmes tiré le plus grand morale du médecin, permet d'ailleurs d'éviter les inconvénients de la cure libre (réactions
bénéfice de quelques ana- anxieuses, irrégularités, désintérêt) et facilite certainement beaucoup le processus de transfert.
lyses poursuivies pendant Nous pensons qu'une petite expérience de ce genre éviterait à beaucoup de parler de la psycha-
des mois… nalyse, simplement par oui-dire, et permettrait également à beaucoup une connaissance bien plus
approfondie de la psychopathologie des délires. Quant aux résultats thérapeutiques, s'il n'y faut
pas toujours compter, notre expérience nous a montré qu'ils étaient loin d'être négligeables et
sont parfois même surprenants.
Nous avons récemment trouvé sous la plume à DARCY MENDUÇA UCHOA (Arquivos de
Neuro-Psychiatria, Brésil, 1950) un point de vue qui se rapproche beaucoup du nôtre. Sa brève
étude conclut à la nécessité d'organiser des services de psychanalyse dans les hôpitaux psychia-
triques. Nous pensons que les thérapeutiques psychanalytiques de groupe telles qu'elles existent
à Paris (DIATKINE, LEBOVICI, PASCHE, etc ... ) indiquent dans quelle voie les progrès doivent être
réalisés.
2. Cf. Notre étude Réflexions sur la valeur scientifique et morale de la Psychanalyse,
« Encéphale », 1939, 1, n° 4
3. C'est généralement aux Névroses que la théorie Psychanalytique est appliquée. Certains
Psychanalystes (JUNG, ABRAHAM, S. RADO, M. KLEIN , etc. et FREUD lui-même) ont tenté d'inter-
préter les Psychoses dans le même sens. Le travail de M. GLOVER, Psychoanal. approach to the
classif. of mental diseases, « J. Mental Sc. », 1932, est un des plus caractéristiques de ces efforts.
136
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
Nous avons déjà parlé plus haut, à titre d'exemple, du « caractère anal », du carac-
tère narcissique, des traits du caractère relevant des complexes d'Œdipe ou d'autopu-
nition. Tous ces développements complexuels de la personnalité se manifestent sous
forme de « névroses caractérielles », de « personnalités psychopathiques », de
« névroses d'échec », etc... Mais nous n'y insisterons pas ici. Ce qui retiendra spécia-
lement notre attention, au contraire, c'est la structure des « anomalies » de la vie
Inhibitions et perversions
sexuelle soit sous forme d'inhibitions sexuelles, soit sous forme de perversions de la vie sexuelle…
sexuelles (« pulsions partielles »).
Les inhibitions sexuelles constituent des troubles parfois très graves qui frappent
de gêne et parfois d'interdit l'activité sexuelle normale. Il existe un premier type cli-
nique : c'est celui du tabou sexuel, investi d'angoisse, qui engendre la timidité, la
pudeur paralysante, l'anxiété et la crainte exagérée, en ce qui concerne l'exercice des
fonctions sexuelles. Les plus fortes inhibitions se rencontrent à propos de l'impuis-
sance chez l'homme, de la frigidité chez la femme. Qu'il s'agisse d'impuissance totale
par manque d'érection, ou partielle (éjaculation précoce ou retardée), ou de frigidité,
on retrouve dans la structure de ces phénomènes une intensité anormale, une survi-
vance des complexes de castration, en rapport avec le complexe d'Œdipe, ou encore
de fortes tendances auto-érotiques ou homosexuelles, qui détournent inconsciemment
la fonction sexuelle de son objet normal et de son exécution complète ou enfin, dans
certains cas plus nettement obsessionnels, un désir inconscient d'autopunition et un
sentiment inconscient de culpabilité.
Les perversions sexuelles ou déplacements objectaux anormaux de la sexualité se
présentent, soit comme des fixations ou des régressions de la Libido à une phase
archaïque de l'évolution des instincts, soit comme des développements anormaux et
anarchiques des « pulsions partielles ».
Ces fixations de la Libido, peuvent se faire au stade auto-érotique, oral, anal ou
uréthral : coprophilie, ondinisme, recherche des plaisirs anaux, sadisme et masochis-
me, – soit au stade génital auto-érotique : masturbation, – soit au stade narcissique :
homosexualité narcissique, exhibitionnisme, – soit au stade hétéro-érotique du com-
137
ÉTUDE N°6
plexe d'Œdipe . homosexualité par identification avec l'objet du premier choix objec-
tal (la mère pour le garçon, par exemple).
Les développements anormaux des pulsions partielles consistent en ceci que cer-
taines pratiques ou émotions faisant partie des « plaisirs préliminaires » (Vorlust) cessent
d'être de simples « moyens », pour devenir des « fins » : voir, être vu, frôler, plaisirs
venant des objets liés à l'objet aimé (voyeurisme, exhibitionnisme 1, fétichisme, etc ... ).
Naturellement les deux séries de faits ne peuvent pas être complètement distin-
gués, car les raisons du développement de certaines pulsions partielles sont précisé-
ment des fixations à des stades dont ces pulsions sont essentiellement contemporaines.
On voit le schéma général de la structure de ces perversions. Certaines de par leur
importance (inversion sexuelle, sado-masochisme, exhibitionnisme) constituent des
domaines privilégiés pour des investigations psychanalytiques et ont donné lieu à des
milliers d'études et d'analyses. L'étude de ces fixations instinctives, ces pulsions tyran-
niques, obsédantes, électives, qui façonnent la personnalité entière du sujet selon des
types humains éternels se prête, en effet, à des développements historiques, mytholo-
giques, sociologiques, esthétiques infinis. Et ce n'est pas un des moindres mérites de
la Psychanalyse, d'avoir suscité un approfondissement considérable du sadisme, du
masochisme, du don Juanisme, et de l'homosexualité.
…À propos du masochis- Nous désirons ici simplement développer quelque peu ce qui a trait au masochis-
me… me cette perversion touchant le plus profond de la vie psychique au point de conver-
2
gence du plaisir et de la douleur là où s'épanouit cette « fleur du mal » par quoi se défi-
nit l'« érotisation de la douleur ».
L'École psychanalytique distingue avec FREUD le masochisme érogène, le maso-
chisme féminin et le masochisme moral. Ces diverses formes de conduite masochiste
étant dérivées du masochisme primaire.
Le masochisme primaire est en effet, comme nous l'avons vu, fondamental. Voici
d'après FREUD 3 son point d'application à la couche instinctuelle primitive :
« La peur d'être dévoré par l'animal-totem (père) a son origine dans l'organisation
orale primitive ; le désir d'être battu par le père dans la phase suivante sadique anale ;
la représentation de la castration quoique reniée plus tard, figure dans le contenu des
fantasmes masochistes, comme un résidu du stade d'organisation phallique ; quant aux
138
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
139
ÉTUDE N°6
génitale, le coït (peur d'être pénétrée, violée) de telle sorte que c'est dans l'érotisation
normale de ce danger que réside le masochisme de la femme.
Le masochisme moral est ici inconscient et de ce fait il engendre des goûts, des
situations, un caractère qui ne sont que virtuellement ou indirectement masochistes.
L'algolagnie est purement morale. Le sujet crée « le procès 1 » qui, dirigé contre
lui-même, assouvit sa soif de persécution, et de châtiment ou moins dramatiquement,
plus subrepticement, introduit l'échec, la maladresse, l'accident et la peur dans son
existence. Un des traits le plus caractéristique de son « bilanisme » (ODIER) écono-
mique 2 est de ne pouvoir jamais accéder au plaisir sexuel sans s'accabler tant pour le
choix de partenaire que pour la situation où s'engagent ses aventures amoureuses, de
tourments, déceptions, déconvenues, tracas ou remords compensateurs. Il ne peut
accepter l'amour sans souffrance.
140
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
141
ÉTUDE N°6
goisse (ambivalence affective de l'obsédé) qui résulte de l'action double des pulsions
érotiques et agressives également satisfaites par la satisfaction libidinale régressive et
par la satisfaction du désir inconscient de punition. On ne saurait trop souligner l'écart
qui sépare la première conception de l'obsession (déplacement de l'angoisse d'un com-
plexe refoulé sur un objet neutre) et de la seconde (régression au stade sadique anal),
point sur lequel nous aurons à revenir.
142
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
conversion 1sur le plan somatique d'un conflit inconscient. PARCHEMINEY 2 s'est par-
ticulièrement intéressé à ce point de vue aux effets somatiques de l'hypnose, sorte de
vérification expérimentale de l'expressivité psychosomatique.
C'est précisément ce terme qui désigne depuis 1943 un des mouvements médicaux …C'est précisément ce
et psychanalytiques les plus importants des États-Unis d'Amérique 3. Le fondement terme ( de psychosoma-
tique) qui désigne depuis
théorique de cette médecine psycho-somatique est la réversibilité sinon l'identité des
1943 un des mouvements
facteurs somatiques et psychiques. D'après WEISS et ENGLISH un tiers des malades médicaux et psychanaly-
venus consulter pour troubles organiques ne présentent aucun signe objectif de mala- tiques les plus importants
die somatique, ce sont de purs « fonctionnels », un deuxième tiers sont atteints de des États-Unis d'Amé-
rique …
maladies organiques partiellement liées à des facteurs psychiques (in part dependent
upon emotional factors), la troisième partie enfin étaient des malades du système
neuro- végétatif (asthme, migraine, hypertension) c'est-à-dire que les facteurs psy-
chiques y étaient de première importance. Somme toute il s'agit de constatations qui
sous cette forme statistique sont assez banales, c'est-à-dire sur l'importance psychogé-
nétique attribuée à la pathogénèse de ces diverses catégories. Pour nous, nous sommes
disposés à accorder à la médecine psycho-somatique toute la valeur que tous les vrais
médecins de tous les temps et de tous les pays n'ont jamais cessé de leur attribuer. Mais
1. Avant les travaux américains récents de DUNBAR, WEISS, ENGLISH, JAMES, L. HALLIDAY, etc.,
bien des études de médecine psycho-somatique avaient été entreprises par les psychothérapeutes
et les psychanalystes. Citons par exemple le vieux livre de DÉJÉRINE et GAUCKLER, Les manifes-
tations fonctionnelles des psychonévroses, Paris, 1911 ; le traité d'Oswald SCHWARZ,
Psychogenese und Psychotherapie körperlicher Symptome, Vienne, 1925 (articles de L. BRAUN
sur les maladies cardio-vasculaires, de HEYER sur les affections de l'appareil digestif, de G.
STRAUSBERG sur les maladies de la peau, de A. MEYER sur les troubles de l'appareil génital, etc.);
l'ouvrage de G. R. HEYER, Das körperlich-seelische Zusammenwirken in den Lebensvorgänge,
Munich, 1925 ; celui de T. BRUGSCH, CURT ELZE, L. R. GROTE, E. LIEK et W. MAYER GROSS,
Grundlagen und Ziele der Medizin der Gegenwart, Leipzig, 1928; celui de Erwin LIEK, Das
Wunder in der Heilkunde, Munich, 1930; celui de W. STECKEL, « Les états d'angoisse nerveux et
leur traitement » (Trad. française, Payot, 1930) ; celui de W. H. VON WYSS, Körperlich-seelische
Zusammenhängen in Gesundheit und Krankheit, Leipzig, 1931 ; de Viktor VON WEIZSACKER,
Aerztliche Fragen, Leipzig, 1933 ; de PIZARRO CRESPO, Alergias y anafylaxias, Rosario, 1935 ;
de Franz ALEXANDER, The medical value of Psychoanalysis, New-York, 1936 ; celui de R.
SIEBECK, H. SCHULTZ-HENCKE et V. VON WEIZSACKER, Ueber seelische Krankheitentstehung,
Leipzig, 1939; de Forster KENNEDY, The interrelationship of mind and body, Baltimore, 1939 ; et
d'autres encore dont on trouvera la bibliographie dans le travail de H. DELGADO, La Medicina y
la Psicologia, « Revista de Neuro-Psiquiatria », 1945 (pp. 251 et 252).
2. PARCHEMINEY, Évolution Psychiatrique, 1932.
3. Flanders DUNBAR, professeur à l'Université de Columbia, a publié son ouvrage Psychosomatic
Diagnosis (éd. Hoelner à New-York et Londres) en 1943 et la même année, E. WEISS et ENGLISH,
l'un professeur de clinique médicale, l'autre de psychiatrie à Philadelphie, publièrent leur livre
Psychosomatic Medicine (éd. Sanders Company, Philadelphie, Londres). NACHT a fait au groupe
de l'Évolution psychiatrique (1947) une remarquable conférence sur cette question (Évolution
psychiatrique, 1948, n° 1). La Patologia psicosomatica (1 vol., 788 p. Buenos Aires, 1948)
publiée sous la direction de Arnoldo RASKOVSKY est le fruit de la collaboration des psychana-
lystes argentins. (cf. plus haut notre Étude n° 4, p.78 et 79).
143
ÉTUDE N°6
144
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
L'analyse de FREUD la plus connue est celle du fameux cas SCHREBER, Président de la
Cour d'Appel de Saxe, qui a écrit son auto-observation dans un livre paru en 1903 ; ce
cas, en effet, est très démonstratif de la composante homosexuelle du système persécu-
tif. Les raisons pour lesquelles éclate la psychose délirante sont assez obscures. Il exis-
te chez le persécuté un point faible du développement libidinal (fixation à un stade de la
sexualité infantile). C'est par cette brèche que va se faire le retour du refoulé. L'occasion
va être soit une « frustration libidinale » par perte de l'objet aimé, ou par impossibilité
de continuer à l'investir d'amour, soit surtout l'état de tension créé par l'impossibilité de
se fixer sur un nouvel objet, d'opérer un choix objectal. C'est cette impossibilité qui est
sous la dépendance de la fixation infantile de la libido. Dès lors, le délire apparaît
comme une construction, une fiction destinée à satisfaire par son ambiguïté les ten-
dances homosexuelles refoulées qui vont s'assouvir et se disculper dans la fable d'une
persécution constante, d'une cohabitation affreuse mais désirée.
Il n'est pas jusqu'à l'efficience du complexe d'autopunition qui ne se retrouve com- …l'efficience du com-
plexe d'autopunition qui
plice naturel de la secrète complaisance à la persécution et aux châtiments qu'elle
ne se retrouve complice
comporte, point que LACAN a admirablement mis en évidence dans sa thèse 1. naturel de la secrète com-
Le délire de jalousie utilise également un processus de projection et comporte une plaisance à la persécu-
composante homosexuelle. La formule de cette projection est: « je ne l'aime pas lui, il tion et aux châtiments
qu'elle comporte, point
aime celle que j'aime », ou encore, « je l'aime, elle, mais c'est elle qui ne m'aime pas ».
que LACAN a admirable-
Formule qui met en évidence la part de haine qui anime le sentiment de jalousie ment mis en évidence
« amoureuse ». dans sa thèse…
Le délire érotomaniaque travestit encore davantage la tendance homosexuelle.
« Je ne l'aime pas, lui, c'est elle qui m'aime et que j'aime », formule qui, plus encore
que pour la jalousie, rend compte de la profonde agressivité impliquée dans la fixation
érotomaniaque.
Le mécanisme de la projection peut aller bien au delà de la simple inversion des
« formules » passionnelles et non seulement c'est d'elle que dépend la construction
symptomatique du délire, mais elle constitue le mouvement même du mécanisme hal-
lucinatoire. L'hallucination, a dit FREUD, est un bourgeon de l'instinct. Les psychoses
hallucinatoires systématiques sont constituées par la forme sensorielle du mécanisme
de la projection. L'acte projectif atteint la profondeur des mécanismes perceptifs et
assure ainsi sa pleine efficacité, son maximum d'objectivité et de travestissement. Ceci
est une des vues les plus profondes de la psychopathologie freudienne appliquée à
l'étude des psychoses et des hallucinations.
Le rapport de SCHIFF 2 contient des indications précieuses sur les rapports de
l'analité, de l'homosexualité et des psychoses paranoïaques selon l'École psychanaly-
1. J. LACAN : La paranoïa dans ses rapports avec la personnalité, Paris, 1932.[NdÉ: rééd.: Seuil, 1975]
2. SCHIFF : Rapport sur la Réunion des Psychanalystes de langue française, 1935.
145
ÉTUDE N°6
tique hollandaise (STIRCKE et van OPHUIJSEN). Pour ces auteurs qui ont beaucoup étu-
dié – avec combien de raison! – les rêves de leurs malades, le persécuteur serait situé
dans la sphère anale et le délire reproduirait la situation infantile centrée sur le cylindre
fécal, prototype du corps étranger. ABRAHAM et Mélanie KLEIN ont retrouvé chez des
enfants névropathes l'idée que les excréments étaient des poisons, ou des armes
empoisonnées. L'homosexualité contemporaine de ces stades primitifs serait due à une
identification au parent du même sexe dans la même situation persécutive imaginée
sur la base en complexe anal.
1. Cf. le livre Psicoanalisis de la Melancolia, (1 vol., 519 pages, Ed. Assoc. Psicoanal. Arg.,
Buenos-Aires, 1948) où A. GARMA et L. RASCOVSKY ont réuni l'ensemble des études psychana-
lytiques sur les États maniaco-dépressifs (S.FREUD, K. ABRAHAM, M. KLEIN, etc.).
2. ABRAHAM, Zentralblatt für Psychanalyse, 1911 et 1916
3. FREUD, Trauer und Melancolie (Deuil et mélancolie), Ges. Sch. V. (paru en 1916).
146
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
de son moi à l'objet se fait sur le modèle primitif de l'incorporation orale, cannibale.
Cette composante orale-sadique a été relevée chez les mélancoliques par tous les psy-
chanalystes qui, depuis ABRAHAM et FREUD, ayant tenté de pénétrer dans la structure
instinctuelle de la mélancolie1, ont souligné la régression orale et les tendances
sado-masochistes du mélancolique. C'est ainsi que NACHT résume de la sorte les méca-
nismes inconscients : – 1) un investissement narcissique de l'objet, – 2) de ce fait, la
perte réelle ou symbolique de l'objet est ressentie par le moi comme une perte cruelle
de lui-même, – 3) il réagit contre cette perte en s'identifiant à l'objet pour le garder en
lui, – 4) mais cette identification, en raison des fortes fixations prégénitales orales
ayant marqué le sujet, s'effectue régressivement sur le mode oral d'incorporation de
l'objet par le moi, – 5) à ce stade oral, la composante agressive est particulièrement
intense, le mélancolique fait donc une régression orale-sadique.
C'est sur ce thème que brodent généralement tous les travaux de l'École psycha-
nalyste sur la régression mélancolique. Parmi ces travaux celui de Mélanie KLEIN 2 est … Parmi ces travaux [sur
un des plus connus et des plus originaux. Elle accepte l'idée de FREUD et d'ABRAHAM la mélancolie], celui de
Mélanie KLEIN est un des
que le processus inconscient fondamental est la perte de l'objet aimé (Verlust der
plus connus et des plus
Liebesobjektes), ce qui conduit à son incorporation en soi, incorporation qui réalise originaux…
une véritable introjection par le jeu des pulsions cannibaliques. Cette incorporation de
l'objet constitue le noyau interne de l'angoisse par quoi la mélancolie se distingue de
la paranoïa qui projette l'objet dans une persécution extérieure (expulsion,
Ausstossen).
Quant à la manie, les psychanalystes ont certainement moins eu l'occasion de
l'étudier. Signalons cependant quelques travaux importants 3. Pour FREUD, la manie a
le même contenu que la mélancolie et constitue seulement une fuite devant la mélan-
colie. M. KLEIN croit qu'elle constitue aussi une défense contre l'invasion paranoïaque
et son élément central est le sentiment de toute puissance qu'expriment la domination
et la conquête de l'objet introjecté. Le Moi, ajoute-t-elle, s'empare de l'objet par un
mouvement de cannibalisme, que FREUD a appelé lui-même le festin ou le banquet
(Fest) mais avec une sorte d'insouciance qui l'en détache, alors que dans la dépression
il s'y concentre.
1. SANDOR RADO, Das Problem der Melancolie, « Int. Z. f. Psychanalyse », 1927, XIII, p. 439 ;
Hélène DEUTSCH, Zur Psychopathologie der manisch-depressiven Zustände, « Int. Z. E
Psychanalyse », XIX, 1933 ; GERÖ : Die Aufbau der Depression, « Int. Z. f. Psychanalyse »,
1936 ; NACHT, Le masochisme, 1938.
2. Mélanie KLEIN, Zur Psychogenese der manisch-depressiven Zustände, « Inter. Z. f.
Psychanalyse », 1937, XXIII, p. 275 à 305.
3. Ceux de M. KLEIN et de H. DEUTSCH que nous venons de citer et l'article de LAGACHE, Le Deuil
maniaque, « Semaine des Hôpitaux », 1937.
147
ÉTUDE N°6
1. Mme CAVÉ, Guérison psychique d'une schizophrénie, ses complexes de base, « Annales médi-
co-psychologiques », déc. 1947.
148
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
C'est par l'organisation répressive des instincts que FREUD rend compte de la psy-
chologie normale. En matière de psychopathologie, l'école freudienne a mis en évi-
dence, de manière plus ou moins claire et démonstrative, les mécanismes inconscients
des névroses et des psychoses. Mais il y a plus. FREUD entend donner une explication
causale des troubles mentaux par les mécanismes psychologiques. Pour lui, l'état psy-
chopathologique n'est qu'une déformation infligée à la vie par les ressorts de la vie
inconsciente. Toute autre explication lui paraît superflue ou tout au moins purement
occasionnelle. Cet aspect de la doctrine de FREUD est un de ceux qui, avec le symbo-
lisme, ont été les plus défendus et les plus combattus. Nous croyons que c'est le plus
critiquable. Il l'est d'autant plus, que la doctrine elle-même reste flottante, et qu'à cer-
tains égards elle se dérobe et, sans faire trop nettement appel à d'autre facteurs étiolo-
giques, en pose cependant constamment la nécessité. Nous avons assez souligné la
149
ÉTUDE N°6
révolution qui s'était opérée au sein des écoles psychanalystes et dans la pensée de
FREUD lui-même pour ne pas nous étonner que la « psychogénèse » des troubles men-
taux, la « causalité psychique » dont ils dépendent dans la doctrine originelle, aient
subi une assez substantielle transformation. Il y a, en effet, deux théories et non pas
une théorie de la nature et de la causalité psychique des états psychopathologiques : la
théorie du traumatisme psychique pathogène et la théorie de la régression libidinale.
C'est l'une et l'autre de ces théories que nous examinerons successivement. Il y aura
lieu ensuite d'examiner la fonction théorique de la distinction des névroses et des psy-
choses que la plupart des psychanalystes défendent.
Dès les premières investigations de FREUD, dès son travail fait en collaboration
avec BREUER, le rôle de certains souvenirs refoulés lui parut primordial. Tout se passait
dans les névroses - seules étudiées - comme si l'obsession, les phénomènes hystériques,
le traumatisme psychique
infantile (Urszene)… l'angoisse provenaient directement et exclusivement 1 de l'action perturbatrice, vérita-
blement pathogène du souvenir inconscient. C'est sur cette base qu'a été entreprise la
tentative de traitement des névroses le souvenir inconscient paraissant lié à un trauma-
tisme psychique infantile (Urszene). Les premières analyses faites et tous les grands tra-
vaux de psychanalyse de la première heure s'évertuaient à mettre en évidence ce trau-
matisme dans l'histoire des névroses. Tantôt, on retrouvait l'action traumatique d'une
scène (perception des rapports sexuels des parents, – masturbation par une nourrice, –
pratiques homosexuelles, – tentatives de viol, – acte d'exhibitionnisme ou tout autre
incident de promiscuité familiale, d'attentats aux mœurs ou d'émoi sexuel). Tantôt on
« montait en épingle » certaines émotions sexuelles ou affectives de la première enfan-
ce (sevrage, le traumatisme de la naissance lui-même, fixations incestueuses, etc ... ).
Ces situations affectives « montaient » dans l'inconscient des mécanismes plus ou
moins stéréotypés, des complexes idéo-affectifs. C'est de cette constatation que sont
parties les études des analystes sur les complexes d'Œdipe, de castration, de sevrage,
etc... Mais, d'une part, force était bien de se rendre compte que ces « complexes » se
retrouvaient chez tous les êtres humains d'une part et que, d'autre part, le souvenir
refoulé de la « Urszene » traumatisante faisait complètement défaut dans beaucoup de
cas. D'où l'évolution de la psychogénèse freudienne vers une conception un peu diffé-
rente, celle de la régression libidinale dont nous parlerons plus loin.
1. Notons cependant que FREUD, dans son fameux article de la Revue Neurologique (1895) relè-
ve l'importance de certains facteurs étiologiques organiques, notamment l'hérédosyphilis dans le
déterminisme des névroses. Mais ceci est resté un peu comme une simple « clause » de style dans
le développement de ses études psychopathologiques.
150
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
Cette théorie du traumatisme pathogène a donc dans l'histoire de la psychanalyse …Cette théorie du trau-
un caractère un peu « primitif », un peu « primaire », un peu « périmé ». Certes, il matisme pathogène a
donc dans l'histoire de la
demeure théoriquement fondamental, mais nous ne craignons pas d'être contredit par
psychanalyse un caractè-
les psychanalystes les plus orthodoxes, en affirmant qu'il est passé petit à petit au re un peu « primitif », un
deuxième plan de la psychopathologie freudienne. Aussi l'apologie que M. DALBIEZ a peu « primaire », un peu
fait de ce point de vue, nous a-t-elle toujours paru s'inspirer d'un freudisme un peu « périmé »…
désuet. On sait que M. DALBIEZ assimile (comme bien d'autres auteurs d'ailleurs) le
mécanisme pathogène du traumatisme psycho-sexuel infantile au déterminisme des
réflexes conditionnels dans l'adaptation de la personnalité 1. On peut, en effet, se
représenter le rôle de l'événement dans l'histoire de l'individu, comme ayant une
influence déterminante sur la plasticité des fonctions psychiques de la vie de relation.
Cela est d'une évidence que personne ne peut contester. Mais c'est une toute autre
question que celle de savoir si de telles actions de « milieu », de telles « situations …comment peut-il se
vitales », peuvent imposer à un être sain une déformation pathologique aussi profon- faire que des mécanismes
psychologiques, com-
de que l'est un état de névrose ou de folie. Les explications psychogénétiques de ce
muns à tous les hommes
genre ont toujours quelque chose de superficiel et d'embarrassé, quand elles n'ont pas (d'après les psychana-
un caractère absolument fantaisiste 2. Car toujours et sans cesse se pose la question : lystes eux-mêmes) provo-
comment peut-il se faire que des mécanismes psychologiques, communs à tous les quent des bouleverse-
ments si considérables
hommes (d'après les psychanalystes eux-mêmes) provoquent des bouleversements si
seulement chez quelques-
considérables seulement chez quelques-uns d'entre eux ? Et c'est pourquoi l'école psy- uns d'entre eux ?…
chanalytique s'est tournée vers la notion de « régression ».
1. C'est l'aspect « théorie de l'action pathogène du milieu » ou la conception de PAVLOV qui est ici
utilisée, ainsi que nous le soulignons plus haut. Mais il est bien clair que dans les « névroses expé-
rimentales » qu'elles aient été réalisées dans le laboratoire à « Pétrograd » ou qu'elles soient
« conditionnées » par MASERMAN ou GANTT, il s'agit de variations et de fixations de comporte-
ments ou d'habitudes qui s'inscrivent dans la gamme des réactions adéquates aux variations du
milieu. L'angoisse y est par exemple une « Realangst » (une angoisse réelle), une angoisse prove-
nant d'un « stimulus » ou d'une rupture de stimulus pénible. Dès que l'on met en évidence une réac-
tion anormale, on cesse de faire appel à ces conditions de surface et de plasticité pour faire inter-
venir soit une « prédisposition » soit un « trouble de la dynamique cérébrale », car les névroses
sont non pas des troubles « par conditionnement » mais des maladies « du conditionnement ».
2. Comme par exemple, quand elles expliquent un état schizophrénique par un complexe de
sevrage ou le narcissisme, et plus généralement quand elles présentent la structure psychanaly-
tique d'un état psychopathique comme la cause de la maladie... dont il serait plus juste de dire
qu'elle est l'effet. Ce renversement de la causalité a été justement dénoncé par une psychanalys-
te Karen HORNEY (1943).
151
ÉTUDE N°6
D'abord les psychanalystes ont bien soin d'indiquer qu'il y a une « barrière infran-
chissable » entre névroses et psychoses. Aussi, ils circonscrivent avec netteté le champ
152
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
des névroses ou, selon eux, joue à plein la psychogénèse. Ils font la « part du feu 1 »
et garantissent au maximum, en le restreignant, le domaine de la psychogénèse pure.
Dans ce champ de névroses, ils s'ébattent à plaisir, ils analysent, psychothérapisent et
prétendent guérir, démontrant ainsi le bien-fondé de leur doctrine.
On peut se demander, cependant, si la prétention des psychanalystes à guérir sûre- …On peut se demander,
ment et radicalement les « névroses » est bien justifiée. Depuis trente ans, nous cependant, si la préten-
tion des psychanalystes à
connaissons tous de telles cures d'hystériques, d'obsédés, ou plus généralement de
guérir sûrement et radi-
névrosés et il est bien certain que la psychothérapie freudienne est de toutes les psy- calement les « névroses »
chothérapies certainement la plus efficace. Nous ne songeons pas naturellement est bien justifiée…
comme d'autres l'ont fait à en détourner les psychiatres pour lesquels elle est une
méthode de cure remarquable. Mais enfin ne voyons-nous pas souvent des obsédés
« guéris » recouvrer, quelques années, et même quelques mois après leurs obsessions,
les mêmes et d'autres ? N'a-t-on pas vu aussi des cas de névroses rebelles à toute ana-
lyse... On ne compte plus, je pense, les psychanalyses interminables qui tournent « en
rond ». Pour tous ces cas, la réponse des disciples de FREUD est toute prête : « Il s'agis-
sait de troubles du Moi, de psychoses ». Mais cette distinction entre les troubles du
Moi, et les troubles névrotiques ne peut valoir que dans l'exacte et seule mesure où le
Moi et l'Inconscient constituent des domaines distincts, ce qui est très peu démontré
dans la théorie de FREUD, et encore moins dans les travaux des psychanalystes. De
telle sorte qu'après avoir si nettement tranché les limites qui séparaient les névroses
des psychoses, elles finissent par se réduire au critère de la réussite ou de l'échec de la
psychothérapie. A ce compte, on comprend combien souvent, en effet, le psychana-
lyste, après quelques essais, renvoie le sujet au psychiatre, en arguant de son impuis-
sance devant le cas où « il existe des troubles du Moi »... « où le Moi n'a pas assez de
force » etc... (PARCHEMINEY).
Et pourtant, répétons-le, les psychanalystes ont des succès. Ils parviennent à modi-
fier des inhibitions ou des déviations de la vie psychique. On peut se demander, à cet
égard, si le terrain de choix de la psychanalyse ne serait pas dans certaines contraintes,
dans certaines gênes, dans certaines faiblesses psychiques, elles, psychogénétiques et
particulièrement plastiques. Il ne faut pas perdre de vue que la personnalité normale est
soumise à des variations « psychologiques 2 ». Certains comportements, certaines
« réactions » ou « maladjustements », certaines organisations du caractère, certains
1. Exactement comme les mécanicistes qui, gênés par toute la structure psychique des névroses,
tiennent également à une distinction qui « garantit » au domaine des psychoses leurs interpréta-
tions mécanicistes. Cette double attitude prise pour des raisons doctrinales opposées mais en
vertu de la même « tactique » explique que soit si solide une distinction « valable seulement pour
le sergent de ville et le préfet de police », comme disait plaisamment P. JANET.
2. Nous employons ici ce terme comme celui de « physiologique », c'est à dire « normal par oppo-
sition au terme « pathologique ».
153
ÉTUDE N°6
1. C'est ce que nous avons développé à la Société Suisse de Psychiatrie à Zurich le 23 novembre
1947, au cours de la réunion consacrée aux limites et aux possibilités de la psychothérapie. [NdÉ:
Efficacité de la psychothérapie, L'Évolution psychiatrique 1949, XIV, 3, 1949, 289-302.]
154
FREUD ET LA PSYCHANALYSE
que nous appelons psychoses ou névroses et qui sont caractérisées précisément par le
défaut de plasticité et de psychogénèse pure. Tout Psychiatre, tout Homme qui réflé-
chit en tombe fatalement d'accord.
Comme nous l'avons souligné au début de cette étude, l'apport de FREUD et de son
École a été et reste si important pour la connaissance et le traitement de troubles men-
taux qu'aucun psychiatre ne peut davantage refuser d'admettre le rôle de la vie incons-
ciente dans la « folie » (psychoses et névroses) qu'elle ne peut l'écarter d'une théorie
du rêve. Aucune polémique, aucun préjugé ne peut retirer à la psychanalyse la place …Aucune polémique,
aucun préjugé ne peut
éminente qu'elle a conquise dans la science psychiatrique.
retirer à la psychanalyse
Mais il suffit de se rapporter à l'exposé des diverses situations concrètes que nous la place éminente qu'elle
venons de rappeler pour saisir que, malgré certaines « réserves de principe », certaines a conquise dans la scien-
« clauses de style » qui formulent que les troubles organiques et les troubles psy- ce psychiatrique…
chiques ne doivent pas être séparés ou encore qu'il existe « aussi » des facteurs orga-
niques actuels ou constitutionnels, FREUD et tous les psychanalystes sont nécessaire-
ment entraînés, comme malgré eux mais par leur propre mouvement, à considérer
constamment les troubles auxquels ils appliquent leur méthode, non seulement comme
étant en relation avec le système pulsionnel inconscient mais comme causés par lui :
– l'obsédé a des obsessions parce que son Sur-Moi est devenu anormalement exigeant
– l'hystérique est paralysée de ses jambes parce qu'elle refuse d'entrer dans la vie
conjugale – le catatonique est replié sur lui-même parce qu'il aspire à revenir dans le
sein maternel – le persécuté est terrassé parce qu'il a un sentiment inconscient de cul-
pabilité, etc... Qu'on le veuille ou non, c'est à une causalité psychique pure de la patho-
logie mentale, c'est-à-dire, en dernière analyse, à des rapports de signification à inten-
tion que tend la théorie freudienne.
Or une telle conception se heurte fatalement, par son approfondissement même, à
l'impossibilité de rendre compte de la constitution du trouble, puisque ce qu'elle trou-
ve au fond de tous les comportements normaux ou pathologiques, c'est la forme spé-
cifique de la vie instinctuelle qui nous est commune ou la forme personnelle de nos
tendances qui nous distingue les uns des autres, sans que pour cela nous soyons
« malades ». Autrement dit, aucune explication d'une « maladie », de « troubles mor-
bides » ou de « formes pathologiques » ne pourra jamais satisfaire en faisant appel à
des formes d'organisation vitale ou psychique pour rendre compte de la désorganisa-
tion des fonctions vitales ou psychiques 1.
C'est pourquoi du reste tous les psychanalystes depuis FREUD lui-même, dès qu'ils
sont poussés ou qu'ils vont eux-mêmes jusqu'au bout de leur argumentation, ne man-
155
ÉTUDE N°6
quent jamais d'admettre que les « facteurs organiques », les « désordres somatiques »,
…Nous avons soumis ou, ce qui revient au même, une « altération du Moi » jouent un rôle déterminant. Nous
cette étude à l'apprécia-
avons soumis cette étude à l'appréciation de S. NACHT. Il a bien voulu nous donner
tion de S. NACHT. Il a bien
voulu nous donner quelques conseils qui nous ont été précieux pour sa rédaction et a poussé l'amabilité
quelques conseils qui jusqu'à commenter notre texte. C'est ainsi qu'à propos de la « causalité psychique »,
nous ont été précieux c'est-à-dire de la thèse proprement psychogénétique que nous considérons comme l'es-
pour sa rédaction…
sence de la théorie freudienne, il a écrit une petite note que nous nous permettons de
reproduire ici : « La causalité psychique n'est qu'une causalité de second degré, le
conflit psychique n'acquiert une valeur pathogène que sur certains terrains. » En cela,
répétons-le, il nous parait être d'accord avec la plupart des psychanalystes, qui se
défendent d'être purement psychogénétistes... et avec nous !
Il est clair en effet que la conception freudienne, tout en étant et restant dans son
essence psychogénétiste, car son intuition la plus profonde est de trouver un sens,
c'est-à-dire une cause psychique à la « folie », se trouve contrainte de renoncer à son
postulat pour autant qu'il est en contradiction avec les faits : les troubles psychiques
étant autre chose que des expressions purement significatives de l'Inconscient. De
telle sorte que la doctrine psychanalytique a subi depuis ses prémisses une inflexion
profonde dont nous venons de retracer la courbe. En disant avec NACHT et au terme
actuel du mouvement psychanalytique que la psychogénèse n'est qu'une causalité de
deuxième degré, nous devrions tous tomber d'accord, par conséquent, pour condam-
ner toute psychogénèse pure, c'est-à-dire le pouvoir exclusivement pathogène de
l'Inconscient. C'est pourquoi, quant à nous, nous nous sentons forcés et justifiés par
cette contrainte même, de chercher dans une autre direction une hypothèse qui place
l'organogénèse des troubles mentaux au premier rang, la psychogénèse à sa place à la
fois considérable mais subordonnée et qui situe exactement le problème de la projec-
tion de l'Inconscient dans les symptômes. Cette projection ne constitue pas le proces-
sus causal primordial mais l'effet de ce processus qui constitue ce que nous appelons
une fixation archaïque, une régression ou une dissolution du psychisme.
Bien entendu, une telle entreprise, pour être menée à bien, ne devra jamais perdre
de vue tout ce que la psychanalyse nous a révélé du sens des symptômes névrotiques
…Toute théorie des
et psychotiques. Toute théorie de troubles mentaux qui risquerait en effet d'écarter des
troubles mentaux qui ris-
querait en effet d'écarter connaissances, de la science, de l'anthropologie psychiatriques tous les faits que les
des connaissances, de la psychanalystes ont, grâce à FREUD, découverts, serait tout simplement dérisoire. C'est
science, de l'anthropolo- dire combien l'œuvre de FREUD et de son École à condition d'être soustraite à l'idée
gie psychiatriques tous
d'une psychogénèse pure des troubles psychiques, nous apparaît prodigieusement
les faits que les psychana-
lystes ont, grâce à FREUD, féconde. Ce que les psychanalystes n'ont pas su faire en demeurant rivés, en dépit par-
découverts, serait tout fois de leurs affirmations, au concept de « psychogénèse pure », nous devons le faire
simplement dérisoire… dans le cadre d'une conception organo-dynamiste plus large.
156
Étude n° 7
ORGANO-DYNAMISTE DE LA
3. Mécanicisme et psychiatrie.
4. La notion de « maladie mentale ».
PSYCHIATRIE 1
5. La doctrine de G. de Clérambault.
6. Freud et la psychanalyse.
7. Conception Organo-dynamiste.
8. Rêve et psychopathologie.
1. La conception que nous défendons est celle que nous appliquons à tous les problèmes particu-
liers et concrets et que nous présenterons dans notre ouvrage Histoire naturelle de la folie. Aussi
voudra-t-on excuser la sécheresse théorique de cette étude ici nécessairement abstraite et sommai-
re. Quand nous aborderons les « Études » consacrées aux faits concrets il sera facile,
espérons-nous, de se convaincre que ce que nous présentons ici comme un assez sec « système »
est nourri de la substance même de la clinique. [NdÉ : Les premières journées de Bonneval consa-
crées à L'Histroire naturelle de la folie enrent lieu les 15-16 août 1942 ; L'esquisse du plan recueilli
par J. DELMONT a été édité hors commerce en 1943. rééd. in Info. Psy. 1999 : 5, pp. 477-488]
2. pp. 53 à 55.
157
ÉTUDE N°7
C'est à quoi précisément nous nous employons de toutes nos forces, non point
certes pour faire triompher une sorte de conciliation ou de « synthèse » plus ou moins
158
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
éclectique des deux courants habituels d'idées et de doctrines, mais pour les dépasser et
les intégrer dans une hypothèse psycho-biologique plus vaste : l'organo-dynamisme.
C'est dans cet esprit qu'avec J. ROUART, en 1936, nous avons pensé que les prin-
cipes de HUGHLINGS JACKSON pouvaient être appliqués à la Psychiatrie au delà de ce
que l'illustre neurologue anglais avait lui-même imaginé. Si jusque là ils avaient été
seulement utilisés – et on sait avec quelle fécondité – par la neurologie, c'est pour une
double raison (qui nous ramène encore à l'antagonisme doctrinal que nous entendons
« dépasser »). Les principes de JACKSON ont été appliqués en effet d'une part aux seules
« dissolutions locales » des fonctions nerveuses, de telle sorte qu'ils apparaissent aux
…Ajoutons à ces résis-
psychogénistes comme suspects pour utiliser trop la notion de « localisation » étroite et
tances théoriques des inhi-
absurde des phénomènes psychotiques et psychonévrotiques et que, d'autre part, ils bitions métaphysiques sur
semblent aux mécanicistes peu satisfaisants par leur constante référence au concept de lesquelles il est inutile
« dissolution » pour expliquer des symptômes qui, selon un de leurs postulats les plus d'insister, et nous com-
prendrons pourquoi ja-
essentiels, doivent ressortir dans leur forme la plus typique du seul processus d'excita-
mais, même pas par
tion ou d'un mécanisme partiel analogue... Ainsi en est-il pour la catatonie, les halluci- JACKSON lui-même, aucune
nations, les impulsions, les idées délirantes, etc... Ajoutons à ces résistances théoriques tentative complète n'avait
des inhibitions métaphysiques sur lesquelles il est inutile d'insister, et nous compren- été entreprise pour coor-
donner en un système
drons pourquoi jamais, même pas par JACKSON lui-même, aucune tentative complète
théorique cohérent les
n'avait été entreprise pour coordonner en un système théorique cohérent les principes principes de H. JACKSON…
de H. JACKSON sur l'évolution et la dissolution des fonctions psychiques 1.
1. Nous avons pris connaissance seulement, pendant la correction des épreuves de la première
édition de cet ouvrage, du livre de Herman F. HOFFMANN, Die Sichttheorie, Eine Anschauung von
Natur und Leben (un vol. de 103 pages, édité à Stuttgart en 1935). Nous n'avions jamais pu nous
procurer ce livre, paru peu avant notre monographie de 1936, et ce n'est que sa traduction espa-
gnole que nous avons pu consulter (traduction Peraita, Madrid, 1946). C'est, avec la Psychologie
Médicale de KRETSCHMER (3e édition, 1926), l'essai de Max LEVIN (On the causation of Mental
Symptome... psychiatric application of H. Jackson vieuws... with partic. reference to delirium and
schizophrenie, « Journal of Mental Science », 1936, 82, pp. 1 à 27) le livre de MONAKOW et
MOURGUE (Introduction à la Neurobiologie, 1930) et le travail de F. BARAHONA-FERNANDES sur
les Hypercinésies (Lisbonne, 1938), un des travaux qui se rapprochent le plus de notre manière
de voir, et qui puise notamment son inspiration dans les principes de JACKSON. Cependant ces
principes restent, dans l'œuvre de HOFFMANN, comme dans celle de LEVIN et de MONAKOW et
MOURGUE, trop abstraits et insuffisamment élaborés. C'est à partir des analyses caractérologiques
de KLAGES et de la « stratification » des états psychopathiques (déséquilibre psychique ou consti-
tution psychopathique) de Kurt SCHNEIDER que HOFFMANN tente de montrer à quelle hiérarchie
des fonctions neuro-psychiques correspondent ces « niveaux », cette stratification des comporte-
ments. Mais aucun approfondissement n'est tenté de ces principes et aucune perspective vraiment
nouvelle ne s'ouvre avec cet ouvrage dont l'intérêt est pourtant certain. Smith Ely JELLIFFE avait,
lui aussi, présenté une vue « jacksonienne » des niveaux du système nerveux et de la vie psy-
chique (vues que l'on trouve réexprimées dans la grande Introduction de son traité avec WHITE,
Diseases of the Nervous System, Philadelphie, Lea, 1935). Le premier travail de JELLIFFE sur ce
sujet est de 1923 et est intitulé : Paleopsychology (Essai de schéma de l'évolution des fonctions
symboliques), (Psychoanalytic Review, janvier 1923) Le chapitre du traité se réfère à HUGHLINGS
JACKSON d'après l'édition des Collected Works, Londres, 1931. Mais en fait l'objectif recherché à
travers cette référence jacksonierme n'était que d'étayer sa psychiatrie psychanalytique.…/…
159
ÉTUDE N°7
../.. Les travaux d'O. KANT (notamment Differential diagnosis of schizophrenie in the light of the
concept of personality stratification, Amer. J. of Psych., 1940) inspirée par la conception de Kurt
SCHNEIDER nous paraissent s'intégrer dans le même mouvement doctrinal. La position de beaucoup
d'auteurs à l'égard des notions d'évolution et de dissolution de l'activité psychique est souvent assez
ambiguë comme l'a montré la discussion au 1er Congrès Mondial de Psychiatrie. Nous ne sommes pas
en mesure actuellement d'approfondir l'étude de cette discussion. Mais nous le ferons prochainement.
160
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
1. Parmi ceux qui ont bien voulu accorder quelque attention à nos travaux, beaucoup, tout en nous
rendant un discret hommage, nous considèrent comme de « brillants vulgarisateurs » de la pen-
sée jacksonienne. Nous ne sommes ni garants ni esclaves de l'illustre JACKSON. Nous avons, en
reprenant ses études où il les avait laissées, c'est-à-dire à un point de perfection géniale pour son
époque, tenté d'en tirer le maximum de fécondité pour notre propre conception.
2. Nous reviendrons plus loin sur cette analogie (p. 178 à 186).
161
ÉTUDE N°7
162
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
ce sont des niveaux de dissolution plus ou moins typiques engendrés par des facteurs
étiologiques différents. Or, cette nature « syndromique » des psychoses si souvent
admise d'ailleurs mais en contradiction avec les conceptions classiques, s'oppose à
l'hypothèse d'entités anatomo-cliniques spécifiques.
Tels sont les principes qui doivent constituer l'inspiration jacksonienne de la concep-
tion organo-dynamiste dont nous allons exposer très brièvement les deux versants. Il suf-
fit de les énoncer pour montrer qu'il est parfaitement vain de reprocher à notre organi-
cisme d'être « mécaniciste » puisqu'il révoque en doute toutes les thèses spécifiquement
« mécanicistes », telles que nous les avons définies précédemment (Étude n° 5).
II – L'ORGANICISME.
Une psychiatrie qui prend son point de départ dans la vieille conception jackso-
nienne ne peut qu'être organiciste en ce sens qu'elle admet comme son postulat fon-
damental qu'un état d'altération mentale 1 est nécessairement conditionné par des
troubles des fonctions organiques et spécialement nerveuses. A cette altération corres-
pond une désorganisation. Cependant certains dualistes impénitents, tout en acceptant
le « jacksonisme » dans le domaine de la neurologie, le répudient en psychiatrie. Leur
idée de « derrière la tête » est toujours la même : la psychiatrie, c'est du « psychique »,
ça ne peut donc pas être « organique » !
Cette question de la nature organique de la cause des troubles mentaux dépend,
en effet, répétons-le, d'une exacte compréhension des rapports du physique et du
moral. Nous avons vu qu'il fallait écarter le dualisme cartésien, lequel favorise et
implique même le développement du mécanicisme et place la psychiatrie dans son
ensemble et les diverses psychoses en particulier dans une alternative (ou c'est orga-
nique et c'est mécanique, ou c'est psychique et ce n'est pas organique) qui leur ôte
toute autonomie sinon toute réalité. Quelle idée pouvons-nous nous faire dans une tra-
dition philosophique à la fois aristotélicienne, thomiste, spinoziste, hégélienne et berg-
sonienne 2 des rapports que soutiennent entre eux la vie et l'esprit? L'organicisme et le …L'organicisme et le psy-
psychisme ne sont pas deux substances hétérogènes, mais deux plans structuraux de chisme ne sont pas deux
substances hétérogènes,
niveau différent. Telle est l'idée qui doit nous guider. Le monde s'offre à nous dans
mais deux plans structu-
cette perspective comme une hiérarchie de « structures » ou de « formes » qui se raux de niveau différent…
déploient et s'organisent de telle sorte qu'une structure supérieure implique les struc-
1. L'aliénation mentale n'est en définitive qu'un concept-limite par rapport à l'ensemble des alté-
rations mentales que nous étudions sous le nom de névroses et de psychoses.
2. Ceci pour bien indiquer notre indifférence à nous conformer à tel ou tel système philosophique
quand il s'agit de mettre sur pied une hypothèse scientifique qui doit coïncider avec ce qu'ils ont
précisément tous de commun.
163
ÉTUDE N°7
tures inférieures mais les dépasse, et qu'une structure inférieure, tout en constituant
une condition nécessaire de celle qui est plus élevée dans la hiérarchie, ne suffit jamais
à l'expliquer. Il existe des formes structurales minérales, physico-chimiques – des
structures organiques biologiques – il existe aussi des structures psychiques. De même
que la biologie est irréductible à la physico-chimie, le psychisme est irréductible pure-
…La vie psychique est ment et simplement aux fonctions organiques. La vie psychique est certes intimement
certes intimement liée à la liée à la vie tout court, mais elle se déploie en une réalité qui, dépassant celle de l'or-
vie tout court, mais elle se ganisme, la prolonge. Les fonctions physiques ont une réalité sous-tendue par l'effort
déploie en une réalité qui,
d'organisation, le système de forces à elles propre, qui constitue les formes supérieures
dépassant celle de l'orga-
nisme, la prolonge… de la vie de relation. Ce serait donc à la psychologie de MAINE de BIRAN, à celle de
BERGSON que nous nous rallierions le plus volontiers. Mais ce n'est pas tout, il nous
paraît encore nécessaire de distinguer grossièrement dans la masse des fonctions psy-
chiques deux pôles : celui de fonctions intimement liées à la structure du système ner-
veux dont elles épousent la forme, ce sont les fonctions instrumentales de la vie de
relation (gnosies, praxies, fonctions du langage, systèmes de réflexes conditionnels,
etc ... ), l'autre est celui des fonctions psychiques énergétiques (fonctions d'adaptation
au réel selon le schéma de JANET, ensemble des activités d'intégration et de synthèse
de la conscience, etc). Ces dernières constituent un type d'activité indéfiniment (nous
ne disons pas infiniment) ouverte au progrès de la connaissance et de la volonté.
L'exercice de cette activité fonctionnelle supérieure introduit dans la vie de chacun de
nous des variations que l'on peut appeler « purement » psychologiques (passions,
idéaux, réactions aux événements, etc ... ). Mais, il est une autre sorte de variations
qui, elles, représentent des régressions. Elles proviennent de l'action empêchante, per-
turbatrice ou destructive que les troubles des fonctions organiques déterminent sur
l'activité psychique. Ce sont ces variations de l'infrastructure qui, se manifestant sous
la forme de dissolutions, de régressions de l'activité psychique, constituent l'objet
propre de la psychiatrie. En aucun cas, si nous désirons définir une masse homogène
de faits, les variations pathologiques dues à des troubles organiques ne sauraient être
confondues avec les variations dues au jeu normal des instances purement psycholo-
giques. Le « psychologique pur » est une notion-limite qui marque l'affranchissement
maximum, quoique toujours relatif, de la vie psychique à l'égard de ses déterminations
organiques. Ainsi se trouve répudiée de la façon la plus formelle, au point de vue doc-
trinal, la psychogenèse pure des troubles mentaux. Par là, nous nous écartons des psy-
chanalystes, et aussi de ces éclectiques (pour la plupart neurologistes acceptant le dua-
1. T'out ce que nous venons d'exposer ici en quelques lignes et que nous avons exposé à la fin de
notre Étude n° 6, se trouve développé et âprement discuté dans Le problème de la psychogénèse des
troubles psychiques (discussion qui a duré pendant trois journées à Bonneval en septembre 1946).
Éd. Bibliothèque neuro-psychiatrique de langue française, DDB, 1950. [NdÉ: Rééd. Tchou, 2004.]
164
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
lisme cartésien bien propre à assurer leur quiétude métaphysique) qui admettent à la
fois l'organogenèse des psychoses et la psychogenèse des névroses, par exemple. Pour
nous, névroses et psychoses sont des structures psychopathologiques, effets à des
degrés divers de perturbations organiques 1.
Nous devons définir maintenant, et encore une fois, quelle est notre position à
l'égard des relations de la Neurologie et de la Psychiatrie, car, et c'est, croyons-nous,
l'originalité de notre position, dire que les psychoses dépendent des troubles cérébraux
n'équivaut pas à confondre Neurologie et Psychiatrie. Nous devons rappeler ce que
nous avons déjà avancé au sujet de la différence structurale qui sépare les dissolutions
partielles et les dissolutions globales des fonctions de la vie de relation. Cette distinc-
tion que nous devons à JACKSON n'avait pour lui ni le sens ni l'importance décisive que
nous lui attribuons. Il n'a pas vu ce qui nous a paru, à nous, évident, savoir qu'elle
constituait la seule base possible d'une discrimination naturelle entre la neurologie et
la psychiatrie 2. Aussi pouvons-nous en revendiquer à la fois le mérite et la responsa-
bilité, ce qui paraît avoir échappé jusqu'ici à plus d'un auteur...
Le type de dissolution psychiatrique (globale) la plus authentique est le sommeil …Le type de dissolution
qui engendre le rêve. Cette dissolution hypnique constitue en effet un schéma d'expli- psychiatrique (globale) la
plus authentique est le
cation valable pour toute la série des états psychopathologiques, comme nous le ver-
sommeil qui engendre le
rons dans l'étude que nous consacrons à ce problème capital. Tandis que dans le som- rêve…
meil et le rêve normaux il s'agit d'une dissolution très brusque et très profonde, on peut
considérer que tous les degrés intermédiaires de vitesse et de profondeur constituent
une échelle de niveaux qui nous rend explicable ce qui se passe dans les formes anor-
males de la vie psychique. Ceci explique que notre conception de la psychiatrie s'ap-
plique avec plus de facilité aux niveaux profonds là où les troubles négatifs plus mani-
festement analogues à ceux du sommeil sont les plus considérables, tandis qu'elle
paraît plus difficile à admettre dans les cas de niveaux plus élevés où les troubles néga-
tifs étant plus minimes peuvent paraître inexistants. Et c'est précisément pour ces cas
qu'il importe de mettre en évidence l'existence d'une structure négative, ce qui consti-
tue la principale tâche de la psychiatrie clinique à laquelle nous consacrons tous nos
efforts. Au contraire, quand ce sont les fonctions instrumentales qui sont soumises à
un processus de désintégration, dans la mesure même où elles ne commandent pas
1. Nous avons précisé encore ce point dans notre communication à la Société Suisse de
Psychiatrie (Zurich, 1947). Ce travail a paru dans « L'Évolution Psychiatrique » sous le titre
Efficacité de la psychothérapie. Nous y montrons que notre conception non seulement ne rejette
pas mais implique la psychothérapie. Le travail de RUMKE (paru vers la même époque dans les
Acta Belgica Neurologica) coïncide très exactement avec notre point de vue. Il l'avait d'ailleurs
exposé à la réunion à Zurich.
2. Notre point de vue a été exposé et discuté aux « Journées de Bonneval » de 1942. [NdÉ: Rééd.
L'Info. Psy. 1999: 5. Voir note 1 p. 157] (cf. les Rapports de la Neurologie et de la Psychiatrie par
H. Ey, J. de AJURIAGUERRA et HECAEN éd. Herman, Paris, 1947, [NdÉ: Rééd. Hermann, 1998).
165
ÉTUDE N°7
166
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
tions partielles de fonctions élémentaires, en l'espèce par des troubles sensitifs pri-
mordiaux. Prenons maintenant le cas de cet ensemble d'évolutions typiques de
troubles mentaux que nous rangeons sous le terme générique de « schizophrénie ». Il
ne s'agit pas à nos yeux d'une affection psychogénétique, c'est-à-dire due à des facteurs
purement psychiques comme le serait le « refuge dans la maladie », une « réaction à
une situation vitale », une « introversion plus ou moins consciente », etc... S'il s'agis-
sait uniquement de modifications de la pensée et du comportement de cet ordre, ou
mieux de ce niveau, nous serions en face de variations psychiques entièrement « com-
préhensives » au sens de JASPERS, plastiques et réversibles, c'est-à-dire de réactions
normales et nous ne pourrions pas distinguer le comportement d'un ermite de celui
d'un schizophrène. Or, ce qui confère à de tels états leur caractère pathologique, c'est …ce qui confère à de tels
(indépendamment des facteurs étiologiques si souvent inconnus de nous) que, à l'ana- états leur caractère
pathologique, c'est […]
lyse structurale, ils apparaissent sous l'aspect d'une régression, d'une dissolution dont
que, à l'analyse structura-
les troubles négatifs constituent la preuve et qu'aucune psychogénèse ne parviendra à le, ils apparaissent sous
expliquer. Donc, à nos yeux la « schizophrénie » est une affection d'origine organique, l'aspect d'une régression,
une « somatose » et probablement une affection cérébrale. Cela veut-il dire que nous d'une dissolution dont les
troubles négatifs consti-
assimilons purement et simplement la « schizophrénie » à une affection neurolo-
tuent la preuve et qu'au-
gique ? Elle ne nous parait pas du tout être faite d'une mosaïque de troubles élémen- cune psychogénèse ne
taires comme l'est par exemple un, syndrome parkinsonien avec ses troubles du tonus, parviendra à expliquer…
la bradylalie, l'écholalie, les hallucinoses, etc... ou comme le serait, d'après certains
auteurs, une hébéphrénie conçue, par hypothèse, comme une simple juxtaposition de
phénomènes dits justement neurologiques parce que élémentaires et partiels : stéréo-
typies, impulsions, catalepsie, hallucinations, idées délirantes, phénomènes d'automa-
tisme mental, etc... Dans ces deux cas (assimilation à une affection neurologique
authentique ou conception de l'état mental pathologique comme une collection de phé-
nomènes psycho-sensoriels ou psycho-moteurs, élémentaires et isolés) la « schizo-
phrénie » ne devrait cesser d'être une affection psycho-génétique que pour devenir une
affection neurologique. Mais pour nous, dire de ces états nommés « schizophrénie »
qu'ils sont des affections cérébrales (d'étiologie multiple) entraînant sous forme de
régression typique une dissolution globale de ces fonctions supérieures qui assurent le
fonctionnement d'ensemble de la conscience et la cohésion de la personnalité équivaut
à affirmer, à la fois, leur origine organique et cérébrale et leur appartenance non pas à
la Neurologie mais à la Psychiatrie.
Il nous est difficile de nous exprimer plus clairement et nous renonçons à nous
faire comprendre si nous ne parvenons pas ainsi à faire saisir notre position en ce qui
concerne la genèse organique des psychoses, objets non pas de la Neurologie ou
pathologie des fonctions sensori-motrices élémentaires et partielles, mais de la
Psychiatrie ou pathologie neurosomatique des fonctions psychiques et supérieures.
167
ÉTUDE N°7
Nous savons cependant combien est fort le préjugé qui lie indissolublement dans les
esprits les termes d'affection mentale et psychogénèse d'une part et ceux d'organicité
des psychoses et neurologie d'autre part; nous savons aussi combien est enracinée la
méconnaissance de la distinction entre organicisme et mécanicisme (peu d'entre nous
apercevant que celui-ci n'est qu'une des formes possibles de celui-là) de sorte que nous
redoutons encore bien des malentendus. Quoi qu'il en soit nous disons, avec le maxi-
…la conception organo-
mum de netteté, que la conception organo-dynamiste, en répudiant à la fois la psy-
dynamiste est la seule
capable de préciser,
chogénèse des psychoses et leur interprétation mécaniciste (qui consiste à les décou-
comme nous l'avons mon- per en fragments fonctionnels isolés et à les assimiler purement et simplement à ces
tré ailleurs, la situation phénomènes élémentaires qui sont l'objet propre et nécessaire de la neurologie), est à
de la Psychiatrie dans les
notre sens la seule capable de préciser, comme nous l'avons montré ailleurs, la situa-
sciences médicales et spé-
cialement son autonomie
tion de la Psychiatrie dans les sciences médicales et spécialement son autonomie rela-
relative à l'égard de la tive à l'égard de la neurologie, branche comme elle de la pathologie des fonctions ner-
neurologie… veuses de la vie de relation.
Enfin, un dernier aspect de notre organicisme, soulignons-le après avoir montré
notre opposition à la psychogénèse et établi notre conception des rapports réciproques
…l'écart organo-clinique. de la Neurologie et de la Psychiatrie, c'est l'écart organo-clinique. Nous appelons ainsi
Nous appelons ainsi cette cette marge d'indétermination, d'élasticité qui s'interpose entre l'action directe et défici-
marge d'indétermination,
taire des processus encéphalitiques ou plus généralement somatiques et leur expression
d'élasticité qui s'interpose
entre l'action directe et
clinique. Ceci situe notre position aux antipodes de l'explication mécaniciste et consti-
déficitaire des processus tue le fondement de notre organicisme essentiellement dynamiste en ce qu'il suppose
encéphalitiques ou plus un ensemble de réactions, de mouvements évolutifs, conditionnés certes par le méca-
généralement somatiques
nisme de dissolution mais qui mettent en jeu également la « dynamique » des instances
et leur expression cli-
nique…
psychiques subsistantes. C'est ce que nous allons mettre en évidence en exposant main-
tenant l'aspect proprement dynamique de la conception organo-dynamiste 1.
III – LE DYNAMISME.
1. Notre conception heurte évidemment celle de P. GUIRAUD (Psychiatrie générale, 1 vol., 664
pages. Éd. Le François, Paris, 1950) en ceci surtout que la vulnérabilité psychique est toujours
conçue par GUIRAUD comme spatiale et soumise au hasard de la localisation (cf. spécialement p.
146 à 162). Dans l'analyse critique que j'ai faite de son ouvrage (L'Évolution Psychiatrique, n° 4,
1950) je me suis attaché à mettre en évidence nos positions respectives et foncièrement opposées
comme pour démontrer qu'une conception organiciste comme la nôtre peut être organiciste sans
être mécaniciste comme celle de GUIRAUD. Nos divergences portent sur ce point essentiel : le
trouble résulte-t-il de la localisation de La lésion en psychiatrie comme en neurologie. Pour nous,
nous ne le pensons pas, la pathogénie du trouble mental supposant une organisation évolutive et
une désorganisation énergétique de l'ensemble de la vie psychique.
168
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
sa signification est très vague. Être « dynamiste », cela ne signifie pas grand-chose si
l'on ne définit pas rigoureusement ce que l'on entend par là. Pour nous, le « dynamis-
me » se définit dans les sciences médicales par sa position antithétique à l'égard du
mécanicisme. Le totalisme, l'intégration du psychisme, du système de forces qu'il …Le totalisme, l'intégra-
tion du psychisme, du sys-
représente dans la pathogénie des troubles et l'antinosographisme constituent en psy-
tème de forces qu'il repré-
chiatrie ses traits caractéristiques. On reproche parfois à une telle définition, ou plus sente dans la pathogénie
exactement aux termes choisis pour la résumer, d'opposer « mécanique » et « dyna- des troubles et l'antinoso-
mique », alors que la dynamique n'est en physique qu'une partie de la mécanique. graphisme constituent en
psychiatrie les traits
Nous ne l'ignorons pas! Mais ce qui nous importe ce n'est pas le mot mais le courant
caractéristiques [du
d'idées qu'il représente. Or, s'il est vrai (revenons-y encore) que l'évolution des Dynamisme en psychia-
sciences médicales est pour ainsi dire rythmée par l'alternance de deux altitudes fon- trie]…
damentales et antinomiques, s'il est vrai que l'une se définit par l'esprit d'analyse, son
goût pour les notions anatomiques, spatiales et statiques et l'autre par l'usage de
concepts énergétiques et vitalistes, s'il est vrai que ces deux positions doctrinales se
traduisent en psychiatrie par le choix soit d'un système de schèmes statiques (éléments
inertes, mosaïque de phénomènes mécaniques, accidents n'affectant qu'un plan et
comme une seule surface), soit celui d'un ensemble de notions énergétiques (forces,
mouvement évolutif, dissolution, reconstruction, variations de niveau envisagées dans
une perspective temporo-spatiale), s'il en est ainsi ne sommes-nous pas fondés à dési-
gner par ces deux termes « mécanicisme » et « dynamisme » les deux pôles entre les-
quels, comme dans la médecine en général, oscillent les théories en psychiatrie? S'il
fallait une preuve pour ainsi dire pittoresque du bien-fondé de ces désignations et de
l'opposition véritable qu'elles expriment, il n'est qu'à traiter un « mécaniciste » de
« dynamiste » et inversement, ou de proposer par exemple à un mécaniciste des termes
qui témoignent d'un esprit dynamiste (comme « structure », « niveau de dissolution »,
etc ... ). Mais il nous importe surtout de dégager le sens doctrinal dont nous chargeons
notre conception dynamiste.
Par hypothèse, nous admettons que les psychonévroses et les psychoses sont l'ef-
fet d'un déficit énergétique. C'est une certaine énergie, une « tension psychologique »
qui maintient normalement à l'état de vigilance l'équilibre de nos instincts et assure la
précision et l'efficacité de nos actes et de nos pensées; leur adaptation au réel suppo-
sant une infinité de fonctions, d'actes de mémoire, d'attention, de perception, de
contrôle, etc... La vie psychique se déroule comme une série d'opérations de basse ou
de haute tension ainsi que l'a admirablement montré Pierre JANET. C'est parce que cette
réalité a été jusqu'ici peu étudiée que cette notion nous est généralement peu familiè-
re et que notre langage psychologique et clinique dispose de si peu ou de si mauvais
mots pour l'exprimer. Aussi est-elle généralement méconnue et nous avons entendu
dire que si la tension artérielle était quelque chose, la « tension psychologique » n'était
169
ÉTUDE N°7
rien car elle ne se mesure pas. Cette boutade est une naïveté d'abord parce qu'il est de
l'essence de la vie psychique de se dérouler sur un plan qualitatif et ensuite parce que,
si l'on ne veut pas accorder de valeur à l'analyse phénoménologique qui la justifie, les
manifestations de cette réalité peuvent, en un certain sens, se mesurer. Et n'est-ce pas
ce que l'on fait par l'emploi de toutes les méthodes de tests, les comparaisons
d'épreuves et de performances qui déterminent le degré de détérioration d'un « fond
mental » ou le degré d'efficience de l'activité psychique? Ce qui nous paraît encore
plus décisif, c'est la considération objective du développement génétique. L'étude du
long et difficile développement des fonctions psychiques chez l'enfant qui dure des
années aboutit nécessairement au concept de niveaux et de degrés qui ne s'ordonnent
que par rapport à celui d'une force tout comme la notion des phases de développement
somatique implique celle d'instinct. C'est donc ce système de forces réelles qui, pour
nous, en fléchissant, entraîne la régression des fonctions mentales vers des niveaux
inférieurs.
Notre conception implique encore un autre aspect dynamique, c'est la libération
…Régression, Libération,
Travail évolutif de la psy- de la part subsistante. Le processus morbide n'agit pas sur une matière inerte mais sur
chose… un système héréditaire ou acquis d'énergies organisées 1. C'est peut-être là l'intuition
la plus profonde du « jacksonisme ». La psychose est faite de la libération anarchique
des instances sous-jacentes jusque-là disciplinées et réprimées, et maintenant inté-
grées à un niveau inférieur. Toute diminution des forces psychiques supérieures entraî-
ne une libération des énergies désignées par les termes d'Inconscient ou d'instinct. La
folie libère les tendances animales, l'hallucination est un bourgeon de l'instinct, le
sommeil déchaîne la « folle du logis », autant d'images qui illustrent une façon de pen-
ser restée jusqu'ici davantage du domaine vulgaire qu'utilisée par une théorie scienti-
fique. Or, c'est à cette référence à un système naturel d'explication que nous entendons
revenir et c'est le sens de la notion « d'échappement: au contrôle » bien plus évident
encore, nous semble-t-il, dans le domaine de la Psychiatrie où on répugne de l'accep-
ter que dans celui de la Neurologie où elle est devenue classique.
Le troisième aspect dynamique de notre perspective doctrinale est constitué par
l'extrême importance, par nous attribuée, au travail évolutif de la psychose. Nous
appelons ainsi les transformations qui s'opèrent dans la conscience et la personnalité
du malade sous la double influence du déficit énergétique et des vivantes réactions des
instances psychiques subsistantes ou encore des tendances que constitue sa personna-
lité. Ce travail, cette activité n'est à nos yeux limitée ni par le concept de processus
exclusivement mécanique (il a fallu à G. de CLÉRAMBAULT l'immense talent que nous
1. Otto RANK, Evolution of Dynamics etc., « J. of Nerv. and ment. Diseases », janvier 1948, se réfé-
rant aux concepts psychobiologiques de A. MEYER et aux principes du « diagnostic pluri-dimen-
sionnel » de BIRNBAUM et KRETSCHMER, nous paraît se rapprocher de notre point de vue.
170
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
lui avons connu et reconnu pour introduire dans une psychose qu'il se figurait radica-
lement différente de l'activité psychique ce mouvement dès lors artificiellement créé
par une combinaison de phénomènes purement mécaniques) ni par celui d'entités n'ad-
mettant entre elles aucun mouvement évolutif. Pour nous l'ensemble des psychoses et …Pour nous l'ensemble
des psychoses et des
des névroses représente les formes d'évolution typiques qu'affectent les niveaux de dis-
névroses représente les
solution relativement au système de la personnalité. Ceux-ci représentent les degrés de formes d'évolution
régression que la maladie inflige à une évolution psychique normale 1. L'échelle des typiques qu'affectent les
niveaux de dissolution est solidaire d'un schéma de la hiérarchie des fonctions, l'un et niveaux de dissolution
relativement au système
l'autre ne pouvant être établis qu'après de longues et minutieuses analyses nous ne
de la personnalité…
pouvons en donner ici, à titre d'indication, qu'un aperçu tout provisoire.
Certains paliers paraissent d'ores et déjà importants : 1. La dissolution des fonc-
tions élevées qui assurent l'intégration de la personnalité sur le plan social (conduites
d'adaptation, disciplines morales et sociales, etc ... ). – II. La dissolution des fonctions
qui assurent « l'équilibre thymique », c'est-à-dire l'intégration des forces instinctives …Les états d'altérations
et affectives dans l'adaptation au réel. – III. La dissolution des fonctions qui assurent de la structure de la
l'organisation perceptive du monde extérieur et du monde intérieur et la discrimination conscience […] se carac-
térisent phénoménologi-
clairement vécue du subjectif et de l'objectif. – IV. La dissolution des fonctions intel-
quement par des
lectuelles fondamentales. Ces divers niveaux, objets des études de psychopathologie « vécus » psychopatholo-
générales, se présentent en clinique sous forme de troubles du comportement (I), giques qui s'offrent dans
d'états de type maniaque ou mélancolique (II), d'états oniroïdes, hallucinatoires, de l'actualité de la « ren-
contre » (Begegnung) du
délires d'influence ou de dépersonnalisation (III), d'états confuso-oniriques (IV). Tous
malade et du psychiatre…
ces états constituent un premier groupe d'aspects typiques de troubles mentaux en tant
qu'il s'agit d'altérations de la structure de la conscience, c'est-à-dire des fonctions de
vigilance qui nous permettent de nous adapter à chaque moment présent. Ils se carac-
térisent phénoménologiquement par des « vécus » psychopathologiques qui s'offrent
dans l'actualité de la « rencontre » (Begegnung) du malade et du psychiatre. Ils cor- …ils corresspondent aux
respondent notamment à ce que JASPERS a appelé des « expériences délirantes pri- « expériences délirantes
maires » et font l'objet d'une « Daseinsanalyse » qui révèle les altérations dans les primaires » de JASPERS…
échanges de l'être et de son milieu, c'est-à-dire le bouleversement de la vie psychique
actuelle pour autant qu'elle se prête à une « section transversale ».
Mais la dynamique structurale des psychoses ne s'arrête pas là, elle exige d'être
élargie et complétée dans une autre dimension : l'organisation des niveaux de dissolu- …Mais [aussi] l'organi-
sation des niveaux de dis-
tion comme formes d'altération de la structure de la personnalité. A cet égard, cer-
solution comme formes
taines psychoses, dites alors « aiguës », se comportent comme de simples états transi- d'altération de la structu-
toires de dissolution de la conscience sans incorporation durable de leur « vécu » dans re de la personnalité…
la trajectoire de la personnalité. D'autres constituent des altérations « chroniques » de
la personnalité sur fond de permanence stable ou progressive de troubles de la
171
ÉTUDE N°7
Nous voulons laisser entrevoir d'un mot vers quelles solutions nous paraissent
devoir dès lors s'engager certains problèmes théoriques et pratiques. Pour une concep-
tion organodynamiste qui répudie également le mécanicisme et la psychogénèse, la
cause profonde des psychoses réside dans les troubles organiques héréditaires ou
acquis qui perturbent l'exercice des fonctions psychiques, entraînent l'activité psy-
chique à régresser vers des niveaux inférieurs d'organisation et produisent des formes
archaïques ou « primitives » de pensée et de comportement. La pathologie dernière
des psychoses doit conduire, sinon peut-être nécessairement à une anatomie patholo-
gique cérébrale (ce qui est possible), tout au moins à une physiopathologie somatique
des troubles mentaux. Cependant toute la Psychiatrie serait et resterait incompréhen-
sible s'il n'était fait appel en même temps et nécessairement à une psychologie géné-
tique de l'évolution des fonctions psychiques dont les psychoses représentent le mou-
172
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
Parmi les corollaires des principes généraux d'inspiration jacksonienne que nous
avons faits nôtres, quelques-uns peuvent être indiqués ici en manière moins de conclu-
sion que d'orientation.
173
ÉTUDE N°7
1. Il est très remarquable que B. LLOPIS (La Psicosis pelagrosa, Barcelone, 1946) à propos de
l'étude d'un facteur pathogène, la Pellagre, aboutisse justement à une conception des psychoses
envisagées comme « niveaux de dissolution » sans avoir connu nos propres travaux.
174
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
te à l'interprétation des extraordinaires effets observés sous l'influence de la thérapeu- … La thérapeutique par les
tique par les chocs dans l'évolution des psychoses. Il s'agit là d'une thérapeutique non chocs, place dans le plus
cruel embarras la noso-
spécifique qui transforme profondément les tableaux cliniques, fait qui place dans le
graphie classique d'inspi-
plus cruel embarras la nosographie classique d'inspiration mécaniciste. Pour nous, au ration mécaniciste…
contraire, nous comprenons que des modifications introduites dans le processus géné-
rateur, la mobilisation des plans de niveau puisse réveiller un travail de reconstruction,
sorte de « cicatrisation psychique », jusque-là assoupi. Et nous comprenons aussi que
le travail de réévolution puisse faire passer la psychose par des niveaux différents de
celui auquel elle avait paru se stabiliser.
Enfin, nous devons souligner de la façon la plus formelle que la répudiation de la
psychogénèse pure comme facteur pathogène déterminant et notre conception généra-
le des rapports du physique et du moral assigne nécessairement à la psychiatrie des
limites. Ceci notamment à l'égard des activités supérieures humaines, des valeurs spi-
rituelles (génie, expérience mystique, actes moraux ou immoraux, esthétique, etc ... ).
Le domaine de la psychiatrie s'oppose à cet égard à celui de la liberté et sans cette
opposition la psychiatrie ne peut exister.
Une des objections – nous devrions dire un des contresens – que l'on retrouve le
plus souvent dans les commentaires critiques de cette conception organo-dynamiste
…aucun psychiatre, digne
est celle de ne pouvoir pas réserver à la psychothérapie la part qui lui convient. S'il
de ce nom, ne peut refuser
était mérité ce serait effectivement un reproche qui ruinerait notre entreprise doctrina- de placer la psychothéra-
le, car il est bien évident qu'aucun psychiatre, digne de ce nom, ne peut refuser de pla- pie au centre de sa théorie
cer la psychothérapie au centre de sa théorie comme de sa pratique. Voyons donc les comme de sa pratique…
175
ÉTUDE N°7
la vie psychique dans une perspective qui n'est, répétons le, ni celle du dualisme parallé-
liste ni celle du monisme statique, mais qui est celle d'un mouvement dialectique par
lequel la vie passe de sa forme organique et spécifique à sa forme psychique et person-
nelle. C'est à cette théorie dynamiste des rapports du physique et du moral que corres-
pond notre propre conception organo-dynamiste des névroses et des psychoses. Celles-ci
constituent des régressions de structure et de niveaux divers.
Une telle manière de voir les choses situe au centre de toute « maladie mentale »
la vie psychique (c'est-à-dire l'ensemble de la vie de relation) de l'individu qui en est
atteint de telle sorte que cette maladie mentale apparaît certes comme une manière
d'être inférieure quant à son adaptation au réel, à la société, aux événements mais aussi
comme une façon, d'être-au monde », un « Dasein » perturbé, objet d'une analyse
structurale ou d'une « Daseinsanalyse » indispensable, tout en faisant dépendre cette
organisation anormale de la vie psychique d'un trouble hérité ou acquis de l'infra-
structure organique, objet d'une physiopathologie indispensable. Il est clair, par consé-
quent, qu'elle postule à la fois la nécessité et la limite de la psychothérapie.
Si l'on consent à ne pas commettre le contresens que GRASSET 1 dénonçait quand
il écrivait : « L'électrothérapie, l'hydrothérapie, ce ne sont pas des traitements de l'élec-
tricité et de l'eau, mais des traitements par l'électricité et par l'eau et la psychothérapie
est un traitement non de l'esprit, mais par l'esprit ), il est clair que l'ancienne définition
de CAMUS et PAGNIEZ demeure la seule satisfaisante : « La psychothérapie est l'en-
semble des moyens par lesquels nous agissons sur l'esprit malade ou sur le corps
malade par l'intervention de l'esprit » 2.
Toute psychothérapie exige en effet deux conditions essentielles l'action de la per-
sonnalité du psychothérapeute, la réaction de la personnalité du malade. C'est entre
ces deux coordonnées que s'inscrit le mouvement même du processus curateur. Toute
…Toute psychothérapie psychothérapie est une action sociale où se mêlent et se pénètrent au moins deux per-
est une action sociale où sonnalités : elle est à la fois, comme l'acte même de l'amour, une possession et un don.
se mêlent et se pénètrent
Toutes les formules psychothérapiques peuvent se ramener à ce schéma. Dans l'hyp-
au moins deux personna-
lités : elle est à la fois, nose et la suggestion, l'hypnotiseur se substitue à l'hypnotisé, il transmet et impose une
comme l'acte même de forme de pensée saine et toute formée à l'être malade. Dans la psychanalyse, le psy-
l'amour, une possession et chanalyste, personnage écran contraint l'inconscient du psychanalysé à se modifier par
un don…
sa réfraction dans le conscient d'autrui. Dans l'ergothérapie et la psychothérapie de
groupe, le psychothérapeute délègue son pouvoir à une forme sociale et humaine qu'il
anime de sa personne et par laquelle il maintient et prolonge son contact. Ainsi l'acte
essentiel de la Psychothérapie c'est l'attitude du Psychothérapeute et RUMKE 3 fait jus-
1. Cité dans les « Médications psychologiques », t. III, p. 402, par Pierre JANET.
2. CAMUS, PAGNIEZ, Isolement et Psychothérapie, 1094, p. 26.
3. RUMKE, Personnalité et Psychothérapie, « Acta Neurologica et Psychiatrica Belgica », mai 1949.
176
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
../.. Dans ce même numéro se trouve un article de VAN DER HOOP sur « la structure des névroses
et la psychothérapie ».
1. Altéré c'est-à-dire « troublé » mais aussi « assoiffé » ce qui révèle assez combien la maladie
est un vide, un besoin, une forme de néantisation.
2. L'hypnose en tant que sommeil suggéré constitue une sorte de forme maximum de la théra-
peutique de suggestion. Elle a été provisoirement abandonnée chez nous où elle était née. Par
contre elle a connu et connaît à l'étranger et particulièrement aux États-Unis une grande vogue.
C'est ainsi que Lewis R. WOLBERG a consacré deux gros volumes aux principes et à la pratique
de cette psychothérapie (Medical hypnosis, 1948). Mais l'hypnothérapie constitue comme théra-
peutique de la suggestion allant depuis l'hétérosuggestion jusqu'à l'autosuggestion, une gamme de
procédés thérapeutiques innombrables depuis la méthode de COUÉ jusqu'à « l'autogène Training »
de J. H. SCHULTZ (dont on trouvera dans le Nervenarzt, 1949, p. 77 à 81 , un exposé par KUHNEL).
Dans cette dernière psychothérapie il s'agit d'une véritable rééducation ou tout au moins d'un
entraînement par le relâchement musculaire et fonctionnel.
3. Le transfert est le dénominateur commun de toute psychothérapie. C'est dans ce sens qu'il faut
entendre la proposition 28 de H. SCHULTZ-HENKE, 29 Thesen zum heutige Stande dur analytischen
Psychotherapien, « Nervenarzt », avril 1949.
4. [NdÉ: BERG H. van den. .Bref exposé de la position phénoménologique en psychiatrie,
« L'Évolution psychiatrique »: XII, 2, 1947, 23-41.]
177
ÉTUDE N°7
178
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
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ÉTUDE N°7
– Le second est celui des idées, de ces combinaisons psychiques subjectives, qui
s'élancent vers le réel et déjà se détachent du pur subjectif – Le troisième, celui de
l'imaginaire, où nous construisons sous forme de fictions des réalités auxquelles cor-
respondent nos conduites de jeu. – Le quatrième est celui du passé mort qui est un réel,
déjà plus réel si on peut dire; ce sont des souvenirs de choses réelles auxquelles cor-
respondent nos conduites de la mémoire. – Le cinquième est le degré du futur lointain
que règlent nos conduites de prévision. – Le sixième, le degré de l'idéal qui correspond
à nos conduites de direction. – Le septième, le degré du passé récent, qui est presque
vécu comme le présent et comporte une série de sentiments de « présence ». Le hui-
tième est celui du futur proche, réglé par les conduites d'attente et de préparation. – Le
neuvième, celui de notre présent psychique, de notre réalité psychique actuellement
consciente. – Le dixième, celui de nos actions présentes, correspondant aux senti-
ments régulateurs de nos actions. – Le onzième, celui des événements actuels,
construction plus synthétique encore du présent. – Le douzième, celui de la réalité spi-
rituelle et sociale, groupant toutes les conduites qui nous rattachent aux autres. – Le
treizième enfin, celui de la réalité des objets, de l'existence des corps extérieurs, déta-
chés de notre esprit par cette opération qu'est la perception du réel.
Certes, une telle classification peut paraître arbitraire, en ce qui concerne le
nombre de degrés, lequel peut être augmenté indéfiniment, mais ce serait une grande
erreur (celle qui est si généralement commise), que de considérer cette hiérarchie des
fonctions du réel comme une vue purement abstraite. En réalité, Pierre JANET aimait
…le caractère didactique présenter ses études sous un aspect simple, mais le caractère didactique et mer-
et merveilleusement veilleusement socratique de son enseignement révèle, à qui veut bien le comprendre,
socratique de l'enseigne-
une pénétration du réel puissamment « phénoménologique », profondément vécue.
ment de P. JANET, révèle, à
qui veut bien le com- Qu'il étudie la « conduite du panier de pommes » ou celle de « Faguet et de l'attente »,
prendre, une pénétration ou celle « du commandement et de l'obéissance », son œuvre est entièrement concen-
du réel puissamment trée sur des faits concrets. Du point de vue qui nous intéresse, la hiérarchie des fonc-
« phénoménologique »,
tions du réel correspond au développement des fonctions dans une perspective géné-
profondément vécue…
tique, qui transparaît souvent, d'ailleurs, dans les analyses. La perpétuelle référence à
des types primitifs, archaïques, de pensée en se confondant avec l'idée même de l'évo-
lution des fonctions de JACKSON, s'identifie à son inspiration spencérienne. Si, nous
nous permettions à cet égard un regret, ce serait celui de ne pas voir JANET plonger
plus profondément dans les couches de la vie instinctive et de ne pas envisager sous
cet angle, et de ce point de vue plus résolument génétique, la hiérarchie des fonctions
du réel selon l'évolution de la vie instinctive. C'est par là que, sans s'exclure, JANET et
FREUD peuvent et doivent se compléter.
On sait comment Pierre JANET s'est principalement occupé tout d'abord des
névroses, et combien restent actuelles ses études sur l'hystérie et sur les obsessions.
180
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
L'hystérie (on en a fait la remarque trop souvent pour qu'il soit utile d'y insister) aurait
dû, semble-t- il, conduire JANET, par ses études sur l'hypnose, à un approfondissement
des mécanismes instinctifs de l'Inconscient. Il a envisagé ces troubles d'une manière
purement « formelle », en faisant appel à la notion du rétrécissement du champ de la
conscience, notion identique à celle de régression. Mais ce sont surtout ses études et
ses interprétations de l'obsession, ou mieux de la psycho-névrose obsessionnelle, qui
ont été le point de départ du « janétisme ». L'obsession n'est pas un phénomène isolé,
c'est un état de faiblesse de l'activité psychique de la tension psychologique, faiblesse
telle que, ne pouvant plus se déployer dans ses actes supérieurs, la force psychique
s'éparpille, à des niveaux inférieurs, en conduites et idées de dérivation.
Depuis lors, ce schème fondamental d'une baisse de la tension psychologique et
des troubles des fonctions du réel a été justement étendu par JANET à la plupart des
autres états psychopathiques. Il a dit que « la démence précoce » était à cet égard une
manière de « démence psychasthénique ». – En ce qui concerne les états maniaques,
il a montré combien l'agitation (p. 105-106), loin d'être un état de force, est au contrai-
re un gaspillage des forces, entraîné par une faiblesse de contrôle, ce qui peut, dans
une certaine mesure, les rapprocher des « décharges épileptiques » (p. 92 à 104). Ce
qu'il a écrit sur l'épilepsie est entièrement d'esprit jacksonien, et on peut s'étonner que,
parlant de la crise d'épilepsie comme d'un échappement de contrôle, comme d'un phé-
nomène de désinhibition, pas une fois Pierre JANET, dans le livre auquel nous nous
référons, ne se soit tourné vers l'œuvre de HUGHLINGS JACKSON. Tout ce livre consti-
tue d'ailleurs un effort très heureux pour rattacher à la faiblesse de la tension psycho-
logique, ou si l'on veut à la dissolution des fonctions psychiques, toute une série d'états
psychopathologiques que l'auteur envisage, de façon parfois plaisante, comme des
« équilibres économiques » de niveau inférieur. Mais c'est surtout à l'égard des délires
et des hallucinations que sa pensée coïncide très exactement avec la conception dyna-
mique qui s'inspire des principes de JACKSON. Ceci vaut d'être souligné. En effet, ces
aspects psychopathologiques, les délires de persécution, d'influence, toutes les activi-
tés hallucinatoires délirantes sont telles que la conception dynamique leur parait diffi-
cilement applicable si on ne les soumet pas auparavant à une analyse rigoureuse. Sur
ce point l'œuvre de JANET, dépassant de beaucoup (avons-nous besoin de le souli-
gner ?) nos propres efforts dans ce sens, a apporté des éclaircissements définitifs. On
ne peut concevoir ces troubles que comme des perturbations dans les conduites de
croyance et des sentiments qui leur correspondent. « Le délirant c'est un individu qui « Le délirant c'est un
place mal sa parole dans la hiérarchie des degrés de réalité » (p. 15). C'est encore un individu qui place mal sa
parole dans la hiérarchie
individu chez qui les opérations psychiques se décomposent en leurs éléments primi-
des degrés de réalité » P.
tifs, essentiellement doubles de par la structure même des fonctions sociales et notam- JANET.
ment du langage. Pour ceux qui ont compris cela, le délire et l'hallucination, envisa-
181
ÉTUDE N°7
gés dans cette perspective dynamique, deviennent d'une compréhension très claire.
Ainsi l'ensemble de la psychopathologie de Pierre JANET coïncide pleinement
avec le premier principe jacksonien. Elle considère les maladies mentales comme des
manifestations régressives, inférieures, d'une pensée qui, en s'affaiblissant, s'écarte du
réel et produit, avant de s'éteindre, nous allions écrire de s'endormir, toute la gamme
des états de folie.
« je serais disposé à conserver une distinction qui est encore aujourd'hui très
incomplète, l'étrange distinction de ce qu'on appelle les maladies organiques et les
maladies fonctionnelles. Cette distinction, on l'applique assez souvent. Par exemple,
voilà un homme qui vient d'avoir une hémorragie cérébrale et qui présente une hémi-
plégie avec destruction de la parole. Le diagnostic consiste à dire : cet homme présente
une destruction de certains organes indispensables pour la fonction de la marche ou de
la parole. C'est un diagnostic de destruction organique. Au contraire, voici une jeune
personne qui présente la même paralysie du côté droit et des phénomènes de mutisme.
On peut, par certaines observations précises, par l'étude de tous les réflexes, l'étude
psychologique de toutes ses fonctions, dire : c'est étrange, il n'y a pas d'organes
détruits, il n'y a pas de destruction organique qui corresponde à sa paralysie du côté
droit ou à son mutisme. Au fond, elle a des organes sains : elle pourrait parfaitement
parler et marcher ; pourquoi ne le fait-elle pas ? Nous disons : elle ne le fait pas parce
qu'elle ne fonctionne pas. Nous pouvons comprendre mieux cet exemple en considé-
182
CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
rant les instruments mécaniques : voici une automobile qui a marché pendant quelque
temps sur la route et qui, devant une petite pente, une pente légère, s'arrête : elle
n'avance plus. On a beau toucher des mécanismes, rien ne bouge ; il y a quelque chose
qui ne marche pas dans cette voiture. Vous pouvez avoir deux accidents différents,
deux formes d'accident et il est très important pour le chauffeur de faire le diagnostic
pour le traitement. Pourquoi cette machine ne marche-t-elle pas ? – Parce qu'elle est
cassée. Cela arrive souvent. Une des roues est cassée qui empêche les autres de rou-
ler ; c'est une destruction organique. Il va falloir démonter l'auto et rechercher la pièce
brisée il y a une lésion organique. Cependant, après examen, vous pouvez dire aussi il
n'y a rien de cassé dans cette voiture ; si elle ne marche pas, ce n'est pas par suite d'une
blessure, ni d'une rupture intérieure; elle ne marche pas parce que le réservoir d'es-
sence est vide, tout simplement. Ce n'est pas la même chose que l'accident précédent.
Cette distinction implique immédiatement une discussion. Cette notion que je viens
d'exprimer devant vous : lésion organique et troubles fonctionnels, est-elle bien clai-
re, bien logique? Cette distinction suppose un principe étrange : elle suppose que, dans
un être vivant et tout en même temps, il puisse y avoir des troubles graves sans aucu-
ne modification organique, ce qu'on appelait autrefois des troubles fonctionnels, ce
qu'on appelle maintenant troubles psychasthéniques. Tous ces troubles étaient compris
comme des troubles qui portent sur le principe spirituel, sur l'élément qui n'est pas
visible en nous. Or, cette conception est-elle aujourd'hui admissible? Est-il vrai que
dans les troubles fonctionnels du névropathe qui n'a pas d'altération cérébrale, il n'y ait
pas d'altération ailleurs ? je viens de vous dire qu'il y a des maladies de foie, de l'in-
testin, qu'il peut y avoir des intoxications de toute espèce, il n'y a pas de maladie sans
lésion, ce n'est pas logique de le soupçonner, et ce n'est pas exact » 1
Sans forcer les choses on peut dire que la distinction admise par JANET, entre …Sans forcer les choses
troubles « organiques » et troubles « fonctionnels », n'est rien d'autre que la distinc- on peut dire que la dis-
tinction admise par
tion jacksonienne entre les dissolutions isolées de type neurologique et les dissolutions
JANET, entre troubles
uniformes de type psychiatrique. Seulement, lorsqu'on emploie ces termes « orga- « organiques » et troubles
niques » et « fonctionnels », on obscurcit à plaisir une classification qui, sous cette « fonctionnels », n'est
forme : dissolutions isolées ou dissolutions uniformes, est parfaitement claire. Dire en rien d'autre que la dis-
tinction jacksonienne
effet que certains troubles de la vie de relation, certains troubles de nos mouvements,
entre les dissolutions iso-
de nos sensations, de notre comportement sont les uns organiques et les autres non lées de type neurologique
organiques c'est comme le souligne très bien JANET, assez étrange, puisque tous et les dissolutions uni-
dépendent de lésions organiques. Dire, pourrions-nous ajouter, que parmi ces troubles, formes de type psychia-
trique…
les uns sont « fonctionnels » et les autres « non fonctionnels », c'est se faire également
l'idée la plus étrange des fonctions psycho-motrices, car tous, qu'il s'agisse d'un
trouble de la motilité ou d'une obsession, sont des troubles qui perturbent les fonctions
de la vie de relation.
Nous croyons que la distinction que nous avons « exhumée » de la conception de
JACKSON, celle entre dissolutions isolées partielles (ou « locales ») des fonctions sen-
1. Cette dernière et importante phrase surprendrait étrangement tous ceux qui voyant en JANET un
« psychologue » ne peuvent pas même concevoir, et en tout cas, ignorent que sa conception non
seulement n'exclut pas, mais exige un conditionnement organique aux psychoses.
183
ÉTUDE N°7
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CONCEPTION ORGANO-DYNAMIQUE
185
ÉTUDE N°7
envisagés, non plus seulement comme des régulateurs des fonctions, mais comme des
réalités phénoménologiques. Ce qui parait être dans la théorie de JANET comme une
lacune que ses géniales conceptions n'ont jamais pu complètement combler, c'est l'ab-
sence d'un moteur : l'instinct.
Nous croyons, pour notre part, que toute conception dynamique est nécessairement
« vitaliste ». C'est pourquoi elle heurte si fort les théories médicales, issues de l'ato-
misme mécaniste du XIX° siècle. C'est pourquoi aussi il nous sera peut-être permis de
regretter que JANET, qui a tant fait en Psychiatrie pour lutter contre les doctrines méca-
nistes, n'ait pas été assez « jacksonien » et « vitaliste » pour admettre l'importance de
l'instinct dans l'évolution même et la dissolution des fonctions neuro-psychiques.
Si maintenant nous confrontons la psychopathologie de Pierre JANET, la théorie
jacksonienne et la doctrine freudienne, les points de ressemblance et de différence vont
nous apparaître en clair. JANET se sépare de la conception jacksonienne seulement en
ceci qu'il ne donne pas autant d'importance aux instances sous-jacentes instinctives et
subconscientes, aux troubles positifs. JANET se sépare de FREUD comme le jacksonisme
lui-même, en ce qu'il n'admet pas une psychogénèse pure des états psychopathiques, et
que de plus il n'intègre pas dans sa psychopathologie l'efficience de la vie instinctive.
Il est facile de voir l'intérêt du « jacksonisme » comme doctrine dynamiste syn-
thétique : elle permet d'étendre le « Janétisme » jusqu'au « Freudisme » sans tomber
dans les erreurs et les excès de celui-ci.
…MOREAU (de Tours)
mettant en évidence Telles sont les lettres de noblesse d'un mouvement doctrinal qui se rattache aux
comme « fait primordial » plus anciennes traditions de la science médicale et à l'œuvre monumentale du plus
la chute du niveau de
grand psychiatre français de notre temps. Si, en psychiatrie, il a été littéralement étouf-
l'activité psychique sous
l'influence d'un toxique, fé par le développement mécaniciste du XIX° siècle, s'il s'est ensuite laissé déborder
par les théories psychogénistes en vive et nécessaire réaction contre la Psychiatrie
JACKSON étudiant le mou- mécaniciste, il a, sans avoir pu jusqu'ici trouver sa forme d'hypothèse systématique,
vement de dissolution épi-
été défendu par d'illustres précurseurs de notre science. MOREAU (de Tours) mettant en
leptique,
évidence comme « fait primordial » la chute du niveau de l'activité psychique sous
JANET analysant la dété- l'influence d'un toxique, JACKSON étudiant le mouvement de dissolution épileptique,
rioration fonctionnelle JANET analysant la détérioration fonctionnelle des psychonévroses, BLEULER décou-
des psychonévroses,
vrant le travail complexe de l'autisme dans le processus schizophrénique, tous nous
BLEULER découvrant le ont indiqué « la voie royale » qui conduit au cœur de tous les problèmes psychia-
travail complexe de l'au- triques : l'étude des relations qui unissent la courte folie du rêve qui s'empare de nous
tisme dans le processus quand nous dormons et les formes plus ou moins profondes et durables des troubles
schizophrénique,
mentaux. Le caractère le plus authentique de toute conception organodynamiste, sa
tous nous ont indiqué « la véritable « pierre angulaire » c'est, en effet, l'intérêt qu'elle attache au rêve que nous
voie royale »… portons en nous, comme le noyau virtuel de la folie, et au sommeil qui le libère.
186
Étude n° 8
DE LA PSYCHOPATHOLOGIE
3. Mécanicisme et psychiatrie.
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de G. de Clérambault.
6. Freud et la psychanalyse.
7. Conception Organo-dynamiste.
Étude dédiée à la mémoire 8. Rêve et psychopathologie.
1. Sir Thomas BROWNE (1605-1682) écrivait dans son Essai sur les Rêves: « La moitié de nos
jours, nous les passons dans l'ombre de la terre et le frère de la mort s'arroge la tierce partie de
notre existence. » (Cité par A. STOCKER )
187
ÉTUDE N°8
délire est au processus générateur des psychoses et des névroses, c'est-à-dire, dans
l'un et l'autre cas, l'activité psychique subsistante ou positive. C'est en passant par le
foyer « imaginaire » de l'être que les deux séries de phénomènes se recoupent et coïn-
cident, les uns comme les autres délivrant sous des formes et à des degrés divers « la
folle du logis »... Telle est la pièce maîtresse d'une théorie organo-dynamiste des psy-
choses et des psychonévroses. Elle emprunte l'essentiel de son hypothèse à un fait : la
dissolution hypnique – et suppose que celle-ci contient le rêve, exactement comme les
dissolutions pathologiques contiennent le délire sous toutes ses formes et à tous ses
degrés.
188
PREMIÈRE PARTIE
LA DISSOLUTION HYPNIQUE
1. – La conscience hypnagogique.
Nous devons à J.-P. SARTRE, une des meilleures analyses de la conscience hypna- …Nous devons à J.-P.
gogique : S ARTRE , une des
meilleures analyses de
« Me voici donc le tronc fléchi, les muscles relâchés, les yeux clos, couché sur le la conscience hypnago-
côté ; je me sens paralysé par une sorte d'autosuggestion ; je ne peux plus suivre mes gique : la conscience
pensées : elles se laissent absorber par une foule d'impressions qui les détournent et captive …
les fascinent, ou bien encore elles stagnent ou se répètent indéfiniment. A chaque ins-
1. Nous n'insistons pas ici sur la physiologie de l'état hypnagogique et notamment sur les études
de l'école de PAVLOV. Nous signalons à ce sujet une analyse psychophysiologique de LAWRENCE,
S. KUBIE et S. MARGOLIN (American Journal of Psych., 1944).
2. Martin GROTIAHN, Ueber selbstbeobachtung beim Erwachen, « Zeit. f. Neuro », 1932.
189
ÉTUDE N°8
tant, je suis pris par quelque chose dont je ne puis plus sortir, qui m'enchaîne, m'en-
traîne dans un cercle de pensées prélogiques, et disparaît. La paralysie de mes
membres et la fascination de mes pensées ne sont que les deux aspects d'une structu-
re nouvelle : la conscience captive. Le terrain est préparé pour les images hypnago-
giques : je suis dans un état spécial, comparable à celui de certains psychasthéniques,
c'est la première chute de potentiel, la première dégradation de la conscience avant le
rêve. Les images hypnagogiques ne représentent pas une seconde dénivellation : elles
paraissent sur ce fond ou ne paraissent pas, voilà tout. Il en est ici comme de certaines
psychoses qui ont une forme simple et une forme délirante. Les images hypnagogiques
seraient la forme délirante. Je puis encore réfléchir, c'est-à-dire produire des
consciences de consciences 1. Mais, pour garder l'intégrité des consciences primaires,
il faut que les consciences réflexives se laissent fasciner à leur tour, qu'elles ne posent
pas devant elles les consciences primaires pour les observer et les décrire. Elles doi-
vent partager leurs illusions, poser les objets qu'elles posent, les suivre dans la capti-
vité. A vrai dire, il faut de ma part une certaine complaisance. Il reste en mon pouvoir
de secouer cet enchantement, de faire tomber ces murailles de carton et de retrouver
le monde de la veille. C'est pourquoi, en un sens, l'état hypnagogique, transitoire, sans
équilibre, reste un état artificiel. Il est « le rêve qui ne peut pas se former ». La
conscience ne veut pas se prendre tout entière, au sens où l'on dit qu'une crème ne veut
pas se prendre. Les images hypnagogiques apparaissent avec une certaine nervosité,
une certaine résistance à l'endormissement, comme autant de petits glissements arrê-
tés vers le sommeil. Dans un état de calme parfait on glisse, sans s'en rendre compte,
de l'état de fascination simple au sommeil. Seulement, en général, nous voulons nous
endormir, c'est-à-dire que nous avons conscience d'aller vers le sommeil. Cette
conscience retarde l'évolution en créant un certain état de fascination consciente qui
est précisément l'état hypnagogique » 2.
1. Pour SARTRE, « conscience » est prise dans le sens de « vécu ». Il n'y a pas une conscience de
tel ou tel vécu. Chaque vécu est une forme de conscience, une conscience.
2. J.-P. SARTRE : L'Imaginaire, Paris, 1940, p. 64 et 65.
190
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
abolir toute conscience du jeu auquel je me livre. Le miracle qui s'accomplit reste fra-
gile et à ma portée. Je sens que le merveilleux naît de moi, et si je m'y abandonne, c'est
avec le vague sentiment qu'il prend la forme de mon désir de rêve. C'est en ce sens que
Igor A. CARUSO parle de ces images comme de tentatives pour rêver (Traumversuche).
C'est également ce qu'a fort bien vu J.-P. SARTRE quand il a écrit que cette conscience
enchaînée aux « images » demeure « mal enchaînée ». A ce titre, il la rapproche davan-
tage de la fascination des « paréidolies » et des « Gestalten » du « Rorschach » que du
rêve « où la captivité est complète ».
191
ÉTUDE N°8
meil », et que l'on passe de la rêverie au rêve. HERBERT SILBERER 1 rapporte que réflé-
chissant aux jugements transsubjectifs, il a vu soudainement dans une hallucination
hypnagogique les têtes de tous les hommes renfermées dans une sphère. Cette drama-
tisation concrète de la conscience est, en effet le premier stade de la pensée hypnago-
gique 2. Lorsque je lis ou que je laisse aller mes pensées, ma lecture, ma pensée flot-
tent, perdent leur précision et ce que je perds en sens abstrait ou en représentation
idéique, m'est restitué sous forme de tableaux, qui découpent mais concrétisent le
thème significatif. C'est dans mes yeux, dans mes oreilles, que brusquement surgissent
les images impliquées dans ma lecture ou ma méditation. Et non seulement se forment
des images d'Épinal qui les illustrent, s'arrêtant pour ainsi dire devant mes yeux, au
…des formes émergent
également des profon- lieu de coïncider avec mon esprit, mais des formes émergent également des profon-
deurs de mon inconscient, deurs de mon inconscient, dans une montée soudaine d'imaginaire qui, faisant brus-
dans une montée soudai- quement irruption, s'actualisent en scènes ou éclosent en figures parfaitement diffé-
ne d'imaginaire…
renciées, précises et incongrues.
192
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
relations matérielles et plastiques de leur contenu et comme par un jeu purement inter-
ne de transformation progressive de la forme. La plupart des auteurs insistent sur l'as-
pect « hallucinosique » de ces images : elles se présentent comme des images « ciné-
matographiques » devant le sujet qui s'endort et assiste à leur spectacle (TOURNAY,
LHERMITTE, ROUQUES).
3. – Troubles du langage.
193
ÉTUDE N°8
nopompique. Cette étude porte sur 281 exemples de troubles du langage, et l'auteur dis-
tingue des troubles de la formation verbale (Wortfindung), consistant surtout en altéra-
tions des formes verbales (morcellement, substitutions, néologismes, etc ... ), des
troubles de la parole (déficit verbal amnésique et syntaxique), et enfin des troubles
sémantiques ou du schématisme de la pensée sous-jacent au langage. O. MIYAGI 1, un
psychiatre japonais, a fait une étude des néologismes hypnagogiques. Signalons le livre
de Emil A. GUTHEIL 2 sur le langage du rêve et le travail d' HALBWACHS 3 (1946) qui est
revenu récemment sur le langage onirique sans que son étude nous apporte rien de bien
nouveau. A. L. EPSTEIN (de Léningrad) a publié, il y a quelques années, un travail 4 où
il a étudié les troubles « aperceptognosiques » sensoriels et idéatoires dans le sommeil.
4. – L'affectivité.
194
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
5. – La Psycho-motricité.
L'endormissement étant essentiellement caractérisé par la chute synchrone du tonus
et de la conscience, déroule sous les yeux de l'observateur un film, généralement rapide,
de phénomènes psycho-moteurs : engourdissements, myoclonies, spasmes, chutes par-
tielles du tonus dans certains groupes musculaires, modification des réflexes'. La brady-
kinésie, les tendances aux fixations et itérations stato-cinétiques caractérisent le réveil
qui déroule en sens inverse la mélodie psycho-motrice de la phase hypnagogique.
Tels sont, brièvement décrits, les phénomènes qui caractérisent la dissolution hyp-
nique en train de s'opérer ou de disparaître. Ce qui caractérise une telle dissolution, …Ce qui caractérise une
c'est sa rapidité, sa profondeur et son rythme nycthéméral physiologique. Mais, pour telle dissolution, c'est sa
rapidité, sa profondeur et
si rapide qu'elle soit, elle contient une multitude d'états, aussi nombreux que les
son rythme nycthéméral
images nécessairement impliquées dans le mouvement d'un film. La courbe de cette physiologique…
chute verticale du tonus et de la conscience peut cependant, selon les sujets et les cir-
constances, s'infléchir et se ralentir. Ainsi les états de fatigue, d'énervement, d'intoxi-
cation ou de fièvre prolongent et perturbent son évolution régulière et, dans le
« demi » ou « quart » de sommeil, les rêvasseries cauchemardesques 2 peuplent les
discontinuités et irrégularités qui se glissent dans sa rapide et normale profondeur.
Nous allons, avant d'esquisser une étude plus synthétique et concrète du rêve, pas-
ser en revue les principaux points discutés ou acquis par tous les médecins et psycho-
logues, qui se sont occupés de ce passionnant problème. Il est en effet un certain
nombre de questions que l'on se pose toujours à son sujet.
1. Cf. la thèse de TOURNAY, L'Homme endormi, 1909, son Rapport au Congrès de Genève, 1926,
et son livre Séméiologie du Sommeil, 1934.
2. Le cauchemar exprime essentiellement le trouble du sommeil, les modifications de la rapidité
et de la profondeur de la dissolution. C'est dans les sommeils difficiles entrecoupés de dissolu-
tion peu profonde, qu'il se rencontre. Le monde des images est alors soumis à une angoissante
vague d'imaginaire où s'exprime en images effrayantes, en événement monstrueux, en figures,
scènes, objets ou situations baroques, le désordre tumultueux d'une pensée chavirée, incapable
des synthèses sereines et mélodiques qui caractérisent le rêve calme et reposant. Il est fort pro-
bable que les troubles neuro-végétatifs qui perturbent le sommeil confèrent à sa structure psy-
chique, au rêve cauchemardesque, sa puissance d'angoisse en livrant l'être au vertige des pulsions.
L'angoisse conflictuelle entre dans le rêve pour autant justement que les images constituent une
tentative de satisfaction d'un désir. Ce point a été étudie récemment par G. DUBAL, « Revue Suisse
de Psycho. », 1948. KOURETAS et SCOURAS (« Progrès médical », 1933) ont approfondi l'étude du
tonus musculaire et neuro-végétatif dans le cauchemar. Leur travail comprend quelques indica-
tions bibliographiques. On consultera aussi SCHMIDT, Die Psychopathologie des Alpdrücks.
« Zeitsch. f. d. g. Neuro », 1944, 177, p. 84.
195
ÉTUDE N°8
1° FRÉQUENCE DU RÊVE.
SANTE DE SANCTIS 1, d'une statistique portant sur 165 hommes et 55 femmes tirait
les conclusions suivantes : 14 %, d'hommes contre 33 % de femmes, rêvent toujours.
10% d'hommes et 5 % de femmes ne se rappellent pas avoir rêvé. Il estimait que les
enfants au-dessous de 4 ans « sont incapables de distinguer les rêves et la réalité 2 ».
Cette question, relativement à la précédente, pose celle du souvenir des rêves. Il est
évident que, le rêve n'ayant qu'un seul et même acteur et témoin, son existence se
confond avec le souvenir du rêveur. Il est évident aussi que nous sortons souvent du
sommeil sans garder le souvenir « d'un rêve ». Le problème consiste donc à se deman-
der si, quand on ne se souvient pas d'avoir rêvé, on a tout de même et toujours rêvé.
HARVEY DE SAINT-DENIS, ayant soutenu la thèse de la continuité de la pensée de la veille
et du sommeil, supposait comme une nécessité cette constance. Avec lui, VASCHIDE,
GOBLOT, FOUCAULT, CLAPAREDE, admettent que le sommeil implique le rêve. FREUD est
de cet avis et, pour la psychanalyse, tout sommeil sans rêve est un sommeil dont le rêve
a été refoulé par la conscience vigile. De fait, l'analyse consciente, l'exercice et l'en-
traînement permettent de se rappeler des rêves engloutis par l'amnésie, et la psychana-
lyse « débloque », ressuscite un matériel onirique oublié. Par contre, MOURLY-VOLD,
MEUNIER et DELAGE ont soutenu qu'il y avait un sommeil sans rêves.
GOBLOT a proposé une formule curieuse : « le rêve n'est pas la pensée du sommeil,
…Cette idée d'un rêve mais la pensée du réveil ». D'après EGGER, les rêves tomberaient dans l'oubli, au fur et à
concentré à l'instant du mesure qu'ils se produisent. Seul, le rêve interrompu par le réveil pourrait être évoqué.
réveil (…) est donnée
Mais de nombreux faits 3 montrent que le rêve peut se produire au cours du sommeil,
comme l'explication du
fameux rêve, dit de bien avant le réveil et être rappelé (rêves liés à des événements extérieurs et repérables
« MAURY guillotiné », qui par un observateur). Cette idée d'un rêve concentré à l'instant du réveil et représenté, par
a fait l'objet de ces extra- une illusion de la mémoire, comme ayant occupé une longue durée dans le sommeil, est
ordinaires controverses…
donnée comme l'explication du fameux rêve, dit de « MAURY guillotiné », qui a fait l'ob-
jet de ces extraordinaires controverses dont sont remplis tous les livres français et même
étrangers sur le Rêve. (MAURY raconte un rêve de la période révolutionnaire avec de
196
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
longues péripéties et qui se termine par la sensation du billot sur son cou, au moment où
son « ciel de lit » tombait sur sa nuque, accident considéré par lui comme ayant provo-
qué et achevé, tout à la fois, en un clin d'œil, l'ensemble de son rêve ... )
Tous les observateurs et penseurs ont aperçu un lien, qu'ils ont plus ou moins sur-
estimé dans leurs théories, entre les perceptions actuelles du rêveur et la production
onirique. Selon le mot de DESCARTES, « il suffit d'être piqué par un moustique pour
rêver d'un coup d'épée ». L'importance de ce processus métaphorique, dans la
construction du rêve, à partir d'éléments perçus dans les champs perceptifs non entiè-
rement abolis du rêveur, est reconnue universellement et parfois exclusivement.
MAURY 3 donne huit exemples curieux de rêves provoqués expérimentalement par des
excitations sensorielles. Tout le monde connaît le fameux « Rêve du Vivarais », …Tout le monde connaît
d'HARVEY DE SAINT-DENIS : le célèbre marquis, ayant solidement associé un parfum à le fameux « Rêve du
une situation et à un paysage, revivait en rêve, et après de longs intervalles de temps, Vivarais », d' HARVEY de
SAINT-DENIS ...
ces souvenirs, quand son valet de chambre, méthodiquement stylé, lui présentait pen-
dant son profond sommeil le flacon de parfum... Les excitations proprioceptives ont
été souvent considérées comme sources du rêve. Elles sont à la base de l'oniro-
diagnostic. DOUBLE, MAURY, MACARIO, RADESTOK, SPITTA, M. SIMON, TISSIE,
MEUNIER, MASSELON, etc..., ont rapporté de nombreuses observations sur ce point. La
197
ÉTUDE N°8
lecture de la thèse d' ARTIGUES 1, des pages que FREUD 2 et DELAGE 3 ont consacrées à
cette question, l'article de SOESMANN 4 permettent de se documenter suffisamment Sur
ce point. Mais il convient surtout de signaler le travail très connu de MOURLY-VOLD 5
sur les « rêves musculaires ». D'après ses expériences, la position des membres, impo-
sée pendant le sommeil, a une influence directe sur la production onirique. On sait
quel parti SCHOPENHAUER et BERGSON ont tiré de ces faits pour leur théorie du rêve.
Mais, peut-être, personne n'est allé aussi loin dans ce sens que KRAUSS 6. Ce psy-
chiatre a déduit l'origine du rêve exclusivement des excitations organiques actuelles,
perçues par le dormeur.
Les opinions sont sur ce point très partagées. Depuis CICERON, la plupart des
savants ont, comme la plupart des « profanes », pensé que nous rêvons, surtout « de
…Ce que FREUD a expli- quibus, vigilantes, aut cogitavimus aut egimus ». FREUD, qui fait cette remarque tout
qué par l'intervention de
au début de son ouvrage, cite cependant l'opinion du physiologiste BURDACH et de
l'Inconscient, est assez
évident : la production de FICHTE, lesquels ont souligné combien le rêve constituait une sorte d'événement vécu
l'événement onirique met en dehors des événements réels, comme s'il se trouvait, non point en continuité avec
rarement en jeu, directe- les préoccupations, les sentiments ou les pensées de la veille, mais plutôt en relation
ment et principalement,
avec un autre système de tendances, un autre courant psychique. Ce que FREUD a
les tendances affectives
actuelles et dominantes expliqué par l'intervention de l'Inconscient, est assez évident : la production de l'évé-
de la vie vigile et nement onirique met rarement en jeu, directement et principalement, les tendances
consciente.… affectives actuelles et dominantes de la vie vigile et consciente.
1. ARTIGUES, Essai sur la valeur séméiologique des Rêves, Thèse de Paris, 1884.
2. FREUD, La science des rêves. Édition française, p. 31 et 32.
3. DELAGE, p. 534-550 (1920).
4. SOESMANN, Les rêves organo-génisiques, « Annales Médico-Psycho. », 1928, Il, p. 64.
5. MOURLY-VOLD, Ueber den Traüme (vol. 1, 1910 – vol. 11, 1912, Leipzig).- DELAGE (p. 158 à
162) donne un bon exposé de ses expériences.
6. A. KRAUSS, Der Sinn in Wahnsinn, « Allg. Zeitsch. für Psych. », 1858-1859. Cité longuement
dans la Science des Rêves de FREUD, p. 35 (éd. fr.).
198
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
8° SIGNIFICATION DU RÊVE.
De tous temps, les rêves ont paru aux hommes avoir une signification, et l'oniro- …l'oniromancie s'est
mancie s'est constituée en science destinée de tout temps à chercher cette signification. constituée en science des-
tinée de tous temps à cher-
Les Babyloniens 7, les Grecs (la fameuse Clé des Songes d' ARTÉMIDOR), la Bible
cher cette signification…
(songes de JACOB, le songe de MADIONITE qui prédit la victoire de GÉDÉON, les inter-
prétations des rêves de NABUCHODONOSOR par DANIEL) considéraient surtout la valeur
prophétique des songes. La tradition talmudique 8, les Chinois (LIE-TSIU), les Indous
(Clé des Songes de JAGGADEVA), les Arabes (les fameux traités, KARUIL al TABIR et
KITAL al TABIR ou IBN SHAHLIN) ont interprété les songes dans le même sens. Avec les
temps modernes, et notamment Luis VIVES au XVIe siècle et Sir Thomas BROWNE au
XVIIe, l'idée que le songe reflète non le monde ou l'histoire, mais les profondeurs de
l'individu, fait son apparition. Toutefois, c'est depuis 1900, et, naturellement, avec
l'œuvre monumentale de S. FREUD, que cette vieille mais obscure idée que le rêve
exprime l'Inconscient, s'est imposée avec une évidence que personne ne songe plus
sérieusement à nier. Le sommeil est une fonction biologique qui assure une certaine
tâche. Le rêve qu'il contient est, lui aussi, nécessairement lié à une fonction vitale et
1. DELBŒUF, Le sommeil et les rêves, « Revue Philo. » 1879 et 1880 et son livre, Paris, 1885.
2. FREUD, p. 390 à 410.
3. DELAGE, p. 313 à 372 (1920).
4. KAPLOUN, Psychologie générale tirée de l'étude du rêve, Lausanne, 1919.
5. ELLA SHARPE, Dream Analysis, Hugarth Press, Londres, 1937.
6. I. MEYERSON, Remarques sur la théorie du rêve, « Journal de Psycho. », 1937 p.135.
7. G. TABOUIS , Nabuchodonosor.
8. KRISTIANPOLLER, Traum und Traumdeutung, 1923.
199
ÉTUDE N°8
Telles sont les expériences, observations et controverses, qui depuis cent ans ont
pris le rêve pour objet jusqu'aux travaux de FREUD, et encore aujourd'hui dans l'esprit
de beaucoup d'auteurs, le rêve n'est qu'une fortuite aventure, pour ne pas dire un acci-
dent. Il se confond avec le récit que le rêveur est capable d'en faire, et il n'a d'existen-
ce que par cette mémoration au niveau de la conscience vigile. Il se trouve ainsi désin-
séré de la structure psychique, de la conscience du rêveur et de son inconscient. De
telle sorte que les savants en parlent, ainsi que le rêveur lui-même, comme d'une pure
contingence, qui ne prend de consistance, de valeur et même d'existence que s'il forme
…le rêve est, en tant que
un « scénario » narrable. C'est à cette scène, à cette série de péripéties, qu'est réservé
« contenu vécu » de la
conscience, indépendant seulement le nom de rêve. Il suffit cependant d'étudier ces phénomènes de plus près,
de l'élaboration secon- pour s'apercevoir que le rêve est, en tant que « contenu vécu » de la conscience, indé-
daire que constitue pour pendant de l'élaboration secondaire que constitue pour lui son récit, qu'il est imma-
lui son récit, qu'il est
nent, comme le voulait le marquis HARVEY DE SAINT-DENIS, à la pensée du dormeur.
immanent, comme le vou-
lait le marquis HARVEY de C'est en tant qu'expression plastique, que « vécu » de la structure psychique du dor-
SAINT-DENIS, à la pensée meur qu'il doit être envisagé, et non point réduit à n'être qu'une succession de scènes,
du dormeur… sans portée sinon sans signification et surtout sans continuité avec l'ensemble de la vie
1. Paul BJERRE, Das Traumen als Heflungsweg der Seele, Zurich et Leipzig, 1936.
2. BURDACH, Die Physiologie als Erfahrungswissenschaft, tome 111, 1830.
3. PURKINJE, articles Wachen-Schlaf, « Traum und verwandte Zustände » in Wagners Handwort.
der Physiol., 1846.
4. R. A. SCHERNER, Das Leben des Traumes, Berlin, 1861.
5. W. ROBERT, Der Traum als Naturnotwendigkeit erklärt, Hambourg, 1886.
200
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
2. – Structure du Rêve.
1° ANALYSE PHÉNOMÉNOLOGIQUE.
1. La structure totale, massive et sans différenciation de la pensée du rêve, a été très bien analy-
sée dans le travail de P. SCHENK (Thèse de Leipzig, 1929, et dans son article in « Monatschr. f.
Psych. », 1929).
201
ÉTUDE N°8
1. Ceci est capital et exprime excellemment ce que nous avons toujours soutenu (notamment in
Encéphale, 1939).
202
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
le se représente . ce serait le réveil. C'est ce que nous faisons par exemple lorsque,
réveillés, nous imaginons une fin rassurante au cauchemar que nous venons de faire.
En un mot, la conscience ne peut pas prévoir, car ce serait ici imaginer la seconde
puissance, donc posséder la connaissance réflexive de l'imagination du premier degré.
Toute prévision, à partir d'un moment donné de l'histoire, devient du fait même qu'el-
le apparaît, un épisode de l'histoire. Je ne peux pas me retenir, concevoir une autre fin,
je suis sans répit, sans recours, obligé de me raconter l'histoire : il n'y a pas de « coups
pour rien ». Ainsi chaque moment de l'histoire se donne comme ayant un avenir ima-
ginaire, un avenir que je ne puis prévoir, qui viendra de lui-même, en son temps, han-
ter la conscience, contre lequel la conscience s'écrasera. Ainsi, contrairement à ce
qu'on pourrait croire, le monde imaginaire se donne comme un monde sans liberté : il
n'est pas non plus déterminé, il est l'envers de la liberté, il est fatal. Aussi n'est-ce point
par la conception d'autres possibles que le dormeur se rassure, se tire d'embarras. C'est
par la production immédiate, dans l'histoire même d'événements rassurants. Il ne se dit
pas : j'aurais pu avoir un revolver, mais tout à coup il a un revolver dans la main. Mais
malheur à lui si à ce moment-là lui vient une pensée qui, dans la veille, s'exprimerait
sous la forme « et si le revolver s'était enrayé » 1. Ce « si » ne peut exister dans le rêve :
ce revolver sauveur, au moment même où l'on veut s'en servir, il est tout à coup enrayé.
Mais le monde du rêve n'est pas un monde clos, tant que le rêveur lui-même ne vient …l'événement onirique
pas y jouer son rôle. Aussi bien la plupart des rêves se donnent-ils comme des aven- tout entier nous engage
tures du rêveur lui-même. « J'ai rêvé que j'étais... etc. » est, en général, la phrase par dans son déroulement
laquelle nous commençons le récit de nos rêves. Comment devons-nous comprendre comme auteur, spectateur
cette apparition du dormeur lui-même' dans ce monde imaginaire ? Faut-il penser que et acteur, sans que notre
c'est vraiment lui, en personne, comme conscience réelle, qui s'introduit au milieu de rôle central et vague soit
l'imagerie onirique ? A vrai dire, cette hypothèse me paraît dépourvue de sens. Car, autrement défini…[voir
pour que le dormeur s'introduise lui-même, comme conscience réelle dans le drame note 1]
imaginaire qui se joue en rêve, il faudrait qu'il puisse avoir conscience de lui-même,
comme être réel, c'est-à-dire existant dans un monde réel, dans un temps réel et jalon-
né de souvenirs réels. Mais ces conditions sont précisément celles qui définissent l'état
de veille. Introduisez tout à coup une personne réelle dans le rêve et le rêve craque de
toutes parts, la réalité reparaît... (p. 215-216, 218- 219).
1. J. P. SARTRE soulève là un problème intéressant. Il est bien vrai que le rêveur est le « sujet » de
son rêve et que la fiction se conjugue , avec lui dans une relation vécue sans être clairement déter-
minée. Le rêveur est partout et nulle part. Parfois il figure cependant sur la scène du rêve qui lui
renvoie sa propre image « héautoscopique ». Mais le cas est rare de ces « rêves du double »
(DELAGE). Dans certains rêves comme dans la fiction d'un rêve de Jerome K. Jerome, le rêveur voit
sa propre image représentée un grand nombre de fois et à des âges différents. Tel est le cas aussi
du conseiller aulique Inssmann dans un conte d' HOFFMANN : « il se vit dansant une valse éperdue
avec un balai. Tandis que autour de lui dansaient une multitude de petits Inssmann « avec autant
de balais, faits à leur taille ». – Ce jeu de miroirs dans le rêve nous paraît exceptionnel pour deux
raisons. C'est d'abord que l'image de soi est plus affective et intuitive que plastiquement représen-
tée : notre voix, notre démarche, notre profil nous étonnent toujours. C'est aussi parce que l'évé-
nement onirique tout entier nous engage dans son déroulement comme auteur, spectateur et acteur,
sans que notre rôle central et vague soit autrement défini. L'être au monde du rêveur c'est son rêve
qui exclut son existence pour soi : l'imaginaire exige à ce degré la transparence du sujet. C'est
d'ailleurs ce qui se produit aussi dans l'onirisme et le délire paraphrénique. – On trouvera quelques
indications sur les images héautoscopiqucs du rêve dans le livre de LHERMITTE (L'image de notre
corps, Paris, 1939), dans les travaux de LHERMITTE et HÉCAEN (Rev. Neuro et A. M. P., 1942) et
dans le volume que LHERMITTE vient de consacrer aux Hallucinations (1951).
203
ÉTUDE N°8
... Le seul moyen dont dispose le dormeur pour sortir d'un rêve, c'est la constata-
tion réflexive : je rêve. Et pour faire cette constatation, il n'est besoin de rien, si ce n'est
de produire une conscience réflexive. Seulement cette conscience réflexive, il est
presque impossible qu'elle se produise parce que les types de motivation qui la solli-
citent d'ordinaire sont précisément de ceux que la conscience « enchantée » du dor-
meur ne se permet plus de concevoir. A ce sujet rien n'est plus curieux que les efforts
désespérés que fait le dormeur dans certains cauchemars pour se rappeler qu'une
conscience réflexive est possible. Efforts vains, la plupart du temps, parce qu'il est
contraint, par « l'enchantement » même de sa conscience, de produire ces souvenirs
sous forme de fiction. Il se débat mais tout glisse à la fiction, tout se transforme mal-
gré lui en imaginaire. Finalement le rêve ne peut s'interrompre que pour deux motifs.
Le premier c'est l'irruption d'un réel qui s'impose, par exemple la peur réelle qui a pro-
voqué le cauchemar, se « prend » au cauchemar lui-même et finit par devenir si forte
qu'elle brise l'enchantement de la conscience et motive une réflexion. Je prends
conscience de ce que j'ai peur et du même coup de ce que je rêve. Ou bien un stimu-
lus externe s'impose, soit parce qu'il surprend, soit à cause de la persistance de cer-
taines consignes à travers le sommeil. Le second motif qui peut entraîner la cessation
du rêve se trouve souvent dans le rêve lui-même : il se peut en effet que l'histoire rêvée
…« la conscience s'est aboutisse à un événement qui, par lui-même, se donne comme un terme, c'est-à-dire
déterminée elle-même à comme quelque chose dont la suite est inconcevable. Par exemple je rêve souvent
transformer tout ce qu'el- qu'on va me guillotiner, et le rêve s'arrête au moment même où j'ai le cou pris dans la
le saisit en imaginaire : lunette. Ce n'est pas ici la peur qui motive le réveil – car, si paradoxal que cela puisse
de là le caractère fatal du paraître, ce rêve ne se présente pas toujours sous la forme d'un cauchemar – mais plu-
rêve.»…(J.-P. SARTRE) tôt l'impossibilité d'imaginer un après. La conscience hésite, cette hésitation motive
une réflexion, et c'est le réveil. Nous pouvons conclure : le rêve ne se donne point –
contrairement à ce que croit DESCARTES – comme l'appréhension de la réalité. Au
contraire, il perdrait tout son sens, toute sa nature propre s'il pouvait un instant se poser
comme réel. Il est avant tout une histoire et nous y prenons le genre d'intérêt passion-
né que le lecteur naïf prend à la lecture d'un roman. Il est vécu comme fiction et c'est
seulement en le considérant comme une fiction qui se donne pour telle que nous pou-
vons comprendre le genre de réactions qu'il provoque chez le dormeur. Seulement
c'est une fiction « envoûtante » : la conscience – comme nous l'avons montré dans
notre chapitre sur l'image hypnagogique - s'est nouée. Et ce qu'elle vit, en même temps
que la fiction appréhendée comme fiction – c'est l'impossibilité de sortir de la fiction.
De même que le roi Midas transformait en or tout ce qu'il touchait, la conscience s'est
déterminée elle-même à transformer tout ce qu'elle saisit en imaginaire : de là le carac-
tère fatal du rêve. C'est la saisie de cette fatalité comme telle qu'on a souvent confon-
due avec une appréhension du monde rêvé comme réalité. » (p. 224-225.)
Telle est l'analyse phénoménologique la plus concrète que l'on puisse faire de la
pensée du rêve. C'est à elle que nous ne cesserons de nous référer, en entreprenant d'en
fixer la structure.
204
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Structure Négative
a) DISSOLUTION DU CADRE TEMPORO-SPATIAL.
L'effacement des intuitions fondamentales qui fournissent l'encadrement de l'ob-
jectivité, constitue à lui seul, une modification fondamentale du psychisme. Ce qui est
vécu sans lui est un chaos. La métamorphose des personnes et des lieux, le défaut de
perspective temporelle de l'événement, tout entier vécu dans le présent, les baroques
ou fantastiques déformations de l'espace, le télescopage des situations, l'enchevêtre-
ment et la confusion du décor de l'action, manifestent cette incapacité de mettre de
l'ordre dans le temps et l'espace. Sans doute quelque chose persiste-t-il de l'exigence
des formes sensibles de notre vie psychique, mais c'est sous une forme paradoxale et
caricaturale. L'attente opère d'interminables stagnations, des piétinements et des inca-
pacités « d'aller plus loin ». La précipitation contracte la durée en bonds prestigieux et
vitesses foudroyantes. C'est que toute conscience, même à ce point troublée, ne peut
se détacher entièrement de la forme de son organisation. Et ici, ne persiste dans ces
courants monstrueux du « vécu », que juste ce qu'il faut pour l'arracher au néant.
C) DISSOLUTION DE LA CONSCIENCE.
La régression de l'activité de la conscience ne peut faire l'objet que d'analyses
1. Cet aspect structural de la pensée du rêve a été profondément analysé par KAPLOUN,
Psychologie générale tirée de l'étude du rêve, Lausanne, 1919.
2. Zeitschrift f. Neuro, 1936, tome 137.
205
ÉTUDE N°8
phénoménologiques, comme celles qui nous ont fait pénétrer plus haut, dans l'essence
de la pensée du rêve. En ce sens, cette dissolution de la conscience enveloppe, condi-
tionne et résume toute la structure négative du rêve, considérée comme pensée du
sommeil. Nous pouvons ramener à trois aspects essentiels cette dissolution.
Tout d'abord, la conscience est obnubilée, opaque, confuse. Son champ est indis-
tinct et ténébreux. Le fond, sur lequel se détachent les contenus est lourd : c'est un
gouffre d'ombre qui se reflète invinciblement dans le « vécu » onirique. L'obscurité
pénètre toutes les images et interpose entre elles, comme une épaisseur et une profon-
deur du néant. Le propre de la conscience en état de tension, c'est d'être claire, lucide
et « mise au point », c'est cette transparence et cette netteté des contours qui font
défaut à celle du rêveur.
Ensuite, le déficit de synthèse psychique, l'amoindrissement de la tension créatri-
ce entraînent une régression de tous les processus psychiques vers des formes
archaïques, syncrétiques, indifférenciées, confuses, sans ordre et sans encadrement
schématique, conceptuel. C'est ce que nous avons eu l'occasion de souligner plus haut,
à propos de la dissolution du cadre temporo-spatial et de l'activité intellectuelle. Les
troubles de la formulation verbale, que KRAEPELIN a si minutieusement étudiés, pro-
cèdent de la même dégradation générale de la conscience. Il résulte de ce déficit deux
aspects fondamentaux de la pensée de rêve : le manque de perspective et l'inachève-
ment. Le rêve exige comme condition même de sa production, l'abolition de la
réflexion, des schèmes temporaux-spatiaux, de la prévision, de la critique, c'est-à-dire
de toutes ces opérations qui engagent notre vie psychique dans une perspective, dans
un ordre de subordination qui fait de chaque instant une phase d'un processus continu
…La pensée devient dans son intentionalité. La pensée devient plane, instantanée, comme ramassée dans
plane, instantanée, comme une totalité momentanée et dépourvue de discursivité. Ce défaut d'engagement, de
ramassée dans une totalité
finalité dialectique, la soustrait à l'exigence d'un terme, d'un but qui l'entraîne à s'ache-
momentanée et dépourvue
de discursivité… ver. Un rêve ne finit pas, ou il ne finit que par le réveil du rêveur, en cessant d'être rêve.
Il est de son essence de rester perpétuellement inachevé, en suspens, d'être et de
demeurer un mouvement virtuel.
Enfin la conscience du rêveur adhère au concret de l'image. Le mouvement même
qui l'engendre, l'absorbe et l'épuise dans une contemplation qui hypnotise le rêveur sur
sa propre production éidétique. Une telle « flexion », sans « réflexion », enferme la
conscience du rêveur dans un cercle profond et étroit, « diaphragme » son pouvoir de
connaître, au point de ne lui permettre rien d'autre que de vivre les mouvements et les
forces des contenus actuels de cette tranche de la durée qui se contracte dans l'instan-
tané de sa prise. Soudé aux fantasmes qu'il « sécrète », il en demeure le prisonnier. Sa
production est si peu libre, n'étant que le «libre jeu » de ses automatismes, qu'il est rivé
à sa propre spontanéité comme à une causalité impersonnelle. Chacune des phases
206
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Structure Positive
L'objet de cette analyse ne peut viser que « la partie subsistante » du psychisme,
l'organisation de la conscience, quand, à la limite de son éclipse syncopale ou coma-
teuse, celle-ci est tellement écrasée ou réduite, qu'elle ne semble plus pouvoir étreindre
ou contenir que du vide. Son existence, le mouvement même de sa forme intentionnel-
le la préserve pourtant de ce néant. Une conscience est toujours pleine à la mesure de
son effort. Que représente son contenu? Ce contenu est solidaire dans son essence
structurale de sa forme, au point que si nous prenons deux attitudes pour étudier la
forme et le contenu, la structure négative et positive, ce n'est jamais que pour considé-
rer l'unité de son existence dans une perspective explicative, nécessaire et complémen-
taire. Mais le contenu d'une conscience au seuil de l'évanouissement, c'est la forme
constituée et, en un certain sens, constituante de la conscience, qu'est l'Inconscient.
Les rapports de la conscience à l'Inconscient sont des rapports génétiques.
L'Inconscient est cette instance antécédente qui permet la constitution de la conscien-
ce par contraste avec ce qu'elle n'est pas ou n'est plus et qui est en conflit avec elle.
C'est le « substratum » de la conscience et aucune notion claire de l'Inconscient ne par-
viendra à le soustraire à cette idée, qu'il est un sous-conscient et un pré-conscient.
C'est dire qu'il est formé et de l'instinct et du passé. C'est dire aussi qu'à titre de « psy-
choïde » (BLEULER 1 ), il représente dans l'être organisé l'infra-structure d'une virtua- …[l'inconscient] repré-
sente dans l'être organisé
lité, où est contenu en germe l'épanouissement de la conscience, quelque chose
l'infra-structure d'une vir-
comme un psychisme « inférieur », par rapport à notre conscience, ce qui nous situe tualité, où est contenu en
résolument dans une perspective, sinon évolutionniste, du moins génétiste. C'est dire germe l'épanouissement
aussi que, lorsque la conscience régresse jusqu'à ne plus être que conscience d'une de la conscience…
« matière » rebelle à la conscience, elle est tout près de sombrer, certes, mais reste
encore tout investie de significations, qui sont l'effet du travail sourd des pulsions de
l'instinct et de la sédimentation active du passé.
La fiction est l'aspect positif de la pensée du sommeil. C'est à elle que l'on réser-
ve vulgairement le nom de rêve. Mais la science ne peut pas la détacher de sa « sur-
face de génération », de la structure de la conscience onirique, dont elle dépend et avec
laquelle elle forme un tout. Cette fiction, c'est la pensée même du sommeil. Tout ce
que nous avons dit jusqu'ici de sa qualité propre, nous permet de comprendre que la
fiction est un produit nécessaire de la décomposition de la pensée, de la régression de
1. E. BLEULER, Die Psychoïde als Prinzip der organischen Entwicklung, Berlin, 1925.
207
ÉTUDE N°8
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RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
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ÉTUDE N°8
1. Une autre forme de démonstration est peut-être fournie par le symbolisme éclatant de certains
rêves publiés par des auteurs ignorants ou adversaires de la psychanalyse. Ainsi dans le livre de
SCHATZMAN (1925, Rêves et Hallucinations) la série des rêves d'une même nuit (p. 104 et 105).
Signalons que ce livre contient un matériel onirique considérable et extrêmement intéressant.
2. L'ouvrage de Paul BJERRE (Das Traumen als Heilungsweg der Seele, éd. Rascher,
Zurich-Leipzig, 1937) envisage le travail du rêve, nous l'avons déjà noté, comme une activité
psychique d'assimilation d'une situation qui admet une série d'opérations : la représentation figu-
rée (Gestaltung) - la liaison (Anknüpfung) de la situation actuelle avec une situation passée -
l'éveil de la conscience à une tâche nouvelle - la décision en tant qu'intention spontanée - la prise
de distance (Distanzierung) - l'objectivation par laquelle la situation est traitée comme une
« expérience de mondanité » - la dénégation par quoi certains éléments en sont éliminés - l'élan
(Aufschwung) qui constitue une prise de possession et de conquête de la situation - l'identifica-
tion à un modèle extérieur au sujet - la révision du système des valeurs - la modification de la vie
affective (Umtimmung) et enfin l'assimilation défendue et triomphale. Ce processus de liquida-
tion, de conquête, d'intégration est dévolu au rêve qui apparaît ainsi dans toute l'éminence de sa
fonction comme un comportement qui opère à l'aide de fantasmes une digestion psychologique.
210
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
C. – RÊVE ET ÉVÈNEMENT.
Comme nous le disions tout au début de cette étude, nous passons un tiers de notre
vie au moins dans le rêve. Cette « existence seconde » est en profonde continuité avec
notre « existence prime » ou vigile, mais nous « oublions » l'une quand nous vivons
l'autre. Il n'y a toutefois pas étanchéité complète entre ces deux pôles de notre existen-
ce, ces deux monde. D'où la constance du thème philosophique des relations « de la vie
et du songe » que l'on trouve, par exemple, chez DESCARTES, PASCAL, MONTAIGNE (que
l'on cite traditionnellement) qui se trouve condensé dans la fameuse phrase de
CALDERON : « ... toda la vida es sueño, y los sueños sueños son ». Le monde de l'imagi-
naire est celui du rêve qui est vécu comme une expérience qui ne s'organise pas dans la
trame des événements. C'est seulement dans, et par l'Inconscient d'où il tire sa source,
qu'il demeure soudé à l'histoire de l'individu. Il reste enveloppé et obscur et comme « mis
entre parenthèses ». Aussi bien, tout comme à la rêverie, on reconnaît facilement au rêve
une valeur « déréelle », de jeu. On sait combien CLAPARÈDE (1905), ou plus récemment
F. SCHNEERSOHN 1 ont approfondi cette fonction ludique du rêve.
Mais il a aussi une certaine « réalité », et c'est un problème que nous pouvons à
peine indiquer ici, que celui de la valeur et de la structure de la « réalité » du rêve 2.
Nous sentons tous qu'il est, en nous et pour nous, une certaine expérience de …Nous sentons tous que
nous-mêmes, et qu'il est là comme pour nous attirer, non seulement vers les souvenirs [le rêve] est, en nous et
ensevelis, comme le voulait VASCHIDE 3 et le monde merveilleux de notre enfance pour nous, une certaine
expérience de nous-
(HAVELOCK ELLIS) 4, mais vers la source et le nœud de toute réalité. Puisque aussi bien
mêmes, et qu'il est là
le monde est nécessairement un aspect, non seulement de notre conscience, mais aussi
comme pour nous attirer,
de ce « médiateur » qu'est notre Inconscient profondément engagé dans notre corps. non seulement vers les
Même quand il se présente comme négation de la réalité, envers de la réalité, le rêve souvenirs ensevelis, mais
est encore « mondanité », réalité. Mais, abandonnons ce plan métaphysique de la vers la source et le nœud
conjonction de l'être et du néant, pour examiner simplement sous quelle forme le rêve de toute réalité…
passe dans notre histoire, nos croyances et notre personnalité. Quelle sorte d'événe-
ment représente-t-il pour nous ? En quoi contribue-t-il aussi à former les événements
de notre monde et de notre existence.
On a pensé que l'expérience onirique est à la base de la formation des mythes 5.
On connaît les idées défendues par Charles NODIER 6 sur l'origine onirique des
croyances religieuses, et, surtout, les vieux livres de TAYLOR et de SPENCER 7, qui ont
211
ÉTUDE N°8
fondé l'animisme sur l'expérience du rêve. La croyance aux Incubes et aux Succubes,
aux horreurs du vampirisme, aux fantasmagories du Sabbat, puisent dans le matériel
onirique leurs inspirations les plus concrètes. De telle sorte que si le rêve apparaît au
savant comme une machine à fabriquer de la fiction, il constitue pour le rêveur vul-
gaire, surtout s'il est enfant ou « primitif », une forme de réalité surnaturelle, une « sur-
réalité ». Dans les deux cas en effet, l'événement que constitue le rêve est en marge et
…Le problème reste verti- en dehors de la réalité objective. Le problème reste vertigineusement ouvert, de savoir,
gineusement ouvert, de quelle valeur les hommes doivent attribuer dans leur conception du monde à ce foyer
savoir, quelle valeur les
imaginaire, d'où émanent, psychologiquement, l'art et la religion liés dans l'intuition,
hommes doivent attribuer
la contemplation et le culte de l'image vécue. Aller jusqu'au bout de cette idée conduit
dans leur conception du
monde à ce foyer imagi- à voir dans le rêve une sorte de réalité suprême, et, à l'occasion, non seulement pré-
naire, d'où émanent, psy- éminente, mais prévue (valeur mystique, divinatoire et prophétique du rêve) 1.
chologiquement, l'art et Le rêve passe dans la conscience, la vie et l'existence, d'une autre manière enco-
la religion liés dans l'in-
re. Il s'infiltre non plus dans notre conception du monde, mais dans notre histoire.
tuition, la contemplation
Certains « événements », (à la condition d'être peu importants), ne sont qu'illusions ou
et le culte de l'image
vécue… souvenirs du rêve (faux souvenirs, mélange de réel et de rêve).
Mais un travail, plus inconscient encore, peut s'opérer, qui établit une continuité de
la pensée de rêve et de l'existence vigile. HARVEY DE SAINT-DENIS 2 a souligné avec ce
qui, après FREUD, nous apparaît une manière de naïveté, l'influence des songes sur la
vie de la veille : « Elle est, écrit-il, sur le moral et les actions, infiniment plus forte qu'on
ne le croit généralement. Des gens graves m'ont assuré que l'attraction ou l'éloignement
qu'ils avaient éprouvé instinctivement pour quelques personnes, n'avaient peut-être pas
eu d'autre origine, qu'un rêve agréable ou désagréable, auquel des personnes s'étaient
trouvées mêlées. Je connais quelqu'un qui devint tout à coup épris d'une jeune fille qu'il
voyait chaque jour depuis longtemps sans y faire la moindre attention, et cela unique-
ment parce qu'elle lui apparut dans un de ces songes passionnés et pleins d'enivrements,
où l'imagination déploie toutes ces résonances ». L'observation de la «vie quotidienne
» fournit, en effet, de multiples exemples de « cristallisations passionnelles » et de
croyances « issues » du rêve. Rappelons ce vers de Paul ÉLUARD : « Tous mes désirs
sont nés de mes rêves 3 ». Mais ces relations que l'observation naïve ou l'intuition poé-
tique inversent, tout ce que nous savons sur le rôle de l'Inconscient dans le rêve nous
aide à les comprendre. Le rêve est un événement qui a plus de réalité psychologique
1. Les articles de H. PASTOURAU et de J. SYLVEIRE (Arts et Lettres, 1948, 3° année, n° 11), abor-
dent, sans les saisir, ces problèmes.
2. HARVEY DE SAINT-DENIS: Les rêves et les moyens de les diriger (1867), p. 348.[NdÉ: L’ouvrage
du marquis de Saint-Denis (Marie-Jean Léon LECOQ, baron d’HERVEY, marquis de Saint-Denis,
1822-1892) admiré des surréalistes et dont EY indique que l’on peut en trouver un exemplaire à
la Bibliothèque de la Faculté de Médecine de Paris a été réédité avec une préface et des notes de
Robert DESOILLE: Paris, Bibliothèque du Merveilleux,Tchou, 1964.]
3. Paul ÉLUARD, Choix de poèmes, N. R. F., p. 84.
212
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
qu'on ne se le figurait. Étant issu de notre histoire, il exerce sur notre histoire, par une
sorte de choc en retour, une action. L'expérience onirique n'est qu'une phase du déve-
loppement de notre vie inconsciente. Elle en constitue une forme d'événement,
c'est-à-dire la forme dans laquelle l'existence de notre Inconscient est vécue. Et comme
notre vie de veille suppose un courant de pensée inconsciente dont elle règle le débit,
le rêve et la pensée vigile ne sont pas radicalement séparés. Les formes intermédiaires
de la rêverie, du jeu, non seulement sont des événements, comme tels, de notre exis-
tence, mais l'engagent elle-même, et elles peuvent non seulement se présenter à nous,
mais nous présenter ou nous représenter des réalités.
Si l'expérience du rêve est phénoménologiquement distincte des événements réels
de notre existence, en tant que « nous sommes au monde », c'est qu'elle est vécue sur
un registre propre, celui de la structure de la pensée du sommeil en tant que nous
sommes dans notre monde. Mais, et nous le verrons plus loin, des formes plus subtiles
de sommeil et les charges dégradées de rêve qu'elles comportent, peuvent, en consti-
tuant des « expériences délirantes primaires », créer l'équivoque de l'événement.
Ce que nous avons déjà exposé ailleurs sur l'histoire des doctrines en psychiatrie,
va trouver ici une explication typique et décisive. Nous estimons qu'il y a seulement
trois types d'explications en psychiatrie : les théories mécanicistes, les théories psy-
…Lisez et relisez tous les
chogénétistes et les théories organodynamistes. Lisez et relisez tous les travaux sur le
travaux sur le rêve, et
rêve, et Dieu sait s'il y en a, et dites-nous si l'intuition fondamentale – généralement Dieu sait s'il y en a…
d'ailleurs tempérée d'éclectisme – de chacun des auteurs ne correspond pas à une de
ces attitudes typiques ? Il suffit de lire la classification des théories du rêve par
FREUD 2 pour bien saisir que celle que nous proposons atteint plus profondément leurs
respectives et fondamentales intuitions.
C'est celle qui coïncide avec l'opinion vulgaire la plus répandue. Ses postulats
essentiels sont que le rêve n'est fait que « de pièces et de morceaux », d'images for-
tuitement associées, sans signification globale et sans continuité avec la personnalité.
Le rêve est, à ses yeux, un mélange baroque de représentations, dont l'assemblage
mécanique fait une production futile et accidentelle. Le corollaire psychologique de
1. « Si la vie est un songe, le songe est une vie » fait remarquer EUGENIO d'ORS (Le Jardin des
plantes, p. 26). On trouvera à la fin du livre de A. GARMA, « Psicoanalisis de los Sueños », 2e
édition (1948), d'intéressants développements sur ce point.
2. p. 69 à 80, de la « Science des rêves ».
213
ÉTUDE N°8
cette analyse du rêve, c'est qu'il est réductible à des éléments sensoriels (sensations
actuelles ou récemment perçues), les idées qui forment le rêve ayant leur point de
départ dans ces sensations. Son corollaire pathogénique est que le rêve est le résultat
d'une excitation mécanique de centres d'images et notamment d'images visuelles 1 qui,
les sens se trouvant mis en mouvement par une excitation centrale ou une excitation
périphérique, sont à la base même du déclenchement de l'imagerie onirique. Presque
tous les psychophysiologues, depuis ÉPICURE, LUCRÈCE, jusqu'à DESCARTES et TAINE,
se sont inspirés de cette théorie du rêve, et elle « traîne » plus ou moins claire ou atté-
nuée dans tous, ou presque tous les livres sur le Rêve. PURKINJE 2 et BAILLARGER 3 en
sont les défenseurs les plus célèbres. A titre d'exemple caractéristique, rappelons,
d'après FREUD 4, la conception du psychiatre KRAUSS (1856- 1859). Pour lui, l'origine
du rêve, comme celle des délires, peut se déduire d'un même élément. C'est à partir
des sensations organiques que se constituent les images du rêve. La sensation éveillée
« évoque d'après une quelconque loi d'association » une représentation parente ; il y a
« transsubstantiation » de la sensation en image de rêve. Une telle conception détache
le rêve de la structure de la pensée du sommeil ; sans doute, les auteurs s'y réfèrent-ils,
car ils ne peuvent point prétendre s'en passer entièrement, mais ils la considèrent
comme un épiphénomène simplement juxtaposé au jeu de la production mécanique de
ces images disparates et incohérentes qui s'associent fortuitement... et simplement.
…il faut bien souligner Malgré ce pluriel, il faut bien souligner qu'une seule théorie psychogénétiste com-
qu'une seule théorie psy-
plète a été, avec une rare vigueur, présentée, celle de FREUD. Le postulat est absolu-
chogénétiste complète a
été, avec une rare ment inverse de celui des théories mécanicistes : le rêve a un sens... Et non seulement
vigueur, présentée, celle il a un sens, mais il dépend de ce sens, il répond à un désir. Nous avons à peine besoin
de FREUD : … de rappeler ici les principales thèses de FREUD : le rêve est la voie royale qui conduit
à l'Inconscient – le rêve satisfait un désir refoulé et singulièrement un désir infantile –
…le rêve a un sens... Et
non seulement il a un le rêve est un fragment de l'enfance, de la vie psychique, passée et dépassée – le carac-
sens, mais il dépend de ce tère absurde du rêve résulte d'un travestissement, d'un « camouflage » par la censure,
sens, il répond à un c'est une fausse apparence – les fantasmes du rêve symbolisent les complexes incons-
désir…
1. La visualisation de rêve n'est qu’un aspect et non une qualité structurale de la pensée du som-
meil, ainsi que le démontrent les études sur les rêves des aveugles (cf : Lucien BELLI, Le rêve des
aveugles, « Journal de Psychologie », 1932, p. 20 à 73 et 258 à 309).
2. PURKINJE, Wagners Handwortbuch Physiologie, 1846.
3. BAILLARGER, Mémoire sur les Hallucinations (1846), p. 468-470.
4. FREUD S. : Science des rêves, trad. fr. p. 35.
214
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
cients, et notamment les complexes sexuels. – Mais ce n'est pas l'aspect significatif,
dynamique, conféré au rêve qui constitue le trait le plus authentiquement psychogé-
nétiste de cette théorie, puisque aussi bien il peut être, comme nous le verrons plus
loin, interprété dans une perspective organo-dynamiste. La théorie du rêve gardien du
sommeil est, par contre, elle, typiquement psychogénétiste. Relisons FREUD : « On
peut résumer notre attitude psychique dominante pendant le rêve, sous la forme d'un
avertissement que le préconscient donnerait à la conscience, quand le rêve irait par
trop loin : laisse donc et dors, ce n'est qu'un rêve... 1 – Tous les rêves sont des rêves
de commodité, faits pour nous permettre de continuer à dormir. Le rêve est le gardien
du sommeil et non son ennemi... Le désir de dormir, qui est celui du moi conscient et
qui se joint à la censure, représente la contribution de celui-ci au rêve, doit donc être
compté chaque fois au nombre des facteurs qui ont contribué à former le rêve, et
chaque rêve qui réussit est un accomplissement de ce désir. » Ainsi, pour FREUD, ce
qui engendre essentiellement le rêve, c'est un double désir, désir inconscient de se
satisfaire par des fantasmes et désir de dormir. Le rêve n'est pas la conséquence du …Pour FREUD […], le
sommeil, il en est la cause ; le désir du rêve engendre et entretient le sommeil. C'est rêve n'est pas la consé-
quence du sommeil, il en
ce renversement de valeurs qui constitue l'originalité de l'attitude psychogénétiste. Il
est la cause ; le désir du
n'y a pas lieu de s'étonner, par conséquent, que FREUD traite avec tant de dédain la rêve engendre et entre-
« théorie organique régnante », qui, dit-il, « n'accorde au rêve, qu'un fragment de notre tient le sommeil. C'est
vie intellectuelle paralysée par le sommeil. C'est celle que préfèrent les écrivains ce renversement de
valeurs qui constitue
médicaux et le monde scientifique, en général : c'est en somme la théorie régnante. Il
l'originalité de l'attitude
faut souligner la légèreté avec laquelle cette théorie évite le plus rude écueil de l'ex- psychogénétiste…
plication des rêves : les contrastes qu'il y rencontre... » (p. 70). Effectivement FREUD
insiste perpétuellement sur le paradoxe du rêve et se plaît à montrer que la pensée du
rêve n'a pas subi d'amoindrissement. Le rêveur, pour lui, pense avec un préconscient
intelligent, rusé, hyperanmésique et même génial. Mais ne peut-on pas souligner la
légèreté avec laquelle cette théorie évite le plus rude écueil : le sommeil ?
3. – Théories organo-dynamistes.
215
ÉTUDE N°8
contre la notion de « sommeil partiel » 1. C'est bien à tous les théoriciens du rêve qui
ont mis en évidence cette dissolution hypnique comme condition génétique du rêve,
que toutes les théories organo-dynamistes vont se référer, comme à celles qui se fon-
dent le plus naturellement sur les faits. Chez nous, de MAINE DE BIRAN 2 à BERGSON 3,
en Allemagne avec HERBART 4, en Angleterre avec H. JACKSON 5, tous les médecins et
philosophes qui se sont situés dans la perspective que nous appelons « organo-dyna-
miste », ont mis en premier plan l'aspect régressif de la pensée de rêve. Les travaux de
MAURY (1878), TOULOUSE et MIGNARD (l912), KAPLOUN (1919), DELAGE (1920), s'ins-
crivent dans ce mouvement. Mais ce qui est frappant, c'est l'impossibilité pour tous,
sans 1'aide de la théorie jacksonienne, de parvenir à une conception cohérente et
exhaustive. Si l'on se place, au contraire, résolument dans le cadre de la conception de
JACKSON, tout s'éclaire et s'ordonne. Signalons que SANTE DE SANCTIS (1899) est
peut-être celui qui a le mieux pressenti et approfondi cette théorie organo-dynamiste.
…Tout ce que nous Tout d'abord, une telle théorie du rêve est organiciste. Le sommeil en tant que
savons du sommeil le pré- processus de dissolution généralisée et rapide des fonctions psychiques est lié au pro-
sente comme une atteinte cessus organique. Ou bien ces mots n'ont pas de sens, ou bien ils désignent un phé-
du système nerveux en
nomène qui par sa nature même est constitué par une modification somatique. Tout ce
étroite relation avec le
métabolisme… que nous savons du sommeil 6 le présente comme une atteinte du système nerveux en
étroite relation avec le métabolisme. Aucune discussion, ni aucun jeu de mots ne pour-
…Aucune discussion, ni ra empêcher de voir dans ces modifications électriques, chimiques de la substance
aucun jeu de mots ne
cérébrale, un processus organique. Pour si sensible qu'il soit aux conditions de la vie
pourra empêcher de voir
dans ces modifications de relation, aux événements extérieurs et intérieurs, il reste par sa nécessité, son
électriques, chimiques de « besoin », une variation biophysiologique et organique.
la substance cérébrale,
un processus organique… De plus, cette théorie peut être appelée dynamique, car elle se représente l'effet du
1. C'est ainsi qu'en citant BINZ, FREUD détache la phrase de celui-ci : « le travail isolé de ces
groupes de cellules nerveuses ». Mais, pour nous, qui avons dissipé la confusion entre les théo-
ries organo-mécanicistes et les théories organo-dynamistes, parler d'une certaine profondeur de
dissolution n'équivaut pas au jeu de mots qui consiste à parler de sommeil « partiel ».
2. MAINE de BIRAN, Nouvelles considérations sur le sommeil, les songes et le somnambulisme,
éd. Causin, Paris, 1792.
3. La théorie de BERGSON (Matière et Mémoire et Le rêve, « Revue Scientifique », XV, 1901, p.
703 à 713) en ce qui concerne le rêve est ambiguë et assez paradoxale. Alors qu'il fait appel à
une régression générale à l'activité psychique (désintéressement, analyse du moi décomposé du
rêveur) il tente par la suite de donner aux lueurs entoptiques un rôle générateur des images oni-
riques.
4. HERBART, Psychologie.
5. Cf. notre mémoire : H. EY et J. ROUART, Application des principes de JACKSON, etc. édit. Doin,
Paris, 1938, [NdÉ: Rééd.: L'Harmattan, 1997], et notre Étude N° 7.
6. Il suffit de consulter les travaux dont nous donnons, page 266, une bibliographie pour s'en
convaincre.
216
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Les troubles négatifs sont sous la dépendance directe du processus et font corps
avec lui. Les troubles positifs répondent à l'activité restante. C'est dire que dans l'éla-
boration de la structure de la pensée du sommeil, les instances psychiques subsistent,
introduisant une organisation significative, propre à leur activité.
Mais de même que l'organo-dynamisme s'oppose à l'organo-mécanicisme par sa …C'est lui, le sommeil,
théorie de l'activité psychique subsistante et de la structure régressive et globale de la qui par la courbe même
de la vitesse et de la pro-
pensée du rêve, il s'oppose à la psychogénèse par sa théorie de la dissolution des fonc-
fondeur de la dissolution
tions psychiques, sous l'influence primordiale d'un processus organique : le sommeil. qu'il entraîne, constitue le
phénomène biologique
C'est lui, le sommeil, qui par la courbe même de la vitesse et de la profondeur de déterminant…
217
ÉTUDE N°8
DEUXIÈME PARTIE
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
PSYCHOPATHOLOGIQUES
7. Conception Organo-dynamiste.
8. Rêve et psychopathologie.
Combien de fois déjà un tel historique a-t-il été établi dans les livres, articles et
mémoires touchant ce problème ? Nous ne saurions cependant nous soustraire à cette
obligation de rappeler combien est, à la fois, rebelle et séduisante, l'idée d'une profon-
de liaison entre la folie et le rêve. On ne manque guère de citer à ce propos
HIPPOCRATE, GALIEN, CELSE, AVICENNE, ALEXANDRE DE TRALLES, ni la phrase
…« II est évident que la d'ARISTOTE : « Il est évident que la cause, qui fait que dans certaines maladies on se
cause, qui fait que dans trompe, même tout éveillé, est celle qui, dans le sommeil, produit en nous le rêve ».
certaines maladies on se
MOREAU (de Tours), cherchant parmi les philosophes une autorité qui consacrât sa doc-
trompe, même tout éveillé,
est celle qui, dans le som- trine, rappelait la proposition de SPINOZA : « L'erreur n'est que le songe d'un homme
meil, produit en nous le éveillé : à un certain degré, elle devient le délire... » La fameuse formule de KANT :
rêve »… (ARISTOTE). « Le fou est un dormeur éveillé », par son admirable concision, résume l'opinion de
tant de penseurs qui, à travers tous les âges et les continents, ont eu l'intuition de cette
identité. Rappelons encore le mot de SCHOPENHAUER : « Le rêve est une courte folie,
et la folie un long rêve ».
Naturellement le XIXe siècle, avec le développement d'une psychiatrie toute fraîche
et à ses premiers étonnements, devant la masse imposante et mystérieuse des faits que
le magnétisme animal, l'hypnotisme, le somnambulisme, l'hystérie, les délires et les
névroses proposaient à son observation, et jetaient pêle-mêle à la face de ses philo-
sophes et de ses savants, devait être le siècle des rapports du rêve et de la folie.
CABANIS, dans son Dixième Mémoire, attribue à CULLEN (1819) l'idée d'établir une
analogie « entre les points d'excitation partielle des points du cerveau », qui troublent
ses fonctions dans le sommeil, et ce qui se passe dans le délire. C'est cette notion de l'in-
égalité des fonctions endormies que CABANIS développe et qui, pour lui, rend compte
de l'incohérence des sensations, des sentiments et des idées dans le rêve, comme dans
la folie. C'est l'origine de toutes les théories mécanicistes et du rêve et des psychoses.
Assez rapidement, le problème s'est circonscrit, et c'est l'analogie du rêve et des
218
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
hallucinations qui a retenu l'attention des aliénistes. BAILLARGER 1 a étudié l'état hyp-
nagogique comme cause favorisante de la production hallucinatoire. Pour lui, les hal-
lucinations ou délires, prennent corps plus aisément dans cette phase intermédiaire à
la veille et au sommeil. A propos de la stupidité 2, il a noté que « les malades vivent
dans une sorte de rêve, et il leur semble, en effet, au moment de la guérison, qu'ils sor-
tent d'un long sommeil, traversé par des rêves pénibles ». C'est dans le cadre de sa
« théorie de l'automatisme », qu'il a aperçu ces « analogies » et, pour lui, ce qui est
altéré dans l'état hallucinatoire, comme dans le rêve, « ce n'est pas la puissance d'at-
tention, mais bien l'état des instruments auxquels elle s'applique »... C'est dans le
même esprit que MAURY (1865), rapprochant plus ou moins explicitement le rêve et le
jeu des hallucinations hypnagogiques, devait « admettre ces analogies de l'hallucina-
tion et du rêve avec l'affaiblissement pathologique de l'intelligence ». Cependant, les
aliénés, à ses yeux, « font par l'énergie de la réflexion » ce que le rêveur « fait par la
faiblesse de l'intelligence ». CALMEIL (1845) acceptait moins formellement l'analogie
entre l'état de rêve et certains délires hallucinatoires. Et MACARIO 3, étudiant les rêves,
en distinguait une variété proprement hallucinatoire : les « rêves sensoriaux intracrâ-
niens ». J.-P. FALRET 4 soulignait « l'analogie remarquable qui existe entre les rêves et
la folie, avec ou sans hallucination ». Il distinguait les hallucinations des rêves malgré
leur « analogie » par le fait que : « le rêve est un état dans lequel le monde intérieur
prédomine sur le monde extérieur... (tandis que) dans l'hallucination, au contraire, l'es-
prit, au lieu de se replier sur lui-même, retourne en quelque sorte vers le monde exté-
rieur, et ce retour est un des éléments les plus essentiels de l'hallucination ». Il y a
encore, ajoutait-il, une distinction « plus saillante » entre l'aliéné et « l'homme qui
rêverait tout éveillé », c'est que le rêve intéresse tous les sens, tandis que le délirant
n'est halluciné que « pour un sens, un objet, ou une série identique d'objets ».
C'est à MOREAU (de Tours) que revient le mérite d'avoir vu, non pas « l'analogie » du …C'est à M OREAU (de
rêve et de la folie, mais l'identité même de leur mécanisme. En 1845, dans son ouvrage Tours) que revient le
mérite d'avoir vu, non
fondamental 5, il a présenté une théorie, pour la première fois complète, des rapports du
pas « l'analogie » du
rêve et des psychoses, dans laquelle la relation particulière de l'hallucination et du rêve rêve et de la folie, mais
est remarquablement mise à sa place. Il est nécessaire de relire quelques passages de ce l'identité même de leur
magnifique ouvrage. Leur intérêt nous fera pardonner la longueur de ces citations : mécanisme…
219
ÉTUDE N°8
« ... Au fur et à mesure que, sous l'influence du hachisch, se développe le fait psy-
chique que je viens de signaler, une profonde modification s'opère dans tout l'être pen-
sant. Il survient insensiblement, à votre insu et en dépit de tous vos efforts pour n'être
pas pris au dépourvu, il survient, dis-je, un véritable état de rêve, mais de rêve sans
sommeil ! car le sommeil et la veille sont, alors, tellement confondus, qu'on me passe
le mot, amalgamés ensemble, que la conscience la mieux éveillée, la plus clairvoyan-
te, ne peut faire entre ces deux états aucune distinction non plus qu'entre les diverses
opérations de l'esprit qui tiennent exclusivement à l'une ou à l'autre. De ce fait, dont
l'importance n'échappe à personne, et dont les preuves se trouvent consignées à chaque
page de ce livre, nous avons déduit la nature réelle de la folie dont il embrasse et
explique tous les phénomènes, sans exception. (p. 37.)
... Il semble donc que deux modes d'existence morale, deux vies ont été départies
à l'homme. La première de ces deux existences résulte de nos rapports avec le monde
extérieur, avec ce grand tout qu'on nomme l'univers ; elle nous est commune avec les
êtres qui nous ressemblent. La seconde n'est que le reflet de la première, ne s'alimen-
te, en quelque sorte, que des matériaux que celle-ci lui fournit, mais en est cependant
parfaitement distincte. Le sommeil est comme une barrière élevée entre elles deux, le
point physiologique où finit la vie extérieure, et où la vie intérieure commence. Tant
MOREAU (de Tours), Du que les choses sont dans cet état, il y a santé morale parfaite, c'est-à-dire régularité des
Haschisch et de l'aliéna- fonctions intellectuelles dans l'étendue des limites qui ont été tracées pour chacun de
tion mentale, « Études nous. Mais il arrive que, sous l'influence de causes variées, physiques et morales, ces
Psychologiques », Paris, deux vies tendent à se confondre, les phénomènes propres à l'une et à l'autre, à se rap-
Librairie de Poitiers, procher, à s'unir dans l'acte simple et indivisible de la conscience intime ou du moi.
1845. Une fusion imparfaite s'opère, et l'individu, sans avoir totalement quitté la vie réelle,
appartient, sous plusieurs rapports, par divers points intellectuels, par de fausses sen-
sations, des croyances erronées, etc., au monde idéal. Cet individu, c'est l'aliéné, le
monomaniaque surtout, qui présente un si étrange amalgame de folie et de raison, et
qui, comme on l'a répété si souvent, rêve tout éveillé, sans attacher autrement d'im-
portance à cette phrase qui, à nos yeux, cependant traduit avec une justesse absolue le
fait psychologique même de l'aliénation mentale. Suivant BICHAT, les rêves ne sont
qu'un sommeil partiel, « une portion de la vie animale échappée à l'engourdissement
où l'autre portion est plongée » (p. 41, 42 et 43).
... A nos yeux, quelque simple qu'on la suppose, de quelques apparences de raison
qu'elle s'enveloppe, l'idée fixe ne peut être que le résultat d'une modification profon-
de, radicale, de l'intelligence, d'un bouleversement général de nos facultés. Elle est
l'indice d'une transformation totale de l'être pensant, du moins dans les limites d'une
certaine série d'idées. On l'a quelquefois, surtout dans ces derniers temps, confondue
avec l'erreur. C'est une faute contre toutes les notions psychologiques. Un fou ne se
trompe pas. Il agit intellectuellement dans une sphère essentiellement différente de la
nôtre, de celle « in qua movemur et sumus ». Comme aliéné, il a une conviction contre
laquelle ni la raison d'autrui ni la sienne propre ne sauraient prévaloir ; non plus que
nul raisonnement, nulle pensée de l'état de veille, ne sauraient redresser les raisonne-
ments et les pensées de l'état de rêve. La même différence existe entre l'homme aliéné
et l'homme raisonnable (j'entends toujours parler du même individu), qu'entre l'hom-
me qui rêve et l'homme qui est éveillé. Les idées fixes ne sont, pour ainsi dire, que des
parties détachées, de véritables phénomènes épisodiques d'un état de rêve qui, dans les
limites de ces idées, se continue pendant la veille. De tout temps, le langage vulgaire
a consacré cette vérité, en appliquant particulièrement aux aliénés, dominés par des
idées fixes, la dénomination de rêveur ! (p. 122-123.)
220
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
... A nos yeux, l'aliénation mentale constitue un mode d'existence à part, une sorte
de vie intérieure dont les éléments, les matériaux ont nécessairement été puisés dans
la vie réelle ou positive, dont elle n'est que le reflet et comme un écho intérieur. L'état
de rêve en est l'expression la plus complète ; on pourrait dire qu'il en est le type nor-
mal ou physiologique. A quelques égards, l'homme en état de rêve éprouve au suprê-
me degré tous les symptômes de la folie : convictions délirantes, incohérence des
idées, faux jugements, hallucinations de tous les sens, terreurs paniques, emporte-
ments, impulsions irrésistibles, etc., etc. Dans cet état, la conscience de nous-mêmes,
de notre individualité réelle, de nos rapports avec le monde extérieur, la spontanéité,
la liberté de notre activité intellectuelle sont suspendus ou, si l'on veut, s'exercent dans
des conditions essentiellement différentes de l'état de veille. Une seule faculté survit et
acquiert une énergie, une puissance qui n'a plus de limites. De vassale qu'elle était dans
l'état normal ou de veille, l'imagination devient souveraine, absorbe, pour ainsi dire, et
résume en elle toute l'activité cérébrale ; la folle du logis en est devenue la maîtresse.
De ces données générales il résulte : 1° qu'il n'existe pas, ainsi que nous l'avons dit pré-
cédemment, à proprement parler, d'hallucinations, mais bien un état hallucinatoire. 2°
Il faut voir dans les hallucinations un phénomène psychologique très complexe qui
n'est, pour ainsi dire, qu'un côté, une face de l'activité de l'âme vivant de la seule vie
intra-cérébrale. 3° L'état hallucinatoire comprend nécessairement tout ce qui, dans …« il n'existe pas, ainsi
l'exercice des facultés morales, a trait aux sens spéciaux, à la sensibilité générale exter- que nous l'avons dit pré-
ne et interne. Dans cet état, identique (au point de vue psychique) à l'état de rêve, cédemment, à proprement
l'âme, livrée tout entière à la vie intérieure, diversement impressionnée dans ses facul- parler, d'hallucinations,
tés auditives, visuelles, tactiles, transporte dans la vie réelle ou extérieure les produits mais bien un état halluci-
ou créations de son imagination, et se persuade avoir entendu, vu, touché, comme dans natoire »… MOREAU (de
l'état ordinaire, tandis que, en réalité, elle n'a fait qu'imaginer, voir, entendre et toucher. Tours) 1845.
Dans l'état ordinaire ou normal, s'imaginer être impressionné de telle ou telle manière,
diffère essentiellement d'être impressionné réellement. Mais il n'en est pas ainsi quand
nous sommes en état de rêve ; car alors plus de différence aucune, et le rêveur est aussi
réellement impressionné que l'homme qui est en état de veille. Ce qui est vrai de l'état
de rêve l'est également de l'état de folie hallucinée où les sensations sont aussi vives,
j'ai presque dit aussi réelles que dans l'état sain. Comme le rêveur, l'halluciné n'enten-
dra pas seulement des sons qui auront autrefois frappé son oreille, mais il entendra des
discours plus ou moins suivis. Dans l'état normal, penser c'est parler intérieurement ;
dans le cas où se trouve l'halluciné, c'est parler haut : car l'âme ne peut alors parler sa
pensée sans l'entendre, en vertu de l'état particulier où elle se trouve, état dans lequel
toutes les créations de la faculté imaginative prennent nécessairement des formes sen-
sibles. Quand donc nous pensons, nous parlons mentalement. Nulle idée ne s'éveille en
nous, si ce n'est par l'intermédiaire du signe écrit ou sonore qui la représente. Que l'on
s'étudie avec soin, et l'on reconnaîtra sans peine que, quand nous pensons, nous enten-
dons en quelque sorte les sons des paroles ou des mots qui traduisent notre pensée ;
nous les entendons d'une certaine manière, en imagination, cela est vrai ; mais on sent
qu'il n'y a pas loin de là à la réalité. L'hallucination, ou plutôt l'erreur de l'halluciné, se
rapportera donc à ses propres pensées, à celles principalement qui le préoccuperont
davantage, sur lesquelles son attention aura été concentrée. Il pensera, c'est-à-dire
jugera, comparera, raisonnera en lieu et place d'êtres imaginaires dont il entendra les
paroles ; en d'autres termes, il attribuera, transportera à des êtres fictifs, créés par son
imagination, ses propres pensées qui arriveront à son oreille comme si elles venaient
réellement d'autres que lui-même » (p. 350-351-352-353).
221
ÉTUDE N°8
« Il est bien certain que des causes ou conditions physiologiques spéciales impri-
ment aux rêves de la nuit des caractères qui leur sont propres et qui ne se retrouvent
« De l'identité de l'état de pas dans ceux qui ont lieu sous l'influence d'une congestion cérébrale, d'un spasme
rêve et de la folie », nerveux, d'une accumulation de fluides dans les centres cérébraux, d'un narcotique,
MOREAU (de Tours), 1855. d'une lipothymie, d'une excitation cérébrale, d'une cause de délire quelconque : mais
encore une fois, ce n'est pas à dire que la modification que subit alors la faculté pen-
sante, ne soit pas identique dans tous les cas quant à sa nature essentielle et purement
psychique... (Dans le rêve) on perd sa spontanéité d'action, le moi se transforme : une
autre individualité, celle du rêve, remplace celle de la veille. On voit qu'il ne se passe
rien que ce qui se passe dans le délire, donc le rêve = délire. Dans le premier : action
d'une cause physiologique inconnue ou à peu près inconnue ; dans le second : action
d'une cause pathologique inconnue (folie spontanée), ou bien connue (dans la folie par
intoxication). Résultat dans les deux cas : extinction, anéantissement lent ou brusque
de la spontanéité intellectuelle, métamorphose du moi, rêve. »
1. Une longue discussion avait eu lieu en 1845, à la Société Médico-Psychologique (II, p. 123),
autour d'un rapport de DUBOIS (d'Amiens) sur ce même thème.
2. Annales Médico-Psychologiques, 1855, tome I, n° 3, p. 360 à 408.
3. DELASIAUVE, Revue Médicale, mars 1846.
4. De la page 455 à la page 520 (1855).
222
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
force par MOREAU (de Tours) de vouloir intégrer la folie « dans l'organisation 1 » et le
rêve dans un dérangement du cerveau ; il observe que « s'il n'y a pas de folie sans
lésion cérébrale, il faut dire la même chose du sommeil », et prétend que ce qui peut
valoir pour le « délire » (au vieux sens du mot delirium) ne saurait valoir pour la folie
« qui est avant tout erreur 2 ». BAILLARGER se lève pour défendre le point de vue de
MOREAU (de Tours), et attaque la position « psychogénétiste » de BOUSQUET qui réduit
la folie à une pure erreur :
Et à la fin de son discours, BAILLARGER évoque, comme une preuve plus directe,
ces cas où la clinique nous montre le délire en continuité avec le rêve. — LONDE
remarque que « M. BOUSQUET repousse l'analogie que l'on veut établir entre la folie et
le sommeil 5, et en cela, ajoute-t-il, il a raison. Mais il ne veut pas davantage qu'on
assimile la folie au rêve 6, et en cela, il a tort. » — FERRUS souligne que BOUSQUET a
fait entre le « délire 7 » et la folie un diagnostic de fantaisie, quand il s'est attaché à
montrer que, dans le délire, il y a des troubles fonctionnels cérébraux qui feraient
1. C'est-à-dire l'organisme.
2. Point de vue récemment soutenu à notre réunion d'études à BONNEVAL en 1947, par J. LACAN
dans son Rapport sur la « Psychogénèse » qui a paru dans le n° 1, 1947 de l'Évolution
Psychiatrique. [NdÉ: voir commentaire note 1 p.80]
3. Du processus, dirions-nous.
4. De la part positive, dirions-nous.
5. Du point de vue négatif, dirions-nous.
6. Du point de vue positif, dirions-nous.
7. Au sens ancien du mot (delirium).
223
ÉTUDE N°8
« Les raisons sur lesquelles il se fonde pour établir cette séparation si tranchée
pour lui sont les suivantes : le délire est passager, de peu de durée, tandis que la folie
persiste quelquefois toute la vie... (Il) dit que le délire d'un jour ne suffit pas pour faire
un fou. »
Et, avec une argumentation qu'il faudrait citer tout entière (p. 479 à 485), car elle
touche au nœud même du problème, PIORRY démontre avec une magnifique clarté que
les états aigus (le « délire » comme on disait à l'époque) ont souvent été considérés à
tort comme radicalement étrangers au délire (la « folie » comme on disait à cette
époque avant « le chassé-croisé » qui a inversé le sens du mot délire). Il conclut :
…« Je dois donc déclarer
que je crois aux analogies « M. MOREAU a parfaitement raison de rapprocher le « délire » de la « folie », de
des rêves et de la folie... chercher dans les songes et dans les troubles intellectuels observés dans l'ivresse et le
Cependant, si j'admets
narcotisme l'image, le degré initial de l'aliénation mentale, et que c'est un blasphème
entre les rêves et la folie
de dire que l'anatomie et la physiologie pathologiques n'ont point éclairé l'histoire de
la déraison humaine. »
des analogies, je ne crois
pas que l'on puisse ici La discussion se termine après une nouvelle intervention de BOUSQUET et de
prononcer le mot identi- FERRUS et enfin par une longue argumentation de BAILLARGER, à propos des « mono-
té…» BAILLARGER, 1855. manies », objection naturellement levée par BOUSQUET. BAILLARGER conclut :
« M. BOUSQUET n'admet pas les analogies des rêves et de la folie. Il n'admet pas au
moins qu'on les regarde comme très intimes et très étroites ; c'est encore un rappro-
chement qui lui paraît des plus bizarres. A cet égard même, notre collègue serait
presque tenté de douter de ma conviction, et il me demande si je crois sincèrement ce
que j'affirme avec tant d'assurance... Il est évident, messieurs, qu'en persistant dans les
idées que j'ai émises, je m'expose à perdre beaucoup dans l'opinion de notre collègue,
mais avant tout il faut être sincère. Je dois donc déclarer que je crois aux analogies des
rêves et de la folie... Cependant, si j'admets entre les rêves et la folie des analogies, je
ne crois pas que l'on puisse ici prononcer le mot identité... Il y a d'ailleurs, dans la folie,
deux éléments ; c'est dans l'un de ces éléments que consiste son analogie avec l'état de
rêve ; c'est par l'autre qu'elle tient à l'état de veille ; chez l'halluciné, par exemple, le
premier élément c'est l'hallucination, qui n'a lieu que dans l'état d'indépendance des
facultés ; le second, c'est la conviction délirante que cette hallucination entraîne,
conviction active et qui se continue dans l'état le plus complet de veille. Telles sont les
raisons qui me font croire aux analogies très étroites entre les rêves et la folie, et qui
m'empêchent en même temps d'admettre l'identité de ces deux états. »
Encore une fois, seule une théorie que l'on sent presque achevée dans l'esprit de
MOREAU (de Tours) et « mal venue » dans la doctrine de BAILLARGER, souvent ambi-
gu et toujours éclectique, seule cette théorie aurait pu fournir sur la base de l'identité
224
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
de la part positive du rêve et de la folie et de la différence de la structure négative des …seule une théorie sur la
niveaux de dissolution, un point de départ fulgurant pour le développement ultérieur base de l'identité de la
part positive du rêve et
de la psychiatrie. Mais après être passé si près du but, on va s'en éloigner...
de la folie et de la diffé-
C'est, en effet, sur le terrain de la pure description clinique, des « analogies » et rence de la structure
non plus sur une théorie de la profonde identité de mécanisme que le problème des rap- négative des niveaux de
ports du rêve et des psychoses va maintenant se trouver placé jusqu'à FREUD. NOUS dissolution [aurait pu
fournir] un point de
avons examiné ailleurs 1 les raisons de ce « déraillement ». Nous venons de voir que
départ fulgurant pour le
BAILLARGER insistait sur une variété d'aliénation particulière qui ressemblait particu- développement ultérieur
lièrement au rêve : la stupeur ou la mélancolie stuporeuse. C'est ce travail de compa- de la psychiatrie…
raisons et d'analogies (le seul qui soit généralement bien connu dans les milieux psy-
chiatriques), qui va se poursuivre avec les travaux de DELASIAUVE, MEYNERT, CHASLIN,
LASÈGUE, RÉGIS, etc.. DELASIAUVE (1851), dans sa magnifique étude sur la stupidité,
signalait « des scènes fantastiques, dont le rapprochement avec les images du rêve per-
met une interprétation plausible » ; mais pour lui, cette comparaison restait particuliè-
re à cette psychose. Le fameux article de LASÈGUE Le délire alcoolique n'est pas un
délire mais un rêve (1881), par la richesse et la beauté de sa description du délire
alcoolique, a connu un grand et mérité retentissement. Mais il appartenait à RÉGIS, en …Mais il appartenait à
RÉGIS, en 1894, de créer
1894, de créer le mot que tout le monde attendait et qui fit fortune : l'onirisme. Son
le mot que tout le monde
premier travail sur ce point semble avoir été une communication sur « Les hallucina- attendait et qui fit fortu-
tions oniriques des dégénérés 2 ». Plus tard, dans son mémoire à l'Académie de ne: l'onirisme…
Médecine, il assimila ce que tout le monde va désormais appeler l'onirisme confu-
sionnel, au délire somnambulique, aux « états seconds » hystériques. Il proposait
d'ailleurs, à cette époque, l'hypnose comme moyen curatif. Depuis cette date, onirisme
et psychose confusionnelle, d'origine toxique et infectieuse, sont devenus, notamment
dans la psychiatrie française, des synonymes que la pratique courante a automatisés.
Le rapport de DELMAS 3 consacra définitivement cette traditionnelle soudure de la
« confusion toxi-infectieuse » et de « l'onirisme », dont le délire alcoolique représen-
te la forme la plus typique. Ainsi s'est concentré, amenuisé et « vidé » le sens des rela-
tions entre le rêve et les psychoses. Ceci est allé si loin que l'on considère dans beau-
coup d'ouvrages ou travaux classiques ce problème uniquement sous l'angle des
« rêves morbides » au cours des psychoses, point de vue symétrique à celui des rêves
dans les affections organiques, en pathologie générale 4.
Cependant le problème n'a pu se détacher complètement de son sens profond dans
certaines études qui n'ont cessé depuis un siècle de montrer la continuité « étiolo-
1. Remarques historiques sur les rapports des états psychopathiques avec le rêve, « Annales
Médico-Psycho. », juin 1934.
2. Congrès des aliénistes français, 1894.
3. Congrès des aliénistes français, Strasbourg, 1920.
4. Cf. par exemple parmi dix autres, le livre de MEUNIER et MASSELON, Les rêves, Paris, 1910.
225
ÉTUDE N°8
1. Ph. CHASLIN, DU rôle du rêve dans l'évolution du délire, Thèse, Paris, 1887.
2. SANTE DE SANCTIS, I Sogni, Turin, 1899, 2e édition en 1920.
3. KLIPPEL, Revue de Psychiatrie, 1897.
4. LOPEZ Y RUIZ, Thèse, Paris, 1900.
5. TRENAUNAY, Revue de Psychiatrie, Thèse 1901.
6. VIGOUROUX, Arch. gén. de Méd., 1903.
7. LAIGNEL-LAVASTINE, Gazette des Hôpitaux, 1910.
8. P. MEUNIER et R. MASSELON, Les Rêves, p. 148 à 177.
9. MIGNARD, Rêve et délires, « Biologica », février 1912.
10. BERTHIER, Du rêve au délire Thèse, Lyon, 1937.
226
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Nous voici donc ramenés par le courant même de la science psychiatrique au véri-
table et fondamental problème pathogénique, dont l'exigence n'a pu être que momen-
tanément masquée par une psychiatrie atomistique et purement descriptive : celui des
rapports de la dissolution hypnique et des dissolutions psychopathologiques. Tant il est
vrai que, selon le mot de JACKSON, notre science ne progresse que dans la mesure où
progresse la science du sommeil et des rêves. Nous n'avons pas parlé de lui dans cet
historique, mais nous avons parlé de MOREAU (de Tours), qui a été le véritable
« JACKSON français 4 ». Qu'il s'agisse d'ailleurs des idées de JACKSON, de JANET, de
BLEULER, de celles de MOREAU (de Tours), ou encore de celles que nous défendons,
toutes sont fondamentalement les mêmes, et leur commune mesure est l'esprit organo-
dynamiste qui se définit presque exclusivement par cette référence constante à l'iden-
tité du mécanisme du rêve et de la folie, avec toute la gamme des structures psychia-
triques (psycho-névroses et psychoses) qu'il comporte.
C'est dans cet esprit que nous allons aborder maintenant et le problème clinique et
le problème pathogénique des rapports du sommeil-rêve et des processus-psychoses.
227
ÉTUDE N°8
C'est dire que nous répudierons également deux attitudes qui ont empoisonné l'at-
mosphère naturelle de ces rapports.
1°) La perspective atomistique et mécaniciste qui réduit le rêve à n'être qu'un jeu
d'images fortuites, et le délire à n'être qu'une mosaïque d'éléments mécaniques. Car,
dans cette conception des choses, le rêve est envisagé hors de la pensée du rêve, et le
délire hors de la pensée délirante, ce qui supprime leur dénominateur commun.
2°) La superficielle considération d'une simple analogie qui naturellement se
concentre sur un aspect particulier de ce rapport de similitude, celui des états « oni-
riques » senso strictu.
…Sur le plan clinique, Sur le plan clinique, nous allons rechercher à tous les niveaux et sous toutes leurs
nous allons rechercher à formes, ce qui identifie les structures psychopathologiques et la structure de la
tous les niveaux et sous
conscience hypnagogique et hypnique, c'est-à-dire la projection d'images, de fan-
toutes leurs formes, ce qui
identifie les structures tasmes, de délire.
psychopathologiques et la Tel est le but de notre effort constant. Dans la mesure, où il n'est pas encore atteint,
structure de la conscience on nous pardonnera de ne présenter ici que l'esquisse d'un tableau...
hypnagogique et hyp-
nique…
Comme nous venons de le voir, les cliniciens se sont simplement appliqués à iso-
ler une forme onirique des psychoses. Ils n'ont pas eu beaucoup de mal à trouver dans
les états de « stupidité » ou de « confusion », le modèle le plus vivant de l'activité du
rêve. Le but que nous poursuivons de notre côté n'est pas d'isoler un type de « psy-
chose onirique », mais, par un mouvement inverse, de rechercher la structure onirique,
« fantasmique » de toutes les psychoses. Nous n'aurons pas beaucoup de mal non plus
à la trouver, car l'onirisme déborde largement, et de toute part, le cadre trop étroit où
on le tient enfermé. Il suffit de se rappeler que les « états oniriques » sont constam-
ment décrits dans les travaux d'auteurs ou les quotidiens « certificats » du clinicien
hors des états strictement confuso-oniriques. On parle constamment d'onirisme chez
les mélancoliques et les maniaques, et chez les déments précoces, du délire onirique
des catatoniques, de celui des presbyophrènes, des épileptiques, d'accès oniriques et de
délires postoniriques chez les paralytiques généraux et dans les psychoses hallucina-
toires chroniques, des états crépusculaires oniriques des hystériques, des rêves du schi-
zophrène, et des rêveries des délires d'imagination, etc... Nous entendons bien que l'on
se représente alors l'onirisme comme associé à d'autres psychoses et non point comme
intégré aux autres psychoses ; mais si l'interprétation peut varier, les faits cliniques
demeurent. Ce sont eux que nous allons exposer ici dans un bref raccourci qui visera
228
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
plus à être complet qu'approfondi. Ce n'est qu'à propos de nos études particulières 1 et
quand notre travail sera terminé que nous pourrons présenter un tableau complet et
approfondi des psychoses et des psychonévroses, dans cette perspective, celle-là
même explicitement recommandée par MOREAU (de Tours) et JACKSON 2.
On a décrit après LASÈGUE (1881) et RÉGIS (1894) des états oniriques typiques de
la confusion mentale (DELASIAUVE-CHASLIN). Et l'onirisme s'est défini depuis lors …Le délire onirique…
comme un état de rêve pathologique, d'origine généralement toxi-infectieuse dont l'ex-
pression clinique est une activité hallucinatoire à prédominance visuelle et à caractère
scénique, intensément et normalement vécue par une conscience troublée qui n'en
garde pas ou en garde peu le souvenir.
Le type même de la description d'un accès onirique ou d'un délire onirique est
fourni par l'accès alcoolique subaigu. Rapportons-nous, par exemple, à la description
fameuse de MAGNAN 3, OU plus simplement à notre quotidienne expérience. Un sujet
intoxiqué devient brusquement confus et agité. Il assiste à des spectacles terrifiants. Il
voit et vit les préparatifs de l'échafaud, des massacres, des luttes à l'arme blanche. Il
voit et « vit » des monstres, des assauts, du feu, du sang. Le cadre banal de ses per-
ceptions s'anime et se dramatise. Cette chaise devient « électrique » : ce chapeau, une
caisse d'explosifs ; le médecin, un policier ; une ombre, un serpent. La scène onirique
peut réaliser un véritable spectacle à transformation, un scénario qui se déroule avec
une précipitation cinématographique, ou se ramasser dans une immobilité menaçante,
lourde de péril imminent. Les principaux caractères de cet onirisme sont :
a) LA VISUALISATION DE L'ACTIVITÉ HALLUCINATOIRE. C'est dans son champ percep-
tif, visuel par les yeux, devant ses yeux : sous forme de « visions » plus ou moins pla-
quées au monde extérieur, ou plus ou moins bien ajustées au champ objectif que le
rêve est vécu. Parfois ces hallucinations visuelles sont colorées et ornementales. Elles
229
ÉTUDE N°8
…On lira les somptueuses s'ordonnent en péripéties ou en défilés kaléidoscopiques de figures aux formes
descriptions de G. de étranges. Les images peuvent être lilliputiennes, s'ordonner en défilés, subir des méta-
CLÉRAMBAULT à propos du morphoses, se déployer en cavalcades ou cortèges pittoresques, etc. On peut cependant
délire chloralique… 1909,
voir s'associer aux hallucinations visuelles des hallucinations acoustisco-verbales,
Annales Médico-Psych.
cénesthésiques, tactiles ou olfactives 1.
b) LA TRAME DRAMATIQUE.
C'est une composante caractéristique de ces états, qu'il s'agisse de simples frag-
ments scéniques ou d'aventures complexes à enchaînement baroque, il y a une sorte
d'unité d'action et de signification thématique qui organise en péripéties dans la
conscience onirique un événement ou une suite d'événements.
1. Cf., par exemple, les somptueuses descriptions de G. DE CLÉRAMBAULT à propos du délire chlo-
ralique. Annales Médico-Psycho., 1909.
230
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
231
ÉTUDE N°8
— LE DIAGNOSTIC DE L'ONIRISME.
Il doit classiquement se poser par rapport à trois états :
232
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
tés... Nous verrons plus loin que le débordement de l'onirisme vers les formes d'organi-
sation délirantes ne rend pas moins floues les limites de l'onirisme et des délires...
233
ÉTUDE N°8
1. Nous devons à OTOYA MIYAGI (Le Nirvanisme morbide, « Japanese Journal of Exp.
Psychology », octobre 1939) une étude sur la perte de sentiment, de la distinction du subjectif et
de l'objectif. Il est curieux de voir se rejoindre sur ce point l'Occident et l'Extrême-Orient dans la
description de ce qui est ici extase et là, nirvana.
2. Cf par exemple la belle description de ce fantasme dans l'autobiographie du malade « Lionel »
dans le travail de P. SCHIFF. La paranoïa de destruction : réaction de Samson et fantasme de la fin
du monde. Annales Médico. Psycho., 1946, 1, p. 283. Mais c'est le fameux travail de ../..
234
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
le Jugement dernier, le Mal, l'Enfer, l'Infini, etc...). D'où aussi les sentiments d'artifi-
ce, de passivité, de pénétration et d'influence qui expriment et assument la semi-objec-
tivité d'événements se déroulant dans la confusion du monde et du moi. Un des carac-
tères les plus typiques encore de ces états oniroïdes, est l'organisation possible et
durable des souvenirs du délire. Ils demeurent même parfois particulièrement vivaces
et émouvants, et si les événements réels, concomitants restent flous dans le souvenir,
les expériences oniroïdes s'inscrivent en traits de feu dans la personnalité et y déposent
une empreinte parfois indélébile, car ils représentent un événement et un événement
crucialement chargé d'émotion et de mystère.
Comme type de description, nous pouvons rappeler l'observation que nous avons
publiée avec CLAUDE, DUBLINEAU et RUBÉNOVITCH 1. Il s'agissait d'une jeune fille de
trente et un ans, infirmière très mystique et schizoïde, mais sans caractère patholo-
gique très accusé. Elle fut prise brusquement des troubles que nous allons résumer :
« ... Très rapidement apparaît une inquiétude croissante, confinant bientôt à
l'anxiété. Elle craint d'avoir contracté la syphilis accidentellement avec une piqûre, elle
interprète bizarrement l'attitude de ses collègues et de l'interne à ce sujet. Par ailleurs, …Il s'agissait d'une
elle a, un jour, l'intuition soudaine que ce dernier est tombé amoureux d'elle. « Je jeune fille de trente et un
vivais, dit-elle, en parlant de ses troubles, dans un rêve. Cette histoire de syphilis me ans, infirmière très mys-
revenait toujours. Je sentais comme la présence réelle, c'est-à-dire que je pensais avoir tique et schizoïde, mais
le pouvoir de guérir les malades de la syphilis en les touchant par le contact sexuel. sans caractère patholo-
J'ai voulu aller dans la cellule d'un homme pour cela. Elle était fermée. Les idées de gique très accusé. Elle
ma retraite, je les revivais comme si les textes évangéliques étaient actuels, je m'entê- fut prise brusquement
tais dans certaines voies, je faisais des séries d'actes avec une foi aveugle... J'avais la des troubles que nous
foi dans ce qui me passait par l'esprit. » .... La nuit suivante est pénible : une « odeur allons résumer…
de mort » l'incommode, qui lui rappelle l'odeur dégagée par le corps de son père décé-
dé pendant les grandes chaleurs... ; elle a des sensations sexuelles anormales. Elle croit
qu'elle va mourir ; elle sent une chaleur aux mains, pense alors qu'elle va recevoir les
stigmates : elle essaie de s'enfoncer dans la chair d'anciennes épingles à cheveux, mais
s'arrête, car elle n'a pas le droit de se donner la mort. L'angoisse dure toute la nuit, L.
ayant l'impression de « vivre pendant cette nuit les dernières heures de la Passion de
N.-S. ». Au petit jour, elle se met à écrire des textes de l'Écriture. Depuis quelques
jours, elle avait déjà classé tous les objets qu'elle possédait. Les textes qu'elle écrit
s'adaptent à chacune des personnes à qui elle destine ces objets. Elle pense qu'ils lui
venaient par intuition : ils lui étaient inspirés par le Saint-Esprit. Ce n'étaient pas des
réminiscences. Ils lui étaient « réellement inspirés ». Elle est ravie de voir que les ver-
sets s'adaptaient parfaitement aux gens. Certains comportent des prédictions (tel neveu
sera prêtre, une nièce entrera au Carmel, etc.). Le matin, elle va à la messe, hésite et
demande l'Extrême-Onction, communie. « Elle sent alors la présence réelle, ce qu'el-
le sentait obscurément depuis quelques jours ». Elle sentait en elle un courant de vie,
comme s'il y avait deux vies en elle, mais une vie bien plus intense. Elle avait l'im-
../.. WETZEL (Zeitsch. f. und g. Neuro., 1922) qui constitue encore la contribution la plus impor-
tante à cette expérience délirante apocalyptique.
1. CLAUDE, DUBLINEAU, Henri EY et RUBÉNOVITCH, État schizomaniaque, crises délirantes par
poussées à caractère oniroïde, « Annales Médico-Psycho. », 1934, I, p. 557.
235
ÉTUDE N°8
pression qu'il lui venait des « séries d'intuitions ». « Cela m'obligeait à rester là, à ado-
rer la présence réelle. » « Je me pensais en Notre-Seigneur, j'étais étonnée et ravie. »
Cependant, elle était toujours extrêmement anxieuse, souffrant d'être venue seule à la
messe, pensant à chaque instant qu'un fanatique allait venir lui transpercer le cœur.
Elle se rend alors sur la zone, à l'adresse d'un chômeur rencontré la veille (elle la lui
avait demandée pour aller visiter les pauvres gens qui vivaient dans les baraques).
Mais en arrivant, elle est prise d'un tremblement, d' « une peur formidable », se deman-
dant tout à coup ce que cet homme avait pu faire de sa compagne avec qui elle l'avait
laissé la veille. Elle ne le trouve pas chez lui, et aussitôt a l'intuition qu'elle a été cou-
pée en morceaux et cachée chez une voisine. Terrifiée, elle appelle Police-Secours. Les
policiers fouillent la zone sans résultat. Le commissaire parvient enfin à calmer son
inquiétude (sans paraître d'ailleurs, à aucun moment, soupçonner la nature patholo-
gique de son état). Bouleversée, elle revient prendre son service à l'hôpital. Chemin
faisant, elle se remémore, comme elle le faisait souvent, un sermon entendu au cours
de sa retraite et, en particulier, il lui revient à la mémoire le récit de la Résurrection de
Lazare. Elle se demande aussi quel acte de charité Dieu va lui donner à accomplir ce
jour-là. Comme elle franchit le porche de l'hôpital, elle voit une femme en larmes, à
qui l'on vient d'apprendre la mort de son mari. Elle s'empresse auprès de cette mal-
…Mise en présence du heureuse, la console, l'entraîne doucement afin de la mener à l'amphithéâtre où repose
cadavre, elle s'approche, le corps de son mari. A ce moment précis, il lui vient « tout naturellement » à l'esprit
dénoue la mentonnière et l'idée que Dieu l'a choisie pour ressusciter le mari de cette femme, comme il avait
dit d'une voix forte : choisi Jésus pour ressusciter Lazare : tel était le « superbe acte de charité qu'elle devait
« Lazare, sors du tom- accomplir ce jour-là ». Mise en présence du cadavre, elle s'approche, dénoue la men-
beau ! » Elle répète cette tonnière et dit d'une voix forte : « Lazare, sors du tombeau ! » Elle répète cette phra-
phrase trois fois… se trois fois. Devant l'inanité de ses efforts, elle se dit qu'elle s'y prend mal, et décide
soudain d'agir « comme il est dit dans les Prophètes » : elle s'étend brusquement de
tout son long sur le cadavre, colle les lèvres à sa bouche, et souffle de toutes ses forces
« pour lui insuffler la vie ». Le garçon d'amphithéâtre l'écarte enfin. Elle résiste. Les
autres personnes, frappées de stupeur, sortent pour appeler à l'aide. Le garçon court
chercher du renfort. Restée seule, elle s'enferme, et se rappelle alors l'épisode de saint
Julien-le-Pauvre guérissant un lépreux en se substituant à lui. Elle décide, sur-le-
champ, de se substituer au mort pour lui donner la vie. Elle le découvre, elle-même se
dévêt entièrement, et au moment où elle allait lui passer sa tenue d'infirmière, on
pénètre de force dans l'amphithéâtre. On lui arrache le corps qu'elle étreignait. A ce
moment précis elle croit reconnaître dans ce cadavre un jeune Cubain qu'elle avait
soigné, et qui était mort 18 mois auparavant. Elle avait pour lui un sentiment très pro-
noncé, que ses principes religieux avaient vite fait dévier vers un plan idéaliste. Le
cadavre avait pris soudain la même position que prenait le Cubain quand il priait
avant sa mort : donc c'était lui.
Elle nous a dit depuis, en parlant de cette période qui a duré cinq ou six jours : « Je
fabriquais des histoires avec tout. Je me croyais enceinte. Les lumières de la rue m'ont
excitée d'une façon épouvantable. Les étincelles des tramways, il me semblait que
c'étaient des rayons infra-violets. La lueur intermittente au passage des tramways me
paraissait sanctionner ce que je disais comme s'il y avait correspondance. J'ai vécu la
fin du monde. Je croyais qu'il y avait la guerre. Je m'imaginais que l'on pouvait se
marier comme on voulait, que ma sœur pouvait se remarier. Les pensées défilaient...
J'ai cru, un instant, que j'étais dans un couvent, que des événements affreux allaient se
déclencher. L'état de raison s'est présenté brusquement. »
On crut avoir affaire à une perverse qui se serait livrée à une manifestation de
236
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
nécrophilie, et on la dirigea sur la Salpétrière. Elle demeura un mois chez le Dr …on la dirigea sur la
CROUZON, se comportant comme une maniaque. Son état persistant, elle fut internée. Salpétrière. Elle demeura
Notons qu'elle ne paraissait pas confuse et qu'elle était bien orientée. ... Dans les der- un mois chez le Dr
niers jours de janvier, L... était calme, avec dans le service une activité adaptée. Elle CROUZON, se comportant
n'aimait pas qu'on l'interrogeât sur les faits passés. Néanmoins, quand elle consentait comme une maniaque…
à décrire son état antérieur, elle insistait spontanément, sur l'impression qu'elle avait
éprouvée de vivre « comme dans un rêve ». Les idées lui venaient en trop grande abon- …Les idées lui venaient
dance ; elle les prenait pour des réalités, elle sentait, intuitivement, entre les choses, les en trop grande abondan-
personnes et les situations des relations significatives (valeurs symboliques, interpré- ce ; elle les prenait pour
tations, reconstruction de l'ambiance, remaniement des valeurs de réalité, impressions des réalités, elle sentait,
de présages, de comédies, de collusions, de compénétration des choses et des gens, éla- intuitivement, entre les
boration de fictions, d'aventures, etc...). Un tel état, au dire de la malade, dura en tout choses, les personnes et
quatre à cinq jours. D'ailleurs, en l'interrogeant avec soin, on s'aperçoit qu'elle a pré-
les situations des rela-
senté au moins une fois, lors de la mort d'une belle-sœur, il y a cinq ans environ, un
tions significatives…
état spécial, différent du précédent, mais qui déjà l'avait vivement frappée : « J'ai été à
l'enterrement, je marchais sans faire de bruit. J'étais absorbée..., sans être prise par ma
pensée ; c'était le vide autour de moi... le Vide et le Silence... » Cet état dura deux
jours, dont L... a gardé le souvenir très précis, insistant sur la sensation de néant qu'el-
le éprouva à ce moment. Cela rappelait l'état d'oraison, mais s'en différenciait cepen-
dant. Une autre fois, elle eut subitement un jour l'idée que, même quand on a été « prise
par le Bon Dieu »... même « après avoir passé par ces moments délicieux, on peut
encore pécher ». A ce moment, elle eut l'impression de tomber dans le néant, « la vie
lui faisait subitement très peur ». Enfin, assez souvent, il lui arrivait de « tomber dans
le vague ». Elle a alors la sensation de ne plus pouvoir « rattraper ses pensées pendant
quelques heures, ou même un jour entier ». Les idées qui lui viennent alors « sont infi-
nies ». Il lui faut « se faire violence pour sortir de ces états, qui confinent à l'extase, et
dans lesquels elle s'évade sans perdre complètement pied ». Tout en évoquant ces faits,
et en critiquant son récent accès, L... gardait à son propos sur certains points une véri-
table conviction délirante et l'on pouvait se demander dans quelle mesure il n'y avait
pas lieu de redouter le passage vers un état chronique à forme paranoïde. »
Des observations de ce genre sont fréquentes, bien plus fréquentes en clinique que
les états confuso-oniriques ! Et on peut décrire à foison des types d'états oniroïdes
anxieux et expansifs. Dans ces derniers la fabulation est plus vive, mobile ; l'exalta-
tion, l'inspiration souvent plus esthétique. Signalons aussi que des états oniroïdes
affectent des formes structurales particulièrement importantes :
237
ÉTUDE N°8
1. Cf. p. ex. l'observation que nous avons publiée avec CLAUDE et MIGAULT sous le titre d'État
dysesthésique etc. in « Annales Médico-Psycho. », février 1934, p. 257.
2. Cf. thèse de VALENCE, Les états interprétatifs aigus, Paris, 1927.
3. Cf. la description de DUPRÉ in Pathologie de l'Imagination et de l'Émotivité, Payot, Paris,
1925, p. 182-183.
238
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
que, détachés de l'activité du rêve, ils perdent leur valeur et leur existence. Mais ils
constituent précisément les expériences délirantes les plus fréquentes et les plus
importantes dans révolution des psychoses et notamment des délires chroniques
comme nous le verrons plus loin.
239
ÉTUDE N°8
Lorsque BOUSQUET reprochait à MOREAU (de Tours), en 1855, d'établir une identi-
té entre le rêve et la folie, il lui faisait grief effectivement de confondre le délire (état
aigu) avec la « folie » lucide et chronique. Le point le plus délicat des relations entre
240
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
rêve et psychoses est, en effet, celui des relations du rêve et des formes chroniques et
lucides de la folie que, après un curieux « chassé-croisé », nous appelons maintenant
les « délires » chroniques. C'est donc à cette difficulté que nous entendons maintenant
nous attaquer, réservant pour un autre paragraphe de surmonter un dernier obstacle :
celui des psycho-névroses.
Disons d'emblée que, pour donner tout son relief et toute sa force à l'objection à
laquelle se heurte toute théorie des relations de rêve et des psychoses, nous envisage- …nous envisagerons
rons d'abord les organisations délirantes chroniques en dehors des états de dissociation d'abord les organisations
délirantes chroniques en
ou de démence, celles qui se manifestent cliniquement, « avec ordre et clarté », dans
dehors des états de disso-
une conscience « lucide », et où se manifeste un violent contraste entre le délire et une ciation ou de démence,
« parfaite intégrité des fonctions intellectuelles » (KRAEPELIN). celles qui se manifestent
Lorsque nous avons étudié le rêve, nous avons souligné sa fonction et sa valeur cliniquement, « avec
ordre et clarté »…
d'événement dans certaines conditions. Ce fait a toujours frappé tous les auteurs,
même les moins avertis. Le rêve est, d'une part, en continuité avec la personnalité et,
d'autre part, peut représenter « un événement de l'histoire de la personnalité ». Les
« rêves pathologiques », c'est-à-dire ces rêves vécus dès que le seuil de « l'imaginai-
re » s'est abaissé et que la conscience est trop facilement et abondamment envahie de
fiction, ont à cet égard une influence plus active et constante que les rêves du sommeil.
C'est que si, comme nous venons de le voir, l'onirisme même suppose une activité
encore intense de la vie psychique, à plus forte raison en est-il de même au cours des
états oniroïdes, expansifs ou anxieux.
La structure fantasmique de ces états aigus constitue une trame, non seulement
d'événements actuellement vécus, mais qui peuvent même survivre à leur formation, se
continuer, s'intégrer à la biographie et au programme vital du délirant. Le délire d'un
moment pourra devenir le délire d'une existence. C'est ce point capital de la psychopa-
thologie des délires qui avait attiré notre attention, il y a quelque vingt ans, lors de nos
premières études1. C'est celui-là même qui fit l'objet de la thèse de CHASLIN (1886), des
travaux de SANTE DE SANCTIS, de RÉGIS, de l'École de KLIPPEL et que C. BERTHIER 2 a
réexaminé plus récemment. On trouvera dans tous ces travaux des observations intéres-
santes par le fait qu'elles montrent la continuité chronologique du délire et du rêve. Nous
ne nous attarderons pas ici sur les délires post-oniriques, et nous renvoyons spécialement
au rapport de A. DELMAS (1920) sur ce sujet, mais nous devons en faire état.
1. Nous avons rédigé en 1929, pour être publié avec CLAUDE et MORLAAS, un mémoire sur les
« États oniroïdes et les syndromes délirants d'action extérieure », qui n'a jamais vu le jour et ne
le verra jamais...
2. C. BERTHIER, Thèse, Lyon, 1937.
241
ÉTUDE N°8
242
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
dans des travaux ne traitant pas directement du sujet. On pourrait, en raison du soin
que nous apportons à citer tous ces travaux et ces observations, penser qu'il s'agit là
d'une éventualité exceptionnelle. Mais nous devons faire appel, ici encore, à l'expé-
rience clinique quotidienne que nous pouvons, tous, avoir. N'est-il pas vrai que l'orga-
nisation délirante consécutive aux états aigus est le grand problème pratique et théo-
rique de la pathologie des délires ? Les anciennes discussions, dont le fracas est à peine
assourdi par le temps, sur la nature « primitive » ou « secondaire » des délires chro-
niques en France et de la paranoïa en Allemagne, seraient-elles donc oubliées ? Et
faut-il rappeler que la notion de « Délires secondaires » aux accès maniaco-dépressifs
est une des plus classiques ?
Ainsi la clinique de tous les jours établit le pont entre « psychoses délirantes …Ainsi la clinique de
aiguës » et « psychoses délirantes chroniques ». MOREAU (de Tours), avec sa perspica- tous les jours établit le
pont entre « psychoses
cité géniale, nous a donné la raison profonde de la « scotomisation » des phases aiguës
délirantes aiguës » et
des délires, et par le malade lui-même et, par voie de conséquence, par le médecin : « psychoses délirantes
chroniques ». MOREAU (de
« Étudié à l'époque où son évolution est complète, le délire est et demeure toujours Tours), avec sa perspica-
incompréhensible. A cette époque le malade est tout entier sous l'influence de ses cité géniale, nous a donné
idées... ; il est devenu incapable, le plus souvent, de les distinguer des actes les plus la raison profonde de la
réguliers de son intelligence, presque aussitôt après que l'excitation physique et mora- « scotomisation » des
le qui les a accompagnés, à leur origine, a cessé, il a été forcément dupe de ses illu- phases aiguës des
sions dès qu'il ne lui a plus été possible d'en apercevoir le mécanisme. Cela est vrai, délires…
tout aussi bien de celui qui, en dehors de l'état aigu ou d'excitation aiguë dont je par-
lais à l'instant, croit pouvoir et paraît être en mesure de rendre compte de son état, que
des autres malades en général. La preuve de ce que j'avance, c'est que si l'on demande
à ce même individu des renseignements sur ce qu'il a éprouvé lors de l'invasion de ses
conceptions délirantes ou même lorsque le cours de la maladie, l'état aigu, s'est repro-
duit, comme cela a lieu fréquemment, on remarquera, tout d'abord, que sa manière
d'expliquer l'idée qu'il s'en fait lui-même diffère considérablement de la manière dont
il s'en rend compte plus tard. Dans l'état aigu... la plupart des malades ne croient jamais
pouvoir mieux caractériser leur idée délirante qu'en se servant du mot rêve... ; ils s'y
abandonnent sans réserve ; l'erreur est absolue, irrémédiable... De là, l'erreur où l'on
tombe concernant la matière vraie des pensées délirantes, erreur d'autant plus répan-
due et d'autant plus accréditée, qu'elle se fonde sur le dire même des malades. »l
1. Mémoire sur l'identité de l'état de rêve et de la folie (A.M.P., 1855, p. 315). Tout le mémoire
serait à citer. De même les profondes analyses de J. P. FALRET à ce sujet (Maladies Mentales,
1864, notamment la fameuse « Introduction » et ce qu'il écrit sur la « non-existence de la mono-
manie » (p. 424 à 448).
243
ÉTUDE N°8
1. SÉRIEUX et CAPGRAS, Les folies raisonnantes, p. 147 et 148, vol. 1, Paris, 1909.
2. ROUART, Évolution Psychiatrique, 1936.
3. De l'angoisse à l'extase de P. JANET.
4. Paule PETIT, Les délires de persécution curables, Thèse, Paris, 1937.
244
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
1. Un homme avec qui elle a eu une furtive idylle et qui s'occupait de littérature.
2. La fixation homosexuelle est constante dans l'analyse du comportement du délire et des rêves
de cette malade.
3. Le rêve identifie ici le personnage « travesti » prêtre et la femme, qui constituent dans le déli-
re l'objet érotomaniaque (cf. à ce sujet les études de FRETET sur l'érotomanie homosexuelle tra-
vestie, Évolution Psychiatrique, 1937).
4. Prêtre objet initial de l'érotomanie et devenu ensuite le persécuteur principal.
245
ÉTUDE N°8
dais du courage devant les folles et les malades qui me regardent ; il y a surtout Thérèse
R. et une autre qui me remarquent. Pendant que j'écris, je me sens vraiment très inquiè-
te. Je n'ai pas de forces dans l'esprit ; je n'ai que des idées décourageantes qui accablent
complètement ma foi, et mes relations avec un autre esprit. Où êtes-vous, Mr le Docteur,
que dites-vous et de moi, vraiment, qu'allez-vous faire ; ce sont des combats insoute-
nables ; je me demande ce que cela va devenir à la fin de lutter comme cela sans arri-
ver à gagner de la force et de la paix. Que de voix qui crient contre la vie mystique, que
de voix qui crient contre la pensée, la vie intellectuelle en attaquant la vraie vie qui en
est la base. Ah ! quelle lutte intellectuelle en ce moment entre ceux qui dans le désordre
traînent les lettres, la littérature, le génie de l'intelligence. Qu'allons-nous devenir ? sur-
tout moi, qui suis tellement trafiquée, tellement poursuivie, tellement harcelée. On
abuse honteusement de moi. Ici toutes les malades ont des attaches coupables et se sou-
tiennent pour me faire sombrer 1. Que c'est grave en ce moment, jamais je n'ai été atta-
quée à ce degré-là et tellement épuisée à fond. Voyons, qu'y a-t-il et qu'allez-vous faire ?
Je voyais en songe mes sœurs qui sont mécontentes avec Mr F... Je me rappelle avoir
été au cinéma Le Royal avec lui, pendant mon stage à Rennes, chez les L... et qu'il était
représenté un film, où il y avait un chanoine et un général (tourné en homme bizarre,
un peu « gaga » et j'avais pensé que c'était de Mr F... dont on se moquait). C'était pen-
…« si je ne soutiens pas dant un repas très mondain et le chanoine, plutôt c'était un évêque, avait beaucoup ri des
cette réalité tout croule. marques de respect et d'amabilité. Le titre du film était celui-ci : II faut réparer Sophie.
De grâce, du repos ! »… J'en déduis qu'en ce moment, L... est au combat avec Mr F... Ensuite en songe, on me
fait changer de chemise de façon que les malades et jeunes filles ne me voient pas. On
me donne des leçons d'infirmière pour me faire une situation dans un hôpital. Puis la
sœur Agnès me montre quelque chose à regarder, une broderie, je crois. Après tous ces
songes, mentalement je chantais : « il en est temps pécheur, revenez au seigneur ». Ah !
en ce moment quel combat, entre les gens de mauvaise vie et les gens honnêtes dans la
littérature, et dire que nous y voyons des idiots, des vicieux, des folles, qui sont là-
dedans à patauger avec la pureté, avec les âmes si dégagées, quel désordre, quel mélan-
ge infect. C'est la mêlée de la bataille. Quand ce sont des guerres de corps à corps, il y
a les deux parties en vis-à-vis, en lutte — il y a alors contact et mélange de tous les
corps de chaque classe ; les ouvriers, les riches, les pauvres, les intelligents, les brutes,
etc... dans cette guerre spirituelle, tout est en jeu aussi ; on se sert de toutes les activi-
tés, même des idiotes comme la N... d'ici et des femmes ivrognes. « Vous jouez à la
balle avec les yeux bandés », me dit la femme qui prêche, pendant que Désirée M. vient
chercher sur le fil de fer les toiles d'emballage qui séchaient près de moi. Ah ! comment
vais-je tenir bon, dans cet acharnement extérieur, puisqu'on me jette par terre, en me
donnant des coups de pied et en me tracassant dans les facultés de la pensée comme on
ne cesse de le faire. Dans ce trouble, je suis à me répéter, que oui, c'est dans la vie sacri-
fiée que tout est basé, que c'est dans le Don intime de la vie 2 que tout repose, si je ne
soutiens pas cette réalité tout croule. De grâce, du repos ! De grâce, arrêtez les discus-
sions, les influences contraires qui me chavirent. Je ne peux plus me soutenir, vous
m'accablez tous. Vous n'avez pas le courage de montrer que je travaille pour vous tous.
— Sortez-moi de cet enfer, la guerre spirituelle se termine tout de même avec ce chaos
1. Tous les liens qui l'unissent aux autres (compagnes ou infirmières) sont dans la veille comme
dans le rêve des liens affectifs à forte charge sexuelle.
2. Le don intime c'est la masturbation, procédé par lequel elle s'unit à divers personnages (Sa
Mère — l'objet de son érotomanie, etc.).
246
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
de cette nuit qui en ce moment se dégage. Je suis dans l'attente de l'heure de la visite ;
il est presque 9 heures et j'attends la cloche qui va sonner pour annoncer que vous allez
enfin remettre de l'ordre et m'appeler à la confiance. On attend que tout soit réglé pour
me faire sortir, car la vérité et la réalité des choses, il faut qu'elles s'opèrent sans les amis
qui doivent donner des preuves de leur fidélité au programme. Je sentais, en dormant,
vraiment être portée par Mr F...,mais de grâce, il faut maintenant que tout se règle, que
vous m'entouriez tous pour me consolider ma pauvre tête et alimenter le cœur qui a
besoin de contact et de vie. Ah ! quelle existence de dangers on me fait endurer ! Ce
sont des dangers perpétuels, prête à sombrer dans l'écroulement, et en cessant le contact
et l'adaptation avec une âme, avec la vôtre qui me portez ici mais pour me faire cribler
de toutes façons. Assez, assez et finissons et que ce soit la dernière bataille et la victoi-
re sur la reprise de l'âme littéraire, le latin, le grec, la pensée que nous volent les mau-
vaises religieuses, les mauvais prêtres et les femmes et hommes séculiers qui pataugent
sans droit. — 9 heures — la cloche tinte seulement aujourd'hui et faiblement. Ah ! …L'activité hallucinatoi-
pauvre Mr F., lui aussi, il a enduré de terribles assauts ! et sa femme est professeur je re constante qui réalise
crois ; il a une de ses filles (petite sœur des pauvres) et une autre fille qui, m'avait-il dit,
cliniquement un syndro-
était dans le même esprit que sa femme. Il me fait bien pitié et puisqu'il me montre fran-
me d'influence à thème
chement qu'il m'approche je l'en aime que davantage, et forcément il m'encourage. On
d'érotomanie et d'homo-
entend des avions ce matin. »
sexualité se réfère au
Toutes les lettres remises chaque jour par cette malade font état de l'intime élabo- noyau inconscient et ses
ration onirique du délire. Tout ce qui est vécu dans la vie diurne l'est à travers les fan- rêves constituent la trame
tasmes des rêves. L'activité hallucinatoire constante qui réalise cliniquement un syn- des événements de son
délire…
drome d'influence à thème d'érotomanie et d'homosexualité se réfère au noyau incons-
cient et ses rêves constituent la trame des événements de son délire.
LES DÉLIRES PARAPHRÉNIQUES ont une histoire différente, mais non sans que puisse …Les délires paraphré-
s'y découvrir bien plus aisément encore la même et plus luxuriante structure fantas- niques : il s'agit, en effet,
d'une variété de délires
mique, puisque justement celle-ci s'y trouve projetée au premier plan. Il s'agit, en effet,
que nous croyons bien
d'une variété de délires que nous croyons bien être à peu près les seuls à étudier, depuis être à peu près les seuls à
que, décrits par KRAEPELIN et rapprochés par STORCH de la pensée archaïque 1, ils ont été étudier […]nous nous
absorbés par le concept tentaculaire de schizophrénie en Allemagne, et la notion trop réservons de publier seu-
lement plus tard leur
générale et vague de délire d'imagination en France. Comme nous nous réservons de
étude approfondie…
publier seulement plus tard leur étude approfondie, nous nous bornerons à indiquer, ici,
sommairement ce qui éclate d'ailleurs aux yeux, à savoir que leur fantasmagorie obéit
aux lois mêmes du rêve, mais d'un rêve élargi par l'intensité d'une pensée vigile, appli-
quée à enrichir la fiction, et parfois par des dons exceptionnels, porté jusqu'à la splen-
deur d'une véritable floraison esthétique. En contraste avec l'intégrité du fond mental,
superposée à une adaptation raisonnable à la réalité, la fiction se déploie en une mer-
veilleuse féerie qui obéit aux lois de la production onirique (dramatisation, symbolisa-
tion, structure para-logique). Sa richesse, son lyrisme, ses intuitions bouleversantes, sa
1. STORCH, Das archaïsch primitiven Erleben und Denken der Schizophrenen, Springer éd.,
Berlin, 1922.
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ÉTUDE N°8
248
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
ceux qui vous font du mal. Plusieurs créations de bontés étant restées endormies ont été
influencées à croire que des malfaisants seraient devenus meilleurs. » —
Voici encore un extrait pris au hasard dans la masse des écrits (plus de 10 kilos !)
de cette malade :
« Dans un pays où les rues sont très étroites et où les boucheries sont carrelées, les
parquets en carrelage rouge, les murs en carrelage blanc, j'ai été coupée vivante, n'im-
porte laquelle de mes Créations sont coupées ou brûlées et je sens leur supplice. Ce sont
mes vies, mes courants de vie. C'est nuit et jour sans arrêt. De mes ventres d'énormes …Voici la lettre du jour où
blocs ont été retirés des Terrains qui avaient été nommés Iles Britanniques et Londres nous mettons au point
pour en faire des pneus d'auto. C'était facile à faire sauter des bateaux remplis de cuivre notre texte [28 nov. 1946]:
et de ferrailles dans de bons Océans. » Voici la lettre du jour où nous mettons au point « J'ai une nouvelle à vous
notre texte : « J'ai une nouvelle à vous annoncer. Je me suis vue dans un coin de mer et annoncer. Je me suis vue
nous étions tous deux avec le Dr Lacan, votre ami et nous étions tous deux en forme de dans un coin de mer et
pieuvres, nous avions nos photographies sur le corps des pieuvres d'un seul coup j'ai vu nous étions tous deux avec
Jean Timothée (son Père) apparaître et couper presque entièrement le bout d'une des le Dr LACAN, votre ami et
membranes de la pieuvre représentant ce Docteur. J'ai senti la douleur en même temps nous étions tous deux en
car mon métal passait à l'intérieur. J'ai vu aussi à l'intérieur de mes organes un corps forme de pieuvres…
mesurant environ six ou sept centimètres de Métal précieux vivant... »
Il est facile de parler à propos de cette malade d'imagination, d'hallucinations
visuelles (voire « héauto-scopiques ») ou de réminiscences de rêve, mais en quoi, pré-
… le délire, soudé aux
senté sous cette forme, son délire est-il saisi dans sa substance ? En fait cette humble pulsations vitales des ins-
Bretonne est devenue un rêve vivant. Comme du sommeil monte la marée de toutes les tincts […] éclate en
« images » qui forment et déforment la sourde, monstrueuse et luxuriante végétation du images privilégiées, en
thèmes de l'éternelle
rêve, le délire, soudé aux pulsations vitales des instincts et remontant aux sources même
condition humaine, en
de la création de l'être, éclate en images privilégiées, en thèmes de l'éternelle condition mythes millénaires où se
humaine, en mythes millénaires où se mêlent, comme dans un tableau d'Hieronymus mêlent, comme dans un
Bosch, les corps sexués et les corps célestes, le monde minéral et la chaleur des organes, tableau d'Hieronymus
BOSCH, les corps sexués et
la vie profonde des océans et le fantastique baroque des machines. Et comme des points
les corps célestes, le
d'orgue de cette étrange symphonie du monde, les complexes majeurs — celui de la cas- monde minéral et la cha-
tration et de l'Œdipe — coups de boutoirs de la vie, s'élancent en tourbillons ou s'épa- leur des organes, la vie
nouissent dans la magique efflorescence du Délire. profonde des océans et le
fantastique baroque des
Pourtant la plupart des auteurs, qui depuis cent ans ont traité cette question du rêve
machines…
et de la folie, l'ont à la suite de BAILLARGER circonscrite abusivement aux rapports de
l'hallucination et du rêve, envisageant l'hallucination comme le « dénominateur com-
mun » du rêve et du délire. Nous ne saurions entrer dans une perspective qui nous est
totalement étrangère, car l'hallucination du délirant c'est son délire 1, comme l'halluci-
nation du rêveur c'est son rêve, et réduire le problème des rapports du rêve et du déli-
re à un dénominateur commun, qui n'est qu'un phénomène artificiellement isolé de l'un
comme de l'autre, c'est le fausser entièrement.
1. C'est le thème de notre livre Hallucination et Délire, Alcan, 1934. [NdÉ: Préface SÉGLAS. rééd.
1999, Paris, L'Harmattan (avt prop. R.M. PALEM).]
249
ÉTUDE N°8
Au vrai, nous pouvons mieux le saisir maintenant, tous les délires ont une structu-
re « fantasmique » et nous nous acheminons progressivement ainsi vers notre conclu-
sion que LA STRUCTURE « FANTASMIQUE » DES PSYCHOSES, C'EST PRÉCISÉMENT LEUR
ASPECT DÉLIRANT. Mais parmi tous les délires, ceux qui sont le plus immédiatement
vécus, c'est-à-dire les plus hallucinatoires, sont ceux qui, séméiologiquement parlant, se
rapprochent le plus du rêve. Si jusqu'ici ceux-là seuls ont été considérés dans cette pers-
pective, on ne saurait abusivement considérer que les autres en doivent être exclus.
250
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
251
ÉTUDE N°8
roue dentée. Depuis qu'elle s'alimente elle a repris en deux semaines plus de cinq kilos.
Le 26 avril elle écrit une lettre qui traduit le retour des troubles par son incohérence
terminale. Voici cette lettre qu'elle écrit à un ami de sa famille : « Cher Monsieur, je
vous envoie de mes nouvelles de cette maison... Je suis ici depuis septembre dernier.
Je suis restée tout l'hiver à rêver éveillée de toutes les personnes de ma famille mortes
et vivantes en me figurant que c'était vrai et aussi que je ne devais pas manger jusqu'au
jour où j'ai rêvé que je tombais d'un grand mur sans être perdue et où l'on m'a persua-
dée qu'il fallait manger. J'ai perdu 50 livres en 18 mois. J'en ai déjà repris 11, et le
moral est excellent, mes parents sont fous de joie et c'est pour jusqu'à mon dernier jour
que j'ai pris la résolution de mettre tous mes efforts à garder ma santé, premièrement
c'est le plus grand service que l'on peut rendre à l'humanité, la chose la plus importan-
te du monde. Je suis bien contente de pouvoir me soigner puisque je reste ici jusqu'en
septembre et même après ce n'est que dans le ménage avec maman que je m'occupe-
rai. Nous sommes une famille très nombreuse. C'est tout aussi utile qu'autre chose de
ne rien faire, je veux dire vivre sans travailler pour moi, ce ne doit pas être cela, perdre
l'unique talent que l'on a reçu, mais plutôt un état d'esprit à regarder la vie, et il est
toujours possible d'en espérer un deuxième dans l'autre vie, quand bien même il ne soit
pas du tout question de ce cas dans l'évangile. Car si on le désire sérieusement on ne
peut manquer, à mon avis, de s'endormir en bon état d'esprit et de se réveiller de même
pour la venue du Seigneur et il me semble que qui aura gardé sa santé (même par inté-
rêt) en tâchant de gagner deux talents, ne pourra pas dire une semblable parole. La
chose qui me tourmente encore c'est la robe blanche (l'habit de noce) exigée par le
maître de maison mais peut-être à mon avis que cela est la même chose ( ?) et qu'une
fois les portes fermées il n'y aura plus à trembler qu'on vous mette dehors, d'ailleurs
cela doit être en cela que consiste l'habit de noce. Bien des choses je vous prie à chère
Madame B..., et recevez je vous prie l'expression de mes sentiments très respectueux
et reconnaissants... L'apocalypse place dans le livre peut-être un mystère de vie, un
nombre tout à fait limité de personnes, mais il ne doit pas falloir se laisser impres-
sionner par cela qui est. » Peu à peu les infiltrations autistiques reprennent le dessus,
l'opposition se fait plus violente, la parole plus rare, les attitudes plus négativistes et la
malade chavire de nouveau dans l'état catatonique » (p. 46 à 49).
…La pensée schizophré- La pensée schizophrénique, si admirablement analysée par BLEULER (1911),
nique, si admirablement MINKOWSKI (1927), CLAUDE et ses élèves BOREL et ROBIN (1924 à 1927), BERZE,
analysée par BLEULER
GRUEHLE (1929), MAYER-GROSS (1932), C. SCHNEIDER (1930), Otto KANT (1940), n'est
(1911), MINKOWSKI (1927),
CLAUDE et ses élèves
elle-même qu'une pensée infiltrée de rêve, et l'autisme, comme nous y avons fait allu-
BOREL et ROBIN (1924 à sion plus haut, ne peut-être conçu que comme un type de pensée fantasmique. BLEULER
1927), BERZE, GRUEHLE a souligné dans un passage que nous avons déjà cité, que la structure de la vie psy-
(1929), MAYER-GROSS
chique est analogue dans le rêve et l'autisme. Ramassée, condensée en masse, aggluti-
(1932), C. SCHNEIDER
(1930), Otto KANT
née dans le rêve, et comme soudée au puissant flux affectif, jaillie aux sources incons-
(1940)… cientes complexuelles, elle est au contraire, dans la schizophrénie, éparpillée, scindée,
anarchique, sans pour cela que les mécanismes de symbolisation soient essentielle-
ment différents. C'est naturellement dans les états aigus, les poussées schizophré-
niques, les états crépusculaires, que le dément précoce glisse le plus près du sommeil
et du rêve. Mais la dissociation, la discordance de ses fonctions psychiques produit une
252
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
253
ÉTUDE N°8
reflet l. Malgré leurs discussions de détail, on peut dire que s'impose aux yeux de tous
les auteurs l'idée que la conscience schizophrénique est un premier degré de la
conscience imageante, telle qu'elle se constitue dans les premières phases de la disso-
lution hypnique 2. Ainsi, ce qui est éclatant pour la structure positive de la schizo-
phrénie, devient également plausible pour sa structure négative.
La tendance des processus schizophréniques à s'approfondir, à vider la conscience
de ses contenus vivants et harmonisés, à rompre les synthèses de la personnalité et des
activités idéo-verbales, va, on le sait, jusqu'à une destruction démentielle dans certains
cas. Et la pensée schizophrénique apparaît ainsi comme une forme de transition, mal-
gré sa structure propre, entre la fantasmagorie délirante et la démence.
3. — Les Démences.
Dans ces formes de régression continue et profonde de la vie mentale le trouble
négatif domine. L'ombre du sommeil s'étend encore davantage sur un rêve progressi-
vement réduit à n'être plus qu'une simple marge, une étroite bande fantasmique. Cette
« part subsistante » ne manque cependant presque jamais, même dans les états de stu-
peur et d'inconscience les plus « démentiels » : les faux souvenirs, la fabulation, les
idées délirantes absurdes, les conduites extravagantes ou désordonnées témoignent
régulièrement du travail positif, du délire sous-jacent à l'état crépusculaire de la
« conscience démentielle ».
Nous n'envisagerons ici que deux aspects particulièrement typiques de ces états :
la paralysie générale et la démence presbyophrénique.
— Il n'est pas rare, chacun le sait, que la paralysie générale débute par des états
confuso-oniriques, ou des fictions absurdes mégalomaniaques et expansives qui méri-
…Parfois l'énorme pro- tent le qualificatif de « paranoïdes 3 ». Parfois l'énorme production psychique anor-
duction psychique anor- male (type « Ecce homo » de NIETZSCHE ou « le Horla » de Guy de MAUPASSANT) est
male [de la P.G.] (type
caractérisée par une création imaginative, où s'épuise dans la formation d'un monde
« Ecce homo » de
NIETZSCHE ou « Le Horla » bouleversé et bouleversant d'images, une soif inextinguible de drame et de lyrisme, qui
de Guy de MAUPASSANT) s'apparente au bouillonnement de certains rêves. — Les délires des paralysies géné-
est caractérisée par une
création imaginative, où
1. On trouvera dans mon article : Quelques aspects de la pensée paranoïde et catatonique, « Évo-
s'épuise dans la formation lution Psychiatrique », 1936, une analyse clinique qui impose nécessairement l'idée de ce rap-
d'un monde bouleversé et prochement. — O. KANT, (Dreams of schizophrenic patients, « Jour. of Nerv. Ment. Diseases »,
bouleversant d'images, 1942) et DOUGLAS NOBLE (Amer. Journal of Psych. 1951), ont étudié les rêves des schizophrènes
une soif inextinguible de dans une perspective différente mais qui recoupe nécessairement la nôtre.
drame et de lyrisme, qui 2. Le Dr BURCKARD a bien voulu nous signaler un Travail de PROTOPOPOV (Bases physiopatho-
s'apparente au bouillon- logiques d'un traitement rationnel de la schizophrénie. Édition d'État (Kiew, 1946) où cet auteur,
nement de certains utilisant la technique de PAVLOV, a mis en évidence chez ces malades des « phases hypnoïdes »
rêves… qui lui paraissent constituer le processus cérébral fondamental.
3. Mlle SERIN, Les Psychoses paranoïdes des P. G., Thèse, Paris, 1926.
254
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
1. FAURE, Étude sur les rêves morbides, « Arch. gén. de Médecine », mai 1876.
2. P. BOREL, Journal de Psychologie, 1914.
3. Le livre si important de PLAUT sur l'Hallucinose des Syphilitiques (1 vol., Berlin, 1913) doit
être spécialement signalé à ce propos.
4. Mlle SERIN : Les Psychoses paranoïdes des P. G. (Thèse, Paris, 1926).
5. BARISON, Rivista di Freniatria, 1936.
255
ÉTUDE N°8
aisément, mais il fait partie intégrante de leur démence. Ce phénomène est peut-être
encore plus évident dans la presbyophrénie.
La structure presbyophrénique de la démence sénile (nous l'analyserons ailleurs, à
propos des psychoses d'involution) est caractérisée, au point de vue positif, par une fabu-
lation onirique intégrée dans une « organisation » démentielle de la vie psychique 1. On
sait que par le grand spécialiste, en France, de la « pathologie de l'imagination », DUPRÉ,
…Rien de plus vivant à elle a été rapprochée des psychoses de KORSAKOFF. Rien de plus vivant à cet égard que
cet égard que la magistra- la magistrale description que RÉGIS consacre dans son Traité 2 de la fabulation onirique
le description que RÉGIS
du presbyophrène. Rappelons justement que ses premières études sur l'onirisme ont été
consacre dans son Traité
de la fabulation onirique faites sur les vieillards. Tout le monde sait d'ailleurs combien l'onirisme et l'activité hal-
du presbyophrène… lucinatoire visuelle sont fréquents chez ceux-ci. Qu'il s'agisse de grands délires oniriques
ou de phénomènes présentés comme de simples faits d'hallucinations visuelles (souvent
discutables), la fabulation onirique est extrêmement riche dans la sénilité. Nous ren-
voyons, pour illustrer ce point, à la fameuse auto-observation de FLOURNOY, rapportée
intégralement à la fin du livre de MOURGUE 3 : on suivra avec un intérêt émerveillé le
cocasse et poétique déroulement d'une fantasmagorie visuelle qui n'est rien d'autre qu'un
rêve méticuleusement perçu dans tous ses détails sensoriels, comme un film.
C'est par ce caractère « onirique » spécialement frappant du délire des vieillards
que se révèle la structure propre de la « conscience presbyophrénique ». Son identité
avec la conscience du rêveur est manifeste et la vie de ces sujets est évidemment un
songe, dont ils ne peuvent jamais complètement sortir. Dans le crépuscule de leurs
perspectives vitales, c'est avec une modification structurale du temps qu'est en relation
l'extraordinaire fabulation de ces malades. M. MINKOWSKI 4 a parfaitement pénétré
cette structure temporelle de la fabulation. Le sénile se situe constamment dans le
temps et dans le temps passé : « C'est le passé qui exerce ici, avant tout, son emprise.
La fréquence des fabulations en est par elle-même déjà une preuve suffisante. Certes,
l'avenir n'est pas entièrement exclu..., mais à y regarder de plus près, il est entièrement
subordonné ici au passé ; la malade établit un raccord entre le passé et l'avenir, en pro-
jetant dans celui-ci sa fabulation (son fils vient de revenir et reviendra encore demain :
il lui a pris de l'argent et a dit, en partant, qu'il fallait qu'elle lui en donne encore), ou
alors il escompte un retour prochain d'un passé éloigné et durable (elle retournera pro-
chainement dans un appartement qu'elle a occupé pendant longtemps ; elle y retrou-
vera sa bonne, son mobilier, sa concierge), exprimant ainsi, dirait-on, un certain souci
256
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
de la stabilité des « choses. » De telle sorte que la pensée presbyophrénique est ici un
rêve intégré à une certaine structure conservée, mais altérée du temps. Il double
constamment la pensée de la veille, s'y infiltre et toujours tend sous forme de fabula-
tion à le dominer. Il figure, comme le délire lui-même avec lequel il s'identifie, comme
la forme d'organisation d'une pensée qui, assoupie, n'est pas entièrement endormie ou,
si l'on veut, qui déjà à l'agonie, n'est pas encore morte.
C. — LES PSYCHONÉVROSES.
Nous allons maintenant aborder une autre difficulté, qui ne paraît insurmontable …Nous allons aborder
que dans la mesure où on se représente les structures névrotiques comme radicalement une autre difficulté, qui
ne paraît insurmontable
différentes des psychoses. Le fait que ces formes morbides se présentent avec une inté-
que dans la mesure où on
grité remarquable des fonctions intellectuelles, que les malades « sont normaux, sauf se représente les struc-
sur un point », et que « ce point » est généralement un foyer affectif (anxiété, impul- tures névrotiques comme
sion, idée fixe, obsession, troubles fonctionnels isolés, etc.) accrédite assez facilement radicalement différentes
des psychoses…
cette erreur. Mais c'est une erreur, car tout cela peut être dit aussi bien de
certains « délires » de certaines psychoses « affectives », de certaines formes de schi-
zophrénie, et inversement, l'évolution d'une psychonévrose chez un individu ou dans
sa lignée apprend à qui veut simplement voir, qu'il y a non pas une différence radica-
le, mais au contraire une profonde unité entre les névroses et les psychoses 1.
En fait, tout se comprend et se résout dans ce débat, si on veut envisager l'hypothèse
d'une série de niveaux de dissolution, laissant intactes des formes d'organisation psy-
chique plus ou moins grandes. Les psychonévroses ne représentent alors que la forme la
plus élevée de ces dissolutions conditionnant des formes psychopathiques, où la person-
nalité presque intacte se trouve engagée de telle sorte que les psychonévroses « se jouent »
sur le plan du déséquilibre interne ou de l'édification constituante d'une personnalité ; tan-
dis que les psychoses constituent des altérations plus ou moins profondes et durables de
l'édifice constitué de la personnalité. A condition de ne voir entre ce déséquilibre et ces
altérations que des formes d'un même travail de dissolution (ou de non-évolution), il est
aisé alors de se faire une idée exacte de ce qui les distingue et de ce qui les unit.
Les rapports de ces formes de déséquilibre avec les psychoses et, par-delà les psy-
choses avec la dissolution hypnique risquent évidemment, de par leur structure même,
d'être moins apparents que dans la plupart des cas de psychoses, que nous venons d'en-
visager. Mais en examinant même très sommairement cette question, nous ne tarderons
pas à nous apercevoir que si le « noyau onirique » reste plus profond dans l'hystérie ou
1. Ainsi lorsque VON GEBSATTEL (Archiv. f. Psych. 1938) étudie la phénoménologie de la pensée
compulsionnelle il conclut qu'elle est une modalité de « Spaltung » sans doute différente de celle
de la Schizophrénie... mais assez analogue pour être désignée du même mot.
257
ÉTUDE N°8
la névrose obsessionnelle que dans les délires ou les schizophrénies, il est immanent
aux troubles et se laisse apercevoir dans leurs structures comme l'agent de leur organi-
sation. Il nous suffira de retrouver quelques vérités premières et de rappeler les études
les plus connues sur ces variétés de troubles, pour qu'éclate avec évidence la profonde
identité du travail des rêves et des névroses. Ce travail d'analyse de la production fan-
tasmique de névroses destinée à le rapprocher du rêve n'est pas autre chose que ce que
le psychanalyste fait à longueur de journée. Rien d'étonnant dès lors que cette idée de
voir dans la névrose un mécanisme identique au processus du rêve soit largement et sys-
tématiquement exploitée dans un livre comme celui de Paul BJERRE 1. Pour lui ces
diverses manifestations névrotiques constituent des formes anormales du processus
même du rêve tel que nous l'avons exposé, selon lui, précédemment.
1. — Hystérie.
Les relations de l'hystérie et de l'hypnose, les états crépusculaires cataleptiques ou
seconds, l'onirisme hystérique, les attaques de délires somnambuliques, les états hyp-
… c'est toujours au rêve noïdes, tous ces faits observés par RICHET, JANET, CHARCOT, SOLLIER, FREUD et BREUER
que nous renvoie l'hysté- (pour ne parler que des psychopathologistes du siècle dernier) ne font-ils pas néces-
rie…
sairement penser au problème qui nous occupe. Qu'avec Ch. FERE 2, on observe une
paralysie hystérique, consécutive à un rêve, qu'avec CHARCOT on « cultive » par l'hyp-
nose une floraison d'accidents hystériques, qu'avec AZAM, on fasse passer Felida de la
condition cataleptique à la condition seconde sous l'influence de l'hypnose, qu'avec
JANET on suive (chez sa fameuse malade Justine) le développement dramatique d'une
« idée fixe » se métamorphosant en formes successives, comme les scènes d'un rêve
plastique 3, qu'avec FREUD, on plonge dans le travail du rêve pour comprendre celui de
la névrose, qu'avec BABINSKI même, on rattache le trouble fonctionnel à une auto-sug-
gestion, à une sorte d'ensorcellement par le miroir de ses propres images, qu'avec L. S.
KUBIE et S. MARGOLIN 4 on rapproche l'état d'hypnose et l'état hypnagogique, c'est tou-
jours au rêve que nous renvoie l'hystérie. Ceci sera rendu plus évident encore par notre
étude sur l'hystérie. Il sera alors aisé de comprendre que cette névrose, en tant qu'ex-
pressive d'un système d'images inconscientes, est absolument impensable, si on ne
situe pas le rêve dans ses mouvements, le rêve dans ses inhibitions, le rêve dans ses
crises, le rêve dans ses troubles fonctionnels, car ces troubles fonctionnels, ces crises,
ces inhibitions, ces mouvements expriment un rêve. Et ce rêve névrotique, ces fan-
tasmes, cette imagination, ce travail projectif de l'Inconscient, c'est le mécanisme
1. Paul BJERRE, DaS Träumen als Heilungsweg der Seele, éd. Rascher, Zurich et Leipzig, 1936.
2. Ch. FERE, Société de Biologie, 1886.
3. Névroses et Idées fixes, tome I.
4. LAWRENCE S. KUBIE et S. MARGOLIN, The process of hypnotism and the hypnotic State, « Amer.
J. of Psych. », 1944, 100, p. 611.
258
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
2. — La névrose obsessionnelle.
Le déplacement opéré par le travail névrotique sur les fantasmes est tel, qu'ici plus
encore que dans l'hystérie, le mécanisme de projection onirique sera profond et caché.
L'hystérie a été, sinon pour JANET, du moins pour FREUD, « la voie royale » qui mène au
rêve et à l'Inconscient. Si ses études sur l'obsession ont entraîné JANET loin du rêve, FREUD
s'y est trouvé, lui, ramené par un détour : celui d'une structure fantasmique propre sous-
jacente à la pensée compulsionnelle. Cet être qui se punit, qui s'entrave, s'engage dans le
labyrinthe d'actions et de pensées sans fin, sans cesse ni repos ; il n'exprime pas, lui, par
son corps, un système d'images inconscientes, un rêve, comme dans l'hystérie, mais bien
plutôt il transpose sur le plan d'actions insignifiantes ou tragiques un conflit. Mais le foyer
de cette lutte est bien un système d'images inconscientes, un rêve, mais un rêve refoulé, …C'est par quoi l'obses-
qui ne parvient pas à s'exprimer, qui est d'autant plus impératif qu'il reste inconscient, et sion touche au délire, est
que seuls transparaissent à la conscience sa poussée, ses reflets et ses substituts. Le méca- un délire. Seulement, elle
nisme de la projection onirique et de la symbolisation reste le même, mais ici il est à plu- est un délire qui n'est que
« posé », « appuyé »,
sieurs degrés. C'est par quoi l'obsession touche au délire, est un délire. Seulement, elle est pour ainsi dire « virtuel »
un délire qui n'est que « posé », « appuyé », pour ainsi dire « virtuel » devant la conscien- devant la conscience. Il
ce. Il ne la submerge pas, il la presse. Son reflet suffit à la troubler, à l'angoisser, à l'épou- ne la submerge pas, il la
vanter. Elle s'y mire avec terreur. Elle se laisse prendre et fasciner, mais non point comme presse…
dans la conscience imageante du rêve dont nous sommes partis, mais plutôt comme atti-
rée par un vertige qui la sollicite et la fait reculer d'effroi. Le mécanisme névrotique de
l'obsession est plus complexe, moins direct que celui de la psychose et de l'hystérie. Il sup-
pose des dimensions psychiques, une complexité, une superposition de structures à des
plans qui n'appartiennent qu'à la conscience normale ou « presque normale ». Aussi repré-
sente-t-elle la forme de névrose la plus proche de l'activité normale 1
1. L'hystérique dans son état habituel est d'un niveau sensiblement égal, mais la névrose hysté-
rique est paroxystique par essence, et c'est dans les crises ou les accidents « aigus » que le méca-
nisme névrotique d'expression onirique se forme et se cristallise.
259
ÉTUDE N°8
Maintenant qu'au terme de cette étude nous avons élargi les rapports du rêve et des
…c'est dans le mécanis- psychoses à un point tel que c'est dans le mécanisme même de la PROJECTION INCONS-
me même de la PROJEC- CIENTE que nous trouvons l'unité du travail du rêve et du travail délirant, qu'il soit psy-
TION INCONSCIENTE que
chotique ou névrotique, c'est, parvenus à ce degré de profondeur, que nous trouvons
nous trouvons l'unité du
travail du rêve et du tra- entre l'obsession et le rêve, entre la formation des images du rêve et la structure fan-
vail délirant… tasmique inconsciente, la véritable et décisive identité. Nous comprenons alors que les
observations du clinicien soient généralement incomplètes et artificielles à cet égard.
Certes, nous nous rappelons l'observation de Mme B., cette malade observée par
MOREL 1, dont le délire du toucher prit son origine dans un rêve, et tant d'autres cas
épars dans la littérature ; nous n'oublions pas non plus, ce passage du fameux livre de
PITRES et RÉGIS 2 : « D'une façon générale, les obsédés sont pris le matin, dès leur
réveil, et ce passage de la vie onirique, accompagné le plus souvent de l'oubli momen-
tané de leur torture morale, à la vie réelle, qui la fait reparaître instantanément, est le
plus mauvais moment de la journée... Le sommeil est plus ou moins bon. Tantôt l'ob-
session n'a aucune répercussion sur lui ; d'autres fois, elle a également lieu dans le
rêve, soit qu'elle en tire origine, soit qu'elle s'alimente et se renforce simplement en
lui ». Mais tout ce que nous pourrions citer d'observations ou de réflexions du même
genre resterait dans l'ordre des rapports superficiels et simplement cliniques. Nous
avons appris, en avançant jusqu'au terme de cet exposé, à être plus exigeants, et c'est
seulement à la psychanalyse que nous pourrions demander des faits et des explications,
car elle seule a approfondi assez la structure de l'obsession pour découvrir sa structu-
re « fantasmique ». Toutefois, comme nous aurions à citer presque tous les travaux de
FREUD et de son école sur les névroses obsessionnelles, on nous excusera de ne pas
recourir à de si abondantes et de si vivifiantes sources. Cela nous suffit pour conclure,
comme pour l'hystérie, que l'élaboration de la névrose obsessionnelle passe par le plan
d'une organisation, d'une structure psychique plus complexe, plus normale, qui ne lais-
se filtrer le rêve de l'Inconscient qu'au travers de plans successifs, et ne l'accueille que
pour lui résister.
*
* *
Ainsi avons-nous parcouru tout le chemin qui peut séparer I'IMAGO inconsciente
de I'IMAGE vécue à travers les péripéties de la conscience qui s'endort, et celles de la
conscience qui s'aliène. C'est-à-dire que nous avons aperçu, à travers tous les niveaux,
le même identique travail de PROJECTION dans la germination des formes du Rêve, et
dans la floraison des formes de la Folie.
260
TROISIÈME PARTIE
1. Folie et valeurs.
2. Rythme de la médecine.
3. Mécanicisme et psychiatrie.
4. La notion de « maladie mentale ».
5. La doctrine de G.de Clérambault.
Dans la perspective qui est celle où la psychiatrie s'est classiquement située et enli- …L'idée d'envisager le
sée, celle où elle se place encore le plus généralement, les rapports du rêve et de la rêve comme un travail
significatif était aussi
folie sont simplement analogiques et contingents. Savoir : le rêve est un assemblage
scandaleuse que la
d'images visuelles et un assemblage accidentel et insignifiant. — Seules certaines conception du délire
formes « oniriques » des psychoses lui sont semblables. Et c'est tout. On ne va pas plus considéré comme un tra-
loin. A une théorie mécaniciste et atomiste du rêve correspond une théorie mécanicis- vail significatif…
te des psychoses formée de pièces et de morceaux, dont certains — les hallucinations
…Quant à la tentative
— sont analogues aux images du rêve. L'idée d'envisager le rêve comme un travail pour reconnaître à ce tra-
significatif est aussi scandaleuse que la conception du délire considéré comme un tra- vail commun une condi-
vail significatif. Quant à la tentative pour reconnaître à ce travail commun une condi- tion identique, elle paraît
[encore de nos jours]
tion identique, elle paraît proprement insensée.
proprement insensée…
Si nos observations et analyses sont exactes, il faut bien pourtant nous placer au
regard de ce problème dans une position radicalement différente. Nous avons établi Pourtant…
par ce qui précède, 1° que le rêve n'est qu'une forme dégradée de la vie psychique, en
profonde mais réelle continuité avec la pensée de la veille et la personnalité du dor-
meur ; 2° que toutes les formes délirantes, c'est-à-dire sous des formes ou à des degrés
divers, toutes les psychoses et psychonévroses ont une structure « fantasmique » iden-
tique au travail du rêve. Reste donc à nous représenter, à l'aide d'une hypothèse qui en
coordonnera la diversité, quel est le caractère commun au processus de la dissolution
du sommeil et aux processus générateurs des psychoses. On ne nous en voudra peut-
être pas de présenter ici seulement un simple schéma, un plan, puisqu'aussi bien, si
nous pouvions dès maintenant exposer une théorie complète, c'est que notre travail
n'en serait pas à ses prémisses, mais à ses conclusions...
Mais avant d'esquisser, de présenter les linéaments de cette théorie générale, théo-
rie qui ne saurait être rien d'autre qu'une théorie psychiatrique, destinée à embrasser
261
ÉTUDE N°8
toute l'étendue des formes et des mécanismes des psychoses et des psychonévroses,
précisons quelles en doivent être nécessairement les caractéristiques essentielles.
Le rêve, pas plus que le délire, n'est jamais le produit « direct », « mécanique » et
en quelque sorte « extrapsychique » du processus, dont ils sont l'un et l'autre l'effet. La
maladie ni le sommeil ne créent pas, ils libèrent. Et c'est en quoi notre thèse sera réso-
lument anti-mécaniciste. Elle arrache jusqu'à la racine cette idée fausse que l'image
(comme l'hallucination ou l'idée délirante) est le produit d'une néo-formation idéique
ou éidétique, capable de se présenter comme un « élément » générateur de rêve et de
délire.
Mais si notre théorie est résolument anti-mécaniciste, elle sera aussi nettement
anti-psychogénétiste. Le fait primordial, comme disait MOREAU (de Tours), des rêves
comme des délires, est constitué par une modification perturbatrice de l'activité psy-
chique. Ils sont les uns et les autres conditionnés par une dissolution, une métamor-
…aucune analyse psycho- phose régressive du champ de la conscience, dont la structure négative et déficitaire
génétique ne pourra (sans est absolument caractéristique. De même qu'aucune analyse psychogénétique ne pour-
tenir compte du sommeil ra (sans tenir compte du sommeil nécessairement hétérogène à sa « compréhension »)
nécessairement hétérogè-
expliquer à elle seule le rêve, aucune psychogénèse n'atteindra la structure négative de
ne à sa « compréhen-
sion ») expliquer à elle la dissolution psychotique elle-même.
seule le rêve… C'est dire que notre théorie garantira à la fois l'organogénèse du processus géné-
rateur et le dynamisme psychique de la formation du symptôme onirique ou délirant :
…aucune psychogénèse
elle sera ORGANO-DYNAMISTE. Elle s'inspirera tout naturellement des principes de
n'atteindra la structure
négative de la dissolution JACKSON, qui requièrent une théorie de l'évolution, de la dissolution et de l'activité res-
psychotique elle-même… tante des fonctions psychiques.
262
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Le miracle de notre vie psychique, c'est précisément que portant en nous, au fond
de nous-mêmes, immanente à notre nature, la folie, nous ne nous abandonnions pas à
elle, que nous puissions lui résister et ne lui consentir qu'une infiltration calculée dans
la rêverie, ou des irruptions aisément et rapidement « contrôlées » dans nos émotions
ou passions. C'est en quoi consiste l'exercice même de ce que l'on peut appeler ou ne …Images, non point seu-
pas appeler, comme on voudra, la « faculté raisonnante », mais qui se confond avec les lement reflets des choses
vues, mais miroirs de ce
actes mêmes de notre conscience, de notre existence.
que j'ai vécu, formes vir-
En moi, au sein de mon être, gît et vit un foyer ardent, le monde des images. tuelles de ce que je veux
Images, non point seulement reflets des choses vues, mais miroirs de ce que j'ai vécu, être et vivre, étincelles de
formes virtuelles de ce que je veux être et vivre, étincelles de mes désirs, formes où se mes désirs…
263
ÉTUDE N°8
rappelle, mais aussi se dessine mon « être dans le monde », où se concentrent mes pul-
sions instinctives, les virtualités de mon destin, les intuitions qui nouent mon existen-
ce à ma connaissance en deçà et comme à l'orée de la réalité. Ce monde « imaginai-
re » est traversé de significations mystérieuses et puissantes, chargées d'une électrici-
té affective, organisées en lignes de forces magnétiques. Mes fictions y circulent
comme un sang nourricier. Soit qu'elles représentent dans leur germination tout ce que
je n'ai pas pu « réaliser », soit qu'elles adhèrent au tendre monde merveilleux, magique
et secret qui, comme un narcisse, fleurit en moi, pour autant que je me pose ou m'op-
pose au regard du monde de la légalité objective. C'est un passé, celui de mon enfan-
ce, et pour ainsi dire mort en même temps qu'il est né, mais survivant, c'est un avenir
sans autre loi que celle de la puissance de mon intention, c'est un monde plastique et
émouvant que je tiens à ma discrétion et qui, réfracté dans mon cœur, reste toujours
prêt à me tendre, comme dans un miroir, l'image de moi-même. Il vit et m'anime d'une
vie prodigieuse et secrète, qui ne cesse de solliciter mon adhésion, ma complaisance
et d'exiger mon renoncement aux lignes géométriques et logiques d'une réalité dure et
impersonnelle. Et pour si formé qu'il soit de ma propre substance, il est pourtant
comme une fenêtre ouverte sur les autres, non point cette grande et transparente baie,
que la raison ménage à la conscience et au travers de laquelle s'établissent les rapports
les plus sûrs et les plus fermes avec les êtres et les choses, mais une voie de commu-
nication vitale plus « souterraine » et plus profonde avec l'âme d'autrui. C'est par là que
s'établissent les contacts esthétiques, cette communion irrationnelle, qui est à l'égard
de la raison comme un défi et une triche. Ainsi ce tourbillon d'images, en quoi se
concentrent et mon pouvoir de me dresser contre le monde, et mon aspiration poétique,
et mon adhérence aux formes de l'irréel, constitue « en moi » une partie de « mon
moi », qui m'échappe et tend sans cesse à m'échapper. L'espèce de complicité que je
trouve en moi-même, pour me laisser prendre à des images, n'est pas autre chose que
l'attrait qu'exerce la première forme de mon moi sur sa constitution actuelle. Je me sens
refluer vers mon passé, je me sens aimanté par ce travail sourd et obscur, qui tout
autant que celui de mon cœur prolonge à chaque instant ma vie et qui est l'ombre de
…cette production germi- mon moi. Cette « ombre », cette production germinative, cette « sédimentation acti-
native, cette « sédimenta- ve » de ma vie psychique, cette implication nécessaire de mes actes de conscience, cet
tion active » de ma vie
automatisme qui bouge en moi, c'est l'Inconscient, l'inconscient sous son triple aspect :
psychique, cette implica-
tion nécessaire de mes implication sous-jacente de la vie psychique non entièrement engagée dans l'acte pré-
actes de conscience, cet sent — foyer imaginaire — et noyau lyrique de l'humanité.
automatisme qui bouge en Aussi bien, il y a une égale naïveté à nier l'Inconscient et à en faire une personne
moi, c'est l'Inconscient…
dans la personne. Le nier, c'est abolir l'essentiel de la vie psychique qui est sa structu-
re organique propre, son ordre composé et instable, c'est l'étaler sur un plan, alors
qu'elle est organisée comme un monde. Le considérer comme un être dans l'être, un
264
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
« double » du conscient, comme une marionnette (dotée de tous les attributs d'un per-
sonnage) dans la personne, c'est alors se faire l'idée spatiale d'une séparation absolue 1
entre le Conscient et l'Inconscient. Pour nous, l'Inconscient est l'efficience concrète
mais virtuelle du passé dans l'acte d'adaptation au présent. Il fait partie intégrée de la
personnalité et de la conscience. Il en est une dimension, faute de laquelle il n'y a aucu-
ne perspective possible dans le déploiement de la vie psychique.
Le psychisme est une mise en forme de l'être. Il assure l'accord profond entre
l'existence du sujet et le monde, entre la première et les autres personnes de la conju-
gaison de l'action et de la réalité. En tant qu'opération d'intégration, il est la « conscien-
ce » à tous ses degrés, depuis les premières identifications de la connaissance jusqu'à
la prise en charge d'une situation complexe, présente dans la conscience percevante,
…Pour nous, l'Incons-
ou représentée dans la conscience réfléchissante. En tant que système autonome de cient est l'efficience
valeurs, il est la personnalité. Il s'inscrit entre ces deux coordonnées : le champ de la concrète mais virtuelle du
conscience et la trajectoire de la personnalité, chacune étant fonction de l'autre et passé dans l'acte d'adap-
tation au présent…
n'étant que fonction de l'autre. Par là, par cette causalité propre et par cette structure
originale, se définissent à la fois le concept de « psychogénèse » et celui de réalité de
l'esprit. L'esprit a une structure et une histoire, voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue …L'esprit a une structure
et dont doit s'accommoder ensuite toute démarche philosophique de l'esprit sur l'esprit. et une histoire, voilà ce
qu'il ne faut pas perdre de
L'imaginaire, le foyer imaginaire, l'inconscient nécessaire à cette organisation se trou-
vue et dont doit s'accom-
ve engagé dans ces structures supérieures ; il s'y trouve utilisé, et en quelque sorte moder ensuite toute
volatilisé. Et nous n'avons pas peur de recourir à cette « notion » d'instrument, et à démarche philosophique
cette « comparaison » de l'instrument et de l'ouvrier, car il ne s'agit ici ni de métapho- de l'esprit sur l'esprit…
re, ni d'abstraction, ni d'illusion réaliste, mais de la réalité même de la structure de l'es-
prit, qui véritablement « animat molem ». Non point comme le bâton pousse la boule,
à quoi il reste étranger, mais comme l'énergie même de cette masse qui en émane et la
meut, car l'organisme est strictement et absolument « automobile », dans la mesure
même « où il est psychisme ».
C'est dans les conditions où ce système énergétique, ce foyer de la conscience et
cette trajectoire du moi ne se déploient plus librement, que transparaît alors l'infra-
structure, que « se dépose » et « cristallise » la sédimentation normalement impliquée
et emportée dans son mouvement. C'est ce qui se passe dans le sommeil, c'est ce qui
se passe au cours des processus psychopathologiques.
265
ÉTUDE N°8
1. Principaux travaux sur le sommeil depuis 1930 : G. ENDRES et W. VONDREY, Ueber-schlafund Schlafmenge,
« Zeitschr. f. Biologie », 1930 — LHERMITTE, Le Sommeil, 1 vol., 1931, Paris. — A. SALMON, Le Sommeil est-
il déterminé par l'excitation d'un centre hypnique ou par la dépression fonctionnelle d'un centre de la veille
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sommeil depuis 1930…
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Schlaf auf Grund Hirnbioelektrischer Untersuch, « Archiv. f. Psych. u. Neuro. » 1940, 3.—P. CHAUCHARD,
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Korrelationen im Schlafe des Menschen, « Zeitschr. f. die gesamte Neuro. u. Psychia. » 1942, 174. — P.
CHAUCHARD, Le résultat de l'analyse chronaximétrique des états du sommeil, « Presse Médicale » 1944. —
Ch. DAVIDSON, et E. L. DEMUTH, Disturbances in Sleep Mechanism, « Arch. of Neuro. and Psych. », 1946, I.
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Objective Method for distinguishing sleep front the hypnotic transe,« Archiv. of Neuro. » 1947,1. —
CHAUCHARD, Le sommeil et les états de sommeil, 1 vol. Flammarion, 1947.— M. GANS, Der Schlaf und der
dritte Zirkulation, « Archives suisse de Neuro », 1949, 64, p. 88. — W. HESS-CH. KAYSER, 17e réunion de ../..
266
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
../.. physiologistes Montpellier, 1949. — A. RUBINO, Il sonno, 1 vol., Naples, 1949. — PASSOUANT,
Séméiologie électro-encéphalographique du sommeil, « Revue Neurologique », 1950, 83, p. 545.
267
ÉTUDE N°8
Les accidents qui survien- Les accidents qui surviennent à l'édifice fonctionnel psychique sont de deux
nent à l'édifice fonction- ordres. Tantôt, il s'agit de désintégrations du substratum d'automatismes impliqués
nel psychique sont de
dans l'exercice des fonctions supérieures d'intégration ; celles-ci demeurent intactes, et
deux ordres. Tantôt […]
ces troubles, vécus ces troubles, vécus comme accidents, restent structuralement limités : il s'agit alors de
comme accidents, restent troubles neurologiques admettant naturellement une composante psychique, mais se
structuralement limités : présentant en contraste avec l'organisation de la conscience et la trajectoire de la per-
il s'agit alors de troubles
sonnalité, par quoi précisément ils se définissent. Tantôt ils altèrent la fonction éner-
neurologiques…
…Tantôt les dissolutions gétique correspondant à ce que JANET a appelé la « tension psychologique », et les dis-
uniformes et « apicales » solutions uniformes et « apicales 1 » de l'activité psychique supérieure qu'ils entraînent
de l'activité psychique constituent les psychoses.
supérieure qu'ils entraî-
Ce que le processus hypnique produit avec une vitesse considérable, c'est-à-dire
nent constituent les psy-
choses… une dissolution profonde qui brûle les étapes, c'est ce que les processus psychotiques
entraînent plus lentement et moins complètement sous forme de niveaux de dissolu-
tion. Mais le processus psychotique n'agit pas seulement sur la régression de l'activité
de la conscience, il peut aussi inscrire une modification plus ou moins profonde dans
la trajectoire de la personnalité sous forme d'altérations de la personnalité. C'est ce
1. Nous les appelons « apicales », parce qu'elles suppriment le sommet de la pyramide fonction-
nelle et s'opposent ainsi aux désintégrations basales.
268
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
double mouvement que nous devons rapidement rappeler ici et que nous avons déjà
indiqué dans la structure fantasmique des psychoses.
269
ÉTUDE N°8
sommeil, s'intercalent entre le malade et autrui. De même que le rêveur dans le pro-
cessus sommeil-rêve, les malades soumis à la condition négative de leurs troubles sont
inconscients ou seulement vaguement conscients de son action et vivent, sans prise
possible de distance ou de critique, l'événement pathologique par excellence : leur
…Tous ces états aigus délire. Tous ces états aigus constituent le type même des expériences délirantes pri-
constituent le type même
maires. Elles sont, répétons-le encore, au processus de dissolution ce que le rêve est au
des expériences déli-
rantes primaires… sommeil, et cela sous des formes et à des degrés divers. Dans la mesure où il s'agit de
psychoses aiguës, elles disparaissent avec le processus de dissolution, comme le rêve
cesse avec le sommeil et s'engloutit au réveil dans l'oubli. Cependant, ces « expé-
riences délirantes », surtout quand elles s'éloignent de la rapidité et de la profondeur
de la dissolution hypnique, restent plus vivaces, plus « bouleversantes » qu'un simple
rêve. C'est qu'elles ont formé une « réalité » trouble et troublante plus proche de la réa-
lité que les images du rêve. Elles ont emprunté à ce qui subsistait encore de réalité
objective, une force de conviction, une organisation structurale des significations telles
que leur valeur d'événement s'impose plus aisément à la conscience, quand celle-ci
recouvre son énergie et sa clarté, c'est-à-dire guérit ou, si l'on veut encore, se réveille.
Certaines de ces psychoses sont caractérisées par une atteinte à la fois de l'organi-
sation du champ de la conscience et de la trajectoire de la personnalité. — Un « état
démentiel », c'est évidemment un certain « affaiblissement intellectuel », c'est-à-dire
une incapacité pour la conscience de s'élever au niveau des opérations, dont nous
avons dit, plus haut, qu'elles accordent l'existence du sujet à la réalité objective. Tout
…Tout ce que l'on nomme ce que l'on nomme troubles de la mémoire, troubles des associations, de l'orientation,
troubles de la mémoire, etc., correspond à ce trouble négatif. Cette incapacité favorise la production fantas-
troubles des associations,
mique à tel point qu'il n'y a guère de démences sans délires, sans une « teinte déliran-
de l'orientation, etc., cor-
respond à ce trouble te » de la vie psychique. Mais il y a plus, c'est la trajectoire même de la personnalité
négatif… qui se trouve profondément altérée. En tant que développement historique d'abord,
puisque le dément « perd conscience » de lui-même, de sa situation, de la continuité
…Cette incapacité favori-
et de l'unité de sa personne sous la multiplicité des événements. En tant qu'échelle de
se la production fantas-
mique à tel point qu'il n'y valeurs, déterminant un programme vital, puisque le dément est à la fois troublé dans
a guère de démences sans « son jugement », dans ses sentiments moraux, c'est-à-dire a perdu la capacité de se
délires, sans une « teinte placer dans une perspective logique et éthique. — Un « schizophrène », c'est-à-dire un
délirante » de la vie psy-
malade frappé d'une évolution démentielle d'un niveau moins profond, est par la « dis-
chique…
sociation » de son activité psychique placé dans une situation analogue. Le syndrome
primaire ou négatif de cette dissociation altère son champ de conscience et provoque
270
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
1. Les rapports et discussions du récent Congrès Mondial de Psychiatrie (septembre 1950) se sont
tenus très exactement à l'antipode de ce point de vue. Nous avons exposé notre propre opinion
sur ce point (Évolution Psychiatrique, 1950, n° 4) et nous y reviendrons naturellement lorsque …nous y reviendrons
nous exposerons l'ensemble de notre conception sur les délires (dont une première ébauche a paru naturellement lorsque
en espagnol : Estudios sobre los delirios, Madrid 1950). [NdÉ: Estudios sobre los delirios ,secon- nous exposerons l'en-
de édition. Madrid :Triacastella ;1998 ;177p.]. Pour le moment nous désirons bien indiquer ici semble de notre concep-
que, pour nous, le délire n'est jamais primaire. Il est toujours l'effet d'un trouble qui le condition- tion sur les délires (dont
ne. Que ce trouble constitue une immaturité de l'être psychique ou le processus de sa régression, une première ébauche a
il existe comme une condition nécessaire aussi bien pour l'organisation d'un délire systématisé ou paru en espagnol :
paraphrénique que pour l'organisation d'une schizophrénie. Nous n'employons le terme d' « expé- Estudios sobre los deli-
riences délirantes primaires » de JASPERS que dans le sens où MOREAU (de Tours) parlait de l'état rios, Madrid 1950)…
primordial.
271
ÉTUDE N°8
272
RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
de JANET ont convergé vers l'approfondissement de cette structure négative. — La …La structure positive
structure positive de l'hystérie par contre est réalisée par la forme complexuelle de l'af- de l'hystérie est réalisée
par la forme complexuel-
fectivité, c'est-à-dire par le mécanisme psychogénétique des manifestations si variées
le de l'affectivité, c'est à
et théâtrales de la grande névrose. Des systèmes énergétiques puissants cristallisent dire par le mécanisme
des attitudes, des images, des troubles fonctionnels caricaturalement significatifs. Tous psychogénétique des
les symptômes hystériques se développant sur le fond négatif de la « mentalité spéciale manifestations si variées
et théâtrales de la grande
hystérique », comme disait BABINSKI, sont en effet caractérisés par la satisfaction d'un
névrose…
désir inconscient. Toutes les études de FREUD et des psychanalystes ont convergé vers
l'approfondissement de cette structure positive.
La NÉVROSE OBSESSIONNELLE a également une structure négative qui correspond à …Dans la névrose obses-
ce que JANET a appelé le syndrome psychasthénique. La faiblesse de l'activité psy- sionnelle, la faiblesse de
l'activité psychique se
chique se manifeste par l'impossibilité d'accéder aux actes et aux formes psychiques
manifeste par l'impossibi-
qui exigent une forte tension psychologique. L'obsédé ne peut pas parvenir à accom- lité d'accéder aux actes et
plir un effort suffisant pour se rendre maître de lui-même. Il se laisse envahir par les aux formes psychiques
forces anarchiques qu'il ne domine pas. Ses idées s'éparpillent, des termes indéfini- qui exigent une forte ten-
sion psychologique…
ment intermédiaires s'interposent à chaque phase de sa pensée et de son action. Il gas-
pille son énergie au lieu de l'utiliser. Ses tics, ses agitations forcées, ses conduites de
dérivations, ses manies constituent les traits caractéristiques de ce déficit. — La struc-
ture positive de l'obsession, la signification du « siège » si paradoxal de l'obsédé par
lui-même est celle d'un désir de punition, d'un martyre consenti et profondément satis-
faisant, qui engage toute la vie inconsciente dans un drame factice et indéfiniment
actualisé, ainsi que FREUD et son École l'ont encore admirablement démontré. Si bien
que, comme l'écrivait déjà L. A. MURATORI en 1746 1 : « les peurs imaginaires, les pho-
bies, les dégoûts, les timidités et les scrupules sont des maladies particulières de la fan-
taisie humaine ».
Dès lors, les névroses nous apparaissent maintenant dans leur structure comme des
psychoses d'un niveau très élevé, comme des atteintes de ces formes d'activité psy-
chique qui présentent les plus grandes difficultés et requièrent le plus d'énergie. L'être
normal, dès qu'il se détend ou se fatigue, tombe assez facilement dans les pâmoisons,
émotions, irritations, rêveries imaginatives, idées fixes ou obsédantes. Mais ce qui
caractérise la structure névrotique, c'est que précisément les malades ne peuvent plus
sortir de ce niveau. — Si les névroses sont des psychoses de niveau très élevé, elles
sont aussi plus élevées dans la trajectoire de la personnalité. Celle-ci, et notamment la
masse de l'Inconscient avec ses conflits, ses tendances, ses complexes pénètre entière-
ment dans l'organisation névrotique. — Enfin et surtout, les névroses seraient incom-
1. L. A. MURATORI, Tratatto della Forza della Fantasia Umana, Venise, 1746, — Cf. l'étude que
le regretté Paul SCHIFF consacra peu avant sa mort à ce vieil ouvrage, in « L'Évolution
Psychiatrique », 1947.
273
ÉTUDE N°8
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RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
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ÉTUDE N°8
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RÊVE ET PSYCHOPATHOLOGIE
conscience qui pense sur l'image à une conscience qui s'engloutit dans l'image.
Dans les psychoses qui « décontractent » dans le temps, et à des profondeurs inter- …Dans les psychoses
médiaires, la dissolution hypnique, nous observons ce même mouvement complexe […] nous observons ce
même mouvement com-
plus ou moins durable, régulier ou progressif d'un travail DE PROJECTION qui est, à des
plexe plus ou moins
degrés divers et sous diverses formes, celui-là même du rêve. C'est pourquoi, comme durable, régulier ou
nous l'avons dit, toute psychose et toute névrose est délirante. La forme du délire progressif d'un travail
dépend du niveau de dissolution et des modalités de son intégration dans la personna- de PROJECTION … C'est
pourquoi, toute psycho-
lité comme nous l'avons vu. En ce sens les images, qui le constituent, la structure fan-
se et toute névrose est
tasmique de chaque psychose font partie intégrée d'un certain mode de pensée. Le déli- délirante…
re ne se réduit pas au thème qu'il exprime, le délire n'est ce thème que parce que le
thème correspond à une certaine organisation de la conscience. Le délire n'est pas seu-
lement « contenu » de la conscience, mais reflète également la « forme » anormale de
la conscience. Dans la psychonévrose obsessionnelle, pour prendre un autre exemple,
au terme de l'analyse formelle de la pensée compulsionnelle et de l'analyse compré-
hensive du mécanisme de l'autopunition, ne se trouvent pas deux parties du trouble
obsessionnel, mais l'envers et l'endroit d'une même forme de régression de la conscien-
ce et de la personnalité.
Ainsi sont également exclues les naïvetés du mécanicisme et de la psychogénèse
dans une théorie psychoplastique du trouble psychique, (c'est-à-dire une théorie de la
formation de ses symptômes). Et il n'a fallu rien de moins que pénétrer dans l'intimité
de la structure de la vie psychique, pour qu'elle nous livre alors le secret de la psychose
et de la névrose immanentes à sa nature, comme le rêve que nous portons, par le mou-
vement même de notre vie, en nous.
Et c'est le dernier mot auquel nous conduisent ces analyses et ces réflexions : la
considération du rêve est tellement essentielle pour le psychiatre 1 qui cherche un
fil d'Ariane dans le labyrinthe psychiatrique, que l'on peut dire que la seule expli-
cation concevable des « troubles mentaux », c'est justement la référence constante
et systématique aux divers aspects d'un même fait. Ce « fait primordial », c'est tour
à tour celui d'une structuration hiérarchisée de notre psychisme, celui d'un monde
imaginaire immanent à notre pensée, celui d'un Inconscient contenu par et dans
notre pleine conscience, celui d'un éventail de psycho-névroses et de psychoses qui
déploie à des niveaux divers le monde des images, c'est-à-dire, en fin de compte :
la POSSIBILITÉ DE RÊVER.
* *
*
1. Et surtout pour le thérapeute pour qui elle justifie toutes les thérapeutiques biologiques qui
agissent sur la condition négative, comme les chocs — et les traitements agissant sur la part posi-
tive, comme la psychanalyse et aussi l'hypnose qui, née en France, ne connaîtra désormais sans
doute un regain d'actualité chez nous que lorsqu'elle nous reviendra d'Amérique...
277
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TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS
D'AUTEURS DU TOME I
285
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
Bonnafé, 19, 55, 85, 239. Claude, 57, 106, 231, 235, 238, 241,
Bonnier, 28. 252, 253.
Borel (A.), 106, 253. Clausius, 33.
Borrel (P.), 255. Clérambault (G.-G. de), 15, 57, 61,
Borelli, 27. 84, 86, 88-102, 114, 170, 230, 231.
Bosch (Hieronymus), 208, 249. Cobb, 79.
Bottex, 54. Codet (Mme), 106.
Bourneville, 39. Codet, 132, 134.
Bousquet, 222, 223, 224, 240. Collineau, 222.
Boutonier (Mlle), 117. Comte (Auguste), 28, 33.
Boutroux, 36. Condorcet, 28.
Bovet (Th.), 34. Corman, 38.
Braun (L.), 143. Cossa, 42.
Breuer, 142, 150, 233, 258. Courchet, 55.
Brill, 104. Cournot, 36.
Broca, 33. Cramer, 55.
Broglie (L. de), 36. Cruveilher, 32.
Bromberg, 52 Ctésias, 27.
Brosseau, 231. Cullen, 218.
Broussais, 25, 54. Curt Else, 143.
Browne (Thomas), 199. Cushing, 232.
Brugsch (T.), 143.
Bumke, 52, 55, 105. D
Burdach, 28, 198, 199, 200. Dalbiez (Roland), 106, 107, 109, 113,
Buytendisk, 43. 116, 125, 135, 136, 149, 151, 208,209.
Daquin, 52.
C Darcy Menduça Uchoa, 136.
Cabanis, 51, 65, 218. Daumezon, 19.
Calderón, 211. Dejerine, 46.
Calmeil, 54, 219, 226. Delais Jean, 178
Camus, 176. Delage, 191, 196, 198, 199, 216.
Capgras, 233, 244. Delasiauve, 222, 225, 229, 242.
Carnot, 33. Delbœuf, 199, 200.
Carrel (A.), 43. Delgado (H.), 30, 104, 143.
Cartan (Élie), 35. Delmas (A.), 225, 242.
Caruso (Igor A.), 191, 192. Delore, 28, 29, 33, 43.
Caughey, 48. Démocrite, 27.
Cavé (Mme), 148. Déron, 239.
Celse, 27, 218. Descartes, 27, 197, 198, 204, 211, 214.
Cerise, 54. Désoille (R.), 130.
Charcot, 258, 272. Desruelles, 52.
Charpentier (R.), 233. Destouches Février (P.), 36.
Chaslin, 225, 226, 229, 241, 242, 244. Deutsch (Hélène), 139, 147.
Chiarugi, 52. Diatkine, 136.
Chrysippe, 27. Dide, 253.
Cicéron, 198. Diodes (de Caryste), 27.
Claparède, 196, 211. Disertori (B.), 34.
286
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
287
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
288
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
289
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
290
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
S Sollier, 258.
Sommerfeld, 35.
Sanctorius, 27. Soranos (d'Éphèse), 27.
Sante de Sanctis, 196, 216, 226, 233, Spencer, 160, 211.
241, 259. Spitta, 197.
Sartre (J. P.), 45, 189, 190, 191, 202, Spinoza, 218.
203, 238. Spranger, 178.
Saussure (R. de), 104, 113, 124. Spurzheim, 55.
Schatzmann, 210. Stahl, 27, 32, 34, 55.
Scheid (W.), H9. Starcke, 119.
Scheldon, 38. Steck, 231.
Schenk (P.), 201. Steckel, 103, 105, 111, 131, 134
Scherner, 200. 143.
Schiff, 145, 234. Stein, 35.
Schleiermacher, 200. Stern (Léopold), 139.
Schlichtegroll, 139. Stircke, 146.
Schmidt (G.), 195, 205. Stocker (A.), 187.
Schneersohn (F.), 211. Storch, 247.
Schneider (Carl), 35, 227, 252, 253. Strauss, 65.
Schneider (Kurt), 159. Strausberg (G.), 143.
Schopenhauer, 103, 198, 218. Sydenham, 27, 32.
Schroeder, 145. Sylveire (J.), 212.
Schuller-Cristian, 40.
Schulter (W.), 19. T
Schultz (J. H.), 177.
Schulz-Henckle, 105, 143. Taine, 33, 35, 214.
Schutzenberger, 42. Tamburini, 56.
Schwarz, 30, 46, 143. Targowla, 255.
Scouras, 195. Tartini, 198.
Séglas, 15, 56, 57, 65, 68, 242. Taylor, 211.
Selye, 40, 41. Thémison, 27.
Sennert (Daniel), 68. Thénatos, 27.
Sérapion, 27. Théopompe, 27.
Sérieux, 52, 233, 242, 244, 255. Thomas (saint), 74.
Serin (Mlle), 254, 255. Timofeef-Ressovsky, 39.
Sévigné (Mme de), 125. Tissie, 197.
Sezary, 40. Tolman, 43.
Sharpe (E.), 199. Tosquelles, 239.
Toulouse, 216.
Siebeck (R.), 39, 43, 143. Tournay, 191, 193, 195.
Sigaud, 38. Traube, 32.
Sigwald, 191. Tzank, 28.
Silberer (H.), 103, 112, 192. Trenaunay P., 226, 242, 244.
Simon (Max), 197.
Sivadon, 19. U
Skoda, 32.
Soesmann, 198. Uexkull (von), 30.
Sokolnika (Mme), 106. Usse, 242.
291
TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS D'AUTEURS
V Wertheimer, 192.
Valence, 238. Westphal, 55.
Vallon, 242. Wetzel, 235.
Van der Berg, 19, 177. White (W.), 104, 159.
Vaschide, 195, 211. Wiener, 42.
Vigouroux, 225. Willis (Thomas), 68.
Vinchon, 52. Wittels (F.), 103, 107.
Virchow, 28, 32. Woelder (C.F.R.), 120.
Vives (Luis), 199 Wolberg (Lewis R.), 177.
Voisin, 54. Wyss (W. H. von), 47, 143.
Vulpian, 33.
Z
w
Waksman, 38. Zacchias (Paul), 51, 68.
Weiss, 28, 30, 47, 79, 104, 116, 143. Zador, 231.
Weissmann, 35. Zénon, 27.
Weizsacker, 30, 43, 47, 143. Ziehen, 233.
Wernicke, 33, 55, 56, 57, 61, 81, 88, Zilboorg (G), 52, 79.
91, 95. Zucker, 231.
292
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
AVERTISSEMENT. 7
Préface à la deuxième édition. 9
Argument. 13
ÉTUDE N° 1
LA « FOLIE » ET LES VALEURS HUMAINES. 15-22
ÉTUDE N° 2
LE RYTHME MÉCANO-DYNAMISTE DE L'HISTOIRE
DE LA MÉDECINE. 23-49
Les tendances actuelles de la philosophie et l'évolution de la médecine. 31
ÉTUDE N° 3
LE DÉVELOPPEMENT « MÉCANICISTE » DE LA PSYCHIATRIE
à l'abri du dualisme « cartésien ». 51-66
Pulvérisation atomistique de la séméiologie. 56
Genèse mécanique des troubles psychiques. 58
Le développement de la nosographie des « entités cliniques ». 61
ÉTUDE N° 4
LA POSITION DE LA PSYCHIATRIE DANS LE CADRE DES SCIENCES
MÉDICALES.
(La notion de « maladie mentale »). 67-82
Médecine et psychiatrie dans l'évolution historique des sciences médicales. 67
Le dilemme psychiatricide. 69
La position de la psychiatrie dans le cadre des sciences médicales dépend d'une
saine conception des rapports du physique et du moral. 73
La maladie mentale. 75
Neurologie et psychiatrie. 78
Psychiatrie et pathologie organique. 78
Psychiatrie, psychologie et sociologie. 80
Conclusions. 81
293
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
ÉTUDE N° 5
UNE THÉORIE MÉCANICISTE
La doctrine de G. de Clérambault . 83-102
Les éléments primordiaux, nucléaires et basaux. 90
La genèse mécanique des psychoses. 92
L'auto-construction du délire. 97
La nosographie et la conception de G. de Clérambault. 99
ÉTUDE N° 6
UNE CONCEPTION PSYCHOGÉNÉTISTE
Freud et l'école psychanalytique. . 103-156
La psychologie freudienne. 108
Les manifestations normales de l'inconscient. 109
L'inconscient. 112
L'évolution et l'organisation de la vie instinctivo-affective : Les pulsions
(Triebe). 115
Le développement de la libido. 117
L'infrastructure pulsionnelle fondamentale. Les tendances
sado-masochistes. 119
La superstructure pulsionnelle. 122
La structure de la personnalité. 124
L'activité symbolique de l'esprit. 127
Technique psychanalytique. 128
L'analyse. 129
La dynamique du défoulement ou catharsis. Le transfert. 132
La psychopathologie freudienne. 136
Les mécanismes inconscients des états psychopathologiques. 137
Les caractères et comportements psycho-sexuels. 137
Les névroses d'angoisse. 140
La névrose obsessionnelle 141
La névrose hystérique. 142
Les délires systématisés. 144
Les états maniaco-dépressifs. 146
Les états schizophréniques. 148
La théorie psychogénétique des états psychopathologiques. 149
Théorie du traumatisme psychique pathogène. 150
Théorie de la régression libidinale. 150
La distinction entre névroses et psychoses. 152
ÉTUDE N° 7
PRINCIPES D'UNE CONCEPTION ORGANO-DYNAMISTE
DE LA PSYCHIATRIE. 157-186
294
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
ÉTUDE N° 8
LE RÊVE « FAIT PRIMORDIAL » DE LA
PSYCHOPATHOLOGIE . 187-277
La dissolution hypnique . 189
Structure de la pensée du sommeil . 189
La pensée des phases marginales du sommeil. 189
La conscience hypnagogique. 189
Les images hypnagogiques. 191
Les hallucinations hypnagogiques visuelles. 192
Les hallucinations hypnagogiques de l'ouïe. 193
Les hallucinations gustatives et olfactives. 193
Les hallucinations cénesthésiques. 193
Troubles du langage. 193
L'affectivité. 194
La psycho-motricité. 195
La pensée du sommeil. Le rêve. 195
Les conditions d'apparition du rêve. 196
Structure du rêve. 201
Analyse phénoménologique. 201
Analyse dynamique structurale. 204
Structure négative. 204
Structure positive. 207
Rêve et événement. 210
Les théories du rêve . 213
Théorie mécaniciste du rêve. 213
Théories psychogénétistes du rêve. 214
Théories organo-dynamistes. 215
Les rapports de la dissolution hypnique et les dissolutions
psychopathologiques. 218
Historique et position du problème. 218
Structure « fantasmique » des psychonévroses et des psychoses. 228
295
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
296
ÉTUDES PSYCHIATRIQUES
ASPECTS SÉMÉIOLOGIQUES
ÉTUDES PSYCHIATRIQUES
TOME I
TOME III
TOME IV (à paraître)
[NdÉ : conforme à l’édition de1950 par DESCLÉE DE BROUWER & CIE, PARIS]
[BIBLIOTHÈOUE NEURO-PSYCHIATRIOUE DE LANGUE FRANÇAISE]
ÉTUDES
PSYCHIATRIQUES
ASPECTS SÉMÉIOLOGIQUES
PAR
Henri EY
* *
ASPECTS SÉMÉIOLOGIQUES
__________________
ARGUMENT
1. Le choix qui a présidé à la présentation de ces aspects séméiologiques nous a été inspi-
ré par le souci d'offrir les images les plus variées de l'éventail clinique.
Étude n° 9 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
La « Mémoire » est cet aspect de l'activité psychique qui assure le rappel du passé.
Formulée de la sorte, la définition de la mémoire laisse assez clairement entendre
qu'elle comprend un grand nombre d'opérations, les unes conscientes, les autres …la mémoire pose au
inconscientes. C'est ce qui explique la difficulté d'appréhender ce problème. Si, de premier chef la question
des rapports du cerveau
plus, on veut convenir que la mémoire pose au premier chef la question des rapports
en tant que condition des
du cerveau en tant que condition des « fonctions » fondamentales de mémoration, on « fonctions » fondamen-
conçoit que ce chapitre de la psychopathologie – impliqué dans tous les autres – est un tales de mémoration…
des plus difficiles.
Disons de suite que dans cette étude nous répudierons la psychologie atomiste et
la pathologie mécaniciste qui se représentent la mémoire comme une « simple »
machinerie. Après les puissantes analyses bergsoniennes de « Matière et Mémoire »,
il a paru définitivement impossible d'adhérer à cette manière de voir simpliste dont
s'inspire pourtant encore trop la pathologie « traditionnelle » des troubles de la mémoi-
re. Nous retrouverons ces questions plus loin.
Ce danger est d'ailleurs sans cesse renaissant et il est à craindre que les magni-
fiques réalisations anglo-saxonnes dans le domaine des automates et des « homéostat »
(ASHBY) ne saisisse, une fois de plus, psychologues et psychiatres du vertige méca-
niciste. Avec les puissants pionniers de la « Cybernétique » (N. WIENER, Mc.
CULLOCH, etc.) la tentation sera grande de comparer la mémoire à des machines si
perfectionnées et le cerveau à des dispositifs « feed-back »... Naturellement nous
pouvons prévoir à l'avance que le problème se heurtera, avec la considération de
machines plus compliquées, aux mêmes difficultés que des machines plus simples
avaient dressées devant DESCARTES...
Pour l'instant, avant d'exposer dans ses grandes lignes l'étude clinique des troubles
de la mémoire et afin d'en fournir une classification aussi systématique et naturelle que
possible, disons comment nous concevons l'ensemble des actes internes qui assurent
le rappel des souvenirs.
Tantôt – et « classiquement » – la mémoire se définit comme un simple jeu méca-
9
ÉTUDE N°9
10
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Les troubles de la mémoire sont donc avant tout des troubles de l'évocation, du « rap-
pel » et en un certain sens ils ne sont, phénoménologiquement, sous leur forme la plus
« purement » mnésique, que cela.
Nous pouvons maintenant classer par une première approximation ces « troubles
de la mémoire » selon nos principes habituels :
I. – Il existe des dissolutions partielles de fonctions mnésiques élémentaires (agno-
sies, apraxies, aphasies). Ce sont des oublis de technique, des disparitions de fonctions
automatiques. Elles font l'objet de la Neurologie en tant que celle-ci s'applique aux
désintégrations « instrumentales » de ces « fonctions ». Il y a des dissolutions globales
des instances supérieures de l'activité mnésique qui constituent ces troubles de la
mémoire que nous étudierons seulement ici.
II. – Les troubles de la mémoire doivent être envisagés au double point de vue
négatif et positif, car le déficit n'est pas tout, même dans ces états, isolés par la
Psychiatrie classique, comme de purs et simples déficits.
Aussi nous proposons-nous d'étudier successivement les troubles où prédominent
les troubles négatifs : les amnésies et les dysmnésies, puis ceux où prédominent les
troubles positifs: les hypermnésies, les illusions de la mémoire et les paramnésies.
11
ÉTUDE N°9
I. – ÉTUDE CLINIQUE .
L'EXPLORATION ET LA MESURE DES FONCTIONS MNESIQUES.
…L'étude des fonctions L'étude des fonctions mnésiques a intérêt à utiliser des épreuves, des « tests »,
mnésiques a intérêt à uti- des examens systématiques et analytiques. Nous renvoyons au livre déjà ancien de
liser des épreuves, des
TOULOUSE et PIERON 2, au travail de M. SOSSET 3, à la thèse de LIBER 4, à l'étude de
« tests », des examens
systématiques et analy-
André REY 5 où est exposée la technique du labyrinthe manuel et surtout à celles de P.
tiques… PICHOT 6, où l'on trouvera très clairement exposés les travaux anglo-saxons. Il est
certain que la « psychométrie » contemporaine qui s'était éloignée depuis SPEARMAN 7
de l'étude des capacités mnésiques particulières, objet de son analyse factorielle, tend
à y revenir. SPEARMAN avait admis trois « facteurs de groupe » mnésiques : mémoire
sensorielle, mémoire verbale et mémoire symbolique, et les travaux les plus récents
reviennent avec THURSTONE à ces « facteurs spécifiques », au facteur M.
Voici, d'après PICHOT, les données les plus importantes sur les « tests » de mémoi-
re que nous devons aux travaux contemporains.
1° « TESTS DE MÉMOIRE » CONTENUS DANS LES ÉCHELLES COMPOSITES D'EFFICIENCE.
L'échelle de BINET et SIMON comprend des épreuves que certains auteurs ont voulu
grouper pour constituer des « sous-échelles » de mémoire. Pour la Stanford revision,
ROE et SHAKOW 8 ont dans leur « Scatter » psychologique distingué les tests de « lear-
12
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
ning » verbal (savoir verbal) – les tests de « learning » confondant les acquisitions
d'autre type que verbal – et les tests de « learning » immédiat. – L'échelle de BABCOCK
l présente également une sous-échelle d'une série de dix tests mnésiques. Ainsi dans la
version 1941 (BABCOCK-LÉVY) on étudie séparément « learning », « répétition » et
« mémoire immédiate ».
2° L ES BATTERIES DE TESTS DE MÉMOIRE . Le rassemblement d'un certain
nombre de tests destinés à calculer le « score » mémoire constitue les batteries de
tests de mémoire.
L'échelle de mémoire de WELLS (1923) a servi de modèle à la sous-échelle de
BABCOCK et à l'échelle de WECHSLER. Elle comporte vingt-six tests classés sous onze
rubriques : informations personnelles – informations générales – acquisitions scolaires
élémentaires – alphabet – compter de 20 à 1 – test de substitution (code
WOODWORTH WELLS) – mémoire de phrases – mémoire des chiffres – tests d'asso-
ciation – mémoire des objets – reconnaissance. Cette échelle comprend deux sortes
d'épreuves, celles de savoir acquis (test 1 à 6) et d'acquisition (test 6 à 11), ce qui …chez des sujets nor-
revient, comme le fait remarquer PICHOT, tout bonnement à «rationaliser » l'examen maux la moyenne baisse
avec l'âge rapidement
clinique traditionnel. Quoi qu'il en soit, on calcule d'après cette échelle un coeffi-
pour les tests d'acquisi-
cient de mémoire (M-Q), mais il est évident qu'il y a une « corrélation » étroite entre tion et beaucoup moins
les deux séries. Ainsi SHAKOW, DOLKART et GOLDMAN ont montré que chez des sujets pour les connaissances
normaux la moyenne baissait avec l'âge rapidement pour les tests d'acquisition et beau- antérieures… (SHAKOW,
DOLKART et GOLDMAN).
coup moins pour les connaissances antérieures.
L'échelle de mémoire de WECHSLER (1945). Elle a amélioré celle de WELLS
MARTIN. D'abord par son étalonnage sur des adultes selon l'âge et ensuite par l'éli-
mination du « niveau intellectuel » dans le score total, en recourant dans le calcul du
quotient de mémoire à la division du score mémoire par le score obtenu par la sous-
échelle non verbale de l'échelle WECHSLER-BELLEVUE.
L'échelle de « retentivité » de CATTELL 3. Elle comprend les tests : dessins d'objets
– syllabes dépourvues de sens – figures géométriques – liste de mots. On fait un ou
deux rappels successifs.
3° LES « TESTS DE MÉMOIRE » ISOLÉS. Ils sont, écrit PICHOT « sans aucune vali-
dation et leur étalonnage est rarement même ébauché ». Ce sont ceux, au fond, aux-
quels on recourt pour ainsi dire d'« instinct » dans la clinique quotidienne. On peut
les classer en : tests de mémoire des faits anciens (informations générales, acquisi-
13
ÉTUDE N°9
tions scolaires, informations personnelles) – tests de mémoire immédiate qui sont les
plus « homogènes » (mémoration des chiffres, de cubes de KNOX, etc). Mais dit PICHOT
« ces tests ont une certaine corrélation avec les tests d'intelligence dans la mesure où
les éléments ont une certaine élaboration intellectuelle1 ». Tests de mémoire propre-
ment dit que l'on trouvera, répétons-le, dans le livre ancien de TOULOUSE et PIERON.
Il s'agit de tout un arsenal d'objets, tableaux, images dont on varie les conditions de
temps et de répétition dans la présentation, le rappel, l'association etc...
Analyse factorielle… 4° ANALYSE FACTORIELLE. L'École bifactorielle, issue des travaux de SPEARMAN, a
isolé un facteur « M ». Tous les tests de mémoire conduisent à discerner un « facteur de
groupe » (SPEARMAN, CAREY, HARGREAVES, HOLZINGER et SWINEFORD). Il y a également
un facteur de groupe dans la mémoire sensorielle (CAREY), dans la mémoire verbale et
dans la mémoire symbolique non verbale. Par contre, il n'existerait pas de facteurs de
groupe pour le rappel immédiat, le rappel différé, la reconnaissance et l'évocation. Avec
l'analyse multifactorielle de THURSTONE 2 on admet également le facteur « M ». Il paraît
en effet remarquable que les tests fortement « saturés » par ce facteur admettent une
saturation moindre du facteur « G » (facteur général d'intelligence).
Pour l'école bifactorielle il y a lieu de citer spécialement (selon PICHOT) le travail
d'ANASTASI (1930). Cet auteur a montré que le « facteur de groupe mémoire immédia-
te » pouvait être mesuré par une batterie de tests comprenant des couples de mots, des
couples dessin-nombre, des couples forme-nombre, des couples couleur-mot, etc...
On peut obtenir une saturation de .90 pour l'ensemble de la batterie. De son côté
SIEMINS a montré qu'il importait d'éliminer la saturation du facteur « G » pour obtenir
une mesure « absolue » du facteur « M » utilisant deux « tests de mémoire » (couple
de mots et de nombres) et un test perceptif de « G », la connaissance des corrélations
entre les tests de mémoire et le test de facteur « G » permet d'éliminer mathématique-
ment ce facteur.
Quant à l'école multifactorielle elle est représentée par THURSTONE. Dans ses bat-
…Ce point est fondamen- teries d'aptitudes mentales primaires il a utilisé deux tests permettant d'obtenir un
tal : tous ces « tests » ont score « M » (couples prénom-nom et mot-nombre – la présentation est unique et le
pour but d'éviter la
rappel se fait par reconnaissance). Cette batterie a une saturation .79 en facteur « M »,
« confusion » des mesures
d'un facteur « propre- tandis que les facteurs « Gf » (général de second ordre) n'interviennent que pour .47.
ment » mnésique et des Nous n'insistons pas ici sur ce point que nous retrouverons plus loin et qui est fon-
facteurs « intellec- damental : tous ces « tests » ont pour but d'éviter la « confusion » des mesures d'un
tuels »… facteur « proprement » mnésique et des facteurs « intellectuels »1. Ils y parviennent
1. Cela est frappant lorsque, par exemple, il faut retenir une longue série de chiffres. Leur
« découpage en nombres » est un « procédé mnémotechnique » où le « facteur » intelligence
favorise le « facteur » mémoire.
2. THURSTONE, Primary mental abilities, Psykometrika Monogr. 1938.
14
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
plus ou moins mais il semble que les derniers travaux représentent un progrès consi-
dérable dans ce sens.
De sorte qu'il paraît évident que sous le nom générique de mémoire on range des
phénomènes assez hétérogènes que les méthodes de test peuvent, jusqu'à un certain
point, dissocier mais pour autant seulement qu'il s'agit d'aptitudes fondamentales.
1. Sans doute SPEARMAN et tous les auteurs qui utilisent la notion de « facteur G » se défendent-
ils de l'assimiler à « l'Intelligence », mais en tant qu'ils lui attribuent une fonction de régulation
générale de fonctions psychiques particulières ils font bien appel à cette « faculté »...
15
ÉTUDE N°9
(1933). Aussi rencontre-t-on cette forme précisément au cours des profondes dissolutions
psychiques (Psychoses de Korsakoff, Presbyophrénie, Paralysie générale).
Ces troubles amnésiques frappent plus ou moins électivement les opérations d'ac-
…Les troubles de la
quisivité de la mémoire, mais ils ont un retentissement sur les autres activités mnésiques
reconnaissance, de l'iden-
tification, de l'orienta-
dans la mesure même où l'amnésie de fixation entraîne ou suppose une perturbation de
tion, l'obnubilation, l'af- la construction du réel, du présent. C'est dans ce sens que Mlle SOSSET 1 a fort bien sou-
faiblissement intellectuel ligné que le trouble de fixation n'est pas aussi purement mnésique que celui de l'évo-
sont, en effet, intimement
cation. Ce genre d'amnésie s'accompagne parfois de phénomènes de paramnésie que
liés à ce défaut de fixation
et constituent une sorte de
nous étudierons plus loin : la fabulation ou substitution de faux souvenirs aux souvenirs
« frange » ou « d'aura » à impossibles. Les troubles de la reconnaissance, de l'identification, de l'orientation, l'ob-
ce trouble mnésique… nubilation, l'affaiblissement intellectuel sont, en effet, intimement liés à ce défaut de
fixation et constituent une sorte de « frange » ou « d'aura » à ce trouble mnésique.
SOLLIER (1892) distinguait déjà deux sortes d'amnésies antérogrades : 1° l'amnésie
antérograde de reproduction « en tous points » dit-il, « comparable à l'amnésie rétro-
grade ». Dans ce cas il existe comme un étourdissement de l'activité psychique, ce que
TROUSSEAU appelait « l'étonnement cérébral » et le sujet n'a qu'une conscience très
relative de ce qui se passe autour de lui. Après cette phase de sidération il se produit
une impossibilité de fixer des impressions nouvelles et la vie de l'amnésique n'est plus
qu'une succession de moments, d'impressions isolées, le lien évocateur qui devait les
unir étant rompu. « Toute sa vie, écrivait SOLLIER, se résume dans le moment
actuel », et il attribuait ce trouble à l'épuisement du système nerveux et à la faiblesse
de l'attention ; 2° L'amnésie antérograde de conservation: les images ne s'intègrent
plus dans les synthèses psychiques, elles restent hors du circuit, ne pénètrent pas
dans la vie psychique. Cette forme réalise la véritable amnésie de fixation ; elle est
appelée aussi « amnésie continue » et caractérisée par le défaut de fixation du pré-
sent; c'est, selon le mot de DELAY, une « amnésie de mémoration ». Les auteurs alle-
mands ont beaucoup étudié cet aspect des troubles de la mémoire sous le nom de
« Merkfähigkeitstörungen » proposé par WERNICKE. BLEULER a reproché à ce terme
de viser une propriété trop simple, alors que la « Merkfähigkeit » dépend d'un
trouble plus complexe où interviennent notamment les troubles de l'attention, éter-
nel problème que nous retrouverons plus loin. ZIEHEN (1908) distinguait dans cette
pathologie de la fixation des troubles du « dépôt » et des troubles de la « réten-
tion » des souvenirs. En Angleterre et en Amérique du Nord les troubles de la
« retentivity » ont été spécialement étudiés par THORNDIKE 2 , BURT 3 , WOODROW 4 ,
16
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
17
ÉTUDE N°9
18
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
3° AMNÉSIE ANTÉRO-RÉTROGRADE.
« Lorsqu'il est entré dans le service le 5 mai 1915, Oue... voyait et entendait, mais
avait une anesthésie cutanée, une anosmie et une agueusie complètes ; il était muet, et,
avec une mimique vive, une capacité d'attention momentanée incontestable, il n'arri-
vait à vivre que dans l'instant présent Tout, de sa vie antérieure, était aboli, et il ne
fixait rien. Il était capable de s'habiller, de manger, de se servir d'une fourchette, d'une
cuillère et d'un verre, il comprenait les mots du langage usuel, mais la totalité de ses
connaissances était abolie. Les termes de « homme », « femme », « jour », « nuit »
n'avaient pas de sens pour lui.
Observé pendant quinze mois il a présenté quatre phases.
Amnésie antéro-rétrograde:
Dans la première, malgré un oubli très rapide, on parvient à le rééduquer un peu ;
…observation tout à fait
il arrive à reconnaître quelques personnes, à retrouver son lit, à nommer des objets usuels.
typique publiée par MAIRET
On lui apprend à copier l'écriture, on lui fait reconnaître des mots écrits ; il arrive à
et PIERON (amnésie post-
savoir l'alphabet, il peut chuchoter quelques mots. On n'obtient pas cependant l'écriture
commotionnelle)…
sous dictée ; la présence du modèle est nécessaire : moins de deux secondes après avoir
regardé un a, Oue... l'a oublié et ne peut le retracer2.
Dans cette période qui dure environ deux mois, les progrès sont continus. Oue...
fait un effort intense, continuel, il veut lire, écrire. Mais, à un moment donné, il se pro-
duit de la fatigue, les céphalées sont plus vives, plus continues, le découragement arri-
ve, et l'on note une régression. Les acquisitions obtenues s'effacent en grande partie, et
l'amnésie continue devient étrangement complète. On donne à Oue... une commission ;
il court pour la faire avant d'oublier (porter un objet à quelqu'un par exemple), mais,
si le trajet exige plus de quatre à cinq secondes, c'est fini, et l'on voit s'arrêter le mala-
de, ahuri, cherchant ce qu'il doit faire, à quoi répond l'objet qu'il trouve dans ses mains.
On lui montre une personne et on le fait se retourner ; au bout de deux secondes, il
reconnaît encore, au bout de trois secondes c'est fini. On lui fait tous les jours une
injection d'oxygène qui l'étonne et l'émotionne, mais chaque jour c'est un événement
absolument nouveau pour lui. Dans cette période, Oue... continue à reconnaître quatre ou
cinq personnes qu'il a toujours et constamment vues, mais le cercle ne peut s'élargir, et
l'une des personnes qu'il connaissait s'étant absentée une quinzaine de jours, il ne la
reconnaît plus au retour. On doit le chercher aux heures des repas, car il ne sait jamais à
19
ÉTUDE N°9
Ce sont des amnésies qui n'intéressent qu'un lot particulier de souvenirs. Il faut dis-
tinguer celles qui abolissent une tranche du temps (amnésies lacunaires), celles qui
portent sur un secteur de souvenirs particuliers (amnésies électives) et celles qui n'al-
tèrent que certaines fonctions spécialisées (amnésies élémentaires systématisées).
Notons que la plupart de ces amnésies, celles notamment des deux premiers groupes,
ne sont « partielles » qu'en tant que symptômes mais que leur mécanisme patho-
20
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Un officier ayant fait une chute de cheval présente après un temps de latence de 3 /4
d'heure des troubles de la conscience et de la mémoire : il croyait voir toujours pour la pre-
mière fois le médecin qui le soignait et ne se rappelait aucune des prescriptions médicales
(bains, frictions) qu'il venait de suivre. Quelques jours après le malade n'oublie plus
rien, cesse de vivre dans l'instant présent, se rappelle un peu plus chaque fois ce qu'il
a fait la veille de l'accident et qu'il avait oublié, mais une période lacunaire remontant à
plusieurs heures avant l'accident jusqu'à l'accident reste inébranlablement « muette».
Cette perte de la mémoire, dit l'auteur, « a été, comme disent les mathématiciens, en rai-
son inverse du temps qui s'est écoulé entre les actions et la chute et le retour de la mémoi- …Cette forme d'amnésie
re a été dans un ordre déterminé du plus loin au plus proche... ». lacunaire est tout à fait
caractéristique des amné-
Cette forme d'amnésie lacunaire est tout à fait caractéristique des amnésies qui sies qui recouvrent les
états psycholeptiques plus
recouvrent les états psycholeptiques plus ou moins paroxystiques (épilepsie, états
ou moins paroxystiques
confusionnels, états confuso-anxieux...). La lacune « mord » généralement sur la (épilepsie, états confu-
période précédant la crise elle-même ou survit à sa durée, ce qui nous ramène au méca- sionnels, états confuso-
nisme profond des amnésies globales de type antéro-rétrograde. anxieux...)…
21
ÉTUDE N°9
langues étrangères par exemple. Félix PLATER (d'après CALMEIL), avait curieusement
observé après une blessure du crâne, une amnésie portant sur le grec et le latin.
ABERCOMBRIE avait noté aussi la perte de l'usage de la langue anglaise dans un cas et de
l'allemand dans un autre cas. Un fait fréquemment observé est l'amnésie spécialisée aux
noms propres (cas de LARREY). WINSLOW (cité par RIBOT, p. 31) avait observé chez un
traumatisé du crâne une amnésie si spécialisée qu'elle ne portait que sur les chiffres 5
et 7. Ceci naturellement nous conduit jusqu'aux formes d'amnésies aphasiques ou agno-
siques, c'est-à-dire aux désintégrations partielles des fonctions gnoso-phaso-praxiques
qui sortent du cadre que nous nous sommes tracés. Le petit livre de RIBOT (p. 106 à 138)
ne craint pas de considérer tous les phénomènes de ce genre et spécialement les troubles
aphasiques comme de simples formes d'amnésie qu'il nomme amnésies des signes.
L'aphasie amnésique de PITRES (l'oubli du vocabulaire, rappelons-le) constitue pure-
ment et simplement une forme clinique des aphasies.
22
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
perdit après une crise de léthargie tous ses souvenirs et il fallut tout lui rapprendre.
Quelques mois après elle fut reprise d'un profond sommeil et quand elle s'éveilla elle
retrouva tout ce qu'elle avait oublié après son premier accès de sommeil mais elle avait
perdu tous les souvenirs de la période intercalaire. Pendant quatre ans elle passa
d'un « état de mémoire » à l'autre. Elle avait, paraît-il, « aussi peu conscience de son
double personnage que deux personnes distinctes en ont de leurs natures respectives ».
Le Dr AZAM (1876) 1 publia le cas désormais illustre de Felida. Vers treize ans …Le Dr AZAM (1876)
cette jeune fille, née en 1843, présenta des accidents nerveux, variés, douleurs, hémo- publia le cas désormais
illustre de Felida…
ptysies, catalepsie. Elle présentait des attaques de sommeil cataleptique d'une durée
d'une dizaine de minutes à la suite desquelles elle entrait dans sa « condition seconde »
qui durait environ une heure et demie. Ces accès se reproduisaient tous les 5 ou 6 jours.
De 1858 à 1859 elle fut étudiée une première fois par le Dr AZAM qui constata que tan-
dis qu'elle était généralement triste, hypocondriaque, elle se montrait au cours de ces
états seconds gaie et insouciante, oubliant tous les tracas de son état premier. Ainsi
s'établirent chez elle deux états de la mémoire qui alternaient, la « condition seconde
» représentant environ un dixième de son existence. Chose curieuse, elle appelait tou-
jours son « état normal » celui dans lequel elle se trouvait. Ainsi, étant dans son état
premier, elle se plaignit de troubles digestifs, d'angoisses, etc. et durant son état second
elle était ravie de dire que ces troubles étaient des symptômes de grossesse (elle était
devenue enceinte au cours de son état second). De 1859 à 1876 elle mena une vie à
peu près normale. Mariée elle eut onze grossesses (dont deux enfants vivants seule-
ment) mais progressivement la durée des états seconds était devenue égale à celle des
états premiers et finalement elle vécut plus longtemps dans l'état second que dans
l'état premier, posant un bien curieux problème : quelle était alors sa « véritable
personnalité » ?
Une autre observation, relatée depuis cette époque dans la plupart des Manuels et …Le cas de Miss
Traités, est celle que MORTON PRINCE publia dans son ouvrage 2. Il s'agit de Miss Beauchamp, publié par
Beauchamp. Au cours d'une séance d'hypnose, en avril 1898, cette malade parla d'elle à Morton PRINCE…
1. AZAM, Revue scientifique, 1876. Ce cas « d'amnésie périodique ou doublement de la vie » figu-
re comme premier chapitre du livre d'AZAM : Hypnotisme et Double conscience, Paris, 1893.
2. M. PRINCE, La dissociation d'une personnalité. C'est un ouvrage qui a été traduit en français
en 1911 et qui est d'une vive actualité au point de vue des mécanismes inconscients de projection.
On trouvera dans le livre de DERMOT-M. CASEY (trad. fr., 1940) toute la bibliographie des travaux
de l'illustre psychiatre et psychologue américain de Boston.
23
ÉTUDE N°9
24
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
« mécanisés » gagneraient à être vus dans cette perspective plutôt que, exonérés de tout
délire, d'être réduits à un agrégat de « phénomènes hallucinatoires ? »
effrayés de mon esprit ». – WINSLOW et MUNK (cités par EGGER) ont rapporté des faits ana-
logues. Ce dernier (un peu suspect aux yeux d'EGGER) aurait observé un noyé qui vit, à
l'instant suprême, « toute sa vie antérieure se déroulant en succession rétrograde avec des
détails très précis : chaque événement était accompagné d'un sentiment de bien ou de
mal ». EGGER (1896) 2, rapporte les expériences (recueillies par un suisse HEIM, qui lui-
même se trouva dans ce cas) d'alpinistes qui font des chutes en montagne : « ce que
j'éprouvais, dit HEIM, durant les quelques secondes d'une chute il me faudrait une heure
pour le raconter, toutes les pensées et toutes les images s'offraient à moi avec une préci-
sion et une clarté extraordinaires... J'aperçus tous les faits de ma vie passée se déroulant
devant moi en d'innombrables images. EGGER signalait dans ces états comme caractères à
peu près constants un sentiment de béatitude, l'anesthésie du toucher et du sens de la dou-
leur, une extrême rapidité de la pensée et de l'imagination. – SOLLIER, MOUTON et KELLER,
ont tenté de rassembler ces divers éléments, dont la remémoration n'est qu'un aspect, en
un aspect global de l'expérience vécue par la conscience du mourant qui se tourne vers
son passé – Ch. FÉRÉ (1889, 1892, 1898) a rapporté quatre observations intéressantes mais
il s'est livré à des interprétations hasardeuses de leur condition physiologique (hyperexci-
tabilité momentanée du système nerveux dans ces états d'hypermnésie). – Depuis cette
époque et la description de la « crise de l'uncus » par JACKSON, certains auteurs (WILSON)
ont étudié des états crépusculaires épileptiques de type « dreamy state » avec déroulement
de la mémoire panoramique notamment dans les tumeurs temporo-sphénoïdales. Martin
REICHARDT 4 (1928), a observé le cas d'un malade qui, après une piqûre du bulbe par ponc-
tion sous-occipitale, eut à la fois un sentiment de béatitude et une vision panoramique de
25
ÉTUDE N°9
son existence. Nous avons observé, au cours de l'intoxication par la mescaline, des phé-
nomènes du même genre et DELAY rappelle les reviviscenses de mémoire que provoque
l'opium, sous forme d'hypermnésies oniriques 1.
Naturellement ces « réminiscences » par leur côté pittoresque et aussi par la valeur
esthétique du souvenir ressuscité qui s'y attache, ont tenté l'imagination des roman-
…Rappelons particulière- ciers. Rappelons particulièrement Marcel PROUST, dont l'illusion du passé restitué « par
ment Marcel PROUST dont
le parfum d'une madeleine trempée dans une tasse de thé » constitue la trame même
l'illusion du passé restitué
[…]constitue la trame de la prodigieuse recomposition du « Temps perdu »... Les psychologues sont généra-
même de la prodigieuse lement friands de ses rapprochements (BENICHOU) 2.
recomposition du « Temps Parfois il s'agit seulement de « tranches de la vie passée » qui « se représentent »
perdu »...
et sont à nouveau vécues. C'est ce qu'on a appelé le phénomène d'ecmnésie ou d'« hal-
lucination de la mémoire ». Nous en reparlerons plus loin.
…Une tout autre variété 2° LES « CAPACITÉS MNÉSIQUES PRODIGIEUSES ». Une tout autre variété d'hypermnésie
d'hypermnésie est consti- est constituée par les capacités mnésiques prodigieuses parmi lesquelles les performances
tuée par les capacités
de calcul, la mémoire des chiffres, des dates, etc... sont les plus étonnantes et les plus
mnésiques prodigieuses
parmi lesquelles les per- connues. Les principales études sur ces « artistes de la mémoire » (Gedächtnisskunstler
formances de calcul, la disent les Allemands) sont le mémoire de SCRIPTURE 3, le livre de A. BINET 4, celui de J.
mémoire des chiffres, des VAN DER KOLK et JANSENS 5, celui de MOBIUS 6, l'article de Franck D. MITCHELL 7, celui de
dates, etc...
JOTEYKO 8, le volume de Ev. E. MUELLER 9, la thèse de Paul HINTZIGER 10, le travail de
DESRUELLES 11, celui de BLIN 12, celui de LAHY 13, d'AMELINE 14, de LOTTE 15, de
KLYSSEN 16 de HEUYER et Mlle BADONNEL 17, l'important mémoire de LAFORA 18, celui de
A. BRILL 19, les récentes observations de HEUYER, DAUPHIN et LEBOVICI 20, de DELAY,
STEVENIN et PICHOT 21 et de B. STOKVIS 22.
26
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
II convient d'abord de se référer aux cas de prodigieuse mémoire des chiffres et des …prodigieuse mémoire
nombres d'individus simplement normaux ou parfois très intelligents : le Dr VERROL des chiffres et des nombres
d'individus simplement
(étudié par MOBIUS), RAMBONI (étudié par GUICCIARDI et FERRARO), HEIMANS (étudié
normaux ou parfois très
par BURCHAN), INAUDI (étudié notamment par BINET), DIAMANDI (étudié notamment intelligents: […] le plus
par LAHY) et le plus extraordinaire de tous le Dr RUCKLE (étudié par G. E. extraordinaire de tous le
MULLER). Ce dernier était, à vrai dire, mathématicien. Il lui suffisait d'une seule audi- Dr RUCKLE (étudié par G.
E. MULLER)…
tion pour pouvoir répéter une série de 60 nombres et de 72 nombres après un
« apprentissage » de 137 secondes... Il apprenait une série de 46 nombres en 44
secondes et pouvait en retenir 204 après 13 minutes d'effort de fixation ; il lui suffisait
d'une seule audition pour répéter une série de 60 nombres et il put retenir en ordre
inverse une série de 72 nombres après 137 secondes de réflexion. D IAMANDI ,
moins fort, avait besoin de 165 secondes (alors que de 44 à 70 suffisaient à
RUCKLE) pour en apprendre 48 et demandait 75 minutes pour retenir une série de 20
nombres (alors que 13 à 19 minutes suffisaient à RUCKLE pour en retenir 204 qu'il répé-
tait en 140 secondes en moyenne !). Ces « mnémotechniciens » effarants utilisent
généralement des « aides », ou « appuis » de forme purement arithmétique. Ainsi
RUCKLE se rappelait le nombre 86.219 parce que 219 = 3 x 73 et que le loga-
rithme de 13 = 1,86..., autre exemple : le nombre 535 est égal au côté du dodé-
caèdre circonscrit qui est de 0,535. Parfois des « appuis » historiques interviennent
(dates de grands événements) ou encore des nombres liés à des souvenirs personnels.
MULLER a montré que ces aptitudes extraordinaires à « retenir des nombres » ne
dépendaient pas d'une mémoire naturelle des « nombres, mais du développement d'un
complexe de facultés générales comme une compréhension rapide, une faible
fatigabilité et la capacité à apprendre et de retenir facilement, ce à quoi s'ajoute un inté-
rêt spécial pour la chose qui incite aux exercices répétés, c'est-à-dire à l'entraînement
» (LAFORA). Autant dire qu'il s'agirait dans ces actes de virtuosité, non pas d'un don
simple mais d'une organisation spéciale de l'activité intellectuelle soutenue par un inté-
rêt affectif. Cependant B. STOKVIS croit devoir rapporter cette prodigieuse faculté
dans son cas W. à une aptitude mnésique acoustico-rythmo-motrice exceptionnelle et
dans son cas L. à une capacité extraordinaire de visualisation1. Parfois il s'agit d'en-
fants prodiges d'intelligence moyenne comme dans le cas d'A. BRILL 2.
Mais si ces prodiges de mémoire sont déjà stupéfiants chez des sujets normaux, ils …ces prodiges de mémoi-
re […] deviennent presque
deviennent presque inimaginables chez les calculateurs, à la fois virtuoses et arriérés.
inimaginables chez les
On trouvera de bons exemples de cette monstruosité psychologique dans l'histoire de la calculateurs, à la fois vir-
petite Zarah Colburn dans les observations de BLIN (1910), HEUYER et BADONNEL tuoses et arriérés.…
27
ÉTUDE N°9
28
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
mas numéraux » (cf. par exemple ceux reproduits dans le travail de BINET et de LAHY)
de l'ordre chronologique des années, des mois et des jours, constitue le « matériel »
spécial sur lequel travaillent ces arriérés. Mais un problème reste cependant ouvert
qui n'est pas seulement celui de la mémoire, comme le soutient AMELINE, mais
aussi de l'intelligence de ces sujets. Le paradoxe ne vient pas en effet de cette vision
mentale élective des séries mais de l'application à ces images de procédés de calcul
qui, pour si simples qu'ils soient, représentent des attitudes solutionnelles intellec-
…Nous pensons […]
tuelles contrastant (notamment dans les cas de BLIN et d'HEUYER et BADONNEL) avec
que, comme le remar-
le défaut de « savoir » arithmétique et l'incapacité de calcul. Tout se passe comme si quait MUELLER (1910),
un dressage spécialisé et systématique était seul possible dans ces esprits qui restent ces aptitudes ne dépen-
enchaînés au travail en série, à une technique, à une gymnastique stéréotypées, qui dent pas d'une « proprié-
té élémentaire » mais du
gagne en performance ce que perd leur activité psychique en étendue et en profondeur.
développement d'un
Nous pensons malgré l'avis de STOKVIS que, comme le remarquait MUELLER (1910), complexe de facultés
ces aptitudes ne dépendent pas d'une « propriété élémentaire » mais du développement générales à quoi s'ajoute
d'un complexe de facultés générales à quoi s'ajoute un intérêt spécial ». un intérêt spécial »…
Comme les hypermnésies, les paramnésies 1 représentent des troubles mnésiques …Comme les hypermné-
où prédominent les troubles positifs. sies, les paramnésies
représentent des troubles
Les fonctions mnésiques assurent, avons-nous dit, un équilibre constant entre le
mnésiques où prédomi-
passé et le présent, l'ordre chronologique et la distinction du passé réel et du passé ima- nent les troubles positifs…
ginaire. Lorsque la « mémoire » fléchit, des troubles s'en suivent qui constituent les
paramnésies ou illusions de la mémoire.
1. On trouvera dans les travaux suivants des indications précieuses sur la psychopathologie des
paramnésies :
KRAEPELIN, Arch. f. Psych., 1886-87.
ARNAUD, SOC. Méd. Psych., 1896.
DROUART et ALBES, L'illusion de fausse reconnaissance, Journ. de Psychologie, 1905.
ALBES, La fausse reconnaissance, Thèse, 1926.
JANET, A propos du déjà vu, Journ. de Psych., 1905.
THIBAULT, Essai sur le sentiment de déjà vu, 1895.
GILLES, Le « déjà vu », Journ. de Psychol., 1921, Thèse, Bordeaux.
CAPGRAS et REBOUL-LACHAUX, L'illusion de sosie, Soc. Med. ment., 1923.
HALBERSTADT, L'illusion de sosie, Journ. de Psychol, 1923.
CAPGRAS et CARETTE, L'illusion de sosie, Ann. Méd. Psycho., 1924.
CAPGRAS, SCHIFF, LUCCHINI, Sentiment d'étrangeté, L'illusion de sosie, Soc. Méd. Ment., 1924.
HUBERT, Le sens du réel, 1930.
LEVY-VALENSI, Les illusions des sosies, Gaz. des Hôpitaux, 1929.
Mlle DESROMBIES, L'illusion de sosie, Thèse, Paris, 1935.
29
ÉTUDE N°9
30
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
ment vécu. STANDER avait décrit ce phénomène sous le nom de « fausse mémoire »,
« illusions de la mémoire 1 ». L'illusion du déjà vu est de même ordre, là aussi « la …L'illusion du « déjà
mémoire constituante est prise pour la mémoire constituée ». On réserve parfois à ces vu » est de même ordre
[que « les illusions de la
fausses reconnaissances la dénomination de « paramnésies » (E. B. LEROY, DELAY).
mémoire »], là aussi « la
KRAEPELIN parlait à leur sujet d'illusions identifiantes de la mémoire. On trouvera dans mémoire constituante est
la vieille mais remarquable thèse de E. B. LEROY 2 une excellente étude de ce phé- prise pour la mémoire
nomène, de même que dans les travaux anciens qu'ALBES 3, DROMARD et ALBES 4 ont constituée »…
consacré, à la même époque, à l'étude de l'« illusion du déjà vécu ». Elle se rencontre
dans les divers états confusionnels (confusion, psychose de Korsakoff, états crépuscu-
laires et même mélancolie et manie). Parfois elle se présente comme un phénomène de
premier plan dans le tableau clinique et « loin de surgir brusquement, elle n'éclôt
qu'après une longue période d'incubation qui la prépare, et lui indique la direction
vers laquelle elle doit tendre ; elle s'applique à un objet unique et bien précis ; elle
apparaît alors en quelque sorte comme l'apothéose d'un délire systématisé d'une idée
fixe ou d'une dépression » (ALBÈS). C'est dire que sous le même nom, là encore, on
range des phénomènes de niveaux très différents. Parfois elle est inséparable d'un
sentiment global de déjà vu. « S'agit-il, écrivait LALANDE 5, d'un paysage, on croira
retrouver dans son souvenir la grande ligne mais encore chaque feuille, chaque arbre,
chaque image, chaque rayon et même le plus souvent on se sentira soi-même dans le
même état et les mêmes sentiments que le jour illusoire de la première perception ».
Tant il est vrai que cette « reconnaissance » représente non pas seulement l'identifica-
tion d'un contenu de la conscience présente par sa fusion avec un contenu de conscien-
ce passé (reconnaître, dit JANET, c'est avoir déjà vu autrefois), mais une coalescence
de la conscience actuelle avec le passé, son investissement, son inflexion par la
valeur de « passé ». JANET 6 cite l'observation d'une jeune fille qui, venue le voir pour
la première fois à Paris, lui demande au bout de quelques minutes quelle était la date
de sa « première visite », car elle avait dû venir le voir déjà mais ne se souvenait pas
quand. Elle affirmait que lui, JANET, devait se tromper « car elle reconnaissait exac-
tement et lui et l'appartement et les photographies suspendues au mur ». Ce « senti-
ment » (nous dirions cette expérience délirante primaire) peut devenir un délire éla-
boré, systématisé comme dans le cas de ce fameux malade de Jules FALRET. « Le
vieux maître, dit encore JANET, avait la malice de l'inviter à sa table avec certains
médecins et il ne manquait pas de leur tenir ce langage : « Est-ce que vous trouvez
31
ÉTUDE N°9
amusante cette plaisanterie de M. FALRET ? Vraiment c'est assez drôle. Il la répète trop
souvent. Il nous fait dîner l'un près de l'autre exactement dans la même position, avec
les mêmes plats, les mêmes convives, le même éclairage, avec les mêmes paroles pro-
noncées par les personnes qui nous entourent. Il s'amuse à répéter tous les événe-
ments. Est-ce qu'on vous a prévenu du rôle qu'on vous faisait jouer 1 »? Ce phénomè-
ne qui se rencontre aussi chez les sujets normaux (les littérateurs s'en sont souvent
emparés : WIGAN, JEANSEN, SHELLY, ZOLA, Paul BOURGET, etc.) se présente donc
soit sous forme paroxystique et c'est le cas le plus fréquent, soit comme un délire
…ces fausses reconnais- durable comme dans le cas que nous venons de citer.
sances sont l'expression Mais la « fausse reconnaissance » intéresse particulièrement les personnes et par-
d'une modification globa- fois seulement certaines personnes, soit qu'elle soit seulement une erreur d'identifica-
le de la conscience dont le
tion paroxystique soit qu'elle revête une forme délirante durable.
trouble de l'identification
n'est qu'une conséquence Ainsi dans tous ces cas (illusions de déjà vu) ces fausses reconnaissances sont l'ex-
et varie avec sa profon- pression d'une modification globale de la conscience dont le trouble de l'identification
deur de dissolution… n'est qu'une conséquence et varie avec sa profondeur de dissolution.
32
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
faux souvenirs, des délires, des illusions, etc.. Quant à ceux qui paraissent purement
…nous retrouvons au
« positifs » (hypermnésies, fausses reconnaissances, ecmnésie, fabulations), ne com- terme de cette analyse
portent-ils pas aussi des troubles négatifs ? Dès lors nous retrouvons au terme de cette une certaine unité struc-
analyse une certaine unité structurale des troubles mnésiques qui sont à la fois néga- turale des troubles mné-
siques qui sont à la fois
tifs et positifs. Et cette part positive des troubles de la mémoire, c'est le délire. On com-
négatifs et positifs. Et
prend que JANET et DELAY dans leurs études sur les troubles de la mémoire aient insis- cette part positive des
té sur ce qu'ils appellent les « délires de mémoire », notion qui correspond spécia- troubles de la mémoire,
lement aux paramnésies et notamment aux compensations de la mémoire défaillante. c'est le délire…
33
ÉTUDE N°9
Nous serons très brefs dans cette énumération un peu fastidieuse, car les troubles
de la mémoire dans les diverses psychoses et névroses sont si artificiellement isolés
qu'il vaudra mieux les étudier à propos de l'analyse structurale de chacune d'elles que
nous ferons dans notre prochain volume.
Chez les idiots dont toutes les capacités de réflexion et de construction sont rudi-
mentaires ou nulles il peut exister un défaut d'acquisivité tel que ces malheureux
sont réduits à cet égard à une condition qui peut paraître même inférieure à celle de
certaines espèces animales. Quant aux imbéciles et aux débiles ils présentent généra-
lement un défaut de mémoire évident tant par la pauvreté de leurs acquisitions que par
le peu de contrôle dont ils disposent sur leurs souvenirs et l'insuffisance des méca-
nismes d'identification impliqués dans la fonction mnésique 1 D'après M. SOSSET
(1933) l'état d'imbécillité même profonde atteint moins les fonctions de mémoire (4
observations) que les autres fonctions psychiques. Les 15 cas de débilité étudiés à cet
…Tout se passerait donc égard ont montré à cet auteur que lorsque le niveau mental est situé entre 6 et 9 ans,
comme si dans les formes attention et mémoire vont de pair, tandis que dans les degrés plus légers (9 et 10 ans)
profondes de l'arriération
l'attention est supérieure à la mémoire. Tout se passerait donc comme si dans les
les fonctions mnésiques
étaient relativement plus formes profondes de l'arriération les fonctions mnésiques étaient relativement plus
satisfaisantes que les satisfaisantes que les autres, comme si le « facteur » de retentivité était indépendant de
autres… l'intelligence.
Exceptionnellement ces oligophrènes présentent même, comme nous l'avons noté,
des hypermnésies systématisées tout à fait remarquables (imbéciles calculateurs –
mémoire des nombres – des faits historiques – des dates).
Les tests de mémoire tels que le WELLS MARTIN 2 montrent pourtant l'insuffisance
des corrélations des capacités mnésiques avec les tests d'intelligence (.81 dans le cas
de WELLS). Pour la « mémoire immédiate » P. FRAISSE, PICHOT et CLAIROIN 3 ont
constaté qu'il existait une supériorité des enfants normaux sur les oligophrènes dans la
fixation des chiffres alors que cette différence disparaît si l'on remplace ce matériel
déjà relativement « intellectualisé » par des séries de coups. Dans le sens des mêmes
34
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Dans les états d'excitation maniaque FALRET avait insisté sur les phénomènes d'hy- …Dans les états d'excita-
permnésie. On y trouve en effet très souvent le mentisme et une reviviscence extrê- tion maniaque FALRET
avait insisté sur les phé-
me des souvenirs. Mais il n'est pas exact que les états d'excitation maniaque soient tou-
nomènes d'hypermnésie…
jours parfaitement mnésiques. L'amnésie plus ou moins totale et profonde est même
assez fréquente à notre avis pour constituer une preuve de conditionnement déficitai-
re (négatif) de la manie. L'hypermnésie elle-même constitue d'ailleurs un tumulte, un
désordre de la mémoire.
Dans la manie, d'après M. SOSSET, les troubles de l'attention et de la mémoire
seraient parallèles. La différence moyenne des indices de fixation et d'évocation était
de 3,3 (supériorité de la mémoire de fixation). Généralement (4 cas contre 1), il exis-
te donc une certaine concordance entre les divers types de mémoire (fixation, évoca-
tion, reconnaissance et mémoire associative). On retrouve des faits analogues dans les
états d'excitation intellectuelle due aux intoxications (opium – inanition) ou encore
dans la phase dite de « dynamie fonctionnelle » de la paralysie générale.
1. J. C. FÖRSTER, Significant responses in certain memory test, Journ. appl. Psychol.,4, 1920,
pp. 142 à 154.
2. A. PATERSON, Amnesia in altered states of consciousness, Proc. Royal Society of Med., 1943,
36, n°11.
35
ÉTUDE N°9
Il faut envisager la crise et ses équivalents d'une part, et les accès d'automatisme
plus ou moins complexes, d'autre part.
…La crise comitiale La crise comitiale entraîne une amnésie lacunaire totale. Les souvenirs ne se
entraîne une amnésie fixent pas : l'amnésie est complète et porte sur toute la durée de la crise à partir de l'au-
lacunaire totale…
ra jusqu'au réveil de la conscience. Cependant on a pu observer 1 des accès convulsifs
mnésiques (FOVILLE, CLARK, BOMBARDA, MARCHAND, etc..) ; FALRET avait noté égale-
ment la possibilité des souvenirs de la crise mais seulement au cours d'accès crépuscu-
laires ou délirants ultérieurs. Si l'amnésie peut être antérograde et porter sur des phases
de temps qui ont suivi la crise, elle est le plus souvent rétrograde. (VOISIN, FÉRÉ,
SÉGLAS, MAXWELS). Elle peut être encore « retardée » (MAXWELS) 2. Les équivalents de
la crise (absences, vertiges, automatisme ambulatoire) comme la crise elle-même
entraînent des amnésies partielles complètes. Les hypermnésies et les paramnésies sont
fréquentes (ecmnésie – déjà vu – jamais vu) au cours des auras ou équivalents.
Les accès d'automatisme épileptique ne s'accompagnent pas toujours de perte com-
plète de la conscience, mais leur caractère amnésique est assez fréquent pour être
typique... Comme le faisait remarquer RIBOT, l'amnésie s'explique dans ce cas par la fai-
blesse de la conscience qui caractérise de tels états, appelés par JACKSON « un rêve épi-
…dans les états crépuscu- leptique », et que l'on désigne souvent sous le nom « d'états crépusculaires ». L'amnésie
laires […] l'amnésie est est généralement complète malgré la complexité du comportement du sujet, fait sur
généralement complète
malgré la complexité du
lequel MAXWELS a insisté. Cependant si même dans les formes les plus « eupraxiques »
comportement du sujet… de l'automatisme épileptique l'amnésie s'observe le plus souvent, on connaît la possibili-
té de certains accès d'automatisme épileptiques « mnésiques » (CLÉRAMBAULT 3,
DUCOSTE 4, MARCHAND ET AJURIAGUERRA 5, etc.). Pendant ces crises d'automatisme
conscient ou semi-conscient les souvenirs peuvent s'organiser de façon plus ou moins
ordonnée et durable. Nous aurons l'occasion, dans le tome III, de décrire longuement un
état crépusculaire épileptique avec troubles retardés de la mémoire.
La mentalité épileptique se caractérise également par un certain degré de dys-
mnésie. Ces malades ralentis, « visqueux », fixent mal leurs souvenirs ; on a noté chez
eux (WALLON) le caractère « concret » des souvenirs.
Quant aux démences épileptiques elles seraient d'après SIMMINS des plus destruc-
36
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
trices de la mémoire. Le score moyen est de 6,5 contre 9 chez les normaux, détériora-
tion supérieure à celle de la Paralysie générale.
Les troubles de la mémoire consécutifs à la convulsivothérapie.
C'est un chapitre considérable de l'actualité du problème qui nous occupe.
PLATTNER 1 avait rapporté 7 cas (3 cas de troubles légers avec troubles de l'attention et 4
syndromes amnésiques), de troubles de la mémoire au cours des cures d'insuline et de
cardiazol associés. TOOTH et BLACKURN, 2 P. WITTMAN 3 et ZISKIND, LOKEN et
GENGERELLI 4 observèrent des faits analogues. K. SCHRÖDER 5 à propos de deux obser-
vations insistait sur le fait que ces troubles paraissent moins liés à l'agent qu'à la moda-
lité convulsivante de la thérapeutique. Et effectivement avec l'électro-choc on ne tarda …effectivement avec
pas à s'apercevoir que l'on provoquait des désordres de la mémoire extrêmement fré- l'électro-choc on ne tarda
pas à s'apercevoir que l'on
quents mais généralement fugaces. G. FLESCHER 6 a étudié spécialement la forme rétro-
provoquait des désordres
grade de ces amnésies ; SHERMAN, MERGENER et LEVITAN 7 ont mesuré les capacités mné- de la mémoire extrême-
siques après électro-choc ou cardiazol à l'aide de tests de mémoire immédiate, de fixa- ment fréquents mais géné-
tion récente, etc.. ralement fugaces…
Chez nous, HEUYER, BONN et Mlle MOREAU 8 insistèrent sur l'amnésie de fixation
consécutive au choc, les troubles rétrogrades étant plus rares et discrets. R. BINOIS 8 a
rencontré ces troubles dans 50% des cas (20 sur 41). C'est entre la 3e et la 6e séance que
les troubles sont les plus fréquents. Dans 7 cas il s'agissait d'amnésie rétrograde pure,
dans 11 cas de troubles à type antéro-rétrograde et dans 2 cas seulement d'amnésie de
fixation. Les malades n'étaient pas entièrement privés de leur passé immédiat mais en
conservaient des souvenirs fragmentaires. Les souvenirs qui ont semblé les plus atteints
portaient sur l'état anormal qui avait motivé le traitement. La régression est rapide,
l'amnésie antérograde dure une quinzaine de jours au maximum mais les troubles d'évo-
cation persistent plus longtemps. J. DELAY 9, sur un ensemble de 105 malades, a rencon-
tré les troubles de la mémoire dans 70% des cas, soit à type d'amnésies rétrogrades (par-
cellaires, lacunaires ou thématiques) soit de type antérograde. Les deux types peuvent
s'associer et s'accompagner de délire de mémoire. L'auto-observation de BERSOT 10
montre que dans ce cas l'amnésie resta définitive pour tout ce qui se passa pendant les 3
37
ÉTUDE N°9
Nous avons déjà beaucoup insisté sur les doubles personnalités que réalisent ces
étranges maladies de la mémoire et dont on trouve des descriptions très détaillées dans
la littérature psychiatrique du XIXe siècle (MORTON PRINCE, AZAM, RIBOT, JANET,
BRIQUET, SOLLIER, etc.). Ces troubles sont généralement en relation avec des états som-
nambuliques, états seconds, états crépusculaires remplis de « délire », d'« idées fixes »
comme on disait à cette époque. Ils sont paradoxaux, systématisés, spectaculaires
et en étroite continuité avec les émotions et les traumatismes psychiques.
38
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Les études des psychanalystes ont approfondi l'analyse des mécanismes du refou- …Les études des psycha-
lement et éclairé le rôle de l'hypnose et de la suggestion dans le déterminisme de ces nalystes ont approfondi
l'analyse des mécanismes
amnésies. Il suffit de se rapporter aux nombreuses observations de névroses publiées
du refoulement et éclairé
par FREUD et son école pour rencontrer de nombreux exemples de troubles de la le rôle de l'hypnose et de
mémoire par déplacement ou effacement des souvenirs sous l'action de courants la suggestion dans le
affectifs inconscients. SCHILDER, sur un total de 25.260 entrées au Bellevue Hospital, déterminisme de ces
avait noté 219 cas d'hystérie dont 78 manifestaient des troubles amnésiques 1. Dans amnésies…
la statistique de M. KANZER 2, l'auteur relève sur 71 cas de troubles de la mémoire
(également observés au Bellevue Hospital) l'importance des amnésies psychogènes.
L'école américaine s'est beaucoup occupée de cette question et nous renvoyons spé-
cialement aux travaux de A. GORDON 3, WECHSLER 4, W. BROWN 5, ABELER et
SCHILDER 6. En langue allemande les travaux de VERJAAL 7 s'inspirent des mêmes
conceptions. Très souvent il s'agit dans les cas étudiés dans cette perspective, de syn-
dromes amnésiques traumatiques (MICHALEWUSKAJA 8, FORTANIER et KANDOU 9, etc.).
On comprend que dans ces cas de forte inhibition mnésique de « sidération » de la
mémoire, l'hypnose et la suggestion ne puissent pas toujours rétablir les fonctions per-
turbées ou abolies. Aussi BRAILOVSKI 10 a-t-il eu recours à l'éthérisation et
INGALLES 11 à la convulsivothérapie et il est devenu de pratique courante depuis la
récente expérience de guerre (1939-1945) d'utiliser les injections d'amytal sodium ou
de Pentothal dans le même but. La psychiatrie de guerre aussi bien celle de 1914-18
que celle de 1939-45 a fourni en effet une abondante contribution à ce problème.
L'hystérie de guerre, « l'hypnose des batailles » (MILIAN 1915), les névroses de com-
bat ont donné aux médecins des formations de l'avant immédiatement et quelques
jours après aux psychiatres des ambulances, des lazarets et hôpitaux militaires, de
nombreuses occasions d'observer de pareils faits. En Allemagne BONHOEFFER,
KEHRER, NONNE, KRETSCHMER, BINSWANGER, WILLMAN, BIRNBAUM, JAMPPS avaient
insisté sur l'importance de facteurs psychogénétiques dans ces troubles. Chez nous on
a mis l'accent sur le rôle de l'émotion, parfois véritable « ictus émotif » (G. BALLET
et ROGUES DE FURSAC 12, R. MALLET 13, DEVAUX et LOGRE 14, BROUSSEAU 15,
39
ÉTUDE N°9
DUMAS et DELMAS 1 ou sur les mécanismes pithiatiques (ROUSSY et LHERMITTE 2). Dans
l'armée britannique RIVERS et BROWN 3 utilisaient l'hypnose en pareil cas. Dans l'armée
américaine des efforts semblables furent réalisés 4. Malgré l'importance de ces efforts
thérapeutiques ainsi employés en 1914-18 (isolement, obscurité, sédatifs, « torpillages »)
c'est surtout la dernière guerre (1939-1945) qui spécialement dans les pays anglo-saxons
…Le mécanisme de a montré l'importance des mécanismes hystériques et « psychogènes » dans les névroses
l'émotion « réprimée » et amnésiques. Le mécanisme de l'émotion « réprimée » et de son « abréaction » a consti-
de son « abréaction » a
tué la base de la thérapeutique du corps médical de l'armée britannique et américaine 5
constitué la base de la
thérapeutique du corps et on sait quel rôle décisif a joué « l'hypnose-analyse » individuelle ou complétée par la
médical de l'armée bri- psychothérapie de groupe dans les armées anglo-saxonnes dans le traitement de ces
tannique et américaine… « sidérations », de ces paralysies émotionnelles de la mémoire.
Le chapitre des amnésies émotionnelles se confond nécessairement avec ces études
des troubles hystériques et « psychogènes » de la mémoire. SOLLIER (1892) avait décrit
des phénomènes amnésiques, qui surviennent à la suite d'une émotion morale vive.
Pour lui cette amnésie consistait essentiellement en une amnésie de fixation : la
conscience débordée par l'émotion serait incapable de fixer les souvenirs. Rappelons
qu'il existe aussi à côté de la forme amnésique du choc émotionnel des cas d'hyper-
mnésie rétroactive (STRATTON).
Certains états d'anxiété paroxystiques réalisent de véritables « états seconds » plus
ou moins conscients et amnésiques et nous renvoyons aux observations de CLAUDE et
MASQUIN 6 ; de FRIBOURG-BLANC et MASQUIN 7 et de Henri EY et BERNARD 8 à ce sujet.
1. DUMAS et DELMAS, Arch. méd. et Pharmacie 1917. DUMAS, Troubles mentaux de guerre, 1919.
2. ROUSSY et LHERMITTE, Les psychonévroses de guerre, I vol., 1917.
3. RIVERS et BROWN, Lancet, 1917.
4. BROWN, Lancet, 1918. Volume X. du volume édité par le L. S. Government Sunting office
Washington, 1929.
5. Nous renvoyons spécialement au livre de REES, The shaping of Psychiatry by the war, aux travaux
de DERMY BROWN, New-Engl. J. med. 1942, de GUTTMANN, (Lancet, 1943), de SYMONDS (Proc.
Royal Soc. méd. 1942), de PATERSON (Lancet 1942), de PATERSON et ZANGWILL (Brain 1944), etc.
6. CLAUDE et MASQUIN., Ann. Médico-Psych., 1932, I.
7. FRIBOURG-BLANC et MASQUIN, Ann. Médico-Psych., 1932, I.
8. Henri EY et BERNARD, Ann. Médico-Psych., 1941, II.
40
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
une amnésie lacunaire de fixation mais encore une amnésie rétrograde. Elle « s'em-
plit » parfois de fabulation mégalomaniaque comme un des cas que nous avons obser-
vé ces derniers temps. – Le syndrome d'amnésie post-apoplectique a été spécialement
étudié par BEDUSCHI 1 à propos d'observations personnelles et des cas classiques de
MABILLE et PITRES 2. Il se caractérise par une atteinte considérable de la fixation.
41
ÉTUDE N°9
42
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
chokinétique avec amnésie. Il semble que le facteur toxique ne soit pas le seul à déter-
miner ces troubles et que le mécanisme de l'asphyxie joue un rôle considérable
(ROUAULT DE LA VIGNE).
5° LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE DANS LA MÉLANCOLIE .
Au cours des bouffées schizophréniques aiguës, des crises de catatonie, des états
crépusculaires de la conscience qui inaugurent ou rythment l'évolution des psychoses
schizophréniques on constate des troubles plus ou moins profonds de la fixation et de
l'évocation. Dans les phases d'organisation autistique ou dans certains états de compor-
tement catatonique avec forte introversion la mémoire de ces malades se présente avec
tous les caractères de paradoxe, de bizarrerie, de jeu et d'énigme qui sont si bien connus
de tous les cliniciens. Mais le caractère systématique de certains refoulements de sou-
venirs est ici un des traits les plus frappants : nous avons eu l'occasion d'observer deux
jeunes malades qui avaient l'un et l'autre oublié leur mariage. Cet oubli était véritable-
ment fabuleux chez l'un d'eux qui, mis en présence de la photographie qui le représen-
tait le jour de son mariage en vêtement de noce avec sa propre épouse, n'en pouvait croi-
re ses yeux ! L'oubli allait de pair dans ces cas avec une indifférence affective très forte
et de forts complexes affectifs et sexuels. Dans les deux cas se posait la question de
divorce, le mariage paraissant avoir été célébré alors que les malades étaient incapables
43
ÉTUDE N°9
A) PARALYSIE GÉNÉRALE.
1. Dans un de ces cas il s'agissait d'une expertise pour l'autorité ecclésiastique qui a admis le
point de vue de l'expert concluant à la cessation de mariage.
2. J. C. FÖRSTER. J. appl. Psychol., 1920.
3. F. J. CURRAN et SCHILDER, J. genet. Psychol., 1937.
44
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
45
ÉTUDE N°9
46
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
47
ÉTUDE N°9
… un des plus gros cha- L'importance de cette question, la difficulté de distribuer les troubles post-trauma-
pitre de l'étude des amné- tiques dans les divers paragraphes puisqu'ils se trouvent liés à des troubles psychopa-
sies…
thiques très différents, nous font ranger ici sous cette rubrique un des plus gros cha-
pitres de l'étude des amnésies.
Nous renvoyons d'abord à d'anciens travaux comme l'article de BENON 1, la thèse
de MARTIMOR 2, l'article de MAIRET et PIERON 3, au rapport de P. ABELY 4, à la
fameuse « Gehirnpathologie » de KLEIST 5 – mais aussi aux travaux de REY 6 et de
CONKEY 7 et surtout à tous les travaux récents sur les psychonévroses de guerre que
nous avons cités plus haut 8 à propos des amnésies psychogènes et émotionnelles.
…Le traumatisme peut L'observation de phénomènes amnésiques à la suite de traumatismes est fort ancien-
selon le cas agir soit en
ne ou plus probablement de tous les temps... (SAUVAGE). Rappelons encore les deux
lésant le crâne, le cerveau
et ses enveloppes, – soit auto-observations de MONTAIGNE et de ROUSSEAU pour nous conformer à la tradition...
en produisant un choc Le traumatisme peut selon le cas agir soit en lésant le crâne, le cerveau et ses enve-
émotionnel… loppes, – soit en produisant un choc émotionnel. Tandis que pour SOLLIER l'émotion
48
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
était à peu près tout, la pathologie de guerre en 1914-1918 avait paru montrer à cer-
tains (PIERON-MAIRET) qu'il s'agissait avant tout de syndromes commotionnels.
Certes DUMAS et DELMAS 1, BROUSSEAU 2 et nombre de psychiatres austro-allemands 3 …Si le premier conflit
avaient bien vu le rôle de l'ébranlement émotionnel. Mais l'accent fut placé à ce mondial avait mis à jour
moment-là et dans les années qui suivirent sur les troubles cérébraux confusionnels. la commotion, le second
devait définitivement
Ceci naturellement a provoqué une réaction et l'étude des troubles de la mémoire s'est
mettre l'accent sur l'im-
orientée, depuis 15 ou 20 ans, vers une conception moins mécaniciste de l'amnésie portance de la réaction
traumatique dont on a souligné le caractère cliniquement hystérique 4. Il appartenait à affective…
la guerre 1939-45 de faire faire un grand pas dans ce sens. Si le premier conflit mon-
dial avait mis à jour la commotion, le second devait définitivement mettre l'accent sur
l'importance de la réaction affective.
Il y a lieu de décrire plusieurs formes de troubles de la mémoire post-traumatique : …Il y a lieu de décrire
a) L'AMNÉSIE BRÈVE DE FIXATION DU CHOC ÉMOTIONNEL entraîne un état sub- plusieurs formes de
troubles de la mémoire
comateux ou tout au moins, comme disait TROUSSEAU, d'« étonnement cérébral ». Ce
post-traumatique…
que l'on observe alors, c'est une amnésie de fixation soudaine et transitoire qui com-
mence après le traumatisme ou parfois est légèrement retardée (« delayed amnésie »
des Anglo-Saxons). Tantôt cette amnésie de fixation cesse avec l'état comateux. Tantôt
elle se prolonge comme partie du syndrome commotionnel.
b) L'AMNÉSIE DE FIXATION PERSISTANTE. Elle dure parfois pendant plusieurs
semaines, quelquefois pendant des mois. Parfois il s'agit de formes extrêmement
graves où le sujet ne fixe absolument aucun souvenir. Parfois ce défaut de fixation
contraste avec l'état satisfaisant de la mémoire d'évocation (PIERON).
c) L ES AMNÉSIES ANTÉRO - RÉTROGRADES RETARDÉES . En dehors de la période
de choc l'amnésie porte alors sur une période plus ou moins longue de ses antécé-
dents. Rappelons encore la célèbre observation de K OEMPFEN : un officier de
cavalerie est commotionné, il remonte à cheval, reste dans un état d'étourdissement
pendant une heure, continuant cependant sa leçon d'équitation. Il revient à lui, ne se
rappelle plus l'accident, ne fixe pas le souvenir nouveau et ne se rappelle plus pendant
trois jours qu'il avait une femme et des enfants.
Il peut exister après le traumatisme un temps de latence rempli soit par un simple
état d'« étonnement » ou d'obtusion, soit par une période confusionnelle souvent oni-
49
ÉTUDE N°9
rique. C'est seulement ensuite que s'installe l'amnésie. P. SCHRODER 5 a décrit, lors de
la guerre 1914-1918, une évolution qui lui paraît très fréquente : coma-confusion-
amnésie-régression de l'amnésie.
…Il a l'impression d'être d) L ES AMNÉSIES COMPLÈTES . Il s'agit de disparition complète des souve-
« né de nouveau »… nirs antérieurs. Le malade a perdu sa personnalité. Il a l'impression d'être « né de
nouveau ». On sait combien la littérature, le théâtre et la presse ont exploité le pit-
toresque parfois tragique de semblables observations. – PIERON fait remarquer que
ces amnésies ne sont pas à proprement parler rétrogrades et qu'elles n'observent
pas la loi de R IBOT ni dans l'ordre de l'épanouissement et de réapparition des
souvenirs dans le temps. Le retour en effet des souvenirs se fait quelquefois d'un seul
coup, d'autres fois à l'aide d'une longue rééducation et par émergence successive d'îlots
de souvenirs.
e) LES AMNÉSIES PARTIELLES. Celles-ci consistent en troubles mnésiques de type
neurologique (amnésies, apraxies, etc.) Mais elles peuvent être lacunaires, rétroactives
ou systématisées. Ces amnésies systématisées portent parfois sur des techniques
apprises (piano, sténographie), parfois sur des langues étrangères et même présenter
un caractère électif et « psychogène ».
f) LES DYSMNÉSIES SECONDAIRES sont des troubles de la mémoire que l'on observe
dans le syndrome subjectif des blessés du crâne.
g) L ES TROUBLES MNÉSIQUES DE L ' ÉPILEPSIE POST- TRAUMATIQUE .
../.. Zettsch. f. Neuro., 1933, 149) ont beaucoup utilisé et approfondi les études cliniques de P.
SCHRÖDER.
1. W. L. RUSSELL et O.W. NATHAN, Traumatic amnesia, Brain, 1946, 69, pp. 280 à 300. Ce travail contient,
d'ailleurs, les principales références bibliographiques des travaux anglo-saxons de 1941 à 1944.
50
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
1. Les lobotomies produisent-elles des troubles mnésiques importants ? TALLMAN (1936) n'a pas
trouvé de troubles de la mémoire des faits anciens après lobotomie frontale. RYLANDER (1939) a
constaté que la mémoire immédiate n'est pas atteinte — HALSTEADT (1940) a cependant noté un
déficit — RYLANDER utilisant un groupe de cinq tests (mémoire immédiate, mémoire d'un para-
graphe, rappel immédiat de couples de mots, rappel de couples de mots après trois heures,
apprentissage d'une liste de syllabes dépourvues de sens) a trouvé que par l'application des trois
premiers (plus saturés en facteur “ G ” qu'en facteur “ M ”) peu d'altérations. Par contre les deux
derniers indiquent qu'il existe “ une diminution de la plasticité du processus de mémoire ” d'après
PICHOT. RYLANDER souligne que dans les autres lobotomies (pariétales temporales ou occipitales)
on ne rencontre pas ce déficit mnésique.
51
ÉTUDE N°9
sous deux rubriques principales les deux éventualités où les troubles de la mémoire se
présentent en relations les plus étroites avec des actes médico-légaux.
1° II y a des actions criminelles et délictueuses accomplies à cause de l'amnésie.
Le trouble de la mémoire conditionne alors le caractère anormal du comportement,
tel le cas de ce paralytique général, qui était devenu bigame pour avoir oublié qu'il était
marié et cet autre qui oubliait de payer son taxi. Toute la question se pose alors de
savoir jusqu'à quel point l'amnésie alléguée est authentique ou simulée.
2° II y a des actes accomplis en état de trouble de la conscience qui entraînent
l'amnésie. C'est le cas de tous les troubles paroxystiques de la conscience (épilepsie,
hystérie, traumatisme). Mais tous ces actes automatiques constituent l'essentiel des
problèmes médico-légaux liés aux diverses affections dont ils dépendent. – Signalons
cependant ici la difficulté dont nous parlions plus haut, à savoir que certains actes
entraînent l'amnésie et n'abolissent pas entièrement la conscience (amnésie de fixation
dans des états seconds crépusculaires, semi-conscients), – inversement certains états
d'inconscience peuvent être remémorés (épilepsie mnésique de DUCOSTE.)
52
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Ce sont ici les paramnésies et les illusions de la mémoire qui interviennent pour
faire affirmer de fausses reconnaissances, des fabulations, des faux souvenirs. …Rappelons quelles
Le problème de la critique du témoignage est lié à celui de l'oubli, des déforma- controverses ont, ces
tions, les utilisations défectueuses des souvenirs dont les troubles paramnésiques sont temps derniers, pris pour
objet l'exploration phar-
des exemples des plus frappants.
macodynamique (amytal
Rappelons à ce sujet quelles controverses 2 ont ces temps derniers pris pour objet sodique, penthotal, etc.)
l'exploration pharmacodynamique (amytal sodique, penthotal, etc.) des délinquants. des délinquants…
53
ÉTUDE N°9
54
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
ou des gaz qui « retiennent » (VAN BANLIET). Mais c'est naturellement à l'« hysteresis » …c'est naturellement à
que la mémoire a été identifiée sur le plan physique par les psychophysiologistes qui l'« hysteresis » que la
ne voient dans la capacité mnésique qu'une propriété passive de reproduction. Il y a 40 mémoire a été identifiée
sur le plan physique par
ou 50 ans, certains auteurs (d'après PIERON) ont tenté des explications quelque peu
les psychophysiologistes…
hasardeuses du processus mnémonique conçu comme un fait physiologique. Par
exemple, en 1908 et 1914 EBBINGHAUS et SMITH ayant établi des courbes de vitesse
d'acquisition de souvenirs, les courbes en S de ROBERSTSON, ils rapprochèrent cette
constatation du fait qu'une diminution de la teneur en oxygène de l'air inspiré entraîne
comme phénomène précoce une incapacité de fixer des souvenirs nouveaux. –
SPECK a pensé à la même époque que l'acquisition mnémonique devait impliquer une
oxydation. On trouvera dans le livre de PIERON 1 l'exposé de cette étrange théorie.
Toujours au début du siècle, SCHUKAREN (1907) avait assimilé la fixation mnémo-
nique à une réaction mono-moléculaire simple conforme à la loi de GULDBERG et
WAAGE qui énonce que la vitesse de la réaction (fixation) est à chaque instant propor-
tionnelle à la « masse à transformer » (matériel à acquérir). Enfin OSTWALD a pensé
que l'influx nerveux nécessaire à la fixation d'un mouvement engendrerait la création
…Nul doute que des
d'une substance cataleptique accélératrice des réactions caractéristiques de l'acte mné- recherches plus récentes
sique. Cette substance déchaînerait l'acte à la moindre excitation qu'une influence ren- […] sur le potentiel élec-
drait donc latente et exigerait – comme les diastases – un complément : l'excitation. trique du cerveau, la phy-
siologie des synapses,
Nul doute que des recherches plus récentes utilisant les travaux d'ADRIAN, de
[…] la cybernétique ne
LORENTE de No, de MAC CULLOCH et PITTS, etc. sur le potentiel électrique du cerveau, puissent s'inscrire dans le
la physiologie des synapses, l'électro-encéphalographie, la chimie ou la physique du cadre de ces recherches
tissu nerveux et surtout (comme nous y faisions allusion au début de cette Étude) de qui risquent toutefois de
demeurer en deçà de leur
la Cybernétique ne puissent s'inscrire dans le cadre de ces recherches qui risquent tou-
objet...
tefois de demeurer en deçà de leur objet...
La mémoire a été considérée par ceux-là mêmes qui en donnaient ou en donnent une
définition très générale, comme une fonction très particulière et facile à isoler. On sait
que GALL avait été amené à sa conception de la « phrénologie » en remarquant, lorsqu'il
était enfant, que ses camarades les mieux doués au point de vue de mémoire avaient les
yeux exorbités comme s'ils avaient la partie antérieure du cerveau plus développée...
1. PIERON, L'Évolution de la Mémoire, pp. 37 à 44, et aussi l'article Mémoire qu'il a écrit pour les
deux Traités de Psychologie de G. DUMAS.
2. Deux récents travaux italiens, celui de Fabio VISINTINI (Fisiopatologia della Memoria, acta
Neurologica, Naples, 1948, pp. 707 à 733) et celui de CARDONA (Rivista di Patonevrosa e
mentale) 1948, 69, p. 308) contiennent une excellente mise au point de ces questions.
55
ÉTUDE N°9
…C'est, effectivement, au 1° C'est, effectivement, au lobe frontal et surtout à sa portion préfrontale que la plu-
lobe frontal et surtout à part des auteurs ont songé comme centre mnésique. Malgré les réserves de GOLTZ et de
sa portion préfrontale
MUNK 1, HITZIG 2 le premier tenta des expériences pour vérifier cette hypothèse. Depuis
que la plupart des
auteurs ont songé comme ces premières recherches, toutes celles qui ont suivi ont été faites selon le même modè-
centre mnésique… le ; elles consistent à opérer chez les animaux des « dressages », à faire fixer des « acqui-
sitions » et à réaliser ensuite l'amputation totale ou subtotale des lobes préfrontaux.
HITZIG avait opéré des chiens, BIANCHI 3 utilisa des chiens et des singes, SHEPHERD,
IVORY, FRANTZ 4 des chats et des singes dressés à ouvrir la caisse de Thorndike,
KALISCHER 6 (1911) des chiens, LESHLEY et FRANTZ (1917) des rats, etc. Tous ces auteurs
ont conclu que les acquisitions récentes disparaissent ainsi que la possibilité parfois d'en
acquérir de nouvelles. Naturellement l'école réflexologique a effectué des expériences
analogues dont on trouvera un exposé caractéristique dans le travail de CHOROHSKO 6.
Une des expériences les plus intéressantes est celle à laquelle a été soumise la chienne
de G. P. ZELIONY 7 : après ablation totale de l'écorce elle ne put plus former de nouveaux
réflexes conditionnels. – Par contre, le chien de ROTHMANN 8 dont les hémisphères
avaient été complètement enlevés conserva certains « processus psychiques » de fixa-
tion, de rétention et la possibilité de « se rappeler » des réactions acquises. De même le
chien de KALISCHER (1909), malgré la destruction de deux lobes temporaux et tubercules
quadrijumeaux postérieurs, conserva des réflexes conditionnels auditifs. Plus troublante
est encore l'expérience de LASHLEY qui parvint à reformer des habitudes motrices per-
dues depuis ablation de l'écorce frontale. Les conclusions de LASHLEY 9 et les travaux de
MAIER 10 et de RYLANDER 11 semblent indiquer que le facteur «localisation » en surface
joue peut-être moins que la proportion de tissu enlevé et de tissu intact.
1. G. GOLTZ, Der Hund ohne Grosshirn, Archiv. f. ges. Phytiol, 1898. — H. MUNK, Ueber
die Funktionen der Grosshirn, Berlin, 1890.
2. HITZIG, Untersuchungen über das Gehirn, 1904.
3. BIANCHI, La mécanique du cerveau, trad. française, 1921.
4. FRANTZ, On the fonctions of the cerebrum, Arch. of Psychol., 1907.
5. KALISCHER, Ergebnisse der Dressur, etc., Arch. f. A. Met. u. Physiologie, 1909.
6. CHOROHSKO, Zeitsch. f. d. g. Neuro und Psych., 1926.
7. G. P. ZELIONY, Observation sur des chiens, etc., Réunion biologique de St-Pétersbourg, 1913.
8. ROTHMANN, Zusammenfassender Ber. über Hund, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1923, 87.
9. K. S. LASHLEY, Plusieurs travaux notamment : in Psychology, 1920 ; Arch. of Neuro.and
Psych., 1924 ; J. Comp. Neur., 1926. Brain mechanisms and intelligence de 1929 et Arch.
of N. and Psych., 1937.
10. MAIER, The effect of cérébral destruction on reasoning and learning in J. Comp. Neuro.,
1932.
11. G. RYLANDER, Mental changes after excision of cérébral tissue. Monographie des Acta
Psych. et Neurologica, XXV, 1943.
56
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Enfin les chiots de BLAGOVETCHTCHENSKAYA 1 pas plus que l'homme de DANDY 2 …Il semble donc que […]
qui furent amputés d'un hémisphère entier droit, ne présentèrent aucun trouble de l'ap- le rôle des lobes frontaux
et préfrontaux […] dans
prentissage ou de l'acquisition mnémonique. Il semble donc que du point de vue expé-
l'acte mnésique ne soit
rimental le rôle des lobes frontaux et préfrontaux (et même peut-être de l'écorce) dans pas si expérimentalement
l'acte mnésique ne soit pas si expérimentalement démontré qu'on l'avait admis primiti- démontré qu'on l'avait
vement et que des phénomènes énergétiques de « masse » interviennent. admis primitivement…
Du point de vue neuropathologique les faits sont mieux établis. On est parti des
premières observations de ramollissements frontaux (ZACKER 3, MABILLE et PITRES 4)
avec troubles prédominants de la mémoire. Mais c'est surtout l'étude des tumeurs fron-
tales qui fit naître l'espoir de voir se vérifier l'importance du rôle des lobes frontaux
dans l'activité mnésique. Parmi les observations les plus citées ou les plus typiques il
convient de signaler celles de MULLER (1902), PFEIFFER (1910) MARCHAND et NOUET
(1912) BONNET (1917), BERGER (1925), MARCUS (1927) et l'observation XII de la thèse
de BARUK. Aussi HULTON et JACOBSEN (1935) concluent que « l'atteinte bilatérale des
aires d'association frontale détermine un trouble grave de la mémoire des faits
récents». Cependant SACHS (1927) a pu observer un syndrome d'amnésie de fixation
par atteinte d'un seul lobe préfrontal (15 à gauche, 10 à droite).
Il faut se rapporter à l'excellent travail de M. de MORSIER 5 dans lequel on trouve- …Il faut se rapporter à
ra des indications bibliographiques de tous ces cas. Il fournit des observations qui l'excellent travail de M.
de MORSIER…
paraissent démontrer que des tumeurs frontales bilatérales, des tumeurs du lobe fron-
tal gauche et des tumeurs du corps calleux dans ses portions postérieures (au niveau
de l'entrecroisement des longues voies d'association fronto-occipitales) provoquent
des troubles importants de la mémoire.
Naturellement les lésions traumatiques frontales de la guerre 1914-1918
(POPPELREUTER) ont fourni l'occasion d'observer des cas de syndromes frontaux avec
amnésie. Signalons ici simplement l'observation que nous croyons être une des plus
intéressantes chez nous, celle rapportée par BEAUSSART 6 d'un cas de transfixion trau-
matique des deux lobes frontaux. Il y a lieu cependant de noter que des travaux plus
récents 7 paraissent moins affirmatifs en ce qui concerne le rôle du lobe frontal comme
centre mnésique. Certains neurologues, FEUCHTWANGER 8, MONAKOW 9, CHATE-
57
ÉTUDE N°9
LIN1 , GOLDSTEIN 2 ont nié même catégoriquement que l'on puisse tirer de l'étude des
syndromes frontaux la conclusion que les troubles de la mémoire y seraient prévalents,
constants ou même importants. Il est assez remarquable par exemple que le livre récent
de J. de AJURIAGUERRA et HECAEN 3 sur le Cortex cérébral ne consacre que quelques
lignes à ce problème.
…l'expérience neuro- et Quant à l'expérience neuro- et psycho-chirurgicale elle ne paraît pas avoir été jus-
psycho-chirurgicale ne qu'ici très concluante dans le sens de la localisation frontale de la capacité mnésique. On
paraît pas avoir été jus- connaît le fameux malade de BRICKNER 4, cet agent de change dont les deux lobes fron-
qu'ici très concluante
taux furent enlevés en 1930 (alors qu'il avait 40 ans). Durant les quatre années qui sui-
dans le sens de la locali-
sation frontale de la virent on remarqua des modifications « quantitatives » de son activité psychique comme
capacité mnésique… s'il était minimé dans la plénitude de ses moyens mais la mémoire n'était pas « spéciale-
ment » altérée. Si RYLANDER admet, comme nous l'avons vu (p. 51), un certain déficit
mnésique après les lobotomies, il n'est pas encore possible d'affirmer que les troubles de
la mémoire soient très importants à la suite de la section bilatérale des lobes frontaux 5.
2° Le lobe occipital dont les lésions peuvent provoquer des phénomènes de déso-
rientation spatiale différents du syndrome de désorientation frontale de P. MARIE et de
ses élèves, a été naturellement étudié du point de vue de son importance pour la
mémoire. C'est ainsi que FÖRSTER, WERNICKE, DIDE, SMITH, GORDON HOLMES, BARUK
et HARMANN, etc., ont publié des observations intéressantes sur les troubles de la
mémoire et de l'orientation dans les lésions occipitales.
3° Tronc cérébral. Diencéphale et troubles de la mémoire. Comme nous l'avons fait
…des études plus souvent remarquer, à la conception ancienne des centres corticaux qui se réfère toujours
récentes tendent à substi-
et presque nécessairement aux notions de centres de projection et de centres d'images
tuer [aux centres de pro-
jection] le concept de fonctionnant d'une manière plus ou moins isolée, des études plus récentes tendent à sub-
« centres régulateurs ». A stituer le concept de « centres régulateurs ». A ces centres de régulation ne peuvent cor-
ces centres de régulation respondre que des systèmes fonctionnels beaucoup plus vastes, des aspects de la vie
ne peuvent correspondre
psychique qui témoignent d'une orientation globale des processus mentaux conçus sur
que des systèmes fonc-
tionnels beaucoup plus un modèle plus dynamique. C'est ainsi que K. KLEIST, par ses propres observations et
vastes… celles de GAMPER, a d'une part « localisé » les fonctions mnésiques au tronc cérébral à
58
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
1. Parmi les travaux allemands sur ce problème nous devons citer spécialement GAMPER :
Zeitsch.f. Nerv., 102, p. 154 (1926) et 104, p. 49 (1926) ; Deutsch. Zeitsch.f. Ner-venheil, 102, p.
122 (1928) ; Zentralblatt Neuro., 51, p. 236 (1929) ; KLEIST : Gehirnpathologit, 1934 ; BURGER-
PRINZ et KAILA : Zeitsch.f.N., 124, p. 553 (1930) ; KRAL et GAMPER: Monatschrift Psych., p.509
(1935) ; GAMPER et KRAL : Zeitsch.f. Neuro., 146, p. 567 (1933) ; RANDCHBURG : Les bases soma-
tiques de la Mémoire, Livre du Centenaire de RIBOT, 1939.
59
ÉTUDE N°9
60
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
la vie psychique. La fameuse distinction entre l'habitude motrice et le souvenir pur reste
fondamentale et, si elle ne peut certes pas être acceptée purement et simplement à cause
du dualisme qu'elle réintroduit et maintient entre la vie et l'esprit, elle marque la voie
qu'il convient de suivre pour restaurer dans toute sa dignité l'acte de mémoire et distin-
guer dans l'activité mnésique des niveaux. Il a bien fallu en effet se faire de la mémoi-
re et de ses troubles une idée différente de celle de la psychologie et de la psychiatrie
1. Il est assez remarquable que F. MOREL n'entrevoit par exemple de progrès capable de nous faire
sortir de la “ stagnation immémoriable ” où se trouve le problème de la Mémoire que dans la voie
où il s'est précisément enlisé (cf. Introduction à la Psychiatrie Neurologique, I vol., Paris,
Lausanne, 1947, pp. 205 à 229).
2. E. BLEULER, Notiongeschichte der Seele, 1921, Die Psychoïde, 1925, et surtout Mecanismus -
Vitalismus - Mnemismus, 1931.
3. HERING, DOS Gedächtniss als allgemeine Funktion der organischen Materie, 1870.
4. SEMON, Die Mnème, 1920, 4e et 5e édition.
5. Rudolf ROSSEN, Archives suisses de Neuro. et Psychiatrie, 1940-41, pp. 35 à 40.
6. RIGNANO, La mémoire biologique, 1923.
7. BERGSON : Les données immédiates de la conscience. - Matière et Mémoire. - L'Évolution créatrice.
61
ÉTUDE N°9
1. C'est le sens le plus profond, nous semble-t-il, du travail de E. ROENAU (Der Aufbau des
Gedächtnisses und das Problem der Erinnerungslücken, Zeitsch. f. Neuro., 160, 1937, p. 511.
2. Le livre de Fr. ELLENBERGER, (Le mystère de la mémoire, Genève, 1948) contient d'ex-
cellentes analyses, à ce point de vue.
62
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
63
ÉTUDE N°9
Pour nous qui sommes familiarisés avec cette mise en forme d'un problème toujours
le même et que nous retrouvons à propos de la perception et des hallucinations, du lan-
gage et de l'aphasie, de la volonté et des impulsions, etc., il nous suffira d'indiquer ici
…La « mémoire » est le sens de sa solution générale. La « mémoire » est d'abord et reste à la base, cette
d'abord et reste à la base,
« couche existentielle primitive » où le monde se lie au corps, s'incorpore, s'incarne dans
cette « couche existentiel-
le primitive » où le monde
l'assise fondamentale de la perception (MERLEAU-PONTY) et où ce que je suis et ce que
se lie au corps, s'incorpo- je vois se lie à ce que j'ai été et ai vu par un mouvement préréflexif et « automatique »
re, s'incarne dans l'assise qui soude mon présent à mon passé. Elle est répétition, c'est-à-dire qu'elle introduit dans
fondamentale de la per-
la durée une force d'inertie nécessaire et immanente à la matérialité même de corps ou,
ception (MERLEAU-
PONTY)…
mieux, qu'elle exprime cette matérialité. Mais la « mémoire » est aussi et surtout « pen-
sée » en tant que référence constante du présent au passé, référence qui s'inscrit dans
toutes les opérations de notre vie psychique. Celle-ci est, ne se développe, ne se
construit que dans l'élargissement, mais en restant sous leur dépendance, des formes
kantiennes de l'espace et du temps : de sorte que toute conscience de ce que je suis ou
désire être ou de ma position à l'égard du monde et d'autrui ou de ce que je prévois ou
juge est toujours aussi et encore « acte de mémoire ».
Ces actes de mémoire sont essentiellement sélectifs, c'est-à-dire qu'ils introduisent
…la « mémoration » ne
peut se concevoir que […]
dans la structure même de notre conscience – dans le foyer de son intentionnalité –
comme un mouvement qui ce qui correspond à cette intentionnalité, son sens. Autrement dit se rappeler c'est
à chaque instant introduit pouvoir évoquer le passé à la mesure et dans le sens du présent. De telle sorte que la
mon inconscient dans mon
« mémoration » ne peut se concevoir que comme l'expression de la structure hiérar-
vécu actuel et projette ma
vie passée dans l'instanta-
chisée de notre vie psychique tout entière, c'est-à-dire comme un mouvement qui à
néité du monde que je vis chaque instant introduit mon inconscient dans mon vécu actuel et projette ma vie pas-
et que je construis… sée dans l'instantanéité du monde que je vis et que je construis.
Ainsi l'oubli (non pas simple envers mais forme même de la mémoire) fait partie
de la vie psychique normale. Et cette capacité d'oubli est variable, chez chacun de
nous, en fonction soit d'opérations psychiques qui engagent la personnalité tout entiè-
re, soit à un niveau inférieur de dons constitutionnels qui tout en conditionnant cette
personnalité ne la constituent pas.
64
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
65
ÉTUDE N°9
de passé dans le présent, qui représentent des réactions compensatrices du déficit mné-
sique. A cet égard, rappelons-le, la structure de certains états amnésiques a pu être jus-
tement comparée à celle de l'hypnose (FORTANIER et KANDOU) 1.
*
* *
Ainsi ce bref exposé est-il conforme aux principes qui guident généralement nos
études. Nous avons montré que la « mémoire » était constituée par une série de fonc-
tions hiérarchiques. Nous avons montré que le déficit amnésique n'est qu'un aspect
négatif auquel correspond (sous forme de paramnésies, de fabulation, de fausses
reconnaissances, d'onirisme, de délires et d'hallucinations) un aspect positif. Nous
avons également retrouvé à propos des troubles de la mémoire notre distinction capi-
tale entre dissolutions uniformes de type psychiatrique (les divers troubles de la
mémoire : confusionnel, démentiel, etc..) et des dissolutions partielles de type neuro-
logique (les troubles des fonctions mnésiques automatiques : apraxies, aphasies, agno-
sie). Enfin, comme pour tous ces aspects séméiologiques isolés par la psychiatrie clas-
sique, fille de la psychologie atomistique, nous avons pu nous convaincre que sous un
même mot se cachait une pluralité de troubles de niveaux et de structures diverses. Il
…les « troubles de la faut bien voir en effet ce que la clinique nous montre, savoir que le trouble de la
mémoire » peuvent être mémoire n'est qu'une conséquence d'un trouble plus général qui, à des niveaux divers,
considérés plus générale- perturbe l'ordre et l'usage des souvenirs. De telle sorte que sous le couvert de « troubles
ment comme la substance
de la mémoire » ce sont ses causes (la démence, la confusion, l'état crépusculaire, épi-
phénoménologique de
tous les symptômes des leptique, la transe hystérique, la dissociation schizophrénique, etc..) ou ses consé-
névroses et des psychoses quences (la fabulation, les fausses reconnaissances, etc..) ou encore ses manifesta-
pour autant que celles-ci tions (fugues, réactions impulsives, etc..) que nous serions contraint d'étudier si
sont des effets plus ou
nous ne nous arrachions une fois pour toutes à l'étreinte de cette erreur qui fait prendre
moins directs de la « dis-
solution de la conscien- la Mémoire pour une « faculté » et qui nous ferait oublier que la mémoire est une
ce », c'est-à-dire de l'alté- dimension de tout acte de conscience normale ou pathologique. De sorte que les
ration des liens qui unis- « troubles de la mémoire » peuvent être considérés plus généralement comme la sub-
sent dans le temps la
stance phénoménologique de tous les symptômes des névroses et des psychoses pour
forme d'existence actuel-
lement vécue à l'existence autant que celles-ci sont des effets plus ou moins directs de la « dissolution de la
enfouie et à l'existence conscience », c'est-à-dire de l'altération des liens qui unissent dans le temps la forme
possible… d'existence actuellement vécue à l'existence enfouie et à l'existence possible.
66
LES TROUBLES DE LA MÉMOIRE
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE 1
1. Il existe un si grand nombre de travaux sur les troubles de la mémoire que nous ne pouvons ici
avoir la prétention de les citer tous, même parmi les plus importants. On trouvera dans chacun de
ceux que nous mentionnons une riche bibliographie.
67
ÉTUDE N°9
68
Étude n°10 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
12. Exibitionnisme.
CATATONIE
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
§ I. – HISTORIQUE 1
Déjà Félix PLATER avait tenté d'isoler une « stupor remanente motu » parmi les
états stuporeux 2. Vers la même époque sous le nom de « melancolia attonita »,
BELLINI avait observé les mêmes faits. Jusqu'à la fin du siècle dernier [NdÉ: XIX°] le …le groupe des états
groupe des états catatoniques se dégagea mal des formes de lypémanie et de mélan- catatoniques fut mal
dégagé [avant la fin du
colie avec inhibition motrice. Certains de ses aspects furent étudiés sous le nom de
XIX°] des formes de lypé-
catalepsie par BOURDIN 3, PUEL 4, Jules FALRET 5, CHAUME 6. On trouvera dans l'article manie et de mélancolie
que A. LINAS 7 lui a consacré dans le vieux « Dictionnaire Dechambre » une excel- avec inhibition motrice…
lente mise au point des travaux de cette époque et des siècles précédents sur la cata-
lepsie (mot qui aurait été, d'après lui, employé pour la première fois par ASCLÉPIADE
de Bithynie (100 ans av. J.C.) et qui « rappelle l'état de saisissement qui s'empare des
69
ÉTUDE N°10
malades et les frappe d'immobilité 1 ». Plus près de nous GUISLAIN 2 parait avoir décrit
des cas de catatonie sous le nom d'extase ou d'hyperplexie. Mais cette catatonie qui fut
d'abord considérée comme une forme assez banale de comportement morbide va à la
fin du XIXe siècle être érigée en « entité ».
…C'est KAHLBAUM qui, en 1° LA « KATATONIE » MALADIE. C'est KAHLBAUM qui, en 1874 3, essaya d'iso-
1874, essaya d'isoler une ler une maladie autonome définie par un complexe symptomatique moteur spécial qui
maladie autonome définie
devait, à ses yeux, constituer une forme symétrique à la paralysie générale (définie
par un complexe sympto-
matique moteur spécial… d'abord, on le sait, comme une « folie paralytique »).
…Il décrivit une affection Sous le nom de « Spannungsirresein » (folie de la tension musculaire), il décrivit
cyclique… une affection cyclique au cours de laquelle les « symptômes psychiques présentaient
successivement l'image de la mélancolie, de la « manie, » de la melancolia attoni-
ta, de la stupidité, de la confusion et enfin, comme phase terminale, de la démence.
« Une ou plusieurs de ces phases psychiques peuvent faire défaut, mais à côté d'elles
apparaissent des manifestations du système nerveux moteur présentant les caractères
généraux de la spasticité (Krampf ) ». La phase mélancolique lui paraissait rarement
…phase mélancolique…
observée par le psychiatre pour qui elle passe souvent inaperçue. La phase de manie
…agitation pathétique… qui lui succède est caractérisée par l'agitation pathétique. On note également le bavar-
dage incoercible, la répétition des mots, la verbigération (signe pathognomonique). La
…verbigération…
phase « d'Attonität » est caractérisée par le mutisme, la suspension de la pensée, la
…mutisme et négativisme… stagnation idéique, le négativisme, les bizarreries, les attitudes figées et par un syn-
drome moteur caractéristique : flexibilité cireuse, mouvements choréiformes, épilep-
…flexibilité cireuse… sie, trismus, crises de fureur. Cette affection frappe les individus de tempérament san-
guin, placides et renfermés. KAHLBAUM notait, comme GUISLAIN, sa fréquence chez les
…troubles somatiques…
théologiens, les instituteurs, les commerçants et les juristes... Elle s'accompagne de
troubles somatiques importants (œdèmes, anémie, desquamations, céphalées occipi-
tales). Ces troubles somatiques sont des symptômes essentiels à ses yeux (wesentliche
Symptomen). Il décrivit enfin plusieurs formes : la Katatonia mitis réduite au syndro-
me « Attonität », la Katatonia gravis à évolution longue, la Katatonia protracta à
forme rémittente et intermittente. Telle est, réduite à son squelettique schéma, la
magistrale description de la « Katatonia » de KAHLBAUM.
Elle a été et reste encore assez mal connue en France malgré l'exposé de SÉGLAS
et CHASLIN et pourtant c'est elle qui est à l'origine et au centre de tous les aspects cli-
niques et des théories pathogéniques de la catatonie. Peu d'auteurs ont suivi, dans
70
LA CATATONIE
son pays, KAHLBAUM dans sa façon d'envisager la « Katatonie » comme une affec-
tion autonome. Citons cependant parmi ceux-ci HECKER 1, BROSIUS 2 (qui rapprocha
la catatonie de la « mélancolie stuporeuse » des auteurs français), NEISSER 3,
TSCHISCH 4 (qui faisait jouer un rôle à l'abstinence sexuelle). Dans les pays anglo-
saxons KIERNAN 5 et HAMMOND 6 ont accepté à l'époque les idées de KAHLBAUM.
Par contre, WESTPHAL 7 ne pouvait se résigner à considérer l'affection décrite par
KAHLBAUM comme une « espèce morbide ». De même, FINK 8, SANDER 9, MENDEL 10,
TIGGES 11, SERBSKI 12 rejetèrent cette entité. Chez nous, dès 1888, SEGLAS et CHASLIN …Chez nous, SÉGLAS et
(1888) conclurent de leur étude critique serrée que la tentative de KAHLBAUM ne CHASLIN, dès 1888: «il s'agit
plutôt d'un syndrome que
leur paraissait pas justifiée. « II s'agit plutôt d'un syndrome que d'une maladie véri-
d'une maladie véritable »…
table », écrivaient-ils en conclusion de leur étude.
71
ÉTUDE N°10
…pour BLEULER, la cata- La conception de BLEULER (1911) n'a pas changé fondamentalement cette manière
tonie est un syndrome qui de voir, et pour lui comme pour toute la psychiatrie moderne, la catatonie est un syn-
est essentiellement l'ex-
drome qui est essentiellement l'expression clinique de la désagrégation schizophrénique.
pression clinique de la
désagrégation schizo- Cependant tous les auteurs (ou presque tous) qui ont pris la catatonie pour objet
phrénique… particulier d'études (CLAUDE, BOSTROEM, DIVRY, BARUK, GUIRAUD, etc..) admettent
…Cependant tous les que la catatonie peut se rencontrer dans d'autres affections psychotiques ou cérébrales.
auteurs admettent que la
C'est le sens par exemple de la thèse de GARANT 1. Pour CLAUDE 2 c'était au groupe des
catatonie peut se rencon-
trer dans d'autres affec- schizoses que s'intégrait la catatonie, au même titre que les troubles hystériques.
tions psychotiques ou 3° LA CATATONIE CONSIDÉRÉE COMME UN SYNDROME MOTEUR NEUROLOGIQUE :
cérébrales… En France, déjà observée par plusieurs auteurs et principalement par FALRET
…En France, la tendance
(1857), la catatonie n'a guère été considérée, nous venons de le voir, comme une mala-
a prévalu de considérer la
catatonie comme un syn- die ainsi que KAHLBAUM la concevait, tel est le sens général des travaux de SEGLAS et
drome purement moteur CHASLIN (1888), de SEGLAS 3 (1902) et de SÉRIEUX 4. La tendance a, dès lors, prévalu
[…] sans valeur diagnos- de considérer la catatonie comme un syndrome purement moteur non seulement diffé-
tique pour une affection
rent d'une maladie spéciale, mais même sans valeur diagnostique pour une affection
mentale déterminée…
mentale déterminée. – En Allemagne, WERNICKE 5 a voulu en faire une forme typique
de ses « psychoses combinées de la motilité ». Mais, selon lui, la « psychose akiné-
tique » – qui comprend les états cataleptiques, – n'englobe qu'une partie des faits qui
constituaient la catatonie de KAHLBAUM : ceux qui ont une évolution aiguë rapide.
Et il admettait qu'il existe, disait-il, « des syndromes catatoniques dans la plupart des
psychoses chroniques à évolution progressive ». Depuis lors, beaucoup d'auteurs
reprenant l'idée première de KAHLBAUM ont vu dans la catatonie un trouble moteur du
type neurologique. C'est ainsi que, chez nous, DIDE et GUIRAUD se sont faits les cham-
pions de cette conception et que BERNADOU 6, PADEANO 7 ont défendu des idées ana-
logues en rapprochant la catatonie du syndrome extrapyramidal, PFERSDORFF et son
élève Mlle ROUSSET 8 ont également tendance à faire de la catatonie un syndrome
moteur dont le trouble essentiel serait constitué à côté des phénomènes d'akinésies et
de parakinésies décrits par KLEIST, par des « para-fonctions motrices » telles, par
exemple, que le maniérisme caractérisé selon PFERSDORFF par une « contamination de
la formule motrice par des impulsions motrices élémentaires, sans sens... » 9
72
LA CATATONIE
Au terme de cette évolution historique, la notion de catatonie se replace par un …Au terme de cette évo-
singulier retour en arrière dans une conception où la catatonie est réduite à un de ces lution historique, la
conception de la catato-
aspects moteurs les plus typiques mais aussi les plus rares : la catalepsie. Non
nie est réduite à un de ces
point la grande « catalepsie » névrotique des siècles précédents, mais la catalepsie aspects moteurs les plus
définie tout simplement comme conservation des attitudes. C'est ainsi que COURBON a typiques mais aussi les
opposé la catatonie, ainsi caractérisée par la catalepsie, au « catatonisme » qui repré- plus rares : la « catalep-
sie » (conservation des
senterait l'ensemble primitif désigné par KAHLBAUM SOUS le nom de catatonie l .
attitudes)…
On comprend à quels débats ne pouvait manquer de donner lieu cette conception
« extrémiste » de la catatonie ramenée à n'être qu'un trouble moteur élémentaire, une
« parafonction » (PFERSDORFF). A-t-elle cette « catatonie » dès lors une existence
en tant que syndrome moteur hors des psychoses, hors du tout dont elle n'est qu'une
partie, « un élément inconstant d'ailleurs », dit DIVRY 1 ?
Beaucoup d'auteurs sont plus esclaves qu'ils ne le pensent eux-mêmes, dans leurs
interprétations pathogéniques, de cette manière de considérer la catatonie comme un
…Il nous suffit de noter
simple trouble moteur. Aussi ROGUES de FURSAC a-t-il eu raison de protester dans
ici le chemin parcouru
une excellente note de son Manuel 2 contre cette conception un peu trop simplis- depuis 80 ans entre l'idée
te de la catatonie qu'aucun « classique » n'a d'ailleurs adoptée intégralement. d'une maladie jusqu'à
Il nous suffit de noter ici le chemin parcouru depuis 80 ans entre l'idée d'une mala- celle d'un symptôme —
entre l'idée d'affection
die et celle d'un symptôme (du point de vue nosographique) – entre l'idée d'affection
globale jusqu'à celle d'un
globale et de trouble partiel de la motilité (du point de vue pathogénique) pour saisir trouble partiel de la moti-
le sens profond de toutes les controverses et discussions des innombrables psychiatres lité…pour saisir le sens
qui se sont penchés depuis KAHLBAUM sur cet aspect séméiologique, un des plus mys- profond des controverses
inombrables …
térieux qui s'offre à l'observation du clinicien.
1. Rapport de D IVRY sur la catatonie (Congrès des Aliénistes d'Anvers, 1928, p. 81) au
cours duquel COURBON proposa sa distinction entre « catatonie » et « catatonisme ».
2. p.329 de sa 6ème édition.
73
ÉTUDE N°10
cription complète, qui exigera que nous nous inspirions de leurs travaux mais aussi
de notre propre expérience clinique.
Nous allons, dans cet inventaire qui vise surtout les formes « hébéphréno-catato-
niques », aller du complexe au simple, c'est-à-dire que nous décrirons d'abord les
troubles du « comportement » et ensuite les troubles « moteurs proprements dits ».
(Nous étudierons ensuite le syndrome somatique et le syndrome psychique de la
catatonie.)
Il paraît nécessaire, en effet, de distinguer les troubles du comportement des
…la catatonie oscille troubles moteurs proprement dits, car la catatonie oscille continuellement (comme
continuellement entre l'historique du problème nous l'a déjà montré) entre ces deux pôles : troubles des
deux pôles qu'il y a lieu
actes, des conduites d'une part – et troubles des mouvements d'autre part. Selon les
de distinguer : troubles
des actes, des conduites , auteurs et les conceptions pathogéniques, c'est dans l'un ou l'autre groupe que sont
du comportement d'une placés tous les symptômes. C'est pourquoi, sans prendre position pour le moment à
part – et troubles des cet égard, et conscient de cet artifice, nous les décrirons selon ces deux plans, l'un
mouvements d'autre
étant celui des troubles manifestement globaux de la catatonie, l'autre étant celui
part…
des symptômes moteurs paraissant plus simples et plus isolables.
1° Troubles du comportement :
KLEIST dans un récent travail 1 a distingué jusqu'à 8 formes de catatonie selon tel
ou tel trait de comportement dominant : forme akinétique avec raideur – forme para-
kinétique avec bouffonneries – forme avec maniérisme stéréotypé – forme itérative
avec répétitions stéréotypées plus ou moins rythmiques – forme négativiste – forme
prosectique (prosektische Katatonie) au sens de LEONHARD avec excitation et actions
« court-circuitées » à point de départ sensoriel – forme avec incohérence verbale avec
troubles rappelant le syndrome frontal de PICK, – enfin une forme d'incohérence ver-
bale avec réponses à côté. Nous ne pousserons pas notre analyse clinique si loin de
crainte de tomber dans un artificialisme excessif ; nous nous contenterons de dégager
les principaux traits du comportement catatonique.
…le négativisme… a) C'est en premier lieu le NÉGATIVISME, c'est-à-dire une attitude d'opposition acti-
ve, généralisée, paradoxale, en quoi se contracte et se raidit la conduite des
malades. Les anciens auteurs appelaient ces troubles la folie d'opposition. MOREL
parlait à son sujet de « nihilisme ». Le malade refuse en effet toute nourriture, la
main qu'on lui tend, de s'asseoir, de s'exprimer, d'obéir. Bloqué, opposé à l'examen, il
74
LA CATATONIE
est « en boule », et reste fermé, « roide » et hostile. Il se cache sous ses couvertures
qu'il tient serrées de ses mains crispées, tenaces, irréductibles. Il se refuse à l'interro-
gatoire, serre ses mâchoires, tient ses paupières énergiquement closes et son visage
plie sous l'effort. S'il gâte c'est par une sorte de capricieuse bravade ou de dédain
hostile des convenances. Le mutisme ou le refus d'aliments sont les expressions les
plus caractéristiques de cette attitude négativiste. Les Italiens (FIZZI, VEDRANI) avaient
décrit sous le nom « d'intoppo » 1 une forme légère « d'empêchement psychique »,
consistant en une sorte de barrage général, comme un frein capricieux et entêté qui
gêne la conduite sans la stopper complètement. On a pu aussi décrire (LAGRIFFE
anciennement 2, CLAUDE, LHERMITTE, BARUK 3 plus récemment) des formes de « néga-
tivisme partiel » : la main négativiste, le négativisme unilatéral, etc...
b) L'INERTIE PSYCHOMOTRICE : ce que les Allemands désignent sous le nom de …l'inertie psychomotrice…
« Befehlsnegativismus » fait le pont entre le négativisme et la suggestibilité qu'ils
appellent la « Befehlsautomatie ». De même que « Befehlsnegativismus » consiste à
faire le contraire de l'ordre commandé, ce qui caractérise la suggestibilité c'est le
déclenchement sinon automatique, tout au moins passif de mouvements, de gestes ou
d'attitudes sur ordre verbal ou à la suite d'une sollicitation quelconque. C'est le lieu de
noter ici l'ensemble des conduites imitatives qui groupent l'échomimie, l'échopraxie,
l'écholalie et dont LEROY et GENIL-PERRIN 4 ont, à propos d'un cas, publié, il y a long-
temps déjà, une intéressante étude. On peut joindre à cet ensemble de symptômes les
déclenchements automatiques de certains actes ou paroles par excitation extérocepti-
ve pour ainsi dire réflexe, telle la circuminspection décrite par DIVRY (le malade regar-
de tout ce qui sollicite son regard) ou la dénomination d'objets (LEUPOLD). De tels
traits de comportement témoignent tous d'un certain degré d'automatisme et de passi-
vité. Il faut ajouter à ces troubles tous ceux qui procèdent de la persévération, de la
monotonie, de la répétition, de la fixation des attitudes psychomotrices. Quand tous ces …Quand tous ces
troubles de comportement atteignent leur plus haut degré, se trouve alors réalisé l'état troubles de comportement
atteignent leur plus haut
de stupeur catatonique caractérisé par la fixité, la lenteur, la permanence du geste et
degré, se trouve alors
du maintien, par la conduite figée, l'akinésie, le silence, l'inertie, l'inactivité, la clino- réalisé l'état de « stupeur
philie, l'absence d'initiative motrice, le maintien indéfini des postures et des gestes catatonique »…
(signe de l'oreiller psychique). Les malades conservent des attitudes bizarres, incom-
modes ou grotesques pendant une durée interminable. Leurs mouvements sont comme
suspendus, monotones, frappés d'une inertie qui ralentit la vivacité et alourdit la légè-
reté des mélodies kinétiques habituelles. Comme voués à une machinale répétition,
75
ÉTUDE N°10
les catatoniques restent indéfiniment debout, couchés en chien de fusil, pliés dans
l'attitude fœtale, ou encore sidérés comme des statues égyptiennes. A cette inertie doi-
…les attitudes stéréoty- vent se rattacher la plupart des attitudes stéréotypées, expressions d'une même dif-
pées… ficulté à s'affranchir de l'emprise des mêmes gestes, des mêmes mouvements, des
mêmes positions, etc... Cependant les « stéréotypies » étant le plus souvent envisagées
comme un phénomène « moteur » nous les étudierons plus loin. Au degré maximum
de cette stupeur catatonique, les malades paraissent être en état d'hypnose ou d'extase.
Ils sont immobiles, le regard figé et lointain, raides, sans voix, sans mouvements,
murés dans le silence et l'immobilité ; comme morts et recroquevillés sur eux-mêmes,
sans attention apparente pour le monde extérieur ou leurs besoins naturels, ne répon-
dant pas aux sollicitations les plus pressantes de leur entourage, ils sont littéralement
« momifiés », plongés dans une profonde et énigmatique léthargie.
76
LA CATATONIE
(basée sur l'étude de la motilité infantile) qui interprète le maniérisme comme l'effet
d'un engrenage imparfait des fonctions pyramidales et extrapyramidales. Un autre
groupe de « maniérés » répondrait au désir de se faire remarquer. Enfin, il existerait, à
son avis, un maniérisme dû à un contrôle défectueux des habitudes motrices. Le
maniérisme ne ressortit donc pas à un mécanisme univoque, selon cet auteur, mais
de la combinaison de deux ou parfois trois de ces facteurs...
Récemment E. MINKOWSKI 4 en admettant cette variété de phénomènes les réduit
dans leur essence au ton fondamental de l'affectation. Car, dit-il, de même que sur le
plan de l'émotivité il y a des variations anormales, sur le plan de l'affectivité, l'af-
fectation constitue une valeur « para », qui sature tout le comportement maniéré.
d) LES DÉCHARGES PSYCHO-MOTRICES. Des actes automatiques, brusques, se déten- …Des actes automa-
dent en mouvements, gestes ou actes soudains, (sauts, violences, jet et bris d'objets tiques, brusques, se
détendent en mouve-
etc.) Le plus souvent, il s'agit d'impulsions froides, empreintes d'une sorte de rage inté-
ments, gestes ou actes
rieure mal contenue. D'autres fois elles se déroulent plus lentement, surchargées de soudains… Le plus sou-
persévération, de répétition, d'une sorte de maniérisme compliqué et ironique, satu- vent, il s'agit d'impulsions
ré de mystère. Il y a lieu de distinguer plusieurs modalités de cette impulsivité : froides…
1° Actes saugrenus et isolés. Sur un fond d'apathie et d'indifférence se détachent
fulgurantes des actions à composante fortement auto- ou hétéro-agressive. Il s'agit par-
fois de ces gestes meurtriers et dramatiques qui montent brusquement des profondeurs
à la surface de la conscience à peine troublée ou inquiète. Mais le plus souvent ce sont
ou bien des violences contre les personnes, les objets, ou bien des cocasseries plus
ou moins « abradacabrantes » (monter sur la table, mouvements de gymnastique ;
boire ses urines, se barbouiller, casser des assiettes, etc...)
Les éclats de rire qui ont par leur résonance dramatique conquis droit de cité dans …Les éclats de rire…
les descriptions traditionnelles de la « folie » constituent la forme la plus brutale et la
plus déconcertante de ce comportement catatonique. Il s'agit de la soudaine convulsion
77
ÉTUDE N°10
d'un rire qui déploie ses cascades étranges dans l'éclat mécanique et sans gaîté d'une
crise de folie mimique. II cesse brusquement comme il a jailli, contrastant avec le fond
monotone ou sinistre dont il se détache dans une soudaine impulsion de violente, froi-
de et déconcertante facétie. Comme mû par un ressort intérieur, il explose sans accord
avec la situation ou sans concordance avec Autrui.
…déchaînement de 2° Crises d'agitation impulsive : les malades sont alors en proie à un véritable
fureur… déchaînement de fureur : ils vocifèrent, hurlent, déploient des efforts inimaginables de
persévérance et d'endurance pour sauter des milliers de fois sur leur lit, tourner autour de
leur chaise, simuler des travaux de trapèze, un combat de boxe, une machine à vapeur,
etc... Il s'agit d'une agitation stérile, trépidante, forcenée sans cesse renouvelée et parfois
inépuisable. La dépense motrice est essentiellement clastique et les catatoniques en proie
à cette frénésie détruisent literie, meubles, objets, déchirent leurs vêtements, émiettent
leur linge ou leurs draps, etc..
…la verbigération… 3° L'impulsivité verbale : la « Verbigération », rappelons-le, était donnée par
KAHLBAUM comme un trait caractéristique de la catatonie. Les malades, en effet, tan-
tôt profèrent des litanies, stéréotypées et monotones, tantôt hurlent leur « salade de
…cris, hurlements, jeux
mots ». Ils énumèrent vertigineusement des objets ou dévident un flux verbal incohé-
syllabiques, rythmes syn-
copés, airs à la mode, rent où se mêlent aux cris, aux hurlements, aux menaces et aux injures, les mots les
vociférations ou marches plus orduriers, les obscénités les plus triviales et souvent les expressions d'un argot et
militaires, lourdes et d'un répertoire pornographique qui surprennent l'entourage. Jeux syllabiques, rythmes
monotones ritournelles…
syncopés, airs à la mode, vociférations ou marches militaires, lourdes et monotones
…toutes ces formes ritournelles, mélopées exotiques, toutes ces formes stéréotypées de l'expression verba-
stéréotypées de l'expres- le enferment la fureur motrice dans le cycle d'un mouvement qui revient incessamment
sion verbale enferment la sur lui-même. Leur rythme vertigineux ou cadencé marquent ces propos souvent extra-
fureur motrice dans le
ordinairement rapides d'un « tempo » saccadé ou précipité qui ajoute à la vitesse du
cycle d'un mouvement qui
revient incessamment sur débit un ton de bizarrerie cocasse.
lui-même… De cette activité impulsive, KLEIST 1 a fourni une analyse à vrai dire assez abstrai-
te. Il distingue :
Les états parakinétiques d'un niveau très inférieur et dont nous parlerons plus
loin à propos des troubles de mouvement.
Les états d'excitation constitués par des mouvements et des productions verbales
du type « réactions à des sensations corporelles » (par exemple, un malade se passe la
main sur le ventre, l'introduit dans sa bouche, se prend le cou, se masturbe). Il définit
1. KLEIST, Allg. Zeitsch. f. Psych., 1919 et Nervenarzt, 1943. Cf. aussi ses études avec ses élèves
DRIEST, SCHWOB dans la Zeitsch. f. d. g. Neuro. und Psych., 1937, 157— 1938, 163 — 1939, 168,
et le travail de LEONHARD {Die Defektschizophrenien Krankheitsbilder, Leipzig, 1936) qu'il a ins-
piré. — Le travail de H. DE BARAHONA FERNANDES : Analyse clinique du syndrome hyperkiné-
tique, (en portugais), Lisbonne, 1938, est très riche en indications intéressantes sur tous ces tra-
vaux. Nous en reparlerons longuement dans notre Étude n° 11.
78
LA CATATONIE
par leur forme en « courts-circuits » entre des sensations organiques et la motricité, ces
« réactions autonomes de l'appareil réflexe somato-psychique ». Il classe ces cas dans
ce qu'il a appelé avec LEONHARD la forme « prosectique » de la catatonie (prosektische
Katatonie).
Les actes moteurs d'expression affective, tels une succession d'attitudes, d'agres-
sion, d'exercices, d'escrime, de mouvements de boxe etc. Parmi ces mouvements
expressifs, KLEIST distingue des excitations négativistes, des excitations abouliques
sans but (« ratlos ») et enfin des hyperkinésies exprimant l'extase, l'enthousiasme, l'an-
goisse, etc…, c'est-à-dire de mouvements chargés de finalité affective et émotionnel-
le. Ces mouvements se répètent souvent de façon rythmique et surchargent leur valeur
affective par des mouvements supplétifs.
Les mouvements subordonnés à des excitations sensorielles ayant la valeur de
courts-circuits, automatiques comme ceux du deuxième groupe.
Les actes compliqués réalisent une formule kinéto-idéatoire complexe comme par
exemple, dit KLEIST, « des actes impulsifs de ce genre : un malade bondissant brus-
quement à intervalles irréguliers sur son lit... »
Nous rappelons cette « classification » de KLEIST et de son école à titre de simple
documentation, une telle description étant bien artificielle et sans grand intérêt.
2° Troubles moteurs :
Pour certains auteurs, répétons-le, tout le syndrome catatonique est un syn- …Pour certains auteurs,
drome purement moteur ou, comme on a dit, « amyostatique », c'est-à-dire qu'il se tout le syndrome catato-
nique est un syndrome
réduit, à leurs yeux, à un trouble des fonctions kinétiques et kinétostatiques élémen-
purement moteur…
taires. C'est ainsi par exemple que se référant encore aux anciennes études de
WERNICKE sur les Psychoses de la motilité et aux premiers travaux de KLEIST 1, Mlle
ROUSSET (1936) a décrit 2 l'ensemble des symptômes de la catatonie comme « pure-
ment moteurs » alors que pour beaucoup d'auteurs ils constituent de véritables troubles
du comportement. Quoi qu'il en soit, les symptômes que nous allons maintenant décri-
re se présentent comme des manifestations psychomotrices relativement simples sans
toutefois que l'on puisse peut-être les interpréter, au point de vue pathogénique, d'une
manière aussi simpliste que se l'imaginent certains. Pour l'instant nous nous contente-
rons d'en dresser un inventaire aussi complet que possible.
1. KLEIST, Die Klinische Stellung der Motilitätpsychosen, Zeitsch.f. d.g. Neuro, 1911.
2. Mlle ROUSSET, Strasbourg, 1935.
79
ÉTUDE N°10
prises dès qu'elles sont indiquées (prise de posture active). La main du malade étreint
la main tendue (main catatonique). Les segments de membre restent dans l'attitude soit
adoptée spontanément, soit imposée (signe dit de MEIGE : le bras reste dans la position
qu'on lui imprime), soit même réflexe (persistance de l'extension de la jambe après
percussion du tendon rotulien ou signe de MAILLARD). La conservation des attitudes
peut être très longue. D'après les anciennes observations de ERMES 1 tandis que l'ex-
tension de la jambe ou de la cuisse est maintenue seulement 38 secondes sans fatigue
(sans oscillations) chez un sujet normal, la posture peut demeurer intacte 3 minutes
chez les catatoniques étudiés à l'aide d'un appareil spécial. La flexibilité cireuse est
cette impression de cire molle que donnent les segments de membre du malade
lorsqu'on leur imprime des mouvements passifs.
b) S TÉRÉOTYPIES :
…On distingue les stéréo- On distingue les stéréotypies de mouvements ou kinétiques, et les stéréotypies ver-
typies de mouvements ou bales 2. Les stéréotypies de mouvements constituent des troubles parakinétiques carac-
kinétiques, et les stéréoty-
térisés par l'itération. Ce sont des gestes ou des mouvements incessamment renouve-
pies verbales…
lés : moudre du café, se gratter, s'arracher les cheveux, se donner une claque sur le
genou, siffler, fléchir l'avant-bras sur le bras, etc... Seul le sommeil chez certains
malades les interrompt. Les stéréotypies d'attitudes solidaires de la persévération et
du maniérisme consistent, par exemple, à pencher la tête, à incliner le corps en
avant, à marcher sur la pointe des pieds, à garder certaines postures privilégiées (posi-
tion fœtale, statues égyptiennes, oreiller psychique, etc...) Parfois on rencontre des
postures extravagantes, inimaginables comme chez ce malade de COURBON et
FEUILLET 3 qui, renversant la formule de la « station debout », se tenait sur la tête.
Enfin les stéréotypies de langage consistent soit en palilalie (répétition de la même
phrase plusieurs fois de suite) ou verbigération (retour perpétuel du même ou des
mêmes mots). Elles peuvent affecter la forme fréquente de stéréotypies graphiques
(MARCHAND). L'analyse que GUIRAUD 4 a faite, à sa manière si minutieuse et péné-
trante, du syndrome stéréotypie ne distingue pas moins de douze variétés de phéno-
mènes qui entrent ou n'entrent pas légitimement, selon lui, dans le groupe : les symp-
1. ERMES, Ueber die Natur der bei Katatonie Muskelzustand, Thèse de Giessen (1903).
2. Cf. la thèse d'ABELY (X.) sur les « stéréotypies » (Thèse, Toulouse, 1910) qu'il divise en sté-
réotypies conscientes et automatiques. Cf. aussi le travail de KLEIST : « Ueber die Bedeutung und
Entstehung der Stereotypien », 1 vol., 1921, où l'auteur distingue des stéréotypies
délirantes et les stéréotypies reliquats. Son étude est très inspirée naturellement de la conception
de BLEULER (Traité d'Aschaffenbuch, 1911 pp. 153 à 157 notamment).
3. COURBON et FEUILLE, Ann. Médico-Psycho., 1938, I. Les photographies de leur malade (pp.
393-394 et 395) sont encore plus saisissantes que celles que l'on trouve dans l'article de LEVI
BIANCHINI , dans les Archivio di Neurologia, 1930, t. XI, p. 60.
4. GUIRAUD, Analyse du symptôme stéréotypie, Encéphale, 1936, II-, pp. 229 à 270.
80
LA CATATONIE
tômes de fixation invariable – les attitudes et mouvements déformés par troubles per-
sistants du tonus musculaire – troubles persistants de la mimique – réveil d'attitudes
réflexes archaïques – immobilisation de la main et de doigts par troubles végétatifs –
habitudes stables par déficit mental – itérations authentiques – intoxication par le mot
– actes continués inutilement – répétitions motrices par excitation du centre inférieur
– monotypies et répétition exprimant un état affectif permanent. Il groupe l'ensemble
de ces troubles en deux grandes classes : les fixations invariables ou retour d'actes
sous même forme et à intervalle de temps plus ou moins éloigné et les itérations
qui sont des recommencements d'actes en série. Ce travail très approfondi est très
représentatif de l'esprit analytique et clinique de son auteur qui tend à démembrer le
groupe des « stéréotypies » en une collection de symptômes isolés et précis.
c) TROUBLES DE LA MIMIQUE :
Nous avons parlé déjà des rires, des sourires « immotivés » du catatonique et rap-
pelé à leur sujet le livre ancien de DROMARD (1909). Parfois le malade éclate en pleurs
incoercibles ou bien ses muscles péri-bucaux peuvent se convulser pour constituer des
expressions mimiques paradoxales (Schnauzkrampf). Les tics, les contractions isolées …les expressions mimi-
ou fonctionnellement associées des muscles de la face confondent les expressions, les ques paradoxales…rires
et pleurs immotivés…
fragmentent ou les déforment. BOURGUIGNON, VIGNERON, D'HEUCQUEVILLE et Mlle
NEOUSKINE 1 ont étudié les mouvements de la queue du sourcil par exemple et ont
montré qu'il s'agit de synergies paradoxales dues à des troubles chronaxiques. Dans le
même ordre d'idées on se rapportera à l'étude comparative de la mimique du catato-
nique et du « Wilsonien » par BARUK et LEMONNIER 2.
R. MIGNOT 3 a très minutieusement décrit jadis dans un travail, encore plein d'in-
térêt pour nous, les troubles catatoniques du rythme, de l'intonation et de l'articulation
de la parole. Le timbre de la voix est souvent altéré et il s'ajoute parfois des bruits anor- … Le timbre de la voix est
maux et parasites à la phonation. MIGNOT concluait de son étude que, en dehors des souvent altéré et il s'ajou-
te parfois des bruits anor-
troubles psycholaliques, il existe des troubles phonétiques remarquables par leur
maux et parasites à la
caractère d'instabilité et de discordance avec l'état intellectuel des malades. Ce problè- phonation…
me renouvelé, comme nous le verrons, par la connaissance de la pathologie extrapy-
ramidale reste toujours d'actualité, (c'est ainsi que ces dernières années, FROMENTY 4
81
ÉTUDE N°10
*
* *
S Y N D R O M E S O M ATIQ UE DE LA CATATONIE
82
LA CATATONIE
83
ÉTUDE N°10
bien peu probable. Il existe des réactions anormales du plexus solaire et du sympa-
thique cervical (R. S. et R. O. C.) On observe généralement un certain déséqui-
libre et des réactions paradoxales sous l'influence des divers excitants pharmaco-
dynamiques (atropine, adrénaline, ésérine, morphine, cocaïne, vagotonine, etc...)
TINEL et BARUK ont signalé 1 comme caractéristiques la lenteur du pouls, l'hypotension
artérielle, l'amplitude considérable des battements artériels, une exagération du R. O.
C. et une diminution du R. S. Ils ont rapproché ce syndrome de l'état de sommeil. La
littérature scientifique sur cette question a été, il y a quelques années, immense et,
semble-t-il, sans grand intérêt (cf. parmi cent autres travaux, ceux de
SANTENOISE 2, TOMESCO et COSMULESCO 3, etc.).
2°. TROUBLES DU MÉTABOLISME :
…métabolisme de base Les variations de poids, les troubles respiratoires (LAGRIFFE), les troubles endocri-
ralenti… niens et vasomoteurs devaient naturellement inciter à rechercher les diverses modifi-
cations des échanges nutritifs. Le métabolisme basal s'est montré le plus souvent ralen-
ti 4. Nous devons à GULLOTTA des recherches intéressantes sur les variations de
l'équilibre électrolytique. Les valeurs de K et de Ca seraient diminuées, de même la
teneur en chlore dans le sérum. L'hypoglycémie serait assez constante (C. PETROFF).
En ce qui concerne l'acidose, les réserves alcalines, le p.H. urinaire, les résultats
sont très contradictoires et nous en dirons également un mot dans un autre chapitre de
cette étude.
3°. TROUBLES SOMATIQUES 5 :
…troubles vaso-moteurs Les troubles vasculaires sont au premier plan de la symptomatologie somatique. Il
périphériques…
s'agit de troubles vaso-moteurs périphériques : modifications de la tension artérielle
(LAPEYRE 1931), variations de la formule leucocytaire (C. PETROFF) et parfois d'alté-
rations du rythme cardiaque.
Ces troubles vasculaires pourraient même rendre compte, pour certains auteurs
(IONESCO), de la rigidité musculaire : d'où pense-t-il, le bon effet de l'acécholine sur
l'hypertonie catatonique...
JUNG et CARMICHAEL ont fait, il y a dix ans, une étude critique des travaux sur les
84
LA CATATONIE
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ÉTUDE N°10
est à peu près impossible d'échapper quand on expose une question aussi complexe
et que l'on doit faire état de si nombreux travaux.
*
* *
SYNDROME PSYCHOLOGIQUE
86
LA CATATONIE
parle tout à coup avec enjouement à une personne qui lui est sympathique. Nous
tenons d'Adrien BOREL l'observation d'un catatonique qui, après plusieurs années, sor-
tit de sa catatonie, un beau matin, alla visiter l'appartement de sa famille qui le gardait
avec elle, et avait déménagé quelques mois auparavant, manifesta sa satisfaction, puis
brusquement se recoucha et se « rendormit ». – P. JANET 1 a très pertinemment insisté
sur « le niveau élevé » des troubles catatoniques qui admettent un mécanisme psycho-
logique, des perturbations des sentiments régulateurs de l'action, incompatibles avec
une physiopathologie purement musculaire.
Une deuxième catégorie de faits est constituée par l'interrogatoire, la
« manœuvre » d'un catatonique. Des sollicitations intelligentes, un climat affectif …Des sollicitations intel-
propre à assurer un contact affectif exceptionnel permettent de pénétrer dans la pen- ligentes, un climat affectif
propre à assurer un
sée du catatonique, d'en « violer » l'accès 2. Cette « effraction » est rendue plus
contact affectif exception-
aisée, comme nous venons de le rappeler, par l'emploi d'agents pharmacodyna- nel permettent de péné-
miques (CLAUDE et ROBIN 3, WALTZ 4, Mlle DESCHAMPS 5, BERGER 6, LORENZ 7, trer dans la pensée du
BARUK, ELLENBERGER, etc..). L'éther, l'hyoscine, l'amytal sodique, la cocaïne, la catatonique…
…cette effraction est ren-
scopochlorarose ont été d'abord employés à cet effet. Ainsi, par exemple, un malade
due plus aisée par l'em-
de LORENZ ayant reçu une injection d'amytal sodique réclame un bon repas et un ploi d'agents pharmaco-
bain et demande des nouvelles d'un match de football qui était en train de se jouer... dynamiques (penthotal,
Tous les travaux plus récents entrepris dans ce sens soit par les Américains, soit chez amytal sodique, cocaïne,
méthédrine)…
nous à l'aide de penthotal, de l'amytal sodique ou de la méthédrine sont conduits dans
le même but : débloquer le mutisme et le négativisme – et obtenir des récits ou propos
qui renseignent sur la couche affective profonde. Deux éventualités paraissent devoir
être distinguées à cet égard et que les auteurs n'ont guère envisagées. Dans certains cas
(ou avec certaines drogues disent les auteurs ?), le tableau clinique s'accentue et se ren-
force. Dans d'autres cas les barrages se lèvent. Plus l'état mental se rapproche d'une
expérience délirante primaire, plus la subnarcose ou l'emploi de toutes les drogues qui
réalisent une « hypno-analyse chimique » renforcent la dissolution de la conscience et
aggravent le tableau clinique. Au contraire, plus le comportement catatonique est l'ef-
fet d'un barrage négativiste, plus efficace se révèle l'action des drogues. De telle sorte
que c'est dans les comportements catatoniques non encore démentiels ou hors des
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ÉTUDE N°10
« poussées évolutives » que l'on débloque plus facilement le psychisme par de tels
moyens. La méthédrine ayant été employée par John L. SIMON et Harry TENBE 1 pour
« débloquer » certains malades. DELAY, PICHOT et COLLET 2 ont utilisé le choc
amphétamimique et obtenu chez les catatoniques un renforcement de leurs troubles.
Nous pensons que cela dépend beaucoup plus de l'état des malades que des caractères
pharmacologiques de la drogue.
Enfin, et ceci constitue la source principale des bonnes observations que l'on peut
…le récit du catatonique faire, le récit du catatonique en rémission représente un document de grande impor-
en rémission représente tance psychologique. Certes, JASPERS a raison quand il indique que les auto-analyses
un document de grande
des malades sont elles-mêmes pleines de mystère et d'ambiguïté, mais on trouvera
importance psycholo-
gique… dans le récit de la malade de KRONFELD 3 ou dans l'observation que nous avons
publiée 4, des exemples typiques du « contenu psychologique de la catatonie »,
c'est-à-dire de leur vie psychique, sinon telle qu'elle est vécue dans ces états, tout
au moins telle qu'elle nous est livrée ou contée par les malades lorsqu'ils en sortent
comme d'un rêve.
Nous allons successivement étudier l'affectivité, le délire et la conscience catato-
nique pour autant que nous puissions avoir quelques lumières sur la mystérieuse énig-
me que posent à notre sagacité ces malades si bizarres et étranges.
a) AFFECTIVITÉ. Déjà KAHLBAUM avait souligné le ton mélancolique de la catato-
nie (Melancholia attonita). Cependant, pour KRAEPELIN, le ton affectif ne présentait
généralement pas de nuance marquée et si les malades lui paraissaient parfois
anxieux, il put se convaincre que l'anxiété n'était pas le mobile essentiel de leur
conduite. Il admettait toutefois, qu'au début de la maladie « se produisent parfois sous
l'effet des illusions chimériques, des explosions d'anxiété violente et de désespoir ».
Plus tard, notait l'illustre clinicien, « ces dispositions cèdent à d'autres : les larmes
et les plaintes font place à une irritabilité orgueilleuse ou à une joie enfantine cepen-
…[dans l'affectivité] le dant que le trait dominant demeure une indifférence apathique particulièrement visible
trait dominant demeure dans l'attitude des malades relativement à leurs proches et dans leurs états crépuscu-
une indifférence apa-
laires exempts de désirs et de volonté ». ELLENBERGER admet que l'humeur est géné-
thique…
ralement neutre. Et en effet, il semble que le plus souvent ces malades soient plongés
dans une béatitude de « nirvana », où s'anéantit tout désir et tout sentiment. A leur
immobilité paraît correspondre une « sorte de vide ouaté et serein ». Un malade de
FINZI et VEDRANI (cités par ELLENBERGER) parlait de son état comme d'un état
d'endormissement ou d'enchantement, expression qui revient fréquemment dans l'évo-
88
LA CATATONIE
cation de leurs souvenirs de l'état catatonique par les malades guéris ou en rémission.
BARUK a souligné l'importance du sentiment d'être « mort-vivant », sentiment qui …BARUK a souligné l'im-
paraît lié, dit-il, à la prise de conscience de l'impossibilité d'initiative, d'aboulie et de portance du sentiment
d'être « mort-vivant »…
passivité qu'est le psychisme de ces malades ». Cet état de sidération, de neutralité,
d'apathie vaguement euphorique, constitue l'atmosphère probablement la plus fré-
quente de la vie psychique catatonique repliée sur elle-même dans la douceur silen-
cieuse d'un détachement total.
Un malade catatonique vivait depuis plusieurs années isolé dans une chambre selon
son propre désir. Il était toujours souriant et cérémonieux et ne cessait de se frotter les
mains « d'un air de réussite, d'entreprise et de partie fine » (comme aurait dit Marcel
PROUST). Il était entièrement détaché des événements dont il suivait pourtant, pendant
la guerre, le déroulement, pour lui lointain et à peine intéressant. Interrogé sur ses occu-
pations ou son absence d'occupation il déclarait que le temps lui paraissait trop court
entre son sommeil et ses repas et qu'il n'avait guère le loisir de s'ennuyer... Interrogé sur
le sort de la guerre, en 1942, il répondait par exemple : « Ah ! vous voulez parler de
l'affaire Hitler? Mais tout ça est fini et réglé, ça n'a plus d'importance »...
Il existe deux ordres de troubles affectifs très fréquents également et qui alter-
nent ou contrastent avec cette indifférence, ce sont : le négativisme et l'anxiété. La
catatonie, comme nous l'avons souligné dès le début de notre description, se
…le farouche désir de se
confond avec le farouche désir de se raidir dans l'opposition : le malade se rétrac-
raidir dans l'opposition…
te, fuit, se défend, résiste, comme s'il obéissait à une profonde tendance instinctive,
celle de s'éloigner du milieu extérieur, de faire refluer toute sa vie vers la pure et som-
maire satisfaction de sa vie végétative. Dès lors toute son affectivité se tend en fais-
ceau d'attitudes agressives dirigées contre autrui, l'extérieur, le monde. Des sentiments
d'anxiété, comme des ombres menaçantes, peuplent enfin épisodiquement la conscien-
ce catatonique : craintes, paniques, terreurs absurdes, phobies obsédantes, précautions
superstitieuses et prémonitions délirantes qui suspendent encore l'action, la raré-
fient ou l'enferment dans un réseau mystérieux et monotone d'attitudes pathétiques,
alambiquées, obéissant à la loi magique d'une précaution ou d'une conjuration contre
de terribles menaces.
Un trait clinique domine encore l'organisation affective du catatonique : c'est la …la variation paradoxa-
le: tel malade qui refuse
variation paradoxale. Tel malade qui refuse de manger, se lève la nuit pour avaler
de manger, se lève la nuit
gloutonnement des restes. Celui-ci, raide et indifférent, pleure doucement, quand son pour avaler gloutonne-
infirmier revient de congé. Ce terrible impulsif négativiste offre de ses provisions à ment des restes…
son voisin de lit, etc... – BARUK a bien noté les paradoxes affectifs de ces malades qui,
malgré leur inertie affective habituelle, présentent « une certaine acuité affective, une
sorte d'exaltation idéalisée et spiritualisée » et parfois teintée d'hostilité, de maussade-
rie ou de ressentiment. —II arrive aussi que les expressions émotionnelles prennent
89
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LA CATATONIE
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ÉTUDE N°10
yeux de l'auteur de l'hypnose « par le contraste entre une partie de la conscience bien
éclairée et le reste plongé dans l'obscurité », et ceci nous amène à envisager l'organi-
sation de la conscience du catatonique, dont le délire ne constitue d'ailleurs qu'un
aspect particulier et, si l'on veut, positif 1.
c) L'ORGANISATION DE CHAMP DE LA CONSCIENCE. Le catatonique « mort-vivant »,
« muré en lui-même », quasi immobile, sans contact ou presque avec l'ambiance qu'il
écarte, vit mystérieusement « replié sur lui-même ». Quelle est la forme d'organisation
de sa conscience ? Ce problème est fort controversé. Si certains – bien rares il est vrai
– lui refusent toute activité et la considèrent comme vide, inerte, obscure et suspendue,
…la plupart des clini- la plupart des cliniciens savent discerner sous cette apparence de « momification » une
ciens savent discerner
vie encore subsistante et parfois singulièrement active et vigilante. BARUK a essayé de
sous cette apparence de
« momification » une vie caractériser les troubles de la conscience par : 1° La conservation habituelle de la
encore subsistante et par- mémoire de fixation, malgré l'impossibilité de toute pensée dirigée. – 2° L'impression
fois singulièrement active de suspension de la volonté et de toute possibilité d'initiative spontanée. – 3°
et vigilante…
L'impression d'une activité volontaire non libre, mais commandée d'une façon incoer-
cible. – 4° L'existence concomitante de perturbations affectives, d'émotions avec tan-
tôt diminution, tantôt exaltation de l'affectivité. D'autres auteurs (FISCHER et
MINKOWSKI) ont tenté d'étudier la conscience du temps et de l'espace chez ces
malades et ils ont mis en évidence la dislocation très profonde du phénomène du temps
avec une prévalence des valeurs du passé, l'aspect le plus statique du « temps vécu 2 ».
…Le catatonique se dres- Le catatonique se dresse, marmoréen, ironique, « fermé » devant nous comme un
se marmoréen, ironique, sphinx. Il est là, raide, muet, lointain, cataleptique, il ne paraît vibrer ni aux variations
« fermé » devant nous
de l'ambiance ni au contact avec Autrui. S'approche-t-on de lui, il ne bouge pas et se
comme un sphinx…
raidit. KRAEPELIN notait : « ils ne se laissent pas influencer par les menaces, ils ne se
retirent pas devant un poing tendu ou un couteau tiré, ils ne clignent pas des yeux, lors-
qu'on approche la pointe d'une aiguille ». Paul SCHILDER a tenté d'explorer leur sensi-
bilité; ses recherches ont porté sur un total de 16 malades à l'aide de courants élec-
triques, les deux électrodes étant fixées aux doigts et à la face dorsale de la main. Ces
expériences, note ELLENBERGER, à qui nous en empruntons le compte rendu, « étaient
accompagnées d'une mise en scène qui ne manquait pas d'un certain sadisme ». Chez
les petits catatoniques, il n'existait pas de différences avec les réactions des sujets nor-
maux. Chez les plus graves, le courant électrique produisait des réactions souvent
retardées et parfois réduites à une simple contraction tonique, une incurvation de la
main et des doigts et parfois quelques réactions émotionnelles, larmes ou soupirs. Ces
92
LA CATATONIE
93
ÉTUDE N°10
1. P. SCHILDER, Ueber die Hypnose, Erlebnis der Schizophrenen, Zeitsch f.d. g. Neuro.,
1929, 120, p. 700.
2. Traité de B UMKE , II, pp. 203 à 204.
3. G. S. S PRAGUE, The concept of catatonia, Psych. Quart., 1937, II, pp. 222 à 236.
4. BARUK (Précis, 1950) s'inscrit en faux (p. 158) contre cette opinion dans un paragraphe, pour-
tant, du chapitre qu'il consacre à la « Réaction schizophrénique ». Il y écrit : « Ce serait une grave
erreur de croire comme le font encore bien des auteurs sous l'influence de KRAEPELIN, que la cata-
lepsie est toujours synonyme de démence précoce ou d'une psychose grave. » Et il ajoute (p. 168)
à propos de l'évolution : « Rien n'est plus variable que l'évolution de la catatonie. »
5. M AYER-G ROSS , Traité de B UMKE , IX, pp. 542-543.
94
LA CATATONIE
95
ÉTUDE N°10
des « vraies catatonies » (non guéries), il y avait 55% d'hommes, l'âge moyen de l'attaque
morbide étant de 25 ans ; l'évolution a paru ne pas dépendre des dispositions pré-psycho-
tiques ; les facteurs somatiques n'ont pas paru jouer un rôle étiologique, 68% des malades
paraissaient avant l'éclosion de la maladie, bizarres, schizoïdes; plus de la moitié avaient
un mauvais écolage [NdÉ : parcours scolaire], les types leptosomes et athlétiques prédo-
minaient. Quant aux 34 malades décédés, 13 étaient morts de tuberculose ; parmi les
frères et sœurs des malades de ce groupe il existait 8,2% de schizophrènes, et 1,46% de
psychoses non schizophréniques ou imprécisées, 14% de déséquilibre ; parmi leurs
parents, il y avait 5,5% de schizophréniques, 14% de schizoïdes et 27,4% d'autres désé-
quilibrés ; enfin, 20 de ces malades étaient typiques et 21 atypiques, au sens de LEONHARD.
En conclusion, les auteurs pensent que la catatonie n'est en elle-même aucune entité mor-
bide mais un groupe de maladies. Quant à l'évolution, 62,5% évoluèrent progressivement
et 35% seulement (contrairement à l'opinion généralement admise) sous forme rémitten-
te, ces catatonies rémittentes étant des « formes atypiques ».
Ceci nous amène à parler des formes intermittentes ou périodiques 1. Tout d'abord,
…les formes intermit- le rythme même de la crise catatonique peut être intermittent, comme dans les obser-
tentes ou périodiques: ces vations de CLAUDE et BARUK 2 et de BARUK et ALBANE 3, dans ce dernier cas, la cata-
cas sont difficiles à sépa-
tonie suivait le rythme du sommeil. BARUK a inspiré à E. SIDAWY 4 une thèse sur la
rer des catatonies évo-
luant dans le cadre des « Catatonie intermittente » où se trouvent rassemblées 12 observations groupées
psychoses périodiques… sous deux rubriques : 4 cas de poussées intermittentes entrecoupées de rémissions
psychiques incomplètes et 3 cas avec rémissions prolongées et totales. (Les autres cas
sont des catatonies simplement transitoires). Ces cas sont difficiles à séparer des cata-
tonies évoluant dans le cadre des psychoses périodiques dans le sens classique du
terme. Cela est particulièrement évident à la lecture par exemple du travail de BOZZI 5
qui rapporte un cas de « psychose mixte » à forme de catatonie intermittente. –
L'école roumaine (OBREGIA 6, TOMESCO et VESILESCU 7) s'est intéressée à cette
question. Nous devons à GJESSING 8 des études biologiques et notamment sur l'état du
système neuro-végétatif dans ces formes intermittentes et l'insuffisance de la sécrétion
1. Il ne faut pas confondre (avec BARUK) la catatonie type KAHLBAUM à forme cyclique, c'est-à-
dire évoluant à travers une série de phases successives (d'après le célèbre auteur) et les formes
périodiques (admises d'ailleurs par KAHLBAUM).
2. CLAUDE et BARUK, La catatonie Presse Médicale, 1928.
3. BARUK et A LBANE , Ann. Médico-Psycho., 1931, II.
4. SIDAWY, La catatonie intermittente, Thèse, Paris, 1931.
5. R. BOZZI, Su di un caso di catatonia periodica, Rivista sper. di Freniatria, 1940,64, p. 47 et
congrès Roumain Psychiat., 1924.
6. OBREGIA, Spital 1929, 49, p. 273.
7. TOMESCO et VESILESCU, Revista Strintelor Medic., 1929.
8. GJESSING, Ueber periodische Katatonie Erregung, Arch. f. Psych., 1935, 104, p. 355 et
Pathophysiologie periodische Katatonie Zustände. Arch. f. Psych. 1939, 109, p. 526.
96
LA CATATONIE
97
ÉTUDE N°10
cette évolution progressive et maligne. Ainsi beaucoup d'auteurs, soit sous le nom de
« pseudo-catatonie », soit, avec BARUK, SOUS le nom de « catatonie pure type
KAHLBAUM », soit encore avec KLEIST, en les désignant comme « formes catatoniques
des psychoses dégénératives », admettent des catatonies à pronostic favorable ». C'est
le cas notamment de beaucoup des formes dont nous allons maintenant parler.
Nous les classerons ici en deux grands groupes : les catatonies symptomatiques de
divers processus étiologiques ou formes symptomatiques étiologiques et les catatonies
symptomatiques de certaines psychoses 2 ou catatonies symptomatiques psychotiques.
Certes, quand nous envisagerons les formes catatoniques de la paralysie générale ou
de la démence sénile, nous sentirons l'artifice de cette classification qui garde tout de
…nous sentirons l'artifice
de cette classification qui
même le mérite de la clarté, dans un exposé qui vise avant tout à être aussi complet
garde tout de même le que possible dans son inventaire clinique.
mérite de la clarté…
I. – Les formes symptomatiques étiologiques.
Beaucoup de ces formes ont déjà été étudiées dans la thèse de GARANT 3. Il y a peu
à ajouter à ce travail pourtant déjà ancien.
1. Ces formes sont naturellement appelées pseudo-catatonies par les auteurs qui considèrent la
« vraie catatonie » comme une manifestation de la démence précoce. (Cf. article de BOSTROEM
dans le Traité de BUMKE OÙ il n'est fait qu'une brève mention de ces faits au chapitre diagnostic).
2. Les psychoses étant considérées par beaucoup de psychiatres comme de telles entités « pures »
qu'elles ne peuvent pas être « symptomatiques »...
3. O. GARANT, Le syndrome catatonique en rapport avec quelques maladies infectieuses, Thèse,
Paris, 1930.
4. BERNHEIM, De l'attitude cataleptiforme dans la fièvre typhoïde, Bulletin Médical, janvier 1896.
5. H. DUFOUR, Catalepto-catatonie au cours de la Typhoïde, Revue neurologique, 1900, p. 970.
6. C HALIER et Ét. M ARTIN , Journal de médecine de Lyon, 1934.
7. R. CRÉMIEUX et A LLIEZ, Ann. méd. psych., I, 1936.
8. DE NIGRIS et MARIANI, Neopsichiatria, 1936.
98
LA CATATONIE
99
ÉTUDE N°10
sions passionnées que nous retrouverons à propos de la pathogénie et aussi dans l'Étu-
de que nous consacrerons aux troubles mentaux de l'encéphalite. Il nous suffit ici de
ces brèves indications.
…Au cours de ses Au cours de ses recherches expérimentales, BARUK a été amené à étudier le
recherches expérimen- pouvoir catatonisant des toxines colibacillaires 2; il a publié peu après 3 avec DEVAUX
tales, BARUK a été amené
une belle observation de catatonie grave avec onirisme survenue chez une femme de
à étudier le pouvoir cata-
tonisant des toxines coli- 55 ans atteinte de colibacillose depuis plusieurs années et guérie par sérothérapie. En
bacillaires… 1934 4, il a publié un nouveau cas de stupeur catatonique réalisée cette fois par une
pyélonéphrite colibacillaire et également guérie par le sérum. Umberto POPPI 5 a
confirmé deux ans après l'action catatogène de la toxine colibacillaire.
100
LA CATATONIE
101
ÉTUDE N°10
l'attention sur les catatonies haschichiques (1933) en a publié un nouveau cas assez
pittoresque 1 .
102
LA CATATONIE
hyperkinésies parakinétiques dans des cas de tumeurs de la base. Il cite une obser-
vation analogue de ZINGERLE et une observation d'ANTON (tumeur bilatérale siégeant
dans les couches optiques du pallidum et le pli courbe avec catalepsie).
103
ÉTUDE N°10
…La pathologie du La pathologie du vieillard est certainement très riche et bien de ses aspects l'ap-
vieillard est certainement parentent aux états catatoniques ou catatoniformes. Il suffit de se reporter à l'étude de
très riche et bien de ses FORX et NICOLESCO 6, au mémoire de STERLING 7 ou encore à l'article de CRITCHLEY 8
aspects l'apparentent aux
sur la neurologie du grand âge, pour se convaincre que la sénescence cérébrale se
états catatoniques ou
catatoniformes… manifeste par un grand nombre de troubles extra-pyramidaux cérébelleux, pallidos-
triés (Parkinson sénile, dégénération pyramido-pallidale de LHERMITTE, pseudo-sclé-
rose spastique, syndrome de rigidité sénile de FOERSTER, etc, etc...) Mais il a paru à un
certain nombre d'auteurs qu'il existe certains troubles cataleptiques plus proprement
« psychomoteurs ». Et c'est d'ailleurs sur ce point que ne manquent pas de porter toutes
104
LA CATATONIE
Il s'agit maintenant de syndromes catatoniques s'intégrant dans le tableau clinique [Ce sont] des syndromes
catatoniques s'intégrant
de psychoses caractérisées. Naturellement nous ne parlerons plus ici des catatonies
dans le tableau clinique de
symptomatiques des évolutions de démence précoce ou de schizophrénies puisqu'elles psychoses caractérisées.
ont fait l'objet de notre description des formes typiques.
105
ÉTUDE N°10
jeu que nous avons étudiées avec Mme BONNAFOUS 1 et que GUIRAUD considère comme
des «monotypies ». PFERSDORFF 2, étudiant les relations entre ces mouvements des
idiots et les mouvements catatoniques, considère que les mouvements des idiots res-
sortissent à divers ordres de lésions (diplégie spasmodique infantile, syndromes mésen-
céphaliques) : il s'agit de mouvements « amorphes » des doigts qui n'entravent pas l'exé-
cution des mouvements intentionnels, tandis que les troubles psychomoteurs catato-
niques dénaturent l'acte intentionnel. Un auteur anglais, EARL 3, a peut-être été moins
strict dans la discrimination des troubles kinétostatiques des idiots et des catatoniques:
sur 135 cas d'idiotie, il a noté 38 cas de syndromes catatoniques (20 catalepsies et 18
hyperkinésies) ; dans deux de ces cas, il s'agissait de mongolisme.
1. Henri EY et Mme BONNAFOUS-SÉRIEUX, Les Kinésies de jeu chez les idiots, Ann. Médico-
Psych., 1938, I.
2. PFERSDORFF, Soc. Suisse de Psychiatrie, 1934.
3. C. J. C. EARL, The primitive catatonie psychosis of idiocy, British. J. Med. Psycho. 1934, 14.
4. RAECKE, Die transitorischen Bewusstseinsstörungen, 1903.
5. TROMMER, Jugendirresein, 1903.
6. Lucia M ORAWITZ, Thèse de Zurich, 1900.
7. MARCHAND, Revue de Psychiatrie, 1908.
8. SOMMER, Les relations entre schizophrénie, catatonie et épilepsie, Zeitsch. f. Neuro., 1922, 78,
pp. 400 à 402.
9. E. GRUNTHAL, Archivos de Neurobiologia, 1924.
10. BARUK et LAGACHE, Catalepsie et Épilepsie, Ann. Médico-Psycho., 1933.
106
LA CATATONIE
tuent une sorte d'échelon intermédiaire. « Tandis que dans la crise épileptique, le psy-
chisme est brutalement et totalement suspendu, dans la crise cataleptique, seule l'activi-
té volontaire est inhibée ». On comprend dès lors, que malgré leur rareté relative (due
peut-être aux habitudes d'esprit des observateurs), on puisse observer les crises où les
deux aspects se confondent ou se succèdent. On trouvera dans la thèse de FOLLIN 1 …On trouvera dans la
thèse de FOLLIN quelques
quelques observations intéressantes (notamment l'observation XII). Nous avons observé
observations intéres-
à BONNEVAL, un jeune homme atteint de démence épileptique dont la symptomatologie santes…
était assez voisine d'une hébéphréno-catatonie. Son comportement était très stéréotypé et
étrange : il mangeait régulièrement sa soupe en portant, de l'assiette posée à terre à sa
bouche, la cuillère saisie entre les deux premiers orteils de son pied droit.
107
ÉTUDE N°10
108
LA CATATONIE
maintenait indéfiniment ses jambes étendues quand il était assis ou les bras dressés en
l'air. Assis sur son fauteuil, il demeurait pendant des après-midi entières immobi- …Assis sur son fauteuil, il
le sans appuyer les épaules au dossier, maintenant ses avant-bras à plusieurs centi- demeurait pendant des
après-midi entières
mètres au-dessus du bras du fauteuil. Il avait des mouvements stéréotypés des doigts,
immobile sans appuyer
des tics de la face, des grimaces ». Somme toute, concluent les auteurs, « on le pren- les épaules au dossier,
drait pour un dément précoce catatonique typique ». – JACOB 1, étudiant cinq cas de maintenant ses avant-
paralysie générale à évolution prolongée a noté chez quatre de ces malades des mani- bras à plusieurs centi-
mètres au-dessus du bras
festations catatoniques. – Dans l'important mémoire qu'il a consacré à cette ques-
du fauteuil…
tion, W. HAFNER 2 rapporte 14 observations détaillées et probantes. Pour lui, comme
pour JACOB, l'apparition de ces phénomènes catatoniques dépend de la localisation du
processus méningo-encéphalitique. – Dans sa thèse, REHBERGER 3 a étudié les stéréo-
typies dans la paralysie générale et l'année suivante SCHMIDT-KRAEPELIN 4 insista
(comme JACOB) sur le fait que les manifestations catatoniques apparaissent surtout
dans les formes prolongées de l'affection. – STRECH 6 et HORN 8, l'un étudiant les symp-
tômes striés de la paralysie générale et l'autre plus généralement les troubles moteurs
des paralysies générales ont encore rapporté quelques nouveaux exemples cliniques de
phénomènes catatoniques considérés comme relevant de la pathologie striée. –
GUREVIC 7 a publié six nouvelles observations : dans tous ces cas, il y avait des lésions
importantes des noyaux opto-striés. BONSTEIN 8 (1933) aurait observé cinq cas de ce
genre sur 500 paralysies générales. – GORDON 9 a étudié un cas de catatonie évoluant
chez un paralytique général qu'il interprète comme « l'effet du déclenchement par la
syphilis d'une schizophrénie latente ». – FRACASSI et QUARANTA 10 ont observé chez
quatre paralytiques généraux impaludés, une symptomatologie où se mêlaient halluci-
nose et phénomènes catatoniques, stéréotypies, maniérisme, grimaces, etc.. à titre de «
symptômes résiduels ».
109
ÉTUDE N°10
110
LA CATATONIE
Nous avons déjà eu l'occasion de noter à propos des formes évolutives qu'il y avait
des catatonies intermittentes et périodiques. De tels troubles posent naturellement la [Les catatonies intermit-
tentes et périodiques]
« question des relations des psychoses périodiques et des psychoses le plus « authen-
posent naturellement la
tiquement » catatoniques, c'est-à-dire les évolutions de « démence précoce » ou de qustion des relations des
«schizophrénie ». Aussi est-ce au travail extrêmement approfondi de HELMUTH psychoses périodiques et
MULLER 2, à l'importante monographie de LANGE 3 et à la thèse de ROUART 4 qu'il faut des psychoses le plus
« authentiquement » cata-
recourir pour avoir une vue d'ensemble de ce problème d'un intérêt pratique si évident.
toniques… [travaux de H.
Tout d'abord ce fut le problème du diagnostic qui passionna les auteurs, car il MULLER, monographie de
s'agissait de l'autonomie des deux entités kraepeliniennes : démence précoce et LANGE, thèse de ROUART]
manie dépressive qui ne paraissaient guère discutables. Chez nous CHASLIN et
SÉGLAS 5 y discernèrent la faiblesse de la nosographie allemande. Signalons les articles
et communications à cette même époque de SÉGLAS et COLIN 6, LEROY 7, BARTHE et
GUICHART 8, BARTHE 9, COURBON 10. WILMANS 11 s'était au même moment beaucoup
préoccupé également du diagnostic des syndromes catatoniques à type maniaco-
dépressif et tout le monde connaît l'ouvrage de URSTEIN 12, qui consacre une longue
étude clinique aux formes maniaco-dépressives de la catatonie. Pour lui, ces formes
intermittentes font partie du cadre de l'entité « catatonie ». – Mais DREYFUS 13 critiqua
vivement cette manière de voir.
Somme toute, les opinions des auteurs peuvent se répartir en trois catégories : ceux
qui admettent franchement qu'il existe de « véritables » états catatoniques dans le
cours des psychoses périodiques de types maniaco dépressifs, ceux qui admettent l'in-
1. GUIRAUD et CARON, Syndrome démentiel présénile avec écholalie. Parenté avec les syndromes
pseudo-bulbaires catatoniques, Ann. Médico-Psycho., février 1931.
2. HELMUTH MULLER, Zentralblattf.Neuro., 1922, tome 28, pp.142 à 180 et pp. 248 à 282.
3. LANGE, Katatonische Erscheinungen im Rahmen manischer Erkrankungen, Berlin, 1922.
4. ROUART, Psychose maniaque dépressive et psychoses discordantes. Paris, 1935.
5. CHASLIN et SÉGLAS, Intermittence et Démence précoce, Nouvelle Iconographie de la
Salpétrière, 1911.
6. SÉGLAS et COLIN, Encéphale, 1909.
7. LEROY, Ann. Médico-Psycho., 1909.
8. BARTHE et GUICHART, Encéphale, 1911.
9. BARTHE, Encéphale, 1912.
10. COURBON , Encéphale, 1913, etc...
11. WILMANS, Zentralblatt, 1907, tome 30.
12. URSTEIN, Die Dementia Precox und ihre Stellung zum manisch depressiver Irresein, 1909.
13. D REYFUS , Zentralblatt, 1910, tome 33.
111
ÉTUDE N°10
1. BORNSTEIN, Ueber die Differentialdiagnose zwischen manisch. depressiven Irresein und D. P.,
Zeitsch.f. d. g. Neuro., 1911, 5, p. 145.
2. PFERSDORFF, Monatsch. für Psych., 1911.
3. P. SCHRÖDER, Ungewöhnlische periodischen Psychosen, Monatsch. f. Psych. u. Neuro., 1918, 5.
4. LANGE, Katatonische Erscheinungen im Rahmen manischer Erkrankungen, I vol. Berlin, 1922.
5. DE SAUSSURE, Diagnostic différentiel entre la folie maniaque dépressive et la catatonie,
Encéphale, 1924, p. 75.
6. C. A. BONNER et G. H. KENT, American Journal of Psych., 1936, tome 92, pp. 1311 à 1322.
7. P. DE BOUCAUD, Bordeaux, 1933, travail où on trouvera, ainsi que dans la thèse de ROUART, une
abondante bibliographie.
112
LA CATATONIE
verbale des diagnostics proposés ou imposés pour trancher la question par la négati-
ve nous paraît plutôt confirmer qu'infirmer cette observation.
7° LES SYNDROMES CATATONIQUES NÉVROTIQUES. CATALEPSIE HYSTÉRIQUE
ET CATATONIE :
Il paraît évident qu'un grand nombre de malades appelés autrefois hystériques sont
appelés par nous actuellement catatoniques. Une grande partie de la symptomatologie de …Une grande partie de la
l'hystérie (sommeil cataleptique, crises hyperkinétiques, expressives, attitudes bizarres symptomatologie de l'hys-
térie […] a trouvé un refu-
et théâtrales, fixations inconscientes de mouvements ou de postures, troubles de la per-
ge dans celle de la démen-
sonnalité, réactions paradoxales, contenus délirants, blocage, suggestibilité, états cré- ce précoce ou des schizo-
pusculaires, catalepsie, insensibilité, etc., etc...) a trouvé un refuge dans celle de la phrénies principalement à
démence précoce ou des schizophrénies principalement à forme catatonique. Ce qui forme catatonique…
reste de l'hystérie dans la clinique psychiatrique contemporaine, devait donc tout natu-
rellement et avec acuité poser la question des rapports des phénomènes hystériques et
des troubles schizophréniques (CLAUDE) et cela principalement sur le terrain de la cata-
tonie (CLAUDE et BARUK).
Rappelons certes des observations comme celles de PERELMANN 1 et de
DAMAYE 2 et surtout celle du malade Brual, pivot de la thèse d'ELLENBERGER. Mais il …rappelons l'observation
du malade Brual, pivot de
convient (plutôt que de chercher des cas présentés comme exceptionnels) de nous rap-
la thèse d'ELLENBERGER…
peler l'énorme importance clinique des réactions hystéroïdes qui marquent si fré-
quemment des évolutions hébéphréno-catatoniques typiques et dont le développement
confond étroitement, à certaines de ses phases, les signes de la série catatonique et hys-
térique notamment au cours des états crépusculaires. Ils ont été décrits d'abord, rap-
pelons-le, par GANSER 3 dans l'hystérie, puis, versés au compte de la catatonie, ils ont
fait l'objet des études anciennes mais certainement pas périmées de RAECKE 4 sur la
stupeur chez les prisonniers.
Pour CLAUDE 5 la parenté était tellement profonde entre hystérie et schizophrénie …Pour CLAUDE la paren-
qu'il rangeait ces deux formes psychopathique dans le cadre des « schizoses ». Ces té était tellement profonde
entre hystérie et schizo-
deux catégories de malades offraient, en effet, à ses yeux, des manifestations de dis-
phrénie qu'il rangeait ces
sociation psychique ou psychomotrice, ce que JANET avait admirablement vu de son deux formes psychopa-
côté en tâchant de relier ses études premières sur la dissociation et l'automatisme des thique dans le cadre des
hystériques à l'analyse des états schizophréniques. Pour CLAUDE, la différence impor- « schizoses »…
113
ÉTUDE N°10
tandis que dans le groupe des affections hystériques, la dissociation est plus superfi-
cielle et temporaire.
C'est précisément sur le point de convergence de l'hystérie et de la catatonie, sur
…Dans les travaux de le « syndrome psychomoteur » cataleptique, que les travaux de CLAUDE et de BARUK 1
CLAUDE et de BARUK…
ont mis l'accent et pris leur essor. La crise de catalepsie hystérique selon eux s'accom-
pagne d'une suspension incomplète de la conscience qui peut, dans les cas légers, se
réduire à une simple inhibition psychomotrice. La crise de catalepsie catatonique s'en
rapproche beaucoup, mais elle affecte une forme moins paroxystique et présente des
troubles moteurs plus complexes et moins accessibles à la suggestion. Malgré cette
diversité, il existe une unité profonde, celle d'une même altération des fonctions psy-
chomotrices supérieures, « celles qui consistent dans la décision, l'initiative, la com-
mande du mouvement vers un but déterminé ». Dans les deux cas, cette disposition
fonctionnelle est seulement inhibée et perturbée. Dans une série de recherches ulté-
…la contracture hysté-
rique et catatonique est rieures, ces auteurs et BARUK 2 spécialement, ont mis en évidence un certain nombre
d'un niveau fonctionnel de faits expérimentaux qui, tous, convergent vers cette démonstration : la contracture
voisin de l'activité motri- hystérique et catatonique est d'un niveau fonctionnel voisin de l'activité motrice
ce volontaire et s'éloigne
volontaire et s'éloigne pour autant des troubles moteurs ou toniques élémentaires (élec-
pour autant des troubles
moteurs ou toniques élé- tromyogrammes, études de la mise en train musculaire à l'aide de l'ergographe,
mentaires… troubles chronaxiques, etc.).
Ceci ne peut avoir d'autre sens que de justifier ce que la clinique nous apprend,
c'est qu'il y a dans la catatonie beaucoup d'hystérie, et qu'il y a, à certains égards, dans
l'hystérie des troubles psychomoteurs, des attaques de sommeil ou de catalepsie qui
constituent un véritable aspect catatonique de la grande névrose. C'est un peu la
conclusion qui se dégage du travail de CARROT, CHARLIN et REMOND 3 qui, découragés
au terme de leur discussion, proposent de désigner les troubles de leur malade par
le terme de « hystéro-catatonie ».
Nous connaissons maintenant l'immense variété de conditions et de formes cli-
niques des troubles catatoniques. Cela nous permet de nous représenter combien le
problème pathogénique va être complexe et à quelles interprétations, à quelles
controverses il va se prêter.
Le tableau clinique que nous venons de tracer laisse en effet deviner que les idées
pathogéniques les plus différentes ont dû nécessairement s'imposer à l'esprit des
114
LA CATATONIE
A . – A N A LY S E PHYSIOLOGIQUE DU SYNDROME
M O T E U R CATATONIQUE
La plupart des auteurs qui se sont occupés de cette question en reprenant l'opinion
de KAHLBAUM qui voyait le trouble fondamental de la catatonie dans de simples …La plupart des auteurs
[avec] KAHLBAUM […] ont
« spasmes musculaires » (CLAUS), ont une tendance à considérer la catatonie comme
une tendance à considé-
un trouble primitivement et élémentairement moteur, automatique, « amyostatique » rer la catatonie comme un
selon la terminologie des auteurs allemands (STRÜMPELL, FÖRSTER, KLEIST, trouble primitivement et
SCHALTENBRAND, etc.). C'est ainsi que RIEGER 1 et ROLLER 2, il y a bien longtemps, se élémentairement
moteur…
représentaient la flexibilité cireuse comme le résultat de l'innervation simultanée des
muscles antagonistes. Vers la même époque OSTERMEYER 3 signalait l'exagération des
réflexes, la contraction idio-musculaire et la diminution de l'excitabilité musculaire
galvanique. ROLLER 4 et LUNDBORG 5 rapprochaient la catatonie des myoclonies et de
la myotonie. Naturellement cette assimilation pure et simple du trouble catatonique à
un trouble moteur ne pouvait manquer de soulever de violentes réactions. En
Allemagne, KRAEPELIN, VOGT (de Christiana), SOMMER (1894) s'insurgèrent contre
cette manière de voir. On trouvera dans le travail de SERBSKY 6 une excellente argu-
mentation contre la pathogénie neuromotrice et musculaire de la catatonie, argumen-
tation qui a gardé encore toute sa valeur dans l'état actuel de la question. En France
on n'envisagea guère, avec les grands cliniciens de cette époque (SÉGLAS, SÉRIEUX,
CHASLIN, etc...) la catatonie sous cet angle. Il ne faut pas, à ce sujet, mal interpréter
la tentative de J OFFROY 7 pour classer la catatonie dans le groupe des
« Myopsychies » car il distingue assez radicalement les deux séries de troubles
moteurs et psychiques sans faire dépendre les seconds des premiers.
115
ÉTUDE N°10
Nous avons ainsi établi que l'analyse physiologique du trouble catatonique ne date
pas d'hier et en exposant maintenant les travaux les plus récents sur ce point, nul
doute que l'on ne discerne clairement à quel point ils restent « traditionnels ».
…Certains auteurs Examinons d'abord quelles sont les deux positions qui ne cessent de s'affronter.
contemporains assimilent Certains auteurs contemporains assimilent les troubles cataleptiques, de persévéra-
les troubles cataleptiques,
tion, d'hypertonie, de résistance, etc... à des troubles neurologiques du tonus. Ils sont
de persévération, d'hy-
pertonie, de résistance, naturellement enclins à mettre en évidence, comme nous le verrons plus loin, les
etc... à des troubles neu- relations qui les uniraient ainsi aux contractures et autres syndromes moteurs. Ainsi
rologiques du tonus[…]. GUIRAUD 1 admet que la catalepsie entre dans les anomalies de régulation tonique des
Ainsi GUIRAUD…
agonistes et des antagonistes. Il a, en particulier, très finement analysé le maniéris-
me catatonique en le ramenant au plan neurologique. L'analyse des troubles des
mouvements du catatonique décèle, à ses yeux, des mouvements parasites rappelant
les myoclonies et la chorée, des répétitions, des fragments d'actes, des arrêts et des
libérations brusques de l'activité psychomotrice, de même des réceptions motrices,
des mouvements augmentatifs ou itératifs rappelant à la fois l'athétose et l'acrobra-
dykinésie. Certaines positions stéréotypées sont, pour lui, à rapprocher de certains
réflexes d'attitude (Stellreflexe de MAGNUS) et rappellent parfois la « dysbasia lor-
dotica », « tout comme la comparaison s'impose entre certains épisodes moteurs et
des crises de rigidité décérébrée ». – Dans une perspective théorique identique,
KLEIST 2 a distingué les troubles psychomoteurs bilatéraux et intégrés à la patholo-
gie du Moi – des troubles « amyostatiques » souvent unilatéraux et étrangers au Moi.
Parmi ces derniers, KLEIST signale l'athétose, la chorée, les spasmes de torsion et les
…KLEIST, dans une per-
pective théorique iden- tics, il leur apparente les itérations psychomotrices et les stéréotypies. Aux crises
tique… amyostatiques avec rigidité, correspondraient sur le plan psychomoteur l'akinésie ou
flexibilité, l'opposition cataleptique et le négativisme. Ainsi tout en maintenant une
certaine séparation entre certains troubles catatoniques et les troubles amyosta-
tiques, son analyse reste assez hésitante. Pour lui la catatonie est « en gros » un syn-
drome du tronc cérébral en relation, non pas avec la sphère des automatismes
moteurs, mais avec celle de l'instinct. – L'École italienne a pris généralement une
position assez voisine de celle de GUIRAUD et de KLEIST avec BUSCAINO 3, SALMON 4,
116
LA CATATONIE
1. BERTOLANI, La sindrome catatonica, Rivista sper. di Frenia., 1925, 49, pp. 278 à 577.
2. BARUK, Psychiatrie médicale, pp. 51 à 54.
3. BARAHONA FERNANDES, Beich. Monatsch. Psych., 1927, 70.
4- STEGER et SCHALTENBRAND, Das Myogramm bei der Katatonie, Zeitsch.f. d. g. Neuro.,
1940, 169, p. 183.
5. CH . F OIX et THEVENARD , Réflexes de posture, Rev. Neuro., 1923, II.
6. DELMAS-MARSALET, Société de Biologie, 1926.
117
ÉTUDE N°10
Ch. FOIX, en déclarant que « les réflexes de posture peuvent jouer un rôle dans la cata-
tonie de la démence précoce », mais il ne pensait pas qu'ils constituent « des éléments
fondamentaux de cette catatonie ». CLAUDE, BARUK et THÉVENARD 1 ont montré à l'ai-
de d'inscriptions graphiques la variabilité de ces réactions posturales : le tonus muscu-
laire des catatoniques leur parut plus proche de l'activité volontaire que de la contrac-
ture extrapyramidale. De même que DELMAS-MARSALET avait constaté un relâchement
progressif par paliers (phénomène des échelons) du jambier antérieur au cours de
l'épreuve chez les catatoniques, chaque échelon correspondant à un mouvement de
…CLAUDE, BARUK et diversion de l'attention, CLAUDE, BARUK et THÉVENARD notèrent l'influence des diver-
THÉVENARD ont montré sions psychiques et ce que BARUK appelle « l'anticipation des mouvements passifs »,
[que] le tonus musculaire
c'est-à-dire que des contractions automatiques se déclenchent dès qu'on approche de la
des catatoniques leur parut
plus proche de l'activité main du malade, souvent même avant de l'avoir touchée. De plus l'épreuve de la sco-
volontaire que de la contrac- polamine leur a paru confirmer que les réflexes de posture proprement dits étaient rela-
ture extrapyramidale… tivement indépendants de la contracture catatonique, puisque la scopolamine fait dis-
paraître ceux-là, mais laisse persister celle-ci.
Plus récemment BONASERA-VAZZINI 2, étudiant le tonus musculaire et les réflexes
locaux de posture dans la catatonie et chez des post-encéphalitiques durant la narcose
par l'évipan sodique, s'est rangé à l'avis des auteurs qui admettent que l'hypertonie et
l'exagération des réflexes de posture « dépendent d'un facteur psychique ».
Cependant SEVERINO 3 constatait que dans 60% des cas, les réflexes de posture
étaient exagérés dans la catatonie, fait concordant avec la conception de GUIRAUD qui
dans son travail de 1927 4 opposait aux travaux de DELMAS-MARSALET, CLAUDE, BARUK
et THÉVENARD, une série d'arguments destinés à montrer que, chez les catatoniques, la
contracture posturale réflexe du jambier antérieur est évidente (phase R) dans leurs
propres graphiques. Pour lui, il considérait comme essentielle l'abolition de la décon-
traction réflexe chez le catatonique. SEVERINO 5, dans un mémoire extrêmement docu-
menté, a étudié une série de réflexes « extrapyramidaux » chez le catatonique. Après
une étude critique de ces divers réflexes, il conclut que le réflexe décrit par POUSSEP en
1923 (déviation latérale du petit orteil par excitation légère du bord externe du pied à
l'aide du manche du marteau), celui de SCHRIJNER BERNHARD (1922) (flexion des orteils
par percussion de la face antérieure de la jambe) et les réflexes de pression de
SODERBERG (rétraction du sourcil par pression frontale, relèvement du sillon nasolabial
118
LA CATATONIE
par pression maxillaire inférieure, flexion des doigts par pression du radius), tous ces
réflexes relevent probablement de la pathologie extrapyramidale. Par contre, le phéno-
mène de BOVERI (brusque flexion dorsale du pied par excitation de la région plantaire
médiane) et le phénomène de PIOTROWSKI (réflexe d'extension du pied antagoniste du
muscle tibial antérieur par percussion de ce muscle au niveau de son tiers moyen) ne lui
paraissent pas être de nature extrapyramidale. Étudiant 30 déments précoces de forme
hébéphrénique simple ou paranoïde, il a noté très rarement ces divers réflexes. Mais
chez les catatoniques, il les a rencontrés avec une plus grande fréquence (et cela surtout
pour les réflexes extrapyramidaux de POUSSEP, de SCHRIJNER-BERNHARD et de
SODERBERG). – Giuseppe ANTONINI 1 est parvenu à des conclusions analogues par l'étu-
de de 15 cas, il a noté chez ses catatoniques le phénomène de POUSSEP et le réflexe de
SCHRIJNER-BERNHARD et un certain degré d'hypertonie maxillaire. Enfin, signalons que
CLAUDE et BARUK et THÉVENARD (1927) ont, par contre, une fois de plus opposé les par-
kinsoniens aux catatoniques en ce qui concerne les réflexes d'attitude, le phénomène de
la poussée restant absolument normal chez les catatoniques dont les fonctions d'équili-
bration et de statique demeurent intactes.
2° Recherches électromyographiques :
Certaines études électromyographiques, comme celle de John BORSEY et de Edw.
TRAVIS 2, n'ont trait qu'au comportement de quelques réflexes (dans leur travail, il
s'agit du réflexe patellaire) et ils montrent que le rapport H. T. est augmenté chez les
catatoniques. Les premiers travaux de CLAUDE, BARUK et NOUEL 3 ont porté sur l'élec- …Les premiers travaux
de CLAUDE, BARUK et
tromyographie des « réflexes de posture ». Chez un sujet normal, le réflexe de postu-
NOUEL ont porté sur
re provoque un soulèvement brusque auquel correspond de très forts courants d'ac- l'électromyographie des
tion à rythme lent (20 à 25 oscillations par seconde), chez les catatoniques, qu'il « réflexes de posture ». …
s'agisse de contraction, d'anticipation, de mouvements passifs ou d'accompagnement
des mouvements passifs ou en voie de persévération, (ce que BARUK ne considère jus-
tement pas comme de véritables réflexes de posture, mais des « réactions musculaires
psychomotrices ») l'électromyogramme montre un rythme rappelant celui de la
contraction volontaire. – Dans une autre série de travaux, BARUK a étudié les courbes
électromyographiques de la rigidité catatonique en dehors des réactions psychomo-
trices de persévération qui ne constituent pas, à ses yeux, comme nous venons de le
voir, de vrais réflexes de posture. BARUK rappelle tout d'abord que FRÖCHLICH et
MAYER 4 avaient affirmé qu'il n'existait pas de courants d'action, dans les muscles en
cours de contraction cataleptique. Cependant, avec CLAUDE et THÉVENARD, il a mon-
1. Giuseppe ANTONINI, Rivista sper. di Freniatria, 1935, 58, pp. 1130 à 1135.
2. J. BORSEY et Edw. TRAVIS, Reflexe response latencies, Archiv. of Neuro., 1932, 27.
3. CLAUDE, BARUK et NOUEL, (Cf. Psychiatrie médicale de BARUK, pp. 56 à 63).
4. FRÖCHLICH et MAYER, Archiv. für Exp. Pharm., 1920.
119
ÉTUDE N°10
tré (1927) que ces courants d'action existaient bien dans les muscles raides des catato-
niques même en repos, constatations confirmées ensuite par de JONG (1929). Le pro-
blème – toujours le même – est donc de savoir si les courbes électromyographiques du
tonus catatonique se rapprochent de celles de la rigidité parkinsonienne ou de la
contraction volontaire. On sait que (d'après FOIX), il existe deux sortes de courants, les
uns qui s'inscrivent au rythme de 50 à 60 par seconde (rythme de PIPER) et sont
constants à travers les divers modes automatiques d'activité musculaire (tonus statique,
contractures pyramidales ou extrapyramidales), les autres caractéristiques de la
contraction volontaire, oscillations surajoutées plus simples et de rythme lent, 10 à 12
par seconde (oscillations majeures). Or, chez deux catatoniques examinés à l'aide
d'électrodes piquées dans la masse du muscle et reliées aux bornes de l'électromyo-
…le type de l'électromyo- graphe BOULITTE, le type de l'électromyogramme était analogue à celui de la
gramme était analogue à contraction volontaire. De plus le rôle des diversions psychiques a été illustré par la
celui de la contraction
disparition concomitante de la rigidité catatonique et des courants d'action, à l'occasion
volontaire…
de stimuli psychiques occasionnels ou provoqués systématiquement, à condition tou-
tefois que ces stimuli soient variés.
Les belles études de BARUK que nous venons d'exposer sont à rapprocher des tra-
vaux d'une grande rigueur conduits par J. STEGER et D. SCHALTENBRAND. Ils ont com-
muniqué leurs travaux sur les électro-myogrammes dans la catatonie au Congrès de
Neurologie et Psychiatrie allemand du Sud-Ouest à Baden-Baden en juin 1938 1. Ils
rappellent les recherches antérieures de HANSEN, ROFFMANN et V. WEIZSACKER pour
qui les électromyogrammes dans la rigidité décérébrée, le syndrome de Parkinson et la
stupeur catatonique montraient une atteinte identique des fonctions primitives du
muscle. Les recherches des auteurs se sont appliquées à huit cas de schizophrénie sans
catatonie, 11 cas de schizophrénie avec syndromes catatoniques épisodiques et 10 cas
de schizophrénie avec syndrome grave de catatonie. L'étude myographique a porté sur
deux genres d'épreuves : mouvements passifs de flexion et d'extension dans l'articula-
tion du coude et du genou et mouvements pendulaires de va-et-vient. Dans leurs
conclusions, les auteurs affirment qu'il y a une continuité dans les divers types de myo-
grammes entre les états de rigidité des affections les plus grossièrement organiques
(paralysie spastique, rigidité parkinsonienne) et la catatonie schizophrénique. La rai-
deur catatonique apparaît comme une fonction positive en relation avec une certaine
excitation interne. Chez le schizophrène sans catatonie la décontraction s'opère comme
chez les normaux, la tendance à l'opposition paraît plus forte : les myogrammes rap-
pellent ceux du torticolis. Mais tandis que chez les normaux l'entraînement fait
apparaître des courbes nouvelles, chez les schizophrènes, cette adaptation est difficile
1. J. STEGER et D. SCHALTENBRAND, Zeitschrift f. d. g. Neuro. und Psych., 1940, tome 169, pp.
183 à 207.
120
LA CATATONIE
voire impossible. Les courbes sont remarquables par leur irrégularité et leur forme
capricieuse. Un phénomène caractéristique est l'accroissement de la résistance à
l'extension (crescendo-phénomène) dans la série des mouvements passifs et ce phé-
nomène paraît en relation avec la sphère psychique, il est lié notamment à la mau-
vaise humeur. Dans les formes catatoniques graves par contre, le trouble paraît être
de «type amyostatique » (au sens de STRÜMPELL) et les mesures ont montré chez ces
malades un tableau analogue à l'« hypertonie parkinsonienne ». Ceci va de pair avec
l'apparition chez de vieux catatoniques de modifications dans le régime des réflexes et
même de signes pyramidaux. Nous aurons l'occasion de revenir en étudiant les concep-
tions générales de la catatonie sur la différence des points de vue de BARUK et des
auteurs allemands 1. Qu'il nous suffise de faire remarquer pour le moment que les tra- …la rigidité se présente
vaux de STEGER et de SCHALTENBRAND sont d'inspiration plus résolument jacksonien- dans les électro-myo-
grammes dans différents
ne que ceux de BARUK et admettent une série de niveaux non exclusifs d'une part posi-
niveaux de troubles avec
tive commune : la rigidité se présentant dans les électro-myogrammes aux différents un « fond positif » com-
niveaux de troubles avec un « fond positif » commun sous des « formes négatives » mun sous des « formes
diverses. négatives » diverses…
3° Ergogramme:
CLAUDE, BARUK et PORAK 2 ont publié un travail sur l'étude de la mise en train
psychomotrice chez les catatoniques. Les épreuves mesurées à l'aide de l'ergo-
graphe de Mosso ont montré que c'était la phase initiale de l'action qui était alté-
rée. Les fonctions psychomotrices correspondant à la mise en train du mouvement
spontané, à l'initiative motrice, peuvent être effectivement touchées dans certains états
pathologiques comme le sommeil cataleptique et ainsi suspendues en quelque sorte
expérimentalement sous l'action de certains agents pharmacodynamiques (bulbocap-
nine).
4° Chronaximétrie :
CLAUDE, BOURGUIGNON et BARUK 3 ont étudié la chronaxie musculaire dans la
catatonie. Chez cinq malades, qui ne présentaient pas, au moment de l'examen, de rai-
deur musculaire, les valeurs chronaxiques étudiées aux membres supérieurs étaient
normales. Chez ceux qui présentaient au contraire des troubles moteurs apparents, il
existait des perturbations chronaxiques importantes : avec des chronaxies normales ou
à peine diminuées dans les fléchisseurs des avant-bras, on trouvait, par exemple, des
1. On ne peut que déplorer, sinon s'étonner que des travailleurs puissent, à quelques centaines de
kilomètres de distance et séparés seulement par une frontière, s'ignorer alors qu'ils poursuivent
exactement le même travail !
2. CLAUDE, BARUK et PORAK, Encéphale, 1932.
3. CLAUDE, BOURGUIGNON et BARUK, C. R., Académie de Médecine, 1937.
121
ÉTUDE N°10
chronaxies augmentées dans les extenseurs (double de la valeur normale) comme cela
a pu être observé dans les lésions pyramidales, tandis qu'au bras, la chronaxie se mon-
trait diminuée dans le triceps au lieu d'y être augmentée. Un des faits les plus remar-
quables était le caractère variable et transitoire de ces modifications de l'excitabilité
musculaire : chez un malade on retrouvait à certains moments au membre inférieur
droit un renversement des chronaxies comme dans les lésions pyramidales : la chro-
naxie était doublée dans l'extension propre du gros orteil et diminuée de moitié dans
…Etudes sur la chronaxie… les fléchisseurs (il existait un signe de BABINSKI). D'autres fois les chronaxies
variaient avec les modifications vaso-motrices. L'ensemble de ces troubles serait à
rapprocher, d'après les auteurs, des variations chronaxiques observées dans certains
syndromes humoraux comme la tétanie. LAST et STROM OELSEN 1 ont, utilisant la tech-
nique de BOURGUIGNON, obtenu des résultats analogues chez sept catatoniques. Les
valeurs anormales variaient parfois dans la minute, parfois d'une semaine à l'autre. Il
y avait généralement une tendance aux valeurs élevées. Il n'existerait pas, contraire-
ment aux constatations des auteurs précédents, de relation entre les anomalies de
chronaxie et la rigidité catatonique présente ou absente du moment des mesures.
Les auteurs estiment vraisemblable que les troubles chronaxiques sont secondaires à
la longue durée de l'inactivité musculaire.
1. LAST et ROLF STROM OELSEN, Journ. of Ment. Science, 1936, pp. 763 à 772.
2. CLAUDE, BARUK et AUBRY, Société de Biologie, 1927.
3. BARUK et AUBRY, Annales des Mal. de l'Oreille, etc... 1929.
4. Hans LÖWENBACH, Archiv. fur Psych., 1936, pp. 313 à 323.
122
LA CATATONIE
mentation de l'excitabilité mécanique des nerfs et des muscles. – DIDE signalait vers
1900 des modifications des réflexes cutanés des orteils et du fascia lata, tandis que les
réflexes crémastériens, épigastriques et abdominaux demeuraient normaux. SÉRIEUX et
MASSELOK 1 ont observé une exagération des rotuliens dans 73% des cas ; le réflexe
abdominal était aboli dans 28%, le crémastérien dans 47% et le réflexe plantaire aboli
ou diminué dans 50% des cas. STECK 2 a noté seulement deux fois un signe de
BABINSKI sur 400 observations. Ces années dernières, BARUK 3 a rapporté un cas avec
inégalité très nette des réflexes rotuliens inscrits mécano- et électrographiquement. Les
réflexes cutanés (contrairement à ce qu'avaient avancé SÉRIEUX et MASSELON) ont paru
à BARUK être vifs. Le comportement du réflexe plantaire a retenu spécialement l'at-
tention de cet auteur : le plus souvent il se fait en flexion, souvent il est indifférent,
mais deux fois sur 25 malades il a pu remarquer un signe de Babinski, transitoire dont
un cas permit de constater un renversement du rapport des chronaxies, des extenseurs
et des fléchisseurs des orteils « exactement identique à celui que l'on trouve dans les
hémiplégies pyramidales banales ».
Quant à la motilité oculaire 4, rappelons d'abord les travaux anciens et notamment …Recherches sur la moti-
lité occulaire…
ceux si connus de BUMKE 5. Pour cet auteur, l'absence de réflexes pupillaires à la dou-
leur et autres excitations psychiques était si fréquente qu'il fallait y voir un signe de
diagnostic. Les statistiques qui ont été ultérieurement faites en Allemagne sur le « phé-
nomène de BUMKE » sont assez contradictoires. WASSERMEYER (1907) l'a rencontré
dans un pourcentage de 15% seulement des cas tandis que HUBNER (1905) l'a observé
dans 75% des cas et SIOLI (1910) dans 92%. KEHLER en 1923 a noté une mydriase
hypertonique comparable à celle des parkinsoniens. – Plus près de nous, FEINSTEIN
(1928) conclut de ses recherches que l'instabilité pupillaire (la rigidité pupillaire inter-
mittente est désignée dans les travaux allemands comme signe de WESTPHAL) et les
modifications des réflexes pupillaires, sensoriels et psychiques se rencontrent très
souvent dans la démence précoce, mais aussi dans les formes avancées de la para-
123
ÉTUDE N°10
124
LA CATATONIE
125
ÉTUDE N°10
thérapeutique, chez l'homme, les troubles catatoniques. Le but poursuivi par des
recherches de ce genre est double. Tout d'abord, montrer que la catatonie est causée
«par un trouble organique » puisque les poisons exogènes ou endogènes peuvent la
provoquer ou la reproduire, démonstration un peu superflue, car, comme nous le ver-
rons, la psychogénèse intégrale de la catatonie n'est guère soutenue même par les
auteurs qui sont allés le plus loin dans ce sens. Ensuite, éclairer le mécanisme patho-
génique de la catatonie, ce qui va nous obliger à revenir, à propos des diverses cata-
tonies expérimentales, sur certains faits que nous avons déjà exposés dans la descrip-
tion de la catatonie spontanée.
1° La catatonie bulbocapnique 1 :
Le groupe de la bulbocapnine représente un ensemble d'alcaloïdes (bulbocapnine,
corydine, corytubérine, glaucyne, etc.) connus d'abord sous la forme de corydaline
(WACKENRODER, en 1826, déjà) et contenus dans la Corydalis cava ou Bulbocapnus
cavus, plante médicinale connue dès le moyen âge et mise dans le commerce des
drogues sous le nom de « racine d'aristoloche creuse ». On emploie généralement le
chlorydrate de bulbocapnine, substance de même famille chimique que l'apomorphi-
ne dérivée comme elle d'une substance mère, l'aporphine. [NdÉ : alcaloïde de structu-
re voisine de la morphine].
…En 1852, MODE étudia En 1852, MODE étudia l'action paralysante de la bulbocapnine chez la grenouille et
l'action paralysante de la le lapin. – En 1904, F. PETERS, au Laboratoire de Gadamer étudiant l'effet du groupe
bulbocapnine chez la gre-
d'alcaloïdes des dérivés du Corydalis chez la grenouille, le cobaye, le chien et le chat,
nouille et le lapin…
notait chez ces deux derniers animaux une immobilisation « rappelant la catalepsie ».
Mais ce ne fut qu'en 1920, que FRÖCHLICH et MAYER firent les premières recherches
électromyographiques dans la catalepsie hypnotique et la catalepsie obtenue par la bul-
bocapnine chez le singe. Pour ces auteurs, il existait dans ces états un état physiologique
…En 1921, De Jong à de raccourcissement chronique des muscles sans courants d'action. En 1921, DE JONG
l'aide d'un galvanomètre à l'aide d'un galvanomètre plus sensible montra l'existence « de magnifiques oscilla-
plus sensible montra tions tétaniques dans l'électromyogramme des muscles d'un chat en état de catalepsie
l'existence « de magni-
par la bulbocapnine ». A partir de ce moment, les recherches sur la catatonie bulbocap-
fiques oscillations téta-
niques…»… nique prirent un essor qui ne s'atténua que vingt ans après.
Suivons d'abord les effets observés par les divers auteurs aux différents échelons
de la série animale.
1. Nous nous référons principalement pour la rédaction de ce paragraphe au livre de H.de JONG
et H. BARUK. « La catatonie expérimentale par la bulbocapnine », I vol., 136 pages, Masson,
1930; et aux travaux qui ont été publiés depuis. Seuls ces derniers ne figurant pas dans la mono-
graphie de DE JONG et BARUK seront l'objet ici de références bibliographiques. Nous renvoyons
également à une bonne bibliographie par ordre alphabétique sur la catatonie expérimentale faite
par RIZZATI pour les travaux de 1920 à 1935 (Schizofrenia, 1935, V, pp. 357 à 397).
126
LA CATATONIE
127
ÉTUDE N°10
expériences sur le serin et la perruche. – RIBEIRO DO VALE (1935) a provoqué chez les
oiseaux un certain degré de somnolence et de perte de l'initiative motrice de la cata-
lepsie « sans négativisme ».
C'est surtout aux mammifères que la plupart des auteurs se sont adressés. Chez le
chat, le premier étudié par DE JONG (1921), cet auteur a observé pour des doses
moyennes : 1° une immobilité liée en grande partie à la conservation des attitudes sans
aucune paralysie puisque l'animal peut sauter par exemple de haut et entre deux
chaises que l'on écarte ; 2° la passivité et du négativisme : quand on pousse l'animal,
il suit l'impulsion du mouvement, parfois, il forme un bloc tellement lourd et rivé au
sol que l'on ne peut le déplacer que tout d'une pièce ; on a l'impression qu'il résiste et
le négativisme ne constitue que l'extrême degré de la passivité ; 3° l'électro-myogra-
phie montre des modifications des courbes analogues à celles de la catatonie humaine.
…chez la souris… Chez la souris. Les doses de 1 à 2 milligrammes produisent 3 à 10 minutes après
l'injection une légère excitation, puis la souris « se met en boule » et, au bout d'un
quart d'heure, elle est complètement immobile : « On peut la pousser, écrivent
BARUK et DE JONG (p. 55), l'exciter par des pincements elle ne s'échappe pas. Elle se
tient sur ses pattes, les yeux ouverts. La prend-on par la queue et l'approche-t-on
d'un objet quelconque, elle s'y accroche immédiatement et si on l'y laisse, s'y main-
tient fixée pendant très longtemps. Même si l'on place l'animal dans une position
difficile à garder, il s'y maintient. Nous avons pu laisser une souris suspendue par une
patte antérieure, l'autre patte restant en l'air. Il est absolument impossible d'ébaucher
…Ces faibles doses réali- une seule de ces épreuves avec des souris normales ». (BARUK et DE JONG). Ces faibles
sent donc une vraie cata- doses réalisent donc une vraie catalepsie avec contractures musculaires actives et par-
lepsie […] et parfois un
fois un négativisme passif, voire actif. Des doses plus fortes (4 à 5 mg) réalisent un état
négativisme…
de stupeur plus profond sans conservation des attitudes difficiles, état qui se termine
par des crises convulsives et le plus souvent par la mort. Il est possible au cours
de ces expériences sur l'action de la bulbocapnine de mettre en évidence des hyperki-
nésies, mais celles-ci sont inconstantes, inattendues et brèves. « Tantôt il s'agit (p. 59)
d'une agitation motrice brusque et violente, tout à coup l'animal fait des sauts, est pro-
jeté en l'air, se met à courir avec une vitesse extrême, saute de la table au sol, une fois
nous avons vu l'animal décrire dans l'air un cercle complet, véritable « looping the loop
1 » et tomber ensuite mort. »
…chez le cobaye… Chez le cobaye, BARUK et DE JONG ont provoqué une catalepsie « qui peut être très
nette et des décharges motrices variées ; tremblements, sursauts, hyperkinésies, mou-
vements stéréotypés de mastication, des grattements de pattes, etc.. » Les hautes doses
128
LA CATATONIE
que ici, disent assez paradoxalement les auteurs, « pour la première fois dans la
série animale », se produit parfois une véritable « conservation des attitudes ». Chez
un singe « Macacus cynomalgus », DE JONG et BARUK ont noté des attitudes catalep-
tiques, le singe tenant une patte en l'air ; à d'autres moments, l'animal gardait la der-
nière position prise, une patte de devant restait par exemple tenue suspendue.
L'électromyographie de cette attitude a pu être réalisée sans d'ailleurs que les auteurs
tirent argument de cette courbe. Plus récemment, DE JONG 2 a rapporté une observa-
tion de deux chimpanzés. Il a constaté des phénomènes analogues à ceux déjà cités. A.
KENNEDY 3 a provoqué chez le singe un syndrome hyperkinétique semblable à celui
des schizophrènes à l'aide d'une injection de bulbocapnine. Cependant, si l'animal a
été soumis préalablement à un choc cardiazolique, le temps de latence est plus
grand et les manifestations akinétiques plus importantes.
129
ÉTUDE N°10
b) CHEZ L'HOMME.
Umberto di GIACOMO entreprit, à notre connaissance, les premières recherches sur
ce point 1, puis GULLOTTA 2 étudia l'action de la bulbocapnine chez 25 catato-
niques; chez 12 de ses malades kyperkinétiques les symptômes s'intensifièrent ; par
contre, assez paradoxalement, la bulbocapnine a amendé les stuporeux... Bruno
SPAGNOLI 3 a pratiqué des injections intraveineuses et même intrarachidiennes de bul-
bocapnine chez des épileptiques et des parkinsoniens. Il a noté l'apparition de somno-
lence, de stupeur et de la bradypnée. Dans l'ensemble, ces troubles lui parurent être
plus près du syndrome catatonique que de l'hypertonie parkinsonienne. C'est à une
conclusion inverse cependant qu'est parvenu HENNER 4 à Prague.
Tels sont les résultats 5 les plus clairs ou les moins contestés de l'expérimentation
dans la série animale et chez l'homme à l'aide de la bulbocapnine. Deux problèmes se
sont imposés à l'esprit des chercheurs, l'un constituant la discussion sur l'analogie de
ces troubles avec la catatonie humaine, l'autre concernant le mécanisme de la catato-
nie obtenue par la bulbocapnine.
SYNDROME BULBOCAPNIQUE ET CATATONIE. Comme le souligne tout spécialement
BARUK 6, DE JONG ne croyait pas au cours de ses premières expériences (1922) qu'il
fût possible d'établir une comparaison utile entre ces deux séries de faits. C'est que
…La catatonie humaine avec beaucoup d'auteurs, il avait tendance à voir dans la catalepsie un phénomène si
est constituée par des purement musculaire qu'il répugnait ensuite à réduire à un trouble de cet ordre le
troubles psychomoteurs tableau clinique de la catatonie humaine. BARUK, en concevant la catatonie expéri-
altérant l'initiative, la
mentale comme un syndrome plus psychomoteur et psychique que purement méca-
« mise en train motri-
ce»… nique, a permis à leur collaboration de s'engager sur ce rapprochement intéressant.
…Lorsque ces fonctions Voici comment il résume lui-même sa position à l'égard de ce problème. La catatonie
sont atteintes par la bul- humaine est constituée par des troubles psychomoteurs altérant l'initiative, la « mise
bocapnine,[…] il s'établit
en train motrice ». Or l'animal, tout au moins le mammifère, présente des fonctions
une immobilisation
d'ordre cataleptique avec psychomotrices analogues. Lorsque ces fonctions sont atteintes par la bulbocapnine,
abolition de l'initiative, chez l'animal comme chez l'homme, il s'établit une immobilisation d'ordre cataleptique
passivité et négativisme… avec abolition de l'initiative, passivité et négativisme. De même chez les animaux
comme chez les catatoniques s'observent des hyperkinésies, des mouvements automa-
tiques, des crises nerveuses du type « patheticismus » et des troubles végétatifs.
130
LA CATATONIE
D'autre part, on trouve chez le singe l'attitude caractéristique en flexion. BARUK n'a pas
craint même de souligner l'identité « d'attitude autistique » chez l'animal intoxiqué
comme chez l'homme malade. Enfin les électromyogrammes montrent que dans les
deux cas les courants d'action à double rythme et les troubles chronaxiques sont les
mêmes (BARUK, Mlle MOREL, DE JONG, BOURGUIGNON). La thèse de BARUK est donc
nette : le syndrome réalisé par la bulbocapnine chez l'animal est le même que celui
réalisé par la maladie chez le malade catatonique.
Par contre certains auteurs (comme DE JONG lui-même tout au commencement de
ses travaux) considèrent la « catatonie » expérimentale comme un état cataleptique du
tonus musculaire plus près des syndromes neurologiques d'hypertonie que de la cata-
tonie humaine. Telle est l'opinion de POPPI 1 et celle de DIVRY 2 qui se sont élevés
contre l'assimilation à la catatonie humaine à un syndrome si fruste et si banal que c'est
seulement par un artifice (que les auteurs ont, souvent, bien du mal à dissimuler) que
l'on pourrait établir entre eux des rapports d'analogie.
131
ÉTUDE N°10
132
LA CATATONIE
2° Catatonie uréthanique:
SCHMIELBERG, dès 1876, avait remarqué que l'uréthane produit chez divers animaux
des manifestations cataleptiques. DE GIACOMO 7 a utilisé chez le chat des doses de 0,5
à 1 ml d'une solution à 25%. Chez l'homme, 8 ml n'ont rien produit, mais avec 16 ml
l'auteur a pu obtenir un état cataleptique d'une durée de une heure et demie. Enrico
MONDIO 8 a constaté que si, sur des chiens, l'application locale d'uréthane sur la zone
cortico-sigmoïde ne détermine pas la catatonie, par contre l'injection d'uréthane se révè-
133
ÉTUDE N°10
5° Catatonie et amines:
DE JONG 5 avait obtenu avec la mescaline, le haschich et l'harmine ce que
REICHARDT a appelé la « triade de la démence précoce » (Phénomènes psychiques,
sympathiques et psychomoteurs). Il a depuis 6 indiqué que de nombreux corps aminés,
étant parents de la mescaline, leur action catatonisante était probable. Nous nous dis-
penserons de citer même les noms de ces dérivés des produits intermédiaires de la syn-
thèse de la mescaline (passant par la vaniline, l'hordénine et l'adrénaline pour aboutir
à la choline). Or toutes ces substances ont des effets catatonisants, l'acétylcholine
…DELAY, COLLET et notamment. Il ne semble pas étonnant de ce point de vue que DELAY, COLLET et
ROUMANGEON ont pu ROUMANGEON 7 aient pu constater que la méthédrine et le choc amphétaminique aient
constater que la méthé-
provoqué un renforcement des troubles catatoniques chez leurs malades. BARUK,
drine et le choc amphéta-
minique ont provoqué un DAVID, RACINE et VALLANCIEN 8 ont étudié l'acétylcholine et n'ont obtenu que
renforcement des troubles « certains phénomènes hypokinétiques ».
catatoniques…
134
LA CATATONIE
6° Catatonie et adrénaline:
DE JONG a réalisé sur 3 chats, 4 souris et 2 singes en utilisant des doses quasi mor-
telles un état catatonique avec hypokinésie, catalepsie, négativisme, hyperkinésies et
paralysies.
7° Catatonie insulinique :
Nous renvoyons à l'étude de DIVRY et EVRARD 1 sur la catalepsie insulinique chez
la souris. Ces auteurs ont noté une inertie psycho-motrice ou stade cataleptisant maxi-
mum (2 à 3 U. I.) tout à fait comparable à celle que provoque la bulbocapnine.
8° Catatonie électrique:
Certes, depuis longtemps on connaissait le sommeil électrique (LEDUC, BLANIES et
SCHWEIZER) qui a fait l'objet plus récemment des travaux de SCHEMINZKY 2. En 1931,
un Hollandais KELLER 3, ayant fait passer un courant continu intermittent d'une inten-
sité moyenne à travers le crâne de chats et lapins, nota des phénomènes catatoniques.
– GULLOTTA 4 a utilisé pour arriver au même but un courant oscillant (150 volts à 50
périodes) et la faradisation. HORREVELD et KOK 5 ont obtenu la catalepsie par courants
oscillants sinusoïdaux.
135
ÉTUDE N°10
de certains états pathologiques (BARUK pp. 233 à 258). GEESINK 1 a obtenu chez le chat
16 fois sur 24 opérations un syndrome catatonique par ligature de l'artère hépatique.
136
LA CATATONIE
le travail de STEINIGER 1. La catalepsie chez les insectes est caractérisée par l'immo-
bilité, l'hyporéflectivité, l'hypotonie et la flexibilité cireuse. Cette catalepsie varie
sous l'influence de la lumière et de la faim. Pour cet auteur le centre cataleptique rési-
derait dans le protocerebrum chez les premiers et le ganglion pharyngé supérieur chez
les seconds de ces animaux. J. P. FOLEY junior 2 a observé, chez le singe, que l'animal
pouvait être immobilisé par l'effleurement des yeux et de la poitrine ou encore lorsque
l'on fixait sa tête contre un dossier. La même fixation de l'attitude pouvait être provo-
quée par le fait de placer devant ses yeux un système de lentilles qui renversaient les
images de son champ visuel. La « réaction » est donc en un certain sens conditionnée.
Il s'agit de « réflexes d'immobilisation » étudiés par CZERMAK, MANGOLD, PREGER 3,
etc ... KUTTNER 4 a montré que ces réactions catatoniques se produisent chez beaucoup
d'animaux en dehors de toute intervention d'agents pharmacologiques. On comprend
que de tels comportements aient créé une difficulté 5 nouvelle et assez gênante pour
l'interprétation des résultats des expériences chez les animaux...
Nous ne saurions terminer ce paragraphe consacré à la catatonie expérimentale …les agents pharmacolo-
sans parler des agents pharmacologiques qui suspendent la catatonie. EVRARD et gique senspendant la
SPIEGEL 6 ont étudié expérimentalement l'action de la cocaïne. KAUFMAN et catatonie expérimentale:
la cocaïne, le mélange
SPIEGEL 7 l'action du mélange de gaz carbonique et d'oxygène. Mais c'est surtout
gaz carbonique et oxygè-
l'amytal sodique qui a été étudié ces dernières années, par LORENZ 8, BLEEKWENN 9, ne, l'amytal sodique sur-
MASPERO et VISINTINI 10, DELAY et MALLET 11. KERMANN 12, a noté l'abolition de la tout…
catalepsie bulbocapnique chez le chat mais par l'action de la tétrahydro-naphtyl-
amine 13.
137
ÉTUDE N°10
138
LA CATATONIE
beaucoup de travaux sur l'anatomie pathologique de la schizophrénie en général enve- …beaucoup de travaux
loppent tout naturellement la question de l'anatomie pathologique de la catatonie et sur l'anatomie patholo-
gique de la schizophrénie
nous ne pouvons pas songer dans cette étude à aborder la généralité de ce problème.
en général enveloppent
Ces réserves étant faites, voici les principaux faits. Le travail de KLIPPEL et tout naturellement la
LHERMITTE 1 ne comporte que l'étude de trois cas sans mention de catatonie. Le tra- question de l'anatomie
vail classique de KLARFELD 2 n'apporte non plus aucune précision sur l'histopatholo- pathologique de la cata-
tonie…
gie de la catatonie en particulier. Par contre, le cas n° 11 (Wolf) du travail de
JOSEPHY 3 est intéressant. Il s'agissait d'une forme catatonique et paranoïde, il exis-
tait des troubles de l'architectonie corticale par « pathoclise » de la troisième
couche de BRODMANN, amincissement diffus avec sclérose, dégénérescence graisseu-
se, mais il y avait également des lésions pallidales avec altération cellulaire, dépôts
pigmentaires et concrétions pseudo-calcaires de SPATZ. JOSEPHY considérait que,
dans ce cas, il y avait un syndrome moteur (catatonie avec troubles moteurs impor-
tants) dépendant de l'atteinte pallidale et des troubles psychiques dépendant des
lésions corticales. BOSTROEM en discutant cette opinion 4 fait remarquer que l'on trou-
vait cliniquement des traits de catatonie nets dans les observations 1, 3 et 10 de
JOSEPHY et moins caractérisés dans les observations 7 et 9 alors que seul dans le pre-
mier cas JOSEPHY a pu noter quelques lésions sous-corticales. Par contre, dans les cas
4, 5,, 6 et 8, il existait des lésions des noyaux gris centraux sans traits de catatonie...
Un peu plus tard FUNFGELD 5 a voulu vérifier l'hypothèse de KUPPER sur les lésions des
noyaux gris centraux. Ses constatations effectuées sur 5 cerveaux (dont 4 de catato-
niques) ont été négatives, – dans les cas 1 et 2 il existait quelques lésions au niveau du
striatum. – GUIRAUD et Henri EY 6 ont rapporté l'observation d'un jeune homme de 22
ans ayant présenté un syndrome catatonique typique et d'évolution rapide (deux ans).
Il y avait une atteinte névroglique du type dégénérescence mucocytaire de GRYNFELDT
et des lésions des cellules nerveuses dans tout l'encéphale, la protubérance, le
bulbe et la moelle cervicale. Les régions les plus atteintes étaient le globus pallidus, le
putamen et le noyau caudé, la substance de REICHERT et le tuber. BOSTROEM 7 a fait
examiner par KLARFELD le cerveau d'une jeune catatonique de 35 ans qui avait fait pen-
ser à un syndrome encéphalitique : il n'existait aucune lésion de type encéphalitique,
par contre il y avait quelques lésions cellulaires dans le cortex et les noyaux centraux
« comme on en trouve dans la démence précoce ». BUSCAINO, soit par l'étude de
139
ÉTUDE N°10
quelques observations personnelles 1, soit par l'analyse méthodique des travaux sur
la physio-cérébro-pathologie de la démence précoce qu'il a systématiquement effec-
tuée 2, s'est efforcé de montrer l'existence de zones de désintégration « en grappe » qui
frappent avec élection les couches « mésencéphaliques » de l'écorce et c'est à son avis
aux atteintes des centres mésencéphaliques consécutives à ces lésions corticales que
correspondrait le syndrome catatonique. CLAUDE, LHERMITTE et BARUK ont publié l'ob-
servation d'une catatonie tardive associée à des troubles aphasiques et à un syndrome
bulbaire, l'examen histo-pathologique a montré des lésions cellulaires diffuses à type
abiotrophique atteignant le cortex et aussi les noyaux opto-striés, mais respectant
remarquablement le système pyramidal et cérébelleux, BARUK et CUEL 3 ont relaté une
obser vation de « catatonie de KAHLBAUM » dans laquelle prédominaient une raideur
intense et une attitude en flexion avec enroulement extrême, ils ont mis en évidence
des lésions vasculaires de capillarité diffuse à type chronique.
Nous n'avons pas la prétention d'épuiser ici par cette énumération succincte toutes
les observations histopathologiques publiées dans la littérature depuis vingt ans. Mais
nous devons indiquer que ces études histopathologiques, à notre grand étonnement,
sont beaucoup plus rares que l'on pourrait s'y attendre. Cela n'a pas empêché les
protagonistes des discussions sur la localisation de la catatonie de soutenir entre
eux de vives discussions.
Théories méso-diencéphaliques.
… les travaux qui inter- Déjà LEHMAN en 1858 localisait dans les noyaux gris centraux la « lésion dyna-
prètent la catatonie mique » de la catatonie ! L'étude des mouvements et du tonus telle qu'elle résulte des
comme un trouble muscu-
travaux que nous avons analysés plus haut et qui interprètent la catatonie comme un
laire, ne pouvait qu'en-
courager les auteurs à
trouble musculaire, une « myotonie » (KAHLBAUM), ne pouvait qu'encourager les
admettre un trouble de la auteurs à admettre un trouble de la régulation du tonus, des mouvements automatiques,
régulation du tonus, des des expressions émotionnelles, etc... et à le rapporter à une atteinte des appareils de
mouvements automa-
régulation, figurés par les noyaux gris de la base, et les formations mésencéphaliques.
tiques, des expressions
émotionnelles, etc...
Naturellement la pathologie extrapyramidale des contractures des hyperkinésies, des
…et à le rapporter à une hypokinésies et des parakinésies parkinsoniennes a, depuis 1920, fait avancer d'un
atteinte des appareils de grand pas, ces interprétations anatomo-physiologistes. Tandis que chez nous DIDE et
régulation, figurés par les
GUIRAUD (dès 1921), puis TRUELLE et PETIT 4, BERNADOU 5 et PADEANO 8, systémati-
noyaux gris de la base…
140
LA CATATONIE
141
ÉTUDE N°10
géré et une activité volontaire kinétique » ; les répétitions motrices ou mouvements fré-
quentatifs sont à rapprocher de tous les automatismes de répétition du syndrome par-
kinsonien. Certaines positions stéréotypées sont très voisines du « Stellreflexe » de
MAGNUS (réflexe d'attitude) et rappellent parfois la « dysbasia lordotica ». Dans l'ana-
lyse du « syndrome stéréotypie » qu'il a présentée plus récemment, GUIRAUD 1 admet
que sous ce nom on groupe une grande variété de symptômes parmi lesquels il distingue
des attitudes et mouvements déformés par troubles du tonus musculaire, des troubles de
la mimique, le réveil d'attitudes réflexes archaïques, l'immobilisation de la main et des
doigts par troubles végétatifs et des itérations authentiques (palikinésies) qui se ren-
contrent aussi bien dans la catatonie que dans les syndromes encéphalitiques (il est vrai
qu'il signale en même temps des fixations invariables de comportement, des habitudes
stables par déficit mental et des répétitions exprimant un état affectif permanent et des
…Quant au maniérisme, « actes continués inutilement » chez des hébéphréno-catatoniques). Quant au maniéris-
il s'expliquerait neurolo- me, il s'expliquerait neurologiquement de la même manière que la catalepsie et les sté-
giquement de la même
réotypies, le trouble réside dans la tendance au maintien des postures, successives, dans
manière que la catalepsie
et les stéréotypies… le caractère fréquentatif des éléments d'actes et dans l'hypertonie variable de certains
troubles musculaires. Les mouvements anormaux parasites (grimaces, sourires, demi-
rires purements moteurs, myoclonies) sont analogues aux symptômes observés dans la
pathologie mésencéphalique et opto-striée. Certains épisodes moteurs (ictus apoplecti-
formes et épileptiformes) rappellent la rigidité décérébrée. Enfin le syndrome psy-
chique de la catatonie comporte essentiellement une emprise des automatismes moteurs
et surtout une dyskinagnosie provenant de l'atteinte des relais cénesthésiques, thalamo-
corticaux. Cette ignorance du corps, quand elle s'accentue, conduit à la stupeur vraie,
moins accentuée, elle donne au malade l'impression de dématérialisation et l'étrangeté.
BUSCAINO 2, à son tour, admet que la catatonie est due à l'action sur la base du
cerveau de substance de structure aminée (analogue à la bulbocapnine, au somnifène,
etc.). Son argumentation est à peu près la même mais moins approfondie que celle de
GUIRAUD. Un autre italien, SALMON 3, a publié, comme nous l'avons aussi déjà vu, de
nombreux travaux qui défendent des points de vue analogues. Il retourne non sans per-
tinence, l'argument phylogénétique avancé par certains auteurs : si les animaux
dépourvus d'écorce ne font pas de catatonie, c'est donc que les lésions qui provoquent
la catatonie agissent sur d'autres portions du cerveau ! SALMON note la relative fré-
quence de l'association de la catatonie avec des lésions cérébelleuses ou du système
fronto-ponto-cérébelleux et il cite à cet égard les faits rapportés par SCHILDER,
142
LA CATATONIE
SOUQUES, BUSCAINO, JACOB, TINEL, DIDE et GUIRAUD, c'est-à-dire les observations qui
mettent en évidence des altérations des voies extrapyramidales. Il insiste sur le rapport
de la catatonie et de la pathologie du sommeil. Il rappelle naturellement, comme la plu-
part des auteurs qui sont partisans de la théorie mésencéphalo-diencéphalique, que
DEMOLE 1 a rapporté, qu'au cours de ses expériences sur les chats et les lapins, il a pu
observer des « phénomènes d'allure catatonique » alors que la lésion expérimentale
intéressait le thalamus à un peu moins d'un centimètre de la ligne médiane.
Lojos ANGYAL 2 distingue parmi les syndromes psychomoteurs deux sortes de
troubles, des troubles des impulsions (Antriebe) et troubles de l'innervation. Il a ana-
lysé deux catatoniques, chacun étant démonstratif de l'un ou l'autre groupe de
symptômes. Dans le premier, il s'agissait de stupeur avec hypertonie et flexibilité
cireuse paraissant relever de lésions du thalamus. Dans le second, il s'agissait de crises
catatoniques avec catalepsie et hyperkinésies et lésions strio-pallidales.
E. P INTO 3 rapporte dix cas avec examen anatomique et conclut « qu'il ne
fait de doute pour personne que le syndrome catatonie appartient à la pathologie extra-
pyramidale ».
MARINESCO, KREINDLER et COHEN 4 à propos d'un cas de catatonie chez un
enfant (sans autopsie) admettent du fait de l'intrication de chorée et de catalepsie qu'il
s'agit d'une atteinte du système nigro-pallidal libérant les centres mésencéphaliques.
A son tour, Nathalie ZAND 5 a observé des états cataleptoïdes avec apathie
« comme conséquence de lésions expérimentales de l'hypothalamus chez les lapins ».
Tous ces travaux qui, comme on le voit, se situent surtout entre 1920 et 1930, s'ins- …Tous ces travaux qui,
pirent généralement des idées défendues par CAMUS, MARTIN REICHARDT, BERZE, etc., comme on le voit, se
situent surtout entre 1920
sur les fonctions des centres sous-corticaux considérés comme centres régulateurs des
et 1930, s'inspirent géné-
fonctions psychiques. Plus récemment, G. OTTAVIANO et P. PAPPALARDO 6 ont encore ralement des idées défen-
conclu de leur étude sur la catatonie expérimentale chez le chien que celle-ci réalisait dues par CAMUS, Martin
un véritable syndrome extrapyramidal. On conçoit en effet que, au regard de la symp- REICHARD, BERZE, etc., sur
les fonctions des centres
tomatologie catatonique où prédominent la raideur musculaire, l'akinésie, les mouve-
sous-corticaux considérés
ments automatiques, les décharges motrices, etc., toutes les expériences ou toutes les comme centres régula-
observations cliniques sur la physiopathologie méso-diencéphalique imposent aisé- teurs des fonctions psy-
ment à l'esprit que la catatonie se rapproche d'un syndrome extrapyramidal. chiques…
1. DEMOLE, Réunion Neurologique, juin 1927. Il s'agit à vrai dire d'une note très brève
et qui n'a jamais été à notre connaissance explicitée.
2. Lojos ANGYAL, Obs. Hotil., 1931, (en hongrois), analysé in Zentralblatt 1932.
3. P INTO, Mem. Hop. Juquery, 1929 (en portugais).
4. MARINESCO, KREINDLER et COHEN, Riforma medica, 1930.
5. Nathalie ZAND , Rev. Neuro., 1939, I.
6. G. OTTAVIANO et P. PAPPALARDO, Ricerche farmacologiche sulla bulbocapnina,
Acta Neurologica (Naples), 1947, pp. 66 à 75.
143
ÉTUDE N°10
On peut s'étonner que nous n'ayons pas encore parlé du système de localisation
de KLEIST. Tandis qu'il s'était tout d'abord 1 orienté vers une localisation frontale des
troubles psychomoteurs qui lui paraissaient dépendre de l'atteinte du système fronto-
ponto-cérébelleux, plus tard dans son travail de 1922 2, il distingue les akinésies et
hyperkinésies, des troubles moteurs moins directement liés à l'ensemble de la vie
psychique et il estima que ces troubles « psycho-moteurs » (dans le sens de
WERNICKE) ont des analogies avec ceux que l'on observe dans les affections du cer-
velet, des ganglions sous-corticaux et du lobe frontal, et notamment dans l'encépha-
lite. Il a étudié des cas de lésions des noyaux gris centraux où s'observaient des
troubles psycho-moteurs. C'est ainsi que les hyperkinésies psychomotrices et la cho-
réo-athétose procèdent, selon lui, de conditions anatomiques analogues, elles peu-
vent être déclenchées par des lésions striées comme par des atteintes des pédoncules
cérébelleux. Ces troubles constituent des manifestations d'une incoordination, d'une
désinhibition des automatismes striés. Cependant ces hyperkinésies dans les lésions
nerveuses en foyer sont généralement plus simples que dans les syndromes mentaux
parce qu'alors « le processus associe des troubles corticaux aux altérations des
noyaux gris centraux ». L'apparition de stéréotypies est favorisée par une atteinte
concomitante de l'hémisphère gauche avec manifestations agnoso-apraxo-apha-
siques. Il rapporte à la fin de son travail un cas avec tumeur temporopariétale inté-
ressant le putamen et la pallidum gauche avec catatonie 3. Dans sa
« Gehirnpathologie » (1932), KLEIST s'engage plus nettement et il admet une partici-
pation du tronc cérébral beaucoup plus considérable. Sur cinq blessés frontaux ayant
présenté des troubles cataleptiques, il semblait exister des lésions du tronc cérébral.
Voici comment se présente un peu plus tard sa conception de la localisation de la
…KLEIST distingue deux catatonie 4. Il y a lieu de distinguer deux genres de mouvements : la psychomotrici-
genres de mouvements : té intégrée du Moi, à l'activité psychique et la sphère myostatique comprenant des
la psychomotricité inté-
mouvements étrangers au Moi. La psychomotricité est liée aux pulsions (Antriebe),
grée du Moi, à l'activité
psychique et la sphère émanant de la vie psychique (cerveau frontal orbitaire), mais elle a sa représentation
myotatique comprenant dans le tronc cérébral là où la psychomotricité se met en relation avec les tendances
des mouvements étran- (Strebung) et avec les mouvements. Les troubles du système psychomoteur en rela-
gers au Moi…
tion avec les mouvements amyostatiques se situent entre les hyperkinésies (mouve-
ments automatiques expressifs, parakinésies, etc...) et l'akinésie, ceux qui provien-
144
LA CATATONIE
nent d'une altération du système psychomoteur en relation avec les instincts consti-
tuent le syndrome catatonique proprement dit (maniérisme, stéréotypies, itérations,
catalepsie, échopraxie et négativisme). Ces troubles psychomoteurs sont donc dis-
tincts des formes myostatiques de la pathologie motrice (choréo-athétose, tics,
spasmes de torsion). Aux crises amyostatiques avec rigidité correspondent sur le plan
psychomoteur à l'akinésie avec flexibilité cireuse, l'opposition, la catalepsie et le
négativisme car le système psychomoteur et le système myostatique ont la même
représentation sur le tronc cérébral. Enfin dans son rapport au Congrès allemand de
Neurologie et Psychiatrie « sur les localisations cérébrales 1 » étudiant la pathologie
du système proprioceptif et les troubles apraxiques frontaux, il signale que l'inertie
motrice des schizophrènes et des catatoniques en particulier fait penser non seule-
ment au déficit des impulsions caractéristiques de la pathologie mentale mais enco-
re à l'apraxie frontale : « Cependant, ajoute-t-il, la délimitation à l'égard des symp-
tômes psychomoteurs propres au tronc cérébral comme l'akinésie avec flexibilité ou
la catalepsie, la résistance et le négativisme est très difficile » (p. 178). On voit que
la théorie localisatrice de KLEIST est, en ce qui concerne la catatonie, assez vague. Il
semble qu'il se soit surtout soucié de dissocier les divers « éléments » du trouble cata-
tonique pour les localiser dans des systèmes fonctionnels très divers.
A. B. STOKES 2 admettant pour les formes de catatonie périodique une « accumu-
lation de nitrogènes », trouble biochimique de l'équilibre azoté, étudié par HOSKINS 3
1. Le 24 août 1936, comptes-rendus in Zeitsch.f. Neuro., 1937., 169, pp. 159 à 193.
2. A. B. STOKES, Metabolic Investigation in per. Cat., Proc. Rev. Soc. Med., 1941.
3. HOSKINS, The biology of Schizophrenie, New-York, 1946.
4. N. JANTZ, Veränderungen der Stoffwechsel in Meskalinrausch, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1941.
5. BONAR LINDSLAY, Periodic catatonia, J. of Med. Scien., 1948.
6. Diego FURTADO, Rev. Neuro., 1946, p. 499.
7. BARAHONA FERNANDES, Sobre a inervaçao antagoniste, A Medicina contemporanea, 1937.
145
ÉTUDE N°10
libre des groupes antagonistes de E. BECK 1, pense qu'il faut distinguer ces perturba-
tions de la dynamique du tonus (qui se situent à des niveaux inférieurs au noyau rouge
et probablement dans les noyaux de DEITERS et de DARKIEWITSCH) des réactions néga-
tivistes des catatoniques, qui – thème constant de toutes ses critiques – dépendent de
troubles plus globaux et supérieurs, c'est-à-dire selon la conception de la plupart des
neuro-anatomophysiologistes de « troubles corticaux ».
Théories corticales.
Nous venons de voir plus haut que KLEIST avait d'abord localisé (1908) l'ensemble
de ces troubles au lobe frontal et qu'au terme actuel de son évolution il restait encore
hésitant, tout en attribuant plus d'importance au tronc cérébral. Cependant, certains
auteurs n'hésitent pas à se réclamer de lui. Ainsi BELA MORANVI-HOCHST 2 qui a obser-
vé un état de stupeur akinétique chez une malade de 20 ans, laquelle succomba à une
hémorragie frontale gauche, pense que cela « confirme les vues de KLEIST »... Quoi
…c'est surtout dans le qu'il en soit, c'est surtout dans le lobe frontal que la plupart des auteurs ont situé le
lobe frontal que la plu- siège de la catatonie envisagée comme un syndrome cortical. On sait en effet que cer-
part des auteurs ont situé
tains signes de torpeur avec inertie psychomotrice ont été considérés comme des mani-
le siège de la catatonie
envisagée comme un syn- festations de lésions pré-frontales. – BARUK et PUECH 3 ont étudié la question par voie
drome cortical… expérimentale. Les imprégnations du lobe frontal par la bulbocapnine ont donné des
résultats négatifs chez le singe. Expérimentant sur des animaux (lapins et singes) pri-
vés de lobes frontaux, ils ont pu provoquer la catatonie bulbocapnique qui leur a même
paru plus accentuée ; dans un cas d'ablation unilatérale d'un lobe préfrontal, la cata-
lepsie prédominait du côté opposé à la lésion. – R. MESSIMY 4 rapportant avec J.
FINAN 5 les effets chez le singe de l'ablation des lobes frontaux a signalé, après l'opé-
ration, une déficience profonde de l'activité et de l'initiative des mouvements : l'animal
reste dans un coin de la cage, la tête rétractée, les membres en flexion, abduction, les
mains et les pieds appuyés contre la paroi grillagée. Cette attitude « recroquevillée »
donne à l'animal un air de méditation apparente. Contrastant avec cette apathie, appa-
raissent, à cette période, les mouvements brusques, rapides à caractère stéréotypé.
Après cette première phase de 2 à 3 semaines, les mouvements stéréotypés augmen-
tent de fréquence et, après un mois ou deux, l'activité devient incessante (ce qui
contraste avec la diminution de l'hypertonie extrapyramidale et la tendance catalep-
146
LA CATATONIE
1. BRICKNER, Research nerv. and ment, diseases Proc, 13, 1934., pp. 259 à 351.
2. F. MOREL, Introduction à la Psychiatrie Neurologique, 1947, p. 266.
147
ÉTUDE N°10
manière de voir puisque, d'après ce que nous avons exposé, la catatonie ne se produit
que chez les animaux vertébrés pourvus d'un néo-cortex et que certaines expériences
de décortication auraient paru empêcher la production de la catatonie bulbocapnique...
Cette argumentation se heurte cependant à des faits ou à des critiques auxquelles
BARUK n'a peut-être pas été insensible puisque dans son étude récente des « troubles
psychomoteurs 1 », il affirme : « il résulte donc de nos expériences que les troubles
psychomoteurs ne peuvent pas être localisés et qu'ils dépendent du cerveau tout entier
de même qu'ils sont liés au psychisme entier 2 ».
*
* *
…Voilà exposées, sous Voilà exposées, sous leur aspect essentiel et avec leur conclusion assez décevante,
leur aspect essentiel et les principales théories localisatrices de la catatonie. Elles nous suggèrent les
avec leur conclusion
remarques suivantes :
assez décevante, les prin-
cipales théories localisa- 1° L'anatomie pathologique montre nombre de lésions étendues à tout le névraxe
trices de la catatonie… sans qu'il soit possible de déterminer par les seules méthodes histopathologiques
actuellement connues, le siège des lésions qui déterminent la catatonie.
2° II existe une confusion entre les notions de système extrapyramidal et de sys-
tème cortical. Beaucoup d'anatomophysiologistes admettent en effet que le système
extra-pyramidal s'étend jusqu'au cortex préfrontal. On trouvera par exemple dans le
travail de MESSIMY 3 une bonne étude des relations anatomiques des lobes fron-
taux et de la corticalité avec les noyaux gris centraux : les lobes préfrontaux consti-
tueraient les organes inhibiteurs du système extrapyramidal. On a aussi étudié une
contracture extrapyramidale (DONAGGIO, GOLDSTEIN) par désinhibition due à des
lésions corticales. Des constatations analogues ont été faites par les Anglo-Saxons au
cours de ces dernières années : OLMSTED et LOGAN 4, LAUGWORTHY 5, RICHTER et
HINES 6, FULTON et KENNARD 7, FULTON 8, BUCY 9, etc. Par conséquent, théorie
« extrapyramidale » et théorie « corticale » ne s'excluent pas.
3° II y aurait lieu de dissiper un autre regrettable malentendu. Quand on parle de
la nature corticale ou sous-corticale d'un syndrome, veut-on dire que les lésions qui les
148
LA CATATONIE
149
ÉTUDE N°10
encore il persiste un malentendu car il n'est pas du tout évident que l'écorce cérébrale
joue le rôle qu'on lui assigne. Inversement, certains auteurs croient défendre à la fois
la nature élémentaire et motrice du trouble en le rattachant à la pathologie diencépha-
lique, c'est-à-dire des centres, que certains et parfois eux-mêmes (GUIRAUD) considè-
rent comme des centres psychiques...
– Nous venons d'examiner sous tous leurs aspects les diverses théories pathogé-
niques. Au terme de ces études anciennes et récentes, la catatonie, si elle se trouve
éclaircie dans un certain nombre de ses aspects particuliers et de ses mécanismes ner-
veux, n'en paraît pas moins complexe et polymorphe. En ce qui concerne l'analyse
physiologique, nous avons vu que l'on comprend sous ce nom une gamme fort riche
de troubles moteurs et psychomoteurs de niveaux divers dont les plus typiques parais-
sent constituer des modalités du comportement relativement élevées dans la hiérarchie
des fonctions. L'étude de la catatonie expérimentale nous a montré non pas qu'une
cause chimique ou physique ou physiologique constitue l'agent spécifique de la cata-
tonie mais que celle-ci, au contraire, apparaît être un mode de réaction psychopatho-
…la catatonie apparaît
être un mode de réaction logique très générale aux processus les plus divers. Enfin l'examen du problème ana-
psychopathologique très tomique, loin de préciser un siège bien déterminé des lésions qui déterminent la
générale aux processus catatonie, nous a révélé que c'était pour ainsi dire le cerveau tout entier (STECK,
les plus divers…
BARUK), qui était atteint et qu'en tout cas, on ne pouvait se représenter les états grou-
…les états groupés sous pés sous un même nom, celui de « CATATONIE » que comme un niveau de régression,
un même nom, celui de de dissolution, des fonctions motrices allant des formes les plus psychiques aux plus
« Catatonie » ne peuvent
« amyostatiques » (KLEIST) sans que le siège cortical ou sous-cortical des lésions
se représenter que comme
un niveau de régression, soit nettement établi. De telle sorte que sous ces controverses « manifestes », il y a
de dissolution, des fonc- un conflit « latent », celui qui oppose les théories neurologiques de la catatonie, c'est-
tions motrices allant des à-dire celles qui défendent sa nature « élémentaire », « basale », « amyostatique », ou
formes les plus psy-
encore « éréismatique 1 », dirait W. R. HESS, et ceux qui identifient le comportement
chiques aux plus « amyo-
tatiques »… catatonique à une dissolution globale et apicale de l'activité psychomotrice supérieu-
re de la « téléocinésie » pour reprendre une autre expression de W. R. H ESS .
1. W. R. HESS, Physiologische Aspekts der extrapyramidal Motorik. Der Nervenarzt, 1942, pp.
457 à 466. Ce travail ne cesse de poser une distinction capitale entre « Motorik » et
« Psychomotrizität », entre le plan myostatique et le plan psychomoteur, entre la Neurologie et
la Psychiatrie, dirions-nous.
150
LA CATATONIE
cun dans sa façon de comprendre et d'expliquer les symptômes en psychiatrie, les théo-
ries générales de la catatonie se confondent plus ou moins avec la façon d'envisager la
psychiatrie propre à chaque auteur... Ce sera une raison de plus d'abréger « au maxi-
mum » cet exposé qui finirait par coïncider trop nécessairement avec celui des ten-
dances en psychopathologie générale. Nous devons enfin, avant d'entrer dans l'étude
de ces divers points de vue, faire remarquer que, parfois, les auteurs eux-mêmes n'ont
pas exprimé leur pensée aussi rigoureusement et clairement que ne le laisserait suppo-
ser la possibilité de présenter leurs explications dans un ordre cohérent et systéma-
tique. Nous nous permettrons de compléter parfois leur pensée en nous gardant d'en
trahir l'esprit.
A. – T H É O R I E S MÉCANICISTES
Elles expliquent la catatonie sous ses diverses formes par des troubles fonctionnels …Les théories mécani-
partiels élémentaires et basaux du système nerveux (excitation de certains centres ou cistes expliquent la cata-
tonie sous ses diverses
désintégration de certaines fonctions isolées).
formes par des troubles
Tout d'abord, rappelons encore la conception de KAHLBAUM qui paraissait fonctionnels partiels élé-
expliquer la catatonie par un trouble du tonus musculaire primitif (Spannungsirresein). mentaires et basaux du
WERNICKE, en se représentant les « troubles psychomoteurs » qui définissaient système nerveux…
pour lui des « psychoses de la motilité » comme des troubles simplement plus com-
pliqués que des réflexes (réflexes introduisant un terme psychique dans leur circuit), a
ouvert la voie à une série de conceptions de la catatonie dont nous allons retracer la
filiation. Lui-même 1, étudiant les « psychoses de la motilité » sous leurs diverses
formes akinétiques, hyperkinétiques et parakinétiques, se représentait la catatonie
comme une collection de symptômes qu'il fallait bien attribuer à une hypofonction ou
à un trouble des fonctions psychomotrices pour ce qui est des akinésies ou paraki-
nésies ou à des excitations motrices anormales pour les hyperkinésies. La stupeur
n'était, à ses yeux, par rapport aux phénomènes moteurs qu'un symptôme « à distan-
ce » et contingent. Le primat du trouble moteur était ainsi affirmé par lui à l'égard de
tous les autres troubles affectifs ou de la conscience, l'individu se montrant « étran-
ger » et « passif » à l'égard de ses symptômes moteurs. ROLLER (1884), CRAMER
(1890), LUNDBORG (1905) et enfin le représentant contemporain de la pensée de
WERNICKE, KLEIST, se sont fortement inspirés de la conception du Maître de Breslau.
KLEIST, après quelques hésitations (de 1908 à 1923), nous l'avons vu, a admis que
les troubles qui constituent la catatonie, sont des troubles « psychomoteurs » au sens
de WERNICKE et nous avons vu précédemment comment il se représente les troubles
psychomoteurs catatoniques qui résultent d'une sorte de désintégration des fonc-
tions motrices aux divers étages du système nerveux. Malgré qu'il juge celles-ci en
151
ÉTUDE N°10
rapport avec les instances psychiques dans le déterminisme de ces troubles, il n'en
continue pas moins la tradition de WERNICKE et se représente la catatonie comme une
mosaïque de figures motrices plus ou moins élémentaires provoquées par une juxta-
position d'atteintes lésionnelles de l'écorce ou du tronc cérébral.
…Chez nous, GUIRAUD a Chez nous, GUIRAUD a adopté une position mécaniciste analogue dans l'interpré-
adopté une position tation qu'il a donnée (1925 à 1927) de la catatonie... Pour lui, il s'agit aussi d'une col-
mécaniciste analogue
lection de symptômes produits directement par l'atteinte de plusieurs centres, spécia-
dans l'interprétation qu'il
a donnée (1925 à 1927) lement des centres sous-corticaux, qui règlent le tonus et les automatismes moteurs.
de la catatonie[…]; le Les troubles psychiques sont également dans sa conception fortuitement juxtaposés
syndrome catatonique est aux troubles moteurs primitifs ou en dépendent. Son esprit d'analyse bien connu le
pour lui essentiellement
porte à distinguer et à isoler toujours davantage des troubles du tonus et du mouve-
un syndrome « neurolo-
gique »… ment qui constituent, à ses yeux, les éléments du tableau clinique correspondant à une
atteinte sélective du système nerveux : le syndrome catatonique est pour lui essentiel-
lement un syndrome « neurologique ».
Naturellement presque tous les auteurs qui assimilent purement et simplement le
syndrome catatonique à un syndrome strié ou mésencéphalique (BUSCAINO, PADEANO,
FRANKEL, etc..) défendent l'idée d'une genèse purement motrice de la catatonie, puis-
qu'ils admettent qu'elle se compose de troubles élémentaires et basaux, plus ou moins
proches des hypertonies ou hypercinésies extrapyramidales.
Comme cette théorie mécaniciste ne se réduit pas à une seule position anatomique
et que l'on peut se représenter aussi des troubles corticaux « comme des troubles élé-
mentaires et partiels », rien d'étonnant à ce que nous puissions faire figurer parmi les
…nous pouvons faire
théoriciens mécanicistes de la catatonie le nom de Herman de JONG, en faisant d'abord
figurer parmi les théori-
ciens mécanicistes de la allusion à ses premiers travaux, notamment (ce qui opposera clairement sa position
catatonie le nom de doctrinale à celle de son collaborateur BARUK). Dans une série de travaux (1925 à
Herman de JONG, en fai- 1929) cet auteur a émis une théorie corticale des troubles catatoniques qui vaut d'être
sant d'abord allusion à
rappelée ici. Pour lui le trouble « essentiel » et basal réside dans une innervation patho-
ses premiers travaux…
logique du système moteur volontaire qui déclenche des réactions psycho-motrices
automatiques. Ce trouble primitif lui paraissait conditionné par des variations patho-
logiques du seuil de réaction aux facteurs extérieurs des cellules corticales : « leur
seuil de décharge s'abaisse et l'énergie entassée dans les cellules motrices se décharge
spontanément ou à la suite d'incitation nerveuse ». Ainsi se déclenchent les mouve-
ments antagonistes propres à la catalepsie. Il ne serait pas difficile de montrer que cette
conception mécaniciste de DE JONG a « induit » celle de BARUK mais celui-ci a mani-
festé une tendance générale différente dans la conduite de ses travaux comme nous le
verrons plus loin.
Séparé à nouveau de BARUK, il semble que H. DE JONG ne soit pas revenu cepen-
dant à sa première tendance si nous avons bien compris le sens de son dernier
152
LA CATATONIE
A l'opposé des théories dont nous venons de parler, la psychogénèse appliquée à certains auteurs comme
CLAUDE, BOREL et ROBIN
l'explication de la catatonie la fait dépendre d'une genèse purement psychique. A la
(1925 à 1927),[…] ont
suite des idées d'Adolf MEYER 3, qui a défendu sa nature « réactionnelle » à l'égard cru pouvoir interpréter
des situations vitales et la nature « finaliste » de sa valeur expressive de l'inconscient dans ce sens [psychogé-
conforme aux conceptions de FREUD, certains auteurs comme CLAUDE, BOREL et nétique], nombre de réac-
tions de négativisme, de
ROBIN (1925 à 1927), et la plus grande partie des psychiatres anglo-saxons contem-
stéréotypies, d'immobili-
porains ont cru pouvoir interpréter dans ce sens, nombre de réactions de négativisme, sation, etc...
de stéréotypies, d'immobilisation, etc... Sans doute CLAUDE les opposait-il aux « cata- …théorie purement psy-
tonies vraies » de la démence précoce « vraie » mais il n'en présentait pas moins une chogénique du comporte-
ment catatonique qui sou-
théorie purement psychogénique du comportement catatonique qui souleva à l'époque
leva à l'époque chez nous
chez nous une assez vive réaction. une assez vive réaction…
C'est l'école psychanalytique qui a mis au premier plan de la causalité des états
catatoniques les facteurs psychiques et notamment les facteurs psychiques incons-
cients. Voici l'essentiel de la conception première de FREUD et de JUNG 4. Les conflits
affectifs sont des causes de la maladie, la psychose représentant une sorte de com-
pensation. De même que le névropathe adopte sa contracture, sa paralysie ou son
angoisse pour fuir une représentation pénible, de même que toute psychonévrose n'est
qu'un moyen de se soustraire à telle ou telle tendance répugnante, de même que le rêve
normal est un moyen inconscient de satisfaire ses instincts primitifs et exprimer un
désir, de même la démence précoce est une tentative de réalisation des instincts pri-
mordiaux et avec ABRAHAM 5, il faudrait voir dans l'expression clinique de la cata- …avec ABRAHAM, il fau-
drait voir dans l'expres-
tonie une expression de l'auto-érotisme. Les gestes du catatonique, ses attitudes, son
sion clinique de la catato-
silence, son immobilité, son introversion, son négativisme, sont des manifestations nie une expression de
narcissiques. RANK 6 a soutenu l'opinion que le catatonique exprime le désir de retour l'auto-érotisme…
dans l'utérus maternel et TAUSK a considéré l'enroulement de son corps sur lui-
153
ÉTUDE N°10
C. – THÉORIES ORGANO-DYNAMISTES
…C'est d'une toute autre C'est d'une toute autre manière que ces théories comprennent la régression. A leurs
manière que les théories
yeux cette régression dépend d'un désordre du substratum organique (et elles s'op-
organo-dynamistes com-
prennent la régression. posent aux théories psychogénistes sur ce point) et diffère d'une production méca-
[Elle] dépend d'un nique de mouvements anormaux (et elles s'opposent sur ce point aux théories
désordre du substratum mécanicistes) : la catatonie est une régression des fonctions psychiques, conditionnée
organique…
1. NUNBERG, Die psychosexuele Differenzen zwischen Hysterie und Dementia Precox,
Zentralblatt f. Nervenheilkunde, 1908, 19.
2. P. SCHILDER, Seele und Leben, 1923 et Psychoanalytische Psychiatrie (1928), chapitres
VIII et IX.
3. Nous avons mis en italique dans cet exposé les termes qui définissent le plus fortement
le sens général de la théorie psychogénétique. Une telle conception des troubles catatoniques
vise certes quelque chose de réel, c'est la structure significative du comportement catatonique
que nous serions bien les derniers à contester. Mais elle fait appel pour expliquer le trouble
à une finalité de la maladie qui lui retire précisément son caractère pathologique, qui est d'être
primitivement régressif, fait qui éclate dans l'observation clinique. Pour si complexuelle que
soit la pensée du catatonique et elle l'est jusqu'à lui faire revivre les phases les plus archaïques
de sa libido pré-objectale et même pré-natale, elle est l'effet de la maladie et non sa cause.
Cela nous paraît évident et soustrait la catatonie aux naïvetés d'une psychogénèse un peu
trop sommaire,
154
LA CATATONIE
155
ÉTUDE N°10
telle ou telle explication anatomique de cette régression, elle est cependant, à ses yeux,
déterminée « par une modification organique du cerveau » (p. 190).
…une dernière forme de Enfin, une dernière forme de ces conceptions, cette fois d'inspiration plus résolu-
ces conceptions, cette fois ment jacksonienne se rencontre dans certains travaux sur la catatonie (SAGER,
d'inspiration plus résolu- KAUDERS, etc.) Nous en avons déjà parlé et il suffira de les rappeler rapidement.
ment jacksonienne se ren-
Signalons que ni TRIANTOPHYLLOS 1, ni LEWIN 2, ni MONAKOW et MOURGUE 3 ni H. F.
contre dans certains tra-
vaux sur la catatonie… HOFFMANN 4 tout en appliquant plus ou moins heureusement les principes de JACKSON
à la psychiatrie n'ont étudié résolument dans cette perspective le problème de la cata-
tonie. C'est ainsi que dans son deuxième article, LEWIN ne s'occupe que du langage
incohérent des schizophrènes catatoniques. Par contre, c'est consciemment ou incons-
…inspirés par la concep- ciemment inspirés par la conception de JACKSON qu'un certain nombre d'auteurs ont
tion de JACKSON, un cer- envisagé la catatonie comme une forme de dissolution des fonctions nerveuses de type
tain nombre d'auteurs ont
dissolution uniforme et apicale. L'idée maîtresse de toutes leurs hypothèses que
envisagé la catatonie
comme une forme de dis- nous groupons ici est de considérer la catatonie comme une forme régressive de la
solution des fonctions pensée et comme l'expression d'un travail psychique secondaire à la dissolution
nerveuses de type dissolu- des fonctions psychiques supérieures. La catatonie est alors conçue comme un
tion uniforme et apicale…
syndrome de niveau élevé et non élémentaire et en tout cas comme la conséquence
d'un trouble des fonctions neuro-psychiques, ce qui, naturellement, ne se confond
ni avec l'idée de la psychogénèse, puisque cette dissolution est conditionnée par un
désordre somatique, nerveux et cérébral, ni avec les théories mécanicistes qui font
de la catatonie une désintégration basale non conditionnée par des troubles psychiques
(celle-là, aux yeux des mécanicistes, conditionnant, au contraire, ceux-ci). – C'est dire
que ce genre de conception de la catatonie s'appuie sur les analyses des cliniciens qui,
comme nous l'avons vu, font dépendre la catatonie d'un état de trouble psychique lui-
même organiquement conditionné (stupeur, dissociation schizophréniques, etc...) Mais
certaines théories, dont nous allons parler, vont cependant plus loin dans l'hypothèse
que celles de KRAEPELIN, JANET, WEYGAND, BLEULER, SÉGLAS, etc... car elles essayent
de présenter une théorie cérébrale de la catatonie.
Naturellement, leurs auteurs cherchent à faire coïncider l'essence du trouble, qui
atteint primordialement les fonctions psychiques élevées, avec une atteinte primitive et
plus ou moins profonde du système cérébral qui leur paraît représenter l'appareil « cen-
tral » de la vie psychique. Le schème d'explication anatomo-physiologique va donc être
différent selon que l'on supposera les « centres » les plus élevés du psychisme dans telle
ou telle région de l'encéphale, mais l'essentiel des diverses théories reste toujours le
156
LA CATATONIE
157
ÉTUDE N°10
CONCLUSIONS
I. SÉMÉIOLOGIE
On désigne en clinique psychiatrique du même terme « catatonie », des
troubles psychomoteurs fort différents. Tantôt, on met l'accent sur des troubles du
comportement caractérisés par l'opposition, le maniérisme, l'impulsivité. Tantôt, on
appelle catatoniques, des troubles akinétiques ou parakinétiques automatiques qui
témoignent d'une certaine inertie. En fait, au sens large, la catatonie comprend un
ensemble de troubles des fonctions motrices caractérisés par la tendance à l'immobi-
lité, à la répétition et à l'automatisme, soit que ces troubles se déroulent à un niveau
supérieur et s'intègrent dans des cycles de comportement psychopathologiques com-
plexes, soit qu'ils se produisent sous forme plus rudimentaire à des niveaux de disso-
lution psychique plus profonde. C'est-à-dire que :
1° La séméiologie des états catatoniques est protéiforme. Si quelques traits demeu-
rent caractéristiques, ils se distribuent dans le tableau clinique en s'associant à des
troubles psychiques ou psychomoteurs si variés qu'il est impossible de décrire un syn-
drome catatonique pur et toujours semblable à lui-même.
…Les troubles catato- 2° Les troubles catatoniques ne sont qu'une partie d'un tout et c'est ce « tout »
niques ne sont qu'une (dissociation schizophrénique, stupeur, état crépusculaire, confusion, etc...) qui carac-
partie d'un tout… térise telle ou telle forme clinique de catatonie.
La catatonie n'est même pas un syndrome, si on entend par là un ensemble de symp-
tômes assez caractéristique pour faire l'objet d'une description typique et univoque. Ce
que l'on croit décrire parfois comme syndrome catatonique, puis « comme catatonie
vraie », n'est qu'une forme de la conscience schizophrénique ou hébéphrénique.
158
LA CATATONIE
La catatonie est un mode de réaction fréquent du psychisme morbide (comparable …la catatonie n'est qu'un
par exemple à l'anxiété, à l'activité hallucinatoire ou aux troubles de la mémoire) dont aspect relativement
contingent de la séméio-
la structure négative impose à la conscience ses formes caractéristiques d'organisa-
logie des psychoses, plu-
tion : inertie, répétition, etc. C'est un aspect relativement contingent de la séméiologie tôt qu'un « syndrome »
des psychoses, plutôt qu'un « syndrome » nettement caractérisé. nettement caractérisé…
II. NOSOGRAPHIE
Nous sommes bien loin de l'idée première de KAHLBAUM qui espérait que, quelque
jour, sa description correspondrait à une entité comme ce fut le cas pour la paralysie
générale. En fait les signes énumérés par KAHLBAUM appartiennent en propre avec une
grande fréquence aux psychoses décrites par KRAEPELIN SOUS le nom de « démence
précoce » et par BLEULER sous le nom de « schizophrénie ». Mais ces « psychoses »
ne nous apparaissent elles-mêmes que comme des syndromes et pas plus qu'elles ne se
manifestent toujours sous la forme de catatonie, toutes les catatonies ne sont pas néces-
sairement symptomatiques de ces psychoses ! Les réactions catatoniques se rencon- …Les réactions catato-
trent en effet du haut jusqu'en bas de l'échelle des niveaux de dissolution que repré- niques se rencontrent en
effet du haut jusqu'en bas
sentent les névroses et les psychoses. Qu'il s'agisse des manifestations motrices de
de l'échelle des niveaux
l'hypnose, de la catalepsie hystérique, et même de certains comportements symbo- de dissolution que repré-
liques de nature obsessionnelle au niveau des psychonévroses, de formes catatoniques sentent les névroses et les
des psychoses maniaco-dépressives, des stupeurs confusionnelles à forme catatonique psychoses…
ou encore des états catatoniques démentiels, à des degrés divers sous des formes dif-
férentes et surtout intégrés à un ensemble de troubles qui lui donnent une physionomie
propre, la catatonie se rencontre dans toute la série des psychoses, soit que prédomi-
nent aux niveaux les plus élevés, les attitudes théâtrales, les bizarreries de gestes et de
mimique, les comportements complexes et significatifs, soit que prévalent l'inertie
motrice, la catalepsie, la répétition et les mouvements automatiques.
III. PATHOGÉNIE.
Puisque « la catatonie » ne constitue pas un syndrome bien caractérisé et constant,
les théories pathogéniques qui se proposent de l'expliquer portent à faux parce qu'elles
cherchent à expliquer par un mécanisme unique des troubles variés et variables dans
leur nature. On comprend que selon que le trouble envisagé sera du type où prédomi- …les troubles catato-
niques constituent une
nent l'hypertonie, la raideur musculaire, la catalepsie, ou bien du type caractérisé par
forme régressive de l'orga-
l'opposition négativiste, le maniérisme et l'impulsivité, les théories proposées seront nisation motrice, […] qui
assez différentes ainsi qu'il nous a été loisible de nous en rendre compte. La seule théo- atteint le comportement
rie assez générale eet compréhensible pour s'appliquer à l'ensemble des troubles psy- volontaire, et le désorgani-
se jusqu'à « découvrir » la
chomoteurs est une théorie organo-dynamiste qui admet que les troubles catatoniques
couche la plus automa-
constituent une forme régressive de l'organisation motrice, praxique, gestuelle, tique et la plus archaïque
mimique, posturale qui atteint le comportement volontaire, et le désorganise jusqu'à de la motilité.
159
ÉTUDE N°10
160
LA CATATONIE
utilisant des formules diverses, insistent sur le fait que la catatonie n'est pas un trouble
étranger à la personnalité, au Moi, se situant au-dessous des fonctions psychiques
supérieures, mais au contraire qu'elle est l'expression d'un bouleversement de la struc-
ture psychique du Moi (KLEIST). C'est donc en ce sens que tout en admettant l'orga-
nicité, la « cérébralité » même des « troubles catatoniques » et comme nous le ver-
rons en terminant, en acceptant l'idée de lésions catatonigènes, même localisées, nous
ne saurions assimiler la catatonie à des troubles moteurs d'un niveau plus élémentaire,
plus basaux, plus partiels, essentiellement « neurologiques » comme la « catalepsie
cérébelleuse » ou les troubles du tonus et des automatismes moteurs du Parkinsonien.
Même si dans certains cas de dissolution profonde (rapide comme dans certaines
stupeurs confusionnelles ou progressives et lente comme dans les évolutions hébé-
phréno-catatoniques typiques), la couche fonctionnelle profonde est elle-même
atteinte et se trouvent alors libérés des automatismes diencéphaliques ou mésencépha-
liques, le tableau clinique reste essentiellement celui d'une stupeur ou d'une dissocia-
tion et n'offre pas ce contraste, si saisissant et caractéristique des troubles neurolo-
giques, entre le trouble des fonctions instrumentales, d'une part et la lucidité de la
conscience, l'intégrité psychique, d'autre part.
Comment enfin se présente à nous la question de la localisation de la catatonie à
telle ou telle portion du névraxe? Il nous paraît nécessaire et suffisant d'admettre que
la catatonie dépend de désordres somatiques et cérébraux capables d'entraîner primiti- …la catatonie dépend de
vement des troubles psychiques et secondairement des troubles psycho-moteurs. Les désordres somatiques et
cérébraux capables d'en-
données les plus récentes de l'anatomie pathologique sont assez peu précises pour que
traîner primitivement des
nous ne puissions savoir s'il s'agit d'une lésion localisée du cerveau ou d'une lésion de troubles psychiques et
« centres énergétiques du psychisme ». Il est possible, sinon probable que certaines secondairement des
portions du cerveau jouent ce rôle et la controverse sur le siège cortical ou sous-corti- troubles psycho-moteurs…
cal des lésions catatonigènes ne nous paraît pas à cet égard terminée, mais nous admet-
trions assez volontiers que les lésions du diencéphale sont capables de conditionner
l'état de stupeur ou de dissociation (pour ne parler que des deux conditions négatives
les plus habituelles de la catatonie) qui engendre la dissolution des cycles fonctionnels
moteurs dont les divers degrés et les formes variées constituent les troubles de la série
catatonique.
Ainsi concluons-nous :
161
ÉTUDE N°10
BIBLIOGRAPHIE
Nous avons indiqué la plupart des références dans les notes au bas de la page.
Nous renvoyons pour les travaux de ces 20 ou 30 dernières années aux répertoires de
BARUK et de JONG, du Traité de BUMKE, de BUSCAINO (Rivista di Psichiatria et
Neopsichiatria 1932-1938), de L. BELLAK (Dementia Precox, New York 1948), etc.
162
Étude n° 11 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
IMPULSIONS
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
163
ÉTUDE N° 11
1. Cf. notamment son travail dans le n° 1 de L'Évolution Psychiatrique, 1947, BARUK: « Les
troubles psychomoteurs », p. 167.
2. En allemand il existe un grand nombre d'expressions qui désignent les actes impulsifs
(Impulsiveakten) en relation avec les instincts (Triebe), les pulsions (Antriebe) et qui se présen-
tent sous forme de décharges forcées (Drangentladungen) de brutales satisfactions
(Drangberuhigung), de besoins (Sucht), de phénomènes obsessionnels (Zwangsphenomene),
d'hyperkinésies myostatiques (KLEIST) OU dystoniques (LOTMAR).
3. BERZE, Die primären Insuffizienz der psychischen « Aktivität », Leipzig-Vienne, 1914.
4. JASPERS, Allg. Psycho-Pathologie, 3ème édition, 1923.
164
IMPULSIONS
165
ÉTUDE N° 11
mais la forme, la morphologie même des mouvements. La déformation porte sur l'am-
plitude, la fréquence, la mise en train, la simplicité de la figure motrice, sa direction,
etc... Ces expériences motrices qu'on a souvent confondues avec les syndromes
« amyostatiques » 1 de type chorée ou athétose sont vécues comme « anormales et
pseudo-spontanées » 2, c'est-à-dire sur un registre d'ambiguïté délirante. Quant aux
paracinésies choréo-athétosiques, elles sont vécues comme un accident tout à fait
excentrique par rapport à la vie psychique.
Les hypercinésies élémentaires réalisent également une forme de transition avec
les syndromes proprement neurologiques (rigidité décérébrée, convulsions tonico-clo-
niques). On les observe nettement au cours du coma insulinique. Leur caractère ryth-
mique est très remarquable, de même le fait que ces mouvements s'opèrent en masse
et de façon désordonnée. Ce sont des mouvements très analogues à ceux du nouveau-
né » 3. Les hypercinésies complexes représentent des actes compliqués (pantomimes,
escrime, boxe, conduite d'une auto, etc.). Elles affectent la forme d'actes impulsifs. De
cette notion, il faut exclure, dit l'auteur, les actes exécutés « impulsivement », c'est-à-
dire d'une façon violente et imprévue et ceux qui résultent d'une perturbation instinc-
tive primaire (correspondant aux actes instinctifs proprement dits de BOSTROEM). Il
s'agit dans ces cas surtout d'automatismes psycho-moteurs qui se produisent soit
comme décharges impulsives (Drang) sans finalité très précise et donnant au sujet
l'impression d'être entraîné malgré soi comme l'a bien analysé SCHNEIDER – soit
comme décharges en courts-circuits (dans le sens de KLEIST) qui constituent des
réponses impulsives et automatiques aux excitations extérieures. A cette classe de phé-
nomènes appartiennent les impulsions « moriatiques » préfrontales et les impulsions
catatoniques. Tous ces actes impulsifs sont vécus sous forme délirante, hallucinatoire
ou obsessionnelle.
L'ensemble de cette classification hiérarchique des désintégrations hyper-ciné-
tiques, c'est-à-dire des libérations d'automatismes de plus en plus élevés et intégrés au
moi, vécus avec une « participation onirique » plus ou moins grande, constitue une
série continue de syndromes « s'étageant depuis « les dissolutions locales » de la
motricité jusqu'aux dissolutions uniformes ».
Les « impulsions», les actes automatiques, les décharges motrices, les « courts-
circuits, les hypercinésies expressives, etc., sont les conséquences de la rupture de
l'unité psychologique de l'activité psycho-motrice sous l'influence de l'intervention de
mécanismes neuro-psychiques vitaux désharmoniquement émancipés ou désintégrés
de l'assemblage psycho-somatique de l'individu ».
…il faut distinguer deux Il suffit de jeter un coup d'oeil sur toutes ces classifications et descriptions un peu
pôles : celui des décharges rébarbatives pour comprendre que, dans la masse de tous ces « mouvements automa-
motrices qui échappent au
tiques », de ces « impulsions », il faut distinguer deux pôles : celui des décharges
contrôle et celui des alté-
rations de ce contrôle… motrices qui échappent au contrôle et celui des altérations de ce contrôle.
1. Toute cette étude est conduite par l'auteur, élève de KLEIST en conformité avec les notions cou-
rantes de la Physiologie nerveuse et de la neuro-psychiatrie allemande.
2. Nos cas B. J. et L., publiés dans le travail Syndromes hyperkinétiques striés et troubles men-
taux, Congrès de Zurich, 1936 pourraient illustrer ce type de psychomotricité pathologique qui
ressemble à la chorée sans en être.
3. Ce niveau fonctionnel a été bien mis en évidence dans le travail de M. BERGERON, Les mani-
festations motrices spontanées de l'enfant, 1947, dont nous avons fait une analyse dans l'Évolu-
tion Psychiatrique, 1947, n° 4.
166
IMPULSIONS
Autrement dit ce sont des niveaux et des structures différents de l'automatisme que …ce sont des niveaux et
nous allons devoir étudier à propos de la diversité clinique qui se dissimule sous le mot des structures différents
de l'automatisme que
« impulsions ». C'est dire que le problème de l'impulsivité est un problème difficile qui
nous allons devoir étu-
pose, et à la fois, toutes les questions les plus obscures de la psychopathologie, celles dier…
des propulsions, pulsions et tendances de l'instinct, celles de l'humeur, celle des mou-
vements automatiques, celle de la volonté, et qui exige par conséquent une conception
d'ensemble des mouvements, de l'émotion, et des actes, dans leurs relations avec la
couche affective profonde, avec l'inconscient et les centres nerveux, c'est-à-dire rien …cela exige […] rien de
moins qu'une théorie des
de moins qu'une théorie des rapports de la neurologie et de la psychiatrie. Nous avons
rapports de la neurologie
déjà précédemment envisagé, à propos de la catatonie, l'essentiel de ce problème, mais et de la psychiatrie…
nous serons obligés d'y revenir encore ici.
Nous étudierons, pour l'appréhender aussi complètement et clairement que pos-
sible, successivement :
1° Les formes cliniques des divers « mouvements » ou « actes impulsifs ».
2° La forme de l'impulsivité dans les diverses affections neurologiques et psy-
chiatriques.
3° Les conceptions théoriques sur la pathogénie des automatismes impulsifs.
4° La phénoménologie du comportement impulsif et des mouvements automa-
tiques.
A. – LES PROTOPULSIONS
Ce sont des mouvements automatiques qui présentent ces caractères formels, que …Les protopulsions :
endogénéité et incoercibi-
leur reconnaissait déjà MORSELLI 1 : l'endogénéité et l'incoercibilité. Le caractère d'en-
lité…
dogénéité correspond au fait que l'impulsion apparaît sans liaison avec les événements
extérieurs, comme si elle était déclenchée par un ressort interne, comme si elle tirait
sa force et sa tyrannie d'un mécanisme monté dans les profondeurs de l'organisme.
L'incoercibilité, c'est-à-dire le caractère « forcé », « automatique » exprime le fait que
l'impulsion échappe au contrôle du Moi, qu'elle se déroule en dehors de son action à
1. MORSELLI, Manuele di semeiotice delle malattie mentale, 2ème édition, Milan, 1894.
167
ÉTUDE N° 11
Lui, et malgré Lui, qu'elle se présente comme un acte irrésistible ou auquel il est
impuissant à s'opposer.
A cet égard, il convient de décrire deux types d'actes impulsifs : les protopulsions
kinétiques et les protopulsions instinctives.
Les protopulsions kinétiques 1 Ce sont des désintégrations hyperkinétiques du
…monotypies rythmiques : genre par exemple des monotypies rythmiques (balancement du tronc, de la tête) ou
balancement du tronc, de des crises d'enroulement autour de l'axe du corps (automatose de ZINGERLE 2) ou enco-
la tête, enroulement du
re des phénomènes de préhension « forcée 3 » souvent liés aux actes « forcés » de suc-
corps…
cion 4. Elles présentent parfois un remarquable caractère d'importunité (« prehensio
…parakinésies : ainsi se persecutoria » ou « Nachgreifen »). Il peut s'agir de parakinésies avec altération de la
rompt l'harmonie des forme et de l'aspect externe des mouvements expressifs ou intentionnels (WERNICKE),
mélodies motrices au pro-
qui se détachent paradoxalement du fond kinétique ou postural soit sous forme de sur-
fit de contretemps ou de
dissonances… charges parasites soit sous forme de décharges irruptives. Ainsi se rompt l'harmonie
des mélodies motrices au profit de contretemps ou de dissonances (mouvements rep-
tatifs, fréquentatifs, allongés, discontinus, saccadés, spasmodiques, toniques, kinésies
de jeu 6 à forme de danse, de balancements, de détentes brusques, pianotements, chi-
quenaudes, tortillements, saltation gracieuse ou grotesque, etc.). Parfois ces parakiné-
sies surgissent sur un fond athétoïde ou choréique. Exceptionnellement, elles peuvent
affecter la forme de mouvements balistiques 6. Enfin, il faut signaler ici les grands
…grands accès d'actes accès d'automatisme ambulatoire ou de comportement complexe (s'habiller, se désha-
automatiques… biller, fuir, courir, exécuter des actes habituels ou professionnels, etc.).
L'ensemble de tous ces troubles psycho-moteurs présente des caractères spéciaux
de saugrenuité : ils sont inopportuns, inadaptés, intempestifs. Quant à l'amplitude, à la
vitesse et à la complication de leurs déroulements kinétiques il y a lieu de noter qu'ils
se présentent souvent sous la forme de décharges motrices sommaires et brutales ; par-
168
IMPULSIONS
1. Toute dialectique restera impuissante à détruire (même quand elle les appellera d'un autre nom)
ce système de forces qui ne sont ni plus ni moins « magiques » que le dessin ou, si l'on veut, le
dessein d'un organisme.
169
ÉTUDE N° 11
tion et le besoin dont elle naît, selon la loi du tout ou rien, l'impulsion se déchaîne dans
une foudroyante décharge d'énergie dont le circuit, subliminal à la conscience, n'est
chargé que de sauvage animalité ou, tout au moins, de primitive humanité.
Notons enfin que les protopulsions se manifestent sous deux formes cliniques très
différentes. Tantôt elles se présentent dans une éclipse totale ou subtotale de la
conscience comme si brutalement tout l'édifice fonctionnel effondré régressait jusqu'à
ne plus permettre que des mouvements violents, anarchiques et aveugles. Tantôt elles
se présentent comme des actes forcés parasites qui « éclatent », saugrenus et explosifs,
à la surface et à la périphérie d'une conscience lucide et c'est alors qu'elles se présen-
tent sous leur forme la plus typique.
1. Pas plus qu'on ne peut échapper à la notion d'instinct, on ne peut entièrement échapper à celle
des réflexes en tant que comportement relativement constant ou fixe au service du programme
vital.
170
IMPULSIONS
condensent, se précisent les tendances affectives, la peur, la jalousie, la colère, etc. … c'est le cas au niveau
C'est le cas à un niveau supérieur des « bouffées délirantes », des états oniroïdes ou supérieur des bouffées
délirantes […], où les
crépusculaires, des délires épisodiques hallucinatoires ou de dépersonnalisation où
coups, la dénudation, les
les coups, la dénudation, les extravagances de la conduite sont solidaires de la fiction extravagances de la
vécue avec les énigmes, et le comportement magique qu'elle détermine. C'est le cas conduite sont solidaires
encore des crises de mélancolie anxieuse où le suicide, les réactions auto- et hétéro- de la fiction vécue…
…c'est le cas des suicides
agressives ou de terreur pantophobiques sont engendrées par l'angoisse et toutes les
dans les mélancolies… ou
lignes de force idéo-affectives qui en rayonnent. C'est le cas enfin de l'accès d'agita- des accès d'agitation
tion maniaque où les excentricités, les actes érotiques, le jeu intempestif et frénétique maniaques…
reflètent la joviale ou coléreuse volatilité de la fuite des idées.
Quand il s'agit d'une organisation morbide de la personnalité sur le plan des …dans les organisations
morbides de la personna-
démences, des schizophrénies, des délires chroniques ou des névroses, l'impulsivité
lité […] l'impulsivité n'est
n'est encore là qu'une forme de comportement en relation avec l'organisation même de encore là qu'une forme de
la vie psychique : la déchéance du comportement démentiel ravalé au niveau d'une comportement en relation
organisation primitive et quasi animale où prédominent les pulsions instinctives – l'au- avec l'organisation même
de la vie psychique…
tisme, où s'accumulent des tensions affectives en rapport avec le travail de modifica-
tion et d'introversion des valeurs de réalité – le système de polarisation délirante de la
persécution paranoïaque qui contracte les pulsions hétéro- et auto-agressives en fais-
ceaux de tendances prêtes à se détendre violemment – la pensée compulsionnelle de
l'obsédé qui porte en lui une charge impulsive qu'il maîtrise à grand'peine, etc..
Dans tous ces cas, sous la condition négative de la dissolution de la conscience
réfléchie et de la personnalité libre, c'est le déchaînement instinctivo-affectif qui repré-
sente la positivité de l'être subsistant. L'impulsivité est cette positivité et elle est enraci- …L'impulsivité est cette
née au plus profond de la couche archaïque des désirs et des tendances. L'appareil pul- positivité et elle est enra-
cinée au plus profond de
sionnel qui trouve dans ce comportement une issue n'est autre que le substratum com-
la couche archaïque des
plexuel et inconscient de l'activité restante soudée à la couche profonde de l'être. désirs…
L'impulsion homicide d'un délirant tout de même que les réactions suicides d'un mélan-
colique, les fugues d'un schizophrène, les actes grotesques ou agressifs d'un obsédé sont
en étroite et profonde relation avec l'organisation de son inconscient, sont expressifs de
ses complexes inconscients mis à jour par la dissolution morbide. C'est l'énergie de ces
noyaux instinctifs sous leur forme complexuelle plus ou moins archaïque (narcissisme,
œdipe, autopunition, etc.) qui constitue la force d'expansion des « comportements
impulsifs » dont les couches profondes du Moi constituent le centre et le foyer. Rien
d'étonnant dès lors que ces irruptions affectent presque toujours la forme de grands
comportements complexuels : meurtres, violences sado-masochistes, actes d'agression
…la violente et primitive
ou d'agitation clastique, fugues, manœuvres incendiaires, etc., c'est-à-dire de tous les poussée instinctuelle du
actes « défendus » parce qu'ils sont précisément ceux où s'investit la violente et primi- « Ça » et l'énergie du
tive poussée instinctuelle du « Ça » et l'énergie du « Sur-Moi ». « Sur-Moi ».…
171
ÉTUDE N° 11
…les impulsions de l'acti- Nous ne saurions oublier de faire une mention spéciale aux impulsions de l'activi-
vité verbale…
té verbale.
Certaines formes de langage impulsif sont du type des protopulsions en forme de
court-circuit : écholalie, palilalie, tics verbaux, coprolalie. Les malades répètent les
mots d'une manière incoercible ou, atteints de véritables « convulsions verbales », pro-
fèrent des mots, des jurons, des injures.
D'autres constituent des impulsions plus organisées sous forme de langage impul-
sif, cris, chants, discours, écriture ou langage « automatique » (Drang-sprechen), glos-
solalie, arithmomanie, rythmes et jeux verbaux « psittaciques » etc...
Parfois ces impulsions verbales se trouvent seulement « à l'état naissant » sous
forme de langage intérieur : ce sont tous les aspects de 1' « hyperendophasie »
(SÉGLAS) de ses formes hallucinatoires et notamment sous forme de langage « forcé »
à type d'hallucinations psychomotrices.
Rien ne saurait mieux illustrer à quel point d'impuissance peut aboutir une séméio-
logie atomistique des impulsions qui sépare ses manifestations de la structure déliran-
te dont elle procède 1.
L'épilepsie est caractérisée par des accidents paroxystiques sous forme de dissolu-
tion comateuse soudaine et brève de la conscience. Ce rapide mouvement de dissolu-
tion libère des formes de décharges motrices cloniques et toniques qui constituent l'at-
172
IMPULSIONS
taque. Mais une telle forme de dissolution profonde et brutale n'est pas la seule et soit
qu'il s'arrête à un degré moindre de profondeur soit qu'il se prolonge et varie dans ses
degrés, le processus comitial est essentiellement générateur d'impulsions de toute sorte
et de tous genres. C'est là une des acquisitions les plus anciennes et les plus solides de
la Clinique Psychiatrique.
Les protopulsions comitiales automatiques et inconscientes sont naturellement très …Les protopulsions
fréquentes. Nous n'insisterons pas sur tous les mouvements (kinésies, parakinésies, comitiales automatiques
et inconscientes sont
hyperkinésies) proprement « neurologiques », c'est-à-dire ceux qui constituent des
naturellement très fré-
décharges en courts-circuits de la motilité la plus spécifiquement organisée. Ce sont quentes…[…] décharges
leurs caractères de rythme d'impétuosité, d'intempestivité, d'inadaptation qui leur confè- en courts-circuits de la
rent ces marques spéciales de violence ou de cocasserie insolite par quoi elles se défi- motilité la plus spécifi-
quement organisée…
nissent généralement. Un épileptique (cité par PICHON 1888) sautait sur son comptoir
devant ses clients en proférant des paroles bizarres. LEGRAND DU SAULLE (1877) a …cocasserie insolite…
observé un fonctionnaire qui se mettait brusquement à aboyer, prenant une attitude gro-
tesque. Un malade de PICARD (1927) entra dans la boutique d'un épicier inconnu, servit
les clients, mit en sac des légumes, les pesa, etc., puis continua son chemin. Une autre
faisait à 5 h. 15 du soir ce qu'elle a coutume de faire à 5 h. 15 du matin. Une autre enco-
re refaisait son repas qu'elle avait déjà fait 1. Les actes automatiques complexes d'équi-
libration ou ambulatoires sont également bien connus. CHARCOT a rapporté le cas d'un
malade qui sortit brusquement, se jeta à l'eau et « se réveilla » en train de nager dans la
Seine. Les fugues inconscientes et amnésiques sont classiques et rangées dans les phé- …fugues inconscientes et
nomènes « d'épilepsie procursive » : un malade de DELMAS s'est rendu en train à amnésiques…
Marseille, un autre cité par PICARD se retrouva à Venise. Et on connaît même de plus
grands voyages (Le Havre-Bombay chez un malade de LEGRAND DU SAULLE !) Des
automatismes professionnels sont très fréquents : travaux de couture, frottage des par-
quets, rabotage, etc... Les impulsions verbales 2 sont parmi les plus curieuses : le mala- …impulsions verbales…
de profère alors des jurons, des mots incohérents. Un malade de CHEADL répétait une
dizaine de fois « mass of war ». Un sujet observé par PICARD se grattait la tête et répé-
tait sans fin « atone, atone, atone... etc.». La palilalie est en effet très fréquente, plus
rarement il existe de l'écholalie, Parfois il s'agit de phrases courtes et saugrenues. Un
malade d'HERPIN par un temps détestable disait « quel beau temps » et un autre s'incli-
nait devant son frère lui disant « Sonnez Madame » 3. D'autres épileptiques chantent des
refrains ou écrivent. ROGUES DE FURSAC avait bien noté les caractères de passivité et
d'impulsivité de ces écrits où on retrouve sous forme graphique les mêmes aspects ité-
1. Nous empruntons beaucoup de ces exemples à la thèse de J. PICARD : Les actes automatiques
de « nature comitiale », Thèse, Paris, 1927. On en trouvera bien d'autres dans le livre de L.
MARCHAND et J. DE AJURIAGUERRA : Épilepsies, paru dans cette même collection (1948).
2. FRANKELA., Les impulsions verbales dans l'épilepsie, Thèse, Bordeaux, 1934.
3. Langage automatique qui rejoint ici la cocasserie « surréaliste ».
173
ÉTUDE N° 11
1. On trouvera dans leur livre (1948) p. 517 une excellente étude de cette question.
2. Dipsomanies, Ann. Médico-Psycho., 1946, II, p. 43.
3. DELGADO ROIG, Sobre dos cases de dispomania de tipo epileptoïde, Archivos de
Neurobiologia, 1927.
4. Nous retrouverons le problème de la dipsomanie plus loin à propos de l'alcoolisme.
5. MARCHAND et J. DE AJURIAGUERRA, p. 514.
6. Cf. Plus loin, p. 183.
7. MARCHAND et D'AJURIAGUERRA, Les accès de rire pathologique chez les épileptiques, Ann.
Médico-Psycho., Cf. dans leur livre les pp. 337-475 et surtout 501.
174
IMPULSIONS
sommaires de type para- ou hyperkinétique qui définit les protopulsions. L'épilepsie, …L'épilepsie, en effet,
en effet, réalise aussi des « comportements impulsifs » solidaires d'une organisation réalise aussi des « com-
portements impulsifs »
morbide de la conscience. Les accès confusionnels, les états oniroïdes ou crépuscu-
solidaires d'une organisa-
laires comitiaux déterminent des actes impulsifs par la polarisation affective qu'ils tion morbide de la
entraînent. On doit rappeler ici les grands massacres, les sauvages carnages épilep- conscience. […] les mas-
tiques exécutés dans un état crépusculaire et délirant de la conscience. Nous consa- sacres, les sauvages car-
nages, les meurtres…
crerons dans un autre volume une « Étude »spéciale à un de ces meurtres si drama-
tiques. Bornons-nous à rappeler le fameux cas de TOSELLI et TOVATO relaté dans le livre
de KRAFFT-EBING : au cours d'un délire hallucinatoire terrifiant avec délire religieux,
le malade Pionzo tua sa femme et quatre autres personnes ! Les fugues, les suicides,
les auto-mutilations, les attentats à la pudeur, les violences clastiques, les comporte-
ments d'anxiété, de jeu, les frénésies de toute sorte expriment le « vécu » des expé-
riences délirantes primaires de ces états 1.
A un degré d'organisation plus élevé, l'impulsivité comitiale est « consciente et …A un degré d'organisa-
mnésique » surtout dans certaines formes d'épilepsie larvée (MOREL) à accès incom- tion plus élevé, l'impulsivi-
té comitiale est « conscien-
plets. DUCOSTE 2 a très bien analysé les caractères de cette impulsivité ; instantanéité,
te et mnésique »…
soudaineté, imprévu du début, violences des actes impulsifs, accaparement de la vie
psychique par l'idée impulsive, périodicité, identité des attaques, terminaison brusque
avec fatigue morale et physique. On conçoit que certaines formes d'actes impulsifs puis-
sent affecter un caractère passionnel. Tel ce jeune épileptique que nous avons expertisé
et qui accumula toutes les fureurs de ses accès comitiaux en un système de polarisation
affective dont la personne de son oncle constituait la cible. Il finit par décharger son
revolver dans l'abdomen de « l'objet » de sa revendication passionnelle...
Enfin l'impulsivité comitiale peut prendre les aspects d'une obsession impulsive. … et peut prendre l'as-
pects d'une obsession
Souvent, comme le fait remarquer DUCOSTE, il s'agit d'une propension plutôt que d'une
impulsive…
impulsion et cette remarque témoigne encore de l'impossibilité de trouver une nette
ligne de démarcation entre l'impulsivité et l'incoercibilité des actes et des idées de
l'épileptique et les troubles proprement obsessionnels. Un auteur anglais ancien,
MICKLER (cité par PITRES et RÉGIS, 1902), signalait les difficultés du diagnostic dans
ces cas : « Des obsessions peuvent immédiatement précéder l'attaque convulsive à titre …« Des obsessions peu-
vent immédiatement pré-
d'aura ou peuvent survenir chez les épileptiques à des intervalles quasi lucides ».
céder l'attaque convulsive
Rappelons que pour MAGNAN les impulsions, les obsessions, les accidents convulsifs à titre d'aura…»…
forment partie du tableau clinique des « épisodes » paroxystiques des dégénérés. MICKLER…
1. On trouvera dans les Leçons Cliniques de MAGNAN, pour ne citer qu'un des plus grands clas-
siques, pp. 35 à 42, des exemples typiques de cette impulsivité épileptique.
2. DUCOSTE, De l'épilepsie consciente et amnésique et en particulier d'un de ses équivalents psy-
chiques, le suicide impulsif conscient. Thèse de Bordeaux, 1899. On trouvera dans ce travail un
certain nombre de références bibliographiques sur les travaux de l'école anglaise sur cette ques-
tion (CLARKE, HUGUES BOMAISTER, etc...).
175
ÉTUDE N° 11
GRIESINGER, WESTPHAL, LEGRAND DU SAULLE, Ch. FÉRÉ, etc. pour ne citer que les
grands noms, ont admis la nature comitiale de certains de ces états obsessionnels
paroxystiques. Et ce n'est guère que par un souci nosographique un peu étroit que cer-
tains auteurs (dont MARCHAND) n'acceptent pas de voir les faits dans cette perspective.
Rappelons à ce sujet que BARUK 1, étudiant les troubles de la pensée intérieure de l'épi-
lepsie, a admis cette parenté et que MARCHAND lui-même avec AJURIAGUERRA 2 ont
publié une observation intéressante à cet égard.
Ainsi c'est toute la gamme des impulsions que l'épilepsie déroule aux yeux du cli-
nicien et c'est le premier fait, et capital, que nous devions mettre en évidence.
2° Alcoolisme et impulsions.
176
IMPULSIONS
1. CULLERRE, Des impulsions systématisées dans l'ébriété du point de vue clinique et médico-
légal, Thèse, Paris, 1919.
2. Cf. notamment MAGNAN : Étude clinique des impulsions et des actes des aliénés, Tribune
Médicale, mars, 1881.
3. TRUELLE, Société de Médecine Mentale, 1913, p. 113. Les travaux de l'école de MAGNAN
(LEGRAIN, BRIAND, COLIN, TRUELLE, etc... foisonnent de cas semblables).
177
ÉTUDE N° 11
3° Schizophrénie et impulsions.
…l'impulsivité des L'étude de l'impulsivité des « déments précoces » se confond si exactement avec
« déments précoces » se celle de la « catatonie » que nous avons présentée, qu'il nous sera permis sur ce point
confond avec celle de la
« catatonie »…
d'être encore plus brefs malgré l'importance considérable de telles conduites parfois
meurtrières, souvent clastiques et toujours déconcertantes.
1. Du rôle de l'alcool dans la nocivité des obsédés impulsifs, Thèse, Paris, 1913.
2. MAGNAN, Leçons sur la « Dipsomanie », Maladies Mentales, 1883.
3. ESQUIROL, Traité, t. II, p. 72.
4. MEGGENDORFER, Traité de BUMKE, VII, p. 196.
5. KIELHOLZ, Trunksucht und Psychanalyse, Archives suisses de Neuro. et de Psych., 1925, pp.
27 à 35.
178
IMPULSIONS
Dans la phase de début et parfois même comme « signal symptôme », nous ren-
controns :
a) des actes saugrenus. Les actes intempestifs, les conduites bizarres, de subites …actes intempestifs, les
violences, des lubies soudaines surprennent l'entourage. C'est une jeune fille qui brus- conduites bizarres, de
subites violences, des
quement fait ses besoins sur le tapis du salon de sa mère ou se lève dans la nuit pour lubies soudaines…
jouer du piano ou fait des fugues plus ou moins prolongées et mystérieuses qui inquiè-
tent sa famille plus affolée encore, à son retour, par ses attitudes énigmatiques. C'est
un jeune étudiant qui grimpe sur les toits ou arrache des affiches ventant les mérites
d'un savon ou encore un séminariste qui descend l'escalier du métro à califourchon sur
la rampe, ou cette institutrice qui saute à la corde à la cérémonie de distribution des
…inexplicables déchar-
prix, etc. Dans de violentes et inexplicables décharges clastiques les malades brisent
ges clastiques…
les carreaux et la vaisselle ou détruisent meubles et vêtements : un malade scie les
pieds de tous les sièges de l'appartement de ses parents, un autre enfonce sa tête dans
la cuvette des cabinets. Celle-ci découpe avec des ciseaux à broder tous les rideaux et
les draps de lit en une après-midi. Celui-là encore joue du cor de chasse dans sa bai-
gnoire, etc.
b) des actes d'agression personnelle. Parfois il s'agit d'impulsions auto-destruc- …impulsions auto-des-
tructrices particulière-
trices particulièrement étranges. Ainsi WESTPHAL (1928) raconte qu'une de ses
ment étranges…
malades se garnit les organes génitaux avec des chiffons imbibés d'huile et y mit le feu
« pour que son âme monte au ciel ». Les auto-mutilations sont effectivement fré- …auto-mutilations…
quentes et spécialement les auto castrations exécutées dans des conditions de sang-
froid, d'étrangeté et de sérénité remarquables. Habituellement les impulsions homi-
cides affectent, dans ces cas, les mêmes caractères de détermination énigmatique, de
violence froide et terrifiante : ce sont les fameux « meurtres immotivés » de la …meurtres immotivés…
« Schizophrénie incipiens ». Un malade du Dr PICARD que nous avons pu observer
dans son service, tira un coup de revolver sur son fils, le jour de sa première commu-
nion, alors qu'à la fin du repas il chantait, à sa demande, une chanson. La forme
« incestueuse » ou mieux « œdipienne »de ces actes homicides est d'ailleurs très
connue et le parricide en constitue une des formes les plus habituelles.
Dans la période d'état, les impulsions s'observent dans deux conditions différentes.
Tantôt il s'agit de grandes crises d'agitation catatonique avec fureur clastique, déchi- …crises d'agitation cata-
rage, bris d'objets, destruction, coups, violences, etc... Les malades restent, pour ainsi tonique avec fureur clas-
tique…
dire, toujours « sous pression » même au cours de leurs périodes de calme qui laissent
cependant deviner au travers de leurs attitudes bizarres, ironiques ou méditatives, de
leur mimique dissociée, de leurs brusques et parfois imperceptibles sautes d'humeur,
l'impulsivité latente, toujours prête à se détendre en gestes agressifs ou clastiques.
Mais le plus souvent ce que disait GARNIER de l'alcoolique est plus vrai encore du schi-
179
ÉTUDE N° 11
L'insurrection de la vie affective qui caractérise ces états se confond, et pour ainsi
dire nécessairement, avec la structure impulsive de la conscience maniaque ou mélan-
colique.
180
IMPULSIONS
181
ÉTUDE N° 11
…auto-mutilation… soif de destruction ne vise que certaines parties du corps (auto-mutilations). Parfois de
telles impulsions sont rapides et « effrayantes de lucidité », parfois, au contraire, elles
émergent, en traits de feu, d'une conscience comme assoupie dans le crépuscule, le
clair-obscur de son obscurcissement 1.
Nous aurons, un peu plus loin, à examiner à propos des déséquilibrés l'importan-
ce de la cyclothymie dans l'éclosion des obsessions-impulsions, des raptus-pantopho-
tiques et une fois encore des pulsions dipsomaniaques.
1. Cf. dans notre étude sur le suicide, les exemples que nous donnons et spécialement celui que
nous avons publié avec F. BERNARD, Ann. Médico-Psycho., 1941.
2. On consultera à ce sujet : L'étude clinique des impulsions et actes des aliénés, Tribune médi-
cale, mars 1881, les Leçons cliniques et plusieurs ouvrages de l'École de Sainte-Anne de cette
époque : H. FORTINEAU, Des impulsions au cours de la paralysie générale ; G. CARRIER,
Obsessions et impulsions à l'homicide des dégénérés, Paris, 1899, ou encore les nombreuses
publications de FILASSIER, TRUELLE, COLIN, BRIAND, etc.. rapportées surtout à la Société de
Médecine Mentale de 1900 à 1930.
3. STRAUS, Ein Beitrag zur Pathologie der Zwangserscheinungen, Monatsch. f. Psych. 1938.
4. FREIHERR VON GEBSATTEL, Die Welt der Zwangskranken, Monatsch. fur Psych., 99.
5. BINDER, Zwang und Kriminalität, Archives suisses de Neuro, et Psych., 1944-45, t. 54 et 55.
182
IMPULSIONS
183
ÉTUDE N° 11
Ces descriptions et classifications qui ont fait, à l'étranger, tant de bruit et y ont
connu tant de faveur ne nous paraissent pas supérieures aux études que nous devons
chez nous à DUPRÉ et à son école.
…cette déséquilibration Quoi qu'il en soit, cette déséquilibration qui conditionne de fortes décharges en
qui conditionne de fortes forme de raptus ou de comportements impulsifs complexuels, s'inscrit presque
décharges en forme de
constamment dans le cadre d'une biopsychotypologie épileptoïde, cycloïde ou schizoïde 1.
raptus ou de comporte-
ments impulsifs com- Tantôt, en effet, ce sont des sujets athlétiques, de constitution « ictafine » (MAUZ), vio-
plexuels, s'inscrit presque lents, lourds, sensibles à l'alcool des « glyschroïdes » à réactions explosives, à fortes
constamment dans le tendances sado-masochistes. Tantôt ils sont, mais plus rarement, « pykniques »,
cadre d'une biopsychoty-
instables, exaltés, coléreux, hyperémotifs, en état de perpétuel éréthysme. Tantôt enfin
pologie épileptoïde,
cycloïde ou schizoïde… ils sont asthéno-longilignes ou dysplastiques, renfermés, bizarres, systématiques et
froids mais susceptibles de fortes décharges agressives. Ces types d'impulsivité s'intè-
grent plus ou moins dans un comportement de perversité, soit pour réaliser le tableau
clinique du pervers amoral, cynique, récidiviste, soit pour engendrer des formes de
perversions sexuelles systématisées à manifestations plus ou moins épisodiques (pul-
sions sado masochistes, nymphomanie, fétichisme, exhibitionnisme, etc.) ou d'impul-
sions complexuelles fortement symbolisées (pyromanie, kleptomanie, dromomanie,
etc.). – Tous ces sujets ont le plus souvent une vie superficiellement normale mais leur
« destin » est profondément inscrit dans leur structure psychosomatique : l'énurésie
tardive, l'appétence toxicomaniaque et la sensibilité aux toxiques, leur inadaptabilité
aux conditions familiales et sociales normales, leurs échecs constants, les troubles fré-
quents de leur sexualité, constituent des signes rarement tous réunis mais souvent asso-
ciés de leur déséquilibre instinctivo-affectif. Il est assez fréquent qu'ils présentent des
traits constitutionnels psychopathiques divers et d'observer que leurs impulsions ne
sont pas « monotypes » mais se mêlent ou se substituent les unes aux autres.
184
IMPULSIONS
Par exemple à propos de la pyromanie 1 on a signalé que, dans près de 30 % des …dans près de 30% des
cas, l'impulsion incendiaire succédait à diverses autres modalités de déchaînement ins- cas la pyromanie succède
à diverses autres modali-
tinctif (suicide et homicide surtout). Il en est de même pour l'association énurésie-klep-
tés de déchaînement ins-
tomanie étudiée par Berta BORNSTEIN, MICHAELS, SECUNDA et GOODMAN 2. tinctif (suicide et homici-
Peut-être faut-il ici réserver une place dans cette description clinique aux réveils de surtout)…
impulsifs que l'on a appelés également avec KRAFFT-EBING 3 des « ivresses du som-
meil » (Schlaftrunkenheit). Gehrard SCHMIDT 4, il y a quelques années, en a réuni 15
observations typiques éparses dans la littérature (et d'autres moins certaines), il les
décrit comme de violents accès impulsifs se produisant dans des conditions qui lais-
sent supposer selon lui un trouble de la fonction hypnique plutôt que l'intervention de
facteurs alcoolo-toxiques ou épileptiques. LOGRE a proposé récemment le terme de
« syndrome d'Elpenor » pour désigner ces cas de « réveil impulsif 5 ».
Un deuxième groupe de faits est constitué par les obsessions-impulsions, c'est-à- …les obsessions-impul-
dire l'impulsivité névrotique ou encore « le comportement compulsionnel ». Le rapport sions, le comportement
compulsionnel…
des faits dont nous allons maintenant nous occuper avec ceux que nous avons déjà
décrits, pose des problèmes qui ont été très souvent discutés : relations des obsessions
ou des phobies avec les épisodes maniaco-dépressifs, les accidents comitiaux, la
« dégénérescence mentale », la schizophrénie, etc.
Si au point de vue phénoménologique, comme nous le verrons, l'obsession-impul-
sion constitue dans la névrose obsessionnelle un pathologique et caractéristique
« Dasein », vécu selon des lois d'organisation propre, elle soutient avec le déséquilibre
psychique des rapports incontestables étroits et profonds. Cette réserve étant faite, on
peut dire que si l'impulsion se caractérise par des caractères de soudaineté, de violen-
ce, d'irrésistibilité et d'aberrance, l'obsession-impulsion se caractérise, elle, ainsi que
l'a souligné H. BINDER 6, une fois de plus et récemment, par le caractère de lutte inté- …lutte intérieure…
rieure qui partage l'obsédé en deux parties, celle de son impulsion et celle de sa résis-
tance. D'où naturellement le caractère classique de soulagement après le passage à l'ac- …soulagement, abréac-
te qui constitue une « abréaction ». Le drame, qui dans la plupart des cas de déséqui- tion…
libre envisagés jusqu'ici ne paraissait exister que pour la victime et l'observateur, est
1. MOENKEMOELLER (cité par H. DELGADO dans son travail « Psicologia generale y Psicopatologia
de la voluntad », Revista de Neuro Psiquiatria, 1939). On trouvera par contre dans « Zur
Psychopathologie der Brandstiftung » de H. SCHNEIDER, Archives suisses de Neuro, 194, 5, 56,
pp. 239 à 259, un cas de « pyromanie » impulsive pure profondément analysé dans ses rapports
avec l'œdipe et la culpabilité.
2. M. BACHET, (Encéphale, 1948, pp. 59 à 73), a consacré une bonne étude à ce problème. Il l'a
développé, depuis, dans son livre « Les encéphaloses criminogènes », Foucher, Paris 1950.
3. KRAFT-EBING, Médecine légale des aliénés, trad. française, 1900, pp. 453 à 459.
4. Gehrard SCHMIDT, Die Verbrechen in der Schlaftrunkenheit, Zeitsch. f. d. g. Neuro. 1943. 176,
pp. 208 à 254.
5. CARROT, VELLUZ et RIGAL, Presse Médicale, 30 août, 1947.
6. H. BINDER, Zwang und Kriminalität, Archives suisses de Neuro. et Psych., 1944, 45, t. 54 et 55.
185
ÉTUDE N° 11
ici inscrit en traits de feu dans la conscience de l'obsédé. Son impulsion, c'est-à-dire le
système explosif de ses pulsions, il la « contient », elle est la tentation qui l'assiège et
ne cesse de croître en exigence monstrueuse. L'obsédé actualise son angoisse non seu-
lement dans ce « corps à corps » avec ce danger, cet ennemi intérieur, mais encore par
l'infinité d'actions qu'il se sent forcé d'accomplir pour le conjurer. Tantôt, en effet, c'est
l'envie horrible de tuer un être cher, le besoin d'accomplir un acte terrifiant, sacrilège
ou criminel, mais tantôt aussi c'est l'irrésistible propulsion à se livrer à des « manies »,
à des excentricités, à des conduites grotesques déplacées ou ridicules (tirer la barbe
d'un voisin, compter les marches d'escalier, sauter sur les tables, recompter, défaire ce
qui a été fait, se livrer à de stériles « manies », etc.). Et si, dans le premier cas, la lutte
atteint un degré d'angoisse horrible, l'obsédé se trouvant attiré par le vertige de son
effroyable impulsion, dans le second cas, l'angoisse s'étale et se multiplie en cascade
…C'est précisément la de conduites de dérivation, vertigineuses et infinies. C'est précisément la disposition
disposition en série sans en série sans fin, d'impulsions, qui se substituent les unes aux autres, se transformant
fin, d'impulsions, qui se
et se déplaçant, qui constitue la structure compulsionnelle de la pensée de l'obsédé, le
substituent les unes aux
autres, se transformant et réseau de conduite forcée où il s'enlise. Sa vie est entièrement placée sous le signe de
se déplaçant, qui consti- la contrainte comme si ses actes étaient irrésistiblement déterminés par des ressorts
tue la structure compul- autonomes et étrangers, comme s'ils échappaient à son contrôle, comme si son exis-
sionnelle de la pensée de
tence n'était plus qu'une chaotique poussée de mobiles, tous affreusement exigeants et
l'obsédé, le réseau de
conduite forcée où il s'en- aveugles. Tel est le drame de l'obsédé assiégé par lui-même et contraint par lui-même
lise… à sortir de ses retranchements. Cliniquement le martyre de l'obsédé, c'est-à-dire l'im-
pulsion qui le ronge et perpétuellement se presse en lui, se manifeste par tous les
moyens de défense à leur tour « impulsifs » : les procédés-conjuratoires, les rites, les
« manies », etc. aussi tyranniques que l'obsession. C'est dire que l'énergie du système
…Parfois cependant, pulsionnel se distribue en circuits labyrinthiques et sans cesse renouvelés. Parfois
après de grandes et dou- cependant, après de grandes et douloureuses tentations, l'impulsion passe à l'acte. Cet
loureuses tentations, l'im-
homme dévoré par le désir, par le besoin, par l'envie de tuer quelqu'un, exténué d'an-
pulsion passe à l'acte…
agresser, tuer, voler… et goisse et de lutte épuisante, va brusquement s'emparer d'une planche que porte un pas-
pleurer… sant inconnu et l'assommer dans une crise de sauvagerie incroyable ; puis « il revient
à lui », se sent détendu, pleure. – Cette autre malade lutte contre l'idée absurde de voler
du pain qu'elle a en abondance chez elle ; elle succombe à cette impulsion irrésistible,
et éprouve à chaque vol un véritable orgasme libérateur. Naturellement des impulsions
plus directement sexuelles peuvent se présenter dans cette structure compulsionnelle
mais le fait est relativement rare tout au moins pour les accès immédiatement en rap-
port avec le noyau du système pulsionnel libidinal (sadisme, masochisme, homo-
sexualité, etc.). Il est au contraire bien plus fréquent d'observer des impulsions qui
constituent des formes substitutives ou indirectes de la libido (fétichisme, pyromanie).
Tout se passe en effet, comme si l'obsession-impulsion empruntait l'énergie nécessai-
186
IMPULSIONS
187
ÉTUDE N° 11
Ce que nous venons de dire des « tics » et la question qu'ils posent en ce qui
concerne leur origine, leur valeur significative, leur « structure » nous conduit donc
tout naturellement à examiner les « impulsions » que nous trouvons au cours des affec-
…C'est sur le plan structu- tions cérébrales. C'est, et cela ne nous étonnera pas, sur le plan structural des « proto-
ral des « protopulsions » pulsions » que se déroulent les manifestations impulsives habituelles au cours des
que se déroulent les mani-
affections qui atteignent, soit les centres d'organisation du tonus statokinétique, soit les
festations impulsives habi-
tuelles au cours des affec-
appareils de régulation des fonctions expressives. Il s'agit donc dans ces cas de désin-
tions cérébrales… tégrations de fonctions psycho-motrices plus ou moins complexes. Les troubles qui en
résultent sont constitués par une infinie variété de mouvements anormaux parakiné-
tiques ou hyperkinétiques, cloniques et toniques, les spasmes, les impulsions, les dys-
tonies kinétiques, les mouvements forcés et automatiques, les figures motrices induites
qui surchargent le comportement, l'interrompent ou le gênent en se substituant aux
…C'est, naturellement, actes adaptés. C'est, naturellement, toute la pathologie extrapyramidale qui trouverait
toute la pathologie extra- sa place ici puisqu'elle se définit précisément par la dérégulation des fonctions qui
pyramidale qui trouverait assurent l'ordre et l'harmonie des automatismes. Nous ne pouvons songer ici à expo-
sa place ici…
ser en détail ce chapitre immense de la neurologie et à décrire l'ensemble des mouve-
ments forcés que nous avons déjà mentionnés et qui vont depuis les myoclonies et
spasmes jusqu'à ces grands mouvements complexes étudiés par ZINGERLE, MUSKENS,
188
IMPULSIONS
VAN BOGAERT, etc... notamment sous leur forme d' « automatose ». Depuis 50 ans,
c'est-à-dire depuis qu'avec SHERRINGTON, K. WILSON, FOIX, Von MONAKOW, etc. la
neurologie s'est préoccupée d'étudier les désintégrations des fonctions motrices et de
les classer, on peut dire qu'elle n'a pas fait autre chose, dans ce domaine, que d'établir
une étude systématique des mouvements automatiques forcés allant du réflexe à l'acte
« quasi-volontaire »... Tandis que l'on n'étudiait au début du siècle que les tremble-
ments, les mouvements choréiques, ou athéthosiques, les tics, les spasmes, les expres-
…L'encéphalite épidé-
sions émotionnelles spasmodiques, la pathologie extrapyramidale en absorbant de plus mique a montré qu'une
en plus d'expressions motrices « névrotiques » et de troubles psychomoteurs « hysté- affection atteignant les
riques », s'est considérablement enrichie. L'encéphalite épidémique a montré, à cet noyaux gris centraux pou-
vait provoquer des actes
égard, qu'une affection atteignant les noyaux gris centraux pouvait provoquer des actes
forcés extrêmement
forcés extrêmement curieux, riches d'intentionnalité et qui laissent le clinicien très per- curieux, riches d'intention-
plexe en ce qui concerne son diagnostic, en droit et en fait, avec l'hystérie ou les obses- nalité dont le diagnostic
sions. Essayons de dresser un inventaire de cette pathologie motrice qui constitue avec l'hystérie ou les obses-
sion laisse perplexe…
comme le privilège de l'encéphalite épidémique.
a) – PROTOPULSIONS KINÉTIQUES.
Tout d'abord, il peut s'agir de brusques et paradoxales variations du tonus statique
(latéro-pulsions – rétro-pulsions) ou de troubles rythmiques ou itératifs de type clas- …Au niveau inférieur :
sique (myoclonies, spasmes) ou encore de dystonies ou kinésies paradoxales. A cette …dystonies, kinésies para-
doxales…
série de troubles de la série « réflexe » ou « amyostatique » doivent se rattacher aussi
les mouvements forcés et les attitudes anormales qui réalisent, en tout ou partie, le syn-
drome de décérébration et aussi les phénomènes de préhension forcée (Grasping-reflex …préhensions forcées…
ou Zwangsgreifen) ou de succion 1. Les phénomènes d'itération ou d'imitation automa-
…palilalie, écholalie, écho-
tiques (palilalie, palicinésie, échopraxie, écholalie) sont à mentionner dans ce premier
praxie…
groupe des mouvements forcés en tant qu'ils sont caractérisés par leur forme d'automa-
tisme des fonctions les plus archaïques qui constitue la base myostatique de la motilité.
A un niveau supérieur se rencontrent des désintégrations fonctionnelles qui se
manifestent par des hyperkinésies plus complexes. Elles se produisent généralement …puis, hyperkinésies plus
sous forme de crises : crises oculogyres avec parfois déviation conjuguée de la tête ou complexes avec les crises
oculogyres, crises d'auto-
torsion du tronc, mouvements de manège, crises d'automatose, caractérisées, selon
matose…
ZINGERLE, par des manifestations motrices « consécutives à des excitations détermi-
nées associées souvent à des mouvements choréo-athétosiques et myocloniques
accompagnés d'une rigidité tonique et d'une baisse de régime de conscience allant jus-
qu'à l'absence du sentiment des automatismes déroulés ». Quant aux figures kinétiques
…rotation, enroulement
de ces crises elles sont représentées par des mouvements de rotation et d'enroulement autour de l'axe du corps…
189
ÉTUDE N° 11
autour de l'axe du corps, solidaires en partie des attitudes de la tête et des membres et
…L'influence de la sug- de certains stimulus sensoriels et psychiques. L'influence de la suggestion apparaît
gestion apparaît particu- particulièrement nette dans les crises hyperkinétiques expressives avec tics, mouve-
lièrement nette dans les
ments complexes, attitudes caricaturales (tics de Salaam, salutations, génuflexion,
crises hyperkinétiques
expressives… aboiement 1) et surtout automatisme idéo-verbal à type de décharges coprolaliques,
d'arithmomanie, de paroles forcées, parfois rythmiques ou explosives ou comme
emportées dans un tourbillon de décharges incoercibles (Drang, des auteurs alle-
mands).
Tous ces phénomènes et particulièrement ces derniers ont fait l'objet, surtout en
langue allemande, d'une grande quantité d'études et de discussions 2. La plupart des
auteurs qui s'en sont occupés ont naturellement éprouvé le besoin de classer ces phé-
nomènes à peu près comme nous venons de le faire et comme nous l'avons plus haut
rappelé. Soit qu'ils séparent les « phénomènes moteurs » des « psychomoteurs »
(BARUK). Soit qu'ils distinguent les phénomènes amyostatiques et des troubles psycho
moteurs (STRÜMPELL, KLEIST, BOSTROEM). Ou encore avec KRONFELD que l'on discer-
ne la « Motorik » de la « Motricität ». Soit que, avec BARAHONA FERNANDES, on dis-
tribue l'ensemble des hyperkinésies en une échelle de niveaux différents : mouvements
réflexes – mouvements réactionnels – mouvements et actes automatiques – actes et
mouvements instinctifs qui expriment les tendances de la personnalité.
b) – PROTOPULSIONS INSTINCTIVES.
…Les parkinsoniens pré- Les parkinsoniens présentent aussi de brusques raptus instinctifs, des besoins, des
sentent aussi de brusques fringales, des ruts. Leurs émotions prennent la forme fréquente de réactions « en court-
raptus instinctifs, des
circuit » explosives, brutales, caricaturales, incoercibes et répétées. Ces modalités de
besoins, des fringales, des
ruts… déchaînement des instincts et des émotions présentent les caractères d'incoercibilité,
…déchaînement des ins- d'automatismes, « d'étrangeté » par rapport au Moi, qui ont été soulignés par tant d'au-
tincts et des émotions… teurs comme « spécifiques » des symptômes encéphalitiques alors qu'il s'agit à notre
1.Cf. par exemple l'observation que j'ai publiée avec PICARD, (Congrès de Zurich, 1936) ou celle
d'HEUYER, VOGT, LANTMANN (Ann. Médico-Psycho., 1936) ou encore celles rapportées à la
Société des Sciences Médicales de Montpellier en 1931 par BOUDET, BALMES, RIMBAUD et les
cinq nouvelles de Ed. ASCHER, Amer. J. of Psych., 1948, 105, p. 267.
2. Nous avons déjà signalé que le vocabulaire allemand est très riche en ce qui concerne les
degrés et qualifications des pulsions, tendances, besoins, obsessions et impulsions : Trieb, Sucht,
Antrieb, Impuis, Drang, Zwang, etc... C'est sur le contenu concret et clinique de ces diverses
notions que se sont instituées les discussions sur les phénomènes forcés, impulsifs et obsédants
chez les Encéphalitiques : A. KRONFELD, Zur Phenomenologie des Triebhaften, Zeitsch. f. d. g.
Neuro., 1924, 92, pp. 379 à 395 ; L. BENEDEK, Zwangsmässiges Schreien in Anfallen als pos-
tencephalit. Hyperkinesien, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1925, 98, p. 17 J H. BURGER, Ueber
Encephalitien und Zwang, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1928,113, pp. 239 à 245 ; J. ROTHFELD, Der
Zwang zur Bewegung, ein striäres Symptom, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1928, 114, pp. 281 à 292 ;
G. STEINER, Von Zwangserscheinungen bei organisch. Nervenkr., Zeitsch. f. d. g. Neuro., 12, pp.
515 à 527 etc...
190
IMPULSIONS
avis des caractères généraux d'un niveau structural plutôt que des traits pathognomo-
niques d'un processus. C'est un système de pulsions profondes et archaïques qui se …Ces protopulsions ont
décharge dans ces mouvements mécaniques, raides, englués de persévération et d'hy- la valeur de brusques et
fulgurantes étincelles
pertonie et qui se satisfait au travers de circuits fonctionnels sous-jacents à la conscien-
d'instinct. Elles « pous-
ce et à l'organisation complexuelle de la personnalité. Ces protopulsions ont la valeur sent » et « forcent » la
de brusques et fulgurantes étincelles d'instinct. Elles « poussent » et « forcent » la sphère motrice instru-
sphère motrice instrumentale à prendre la forme spécifique des conduites préformées mentale à prendre la
forme spécifique des
dans les comportements les plus primitifs (celles du rire, des pleurs, du prendre, de
conduites préformées…
s'agripper, de frapper, etc...), à entrer en conflit avec la personnalité du Parkinsonien.
c) – COMPORTEMENTS IMPULSIFS.
Enfin l'encéphalite réalise l des formes d'organisation psychonévrotiques ou psy- …Enfin l'encéphalite réa-
lise des formes d'organi-
chotiques (schizophrénie, délires chroniques systématisés, névrose d'angoisse, désé-
sation psychonévrotiques
quilibre psychique à forme névrotique, etc...) où naturellement se rencontrent les ou psychotiques…
diverses variétés de comportements impulsifs pris dans la masse d'une psychose encé-
phalitique en évolution. Nous allons simplement rappeler en quelques mots les plus
fréquentes variétés de tableaux cliniques.
Tout d'abord le type pervers, mythomane, malicieux, hypocrite, voleur dont le …le type pervers…
comportement anormal ou immoral s'exprime avec une particulière brutalité et une
remarquable stéréotypie dans et par la libération massive des automatismes instinctifs
et émotionnels.
Mais il arrive aussi que le parkinsonien se montre anxieux, pleurnichard, en per- …l'anxieux, mélanco-
pétuel malaise affectif et que la tonalité expressive de sa vie psychique oriente son lique…
impulsivité vers les formes mélancoliques de l'auto-destruction (automutilation, sui-
cides, expressions émotionnelles tristes). On sait enfin que si l'on a souvent confondu
non sans naïveté le syndrome de rigidité parkinsonienne avec les troubles catato-
niques 2, l'encéphalite néanmoins peut réaliser des tableaux cliniques de type schizo- …des tableaux cliniques
de type schizophrénique
phrénique au cours desquels les décharges impulsives, les actes agressifs ou bizarres,
catatonique…
les fugues, les attentats sexuels, les crises hyperkinétiques complexes, l'agitation sté-
réotypée, etc... se rencontrent comme expression d'une dissociation psychique à forme
hébéphréno-catatonique. Tous ces traits de comportements impulsifs sont alors l'ex-
pression d'expériences délirantes autistiques, spécifiquement schizophréniques.
– Ce que nous venons de dire du processus extrapyramidal par excellence, nous
pourrions aussi le répéter pour toutes les grandes affections neurologiques qui altèrent
le cerveau et en particulier le mésencéphale et le diencéphale. Qu'il s'agisse de tumeurs
de la base ou des parois du 3e ventricule, de lésions vasculaires intéressant les artères
1. Comme nous le verrons dans le quatrième volume de ces études, dans l'étude que nous consa-
crerons aux troubles psychiques de l'encéphalite épidémique.
2. Cf. Etude n° 10.
191
ÉTUDE N° 11
…Nulle part peut-être Nulle part peut-être comme dans cette question, la nécessité de distinguer trois
comme dans cette ques- sortes de théories pathogéniques n'éclate avec plus d'évidence. C'est que le problème
tion, la nécessité de dis-
des « impulsions » n'est que l'envers d'un autre problème, celui de l'acte volontaire et
tinguer trois sortes de
théories pathogéniques que relativement à ce problème central il n'y a que trois attitudes possibles : assimiler
n'éclate avec plus d'évi- la volonté à l'automatisme 1 (c'est-à-dire s'interdire de poser le problème des impul-
dence… sions), assimiler la volonté à une pulsion (c'est-à-dire s'interdire encore de poser le pro-
blème des impulsions), ou enfin admettre que l'acte volontaire a une réalité, ce qui
revient à définir l'impulsion comme un déficit de l'activité volontaire. C'est à ces trois
manières de voir qui forment et qui ferment le cycle des explications possibles que cor-
respondent les théories mécanicistes, psychogénétistes et organo-dynamistes des
impulsions.
…Nous devons renvoyer à C'est naturellement tout le problème de l'automatisme dit « psychologique »,
notre étude pour nous « mental », « moteur », conscient ou inconscient, etc... qui se trouve ainsi posé. Nous
« primordiale » (en ce sens devons renvoyer à notre étude pour nous « primordiale » (en ce sens qu'elle constitue
qu'elle constitue le point
le point de départ de toutes nos conceptions) sur la notion d'automatisme 2, et il sera
de départ de toutes nos
conceptions) sur la notion facile de se rendre compte que trois positions et trois positions seulement, répétons-le,
d' «automatisme»… sont à cet égard possibles.
192
IMPULSIONS
Toute conception mécaniciste réduit l'impulsion, dans les névroses et les psy-
choses, à n'être qu'un mouvement « automatique » primitif.
Toute conception psychogéniste la réduit à n'être qu'une pulsion « automatique »
et primitive.
Toute conception organo-dynamiste la considère comme une « forme de la disso-
lution de l'activité volontaire » ou, si l'on veut, une forme plus ou moins dégradée et
consciente de l'automatisme psychomoteur, secondaire à un trouble de l'intégration au
Moi.
A. – THÉORIES MÉCANICISTES
Ces théories réduisent tout comportement impulsif au schéma d'un réflexe, c'est- …Ces théories mécani-
cistes réduisent tout com-
à-dire à un phénomène relativement simple. Et ce réflexe est envisagé lui-même
portement impulsif au
comme une décharge d'un dispositif nerveux localisé, c'est-à-dire préétabli dans toutes schéma d'un réflexe…
ses parties ou sa majeure partie. En dernière analyse c'est à la conception de WERNICKE
et de KLEIST que toutes ces conceptions se réfèrent plus ou moins explicitement, sans
y trouver d'ailleurs, surtout pour ce dernier, une pleine justification.
Soit qu'on les considère comme issus d'un processus d'irritation ou comme la …issus d'un processus
d'irritation ou de désinhi-
conséquence d'une libération ou d'une désinhibition fonctionnelle, les phénomènes
bition fonctionnelle…
impulsifs sont interprétés dans cette perspective, comme des déclenchements méca-
niques de mouvements réflexes.
Les anciens auteurs, après les expériences de FERRIER, HITZIG, etc... sur les centres
cortico-moteurs, se représentaient volontiers les décharges impulsives comme des pro-
duits de l'irritation de ces centres. C'est ainsi que MAGNAN et LEGRAIN 1 pensaient que
« le fonctionnement subit d'un centre ou d'un groupe de centre isolés » d'une part, et
« l'impuissance de la volonté à exercer son action d'arrêt » d'autre part, réalisaient l'im-
pulsion, considérée dès lors comme « un mode d'activité cérébrale qui pousse à des …« un mode d'activité
cérébrale qui pousse à
actes que la volonté est impuissante à empêcher » 2. Il ne serait pas difficile de mon-
des actes que la volonté
trer l'essentiel de cette conception dans les écrits de WESTPHAL, de MEYNERT, etc... est impuissante à empê-
L'idée d'une « décharge » motrice ou « psycho-motrice », analogue à celle de la fameu- cher » CARRIER.
se « bouteille de LEYDE », échappant au contrôle de la volonté, se produisant « malgré
elle », trouve naturellement son expression la plus imagée dans le « mouvement
réflexe » déclenché par une lésion, c'est-à-dire par une perturbation de la dynamique
cellulaire, chimique ou électrique de centres localisés. Il est facile de se représenter le
système nerveux comme un simple étagement de circuits plus ou moins autonomes qui
peuvent se déclencher brusquement et réaliser des actes de « courts-circuits ». La loca-
lisation des centres ou dispositifs moteurs ou psychomoteurs d'abord dans l'aire préro-
193
ÉTUDE N° 11
landique, puis dans le cerveau préfrontal (BIANCHI, KLEIST, etc.) a permis de considé-
rer les «impulsions» comme des symptômes d'irritation de ces centres et d'expliquer,
dans une même théorie les décharges motrices, la crise convulsive comitiale et l'auto-
[Théorie des ]manifesta- matisme impulsif des épileptiques, tous phénomènes considérés comme des manifes-
tions d'« d'irritation cor- tations « d'irritation corticale ». Nous n'insisterons pas sur une telle conception qui
ticale »[…].que l'on voit
paraissait avoir perdu depuis vingt ou trente ans le prestige dont elle a longtemps joui,
de nouveau reparaître à
propos de certaines naï- mais que l'on voit de nouveau reparaître à propos de certaines naïvetés d'interprétation
vetés d'interprétation des des récentes techniques psycho-chirurgicales. C'est ainsi qu'une idée analogue est plus
récentes techniques psy- ou moins explicitement soutenue à propos du rôle que jouerait en tout ou partie (aire
cho-chirurgicales…
9) le lobe préfontal comme centre inhibiteur de la motricité. C'est ainsi également que
des faits (qui peuvent être interprétés bien différemment) sont mis en avant pour mon-
trer que l'hypermotilité se confond plus ou moins naturellement avec l'impulsivité ; il
s'agit, en particulier, des lobectomies pratiquées chez le singe par KLUVER, RICHER et
HINES, RUCH et SHENKIN, etc... Dans ces cas, les observateurs ont noté une grande
instabilité et un accroissement considérable des mouvements ; les réactions motrices
aux excitations externes sont plus violentes.—Il faut signaler aussi certaines applica-
tions de la physiologie des réflexes conditionnels au problème des impulsions, faisant
état des processus partiels de désinhibition ou de phases paradoxales des processus
corticaux 1.
Enfin nous devons noter que la conception de KLEIST 2 reste à cet égard encore
assez ambiguë. Après avoir beaucoup accordé au cerveau antérieur et notamment aux
lésions orbitaires, surtout dans le type d'impulsivité qui relève du « Moi affectif »
(c'est-à-dire de l'organisation de l'humeur et du caractère), il a assigné un rôle toujours
plus grand aux formations de la base du cerveau. Pour les états catatoniques où les syn-
dromes étudiés par WERNICKE comme « psychoses de la motilité » correspondent,
selon KLEIST, au segment « encéphalopathique » du système entéroceptif, les impul-
sions lui paraissent liées à un trouble des impulsions dans la sphère du « Gefühl-Ich »
et du « Trieb-Ich », c'est-à-dire qu'il admet, semble-t-il, un trouble primordial diencé-
phalique.
L'étude des centres « méso-diencéphaliques » d'expression émotionnelle (depuis
BECHTEREW jusqu'à CANNON et BARD) ou de « régulation de la vie instinctive »
(depuis MEYNERT jusqu'à HESS), de régulation psychique (depuis M. REICHARDT et
CAMUS jusqu'à GUIRAUD et GAMPER), l'étude surtout des syndromes de régulation du
1. Cf. le travail assez paradoxal, quand on connaît les tendances de cet auteur, de W.RIESE, Le
Crime impulsif interprété par les réflexes conditionnels, Évolution Psychiatrique, 1935, IV.
2. KLEIST, Psychomotrische Bewegungstörungen im Geisteskrankheiten, 1908, Gehirn-
pathologie, (1934) et Rapport au Congrès allemand de 1936. – Comme le fait justement remar-
quer BARAHONA FERNANDES, il serait injuste de dire que KLEIST ramène tous les troubles impul-
sifs aux troubles amyostatiques, mais l'esprit dans lequel il conduit tous ses travaux y incline.
194
IMPULSIONS
tonus kinétostatique par lésions du tronc cérébral (GUIRAUD, BUSCAINO, SALMON, …l'étude des syndromes
MUSKENS, MAGNUS, ZINGERLE, Van BOGAERT, etc...) ont naturellement fait glisser la de régulation du tonus
par lésion du trons céré-
localisation des impulsions de l'écorce vers le diencéphale. Nous avons plus haut sou-
bral ont naturellement
ligné l'importance des manifestations motrices et psycho-motrices, impulsions et fait glisser la localisation
mouvements anormaux, des décharges émotionnelles et automatiques dans les affec- des impulsions de l'écorce
tions cérébrales et particulièrement dans celles qui, comme l'encéphalite épidémique, vers le diencéphale…
195
ÉTUDE N° 11
…la belle étude de van La belle étude de L. Van BOGAERT 1 s'inscrivant dans la série des travaux que l'au-
BOGAERT sur les hyperki- teur a publiés sur les hyperkinésies fonctionnelles ou hystériques, doit retenir égale-
nésies fonctionnelles ou ment notre attention. Étudiant d'abord la morphologie de ces mouvements, il adopte
hystériques…
l'opinion de MUSKENS 2 qui distingue dans ces figures motrices des fragments d'auto-
matismes primitifs : déviation de la tête et des yeux, et chute ou pulsion latérale (phé-
nomène d'HERTWIG-MAGENDIE) réalisant un fragment de mouvements d'enroulement.
Ces hyperkinésies correspondraient à trois types kinétiques : le mouvement de manè-
ge avec déviation oculo-céphalique conjuguée avec une déviation oculaire horizonta-
le – syndrome d'enroulement axial avec chute et déviation oculaire – syndrome et
flexion en arrière ou en avant. Pour ce qui est des relations que soutiennent ces mou-
vements (et notamment le syndrome de rotation axiale) avec les troubles psychiques
(troubles de l'orientation et de la conscience) qui, selon l'auteur, constituent à leur limi-
te « des états de transe, proches de certains états crépusculaires épileptiques », la ques-
tion se pose de savoir s'il y a lieu de considérer le trouble de conscience comme induit
par le trouble tonique ou si on ne doit pas considérer ces hyperkinésies comme de
simples automatismes libérés à la faveur des troubles mentaux ? De même que
HERMANN pense que les renforcements psychiques et le blocage moteur représentaient
les processus primaires, Van BOGAERT, malgré sa première impression contraire, paraît
se rapprocher de ce point de vue.
…la « neurologie » des Si nous avons insisté sur ces travaux, c'est pour montrer que la « neurologie » des
impulsions, c'est-à-dire impulsions, c'est-à-dire leur réduction 3 à des mécanismes partiels, si elle peut s'appli-
leur réduction à des quer aux protopulsions, n'atteint en fin de compte que la couche proprement « infé-
mécanismes partiels, si
elle peut s'appliquer aux
rieure » des désintégrations des fonctions motrices ; elle trouve rapidement, et comme
protopulsions, n'atteint en d'elle-même, sa limite. Tous les auteurs insistent, en effet, dès qu'ils étudient sérieuse-
fin de compte que la ment la phénoménologie de ces « mouvements forcés », de ces « hyperkinésies », sur
couche proprement leur caractère « amyostatique ». Mais, malgré certaines ambiguïtés et certaines de
« inférieure » des désinté-
grations des fonctions
leurs positions nettement mécanicistes, dans l'ensemble les travaux de BOSTROEM,
motrices… FÖRSTER, KLEIST et BARUK concordent pour condamner toute interprétation mécani-
196
IMPULSIONS
ciste des impulsions qui consisterait à présenter une théorie de tous les actes impulsifs
sur le modèle de la désintégration de la motilité élémentaire et instrumentale, c'est-à-
dire à « ramener » l'impulsion à une décharge mécanique des mouvements qui dépen- …De même que l'aphasie,
draient si peu d'un trouble mental supérieur qu'ils pourraient au contraire le détermi- les hallucinoses, l'angois-
ner... De même que l'aphasie, les hallucinoses, l'angoisse n'expliquent pas la démence, se n'expliquent pas la
démence, le délire ou
le délire ou l'anxiété, de même les protopulsions ne sont la condition ni nécessaire, ni l'anxiété, de même les
suffisante des comportements impulsifs. Il manque aux théories mécanicistes une pers- protopulsions ne sont ni
pective dynamiste, celle des niveaux structuraux d'intégration, celle d'une hiérarchie la condition nécessaire,
des fonctions, perspective que lui cache sa conception de « centres » simplement ni suffisante des compor-
tements impulsifs…
superposés ou juxtaposés dans 1'« espace » nerveux.
B. – THÉORIES PSYCHOGÉNISTES
Nous venons de voir que les théories mécanicistes considèrent l'impulsion comme
un mouvement inférieur et extrapersonnel, comme la détente d'un réflexe, c'est-à-dire
d'une constellation sensori-motrice se déchargeant « au-dessous » du Moi sans que les
tendances de la personnalité interviennent dans son déclenchement. A leurs yeux, l'im-
pulsion est inférieure, hétérogène et sans continuité par rapport à la sphère intention-
nelle de la personnalité. C'est précisément dans une perspective exactement inverse [dans la psychogénèse],
que se place toute théorie psychogéniste en recourant nécessairement et exclusive- L'impulsion est alors
ment, pour « expliquer » l'impulsion, à un système de pulsions instinctivo-affectives. « ramenée » à la satisfac-
tion d'un besoin ou d'un
L'impulsion est alors « ramenée » à la satisfaction d'un besoin ou d'un désir : elle est
désir…
envisagée seulement dans sa continuité avec les tendances affectives.
C'est naturellement la théorie psychanalytique qui constitue le modèle de toute
explication de ce genre. Tous les caractères des impulsions (incoercibilité, violence,
extranéité, etc...) sont interprétés selon le schéma freudien de l'appareil psychique 1.
Sa force, l'impulsion la tire de l'énergie même de l'affect refoulé, c'est-à-dire de la libi-
do. Son caractère de contrainte irrésistible, aveugle et étrangère provient de la pression
qu'exerce l'inconscient sur le conscient. Ce qui se décharge dans l'impulsion c'est tou- …Ce qui se décharge
dans l'impulsion c'est tou-
jours l'énergie réprimée de la libido. Mais, comme pour les images du rêve, les mani-
jours l'énergie réprimée
festations impulsives de l'inconscient ne sont pas toujours directes et c'est souvent par de la libido…
le truchement des déguisements et substitutions que la libido se satisfait dans des actes
qui ne manifestent que symboliquement les désirs réels et latents. Ainsi l'impulsion à
déchirer ou à mordre pourra symboliser l'incorporation agressive du sein maternel –
l'irrésistible besoin de voler un pain, l'envie du pénis paternel – l'activité clastique
1. Nous avons nous-même (Étude n° 6, p. 87) souligné que la théorie psychogéniste de FREUD
gardait quelque chose de l'atomisme mécaniciste dans une conception pour ainsi dire spatiale de
l'appareil psychique. M. BOSS (Sinn und Gehalt der sexuellen Perversionen, Berne, 1947) a for-
tement accentué cette critique à propos des pulsions libidinales.
197
ÉTUDE N° 11
1. Ce n'est pas sans intention que nous plaçons ici ce terme de « génétique » pour illustrer la
parenté qui existe entre ces théories du « vase clos », ici le germen, là l'inconscient, condamnés
tous deux à une autonomie radicale.
198
IMPULSIONS
que pour FREUD les instincts agressifs sont primordiaux et « dérivés des instincts de
mort originels par projection au dehors de ceux-ci au service de la vie » 1. « Ils ne se
laissent, dit Marie BONAPARTE 2, ni refouler, ni sublimer : ils ne savent que changer tels
quels d'objectif et d'orientation ». Aussi ce sont eux que nous trouvons dans toutes les
formes d'impulsions. Qu'il s'agisse de réactions agressives contre le monde extérieur,
contre autrui ou contre soi, qu'il s'agisse même d'actes dont la signification agressive
n'est pas directement manifeste, leur forme impulsive même, c'est-à-dire leur aspect
saugrenu, forcé et violent, emprunte à l'agressivité déplacée ou symbolisée, son éner-
gie. Nous avons fait remarquer plus haut que l'interprétation mécaniciste n'était abso-
lument insoutenable que par ce qu'elle prétend appliquer sa théorie du déclenchement
automatique extrapersonnel à l'ensemble du comportement impulsif sans distinguer
des plans ou des structures. Nous pouvons dire au sujet des explications psychanaly- …les explications psycha-
tiques qu'elles aussi sont incapables de s'appliquer à la totalité de l'acte impulsif. Si nalytiques […] si elles
mettent justement l'accent
elles mettent justement l'accent sur le ressort affectif instinctif ou pulsionnel qui leur
sur le ressort affectif ins-
confère leur sens, elles laissent de côté la structure formelle des impulsions, c'est-à- tinctif […] elles laissent
dire ce par quoi une impulsion vers la réalisation de telle ou telle tendance se présen- de côté la structure for-
te et se produit, ce par quoi elle prend telle ou telle forme pathologique de conscience melle des impulsions…
C. – THÉORIES ORGANO-DYNAMISTES
Le thèse commune à ces théories est double. D'une part, elles considèrent l'activi-
té volontaire non comme une « faculté » transcendante et simple, mais comme la
forme supérieure d'un ordre composé de structures hiérarchiques de comportement.
D'autre part, les impulsions sont considérées comme le résultat de la « décomposition »
de cette évolution fonctionnelle.
Sans doute trouvons-nous, et nous l'avons souligné chez certains mécanicistes,
l'idée que les hyperkinésies, les automatismes, les impulsions instinctives, les expres-
sions émotionnelles, sont des « désintégrations » mais n'admettant pas qu'il y ait une
199
ÉTUDE N° 11
1. Nous demanderions volontiers à FOLLIN comment il peut nous faire un reproche qui est celui-
là même que nous adressons aux mécanicistes (cf. FOLLIN, Évolution Psychiatrique, 1948, n°
exceptionnel, p. 115). Il faudrait bien choisir pourtant ou de nous reprocher de recourir à la notion
de dissolution ou de n'y pas recourir. Aucune dialectique ne nous paraît justifier cette double cri-
tique qui se contredit et se détruit elle-même, en quelques lignes.
200
IMPULSIONS
tives 1. C'est le cas notamment de tous les syndromes « hypobouliques » dont l'en-
semble constitue toute la pathologie psychomotrice étudiée généralement sous le nom
d'impulsion et qui va depuis la « tempête motrice » de la crise d'hystérie jusqu'aux
comportements catatoniques. L'appareil psychique contient, selon KRETSCHMER, une
poussée énergétique qui détermine le rythme et l'intensité, de toutes les manifestations
psychiques. Les troubles de ce foyer de forces pulsionnelles sont, soit des « anhor-
mies » par défaut d'activation, soit des « hyperhormies » condensées par l'intensité et
la rapidité exagérée des réactions, soit, enfin, des « dyshormies » caractérisées par une
impulsivité irrégulière. C'est au groupe des hyperhormies qu'appartiennent les « hyper-
kinésies » psychomotrices et au groupe des « dyshormies » que se rattachent les états
de catatonie. Ce dispositif énergétique plonge ses racines dans le milieu humoral et
végétatif, ce qui nous rend compte de sa dérégulation dans les syndromes hormonaux.
Il est d'autre part en relation avec la source cérébrale de l'énergie psychique qui pro-
vient surtout du mésencéphale, lequel comprend non seulement le système strio-palli- …les équilibres énergé-
tiques selon KRETCHMER…
dal mais encore l'hypothalamus et la substance grise du 3e ventricule. KRETSCHMER
admet, avec KLEIST, SCHILDER et FEUCHTWANGER, que l'impulsivité peut être aussi en
rapport avec une source corticale, frontale, de l'énergie psychique. Tout le développe-
ment de la motricité en rapport avec la source instinctivo-affective obéit à une double
loi, celle de la différenciation entre les expressions volontaires et les expressions affec-
tives, (les mouvements deviennent progressivement moins affectifs et instinctifs) –
celle du déplacement du dehors vers le dedans de réactions d'adaptation (c'est la sphè-
re volontaire interne et autonome qui se substitue aux excitations directes du milieu
extérieur). Dans la pathologie, on voit apparaître des réactions primitives essentielle-
ment impulsives et hypobouliques et il y a lieu de distinguer, à cet égard, les réactions
explosives comme dans l'ivresse et la crise comitiale, où il s'agit « d'abréactions » par
« mécanisme de ventilation », de véritables décharges ou raptus – des actions de cir-
cuits qui déclenchent des comportements automatiques complexes « en dehors de la
personnalité totale » – et, enfin, des réactions hypobouliques qui sont essentiellement
des mouvements expressifs comme ceux que l'on observe dans la catatonie et la tem-
pête motrice de l'hystérie.
Quant à Pierre JANET, on sait que ses études anciennes sur « l'automatisme psy-
chologique » 2 et sur les névroses 3 sont axées sur l'idée d'une hiérarchie des fonctions
que la maladie détruit, libérant du même coup des formes primitives et automatiques
de comportement. Dans ses derniers travaux 4, il s'est particulièrement intéressé aux
201
ÉTUDE N° 11
…Les travaux de P. troubles de la « tension psychologique » comme condition des états de dépense ou de
JANET… décharges impulsives. Nous ne pouvons pas insister ici sur cette conception d'ailleurs
connue de tous. Il nous suffit de la mentionner comme représentant une théorie qui
s'adapte très particulièrement et heureusement au problème de l'impulsivité. La notion
d'une régression anarchique des conduites plane sur toute la conception « janétienne »
de la psychopathologie comme aussi dans les conceptions biopsychologiques de H.
WALLON 1.
De telle sorte que nous retrouvons sans cesse l'idée centrale de toute conception
organo-dynamiste : la maladie libère des forces profondes et impliquées sous forme
d'automatisme dans le comportement normal. L'impulsion à tous ses degrés et sous
toutes ses formes est donc une régression vers des formes d'activité plus primitives.
Mais voyons cela d'un peu plus près et essayons de préciser ce que peut être une théo-
rie organo-dynamiste de l'impulsivité. Celle-ci comporte trois aspects essentiels : 1° la
…les trois aspects essen- dissolution de l'activité volontaire ; 2° une classification des niveaux et structures d'im-
tiels de la théorie organo-
pulsivité ; 3° une théorie des dissolutions uniformes des comportements et des désin-
dynamiste…
tégrations partielles de la motilité.
la dynamique de l'acte Nous pouvons rappeler à ce sujet les travaux bien connus de l'école de Würzburg et de
volontaire… ceux de N. ACH 3 et de ses élèves SIMONEIT et KREIPE 4, de STRAUB 5, etc. On peut,
avec eux, décrire à l'acte volontaire plusieurs phases ou aspects phénoménologiques :
la constellation des buts qui animent l'acte d'une forte et riche intentionnalité conscien-
te mais aussi inconsciente – l'attitude énergique de tension (l'érection de l'acte selon la
1. Il suffit pour s'en convaincre de se rapporter au travail de BERGERON sur l'œuvre de WALLON
(Évolution Psychiatrique n° 2, 1950).
2. Selon l'expression d'H. DELGADO dans son excellente étude « Psicologia general y
Psicopatologia de la voluntad » Revista de Neuro Psiquiatria, mars 1939, étude à laquelle nous
nous référons spécialement dans cette analyse de l'acte volontaire.
3. N. ACH, Analyse des Willens, 1935 et Gefühl und Wille, Congrès de Psychologie d'Iéna, 1937.
4. SIMONEIT, ZILIAN, WOHLFAHRL, KREIPE, Leitgedanken zur Psycholog. Erforschung der
Persönlichkeit, 1937.
5. W. STRAUB a groupé à l'Institut psychotechnique de Dresde des chercheurs appliqués au pro-
blème de la volonté (cf. leurs travaux publiés par la Zeitschrift für angewandte Psychologie).
202
IMPULSIONS
terminologie de JANET) – l'utilisation des automatismes qui oriente l'acte « malgré soi »
dans la direction « voulue » – le substratum « passionnel » pour autant que l'acte de
volonté jaillit aussi de la sphère des mobiles et émane de « l'ordo amoris » de la couche
affective – et enfin une certaine forme de « suggestion » (nous dirions plutôt de
« conformisme ») par le modelage social. L'essentiel de cette analyse comme de toutes
celles du même genre que l'on pourrait multiplier à l'infini sans grand profit est de
montrer que « l'acte volontaire » représente une certaine « structure » qui, comme le …une conscience qui se
dit SARTRE, exige une conscience assez « réfléchie » pour se constituer en « projet ». constitue en projet
(SARTRE)…
A cet égard, l'acte volontaire requiert la plénitude de l'acte psychique et constitue la
forme d'intégration suprême du comportement. Sans doute, la « psychologie sans
conscience » de WATSON dénie toute réalité à l'acte volontaire mais il est bien difficile
d'entrer avec elle dans une voie qui ôte toute signification au problème qui nous occu-
pe. Aussi bien, toutes les analyses concordent pour nous permettre d'affirmer que l'ac-
te volontaire constitue une forme d'existence qui s'oppose à l'automatisme du réflexe,
à « la pure spontanéité ». C'est dans cette opposition même que réside toute la dyna-
mique de l'activité en général.
Nous laisserons de côté ici la question de savoir si l'acte volontaire se définit par
la liberté 1 ou par sa « moralité » 2. Il nous suffit de constater que la conduite humai-
ne est impensable si elle n'est pas ordonnée par rapport à ces deux pôles de détermi-
nation, celui de l'automatisme et celui de la volonté 3.
1. On sait que dans la phénoménologie sartrienne la liberté se confond avec l'existence. C'est une
modalité de l'être, le faire qui ne saurait s'appliquer à une de ses formes d'existence (l'Être et le
Néant — Être et faire — La Liberté, pp. 507 à 561). JASPERS par contre a fait une pénétrante ana-
lyse phénoménologique de l'acte volontaire qui rejoint sur bien des points celles de BERGSON, de
Maurice BLONDEL, de Gabriel MARCEL et d'Arnold GEHLEN, (Der Mensch, Berlin 1940). On trou-
vera dans le livre récent de Josef MEINERTZ, Moderne Seinsprobleme in ihrer Bedeutung für die
Psychologie, (Heidelberg, 1948), un exposé très intéressant du livre de Nicolaï HARTMANN, Der
Aufbau der realen Welt (1940), qui est à rapprocher de ces auteurs. Dans la Structure du com-
portement de MERLEAU-PONTY (1942) on trouve notamment à la fin de l'ouvrage une dialectique
des ordres physique, vital et humain qui, s'opposant à la Gestaltpsychologie et à la Réflexologie,
nous parait bien plus près d'une « Philosophie de la nature », d'une « histoire naturelle de l'es-
prit » que l'auteur ne veut en convenir. C'est-à-dire qu'il suppose lui aussi que l'ordre humain en
tant que « comportement supérieur » est irréductible à l'ordre vital, ce qui conduit fatalement à
admettre une phénoménologie génétique (par quoi il nous parait se séparer de SARTRE ), c'est-à-
dire une perspective où se pose la question fondamentale pour la présente étude de l'opposition
du volontaire et du non-volontaire.
2. A. PFAENLER, Die Seele der Menschen, 1933, Max NACHMANSOHN, Wesen und Formen der
Gewissens, 1937.
3. Dans son livre « Les maladies de la volonté » (1re édition, 1884 ; 33e édition, 1922), RIBOT
répudie formellement ce point de vue et du même coup sa conception « jacksonienne » des dis-
solutions de la volonté manque d'une dimension fondamentale. Par contre P. FOULQUIÉ (La volon-
té, Press. Univ. Paris, 1949) reprend la définition de la volonté fondée sur sa position antinomique
à l'égard de l'instinct.
203
ÉTUDE N° 11
Ce qui définit le comportement normal c'est qu'il est subordonné à l'activité volon-
…même quand « nous
taire. C'est-à-dire que, même quand « nous nous laissons aller » à l'automatisme d'une
nous laissons aller » à
l'automatisme […] il exis- habitude, aux mouvements de nos passions, aux élans de nos appétits ou à nos ins-
te en nous une possibilité tincts, il existe en nous une possibilité de nous ressaisir. C'est que les phénomènes
de nous ressaisir… automatiques de notre comportement pour si impétueux qu'ils soient, s'ils ne sont pas,
chacun, voulu, n'en demeurent pas moins subordonnés à la trajectoire idéale de notre
existence ou de notre histoire personnelle, et impliqués dans la plasticité de notre vie
psychique, de notre liberté.
Il en est tout autrement lorsque l'effondrement du système volitionnel d'intégration
livre l'homme à la nécessité impérieuse devenue la loi même et la forme de sa
conscience ou de sa personnalité – ou lorsque l'émancipation incoercible des systèmes
automatiques qui la composent compromettent son unité.
…Les comportements Les comportements impulsifs expriment l'organisation névrotique ou psychotique
impulsifs expriment l'or- de la vie psychique décomposée. Les protopulsions sont des phénomènes d'aberrance
ganisation névrotique ou
et de désintégration qui se soustraient à l'intégration psychique supérieure.
psychotique de la vie psy-
chique décomposée… Cette classification constitue la base empirique de toute théorie organo-dynamiste
de l'impulsivité. Nous pouvons en indiquer maintenant l'essentiel.
204
IMPULSIONS
aveugle. Ils sortent de « leurs gonds » pour se précipiter jusqu'à l'extrême expression
du vécu douloureux ou gai, écrasant ou exaltant.
L'impulsivité dans les expériences délirantes hallucinatoires primaires.
Dans l'état crépusculaire, état flou de la conscience qui s'enténèbre et où s'infiltrent la …dans les expériences
délirantes et hallucina-
fiction, les sentiments de dépersonnalisation, d'étrangeté, les hallucinations, etc., le
toires primaires…
comportement condense en soudaines et mystérieuses expressions psycho-motrices le
drame qui monte, ou transparaît. Détourné de la réalité, le malade obéit hypnotisé aux
étranges effets du rêve qui l'enveloppe ou qu'il pressent. Distrait, il chancelle et se livre
à des actes chargés de fulgurantes valeurs dramatiques.
L'impulsivité dans les états confuso-oniriques. Dans l'obscurcissement de …dans les états confuso-
la conscience et la substitution d'un monde de rêve à la réalité, toutes ou presque toutes oniriques…
les réactions de comportement sont soustraites à la régulation de l'adaptation au réel ;
elles prennent un caractère endogène ou « autochtone » de détermination purement
interne, et ainsi elles gagnent en violence compacte ce qu'elles perdent en ouverture
sur le monde. Tels sont, par exemple, les « travaux » inconscients de l'alcoolique en
état subaigu ou de « délirium tremens », comportements d'agitation forcenée ou de vio-
lence agressive qui expriment les images vertigineuses actuellement vécues par la
conscience chavirée et en plein désarroi.
L'impulsivité dans les états confuso-stuporeux et comateux. Au dernier …dans les états confuso-
degré de la dissolution de la conscience aux abords de son abolition ou de sa chute stuporeux…
totale, le comportement n'est plus figuré que par une « part restante » automatique et
archaïque, celle d'une motilité retournée au stade des comportements réflexes du nou-
veau-né, ou d'une akinésie presque végétative, interrompue seulement de mouvements
rythmiques ou convulsifs formés de brusques figures hyper- ou parakinétiques.
B. – Les formes d'impulsivité en cours de dissolutions paroxystiques et inter- …dans les dissolutions
paroxistiques…
mittentes de la conscience.
Nous n'envisagerons que les deux plus « classiques ».
Le rythme de dissolution maniaco-dépressif. Ce sont des « crises brusques …maniaco-dépressives…
et à niveau moyen » correspondant approximativement aux « désordres thymiques »
mais pouvant s'approfondir jusqu'aux expériences délirantes primaires et même aux
états confuso-oniriques. L'impulsivité est celle que nous avons décrite comme carac-
téristique de la manie ou de la mélancolie. Comme il s'agit de niveaux où alternent ou
s'intriquent (états mixtes) des formes d'organisation émotionnelle opposées, l'impulsi-
vité s'y montre particulièrement désordonnée. Et comme il s'agit de niveaux assez éle-
vés les impulsions y sont généralement conscientes ; parfois cependant on observe,
comme nous y avons insisté, des comportements impulsifs inconscients.
Le rythme de dissolution comitial. Ce que nous appelons épilepsie …comitiales…
(attaques, convulsions, petit mal, automatisme comitial, impulsions épileptiques, etc.)
205
ÉTUDE N° 11
constitue une forme typique d'évolution de troubles mentaux caractérisée par la sou-
daineté et la profondeur et parfois la soudaineté seulement (automatisme conscient)
des troubles. Il s'agit de « crises » essentiellement paroxystiques et tout se passe
comme si le seuil des libérations automatiques était chez des malades abaissé, comme
si leur équilibre mental était constamment menacé de chutes verticales et profondes au
cours desquelles les automatismes « montés » et l'appareil pulsionnel se déchargent
avec une brusquerie et une violence typique. Le processus comitial se déroule ainsi en
péripéties brèves où le déclenchement impulsif d'actes plus ou moins adaptés joue le
principal rôle. Tandis que dans les crises convulsives, la dissolution atteint la couche
profonde de la motilité « amyostatique » et libère des formes rythmiques, cloniques et
toniques de comportement archaïque ayant tous les caractères de la motilité réflexe,
les états crépusculaires, les attaques de petit mal, les équivalents, etc., déchargent
l'énergie psychique en constellations psychomotrices moins dégradées, plus significa-
tives, plus infiltrées d'intentionnalité personnelle. Tel est le schéma fondamental de la
théorie « jacksonienne » des dissolutions comitiales, pièce maîtresse de toute la
conception du grand neurologiste anglais.
…chez les déséquilibrés… L'impulsivité des déséquilibrés. Qu'il s'agisse de ces malades violents,
hyperémotifs, anxieux qui s'abandonnent « sans frein » aux mouvements de leurs émo-
tions ou de leurs passions, ou de ces formes de comportement qui surgissent vertigi-
neusement de leur inconscient, ou encore de ces polarisations affectives qui accumu-
lent jusqu'à leur décharge instantanée de fortes tensions agressives dirigées contre eux-
mêmes ou autrui, cette forme d'impulsivité est liée à l'organisation défectueuse de
l'équilibre volitionnel. Ce sont des êtres qui sont restés soudés aux tendances primi-
tives de leur tempérament et de leurs instincts et qui n'ont jamais pu acquérir un affran-
chissement suffisant de leur personne. Leur personnalité a mal évolué, s'est insuffi-
samment développée et leur comportement porte l'empreinte de ce défaut de matura-
tion et de pondération.
…les obsédés… L'impulsivité des obsédés. Ici le besoin irrésistible d'accomplir certains
actes est conditionné par l'organisation même de la pensée compulsionnelle, « anan-
castique ». Tout est forcé dans le monde de l'obsédé comme par l'impérieuse et magique
loi qui lie le besoin au devoir en un cercle vertigineux d'incoercibles impératifs.
…les schizophrènes… L'impulsivité schizophrénique. C'est de l'organisation autistique que mon-
tent ces soudains et saugrenus comportements, ces expressions émotionnelles vio-
lentes ou saccadées, ces fringales clastiques qui se déchargent tout d'une pièce comme
un coup de foudre et se détachent violemment de la conduite énigmatique habituelle.
…les déments… L'impulsivité démentielle. Comme cela arrive déjà pour les schizophrènes
206
IMPULSIONS
déments dont tout le comportement stéréotypé reflue vers la forme rythmique et pri-
mitive de la psychomotilité, chez le dément ce sont les reliquats automatiques et les
vertiges instinctifs qui se déchaînent sous forme de réactions animales, grossières et
brutales.
L'impulsivité du délirant chronique. C'est ici à travers les fictions déli- …les délirants chroniques…
rantes et de l'activité hallucinatoire surtout, que se réfracte le système de comporte-
ment de ces malades, de telle sorte qu'ils sont soumis à de fortes et « incompréhen-
sibles » sollicitations intérieures qui se manifestent par des actes bizarres et forcés,
parfois par des violences agressives ou des comportements insolites, brusques et
intempestifs rapportés à une volonté étrangère ou au déroulement implacable des évé-
nements du délire.
II. – LES PROTOPULSIONS DÉTERMINÉES PAR DES DÉSINTÉGRATIONS PARTIEL- Les protopulsions
LE DES FONCTIONS MOTRICES.
Pour une conception organo-dynamiste, toutes les impulsions morbides que nous
venons de ranger dans une classification aussi cohérente que possible sont des phéno-
mènes essentiellement déficitaires en ce sens que leur « libération » exige un trouble
qui altère leur intégration. Cette altération affecte deux formes structurales différentes
qui définissent chacune le plan de la psychiatrie et celui de la neurologie.
Les dissolutions uniformes de la vie psychique, la décomposition de l'acte d'inté- …les dissolutions uni-
gration suprême qui constitue l'équilibre volitionnel entraînent des comportements formes…
impulsifs. Ceux-ci constituent des troubles positifs secondaires aux troubles négatifs
qui correspondent aux dissolutions de la conscience ou aux altérations de la personna-
207
ÉTUDE N° 11
lité. Ils sont d'autant plus conscients, mnésiques et engagés dans la dynamique voli-
tionnelle de la personnalité, qu'ils sont de niveaux plus élevés. Ainsi se déploie en cli-
nique une hiérarchie de formes de comportement allant du plus au moins automatique
et ce sont les formes les plus élevées de ces automatismes psychomoteurs qui parais-
sent être les plus «impulsives », c'est-à-dire celles où le trouble manifeste une « part
subsistante » de la vie psychique tellement importante qu'elle se rapproche de l'acte
volontaire et lui emprunte certains traits caractéristiques, entraînant notamment le sen-
timent d'une activité « désirée » ou « voulue », c'est-à-dire d'une activité intégrée enco-
re au niveau d'un système volitionnel seulement altéré mais non complètement détruit.
Il est aisé de comprendre que c'est dans les paroxysmes de la conscience compulsion-
nelle de l'obsédé, de l'état crépusculaire épileptique ou du déséquilibre psychique ou
encore au cours de l'organisation autistique de la vie psychique, c'est-à-dire dans tous
ces troubles qui constituent une « zone moyenne » de la dissolution de l'activité volon-
taire, que les comportements impulsifs sont les plus typiques.
…les désintégration par- L'altération à forme de désintégration partielle des fonctions motrices « libère »
tielles… des automatismes dont la décharge contraste avec la conservation de la sphère d'inté-
gration supérieure de la vie psychique. Ils sont représentés par des « figures kiné-
tiques » (fonctions motrices archaïques et spécifiques des automatismes habituels) ou
des « besoins » inférieurs qui échappent au contrôle général du comportement. Ce sont
des troubles positifs secondaires à des troubles négatifs de dérégulation de ces appa-
reils fonctionnels basaux et instrumentaux de la vie psychique qui en constituent le
substratum vital moteur ou végétatif (motilité myostatique et instinctive).
Ceci posé il est clair, 1° que les dissolutions globales les plus profondes atteignent
aussi la couche amyostatique et instinctive. C'est ainsi que la chute brutale et coma-
teuse au niveau de conscience dans l'épilepsie ou la dégradation démentielle catato-
nique sont les formes de troubles psychiques qui « découvrent » le plus le plan « neu-
rologique » des automatismes les plus primitifs. 2° que le diagnostic peut et doit tran-
cher ce qui revient aux formes impulsives « systématisées » à niveau élevé (tics, obses-
sions, actes forcés délirants) et aux protopulsions de la couche neurologique.
Par cette dernière considération nous saisissons la nécessité pour compléter la
théorie organo-dynamiste de recourir à une analyse phénoménologique de ces diverses
structures impulsives.
208
IMPULSIONS
1. Rappelons-nous le nom de SÉNÈQUE qui disait combien il est malaisé ou même impossible de
n'être qu'un seul homme : difficile est unum hominem agere.
209
ÉTUDE N° 11
210
IMPULSIONS
forme métaphorique, mais comme donnée essentielle irréfragable la forme réfléchie …la conscience morbide
des verbes pronominaux, par quoi il pense son action « Je me dis », « Je me sens », enchainée au Ça vit non
plus sous forme métapho-
« Je m'élance », « Je me tue », « Je me brûle ». Bien plus le « Je » s' affaiblissant au
rique, mais comme don-
point d'être soumis lui-même à une force en « troisième personne », et dominé par une née essentielle irréfra-
puissance qui le subjugue, cesse d'être sujet pour devenir objet (Ça me pousse... C'est gable la forme réfléchie
parti tout seul... C'est plus fort que moi, etc.). L'impulsivité pathologique requiert pour des verbes pronomi-
naux,…
atteindre sa forme « la plus automatique » un écrasement presque total de la réflexion
…Bien plus le « Je » s'af-
lequel ne s'observe que dans l'inconscience des rapports qui unissent le sujet au systè- faiblissant au point d'être
me pulsionnel dont il est l'esclave et à ce point seulement où il se tue ou frappe, sans soumis lui-même à une
pouvoir penser, autrement que dans l'action et par l'action, la dialectique des termes qui force en « troisième per-
sonne », […] cesse d'être
la constituent. Mais cette impulsion « la plus automatique » n'est pas l'impulsion maxi-
sujet pour devenir objet :
ma car il est de l'essence de l'impulsion d'engager encore la volonté du sujet, d'être à « Ça me pousse »…
la fois voulue et forcée, d'être « voulue malgré soi ». Ce qui caractérise l'impulsion
dans la névrose et dans la psychose, c'est qu'elle est solidaire d'une modification sub-
stantielle de la « maîtrise de soi » par quoi secondairement s'écrase et tend à disparaître
la relation qui lie l'acte au sujet. Aussi est-ce à la pathologie du Moi que se rattache la
pathologie mentale des impulsions.
Il en est tout autrement des protopulsions de type neurologique. Qu'il s'agisse de …Il en est tout autrement
des protopulsions de type
crises de mouvements automatiques, d'hyperkinésies, de mouvements choréiques, d'ir-
neurologique… [qui] se
résistibles besoins à satisfaire, tous ces mouvements, ou ces velléités irrépressibles de présentent à la conscien-
mouvements, se présentent à la conscience comme des actes aberrants, qui se déta- ce comme des actes aber-
chent de soi, se juxtaposent à soi, se situent dans la spatialité du corps mais « en rants, qui se détachent de
soi, se juxtaposent à soi…
dehors » ou « au-dessous » du Moi. C'est ce trait phénoménologique qui revient
comme un leit-motiv dans toutes les études sur les rapports des obsessions et des
« actes forcés » des encéphalitiques, par exemple 1. Nous avons précédemment indi-
qué (p. 193) combien l'école allemande s'est occupée de cette question. Tandis que
BURGER 2 accepte l'idée que le mouvement insurrectionnel déterminé par les lésions du
mésencéphale, d'abord étranger au moi, peut lui imposer ensuite une véritable
contrainte, la plupart des auteurs insistent sur le fait qu'il n'y a pas dans ce cas « attein- …il n'y a pas dans ce cas
te du Moi ». C'est ainsi que J. BERZE 3 oppose les impulsions des postencéphalitiques atteinte du moi…
aux troubles psychomoteurs des schizophrènes, en rattachant les premiers à une attein-
te primaire du « Premotorium » (au sens de STERTZ) et les seconds à une insuffisance
primaire de l'activité psychique, du « Presen-sorium ». Mais c'est à Arthur KRONFELD 4
1. Les conceptions pathogéniques sur la catatonie (cf. Étude n° 10), tournent autour
du même problème.
2. BURGER, Encephalite und Zwang, Zeitschr. f. Neuro., 1928.
3. BERZE, Psychischen Antrieb und Hirnstamm, Wien. Woch., 1932.
4. A. KRONFELD, Zur Phenomenologie der Triebhaften, Zeitsch., f. d. g. Neuro., 1924, 92, pp. 379
à 395.
211
ÉTUDE N° 11
que nous devons une des premières et des plus profondes études de la différence struc-
turale de ces diverses impulsions. Malgré le sens général de son travail qui tend plu-
tôt à admettre qu'il y a une série continue de phénomènes forcés, après avoir analysé
les mouvements extrapyramidaux de l'encéphalite, il conclut que ce qui y est essentiel
c'est le sentiment d'une tension active (Spannungsunlust) vécu comme une insatisfac-
tion, un vide à combler. C'est naturellement la dynamique de l'impulsion à se gratter
qui s'est imposée à son esprit 1 comme terme de comparaison, car on peut dire que,
comme elle, le système impulsif encéphalitique reste « périphérique » par rapport au
moi. De telle sorte que si on peut conclure avec l'auteur que toute phénoménologie de
l'impulsivité passe nécessairement par les instances psychiques, il semble bien que des
…il y a une différence
structures différentes séparent «Antrieb », « Impuls », « Einfall », « Trieb », « Drang »,
« sentie » par tous, entre
les kinésies qui échappent
« Sucht » et « Zwang » 2 et que ce sont celles de ces formes d'impulsivité qui sont le
à l'activité d'un Moi plus près des décharges de tension d'un système fonctionnel dévolu à une partie du
intact – et les comporte- corps qui caractérisent les actes forcés encéphalitiques.
ments « forcés » du Moi
Il nous paraît évident, par le fait même que le débat se soit institué, qu'il y a une
altéré ou aliéné qui enga-
gent son dynamisme dans
différence « sentie » par tous, entre les kinésies qui échappent à l'activité d'un Moi
les formes dégradées de intact – et les comportements « forcés » du Moi altéré ou aliéné qui engagent son dyna-
sa propre activité… misme dans les formes dégradées de sa propre activité.
*
* *
Ainsi avons-nous parcouru toute l'étendue, toute l'épaisseur de l'impulsivité psy-
chopathologique 3 ; elle constitue, comme les « troubles de la mémoire », « l'anxié-
té », etc., une dimension, un aspect structural de la conscience morbide; conséquence
d'une faiblesse de régime de l'énergie psychique elle est vécue comme un événement,
c'est-à-dire une relation entre le moi et le monde. Tandis que les « protopulsions » neu-
rologiques pour autant que, erratiques, elles représentent une émancipation, un échap-
pement au contrôle du Moi intact sont vécues par lui comme des accidents.
Certes, à tous les degrés et sous toutes leurs formes, ces régressions vers l'automa-
tisme sont évidemment « involontaires », mais ce qui définit la manière d'être involon-
taire de l'impulsion typique et caractéristique des névroses et des psychoses, c'est qu'el-
le est tout autant un signe de faiblesse du moi défaillant qu'un acte de violence dirigé
contre le monde physique ou social : l'impulsion se charge des forces désorganisées du
monde intérieur du sujet pour se détendre contre son objet dans le monde extérieur.
212
Étude n° 12 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
EXHIBITIONNISME
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
Depuis bientôt cent ans tous les Psychiatres et experts ont étudié ce comportement
sexuel étrange, consistant à montrer à autrui et publiquement les parties sexuelles ou
parasexuelles. C'est en 1877 que LASÈGUE 1 entreprit la première étude de cette aber- …LASÈGUE (1877)…
ration génitale et en a souligné le caractère pathologique sous certaines conditions.
Dans cette étude célèbre, LASÈGUE proposa les critères suivants de l'exhibitionnisme
« stricto sensu » (celui qui a gardé son nom) : l'instantanéité de l'acte, son non-sens
reconnu par le sujet, l'absence d'antécédents génésiques, l'indifférence aux consé-
quences résultant de l'acte délictueux, la « limitation de l'appétit sexuel à une exhibi-
tion qui ne devient pas le point de départ de lubriques aventures », et enfin – il y insis-
tait spécialement – la crise d'anxiété qui précède ou accompagne l'acte.
Plus tard GARNIER 2 donna de l'exhibitionnisme cette définition : « C'est une perver- …GARNIER (1900)….
sité sexuelle obsédante et impulsive caractérisée par le besoin irrésistible d'étaler en
public et en général avec une certaine fixité d'heure et de lieu ses organes génitaux à l'état
de flaccidité en dehors de toute manœuvre lubrique ou provocatrice. Cet acte en lequel
se résume tout l'appétit sexuel du malade, met fin à la lutte obsédante, clôt l'accès ».
Tel est l'exhibitionnisme dit vrai, ou impulsif, ou encore « type LASÈGUE ». C'est …C'est donc en tant
qu'outrage public [médi-
donc en tant qu'outrage public à la pudeur qu'il a été plus spécialement envisagé à la
co-légal] à la pudeur qu'il
fin du XIXe siècle et c'est sous cet angle médico-légal qu'il a d'abord été étudié. Il est a d'abord été étudié…
en effet de l'essence même de l'exhibition que nous étudions, d'être « publique », c'est-
à-dire d'impliquer au moins un témoin généralement non consentant, ou en tout cas de
s'offrir « par force » ou « par surprise » à la vue d'autrui. On conçoit que l'acte d'exhi-
bition qui devait être le premier étudié, ait été celui dont l'étrangeté et le caractère
déconcertant sont les plus évidents. Mais une telle notion pathologique portait dans ces
possibilités de description et d'analyse la nécessité d'une extension dont on trouve déjà
1. LASÈGUE, Union Médicale, Ier mai 1877 et Études Cliniques, tome II.
2. GARNIER, Congrès International de Médecine, 1900.
213
ÉTUDE N° 12
dans le mémoire même de LASEGUE une première ébauche. Envisagé comme étalage
pathologique des organes génitaux, l'exhibitionnisme ne devait pas tarder à être décrit
sous d'autres formes et notamment comme symptômes de diverses affections psycho-
tiques ou névropathiques. Enfin, dans la pratique médico-légale, l'exhibitionnisme est
devenu tout simplement synonyme « d'exhibition sexuelle ». Nous pensons que pour
conserver la définition essentiellement médico-légale de cette perversion, il convien-
drait de réserver le nom d'exhibitionnisme à l'étalage morbide des parties génitales, cas
particulier d'une classe plus générale : celle des exhibitions génitales. Parmi les « exhi-
beurs », pourrait-on dire, « il y a des exhibitionnistes ». Une telle terminologie aurait
l'avantage de poser correctement le problème sur le terrain juridique. Mais les études
de psychopathologie sexuelle ont déplacé le centre de gravité des études récentes sur
l'exhibition sexuelle. Depuis FREUD, on s'est intéressé plus spécialement à la structure
inconsciente de cette aberration qui, en perdant un peu de son originalité pour se
fondre dans la masse des perversions sexuelles que nous étudierons dans l'Étude sui-
vante, s'est trouvée éclairée par leur dynamique commune.
214
EXHIBITIONNISME
2°. Quant aux parties exhibées, il s'agit dans le plus grand nombre des cas, de l'or- …exhibition de l'organe
gane sexuel lui-même, mais il y a aussi l'exhibitionnisme « fessier 1 ». On a, par sexuel lui-même, mais
aussi exhibition furtive
exemple, publié l'observation d'un homme qui avait un pantalon spécial qui lui per-
des fesses…
mettait l'exhibition furtive des fesses. LALANNE distingue assez simplement, à cet
égard : l'exhibitionnisme antérieur, postérieur et supérieur. . . Enfin l'exhibitionnisme
peut affecter trois modalités, au point de vue de l'étalage de la verge, selon que l'orga- …verge flaccide, ou en
érection, ou sa masturba-
ne est en état de flaccidité, en érection, ou que le sujet exhibe non pas l'organe, à pro-
tion…
prement parler, mais sa masturbation 2.
3°. Quant au mode d'exhibition lui-même il existe généralement un certain nombre
de caractères qui se trouvent rarement réunis mais qui doivent figurer dans notre des-
cription schématique. Cet acte est généralement furtif. L'exhibitionniste se cache et ne …Cet acte est générale-
ment furtif…
laisse entrevoir sa nudité qu'à une, deux ou trois personnes et comme s'il désirait, par
ce spectacle soudain et restreint, assurer à son acte la valeur d'une surprise privilé-
giée 3. D'où les précautions prises (nudité sous un manteau facile à entr'ouvrir, choix
de lieux isolés, sombres, peu éclairés, peu fréquentés, rues désertes, abords de vespa- …Une fois choisi le
« poste d'exhibition »
siennes, églises, couloirs du métro). Une fois choisi le « poste d'exhibition »
(MAGNAN), il se renouvel-
(MAGNAN), il se renouvelle au même endroit 4. Ce lieu doit être comme le geste lui- le au même endroit …
…/… de la radio. On y relève (p. 383) cette confidence : « Quand passe un homme j'aime me bais-
ser. . . ma jupe se soulève, je les porte toujours très courtes. . . je porte toujours des corsages et des
robes très décolletées et je m'arrange pour me pencher quand il y a quelqu'un. Il peut voir alors toute
ma poitrine. Je serre toujours ma croupe dans ma jupe pour qu'elle ressorte et j'aime me montrer aux
yeux de tous sans paraître le faire. . . » Si nous citons ces « aveux » c'est moins pour leur originali-
té que pour souligner combien l'acte d'exhibition est chez cette femme dissimulé deux fois puis-
qu'elle cache ce qu'elle montre et garde ses « aveux » secrets… Cependant si les tendances exhibi-
tionnistes existent chez la femme, l'érotique spécifiquement féminine paraît les exclure. Une récen-
te visite dans une station balnéaire nous a permis de noter un fait bien intéressant à cet égard. Par
un assez curieux raffinement il y a dans cet établissement thermal des salles de bain, ouvrant par de
vastes fenêtres sur le parc, où il est permis de se dénuder en « s'exposant » à la vue des promeneurs
mais sans risque d'être vu ! En effet les carreaux des fenêtres sont des « glaces sans tain » permet-
tant du dedans de voir l'extérieur mais ne permettant pas de voir l'intérieur, du dehors,. . . Si la salle
consacrée aux « baigneurs » de sexe masculin ne désemplit pas, nous a-t-on assuré, par contre il a
toujours été impossible d'obtenir qu'une femme se dénude derrière ces faux carreaux !
1. Et chez les femmes, nous venons de l'indiquer, des seins.
2. Signalons ici la possibilité d'exhiber non pas des organes eux-mêmes, mais leur photographie.
Ceci conduit naturellement et insensiblement aux formes plus « discrètes » d'exhibition. Dans la
note de la page précédente nous faisons allusion aux confessions anonymes. Celles qui dans les
« graffiti » étalent complaisamment les vices et les parties sexuelles sont aussi une forme « hon-
teuse » d'exhibitionnisme, un exhibitionnisme paradoxalement caché.
3. Ce n'est pas toujours vrai puisque, par exemple, l'exhibitionniste étudié par M. BOSS s'exhibait
sur un talus de chemin de fer au passage des trains.
4. Un de nos collègues nous rapportait récemment l'histoire d'un exhibitionniste qui
attirait le regard des jeunes garçons dans la cour d'un lycée en leur projetant le reflet du soleil
dans un miroir.
215
ÉTUDE N° 12
même à la fois public et discret, comme si dans l'offre de ce spectacle valaient ici
« donner » et « retenir ».
…faire participer, par la 4°. L'acte d'exhibitionnisme est naturellement érotique, puisqu'il tend à faire parti-
vue de l'organe exhibé, ciper par la vue de l'organe exhibé, autrui à la propre jouissance sexuelle du sujet. A
autrui à la propre jouis-
ce point de vue il s'adresse à des « objets » (à des partenaires) qui sont, soit une ou plu-
sance sexuelle du sujet…
sieurs femmes généralement, soit des petites filles, soit plus rarement des petits gar-
çons. Il n'y a guère, semble-t-il, d'exhibitions d'hommes à hommes adultes 1. Parfois
1'« objet » est recherché parmi les personnes qui seront les plus choquées (religieuses,
personnes en prières).
…association à un certain 5°. Enfin l'exhibitionnisme peut être associé à un certain nombre d'autres mani-
nombre d'autres manifes- festations érotiques. C'est ainsi que MAGNAN avait décrit des « exhibitionnistes frot-
tations érotiques… teurs », dont ABELY et Mlle TRUCHE 2 ont rapporté, il y a quelques années, un cas, à vrai
dire complexe, et que DUPOUY et MINKOWSKI ont signalé la coexistence du tatouage et
de l'exhibitionnisme. Nous verrons plus loin que l'homosexualité peut se rencontrer
chez l'exhibitionniste, comme une composante fondamentale de sa sexualité et que,
tout naturellement regarder et voir, faisant partie de la même constellation érotique, le
« voyeurisme » se trouve cliniquement associé assez souvent à l'exhibitionnisme.
…les exhibitionnistes sont Nous avons déjà dit que les exhibitionnistes se recrutent à peu près exclusivement
des adultes jeunes de 25 à dans le sexe masculin. Ajoutons que les exhibitionnistes sont des adultes jeunes de 25
35 ans généralement ou à 35 ans généralement ou plus rarement des vieillards. J. E. STAEHLIN 3, à qui l'on doit
plus rarement des
un des travaux relativement récents les plus importants, signale parmi les exhibition-
vieillards…
nistes psychopathes (exhibitionnismes non symptomatiques) que, sur 31 cas étudiés, il
en a rencontré 7 entre 16 et 20 ans, 16 entre 21 et 30 ans, 4 entre 31 et 40 ans, 4 entre
41 et 45 ans. Gilbert ROBIN 4 a signalé, sans donner de détails, des « tendances exhi-
bitionnistes » chez un tout jeune petit garçon, fait évidemment plus fréquent et même
franchement plus banal que les anciens auteurs ne se l'imaginaient. STAEHLIN infirmant
…généralement des sujets l'opinion défendue par HOCHE, il y a longtemps (1901), a constaté que les exhibition-
timides et même pudiques… nistes sont généralement des sujets timides et même pudiques 5.
Quant aux relations de l'exhibitionnisme avec les troubles mentaux signalons la
statistique d'OLLIVIERS 6 qui porte sur 700 malades ayant présenté des réactions anti-
216
EXHIBITIONNISME
sociales dont 300 délinquants sexuels. Sur 300 psychopathes sexuels il y avait 115
exhibitionnistes dont 65 arriérés, 14 épileptiques, 27 alcooliques, 3 déments précoces,
4 délirants. En ce qui concerne la proportion parmi les sujets arrêtés d'exhibitions
simples ou d'exhibitionnisme pathologique, nous n'avons pu trouver de véritable sta-
tistique. B. ATTELBERG, C. SUGAR et T. PFEFFER 1 ont trouvé parmi les 242 délinquants
sexuels par eux observés, 88 cas d'exhibitionnisme. Parmi ces 242 délinquants, 53
paraissaient n'avoir pas d'anomalies psychiques. Signalons que STAEHLIN a noté une
moyenne de 40 exhibitionnistes arrêtés par an à Munich, et que, en 1926, il n'avait pu
dénombrer à la polyclinique de Zurich que 70 exhibitionnistes qui y étaient entrés de …la proportion des psy-
1903 à 1923. Ceci ne saurait faire oublier que l'exhibitionnisme est un « outrage aux chopathes est extrême-
mœurs » très fréquent. Il est évident également que la proportion des psychopathes est ment importante parmi
ces délinquants…
extrêmement importante parmi ces délinquants.
Si l'on est très strict et si l'on réserve le nom d'exhibitionnisme à l'aberration géni-
tale décrite par LASÈGUE 2, comme cette forme classique est à vrai dire assez excep- …la forme classique [de
tionnelle (OLLIVIERS ne l'a pas trouvé une fois sur 115 exhibitionnistes), il est clair que LASÈGUE] est à vrai dire
assez exceptionnelle…
l'exhibitionnisme apparaît alors comme une réaction pathologique rare 3. Mais sans
revêtir tous les caractères du « vrai » exhibitionnisme de LASÈGUE, l'acte d'exhibition
se présente en psychopathologie avec des caractères de « typicité » suffisants pour lui [elle présente] une phy-
conférer une physionomie névrotique spéciale, celle d'une perversion angoissante, sté- sionomie névrotique spé-
ciale, celle d'une perver-
réotypée et incoercible. Si elle se présente comme un système pulsionnel « isolé » elle
sion angoissante, stéréo-
n'en est pas moins « prise » le plus souvent dans une structure névrotique plus globa- typée et incoercible…
le (M. BOSS). Mais comme cliniquement il s'agit le plus souvent d'une manifestation
« isolée » c'est sous cet aspect que nous l'étudierons en premier lieu.
Le cas le plus connu est celui du fameux exhibitionniste de St-Roch 4. L'acte sans …Le cas le plus connu est
cesse récidivant consiste en l'exhibition de la verge à l'état de flaccidité dans un endroit celui du fameux exhibi-
tionniste de St-Roch…
public mais discret. Le poste d'observation est généralement unique. L'exhibition se
répète aux mêmes heures, au même lieu (devant une école, dans une église, dans une
217
ÉTUDE N° 12
rue déserte, au crépuscule, le matin, etc. ), elle n'est pas accompagnée de manœuvres
masturbatoires, elle est muette, sans provocations érotiques. Ce type d'exhibitionniste
est un sujet le plus souvent jeune, sans manifestations cliniques de perversions
…Il lutte contre cette ten- sexuelles : sa sexualité médiocre paraît se résumer dans cette manifestation. Il lutte
dance […], son anxiété contre cette tendance qui lui paraît absurde, son anxiété est considérable et ne cesse,
est considérable et ne
pour un certain temps, qu'après l'exhibition qui le soulage. Le malade déclare qu'il lui
cesse, pour un certain
temps, qu'après l'exhibi- est impossible de résister à ce besoin tyrannique et se déclare indifférent aux consé-
tion qui le soulage… quences que cet acte impulsif peut entraîner pour lui. Il s'agit vraiment d'une obses-
sion-impulsion, que certains sujets comparent à l'état de besoin du morphinomane 1.
Tels sont les caractères de l'exhibitionnisme le plus « pur », le plus impulsif.
Cliniquement il doit être distingué de la variété suivante dont cependant, à l'analyse, il
peut se montrer très proche. Sur 70 exhibitionnistes, STAEHLIN n'a trouvé que 5 cas
« typiques » et nous avons déjà signalé que dans la statistique d'OLLIVIERS il n'en figu-
…mais c'est une véritable re aucun. Sous cette forme absolument classique, répétons-le, il s'agit en effet d'une
rareté clinique… éventualité exceptionnelle, d'une véritable rareté clinique.
…bien plus souvent […] On observe bien plus souvent un comportement beaucoup moins anxieux et plus
la verge est en état manifestement érotique. L'exhibitionniste présentant sa verge à l'état d'érection, se
d'érection, il se masturbe,
masturbe, en proie à une vive excitation sexuelle. Ce sont le plus souvent des sujets
est en proie à une vive
excitation sexuelle… « tarés », « psychopathes », « dégénérés ». Leur vie sexuelle est profondément altérée.
Le narcissisme, l'homosexualité, les tendances sadiques, parfois l'impuissance névro-
tique constituent des traits manifestes du tableau clinique ; quelquefois ils se retrou-
vent dans les antécédents et toujours, naturellement, à l'analyse. Les traumas infantiles,
les conflits inconscients, jouent un rôle évident dans le mécanisme de ces exhibitions.
…observation de KRAFFT- Citons à titre d'exemple une observation de KRAFFT-EBING. Il s'agissait d'un ouvrier de
EBING… 37 ans, bon, sobre et intelligent. Une sœur de son père et une sœur de sa mère étaient
aliénées. Il avait toujours été un peu excentrique et imaginatif, grand liseur de romans
et porté à s'identifier aux héros de ses lectures. Pendant sa jeunesse, masturbation
modérée. Coït normal. Il vivait seul mais aimait la toilette et à porter les bijoux. Il se
faisait parfois une sorte de « punch » qui l'excitait sexuellement. Ce n'est que vers 35
ans que s'est développée en lui l'impulsion à l'exhibitionnisme. Quand elle le saisissait
il sentait en lui une bouffée de chaleur, des palpitations au cœur, il était absorbé par
son désir, se regardait ensuite comme un fou et prenait de vaines résolutions de résister.
218
EXHIBITIONNISME
Pendant l'exhibition, le pénis était à moitié érigé mais il ne se produisait pas d'éjacu-
lation. L'exhibition le satisfaisait pleinement : il pensait qu'il donnait un plaisir équi-
valent à la femme qui le voyait puisque lui-même éprouvait un plaisir violent à voir
les parties sexuelles d'une femme. Il avait de nombreux rêves érotiques où il se voyait
s'exhibant devant des femmes jeunes et voluptueuses.
L'observation rapportée par M. BOSS 1 est à rapprocher de ce type, il s'agissait d'un …L'observation rappor-
jeune homme timide, craintif et inhibé qui s'était plu de bonne heure aux fantasmes tée par M. BOSS…
1. M. BOSS, Le cas d'Eugen SOMMER, p. 62. [NdÉ: voir réf. dans la Biblio. de fin d'Étude]
2. Nous rapporterons plus loin quelques éléments de son analyse.
3. KRAFFT-EBING, Psychopathologia Sexualis (Observation 210 à 212).
4. LALANNE, Thèse, 1896.
5. MOLL , Handbuch der Sexualwissenschaften, 1926.
6. GARNIER, Congrès International de Médecine, 1900.
219
ÉTUDE N° 12
220
EXHIBITIONNISME
médico-légales les plus connues et habituelles de l'affection. L'acte est absurde, méga- …dans la P.G. c'est une
lomaniaque dans ses formes les plus caractéristiques. LALANNE en a rapporté plusieurs réaction médico-légale
les plus connues et habi-
exemples. Il cite le fameux malade de RITTI qui montrait ses testicules « parce qu'ils
tuelles […] le fameux
étaient en or », citation devenue rituelle. . . Mais c'est à propos des exhibitions déli- malade de RITTI qui mon-
rantes et de l'exhibitionnisme des femmes que l'on trouvera dans sa thèse les observa- trait ses testicules « parce
tions les plus intéressantes de paralytiques généraux exhibitionnistes. qu'ils étaient en or »…
221
ÉTUDE N° 12
…on peut admettre un 1. Sans doute, beaucoup de psychiatres et surtout de psychanalystes assurent que « le problème
exhibitionniste pervers ne se pose pas ». C'est, peut-être qu'ils n'ont guère vu de « vrais exhibitionnistes » ou qu'ils n'ont
normal, tout de même pas été amenés à analyser le comportement d'entraînement érotique de beaucoup de « simples »
qu'il y a une homosexua- dévoyés ou vicieux. On peut dire que tous les travaux sérieux sur la question, toutes les statis-
lité ou une prostitution tiques admettent nécessairement un exhibitionniste pervers normal, tout de même qu'il y a une
non pathologiques… homosexualité ou une prostitution non pathologiques.
2. CHEVALIER, L'inversion sexuelle, 1893.
222
EXHIBITIONNISME
ment responsables pour leur permettre de se ressaisir. Cette « règle pratique » admet
qu'il existerait une certaine intimidabilité et que l'« épée de Damoclès» suspendue ainsi
sur leur tête renforcerait le plus souvent leur censure morale. Si, au contraire, on a
…la récidive impénitente
affaire à des récidivistes impénitents, il faudrait considérer alors la récidive comme un
plaide en faveur de la
trait important du tableau clinique plaidant en faveur de la structure névrotique du structure névrotique du
comportement délictueux : irresponsabilité et internement. Enfin dans les cas les plus comportement délictueux :
délicats, après une première récidive chez un individu difficile à classer dans le grou- irresponsabilité et interne-
ment…
pe des psycho-névroses, on pourrait faire jouer à titre d'exception la responsabilité
atténuée, mais c'est un pis-aller auquel, dans le cas de l'exhibitionnisme, il vaudrait
mieux ne pas recourir…
Telles sont les « règles pratiques » de l'expertise généralement conseillées. Elles
valent ce que vaut toute position théorique, en présence d'un problème médico-légal,
objet d'une expertise essentiellement concrète et particulière, c'est-à-dire à peu près
rien. Par contre, la pratique même de l'expertise permet assez aisément de déterminer
si l'on a affaire à un malade ou à un dévoyé, à un simulateur. Si nous l'affirmons, c'est …nous avons une certai-
ne expérience de ces
évidemment parce que nous avons une certaine expérience de ces expertises et que expertises […] et nous
notre expérience coïncide avec les observations que l'on retrouve dans tous les tra- admettons la possibilité
vaux 1 sur l'exhibitionnisme et qui admettent, à peu près tous, la possibilité d'une d'une conduite d'exhibi-
conduite d'exhibition non pathologique. tion non pathologique…
1. Ainsi par exemple pour n'en citer qu'un de relativement récent, W. N. EAST (Observation on
Exhib. Lancet II, 372, 1924, p. 370) oppose aux exhibitionnistes psychopathes, les dévoyés
(depraved) qui s'exhibent pour inviter le partenaire éventuel aux relations sexuelles. Point que
nous allons envisager dans le paragraphe suivant.
2. Scoptophilie ou voyeurisme ou plaisir de voir, de skoptomai, épier.
223
ÉTUDE N° 12
…Extraits de l'étude de « Depuis le mémoire magistral de LASÈGUE, les travaux de MAGNAN et ses élèves,
GARNIER… l'exhibitionnisme est non seulement une expression acceptée par les pathologistes,
mais aussi une espèce judiciaire et aujourd'hui les magistrats s'inclinent devant la pré-
cision des déductions cliniques et la rigueur de la démonstration scientifique, admet-
tant fort bien le caractère morbide de cette exhibition qu'on pourrait appeler plato-
nique, tellement elle se suffit à elle-même. Les cas de cette perversion sexuelle obsé-
dante et impulsive sont d'ailleurs fréquents et sont la monnaie courante des expertises
médico-légales. On en a publié un grand nombre. Il n'y aurait peut-être qu'un intérêt
modéré à trouver ici la mention d'observations nouvelles. Le fait en lui-même subit si
peu de variantes qu'il reste monotone. Pourtant, il comporte parfois certaines parti-
cularités curieuses à noter et c'est sur celles-ci sans doute, après cet exposé général,
qu'il y a lieu d'appeler l'attention.
Quelques exemples tendent à montrer que le dégénéré psychosexuel, tourmenté
par le besoin d'étaler ses organes génitaux, semble parfois obéir dans le choix du lieu
où il doit s'exhiber à un sentiment singulier difficile à définir. LASÈGUE avait déjà cité
l'exhibitionniste de l'église St-Roch ; un autre malade, examiné par MAGNAN, se pla-
çait dans l'un des tambours de l'église St-Germain l'Auxerrois.
Voici maintenant l'histoire forte écourtée d'un sieur X…, négociant, dont la prédi-
lection pour une exhibition dans le lieu saint s'est affirmée à bien des reprises et d'une
manière aussi nette que possible. Lui aussi avait choisi, comme le malade de LASÈGUE,
…« Il fut arrêté plusieurs l'église St-Roch. Il fut arrêté plusieurs fois pour avoir étalé ses organes génitaux devant
fois pour avoir étalé ses des dames en prières. Ses nombreuses aventures judiciaires finirent par ruiner sa situa-
organes génitaux devant tion commerciale à Paris et il se vit obligé de quitter la capitale. Il alla s'installer dans
des dames en prières »… une petite ville de province. Peu de temps après son arrivée, il était arrêté dans une des
églises où il était venu s'exhiber. Condamné à quelques mois de prison, il est à peine
en liberté qu'il est arrêté de nouveau dans la même église, accomplissant le même acte
de façon imperturbable au dire du bedeau. Enfin les pénalités accumulées le contrai-
gnirent à abandonner son commerce et X…, de plus en plus dévoyé, désorienté, rega-
gna Paris. Il n'y était que depuis quelques semaines, lorsque le sacristain de St-Roch
vint raconter au commissaire de police du quartier que, de nouveau, l'église était le
théâtre d'actes scandaleux et qu'il croyait bien avoir reconnu en l'auteur de ces actes
inqualifiables, l'étrange et obstiné visiteur à l'arrestation duquel il avait autrefois
contribué à plusieurs reprises. Une surveillance active fut organisée et, le lendemain,
l'irréductible récidiviste était arrêté et conduit au dépôt.
L'outrage public à la pudeur se produisant dans une église cette obscénité révol-
tante consistant à se découvrir dans le temple, aux regards de dames agenouillées,
acquiert une gravité particulière et semble résulter d'un cynisme provocateur qui ne
saurait manquer d'attirer une sévérité spéciale sur l'homme capable d'une semblable
224
EXHIBITIONNISME
225
ÉTUDE N° 12
Pour si déconcertante que soit effectivement; pour nous tous, une pareille condui-
te, l'étonnement de GARNIER n'est peut-être pas, à tout prendre, moins étonnant.
Comme nous le soulignions plus haut en effet, « se montrer » fait partie du jeu sexuel
et à ce titre l'exhibition peut, comme toutes les « perversions sexuelles », se déduire
d'une sélection systématique des tendances libidinales qui figurent, à un degré plus ou
moins marqué, le « vice » ou la « dépravation » dans la longue liste des « plaisirs pré-
liminaires » ou substitutifs de l'acte sexuel.
…l'originalité propre à Mais ici l'originalité propre à cette figure érotique dépend du symbolisme même
cette figure érotique du sexe masculin comme l'avait pressenti GARNIER. Le phallus est, en effet, une
dépend du symbolisme
« imago » chargée de « puissance magique » et investie d'une émotion qui trouve une
même du sexe masculin
[…] Le phallus est, en résonance profonde dans la nature humaine comme en témoignent toutes les signifi-
effet, une « imago » char- cations collectives qui l'expriment dans les mythes, le folklore et les rites religieux.
gée de « puissance
« C'est, dit HAVELOCK ELLIS 1, le véritable emblème de la génération, partout les
magique »…
hommes ont regardé cet organe avec un mélange de respect, d'horreur et parfois même
de dégoût, chez les peuples civilisés. Son image est portée comme amulette pour
garantir du mal et invoquée comme un charme pour attirer la bénédiction. Les organes
sexuels ont été jadis l'objet le plus sacré sur lequel un homme put placer sa main pour
prononcer un serment solennel, tout comme de nos jours, il jure sur l'évangile. Les tra-
…« la grande civilisation ditions et la grande civilisation classique nous ont fait hériter de la conception du pénis
classique nous a fait héri- comme un « fascinus », symbole de toute fascination. Dans l'histoire de la culture
ter de la conception du humaine il y a eu une signification surhumaine : il a été le symbole de toute la force
pénis comme un « fasci- fécondatrice de la nature, l'incorporation de l'énergie créatrice dans le monde animal
nus », symbole de toute et végétal, ce fut un simulacre digne d'adoration et le signe de l'extase par excellence.
fascination…» HAVELOCK Comme symbole, le phallus sacré a été lié à toutes les conceptions les plus hautes et
ELLIS.. les plus profondes de l'humanité et cela si intimement qu'il est possible de le voir par-
tout mais qu'il est impossible de ne le trouver nulle part. De là vient le grand nombre
de noms que les hommes ont employé pour le désigner. On peut énumérer plus d'une
centaine de synonymes dans la littérature française. . . » 1.
226
EXHIBITIONNISME
de la honte ; il serait, sous son aspect fantasmique le plus archaïque, à la base des com-
plexes d'infériorité et de frustration et de l'attitude masochiste féminine 1. Si donc l'af-
firmation virile comporte pour ainsi dire nécessairement le geste de « montrer », le
comportement érotique féminin impliquerait l'attitude de « cacher ». Aussi l'exhibition
de la femme, si elle est « généreuse » pour tout ce qui est le reste de son corps, le plus
…montrer son sexe, les
possible dévoilé, exclut le sexe 2. De telle sorte que montrer son sexe, les fesses, le
fesses, le « derrière » n'a
« derrière » n'a pas du tout la même signification pour elle et exprimerait au contraire pas du tout la même signi-
le mépris et l'injure, si nous en croyons certaines coutumes folkloriques. C'est ainsi que fication pour [la femme]
HAVELOCK ELLIS a écrit à ce sujet cette page que l'on nous excusera de citer dans son et exprimerait au contrai-
re le mépris et l'injure…
intégralité mais qui doit être versée au débat :
Sous sa forme primitive, c'est là certainement un acte magique, une sorte d'exor-
cisme, destiné à chasser les mauvais esprits et aussi les personnes mal disposées. C'est
la manière expressive que possèdent les femmes pour montrer leur vulve et ce n'est
qu'une forme de cette série d'actes où la mise à nue des organes sexuels possède une
valeur rituelle. On a vu ci-dessus que des femmes des Balkans employaient ce moyen
magique contre les ennemis en pleine bataille. Au XVIe siècle, un théologien aussi émi-
nent que LUTHER, attaqué par le diable pendant la nuit, ne réussit à le mettre en fuite
qu'en lui montrant ses fesses. Mais le sens spirituel de cette attitude s'est perdu en
même temps que les croyances primitives. Il survit cependant comme simple geste
d'insulte. Il s'y ajoute que les fesses sont le centre des excrétions, l'enveloppe de l'anus,
l'élément sexuel des fesses ne joue aucun rôle. Aussi l'exhibitionnisme de ce type n'ap-
paraît jamais chez les individus tant soit peu raffinés. . . , même en laissant de côté tout
élément de pudeur ; on en relève très peu de traces dans l'antiquité classique, alors que
pourtant les fesses étaient regardées comme un facteur de beauté.
Chez les Égyptiens, au cours d'une cérémonie décrite par Hérodote (livre II, cha-
pitre IX), les hommes et les femmes allaient en barque sur le Nil, chantant et jouant :
en s'approchant d'une ville, les femmes sur les barques insultaient les femmes et leur
montraient leur sexe. Ce geste spécifique a subsisté chez les Arabes : un homme
auquel toute vengeance est interdite exprime ses sentiments en exposant son derrière
et en se jetant de la terre sur la tête.
C'est pourquoi, c'est en Europe, tant au moyen âge que plus tard, que ce geste
semble avoir le mieux fleuri, comme expression violente de mépris. Il n'était nulle-
ment l'apanage des classes inférieures et KLEINPAUL, en discutant cette forme de « lan-
gage sans paroles », cite de nombreux exemples de personnes nobles et même de prin-
cesses, qui ont exprimé leurs sentiments sous cette forme. Dans les temps modernes,
le geste ne semble s'être maintenu que dans les milieux ouvriers et paysans les plus
227
ÉTUDE N° 12
grossiers : ZOLA en a donné dans Germinal une description qu'on peut appeler clas-
…D'après HAVELOCK ELLIS sique, quand la Mouquette à bout d'injures se retourne et montre son postérieur. Dans
[la femme] ne montrerait d'autres régions de l'Europe, ce geste n'est pas tout à fait hors d'usage, notamment chez
ses parties sexuelles que les Slaves du Sud ; KRAUSS affirme que lorsqu'une femme yougoslave désire exprimer
pour « faire peur », lais- son mépris le plus profond elle se penche en avant, de sa main gauche relève ses jupes,
sant à leur secret le soin et de la droite, se frappant les fesses, elle dit en même temps, voilà pour toi ! Une sur-
de « faire envie »… vivance verbale de ces gestes consistant à prier de « baiser son cul » existe encore en
bien des endroits, par exemple au pays de Galles et en Cornouailles où cette invitation
faite par une femme à un homme, surtout si elle est jeune et jolie, peut déterminer l'ini-
mitié de deux familles ».
1. L'observation de l'exhibitionniste Eugène SOMMER, rapportée par M. BOSS, pp. 62-69, est tout
à fait typique.
228
EXHIBITIONNISME
L'exhibition est dans ces cas furtive, elle s'adresse à des partenaires possibles et
désirées. Elle se fait en érection et s'accompagne de manœuvres masturbatoires. Tout
ce comportement ridicule et pitoyable a pourtant la valeur d'une provocation au coït et
escompte la complaisance et l'émotion sexuelle de la spectatrice jugée, troublée, fas-
cinée et déjà complice. Le mâle exhibe son désir, ses attributs virils, portant à son
degré de brutalité le geste de l'initiative sexuelle qui lui appartient en propre : il
…Cette « invitation »
cherche à provoquer un désir égal à celui qu'il offre. Cette « invitation » directe, cette directe, cette pressante
pressante sollicitation bravant, dans une sorte d'héroïsme, la pudeur et le ridicule est sollicitation […] est une
une forme du rut. Et c'est en proie à la plus vive surexcitation que l'exhibitionniste pré- forme du rut…
sente sans honte et, si l'on peut dire, sans « fard » sa nudité, comme le plus sûr et, dans
la plénitude du sens, le plus spécifique moyen de conquête. Un autre mécanisme joue …Un autre mécanisme
un rôle dans le déterminisme de l'exhibition, mais plus compliqué, moins directement […] c'est l'exhibitionnis-
« compréhensible » que celui dont nous venons de parler : c'est l'exhibitionnisme à me à mécanisme narcis-
mécanisme narcissique. Le choix « objectal » ne s'est pas détaché du corps propre et sique…
celui-ci, investi des plus fixes et exclusives valeurs libidinales, reste l'objet d'une jouis-
sance sexuelle, parfois unique, celle de la masturbation devant le miroir. Le narcis-
sique veut se voir, s'aimer, se montrer 1. L'introduction d'un tiers dans ce circuit nar-
cissique n'en modifie pas la figure essentielle : en se montrant à autrui c'est à lui-même …en se montrant à autrui
encore qu'il s'exhibe comme si les yeux d'une femme isolée, d'une petite fille suppo- c'est à lui même qu'il se
montre…
sée complaisante et « enivrée » de la même passion qu'il éprouve pour son propre
corps, devaient seulement réfléchir l'image de celui-ci. Ce jeu des images et des
miroirs qui les reflètent, introduit de multiples degrés, de nouvelles dimensions dans
l'espace clos unissant et séparant la libido de ses objets. Se montrer, voir, s'exposer,
1. Nous avons psychanalysé un exhibitionniste dont le narcissisme, le désir de jouissance, passait … Nous avons psychana-
tout entier dans ses rêves et ses exhibitions. C'était un assez jeune homme plutôt timide et à demi lysé un exhibitionniste
impuissant fortement rivé à la phase narcissique préœdipienne. Ses rêves étaient presque toujours dont le narcissisme, le
des rêves de puissance et de prouesses. désir de jouissance, pas-
Voici quelques scènes oniriques du genre de celles qui reparaissaient constamment dans sa vie sait tout entier dans ses
de rêve : « Je prenais du poisson avec les mains alors qu'aucun pêcheur n'en prenait. Je disais aux rêves et ses exhibitions…
infirmiers que ce soir je ne serai pas là, que je passerai à travers des murs. Je volais comme un
oiseau mais c'était dans l'eau et j'étais sur le point de jouir. Chaque fois que je sais un tour de force
quelconque je veux le faire. Il y avait un mât horizontal et je faisais des acrobaties formidables,
des acrobaties au ralenti. Une religieuse brûlait dans un incendie et c'est moi qui la sauvais. Je
faisais ce que personne ne voulait faire. Dans mon rêve je trouvai le moyen de faire marcher une
voiture sans y mettre de l'essence, l'eau flambait et c'était merveilleux. Ça me fait penser que dans
un autre rêve j'allais chercher des perles dans l'eau ». Une telle mégalomanie compensatrice de
l'exiguïté de la vie sexuelle inhibée et misérable est tout à fait caractéristique de cette structure
perverse dont l'exhibition n'est qu'un aspect. (M. BOSS). La valeur de spectacle offert (exhibition)
ou de spectacle « pris » (scoptophilie) constitue le fond existentiel fondamental de ces perver-
sions de l'érotique du regard, où se mêlent dans une atmosphère magique de secret violé les désirs
de se montrer, de se démontrer, d'être vu, de se manifester et de capter.
229
ÉTUDE N° 12
regarder, épier, c'est mêler le regard à l'amour. C'est se faire de l'amour une image spé-
culaire qui n'est jamais que le reflet de soi. S'exhiber, ici c'est encore et surtout se
regarder. C'est dire que dans ces cas les tendances exhibitionnistes s'intègrent dans un
complexe d'homosexualité inséparable de cette forme d'organisation auto-érotique de
la vie sexuelle.
…Une autre forme d'exhi- Une autre forme d'exhibitionnisme met en jeu des tendances agressives sadiques.
bitionnisme met en jeu L'exhibition a alors la valeur d'un traumatisme, d'une dévirginisation morale. D'où la
des tendances agressives
nécessité pour l'exhibitionniste de scandaliser l'innocence. Plus l'acte est accompli
sadiques…
dans les circonstances de lieu ou de « partenaires » qui inspirent et commandent le res-
pect, plus l'acte est profanatoire et choquant, plus de jouissance il provoque. Le coït
« oculaire », la « communion de regard » qu'est l'exhibition, prend ici la valeur d'un
outrage et d'un viol. Il n'est plus seulement spectacle, il est sacrilège.
Mais le type de l'exhibi- Mais le type de l'exhibitionnisme le plus « vrai », ou comme on le dit parfois, le
tionnisme le plus « vrai » plus « pur » au sens classique du terme, consiste pour un homme à s'exhiber à la vue
[…] consiste pour un
de spectateurs (ou plutôt de spectatrices) dans une attitude honteuse, une situation dan-
homme à s'exhiber dans
une attitude honteuse… gereuse et par conséquent dans un état d'anxiété extrême. Tandis que l'organe mascu-
lin est doté, dans le système des représentations collectives, d'une valeur universelle
…C'est flétri et vaincu de puissance, c'est, flétri et vaincu, qu'il est présenté. Comment interpréter ce renver-
qu'il est présenté…
sement de la valeur symbolique de l'attribut sexuel masculin ? Une seule explication
paraît possible, c'est que cette exhibition traduit à la fois le désir angoissé de montrer
sa virilité et celui de la frapper de punition, de s'offrir à la fois à la contemplation et à
…Le mécanisme est auto- l'holocauste. Le mécanisme auto-punitif et masochiste de la pulsion exhibitionniste
punitif et masochiste…
paraît ainsi s'identifier avec la structure psychopathologique de l'exhibitionnisme le
plus mystérieux, celui du type LASÈGUE. Le sujet est généralement un hypogénital, par-
fois même un impuissant (comme l'a souligné spécialement PICARD 1 en cherchant à
rapprocher ce symptôme d'une insuffisance hypophysaire). C'est en tout cas un inhibé
très généralement pudique et pudibond. Ses fonctions sexuelles sont (quand elles ne
sont pas supprimées complètement) frappées d'un interdit en profonde relation avec les
complexes narcissiques et homosexuels enfouis sous le complexe d'Œdipe 2 et qui exi-
gent une auto punition, une actualisation, sous forme d'angoisse névrotique, de l'an-
goisse du complexe de castration. Nous avons pu nous rendre compte de ce mécanis-
me en analysant l'exhibitionniste auquel nous venons de faire allusion et qui s'était
exhibé en état de flaccidité auprès d'agents de police. Nous croyons ce mécanisme
névrotique assez fréquent si l'on en juge par les tendances narcissiques et homo-
sexuelles que l'on rencontre chez la plupart des exhibitionnistes 3. – L'investissement de
230
EXHIBITIONNISME
231
ÉTUDE N° 12
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Étude n° 13 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
L'étude de la perversité et des perversions exige qu'en soit exclue toute hypocrisie
qui risque d'en masquer la nature. En effet, magistrats, moralistes et psychiatres ont
parfois tendance à placer de tels écarts du comportement moral et social hors de la
nature, soit en les considérant comme un péché contre nature, soit en y voyant l'effet
d'un processus morbide créateur de tendances hétérogènes à la nature humaine. Le
« Moralisme » et le « Mécanicisme » méconnaissent ainsi également la nature humai-
ne qui est immanence du vice, du « stupre », de la lubricité, du mal, au plus profond
de nous tous.
233
ÉTUDE N° 13
1. A cet égard nous pouvons indifféremment renvoyer aux vieux travaux de ESPINAS (Des socié-
tés animales, Paris, 1878), ROMANES (Animal Intelligence, 1882), de LOEB (Die Dynamik der
Lebenserscheinungen 1906), de BETHE, Th. BEER et de VON UEXKULL (1899), de ZIEGLER (Der
Begriff des Instinktes, 1910), THORNDIKE (Animal Intelligence, 1911) ou à ceux que depuis tren-
te ans ont publié BOHN (La naissance de l'intelligence), BRUN (Archives suisses de Neuro, 1920),
RABAUD (Bull. Soc. de Zoologie, 1921), de PAVLOV (1924), de KOEHLER (L'intelligence des singes
supérieurs, 1" édition 1917, 2e édition 1921, trad. franc., 192 ), J. VON UEXKULL, (Umwelt und
Innenwelt der Tieren, 2e édition, 1921), de KAFKA (Handbuch der vergleichende Psychologie,
1922, t. I), de K. KOFFKA (Die Grundlagen der psychische Entwicklung, 2e édition 1925), de
MALINOWSKI (Sex and repressions in sorage Society, 1927), de YERKES et YERKES (The great
Ages, 1929), ALVERDES (Social Life in the annual world, 1927), J. S. BUYTENDIJK (Psychologie
des animaux, 1928), MONAKOW et MOURGUE (Introduction biologique à l'étude de la Neurologie
et de la Psychopathologie, 1928), M. Ross (La question des tropismes, Paris, 1929), L. VERLAINE
(L'âme des bêtes, Paris, 1931), L. VERLAINE (Psychologie comparée, Bruxelles, 1932), ROSTAND
(La vie des crapauds, 1933), S. S. HUXLEY (Courtship of animales, Encyclopedia Britannica, vol.
VI), F. ALVERDES (Die Tierpsychologie, Leipzig, 1932), HYATT VERRILL (Mœurs étranges des
insectes, Mœurs étranges des oiseaux, trad. franc., 1939)J S. ZUCKERMANN (La vie sexuelle et
sociale des singes, trad. franc., 1937), É. VERLAINE (Les réactions sensitivo-motrices des ani-
maux, Encyclopédie française, La vie mentale, 8-28-11), Pierre RAY (La vie sexuelle chez les
animaux, Encyclopédie française, La vie mentale, 8-38-11), TINBERGER (An objectivist study of
unnate behaviour animales. Bibliotheca biotheor., I Pars, 2, Leiden, 1942), H. HEDIGER (Wildtiere
im Gefangenschaft, 1942), W. HORSLEY GANTT (Exper. Basirof neurolie Behavior in Dogs, 1944),
L. CHOPARD (La vie des sauterelles, 1945), J. H. MASSERMAN (Pringles of dynamic Psychiatry,
1946), F. ANGEL (Vie et mœurs des Amphibiens, Paris, 1947), etc., G. ZUNINI (Animali e uomo
visti da un psicologo, 1947). Les travaux de l'école réflexologique américaine (LIDDEL, GUTHONE
et HULL, etc.) et certains mémoires récents sur le comportement des vertébrés comme par
exemple celui de FENELL (American Naturalist, 1945) et de GUHL, COLLIAS et ALLÉE (Phys.
Zool., 1945) sur les galinacés, de G. ZUNINI (Rivista di Psicologia, 1945) sur les chiens, de H.
HEDIGER (Die Bedeutung der Miktion und Defekation bei Wildtieren, Rev. suisse de Psychol.,
1944), Hans RABER (Analyse des Balz verhaltens einer domestizierten Truthans Behaviour, t.1,
3-4 ; l'étude sur le comportement érotique des dindons qui est intéressante au point de vue de la
psychopathologie du fétichisme et de la parure), MONIKA MEYER-HOLZAPFEL (Die Beziehungen
den Trieben Junger Tiere, Rev. suisse de Psychologie, 1949), etc., ces travaux tiennent au courant
des innombrables observations et expériences qui s'accumulent sur le comportement instinctif et
les réactions des animaux. Les Revues : Archives de Zoologie expérimentale, Archives
Néerlandaises de Zoologie, Bulletin de la Société Zoologique de France, Genetic Psycho-logy
Monograph, Journal of the Royal Anthropological Institut, Journal of comparative and …/…
234
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
pismes, des instincts, des pulsions ou des tendances chez les animaux, tous, quelles
que soient leurs théories, se trouvent d'accord pour décrire une couche primitive de
comportement soudée spécifiquement à la forme de l'organisme, à ses dispositifs
fonctionnels et à leurs régulations neuro-hormonales. Sans doute cette activité ins-
tinctive implique-t-elle une certaine direction, une certaine finalité dont les besoins
constituent les axes fonctionnels, mais ces travées d'organisation qui constituent les
comportements typiques et adaptés, soit par le jeu inné des dispositions congénitales,
morphophysiologiques, héréditaires, soit sous l'influence des situations vitales et
sociales où les animaux se trouvent placés, ne déterminent pas rigoureusement une
adaptation parfaite de l'instinct à son objet. Il existe, en effet, un grand nombre de
variations qui expriment soit les tendances anarchiques des comportements incondi-
tionnés, soit des « conditionnements » qui perturbent les réactions primaires.
L'instinct ne constitue pas une ligne droite qui va du besoin physiologique et naturel
à sa satisfaction adéquate et conforme à l'adaptation, aux accords parfaits de l'orga- …L'instinct ne constitue
nisme avec son milieu. D'où les décharges émotionnelles perturbatrices, les jeux où pas une ligne droite qui
va du besoin physiolo-
se gaspillent les instincts, les aberrations des appétits et des tendances. C'est un
gique et naturel à sa
monde frénétique, désordonné et aberrant que figure cette couche « archaïque » ou satisfaction adéquate et
« primitive » d'existence et non point, certes, un ordre de régulation parfait et mathé- conforme à l'adaptation,
matique. Rien de plus instructif à cet égard que l'étude du comportement sexuel des aux accords parfaits de
l'organisme avec son
« babouins » que nous devons à ZUCKERMANN. Le milieu social qui constitue la vie
milieu…
de ces singes est traversé de forces instinctives qui l'organisent et concourent, tant
bien que mal, à la préservation et à la reproduction de l'espèce, mais au travers de …Rien de plus instructif à
multiples et incessantes variations paradoxales, de constantes aberrations du compor- cet égard que l'étude du
comportement sexuel des
tement instinctif. La sexualité y apparaît comme la forme de cohésion de groupe,
« babouins » que nous
mais non point constamment dirigée vers la procréation – et les conduites sexuelles devons à ZUCKERMAN…
participent plus du jeu, de la colère, de l'intérêt, des adaptations fortuites, du hasard
des contacts et des dispositions momentanées que de désir immuable et « naturel » de
se reproduire par des rapports hétérosexuels féconds. L'ensemble de ces réactions sur-
tout chez les sujets impubères est flottant et paradoxal. Seule la forte poussée hor-
monale de la puberté ou, chez la femelle, de l'œstrus, maintient les réactions sexuelles
dans un ordre qui reste constamment compromis par les conduites anormales. Ces
conduites ne sont pas « amorales » pour la bonne raison qu'il n'y a pas de « morale »
dans ces groupes d'êtres vivants chez lesquels les seules inhibitions qui imposent leur
forme aux conduites sont occasionnelles. C'est ainsi que la « dominance » du maître
dans le groupe s'exerce seulement par intermittence et que la peur qu'il inspire est
235
ÉTUDE N° 13
236
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Nous employons ce néologisme pour ne pas employer le terme de surnature qui implique un
détachement à un niveau supérieur à l'égard de la nature. Nous visons en effet ici dans le déve-
loppement génétique un niveau qui se tient entre la nature donnée et la surnature qui constitue la
personnalité consciente.
2. Ce que nous venons de dire à propos de l'instinct et de la morale peut se dire également du désir
et de la volonté. La volonté est antagoniste du désir et ne prend sa valeur et son sens que dans cet
antagonisme et non dans l'identification « schopenhaurienne » des deux termes.
237
ÉTUDE N° 13
Ces choix « moraux » constituent une action de répression à l'égard de tout le système
pulsionnel instinctif et complexuel, répression limitée seulement par les nécessités
vitales et, si les choix sont plus souvent immoraux que moraux, c'est que le choix
moral, comme le chemin de la vertu, est aride, douloureux et difficile, soumis à un
principe de valeur « idéale », tandis que le choix immoral suit plus naturellement la
pente des inclinations pulsionnelles, c'est-à-dire s'abandonne au principe du plaisir, au
système des valeurs hédoniques.
Sous son aspect le plus général et négatif, le mal se confond avec l'absence de
moralité et toute action est dite immorale tout simplement lorsqu'elle échappe au
contrôle de la conscience morale. Mais cet aspect « négatif » du mal ne suffit pas à le
…le mal n'est pas seule- définir, le mal n'est pas seulement constitué par l'instinct non intégré dans la sphère
ment constitué par l'ins- morale, il dépend comme « acte », dans son sens le plus fort et positif, d'une « per-
tinct non intégré dans la
version » du système des valeurs morales. Une telle perversion n'est pas seulement
sphère morale, il dépend
comme « acte » ,[…] synonyme d'absence de moralité, d'échappement au contrôle moral, elle est vécue et
d'une « perversion » du sentie comme une volonté de mal, une action « à rebours » et de « contre-pied ». Là
système des valeurs où il « faudrait » être bon, le pervers doit être méchant, là où il « faudrait » être res-
morales…
pectueux, il doit être sacrilège ; là où il « devrait » éprouver un dégoût, une répulsion,
il éprouve une attirance : il y a inversion de l'acte moral. C'est ce que DUPRÉ avait bien
mis en évidence l quand il écrivait :
« La perversion n'est réalisée dans toute l'acception du mot que par l'apparition et
le développement à la place de l'instinct moral, de tendances contraires et de sens net-
tement opposés : elle est réalisée par l'inversion des penchants normaux. L'agénésie
des inclinations tendres et des sentiments de sympathie aboutit à l'indifférence affecti-
DUPRÉ décrit …« la jouis- ve, mais la perversion des penchants attractifs est réalisée par la malignité qui se tra-
sance [issue] de la souf- duit par la tendance à nuire et à détruire, par l'appétit du mal pour le mal, par la jouis-
france d'autrui »… sance essentielle de la souffrance d'autrui... Dans le cas d'aversion affective et morale,
le véritable pervers est poussé par des tendances mauvaises à des réactions nettement
agressives et dangereuses contre autrui. Dans son activité maligne, il sera toujours
entraîné souvent même contre son gré, contre son intérêt personnel évident, à des
attentats contre l'honneur, le bien et la vie d'autrui. »
Cela est parfaitement juste mais nous conduit à envisager l'essence de la perversi-
té comme une « volonté de mal » et non point, ainsi que le faisait précisément DUPRÉ,
comme une simple tendance constitutionnelle, une « perversion instinctive donnée ».
Il n'est pas vrai que (pour parler même des perversions les plus affreuses), manger ses
excréments, violer des cadavres, raffiner un supplice, jouir de la souffrance d'autrui et
de la sienne propre, soient des perversions « en soi » que l'on ne rencontrerait que chez
238
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
239
ÉTUDE N° 13
appât d'un sûr attrait pour la lecture ou le spectacle de leurs exploits aient été anor-
maux, ou pathologiques, est une question qui reste en suspens. Mais il n'est point
…Une difficulté : les besoin de faire appel aux héros de l'histoire ancienne. La difficulté qui se présente aux
conduites humaines sub- psychiatres est celle des conduites humaines subversives et nous pouvons en prendre
versives, [et l’exmple]
conscience à propos de ces « pervers » contemporains que sont, par exemple, les « sur-
des « surréalistes »…
réalistes », systématiques amateurs de « scandales », de « cynismes » et de « profana-
tions ». « On a fait des lois, des morales, des esthétiques pour vous donner le respect
des choses fragiles. Ce qui est fragile est à casser... Nos héros sont Violette Nozières,
le parricide, le criminel anonyme de droit commun, le sacrilège conscient et raffiné »,
s'écriait dans les Aventures de Télémaque (1923) Louis ARAGON. Et la poésie, se
confondant avec la libre expression de « l'hôte inconnu » qui nous habite, ces poètes
vont sans cesse opposer à l'ange doucereux et bénin, la bête déchaînée et puissante, et
cela non seulement dans leurs écrits, mais dans leurs actes, la révolution devenant le
véritable « art poétique » de la violence. « Jacques VACHE préféra, dit A. BRETON, à la
désertion à l'extérieur en temps de guerre qui garda toujours pour lui quelque côté
palotin, une forme d'insoumission qu'on pourrait appeler la désertion à l'intérieur de
soi-même... un parti-pris d'indifférence totale, un parti-pris de ne servir à rien ou plus
exactement à desservir avec application. » Et l'on sait que J. VACHÉ s'est tué peu après
l'armistice de 1918 non sans avoir tué (semble-t-il ?) un de ses amis. Au regard de ce
drame de l'engagement subversif poussé jusqu'à sa suprême et tragique conclusion,
…Dada… « Dada », forme « infantile » du surréalisme, n'est apparu que comme un jeu d'enfant
espiègle qui a rapidement cessé de satisfaire le besoin profond de négation clastique.
« Lâchez tout, écrivait, en 1924, A. BRETON, lâchez Dada, lâchez votre maîtresse,
lâchez vos espérances et vos craintes. Semez vos enfants au coin d'un bois, lâchez la
proie pour l'ombre... » Cette même année ARAGON écrivait encore dans le « libertina-
ge » : « Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l'ai cherché pour lui-
même... Tout au monde, Dada, la guerre, la peinture, les femmes, mes amis... le crime,
Edith CAVEIX, RIMBAUD, la petite fille coupée en morceaux, le marquis DE SADE,
Jacques VACHÉ, l'armée (je fais appel aux jeunes gens : qu'ils désertent en masse).
« Paris pendant la guerre » de Bartholomé qui tient un phallus dans sa main, l'ignare
PASTEUR, le médiocre BANVILLE, RENANT le masturbateur, les généraux... et par
exemple, le sacrement de la communion et le fait de ne pas porter de bretelles, tout cela
n'a jamais été pour moi que l'occasion de scandale. » Rappelons encore cette « défini-
tion du surréalisme 1 », « les objets bouleversants et le cassage de gueules, la peintu-
re fantastique, le genre mal élevé, les révolutionnaires de café, le snobisme de la folie,
l'écriture automatique, l'anticléricalisme primaire, la discipline allemande, l'exhibi-
240
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
tionnisme, les plaisanteries pas drôles », qui témoigne de cette vague de destruction se
dévorant elle-même qui a secoué, jusqu'au tréfonds de leur nature, ces révoltés. On
trouvera dans les livres de Maurice NADEAU 1 une ample documentation sur ces aven-
…subversité…
tures, ces éclats, ces injures où éclate, sans se briser, la subversité de ces « poètes » qui
ont tenté de faire passer leur rêve dans l'action et qui, enivrés d'une révolte infernale,
ont poussé, jusqu'à « l'absurdité », le goût insatiable d'un autre monde, de l'envers du
…révolte…
monde. L'Humour noir (titre du prestigieux recueil de textes choisis par A. BRETON),
creuset où se mêlent dans une étrange vapeur tragi-comique les fantasmagories du
cocasse, du vice, du crime, du cauchemar, du jeu de la mort, distille les essences « per-
verses » de la production écrite ou pragmatique de cette poésie qui émane des ruines
croulantes de la réalité quand, ébranlée par le gigantesque effort de sa destruction,
volent les éclats de sa « convulsive beauté ».
Nous entendons bien que l'on pourrait nous reprocher de prendre notre exemple
chez un groupe d' « esthètes » dont la « sincérité est suspecte » et qui peuvent paraître
animés surtout du désir de « bluf », de « cabotinage » ou de « publicité ». Ce que nous
avons dit précédemment de J. VACHÉ 2 nous paraît suffisant pour nous garantir contre
ce reproche. Au surplus, il est aisé de comprendre que nous aurions pu soutenir la …révolutionnaires…
même argumentation à propos d'autres groupes 3 de « révolutionnaires » dont la fré-
nésie et la subversité apparaîtront plus immédiatement « sincères » ou sérieusement
« engagés ».
Mais même hors de ces « groupes », de ces collectivités qui obéissent à une
« morale antimorale », qui opposent aux normes d'une société celles d'une autre socié-
…provocation, défi…
té passée, étrangère ou future, nous connaissons tous ces individus qui, « la vipère au
poing » et dans l'exaltation de leur jeunesse ou de leurs passions, tiennent tête et font …obéissent à une « mora-
face aux « traditions », aux « routines », aux « bourgeois », aux « principes », à la le anti-morale »…
« Loi » dans une attitude tragique de provocation, de défi et de révolte. Dressés dans
leur subversivité esthétique, politique, sociale ou religieuse, ils se tiennent farouche-
ment attachés à leur « idéal » anti-esthétique, antisocial ou antireligieux. Tous ceux-là
241
ÉTUDE N° 13
242
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
née par « nous » contre « ça ». Le « moi » n'est pas une abstraction ainsi que le psy- …Le « moi » n'est pas une
chanalyste a fini par le reconnaître l. Il représente la métamorphose supérieure de l'être, abstraction ainsi que le
psychanalyste a fini par
c'est-à-dire la forme définitive adaptée et équilibrée qu'a pris l'ensemble du système
le reconnaître. Il repré-
pulsionnel primitif. Dès lors une pulsion perverse partielle n'a aucun sens. sente la métamorphose
Si donc ce n'est pas la présence de pulsions anormales qui caractérise le « vice », supérieure de l'être…
si les conduites et goûts qui le composent sont immanents à la nature humaine, alors … le vice […] exige pour
se constituer en forme
ce vice nous paraît être, non plus une « donnée » primitive, mais, dans sa forme la plus
d'existence, une orienta-
authentique, une « recherche », une « volonté ». Il exige pour se constituer en forme tion, un dépassement de
d'existence, une orientation, un dépassement de l'instinct. l'instinct…
Ce que l'on entend par « plaisirs anormaux », ce sont, en effet, des plaisirs artifi-
ciels où se satisfont non plus simplement les tendances instinctives fondamentales
sous leur forme brute d'utilité spécifique, mais un système pulsionnel qui en se déve- …un système pulsionnel
qui en se développant s'est
loppant s'est écarté de sa finalité primitive pour se « prendre » dans une constellation
écarté de sa finalité primi-
idéo-affective ou, si l'on veut, un mode d'existence « contre-nature ». Les valeurs de tive pour se « prendre »
« jeu », d'« art », de « raffinement », de « gratuité », de « défi », de « cynisme », de dans une constellation
« scandale », d' « excès », de « provocation », d' « affranchissement », de « complica- idéo-affective ou, si l'on
veut, un mode d'existence
tion » ou de « délicatesse » se mêlent chez le « gourmet » comme chez le « libertin »
« contre-nature »…
pour tisser la trame du vice où nous reconnaissons les mêmes traits de « malignité »,
de « culture du mal », de « morale à rebours » que chez les subversifs « amoraux » et
« antisociaux ». Pour les uns comme pour les autres, se pose la même question. Ces
individus ou ces groupes d'individus (esthètes, dévoyés ou toxicomanes) qui s'aban-
donnent aux profondes sollicitations de pulsions, communes à tous les hommes mais
généralement réprimées, qui laissent éclore en eux et cultivent le goût, le désir et le
plaisir de « mal faire », de trahir leur nature en transformant les moyens qu'elle leur
fournit en fins recherchées pour leur valeur hédonique insolite ou même pour leur
« idéal 2 », sont-ils toujours et nécessairement des malades ?
– Poser ces questions, c'est les résoudre par la négative. Il nous paraît évident, jus-
qu'au truisme, que de tels comportements humains pervers sont étrangers à la notion …de tels comportements
humains pervers sont
même de maladie mentale, qui implique un déficit et non une activité de choix ; c'est
3
étrangers à la notion même
à cette évidence que se sont d'ailleurs toujours rendus tous les hommes qui n'ont pu de maladie mentale…
243
ÉTUDE N° 13
II –. Mais il nous paraît évident, aussi, que certaines formes de « perversité » sont
pathologiques et c'est à cette évidence que se sont toujours référés les médecins qui,
depuis cent ans, se sont appliqués à approfondir l'étude des « amoraux », des « pervers
», et de leurs « anomalies » psychosomatiques. Certes, nous venons de voir quelle ter-
rible difficulté, quelle « aporie » redoutable représente pour le psychiatre 1 le problè-
me de la perversité. Celle-ci est, en effet, d'autant plus « pure » ou, si l'on veut, « maxi-
ma » qu'elle se confond avec la démarche de la conscience morale dont le choix inver-
se les valeurs. Or, sous cette forme, elle ne peut être considérée comme pathologique
que par un abus de langage et une déformation des notions les plus fondamentales. Il
existe, pourtant, toute une série de faits qui nous font parler de « perversité » ou de per-
version à propos d'actes de goûts ou de comportements qui échappent à la plénitude de
la conscience morale, qui manifestent un trouble de sa structure, et somme toute de sa
liberté. A cet égard, nous nous trouvons en face d'une nouvelle difficulté et une nou-
velle analyse de la perversité est nécessaire : elle doit nous rendre compte de la possi-
bilité d'existence d'une pathologie de la conscience morale et des formes de la perver-
sité pathologique.
…La perversité, avons- La perversité, avons-nous dit, n'appartient pas à la « nature instinctive » (qui pour
nous dit, n'appartient pas à être essentiellement « amorale » ne suppose pas que l'on discerne en elle du moral ou de
la « nature instinctive »…
l'immoral, la norme et l'anomalie). Elle n'est pas de l'ordre des désirs ou des besoins tous
également « dans la nature ». Elle n'a de sens et d'existence que pour autant qu'elle sup-
pose une conscience morale qui la choisit et qu'elle viole. Ce n'est qu'en se dressant
contre un système d'interdictions qui le rendent illicite et coupable, que naît l'acte per-
vers. Or ce système, il apparaît très précocement dans le développement humain sous la
forme d'abord de la « pré-morale » (HESNARD), du sur-moi (FREUD). A ce niveau
« archaïque » la perversion et la culpabilité qui lui est liée dépendent du conflit qui oppo-
se les instances libidinales à l'organisation fantasmique de la conscience, c'est-à-dire que
la structure du « mauvais » est pénétrée du jeu même des liaisons magiques que nouent,
entre elles, les imagos premières du moi et d'autrui, les objets successifs des investisse-
ments libidinaux. Quand plus tard avec la « sublimation » ou mieux « l'oblativité » et la
liberté du choix et des valeurs, ce système primitif apparaît tout entier (et comme systè-
me pulsionnel du « ça » et comme système contre-pulsionnel du « sur moi » ), comme
un foyer de forces « mauvaises », de « tentations », de « tendances perverses », alors ce
conflit de mobiles et de motifs constitue la structure fondamentale de l'homme. Ainsi, si
la perversité nous était apparue jusqu'ici et dans sa forme la plus « pure » comme une
volonté de pécher, comme la libre disposition d'une malignité systématique, le fait que
1. La même qui « se pose pour le psychiatre devant le surréalisme, devant la sainteté, devant le
génie », devant l'angoisse humaine, etc.
244
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
la dynamique même de la conscience morale suppose et implique un équilibre de ces …la dynamique de la
forces contraires nous rend compte de la possibilité de leur déséquilibre et par consé- conscience morale suppo-
se et implique un équi-
quent d'une PATHOLOGIE DE LA CONSCIENCE MORALE, de l'existence de certaines formes
libre de ces forces
pathologiques de perversité ou de perversions, toutes se définissant nécessairement par contraires nous rend
le fait qu'une conscience morale existe, mais qu'elle est impuissante, soit par son imma- compte de la possibilité
turité, soit par sa faiblesse à lutter contre ses instances pulsionnelles. Les conditions de de leur déséquilibre et
par conséquent d'une
cette dysgénésie, de cette débilité constituent la structure négative de cette forme de
PATHOLOGIE DE LA
conscience morbide. Celle-ci n'est pathologique que parce qu'elle est dans sa détermina- CONSCIENCE MORALE…
tion secondaire à des « troubles » du développement de la personnalité ou à un « défi-
cit » psychique dont elle dépend. Autrement dit la perversité ou les perversités patholo-
giques ne sont pas des tendances « primitives » ou des anomalies constitutionnelles ins-
crites comme telles dans le patrimoine biologique, le tempérament ou le caractère, consi-
dérés comme une mosaïque de traits innés.
Une première forme de perversité ou d'amoralité peut donner l'illusion d'un méca-
nisme aussi simple, ce sont les cas d'agénésie du développement moral de l'individu
qui, empêchant son évolution normale vers les instances altruistes et éthiques, le soude
à la couche essentiellement « amorale » des premières phases de son existence. Mais
nous verrons précisément que la structure psychopathique de la « moral insanity » est
non pas celle d'une amoralité pure ou primitive, mais d'une incapacité d'accéder à la
conscience morale, d'une « immaturité » de développement.
Une autre forme de « perversions » risque d'engendrer la même illusion, c'est le
cas où le trouble apparaîtra cliniquement « partiel », c'est-à-dire lorsque l'arriération
affective, le défaut d'organisation et d'évolution des instances complexuelles se mani-
festeront par un système pulsionnel apparemment isolé. Mais nous verrons que dans
ces cas, dans la mesure même où ils sont pathologiques, la perversion « isolée » est
« prise » dans une structure névropathique.
Par contre, un autre versant de la pathologie éthique constitué par les dissolutions
« acquises » de la conscience et de la personnalité entraînant des tendances et des com-
portements moraux, se soustrait d'elle-même à cette erreur.
Ceci nous conduit à poser tout naturellement, et dès ce premier examen du
problème et après en avoir ainsi justifié la possibilité théorique, les modalités cli-
niques de la pathologie de la conscience morale. Nous étudierons : 1° les troubles
ou dysgénésies du développement moral : l'amoralité pathologique et les perver-
sions ; 2° les. perversions « partielles » ; 3° les régressions amorales ou perver-
sions acquises, dites « symptomatiques 1 ».
A propos de chacune de ces formes nous aurons à établir les éléments du diagnostic
1. Étant bien entendu que pour nous tous les aspects pathologiques de la perversité et des per-
versions sont précisément « symptomatiques » ou « secondaires ».
245
ÉTUDE N° 13
A. – HISTORIQUE
Sous des synonymes divers : folie morale, moral insanity, moralische
Schwachsinn, monomanie instinctive, invalidité morale, etc., cette forme psychopa-
thique a été décrite et étudiée depuis longtemps 1. C'est, semble-t-il, à PINEL (1809) que
revient le mérite de la première description de cette forme clinique appelée par lui
…la « manie sans délire » manie sans délire, dénomination à laquelle ses infirmiers de Bicêtre préférèrent, dit-
de PINEL… on, la désignation de « manie raisonnable ». MARC a pu, à ce propos, écrire : « Il était
réservé à PINEL, à un de ces génies de notre siècle, de peindre le premier cet état extra-
ordinaire où sans aberration sensible des facultés intellectuelles, les malades se portent
à des actes qui aux yeux du vulgaire ne s'expliquent que par une profonde perversité
». – « M. PINEL, dit à son tour GEORGET, a très bien signalé cette espèce d'aliénation
mentale et l'a désignée sous le nom de folie raisonnante et de manie sans délire. »
ESQUIROL, après avoir nié l'existence de la « manie sans délire » (1818), modifia son
point de vue et dans son mémoire sur la « monomanie homicide », il écrivit à ce sujet :
« Quelquefois les facultés affectives sont les seules lésées; quelquefois on n'observe ce
désordre que dans les actions » et, naturellement, dans sa description de la monoma-
nie instinctive ou de la monomanie impulsive, on retrouve les traits de la fameuse
« manie raisonnante » ou de la manie sans délire de PINEL. Dans la suite, ce groupe-
ment clinique fut plus ou moins confondu avec d'autres états psychopathiques sous le
nom de « monomanie » raisonnante, impulsive, homicide, incendiaire, de kleptoma-
nie, etc., de « folie lucide » (TRÉLAT) OU de « folie des dégénérés » (MOREL) et il donna
lieu, on le sait, à de nombreuses et retentissantes discussions.
En Allemagne 2, GROHMANN, en 1819, décrivait les « Moralische Krankheiten der
Seele ». A la même époque (1835), en Angleterre, RUSH isolait le même type clinique
246
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
B. – FACTEURS ÉTIOLOGIQUES
1° Dégénérescence bio-psychique, hérédité.
Nous avons indiqué que pour MOREL la folie morale faisait partie des folies des dégé- …MOREL…
nérés, LOMBROSO fit quelques difficultés pour admettre l'identité des « fous moraux » et
…LOMBROSO…
des « criminels-nés » ; cependant, en mettant l'accent sur le côté biomorphologique, il
continuait tout naturellement le mouvement inauguré par GALL et SPURZHEIN qui ratta-
chaient l'instinct de détruire, la sexualité exagérée, les tendances antisociales, à des mal-
formations cranio-cérébrales. Pour LOMBROSO les « criminels-nés » étaient, en effet, des
êtres conformés de façon particulière, dont tout révèle la vocation maligne, depuis leur
conformation cranienne jusqu'à leurs productions artistiques. Le « criminel-né » est,
selon lui, le fruit d'un retour atavique à l'homme primitif; il est tout près de l'animal et de
la bestialité ; « l'ignorance de la compassion et de la pitié », l'impulsivité, la violence, la
paresse et la « superstition » constituent ses caractères essentiels.
MAGNAN a donné une classification de ces sujets qui repose approximativement
sur le même principe, c'est-à-dire sur la solidarité de l'état mental et des malformations
ou troubles somatiques. Dans sa thèse SÉRIEUX 2 exposa la doctrine de MAGNAN ; selon …Thèse de SÉRIEUX…
le goût de l'époque, il distinguait : 1° les spinaux : actes instinctifs purement réflexes;
2° les spinaux cérébropostérieurs : la région cérébrale étant le siège des instincts, il y
a prédominance des actes instinctifs brutaux ; 3° les spinaux cérébro-antérieurs : actes
qui suivent les idées et les sentiments pervers, c'est le groupe des vrais pervers ; 4° les
cérébraux antérieurs : pervers intellectuels.
Quant au rôle de l'hérédité, il est admis comme considérable par beaucoup d'au-
teurs. HEUYER, confirmant l'opinion de DUPRÉ (1912), estime que l'hérédité similaire …HEUYER…
247
ÉTUDE N° 13
se retrouve dans 37 % des cas (vol, prostitution, vagabondage des parents). Dans son
travail très consciencieux, CORBET 1 sur 188 cas (malades « aliénés difficiles » de la
section Henri COLIN à Villejuif) a noté 32 cas d'hérédité psychopathologique directe
ou collatérale (aliénés dans les ascendants ou les fratries). De nombreuses recherches
généalogiques ont été poursuivies sur ce point, spécialement en Allemagne. Tout
…certaines familles sont d'abord, certaines familles sont restées célèbres dans les annales de la psychiatrie de
restées célèbres dans les ce pays. Ainsi la famille étudiée par JUKES qui, en 1874, comptait 1.200 membres et
annales de la psychia-
qui, en 1915, en comptait 2.094 (dont 1.258 vivants). On a pu dénombrer chez elle 300
trie…
assistés, 600 faibles d'esprit ou épileptiques, 308 prostituées, 140 criminels dont 7
meurtriers ! JOERGER a publié la généalogie également édifiante d'une autre famille, la
famille « ZÉRO 2 », et celle (alliée de la précédente) dénommée « MARKUS 3 ». En
1925, F. PANSE 4 a rapporté l'histoire d'une lignée de même genre. En 1921,
MAGGENDORFER 5 a étudié 100 cas de perversité constitutionnelle. Il les a groupés en
deux catégories : les unes de type affectif épileptique, les autres « parathymiques (du
genre « schizoïde » ) ; la parenté de ces derniers était fortement entachée de schizo-
phrénie. HOFFMANN 6, parlant de l'étude des familles ZÉRO et MARKUS et essayant de
préciser la nature du gêne morbide et de son mode de transmission héréditaire, a émis
l'hypothèse que ce gêne est identique à celui de la schizophrénie et qu'il se transmet-
trait selon un mode dominant tandis que la prédisposition « à la vie droite » affecte-
rait, dans la lignée, un mode récessif. RÜDIN a admis, par contre, la nécessité des ten-
dances psychopathiques perverses. REISS 7, dans plusieurs publications, a fait jouer un
grand rôle à la tare bilatérale dans la lignée (les deux parents appartiendraient à des
familles psychopathiques). En 1926, LANGE 8 étudiant des jumeaux a montré que sur
sept paires de jumeaux homozygotes, cinq paires présentaient des réactions perverses
concordantes. On trouvera dans le traité de VERSCHUER 9 et dans l'excellente étude de
DUBITSCHER 10 des développements très intéressants (et la bibliographie) sur cette
question envisagée notamment, par ces auteurs, du point de vue de l'application des
lois de stérilisation. L'un et l'autre concluaient à cette nécessité pour le « Moralische
Schwachsinn » nettement pathologique.
D'après une statistique que DELMONT a pu établir à HOERDT et qui porte sur cent
248
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
pervers, il existait un aliéné dans trois de ces cent familles seulement, mais dans vingt
d'entre elles, il existait des anomalies psychiques considérables (suicide, alcoolisme,
criminalité), fait qui correspond aux observations de PANSE.
Les Anglo-Saxons ont étudié également ces dernières années l'hérédité des crimi-
nels (ROSANOFF, AANDY et PLESSET 1, NEWMAN, FREEMAN et HOTZINGER 2, PAULW
POPVON 3, David ABRAHAMSEN 4, etc.). L'étude des jumeaux a appelé spécialement leur …Études portant sur les
attention. D'après ROSANOFF, AANDY et PLESSET les « manifestations antisociales se jumeaux…
sont montrées non seulement pratiquement égales en qualité, mais synchrones dès le
rythme même de leur apparition ». Le travail de NEWMAN (généticien), FREEMAN (psy-
chologue) et HOLZINGEN (statisticien) a porté sur 119 paires de jumeaux, 150 paires de
bivitellins élevés ensemble, 50 paires d'univitellins élevés ensemble, 19 paires d'uni-
vitellins élevés séparément. La concordance leur a paru chez les jumeaux du troisième
groupe être d'autant plus grande qu'il s'agit de caractères morphologiques. Pour les ten-
dances de la personnalité, l'environnement a paru exercer une nette influence de diffé-
renciations. De telle sorte que l'on pourrait conclure de ce travail avec A. ALMEIDA
Junior 5 que ce que l'hérédité fait, l'ambiance aussi peut le faire... Cependant il nous
paraît hors de doute que l'hérédité psychopathique a de profondes affinités avec cer-
taines formes morbides de perversité.
2° Étiologie toxi-infectieuse.
Les théories « de la dégénérescence » ou « lombrosienne » n'excluent pas les fac-
teurs toxi-infectieux « blastophtoriques » ou plus ou moins précocement acquis
(alcool, tuberculose, syphilis). C'est ainsi que beaucoup d'auteurs ont admis le rôle de
l'hérédo-syphilis, notamment dans la genèse des perversités constitutionnelles.
L'étude de l'encéphalite léthargique a apporté sur ce point une nouvelle et décisi- …L'Encéphalite léthargique…
ve source de documents cliniques. (Sur cent « pervers » internés, DELMONT a noté neuf
cas d'encéphalite épidémique.) L'intégration tentée par WALLON des réactions per-
verses dans certains types d'organisation pathologique du tonus et du mouvement, est
à cet égard très intéressante.
Dans la statistique de DELMONT, 19 de ses 100 pervers avaient présenté une encé-
phalopathie infantile (4 traumatismes obstétricaux, 5 encéphalites, 7 traumas craniens,
3 dégénérescences progressives).
1. ROSANOFF, AANDY et PLESSET, cf. l'analyse critique de ce travail in Journal of Here-dity, 33/18.
2. NEWMAN, FREEMAN et HOTZINGER, Twins. A Study of Heredity and Environment, Chicago,
1937.
3. PAULW POPVON, Twins and Criminals, Journal of heredity, 27, p. 380.
4. David ABRAHAMSEN, Crime and the Human Mind, New-York, 1944.
5. A. ALMEIDA Junior, Hereditoriedade e Crime, Revista pénale e Penitenciaria de Saô Paulo,
1947.
249
ÉTUDE N° 13
1. Cf. notamment trois récents travaux : celui de G. MENUT, La dissociation familiale et les
troubles du caractère chez l'enfant, Paris, 1944 ; celui de J. DOS SANTOS (Enfance, 1949) et l'ou-
vrage de C. HAFFTER, Kinder aus geschiedene Ehen, Berne, 1948, dont nous avons fait une ana-
lyse critique (Évolution Psychiatrique, 1949, pp. 433-437).
2. Arune FREUD et Dorothy BURLINGHAM, Infants vnthout Familier, New-York, 1944-
3. P. MALE, Un aspect de la psychiatrie infantile pendant la guerre, Conséquence chez l'enfant de
la captivité du père. Évolution psychiatrique, 1947.
4. J. ROUART, Guerre et Psychiatrie infantile, Évolution Psychiatrique, 1947.
5. MITSCHERLICH, Aktuelles zum Problem der Verwahrlosung, Psyché (revue allemande), 1947, t. I.
6. J. LACAN, Le complexe facteur concret de la psychologie familiale, Encyclopédie française, 8-
40-5.
250
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Nous mettons toute cette description au masculin mais elle vaut à peu près dans les mêmes
termes pour « la perverse ».
2. Marianne HOSSENLOP, Essai psychologique sur les bandes déjeunes voleurs, Publications de la
Faculté de Lettres de Strasbourg, n° 101, 1944.
251
ÉTUDE N° 13
1. H. BINDER, Das anonymes Briefschreiben, Archives suisses de Neuro. et Psych., 1948, 62, pp.
11 à 58.
2. Le petit roman : La tête contre les murs, de BAZIN, retrace le drame de ces existences incoer-
ciblement tournées vers le mal, la révolte et les cercles vicieux des crimes et des châtiments. Les
« romans noirs » de PETER CHEYNEY (Pas d'orchidés pour Miss Blandisch) ou le « Rocher de
Brighton » de GRAAM GREEN contiennent des récits typiques de ces exploits. Parmi cent autres
caractéristiques d'une littérature toujours très goûtée du public rappelons encore les livres récents
de Maurice SACHS, M. CIANTAR, etc.
3. LEGOURAND DE TROMELIN, Thèse, Marseille, 1934.
4. TERRAMOISE (La vie et la mort des Clochards, Thèse, Bordeaux, 1930), a étudié ces frères
modernes et citadins des « gueux » de Vilon : « hommes-sandwichs », rauques crieurs de jour-
naux, dockers intermittents, mendiants à l'occasion, porteurs des halles, chiffonniers, vieilles
prostituées dans une détresse profonde ; personnages interlopes, « sidis », matelots de com-
merce, routiers, ils sont, dit-il, de toutes les races, de tous les âges, tous unis par une …/…
252
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
refuges. Parfois voués à la passion des « courses » ou à la fainéantise, ils vivent en sou-
teneurs, ou de chantages 1, de cambriolages, de « combines » (contrebande, commerce
de stupéfiants, vagabondage spécial, « marché noir », etc.). En « bandes », en « gangs »,
ils commettent des vols avec effraction et à. main armée, des rapts d'enfants, des
meurtres. Pris dans la frénésie idéologique de sectes politiques « révolutionnaires », ils
commettent des attentats, ourdissent des complots ou exécutent des coups de main.
Tirant gloriole de leurs exploits et de leurs mauvais coups, toujours prêts à se quereller,
à frapper, à voler, ils s'affirment intraitables et inamendables. Parfois même « moutons »
de la police leur duplicité « flirte » avec les services de surveillance, du « Deuxième
Bureau », etc. Telle est « l'odyssée » de ces pervers qui ne cessent pas d'être toujours,
en tout et pour tout, des « fléaux » (DUPRÉ).
2° Déséquilibre thymique.
Nous touchons ici à un des traits les plus constants et les plus remarquables du per-
vers pathologique : c'est un déséquilibré. L'équilibre instinctivo-affectif de sa person- …L'équilibre instinctivo-
nalité est précaire et profondément perturbé. C'est parfois dans son humeur, son « bio- affectif de sa personnalité
est précaire…
tonus », qu'il est atteint – ou plus exactement c'est son seuil d'excitabilité émotionnel-
le qui est abaissé. Tantôt il s'agit d'une exaltation permanente avec hypersthénie, ton …exaltation permanente…
coléreux, irritabilité, susceptibilité et réactions violentes. Tantôt il s'agit d'une excita-
bilité latente, favorisant de brusques explosions impulsives qui rapprochent de tels …ou explosions impulsives…
sujets des tempéraments épileptoïdes. Il est fréquent à noter ces tendances schizoïdes
chez ces êtres froids, entêtés, renfermés, violents et fortement introvertis dans une
méditation sournoise et perfide de leur agressivité. D'autres fois, il s'agit d'hyperémo-
tifs à réactions diffuses, désordonnées, théâtrales, apparentées aux hystériques et …ou théâtralisme…
mythomanes (c'est le type même de la perversité féminine). Plus rarement, c'est une
forme cyclothymique que l'on trouve sous-jacente aux manifestations perverses.
DUPRÉ, qui insistait beaucoup sur le déséquilibre des tendances affectives du pervers, …DUPRÉ, qui insistait
a opposé à cet égard deux types cliniques selon que le déséquilibre des forces thy- beaucoup sur le déséqui-
libre des tendances affec-
miques affecte une formule psychomotrice d'inhibition ou d'excitation. Voici comment
tives du pervers, a opposé
il présentait l'opposition de ces deux systèmes énergétiques pervers (pp. 409-411) : à cet égard deux types cli-
« Les différentes variétés de caractères sont conditionnées en dehors de la vie niques…
affective qui est la source de toute affectivité, par le degré, et les qualités de l'inhibi-
tion. C'est ce pouvoir d'arrêt de ralentissement et de canalisation de l'énergie sensiti-
vo-psycho-motrice en perpétuelle circulation dans l'écorce cérébrale qui constitue la
forme la plus haute de la volonté et de toute activité mentale. L'insuffisance de l'inhi-
bition a pour conséquence l'excessive labilité des processus psychiques, la prédomi-
nance de l'automatisme, le déchaînement des opérations réflexes : d'où le dérèglement
…/… misère profonde. On trouvera dans le numéro de septembre 1939 du « Crapouillot « une
bonne documentation sur « les bas-fonds de Paris, voleurs et mendiants ».
1. A. MELLON, Thèse.
253
ÉTUDE N° 13
254
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
quand elles ont énuméré les formes épileptoïdes, cyclothymiques, impulsives, hyper-
émotives, d'instabilité, ne trouvent plus rien à mettre sous la rubrique « perversions
constitutionnelles » (E. KAHN). C'est que les troubles de l'intégration des affects, des
variations de la personnalité ou, ce qui revient au même, l'abaissement du seuil des
excitations affectives paraissent bien représenter, en matière de « perversité constitu-
tionnelle » pathologique, une forme structurale certainement primordiale et primitive.
Le terme si vague et pourtant si nécessaire qu'il s'impose automatiquement à l'esprit de
…Ce déséquilibre mani-
tous les cliniciens, celui de déséquilibre, exprime cette réalité. Ce déséquilibre mani-
feste, sur le plan du com-
feste, sur le plan du comportement et de la personnalité, la « soudure » de la vie affec- portement et de la per-
tive primitive aux mouvements désordonnés spécifiques et individuels du tempéra- sonnalité, la « soudure »
ment, dont le « pervers » ne peut jamais s'affranchir ou dont, tout au moins, il a la plus de la vie affective primiti-
ve aux mouvements dés-
grande peine à s'affranchir. C'est l'enchaînement à cette couche vitale des pulsions vio-
ordonnés spécifiques et
lentes et anarchiques qui, ne lui permettant pas d'aboutir à l'équilibre de son existence, individuels du tempéra-
la lui fait vivre par « à coups » dans le tumulte et le chaos. ment…
255
ÉTUDE N° 13
…dysgénésie des ins- des instincts, des anomalies dans leur développement et notamment une fixation patho-
tincts, […] fixation logique au stade des pulsions agressives, sadiques-anales ou orales. C'est dans ce sens que
pathologiques, […]
doivent être comprises les relations de la perversité avec le courant sous-jacent des pul-
troubles du choix objec-
tal…Ceci est capital… sions sadiques ou sado-masochistes et les troubles du choix objectal (complexes inces-
tueux, narcissisme, homosexualité, etc.), etc. Ceci est capital. Sous le masque de la froi-
deur, c'est un drame qui se cache comme sous l'indifférence sexuelle assez souvent affir-
mée, proclamée et systématiquement composée d'attitude de dédain, c'est une profonde
perturbation de la dynamique pulsionnelle qui donne à cette surface froideur clinique la
valeur d'une complexuelle frigidité.
…relations [évidentes] de L'expérience clinique nous montre d'ailleurs avec évidence les relations de la
la « perversité » , de la « perversité », de la « délinquance », du « crime » et de l'amoralité, avec les troubles
« délinquance » , du
de la sphère sexuelle. Il suffit de jeter un coup d'œil, par exemple, sur les tableaux de
« crime » et de l'amorali-
té, avec les troubles de la la thèse de CORBET (1938) pour discerner quel lien profond unit l'agressivité, les ten-
sphère sexuelle… dances antisociales et les anomalies sexuelles. Des observations comme celles, par
exemple, présentées récemment par J. DELAY et F. PACHE 1, peuvent servir d'exemple
pour illustrer l'organisation névrotique de la perversité. Mais au lieu de considérer de
tels cas comme de « faux pervers », il paraît plus juste de voir quelle arriération affec-
tive (qu'elle soit ou non curable par la psychanalyse) est immanente à la structure per-
verse. C'est sur ce désordre, sur cette fixation, ces adhérences aux plans profonds ou
aux phases primitives de l'existence que s'édifie la structure perverse.
Ceci nous rend compte précisément du fait que si, dans certains cas, les plus
typiques (ceux qui servent généralement de modèles à des descriptions un peu sché-
…typiquement la perver- matiques et caricaturales de l'odyssée du pervers !) la perversité se révèle constante,
sité se révèle constante, fatale, immuable dans d'autres, des « décrochages » peuvent s'effectuer, soit très tôt
mais des « décrochages »
dans l'enfance, soit bien plus tard à l'âge adulte. L'évidence par nous pressentie et
peuvent s'effectuer…
acceptée de ce dernier fait ne pourrait être mise à jour que lorsque nous disposerons
d'un travail méthodique sur le « devenir » du pervers. Nous n'en connaissons aucun et
nous sommes obligés de nous référer à notre propre expérience clinique qui nous a
montré de « vieux pervers » ou « d'anciennes perverses » qui ont, en prenant de l'âge,
subi une véritable « conversion »...
4° L'appétence toxicomaniaque.
Il s'agit là encore d'un trait structural de la perversité. Le goût du poison, l'affir-
mation du vice, l'incorporation d'un toxique qui, en chavirant l'esprit, exalte encore les
passions bestiales, l'attitude de défi, l'émulation des records de cabaret, le mépris de la
santé, sorte d'hypochondrie à l'envers, le culte de l'artifice et des « fleurs du mal » sont
les profondes racines perverses de l'appétence pour les toxiques. C'est du vin qu'il faut
1. DELAY et PACHE.
256
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
5° Les « crises ».
Sans doute la vie de certains pervers se déroule-t-elle dans le calme, la froideur et
l'égalité d'une implacable volonté de mal. Mais le plus souvent, soit sous l'influence de
l'exaspération, de la colère, de soudaines tensions des événements familiaux ou sociaux,
soit plus souvent encore sous l'action des toxiques et notamment de l'alcool, éclatent des
accès de colère, de fureur, d'anxiété, ou de révolte. Généralement toutes ces émotions
se trouvent mêlées pour composer des « crises » oscillant plus ou moins du pôle hysté-
rique au pôle épileptique. Nous observons actuellement dans notre service de femmes,
six cas absolument démonstratifs. Toutes ces jeunes malades (de 18 à 35 ans) se sont
montrées incapables de vivre en liberté. Délinquantes ou criminelles (morphinomanie,
avortement, incendie volontaire, mythomanes), constamment agressives, elles sont
prises soudain d'attaques hystéro-épileptiques où se mêlent les comportements de théâ-
tralisme, de revendications, de rébellions, de jalousie, de refus d'aliments et les ten-
dances suicidaires ; elles présentent de brusques pertes de conscience avec convulsions.
Ce type de réactions nous paraît être très caractéristique de la perversité féminine. Les
grands accès impulsifs liés à l'imprégnation alcoolique sont au contraire les formes les
…Ces crises, quelle qu'en
plus habituelles des crises de violence auto- et surtout hétéro-agressive des pervers du
soit la « nature » (types
sexe masculin. Ces crises, quelle qu'en soit la « nature » (types hystérique, maniaco- hystérique, maniaco-
dépressif, épilepsie, accès subaigu), témoignent toujours des oscillations de l'instabilité dépressif, épilepsie, accès
du seuil d'excitabilité émotionnelle ou toxique de ces « déséquilibrés ». subaigu), témoignent tou-
jours des oscillations de
Pour en terminer avec cette description clinique, nous devons envisager la question
l'instabilité du seuil d'ex-
de la débilité intellectuelle de ces sujets. Il convient à ce propos de rappeler que si la citabilité émotionnelle…
notion de « perversité » en France s'est dégagée à partir du concept de « monomanie ins-
tinctive » ou de « manie raisonnable », à l'étranger, et notamment en Allemagne, elle s'est
257
ÉTUDE N° 13
258
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Citons en France la thèse de G. HEUYER (1912), celle de Marnier (1912), les travaux de Gilbert
ROBIN, MALE, NERON, etc.
2. L'Enfant turbulent, pp. 267-285.
259
ÉTUDE N° 13
…Description de G. d'abord les perversions constitutionnelles (type DUPRÉ) et les perversions par impul-
ROBIN… sions (débilité morale). Ensuite, les perversions acquises symptomatiques (encéphalite,
hérédo-syphilis, démence précoce, cyclothymie et névropathies d'origine affective). Il a
insisté spécialement sur les difficultés du diagnostic différentiel avec les pervertis et les
…L'Etude de P. MALE… paranoïaques. Nous devons à P. MALE 1 une étude très approfondie. Il distingue chez
l'enfant : la réaction perverse (impulsions, brutalité dangereuse à l'égard des autres
enfants, tendance sadique à torturer les animaux, fugue précédée de vol, tendance à
mettre le feu et même homocide) dont le caractère électif n'est pas exclusif d'une forme
épileptoïde de l'impulsion, et le noyau pervers composé des traits classiques : indiffé-
rence, inintimidabilité, inéducabilité. La mimique de ces petits pervers est caractéris-
tique par ses dérobades, sa sournoiserie, son « approbativité » souvent plus suspecte que
son opposition. L'absence de réactions émotives ou leur caractère purement extérieur et
démonstratif constitue un trait caractéristique, mais il faut savoir à quel point l'émotivi-
té peut être « enfoncée, enfouie, cachée ». Dans les épreuves des tests de caractère 2, il
se montre très suspect, il fait des réponses avec indifférence ou les « truque » systéma-
tiquement. Il existe toute une gamme d'indifférence, depuis celles qui sont complète-
ment simulées jusqu'aux indifférences-oppositions, aux indifférences-hostilité, aux
indifférences-obtusions jusqu'à cette profonde indifférence perverse qui suppose vérita-
blement, même chez les sujets bien doués, « une certaine forme de trouble intellec-
tuel ». MALE propose de diviser le groupe des pervers infantiles en un certain nombre
de types cliniques :
1° Pervers par troubles des instincts et arriération affective. Ce sont des pervers
pré-génitaux. Le syndrome est constitué par la non éducation sphinctérielle, l'onanis-
me, la saleté, l'absence de pudeur, l'impulsivité, c'est-à-dire par tous traits du caractè-
re ou du comportement qui font de ces pervers, des « nourrissons prolongés ». A ces
traits s'ajoutent une certaine obtusion intellectuelle et certaines tendances épileptoïdes.
La perversité est plus faite de réactions perverses que du noyau pervers.
2° Pervers fonciers organisés. Ce sont les pervers sthéniques. Ici le noyau pervers
est net et primordial. On note au lieu de la viscosité du premier groupe, une assuran-
ce, une vanité, une hâblerie, une ironie tout à fait caractéristiques.
3° Les pervertis en défense contre un milieu défavorable ou abandonnés dont les
perversions sont à base de conflits.
4° Les pervers sexuels dysglandulaires : « groupe de pervers hyper-génitaux avec
dysendocrinies marquées par des insuffisances ou des troubles morphologiques qui
reflètent la bissexualité originelle de l'être avec, de plus, participation d'autres facteurs
glandulaires manifestant une sorte de morcelage somatique qui a sa correspondance
psychologique ».
Nous pouvons à propos de ces classifications rappeler quelques types dont certains
constituent d'ailleurs de simples variétés cliniques :
260
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
a) Le pervers intelligent. Il met au service de sa malignité des capacités qui en font …quelques types cliniques…
un individu redoutable, retors et raffiné (machiavélisme, sournoiserie, crimes habile-
ment perpétrés, type de l'intellectuel cruel et criminel).
b) Le débile pervers. C'est un type assez fréquent (type de la brute malfaisante),
dont les réactions nocives manifestent l'inconsistance de la personnalité.
c) Le paranoïaque pervers. Il s'agit d'une éventualité plus rare. Ici le trait dominant
est le caractère de révolte, de rébellion, et déjà de revendications sociales dirigées
contre l'autorité paternelle, les instituteurs, la famille, les camarades, etc.
d) Le cyclothymique pervers. Le perversité affecte dans ce cas soit une forme tor-
pide ou apathique, soit au contraire une forme exubérante avec versatilité, c'est la
forme agitée ou irritable de la folie morale (« manie raisonnante » de CAMPAGNE). Des
troubles intermittents du caractère ont été signalés par LOGRE.
e) Le pervers émotif. Il présente des attitudes perverses ou commet des actes anti-
sociaux au cours d'accès de colère, d'irritation ou d'anxiété. C'est une forme de per-
versité impulsive tout à fait spéciale avec violence, injures, outrages, crises de nerfs,
exaspérations, etc. C'est un type de déséquilibre très fréquent chez les femmes.
f) Le pervers instable. Il est remarquable par la faiblesse de l'attention, la mobili-
té des sentiments, la turbulence. Les réactions les plus fréquentes sont les fugues 1, les
métiers successifs (chasseurs, grooms). C'est « l'instabilité morale » de MAIRET et
EUZIÈRES. Parmi eux se recrutent, disent ces auteurs, les escrocs au mariage, les poly-
games professionnels, beaucoup de prostituées, etc.
g) Le pervers hystérique. C'est un mythomane, pathomime, simulateur avec crises,
névropathiques, refuge dans la maladie.
h) Le pervers schizoïde ou héboïde. Il est renfermé, bizarre ; tout le comportement
antisocial a quelque chose de fantasque et d'énigmatique et prend parfois le caractère
d'une rêverie ou d'une bouderie morbide. L'hostilité froide, l'impulsivité, les perver-
sions sexuelles, parfois un fond de psychasthénie ou d'angoisse constituent la toile de
fond des réactions de ces pervers introvertis.
Mais cette énumération de « types pervers » n'épuise pas le problème clinique. Il
s'agit, en effet, de trouver dans la masse de la perversité infantile des niveaux structu-
1. Parmi les travaux récents sur l'abandon du foyer par l'enfant, depuis les ouvrages de GREGOR
et VOIGTLANDEN (Die Verwahrlösung, etc., Berlin, 1918 et Leipzig, 1922), la thèse de HAIG
YASMADJIAN (.Essai de psychopathologie générale de la fugue, fugues infantiles, etc., Paris,
1927), celle de G. NÉRON (L'enfant vagabond, Paris, 1928), le livre d'August AICHHORN
(Verwahrloste Jugend. Die Psychanalyse in der Fürsorgeerziehung, Vienne, 1925) nous pouvons
citer les travaux de K. WILMANS (Das Vagabundentum in Deutschland, Zeitsch. f. d. g. Neuro.,
1940, 168, p. 65), de D. LAGACHE (Fugue et fuite de soi-même, Évolution Psychiatrique, 1947,
n° 4), de MITSCHERLICH (Aktuelles zum Problem der Verwahrlösung, Psyché (revue allemande),
1947, I, p. 103), etc.
261
ÉTUDE N° 13
raux de perversité. Ces structures perverses ne peuvent s'ordonner que par rapport à la
question qui ne cesse de se poser : de savoir si ces pervers sont simplement « aso-
ciaux » ou « amoraux », c'est-à-dire, en fin de compte, s'ils restent simplement des
arriérés affectifs ou s'ils sont des enfants à « noyau pervers » ? Il semble impossible de
ne pas considérer qu'il existe, à cet égard, toute une gamme de perversité enfantine.
…1) les arriérés à réac- Tout d'abord les arriérés à réactions perverses. Toujours « indisciplinés » par
tions perverses. Toujours impossibilité de dressage et d'éducation, ils sont foncièrement asociaux, plutôt qu'amo-
« indisciplinés » par
raux. Les réactions perverses s'inscrivent dans le cadre de désordres hormonaux et ner-
impossibilité de dressage
et d'éducation, ils sont veux qui, témoignant de leur « dégénérescence », constituent des séquelles d'encépha-
foncièrement asociaux, lopathies infantiles. Depuis l'idiot jusqu'au débile, nous avons affaire à toute une série
plutôt qu'amoraux… de sujets entrant dans le « moralische Schwachsinn ». Le défaut de développement
intellectuel est manifeste et généralement en proportion inverse du degré de « perver-
sité » : plus les enfants sont « malins » au sens d'intelligents et plus ils sont « malins
» au sens de « pervers ». Entre les réactions agressives lubriques et bestiales de l'idiot
et les ruses malicieuses et perfides du débile toute une gamme de comportements
manifestent l'incapacité d'un contrôle réfléchi et efficace de la base instinctive.
…2) les formes de perver- A un niveau plus élevé se situent les formes de perversité qui contiennent le
sité qui contiennent le « noyau pervers », c'est-à-dire qui représentent une forme dysgénétique d'organisation
« noyau pervers »…« mor caractérisée par le fait que la personnalité qui se constitue sur le plan du caractère,
ale à rebours », de la réti-
engage la couche complexuelle dans une manière d'être pathologique, celle d'une
vité et de la malignité,
formes caractérielles qui « morale à rebours », de la rétivité et de la malignité, formes caractérielles qui s'édi-
s'édifient sur un infanti- fient sur un infantilisme persistant et adhérant aux pulsions instinctives et anarchiques
lisme persistant… primaires. C'est cette immaturation de la conscience morale, l'impossibilité de s'ache-
ver dans la forme sociale de l'être, cette absence de sympathie et d'altruisme qui carac-
térisent cette forme de perversité prise dans une forme de rétivité systématique. Leur
morphologie, leur mimique, les troubles neuro-endocriniens (énurésie, troubles du
tonus), les traits d'un tempérament épileptoïde ou du syndrome de débilité motrice de
DUPRÉ constituent chez de tels déséquilibrés des traits cliniques bien connus de tous
les psychiatres. Le visage chaffouin, les sourires narquois, le mutisme obstiné, le
regard fuyant, une pointe d'ironie, l'air « fermé » et buté de la physionomie sont les
expressions du cynisme, de l'inintimidabilité et de l'inéducabilité de ces « mauvais
sujets ». Fermés aux sentiments altruistes de respect, de pitié ou de sympathie, entê-
tés, murés dans leurs égotismes, imperméables à tout échange affectif – inaccessibles
aux observations – impulsifs et sournois cherchant toujours à nuire et à déplaire, ils
présentent une structure caractérielle qui les rapproche souvent des paranoïaques et
des schizoïdes, tant il est vrai que toutes les « constitutions psychopathiques se mêlent
et s'enchevêtrent, en clinique, pour former le tableau du « déséquilibre ». De telles
formes d'organisations anormales de la personnalité expriment l'impossibilité ou tout
262
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
au moins l'extrême difficulté d'un développement harmonieux vers les formes supé-
rieures d'humanité et de sociabilité : elles constituent, selon le mot de MAIRET et
EUZIÈRE, une invalidité morale.
A un niveau plus élevé encore, nous trouvons les structures perverses névrotiques 3) les structures perverses
organisées autour des « pulsions partielles » que nous étudierons plus loin et où l'élé- névrotiques organisées
ment d'angoisse et de poussée compulsionnelle sont prédominants. L'enfant se présen- autour des « pulsions
partielles » où l'élément
te alors comme un hyperémotif, un anxieux, un sensible, délicat et timide. Dans son
d'angoisse et de poussée
comportement social inhibé transparaissent les fortes pulsions complexuelles qui le compulsionnelle sont pré-
rivent à la constellation affective familiale : des vices précoces, des défauts stéréoty- dominants…
pés, l'onycophagie, le bégaiement, son indiscipline, sa paresse, ses mensonges, ses
réactions haineuses ou jalouses, ses fugues, ses tendances au suicide, ses chantages
affectifs souvent tyranniques, sont comme noyés dans une atmosphère d'angoisse et
d'impulsivité inquiète. – A côté de ce type de névrose obsessionnelle ou phobique, il y
a lieu de décrire le type hystérique : mythomanie, crises névropathiques, scènes, mali-
gnité perverse, érotisme avec parfois de fortes tendances agressives se traduisant par
des vols, et même des actes criminels comme des tentatives d'homicide (notamment
parricide) ou la pyromanie. La description de toutes les névroses infantiles qui parti-
cipent à la fois de la « perversité », des perversions sexuelles, des « troubles de carac-
tères » et de la « délinquance » du jeune âge, nous entraînerait ici à une énumération
sans grand profit de tous les types « constitutionnels » épileptoïdes, paranoïaques,
schizoïdes, etc.
Enfin, chez l'adolescent et le jeune adulte, nous voyons s'organiser des formes
« antimorales » de comportement qui expriment au sein d'une conscience morale en
voie de différenciation et d'organisation, un choix systématique de révolte et de mal. …c'est seulement à partir
du moment où la conscien-
De telle sorte que c'est bien au moment où l'adulte se substitue à l'enfant, au moment
ce morale doit atteindre sa
où se liquide normalement le complexe d'originalité juvénile si bien étudié par maturation qu'il peut être
DEBESSE 1 que se pose la question de la perversité normale ou pathologique. Car c'est question d'insuffisance
seulement à partir du moment où la conscience morale doit atteindre sa maturation pathologique de son orga-
nisation…
qu'il peut être question d'insuffisance pathologique de son organisation.
Ainsi comprenons-nous que la notion de perversité chez l'enfant est une notion très …la notion de perversité
chez l'enfant est donc une
difficile et délicate à manier, puisque jusqu'à cet âge où il passe de l'adolescence à l'âge
notion très difficile et
adulte, l'enfant « baigne » dans l'amoralité. Il serait sage de n'y recourir que pour carac- délicate à manier…
tériser soit les arriérés à réactions perverses, soit les sujets à noyau de perversité, soit
les « névrosés ». Pour les autres, c'est-à-dire pour tous les autres enfants, leurs men-
songes, leurs chapardages, leur indisciplines leur délinquance seront considérés
(comme par la loi 2 qui considère, avec raison, que la délinquance infantile est inscri-
263
ÉTUDE N° 13
te dans les traits même de la nature de l'enfant) sans le « préjugé psychiatrique » qui,
tendant à appliquer à tous les enfants délinquants insubordonnés ou difficiles l'éti-
quette de « pervers pathologique », risquerait de lui retirer tout son sens.
…les facteurs éducatifs… Ceci nous amène à considérer un autre aspect également fondamental des délin-
quants et « pervers » infantiles, nous voulons parler des facteurs éducatifs, de milieu
ou de conflit, dans la « genèse de la perversité ». Si l'on s'en tient à ce que nous venons
d'exposer, on évitera la mythologie de l'exogénèse (psycho- ou sociogénèse). Sans
doute beaucoup d'auteurs ont raison de s'insurger contre l'opinion que les enfants per-
vers ne sont pas « de véritables pervers », mais c'est dans la mesure même où certains
traits du caractère et du comportement infantile (délinquance, fugues, vols, réactions
agressives, familiales, etc.) étant précisément fonction de la mauvaise éducation, de
l'abandon ou de la dissociation familiale, de l'ambiance affective, du foyer ou de l'éco-
le, etc., ils ne sont pas, de ce fait, pathologiques. C'est justement dans ce sens que
DUBITSCHER 1 a pu mettre en garde contre la décision de stériliser les enfants à « com-
portement asocial » (asoziale Verhaltenweise) dus à de pures actions nocives du milieu
et de l'ambiance (reiner Umwelt und Milieu-Schädigungen 2).
*
* *
Il doit suffire de lire attentivement les pages qui précèdent – comme il suffit d'avoir
un peu d'expérience clinique de ce problème – pour saisir la « vulnérabilité » de la
…Mises en garde contre
notion de perversité ou de perversion pathologique. Il s'agit d'une notion « extrême-
la notion de perversité
(PICHON, PENROSE…) ment dangereuse », écrivait PICHON 3, et on comprend que, après tant d'autres,
PENROSE 4 nous ait, récemment encore, mis en garde contre cette notion. On doit, selon
lui, l'abandonner « dans l'intérêt de la recherche scientifique et du progrès de l'admi-
nistration ». Certes, tout ce que nous avons écrit en posant le problème de la perversi-
té nous incline à en restreindre le champ pathologique et à cet égard nous estimons que
le psychiatre doit être très strict dans l'usage d'un concept qui se prête facilement à son
1. DUBITSCHER, dans son article, parait distinguer avec raison cette forme de perversité comme
une forme non pathologique pour autant qu'elle ne se confond ni avec l'arriération morale ni avec
la sociabilité morbide, c'est-à-dire avec les formes de « moralische Schwach-sinn », de « noyau
pervers » ou de structures névrotiques.
2. C'est dans ce sens également qu'ALEXANDER et STAUB (Der Verbrechen und seine Richter,
Vienne, 1929, trad. franc., 1930) considèrent comme « normaux » les criminels dont le crime est
une réaction sociologiquement conditionnée. Et nous pourrions multiplier de semblables cita-
tions et opinions.
3. PICHON, Le développement psychique de l'enfant et de l'adolescent, 1936, p. 160.
4. PENROSE, Moral deficiency, Journal of Mental Science, 1947, vol. 93, p. 273. Les difficultés
inhérentes à cette notion sont les mêmes que celles que l'on a soulignées à propos du concept de
« déséquilibre » ou de psychopathie en général. Les Anglo-saxons s'en sont récemment beaucoup
préoccupés. Cf. spécialement l'excellent historique de MAUGHS (J. crimino. Psych. 1941 et 1942)
— CURRAN et MALLMISON. (J. Ment. Se. 1944 — CLACKLEY et MALLMISON (J. Ment. Sc. 1944).
— Ben KARPMAN (J. of nerv. and Mental Diseases 1946 et Amer. J. of Psych. 1948). — O.
KINDBERG (J. of Ment. Sc. 1947), etc.
264
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
extension abusive. Mais on ne saurait d'un trait de plume rayer de nos papiers un terme
qui correspond certainement à une réalité clinique, celle-là même que nous avons tenté
de faire passer dans notre description. Cette réalité les cliniciens en prennent conscien-
ce par l'examen minutieux du comportement, des antécédents du mouvement évolutif
de la personnalité 1. C'est elle et elle seule qui fonde l'étude clinique de la perversité
pathologique.
E. – LE PROBLÈME MÉDICO-LÉGAL
C'est au travers de ses réactions antisociales que le « pervers » social ou amoral …C'est au travers de ses
parvient le plus généralement au psychiatre. Elles constituent la substance même de réactions antisociales que
le « pervers » social ou
tous ces troubles désignés sous le nom de perversité constitutionnelle. Il est bien dif-
amoral parvient le plus
ficile d'en donner une classification qui ne soit pas arbitraire. Bornons-nous à énumé- généralement au psy-
rer les principales : vagabondage, fugues avec ou sans délinquance, dénonciations chiatre…
calomnieuses, faux témoignages, lettres anonymes, chantage, escroqueries, vols, abus
de confiance, attentats aux mœurs, coups et blessures, homicide (parricide, infantici-
de), incendie volontaire, insoumission, désertion, prostitution, excitation de mineurs à
la débauche, trafic de drogues ou de denrées contingentées, etc.
La notion de récidive domine toutes ces réactions. Une autre condition du crime
ou du délit de ces sujets, c'est l'intoxication alcoolique, l'ivresse. Voici la petite statis-
tique fournie par DELMONT (1938) à l'égard des réactions sociales des cent pervers qu'il
a observés : …statistiques de DELMONT…
1. Instabilité, fugues et vagabondage 4
2. Vagabondage et vols..... 19
3. Vols.....................................
a) vols à répétition...................... 9
b) cambriolage .......................... 1
c) escroqueries .......................... 5
4. Vols et incendies ......................... 2
5. Vols et violences......................... 16
6. Coups et blessures, violences ............... 10
7. Tentatives d'homicide ..................... 5
8. Homicide seul............................ 8
9. Meurtre et vol ........................... 3
10. Homicide sexuel.......................... 4
11. Menaces de mort......................... 2
12. Agressions sexuelles....................... 4
33. Agressions sexuelles avec vols .............. 2
14. Exhibitionnisme .......................... 2
15. Délinquance sexuelle variée.................. 4
16. Viol de sépulture ......................... 1
101
1. On utilise en psychiatrie infantile des « tests de caractère » tels que les questionnaires type
WOODWORTH-MATHEWS, le test de barrages PRESSEY OU les tests de MAY et HATSHORNE.
265
ÉTUDE N° 13
266
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
l'internement, dans ces cas, ont mis les sujets à l'abri des récidives. Les réactions homi-
cides à répétition étaient également, et pour la même raison, rares (2), mais dix fois des
tentatives de meurtres se sont associées à de multiples vols. Tous les autres cas témoi-
gnent d'une délinquance variée (délits militaires, infractions à une interdiction de séjour,
vagabondage spécial, trafic de stupéfiants, etc.).
Toutes les autres statistiques que nous pourrions reproduire nous montreraient à
peu près les mêmes comportements antisociaux.
Le problème de la responsabilité se réduit naturellement à un problème de dia-
gnostic. Mais une question, toujours la même, le domine : les sujets qui correspondent …une question, toujours
la même, domine : les
à la description que nous venons de présenter sont-ils des malades ? Nous avons suf-
sujets qui correspondent
fisamment établi le bien fondé de cette question et l'on ne saurait méconnaître, par doc- à la description que nous
trine ou par lacune, le fait que la conscience perverse peut être « normale ». Il ne fau- venons de présenter sont-
drait pas aboutir en effet à une règle absurde : plus un criminel sera criminel, et plus ils des malades ?…
irresponsable il sera ! Beaucoup de psychiatres par l'abus de la notion de perversité
pathologique paraissent peut-être enclins à reconnaître tous les pervers, tous les mau-
vais sujets, comme des psychopathes. Mais beaucoup d'autres, au contraire, n'envisa-
geant, assurent-ils, ces problèmes que « d'un point de vue pratique », recommandent
de traiter les pervers (considérés cependant par eux-mêmes comme des anormaux)
comme entièrement responsables pour ne pas « énerver la répression sociale » néces-
saire. Ainsi les uns et les autres répugnent à la solution intermédiaire de la responsa-
bilité limitée ou atténuée. Pourtant, en droit comme en fait, il y a lieu, il ne peut pas …en droit comme en fait,
il y a lieu de distinguer
ne pas y avoir lieu de distinguer les pervers sans déséquilibre psychique, sans caractè-
les pervers sans déséqui-
re morbide, entièrement responsables de leurs actes, des pervers psychopathes dont la libre psychique, sans
responsabilité peut être atténuée dans une mesure proportionnelle à l'importance des caractère morbide, entiè-
troubles qui conditionnent leur perversité, leur amoralité. Cela revient à dire que le rement responsables de
leurs actes, des pervers
propre de la perversité pathologique est de ne pas être « pure », mais d'apparaître
psychopathes dont la res-
comme secondaire à un état de déséquilibre ou de dysgénésie de la personnalité, état ponsabilité peut être atté-
qui peut être d'un niveau plus ou moins profond. C'est là un premier critère essentiel. nuée…
Un second critère résulte encore de l'analyse structurale : c'est celui de l'incom-
préhensibilité de la réaction. Nous avons eu l'occasion à maintes reprises de dire que
le trouble mental comportait une structure déficitaire et négative (à laquelle nous
venons précisément de faire allusion dans les lignes précédentes en parlant du « carac-
tère secondaire » de la perversité pathologique relativement au trouble primordial qui
…la pensée perverse, le
la conditionne). C'est à ce trouble que correspond dans l'analyse phénoménologique
comportement pervers
l'altération formelle de la pensée et du comportement (que les termes de « déséqui- échappent à la compré-
libre », d' « impulsivité », de « noyau » pervers, etc., expriment sans cesse), par quoi hension psychologique…
cette pensée perverse, ce comportement pervers échappent à la compréhension psy-
chologique. Et cela dans deux sens différents. Tout d'abord en ce que les motifs, les
267
ÉTUDE N° 13
1. L'ordonnance du 2 février 1945 abolit la loi de 1912 et supprime la distinction entre mineurs
de moins de 13 ans et ceux de moins de 18 ans pour admettre une irresponsabilité totale et abso-
lue des mineurs délinquants.
2. Ceci est un des aspects les plus décisifs des rapports de la psychiatrie et de la criminologie.
Supposons en effet que l'on étende à tous les adultes, à l'humanité tout entière les dispositions
justement adoptées pour les enfants parce que précisément ils sont des enfants et l'on voit à
quelles absurdités on aboutirait : tout criminel étant jugé « hors de toute notion de culpabilité
morale », c'est-à-dire de « responsabilité », serait traité comme un irresponsable. Or, si tout enfant
peut être considéré du point de vue psychique comme un être irresponsable, tout adulte délin-
quant ou pervers ne saurait être traité ipso facto comme tel. Et c'est parce qu'il y a lieu de traiter
différemment au point de vue psychique un enfant d'un adulte que la notion de « maladie men-
tale » a un sens, celui d'un retour ou d'une fixation aux premières phases du développement.
268
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
F. – LE PROBLÈME D'ASSISTANCE
II se pose lui aussi très différemment, selon qu'il s'agit d'adultes ou d'enfants.
1° Les amoraux ou pervers pathologiques adultes.
Généralement délinquants, récidivistes, ils sont souvent condamnés puis, sortis de
la prison où ils accumulent les griefs contre la société ou préparent des mauvais coups,
leur désir de représailles, leur soif de jouissance, de scandale et de subversivité ne tar-
dent pas à les précipiter dans une cascade de réactions antisociales, jusqu'au jour où,
tôt ou tard, une expertise mentale les fait interner.
A l'asile, ils briment les autres malades, fomentent des complots et des évasions.
Ils lassent la patience de tous et finissent dans des quartiers d'aliénés difficiles.
Dès 1905, GARNIER avait demandé la création d'asiles-prisons, d'asiles de sûreté …Dès 1905, GARNIER
pour anormaux dangereux, psychopathes vicieux et débiles difficiles. En effet, en avait demandé la création
d'asiles-prisons, d'asiles
Belgique on a institué depuis longtemps des quartiers spéciaux de « Défense Sociale »
de sûreté…
et le sort des assistés est réglé par une « Commission spéciale ». En France, on a créé
des quartiers spéciaux d'aliénés difficiles (Villejuif, Hoerdt). Certains médecins
légistes préconisent l'installation d'établissements, distincts des prisons, des asiles, où
ces sujets seraient placés en vue d'un « traitement pénal » pour une durée indétermi-
née, qui seraient à la fois école, atelier, hôpital, colonie de travail, asile de sûreté, selon
les cas, permettant le maximum de traitement de correction ou d'utilisation 1.
Autant dire que l'assistance de ces sujets dont l'amendement est le plus souvent
illusoire est à peu près nulle et que l'on se contente le plus souvent de les empêcher de
nuire en les tenant enfermés.
2° Les pervers infantiles.
On se trouve presque toujours en présence de jeunes délinquants présentant des
troubles de l'humeur et du caractère avec des réactions antisociales plus ou moins
graves. Indépendamment des trop rares sujets justiciables du traitement médical, psy-
chanalytique ou psychothérapique, du placement familial à la campagne ou dans des
conditions sociales meilleures, ou encore des cas où il s'agit d'une simple perversion
par le milieu psycho-social, il reste toujours une série de cas à peu près irréductibles.
On a, depuis vingt ans, en France, tenté de nombreuses réformes et modes de
rééducation. Le sort de ces sujets est généralement réglé par des tribunaux spécialisés.
L'ordonnance du 2 février 1945 a institué au sein de chaque tribunal de première ins- …L'ordonnance du 2
tance un « Juge des enfants ». Délégué dans ses fonctions pour trois ans, il est chargé février 1945 a institué au
à l'aide des services sociaux spécialisés de mener une enquête approfondie sur la situa- sein de chaque tribunal
de première instance un
tion matérielle et morale de l'enfant et de sa famille. Cette enquête sociale est com-
« Juge des enfants »…
plétée par un examen médico-psychologique. Le juge, s'il s'agit de mineurs de moins
269
ÉTUDE N° 13
de treize ans, ordonne soit le renvoi à la famille ou auprès d'une personne digne de
confiance, soit la remise à la garde d'une œuvre privée, soit le placement dans un inter-
nat, soit le placement dans une institution d'éducation de formation professionnelle ou
de soins, soit la remise à l'assistance publique. Si le mineur a plus de treize ans, il peut
être placé dans une institution publique d'éducation surveillée ou d'éducation correc-
tionnelle. Si le mineur a plus de seize ans et a commis un crime, il est jugé par le tri-
bunal pour enfants complété par le jury de la cour d'assises.
L'ensemble de ces sujets est donc placé sous le régime provisoire, préjudiciel ou
définitif de la liberté surveillée.
Ainsi disposons-nous d'un ensemble de mesures qui constituent une gamme de
Etablissements aux servi-
ce de « l'enfance en dan- conditions de réadaptation assez satisfaisante. L'administration pénitentiaire, au cours
ger moral »… de ces dernières années, a fait de gros efforts pour que les fameuses « maisons de cor-
rection », appelées souvent « bagnes d'enfants », deviennent des maisons d'éducation
nouvelle (M. E. S.). Celles de la Lamote-Beuvron et de Saint-Jodard fonctionnent selon
ces nouvelles normes. Les cas les plus difficiles sont généralement envoyés à Aniane
(garçons) ou à Chevilly pour les filles. Certains établissements sont des institutions pri-
vées (Bon-Pasteur, patronages, etc.). Enfin, des centres d'observations réglementés par
ordonnance du 25 octobre 1945 apportent une aide très efficace au dépistage, au traite-
ment et à la rééducation de ces enfants et adolescents. Dans le ressort du tribunal de la
Seine, il existe aussi deux centres modèles. Celui de Savigny et celui de Villejuif.
Telles sont les grandes lignes et les réalisations du plan de redressement qui a été
mis dans notre pays au service de « l'enfance en danger moral » dont le contingent le
plus difficile est évidemment représenté par les « pervers ».
*
* *
L' « amoralité », la « perversité » avec son cortège de délinquance à répétition nous
apparaît donc entrer dans le cadre de la pathologie mentale lorsqu'elle manifeste un
état dysgénétique du développement de la personnalité. Nous avons tenté de dresser le
bilan clinique et de mettre en évidence la structure propre de ces états d'anomalies du
développement sous le nom d' « invalidité morale », de « moral insanity », de « mora-
lische Schwachsinn », etc. Cette forme de déséquilibre psychique s'est imposée à l'ob-
servation des cliniciens. Nous avons tenté de la sauver de deux erreurs qui ne cessent
de la menacer.
La première erreur consiste à confondre cette forme de folie morale avec la per-
versité normale, celle qui est solidaire de la trajectoire de la personnalité qui se
construit chez chacun de nous en fonction d'une part des événements, de l'histoire, du
…toute perversité est
d'autant plus « pure » « personnage » que nous sommes ou devenons et, d'autre part, de l'idéal de soi, de la
qu'elle est moins patholo- conception du monde. A cet égard toute perversité est d'autant plus « pure » qu'elle est
gique… moins pathologique. Est seule pathologique celle qui exprime une impuissance à accé-
270
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
der aux formes supérieures du choix moral. Celle qui résulte d'un choix à la fois
« moral » (en tant qu'il engage la conscience morale) et « immoral » (en tant qu'il pré-
fère le mal) n'est pas pathologique. Tout notre effort d'analyse clinique a porté princi-
palement sur ce point essentiel et a tenté de montrer que le « pervers pathologique » …le « pervers patholo-
gique » est enfermé dans
est enfermé dans un monde d'existence rétréci et qu'il reste nécessairement soudé aux
un monde d'existence
couches infantiles du développement, à celles qu'il n'a jamais pu dépasser. L'autre rétréci et reste nécessai-
erreur consiste à se représenter que la perversité due à une dysgénésie du développe- rement soudé aux couches
ment de la personnalité est « constitutionnelle » en tant qu'elle exprime cette forme infantiles du développe-
ment…
d'organisation anormale de l'être psychique, et qu'elle dépend d'une « constitution
amorale ». Si l'on veut exprimer par là une pure tautologie 1 et se borner à dire que
l'immoralité ou la perversité constitue un trait fondamental de la personnalité, d'ac-
cord. Mais si l'on veut entendre par là que l'amoralité de la perversité est une proprié-
té génétique au même titre que la couleur des cheveux ou des yeux, c'est faux. Car
1'« amoralité » n'est pas une propriété spécifique et statique, c'est une résultante. À la
base, tous les hommes nouveau-nés 2 comme les animaux sont immoraux. L'amoralité
constitutionnelle ne dépend pas de l'inclusion à la base d'une disposition anormale, elle
exprime un trouble du développement, une anomalie de l'évolution psychique humai-
ne, une dysgénésie.
271
ÉTUDE N° 13
irréducabilité, etc.) ». Nous n'insisterons pas sur le caractère arbitraire d'une pareille
classification. Si nous avons tenu à le placer en tête de ce chapitre, c'est qu'elle nous
paraît, comme celle de DELMAS qui dérive des mêmes principes, procéder de cette
idée, que les perversités instinctives sont non seulement des aberrations, des déviations
des tendances innées, ce qui est à certains égards certainement juste, mais qu'elles sont
toujours et nécessairement des anomalies « en soi » génétiquement déterminées, ce qui
est certainement faux. C'est pour satisfaire les besoins de la symétrie et par les exi-
gences quelque peu artificielles d'une classification à priori des instincts qu'on a décrit,
sous le nom « perversions instinctives », à la fois sur le même plan et comme des phé-
nomènes distincts, la gourmandise et la nécrophilie, les tendances à la mystification et
l'homosexualité, etc. En fait, sous ce nom, on désigne essentiellement des aberrations
des tendances érotiques. Et si nous avons déjà vu à propos du comportement pervers
et des réactions antisociales des pervers combien les attentats sexuels et les anomalies
sont fréquents. Nous allons voir maintenant à propos des perversions sexuelles com-
bien le comportement d'agressivité et de mensonge, les vols, les crimes, etc., se trou-
vent liés à ces formes de vie sexuelle anormale.
Ainsi la distinction entre la « perversité » et les « perversions isolées » ne devra
pas être prise dans un sens trop absolu mais, au contraire, il importera de ne jamais
…les anomalies foncières perdre de vue que les anomalies foncières de la conscience morale se trouvent liées
de la conscience morale aux anomalies isolées du système pulsionnel et inversement. Pour bien comprendre le
se trouvent liées aux ano-
lien naturel qui, sous les apparences superficielles, anastomose aux perversions
malies isolées du système
pulsionnel et inverse- sexuelles, la « perversité », considérée comme « une invalidité morale », une « moral
ment… insanity », il convient de bien saisir que la « perversité isolée » n'est pas une aberra-
tion partielle, qu'elle est non seulement une altération de la sphère libidinale mais
encore une perturbation globale de la « manière-d'être-au-monde ».
Si les « perversions » énumérées par exemple dans la classification de DUPRÉ
étaient présentées classiquement, il y a encore quelques années, comme des aberra-
tions innées de tendances instinctives partielles et si la « clinique » de ces perversions
les décrivait comme des sortes d'impulsions, de besoins incoercibles émergeant d'un
psychisme « de par ailleurs inaltéré », nous ne pouvons plus aujourd'hui souscrire à
une pareille conception « atomiste » de la pathologie instinctive. La « dipsomanie »,
la « pyromanie », la « kleptomanie », la « mythomanie », la « nymphomanie », le
« fétichisme », l' « homosexualité », le sadisme, la nécrophilie, etc. (comme nous
venons de le faire remarquer plus haut) étaient présentées comme des « pures anoma-
lies » de comportement instinctif laissant intactes les facultés intellectuelles et même
morales des sujets « porteurs » de ces perversions. Certes, tout n'est pas faux dans cette
manière de voir les choses puisqu'en effet le psychiatre est amené à constater que de
tels sujets peuvent, malgré leurs perversions, être fort intelligents, réussir dans leurs
272
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
carrières et faire des œuvres esthétiques parfois géniales. Mais nous ne saurions sans
examen clinique et critique approfondi prendre acte des déclarations et des attitudes de
ces « pervers » ou « pervertis » qui se présentent eux-mêmes comme atteints d'une
« disposition » qui leur resterait étrangère et qu'ils satisferaient sans y participer. Tout
de même que l'école anthropologique au XIXe siècle, celle de MOREL, de KRAFFT-
EBING, de MAGNAN avait mis en évidence chez ces malades des « stigmates dégénéra-
tifs », un état de « déséquilibre » foncier et parfois héréditaire, des « prédispositions »,
etc., l'école anthropologique contemporaine (celle qui dans les pays de langue alle-
mande s'enracine d'une part dans le courant biologique de V. UEXKULL et de V.
WEISACKER et dans la phénoménologie de M. HEIDEGGER 1 ) ne cesse de mettre en évi-
dence sous l'apparence d'une « pulsion partielle » une perturbation basale de l'existen-
ce dans ces perversions. En ce sens, les travaux fort importants de E. V. GEBSATTEL 2,
de E. STRAUS 3, de de L. BINSWANGER 4, de O. SCHWARZ 5, de H. KUNZ 6 et aussi de
celui de M. BOSS 7 qui, quoique dirigé contre certains points de vue de ces auteurs, en
reste cependant très solidaire, toutes ces analyses montrent comment la « perversion …la « perversion isolée »
isolée » n'est qu'une partie d'un bouleversement structural des relations de la personne n'est qu'une partie d'un
bouleversement structu-
avec autrui et le monde, c'est-à-dire en dernière analyse de sa moralité. « La copro-
ral des relations de la
philie, dit STRAUS, ne consiste pas dans un tropisme qui lie la mouche à l'excrément personne avec autrui et le
mais passe par une intentionnalité de contre-pied à l'égard du normal (Norm-windig- monde…
keit) qui constitue le « nerf » (Lebensnerv) de la perversion. » De même, dit Oswald
SCHWARZ, « la signification d'une existence homosexuelle est son absence de sens ».
Cela ne suffit pas encore à M. BOSS pour qui la perversion sexuelle est, non seu- …travaux de BOSS…
lement une déformation structurale de l'existence, un « morcellement »
(Zerstückelung) ou un démembrement (Zerteilung), mais une anomalie du mode
d'existence à deux, sorte d'envers de l'amour, anomalie qui reste cependant vécue,
encore sur le registre de l'amour et constitue, au fond, une forme de la dialectique pas-
sionnelle qui lie le moi à autrui. La perversion ne constitue donc pas seulement l'aber-
ration d'un point ou d'une ligne du système pulsionnel. La « Daseins-analyse » de huit
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ÉTUDE N° 13
cas de perversion sexuelle lui permet de conclure que c'est tout le réseau des rapports
existentiels et des « tourments » (Sorge) de « l'être-au-monde » qui est rétréci et inves-
ti dans ses relations amoureuses (duale Seinmodus) d'une signification antivitale de
résistance (Wilderstandung) et d'hostilité (feindlich). Sans doute apparaissent-elles
superficiellement comme des formes fragmentaires et périphériques, comme des
« corps étrangers », mais elles ne sont pourtant que des manifestations d'un boulever-
sement structural plus global. Par là, répétons-le, un pont peut être jeté, au niveau d'une
coupe plus profonde que la simple observation clinique, entre la « perversité » que nous
avons étudiée plus haut et les perversions que nous devons maintenant envisager.
Que toute « perversion » en tant que tendance à faire mal, que satisfaction à mal
faire, que désir de perturber l'ordre « moral » et « naturel », qu'assouvissement d'une
pulsion « mauvaise », soit un « bourgeon de l'instinct », c'est ce que le premier examen
du problème qui nous occupe nous a montré à l'évidence. Dès lors, il suffit de s'éloigner
de l'analyse atomistique et abstraite des instincts particuliers ou partiels, il suffit de
remonter à leur source commune, à celle de l'« instinctivité » ou de l'« instinct fonda-
mental 1 » ou, comme l'a appelé FREUD, de la « libido », pour saisir que toute perver-
sion est fatalement soudée à la dynamique de la vie instinctive et spécialement de son
aspect « libidinal » ou, si l'on veut, « sexuel ». D'une part les perversions sexuelles pro-
cèdent d'une structure vitale qui dépasse la sphère des rapports strictement érotiques
pour s'insérer dans un « ordo amoris » plus global. D'autre part l'organisation com-
plexuelle de la libido et notamment ses qualifications et investissements successifs au
…le développement du cours des vicissitudes du développement du « choix objectal » déterminent des
« choix objectal » déter- « manières d'être-au-monde » qui dépassent les fonctions et les instincts strictement
minent des « manières
génitaux. De telle sorte que la critique que Boss adresse aux conceptions « mécani-
d'être-au-monde » qui
dépassent les fonctions et cistes » et « abstraites » des psychanalystes, à qui il reproche de faire constamment
les instincts strictement intervenir les « pulsions partielles », nous paraissent mal fondées. (Lui-même d'ailleurs
génitaux… recourt constamment aux notions et à la technique de l'école de FREUD.) Quoi qu'il en
soit en effet de l'abus évident que certains font des notions de « fixation » ou de
« régression » partielle, FREUD a ouvert une large voie de communication entre le
monde de la perversité et celui de la libido. Rien n'est plus conforme à la nature même
des choses puisque les divers aspects de l'amoralité, de l'associabilité ou de l'antisocia-
bilité et des perversions sexuelles sont cliniquement et profondément intriqués.
Cependant si les vues de FREUD sur le travail instinctif de base qui lie le nourris-
son à autrui au travers des imagos complexuelles nous paraissent exactes, par contre
nous nous séparons de sa « Métapsychologie ». Le niveau où « libido » et « moralité »
1. Cf. à ce sujet l'étude de DELGADO, Psicologia generale y psicopatologia de las tendan-cias ins-
tinctivas, Revista di Neuro-Psiquiatria, septembre 1938, pp. 255-353 et spécialement p. 270 et
pp. 316-322.
274
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
275
ÉTUDE N° 13
…une perversion instinc- tinctive pathologique est une perversion de la vie libidinale pour autant qu'elle est une
tive pathologique est […] régression vers la couche instinctive qui est à l'origine de nos rapports avec autrui l.
une régression vers la
Revenons encore une fois à l'évolution de la libido, c'est-à-dire au développement
couche instinctive qui est
à l'origine de nos rap- des fantasmes vécus qui, à chaque étape, en caractérisent la « manière d'être-au-
ports avec autrui… monde » ou encore au déploiement de cette force qui, après avoir enraciné le corps
dans son environnement physique et familial primitif, incorpore, dans la succession de
ses métamorphoses, le personnage dans le monde prochain ou lointain d'autrui. Au
terme normal et normatif de ce travail où s'équilibrent les lignes de force des désirs et
de leurs contre-pulsions, l'être, transcendant ses premières déterminations vitales,
émerge et rayonne dans la plénitude de son choix, de ce choix qui peut le porter soit à
se détacher de sa « nature » ou de sa « supranature complexuelle », soit à s'y complaire.
La perversion et la perversité représentent sous leur aspect pathologique une chute
de ce potentiel évolutif, chute vécue dans et par les archaïques fantasmes libidinaux en
un tout qui est, à la fois, une forme de vice particulier et d'immoralité générale.
Les perversions constituent donc, comme nous y avons insisté, des accidents évo-
lutifs non seulement de l'instinct sexuel mais de la moralité. Cependant leur structure
propre est conditionnée par une forme singulière de l'érotique qui en constitue le centre
sans en limiter le rayonnement.
Dans cette perspective la classification de ces perversions nous conduit à envisa-
…[notre classification ger deux sortes d'accidents évolutifs selon que leur figure centrale est représentée par
distingue] le vice du un vice du choix objectal ou par une aberration de la sensibilité voluptueuse.
choix objectal, de l'aber-
La perversion peut en effet représenter une fixation à un stade archaïque ou une
ration de la sensibilité
voluptueuse… régression vers les fantasmes propres à chaque étape du choix objectal, c'est-à-dire de
la trajectoire qui va de l'auto-érotisme à l'amour pour un « objet », constitué par un être
de sexe opposé. Entre les deux extrémités de cette ligne de force se situent toutes les
possibilités et par conséquent toutes les formes substitutives ou symboliques de choix
paradoxaux et inadéquats.
D'autre part les perversions peuvent atteindre une couche encore plus profonde,
celle des sources corporelles de la volupté, au point où, dans l'indifférenciation des
sensibilités, la libido investit de désir toutes les situations, pour autant qu'elles ne sont
pas seulement données mais prises dans l'avidité d'un besoin, et quelle que soit la
forme de sensibilité qu'elles émeuvent.
Voici donc la classification que nous allons suivre pour exposer les diverses
formes de ces perversions :
1. Les sept péchés capitaux, les confesseurs le savent bien, se réduisent au péché de luxure. Tous
y reviennent. Tous en partent.
276
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. On trouvera de très intéressantes observations et de bonnes analyses cliniques sur ces perver-
sions dans de grands ouvrages consacrés à la psychopathologie sexuelle. TARDIEU, Étude médi-
co-légale sur les attentats aux mœurs, Paris, 1887 ; Étude médico-légale sur la folie, Paris, 1872 ;
Paul MOREAU (de Tours), fils, Les aberrations de l'instinct sexuel, 1887 ; SCHRENK-NOTZING, Die
Suggestiontherapie bei krankhaften Erscheinungen der Geschlechtnis, 1892; A. MOLL, Les per-
versions de l'instinct génital, trad. franç., PACTET et ROMME, Paris, 1893 ; KRAFFT-EBING,
Psychopathologia sexualis, trad. des 16e et 17e éditions en français par Albert MOLL et R.
LOBSTEIN, avec une préface de Pierre JANET, 1931 ; HAVELOCK ELLIS, 1re édition, 1897, trad.
franç, par GENNEP, Études de psychologie sexuelle, Mercure de France, Paris, 1934 ; LAUPTS,
Perversions et pervertis sexuels, Paris, 1896 ; LACASSAGNE, Vacher l'Éventreur, Paris, 1899 ; P.
GARNIER, Section de psychiatrie, Congrès International de Médecine, 1900 ; Ch. FÉRÉ, L'instinct
sexuel, Évolution et Dissolution, Paris, 1899 ; EULENBURG, Sadismus und Masochismus, 1902 ;
FREUD, Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 5e édition, 1922 ; MAGNUS-HIRSCHFELD,
Sexualpathologie, Bonn, 1917-1918; STECKEL, Störungen Trieb und Affektlebens, 7 volumes,
Berlin, Vienne, 1925 ; KRONFELD, Sexual-pathologie, Leipzig, 1923 ; O. FENICHEL, Perversionen,
Psychosen, Charakterstörungen, Vienne, 1931 ; MARANON, La evolución de la sexualidad y los
estados intersexuales, 1930 ; H. W. GRUHLE et Max MARCUSE, in Handwortbuch der Mediz.
Psychologie, Leipzig, 1930 ; HESNARD, Traité de sexologie, 1933 ; G. W. HENRY, Sexvariants,
New-York, 1941 ; M. BOSS, Sinn und Gehalt der sexuellen Perversionen, Berne, 1947, etc.
Naturellement tous les ouvrages de FREUD et des psychanalystes, les revues de psychanalyse (cf.
notre étude n° 6) sont littéralement remplis d'études sur les anomalies de la vie sexuelle. Des
revues comme Abhandlungen aus dem Gebiete der Sexual-forschung (depuis 1918), le Bulletin
de l'Association d'études sexologiques (Paris, depuis 1932), les Publications of the British socie-
ty for the study of sexual psychology (Londres, depuis 1920), Schriften zur Psychologie und
Sociologie von Sexualität und Verbrecher (Stuttgart, depuis 1928) et Zeitschrift fur
Sexualtaissenschaft und Sexualpolitik (Berlin, depuis 1914), etc., ou des index…/…
277
ÉTUDE N° 13
comme la Rose mystique de CRAWLEY OU Science of Sex de GODFREY, etc., contiennent une abon-
dante documentation sur ce sujet. Le numéro de « Crapouillot « (mai 1938) consacré au crime et
aux perversions instinctives et rédigé par R. ALLENDY doit être spécialement signalé. Enfin, des
ouvrages littéraires ou d'autobiographie plus ou moins déguisés constituent de véritables obser-
vations ou analyses cliniques : J.-J. ROUSSEAU, J CASANOVA, SADE, RESTIF DE LA BRETONNE, S.
MASOCH et de nos jours : M. PROUST, GIDE, J. GENET, etc. — L'ouvrage de HESNARD le plus récent
et le plus accessible aux lecteurs français est d'un très grand intérêt. Nous lui ferons au cours de
cette étude quelques emprunts. Il divise l'étude des perversions sexuelles en perversions de but
caractérisées par le fait que l'individu recherchant un objet normal répugne à l'acte sexuel ou lui
est indifférent et tend à le remplacer par un des dérivés ou plutôt de ses « éléments » et en per-
versions d'objet qui « comportent tous les états cliniques caractérisés par le fait qu'indépendam-
ment du but qui est bien entendu approprié à l'objet, l'individu est entraîné vers un objet qui nor-
malement n'est pas excitant. I! place parmi les perversions de but les « perversions visuelles » et
le « sado-masochisme » et dans les perversions d'objet, l'homosexualité, le fétichisme, la zoo-
philie, le vampirisme et la nécrophilie. Il est aisé de constater que l'intention est la même qui a
déterminé la classification de HESNARD et la nôtre. Mais il nous paraît évident que l'on ne peut
séparer correctement les « perversions d'objet » et les « perversions de but » pour la bonne rai-
son que « but » et « objet » sont des notions identiques. A notre sens ce qui distingue les deux
grands groupes de perversions — pour autant qu'elles soient différentes autrement que par le
noyau de comportement qu'elles représentent — c'est que dans un cas les tendances érotiques
sont déplacées dans leur application à l'objet privilégié et que dans l'autre elles sont modifiées
dans leur structure de comportement.
1. En formulant en des termes si simples et, somme toute, naïfs le problème, nous sommes par-
faitement conscients des difficultés qu'il implique à l'égard de la nature « pathologique » des per-
versions, problème que nous envisagerons plus loin.
278
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
éprouvé dans et par son propre corps. Obscure satisfaction d'une sensibilité réfléchie …Obscure satisfaction
sur elle-même, cet auto-érotisme ne connaît pas le dégoût (HESNARD). Les manipula- d'une sensibilité réfléchie
sur elle-même, cet auto-
tions du corps, ou de ses « excreta » le jeu des fonctions digestives, d'absorption ou
érotisme ne connaît pas le
d'expulsion sont l'objet d'une jouissance aveugle qui ne tarde pas à se concentrer sur dégoût (HESNARD)…
les zones érogènes et spécialement après les fonctions orales et anales sur les organes
génitaux (stade phallique). A la présexualité diffuse succède alors la conscience vague
de sensations spécifiquement génitales désormais recherchées. Telle est la première
forme d'onanisme qui se manifeste chez le jeune enfant le plus souvent vers quatre ans.
C'est, dit HESNARD, une « vague de volupté organique, sorte d'âpre vertige à peine dis-
tinct et la satisfaction d'un prurit spécifiquement localisé aux organes sexuels ». Cette
forme de masturbation autoérotique est celle que l'on rencontre chez les animaux et
telle qu'on l'a décrite « chez le cheval, le chien, le chameau, l'éléphant » (FÉRÉ) et que
ZUCKERMANN et tant d'autres auteurs ont observé chez le babouin.
A mesure que se développe le système de contre-pulsion ces jeux libidinaux
« auto-érotiques » sont généralement refoulés et la masturbation prépubertaire devient
relativement rare entre cinq et dix ans. D'après Alfred KINSLEY l – s'il était besoin de
recourir à la statistique pour établir un fait aussi commun aux yeux de la pratique
médicale ou pédagogique – 88% des garçons ou jeunes adultes célibataires se mastur-
bent en moyenne deux fois par semaine. La constance d'un tel comportement trouve
son explication dans le développement de la vie sexuelle. Rivée au corps à son début,
elle se fixe soit, au moment du choix objectal, sur les images parentales, soit, au
moment de la forte poussée pubérale qui érotise le corps, avant de se projeter sur l'ob-
jet hétéro-sexuel, dans un fantasme essentiellement narcissique, l'image de soi.
Il y a lieu de distinguer trois directions libidinales, trois finalités différentes de …Il y a lieu de distinguer
l'onanisme : tout d'abord l'onanisme auto-érotique qui rejoint la masturbation sans fan- trois directions libidi-
nales, trois finalités diffé-
tasmes du jeune enfant, ensuite l'onanisme à fantasmes de partenaire par lequel la
rentes de l'onanisme…
masturbation sortant de la véritable « ipsatio » n'est plus un vice solitaire dans la mesu-
re où s'y associe l'image d'un partenaire, enfin l'onanisme à fantasmes narcissiques ou
« l'autre » ne peut être que l'image, renvoyée par le miroir, de son propre corps.
L'onanisme auto-érotique est exceptionnel sous sa forme d'onanisme « réflexe » équi-
valent au prurit et où l'orgasme recherché impulsivement pour lui-même, a la valeur
d'une décharge de la tension physiologique. L'onanisme à fantasmes de partenaire per-
met à de multiples fantasmes érotiques de se satisfaire en se mêlant à l'acte masturba-
toire qui les actualise et auquel en retour ils prêtent une forme de « réalité » 2. Ainsi,
malgré toutes les images virtuelles de perversion que présentent ces fantasmes, ils
279
ÉTUDE N° 13
constituent déjà un moyen terme vers l'acte sexuel normal qui, lui aussi, admet une part
fantasmique. Quant à l'onanisme narcissique, il investit d'une valeur privilégiée et par-
fois exclusive l'image du propre corps. Il s'accompagne de fantasmes ou de mises en
scène scoptophiliques dont le miroir constitue l'indispensable foyer destiné à renvoyer
à l'onaniste l'image unique mais dédoublée de sa concupiscence ; et ceci naturellement
nous rapproche beaucoup des fantasmes de l'homosexualité.
Nous ne saurions que répéter ce qu'écrivait HESNARD au sujet des pratiques ona-
nistes: il existe suffisamment d'études de la masturbation pour que nous n'insistions
pas sur cette description banale et peu instructive. Indiquons simplement que l'emploi
de corps étrangers, la recherche d'attitudes, de situations favorables à l'orgasme, la par-
ticipation de zones érogènes autres que génitales (uréthrales, anales) varient à l'infini
ce comportement qui contient en germe toutes les perversions exactement comme le
rêve lui-même qui ne constitue, somme toute, comme lui, qu'une réalisation de fan-
tasmes dans un monde clos, secret et individuel.
Cette couche « auto-érotique », dont l'onanisme est l'expression habituelle, est
dominée « normalement », c'est-à-dire lorsque la libido trouve à s'investir, sans diffi-
culté et dans la plénitude de son élan, dans l'amour. Il existe cependant des individus
pour qui ce simulacre épuisant et stérile représente l'essentiel et parfois l'unique forme
de l'activité sexuelle. Tantôt, en effet, certains masturbateurs narcissiques ne parvien-
nent pas à détacher leur libido de son adhérence primitive à leur propre image soma-
…ils s'adonnent au tique et ils s'adonnent au « plaisir solitaire » avec une frénésie qui satisfait à la fois leur
« plaisir solitaire » avec auto-érotisme et leur désir inconscient d'auto-punition. HESNARD cite le cas d'un mala-
une frénésie qui satisfait
de « qui se masturbait soixante fois dans une journée et ne s'endormait que la verge
à la fois leur auto-érotis-
me et leur désir incons- isolée soigneusement et à proximité d'un circuit électrique comportant une sonnerie,
cient d'auto-punition… avertissement destiné à le réveiller en cas d'érection ». Le raffinement et les ingénio-
sités de leurs pratiques remplissent leur existence. De par ailleurs timides et anxieux,
souvent hypochondriaques, ils vivent dans l'espace sordidement rétréci de leur perver-
sion. Tantôt débordant d'angoisse, leur onanisme est plus un tourment qu'un plaisir,
quand il n'est pas les deux à la fois, et leur existence se passe dans le cercle infernal de
l'obsession à s'épuiser dans la masturbation et dans la crainte des dégradations phy-
siques et morales qu'elle entraîne.
Enfin, le « complexe narcissique » peut ne transparaître que dans le caractère
auto-philique. C'est là une des manifestations les plus fréquentes de l'auto-érotisme
féminin, mais il se voit également chez les hommes et spécialement chez les acteurs,
vedettes, esthètes, etc., goût de la toilette, de la parure, contemplation devant le miroir,
culte du corps, tendances exhibitionnistes, plaisir des confidences et des confessions,
…/… incluses dans la pratique onaniste qu'HESNARD (pp. 550-562) en décrit les diverses fantai-
sies complexuelles à propos de la masturbation.
280
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
projection du « portrait » dans les œuvres d'art, satisfaction par la publicité de la pres- …cette profonde adhéren-
se ou de l'écran, etc. Mais ainsi s'élargit et se dissipe jusqu'à la vanité, cette profonde ce de l'être à lui-même
dans le dédoublement
adhérence de l'être à lui-même dans le dédoublement spéculaire par quoi il commen-
spéculaire par quoi il
ce et, parfois, il continue à s'aimer. commence et, parfois, il
2° Pédophilie, inceste, gérontophïlie. continue à s'aimer…
281
ÉTUDE N° 13
qu'à la mort, pour des partenaires flétris, laids, malades, infirmes et exigeants, ces sou-
missions sordides où se mêlent les intérêts matériels, le jeu des situations sociales ou
professionnelles, la promiscuité sexuelle, etc., ne se rencontrent pas seulement dans les
romans. Les médecins connaissent souvent les secrets de ces liaisons « honteuses » et
de ces dépravations.
Certes, ces variations paradoxales du choix objectal sont connues depuis long-
temps et même depuis toujours, mais leur réfraction dans le complexe d'Œdipe, c'est-
à-dire leur signification « incestueuse » symbolique, a été mise en pleine lumière seu-
lement par l'école psychanalytique. La forme la plus typique et la plus « scandaleuse »
de ces attirances est représentée en effet par les liens érotiques qui s'établissent contre
le « tabou » de l'inceste : viols des filles par leur père, des soeurs par leurs frères, fixa-
…C'est plus souvent au tion érotique sur le père ou la mère... C'est d'ailleurs plus souvent au travers du com-
travers du complexe plexe d'Electre que par l'effet de l'Œdipe proprement dit, que se nouent les relations
d'Electre que par l'effet
incestueuses. Leur milieu le plus habituel est celui de la vie rurale ou de la promiscui-
de l'Œdipe proprement
dit, que se nouent les
té des taudis ouvriers, sans, bien entendu, que soient exclues ces aventures soigneuse-
relations incestueuses… ment tenues dans une clandestinité hypocrite et qui se cachent sous les dehors de la
plus religieuse et traditionnelle morale bourgeoise. Ces faits expriment naturellement
la forte attraction incestueuse dont la puissance même est frappée dans la plupart des
sociétés humaines d'un interdit rigoureux et particulièrement sévère 1. L'universalité
de la répression, la rigueur de la contre-pulsion sont pour ainsi dire le garant de la vio-
lence spécifique de cette pulsion. Nous savons depuis FREUD combien le choix objec-
tal, qui se fixe sur le parent du sexe opposé, contrarie la libre expansion de la sexuali-
té vers son objet naturel. C'est ce terrible drame de « l'Œdipe » et de la culpabilité
inconsciente dont il frappe la sexualité qui déterminent ultérieurement les artifices, les
déformations et les déviations d'un choix objectal qui se porte vers des « objets » à la
fois aimés et frappés d'interdiction. C'est dire que le choix des partenaires doit alors
…La prohibition de l'inces- 1. La prohibition de l'inceste est quasi universelle. On cite généralement quelques exceptions :
te est quasi universelle… chez les Tinnehs, les Ichipennes, les Kamagrunts, etc., chez les Weddes où l'union est permise
entre frère aîné et sœur cadette. Chez les Perses, les Grecs, chez divers peuples d'Asie Mineure
(et notamment les anciens Juifs) les unions entre frère et sœur étaient autorisées. Mais l'hypothèse
de la « promiscuité primitive » (Mac LENNAN, GIROUD, TEULON, etc.) ne paraît pas devoir être
retenue. La structure familiale des clans, des hordes, tout autant que celle de nos sociétés
modernes, implique un certain ordre, une certaine hiérarchie dont les formes de tabou et de totem
représentent les lois les plus implacables (cf. Totem et Tabou de FREUD). Si, comme l'indique
LACAN (Le complexe facteur concret de la psychologie familiale, Encyclopédie française, 1936),
le mythe du parricide originel inventé un moment par FREUD n'est pas soutenable, l'image du père
domine cependant toute la série des interdictions. Et même dans les cultures matriarcales où c'est
l'oncle maternel qui assure l'autorité et où MALINOWSKI (La sexualité et sa répression dans les
sociétés primitives, trad. franç., PAYOT, 1932) a pu montrer qu'un équilibre affectif se trouve
mieux réparti, « cet équilibre, dit LACAN, démontre heureusement que le complexe d'Œdipe est
relatif d'une structure sociale, mais il n'autorise en rien le mirage paradisiaque contre lequel le
sociologue doit se défendre ». On consultera spécialement sur cette question le livre de Lord
RAGLAN, Le tabou de l'inceste (trad. franc., Paris, 1935).
282
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Nous devons signaler quelques ouvrages de premier plan soit par leurs analyses soit par leur
documentation sur cette question si importante. Il va de soi que tous les travaux que nous avons
indiqués comme indispensables à l'étude des perversions sexuelles en général traitent longuement
de l'homosexualité. Le livre de A. MOLL (trad. franc., 1893) contient un exposé très complet des
études sur l'homosexualité du XVIIe au XIXe siècle. On se rapportera spécialement, depuis le
fameux mémoire de WESTPHAL (Archiv. f. Psych., 108, II, p. 73), aux ouvrages suivants : J.
CHEVALIER, De l'inversion de l'instinct sexuel au point de vue médical) Thèse, Paris, 1885 ;
DUGAS, L'amitié antique d'après les mœurs populaires et les écrits des philosophes, Paris, 1894 ;
LAUPTS, Perversions et Pervertis sexuels, 1896, (avec une préface de É. ZOLA et une très intéres-
sante auto-observation d'un inverti qui avait confié son histoire à l'écrivain) ; KRAFFT-EBING,
Psychopathologia sexualis ; HAVELOCK ELLIS, Études de Psychologie sexuelle, L'Inversion
sexuelle ; A. MoLL, Les perversions de l'instinct génital. Étude sur l'inversion sexuelle, trad.
franç., 1893 ; Dos Sexualleben beim Kinde, 1909 ; FREUD, Eine Kindheitserinne-rung an
Leonardo Vinci, Leipzig et Vienne, 1910 ; S. FERENCZI, Zur Nosologie der männlichen
Homosexualität, Inter. Zeitsch. f. Psychoanalyse ; M. HIRSCHFELD, in Handbuch der
Sexualwissenschaft de J. BLOCH, Berlin, 1914 ; A. ADLER, Der Problem der Homosexualität,
Leipzig, 1930; GOLDSCHMIDT, Mechanismus und Psychologie der Geschlechtbestimmung, Berlin,
1920 ; FREUD, Ueber die Psychogenese eines Falles von weiblicher Homosexualität, Inter,
Zeitsch, f. Psychoanalyse ; A. KRONFELD, Ueber psychosexuellen Infantilismus, Leipzig, 1921 ;
W. STECKEL, Onanie und Homosexualität, Vienne et Berlin, 1921 ; TOEPEL, Zur Psychologie der
lesbischen Liebe, Zeitsch. f. d. g. Neuro, 1921, t. 72, p. 237 ; M. ALLAIX, De l'inversion sexuelle
à la formation et à la détermination des sexes, 1930 ; Oswald SCHWARZ, Ueber Homosexualität,
Leipzig, 1931 ; H. SCHULTZ, Ueber Homosexualität, Zeitsch. f. d. g. Neuro, 1942, t. 140, p, 305 ;
HESNARD, Traité de Sexologie, 1933, pp. 630-667 ; Oswald SCHWARZ, Sexualpathologie, Vienne
et Berne, 1935 ; M. Boss, Sinn und Gehalt der sexuallen Perver-sionen, Berne, 1947, pp. 99-122 ;
R. KLIMMER, Ist der Homosexualitat psychogenetisch oder anlagenbedengt ? Nervenarzt, mars
1949. Les travaux des psychanalystes les plus importants sont ceux de FREUD, FENICHEL (1931),
FERENCZI et SADGER (1921). La littérature générale est très riche, comme chacun le sait, de
romans, essais, pièces de théâtre, etc., sur le thème de l'homosexualité. Pour l'homosexualité
féminine on pourra se rapporter (sur le conseil de HESNARD) à DIDEROT (La Religieuse), BALZAC
(La fille aux yeux d'or), T. GAUTIER (Mademoiselle de Maupin), ZOLA (Nana), LAMARTINE
(Régina), P. MARGUERITE (La garçonne}, CATULLE MENDES (Les protectrices), etc. Sur l'homo-
sexualité masculine les écrits des littérateurs et des philosophes est bien plus vaste ; des noms
viennent naturellement à l'esprit : PLATON, LÉONARD DE VINCI, WINCKELMANN et de nos jours :
Oscar WILDE, VERLAINE, RIMBAUD, PROUST, GIDE, COCTEAU, J. GENET, etc. Des homosexuels
notoires ont écrit des études sur leur perversion. Le plus connu est Karl Heinrich ULRICH, substi-
tut dans le Hanovre qui écrivit de 1864 à 1869 une série de brochures. La revue Jahrbuch für
sexual Zwischenstiefen a un intérêt du même ordre.
283
ÉTUDE N° 13
sexualité 1. C'est elle, dans son existence et pour autant qu'elle oriente la manière d'être
au monde, qui se trouve négativée, jusqu'à son inversion, dans la formule érotique
homosexuelle. S'il est exact, comme nous le savons mieux depuis FREUD, que la sexua-
lité, loin de s'élancer selon une trajectoire simple, tendue vers son « objet » unique, ne
s'établit qu'après une longue phase d'hésitation, de tâtonnements, au travers les conjec-
tures d'une histoire où s'inscrivent les formes successives de la libido, la structure fami-
liale, les forces contre-pulsionnelles du sur-moi, le jeu des fantasmes d'identification et
de projection, etc., nous pouvons alors mieux saisir combien peut se trouver compro-
…C'est en effet seulement mise l'image érogène d'un « être » de « l'autre sexe ». C'est en effet seulement au terme
au terme et non à l'origi- et non à l'origine de l'évolution de la libido que la forme sexuelle se fixe sous la pous-
ne de l'évolution de la
sée hormonale de la puberté sur son « objet » radicalement différent du sujet et, dès lors,
libido que la forme
sexuelle se fixe… violemment et passionnément désiré pour son « altérité ». Nous étudierons plus loin les
déraillements, les conflits d'identification, les fixations qui mettent ainsi en péril une
polarisation si nette quand elle s'achève et réussit qu'il semblerait impossible ou absur-
de à priori d'en supposer la fragilité, si les multiples modalités (historiques, culturelles
ou érotiques) de l'homosexualité n'en révélaient la précarité. Bien plus, la « sexualité »
qui suppose le désir d'union réciproque des deux sexes « opposés », peut se trouver
naturellement mal définie, car le sexe lui-même en tant que système anatomo-physio-
logique (organe soumis à une régulation neurohormonale) est moins solidement fixé
dans sa morphologie et ses activités fonctionnelles qu'il ne le paraît. Si bien que nous
devrons, pour dresser un inventaire aussi complet que possible de l'homosexualité, aller
jusqu'aux formes ambiguës de l'hermaphrodisme.
A. FORMES CLINIQUES DE L'HOMOSEXUALITÉ. Les comportements qui manifestent
l'attirance érotique pour les individus de même sexe sont très variés et s'étagent en une
gamme de conduites qui vont depuis les attitudes et les goûts « à composante homo-
sexuelle » jusqu'aux aberrations tératologiques de la différenciation sexuelle. Nous
allons décrire successivement le comportement homosexuel inconscient, les formes
mixtes d'homosexualité et d'hétérosexualité, l'homosexualité ambiguë, l'inversion
…De toutes ces formes sexuelle et enfin, l'hermaphrodisme. De toutes ces formes les plus typiques sont l'ho-
les plus typiques sont mosexualité ambiguë et l'inversion sexuelle. Un mot de précision est ici nécessaire au
l'homosexualité ambiguë
sujet de ces deux modalités de conduites homosexuelles. Si nous distinguons ces deux
et l'inversion sexuelle…
groupes de faits et proposons le terme « d'homosexualité ambiguë » c'est pour bien
marquer deux aspects de l'érotique homosexuelle qui ne sont généralement pas aper-
çus dans leurs différences profondes. L'inversion sexuelle est caractérisée, pour une
femme, par sa conduite et ses aspirations viriles et la recherche d'un « objet » pure-
ment féminin ; pour un homme, par sa conduite et ses aspirations féminines et la
284
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
285
ÉTUDE N° 13
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PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
287
ÉTUDE N° 13
sion du phallus est naturellement d'autant plus aisé que son substitut organique (clito-
ris) est rudimentaire. Mais la structure même de l'érotique homosexuelle de ce type
constitue à cet égard une exigence bien plus profonde. Ce sont deux féminités qui se
pénètrent, se caressent et jouissent l'une de l'autre dans cette forme unisexuée de
saphisme. Sur le plan passionnel les sentiments d'idenfication totale de la sensibilité
enveloppent d'un narcissisme fondamental cette fusion de deux êtres qui se vivent et
…Chez les hommes il en s'éprouvent comme rigoureusement identiques. Chez les hommes il en est de même,
est de même, c'est le culte c'est le culte du phallus qui les unit à l'exclusion de toute féminité dans leurs rapports
du phallus qui les unit à réciproques. C'est ainsi que la sodomie pour autant qu'elle utilise le substitut organique
l'exclusion de toute fémi-
du vagin (rectum) est assez généralement écartée, comme « répugnante », de leur
nité dans leurs rapports
réciproques…la sodomie union charnelle. Celle-ci consiste en un accouplement « sui generis » où les fantasmes
[…] est assez générale- complémentaires de la bissexualité font défaut au profit des fantasmes érotiques de la
ment écartée, comme fusion de deux corps semblables qui se prennent par leurs parties communes. Dans
« répugnante », de leur
l'ordre sentimental ces homosexuels s'éprennent d'une sorte d'adoration narcissique,
union charnelle…
celle de ces « amitiés particulières 1 » établies sur l'identité même du sexe et des modes
profonds de sensibilité.
Les « couples » ainsi formés ne sont faits ni d'un homme et d'une femme ayant tous
les attributs des sexes opposés, comme dans l'amour normal, ni d'un homme-femme
appartenant paradoxalement au même sexe, comme dans l'inversion vraie, mais d'indi-
vidus de sexualité ambiguë (efféminés, androgynes, ou viriloïdes). Ces « couples » ne
sont pas des couples car le couple suppose précisément une certaine hétérogénéité com-
plémentaire et, ici, ce sont les formes indécises de la puberté, de l'adolescence et de l'en-
fance qui deviennent le canon de l'esthétique et de la liaison amoureuse laquelle reste
systématiquement en deçà de la différenciation sexuelle. La dynamique de la libido qui
les unit exprime cette indifférenciation soit dans le vécu de leurs sensations érotiques
qui restent ambiguës même dans leur identification faible à leur propre sexe ou dans
leur identification forte au sexe opposé, comme dans le choix objectal de la représenta-
tion du partenaire qui figure elle aussi une image spéculaire de cette ambivalence.
L'homosexualité à forme d'inversion sexuelle. Le paradoxe érotique s'accuse ici
jusqu'à inverser le sens de la libido et à renverser le rapport qui l'unit à la structure
somatique de l'individu. Comme on l'a répété mille fois, ce sont « des femmes dans
des corps d'hommes » et des hommes dans des corps de femmes (anima mulieris in
corpore virile et vice versa). Malgré et contre la nature corporelle s'édifie un système
libidinal qui en trahit le plan structural. Les choses ne sont pas cependant si simples
qu'on le pourrait supposer. En effet, une homosexuelle, pour si invertie qu'elle soit, non
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PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
seulement ne peut pas 1, mais ne tient pas à s'accoupler avec une « femme », mais avec
une « femme-ayant-des-goûts-spéciaux ». C'est en cela qu'entre le groupe précédent et
celui-ci, le sens profond de l'homosexualité jette un pont. Mais il n'en reste pas moins
que dans cette catégorie d'homosexualité un pas de plus est fait dans l'aberration de la
sexualité. L'homosexualité devient un simulacre d'hétérosexualité. Le jeu des fan- …L'homosexualité
devient [dans l'inversion]
tasmes qui investissent le vécu sexuel, ou l'image des partenaires, d'une signification,
un simulacre d'hétéro-
d'un signe, qui en spécifient le caractère masculin ou féminin, n'abolit plus la structu- sexualité…
re bipolaire du couple mais l'exige. Chaque homosexuel de ce type s'identifie à l'inté-
rieur de son propre sexe ou dans le fantasme du sexe opposé à un partenaire d'un
couple hétérosexué mais contre nature. L'homme veut être soit homme à l'égard d'un …L'homme veut être soit
homme qui lui servira de femme, soit femme à l'égard d'un homme à qui il servira de homme à l'égard d'un
homme qui lui servira de
femme et non point comme dans les couples normalement bissexués homme à l'égard
femme, soit femme à
d'une femme qui aime les hommes ou femme à l'égard d'un homme qui aime les l'égard d'un homme à qui
femmes. Le dogmatisme de l'inversion homosexuelle est, ici, total et absolu. D'où la il servira de femme…
nécessité pour décrire cette forme d'inversion de la considérer, quel que soit le sexe
morphologique des individus qui le composent, dans l'hétérogénéité d'un couple ; chez
les hommes (comme chez les femmes) un des deux partenaires sera « viril » domina-
teur et pénétrant et l'autre sera passive subjuguée et pénétrée, la symétrie étant pro-
fondément identique pour cette modalité de relations sexuelles, dans le couple d'in-
vertis ou d'inverties. L'identification au couple hétérosexuel est ici poussée si loin que
tout ce qui peut se dire des amours normales dans l'alcôve, le boudoir, le salon ou la
rue peut être dit du « commerce » homosexuel et c'est précisément ce qu'exige que soit
dit aussi de lui, le couple d'invertis.
C'est ici que doit être mentionné une forme spéciale de cette inversion qui l'appa- …le travestissement…
rente au fétichisme, c'est le travestissement ou éonisme. Dans la plupart des cas 2, l'in-
version sexuelle se situe alors uniquement sur les apparences sociales de costume.
C'est une inversion de « surface » comme vidée de sa substance organique. C'est le
masque seul, le vêtement sexuel qui est changé et échangé, mais sous une forme qui
pour être seulement d'apparence n'en est pas moins totale.
L'hermaphrodisme. Très loin – et, dans certains cas, très près – de l'inversion … L ' h e r m a p h ro d i s m e ,
perversion de la nature…
sexuelle se situent ces formes d'ambiguïté sexuelle qui sont des « perversions » de la
nature plus que des individus.
« Nec duo sunt, sed forma duplex nec femina
« Nec puer ut possit neutrumque et utrumque videtur.
Ces deux vers d'OVIDE (Métamorphoses, 1. IV) suffisent à souligner l'ambiguïté de
1. Puisque toute « partenaire » cesse, pour elle, d'être une femme à féminité totale, c'est-à-dire
entièrement acceptée.
2. A. MASSON, Le travestissement, Paris, 1935.
289
ÉTUDE N° 13
nature de tels êtres et l'embarras devant lequel ils mettent l'état civil et les sexologues.
La définition de cette monstruosité qu'en a donnée Geoffroy SAINT-HILAIRE est restée
classique ; c'est « la réunions chez le même individu, des deux sexes ou de quelques-
…Hermaphrodisme… uns de leurs caractères ». Depuis le fameux traité de J. DUVAL 1, des cas célèbres ont
été publiés, celui de MARIN LE MARCES, de la demoiselle d'ANJOU, de l'éthiopienne de
R. COLOMB, de Joseph ou Joséphine MARZO, de Marie-Madeleine LEFORT, les cas
D'ÉVERAND, SCHNEIDER, VIRCHON, TARDIEU 2. Une riche littérature de langue alleman-
de a étudié spécialement l'aspect culturel et esthétique de l'hermaphrodisme 3. Nous
aurons l'occasion de revenir sur le problème biologique de ces formes d'intersexualité.
Voici, d'après HUGUET 4, comment se présente actuellement le problème de la mor-
phologie de ces êtres « bissexués ». Il existe un hermaphrodisme glandulaire dû à la
présence de gonades mâles et femelles et qui peut se manifester par une morphologie
variable et parfois latéralisée (mâle d'un côté, femelle de l'autre), un hermaphrodisme
tubulaire (ou pseudo-hermaphrodisme) qui manifeste une diminution entre le sexe et
la glande et celui des canaux. Ce pseudo-hermaphrodisme est parfois interne, mais le
plus souvent (90 % des cas) il est externe ; il est généralement masculin (71 à 90 % de
cas de garçons à morphologie féminine).
Pour la plupart des cas il s'agit de malformations des voies génito-urinaires, de la
partie externe du tractus génital, c'est-à-dire de pseudo-hermaphrodisme. Les cas
d'hermaphrodisme glandulaire posent des problèmes bien plus délicats. Notons sim-
plement ici que lorsqu'il s'agit de dysgénésies génitales externes la vie sexuelle est très
fortement et normalement polarisée dans le sens d'une sexualité bien orientée. Seuls
les quiproquos sociaux auxquels ces malformations peuvent donner lieu sont respon-
sables de certaines difficultés sexuelles ou de certaines « anomalies » qui sont plutôt à
base d'erreurs que d'aberrations.
Tels sont les divers aspects cliniques des aberrations du choix objectal qui se fixent
sur un partenaire inadéquat à la forme anatomo-physiologique du sexe. Seulement vir-
tuelle ou parfois occassionnelle elle plonge ses racines dans l'organisation défectueu-
se de la libido et parfois même dans les anomalies des fonctions et même des organes
de l'appareil génital. D'où la perplexité, les hésitations et les discussions qui n'ont pas
manqué de s'établir sur la pathogénie de l'homosexualité.
B. PATHOGÉNIE DE L'HOMOSEXUALITÉ. Il en est de cette « perversion » comme de
toute forme de « perversité », elle peut s'expliquer soit en admettant qu'elle est une
290
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
sexualité infantile l'inclinait vers le partenaire du même sexe tant en ce qui concerne
la recherche du but sexuel (Sexualziel) que pour le choix objectal (Sexual-objekt). Le
monde sexuel de l'enfant est en effet gouverné d'une part par le principe du plaisir, le
désir du plaisir qui s'identifie avec la manipulation des zones érogènes et d'autre part
1. OBICI et MARCHESINI, Le amicizzie di collegio, Rome 1898 ; PEYREFITTE, Les amitiés particu-
lières ; le film Mädchen in Uniformt etc. Cf. aussi le livre de A. MOLL, Dos Sexual-leben beim
Kindert 1909 et FREUD, Drei Abhandlungen sur Sexualtheorie, 1914.
291
ÉTUDE N° 13
par le narcissisme qui réfléchit sur l'image de son propre sexe l'énergie libidinale. La
…La masturbation masturbation d'abord et la masturbation réciproque ensuite sont les formes les plus pri-
d'abord et la masturba- mitives de l'érotique infantile. Le jeu « entre camarades » qui exclut le plus générale-
tion réciproque ensuite
ment l'autre sexe, constitue souvent la forme première et homosexuelle de la liaison
sont les formes les plus
primitives de l'érotique amoureuse. Certes, les virtualités du développement ultérieur et l'indifférenciation, le
infantile… « polymorphisme » même de la vie sexuelle à cet âge confèrent à cette homosexuali-
té infantile une structure propre et assez différente du monolithisme de l'aberration
homosexuelle de l'adulte, mais ce fait demeure central à l'égard du problème général
des tendances homosexuelles.
Il en est de même pour une autre forme d'homosexualité : celle que l'on observe
dans les espèces animales 1. Il semble bien à cet égard que les formes de l'instinct sont
d'autant plus fixes et d'autant moins soumises à la variation, que l'on descend dans la
…« L'homosexualité exis- série des espèces. Voici ce qu'HESNARD écrit à ce sujet : « L'homosexualité existe dans
te dans beaucoup d'es- beaucoup d'espèces animales non seulement chez les animaux inférieurs, comme les
pèces animales… fourmis (HUBER) dont les mâles violent les ouvrières aux organes génitaux atrophiés
(HESNARD)
et par suite d'apparence plutôt mâle, chez les abeilles et les animaux vivant en socié-
tés ouvrières – conséquence pour SCHULTE-VAERTING du développement d'un instinct
homosexuel facultatif – mais chez les animaux supérieurs : chats, chiens, singes, etc. »
Et à propos des singes le même auteur raconte qu'il a pu observer un chimpanzé
« robuste et très intelligent » qui plutôt hostile aux femelles « débauchait » tous les
singes mâles surtout jeunes qu'on mettait dans sa cage et pratiquait la masturbation
simultanée du partenaire et de lui-même. Cette observation qui a pu paraître à son
auteur singulière est celle-là même que ZUCKERMANN 2 a pu vérifier sur une plus gran-
de échelle chez ses « babouins ».
…Observations de On sait que ces singes se groupent de la façon suivante : autour « d'un mâle » (le
ZUCKERMANN chez les maître) vit un « harem » composé d'un certain nombre de « femelles » qu'il domine et
babouins… de « célibataires » (mâles jeunes ou adultes sans femelles). Les rapports de « domi-
nance » à l'intérieur de ce groupe sont variables et expriment à la fois l'agressivité et
la sexualité. Les réactions sexuelles chez « ces primates subhumains » ne sont pas tou-
jours conditionnées par l'excitant physiologique spécifique. « Nombre de situations
qui ne paraissent pas se rapporter directement à la sexualité déterminent des réactions
sexuelles. Par exemple un singe se mettrait en position sexuelle lorsque l'on le mal-
traite » (p. 93). Il n'existe pas de promiscuité sexuelle à l'intérieur du groupe, les rap-
ports sexuels étant réglés sévèrement (les femelles sont généralement fidèles au
« maître » et les célibataires sont exclus des rapports sexuels). Mais il se produit par-
fois d'étranges violations à cette « morale » sexuelle. Ainsi une femelle infidèle sur-
prise par son mâle, pendant la fureur de celui-ci et elle-même étant très excitée, se fit
292
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
inviter par deux mâles devant qui elle s'était mise en position. Mais « il est fréquent
que les membres d'un groupe de femelles pratiquent l'homosexualité... »
Des soins mutuels, l'examen des parties génitales et l'activité de coït peuvent être
pratiqués par le maître et le célibataire attaché à sa suite ou par l'un ou l'autre de ceux-
ci et un mâle quelconque de la colonie, sans considération d'âge, avec qui des relations
amicales s'établissent provisoirement. De telles relations commencent, d'ordinaire, par
des mouvements rapides des lèvres, des mâchoires et de la langue (que l'on décrit ordi-
nairement comme un claquement des lèvres), tels qu'il s'en produit au cours de l'acti-
vité de nettoyage. Ces mouvements des lèvres et de la langue font partie essentielle de
toutes les relations amicales et sexuelles, à la fois comme préliminaires et concomi-
tants. Par exemple, deux animaux étant assis l'un auprès de l'autre, ils tourneront la
tête, les yeux se rencontreront, et ils commenceront immédiatement à claquer des
lèvres. Par surcroît, l'un de ses animaux peut se lever, et se mettre en position devant
l'autre. Alors viennent des claquements de lèvres plus marqués, parfois une série ryth-
mique de grognements sourds et bas, et alors, ou bien les animaux se nettoient l'un
l'autre, ou se chevaucheront, ou bien ils feront l'un et l'autre. Les femelles d'un harem
se livrent également à l'homosexualité ; une femelle jouant le rôle du mâle et montant
l'autre. Puisque les femelles des différents harems n'entrent pas en contact les unes
…S. ZUCKERMANN, La vie
avec les autres, le comportement homosexuel féminin n'apparaît que dès que les
sexuelle et sociale des
harems comportent plus d'une femelle. Les femelles jouent également le rôle du mâle
Singes, trad. J. ROSTAND,
pour monter de jeunes mâles, et il arrive rarement d'ailleurs, que des femelles adultes
1937, Paris…
montent les célibataires attachés à leurs harems (pp. 117-178).
... Le comportement sexuel prépubère des chimpanzés ne se circonscrit pas à des
relations hétéro-sexuelles. Ils ont également des activités homosexuelles. DWINA était
la plus grande et la plus puissante des anthropoïdes de BINGHAM et, au début, ces rela-
tions physiques avec d'autres animaux, à part celles que le jeu pouvait déterminer acci-
dentellement, se limitaient presque entièrement à des étreintes où elle les tenait de
façon protectrice. Plus tard, son attitude devint plus manifestement masculine. Une
fois, elle prit les parties génitales externes de WENDY dans ses lèvres – quoique,
contrairement aux autres, elle fût personnellement indifférente aux attouchements
exercés sur ses parties génitales. Comme si elle avait été un mâle elle couvrit fré-
quemment WENDY, et à l'occasion rechercha également le contact génital ventro-ven-
tral avec elle. BINGHAM rapporte une observation qu'il avait faite précédemment de
chimpanzés femelles plus âgées se comportant homosexuellement, et attire l'attention
sur ce fait que, là encore, c'était la femelle la plus grande qui jouait le rôle de mâle dans
la copulation. Il décrit également une réaction homosexuelle particulière où les
femelles parvenaient au contact génital mutuel en se tenant à quatre pattes, la face dans
des directions opposées. Un comportement de même ordre chez les singes à toque
adultes femelles a été observé dans le jardin zoologique de Londres. BINGHAM a obser-
vé moins d'activité homosexuelle dans son groupe entre les deux mâles, BILLY et PAN,
qu'entre les femelles, WENDY et DWINA (pp. 209-210).
... Chez le mâle, de telles activités prennent une forme caractéristique. L'un joue le
rôle de la femelle et est monté par l'autre. Chez les femelles, on peut distinguer deux
types distincts de contacts dit homosexuels. Le premier correspond à l'activité homo-
sexuelle masculine, une femelle jouant le rôle du mâle et montant un compagnon
femelle. La deuxième forme a été décrite dans un paragraphe précédent : deux
femelles y recherchent le contact génital mutuel en se tenant à quatre pattes, face à des
directions opposées. La signification de cette dernière réaction ne saurait être discutée,
puisque l'on ne sait rien de son développement et puisque, pour autant que l'on puisse
293
ÉTUDE N° 13
le savoir, il n'a jamais été signalé que deux fois. Il est peut-être significatif que ces
deux observations aient été faites sur des primates subhumains femelles qui étaient
encagées sans mâle, et que cette réaction n'ait jamais été observée chez des babouins
femelles vivant en colonie. Quelle que soit sa signification, c'est une réaction qui, si
on la compare avec la première forme de contact homosexuel des femelles, n'apparaît
que rarement (p. 217).
... Même si l'on parvient à montrer que les jeunes primates subhumains ont de plus
fortes tendances hétéro-sexuelles qu'homosexuelles, les faits n'en suggèrent pas moins
que, si l'on néglige la fonction de reproduction, il n'y a pas de différence appréciable
entre les manifestations de ces tendances différentes. On peut imaginer qu'à partir du
moment où les mouvements d'un singe ou d'un anthropoïde sont bien coordonnés, il
vit dans un milieu social qui détermine les réactions sexuelles. Dans une situation
déterminée, il joue le rôle sexuel dominant, celui du mâle, tandis qu'un compagnon
prend le rôle inverse, celui de la femelle et de la soumission. Un tel comportement peut
être soit homosexuel soit hétérosexuel. Le comportement copulatoire dépend donc
essentiellement de la domination qu'exerce l'animal, et à ce point de l'analyse, il
semble que ce soit par accident si telle ou telle réaction se manifeste de façon homo-
sexuelle ou hétérosexuelle (p. 219).
Naturellement dans tous ces comportements instinctifs le coït homosexuel paraît à
la fois fréquent, facultatif, fortuit et déterminé par des situations affectives ou sociales
contingentes, c'est-à-dire ne réalise pas un type d'homosexualité systématique. Mais
comme nous le disions plus haut pour l'enfant, ces faits montrent que le comportement
…ces faits montrent que hétérosexuel dominant chez l'adulte, est précaire et facilement dominé aussi bien chez
le comportement hétéro- l'homme avant la puberté que chez le singe hors du « rut ». Il y a lieu de remarquer en
sexuel dominant chez
effet, avec ZUCKERMANN, que la forte poussée hormonale de l'œstrus chez la guenon
l'adulte, est précaire…
(comme la forte poussée hormonale de la puberté) maintient solidement chez elle (et
« par ricochet » chez le mâle) les tendances sexuelles dans leur direction spécifique-
ment hétérosexuelle.
Les mœurs homosexuelles sociogénétiques. Nous venons de voir à quelles pro-
fondes racines l'homosexualité plonge dans la couche primitive de la sexualité et de
l'amoralité. Nous avons déjà vu et verrons encore plus loin qu'elle peut à certains
égards se confondre avec un « vice » de la nature, une « malformation ». Et cependant
…l'homosexualité a pu
elle a pu entrer dans les mœurs de peuples civilisés et apparaître même à certains
entrer dans les mœurs de
peuples civilisés et appa- égards et à certains moments de l'histoire comme une forme « supérieure » des liens
raître même à certains qu'ÉROS noue entre les hommes. Il est assez curieux de remarquer que c'est l'homo-
égards et à certains sexualité masculine qui, si nous en exceptons les fameux concours de LESBOS et de
moments de l'histoire
TÉNÉDES, s'est donnée comme une forme idéale de 1' « Amour ». Nous serons brefs sur
comme une forme « supé-
rieure » des liens qu'Éros cet aspect du problème tout entier dominé par l'image de SOCRATE caressant, avant de
noue entre les hommes… mourir, et loin de XANTIPPE, la chevelure de PHÉDON 1..., celles de GANYMÈDE OU du
1. L'historique de l'homosexualité à travers les âges, les civilisations et chez les personnages
illustres est très bien fait dans les livres de J. CHEVALIER (1893, pp. 57 à 159) et A. Mou. (trad.
franç., 1893, pp. n à 76). Depuis lors rien de nouveau n'a été ajouté.
294
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Cf. DUGAS, L'amitié antique d'après les mœurs populaires et les écrits des philosophes. Paris
1894.
2. La vie de Michel-Ange, par Romain ROLLAND et Henry THODE, Michel-Angelo und das Ende
der Renaissance.
3. Cf. l'étude de FREUD, Eine Kindkeitserimienmg des Leonardo de Vinci, 1910.
4. Cf. JUSTI et MOLL, La vie de Winckelmann. Dans son livre Les perversions de l'instinct génital
(trad. franc., 1895) A. MOLL avait consacré plusieurs pages au cas de J. J, WINCKELMANN le grand
critique et esthète allemand (1717-1768).
5. La Recherche du Temps perdu nous découvre presque à chaque page la doublure homosexuel-
le des relations sociales et cette confrérie si magistralement décrite dans les premières pages de
Sodome et Gomorrhe (édition originale, 1921, p. 269). Le livre de A. MAUROIS, A la recherche
de Marcel Proust (1949) permet de saisir « le côté » de l'auteur auquel nous renvoie « le côté »
des personnages de cette prestigieuse vision spéculaire du monde.
6. Les « mœurs impures » de ces sectateurs ou hérétiques paraissent d'ailleurs peu plausibles (cf.
par exemple un livre ancien Le livre des Mystères, de HENNÉ AM. RHYN (1869) et un ouvrage
récent : La croisade contre les Albigeois, de BELPERRON (1944, p. 75).
7. Cf. HAVELOCX ELLIS, t. II, pp. 45-66.
8. GARMA, Essai de Psychanalyse d'A. Rimbaud, Revue fr. de Psychanalyse, 1938, 10, p. 383.
295
ÉTUDE N° 13
soit l'étendue vertigineuse de ce problème, il nous suffit ici d'en avoir marqué la valeur
anthropologique cruciale.
Les fantasmes inconscients de l'homosexualité. Le jeu des fantasmes qui investis-
sent l'image de soi et du partenaire d'une valeur homosexuelle est une des découvertes
les plus importantes de la psychanalyse. Nous ne pouvons plus penser de nos jours le
…[avec la psychanalyse, problème de l'homosexualité sans y projeter les imagos inconscientes, les « com-
l'homosexualité] ne nous plexes » fondamentaux du développement libidinal. Elle ne nous paraît plus comme
paraît plus comme une une « donnée » simple mais comme un composé où se réfractent, pour le constituer,
« donnée » simple mais
les divers stades de l'identification et de l'objectivation sexuelle. R. KLIMMER l a
comme un composé où se
réfractent, pour le consti- récemment exposé l'ensemble des « mécanismes » inconscients de l'homosexualité
tuer, les divers stades de d'après les conceptions de FREUD, de FENICHEL, de SCHULTZ-HENKE, etc. Chez l'hom-
l'identification et de l'ob- me il énumère : la fixation à la mère, l'angoisse de la castration secondaire à l'œdipe
jectivation sexuelle…
ou le jeu de l'inceste quand le garçon est fixé à sa mère. Quand il s'agit d'une mère
« méchante » il y a destruction précoce de la valeur amoureuse de la femme et identi-
fication au sexe dont dépend la plus grande frustration (mère sans pénis), d'où le désir
d'être aimé par le père. Quand le père est un « père terrible » la libido reste refoulée au
stade sadique-anal. Quand le père est, au contraire, « bon » il y a investissement éro-
tique de sa personne. Chez les femmes, KLIMMER expose beaucoup plus sommaire-
ment qu'il peut s'agir soit d'une frustration d'amour de la part du père, qui porte la peti-
te fille à refuser ou à craindre l'amour bissexuel, soit d'une identification au père, soit
d'un désir d'aimer comme le père aime la mère, etc.
Toutes les observations publiées par les psychanalystes, tous les ouvrages et revues
de psychanalyse sont remplis d'innombrables analyses de « mécanismes » de ce genre.
Elles ne manquent pas de paraître souvent artificielles, confuses et parfois contradic-
toires tant la dialectique et la casuistique de ces sentiments et de ces attitudes vitales
se prête peu à des formulations algébriques et géométriques. Cependant il suffit d'avoir
conduit quelques analyses pour se rendre compte que, pour si amphigouriques qu'elles
soient, les analyses des fantasmes inconscients saisissent une réalité. Cette réalité il
nous faut tenter de la décrire, au travers de la complexité des liens qui se nouent et se
rompent entre les imagos fondamentales de la situation triangulaire que composent
entre elles l'image sexuelle de soi et les images des parents.
Le problème 2 qui se pose au petit garçon dans son programme vital de maturation
sexuelle est de s'identifier au père et à sa fonction virile aussi détachée que possible de
l'image incestueuse et tabou de la mère. Il doit pouvoir aimer une femme comme son
296
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
père aime sa mère sans aucune gêne ou entrave provenant soit d'une trop grande oppo-
sition à l'identification au père, soit d'une trop grande affinité pour l'identification à la
mère. Ce problème se résout quand est tranché le nœud gordien du fantasme de cas- …Ce sont les accidents de
tration, c'est-à-dire l'angoisse liée à l'œdipe. Si nous ajoutons enfin que l'enfant doit ce mouvement de projec-
rompre une autre adhérence plus profonde encore, celle qui l'unit à lui-même et qui tion objectale, c'est-à-
risque de l'empêcher de projeter sa libido dans un objet autrement sexué, nous aurons dire les fixations à un cer-
tain nombre d'accro-
une vue à peu près claire des difficultés de son choix objectal. Ce sont les accidents de chages possibles, qui
ce mouvement de projection objectale, c'est-à-dire les fixations à un certain nombre constituent les fantasmes
d'accrochages possibles, qui constituent les fantasmes de l'homosexualité. de l'homosexualité…
Voici comment peuvent se schématiser les diverses figures complexuelles qui altè-
rent chez le garçon la fixation libidinale sur un individu d'un autre sexe. Tout d'abord les …chez le garçon…
fantasmes narcissiques et auto-érotiques peuvent fixer la libido sur son propre corps et
ultérieurement, adolescent et adulte, il ne pourra désirer chez le partenaire que lui-même.
C'est dire que son choix objectal sera à tendance homosexuelle. – Vis-à-vis de l'image
maternelle, deux situations œdipiennes fondamentales doivent être considérées. D'abord
l'identification à la mère, pouvant aller jusqu'à l'incorporation totale de l'objet aimé, jus-
qu'à l'introjection et l'assimilation sexuelle (les fantasmes de la « mère phallique » en
sont une expression). Ensuite celle de la sexualité perçue à travers les images de la riva-
lité du « père terrible et castrateur », punissant la culpabilité incestueuse, à l'égard de la
mère. Dans le premier cas, ou bien l'objet se laisse investir et devient l'image de la mère
captative, ou bien il se dérobe et détermine un sentiment profond de frustration qui ne se
compense que par l'assimilation nostalgique au sexe maternel. Dans le deuxième cas
l'image du sexe maternel est soit frappée de tabou (impuissance), soit « autorisée » seu-
lement sous forme d'un choix objectal symbolique et paradoxal (partenaire à type
« maternel » ). – A l'égard de l'image du père, si l'image maternelle est dominée (mère
méchante, père tendre) par l'image du père, il s'établit soit une identification érotique au
père, mais une identification incomplète dont le choix objectal sera encore le sexe mas-
culin (c'est-à-dire qu'au lieu de s'identifier à la virilité paternelle dirigée vers la mère,
l'enfant s'identifie à la virilité du père tournée vers lui), soit une terreur du père telle que
la peur d'être puni dans les rapports hétérosexuels refoule la sexualité vers le plan de l'ho-
mosexualité narcissique et même de l'érotisme sadique-anal.
Le problème qui se pose à la petite fille est analogue sans être toutefois identique …chez la fille…
tant en raison du rôle de la mère auprès du nourrisson des deux sexes que de la valeur
inégale de la morphologie sexuelle dans les fantasmes enfantins. Le but poursuivi – et,
encore une fois, moins simple ou facile qu'on ne se l'imagine comme en témoignent
les cas si nombreux de « frigidité » de la femme – est l'identification à la fonction fémi-
nine et maternelle de la mère. Une des plus grandes difficultés rencontrées est ici l'ac-
ceptation de la féminité, c'est-à-dire de l'absence de pénis, difficulté liée naturellement
297
ÉTUDE N° 13
à la fixation œdipienne sur l'image du père et à son assimilation. Les fantasmes nar-
cissiques et auto-érotiques sont, chez la petite fille, neutralisés par les fantasmes de la
perte du pénis par la castration, de telle sorte que la forme la plus répandue d'auto-éro-
tisme est centrée sur le clitoris en tant qu'il est un organe non pas « féminin » mais
…Chez le petit garçon « masculin ». Chez le petit garçon l'auto-érotisme est celui de la propriété phallique,
l'auto-érotisme est celui chez la petite fille il est encore « phallique », mais indirectement par les fantasmes de
de la propriété phallique,
« l'envie du pénis ». Dans les deux cas l'auto-érotisme rive la libido à l'homosexualité
chez la petite fille il est
encore « phallique », (celle du phallus qu'ont les petits garçons, celle du phallus perdu ou réduit des fan-
mais indirectement… tasmes de la petite fille). – l'image paternelle exerce en tant qu'image de l'autre sexe
une attirance privilégiée ; l'identification au père est cependant chez la petite fille
moins forte que l'identification à la mère chez le jeune garçon car l'investissement du
corps de la mère et spécialement de ses seins et de ses soins la contrebalance. Elle
prend plus profondément ses racines dans « l'envie du pénis » qui devient envie du
pénis paternel et oriente le système libidinal vers une tendance à une « protestation
virile » essentiellement homosexuelle. Les relations qui unissent la petite fille à son
père sont naturellement frappées d'interdiction et le complexe de castration s'introdui-
sant dans le circuit libidinal prohibe l'acte hétérosexuel dont le fantasme primitif
consacre le caractère criminel et punissable. – L'image maternelle, celle à laquelle la
petite fille doit s'identifier jusqu'à assumer son rôle de femme et de mère est troublée
par la fixation œdipienne sur l'image du père. Deux éventualités là encore peuvent
orienter vers l'homosexualité. Soit celle de la « mère castratrice » dont le sexe appa-
raît comme une menace et dont les relations sexuelles avec le père se présentent
comme un acte dangereux, fantasme qui refoule encore la libido de l'enfant vers l'iden-
tification à l'image protectrice du père, c'est-à-dire du sexe opposé ou à celle de la
« mère captative », bonne en soi et hors de toute relation dangereuse avec le sexe
opposé, fantasme qui identifie ici tellement la petite fille à sa mère que celle-ci devient
un objet érotique et homosexuel.
…Ainsi tous les accidents Ainsi tous les accidents de la dialectique instinctive qui unit l'enfant à l'image de
de la dialectique instincti- ses parents conduisent à l'homosexualité ou tout au moins à l'inhibition de l'hétéro-
ve qui unit l'enfant à
sexualité. Qu'est-ce à dire ? Ceci : que les forces d'aimantation ou « d'aimance » qui
l'image de ses parents
conduisent à l'homo- constituent la libido ont tendance dans leur circuit naturellement fermé à s'investir
sexualité ou tout au moins dans la période d'indifférenciation du choix objectal sur des objets inadéquats à l'exer-
à l'inhibition de l'hétéro- cice de fonctions sexuelles adultes. C'est naturellement dans les « imagos », c'est-à-
sexualité…
dire dans les fantasmes qui expriment ces relations que se jouent les drames les plus
profonds de l'humanité, ceux-là même que la tragédie antique a érigés en images ful-
gurantes et imprescriptibles. L'action qui est vécue au travers des personnages de la
situation triangulaire fondamentale est celle-là même qui se déroule inscrite sur le plan
des « perversions ». L'homosexualité, c'est-à-dire la déviation de la forme sexuelle sur
298
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
un objet « artificiel », est une des « scènes » les plus fréquentes de ce théâtre des …C'est parce que le
ombres, car elle invertit, en les investissant sur l'image de l'autre, toutes les forces par « sujet » et 1'« objet » de
la vie sexuelle d'un enfant
quoi l'enfant doit s'identifier à l'un de ses parents, et seulement à une moitié du couple
ne sont pas rigoureuse-
qu'ils représentent, à la moitié qu'il est et doit être. C'est parce que le « sujet » et ment déterminés […] que
1'« objet » de la vie sexuelle d'un enfant ne sont pas rigoureusement déterminés dans l'enfant peut se prendre
cette situation, parce que ce qu'il doit être n'est pas strictement équivalent à ce qu'il est, aux illusions du miroir
qui […] lui renvoie soit
que le développement même de son existence risque de se fixer malencontreusement
l'image de lui-même, soit,
aux personnages qui lui ont donné la vie, que l'enfant peut se prendre aux illusions du à la place de l'image de
miroir qui, sous de multiples faces, lui renvoie soit l'image de lui-même, soit, à la place l'être qu'il doit être, celle
de l'image de l'être qu'il doit être, celle de l'être qu'il doit aimer. de l'être qu'il doit aimer…
1. Cf. sur ce problème: R. GOLDSCHMIDT, Mechanicismus und Physiologie der Geschlechts~ bes-
timmung, Berlin, 1920 ; Knud SAND, Der Hermaphrodismus in Wirbeltieren, in Handbuch…/…
299
ÉTUDE N° 13
der normal und patho. Psychologie, 1926 ; G. MARANON, L'évolution de la sexualité et les états
intersexuels, Paris, 1931 ; M. ALLAIX, De l'inversion sexuelle à la formation et à la détermina-
tion des sexes, Paris, 1930 ; TUSQUES, Les caractères ambosexuels et l'ambosexualité des hor-
mones sexuelles, Paris, 1935. On trouvera dans l'Encyclopédie médico-chirurgicale un excellent
article de HUGUET sur les caractères ambosexuels et les états intersexuels. Les travaux expéri-
mentaux les plus connus sont ceux de STEINACH (1894), PEZARD (1918), ceux de Knud SAND, sur
les cobayes (1926), de CHAMPY et ses collaborateurs (1922-1930), de CANDROIT (1930), de E.
WOLF, etc. Le traité de Sexologie, de HESNARD, contient une bonne mise au point pour l'époque,
notamment dans les chapitres consacrés à la sexo-morphologie et à la sexo-endocrinologie. Il a
étudié spécialement l'aspect hormonal des problèmes dans son étude « Homosexualité et endo-
crines » (Évolution Psychiatrique, 1933) III, p. 33).
300
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Du point de vue chimique les substances endrogènes, la testostérone (C 10, H 28, O 2), l'an-
drostérone (C 19, H 30, O 2) et la déhydroandrostérone, qui ne diffère du cholestérol que par sa
fonction cétone en C 17, diffèrent assez peu de la folliculine (stérol à carbone condensé dont la
formule brute est C 18, H 22, O 2 et dont la formule développée indique une fonction phénol en
position 3 et une fonction cétone en position 17) et encore moins de la progestérone (C 21, H 30,
O 2) à fonction cétone fixée en C 17.
2. BROSTES, Adrenal Cortex and intersexuality, 1938 et BROSTER et CLIFFORD ALLEN, British
Médical Journal, 1945.
301
ÉTUDE N° 13
ment de la onzième à la quinzième semaine. BROSTER admet que cette phase androgé-
nique chez la femelle survient au moment de la différenciation des cellules du lobe anté-
rieur de l'hypophyse et que c'est l'influence pituitaire qui inhiberait le développement
androgénique amorcé chez elle. La femelle serait donc un « mâle supprimé 1 ».
…rôle du facteur chromo- Ceci nous conduit maintenant à envisager un autre aspect biologique de la ques-
somique… tion, le rôle du facteur chromosomique, de l'hérédité. En effet, en dernière analyse, les
travaux sur la physiologie hormonale de la différenciation des sexes nous ramènent à
des notions du genre « de sexe chromosomique » ou de « formes génétiques de la
sexualité », etc. En définitive tout paraît se passer comme si le développement endo-
gène de la spécialisation sexuelle utilisait des mécanismes neuro-hormonaux et notam-
ment pituito-surréno-gonadiques, mais dépendait d'une fonction génétique fondamen-
tale d'orientation. GOLDSCHMIDT 2, étudiant les croisements de « lysmatria dispar », a
pu réaliser, en une série ininterrompue, la production de toute la gamme des formes
hermaphrodites possibles. Il a été ainsi conduit à admettre que les facteurs M (mascu-
lin) et F (féminin) figurent chez tous les individus. Il admet que la formule « mâle »
est de type M. M. F. et la formule « femelle » M. M. FF. Certains individus sont consti-
tués selon une répartition génétique de ces facteurs telle que, lorsque F domine M, à
leur structure génétique correspond une homosexualité phénotypique. C'est précisé-
ment ce qu'a tenté de démontrer en une série de travaux statistiques Théo LANG 3. Il
est parti de l'hypothèse de « L'intersexualité » que GOLDSCHMIDT dans ces travaux de
1912 à 1929 avait, comme nous venons de le voir, établie sur une base expérimentale.
Selon cette hypothèse il y aurait plus de sujets masculins (phénotypiquement mascu-
lins) dans les fratries d'homosexuels hommes que dans la moyenne de la population.
Il a étudié d'abord les fratries de 500 « Probanden » homosexuels de Munich et il
a trouvé effectivement la proportion 115,25/100 par rapport à la moyenne au profit du
sexe masculin.
1. Que les hormones tiennent sous leur dépendance tout ou partie du mécanisme de différencia-
tion sexuelle, reste donc un problème irrésolu. Certains faits, non pas seulement des faits « expé-
rimentaux » (et peut-être à cet égard conjecturaux de par leur rareté même) mais des faits d'ob-
servation courante, montrent cependant l'importance du milieu hormonal: les poussées de la
puberté, de l'œstrus donnent incontestablement une hyperactivité sexuelle dans le sens de la dif-
férenciation. Inversement (MARANON) la castration et l'involution ont tendance à opérer une
« dédifférenciation ». Les résultats thérapeutiques par la castration des pervers sexuels sont à ce
sujet impressionnants, cf. les travaux de Knud SAND (Nord Med., 1940), de A. L. C. SALIES et S.
S. WINTE (Psych. Bl. Néerl., 1941), de Carl Heinz RODENBERG (Off. Gerdh, Dienst, 7 A 225,
1941) et de THUERLMANN (Archives suisses de Neuro., 1940) qui ont obtenu jusqu'à 80 pour cent
de succès par ce traitement des anomalies sexuelles.
2. GOLDSCHMIDT, Meckanismus und Physiologie des Geschlechtsbestimmung, Berlin, 1920.
3. Théo LANG, Beitrag zur Frage der genetischen Bedingtheit der Homosexualität, Zeitsch. f. d.
g. Neuro, 5 articles de 1937 à 1940, t. 155 à 170.
302
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
En ne tenant compte que des « vrais » homosexuels (ayant plus de 25 ans) la pro- …recherches de THÉO
portion atteignait 122,64./100 LANG…critiquées par
SCHULTZ…
Chez les homosexuels mariés elle n'était plus que de 107,9/100.
Le nombre d'hommes dans les fratries d'homosexuelles était seulement de
75,24./100
Chez les demi-frères de même père la proportion était de 146,3. /100.
Chez les demi-frères de même mère 93,1./100
Il a ensuite décompté 925 frères et sœurs de 364 homosexuels de Hambourg qui
ont donné la proportion de 130,1/100 et chez les « vrais » homosexuels 140,1/100.
Il existait plus de jumeaux que dans la moyenne de la population. Le fait que cer-
tains jumeaux bivitellins sont tous deux homosexuels 1 lui semble indiquer que le
développement hormonal de l'un d'eux a modifié l'orientation sexuelle à l'autre. Cette
nouvelle recherche a donc confirmé la première et il conclut en émettant cette hypo-
thèse que dans la détermination génétique du sexe les « vrais homosexuels » dérivent
de la combinaison de 2 x-chromosomes.
Malgré les critiques de SCHULTZ 2, on ne peut pas ne pas être impressionné à la lec-
ture des travaux de Théo LANG. Ils semblent indiquer que tout au moins pour un petit
nombre (10 à 20 %) de cas d'homosexualité il s'agit d'individus dont la structure géno-
typique est intersexuelle, celle « d'hommes-femmes », puisque là, où les prévisions
conformes aux statistiques portant sur la population moyenne on devrait trouver 106
hommes pour 100 femmes, on trouve 121 hommes pour 100 femmes 3.
Ce type de mélange hermaphrodite (androgynes, gynandrie, féminisme, virilisme,
etc.) de caractères ambisexuels a toujours été soigneusement recherché par les clini-
ciens, notamment par l'étude des caractères sexuels secondaires. On sait que ceux-ci
se répartissent dans les deux sexes selon le schéma spécifique suivant : chez l'homme
pilosité faciale et sternale, pilosité pubienne remontant sur la ligne blanche, prédomi-
nance du système locomoteur et du développement scapulaire sur le pelvien, larynx
1. Cf. les cas réunis par SANDERS (Homosexuelle Zwillinge. Genetica. 1934). MOREL et
MONTMOLLON {Archives suisses de Neuro., 1943, 51, p. 150) ont publié un cas de jumeaux uni-
vitellins concordants au point de vue de l'homosexualité.
2. SCHULTZ, Bemerkungen zu der Arbeit von Théo LANG über die genetischen Bedingtheit der
Homosexualität, Zeitsch.f. d. g. Neuro., 1937, 137, pp. 575-578.
3. Théo LANG, Etude of the genetic determinative of homosexuality, J. Nervous and Mental
Diseases, 1940, 92. Depuis lors R. A. DARKE (Heredity as an etiological factor in homosexuali-
ty, The J. of Nervous and Mental Diseases, 1948, 107, pp. 251 à 268) ayant étudié 100 homo-
sexuels au Centre Médical de Prisonniers de Springfield MISSOURI, n'a pu mettre en évidence ce
facteur héréditaire de l'homosexualité. Pour les « sodomistes » passifs il existait un plus grand
nombre de femmes dans la parenté que moyennement. — Les recherches de LANG ont été enco-
re infirmées par S. KOLLER (Zeitsch. f. Mensch. Vererb. 1942) et confirmées par K. JENSCH
(Archiv. /. Psych. 1941).
303
ÉTUDE N° 13
…études des caractères très développé, répartition typique abdominale de la masse adipeuse. Chez la femme :
sexuels secondaires… chevelure longue, absence de pilosité faciale et stermale, triangle pileux pelvien, sys-
tème locomoteur faible, développement pelvien, larynx peu développé, répartition de
la graisse dans le tissu adipeux fessier et mammaire. C'est en fonction de ce schéma
que l'on a pu noter fréquemment 1 chez l'homosexuel masculin des caractères sexuels
secondaires féminins (graisse, développement pelvien, voix aiguë, impossibilité de sif-
fler, démarche à petits pas, etc.) et chez l'homosexuelle des caractères masculins
(développement scapulaire et musculaire, voix grave, possibilité de siffler, pilosité
faciale et sternale, etc.).
Ainsi le problème de l'homosexualité touche à sa limite à celui de l'hermaphrodis-
me et s'il est absurde de vouloir réduire toute l'homosexualité à l'hermaphrodisme (en
ignorant l'écart qui sépare les formes d'homosexualité de la libido et ses déterminations
biologiques) il est peu raisonnable de n'en pas tenir compte (en ignorant l'importance
du courant hormonal et de l'orientation chromosomique dans la différenciation du
sexe).
Les processus organiques de déviation homosexuelle. Nous avons déjà dit pour ce
sujet l'essentiel en mentionnant les expériences sur l'action des hormones, de la cas-
tration, etc. Mais nous devons, pour être complets dans notre « tour d'horizon » des
problèmes pathogéniques de l'homosexualité, faire état d'un certain nombre de faits.
Notamment nous devons signaler l'influence des affections cérébrales sur l'homo-
sexualité. Nous aurons l'occasion de revenir plus loin (et surtout dans l'Étude que nous
…le problème des perver- consacrerons aux troubles psychiques de cette affection) sur les perversions de l'encé-
sions sexuelles dans l'en- phalite épidémique qui affectent assez souvent la forme d'aberrations sexuelles à type
céphalite épidémique…
d'homosexualité. Dans une statistique portant sur 55 cas d'homosexualité masculine
observés au « Medical Centres of Federal Prisoners », Daniel SILVERMAN et William
R. ROSANOFF 2 ont trouvé des troubles cérébraux dans 16 cas et des antécédents neu-
rologiques dans 22 cas. Dans 75 % des cas il existait une altération de 1'E. E. G. Très
intéressants sont aussi les cas de crises d'homosexualité de type de la « Kempf 's
desease », dont Ben KARPMANN 7 a rapporté une observation. W. SCHULTE 4 a signalé
1. Cf. MARANON, L'évolution de la sexualité et les états intersexuels, Paris, 1931. MAGNUS
HIRSCHFELD (Sexualpathologie, 1917-1918) et MOSKOWICZ (Intersexualitätslehre und Herma-
phrodismus und Homosexualität, Klin. Wochenschrift, 1930) sont peut-être les auteurs qui ont
accordé le plus d'importance à ces stigmates « hermaphrodites » de l'homosexualité.
2. D. SILVERMAN et W. R. ROSANOFF, Electroencephalographie and neurologie studies of
Homosexuals, J. of and ment. Diseases, 1945.
3. Ben KARPMANN, Mediate psychotherapy and the acut homosexual Panic. J. of ment. Diseases,
1945, 98, p. 493.
4. Walter SCHULTE, Temporäre homosexuellen Triebumkehr bei Störungen die
Schlafwachsteurung, Nervenarzt, 1942, p. 68.
304
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
305
ÉTUDE N° 13
tant écrit ses dernières L'ouvrage le plus important écrit ses dernières années sur le problème qui nous occu-
années sur le problème qui pe est certainement celui d'Oswald SCHWARZ (1931) auquel nous avons fait, déjà plu-
nous occupe est certaine-
sieurs fois, allusion.
ment celui d'Oswald
SCHWARZ (1931)… Après avoir exposé les principales données contemporaines sur l'hermaphrodisme,
l'intersexologie de GOLDSCHMIDT et la conception hormonale et génétique de la sexua-
lité pour qui il n'y a pas « d'organes de la sexualité » mais une « sexualité de l'orga-
nisme », il souligne l'importance de la notion de « bissexualité » dans la psychologie
et la psychologie sexuelle moderne. Il propose une classification à priori des divers
types d'homosexualité (qui ne le satisfait pas et uniquement dans le dessein d'en adres-
ser un catalogue aussi complet que possible). Il propose donc d'étudier deux types
d'homosexualité : l'homosexualité chromosomique (ou constitutionnelle) et l'homo-
sexualité hormonale (ou encore « exogène » ou encore « réactionnelle » aux situations)
et d'intercaler entre les deux types l'homosexualité infantile. La plus grande partie de
l'ouvrage est consacrée à l'homosexualité constitutionnelle envisagée sur le thème bio-
logique fondamental de la bissexualité de tout être vivant. C'est sur cette base que se
constituerait la « maladie » homosexualité. Mais il convient, précise O. SCHWARZ, de
ne pas oublier que cette théorie appliquée sur le plan psychosexuel anéantit le concept
de l'homosexualité en le dépouillant de ses caractéristiques psychologiques (p. 24). De
ce point de vue, il critique les corrélations qui ont été statistiquement établies entre l'in-
tersexualité et l'homosexualité par HIRSCHFELD notamment qui s'est fait le champion
de la thèse hormonale constitutionnelle de l'homosexualité et par MOZKOWICZ.
Examinant la structure psychique de cette forme d'homosexualité, il approfondit l'éro-
tique propre à l'homosexualité, ce qui le conduit à voir dans le comportement homo-
sexuel dans les relations qui unissent l'homosexuel à son objet et non à sa propre fonc-
tion de sujet et d'objet 1, essentiellement une modalité vitale de la stérilité, un défaut
de maturation et une forme de fétichisme attaché au corps du partenaire et détaché de
l'ensemble de sa personne. Ces modalités structurales complexes interdisent de voir
dans l'homosexualité un « simple » aspect de l'hermaphrodisme (pp. 18-75).
Examinant ensuite la question de l'homosexualité infantile, c'est-à-dire la théorie
Freudienne de l'enfant « pervers polymorphe », il critique cette conception et se refu-
se, non sans raison, à voir dans l'homosexualité de l'adulte une « simple » persistance
de l'homosexualité de l'indifférenciation sexuelle infantile (pp. 75-83).
Dans la troisième partie de son livre (pp. 83-103) il étudie l'homosexualité névro-
tique pour autant qu'elle est conditionnée par une série de facteurs exogènes (intoxi-
cations, situations ou influences endocriniennes) et il écarte tous ces facteurs comme
incapables de déterminer le « radical » homosexuel sorte d'absolu qui ne saurait être
1. A cet égard l'analyse que nous avons faite plus haut de l'érotique de l'inversion sexuelle peut
être confrontée sans d'ailleurs s'y confondre avec les pages que O. SCHWARZ consacre aux ana-
lyses anthropologiques de FERENCZI et GEBSATTEL, etc.
306
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
307
ÉTUDE N° 13
éparses dans cette étude, considérer les niveaux les plus typiques d'homosexualité,
nous pouvons les réduire au schéma suivant qui « recoupe » d'ailleurs la plupart des
classifications proposées, ce qui pour nous est une manière d'en démontrer le bien
fondé.
1° L'homosexualité du niveau éthique 1 Elle est alors « vertu » ou « vice ». Vertu
dans les formes de société ou encore dans ces fragments de société, ces milieux cultu-
rels où elle représente un « idéal », le fameux idéal de « l'amour grec » ou de la « sub-
versivité » des « esthètes ». Vice quand, au regard de l'inconscience morale jugée
comme telle, faisant figure de « faute », de « péché », elle est recherchée ou éloignée
comme tel. Dans ces deux cas, elle est prise dans un monde d'intentionnalité qui tend
vers la production d'une forme érotique exceptionnelle, seule capable d'exhausser l'être
hors de sa nature ou de lui faire goûter à un plaisir défendu. La « contre-nature », la
valeur artificielle de l'érotique homosexuelle se confondent ici avec l'idéal éthique et
…sur le plan de l'esthé- hédonique de l'amour. C'est sur le plan de l'esthétique-éthique du kalÙw kégayow ou
tique-éthique du kalÙw de l'esthétique du « maudit », du « noir », du « vice » et du crime qu'elle est vécue et
kégayow […] l'homo- voulue. L'homosexualité affecte alors et dans les deux cas une forme d'existence pas-
sexualité affecte alors une
sionnelle, c'est-à-dire qu'elle représente une tension de l'être qui s'exaspère ou se
forme d'existence pas-
sionnelle, c'est-à-dire consume dans la recherche d'une fin tragique au drame du désir. Même sous la forme
qu'elle représente une platonicienne de la sérénité du bien et de l'équilibre, elle a toujours réservé chez le phi-
tension de l'être qui losophe la part du feu, la communication orgiaque avec Éros. Par là, elle rejoint cer-
s'exaspère ou se consume
taines frénésies des romantiques et des esthètes modernes. Inversement, mais sur le
dans la recherche d'une
fin tragique au drame du même plan, le culte du mal, les appétits de jouissance nouvelle et perverse, le goût du
désir… scandale, le désir ou la tentation de s'affranchir des préceptes moraux (de les consacrer
en leur désobéissant), le besoin de s'abandonner aux pulsions les plus primitives, de
retourner aux formes brutales et cyniques du plaisir des sens, sans égard pour la « bien-
séance », le « devoir » ou les « convenances » favorisent l'éclosion et les exigences du
système pulsionnel refoulé et d'autant plus « actualisé » qu'il est plus « prohibé ». Cette
forme de « vice » ou de « vertu » de l'homosexualité trouve donc dans l'homosexuali-
té inconsciente non pas les conditions suffisantes, mais les forces nécessaires à son
érection. C'est la structure du moi, la « manière-d'être-au-monde », le système des
valeurs morales, sociales et esthétiques qui assurent et assument son assomption per-
verse ou tragique des profondeurs de l'inconscient individuel et collectif. L'analyse de
O. SCHWARZ, corrigée par l'analyse existentielle de M. BOSS, nous paraît s'appliquer
spécialement à cette forme d'homosexualité. C'est dans une telle homosexualité cultu-
1. Qu'elle soit vertu pour l'homosexuel pour qui elle est une manière d'idéal ou qu'elle soit vice
pour la plupart des hommes, c'est sur le plan de la « conscience morale » qu'elle se joue. Ici,
« éthique » est pris dans la double acception du terme « ≤yÚw » qui implique une signification
commune aux mots « mœurs » et « morale ».
308
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
relle ou occasionnelle que l'on trouve généralement les formes mixtes d'homosexuali-
té et d'hétérosexualité. Ajoutons encore que, même chez l'homosexuel « isolé », l'idéal
« à rebours » de la dépravation non seulement aboutit à la participation au groupe, à la
« confrérie » ou à la « franc-maçonnerie » homosexuelle, mais en procède par avance,
quand ce n'est pas en collectivité, au pensionnat, au régiment, dans les « cénacles » ou
dans les prisons qu'elle a pris son premier essor 1.
2° L'homosexualité du niveau de l'inconscient 2. Nous n'entendons pas viser ici seu-
lement les « formes inconscientes » de l'homosexualité, mais toutes les formes de l'ho-
mosexualité déterminées par le jeu des fantasmes inconscients. C'est dire qu'il s'agit ici
de ce que l'on appelle généralement l'homosexualité névrotique. C'est l'homosexualité …C'est l'homosexualité
qui correspond au maximum aux troubles compulsionnels de la sphère instinctive. Sa qui correspond au maxi-
mum aux troubles com-
structure fondamentale est celle du conflit. Conflit avec le monde social et particulière-
pulsionnels de la sphère
ment avec le monde familial où se projette, parfois de façon caricaturale, l'ombre de l'œ- instinctive. Sa structure
dipe, conflit du sujet avec lui-même, avec son sexe. Le malaise de la vie intérieure fondamentale est celle du
comme de l'existence sociale est vertigineux. Le besoin érotique jamais assouvi est un conflit.…
1. Le nombre des homosexuels (pour ne parler que des invertis du sexe masculin) qui composent
cette « franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des
loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d'habitudes, de dangers, d'apprentis-
sages, de savoir, de trafic, de glossaire » (M. PROUST), ce nombre a été dans certaines civilisa-
tions ou est dans les grandes cités modernes de tous les pays considérable. Il témoigne, par son
importance et ses fluctuations en fonction des mœurs, pour un homme quel qu'il soit, par enga-
gement occasionnel ou habituel dans cette légion du vice, de la possibilité de s'y enrôler. D'après
ULRICH, il y avait en Allemagne, en 1868, 25.000 « uranistes », soit un pour 500 hommes. Mais
comme le fait remarquer A. MOLL, ULRICH, qui était lui-même « uraniste », devait avoir tendan-
ce à diminuer plutôt qu'à augmenter ce « taux » d'homosexualité. D'après CARLIER (cité par
CHEVALIER), à la même époque, la Préfecture de Police de Paris s'était occupée de 6.342 pédé-
rastes. Mais il est probable que les « bas-fonds » et certains quartiers de Londres, de Shangaï, du
Caire, d'Anvers, de Naples ou de New-York, les abords de la place « Djema-el-Fna » de
Marrakesch ou le « barrio chino » de Barcelone contiennent une population et une prostitution
homosexuelles bien plus importantes que ces chiffres ne le laissent supposer.
2. Si dans la forme précédente l'homosexuel puise dans son inconcient le désir de son homo-
sexualité, celle-ci n'en dépend pas directement comme dans la forme que nous allons envisager.
309
ÉTUDE N° 13
libre des fonctions vitales est ici tellement évident que c'est ce terme même qui sert à
désigner le trouble fondamental dont souffrent ces êtres voués à la clandestinité, à l'iso-
lement, à la « clôture » de leur homosexualité réalisée ou le plus souvent seulement
« imaginaire ». C'est également à eux que s'applique le mieux la notion d'immaturité
(SCHWARZ), d'« arriération affective », tant ils restent soudés aux formes infantiles de
l'existence, à ses terreurs, à ses craintes, à ses délicatesses et à ses fragilités. Même
quand ils ont trouvé dans une passion plus tendre que tendue, un apaisement, même
quand ils ont pu parfois réussir à poser sur eux le masque du cynisme, – l'émoi d'une
force qui en eux bouillonne, sans se canaliser, transparaît dans leur comportement de
« honteux », de « maudits », de « vaincus », d'éternels « inassouvis ».
3° L'homosexualité du niveau de la malformation hermaphrodite. Nous avons eu
l'occasion de noter que les hermaphrodites présentent un bimorphisme sexuel qui se
trouve généralement polarisé vers le sexe opposé à leur sexe manifeste. Mais nous
avons en vue ici l'hermaphrodisme biologique, « génétique » ou « hormonal » qui sans
…Ce sont des êtres qui se trop altérer la forme sexuelle du corps en dérive le sens fonctionnel l. Ce sont des êtres
sentent d'un autre sexe qui se sentent d'un autre sexe que le leur et dont l'observation objective va permettre
que le leur et dont l'ob-
de supposer qu'ils expriment une réalité quand ils affirment qu'ayant les apparences
servation objective va
permettre de supposer d'un homme, ils sont femmes ou qu'ayant les apparences d'une femme, ils sont
qu'ils expriment une réa- hommes. La psychologie de ces « invertis » est très différente de celles que nous
lité quand ils affirment venons de décrire. Ce n'est pas dans une atmosphère d'angoisse névrotique qu'ils
qu'ayant les apparences
éprouvent les élans de leur « homosexualité » (MOHR). Tranquilles – sûrs de leur sexe
d'un homme, ils sont
femmes […] Tranquilles, – indifférents à la plastique corporelle du sexe opposé dont aucun fantasme de désir ne
ils sont sûrs de leur les a jamais sollicités, ils se conduisent tout naturellement comme s'ils appartenaient à
sexe… l'autre sexe. Leur polarisation sexuelle est normale en tout sauf sur un point qu'elle ne
s'applique pas à l'objet correspondant à leur morphologie ! L'érotique des rapports
sexuels est celle de l'inversion totale cherchant à se satisfaire par toutes les positions,
les dispositifs anatomiques ou les artifices qui peuvent leur permettre d'assumer le rôle
« naturel » que la nature a dissimulé sous une apparence « trompeuse ». Ce qui est vécu
ici comme pathologique c'est l'anomalie de la conformation somatique et non la direc-
tion de l'instinct. Si bien que même lorsqu'ils prostituent leur inversion ce sont leurs
partenaires qui sont mis par eux dans le rôle de pervers... Il y a ici perversion de la
nature et non de l'individu, en quoi, selon le mot très juste de SCHWARZ, cette forme de
perversion cesse de l'être... Ni aux inflexions ou déformations de la conscience mora-
le ni à l'histoire de leur développement libidinal, ni à leurs fantasmes inconscients, il
310
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
n'est possible de réduire, pour l'expliquer, leur homosexualité. C'est à propos d'eux que
STECKEL, par exemple, a pu dire « qu'il n'a jamais vu un homosexuel guéri par la psy-
choanalyse ». C'était peut-être le cas de cette homosexuelle qui, « guérie » par Hélène
DEUTSCH, était effectivement débarrassée de son angoisse... « quand elle avait des rap-
ports avec une femme »...
Il nous reste à nous poser deux questions au sujet de ces trois types d'homosexuali-
té : Quels sont les « vrais » homosexuels ? Quels sont les homosexuels pathologiques ? … Quels sont les « vrais »
homosexuels ?…
La notion de « vrai » et de « pseudo » – nous en avons fait la remarque bien des fois
– par sa fréquence même dans la pathologie en exprime l'incertitude (asthme et « pseu-
do-asthme », angines « pseudo-diphtériques », etc.). Il semble que touchant un phéno-
mène aussi « clair » que celui de l'homosexualité, il devrait être facile de s'entendre. Elle
se définit par l'attrait exercé sur un individu par les individus de son sexe. A cet égard
tous les faits que nous avons décrits sont également homosexuels. Une exception semble
toutefois devoir être faite pour le cas où précisément le sexe de l'individu étant mal déter-
miné, est « mis en question » le concept même d'homosexualité. Les choses sont donc
moins claires qu'il ne le paraît à première vue. Il faut pour saisir l'homosexualité dans son
« radical », ou si l'on veut dans son « essence », mettre l'accent sur le contraste qui exis-
te entre la morphologie sexuelle de l'individu et les tendances sexuelles contraires à cette
morphologie qu'il présente. L'homosexualité « maxima » est donc définie par la forme
où ce contraste est le plus grand. Pour la première catégorie des faits, tels que nous les
avons classés plus haut, les mœurs homosexuelles sont patentes, ils contrastent au maxi-
mum avec l'anatomo-physiologie et l'individu. Dans la deuxième catégorie, la différen-
ciation psychosomatique sexuelle n'étant pas parvenue à sa maturité ce contraste est
moins net, l'homosexuelle ou l'homosexuel ayant non pas le comportement d'une femme
ou d'un homme, mais le comportement d'un « androgyne ». Enfin, dans la troisième caté-
gorie, par définition même, l'homosexualité n'admet pas de contraste puisque sous les
apparences il y a accord entre la sexualité « vraie » mais cryptogénique et le comporte-
…l'homosexualité la plus
ment qui la manifeste. Ainsi l'homosexualité la plus authentique apparaît-elle être l'ho-
authentique apparaît-elle
mosexualtié engagée dans l'acte même qui la soustrait aux exigences physiques et lui être […] celle des mœurs
inflige la distorsion, la « perversion » maxima, celle qui en définit l'essence, celle des se jouant sur le plan de la
mœurs se jouant sur le plan de la conscience éthique. conscience éthique…
D'où vient alors que l'on a tendance à appeler « vraie 1 » l'homosexualité herma-
phrodite. C'est que pour le médecin la monstruosité homosexuelle se présente le plus
souvent comme une malformation, c'est-à-dire comme un vice de la nature. Autrement
dit, c'est par sa forme pathologique « maxima » qu'il a tendance à définir la « vraie »
homosexualité.
1. Théo LANG, HIRSCHFELD, etc. Tout de même que MOURGUE et tant d'autres appellent halluci-
nation « vraie » celle qui est la plus « organique », la plus « sensorielle » !
311
ÉTUDE N° 13
Ceci nous conduit précisément à lier les deux questions que nous examinons et de
passer à la seconde. Quels sont les caractères qui confèrent à l'homosexualité sa qua-
lité morbide ? Certes il est facile dans ce problème comme dans tous les autres du
même genre (dont nous examinons certains dans les « études » de ce volume consacré
à l'anxiété, à la jalousie, à l'exhibitionnisme) de déclarer que la « question ne se pose
pas » et que, puisqu'il s'agit d'un comportement si peu conforme à la nature, donc anor-
mal, il est absurde de se poser la question « de par ailleurs » insoluble et « vaine ».
Pour que cette façon d'escamoter le problème soit justifiée, il faudrait effectivement
que l'homosexualité (comme la « perversité » en général) s'offre à nous sans aucun rap-
port avec l'organisation même de la nature humaine. Or nous avons vu qu'à cet égard
l'homosexualité (comme la perversité en général) si elle n'est pas « donnée » ni
« constituée » dans la plénitude de sa forme structurale chez l'enfant, représente pour-
tant une composante constante de sa libido. Dès lors le caractère normal ou patholo-
gique de cette « tendance » ne dépendant pas de sa « présence » mais de son « actua-
lisation », ce sont des conditions de cette « actualisation » qu'il doit dériver. Et nous
retrouvons ici la nécessité de « déployer », comme nous l'avons fait, les comporte-
ments homosexuels en une série allant du plus au moins libre. Un être normal est un
être qui a dominé ses tendances et les hésitations de son choix objectal. Mais dominer
ne veut pas dire s'y soustraire. C'est le propre précisément de la perversité que, pour
les réfracter dans la conscience morale, de s'abandonner aux tendances primitives en
…ce qui nous a paru être leur imposant ainsi la marque d'une intentionnalité majeure. Dès lors, ce qui nous a
l'homosexualité la plus
paru être l'homosexualité la plus « pure » est aussi celle qui est la plus « perverse » ou
« pure » est aussi celle qui
est la plus « perverse » ou
la plus « raffinée » et aussi la plus « normale 1 ». Par contre, l'homosexualité la plus
la plus « raffinée » et aussi pathologique sera celle qui, inscrite au plus profond du déterminisme de la nature cor-
la plus « normale »… porelle, constituera un vice de cette nature. Quant à la deuxième catégorie des faits,
ceux qui correspondent à l'homosexualité névrotique du niveau de l'inconscient, elle
est pathologique du fait même que sa structure porte la marque d'une « immaturité »
ou d'un « déséquilibre foncier ».
Ainsi, pour nous, comme pour J. CHEVALIER contre l'opinion d'A. MOLL à la fin du
XIXe siècle, l'homosexualité tout à la fois maxima et normale, est celle de la « per-
versité des mœurs » ou ce qui revient au même (du point de vue psychologique) celle
qui dépend des mœurs : c'est un aspect normal de l'amour qui se satisfait, dans le vice,
contre la nature. L'homosexualité pathologique est soit névrotique quand elle est
1. Notre analyse ne cessant tout au long de cette étude de se conformer à l'énoncé du principe qui
l'inaugure et d'être purement psychologique et non morale nous ne nous trouvons pas le moins
du monde embarrassés de dire qu'un homme ou une femme peuvent être monstrueusement per-
vers et normaux. Une telle méthode nous interdit naturellement de confondre les jugements de
valeur morale et de réalité et de voir dans le « péché » ou la « faute » pour si monstrueux ou répu-
gnants qu'ils soient, une anomalie, une maladie.
312
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Cf. KRAFFT-EBING, pp. 593-604. On trouvera dans cette « Somme » de la perversion des
exemples extraordinaires de fétichisme (fétichisme du nez, des perruques, de l'oreille, de la clau-
dication, du moignon des amputés, des roses, etc.).
2. RESTIF DE LA BRETONNE, Le joli pied, Paris, 1785.
3. CODET, Le Collectionnisme, Thèse, Paris, 1921.
4. O. SAUSSURE, Fragments d'une analyse d'un pervers sexuel, Revue française de Psychanalyse,
1930, t. III, pp. 631-689.
313
ÉTUDE N° 13
pour autant qu'elles consistent en déplacements libidinaux. C'est ainsi que O. SCHWARZ
considère en définitive l'homosexualité comme un fétichisme d'une partie du corps de
…il faut définir le féti- même sexe. Si l'on veut être strict, il faut définir le fétichisme par la concentration de la
chisme par la concentra- libido sur un « objet » d'idolâtrie détaché du champ libidinal au point d'en paraître
tion de la libido sur un
étranger. Le fétiche est l'envers d'un tabou, c'est un tabou positif. Le cas de Konrad
« objet » d'idolâtrie déta-
ché du champ libidinal au SCHWINGS, analysé avec tant de pénétration par M. Boss 1, est tout à fait démonstratif à
point d'en paraître étran- cet égard. Il s'agissait de fétichisme du gant de femme, avec horreur angoissée du sexe
ger. Le fétiche est l'envers féminin liée à un intense complexe d'Œdipe et de castration; le fétichisme affectait, chez
d'un tabou, c'est un tabou
cet homme, la valeur d'un véritable « culte », d'une « mystique ». Et c'est pourquoi l'au-
positif…
teur critique la conception de GEBSATTEL 2. Pour ce dernier qui a accepté les idées de
HIRSCHFELD sur la fonction « d'attirance partielle » (Teilanziehung) du fétiche, le féti-
…Fétichisme et école chisme est une « inversion » ou une « déformation » de l'amour : tandis que la passion
phénoménologique…
amoureuse normale se dirige vers la totalité de son objet, le fétichisme est une érotique
de la partie et du symbole de la partie. Autant dire que pour GEBSATTEL le fétichisme est
une déformation artificielle de l'amour tandis que pour M. BOSS le fétiche est l'objet
d'une « véritable » adoration. Mais, comme l'indique GEBSATTEL, les « paraphiles », qu'ils
soient coprophiles ou attachés à un objet quelconque, n'ont pas une simple tendance vers
l'objet, leur perversion passe nécessairement par un foyer de valeurs libidinales qui
inverse la signification érotique des objets. La coprophilie, dit-il, n'a pas une tendance à
se satisfaire au contact excrémentiel, il investit ce contact d'une signification destructri-
ce des valeurs érotiques.
Quoi qu'il en soit – et les analyses de V. GEBSATTEL nous paraissent même après
…Fétichisme et école celles (sinon à leur lumière) de Boss, exactes – la valeur érotique ou exclusive des
freudienne… fétiches a été approfondie par l'école freudienne. C'est d'un « objet » perdu ou désiré
que le « fétiche » paraît être le symbole. Et à cet égard FREUD 3 a montré qu'il était la
plupart du temps le symbole du phallus. Le « pied chaussé » serait le symbole de l'or-
gane de la « mère phallique ». Pour la femme, le fétiche, selon le mot de V. GEBSATTEL,
serait « la femme elle-même ». Il y aurait à distinguer, d'après l'opinion de E. STRAUSS 4,
un fétichisme actif et étranger masculin (aktiven Freund-fetichismus) et un autoféti-
chisme passif féminin (passiven Autofetichismus). Naturellement l'investissement libi-
dinal du biberon, de la sucette, du pouce, du jouet pour l'enfant représente pour les psy-
chanalystes 5 le prototype de l'attachement fétichiste. L'érotique excrémentielle de l'en-
fant ne pouvait pas ne pas être aperçue par les psychanalystes dans la perspective du
314
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
symbolisme de l'argent ou de l'or. L'enfant, comme le roi Midias, transforme en « or » …Ainsi se lie […] la per-
ses matières fécales, et on sait que ce symbolisme représenté dans le Jardin des Délices version fétichiste au vol, à
de Hiéronimus BOSCH dans toute sa crudité, est une des constantes collectives de l'hu- l'appropriation d'argent
ou de quelque autre objet
manité. Ainsi se lie « tout naturellement » la perversion fétichiste au vol, à l'appropria-
à fonction de symbole
tion d'argent ou de quelque autre objet à fonction de symbole libidinal 1. libidinal…
La « cleptolagnie », c'est-à-dire la volupté du vol avait été aperçue par certains
auteurs qui se sont occupés du vol pathologique 2. Cependant ni KRAFFT-EBING, ni …Cleptolagnie : volupté
du vol…
BOAS, ni naturellement ANTHEAUME, qui paraît s'être donné la tâche de scotomiser le
problème, n'ont aperçu les relations profondes qui unissent souvent l'acte de voler et
les pulsions sexuelles. H. ELLIS rapporte à LACASSAGNE, « pionnier de génie », le méri-
te d'avoir compris « que le vol peut être accompagné d'une excitation sexuelle due au
rayonnement émotionnel de la crainte d'être pris et que c'est cet élément voluptueux
qui est le motif de l'acte ». C'est STECKEL 3 qui a étudié le premier et le plus complè-
tement la racine sexuelle de la kleptomanie. Depuis, les travaux de Mary CHADWICK 4,
de HEALY 5 et d'HAVELOCK ELLIS, etc., ont dans le pays anglo-saxon largement déve-
loppé, à la lumière de la psychanalyse, cette manière de voir 7.
Nous avons pu observer le cas d'une voleuse soumise à notre expertise et qui volait
dans l'angoisse d'un orgasme irrésistible, des pains longs et fendus. Le fantasme œdipien
de la « mère phallique » était évident et le vol satisfaisait à la fois sa libido et sa culpa-
bilité. Les facteurs inconscients de l'impulsion névrotique à voler peuvent en effet se
trouver comme dans ce cas dans le déterminisme compulsionnel de l'acte de s'emparer
d'un « objet », de se l'incorporer, alors que c'est un objet qui ne vous appartient pas, qu'il
est fortement désiré et interdit et investi, par conséquent, magiquement d'une valeur de
fétiche, d'une irrésistible envie de le posséder et d'être puni de cette appropriation.
1. Cf. par exemple le travail de Fritz WITTELS, in Journal of Criminal Psychopathology, octobre
1942.
2. LASÈGUE, Le vol aux étalages, Archives générales de Médecine, 1880 ; LACASSAGNE, Vol
pathologique dans le grand magasin, Congrès d'Anthropologie criminelle, Genève, 1896 ;
DUBUISSON : Les voleurs de grand magasin, Archives d'Anthropologie criminelle, janvier 1903 ;
ZINGERLE, Gehbner für Psychiatrie, 1900 ; DUPOUY, Kleptomanie, Journal de Psychologie,
1905 ; JUCQUELIN et VINCHON, Les limites du vol morbide ; G. de CLÉRAMBAULT, Archives d'an-
thropologie criminelle, 1908 et 1910 ; B. GLUECK, Studies of Forensic Psychiatry, ch. V, Boston,
1916 ; WIMMER, Annales Medico-Psycho., mars 1921 ; GODET, Essai sur le collectionnisme,
Paris, 1921 ; BENIGNO DI TULLIO, Rassegna di studi sessuali, juillet-août 1924 ; ANTHEAUME, La
légende de la kleptomanie, Encéphale, 1925 ; Rapport de RAVIART sur le « vol pathologique »,
Congrès de Médecine légale, 1927 ; HAVELOCK ELLIS, La cleptolagnie,. Études de Psychologie
sexuelle, t. XIV, trad. franç., Paris 1933.
3. STECKEL, Die sexuellen Wurzel der Kleptomanie, Zeitsch. fur Sexualwissenschaft, octobre
1908, puis en 1923 : Der Fetichismus, dans son traité : Störungen, Trieb und Affektleben, t. VI.
4. Mary CHADWICK, A case of Kleptomanie, International J. of Psychanal., 1915.
5. HEALY, The individual Délinquance (1915) et Mental conflicts and Misconduct (1917).
6. On consultera spécialement FREUD, Totem et Tabou ; W. REICH, Der triebhaften Charakter,
Neue Arbeiten zur ärztlische Psychanalyse, n° 4 et Léo DEUTSCH, Zur Frage der Kleptomanie,
Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1935, 152, pp. 208-234.
315
ÉTUDE N° 13
…Notice sur D. A. F. mar- 1. Donatien-Alfonse-François de SADE naquit à Paris en 1740, il mourut en 1814, interné à
quis de SADE… Charenton. Il avait épousé, en 1763, Renée de MONTREUIL. Il fut emprisonné plusieurs fois puis
« embastillé », notamment à propos des mauvais traitements qu'il fit subir à Rose KELLER (avril
1768). Une lettre du marquis de DUFFAUD à Horace WALPOLE donne le récit de cette scène mémo-
rable à laquelle le « divin marquis » doit sa célébrité, somme toute, et, en un certain sens, usur-
pée. Car si ce « libertin » se montra « sadique » ce fut, semble-t-il, dans d'assez rares occasions
et non sans quelque modération. Pour J. PAULHAN il faudrait même le considérer, avant la lettre,
comme un « masochiste », ce qui depuis FREUD ne saurait plus nous étonner. Ses écrits les plus
fameux sont : Justine ou les Malheurs de la Vertu (1791) ; Le philosophe dans les boudoirs ou
les Instituteurs immoraux (dialogues destinés à l'éducation des jeunes amants), Londres, 1795, 2
volumes ; La nouvelle Justine ou les Malheurs de la Vertu, suivie de l'histoire de Juliette, sa sœur,
en Hollande, 1797,10 volumes ; Aline et Valcourt ou le Roman Philosophique (écrit à la Bastille),
8 volumes in-12 5 Pauline et Belval ou les Victimes d'un amour criminel, 3 volumes ; Les crimes
de l'Amour et le Délire des passions (nouvelles historiques et tragiques précédées d'une « Idée
sur les romans »), Paris, an VIII, 4 volumes in-12 ; Zoloe et ses deux acolytes ou quelques
décades de la vie de trois jolies femmes, an VIII ; Les 120 journées de Sodome ou l'École du
Libertinage (manuscrit perdu et publié seulement en 1904). Il fit aussi de nombreuses pièces de
théâtre. D'après G. APOLLINAIRE il aurait écrit cinq comédies dont le Misanthrope par amour ou
Sophie et Desfrancs (reçue à l'unanimité au Théâtre Français, en 1798, mais qui n'y fut jamais
jouée), quatre drames, etc. Anatole FRANCE lui attribue un « plan de maison publique » qui l'au-
rait mis en compétition avec celui de RESTIF DE LA BRETONNE « son ennemi ». Un de ses drames,
Oxtiern ou le Malheur du Libertinage, fut représenté deux fois à Paris (octobre-novembre 1791)
au Théâtre Molière et une fois à Versailles (1800). D'autres de ses drames et comédies furent
joués au Théâtre Favart (1792), au Théâtre de Bondy (1790), etc. Le marquis fut donc beaucoup
plus un écrivain qu'un « praticien » et son œuvre est une sorte de philosophie de la morale à
rebours. Pour lui l'instinct sexuel est souverain et nous devons nous y livrer en foulant aux pieds
préjugés moraux, traditions, croyances et scrupules. Les utopies sexuelles du ministre Saint-
Fonds dans Juliette rejoignent à certains égards les utopies sociales de Saint Simon …/…
316
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
de donner leur nom aux deux versants de cette même perversion : le « sadisme » et le
« masochisme ». Le sadisme se satisfait sexuellement dans la douleur, les tortures, les
flagellations, les blessures et les contraintes infligées au partenaire. Le masochisme se
satisfait dans les mêmes supplices endurés. C'est dire combien, malgré la forme anti-
nomique de ces perversions ou par cela même, elles sont soudées par leurs racines
communes, l'algolagnie (érotisation de la douleur). On sait que FREUD et son école ont …FREUD et son école ont
mis en évidence l'importance cruciale du substratum du sado-masochisme dans le sys- mis en évidence l'impor-
tance cruciale du substra-
tème des pulsions primaires 1. Le couple pulsionnel, tendance à l'hétéro- et à l'auto-
tum du sado-masochisme
destruction, est à leurs yeux primordial et contemporain de la phase sadique-anale et dans le système des pul-
c'est de ces pulsions primitives élaborées ensuite dans les systèmes d'agressivité ou sions primaires…
d'autopunition au travers de l'œdipe et du complexe de castration que montent les
images sanglantes qui fondent dans la même sauvage unité le plaisir et la douleur, la
volupté et la cruauté.
Le sadisme se manifeste dans sa forme la plus sanguinaire, dans les crimes et dépè-
cements sadiques. Certains monarques ou tyrans (Néron, Tibère, Caligula) sont restés
le prototype de ces assassins lubriques. Naturellement on ne manque jamais non plus
de citer GILLES de RETZ 2, le fameux Maréchal de France (dit « Barbe Bleue » ) qui …Gilles de RETZ…
vivait au XVe siècle. Le « triste sire » prétendait avoir tiré précisément de SUÉTONE
l'inspiration de ses forfaits : il tua ou fit tuer, selon l'acte d'accusation des « procédures
civiles », plus de deux cents enfants. « La gorge coupée avec une dague, un poignard
Les descriptions des scènes sadiques abondent mais pas plus que les autres. Il semble cependant
que le « despotisme » de la conduite amoureuse constitue pour lui la base érotique fondamentale
(en quoi il se montre justement aussi masochiste que « sadique »). Le but essentiel est d'« ébran-
ler la masse de ses nerfs par le choc le plus violent possible ». Pour lui le coït anal est le plus natu-
rel ; il recommande la bestialité particulièrement avec le chien, le singe, la chèvre ou mieux le bouc
et le dindon, « à condition de lui couper la tête au moment critique ». Un de ses « héros » tue un
jeune homme, sodomise son cadavre et coïte avec sa meurtrière sur sa dépouille ; la coprophagie
fait les délices de Saint-Fonds et « rien n'est plus délicat que l'union charnelle des familles », etc.
(On consultera sur le personnage et l'œuvre de SADE : Alc. BONNEAU, Analyse de Justine et Juliette,
La curiosité littéraire et bibliographique, 1882 ; MARCIAT, Le marquis de Sade et le Sadisme, in
Vacher l'Éventreur, ouvrage publié sous la direction de LACASSAGNE, Paris, 1899 ; Eugen DUHREN,
Der Marquis de Sade, Berlin, 1900, trad. franç., 1901 ; Guillaume APOLLINAIRE, L'œuvre du
Marquis de Sade, Bibliothèque des Curieux, 1909 ; S. SARFATI, Essai Médico-Psychologique sur
le Marquis de Sade, Thèse, Lyon, 1930. Parmi les ouvrages ou travaux récents nous mentionnons
: KLOSSOWSKI, Sade mon prochain, Paris, 1947 ; Maurice BLANCHOT, A la rencontre de Sade, Les
Temps modernes, octobre 1947 ; D. A. F. de Sade, par Gilbert LELY (morceaux choisis et biblio-
graphie), Paris, 1948.— Sur Sacher MASOCH, on consultera le fameux ouvrage de SCHLICHTEG-
ROLL, Sacher Masoch und der Masochismus, Dresde, 1901 et S. NACHT, Le masochisme, Rapport
à la 10e Conférence de Psychanalystes de langue française, de 1938, réédité récemment (1948).
(Nous avons déjà donné sur le masochisme quelques indications et quelques références bibliogra-
phiques dans notre Étude, n° 6, pp. 117 et 118.)
1. FREUD, Le problème économique du Masochisme, trad. franç, dans la Revue fr. de
Psychanalyse, 1938, pp. 211-223.
2. MICHELET, Histoire de France, t. VI, pp. 316-320 ; cf. aussi le livre que É. BOSSARD et R. de
MAULLE (Paris, 1880) lui ont consacré.
317
ÉTUDE N° 13
1. Il nous a été impossible de retrouver la référence exacte. Celle que donne LACASSAGNE (Archiv.
f. Psych.) est fausse.
2. Observation de LOMBROSO, Goldtanimer's Archives, t. 30, p. 13 (cité par KRAFFT-EBING, p. 156).
3. Étudié par Mac DONALD, Jack the riffer (traduction française de son ouvrage : Le criminel,
Lyon, 1894).
4. Il a fait l'objet d'un ouvrage de LACASSAGNE, Vacher l'Éventreur et les crimes sadiques, Lyon-
Paris, 1899, qui contient une excellente documentation sur le crime sadique.
5. Sur HAARMAN consulter Haarman le boucher de Hanovre, de E. QUINCHET, 1 vol., sans date,
édité à Paris et le n° du « Crapouillot », mai 1938, où R. ALLENDY a rapporté le cas.
6. Sur les flagellations, outre naturellement la multitude des publications pornographiques plus ou
moins clandestines, on se documentera dans les fameux et curieux livres de MEIBONNIUS, De lagro-
rum usu in re medica, Londres, 1765 et de BOILEAU, The history of the flagellests, Londres, 1783.
Cf. parmi les travaux contemporains Flagellants et flagellantisme, de Pierre SCHNYDER, Archives
suisses de Psychologie, 1932, 23, p. 279, etc. Sur la clinique de cette pratique, voir KRAFFT-EBING,
trad. franç., 1931, pp. 184-199 et W. STECKEL, Sadismus und Masochismus, Berlin-Vienne, 1925.
318
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
turante ou irritante.
La pyromanie nous paraît constituer une autre forme de criminalité sexuelle. …La pyromanie…
Nous ne pouvons nous égarer ici dans une étude de l'impulsion à mettre le feu, du
plaisir de « faire brûler » ou de « voir brûler ». Nous rappellerons simplement quelles
valeurs symboliques ont été reconnues au feu après les études de FREUD 2, de
CHRISTOFFEL 3, de FENICHEL 4, de BACHELARD 5, etc., sur les névroses dont l'image du
feu est comme dans le mythe de Prométhée, et dans tant de métaphores du langage de
l'amour, centrale 6. Les analystes ont parfaitement vu – et H. SCHNEIDER 7 y insistait
dans son étude du cas Johann ALBI – que la flamme est un symbole phallique qui
exprime « l'ardeur », la « destruction » et la « beauté ». Ce symbole recouvre par
conséquent le binôme essentiel des tendances, la « libido destrudo » dont le sado-
masochisme constitue l'expérience la plus profonde. Il est alors plus facile de com-
prendre que cliniquement la pyromanie se trouve « associée » aux pulsions agressives …images du feu et du
homicide et suicide. Les délires alcooliques oniriques qui mêlent les images du feu et meurtre…
du meurtre sont, à cet égard, hautement significatifs. Les deux dernières malades (deux …deux de nos exper-
jeunes filles) que nous avons étudiées à ce point de vue nous ont intéressées. Dans un tises…
cas il s'agissait d'une hystérique dont l'incendie d'une meule était profondément liée à
l'impulsion au suicide 8. Dans l'autre, il s'agissait d'une obsédée dont l'investigation
narco-analytique a mis en évidence le complexe d'Œdipe, comme dénominateur com-
mun d'une série d'images (feu, chaleur, homme, amour, viol par le père, « feu quelque
part », etc.) et processus inconscients du désir et de la crainte de mettre le feu.
Le feu dans de tels cas jaillit comme une flamme terrible qui purifie et exige tout
à la fois le fantasme du « meurtre du père »... La « Schadenfreude » de la pulsion pyro-
1. Dans le cas d'Érich KLOTZENS, analysé par M. Boss (p. 69 de son ouvrage, 1947), ce sadique
ne tirait son plaisir que du plaisir inverse et réel de la partenaire. Il recherchait en cela à refermer
le cercle vicieux du sado-masochisme sur sa figure érotique essentielle.
2. FREUD, Bruchsück einer Hysterieanalyse, Ges. Werke, 1924.
3. CHRISTOFFEL, Trieb und Kultur, Bâle, 1944.
4. FENICHEL, Perversionen, Psychosen, Charakterstörungen, Vienne, 1931.
5. BACHELARD, La psychanalyse du feu, Paris, 1938.
6. PFISTER, Ist die Brandstiftung ein archaïscher Subliemerungsversuch ? Intern. Zeitsch. f.
Psychoanalyse, 1915, m.
7. Hans SCHNEIDER, Zur Psychopathologie der Brandstiftung, Archives suisses de Neuro. et
Psych., 1946, 56, pp. 239-259.
8. Gustav DONALIES (Selbstmord und Brandstiftung, Nervenarzt, 1949, p. 133) a récemment
publié un cas qui illustre également la racine commune du suicide et de la pyromanie.
319
ÉTUDE N° 13
1. pp. 219-245.
2. Cf. à titre d'exemples les observations 252 à 260 de KRAFFT-EBING. Les relations profondes qui
peuvent lier le sadisme, l'homosexualité et l'œdipe sont illustrées dans le cas de LINTZ (in
CARLIER, Les deux prostitutions, 1889) qui, ayant poignardé son père, le viola.
3. Cf. KRAFFT-EBING, observations 81, 82, 83 et 326.
4. Cf. KRAFFT-EBING, observations 87, 88, 89.
5. Cf. NACHT, Le Masochisme, 1938.
6. R. LAFORGUE, Étude sur Jean-Jacques ROUSSEAU, Rev. fr. de Psychanalyse, 1927.
7. Cf. NACHT, Le Masochisme, pp. 40 et 41 et KRAFFT-EBING, pp. 238-240.
8. Cf. l'étude de MITLUF, « L'Asco » (La nausée), Revista de Neuro. Psiquiatria, 1947, p. 300.
320
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
de la nécrophilie, qui peut effectivement, comme dans les meurtres sadiques dont nous
avons parlé plus haut, s'exercer après l'assassinat de la victime. L'horreur, la putréfac-
tion de cadavres exhumés et dévorés parfois dans une orgie cannibalique qui défie « la
nausée », en constitue le pôle masochiste. Les profanations nécrophiliques procèdent
généralement de cette double tendance. ARDISSON 1 qui, selon les termes de KRAFFT-
EBING, « devorare solebat sperma proprium », « loco quo mulieres urinaverunt totium
bibere solebat » et pratiquait sur les femmes qu'il déterrait la « sucio mamma » et
« cunnilinctus » et « seulement exceptionnellement le coït et la mutilation ». Tout le
monde sait que le cas le plus connu et le plus étrange est celui du sergent BERTRAND 2. …le cas le plus connu et
Voici les déclarations que fit ce « monomane » au cours de son procès : « J'éprouvais le plus étrange est celui
le besoin irrésistible de la destruction et rien ne m'arrêtait pour me lancer dans un du sergent BERTRAND
cimetière afin d'y assouvir cette espèce de rage de mutiler les cadavres, mais sans (1849)…
m'occuper ni sans rechercher le sexe ». Le chirurgien major MARCHAI. (de Calvi) qui
comparut à titre de témoin au procès fit au nom de BERTRAND « qui ne pouvait se déci-
der à parler lui-même » la « solennelle » déclaration suivante qui laisse nettement
sous-entendre que BERTRAND était nécrophage : « A tant d'horreurs 3 j'ajoute un excès
d'horreur. La monomanie destructive s'est compliquée d'une autre... à laquelle la scien-
ce donne un nom spécial. Cette monomanie s'est produite, mais il est essentiel de faire
remarquer que c'est assez longtemps après les premières mutilations, à titre d'aggrava-
tion de cet horrible état mental. Je crois pouvoir me dispenser d'entrer dans les détails
minutieux sur les faits nouveaux dont il s'agit. J'ai cru un instant qu'il pouvait y avoir
quelque chose de plus et l'on se demande si c'est possible. Oui, c'est possible : car il y
a des cas d'anthropophagie, notamment celui qui a été rapporté par le docteur
BERTHOLLET, d'un homme qui déterrait les morts récemment ensevelis pour les dévo-
rer et qui se plaisait surtout à manger les intestins. Or l'un des cadavres arrachés à la
tombe par l'accusé offrait des « mâchures » dans une région déterminée. Mais ces
mâchures provenaient de ce que l'instrument avec lequel les incisions étaient prati-
quées n'étaient pas très bien aiguisé. » De fait BERTRAND a toujours nié qu'il dévorait
les cadavres, il s'est contenté d'affirmer : « Je n'ai jamais pu mutiler un homme ; je n'y
touchais presque jamais tandis que j'ai coupé une femme en morceaux avec un plaisir
extrême... je ne sais à quoi attribuer ça... 4 »
L'érotique sado-masochiste. « L'equus eroticus ». Les grandes manifestations
sado-masochistes, celles qui vont jusqu'à la mort et au delà sont rares. Latentes,
comme la fin même de cette faim de jouir de la mort, elles demeurent le plus souvent
321
ÉTUDE N° 13
322
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
« II y en a qu'on dresse par la douceur. Je suis de ceux qu'on dresse par la rigueur
et la force. C'est pourquoi le mors est nécessaire. Il agit par sa force propre et aussi par
l'humiliation dans laquelle il me met vis-à-vis de toi...
Ici il ne peut être question que de ramener la pensée de l'animal et de le faire vivre …Document sur le « maso-
dans l'attente inquiète du vrai régime qui devra être le sien. Il faut parler du dressage chisme à type chevalin »
et obliger à lire ou à dessiner des choses en rapport avec le sujet. Brider la nuit et atta- rapporté par DUPOUY
cher les mains plus étroitement soit au mors avec la chaîne, soit à la grande ceinture (AMP, 1929)
dès le retour du bain. Mettre le harnais complet sans perdre de temps, la rêne et les
poucettes, attacher les poucettes au harnais. La verge enfermée dans son étui de métal.
Rêner deux heures dans la journée, le soir à la volonté du maître.
Réclusion pendant trois ou quatre jours, les mains toujours attachées, la rêne ten-
due et détendue. Le maître ne s'approchera jamais de son cheval sans sa cravache et
s'en servira chaque fois. Si l'impatience ou la révolte de l'animal se manifestait, la rêne
serait tendue plus fort, le maître saisirait les guides et donnerait une sévère correction
à la bête.
Le temps du domptage fini, le maître ferait comprendre au cheval que l'épreuve
sera renouvelée, qu'il ne doit pas s'imaginer qu'il en est débarrassé et qu'elle reprendra
plus vite si l'animal n'est pas souple. Le régime qui succédera au domptage et qui devra
être maintenu constamment sera, la nuit, la rêne détendue, la martingale tendue ; au
réveil : l'inverse. L'animal devra porter, le jour, le harnais de cuir avec de larges sous-
cuisses et la verge enveloppée. Une ou deux fois par semaine, ou plus souvent, le
maître mettra ses bottes et fera un exercice à la cravache.
Les harnais indispensables sont les mors, les bracelets, poucettes ou gants ; les
gaines pour la verge. Ceux qui sont utiles sont : le collier avec cadenas quand le maître,
obligé de s'absenter, voudra s'assurer que le cheval ne sortira pas ; le masque, pour
empêcher les distractions ; les bretelles...
Régime de dressage : 1° Tu me feras harnacher complètement avec double mors,
la rêne, les mains bien attachées, le grand harnais. Tu mettras tes bottes et prendras la
cravache. Tu me feras faire des mouvements de bras commandés par la cravache. Tu
me fatigueras la bouche. Cela pendant dix minutes environ. Tu rattacheras les mains
pendant un temps d'arrêt. Tu recommenceras ainsi pendant une heure environ. Ensuite
tu me mettras le masque ou, s'il ne va pas, tu me mettras la ceinture de caoutchouc sur
les yeux et tu me laisseras méditer, attaché par la longe sur cette prise de possession,
le temps que tu voudras, en me fouettant quand tu viendras me voir et aussi pour finir.
2° Tu renouvelleras cet exercice au moins une fois par semaine et seulement pen-
dant une heure et en me débridant après.
3° Tu feras de même chaque fois que tu me trouveras nerveux, mais alors tu enlè-
veras la gaine de cuir et tu mettras l'anneau où la gaine de caoutchouc et tu me dépri-
meras complètement par contrainte.
L'axiome du dressage : « Détruire les forces instinctives pour les remplacer par les
forces transmises ».
Cela est-il possible ! Violenter la nature ! la modifier ! Si cela est possible, alors
nous sommes sauvés. Eh bien, rien n'est plus vrai. Ce qui arrive pour le cheval, animal
si nerveux, si ardent, et qu'on habitue à porter les harnais les plus compliqués et les
plus gênants, dont on fait un être résigné, soumis, qui attend les impulsions de son
maître, peut m'arriver aussi. La force instinctive, chez moi, est celle qui me donne cette
inquiétude de l'esprit, une nervosité que je sais assez bien cacher, mais qui m'excite.
La force instinctive agit en dehors de mon raisonnement, elle est la manifestation d'un
être à côté d'un autre être.
323
ÉTUDE N° 13
Tu ne dois pas tolérer chez moi mon tempérament, puisqu'il est possible de détrui-
re les forces instinctives et leur substituer les forces transmises. Le procédé, c'est d'iso-
ler, même dans la foule, l'étalon humain, de créer entre les autres et lui des obstacles,
de faire de son corps et de sa pensée le siège de sensations qui s'opposent à celles qui
sont dangereuses. En général le remède est à côté du mal.
N'hésite donc plus à ne faire parler mes sens que quand je suis en bride. J'ai beau-
coup trop joui de liberté à cet égard. Fais-moi oublier cette liberté-là et les sensations
qu'elle m'a procurées. Tout te pousse, hélas, à agir ainsi, l'importance qu'il y a pour toi
à ne plus être enceinte te donne encore plus de force, tu n'as plus de raison pour ne pas
faire des rapports un simple exercice de discipline et d'hygiène, et je perdrais d'autant
ma fierté d'homme, car, remarque-le toujours : il n'y a rien qui rende les hommes plus
fringants que l'exercice à leur fantaisie de leur virilité. Rien qui les rende plus
modestes comme quand ils sont sous la domination de leur femme. Retiens bien cela
qui est l'expérience universelle.
Attitude du maître. Elle a une grande influence. Tu dois t'imposer à moi et savoir
que l'impression de te voir avec tes bottes et ta cravache en mains m'en impose. Fais
de ce que je te dis ce que tu voudras, mais ces signes de ta domination sur moi m'im-
pressionnent et me ramènent à la pensée de ce que je suis pour toi. Ma verge trahit ces
impressions et tu dois la tenir en éveil, car chaque fois que tu agis sur elle, tu la
détournes des autres impressions. C'est ainsi que tu arriveras, je le sais, à tenir partout
ma pensée. Tu ne dois tolérer aucune discussion, ne tenir compte d'aucune préférence,
…« je suis ta chose »…
d'aucune fantaisie. Je ne dois être libre que pour le devoir à accomplir. Mais en dehors,
je suis ta chose. »
Mais le masochiste non seulement exige d'être piétiné, écrasé mais encore ne par-
vient à la plénitude de sa volupté que si son partenaire jouit lui-même de la dégrada-
tion à laquelle il le soumet et le réduit. Sadisme et masochisme sont exactement com-
plémentaires. Dans le cas de BOSS (cas Erich Klotzens) par exemple, la volupté dans
le mal infligé était requise pour le plaisir du mal souffert. Et il en est ainsi générale-
…tout couple sado-maso-
chiste [réalise] l'unité
ment pour tout couple sado-masochiste dont le schéma fondamental des relations éro-
primitive du système pul- tiques consiste en une sorte de division du travail des tendances qui ne se satisfont
sionnel (souffrir et faire qu'en réalisant dans leurs actions réciproques, l'unité primitive du système pulsionnel
souffrir)…
(souffrir et faire souffrir).
Ceci rend évident le fait que le couple bisexué où cette division du travail algola-
gnique est maxima constitue le modèle du couple où s'inscrivent le plus naturellement
les valeurs sado-masochistes. Mais le couple homosexuel, surtout dans sa forme d'in-
version, peut admettre aussi cette figure sado-masochiste du « dessus » et du « des-
sous », du Souverain et de l'Esclave 1.
Le système pulsionnel sado-masochiste. Les travaux des psychanalystes sont inta-
1. Tout couple en effet, quelle que soit sa structure hétéro- ou homosexuelle, apporte à la com-
munauté de ses échanges, les valeurs « économiques » de don, de propriété, de livraison, de paie-
ment, de compensations, de dettes, de droits, etc., que constituent comme une répartition des
bénéfices et des dommages affectifs de son « commerce »...
324
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
rissables sur ce sujet 1. Il y a lieu de remarquer qu'ils se sont plus intéressés au maso- …les travaux psychanaly-
chisme qu'au sadisme, ne considérant celui-là que comme une sorte de retournement tiques se sont plus inté-
ressés au masochisme
de celui-ci contre lui-même. La liaison du masochisme avec la culpabilité, l'auto-puni-
qu'au sadisme…
tion, le désir de châtiment et d'auto-destruction fait de cet aspect libidinal de la vie ins-
tinctive, en raison même de sa structure complexuelle, un objectif de choix pour l'in-
vestigation psychanalytique. Par contre, le sadisme en tant que forme de l'agression
dirigée contre le monde des « objets » (personnes ou choses) apparaît comme une don-
née plus primitive et moins analysable de l'instinct. Quoi qu'il en soit, la profonde dia-
lectique qui unit le plaisir à la douleur, l'agressivité à la culpabilité passe naturellement
par les diverses configurations historiques du développement libidinal que nous avons
rappelées à propos de la fixation homosexuelle. Depuis la phase orale où « aimer »
c'est dévorer l'objet, depuis le stade d'auto-érotisme anal qui « court-circuite » les pul-
sions agressives et hédoniques, jusqu'aux différenciations de la situation œdipienne où
les pulsions d'agression par frustration, par rivalité et les pulsions auto-punitives ou de
culpabilité, puisent leur énergie dans le complexe de castration, les fantasmes du mor-
cellement du corps et de châtiment corporel – le pôle de l'agressivité sadique et celui
de l'anéantissement masochiste concourent à chacune des phases de ce développe-
ment. L'analyse découvre ainsi que la libido, divisée contre elle-même, tend constam-
ment à satisfaire son ambivalence et cela jusqu'à inverser ses plaisirs, à érotiser la dou-
leur, à saturer ses voluptés par l'angoisse.
Les analyses « anthropologiques » de GEBSATTEL OU de H. KUNZ complètent ce …analyses « anthropolo-
que la conception psychanalytique a de sommaire et rejoignent en un certain sens – giques » de GEBSATTEL ou
de H. KUNZ…
sans se confondre avec elles comme le démontre l'auteur – celles de M. Boss.
L'analyse du cas Erich Klotzens lui permet de mettre en évidence 2 que le sado-maso-
chisme constitue une « manière d'être au monde » qui enferme l'individu dans un uni-
vers froid et métallique et ce cosmos lui-même dans une existence de haine. Les rela-
tions hommes-femmes dans ce bloc de marbre et de glace ne sont possibles que dans
et par cette haine qui électrise le « nerf vital » de leur seule communication. Mais il y
1. On consultera spécialement : Trois Essais sur une théorie de la sexualité, trad. fr., Documents
bleus de la N. R. F. ; Un enfant est battu, trad, fr., Revue de Psychanalyse, t. VI ; Triebe und
Triebschicksal (1915) ; Le problème économique du Masochisme, 1924, trad. fr, Revue fr. de
Psychanalyse, 1928, etc., de FREUD, et les travaux de A. EULENBURG {Sadismus und
Masochismus, Wiesbaden, 1902), de P. FEDERN (Beitrage zur Analyse des Sadismus und
Masochismus, Intern. Zeitsch. f. Psychanalyse, 1913-14), de SADGER (Ueber den sado-masochis-
ten Kouplen, dans Zeitsch. f. Psychanalyse und psychopathe Forschungen, 1913), de STECKEL
(Störungen Trieb und Affektsleben, 1925, t. VIII : Masochismus, Sadismus), de W. REICH (Der
Masochisten Charakter, Intern. Zeitsch. f. Psychanalyse, 1932), de NACHT et LOEWENSTEIN
(Rapports sur le Masochisme, X° Conférence de Psychanalystes de langue française, Paris,
1938), de Th. REIK (Masochisme in modem Mann, New-York, 1941), de Karen HORNEY (New
ways in Psychoanalysis, New-York, 1939), etc.
2. Après 600 séances de psychanalyse qui ont abouti à cet heureux résultat que ce sadique aimait
tellement le corps de sa femme que « cela lui faisait mal » de poser sa main sur lui…
325
ÉTUDE N° 13
a un abîme, le même « qui sépare le jour et la nuit », entre la haine simplement « réac-
tionnelle » et cette forme d'existence haineuse qui devient le principe même, le plaisir
spécifique du sado-masochisme, l'expérience vitale de l'angoisse-plaisir. Certes, une
…la daseinsanalyse […] telle « Daseinsanalyse » n'est pas en contradiction, nous semble-t-il, avec ce que l'éco-
met davantage et plus jus- le psychanalytique nous a appris de l'inconscient sado-masochiste, mais elle met
tement l'accent sur l'as- davantage et plus justement l'accent sur l'aspect structural et total de la « perversion ».
pect structural et total de
Celle-ci n'est pas « simplement » réductible à une régression pulsionnelle partielle
la « perversion »…
mais elle étreint l'être tout entier et resserre jusqu'à l'étouffer les liens qui étranglent
ses rapports avec autrui dans un monde de violence et de tourments 1.
2° Érotisation du regard.
C'est en tant que support des expériences des plaisirs et de la douleur que la sensi-
bilité subissant une distorsion « algolagnique » se pervertit comme nous venons de le
voir dans le sado-masochisme. Nous ne sommes pas dupes cependant de ce langage
« sensasionniste » puisque nous venons de mettre en évidence que la perversion sado-
masochiste est essentiellement un mode d'existence. Nous devons, en étudiant mainte-
nant « l'érotisation du regard », nous garder de la même illusion. Ce n'est pas la
« vision » ou le « champ perceptif visuel » que nous envisagerons ici, mais un mode
d'existence dont la vision est le radical fonctionnel. C'est parce que par le regard nous
embrassons toute la nature dans ses relations avec la place que nous occupons dans l'es-
pace de l'univers et d'où dérivent les perspectives, incidences, dévoilement et recoupe-
ments de tous ses plans, que le monde du regard est ce regard sur le monde qui nous
renvoie constamment à la magie de l'image corporelle, laquelle lie, par ce que je vois,
ce que je suis à ce qui est. Le monde est ainsi et aussi un miroir dont j'occupe le centre
…La vision du monde et et qui me renvoie les désirs que je lui offre. La vision du monde et d'autrui ne me four-
d'autrui ne me fournit pas nit pas seulement l'horizon de mon existence, elle constitue aussi une modalité média-
seulement l'horizon de
te du pouvoir que j'exerce sur lui : regarder c'est attirer à soi 2. Mais la magie du regard
mon existence, elle
constitue aussi une moda- est aussi celle du monde des images qui représentent aux yeux de la conscience, le
lité médiate du pouvoir monde quand nous nous détournons de lui comme pour le mieux plier à nos désirs. C'est
que j'exerce sur lui… ainsi que le rêve, forme suprême de la vision fantasmique, par son atmosphère specta-
culaire et spéculaire, indique suffisamment quel enchantement constitue pour le dor-
meur « voir en songe » quand il se livre lui-même à son propre regard. Il est inutile de
poursuivre cette esquisse phénoménologique du monde du regard ; ce que nous venons
de dire suffit pour nous rappeler quelle visée sur le monde, sur autrui et sur soi il repré-
sente et par conséquent quel support privilégié il doit être pour ces anomalies qui trans-
posent sur un registre paradoxal le vécu des relations érotiques.
326
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. Nous lui avons réservé une étude spéciale (Étude, n° 12) en raison de son importance clinique
et médico-légale, surtout dans la tradition classique française.
2. « Voyeurisme » a des synonymes : « scoptophilie » ou pour KRAFFT-EBING « mixoscopie ».
3. Nous aurons l'occasion de souligner avec LAGACHE l'importance des relations de la jalousie
morbide et de la scoptophilie (Étude, n° 18).
327
ÉTUDE N° 13
Les fortes fixations libidinales de la zone orale 1 persistent tout au long de l'exis-
tence et la bouche reste comme un organe sexuel commun aux deux sexes. Le rôle
…le baiser… qu'elle joue dans le plus innocent des baisers et à plus forte raison dans le baiser pro-
fond est un témoignage de cette érotisation primitive 2. Mais le tabou dont il est frap-
pé par contre au Japon ou « dans les races noires de l'Afrique (HAVELOCK ELLIS), par
exemple, n'est pas moins significatif. Quant au « baiser olfactif » des Chinois, il est un
véritable « reniflement ». Ceci nous conduit à faire entrer dans l'érotique orale le sys-
tème olfactivo-gustatif qui est annexé à l'extrémité supérieure du tube digestif et joue
un rôle si considérable dans son fonctionnement : les odeurs et les saveurs sont comme
les gardiennes des réflexes de déglutition. Elles l'inversent dans le dégoût et la nausée.
Ces données de l'odorat et du goût jouent un rôle considérable dans le développe-
ment érotique. Certaines, spécifiques (comme chez les animaux) constituent les excitants
sexuels inconditionnés ; d'autres manifestent des « conditionnements 3 » occasionnels et
personnels. Les fades ou fétides odeurs organiques de la sueur, des sécrétions génitales,
etc., ou les parfums qui les masquent, sont fortement liées à la structure globale de l'ob-
jet érotique et ne cessent de jouer un rôle important dans l'activité sexuelle.
L'activité orale d'absorption, de succion et de déglutition, sorte de ventouse digestive
détournée de sa fin, reste au service de la libido et fait partie constamment ou occasion-
nellement des figures physiques de l'amour. Il suffirait, pour ceux dont la documentation
serait insuffisante, de lire le livre-statistique de KINSLEY pour être assuré que ces pratiques
sont courantes sinon constantes 4 quoique dans certains pays « interdites par la loi ».
1. Dans la phase d'érotique orale primitive les psychanalystes distinguent généralement la phase
de la succion et celle d'une ébauche de cannibalisme où l'enfant pourvu de dents mord autant qu'il
suce le sein maternel.
2. Cf. HAVELOCK ELLIS, t. IV. En appendice : « Les origines du baiser ».
3. L'application de la « réflexologie » aux perversions ne peut atteindre qu'un « conditionne-
ment » en quelque sorte superficiel contingent et occasionnel. Il est bien certain qu'on ne devient
pas « fétichiste » parce que, à un moment de son passé, on a associé l'image d'un soulïer ou une
odeur, au désir sexuel. Nous sommes tous « conditionnés » dans ce sens qui est celui même de
notre « histoire » individuelle. La dynamique de la perversion est beaucoup plus profonde et si
elle utilise les « associations » ou les « souvenirs » elle n'en dépend pas. LAIGNEL-LAVASTINE,
MARANON, MOREL, DALBIEZ, etc., et en un certain sens SCHULTZ-HENKE (Der gehemente Mensch,
p. 55) ont admis cette interprétation mécaniciste du « déplacement » symbolique. G. DUMAS (cité
par HESNARD) a même tenté de rendre expérimentalement certains chiens fétichistes (téléphone
reproduisant les jappements de la femelle, puis sonnerie annonçant le téléphone...) sans obtenir,
ajoute HESNARD, « le déplacement spécifique de l'excitabilité sur la perception amorcée.
Naturellement toutes ces théories ou expériences ont été vivement critiquées (HESNARD, M. BOSS,
etc.). Elles tombent sous le coup de la critique que nous avons présentée (Évolution
Psychiatrique, 1947, t. I) de l'application des idées de PAVLOV à la psychiatrie. MASSERMAN, lui
aussi, a étudié récemment les conditions expérimentales des perversions sexuelles.
4. On sait combien la bouche joue un rôle essentiel dans les pratiques homosexuelles. Elle peut jouer
même ce rôle dans les pratiques de l'onanisme masculin. KRAFFT-EBING et HIRSEN ont rapporté des
cas et récemment Eugène KAHN et Er. LION (Amer. J. of psychiatry, t.95, 1938, p.131) …/…
328
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
Les fonctions d'expulsion excrémentielle (zone érogène anale) – nous l'avons sou-
ligné – sont assez rapidement frappées d'une prohibition qui est provoquée normale-
ment par la violence du « dégoût ». Mais de nombreuses traces persistent de cette éro-
tique primitive soit dans le « caractère anal » soit dans le comportement érotique.
Les perversions oro-copro-anales sont caractérisées par le fait qu'il s'agit non plus …Les perversions oro-
de comportements « bruts » ou occasionnels mais de moyens exclusifs d'obtenir l'or- copro-anales sont carac-
gasme. Les fonctions digestives, toutes les sensations qui s'y rattachent, les organes qui térisées par le fait qu'il
s'agit non plus de com-
les assurent, leurs produits excrémentiels, objets chez l'adulte d'un dégoût systéma-
portements « bruts » ou
tique deviennent l'objet d'un goût systématique. Qu'il s'agisse de pédicatio ou de occasionnels mais de
coprophilie ou encore de perversions du goût ou de l'odorat qui érotisent les viscosi- moyens exclusifs d'obte-
tés, les immondices, les fétidités les plus nauséabondes, la formule de la perversion nir l'orgasme…
érotique reste la même : inverser le dégoût jusqu'au goût, investir de désir les objets
de répulsion 1. Cette tendance qui nous ramène à l'inversion masochiste des valeurs
conduit à des dépravations monstrueuses et la nécrophilie, nous l'avons vu, représente
le terme ultime de ses plaisirs sordides. Toutes sont en rapport avec la coprophilie et
dans leur forme extrême avec la coprophagie. Nous nous bornerons à rappeler
quelques faits que l'on trouvera exposés dans la « Psychopathia sexualis » de KRAFFT-
EBING 2.
Le léchage des parties honteuses ou mal odorantes, la succion des pieds, le « reni-
flage » du linge souillé des excréments, des cuvettes des W. C., la « defecatio in os »
sont les pratiques que l'on rencontre le plus souvent. Certains mangent des morceaux
de pain qu'ils ont laissés traîner dans les vespasiennes ; une observation de BLONDEL
(183 de KRAFFT-EBING) nous rapporte le cas d'un jeune homme qui émettait des gaz et
se masturbait en pensant aux excréments qu'il s'imaginait toucher et souiller les parties
génitales et les hanches des femmes ; une fois, dit-il, il se masturba à la fenêtre de sa
chambre devant ses matières fécales « dont l'odeur le ravissait » quand passait sur le
trottoir d'en face une femme. L'observation du coprophile Rico Datena, profondément
analysé par M. BOSS, est à cet égard très intéressant 3. Chez cet homme qui n'atteignait
l'orgasme qu'au contact du cylindre fécal dans le coït rectal, la forme d'existence cor-
respondante à son aberration érotique avait une structure « souterraine », celle d'un ver
…/… et M. M. KELLER et G. E. PORCHER (Amer. J. of Psychiatry, t. 103, 1946, p. 94) ont publié
des observations d'autofellator ; cf. également les deux vieux ouvrages de LAURENT (Les habitués
des prisons de Paris) et de LUYT (Les fellatores, Paris, 1888).
1. Le travail psychanalytique de Lawrence S. KUBIE (The psychoanalytic Quarterly. 1937, VI, p.
388, trad. espagnole in Revista de Psicoanalisis 1948, 4, p. 917 à 950) sur la « saleté » est d'un
très grand intérêt. Il étudie comment le fantasme du corps-fabrique d'excréments constitue le
centre du système de pulsions et contrepulsions que forment les hiérarchies inconscientes du
« sale » (tabou des orifices et des fonctions excrémentielles.
2. Observations 115, 117, 153, 161, 162, 163 et notamment p. 346.
3. M. BOSS, pp. 49-54.
329
ÉTUDE N° 13
…pour lui l'intestin repré- de terre (Warenexistenz) : pour lui l'intestin représentait le seul et le plus profond habi-
sentait le seul et le plus tacle de « l'amour ».
profond habitacle de
Le tube digestif, cet ensemble d'organes qui assument l'incorporation de la nourri-
« l'amour »…
ture et l'expulsion de ses déchets, est bien un des appareils les plus « organiques » de
notre économie, mais il est déjà un appareil de la vie de relation. Par lui s'établissent
les contacts vitaux de l'homme et de son milieu non pas seulement comme dans l'ap-
pareil respiratoire sous forme végétative et automatique, mais sous forme d'un choix
objectal proposé à son avidité et sous forme d'un premier exercice de la volonté de
retenir ou d'expulser. Il représente à l'état d'ébauche une dynamique primitive des rap-
ports du corps et du monde et ce n'est pas un des moindres intérêts de la psychologie
freudienne de nous avoir fait comprendre que les faits, dont nous venons de parler,
n'ont pas un intérêt d'anecdotes scatologiques, mais nous font pénétrer dans les arcanes
les plus profondes de la vie instinctive.
4° Érotisation urinaire.
Tout près de l'érotisation du tube digestif et de son contenu se trouvent les perver-
sions qui investissent l'appareil urinaire et les urines de valeurs libidinales.
…Le nom d'ondinisme a
été proposé par L'urinolagnie et l'ondinisme 1 ont été étudiés spécialement, et il y a déjà longtemps,
HAVELOCK ELLIS… par SADGER 2, par FERENCZI 3 et surtout par HAVELOCK ELLIS 4. L'érotique uréthrale
consiste essentiellement à lier, comme dans les fantasmes infantiles et souvent dans les
sensations génitales féminines, le plaisir sexuel aux fonctions d'urination.
L'importance de l'origine sexuelle de l'énurésie infantile s'est accrue depuis que l'uri-
nation nocturne a été considérée comme une pollution. Généralement les urolagnes
éprouvent un plaisir spécial à uriner, à voir uriner, à uriner dans leurs mains, etc. 5.
L'absorption d'urine ou l'urination « in os 6 » constituent les formes les plus habituelles
de ces perversions uréthro-érotiques.
…les « vrais ondinistes » Pour SADGER l'érotisme uréthral s'institue dans l'enfance et est équivalent à l'éro-
qu'il a étudiés et qui tisme anal. L'enfant, dit-il, regarde l'urine comme un produit sexuel. Tout le volume
étaient surtout des
que HAVELOCK ELLIS a consacré à cette perversion qu'il appelle « ondinisme » a préci-
femmes…
sément pour thème le symbolisme de l'eau. Pour lui les « vrais ondinistes 7 » qu'il a
étudiés et qui étaient surtout des femmes ont une vie urinaire qui recouvre constam-
ment la vie sexuelle et « leurs expériences d'ordre urinaire, associées à l'amour de
330
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
l'eau, en général, sont une source suffisante de jouissance indépendante, sans accom-
pagnement sexuel » (p. 240). Cette aberration serait donc en relation avec les repré-
sentations de l'inconscient collectif, les mythes et le symbolisme de l'eau, le « culte des
eaux », dont les ondines étaient les nymphes. Les perversions uréthro-érotiques et sur-
…retour à une forme de
tout urino-érotiques doivent être considérées, selon H. ELLIS, comme un retour à cette
pensée pour qui l'urine
forme de pensée « pour qui l'urine est une manifestation sacrée et magique des quali- est une manifestation
tés naturelles de l'eau ». Bien entendu, le désir de revenir dans l'eau, de se replonger sacrée et magique des
dans le milieu aqueux primitif, n'a pas manqué d'être rapproché par RANK 1 du désir qualités naturelles de
l'eau…
de replonger dans le liquide amniotique maternel.
Ainsi que la coprophilie, l'urolagnie constitue une aberration anatomiquement et
psychologiquement parallèle de l'instinct génital. Le dispositif même des organes uri-
naires et leur valeur érotique propre fourvoient l'élan sexuel, le fixent « à côté » et l'en-
gagent dans un système de fantasmes et de pratiques qui constituent une érotique de
déplacement et de substitution, un monde qui, pour n'être pas celui de la sexualité, en
demeure cependant une exacte réplique.
Ainsi s'achève cette étude des perversions typiques, cet inventaire des comporte-
ments qui puisent dans les aberrations de la sexualité leur plus profonde détermination
et se présentent comme les formes monstrueuses de l'instinct dévié de sa trajectoire
« naturelle ».
331
ÉTUDE N° 13
moral », les « tendances érotiques » ont été plus ou moins profondément modifiés par
une affection cérébrale. Par exemple, dans la vieille statistique SCHUSTER, sur 775 cas
de tumeurs cérébrales, dans 7 cas le tableau clinique psychopathique avait été celui de
la « moral insanity ». La pathologie diencéphalique dans ses rapports avec le système
neuroendocrinien hypophyso-épiphysaire a permis de noter les réactions « impul-
sives » ou « perverses » des malades gravement atteints dans leurs fonctions neurové-
gétatives.
…c'est surtout l'encépha- Mais c'est surtout l'encéphalite épidémique qui a donné lieu aux observations les
lite épidémique qui a plus décisives 1. Il s'agit là d'un des aspects, on peut même dire d'une des découvertes
donné lieu aux observa- les plus extraordinaires de la pathologie nerveuse moderne. Le fait n'a pas manqué de
tions les plus déci-
frapper, vers 1922-1925, les observateurs. Les travaux de Gilbert ROBIN 2, de
sives[…] C'est une des
découvertes les plus MENGER 3, de FRIBOURG BLANC 4, de COMBES-HAMELLE 5, etc., chez nous ; en
extraordinaires de la Allemagne : de DOFFLER (1924), de THIELE (1926) ; en Suisse : de STECK ; ailleurs :
pathologie nerveuse de CLAY, de COLAPIETRE, de WIMMER (1924), de M. MOLITSCH (1935), etc. et d'in-
moderne…
nombrables publications de cas cliniques ont familiarisé tout le monde psychiatrique
avec ces faits qui sont, répétons-le, fondamentaux pour le problème qui nous occupe.
Rappelons simplement que les tendances encéphalitiques impulsives perverses 1
1. Nous examinerons dans ses détails le problème des perversions instinctives de l'encéphalite
dans le tome IV de ces Études.
2. Gilbert ROBIN, Thèse, Paris, 1925.
3. MENGER, Thèse, Paris, 1929.
4. FRIBOURG BLANC, Rapport au Congrès de Médecine Légale, 1928.
5. COMBES-HAMELLE, Thèse, Paris, 1941.
6. Par exemple CENAC (Annales Médico-Psycho., 1924) ou observation 21 de FRIBOURG BLANC.
7. Observations de FRIBOURG BLANC, de REBOUL LACHAUX (1924) et de Mlle LERIT (1924), de
SCHIFF et TRELLES (Annales Médico-Psycho., 1931).
8. Observations de FRIBOURG BLANC, de FRIBOURG BLANC et SCOULAS (Hygiène Mentale, 1931).
9. LAIGNEL-LAVASTINE et MORLAAS (Encéphale, 1926).
10. CLAUDE-ALAJOUANINE et SIVADON (Annales Médico-Psycho., 1936).
332
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. DELMONT et CARRERE (Le syndromepsychologique dans les cas de perversité par encéphalite
épidémique chronique à forme retardée, Annales Médico-Psycho., octobre 1938).
2. RINDERKNECHT, Ueber Kriminelle Heboïde, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1920, 57, p.35
3. HALBERSTADT, La forme héboïdophrénique de la D.P., Ann. Méd.-Psycho., 1925, II, pp.24-32
4. Michele EMMA, Contributo allo studio della éboïdofrenie, Rassagna di Studi psichiatrici,
1936, 25, pp.41-76, article très important avec 6 observations.
5. P. GUIRAUD, Constitution perverse ou héboïdophrénie, Bull. Méd. Ment., 1927, p.89.
333
ÉTUDE N° 13
334
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
cette « Étude », qui doit montrer combien le problème de la « perversité » est insépa-
rable d'autres problèmes, des hallucinations ou des délires qui projettent les tendances
perverses ou perverties dans l'imaginaire du délire 1, des crises d'excitation ou de
dépression qui sont animées par la dynamique sado-masochiste, de la schizophrénie
qui constitue une régression vers le narcissisme au travers des différenciations objec- …toutes les formes de
régression de la conscien-
tales progressives (œdipe, homosexualité, etc.), et plus généralement de toutes les
ce et de la personnalité
formes de régression de la conscience et de la personnalité qui par leur altération par leur altération même
même deviennent amorales, antisociales, perverses ou perverties, très exactement deviennent amorales,
comme lorsque nous nous endormons, nous chavirons dans le scandale moral et le antisociales, perverses ou
perverties…
scandale logique du monde des images.
1. Cf. par exemple la thèse de HUMBERT, Homosexualité et Psychopathie, Thèse, Paris, 1935.
2. En corrigeant les épreuves de cet ouvrage nous avons noté à propos du terme « anastomose »
dont nous nous servons ici qu'il est venu sous la plume de J. GENET (Le Journal du voleur, 1949,
p. 181) : « La trahison, le vol et l'homosexualité, écrit-il, sont les sujets essentiels de ce livre. Un
rapport existe entre eux, sinon apparent toujours, du moins me semble-t-il reconnaître une sorte
d'échange vasculaire entre mon goût pour la trahison, le vol et mes amours. »
335
ÉTUDE N° 13
Le dénominateur commun aux deux groupes est donc constitué par la dépendance
de la vie affective et sociale (dont la relation « amoureuse » est le centre) à l'égard des
formes primitives de l'existence.
A ce titre ces formes de perversité pathologique s'opposent à la perversité de la
« mauvaise conscience » ou de la conscience qui choisit son histoire, son monde, son
mal comme une préférence insurrectionnelle et réfléchie pour une lutte contre la mora-
le et la société, la nature et le bien.
…pour éviter les confu- Nous parvenons ainsi dans ce problème comme dans tous les autres au point où
sions de plan de la plu- pour dissiper toutes les obscurités et pour éviter les confusions de plan de la plupart
part des théories nous
des théories nous devons nécessairement recourir à une hiérarchie des formes.
devons nécessairement
recourir à une hiérarchie La perversité normale ne se définit pas par son absence de monstruosité « contre-
des formes… nature » puisqu'elle implique le choix de conduites, de plaisirs ou des vices tirés du tré-
fonds commun de la nature humaine. Par contre, elle se définit malgré son antimora-
…La perversité normale
lité et plus précisément à cause de son antimoralité par sa solidarité avec une
elle se définit malgré son
antimoralité […] par sa « conscience morale » et une « volonté » capables d'agir autrement. Effectivement la
solidarité avec une trajectoire historique de la personnalité de ces « pervers » passe par une série de phases
« conscience morale » et dont la perversité est une conclusion à la fois idéologique et existentielle. La perversi-
une « volonté » capables
té normale est une conséquence d'une conception du monde, elle dépend d'une certai-
d'agir autrement…
ne ouverture au monde qui définit le destin de l'homme. Il en est encore ainsi lorsque
la perversité reflète seulement le milieu culturel dans lequel se déroule l'existence : elle
Dans les formes patholo- est « normale », car pour si corrélative qu'elle soit de la « culture » et des « mœurs »
giques, le malade est
elle engage l'être dans la trajectoire de sa destinée, de sa volonté.
« poussé » par la dyna-
mique interne de son sys- Les formes pathologiques des conduites mauvaises sont, par contre, caractérisées
tème pulsionnel à agir en par le fait que le malade est « impuissant » à agir autrement, qu'il est « poussé » par la
dehors ou contre les dynamique interne de son système pulsionnel à agir en dehors ou contre les règles
règles morales auxquelles
morales auxquelles il ne peut accéder puisqu'elles supposent précisément une certaine
il ne peut accéder…
maturité de la conscience morale (Gewissheit) ou de la conscience tout court
(Bewusstheit). Elles se distribuent en une série de niveaux qui vont pour le versant des
agénésies depuis la malformation jusqu'à l'immaturation. Les malformations somato-
psychiques de base sont un vice de la nature. Nous l'avons vu à propos des formes her-
maphrodites de l'homosexualité, mais nous pouvons en dire autant de l'oligophrène
incapable d'intégrer l'automatisme de ses comportements dans la sphère morale. Les
immaturations constituent toute la gamme des névroses. À sa base se trouvent les
névroses d'angoisse où la recherche obsédante du plaisir défendu se limite ou s'ajuste
aux inflexions du sur-moi. A son sommet c'est la forme d' « amoralité constitutionnel-
le » avec son noyau de perversité cynique qui exclut l'angoisse et exprime essentielle-
1. Les deux formes cliniques que nous distinguons généralement : « perversité constitutionnel-
le » et « perversions sexuelles », se définissent par le rapport inverse qu'y affectent …/…
336
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
…/… la perversité et la culpabilité sur le plan de la conscience. Le pervers n'a pas de sentiment
de culpabilité ou l'a à contresens (faire bien c'est faire mal). Le psychopathe sexuel est tout à la
fois poussé à faire mal et à s'angoisser dans l'assouvissement même de ses passions. Le « défaut
de culpabilité » du pervers c'est l'implacable devoir à rebours de se retrancher de la fusion affec-
tive avec le monde. La culpabilité du névrosé c'est la nécessité de l'impuissance et du tabou lié
aux interdictions du Sur-Moi.
1. Nous avons dans notre article « La Psychiatrie devant le Surréalisme » (Évolution Psychiatrique,
1948) [NdÉ : réédition opus cit. p. 208] traité de ce problème en concluant que si le poète fait du
merveilleux, le malade est merveilleux. C'est une analyse structurale de même ordre qui doit être
entreprise au sujet de la perversité, nous nous contentons d'en indiquer le sens général.
337
ÉTUDE N° 13
338
PERVERSITÉ ET PERVERSIONS
1. La discussion qui s'est instituée ces dernières années entre les « anthropologistes » (SCHWARZ-
GEBSATTEL) et M. BOSS tourne tout entière autour de cette structure « ouverte » ou fermée de la
perversité. Il nous semble que plus une perversité a une structure « pathologique » plus elle est
« fermée ».
2. Nous croyons rejoindre ici les pénétrantes analyses de Max SCHELER et les études de E. DE
GREEFF (Notre destinée et nos instincts, 1945 ; Introduction à la criminologie, 1946 ; Les instincts
de défense et de sympathie, 1947).
3. Dans le sens de RAUH et des phénoménologistes. Si l'on voulait donner à la formule une valeur
métaphysique on retomberait naturellement dans les « hérésies » du manichéisme de MARCION,
de MANI, et des « Catarrhes »...
339
ÉTUDE N° 13
…la réaction perverse se venons de le voir en conclusion de cette étude. Mais en tant que, sous toutes ses formes
définit par l'inversion sys- (et d'autant plus qu'elles sont « typiques » ), la réaction perverse se définit par l'inver-
tématique des valeurs sion systématique des valeurs morales, le problème de la perversité est celui des rap-
morales, le problème de
ports de la personne avec autrui.
la perversité est celui des
rapports de la personne C'est le courant d'ouverture au monde, de positivité, de sympathie et d'amour qui
avec autrui… constitue la polarisation normale du champ de la conscience morale. Et nous pouvons
ainsi mieux apercevoir quel est le sens que nous avons entendu donner à cette étude :
celui de la fusion au stade primitif, mais à ce niveau seulement, du problème de la
« perversité » et de celui des « perversions sexuelles ». S'il n'est pas, s'il ne peut être
exact de faire dépendre tous les rapports du moi avec autrui des « rapports » sexuels,
et tout le système des relations interhumaines, de l'érotique, il ne peut être question
non plus 1 de réduire la « libido » à une forme générale de l'existence, de la « maniè-
re d'être-au-monde ». – C'est donc, seulement dans une perspective génétique des rela-
tions du moi et d'autrui qu'il est possible de voir que la première forme d'union du moi
avec les autres est entièrement investie de valeurs libidinales et que c'est dans cette
première couche de rapports avec les personnes qui entrent dans la « constellation
affective » du champ de la préconscience que se condensent les sentiments d'identifi-
cation, de sympathie et d'antipathie, d'attraction et de répulsion qui lient le moi à un
« objet » humain dans une relation « prémorale ».
…La structure érotique
De telle sorte que toute forme pathologique de « moralité perverse » qui gardera
radicale de toute perver-
sité pathologique est l'ex- cette structure ou y reviendra sera celle d'une inversion des rapports qui lient le Moi
pression vitale de l'enra- au monde de ses premiers objets libidinaux. La structure érotique radicale de toute per-
cinement des rapports versité pathologique est l'expression vitale de l'enracinement des rapports avec autrui
avec autrui dans le jeu
dans le jeu primitif des fantasmes objectaux.
primitif des fantasmes
objectaux… La perversité « pure » ou normale en tant que retournement ou bouleversement
plus ou moins obstiné – « criminel » ou « héroïque » – du monde des devoirs, celle qui
naît d'une expansion libre de l'être qui s'est détaché de son existence première pour
créer une antimoralité n'aura d'autres ressources que de se proposer comme idéal, un
retour au monde des instincts et des voluptés, de toutes les voluptés qui, virtuelles
« sommeillent » dans le cœur humain.
Ainsi qu'elle en jaillisse, ou qu'elle la reflète, toute perversité, toute forme de la
négation des rapports non pas seulement « physiques » mais aussi « moraux » de
l'homme avec autrui, est une inversion, une stérilisation de l'amour.
340
Étude n° 14
9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
1. Le meurtre de soi (sui cœdere) ne s'appellerait suicide, d'après G. DESHAIES, que depuis 1737,
date à laquelle l'abbé DESFONTAINE aurait employé pour la première fois ce mot, repris par les
encyclopédistes. On parle souvent d'« idées de suicide » ; en fait il s'agit plus exactement d'une
tendance, d'une velléité, d'une propulsion, d'un désir, « l'idée » ou « l'acte » de se donner la mort
plongeant ses racines dans l'affectivité et la sphère la plus profonde de la vie instinctive et pul-
sionnelle.
2. Nous trouvons un témoignage de ce souci constant, pour ne parler que d'un travail récent, dans
l'article de J. H. WALL (The Psychiatric Problem of Suicide, Amer. J. of Psych., 1944), où cet
auteur a étudié 33 suicides survenus au cours de la cure ou peu après à la Westchester Division
du New-York Hospital de 1933 à 1943.
3. Cette dégradation des formes d'impulsion au suicide de la vie psychique anormale conforme à
notre étude n° 11, ces « niveaux de suicide » se retrouvent précisément, à peu près de la même
façon, indiqués dans l'intéressante analyse des tendances au suicide de MERLOO, (Ueber die
Beurteilung der Selbstmordneigung, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1933, pp.141 à 223).
341
ÉTUDE N° 14
suppose une hiérarchie qui les distribue en des niveaux allant du moins « volontaire »
au plus « volontaire » Cette échelle de niveaux admet naturellement une dégradation
insensible et ne saurait être considérée comme une classification des modes de suici-
de nettement tranchés et n'ayant entre eux aucune relation. Nous savons du reste, que
c'est le propre d'une même « maladie mentale » que de présenter, à des niveaux divers,
au cours de son évolution, ces formes d'impulsivité. Notre description clinique porte-
ra sur des faits si connus que nous nous contenterons, par une brève énumération, de
nous en remémorer seulement les éventualités cliniques les plus habituelles.
A. — LES RAPTUS-SUICIDES
II s'agit de réactions brutales, paroxystiques, automatiques et parfois plus ou
moins inconscientes et amnésiques. L'impulsion auto-destructrice se déclenche bruta-
…Dans les raptus-sui-
cides L'impulsion auto- lement et aveuglément dans un vertige qui jaillit brusquement comme un irrésistible
destructrice se déclenche besoin de mourir, une fringale d'anéantissement.
brutalement et aveuglé- 1° LE RAPTUS-SUICIDE DE LA MÉLANCOLIE STUPOREUSE ET ANXIEUSE (raptus panto-
ment dans un vertige qui
phobique). Soudain le malade passe par une fenêtre, s'étrangle, se noie, etc... Tous les
jaillit brusquement comme
un irrésistible besoin de cliniciens savent que les « queues de mélancolie » sont particulièrement à surveiller à
mourir, une fringale cet égard. Parfois ce suicide automatique se produit au cours d'états crépusculaires
d'anéantissement… anxieux, FRIBOURG-BLANC, CLAUDE et MASQUIN 1, HELLER 2, Henri EY et BERNARD 3
en ont publié des exemples où les réactions suicides étaient inconscientes et amné-
siques. Elles réalisent dans leur instantanéité un « acte-réflexe » fulminant.
2° LE RAPTUS-SUICIDE DE LA DÉMENCE PRÉCOCE.
De brusques impulsions suicidaires se déclenchent au début de l'affection ou au
cours de son évolution, mais il faut noter aussi les réactions suicides automatiques sté-
réotypées et comme « au ralenti » de certains malades qui se tuent « progressivement » :
tel le cas d'un hébéphréno-catatonique qui s'entailla le thorax avec des croûtes de pain et
finit par atteindre son cœur. Le plus souvent, cependant, il s'agit de brusques décharges
auto-agressives d'autant plus dramatiques qu'elles sont énigmatiques et imprévues.
3° LE RAPTUS-SUICIDE DE L'ÉPILEPSIE.
L'épilepsie est une affection qui fournit un très grand nombre de réactions suicides
342
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
de ce type, notamment au cours des phases pré- ou post-critiques et dans les états cré-
pusculaires ou confusionnels. Elles affectent un caractère de vertigineuse frénésie.
L'épileptique court à la mort, s'enfonce brutalement dans la mort. Le suicide de ce
genre s'effectue parfois au cours d'un acte d'automatisme comitial inconscient amné-
sique. Il s'observe souvent dans les états confuso-oniriques post-paroxystiques
(MARCHAND et AJURIAGUERRA) 1.
4° LE RAPTUS-SUICIDE DE L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE.
On observe dans les états parkinsoniens des états d'impulsivité réflexe de caractè-
re auto-destructif. Les malades se mordent, s'arrachent les ongles, se frappent et par-
fois des tentatives de suicide éclatent, irrésistibles. Ce sont des actes qui se détendent
d'une manière fulgurante « malgré » le sujet terrifié. Dans un cas typique rapporté 2
ORGANIQUES ET STUPOREUSES.
Les confus et les déments présentent de temps en temps, mais beaucoup plus rare-
ment, des réactions suicides de ce type ayant la valeur d'actes impulsifs, incoercibles et
« absurdes », souvent aveugles et inconscients. Il peut arriver que ces tentatives se trou-
vent « noyées » dans un état d'égarement, d'inconscience et de perplexité comme par
exemple dans le cas rapporté par LAIGNEL-LAVASTINE, G. d'HEUCQUEVILLE et GAUTIER 7.
Dans tous ces cas, l'acte d'auto-destruction monte brusquement et automatique-
ment des profondeurs de la sphère pulsionnelle soit que la conscience soit abolie, soit
qu'elle ne s'y sente, pour ainsi dire, pas « engagée ».
1. Du suicide chez les épileptiques, Presse médicale, avril 1941, p. 407 et Épilepsies, pp. 258 à
274 (importante bibliographie).
2. Ann. Méd. Leg., 1926.
3. Mlle SERIN, Une enquête médico-sociale sur le suicide, Ann. Méd. Pat., 1926.
4. PIKER, Eighteen hundred and seventeen cases of suicidal attempted, The Amer. J. of Psychiatry,
juill. 1938, p. 97.
5. MOORE (Merill), Alcoholism and attempted suicide, The New-York-Engl. Jour. of Med., nov. 1939.
6. GRANTE (Paul), Alkoolismus und Selbstmord, Zeitsch. f. d. g. Neuro. u. Psych., 1939, p. 47.
7. LAIGNEL-LAVASTINE, d' HEUCQUEVILLE et GAUTIER, Ann. Méd. Leg., 1934.
343
ÉTUDE N° 14
344
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
toxication alcoolique 1. Il nous suffira de rappeler, dans ce sommaire exposé, dans quel
état d'anxiété et d'onirisme terrifiant se trouvent ces malades atteints de délire alcoo-
lique. Agités, hallucinés, confus, ils se précipitent parfois dans la mort pour lui échap-
per, retournant contre eux-mêmes, c'est-à-dire à leur source, tous les fantasmes délirants
de l'agressivité et de la persécution.
Quant aux états confuso-oniriques ou crépusculaires épileptiques, ils constituent
des phases d'évolution de troubles comitiaux au cours desquels on rencontre non seu-
lement les protopulsions au suicide inconscientes et amnésiques auxquelles nous
avons déjà fait allusion, mais aussi des comportements impulsifs suicidaires admettant
une organisation plus complexe et proprement onirique de l'acte auto-destructif. Les
brusques oscillations de niveau de la vie psychique épileptique, la chute verticale de la
conscience dans le gouffre vide et noir d'une syncope parfois totale ou de ses paliers
plus angoissants encore, constituent une condition particulièrement favorable à
l'anxiété et au suicide qu'elle enveloppe et engendre. Tous les cliniciens savent bien …Tous les cliniciens
combien sont fréquentes les tentatives de suicide chez les épileptiques. Il semble tou- savent bien combien sont
fréquentes les tentatives
tefois, comme le souligne DESHAIES 2, que la propension au suicide conduise ces
de suicide chez les épilep-
malades assez rarement à son exécution. Effectivement, il y a un certain écart entre tiques. Il semble toutefois,
l'expérience clinique quotidienne qui nous montre combien sont fréquentes les dispo- comme le souligne
sitions au suicide des comitiaux et les statistiques portant sur les suicides des épilep- DESHAIES (1947) que la
propension au suicide
tiques. BRIÈRE DE BOISMONT en 1856 (5 sur 650) et DESHAIES en 1947 ont trouvé moins
conduise ces malades
de 3% de suicides chez les épileptiques alors qu'un service psychiatrique montre que assez rarement à son exé-
les épileptiques exigent une surveillance presque aussi grande que les mélancoliques. cution…
Rien d'étonnant à ce que MARCHAND et AJURIAGUERRA 3 aient noté une proportion un
peu plus forte (5% de leurs 880 épileptiques étudiés); ces auteurs insistent sur les états
1. Non cependant sans avoir signalé quelques travaux importants dont nous empruntons l'exposé
à G. DESHAIES (Psychologie du suicide, pp. 87-89). D'après sa statistique, 10% des suicidants
atteints de troubles mentaux étaient des alcooliques et 20% des alcooliques observés par lui
avaient tenté de se tuer. FIKER a trouvé à CINCINNATI 15% d'alcooliques chez les suicidants. A l'hô-
pital de Boston, Merill MOORE, sur 25.000 alcooliques entrés de 1915 à 1938, a noté 3,6% de sui-
cides. A Francfort-sur-le-Main, Paul VON GRAUTE, étudiant 3300 alcooliques entrés de 1926 à
1936, a dénombré 3,6% de suicides ; il a distingué parmi eux un groupe de cas où l'alcool n'a eu
qu'un effet de déclenchement de tendances épileptiques ou dépressives (12%) ou de tendances
cyclothymiques (5%), un autre groupe où 1'intoxication eut un effet plus direct sur les épilep-
tiques (27%), des hypomaniaques (2%), un groupe où il existait des tendances dépressives chez
les alcooliques chroniques (40%), et enfin des sujets artérioscléreux ou présentant divers autres
troubles (14%).
2. DESHAIES G., Psychologie du suicide,p. 89.
3. MARCHAND et AJURIAGUERRA, Du suicide chez les épileptiques, Presse Médicale, 16 avril
1941. La même année C. PRUDHOMME (Epilepsy and suicide) a étudié cette question in Journal
of nerv. and mental discases, 1941, 94, p. 722.
345
ÉTUDE N° 14
346
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
Mais rien de plus tragique que l'image offerte par le grand mélancolique anxieux,
livide et comme dévoré d'une ardente et inextinguible soif de mort et qui ne paraît se
mouvoir que pour la saisir. Il se frappe la tête contre les murs, se mord, cherche à pas-
ser par la fenêtre, par la cage de l'escalier, à se pendre, à s'étrangler, à se brûler, à
s'égorger. Tout lui est bon : un flacon de teinture d'iode laissé à sa portée, une petite
cuiller qu'il avale, son oreiller avec lequel il tente de s'étouffer, un petit morceau de
verre avec lequel il essaie de se sectionner une veine, etc. Telle est la frénésie de sui-
cide qui le submerge, enracinée jusqu'au plus profond de lui-même.
Parfois ce désir de la mort affecte une forme comme décalée et, pour ainsi dire, au
« second degré » : la forme hallucinatoire. Des voix impératives jaillies de la couche
obscure de ses instincts retentissent comme étrangères à lui-même pour lui recom-
mander ou commander son propre désir d'anéantissement. Et dans cette éventualité où
le désir est justement moins direct, il n'est pas exceptionnel qu'au dernier moment des
hallucinations « anti-suicides », complices des décisives révoltes de l'instinct de
conservation, ne surviennent à temps pour contrarier l'exécution.
Mais une des formes les plus tragiques de ce désir de mort si total dans la mélan- …Mais une des formes les
colie, c'est le carnage du suicide collectif appelé encore « familial », « élargi », plus tragiques de ce désir
de mort si total dans la
« altruiste », etc. Les pulsions sadistes et masochistes se satisfont ici également dans
mélancolie, c'est le car-
le même geste agressif et destructeur, celui qui mêle le sang du suicidé à celui de ses nage du suicide collectif
victimes. On ne saurait l'oublier quand on a vu le spectacle de ces malheureux glacés appelé encore « fami-
d'effroi devant les cadavres abattus ou dépecés de leurs êtres les plus chers, lorsque, lial », « élargi », « al-
truiste », etc…
comme il arrive assez souvent, le massacre les a, à la dernière seconde, épargnés, pour
les livrer à une torture pire que la mort.
Enfin il faut noter que le refus d'aliments constitue le type même du comportement
suicide du mélancolique, celui qui satisfait à la fois le désir de mourir et le besoin d'in-
action et qui réalise la mort lente et sûre dans et par l'excès et l'opiniâtreté de la négation.
4° LES RÉACTIONS SUICIDES DANS LES ÉTATS SCHIZOPHRÉNIQUES.
C'est particulièrement dans les phases initiales ou au cours des poussées aiguës que
l'on observe à la fois des réactions anxieuses et des propulsions au suicide. Ce sont
alors les expériences délirantes d'influence hypochondriaques ou de persécution qui
engendrent le plus souvent l'idée de suicide. Dans l'ensemble, les tendances au suici-
de ne se manifesteraient d'après G. DESHAIES que chez 12% des schizophrènes. Le
fond d'indifférence, la régression narcissique, l'impulsivité centrifuge de ces malades
parvenus à l'état d'organisation austistique de leur personnalité s'accommode mal des
réactions suicides de ce genre. Quand le suicide germe dans l'esprit schizophrénique
c'est comme une brusque, soudaine et aveugle violence qui contraste avec l'organisa-
tion actuelle de la conscience morbide et exprime ainsi la discordance entre ses pul-
sions profondes et son indifférence superficielle.
347
ÉTUDE N° 14
TIQUE.
348
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
349
ÉTUDE N° 14
(cité par DESHAIES, p.156) rapporte le cas d'un menuisier qui, après une déception sen-
timentale, jouant avec un revolver « qu'il croyait non chargé » se tua. Von L. E.
PELLER-ROUBICZEK 1 a constaté qu'en 1929, en Palestine, après un pogrom qui entraî-
na une augmentation considérable des suicides, le nombre des accidents diminua sen-
siblement. Les études anglo-saxonnes et surtout celles de S. DUNBAR sur la chirurgie
psychosomatique des fractures et plus généralement des traumatismes sont à cet égard
du plus grand intérêt 2.
C. — LES RÉACTIONS SUICIDES DÉLIRANTES
« Délirants », tous les suicidants dont nous venons de parler le sont plus ou moins.
Mais nous avons en vue, ici, les cas où le suicide est en relation directe avec des « idées
délirantes », soit avec une conception délirante systématisée soit avec un délire paranoïde.
…Dans les délires para- Dans les délires paranoïdes, le suicide n'est pas absolument exceptionnel. Et l'on
noïdes, le suicide n'est voit l'idée de suicide se charger de la signification éthico-religieuse de l'holocauste ou
pas absolument excep-
du sacrifice et s'élargir jusqu'aux significations obscures d'un mythe cosmique. Il n'est
tionnel…
pas rare de voir de tels malades exécuter spécialement des tentatives de suicide
étranges (avec automutilations, scoevolisme, œdipisme, castration, ignition, cruci-
fixion, exentération, etc.).
…Dans les délires systé- Dans les délires systématisés ou paranoïaques de persécution ou d'influence plus
matisés ou paranoïaques
ou moins voisins de ce que nous appelons, en France, la « psychose hallucinatoire
de persécution ou d'in-
fluence, le suicide consti-
chronique », le suicide constitue, le fait est bien connu, une réaction de « défense » au
tue, le fait est bien connu, terme d'une série de fuites parfois éperdues pour échapper aux persécutions et le mala-
une réaction de de traqué se tue pour échapper à l'étreinte du cercle magique qui se resserre sur lui.
« défense »…
Cette éventualité serait bien rare et même exceptionnelle d'après RÉGIS. Plus rare enco-
…Mais cette éventualité
serait bien rare et même
re est cette forme de réaction agressive que peut affecter le suicide chez les délirants
exceptionnelle d'après systématisés à type de revendication, de quérulence ou d'hypochondrie, quand le sui-
RÉGIS… cide prend la valeur d'une provocation, d'une vengeance, ou d'un châtiment dirigé
contre autrui au travers de sa propre personne. Rappelons enfin que les érotomanes à
la phase de dépit, les jaloux, les délirants réformateurs sociaux, etc., en arrivent à cette
extrémité par le mécanisme proprement paranoïaque de l'autopunition qui sous-tend
l'agressivité. Holocauste, fuite, vengeance, tels sont donc les trois sentiments délirants
que l'on rencontre le plus souvent à la racine du suicide des délirants chroniques.
350
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
351
ÉTUDE N° 14
pelier, s'étouffa en enfonçant jusqu'au cou un chapeau de soie très étroit. Un homme
assis sur un banc avala brusquement sa pipe... Parfois (comme dans le suicide de
Mathieu Lovat) la préparation du suicide dure des années : tel ce persécuté expertisé par
TARDIEU 1 qui mit deux ans à fabriquer une guillotine avec laquelle il se trancha le cou.
Les suicides par ignition sont parmi les plus horribles et témoignent de cette insensibi-
lité à la douleur sur laquelle nous reviendrons. Le cas de Lady H. W. (rapporté par
BRIÈRE de BOISMONT 2) en est un exemple : trompant la surveillance de sa garde, au
moment où on la considérait comme convalescente, elle saisit un peignoir et s'appro-
chant du feu l'alluma ; elle le conserva sur elle, sans un cri, laissant le feu faire son
œuvre. La garde revenue et la trouvant dans son lit fut frappée par son aspect, elle
découvrit alors son corps couvert de brûlures. Plus récemment un cas semblable a été
signalé par HYVERT 3. D'autres moyens aussi douloureux ou étranges ont pu être
employés. Citons l'observation du Dr DUBRISAY (rapportée par Paul MOREAU) : le mala-
de s'enfonça un poignard de 10 cms. de longueur dans le crâne à coups de marteau, sans
en éprouver aucun malaise ; il fallut ensuite, après les efforts de deux médecins, recou-
rir au maréchal ferrant et user de moyens mécaniques violents pour l'en extraire : le
malade ne présenta, à la suite de cette « leucotomie », aucun trouble... Un malade de
DUPOUY et PICHARD 4 se plaça la tête entre les mâchoires d'un étau et serra jusqu'à se
briser le crâne. Une cabaretière alcoolique s'ouvrit le ventre et déroula son intestin à 2
mètres d'elle et une femme de 57 ans (ces deux cas ont été observés par PIEDELIÈVRE,
DESOILLE et HAUSER 5) pratiqua elle aussi une effroyable exentération, s'arrachant l'in-
testin et l'épiploon. H. FLOURNOY 6 a relaté l'observation d'un malade qui, avec l'aide
d'un complice, s'emmura... La complication des moyens employés pour se détruire
amène les suicidants à recourir parfois à des inventions du genre de celle de ce méde-
cin qui pratiqua sur lui toute une série d'intoxications sans effet et finalement essaya de
…on ne sait ce qui est le
déclencher une crise nitritoïde par des injections endoveineuses de novar ; un autre
plus surprenant de la
duplicité, de l'acharne-
médecin, dont LEMIERRE et AMEUILLE 7 ont rapporté l'observation, tenta de se suicider
ment ou de l'anesthésie en s'injectant 2cc d'une émulsion de bacilles de KOCH. Chacun de nous connaît d'ailleurs
dont témoignent ces mal- des exemples de ce genre, où on ne sait ce qui est le plus surprenant de la duplicité, de
heureux…
l'acharnement ou de l'anesthésie dont témoignent ces malheureux.
352
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
Deux traits cliniques méritent d'être spécialement mentionnés à propos de ces actes
de suicide. Tout d'abord notons l'analgésie des suicidants psychopathes ou tout au …l'analgésie des suici-
moins l'indifférence à la douleur. On s'est demandé à ce sujet si le suicidant supporte dants psychopathes ou
tout au moins l'indifféren-
« héroïquement » le martyre qu'il s'inflige, ou si le seuil de ses sensations douloureuses ce à la douleur…
est anormalement élevé. P. CARETTE 1, dans son étude fort intéressante, arrive à la
conclusion que le paroxysme émotionnel crée une sorte « d'exaltation libératrice et
anesthésiante ». Il rapporte quelques observations impressionnantes : un de ses
malades, graveur, ancien prix de Rome, en pleine crise de mélancolie, se trancha la
gorge d'une oreille à l'autre, il ne parut pas souffrir tout le temps que le chirurgien sutu-
ra ses plaies ; une semaine plus tard il arracha son pansement, dilacéra ses plaies et
mourut deux jours après. Il rapporte également l'histoire de fractures du bassin ou des
membres inférieurs par précipitation paraissant supportées sans souffrance. Nous
avons avec COLOMB 2 observé une malade qui, trompant une vigilance pourtant très
active, se suicida en avalant en plusieurs semaines une quantité de petits objets (fil de
fer, petite cuillère, bouts de bois) de telle sorte qu'elle finit par perforer son estomac et
dissimula jusqu'à sa mort le symptôme de sa lésion mortelle, qui, chez un individu nor-
mal, aurait provoqué d'horribles souffrances.
Nous devons mentionner aussi l'acharnement des malades qui veulent en finir …Nous devons mention-
avec la vie. BRIÈRE DE BOISMONT (1856) et G. DESHAIES (1947) sont encore d'accord ner aussi l'acharnement
des malades qui veulent
pour fixer à 10 % le nombre des récidives chez leurs suicidants psychopathes. Il y a en finir avec la vie…
parfois répétition du même procédé (1/3 des cas d'après BRIÈRE DE BOISMONT). Le cas
rapporté par FRIBOURG BLANC 3 témoigne de cette soif inextinguible de la mort. Il
s'agissait d'un étudiant en médecine qui absorba du véronal, se tira un coup de revol-
ver dans le crâne, entreprit ensuite de se pendre au plafond, mais le cordon de rideau
ayant cassé, son hôtelier attiré par le bruit survint et le malheureux se précipita par la
fenêtre située au quatrième étage ; la hampe d'un drapeau situé au troisième étage l'ac-
crocha par la ceinture... et le sauva.
Nous devons enfin dire un mot de ces sortes de suicides partiels que sont les auto-
mutilations. Qu'il s'agisse de castration, d'énucléation oculaire, de combustion volon-
taire (dont nous avons donné à propos des délires paranoïdes les dénominations
pédantes), il s'agit presque toujours de mutilations accomplies dans des conditions de
troubles psychiques essentiellement délirants (syndrome de COTARD, délires mystiques,
mélancolie, schizophrénie, etc.). On consultera sur ce point la remarquable thèse de
1. P. CARETTE, Sensibilité physique et anxiété au cours des tentatives de suicide, Ann. Médico-
Psycho., 1941, II, p. 64.
2. H. EY et COLOMB, Suicide, dissimulation d'un phlegmon péritoneal... Ann. Médico-Psycho.,
1938, II, p. 245.
3. FRIBOURG BLANC, Paris Médical, 1932 et Ann. Médico-Psycho., 1931.
353
ÉTUDE N° 14
Le suicide des enfants . — II a été spécialement étudié dans la thèse de Jacques MOREAU 3,
celle de G. BARBEAUX 4, celle de P. LE MOAL 5, et les travaux de PROAL 6, de DUPOUY 7, de VON
Gerhard SCHMIDT 8, CHIODI 9, etc. Il s'agit somme toute d'une réaction rare et si l'on a pu dire que
« Tous les adolescents ont des idées de suicide » (LANCASTER 10) il n'en est pas moins certain que
les tendances de l'enfance vers la mort trouvent une issue ou une solution moins catastrophique
dans le romantisme ou dans ces traits d'originalité par quoi précisément les jeunes êtres loin de
se distinguer se confondent (DEBESSE 11). La statistique de LE MOAL porte sur la période de 1900
à 1934. Il a pu réunir 908 cas de suicides dont trois de 5 à 9 ans (1 fille et 2 garçons) 75 de 10 à
14 ans (24 filles et 51 garçons) et 830 de 15 à 19 (329 filles et 501 garçons). D'où il résulte clai-
rement que le suicide des enfants proprements dits est exceptionnel et que les garçons se suici-
dent deux fois plus que les filles. LE MOAL n'a retenu de ces réactions suicides que les 99 cas «
sincères » chez lesquels on a trouvé 21 % d'antécédents psychopathiques, 19 % d'antécédents de
suicide dans la famille, 4 % d'épilepsie et il conclut que dans tous les cas le suicide était fran-
…Pour G. DESHAIES chement pathologique. Ce point est vivement critiqué par G. DESHAIES 12. Pour celui-ci le suici-
(1947) le suicide émotivo- de émotivo-impulsif est la règle, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une émotivité infantile investissant un
impulsif est la règle… système affectif pulsionnel ou réactionnel (c'est le type « Poil de carotte »). Ce suicide typique-
…DESHAIES distingue ment infantile est caractérisé par son impulsivité et son instantanéité. DESHAIES distingue encore
encore une forme imagi- une forme imaginative où les facteurs d'imitation de suggestion par les lectures, le cinéma, etc..
native où les facteurs joueraient un rôle déterminant, et une forme passionnelle (jalousie, haine œdipienne). LE MOAL
d'imitation de suggestion a beaucoup insisté sur le chantage au suicide chez les enfants et les adolescents (34 % des cas).
par les lectures, le ciné- Ce chantage serait aussi fréquent chez les garçons que chez les filles. Ces « faux suicides », écrit
ma, etc.. joueraient un DESHAIES, « représentent le plus souvent une conduite de chantage à objectif utilitaire mais qui
rôle déterminant… peut posséder des composantes plus profondes chargées d'affectivité. Le faux suicide peut être la
solution théâtrale d'un conflit, le symbole d'une révolte ou d'une reconquête, le jeu réel d'une
réserve sous l'exercice préparatoire d'une tendance autodestructive, la grande manœuvre exerçant
au vrai suicide futur... » La récente étude d'Aldo FRANCHINI 13 contient deux documents vraiment
tragiques écrits par deux enfants qui se sont suicidés dans un état d'âme qui les a rapprochés des
grands romantiques.
354
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
Dans les quelque 3771 ouvrages consacrés au suicide et dont ROST 1a dressé le
catalogue, comme dans tous les travaux publiés 2 depuis, un problème ne cesse d'être
constamment posé : le suicide est-il une maladie ou tout au moins l'effet de la mala-
die ? La thèse des psychiatres, sous son aspect extrémiste, répond « oui » dans tous les
cas (A. DELMAS), la thèse des sociologues intransigeants répond « jamais complète-
ment dans aucun cas » (HALBWACHS).
Nous avons assez étudié les aspects psychiatriques du suicide pour que nous puis-
sions maintenant envisager les faits sur lesquels s'appuient les sociologues : les don-
nées de la statistique et particulièrement, et tout d'abord, les faits proprement sociaux
et démographiques.
355
ÉTUDE N° 14
progression qui passerait de 0,48 pour 10.000 habitants à 2,68 pour 10.000 de 1928 à
1934 et LISLE notait déjà à son époque une « progression » de 1,4 pour 10.000 habi-
tants à 2 pour 10.000 en 20 ans 1.
3° Répartition géographique du nombre des suicides 2.
…C'est la Saxe (selon D'après FERRI, il y a eu de 1921 à 1925, pour 10.000 habitants : 0,80 suicides en
Hans GRUEHLE, 1940) qui Italie ; 2,29 en France ; 1,02 en Angleterre ; 1,35 en Belgique ; 0,35 en Irlande ; et 0,57
battait le record avec en Espagne. C'est la Saxe (selon Hans GRUEHLE) qui battait le record avec 3,44.
3,44/10000…à l'inverse
En France 3, le maximum se rencontrait dans l'Isle-de-France, l'Orléanais, les
de l'Italie (0,80) et
l'Espagne (0,57)… Flandres, l'Artois, la Picardie, la Champagne, la Provence et la Normandie et le mini-
mum en Bretagne, dans le Centre et le Sud. ICHOCK 4 trouve 2,8 à 3,5 pour 10.000 habi-
tants dans l'Oise, l'Eure-et-Loir, la Seine-et-Marne, la Sarthe et seulement 0 à 0,7 pour
10.000 habitants dans l'Aube, l'Aveyron, la Lozère et la Corse. DESHAIES fait remarquer
(p. 16) que les « variations régionales peuvent marquer un écart de 1 à 10 ».
4° Répartition des suicidés dans les campagnes et dans les villes.
…le suicide est plus fré- Il est acquis, dit DESHAIES, que le suicide est plus fréquent dans les villes que dans
quent dans les villes que les campagnes. D'après le tableau d'HALBWACHS, le rapport ville-campagne 5 était de
dans les campagnes…
195 en 1866 et n'était plus que de 114 en 1920. ICHOCK confirme la progression du sui-
cide rural 6. H. GRUEHLE (1940) a trouvé un plus grand nombre de suicides dans les
villes de 30 ou 40.000 habitants que dans les agglomérations plus petites.
5° Répartition du nombre des suicidés d'après la religion.
Les statistiques les plus connues ont été faites par WAGNER en 1804, MORSELLI en
1879; LEGOYT, OTTINGEN, DURKHEIM. Elles portent sur des populations d'Europe
Centrale (Prusse, Bavière) et de Suisse (cf. tableau p. 482 d'HALBWACHS). Nous pou-
356
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
vons en dégager les chiffres suivants : De 1901 à 1907, on a compté pour 10.000 habi-
tants 1,01 suicides parmi les catholiques ; 2,52 parmi les protestants et 2,94 parmi les
Juifs. DURKHEIM (tableau XVIII) dans sa statistique générale groupant 12 statistiques
particulières échelonnées de 1844 à 1890 trouvait que les Juifs se suicident moins que …Les juifs se suicident
les catholiques et les protestants... La prééminence du suicide protestant sur le suicide moins que les catholiques
et ces derniers moins que
catholique ne se rencontrerait pas non plus « en Suède, en Norvège et pour une part en
les protestants…
Angleterre » (DESHAIES, p. 41). (DURKHEIM, 1890)
Sur la population suisse (tableau p. 282 d'HALBWACHS), les catholiques fournissent
dans les environs de 0,8 suicidés pour 10.000 des leurs, dans les districts agricoles et
1,65 dans les districts industriels, tandis que le taux des suicides protestants est res-
pectivement de 2,09 (Allemands) à 4,14 (Français) dans les districts agricoles et de
2,57 (Allemands) à 3,78 (Français) dans les districts industriels.
6° Influence des facteurs familiaux.
C'est DURKHEIM qui, en 1897, a établi le « coefficient familial de préservation » du …C'est DURKHEIM qui, en
1897, a établi le « coeffi-
suicide. Il mit en évidence l'augmentation du taux des suicides dans les ménages trop
cient familial de préser-
précoces, dans le veuvage et surtout dans le célibat. Voici les chiffres fournis à cette vation » du suicide…
époque par la statistique de BERTILLON (1861 à 1868) :
Pour 10.000 époux avec enfants il y avait 2,05 suicides
" " sans " " 4,78 "
" épouses avec " " 0,45 "
" " sans " " 1,58 "
" veufs avec " " 5,26 "
" " sans " " 10,00 "
" veuves sans " " 1,04 "
" " sans " " 2,38 "
357
ÉTUDE N° 14
en 1917 il tombe de 100 à 60 par rapport à 1913 ; en 1940 il est tombé de 100 à 83 par
rapport à 1938 (d'après DESHAIES dont le graphique qui illustre ce fait est tout à fait
démonstratif p. 48).
8° Influence des crises économiques.
Elles tendent à augmenter le nombre des suicides. D'après le tableau p. 370
d'HALBWACHS, à chaque période de baisse des prix correspond une augmentation des
suicides 1. Ces écarts paraissent d'ailleurs minimes et contestables. Cependant s'il est
aisé aux statisticiens d'expliquer une baisse imprévue dans leur théorie du taux des sui-
cides à une époque prospère (1899-1904), en invoquant des facteurs sociaux d'action
…certains faits demeurent,
inverse (l'affaire DREYFUS) et si, en fin de compte, il est malaisé de mettre en éviden-
telle l'épidémie de suicides
en Allemagne (1922) sous ce de pareils facteurs de variations, cependant, comme le fait remarquer G. DESHAIES,
l'influence d'une inflation certains faits demeurent, telle l'épidémie de suicides en Allemagne (1922) sous l'in-
désastreuse… fluence d'une inflation désastreuse.
…[au XIXe] le suicide des pour 10.000 personnes de moins de 16 ans 0,018 suicide
jeunes est rare, et avec " de 16 à 21 ans 0,41 suicide
l'âge le suicide réussi aug-
" de 21 à 31 ans 1,00 suicide
mente (LISLE, 1856)…
" de 30 à 40 ans 1,00 suicides
" de 40 à 50 ans 1,10 suicides
" de 50 à 60 ans 1,16 suicides
" de 60 à 70 ans 2,20 suicides
" de 70 à 80 ans 2,20 suicides
La statistique plus récente d'ICHOCK (DESHAIES, p. 19) confirme cette vieille sta-
tistique. Cependant, d'après DESHAIES, dans les statistiques américaines (F. C.
LENDRUM, P. PIKER, Merill MOORE) qui portent sur les tentatives du suicide, l'âge du
maximum de fréquence paraît se situer de 20 à 25 chez les femmes, de 25 à 30 chez
l'homme. Le vieillissement conditionnerait donc moins la propension suicide que l'ef-
ficacité de l'exécution et, comme le souligne humoristiquement DESHAIES, « exprime-
rait un perfectionnement technique ».
358
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
2° Influence du sexe.
ESQUIROL signalait 30 femmes suicidées pour 100 hommes. Les dernières statis- …23 à 28 % de suicides
tiques donnent en moyenne, dans tous les pays, des chiffres allant de 23 à 28 % de sui- de femmes par rapport
aux suicides d'hommes…
cides de femmes par rapport aux suicides d'hommes. Il y a une raison à cela : c'est que
les tentatives qui échouent sont beaucoup plus nombreuses chez les femmes que chez
les hommes.
D'abord les modes de suicide diffèrent d'efficacité :
en se pendant : : se suicident 43% d'hommes et 27% de femmes
en se noyant : " 24% " 39% "
par le révolver : " 18% " 7% "
par arme blanche : " 3% " 2% "
par le poison : " 1% " 3,5% "
en se précipitant : " 3% " 5,8% "
par asphyxie : " 4% " 13% "
en se faisant écraser : " 3% " 3% "
Quant au nombre des suicides consommés par rapport aux tentatives de suicide (qui
dépend en partie du moyen employé), d'après une statistique de Mario BACHI 1, il y a 68
femmes qui tentent de se suicider pour 100 hommes ; mais il n'y a que 38,5 pour 100
femmes qui parviennent à se tuer. Il y a donc chez les femmes près du double de tenta- …qui est le plus fréquent
tives de suicide que de suicides consommés. Il n'en reste pas moins que, la proportion des et chez lequel les idées de
suicide sont plus fré-
suicides consommés des femmes par rapport aux hommes étant de 1/3 environ à 2/3, les
quentes(1947)…
idées de suicide sont plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes.
3° Influence de la race et du tempérament.
Une étude de Nicolas BROUKANSKI 2 portant sur 349 suicides à Moscou conclut
aux pourcentages suivants pour 10.000 habitants :
3,7 chez les Chinois 3,6 chez les Allemands
2,8 chez les Slaves du Sud 2,8 chez les Juifs
2,4 chez les Russes 2,2 chez les Polonais
1,6 chez les tartares
Les nègres qui avaient la réputation de peu se suicider se montrent au regard des
statistiques américaines très enclins au suicide. D'après F. C. LENDRUM 3, l'hôpital de
Détroit reçut 16,6 % suicidants nègres alors que leur proportion dans la population ne
dépasse pas 7,6 %. A Cincinnati il y a, selon Ph. PIKER 4, plus du double de suicides
1. Mario BACHI. La micidialita dei tentative di suicidio, Giornale degli Economisti e Rivista di
Statistici, Mai 1924.
2. Nicolas BROUKANSKI, Ann. de Médecine Légale, 1926.
3. F. C. LENDRUM, Amer. J. of Psych., 1933.
4. Ph. PIKER, Amer. J. of Psych., 1938.
359
ÉTUDE N° 14
chez les nègres que chez les blancs et surtout une grande proportion de suicides ratés.
Ch. PRUDHOMME l a étudié au point de vue psychanalytique et sociologique la propen-
sion des nègres pour le suicide 2.
…pour les dispositions au En ce qui concerne la relation du biotype et des dispositions au suicide, (Günther
suicide c'est le type lepto- WEYRICH 3) c'est le type leptosome asthénique qui prédominait nettement chez ses 108
some asthénique qui pré- suicidants. Les pycniques se jettent plutôt à l'eau et usent du poison, les motifs de leurs
domine nettement…
suicides sont plus « banaux ». Les leptosomes-athleto-dysplastiques donnent une moti-
Les pycniques se jettent
plutôt à l'eau et usent du vation compliquée de leurs tentatives et ils recourent plus facilement à l'écrasement ou
poison… à la pendaison.
Naturellement il faut à ce sujet rappeler ce que nous avons dit plus haut des ten-
dances au suicide héréditaire. Toutes les recherches hérédo-statistiques montrent com-
bien dans les arbres généalogiques le nombre des suicides est étroitement lié aux tares
psychopathiques.
4° Influence de la menstruation.
ESQUIROL 4, note DESHAIES, avait cru reconnaître une fréquence plus grande du sui-
cide chez les femmes avant ou pendant la menstruation. S. PELLER 5, d'une étude por-
…On notera l'influence de tant sur 700 suicides a conclu à l'augmentation progressive du suicide pendant la
la menstruation
semaine qui précède les règles jusqu'à un maximum se produisant le premier jour de
l'hémorragie cataméniale. J. VON BALAZS 6 a retrouvé, lui aussi, ce maximum de fré-
quence sur 3.110 cas étudiés dans le « prémenstruum ». Janôslav HOSACEK 7 à la même
époque a rencontré un pourcentage de 20 % de suicides dans la période menstruelle
alors que 10 % des femmes se trouvent fortuitement dans cette période (3 jours sur 28).
5° Influence des variations du milieu météorologique.
Le travail le plus récent et le plus intéressant à notre connaissance est dû à C. A.
…et la dépression baromé- MILLS 8. D'après cet auteur, c'est aux variations de la pression barométrique que
trique… seraient corrélatives les variations du taux des suicides.
Les phases de dépression atmosphérique et les phases de dépression psychique
1. CH. PRUDHOMME, The problem of suicide in Amer, negro psychanalytic Revue, 1938, (cité par
DESHAIES).
2. Cf. également sur ce point l'article de ZILBOORG de l'Amer. J. of Psych. (tome 92, pp. 1347 à
1369) et le livre de J. WIESE, Selbstmord und Todesfurcht bei den Naturvölker, 1933.
3. Günther WEYRICH. Körperbau und Selbstmord. Deutsch Z. gericht Med. 1935, pp. 284-300.
4. ESQUIROL, Tome I, p. 594.
5. D'après DESHAIES, p. 27.
6. J. V. VON BALAZS, Menstruation und Selbstmord, Psych. Neuro., Wochenschrift, 1936, p. 407.
7. Janoslav HOSACEK, Bez. zwischen Menst. und Selbstmord (Cas. lek. Cesk., 1936 en tchèque),
analyse in Zentralblatt, 84, p. 324.
8. C. A. MILLS, Suicides and homicides in their relation to weather changes, The Amer. Journal
of Psych., 1934, pp. 669 à 672.
360
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
361
ÉTUDE N° 14
Les données de faits et les statistiques que nous venons d'exposer rendent particu-
lièrement sensible ce débat.
…La thèse psychiatrique La thèse psychiatrique a été adoptée par ESQUIROL dans toute sa rigueur : « Je crois
a été adoptée par avoir démontré, écrivait-il, que l'homme n'attente à ses jours que lorsqu'il est dans le
ESQUIROL dans toute sa délire et que les suicides sont aliénés » 1. GEORGET, CAZAUVIEILH, FALRET, BOURDIN,
rigueur :
WINSLOW, CHASLIN, etc., ont soutenu le même point de vue. La « promotion des suici-
« Je crois avoir démontré,
écrivait-il, que l'homme dants » selon l'expression de G. DESHAIES, est entièrement pathologique à leurs yeux.
n'attente à ses jours que C'est-à-dire que, comme pour Paul DELMAS 2, la proportion des suicides pathologiques
lorsqu'il est dans le délire serait purement et simplement de 100 %. La même théorie, sous sa forme extrême, a
et que les suicides sont
été, de nos jours, soutenue par A. DELMAS 3 en continuité avec les idées exprimées par
aliénés »…
Maurice DE FLEURY 4, elle peut se résumer en quelques propositions essentielles : la
thèse sociologique qui fonde le suicide sur un déterminisme social repose sur des sta-
tistiques qui valent ce que valent toutes les statistiques, c'est-à-dire à peu près rien –
mis à part, certains « faux suicides » par idéal moral ou philosophique, toutes les réac-
tions suicides sont pathologiques – le « vrai suicide », le suicide pathologique, est
moins le fait des troubles mentaux caractérisés des malades que déterminé par les dis-
positions constitutionnelles d'individus qui « paraissent » normaux et subnormaux,
mais dont la base de la personnalité est une « constitution » cyclothymique ou hyper-
émotive, c'est-à-dire foncièrement morbide.
…La thèse sociologique La thèse sociologique développée dans le fameux livre de DURKHEIM 5 et dans l'ou-
développée dans le vrage plus récent d'HALBWACHS 6 envisage le suicide comme la résultante de facteurs
fameux livre de DURKHEIM
sociaux. Les deux grands arguments de la thèse sociologique sont la solidarité du phé-
et dans l'ouvrage plus
récent d'HALBWACHS envi- nomène suicide et des faits sociaux et les épidémies de suicides. Pour DURKHEIM, le
sage le suicide comme la suicide est si véritablement un acte déterminé par les conditions sociales que le nombre
résultante de facteurs des suicidés exprime très précisément le degré de cohésion, de « santé » sociale. Une
sociaux…
société où on se suicide est une société qui souffre, qui se désunit, où la morale col-
lective est plus faible. Aussi le nombre des suicides diminue-t-il dans les grands
drames sociaux comme les guerres... Pour HALBWACHS, le suicide traduit toujours
quelque événement social, même quand il se produit chez des sujets psychopathiques :
1. ESQUIROL, I, p. 665.
2. Paul DELMAS, cité par DESHAIES, p. 102.
3. A. DELMAS, Psychologie pathologique du suicide, Paris, 1932.
4. M. DE FLEURY, l'Angoisse humaine, Paris, 1924.
5. E. DURKHEIM, Le Suicide, Étude sociologique, Paris, 1897.
6. Maurice HALBWACHS, Les causes du suicide, Paris, 1930.
362
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
« Les raisons de suicide sont en nous, mais aussi hors de nous ». L'idée même de se …Pour HALBWACHS « Les
raisons de suicide sont en
donner la mort est toujours l'application d'une certaine « morale » sociale. « Je me tue,
nous, mais aussi hors de
car dans mon cas, il faut mourir ». En ce sens, le sacrifice et le suicide se rejoignent nous »…
sans se confondre pourtant, car dans le sacrifice l'acte apparaît éminemment moral,
encouragé et récompensé par la société, tandis que dans le suicide, conditionné seule-
ment par des facteurs d'environnement social, l'acte est à la fois réprouvé et nécessai-
re. – On le voit, dans cette thèse, l'idée même de se donner la mort, fût-elle condition-
née par des troubles affectifs, instinctifs ou intellectuels, comme ceux que nous avons
exposés, réside essentiellement en un désir d'inspiration sociale et non point stricte-
ment individuelle : le suicide serait donc un phénomène qui s'expliquerait par les don-
nées statistiques que nous avons exposées plus haut et non par les variations normales
ou pathologiques de la conscience personnelle, puisque celle-ci n'est en fin de compte
que le reflet de la « conscience collective ». Voici comment nous pouvons présenter
avec quelques détails la thèse sociologique de DURKHEIM et d'HALBWACHS 1 :
1. Nous suivrons dans cet exposé de la thèse sociologique le travail inédit que notre élève
BUTSBACK a bien voulu faire pour notre groupe d'études en 1942 et le livre de Charles BLONDEL,
qui résume admirablement d'ailleurs ce point de vue, pp. 57 à 108.
2. Albert BAYET, Le Suicide et la Morale, Paris, 1923.
363
ÉTUDE N° 14
logique de DURKHEIM et qui ont justifié, dès le principe, son hypothèse que le suicide était un phé-
nomène social. Grâce à elles et à leur constance, il peut paraître évident que le suicide est un
« phénomène de masse ». C'est ainsi par exemple que, d'après DURKHEIM, le nombre annuel de
suicides varie peu dans la même nation, mais il peut varier énormément d'une nation à l'autre.
«…chaque société est « C'est donc, écrit-il, que chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de
prédisposée à fournir un morts volontaires. Cette prédisposition s'exprime numériquement par le taux des suicides, c'est-
contingent déterminé de à-dire par le rapport du chiffre global des morts volontaires et le chiffre de la population, ce taux
morts volontaires…» pouvant être regardé comme un indice caractéristique. Expression d'une tendance sociale, le sui-
DURKHEIM.
cide est donc bien un phénomène éminemment social ».
Et, en effet, pour le sociologue aucun facteur étranger à la vie collective (tels que facteurs
cosmiques, physiologiques ou psychologiques) ne peut expliquer le suicide :
Facteurs cosmiques ? Le taux du suicide ne dépend nullement du climat : il est susceptible
de varier au cours des temps sans corrélations précises avec le climat. Il existe bien des variations
saisonnières du nombre des suicides ; mais ces variations dépendent non pas des différences de
température mais de l'allongement des jours qui agit par ses conséquences sociales, car c'est de
jour que la vie sociale est la plus intense...
Facteurs physiologiques tels que la race ? D'une part, la race est une notion trop incertaine ;
d'autre part, à conditions sociales égales, le taux des suicides est le même quelle que soit la race.
Ainsi dans l'ancienne Autriche, l'Allemand « connu d'ailleurs pour sa tendance au suicide » ne se
tuait pas plus que le Slave...
Parmi les facteurs psychologiques dont on a voulu faire dépendre le nombre des suicides, on
rencontre d'abord l'imitation. L'imitation joue un rôle évident dans la provocation de certains sui-
cides ; la mort volontaire est facilement contagieuse. Mais l'imitation n'a que des conséquences
individuelles et sporadiques : elle nécessite une prédisposition due au milieu social. La contagion
mentale n'est, pour DURKHEIM, qu'un des multiples moyens accessoires que la tendance collecti-
ve utilise pour atteindre au nombre des suicides qui la caractérise. De même, les motifs indivi-
duels d'ordre affectif (désespoirs et déconvenues de toute nature) sont, d'après DURKHEIM, sans
valeur ni efficacité réelle : d'une part, même prouvés, leur fréquence relative n'augmente pas,
alors que le nombre des suicides augmente. De plus, non seulement leur fréquence relative, mais
«… les motifs individuels encore la nature de ces motifs ne varie pas avec les milieux. « Ils marquent, écrit-il, les points
marquent les points faibles, par où le courant venu du dehors incite l'individu à se détruire ». Ils ne sont que le pré-
faibles, par où le courant texte, l'occasion que saisit la cause véritable pour produire son effet. Qui a laissé savoir qu'il se
venu du dehors incite l'in- tuait par désespoir d'amour, aurait, tout aussi bien, pu se tuer par peur de la misère. Le décor anec-
dividu à se détruire » dotique du suicide n'est que l'apparence ; la cause profonde est tout. Il est à remarquer que, sur
DURKHEIM
ce point, DURKHEIM s'accorde avec beaucoup de psychiatres pour refuser aux contrariétés, aux
chagrins, dans l'étiologie du suicide, le rôle de cause véritable. Mais l'accord cesse aussitôt quant
à la nature réelle de cette cause. Elle ne tient pas, pour lui, à l'individu et aux anomalies de sa
constitution psychophysiologique, mais au milieu social dont il fait partie, la constance du suici-
de mesurant la constance du milieu social.
C'est donc par l'étude du milieu social seul, que les sociologues vont arriver à trouver les
causes déterminantes des suicides et de leur taux. DURKHEIM croit pouvoir rattacher les conditions
qui provoquent « ce taux social des suicides » à deux caractères fondamentaux de la vie collecti-
ve : d'une part, l'intégration des membres de la société en un tout, d'autre part, l'action régulatrice
364
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
que la société exerce sur les sentiments et la conduite de ses membres. L'exagération et l'affai-
blissement de ces tendances donnent naissance à quatre courants provocateurs de suicides, dont … Pour DURKHEIM, le
taux social des suicides se
l'intensité détermine le taux social des suicides. Quand l'intégration à la société perd sa vigueur,
rattache
l'individu est désarmé dans la vie :
d'une part à l'intégration
a) Considérons en effet les sociétés religieuses. Le protestant se tue plus que le catholique.
des membres de la société
C'est que le protestantisme est né de l'ébranlement des croyances traditionnelles et de l'esprit de en un tout,
libre examen ; d'où la multiplicité des sectes et une moindre intégration au groupe. L'Église d'autre part, l'action
catholique, au contraire, est plus fortement intégrée, si « elle protège l'homme contre le désir de régulatrice que la société
se détruire, dit DURKHEIM, c'est parce qu'elle est une société où les dogmes et les rites sont de exerce sur les sentiments
nature à alimenter une vie collective d'une suffisante intensité », et c'est parce que l'Église pro- et la conduite de ses
testante n'a pas le même degré de consistance qu'elle n'a pas sur le suicide la même action modé- membres…
ratrice.
b) De même, au point de vue familial. Le célibataire se tue plus que le veuf, qui se tue plus
que l'homme marié, et l'homme marié se tue d'autant moins qu'il a d'enfants. C'est que la famille
est un groupe social intégré.
c) De même encore, au point de vue politique. On constate une notable diminution du
nombre des suicides au moment des guerres et des grosses commotions sociales. « C'est que, écrit
DURKHEIM, elles avivent les sentiments collectifs, stimulent l'esprit de parti, comme le patriotis-
me, la foi politique comme la foi nationale et, concentrant les activités vers un même but, déter-
minent, au moins pour un temps, une intégration plus forte à la société ».
Le suicide varie donc en raison inverse du degré d'intégration des groupes sociaux dont fait
partie l'individu. On a ainsi un premier groupe des suicides, que DURKHEIM appelle le suicide …le suicide égoïste…
égoïste parce que cette intégration dégage l'individu de la vie sociale, et le pousse à mettre sa
propre personnalité au-dessus de la personnalité collective. Le lien qui rattache l'individu à la
société se défait-il et du même coup se détend celui qui le rattache à la vie. L'individu cédera,
alors, au moindre choc des circonstances.
Au contraire, dans les sociétés comme les sociétés primitives où l'intégration est poussée à
l'extrême, et où l'individu ne compte presque pour rien, l'individu se tue lorsque la société le lui
commande : ainsi le vieillard se tue à partir d'un certain âge, la femme se tue à la mort de son
mari, les serviteurs à la mort du maître. Il s'agit ici du second type de suicide, le suicide altruis- …le suicide altruiste…
te : il apparaît comme un devoir, et l'individu se sacrifie à des fins sociales. « Dans les sociétés
modernes, dit DURKHEIM, l'armée est le groupe social qui rappelle le mieux la structure des socié-
tés inférieures. C'est pourquoi le soldat se tue plus que le civil » 1.
Examinons maintenant le rôle de l'action régulatrice de la société sur les sentiments et la
conduite de l'individu dans la genèse du suicide. La société freine l'activité et règle les sentiments
et les désirs des individus. Mais des transformations trop brutales viennent contrarier cette action
régulatrice : des individus déclassés ou surclassés ne se trouvent plus au niveau où la société les
avait placés. Les uns ne savent plus limiter leurs besoins et leurs désirs, les autres se sentent inca-
pables de se restreindre davantage. C'est ce que DURKHEIM appelle « l'état d'anomie », qui
1. Dans les sociétés « plus modernes » encore, que DURKHEIM n'avait pas connues, cette structu-
re des « sociétés inférieures » s'est étendue, par un étrange progrès de la vie militaire à la vie civi-
le tout entière quand sa cohésion est celle du fer, de l'acier et du ciment armé...
365
ÉTUDE N° 14
engendre un esprit de rébellion contre la discipline collective, et par suite un troisième type de
…le suicide anomique… suicides, le suicide anomique. On le rencontre surtout dans les milieux industriels et commer-
ciaux : les crises industrielles ou financières, ou bien les moments de prospérité économique se
caractérisent par une augmentation du taux des suicides. Ce sont, en effet, des « perturbations
d'ordre collectif qui déterminent une exacerbation de l'anomie et en accentuent les effets ». De
même, dans le cadre familial, le divorce, l'affaiblissement de la réglementation matrimoniale,
laquelle limite et règle les désirs de l'homme, constitue un état d'anomie conjugale qui entraîne
une augmentation du nombre des suicides.
Il existe enfin un quatrième type de suicide, « celui qui résulte, notait DURKHEIM, d'un excès
de réglementation, celui que commettent les sujets dont l'avenir est muré impitoyablement, dont
les passions sont violemment comprimées par une discipline oppressive ».
Mais, l'éminent sociologue, négligeant ce dernier type de suicide qui n'avait plus, à ses yeux,
« qu'un intérêt historique »1 retient seulement les trois grandes variétés : égoïste, altruiste et ano-
mique. Celles qui se rencontrent le plus souvent sont le suicide égoïste et le suicide anomique.
Ces deux variétés de suicide se ressemblent en ce sens que, dans l'une et dans l'autre, la société
n'est pas suffisamment présente aux individus. Mais dans le suicide égoïste, c'est à l'activité pro-
prement collective qu'elle fait défaut ; dans le suicide anomique, c'est aux passions individuelles
qu'elle manque. Aussi n'est-ce pas dans les mêmes milieux sociaux que se rencontrent ces deux
sortes de suicides ; l'un a pour terrain d'élection les caractères intellectuels, l'autre le monde
industriel et commercial.
Chaque suicide possède évidemment son empreinte personnelle ; selon le tempérament de
l'individu, selon les conditions spéciales dans lesquelles il se trouve. Mais les particularités indi-
viduelles ne jouent aucun rôle dans la genèse du suicide, elles ne font que prêter leurs propres
couleurs à des actes qui ont ailleurs leur raison. Tout suicide garde la même « marque collecti-
ve ». « C'est la constitution morale de la société, souligne DURKHEIM, qui fixe à chaque instant le
contingent des morts volontaires. Il existe donc, pour chaque peuple, une force collective d'une
énergie déterminée qui pousse les hommes à se tuer ».
Le suicide se trouve donc étroitement subordonné à la vie collective. Toute vie collective est
faite, en des proportions variables, d'égoïsme, d'altruisme et d'une certaine anomie. Si ces cou-
rants se tempèrent mutuellement, l'individu est dans un état d'équilibre qui le met à l'abri du sui-
cide. Si l'un de ces courants, au contraire, vient à dépasser un certain degré d'intensité, il provoque
l'apparition de suicides. Mais un équilibre parfait est un état de stagnation pour une société qui a
besoin pour vivre d'indépendance morale et d'abnégation. La contre partie nécessaire de ces ver-
tus est le suicide. Le suicide est donc un fait social normal et inévitable.
DURKHEIM, constatant Mais DURKHEIM, constatant l'accroissement du taux des suicides, estime ce fait anormal,
l'accroissement du taux « car il est l'indice, dit-il, de l'état de perturbation profonde dont souffrent les sociétés civilisées ».
des suicides, estime ce Ce fait montre la nécessité d'un renforcement de l'intégration et de la réglementation sociales. Et
fait anormal, « car il est DURKHEIM voit la solution de ce problème, non pas dans le cadre religieux, politique ou familial,
l'indice, dit-il, de l'état de
mais dans l'intégration de l'individu à des groupes professionnels fortement organisés.
perturbation profonde
Telle est la théorie de DURKHEIM dont les principes essentiels restent plus ou moins valables
dont souffrent les sociétés
pour les sociologues d'aujourd'hui...
civilisées ».
366
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
367
ÉTUDE N° 14
du nombre des suicides. Une crise économique détermine bien un état de désorganisation et de
déséquilibre, mais cette désorganisation crée justement entre les individus toutes sortes de rap-
ports nouveaux : d'où la multiplication des occasions d'ennuis, d'humiliations, de déceptions et de
souffrances et, par voie de conséquence, l'augmentation du nombre des suicides. HALBWACHS nie
donc toute l'importance de l'état d'anomie des sociétés contemporaines pour insister sur leur
complication qui multiplie les occasions de contact entre les hommes et, par suite, les suicides.
Mais par quel mécanisme le nombre des contacts sociaux influe-t-il sur le nombre des sui-
cides ? Tout suicide se produit dans des circonstances concrètes qui le motivent aux yeux de
l'intéressé. Si l'on multiplie les contacts d'un individu avec son entourage, on multiplie en
même temps ses chances de se rencontrer dans des situations susceptibles de susciter dans sa
conscience des motifs individuels de se donner la mort. HALBWACHS est ainsi amené à consi-
dérer le suicide comme un phénomène individuel et à tenter, en quelque sorte, une réhabilita-
tion sociologique de ces motifs individuels estimés par DURKHEIM sans valeur ni portée réelle.
Mais ces motifs, individuels en apparence, relèvent en réalité de causes sociales ; ce sont donc
des faits sociaux au même titre que l'affaiblissement des coutumes traditionnelles ou que l'ab-
sence d'intégration au corps social. Ils doivent être, par conséquent, considérés comme des
causes sociales du suicide. « Ils ne sont, dit HALBWACHS, qu'un aspect et qu'un effet de la struc-
ture et du genre de vie du groupe ».
Les motifs du suicide ont tous la même conséquence : ce sont des faits ou des circonstances,
…Il se forme autour de des sentiments ou des pensées qui isolent l'homme de la société. Il se forme autour de l'individu
l'individu un vide social, un vide social, une lacune qui s'accompagne d'un état d'angoisse et de terreur. L'existence de cette
une lacune qui s'accom- lacune sociale, cause unique du suicide pour HALBWACHS, prouve que cet état psychologique est
pagne d'un état d'angois- social par son origine et par sa manière même. « Le psychiatre, écrit HALBWACHS, concentre son
se et de terreur. attention sur ce qui se passe à l'intérieur de la lacune, et comme il y a une sorte de vide social, il
L'existence de cette lacu-
est tout naturel qu'il explique le suicide par le suicidé, et non par le milieu dont celui-ci est déta-
ne sociale, cause unique
ché. Il ne s'aperçoit pas que la cause véritable du suicide c'est le vide qui s'est fait autour du sui-
du suicide pour
HALBWACHS, prouve que cidé, et que s'il n'y avait pas de semblables lacunes, il n'y aurait pas de suicides ».
cet état psychologique est Quelle est donc, en définitive, l'importance que les sociologues réservent aux suicides des
social par son origine et aliénés et des psychopathes ?
par sa manière même… Pour DURKHEIM, il y a bien un suicide normal et un suicide pathologique, mais dans l'étu-
de du taux des suicides il y a lieu, selon lui, de faire abstraction du suicide pathologique, « car
le taux des suicides ne vaut que pour le suicide normal et l'aliénation mentale n'est pas un fac-
teur de ce taux ». Le suicide normal est donc attribué au sociologue, le suicide pathologique au
…Ce n'est pas, dit psychiatre, mais l'essence du phénomène suicide est la même dans les deux cas. « Ce n'est pas,
DURKHEIM, parce qu'il y a dit DURKHEIM, parce qu'il y a tant de névropathes dans un groupe social, qu'on y compte annuel
tant de névropathes dans lement tant de suicides. La psychopathie fait seulement que ceux-ci succombent de préférence
un groupe social, qu'on y à ceux-là ». S'il y a toujours assez de psychopathes pour fournir à la société le nombre de sui-
compte annuellement tant
cides qu'elle exige, c'est que le psychopathe est l'effet des mêmes causes sociales que le suici-
de suicides. La psychopa-
de. Mais psychopathie et aliénation mentale sont très voisines l'une de l'autre. Il y a donc lieu
thie fait seulement que
ceux-ci succombent de de penser que si la psychopathie est sociale par ses causes, l'aliénation mentale l'est également.
préférence à ceux-là. » C'est par le raisonnement qu'HALBWACHS tente l'absorption de la psychiatrie par la sociologie.
D'après lui, il n'y a pas deux suicides, l'un de déterminisme physiologique, l'autre de détermi-
nisme social. Le suicide est un. La première preuve, qui peut ne pas paraître convaincante, est
368
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
l'opinion que l'on se fait généralement du suicide. « Si ces suicides étaient différents de natu-
re, écrit HALBWACHS, on ne leur donnerait pas le même nom, et la société n'agirait pas de même
manière en présence des uns et des autres ».
« Mais, ajoute-t-il plus loin, si tous ces suicides sont, au fond, de même nature, s'ils sont
autant de variétés d'un même genre, ils doivent s'expliquer par des causes de même ordre... » De
ce que les mêmes effets ont toujours les mêmes causes, HALBWACHS conclut que tout suicide est
à la fois un fait pathologique et un fait sociologique et que, dans ces conditions, le « patholo-
gique » est au fond du « social ». C'est à tort que le sens commun considère comme typiques les
deux formes extrêmes du suicide, le suicide volontaire et le suicide accompli dans un état d'éga-
rement. La masse des cas se trouve dans l'intervalle et ne s'arrête pas à une distinction aussi nette.
Tout suicide « relève donc théoriquement de la psychopathologie, étendue jusqu'à ces extrêmes
limites ». « Inversement, il n'est guère de suicides, même psychopathiques qui ne relèvent de la …« Inversement, il n'est
sociologie ». En effet, le pathologique ne détermine le suicide que par l'intermédiaire d'un effet guère de suicides, même
psychopathiques qui ne
social : l'isolement au sein du groupe. Bien plus le pathologique lui-même est de cause sociale.
relèvent de la sociologie »
HALBWACHS prend pour exemple les tares mentales : elles sont de cause sociale, puisque le maria-
HALBWACHS …
ge a ses règles et ses usages qui peuvent favoriser les unions consanguines et par conséquent don-
ner naissance à des tares mentalement ; de même certains milieux sociaux ont le privilège d'atti-
rer et de retenir les déséquilibrés des deux sexes et de créer ainsi des unions qui donnent nais-
sance à de nouveaux déséquilibrés. Aussi c'est le milieu social qui, en dernier ressort, explique la
fréquence et la distribution du pathologique. Le suicide est donc toujours d'origine sociale
puisque le pathologique qui peut le provoquer est lui-même de cause sociale. Dans ces condi-
tions, il importe peu au sociologue de savoir que le suicide est ou n'est pas d'origine patholo-
gique puisqu'en définitive il est toujours d'origine sociale1. En conséquence, la psychiatrie n'a
aucune raison de revendiquer le suicide, qui appartient de droit et de fait à la seule sociologie.
– Le livre d'Achille DELMAS, champion de la « thèse psychiatrique » s'inscrit en …Le livre d'Achille
DELMAS, champion de la
faux contre ces assertions. Il critique tout d'abord les statistiques sur lesquelles se
« thèse psychiatrique »
dresse la théorie sociogénique du suicide. Il relève les négligences, omissions, s'inscrit en faux contre
erreurs, défauts de contrôle ou de renseignements techniques et les variations des ces assertions. Il critique
méthodes à relevés. Notamment, le fait que les tentatives qui ont échoué ne figurent tout d'abord les statis-
tiques…
pas dans les études statistiques, est une cause d'erreurs considérable. (C'est ainsi, dit-
il, que cet argument avancé par Mario BACHI « est intervenu comme une boule dans
un jeu de quilles »). D'autre part, ce que A. DELMAS appelle le phénomène de « migra-
tion » qui est non seulement changement de lieu mais changement d'état (de célibat
en mariage, d'une religion à une autre, etc.) est essentiellement individuel et dépend
de la psychologie, voire de la psychopathologie plutôt que des facteurs sociaux. Il
incrimine ce qu'il appelle le « paralogisme fondamental » qui consiste à tirer argu-
ment de variations négligeables car elles sont seulement de l'ordre de grandeur des
1. Position qui définit la « sociogenèse » des troubles mentaux aux yeux de ceux qui prennent
pour leurs causes, les effets des troubles psychiques. A cet égard l'école anglo-saxonne est rejoin-
te chez nous par BONNAFÉ et FOLLIN (Évolution Psychiatrique, 1948, n° exceptionnel).
369
ÉTUDE N° 14
erreurs inhérentes à la méthode. Enfin les statistiques utilisées par DURKHEIM et ses
disciples allant de 1826 à nos jours ne lui paraissent pas comparables entre elles :
elles ne décomptent pas les tentatives et elles font l'objet d'interprétations fort diffé-
rentes par les divers sociologues 1.
En réalité, écrit Achille DELMAS, il faut distinguer les « pseudo-suicides » des
« véritables suicides ». Il faut compter comme faux suicides d'abord les morts acci-
dentelles où l'homme se donne la mort par erreur (cela va de soi). Il faut éliminer éga-
lement des « vrais suicides » les réactions suicidaires confuso-démentielles (par
exemple un confus qui se tue en passant par une fenêtre qu'il croit être une porte !)
Faux suicide est encore le suicide « par contrainte » : le sacrifice imposé aux esclaves,
l'holocauste requis par la divinité. Pseudo-suicide de même, l'acte de se donner la
En réalité, écrit Achille mort pour échapper à la douleur ou aux tortures (faux suicide « euthanasique »). Faux
DELMAS, il faut distinguer suicide enfin le suicide « éthique », celui de l'héroïsme, celui de SOCRATE, celui de
les « pseudo-suicides »
CONDORCET, celui du commandant qui se fait sauter avec le fort qu'il commande, etc..
des « véritables sui-
cides »…qui paraissent
Il ne reste donc comme « suicide vrai » que celui qui est l'acte de désirer la mort pour
être toujours le fait ou de la mort. Achille DELMAS parvient donc à cette définition : Le suicide est l'acte par
mélancoliques en état de lequel se donne la mort tout homme qui pouvant choisir de vivre, choisit cependant
crise ou de malades
de mourir en dehors de toute obligation éthique. Or ce suicide-là lui paraît être tou-
atteints de dépression
constitutionnelle, ou d'hy-
jours le fait ou de mélancoliques en état de crise ou de malades atteints de dépression
perémotifs en proie à des constitutionnelle, ou d'hyperémotifs en proie à des crises paroxystiques d'anxiété 2. Il
crises paroxystiques y a en effet, dit notre auteur, incompatibilité entre le « suicide vrai » et l'émotivité nor-
d'anxiété…
male. La difficulté, affirme A. DELMAS, que semblent opposer à cette thèse les faits
de « suicide philosophique » n'est pas sérieuse. Si l'on examine les cas de LUCRÈCE à
CATON, de SCIPION, de BRUTUS ou de SÉNÈQUE, le suicide des stoïciens apparaît
comme une « réaction anxieuse ». Ce ne sont pas des suicides de force et de grandeur
d'âme... ce sont des suicides de faiblesse. Aussi Achille DELMAS rabaisse-t-il au rang
370
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
371
ÉTUDE N° 14
place dans la société la cause du suicide, qui fait du suicide l'effet de la « désintégra-
tion » de la société, est une explication générale qui ne vaut pas pour tous les cas par-
ticuliers et par conséquent cesse d'être générale. Bien plus, comme elle n'explique
aucun cas particulier, elle n'est même pas une explication du tout. C'est qu'en vérité le
suicide échappe à la sociologie, c'est un acte de structure essentiellement psycholo-
gique. Cela ne veut pas dire qu'il soit certes dépourvu de toute charge et de toute valeur
sociale. Le suicide est un comportement socialisé comme toute conduite humaine mais
la société est un moule et non point une matrice. Et G. DESHAIES conclut excellemment
ces quelques pages, les plus vigoureuses de son livre, en déclarant « en face du suici-
dant le médecin ne doit pas être sûr à l'avance qu'il s'agit d'un psychopathe ».
Nous touchons ainsi une fois encore au problème fondamental, pierre d'achoppe-
ment et aussi pierre angulaire de tout problème psychiatrique particulier. Ou le suici-
de est « sociogénique » et il est normal, ou il ne l'est pas et il est pathologique. Tous
…Pour nous il est évi-
les auteurs, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le voient ou non, situent la question sur ce
dent, comme pour G.
DESHAIES, qu'il est aussi terrain, celui qui nous est indiqué par la nature même des choses.
faux et absurde de dire Pour nous il est évident, comme pour G. DESHAIES, qu'il est aussi faux et absurde
que tous les suicides sont de dire que tous les suicides sont « sociogéniques » que de dire que tous les suicides
« sociogéniques » que de
sont « pathologiques ».
dire que tous les suicides
sont « pathologiques »… Le suicide pathologique, nous l'avons étudié comme une forme de comportement
morbide issu de la « matrice » psychopathologique, des structures névrotiques et psy-
chotiques. Il est solidaire des formes morbides de l'angoisse humaine.
…le suicide n'est que l'ex-
A cet égard le suicide n'est que l'expression de l'angoisse, une faim d'anéantisse-
pression de l'angoisse,
une faim d'anéantisse- ment, le geste de la négation dont le caractère pathologique ou non dépend de la struc-
ment, le geste de la néga- ture morbide ou non de l'anxiété à laquelle le suicidant incline, tout à la fois, de s'aban-
tion…il répond à un donner et de se soustraire. Mais qu'il soit normal ou pathologique, il répond à un
besoin spécifique de
besoin spécifique de l'homme, celui qui le pousse à se détruire, à résister à son instinct
l'homme, celui qui le
pousse à se détruire, à de conservation, à lui opposer une force égale et parfois supérieure, à consentir non
résister à son instinct de plus à la vie mais à la mort.
conservation…
372
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
373
ÉTUDE N° 14
374
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
intimement liées. FRIEDMANN, dans le travail 4 auquel nous avons fait plus haut allu-
sion, a admirablement montré les liaisons profondes qui unissent le désir de donner la
mort et celui de se l'infliger. Un sociologue italien, E. FERRI 5, avait souligné que les
statistiques montrent une étroite solidarité entre les actes hétéro- et auto-agressifs, en
ce sens que là où il y avait beaucoup de suicides il y avait moins d'homicides. Tout se
passerait donc comme si le suicide et l'homicide représentaient deux manifestations
alternantes et complémentaires d'un même penchant 1. La liaison des tendances agres-
375
ÉTUDE N° 14
sives et de l'auto-destruction est cependant rendue sensible dans de nombreux cas d'ob-
sessions et de mélancolies que nous offre la clinique. La rareté des suicides chez les
schizophrènes et la fréquence de leurs impulsions hétéro-agressives est à souligner
également. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, l'appareil pulsionnel et tous les ressorts de l'an-
goisse nous sont depuis FREUD assez bien connus pour que nous n'ayons aucune peine
à admettre que les injonctions sinon les décrets de la « Justice » inconsciente du « sur-
moi » ne sont autres que les sentences de mort selon la Loi du Talion : la mort est tou-
jours requise pour la mort désirée. La signification du mécanisme pathologique du sui-
…La signification du cide a été admirablement mise à jour par les travaux des psychanalystes et notamment
mécanisme pathologique de A. GARMA 2 dans son excellente étude. Il insiste sur la projection des pulsions hété-
du suicide a été admi-
ro-agressives comme si le meurtre de soi-même manifestait dans la mélancolie à la fois
rable ment mise à jour
par les travaux des psy- la révolte, la vengeance et la haine inconscientes et constituait le seul moyen de pos-
chanalystes et notamment séder l'objet libidinal désiré et « perdu », de l'entraîner – par le fantasme de l'immola-
de A. GARMA… tion – dans la mort.
Un autre aspect du système pulsionnel doit être encore rappelé : ce sont ces forces
de la « pesanteur » dans le monde de la vie que sont les « Instincts de Mort ».
L'organisation instinctuelle, selon FREUD, se partage, nous l'avons vu, en deux cou-
rants : l'un constitue la composante libidinale (instincts sexuels objectaux ou centri-
fuges et instincts sexuels du moi ou centripètes), l'autre, la composante létale (instincts
objectaux d'agressivité, de haine hétéro-destructive et instinctive, centripète, auto-des-
tructive). Ce n'est pas dire autre chose, au fond, que d'affirmer une fois de plus que le
« réflexe de mort » est immanent à la nature humaine 3, que notre vie psychique ne se
L'instinct de mort […]
déploie que contre une tendance à la mort, comme si notre existence comportait elle
principe d'inertie, d'en-
tropie qui nous incline aussi un principe d'inertie, d'entropie, qui nous incline vers la mort, la destruction et
vers la mort… l'anéantissement de notre monde.
1. Ce point de fait a d'ailleurs été contesté par les sociologues. Si DESPINE, (Psychologie naturel-
le, Paris, 1868) l'avait fait sien, HALBWACHS, pp. 295 à 318, ne l'admet pas et il s'inscrit en faux
contre ce qu'il appelle la « loi de FERRI ».
2. A. GARMA, El suicidio, in Psicoanalisis de la Melancolia, (Buenos-Aires 1948), article paru
dans Imago (1937). Dans ce travail, le psychanalyste argentin utilise surtout les coutumes et
représentations collectives d'un grand nombre de pays ou de peuplades d'après l'ouvrage de J.
WIESE, Sebstmord und Jodesfurcht bei den Naturvölker, 1933.
3. On le retrouve d'ailleurs chez les animaux. Si le fameux cas du scorpion, observé d'après
ROMANES par W. G. BIDRE, n'a pas résisté aux sagaces observations de J. H. FABRE, si la chamelle
et la jument dont Aristote nous rapporte qu'elles périrent de honte d'avoir été couvertes par leurs
rejetons nous apparaissent comme des cas à tout le moins peu scientifiquement étudiés, G. J.
ROMANES (1898), un vétérinaire LEPINAY (1925) et Achille URBAIN (Psychologie des Animaux
sauvage, Paris, 1940) admettent que certains animaux « se laissent mourir », observation que tous
les éleveurs, toutes les basse-courières sont, paraît-il, à même de faire fréquemment.
376
LE SUICIDE PATHOLOGIQUE
L'angoisse c'est, nous le verrons dans l'Étude suivante, le vertige devant le temps
ouvert et c'est aussi par rapport à la Durée que le suicidant prend position, comme l'a
fort bien vu DESHAIES 1. Soit que la conscience suicidante tende vers une néantisation …c'est aussi par rapport
de l'avenir dans une contraction compacte de tout le passé perdu et de tout l'impossible à la Durée que le suici-
dant prend position,
présent, soit que, optimiste au delà de son pessimisme, elle suppose que l'horloge ne
comme l'a fort bien vu
s'arrêtera point et qu'elle désire seulement une métamorphose et une résurrection s'il DESHAIES…
est vrai que pour elle, comme l'a écrit E. MINKOWSKI 2, « la mort en tant que destruc-
tion engendre un devenir et non point un être... »
377
ÉTUDE N° 14
Hans ROST a établi une immense Bibliographie des Selbstmords (I vol., Augsbourg,
1927).
ESQUIROL, Suicide, Dictionnaire des Sciences Médicales.
CAZAUVIEILH, Du Suicide, Baillere, Paris, 1840.
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LE MOAL, Suicide et chantage au suicide chez l'enfant, Thèse, Paris, 1944.
DESHAIES (Gabriel), Psychologie du suicide, P. U., Paris, 1947.
378
Étude n° 15 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
ANXIÉTÉ MORBIDE
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
L'anxiété est un désarroi vécu dans l'attente poignante d'un danger imminent. Elle …L'anxiété est un désar-
s'exprime par les manifestations émotionnelles de l'angoisse. Certains auteurs, comme roi vécu dans l'attente
poignante d'un danger
Mlle BOUTONIER 1 par exemple, ne distinguent pas l'angoisse de l'anxiété, se confor-
imminent. Elle s'exprime
mant ainsi à une vieille tradition humaniste. Cependant, dans le langage habituel de la par les manifestations
psychologie médicale, on tend à réserver au terme d' « angoisse » le sens qui s'attache émotionnelles de l'an-
au terme latin d' « angor », c'est-à-dire que le mot désigne essentiellement les phéno- goisse…
mènes physiques de cette émotion et son « vécu » perceptif, ce par quoi elle est
« éprouvée » dans le corps.
L'anxiété (ou si l'on veut l'angoisse 2 ) est donc un « état affectif » qui se rencontre
à tous les tournants de l'existence et sous toutes les formes de la condition humaine.
Mais il existe des états d'anxiété morbide plus ou moins durables, et détachés comme
l'hallucination d'un objet réel ; il s'agit d'une émotion, d'un « affect » qui entre dans le
contenu vivant de la plupart des névroses et des psychoses. Cette forme de réaction
affective pathologique est si générale que, loin de constituer un symptôme, ou un syn-
drome bien délimité, elle entre peu ou prou dans la structure même de tous les états
psycho-pathologiques qu'elle colore ainsi d'un des plus spécifiques reflets de l'âme
humaine, l'inquiétude et la peur 3. L'anxiété est, à cet égard, l'horizon de l'univers de
la faute qui selon HESNARD 4 constitue la structure des névroses et des psychoses.
1. Mlle J. BOUTONIER, L'angoisse, I vol., Paris, 1945. Ouvrage fondamental auquel nous aurons
constamment à nous référer. — Pour HESNARD, l'angoisse est paroxystique et l'anxiété constitue
une forme subaiguë ou torpide de l'angoisse.
2. Il nous arrivera parfois au cours de cette étude d'employer indifféremment les termes d'an-
goisse ou d'anxiété. Toutes les fois que nous parlons de l'angoisse au sens strictement physiolo-
gique, nous préciserons « angoisse constrictive ».
3. Rappelons que, pour GRIESINGER, l'état de dépression mélancolique constituait le fond commun
de toutes les psychoses.
4. HESNARD, L'univers morbide de la faute, Paris, P. U.F., 1949.
379
ÉTUDE N° 15
380
ANXIÉTÉ MORBIDE
1. C'est en ce sens que M. L. BOVET, dans sa leçon inaugurale à la Faculté de Lausanne, le 12 juin
1942, disait : « Si l'avenir est bien le père de l'angoisse, le passé en est la nourrice ».
2. C'est le sens de l'analyse de Éd. PICHON, Mort, angoisse et négation, Évol. Psych., 1947.
3. LÖWENFELD, Münch. Med. Woch., 1895 et 1897.
4. G. DUMAS, Nouveau Traité de Psychologie, t. III, 1933.
381
ÉTUDE N° 15
sions des émotions, sans que lui-même d'ailleurs assez paradoxalement étudie l'angois-
se. Plus tard, presque tous les auteurs qui se sont occupés de l'angoisse ou de l'anxiété
ont tenté, sans y parvenir complètement, de distinguer cette « émotion » de la masse des
sentiments douloureux ou effrayants avec lesquels elle fait plus ou moins corps. E.
MIRA1 a tenté de distinguer les phases successives du déroulement catastrophique de la
conscience angoissée : la pusillanimité (prudencia, huída profiláctica) — les précau-
tions de l'expectative où se concentre la préoccupation — l'alarme qui déjà désorgani-
se le rythme psychique — l'angoisse anxieuse (angustia ansiosa) avec sa tempête psy-
cho-motrice, — la panique où l'être s'en remet aux forces obscures qui le composent et
s'abandonne à la réaction catastrophique — la terreur, enfin, qui pétrifie.
Mlle BOUTONIER sépare l'angoisse de l'inquiétude, en ce que l'inquiétude implique
un doute : « elle vous harcèle, mais elle n'est pas poignante ».
Mais c'est surtout relativement à « la peur » que l'angoisse reste très difficile à
délimiter, la peur, elle-même, étant une émotion qui admet une pluralité de réactions
et de nuances affectives. C'est ainsi que BROUSSEAU 2 a distingué trois types de peurs :
la crainte, la frayeur et la terreur, qui s'accordent, par avance et assez bien, avec l'ana-
lyse de E. MIRA. ARTHUS 3 a étudié, lui aussi, globalement, il y a quelques années, les
« peurs pathologiques ». Mais un certain nombre de psychologues et de psychiatres se
sont toujours appliqués à distinguer l'anxiété de la peur (par exemple STECKEL 4,
…la peur est constituée STÖRRING 5 et Mlle BOUTONIER) en ce que la peur est constituée par une réaction de
par une réaction de défense (immobilisation ou fuite) à l'égard d'un objet présent, tandis que l'angoisse ou
défense (immobilisation
l'anxiété, comme nous l'avons vu, préfigure dans sa structure un danger à venir, et par
ou fuite) à l'égard d'un
objet présent, tandis que là même, plus vague, incertain, mystérieux et lancinant. Dans la crainte, les représen-
l'angoisse ou l'anxiété, tations tiennent un rôle prépondérant. Les Allemands, à propos de la « Furcht » (terme
comme nous l'avons vu, qui semble représenter une synthèse des sentiments de crainte et de frayeur), ont natu-
préfigure dans sa structu-
rellement beaucoup discuté de ses rapports avec l'angoisse (Angst). Nous empruntons
re un danger à venir, et
par là même, plus vague, à STÖRRING quelques indications à ce sujet : GOLDSTEIN 6, dit-il, définit la crainte
incertain, mystérieux et comme un sentiment où se vit la possibilité de l'angoisse à travers l'imagination. W.
lancinant… STERN 7 a insisté sur le fait que, dans la crainte, le sentiment se porte sur l'objet de la
crainte, tandis que dans l'angoisse il reste orienté vers le sujet. Il peut être d'un intérêt
simplement pittoresque de rapporter à ce sujet l'enquête faite par P. SKAWRAN (1930)
382
ANXIÉTÉ MORBIDE
sur quinze personnes de nationalité, sexes ou cultures divers. Dans la plupart des cas,
l'emploi synonymique des deux expressions s'est révélé assez constant pour que
STÖRRING 1 conclue que la crainte n'est qu'une forme spécialisée de l'angoisse, celle
…On trouvera dans l'ou-
qui a un objet particulier, tandis que l'angoisse reste orientée plus vaguement vers vrage de Mlle BOUTONIER
l'avenir et vers le sujet. Quant à la terreur, elle est, selon BROUSSEAU, une peur paraly- une subtile distinction
sante et qui déforme jusqu'à la perception nette du danger. Les Allemands, sous le nom entre la peur et l'angois-
se, et dans le travail si
de « Schreck », insistent également sur le caractère paralysant et stuporeux de la ter-
original, profond, et par-
reur. On trouvera dans l'ouvrage de Mlle BOUTONIER 2 une subtile distinction entre la fois humoristiquement
peur et l'angoisse, et dans le travail si original, profond, et parfois humoristiquement poignant d'Edouard
poignant d'Edouard PICHON 3 des aperçus fulgurants sur les multiples facettes de l'an- PICHON des aperçus ful-
gurants sur les multiples
goisse (peur, terreur, venette, trouille, etc.) qui véritablement engagent le problème
facettes de l'angoisse…
hors des querelles de mots, jusqu'au fond des choses.
Un autre aspect psychologique de la conscience angoissée c'est le conflit des ten- …Un autre aspect psy-
dances qui la partage et la déchire. Pour BOVEN 4 l'anxiété est essentiellement un chologique de la
conscience angoissée
désarroi de l'être qui vit la profonde discordance des tendances qui le constituent. Il a
c'est le conflit des ten-
très bien étudié ce qu'il appelle 1' « agonévrose », ou névrose de combat, caractérisée dances qui la partage et
par la lutte intérieure que se livrent les tendances antagoniques déchaînées en une véri- la déchire…
table « guerre civile ». L'angoisse est pour lui « une figuration d'actions contradictoires
et simultanées » qui se joue sur un « théâtre de fantômes ». De sorte que, écrit-il,
« dans le syndrome anxieux, c'est d'un déchirement de l'être que naît l'angoisse. Aux
spectres des sentiments répondent des actions fantômes, et les actions fantômes s'ébau-
chent dans la conscience anxieuse, s'opposant à d'autres ébauches. Elles s'inscrivent en
majuscules ou par leur premier mot, dans les gesticulations et la mimique. Elles y bal-
butient, pourrait-on dire. Remplacez tout un discours par ces premiers mots, comme
on fait pour les bulles du pape, ou toute une activité par le mouvement initial et vous
aurez l'image des abréviations de l'action dans l'anxiété ». STÖRRING met également
l'accent sur l'opposition entre la vie affective profonde et puissante et la « volonté éton-
namment débile ». Quant à Mlle BOUTONIER, elle a justement mis en évidence, comme
fondement de l'angoisse, une autre faiblesse, la structure ambivalente du sujet :
« l'anxiété siège en ce point commun à toutes les directions divergentes d'évasion. Ce
serait un soulagement que de pouvoir ramener l'anxiété à un conflit d'idées ! Mais l'an-
goisse, on pourrait dire qu'elle ne peut que se vivre ». Et, se référant immanquablement
au vertige, l'auteur poursuit : « Quand j'ai le vertige, je ne peux pas être en même temps
383
ÉTUDE N° 15
celui qui continue son chemin, et celui qui va se précipiter dans le vide. C'est moi qui
ne peux plus choisir, et non les choses qui m'en empêchent. C'est moi qui suis en même
temps la personne à qui s'offre l'alternative, et celle qui l'offre. Je suis cette alternati-
ve même, et je ne peux même plus, à partir de ce point, où je vis l'angoisse, dessiner
les lignes divergentes des possibles. Je fais trop étroitement corps avec l'angoisse, pour
…« Je ne suis plus que cet avoir même l'illusion de la dominer un moment. Je ne suis plus que cet écartèlement
écartèlement dont je ne
dont je ne peux pas plus m'arracher que de ma vie même ». Enfin, comme nous le ver-
peux pas plus m'arracher
que de ma vie même »…
rons plus loin, tous les psychanalystes et beaucoup de cliniciens ou de psychologues
J .BOUTONIER. admettent, avec HESNARD, que le sentiment de culpabilité fait partie intégrante de l'an-
goisse. Vivre un danger seulement imaginaire ou actualiser un péril futur, c'est déjà s'y
livrer soi-même par anticipation, par crainte ou sous l'effet d'une implacable contrain-
te intérieure. Cette contrainte c'est précisément le besoin atroce de se faire peur, d'avoir
peur de mêler la menace d'une catastrophe virtuelle à son existence, de suspendre le
glaive de la « justice intérieure » comme une épée de Damoclès sur son Destin. De
telle sorte que dans l'angoisse d'une catastrophe même réelle, mais dans laquelle
l'anxiété projette nécessairement un complément fantasmique (comme dans le cauche-
mar ou le délire) la panique serait tout à la fois terreur de la mort, du châtiment et de
la « peine de mort ».
384
ANXIÉTÉ MORBIDE
conscience angoissée, l'épaisseur du temps qui la sépare encore d'un danger virtuel mais inéluctable.
A l'anxiété mineure correspondent des synthèses affectives précaires et poignantes de l'être …A l'anxiété mineure
« aux abois ». correspondent des syn-
Le doute : que faire? Que penser? Que décider? Que croire? La perplexité, l'incertitude des thèses affectives pré-
événements, les jugements hypothétiques sur les significations du monde prochain ou lointain, caires et poignantes de
les pressentiments, sont les principaux aspects de la projection douloureuse du malaise présent, l'être « aux abois »…
dans la perspective du réel passé ou futur. Tout est trouble et ambigu. Je sens mes pas mal assu-
rés et mon destin chancelant.
La crainte. C'est la préfiguration du danger toujours possible sinon probable, l'enveloppe-
ment de « ce-qui-va-arriver » par l'amplification péjorative de la conscience malheureuse. Je
pressens le danger qui m'environne et déjà m'investit.
L'inquiétude. C'est la sourde impression d'insécurité du destin personnel qui noue ensemble
les fils de la méfiance, du pessimisme et du doute. La menace s'est installée dans mon existence
et la dévore.
Le regret. C'est le désir de revivre le passé, de le modifier et la nostalgie du temps irrévoca-
blement perdu. J'ai gâché ma vie, je l'ai engagée dans une impasse, je me suis moi-même ligoté.
Le découragement. C'est la résignation apeurée à la catastrophe, l'impuissance rageuse et
coléreuse, la révolte, mais tremblante déjà de la défaite, de l'échec. Je renonce à agir, mais non à
m'agiter, je me plonge dans le malheur pour en sortir.
Ces nuances des sentiments d'anxiété mineure définissent précisément non plus la crise pan-
tophobique, mais l'anxiété térébrante lancinante, qui constitue chez certains êtres la forme per-
manente et tragique de leur existence.
— Telles sont les pièces, si l'on peut dire, de ce « procès »1 que l'anxieux se fait à …Nous savions depuis la
Genèse, mais nous
lui-même et par lequel il accumule contre son destin les ombres du mal et de la mort.
connaissons mieux depuis
Nous savions depuis la Genèse, mais nous connaissons mieux depuis FREUD, par quel FREUD, par quel jeu
jeu inconscient le péché, la faute, la culpabilité sont les vivantes racines de l'angoisse. inconscient le péché, la
Il est temps maintenant d'étudier les formes maladives de « l'angoisse humaine », sa faute, la culpabilité sont
les vivantes racines de
clinique, puisque c'est un fait clinique de première grandeur que l'anxiété entre dans le
l'angoisse…
tableau clinique de la plupart des névroses et des psychoses.
C'est tout d'abord sous forme de crises que se présente l'anxiété morbide. Sans
doute tout homme qui est plongé dans l'angoisse, au cours de son existence normale,
est-il dans un paroxysme émotionnel, mais chez le malade, chez le névropathe, ou le
…l'anxiété morbide est
psychopathe, la crise d'anxiété va revêtir des formes étranges, de qualité et d'intensité
« prise » dans une struc-
paradoxales. C'est que l'anxiété morbide est « prise » dans une structure de troubles où ture de troubles où chavi-
chavire la conscience du malade et qu'elle exprime sa dissolution. Tout ce que nous re la conscience du mala-
avons dit plus haut de la phénoménologie de l'anxiété rend plausible qu'une telle tem- de et qu'elle exprime sa
dissolution…
pête affective se rencontre en effet avec une remarquable fréquence dans la plupart des
385
ÉTUDE N° 15
*
* *
Nous rappellerons seulement l'essentiel des deux courants principaux qui, chez
nous et à l'étranger, ont pris pour objet d'études, d'abord l'anxiété des psychoses et
ensuite les formes d'angoisse névrotique.
Le terme « anxiété » est, répétons-le, relativement récent dans la séméiologie psy-
chiatrique. C'est ainsi que Ch. FÉRÉ 1 n'emploie pas le mot. Au siècle dernier, on par-
lait plutôt, et tout à la fois, de « phobie », de peur, de pantophobie ou de panophobie,
386
ANXIÉTÉ MORBIDE
etc... LALANNE 1 dans son rapport classique a pu écrire : « il faut arriver à ces derniers
temps pour voir assigner à l'anxiété sa vraie place et lui voir jouer son véritable rôle.
L'anxiété est, en effet, un symptôme de la plupart des névroses et des psychoses. Elle
fait la base de ces états intermédiaires aux névroses, aux psychoses qui constituent la
névrose d'angoisse ». C'est à MOREL 2 que l'on attribue généralement le mérite d'avoir, …C'est à MOREL que l'on
attribue généralement le
un des premiers, su révéler le côté « émotif » et, en un certain sens, « anxieux » de bon
mérite d'avoir, un des pre-
nombre de tableaux cliniques. Sous le nom de « délire émotif », il englobait la patho- miers, su révéler le côté
logie des obsessions (émotivité), la pathologie de la mélancolie (anxiété) et la patho- « émotif » et, en un cer-
logie de la neurasthénie (dépression). Depuis cette époque, deux courants importants tain sens, « anxieux » de
bon nombre de tableaux
se sont partagé l'étude de l'anxiété morbide.
cliniques. Sous le nom de
D'une part, les études sur les crises d'anxiété dans le groupe des psychoses (étude « délire émotif »…
des formes anxieuses de la mélancolie — des états d'anxiété symptomatiques —
études neuro-biologiques de l'anxiété) se sont beaucoup développées.
D'autre part, l'étude de l'anxiété névrotique devait révéler tout un monde, celui de l'en-
racinement de l'angoisse névrotique au plus profond des couches inconscientes de l'être.
On décrivit d'abord en France, à la suite de MOREL, le « délire émotif obsessionnel
(SÉGLAS, PITRES et RÉGIS) 3. Ensuite BEARD 4 étudia la « neurasthénie » et HECKEL 5 dési-
gna sous le nom de « névrose d'angoisse » un état de déséquilibre émotif avec bouffées
d'anxiété, troubles nerveux, cénestopathies, etc., de telle sorte que, lorsque FREUD 6 entre-
prit ses premières études sur l'hystérie, il opposa tout naturellement aux « névroses de
transfert » (relevant d'un refoulement inconscient) telles que la névrose obsessionnelle et
l'hystérie, les névroses actuelles liées à des troubles organiques et parmi lesquelles il dis-
tinguait : la neurasthénie, l'hypochondrie et la névrose d'angoisse. Dans la suite, son élève
dissident, STECKEL, confondit d'abord toutes les névroses actuelles et ensuite toutes les
névroses anxieuses dans un même groupe : celui des « parapathies anxieuses ». Si l'on
veut bien se rappeler d'une part les études 7 qui chez nous n'ont cessé de souligner l'im-
portance de la « structure » anxieuse des troubles névrotiques et psychotiques et d'autre
1. LALANNE, Des états anxieux dans les maladies mentales, Congrès des Aliénistes de langue
française, 1902, Besançon.
2. MOREL, Le délire émotif, Archives générales de Médecine, 1866.
3. Cf. le Rapport de LALANNE (1902), le livre de DEVAUX et LOGRE (1917), celui de CLAUDE et
LEVI-VALENSI (1938), etc...
4. BEARD, A practical treat of Nervous exhaustions (Neurasthenia), New-York, 1880.
5. F. HECKEL, Allg. Zeitsch. f. Psych., t. 52, p. 1167.
6. FREUD, Ueber der Berechtigung etc... als Angstnevrose. Neurologische Zentralblatt, 15 janvier 1895.
7. Outre les travaux de LALANNE, DEVAUX et LOGRE, de CLAUDE et LEVI VALENSI, de Mlle
BOUTONIER, nous devons signaler encore : La Névrose d'angoisse (1902) et les Psychonévroses
anxieuses (1922) de P. HARTENBERG, le livre de F. HECKEL, La névrose d'angoisse (1917), celui
de M. DE FLEURY, L'Angoisse Humaine (1925), celui de Pierre JANET, De l'Angoisse à l'Extase, (2
volumes 1926) et enfin la « plaquette » de Paul ABELY, L'Anxiété, 1947.
387
ÉTUDE N° 15
1. Nous ne pouvons songer à citer ici les nombreux et importants travaux de psychanalyse infan-
tile qui soulignent l'intérêt des réactions anxieuses du nouveau-né et de l'enfant dans le sens indiqué
par FREUD, RANK, M. KLEIN, Anna FREUD, etc... Nous signalerons seulement quelques travaux récents
de l'école américaine. Celui de R. A. SPITZ, La perte de la mère par le nourrisson, Enfance, n° 5, 1948,
celui de Margaret RIBBLE, Anxiety in infants and its disorganizing effects, Personality and the
Behaviour Disorders, II, p. 621 et celui de Lawrence S. KUBIE, The ontogenesis of anxiety, The psy-
choanalytic Review, 1941, 28, p. 78. Pour L. S. KUBIE le développement de la conscience et de l'anxié-
té constituent un processus identique. C'est dire que l'état d'alarme se manifeste dès les premiers stades
de la connaissance, l'un et l'autre étant « conditionnés » au sens de Pavlow...
388
ANXIÉTÉ MORBIDE
Nous ne saurions négliger non plus, à propos d'un état aussi périodique et épiso-
dique que l'anxiété, de mentionner l'influence des rythmes de la nature, la cadence des
saisons et les conditions météorologiques. On sait depuis toujours de quelle épouvan-
te certains phénomènes météorologiques frappent les animaux. On connaît aussi l'in-
fluence des heures (l'heure du vague : 4 heures du matin, et le pôle vespéral de l'an-
goisse à la tombée de la nuit) sur les crises d'anxiété.
Quant aux conditions étiologiques immédiates des accès d'anxiété, on en trouvera,
décrites ou citées par FREUD, pas moins de six modalités pour les hommes et de six
pour les femmes l.
*
* *
Nous allons décrire, ou plutôt rapidement rappeler, les principaux aspects cli-
niques de l'anxiété morbide.
A. — LES CRISES D'ANXIÉTÉ 2
Sous forme de paroxysmes émotionnels, des « états d'anxiété » s'observent au …Sous forme de
cours de l'évolution et dans toutes les formes de psychoses et spécialement dans les paroxysmes émotionnels,
des « états d'anxiété »
formes intermittentes ou maniaco-dépressives. Ces crises ne revêtent pas toujours, ni s'observent au cours de
les mêmes caractères, ni la même intensité. A cet égard, elles représentent une série de l'évolution et dans toutes
niveaux allant depuis l'angoisse la plus immédiatement et intensément « vécue », jus- les formes de psychoses et
qu'à des formes d'anxiété plus « pensée » que vécue et engagée dans diverses struc- spécialement dans les
formes intermittentes ou
tures délirantes. Nous pouvons ainsi distinguer divers types de crises anxieuses. maniaco-dépressives…
1° Crises d'anxiété à type de stupeur ou d'agitation.
Le tableau clinique est celui de la peur, soit agitée, soit paralysante. L'anxiété s'y
confond avec ses expressions émotionnelles intenses. Elle s'exprime dans le corps, par
le tableau de ce que l'on appelle 1' « angoisse somatique ». Soit que l'anxieux, comme
sidéré dans l'attente catastrophique, demeure immobile et stuporeux, soit que, en proie
à la plus vive agitation, il se dépense en comportements tumultueux et stériles. Une …ce que l'on appelle le
« raptus anxieux » qui,
crise de ce genre contractée dans une forte et soudaine impulsion réalise ce que l'on presque toujours, est un
appelle le « raptus anxieux » qui, presque toujours, est un « saut dans la mort ». « saut dans la mort »…
2° Crises d'anxiété confuso-oniriques.
Il s'agit ici d'états d'anxiété, vécue dans une conscience troublée et délirante.
L'anxiété est intimement liée aux fantasmes effrayants, aux cauchemars vécus par le
389
ÉTUDE N° 15
malade. Elle n'est plus ici, comme dans la forme précédente, aveuglement soudée à ces
expressions psycho-motrices et physiologiques, mais solidaire d'une conscience ima-
geante et malheureuse. Elle se manifeste plus par la construction de thèmes, de sché-
mas perceptifs d'ensembles significatifs idéo-verbaux, que par les attitudes, les gestes,
etc... Elle est plus près du cauchemar que de l'émotion.
3° Crises de perplexité anxieuse.
Il s'agit là de crises d'énervement avec aboulie, hésitation, soif de mouvement,
activité désordonnée, par quoi se manifeste le désarroi intérieur du sujet. Les auteurs
allemands (STÖRRING, Carl SCHNEIDER), à la suite de WERNICKE, ont étudié cette forme
de crises d'anxiété, sous le nom de « Ratlosigkeit » ou de « ratlose Zustände » 1. Ils
n'ont pas tardé, dans leurs études, à approcher ces états de perplexité des troubles de
la conscience. Chez nous, par un mouvement inverse, on n'a cessé de définir certaines
formes de confusion légère, comme des états où est particulièrement caractéristique la
…Ce qui caractérise le
contenu psychique de ces perplexité. Ce qui caractérise le contenu psychique de ces crises, c'est moins un senti-
crises de « perplexité ment d'angoisse en présence d'un danger, qu'une impression diffuse de vertige inté-
anxieuse », c'est moins un rieur. Aussi, y rencontre-t-on ces sentiments d'incomplétude, d'inquiétude vague et de
sentiment d'angoisse en
malaise interne, ces impressions d'étrangeté, ces aboulies, ces hésitations que P. JANET
présence d'un danger,
qu'une impression diffuse a si remarquablement étudiés comme constituant un ensemble de « conduites » inadap-
de vertige intérieur… tées au réel.
Sous ces formes variées, les crises d'anxiété morbide se présentent au cours de
l'évolution des diverses psychoses. Nous allons les décrire, mais, comme toujours, très
sommairement puisqu'il s'agit de rappeler simplement des « tableaux cliniques » dont
la description a été faite mille fois.
a) DANS LES ÉTATS DÉMENTIELS :
Au cours de la démence sénile, ainsi que SÉGLAS y avait insisté, les grandes crises
d'anxiété stuporeuse ou d'agitation anxieuse sont assez exceptionnelles, mais, par
contre, les deux autres formes de crises d'anxiété sont d'une observation clinique très
fréquente, tout particulièrement dans les phases initiales de l'affection. Dans les états
de paralysie générale, où l'euphorie est loin d'être toujours la règle, les formes
anxieuses, dépressives ou neurasthéniques (G. BALLET) sont bien connues et les épi-
sodes anxieux s'y rencontrent sous forme de crises confuso-oniriques assez fréquentes.
Les démences organiques s'accompagnent de « réactions anxieuses », non seulement
au cours des syndromes pseudo-bulbaires, fait bien connu, mais même dans toutes les
formes de délabrement psychique dû à des affections cérébrales (tumeurs, trauma-
tismes, etc.). Très souvent, il s'agit des syndromes anxieux avec angoisse paroxystique
et on sait que de tels malades ont constitué le terrain d'observation privilégié pour l'étu-
de des syndromes d'angoisse bulbaire (BRISSAUD, BONNIER), des « crises de Kakon »
390
ANXIÉTÉ MORBIDE
391
ÉTUDE N° 15
mélancolique », peuvent accéder ces crises, parfois très longues, et qui jettent les
malades dans le plus tragique désespoir. Épuisés par leurs vociférations leurs cris, leurs
gémissements, submergés par une tempête motrice pantophobique, ou figés comme des
statues de la douleur, ils paraissent pour ainsi dire vivre la mort à l'acmé de la souffrance
humaine. Pour si importante que soit la description de l'anxiété mélancolique, dans une
étude clinique de l'anxiété morbide, les analyses que nous ferons ailleurs de la mélan-
colie 1 nous dispenseront d'y insister. Soulignons cependant la liaison fréquente de
l'anxiété, de l'agitation, de la fuite des idées, de l'excitation intellectuelle dans les états
maniaco-dépressifs mixtes. Nous pouvons également indiquer que, dans la mesure où
elle est plus délirante, l'anxiété est moins immédiatement vécue. Cette remarque est jus-
tement faite par STÖRRING, à propos d'une de ses observations 2.
…L'épilepsie est une psy- L'épilepsie est une psychose à réactions anxieuses presque aussi graves et
chose à réactions
constantes que celles de la psychose maniaco-dépressive. L'anxiété des « auras » (les
anxieuses presque aussi
graves et constantes que malades se sentent menacés, entourés de mystère, glisser dans un gouffre, dans la
celles de la psychose mort), des phases post-critiques, des équivalents affectifs (crises d'angoisse, pavor
maniaco-dépressive… nocturnus 3, raptus pantophobique), la fréquence des cauchemars, des séquelles de
rêves angoissants, les états crépusculaires à type confuso-onirique anxieux, autant
d'aspects de l'anxiété épileptique qui nous montrent que cette psychose essentiellement
paroxystique déroule dans ces tableaux cliniques toute la gamme de l'angoisse. Un tra-
vail ancien de TIXIER 4 contient de remarquables observations cliniques, dont tous les
cliniciens peuvent quotidiennement vérifier le bien-fondé. Pour nous référer à l'autre
pôle, celui de l'actualité, nous mentionnerons particulièrement les travaux de PICHON-
RIVIÈRE sur la situation d'anxiété dans l'épilepsie 5.
…Dans les psychoses Dans les psychoses confusionnelles, les troubles de la conscience, les troubles de
confusionnelles, [c'est
l'humeur, la perplexité, les constructions oniriques, les idées délirantes s'organisent ou
l'angoisse] qui crée l'at-
mosphère de cauchemar, « floculent » avec une remarquable constance autour de l'anxiété. C'est elle qui crée
de menace et d'appréhen- l'atmosphère de cauchemar, de menace et d'appréhension, fond affectif habituel des
sion… états confusionnels. De telle sorte que les états confuso-anxieux représentent une
forme clinique extraordinairement fréquente dans l'observation des malades atteints de
ce genre de psychoses aiguës.
392
ANXIÉTÉ MORBIDE
393
ÉTUDE N° 15
394
ANXIÉTÉ MORBIDE
STECKEL, « les sensations d'un agonisant... Ils pâlissent, perdent l'équilibre, se cou-
chent. Les bras et les jambes tremblent comme secoués par de violents frissons de
fièvre. Certains sursautent, une abondante sueur couvre leur corps, leurs cheveux se
dressent ; ils ressentent un ruissellement froid dans le dos (cutis anserina). Ils ont de la
pollakiurie, de la diarrhée, la bouche se dessèche. La migraine, les vertiges, les algies
ne sont pas rares ».
Parfois, au lieu de la crise d'angoisse, on assiste à ses équivalents. Voici comment …les « équivalents » de la
FREUD les a décrits : crise d'angoisse décrits
par FREUD…
a) Troubles de l'activité cardiaque, battements de cœur, avec une courte arythmie, avec
tachycardie persistante jusqu'aux états d'extrême faiblesse du cœur, états qu'il n'est pas toujours
facile de distinguer d'une affection cardiaque organique ; pseudo-angine de poitrine (sujet épi-
neux au point de vue du diagnostic); — b) troubles de la respiration, plusieurs formes de dyspnée
nerveuse, accès asthmatiformes et autres. FREUD fait ressortir que ces accès ne sont pas toujours
accompagnés d'angoisse caractérisée;— c) crises de respiration souvent nocturnes ; — d) accès
de tremblements et de frissons, que l'on ne confond que trop souvent avec des accès d'hystérie;
— e) accès de boulimie, souvent accompagnée de vertiges; — f) crises intermittentes de diarrhée;
— g) crises de vertige locomoteur; — h) crises de soi-disant congestions, comprenant à peu près
tous les troubles que l'on nommait antérieurement neurasthénie vaso-motrice; — i) crises de
paresthésie (celles-ci rarement sans angoisse).
A cette liste, je pourrais ajouter, dit encore FREUD, quelques compléments importants :
j) la strangurie; — k) des spasmes musculaires; — l) de profonds gémissements subits, par
suite d'apnée pouvant souvent atteindre la soif d'air; — m) une sensation de fatigue subite pou-
vant aller jusqu'à la syncope; — n) des vomissements et des douleurs gastriques (symptômes très
importants) ainsi que des flatulences douloureuses avec évacuation abondante et bruyante de gaz;
— o) l'engourdissement subit d'un doigt, de toute la main et d'un bras; — p) la migraine : — q)
une grande excitation, des courses sans but; — r) une salivation subite ou une sécheresse de la
bouche.
Nous pourrions distinguer trois types cliniques assez bien individualisés de ces
névroses d'angoisse 1.
1° LA FORME CYCLOTHYMIQUE. Isolée, comme nous l'avons vu par FREUD, mais
considérée par HECKEL d'abord, puis par STECKEL, comme identique à la névrose d'an-
goisse, elle est caractérisée par le biotype pyknique, le caractère syntone, l'éréthisme
émotionnel et les oscillations de l'humeur.
Dans ces cas cliniques, il s'agit moins de peur que de fatigue (DEVAUX et LOGRE).
Les sujets sont découragés. Ils ont peur de la vie ; ils s'abîment dans une « introspec-
tion inquiète » (DEVAUX et LOGRE). DÉJERINE caractérisait cet état de rumination moro-
se, pessimiste, dépressive, en la désignant comme un « syndrome de préoccupations
1. Cf. CLAUDE LEVY-VALENSI, pp. 49 à 78 et le livre de DEVAUX et LOGRE pour les descriptions
de multiples tableaux cliniques et des variétés de ces types.
395
ÉTUDE N° 15
émotives » et FREUD à son tour insistait sur la composante sexuelle de ces états où il
est si difficile de faire la part du conflit et du trouble de l'humeur.
2° LA FORME NEURASTHÉNIQUE. La fameuse neurasthénie décrite par BEARD a été plus
récemment étudiée par MONTASSUT 1, SOUS le nom de « dépression constitutionnelle ».
Les céphalées, l'asthme, les algies, les troubles digestifs, le « tempérament arthritique »,
l'aboulie constituent les aspects les plus caractéristiques du tableau clinique.
3° LA FORME HYPOCONDRIAQUE.
Il s'agit généralement de malades « cénestopathes ». DUPRÉ, DEVAUX et LOGRE,
sans préciser d'ailleurs ce qu'ils entendent exactement par « délire », disent assez para-
doxalement de ces cénestopathies qu'elles « ne sont pas symptomatiques ni d'une alté-
ration neurologique, ni d'un délire... » (?). On peut noter chez ces anxieux des viscé-
ropathies, des « topalgies » superficielles, localisées, erratiques, etc. Ces malades
épient la moindre sensation corporelle, étudient chaque grain de leur peau, mesurent
leurs pas, comptent et décomptent leurs selles, courant les consultations des médecins,
etc. Leur inquiétude ne s'apaise ni par les raisonnements, ni l'observation des faits, elle
demeure toujours agissante et dissolvante, elle polarise toute l'activité de ces malheu-
reux, en proie à de perpétuelles crises d'anxiété, parce qu'ils n'ont pas pu voir le méde-
cin, qu'ils ont mangé de la salade crue, qu'ils ont uriné une seule fois par jour, et plus
d'une fois le lendemain, etc. On comprend aisément qu'ABADIE ait proposé d'appeler
ces patients, par une sorte d'hommage rendu à Molière, des « arganiques ». Les
désordres « neuro-végétatifs », les spasmes digestifs, les troubles vaso-moteurs et
sexuels sont la règle 2.
396
ANXIÉTÉ MORBIDE
sont inconscients. C'est d'ailleurs sous forme de complexes « angoissants » que la vir-
tualité d'angoisse névrotique demeure en puissance dans l'inconscient. L'organisation
instinctive essentiellement conflictuelle de notre être est une source d'angoisse et son
intégration dans des formes conscientes de la vie psychique n'est rien d'autre que l'ac-
te par lequel nous réprimons, dominons et contrôlons cette angoisse pulsionnelle. Le
propre des névroses est d'édifier un système de personnalité sur une base affective
…toutes les angoisses
complexuelle, anachronique et inhibitrice qui constitue une menace intérieure. C'est archaïques, cristallisées
dire que toutes les angoisses archaïques, cristallisées en « imagos », enfouies mais en « imagos », enfouies
actives, vont, dans ces névroses, former la trame même de la personnalité névrotique. mais actives, vont, dans
ces névroses, former la
L'anxiété fait loi dans la névrose et toute psychothérapie consiste en un effort de liqui-
trame même de la person-
dation de l'anxiété. L'angoisse névrotique constitue le fond de la névrose, sa forme nalité névrotique.
dépendant des capacités subsistantes d'intégration. Ces capacités sont utilisées par le L'anxiété fait loi dans la
travail d'organisation de la personnalité, soit dans le sens d'un déplacement infini de névrose et toute psycho-
thérapie consiste en un
l'angoisse dans le temps, soit dans celui d'un déplacement circonscrit dans l'espace, et
effort de liquidation de
notamment dans l'espace corporel. Dans le premier cas, la névrose est obsessionnelle. l'anxiété…
Dans le second elle est hystérique l.
La névrose obsessionnelle est une névrose où l'anxiété est engagée dans une lutte …La névrose obsession-
nelle est une névrose où
inépuisable et même infinie contre des symboles de symboles. Le système d'images
l'anxiété est engagée dans
angoissantes se déploie en séries forcées (pensée compulsionnelle ou « anakanstische une lutte inépuisable et
Denken », des auteurs allemands) sans être jamais complètement transparent. Il se même infinie contre des
déroule en cascades de significations virtuelles, et tend à se figer en un réseau vertigi- symboles de symboles…
neux d'angoisses, infiniment renouvelé par les efforts mêmes de l'obsédé pour y échap-
per. L'obsédé est assiégé, il s'assiège. Il s'investit d'angoisse. Et si, parfois, il parvient
au centre de ses bastions de défense, dans sa suprême casemate, à trouver un abri, c'est
qu'il s'est précisément enfermé, « bouclé » et comme installé dans une position qui ne
cesse d'être angoissante que lorsque l'obsédé, définitivement vaincu, se réfugie dans le
simulacre de la victoire et de la paix. Nous savons, en effet, que, cliniquement, l'obsé-
dé se présente ou bien comme un martyr phobique impulsif, engagé dans un tragique
travail de Pénélope, dans une lutte sans fin, — ou bien comme un « parasité », subis-
sant avec résignation, sinon placidité, les rites, les idées, les mots ou les conduites qui
le contraignent douloureusement, tout en lui permettant d'échapper à l'angoisse qui les
engendre mais qu'ils absorbent.
La névrose hystérique opère par substitution et déguisement dans le monde des
images. L'angoisse est ici presque entièrement « camouflée » par l'artifice de la
« conversion ». Et même, lorsque c'est sous forme d'une image encore terrifiante qu'el-
le s'exprime, c'est dans un débordement d'expressions qui, en l'amplifiant, la trahit par
1. L'agoraphobie établit un trait d'union clinique fondamental entre ces deux groupes névroses,
ces deux formes d'angoisse névrotique.
397
ÉTUDE N° 15
son excès. C'est pourquoi aucun autre mécanisme névrotique ne donne davantage à
l'observateur l'impression d'une feinte. C'est que le phénomène hystérique est bien en
un sens, une feinte, mais conditionnée par l'anomalie de formation de la personnalité
…l'hystérique métamor- hystérique. Comme l'obsédé s'assiège dans la durée l'hystérique métamorphose et dis-
phose et dissimule son simule son angoisse dans les formes spatiales, dans celles de son corps où il investit et
angoisse dans les formes
dissimule son conflit (conversion) et dans celles de son imagination plastique où il
spatiales, dans celles de
son corps où il investit et épuise ses représentations jusqu'à les « objectiver ». L'hystérique exprime plastique-
dissimule son conflit ment ses images, et, là encore, ce travail de déplacement tend à absorber comme dans
(conversion) et dans le rêve, l'angoisse qu'il neutralise. Sous son apparente indifférence, ou sa paradoxale
celles de son imagination
euphorie, l'hystérique est angoissé et l'anxiété fuse de toutes parts dans ses manifesta-
plastique où il épuise ses
représentations jusqu'à tions. L'hystérie représente bien un équilibre, un compromis (trait clinique et caracté-
les « objectiver »… ristique bien connu : celui de la complaisance névrotique à l'égard des symptômes)
mais c'est parce que l'angoisse est déplacée et comme sursaturée par son érotisation,
c'est-à-dire parce qu'elle est investie d'une valeur hédonique spécifiquement maso-
chiste, du sens d'une politique de la maladie, d'un refuge dans la maladie.
On trouvera dans le dernier livre de Ch. ODIER 1 une étude pénétrante quoique un
peu confuse de liaisons profondes qui affectent la répression prélogique, l'angoisse et
la pensée magique dans les névroses comme dans le cauchemar. Les études sur les
types peureux et agressifs et surtout sur la « névrose d'abandon » éclairent un certain
nombre de mécanismes et de situations névrotiques d'angoisse.
1. Ch. ODIER, L'angoisse et la pensée magique, I vol., 238 pages. Actualités pédagogiques et psy-
chologiques, Neufchâtel, 1948. — Pour HESNARD (L'univers morbide de la faute, 1949) la névro-
se est essentiellement angoisse névrotique de la faute, c'est une « conduite à la mauvaise
conscience obscure ». La phobie est dans cette perspective une conduite maléfique, l'obsession
une conduite de conjuration de la faute, et l'hystérie l'effet d'une « disculpation », nous dirions
d'un « alibi », terme qu'on s'attendait à rencontrer sous la plume de l'auteur de cet ouvrage sur la
« culpabilité ».
398
ANXIÉTÉ MORBIDE
psychose paranoïaque une angoisse qui se développe en images inquiétantes sinon ter- …dans la paranoïa, les
rifiantes. La forme interprétative, hallucinatoire ou imaginative de la construction à thèmes de persécution,
d'influence, d'hypochon-
mi-chemin seulement de la pensée du rêve, lui assure une puissance dialectique dans
drie, situent au centre de
laquelle le patient s'engage systématiquement, tête baissée, comme pour arracher la psychose paranoïaque
l'anxiété des profondeurs de son être et la disposer autour de lui, la disperser contre lui, une angoisse qui se déve-
et par ricochet contre les autres. Aussi rien d'étonnant à ce que les cliniciens aient tou- loppe en images inquié-
tantes sinon terrifiantes…
jours noté les relations de délire de persécution, de l'auto-accusation et de la peur ou
de la pantophobie. Elles éclatent dans les antécédents caractériels des délirants, dans
les paroxysmes constitutifs, les « moments féconds » du délire aussi sûrement que par
la narco-analyse ou sur le divan psychanalytique 1.
La schizophrénie est la forme autistique du rêve, c'est-à-dire un rêve produit, non
…la pensée schizophré-
pas par le sommeil, mais par la dissociation schizophrénique. Et tout de même que le nique se satisfait dans un
rêve est davantage composé d'images compensatrices d'angoisse que de cauchemars, monde imaginaire de
la pensée schizophrénique se satisfait dans un monde imaginaire de formes et de situa- formes et de situations
délirantes et hallucina-
tions délirantes et hallucinatoires, où se sature et se neutralise l'angoisse complexuel-
toires, où se sature et se
le. Il arrive cependant que l'autisme reflète, sans les apaiser, les terribles « imagos » de neutralise l'angoisse
l'inconscient déchaîné, et le schizophrène vit alors dans l'angoisse de l'Œdipe ou de la complexuelle…
castration. Mélanie KLEIN 1, étudiant l'apparence de non-émotivité de ces malades, a
souligné une fois de plus, qu'il ne s'agit que d'une apparence. Pour elle, le schizophrè-
ne vit l'angoisse qui caractérise le premier âge : la peur de la persécution, c'est-à-dire
du monde agressif et menaçant.
La paraphrénie constitue un procédé lyrique de cicatrisation de l'angoisse. Celle-
…La paraphrénie consti-
ci se volatilise dans une prolifération fantastique de délire. Le nœud même de l'an-
tue un procédé lyrique
goisse, par quoi elle nous soude à nous-mêmes, notre existence, à notre être dans les de cicatrisation de l'an-
liens d'une modalité inextricablement personnelle est ici tranché. Certes, le délire n'est goisse…
jamais complètement séparé de sa source et de son foyer et il continue à se nourrir à
ce tronc complexuel dont il a jailli, ses étranges fleurs étant formées dans leur éclat
grandiose et proprement mégalomaniaque de l'amère sève de l'angoisse profonde,
qu'elles métamorphosent. Mais même quand les thèmes de persécution, les martyres
prodigieux, les damnations éternelles et le fantasmagoriques supplices reflètent enco-
…dans tout délire quand
re ce trait d'union vital, la fiction étale sa vertu médicatrice et consolante. Tant il est
l'angoisse ne s'exprime
vrai que dans tout délire quand l'angoisse ne s'exprime pas directement, elle demeure pas directement, elle
active au centre même de la projection de l'hallucination et du délire auquel elle four- demeure active au centre
nit toujours son contenu dramatique latent. même de la projection de
l'hallucination et du déli-
* re auquel elle fournit tou-
* * jours son contenu drama-
tique latent…
399
ÉTUDE N° 15
Le peu que nous venons de dire nous suffit pour établir avec évidence que l'anxié-
té est, pour ainsi dire, partout dans les névroses et les psychoses 1, soit comme symp-
tôme apparent, soit comme radical inconscient. De telle sorte que la « séméiologie de
l'anxiété » constitue plutôt une perspective psychopathologique qu'une description d'un
symptôme. C'est précisément le sens que nous avons entendu donner à cette étude.
1. Il suffirait pour s'en convaincre de parcourir les livres de DEVAUX et LOGRE, de CLAUDE et
LEVY-VALENSI, etc... A propos de l'anxiété, c'est toute la pathologie mentale qui est passée en
revue... L'anxiété est en effet comme les troubles de la mémoire, les impulsions, etc... un angle
sous lequel peut être envisagé tout le champ de la psychiatrie. C'est le sens de ce volume que de
mettre en évidence cette possibilité.
2. Nous renvoyons à la description de « l'angor pectoris » d'après CHARCOT, par Pierre MARIE,
Revue de Médecine, 1882, et à celle de STÖRRING, 1934, d'après I. BRAUN, Herz und Angst, 1932.
3. DÉJERINE et GAUCKLER, Les Manifestations fonctionnelles des Psychonévroses, Paris, 1911.
Tout ce livre est à relire à la lumière des travaux de F. DUNBAR, WEISS, etc.
4. CLAUDE et LEVY-VALENSI, Les anxieux, p. 193.
5. CLAUDE et LEVY-VALENSI, p. 359.
6. F. HECKEL, La Névrose d'angoisse et les états d'émotivité anxieuse, 1917, pp. 279-280.
400
ANXIÉTÉ MORBIDE
anxiété. C'est ainsi que l'excitation du noyau de DEITERS par l'intermédiaire du laby-
rinthe impressionné dans un léger vertige nautique ou dans les rotations du corps sur
son axe détermine des phénomènes pneumogastriques désagréables, à caractère d'affre,
vaguement angoissante ou nauséeuse sans qu'il y ait cependant d'anxiété psychique.
Autrement dit, HECKEL se faisait en 1917 le champion des idées exprimées avant lui,
avec le retentissement que l'on sait, par BRISSAUD et que nous allons exposer.
Le premier chapitre de l'histoire des idées pathogéniques sur les rapports du cerveau …Le premier chapitre de
et de l'anxiété est en effet constitué par les travaux sur l'angoisse bulbaire. La référence l'histoire des idées patho-
aux syndromes cardio-vasculaires et respiratoires, aux nausées, au mal de mer, aux émo- géniques sur les rapports
du cerveau et de l'anxiété
tions angoissantes de vertige labyrinthique, suggère tout naturellement l'idée d'un facteur
est en effet constitué par
bulbaire dans l'angoisse et, comme l'écrivaient DEVAUX et LOGRE 1 « si l'on ne peut affir- les travaux sur « l'angois-
mer que l'angoisse possède au niveau du bulbe son centre exclusif, on peut dire qu'elle y se bulbaire»…
a au moins son quartier-général ». DUPRÉ 2, en donnant son adhésion à la théorie de
BRISSAUD, s'écriait : « Comme l'a si bien exposé le professeur BRISSAUD, c'est au nœud
vital, au foyer régulateur, aux fonctions essentielles de l'existence que siège le processus
pathologique de l'angoisse... Le trépied vital de BICHAT n'a-t-il pas, comme lien commun,
le point où convergent toutes les activités fonctionnelles émanées du cerveau par les
fibres de projection, du cœur ou des poumons, par le vague et le sympathique, c'est-à-
dire le bulbe, centre des émotions ? » Et c'est effectivement à BRISSAUD qu'il convient de
remonter 3. On trouvera également dans le livre de Pierre BONNIER 4 l'ensemble des faits
et des idées qui constituent cette théorie de l'angoisse bulbaire, Selon BRISSAUD, l'an- …Selon BRISSAUD, [1890]
l'angoisse est un symptôme
goisse est un symptôme bulbaire par excellence. Elle se rencontre dans les lésions bul-
bulbaire par excellence…
baires en foyer, dans les paralysies labio-glosso-laryngées, dans la sclérose latérale
…Pour lui, l'angoisse est
amyotrophique bulbaire, dans les hémorragies et ramollissements, son principal symp- une crise où n'intervien-
tôme est la dyspnée. BRISSAUD signale cette angoisse dans un cas de gliome du corps res- nent que des sensations
tiforme et dans une gomme du cervelet. Pour lui, l'angoisse est une crise où n'intervien- physiques ; s'il s'y ajoute
nent que des sensations physiques ; s'il s'y ajoute des « réactions anxieuses », celles-ci des « réactions an-
ne sont que contingentes, « car l'angoisse est un phénomène bulbaire et l'anxiété est un xieuses », celles-ci ne
sont que contingentes…
phénomène cérébral » ; l'une est physique et l'autre est psychique.
En rajeunissant, la thèse de BRISSAUD s'est d'ailleurs étendue. Récemment, BARRÉ est
revenu sur l'anxiété vestibulaire 5. Pour lui, les phénomènes vestibulaires constituent une
« épine irritative » sur laquelle cristallise 1'anxiété et il sous-entend que beaucoup
d'anxieux ne sont que des « vestibulaires » méconnus. Plus récemment encore, DAVID 6,
401
ÉTUDE N° 15
DAVID, TALAIRACH et TALAIRACH et HECAEN ont noté l'apparition d'angoisse au cours d'interventions dans les
HECAEN ont noté l'appari- région bulbaires. Mais ils précisent que pour eux l'expression « angoisse » ne correspond
tion d'angoisse au cours
pas seulement à ce trouble physique qui se traduit classiquement par une sensation de
d'interventions dans les
région bulbaires… resserrement, mais bien à l'anxiété qui submerge et altère la conscience entière par le sen-
timent d'un danger présent et écrasant. Ils rapportent trois cas où, pendant l'intervention
de neuro-chirurgiens, « les malades étaient oppressés par l'angoisse de la mort immi-
nente ». C'est en songeant à de tels faits que BRISSAUD en 1890 les qualifiait d'anxiété
paroxystique, sorte de « méditation de la mort », selon, rappelait-il, le langage de
SÉNÈQUE, car pour lui, il s'agissait bien, dans ce cas, d'un phénomène d'anxiété se sur-
ajoutant à l'angoisse. Nous avons pu nous-mêmes, il y a une dizaine d'années, observer
un cas d'angoisse constrictive à forme d'affre chez une jeune femme qui succomba à l'en-
gagement d'une tumeur du quatrième ventricule dans le trou occipital après une simple
investigation manométrique de la tension de L. C. R. sans soustraction de liquide : elle
avait une petite tumeur (méningiome) grosse comme une noisette.
Enfin nous devons rappeler que la pathologie cérébrale de l'anxiété s'est beaucoup
élargie par l'étude des manifestations psychopathiques des traumatismes ou des tumeurs
cérébrales et plus généralement de toutes les affections cérébrales. Ch. FÉRÉ 1 avait déjà
signalé l'angoisse au cours de la « Paralysie générale ». OMBREDANE 2 dans son travail
sur la sclérose en plaques a insisté beaucoup sur les manifestations anxieuses de cette
affection et cela à la suite de TARGOWLA et de Mlle SERIN 3 qui avaient décrit de véri-
…C'est surtout l'encépha- tables « névraxites anxieuses ». C'est surtout l'encéphalite épidémique qui a donné l'oc-
lite épidémique qui a casion depuis 1920 d'observer un grand nombre de réactions anxieuses, de paroxysmes,
donné l'occasion depuis
d'états d'anxiété associés ou non au syndrome parkinsonien. STECK 4 a dénombré 81
1920 d'observer un grand
nombre de réactions
malades (sur 364) anxieux mais, dit-il, plus « déprimés » que mélancoliques. D'après
anxieuses, de paroxysmes, DICKMEISS 5 sur 137 encéphalitiques, dont 122 présentaient des troubles mentaux, 49
d'états d'anxiété associés présentaient des manifestations d'anxiété (neurasthénie, dépression, états maniaco-
ou non au syndrome par- dépressifs) ces chiffres nous paraissent très au-dessous de la vérité car le parkinsonien
kinsonien… encéphalitique nous paraît « baigner » littéralement dans l'anxiété.
Au cours de tumeurs cérébrales, tous les cliniciens ont noté de nombreuses réac-
tions anxieuses 6. Rappelons et pour indiquer simplement quelques exemples que ces
dernières années MARCHAND et DUPOUY 7 ont observé une tumeur secondaire du lobe
402
ANXIÉTÉ MORBIDE
temporal droit avec un syndrome mélancolique ; que MARCHAND et VIDART l ont publié
l'observation d'une tumeur temporo-occipitale gauche avec réactions mélancoliques,
etc. Le premier cas du travail de RISER, DARDENNE, FERDIÈRE et GAYRAL2 est intéres-
sant en raison des crises dépressives initiales chez un enfant de 12 ans présentant un
cranio-pharyngisme.
Les étonnantes guérisons des crises d'anxiété par la convulsivothérapie et notam- …Les étonnantes guéri-
ment par l'électrochoc ont apporté une contribution décisive à la pathologie cérébrale sons des crises d'anxiété
par la convulsivothérapie
de l'anxiété. Nous n'insisterons pas ici sur ces faits devenus d'observation courante,
et notamment par l'élec-
parce que l'on ne compte plus les cas de sédation de l'anxiété par la pratique de l'élec- trochoc ont apporté une
trochoc. Cette énorme moisson de faits thérapeutiques est à rapprocher d'observations contribution décisive à la
du genre de celle de PILCZ 3 qui vit une mélancolie guérir après une apoplexie cérébra- pathologie cérébrale de
l'anxiété…
le. Il semble donc que les perturbations pathologiques du cerveau jouent un rôle impor-
tant dans le mécanisme des psychoses anxieuses et il paraît plausible d'admettre que, le
dispositif diencéphalique assurant la « régulation de l'humeur » (DELAY), ce seraient ses
altérations qui entraîneraient les manifestations d'angoisse nerveuse. Tel est précisé-
ment l'aspect le plus actuel du problème anatomique cérébral de l'anxiété. Il est centré …l'aspect le plus actuel
du problème anatomique
sur ce que l'on a appelé (DELAY et Mlle JOUANNAIS 4) « l'anxiété hypothalamique ».
cérébral de l'anxiété. Il
Selon ces auteurs, il s'agit là d'une réaction d'alarme des centres neuro-végétatifs de est centré sur ce que l'on
l'hypothalamus. Ces crises anxieuses ont en effet les caractéristiques des grandes crises a appelé (DELAY et Mlle
végétatives, où se retrouve le syndrome sympathique des expériences de Philippe BARD JOUANNAIS ) « l'anxiété
hypothalamique »…
et de D. Mck RIOCH 5 sur la « sham rage ». On sait que les émotions, ou tout au moins
leur dispositif d'expression avaient été localisées d'abord dans le thalamus pour la rai-
son bien simple que les émotions (colère, joie, douleur, rage) continuaient à se produi-
re, d'après les expériences de GOLTZ (1892), de H. ROTHMANN (1923) et de
SCHALTENBRAND et COBB (1930), chez les chiens décérébrés, privés d'écorce. Ce fait fut
confirmé par W. CANNON et S. W. BRITTON 6 qui montrèrent que des réactions émo-
tionnelles pouvaient se produire chez les animaux « thalamiques ». Mais dans la suite
P. BARD, de 1928 à 1934, dans une série de publications 7, montra que les mêmes mani-
festations se produisent même quand la décérébration prive l'animal du thalamus lui-
même. Enfin HINSEY et RANSON 8 et H. LABAT, B. LANSON, MAGOUN et RANSON 9 obtin-
403
ÉTUDE N° 15
404
ANXIÉTÉ MORBIDE
faits que S. WALTER RANSON dans son ouvrage puisse admettre formellement (DELAY,
p. 118) le siège hypothalamique de la crise d'excitation maniaque. Quant au système
de localisation de KLEIST qui se représente des dispositifs « longitudinaux » étagés sur
plusieurs niveaux du névraxe il exige sur ce point des explications un peu confuses.
Pour lui les troubles du « biotonus » entrent dans le système intéroceptif, système pul-
sionnel et émotionnel dont les manifestations morbides se produisent dans les atteintes
du mésodiencéphale comme du « cerveau orbitaire » (lobe frontal). Plus nette est enco-
re l'importance que DAVID, HECAEN et TALAIRACH 1 attribuent aux lésions corticales
dans le déterminisme de ces troubles.
Comme nous le faisons remarquer plus haut, les crises d'anxiété sont rarement
mentionnées dans tous ces travaux. Cependant on cite généralement les cas de R.
GRINKER 2. Il s'agit d'une crise d'angoisse avec sentiment de mort imminente au cours
d'interventions chirurgicales de la région hypothalamique. Ceci nous ramène bien près
de notre point de départ : à l'angoisse bulbaire.
Les faits cliniques et expérimentaux que nous venons d'envisager nous placent
maintenant au cœur des discussions homériques sur les rapports de l'angor, de l'an-
goisse constrictive, de « l'affre » physique et de l'anxiété. C'est donc toujours le même
problème, celui du physique et du moral, qui une fois de plus surgit devant nous.
L'angoisse, définie selon BRISSAUD par la « sensation physique de resserrement », …L'angoisse est généra-
et selon DEVAUX et LOGRE caractérisée par le spasme des muscles lisses, est générale- lement regardée, nous
l'avons vu, comme la
ment regardée, nous l'avons vu, comme la souffrance du système neuro-végétatif
souffrance du système
(Francis HECKEL). Ce phénomène se rapproche donc de la douleur angineuse, de l'an- neuro-végétatif (Francis
gor pectoris. Mais il la déborde pour constituer un malaise, une crise de « kakon » HECKEL) […] Mais elle la
(MONAKOW et MOURGUE) qui possède une tonalité affective spécifique. Que l'angois- déborde pour constituer
un malaise, une crise de
se ainsi définie se rencontre dans les affections viscérales ou nerveuses qui intéressent
« kakon » (MONAKOW et
le système nerveux autonome dans ses portions périphériques ou cérébrales, cela est MOURGUE)…
un fait bien connu de tous les médecins. Personne ne peut songer à le discuter. La
structure de cette « affre » est caractérisée par l'impression pénible qui exprime la
défaillance des fonctions vitales : « Je me sens atrocement ébranlé au fond de mon
être, étreint par un mal douloureux et violent qui m'entraîne brutalement vers la mort.
1. DAVID, HECAEN et TALAIRACH, Troubles psychiques de type expansif au cours des interventions
dans la région du troisième ventricule, Revue Neuro, nov. et déc, 1946.
2. R. GRINKER, Hypothalamic functions in psychosomatic interrelations, Psychosomatic
Medicine, 1939,1.
405
ÉTUDE N° 15
Je me sens pris dans une tenaille de fer. Tout chavire autour de moi et en moi : un
gouffre s'ouvre. Je suis environné d'inconnu et brutalement arraché à la vie... Je me
sens écrasé, pris dans l'étau de la mort... ». L'angoisse se confond ici littéralement avec
…L'émotion et ses expres- son expression physique (pâleur, lipothymie, crise sympathique ou parasympathique,
sions, la situation vitale et spasmes). Le resserrement viscéral, la rétraction de l'être, l'apnée, l'immobilité, la para-
son substratum perceptif
lysie, l'émotion et son expression, constituent un seul « étau ». La vie est comme sus-
sont soudés dans un vécu
à la fois terriblement et
pendue toute prête à s'engloutir dans la mort. L'émotion et ses expressions, la situation
indivisiblement immédiat vitale et son substratum perceptif sont soudés dans un vécu à la fois terriblement et
et instantané… indivisiblement immédiat et instantané.
Que pouvons-nous dire de cette angoisse ? sinon qu'elle est le type même de la
« Realangst ». C'est à proprement parler une « Somatorealangst » : elle se confond
avec la réalité la plus immédiatement vécue. Être angoissé au cours d'un infarctus du
myocarde, d'une coronarite ou d'une compression du bulbe, c'est réagir vitalement et,
somme toute, correctement à une situation somatique catastrophique : c'est le type
même d'une « réaction de catastrophe », de la peur s'exprimant dans sa cause même,
en ce « court-circuit » inextricable par lequel l'angor et l'angoisse se confondent et se
constituent.
Jusqu'ici tout le monde est d'accord ; mais là où les choses se compliquent, c'est
quand il s'agit de déterminer les rapports de l'angoisse et de l'anxiété. Car, d'une part, il
y a quelque chose qui les rapproche puisque, dans l'angoisse, il y a un sentiment qui
dépasse la « sensation » et déjà est une « conscience terrifiée » et dans l'anxiété, il y a
bien une impression physique qui exprime l'anxiété et constitue le « syndrome » phy-
…l'angoisse, même à sa
limite inférieure, peut
sique d'angoisse. — Mais d'autre part, il y a bien quelque chose de différent puisque l'an-
être, dans l'angor, vécue goisse est vécue essentiellement comme une « simple » sensation périphérique, tandis
comme une « simple » que l'anxiété est vécue sur un registre affectif plus complexe ; puisque l'angoisse paraît
douleur, tandis que
être un phénomène relativement élémentaire alors que l'anxiété se présente comme une
l'anxiété, à sa limite supé-
rieure, peut être pensée
forme d'organisation supérieure ; puisque, enfin, l'angoisse, même à sa limite inférieure,
sans sensation physique peut être, dans l'angor, vécue comme une « simple » douleur, tandis que l'anxiété, à sa
d'angoisse... limite supérieure, peut être pensée sans sensation physique d'angoisse...
Vertigineux problème !
Les médecins chez nous, comme le remarque Mlle BOUTONIER, ont depuis long-
temps et généralement opté pour une différence structurale entre ces deux états affec-
tifs. C'était, nous l'avons vu, la thèse de BRISSAUD (1890 et 1902). A propos d'une com-
munication de SOUQUES 1, il déclarait que les deux mots : angoisse et anxiété, sont
nécessaires pour désigner deux phénomènes distincts : « un phénomène physique d'an-
goisse et un phénomène purement psychique, l'anxiété, lesquels peuvent d'ailleurs
406
ANXIÉTÉ MORBIDE
407
ÉTUDE N° 15
Elle est vécue, intégrée à tous les niveaux, et subit dans son ensemble l'influence
de l'intégration structurale de ces niveaux. Ainsi, l'idée de voir dans l'angoisse ou
l'anxiété deux phénomènes différents, ou l'idée de voir dans l'angoisse et l'anxiété un
phénomène identique (ces deux idées n'exprimant d'ailleurs qu'une seule intuition,
celle que la vie psychique forme un plan dont les uns considèrent seulement une seule
surface, tandis que les autres distinguent le recto et le verso) sont également fausses.
Lorsque Mlle BOUTONIER chez nous, ou STÖRRING, en Allemagne (pour ne parler que
de deux ouvrages récents), défendent la thèse de l'identité de l'angoisse et de l'anxiété,
…[pour nous, l'angoisse ils sont trop observateurs pour ne pas discerner les formes structurales qui séparent
et l'anxiété], sous leur l'angoisse vécue, engagée seulement et comme par sa périphérie, dans une situation
diverses formes structu-
catastrophique présente et l'anxiété parlée et vécue, engagée dans un bouleversement
rales ne peuvent être sai-
sies que dans une pers- total de l'existence passée, présente, future et même possible. Sous ces diverses formes
pective hiérarchisée… structurales, elle ne peut être saisie que dans une perspective hiérarchisée.
Il paraît donc évident, que l'angoisse que nous avons définie plus haut comme
« une réelle angoisse somatique » ne peut être assimilée purement et simplement à
« l'angoisse morale ». Il faut, pour résoudre toutes ces difficultés, se représenter, une
fois de plus, « l'affectivité », comme un mode de réaction variée de l'être à son être :
elle varie selon les niveaux de structure de sa conscience. A cet égard il est clair que
nous pouvons être affectés dans notre être physique, c'est-à-dire inférieur, ou dans
notre être moral, c'est-à-dire supérieur.
Le propre des « affections » qui nous rendent sensible notre être physique c'est
d'être immédiatement vécues en contraste avec notre moi et comme à la périphérie de
notre moi. Si j'ai mal aux dents, c'est comme un « pré-objet » que « se présente » ma
douleur. Elle est, cette douleur, dans ma personne à la périphérie de mon moi, c'est-à-
dire dans mon corps. La fatigue, l'irritabilité, l'euphorie toxique se présentent à moi,
dotées du même coefficient d'extranéité relative. Ce sont des « sentiments », des « états
affectifs » qui nous attaquent « par en bas ». C'est ce que nous voulons exprimer quand
nous disons que : « ils sont vécus plutôt que pensés » et pour ainsi dire projetés à la
…Le propre des « affec- périphérie de notre moi, dans une situation vitale presque extérieure à nous-mêmes, de
tions morales » c'est telle sorte qu'ils sont pour nous « objets » d'angoisse.
qu'elles nous engagent
Le propre des « affections morales » c'est qu'elles nous engagent nous-mêmes en
nous-mêmes […] Souffrir,
avoir peur, être jaloux, tant que nous les éprouvons comme des modifications de ce qui est le plus nous-
avoir confiance, c'est tou- mêmes. Souffrir, avoir peur, être jaloux, avoir confiance, c'est toujours se sentir enga-
jours se sentir engagé et gé et affecté sans réserves et sans limites comme sujet.
affecté sans réserves et
Si les « affections » physiques pour si douloureuses ou « angineuses » qu'elles soient
sans limites comme
sujet… ne peuvent entraîner en elles-mêmes et par elles-mêmes de modifications de notre struc-
ture morale, par contre, tout état affectif supérieur s'exprime nécessairement par l'état cor-
porel, c'est-à-dire s'engage dans le clavier de nos expressions émotionnelles [note 1, p.409].
408
ANXIÉTÉ MORBIDE
Ramener l'anxiété à l'angoisse physique est donc une erreur, puisque celle-ci ne …Ramener l'anxiété à
constitue pas une condition suffisante de celle-là. Cette thèse qui se confond avec la l'angoisse physique est
donc une erreur, puisque
théorie périphérique des émotions de JAMES-LANGE est responsable d'interprétations
celle-ci ne constitue pas
mécanicistes inadmissibles. L'idée, par exemple, de fonder la mélancolie ou la manie une condition suffisante
sur « un trouble élémentaire de l'humeur », un trouble du biotonus 2, est insoutenable. de celle-là…
Ceux qui sont familiers avec notre pensée, sentiront certainement que le problème qui …Cette thèse qui se
confond avec la théorie
nous occupe est le même que celui que nous avons rencontré à propos des troubles de
périphérique des émo-
la mémoire, des obsessions, des impulsions, des hallucinations, de l'hypocondrie, des tions de JAMES-LANGE est
troubles du langage, etc... Il y a lieu de résoudre celui-ci comme tous ceux-là, en responsable d'interpréta-
admettant une fois pour toutes qu'il y a une couche fonctionnelle psychique qui se tions mécanicistes inad-
missibles…
trouve « à la base » de notre vie psychique, mais ne la gouverne pas. Elle est, dans l'ac-
tivité normale, « le siège » du vécu perceptif et de ses fonctions automatiques, c'est-à-
dire notre « corps » nécessairement intégré dans notre comportement et notre pensée.
En pathologie, les modifications, les désintégrations de ce niveau inférieur constituent
ce que nous appelons des phénomènes neurologiques.
Une telle théorie nous permet de concevoir clairement qu'il y a ce que nous pou- …il y a ce que nous pou-
vons appeler une forme
vons appeler une forme neurologique de l'anxiété : c'est l'affre, le syndrome d'angois-
neurologique de l'anxiété
se constrictive physique, « l'anxiété somatique réelle ». Les altérations des niveaux : c'est l'affre, le syndrome
supérieurs de pensée et de comportement à type psychiatrique ont, par contre, une d'angoisse constrictive
structure différente. C'est ainsi qu'il y a des formes d'anxiété morbide psychotiques et physique, « l'anxiété
somatique réelle »…
psycho-névrotiques. De telles formes sont structuralement différentes de l'angoisse de
la souffrance physique en ce qu'il s'agit d'états affectifs qui sont vécus et pensés non
seulement comme des accidents corporels, localisés dans tel ou tel « lieu affecté » du
corps mais comme événements catastrophiques pris dans la masse d'un monde et d'un
monde, comme nous allons le voir, plus ou moins imaginaire.
409
ÉTUDE N° 15
1. Les analyses de Ch. ODIER, (L'angoisse et la pensée magique) ne valent pas seulement pour
l'angoisse névrotique mais pour l'ensemble de l'angoisse morbide.
410
ANXIÉTÉ MORBIDE
vestissement. Même quand elle justifie ses contenus par sa référence au réel, ce n'est
…l'anxiété morbide, de
qu'au prix d'une déformation, d'une trahison du réel. par tous ces caractères
Enfin, l'anxiété morbide, de par tous ces caractères structuraux, vit dans l'instan- structuraux, vit dans l'ins-
tanéité du présent, c'est-à-dire dans la peur, ce que l'anxiété normalement ne vit que tantanéité du présent,
c'est-à-dire dans la peur,
dans la perspective du possible et de l'inquiétude. La coalescence hallucinatoire de ce
ce que l'anxiété normale-
qui va être et de ce qui est, le décalage anticipé de l'avenir, non seulement « prévu » ment ne vit que dans la
mais déjà « pris » dans le présent, constituent l'actualisation monstrueuse de cette perspective du possible et
forme de l'angoisse qui est comme l'ombre même de toute conscience morbide. de l'inquiétude…
1. Notons qu'une théorie « réflexologique » peut toujours se présenter comme une théorie du
trouble du conditionnement, c'est-à-dire des activités corticales nécessaires à ce conditionnement.
Nous verrons plus loin qu'elle peut se présenter aussi comme une théorie du « conditionnant ».
411
ÉTUDE N° 15
412
ANXIÉTÉ MORBIDE
conséquences durables. Elles s'accommoderont très mal du refoulement intérieur : leur séjour
« dans l'antichambre » sera accepté de fort mauvaise grâce, et jamais résignées, elles tenteront de
franchir de nouveau le seuil, de préférence quand la situation actuelle leur paraît avoir quelque
analogie avec celle qui une fois leur avait permis d'arriver « jusqu'au salon ».
...L'enfant d'ailleurs est si facilement angoissé que la menace du Croque-mitaine utilise plus
qu'elle ne la crée sa disposition de l'angoisse. Il est difficile de dire qu'il s'agit pour lui d'angoisse
névrotique ou réelle. ... Il a peur des personnes étrangères, de ce qui est nouveau, et de certains
objets, mais il ne montre pas d'angoisse (en général) devant les êtres et les choses familiers. Ce que
l'enfant redouterait comme un danger, serait justement de perdre ces personnes auxquelles il est
attaché, et particulièrement sa mère. Il est vrai d'ailleurs que bien des enfants ne manifestent de la
peur devant une personne étrangère, que si celle-ci fait mine de les prendre dans ses bras, de les
emmener, de les séparer de leur mère ou du décor auquel ils sont accoutumés. Ceci aurait une rai-
son profonde : la première expérience de l'angoisse serait, d'après FREUD, l'angoisse de la naissan-
ce, qui est la séparation de la mère, et toute situation génératrice d'angoisse se présenterait en défi-
nitive pour l'inconscient comme une évocation du même danger, la perte de l'objet aimé.
...En somme, nous pouvons résumer ainsi cette conception : l'angoisse névrotique naît de l'in-
satisfaction de la libido. Cette insatisfaction elle-même est due à l'opposition qui existe entre le
moi et l'instinct refoulé. Elle ne provient donc pas tant des circonstances que d'un conflit psy-
chique latent et inconscient. L'origine de ce conflit doit être cherchée dans les traumatismes de la
vie affective de l'enfant ».
Dans une deuxième phase historique de l'évolution des idées de FREUD, le …Dans une deuxième
« quelque chose » qui cause l'angoisse n'est plus un « trauma infantile » refoulé mais phase historique de l'évo-
lution des idées de FREUD,
le sur-moi. L'inconscient n'est plus seulement constitué, aux yeux de FREUD, par ce qui
le « quelque chose » qui
est refoulé (le ça), mais il contient aussi le mécanisme refoulant, les forces répressives cause l'angoisse n'est
et refoulantes elles-mêmes : le « sur-moi ». Ce sur-moi est comme un substitut, un plus un « trauma infanti-
reflet de la sévérité parentale, de l'interdiction et du châtiment. C'est une redoutable le » refoulé mais le sur-
moi…
force, une sorte d'appareil de contrôle automatique du psychisme qui tient le moi escla-
ve de l'instinct. Le moi de l'adulte craint les instincts parce qu'il craint le sur-moi (Anna
FREUD). Et, dit Mlle BOUTONIER, le rapport intime que FREUD avait cru voir entre
angoisse et libido, n'existe plus dans cette nouvelle façon de voir. La libido se heurte
à la vigilance et aux interdictions du sur-moi prêt à menacer et à punir. Ainsi, la mena- …Ainsi, la menace d'un
ce d'un châtiment, la nécessité d'une punition constitue le fond de l'angoisse, et non châtiment, la nécessité
d'une punition constitue
plus la pulsion libidinale refoulée. L'angoisse reste cependant le signal d'un danger, et
le fond de l'angoisse, et
ce danger c'est celui qui a été vécu dans le complexe de castration. C'est pour éviter le non plus la pulsion libidi-
retour de l'angoisse que le moi a recours à des « mécanismes de défense » qui ne sont nale refoulée…
autres que les symptômes des névroses. Ils varient selon que les processus qui abou-
tissent à l'angoisse se déroulent sur le plan du sur-moi ou du moi 1.
413
ÉTUDE N° 15
…Ainsi, pour l'École psy- Ainsi, pour l'École psychanalytique 1 l'anxiété et l'angoisse sont une même chose,
chanalytique l'anxiété et l'angoisse normale et l'angoisse pathologique sont une même chose et cette « chose »
l'angoisse sont une même
c'est essentiellement : la frayeur de l'instinct. Nous avons insisté dans la description cli-
chose, l'angoisse normale
et l'angoisse patholo- nique sur l'importance cruciale des forces inconscientes (sur-moi, conflit, complexes,
gique sont une même etc.) dans l'anxiété et nous verrons plus loin quelle valeur humaine doit être accordée
chose et cette « chose » au système pulsionnel générateur d'angoisse. Mais nous ne saurions oublier que tout en
c'est essentiellement : la
nous permettant de mieux comprendre les mécanismes névrotiques, la psychanalyse ne
frayeur de l'instinct…
les explique pas. En dernière analyse on se demandera toujours pourquoi tous les
hommes, ayant subi des « traumatismes sexuels » ou étant soumis aux exigences du sur-
moi et étant passés par « l'Œdipe » et le complexe de « castration », ne sont pas tous
des anxieux névrosés ou psychosés. Et si oui, que signifient ces concepts ?
b) Psychogénèse réactionnelle.
L'importance évidente des événements de l'existence, des « situations » de « l'en-
vironnement », des « maladjustements » sociaux ou familiaux, des circonstances
pénibles ou bouleversantes, des chagrins, des échecs, etc... est ici considérée comme
…Nous ne nous attarde- facteur pathogène. Nous ne nous attarderons pas à exposer et à critiquer cette théorie
rons pas à exposer et à qui institue la banalité des causes occasionnelles en causalité déterminante puisqu'elle
critiquer cette théorie
trouve constamment sa limite dans la double considération: [d'une part] des faits où les
[réactionnelle de l'an-
goisse] qui institue la « facteurs de milieu » se révèlent manifestement incapables de provoquer des états
banalité des causes occa- d'anxiété autres qu'émotionnels, passagers et finalement dominés et [d'autre part] des
sionnelles en causalité faits où les réactions anxieuses ne se produisent que sur un terrain préparé et prédis-
déterminante…
posé que constitue la maladie. Ainsi, loin de nous faire penser que ces « facteurs » sont
des causes, il nous paraît plus raisonnable de penser qu'ils sont des effets d'une orga-
nisation morbide héréditaire ou acquise de la personnalité. L'étude des névroses expé-
rimentales s'inscrit dans cette perspective. Les travaux de GANTT 2 sont parmi les tra-
vaux issus de l'école réflexologique les plus connus. Les perturbations artificielles du
conditionnement obtenues par la collusion de l'excitation et de l'inhibition (choc exces-
sif des polarisations et de dépolarisations trop fortes ou trop rapprochées) constitue-
raient pour le chien Nick un « traumatisme » qui « causerait » une « névrose » à réac-
tions anxieuses. Il y aurait naturellement beaucoup à dire sur cette « causalité » et sur
cette « névrose »... Nous pensons, quant à nous, que la névrose commence précisément
1. On trouvera dans le récent petit livre de W. BITTER, un exposé de l'application des idées de
l'Individual Psychologia (ADLER) de la « Gemeinschaft psychologie » (KÜNKEL) et de la
« Complexe Psychologie » de C. G. JUNG sur ce genre de l'anxiété (p. 57 à 72).
2. W. H. GANTT, Base expérimentale de comportement névrotique, origine et développement des
troubles du comportement artificiellement produits chez les chiens, I vol., New-York, Londres,
1944. La Réflexologie apparaît ici comme une théorie du « conditionnement », c'est-à-dire de la
perturbation dynamique introduite dans le système nerveux par les variations expérimentales
introduites dans les champs perceptifs, autrement dit par les événements ou les facteurs de milieu.
414
ANXIÉTÉ MORBIDE
« réactions », elles existent avant qu'ils en prennent conscience ; l'angoisse est le GOLDSTEIN… P. JANET…
trouble qui résulte d'un conflit de « formes », lorsqu'aux formes d'adaptation se sub-
stituent des formes inadéquates. Le malade dans cette situation catastrophique n'éprou-
ve pas l'angoisse à propos de quelque chose, il est angoissé sans avoir conscience ni
de sa cause, ni de ses effets, ni de son moi. L'angoisse jaillit de l'ébranlement catas-
trophique, lorsque, selon le mot de MOURGUE, « la malade a perdu la possibilité de
s'adapter au possible ».
C'est aussi aux conditions même de l'échec que Pierre JANET se réfère pour expli-
quer l'anxiété morbide. Il faut lire et relire son fameux ouvrage 3 pour bien comprendre
la pensée de l'illustre psychologue. Pour lui, les sentiments d'angoisse, d'inquiétude,
les crises anxieuses sont solidaires de la désorganisation de la pensée et de l'action et
de toutes les « conduites » qu'elles représentent. C'est par l'effet de la chute de la ten-
sion psychologique, par les régressions du psychisme dans son entier vers des formes
inférieures de comportement, qu'il faut expliquer les réactions d'angoisse. Elles sont le
propre des niveaux psychologiques de basse tension, ce qui explique la fréquence de
l'anxiété dans les états psychopathologiques.
Pour nous, nous avons conduit toute cette étude dans cette perspective et il nous
suffira ici de résumer le plus clairement possible notre façon de voir.
L'anxiété morbide est une forme à peu près constante des anomalies ou dissolu-
tions de la conscience et des organisations morbides de la personnalité. Elle se distri-
415
ÉTUDE N° 15
bue en niveaux structuraux que nous avons répartis en deux groupes : les formes de
dissolution anxieuse de la conscience (crises d'anxiété) et les formes d'organisation
anxieuse de la personnalité.
Toutes ces formes s'opposent aux « affres » somatiques qui expriment la souffran-
ce primitive du système nerveux autonome, comme s'opposent l'objet de la psychiatrie
et celui de la neurologie.
Toutes les formes névrotiques ou psychotiques de l'anxiété sont conditionnées par
des processus organiques de dissolution, c'est-à-dire de déficit et d'amoindrissement.
L'action processuelle déterminante imprime à la structure de l'anxiété morbide ses
autres caractères (« non réactionnelle » « délirante », « artificielle » et « actuelle ») que
nous lui avons plus haut reconnus.
…[Pour nous], L'anxiété
L'anxiété morbide est également irréductible à une simple excitation des centres
morbide est également
irréductible à une simple d'expression et à une pure psychogénèse. Elle est une forme typique de la régression,
excitation des centres de la dissolution de la vie psychique dont la fonction la plus haute est précisément d'in-
d'expression et à une pure tégrer dans une certaine forme ordonnée et calme les instances anarchiques des pul-
psychogénèse. Elle est
sions complexuelles et les à coups des émotions. C'est-à-dire, nous ne nous lasserons
une forme typique de la
régression, de la dissolu- jamais de le répéter, que la maladie ne crée pas l'anxiété, mais que sous forme de struc-
tion de la vie psychique… ture névrotique ou psychotique, elle nous livre à celle qui, au fond de notre être, som-
meille.
De telle sorte que si, pour la plupart des auteurs, la psychopathologie de l'anxié-
…si, pour la plupart des
auteurs, la psychopatho- té peut s'arrêter ici après l'étude de tous les problèmes que nous avons envisagés,
logie de l'anxiété peut pour nous, il nous reste encore à pénétrer plus profondément au cœur même de l'hu-
s'arrêter ici après l'étude manité, jusqu'au noyau du conflit immanent à la nature humaine et chercher, en
de tous les problèmes que
déchirant le voile, à découvrir le sens de l'angoisse des hommes et par conséquent
nous avons envisagés,
pour nous, il nous reste de l'anxiété morbide.
encore à pénétrer plus
profondément au cœur § V. — L'ANGOISSE HUMAINE 1
même de l'humanité…
Si le désarroi des « maladies mentales », dans leurs formes les plus typiques,
constitue des formes de l'angoisse humaine vécue dans le délire, si le rêve côtoie
constamment le cauchemar, quand il ne parvient pas à la neutraliser, c'est que l'an-
goisse est au centre de notre existence. Quelle est donc sa signification existentielle
dans le système des valeurs humaines, dans notre vie...?
FREUD et son école considèrent que l'angoisse est liée à la peur de l'instinct, à la
peur de l'assouvissement de l'instinct, cette peur n'étant que l'instinct retourné contre
416
ANXIÉTÉ MORBIDE
lui-même, mis en déroute par lui-même. L'instinct dédoublerait en effet en deux bour-
geons rivaux, l'instinct de plaisir ou libidinal, et l'instinct de mort ou létal : « A cha-
cune de ces deux variétés d'instinct se rattache un processus psychologique (construc-
tion ou destruction), l'un et l'autre seraient à l'œuvre dans chacune des parties de la sub-
stance vivante, mais elles y seraient mélangées dans des proportions variables, si bien …Mlle BOUTONIER a très
qu'une de ces parties pourrait, à un moment donné, s'affirmer comme étant plus parti- justement analysé les dif-
culièrement représentative d'EROS 1 ». Ces tendances à « faire mourir » sont d'ailleurs ficultés auxquelles se
heurte cette conception
plus exactement des instincts « d'agressivité » 2 . C'est dans le sur-moi que cet instinct
[des deux instincts] qui,
est intériorisé et retourné contre soi sous sa forme génératrice d'angoisse. Mlle dans l'esprit de Freud, n'a
BOUTONIER a très justement analysé les difficultés auxquelles se heurte cette concep- jamais été complètement
tion qui, dans l'esprit de FREUD, n'a jamais été complètement achevée 3. achevée…
...Quelles répercussions cette modification de la théorie des instincts a-t-elle eues sur la
conception de l'angoisse? On admettrait volontiers qu'aux deux variétés d'instincts doivent cor-
respondre deux causes d'angoisse, et c'est bien en effet ce que déclare FREUD, en distinguant l'an-
goisse libidineuse névrotique et l'angoisse de mort. Et il indique rapidement que l'angoisse de
mort pose à la psychanalyse un problème difficile, mais que cependant son mécanisme l'amène
probablement à se dérouler « entre le moi et le super-moi ». NUNBERG donne sur les rapports de
l'angoisse et des instincts de destruction, les détails suivants : toute destruction provoque une dou-
leur et apparaît comme un danger ; même s'il s'agit d'une destruction partielle comme celle
qu'évoque la castration. Donc, un instinct de destruction intériorisé dans le Sur-Moi peut être la
cause d'une angoisse, celle-ci fonctionnant comme une sorte de signal avant le danger (c'est
d'ailleurs très souvent l'angoisse dite de « castration » — c'est-à-dire en rapport avec le souvenir
réel, ou les fantasmes de menaces de castration — qui constitue l'angoisse due au Sur-Moi). De
plus, quand la tension de la libido augmente celle des instincts de destruction augmente égale-
ment : l'angoisse qui en résulte est donc due à la fois aux instincts sexuels et aux instincts agres-
sifs. Il y a entre la libido et l'instinct de destruction une sorte de communication, l'énergie psy-
chique se déplaçant de celle-là à celui-ci... L'angoisse peut « s'érotiser », elle peut donc aussi se
« létaliser ». En somme, ce n'est pas vraiment une nouvelle angoisse que nous fait connaître la
théorie des instincts de vie et des instincts de mort. Elle nous montre plutôt que les trois types
d'angoisse... dépendent non seulement de la composante érotique des instincts, mais de leur com-
posante létale... L'angoisse est une sorte de signal d'alarme à l'approche d'un danger, extérieur et
réel dans l'angoisse objective, intérieur et psychique dans l'angoisse névrotique. Ce danger psy-
chique est constitué par un conflit inconscient qui existe au sein de la personnalité et qui oppose
le moi à des tendances à la fois érotiques et agressives. Dans cette dernière conception de l'an-
goisse, ce qui est nouveau c'est donc surtout le rôle dévolu aux instincts agressifs, alors que la
libido seule entrait en ligne de compte pour la psychanalyse à ses débuts. Or, depuis quelques
années, le rôle des tendances agressives apparaît non seulement aussi important que celui des ten-
417
ÉTUDE N° 15
dances sexuelles, mais, pour certains, prépondérants. Après avoir été la conséquence de « l'amour
insatisfait », l'angoisse devient un effet de la haine inconsciente... Ceux mêmes qui n'accordent
pas aux instincts agressifs un rôle prépondérant dans la genèse de l'angoisse doivent, cependant
leur faire une place importante. Mais, en fait, si l'on voit dans les instincts de mort une variété
secondaire d'instincts, il faudra naturellement que la première place revienne en définitive à la
libido dans la genèse de l'angoisse. Au contraire si on pense, comme FREUD, que les instincts de
mort sont indépendants des instincts de vie et aussi importants qu'eux, le problème se pose de
savoir quel rôle joue chacun de ces groupes comme facteur de l'angoisse. Ainsi, pour élucider le
mécanisme de l'angoisse, c'est la nature même de l'homme qu'il nous faudrait connaître... ».
La psychanalyse tourne ici en rond, FREUD étant parti de l'idée que l'angoisse
dépendait d'un « objet » inconscient (l'angoisse justifiée par un conflit intérieur) à trou-
ver, a admis ensuite que cet objet d'angoisse n'était tel que parce que l'angoisse, c'est-
à-dire le conflit des instincts, lui préexistait. Depuis, tous les psychanalystes n'ont
cessé d'approfondir la nature conflictuelle « pré-morale » de l'inconscient. C'est ainsi
que HESNARD 1 considère l'angoisse comme un comportement de moralité. Autrement
…C'est de cette structure dit, c'est la structure primordialement antagoniste de l'être qui constitue le noyau de
de culpabilité que dépend
son angoisse. C'est de cette structure de culpabilité que dépend l'angoisse et non plus
l'angoisse et non plus du
contenu de son dévelop- du contenu de son développement historique et par là nous découvrons le point de
pement historique et par convergence entre le système freudien et les analyses existentialistes de l'angoisse.
là nous découvrons le KIERKEGAARD et l'existentialisme : Soren KIERKEGAARD, le Pascal danois du XIXe
point de convergence
siècle, a fixé en termes d'une rare puissance le vertige métaphysique de l'angoisse, qui
entre le système freudien
et les analyses existentia- nous attire au tréfonds de nous-mêmes et propose à notre méditation la plus profonde
listes de l'angoisse… raison de méditer. Nous citerons ici, avec J. BOUTONIER, quelques passages de
KIERKEGAARD tirés du « Concept d'angoisse 2 »:
« Je me suis proposé de traiter dans le présent ouvrage le concept d'angoisse au point de vue
psychologique, ayant dans l'esprit et devant les yeux le dogme du péché originel... Si l'homme
…KIERKEGAARD et « Le était ange ou bête il ne connaîtrait pas l'angoisse. Étant une synthèse, il en est capable... L'homme
concept d'angoisse »: est une synthèse d'âme et de corps porté par l'esprit. C'est donc l'esprit qui fait la synthèse et qui
« Éprouver l'angoisse, est à la fois la cause et l'organe, si l'on peut ainsi parler de l'angoisse. Éprouver l'angoisse, c'est
c'est pour l'esprit la véri- pour l'esprit la véritable forme de la sensibilité... Et plus l'esprit gagne en vigueur, plus il appro-
table forme de la sensibi-
fondit son angoisse : l'homme est d'autant plus homme que son angoisse est profonde, toutefois
lité...»
produite par lui et non, comme on l'entend d'ordinaire, s'imposant à lui de l'extérieur, car l'an-
goisse a sa source uniquement dans l'existence de l'esprit, dans la condition de l'esprit lui-même,
en tant que l'esprit est « ce troisième terme » sans lequel une synthèse de l'âme et du corps est
inconcevable. Entre l'âme et le corps, l'esprit se précise comme une « puissance ennemie » en qui
se révèle l'opposition fondamentale des deux termes du rapport, et aussi comme une puissance
amie, soucieuse d'établir le rapport... L'angoisse existe à ce moment où l'esprit réalise qu'il est
418
ANXIÉTÉ MORBIDE
cette synthèse jamais achevée et toujours remise en question, impossible peut-être, car l'âme et le
corps, l'ange et la bête, ne sont pas naturellement unis. Au contraire, chacun des deux termes qui
s'offrent à la synthèse est une possibilité qui tend à annihiler l'autre. En cet instant où l'on peut
dire indifféremment que l'esprit s'éveille, ou qu'une synthèse s'ébauche, la conscience ne peut être
que ce sentiment d'unir des possibilités inconnues et divergentes, ce conflit qui n'a pas éclaté.
Penser le conflit, c'est déjà l'avoir dépassé et résolu, pour le voir reparaître d'ailleurs sur un autre
point... Car l'angoisse ne comporte pas de connaissance authentique, rien qu'un pressentiment du
possible et de l'avenir. Ce possible d'ailleurs est un possible pour l'esprit en tant que celui-ci est
de devenir et il ne peut pas être pensé sans être déjà, car le possible qui angoisse, c'est celui qui
est inséparable de la liberté de l'esprit. Entre l'ange et la bête, l'esprit choisit et réalise l'homme
par un choix libre. Il ne s'agit pas de céder à un attrait : il n'y aurait pas de liberté si le choix était
déterminé. Il faut donc que ce qui se dessine en nous puisse être l'ange comme la bête, en ce
moment qui précède le choix libre. Et ce qui nous angoisse, c'est de sentir que nous pouvons choi- …« Et ce qui nous
sir, que par notre liberté tout est possible. L'angoisse est la réalité de la liberté comme possibili- angoisse, c'est de sentir
té offerte à la possibilité... On peut comparer l'angoisse au vertige. On a le vertige quand on plon- que nous pouvons choisir,
que par notre liberté tout
ge le regard dans un abîme. Mais la raison du phénomène n'est pas moins l'œil que l'abîme, car il
est possible. L'angoisse
suffit de ne pas regarder. L'angoisse est aussi le vertige de la liberté survenant quand l'esprit veut
est la réalité de la liberté
poser la synthèse et que la liberté scrutant les profondeurs de sa propre possibilité, saisit le fini comme possibilité offerte
pour s'y appuyer. La liberté succombe dans ce vertige... La vie offre d'ailleurs assez de cas où l'in- à la possibilité... »
dividu subit la fascination de la faute tout en la craignant. La faute a sur l'œil de l'esprit le pou- KIERKEGAARD
voir de fascination que possède le regard du serpent. » Ainsi la jeune fille innocente, si « un
homme attache sur elle un regard chargé de désirs devient angoissée. Elle peut du reste s'indigner,
etc..., mais elle est d'abord angoissée. Quand Dieu interdit à Adam de manger les fruits de l'arbre
de la connaissance du bien et du mal, Adam ne pouvait le comprendre puisqu'il ne connaissait pas
la différence entre le bien et le mal : mais l'interdiction l'angoisse parce qu'elle éveille en lui la …l'interdiction, angoisse
possibilité de la liberté. Ce qui flottait aux yeux d'Adam innocent comme le rien de l'angoisse est Adam, parce qu'elle
maintenant intégré en lui, et y est encore le rien, l'angoissante possibilité de pouvoir. De ce qu'il éveille en lui la possibili-
peut, il n'a aucune idée chez l'individu venu au monde après Adam, le rien de l'angoisse prend té de la liberté. Ce qui
flottait aux yeux d'Adam
corps de plus en plus, non pas qu'il devienne réellement quelque chose, mais le rien de l'angois-
innocent comme le rien
se est ici un complexe de pressentiments qui se réfléchissent en eux-mêmes et s'approchent tou- de l'angoisse est mainte-
jours plus de l'individu bien qu'encore une fois ils ne désignent réellement rien dans l'angoisse, nant intégré en lui…
mais il faut bien noter qu'il ne s'agit pas d'un rien sans rapport avec l'individu mais d'un rien en
vivante communication avec l'ignorance de l'innocence ».
C'est à la forme de « ce sentiment sans contenu » que toutes les analyses phéno-
ménologiques n'ont cessé de s'appliquer. Pour JASPERS comme pour KIERKEGAARD, et
à travers lui, rien de présent à la conscience ne justifie l'angoisse et Martin HEIDEGGER …Martin HEIDEGGER est
parti également de ce
est parti également de ce « Rien de l'angoisse ». Suivons encore avec J. BOUTONIER 1,
« Rien de l'angoisse »…
les méandres vigoureux de la pensée du Maître de Fribourg :
419
ÉTUDE N° 15
« Si nous éprouvons de la crainte, c'est toujours devant tel ou tel existant déterminé qui nous
menace sous tel ou tel aspect déterminé. La « crainte devant » quelque chose, craint toujours aussi
pour quelque chose de déterminé. Au contraire, l'angoisse est toujours « angoisse devant... » mais
non point devant ceci ou devant cela. L'angoisse « devant »... est toujours angoisse « pour »...
mais non point pour ceci ou pour cela. Et HEIDEGGER note que dans l'angoisse, c'est aussi bien le
visage familier des choses que notre propre visage — l'aspect sous lequel nous nous apparaissons
d'ordinaire en notre conscience — qui nous échappe et prend un aspect indéfinissable. Toutes les
choses et nous-mêmes nous nous abîmons dans une sorte d'indifférence. Cela non point pourtant
au sens d'une disparition pure et simple, mais dans leur recul comme tel les choses se tournent
vers vous. Ce « recul » du monde dans l'angoisse n'est en effet pas du tout son effacement pro-
…« Pour l'homme qui a le gressif comme dans les premiers instants d'un évanouissement — mais une autre manière d'être
vertige, le précipice n'a présent, plus présent peut-être, car mêlés à nous qui subissons ainsi une métamorphose. Pour
plus d'autre réalité que
l'homme qui a le vertige, le précipice n'a plus d'autre réalité que celle d'une sorte d'appel : le pré-
celle d'une sorte d'appel :
cipice s'est « tourné vers lui » pour n'être plus que ce qui l'appelle, et lui, l'homme qu'il n'est plus
le précipice s'est « tourné
vers lui » pour n'être plus lui-même, mais il sent qu'en lui « on » répond à cet appel, « on » se tourne vers le gouffre. Ce
que ce qui l'appelle »… recul de l'existant en son ensemble qui nous obsède dans l'angoisse, dit HEIDEGGER, est ce qui
« Il ne reste rien comme nous oppresse. Il ne reste rien comme appui. Dans le glissement de l'existant il ne reste et il ne
appui. Dans le glissement nous survient que ce « rien »... Or ce « rien » peut être présent sans être quelque chose : « c'est
de l'existant il ne reste et même sa seule manière d'être. Ce que dans l'angoisse nous appelons « rien », c'est la présence du
il ne nous survient que ce
néant. « L'angoisse révèle le néant ». Que l'angoisse dévoile le néant, c'est ce que l'homme confir-
« rien »…»
M. HEIDEGGER. me lui-même lorsque l'angoisse a cédé. Avec le clairvoyant regard que porte le souvenir tout frais,
nous sommes forcés de dire : ce devant quoi et pour quoi nous nous angoissions n'était « réelle-
ment » rien. En effet : le néant lui-même — comme tel — était là ».
…Ce « rien » qu'atteint Ce « rien » qu'atteint l'angoisse n'est cependant pas toujours un pur néant, un trou
l'angoisse n'est cependant noir et vide. L'angoisse vit des images. Seulement, ces images, J. P. SARTRE les pré-
pas toujours un pur néant,
sente, non sans raison comme des formes du non-être, une « néantisation du monde »,
un trou noir et vide.
L'angoisse vit des images car « l'image est une conduite dévorante de réel » ; elle est « le monde né d'un certain
[comme] « conduite dévo- point de vue », c'est-à-dire détaché du réel. L'angoisse et la conscience imageante sou-
rante de réel » J.P. tiennent ainsi entre elles des rapports vitaux tels que, dans ce vertige de néant qu'est
SARTRE..
l'angoisse, tourbillonnent, dans et par le mouvement qui les engendre, les images du
délire. C'est que vivre des images, c'est approcher du néant et déjà se fasciner de son
reflet avant de s'abîmer dans l'angoisse pure du vide.
J. BOUTONIER, préparée à son travail par son étude sur l'ambivalence, a fortement
accentué dans la structure de l'angoisse l'aptitude à l'ambivalence qui serait, pourrions-
nous dire, comme une « forme à priori de la sensibilité 1 » :
« L'expérience de l'angoisse révèle en elle quelque chose d'ambigu qui est peut-être la vraie
raison de ce qu'elle offre d'impensable. Cette ambiguïté existe aussi dans l'anxiété, sous la forme
d'une interrogation sans réponse assurée, suggérant donc au moins deux et quelquefois plus de
420
ANXIÉTÉ MORBIDE
deux réponses possibles, toutes prêtes à revendiquer leur droit d'exister. Certes, l'on n'envisage
vraiment à un moment donné que l'un de ces possibles, mais on sait et surtout on sent que les
autres sont là aussi. L'anxiété est parente de ces états où la conscience ne peut trouver de repos,
tels le doute, l'inquiétude. Mais elle en diffère parce qu'elle est plus intolérable qu'eux. Le doute
est peut-être pour la plupart des esprits inconfortable quand il dure, mais il peut nous laisser indif-
férents, ou même nous amuser. Nous oscillons comme sur une balançoire entre deux mondes dont
les perspectives nous apparaissent tour à tour... Mais quelquefois le malaise se prolonge : je ne
sais plus bien ce que je veux faire, je n'ai pas envie de faire quelque chose, tout en sentant qu'il
y a des choses à faire, celles justement dont l'intention me hante, celles-là et rien d'autre.
…« L'expérience de cette
L'expérience de cette collision d'intentions nous fait vivre un malaise à partir duquel nous pou- collision d'intentions
vons comprendre l'anxiété. La banale présence en notre pensée de deux intentions simultanées ne nous fait vivre un malaise
cause pas ce malaise, puisqu'elles peuvent se réaliser succinctement : mais il naît quand ces deux à partir duquel nous pou-
intentions existent en même temps sur le même plan, celui de la réalisation concrète, comme si à vons comprendre l'anxié-
té »… J. BOUTONIER
ce moment s'ébauchait en nous une synthèse monstrueuse, rendue dans ce cas complètement
impossible par les lois de la nature, puisque je ne peux pas à la fois aller vers ma bibliothèque et
m'asseoir à ma table pour écrire. Ce malaise, si léger soit-il, se présente comme un état dont il
faut sortir : en sortir c'est retrouver et étaler côte à côte ce qui dès lors, envisagé comme succes-
sif, est tout à fait acceptable. Il y a, croyons-nous, dans l'anxiété, un sentiment qui a des analo-
gies profondes avec ce malaise. Nous avons vu que l'interrogation sans fin de l'anxiété ouvre la
porte à plusieurs réponses dont aucune n'est définitive. Il y a donc là aussi des directions diverses
dans lesquelles la pensée tend à s'engager, sans pouvoir le faire à fond dans aucune et sans pou-
voir s'en évader, car la pensée de l'anxieux suit des chemins monotones et toujours passe par les
mêmes voies pour retomber au même point de départ. Il ne peut pas progresser, il est prisonnier.
L'anxieux cherche à sortir de son tourment en tentant d'exprimer ces possibilités multiples, mais
limitées, et il n'en tire pas de soulagement, si ce n'est momentané. Car il est impossible de rester
la même personne en face de chacune des alternatives qui se proposent, et comme on ne peut en
exclure aucune et qu'elles tendent à exister simultanément, on se sent écartelé entre elles. Ces
alternatives se contredisent : ou l'être cher dont le sort est menacé est encore en vie et sa maladie
moins grave qu'on ne l'a cru, ou bien il est mort. Mais cette contradiction s'accompagne d'une
obligation de choisir entre elles, pour penser ce qui est. De plus elles engagent tout mon être d'une
façon si complète que je ne peux pas rester la même personne en les vivant. Suis-je celle qui a
perdu un être cher, ou celle qui a la joie de le voir sauvé ? Je ne peux ni penser les deux choses
à la fois, ni me sentir en même temps ces deux personnes, et c'est pourtant cela qu'exige l'anxié-
té aussi longtemps que rien ne me permet d'en sortir. »
Comme nous l'avons déjà indiqué, s'il y a une distinction à établir entre l'angoisse
(au sens médical) et l'anxiété, il y a aussi entre elles quelque chose de commun.
L'angoisse comme l'anxiété naît du conflit, de la nature conflictuelle de notre être. Il y
a au fond de l'angoisse comme de l'anxiété une alternative où nous nous sentons enga-
gés : l'angoisse est fondamentalement une perplexité. C'est la phénoménologie du ver-
tige, comme l'indique KIERKEGAARD, qui nous fait le mieux comprendre l'ambiguïté,
421
ÉTUDE N° 15
1. Dans sa récente critique (Évolution Psych., III, 1949) du livre de Ch.ODIER (L'angoisse et la
pensée magique, 1947) J. BOUTONIER fait justement grief à l'auteur d'affirmer que « c'est pure
question de convention verbale » que de se demander si l'angoisse est normale ou anormale...
2. Et probablement aussi LACAN quand il soutient que la folie comporte la liberté... et en un cer-
tain sens la raison... (cf. nos discussions sur le Problème de la Psychogénèse des Névroses et des
Psychoses à Bonneval en 1946).
422
ANXIÉTÉ MORBIDE
me, et l'autre tendue vers la liberté qu'il peut conquérir ». Et voici comment J.
BOUTONIER tente d'analyser ces deux types d'angoisse : l'angoisse pathologique et l'an-
goisse normale en un passage qui nous a paru décisif pour sa manière de voir et pri-
mordial pour toute psychopathologie de l'angoisse 1.
« L'une est une angoisse de détermination et l'autre une angoisse de libération. Nous ne pré-
tendons d'ailleurs pas qu'elles s'excluent. Elles correspondent à deux types extrêmes dont la plu-
part des hommes nous offrent plutôt une moyenne, et, en fait, le plus souvent dans l'angoisse
humaine on doit pouvoir retrouver ces deux nuances au fond d'un même émoi. Mais il nous faut
rappeler encore que la névrose nous paraît se caractériser par son caractère destructeur, stérilisant
ou paralysant l'activité humaine et faisant obstacle à la vie. Elle se développe donc sous le signe
des instincts agressifs : sous des formes diverses, elle ne sait que tuer, et si parfois, au passage,
elle semble exalter la vie, ce n'est que pour ensuite la vouer à la souffrance et à la destruction.
Ainsi l'angoisse névrotique est une angoisse de mort : elle s'empare de l'homme quand il sent que …Ainsi l'angoisse névro-
s'amassent en lui, au moins pour un instant, les pulsions agressives flottantes comme des nuées tique est une angoisse de
mort…
d'orage. Certes, la vie garde ses droits, puisqu'elle continue : mais les redoutables forces qui
devraient être mises à son service ont échappé à tout contrôle et la menacent en permanence. C'est
surtout cette forme d'angoisse (que nous appelons névrotique, mais qui, répétons-le, existe plus
ou moins chez l'homme normal) qui justifie l'intuition de HEIDEGGER, que l'angoisse révèle le
néant, puisque ces pulsions destructives tendent à l'anéantissement de l'être.
L'angoisse normale, au contraire, se situe sur le chemin de la vie. L'activité libre est celle qui …L'angoisse normale, au
affirme le mieux notre existence personnelle. Mais aussi, elle exige que nous renoncions aux cer- contraire, se situe sur le
chemin de la vie…
titudes, peut-être précaires mais rassurantes, de l'habitude et des préjugés et que nous puissions
être vraiment nous-mêmes dans un acte qui à quelque degré est toujours créateur. BERGSON a mis
en lumière ce qu'il y a de liberté dans l'invention : on pourrait réciproquement souligner ce qu'il
y a d'invention dans la liberté. Car agir librement c'est vraiment s'élever à une forme nouvelle
d'action qui n'est plus révolte ni obéissance, qui s'écarte autant de l'imitation que du défi, et où
les possibles ont perdu jusqu'à leur valeur pour s'intégrer à un nouvel être.
...Il faut, pour que le choix se fasse, qu'une organisation nouvelle ait soudain remplacé cet
équilibre apparent qui n'était en réalité qu'un conflit. Mais l'être alors se sent libéré, en même
temps que s'ouvrent à lui des horizons nouveaux et qu'il a l'impression d'affronter les obstacles
avec une ardeur inconnue. Il construit quelque chose : son œuvre, ou mieux encore, sa vie. Il ne
sait pas exactement vers quoi il va, car ce n'est pas le calcul ni le raisonnement qui suffisent à
expliquer son élan. Mais il sent qu'il va vers quelque chose. Et si une sorte d'angoisse l'effleure à
chaque fois que se renouvelle la conscience de sa liberté, il ne saurait pressentir à travers cet émoi
la seule présence du néant où peut sombrer à chaque minute toute aventure humaine : au contrai-
re, au fond de cette angoisse qui a perdu tout caractère d'anxiété, ce que l'homme sent alors confu-
sément, c'est l'appel d'un monde nouveau. Loin d'être écrasé par le destin, il suit sa vocation. Il y
a la même différence entre le névrosé et lui qu'entre l'homme en proie au vertige, obsédé et para-
lysé par le vide qui le fascine, incapable d'avancer ou même parfois de reculer, et l'alpiniste qui,
423
ÉTUDE N° 15
franchissant un passage dangereux, surmonte une appréhension légitime, et n'a répondu à l'appel
du vide que pour mieux goûter la joie de conquérir un sommet.»
Comme J. BOUTONIER l'avait souligné antérieurement (p. 41) l'angoisse normale
« est celle que l'on peut expliquer par les réactions légitimes du sujet en face du milieu
extérieur. Elle est impliquée dans le libre épanouissement de notre personnalité et de
notre vie. A chaque événement de notre existence, en même temps que se proposent le
privilège et le risque de la liberté, nous sentons l'aiguillon de l'angoisse, de cette
angoisse qui est alors l'appel de notre destin, sa sourde résonance dans notre choix.
Ainsi J. BOUTONIER conclut-elle son ouvrage et son dernier chapitre, le plus émouvant
du livre, par cette phrase :
…« Ainsi quand l'homme « Ainsi quand l'homme a vaincu la peur qui souvent l'empêche d'affronter l'angoisse, et
a vaincu la peur qui sou- dépassé l'anxiété qui lui permet d'assurer lui-même la responsabilité de son destin, il trouve au
vent l'empêche d'affronter fond du risque angoissant qu'il a accepté dans sa plénitude, en refusant de rien renier de lui-
l'angoisse, et dépassé
même, le goût et le sens de sa véritable destinée. C'est à travers l'angoisse qu'il peut « devenir ce
l'anxiété qui lui permet
qu'il est ». Et c'est peut-être là le sens profond du rapprochement que l'on a établi entre l'angois-
d'assurer lui-même la res-
ponsabilité de son destin, se et le « traumatisme de la naissance » : car c'est toujours sur le chemin d'une vie nouvelle que
il trouve au fond du l'homme rencontre l'angoisse en même temps que la liberté ».
risque angoissant qu'il a — Rapportons-nous maintenant au message que, dans son ultime méditation, nous
accepté dans sa plénitu-
a transmis Édouard PICHON 1. Pour lui, l'angoisse chez un être normal n'est qu'angois-
de, en refusant de rien
renier de lui-même, le
se devant la mort, angoisse métaphysique. Mais il s'agit là, non d'une « angoisse néan-
goût et le sens de sa véri- tale » comme le pensait HEIDEGGER, mais d'un malaise, d'un mal être devant l'impen-
table destinée…» J. sable. Notre pensée est si attachée à notre existence que le divorce qu'introduit l'idée
BOUTONIER.
de mort entre ces deux termes nous plonge dans un affreux vertige. Toutes les res-
sources de l'esprit d'Éd. PICHON, sa profonde et originale connaissance de la linguis-
tique et de la grammaire, ont brillé d'un vif éclat — le dernier, hélas — pour réfuter la
théorie existentialiste d'HEIDEGGER et de SARTRE qui voient dans l'angoisse l'intuition
…pour PICHON l'angoisse du néant. Le néant ne constitue aux yeux de PICHON qu'une vide et artificielle abstrac-
normale est éventuelle-
tion, puisque le langage nous montre « que les idiomes les plus affinés ne s'accommo-
ment une prise de
conscience du désarroi de
dent mieux de l'idée brute de négation... »
l'esprit… C'est dire que pour PICHON l'angoisse normale est éventuellement une prise de
conscience du désarroi de l'esprit. C'est ainsi qu'il décrit avec finesse et profondeur (p.
26) ce qu'il appelle l'angoisse mémorielle celle qui s'empare de nous quand nous por-
tons nos souvenirs « à leur degré le plus tendre » d'évocation. Nous le vivons alors
avec une telle intensité que l'émoi du passé se transforme en angoisse, celle qui « résul-
te du contraste entre la survie psychique du fait passé et son immédiate annulation en
tant que réalité objective présente ». L'angoisse provient de l'impuissance de l'esprit.
C'est, pourrions-nous dire pour résumer d'un mot la conception de Éd. PICHON, un ver-
424
ANXIÉTÉ MORBIDE
tige qui nous saisit quand nous nous penchons sur notre faiblesse.
Mais cette faiblesse de notre nature, ne se confond-elle pas avec la possibilité
sinon la puissance de notre liberté 1...?
*
* *
425
ÉTUDE N° 15
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
(Naturellement presque tous les ouvrages de FREUD se réfèrent à ce sujet. — Pour Martin
HEIDEGGER lire la traduction « Was ist Metaphysik » (par Corbin chez Gallimard), pour
KIERKEGAARD lire « Le concept d'angoisse » (traduction Bisseau, Alcan, 1935), enfin, la lecture
de l'Être et le Néant de SARTRE complétera la documentation philosophique contemporaine sur le
problème de l'angoisse humaine).
426
Étude n° 16
9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
§ I. – HISTORIQUE
Le 28 juin 1880, Jules COTARD lisait à la Société médico-psychologique un « Du délire hypochon-
driaque dans une forme
mémoire intitulé « Du délire hypochondriaque dans une forme grave de la mélancolie
grave de la mélancolie
anxieuse ». Ce mémoire contient une description merveilleusement concrète de cette anxieuse » J. COTARD,
forme de délire. Sous la plume d'un autre grand clinicien, Jules SÉGLAS, le « délire des 1880.
négations » s'est fixé en un tableau clinique classique que RÉGIS proposa d'appeler « le Jules SÉGLAS, le « délire
des négations » 1897.
syndrome de COTARD ». De telle sorte que ce fameux délire a trois parrains : COTARD,
REGIS: « Le syndrome de
SÉGLAS et RÉGIS. Si nous soulignons la chose c'est pour bien noter que ce chapitre de Cotard ».
psychopathologie a été exclusivement écrit en France.
Il faut se rapporter au premier article 1 de COTARD, à celui qu'il écrivit peu après
en 1882 2, à celui enfin qu'il publia, sous le titre « Le délire d'énormité » 3. Mais il y
a lieu d'attacher une importance à peu près égale au petit livre excellent, plein de faits,
d'observations et d'analyses claires et originales où J. SÉGLAS a livré peut-être le
meilleur de son « style 4 ».
427
ÉTUDE N° 16
…COTARD entendait Tout d'abord dans l'esprit de COTARD, il s'agissait de définir une maladie mentale
opposer les « négateurs » spécifique (1880) caractérisée par l'anxiété, les idées de damnation et de possession, la
aux « persécutés ».[…] propension au suicide, l'analgésie, les idées hypochondriaques, la non-existence ou la
Ce délire constitue « un
disparition de divers organes, du corps entier, de l'âme, de Dieu, etc... Il entendait
état de chronicité spécial
à certains mélancoliques opposer les « négateurs » aux « persécutés 1 ». Mais il décrivait ce « délire négatif sys-
intermittents dont la tématisé » (ainsi caractérisé par la dernière phase de son évolution) comme se ratta-
maladie est devenue chant « au groupe des « vésanies d'accès » ou « intermittentes » et à la « folie circu-
continue »…
laire ». Quand il parvient à l'état de chronicité qui le caractérise, ce délire constitue
« un état de chronicité spécial à certains mélancoliques intermittents dont la maladie
est devenue continue ».
…Pour SÉGLAS au La thèse qui est au contraire défendue par SÉGLAS est que les « idées de négation »
contraire, les idées de ou, si l'on veut, le « délire des négations » ne constitue nullement une maladie spécia-
négation ne sont à ses
le. Elles ne sont à ses yeux qu'un symptôme qui se rencontre « dans des formes très
yeux qu'un symptôme qui
se rencontre « dans des
variées d'aliénation mentale » (p. 221). Une opinion identique, à l'instigation même de
formes très variées d'alié- l'illustre aliéniste de la SALPÉTRIÈRE, fut soutenue de 1890 à 1900, par la plupart des
nation mentale »… auteurs qui se sont occupés de la question : thèse de JOURNIAC (1888), rapport de
CAMUSET (de Bonneval) au Congrès de 1892, article d'ARNAUD (1893) ou encore thèse
de CASTIN (1892) intitulée sans équivoque « Le Délire de COTARD n'est qu'un syndro-
me de COTARD »... A vrai dire COTARD avait lui-même observé qu'il existe des formes
« symptomatiques » de délire des négations notamment dans la « paralysie générale ».
…la tradition orale s'est Sans oublier tout à fait que depuis les premières études de BAILLARGER sur les
établie, spécialement en délires hypochondriaques de la paralysie générale, le clinicien observe fréquemment
France, de considérer
des « idées de négation » dans les accès de mélancolie, la tradition orale s'est établie,
presque comme syno-
nymes « syndrome de
spécialement en France, de considérer presque comme synonymes « syndrome de
Cotard » et « forme chro- COTARD » et « forme chronique de mélancolie ». Certes, il y a bien quelque chose de
nique de mélancolie »… juste dans cette manière de voir les choses, mais il y a aussi quelque chose d'excessif
1. Cf. le tableau synoptique où il oppose trait pour trait ces deux variétés de délire : Arch. de
Neuro., 1882, 4, pp. 295 et 290.
428
DÉLIRE DES NÉGATIONS
qui exigerait peut-être un retour à la conception plus souple et plus clinique de SÉGLAS.
…mais les délires de
pour le clinicien en effet le « Syndrome de COTARD », dans ses variétés les plus
négation se rencontrent et
typiques, entre dans la structure mélancolique chronique mais les délires de négation dans des formes
se rencontrent et dans des formes anxieuses aiguës de mélancolie et au cours d'autres anxieuses aiguës de
psychoses. C'est, disons-le par avance, cette position que nous adapterons et qui aide- mélancolie et au cours
d'autres psychoses…
ra à l'établissement de notre plan d'étude clinique.
La négation peut n'être d'abord que partielle, n'ayant qu'un objet déterminé. C'est
ainsi qu'elle peut être relative à la personnalité morale ou intellectuelle du malade, qui
se plaint de n'avoir plus de facultés, de pensée, de cœur, de sentiments. Elle peut inté-
resser sa constitution physique, comme lorsqu'il dit n'avoir plus d'estomac, de langue,
de cerveau, de testicules, de sang, de veines. D'autres fois, il nie sa personnalité socia-
le, son état-civil : il n'a plus de nom ; plus d'âge ; plus de parents. La négation peut
aussi porter sur le monde extérieur, choses ou personnes, qui sont détruites, mortes ou
ont perdu leurs qualités caractéristiques. Parfois même elle porte sur des abstractions.
Le plus souvent à cette période la négation est systématisée, universelle ; il n'est rien …il n'est rien que ces
que ces malades ne puissent nier. C'est ainsi qu'une de nos mélancoliques prétendait malades ne puissent
n'avoir plus de nom, ses parents n'étaient plus ses parents, tout le monde est mort, la nier…
terre ne produit plus rien, il n'y a plus personne sur terre, plus de blancs, plus de nègres,
plus d'Afrique, plus d'Amérique, plus d'étoiles, plus d'arbres, plus de printemps, plus
d'hiver, plus de saisons. Les arbres sont bien des arbres mais ils ne sont plus comme
avant : ils sont morts. Des jours? il n'y en a plus. Plus d'années, plus de siècles ; il n'y
a rien, il n'y a plus qu'elle qui existe. Certains malades vont même encore plus loin et
nient jusqu'à leur propre existence.
« Je ne suis plus comme tout le monde, disait une malade, je sens bien que tout
mon corps change. J'allonge, je me suis sentie grandir en une seule fois de quinze cen-
timètres, et cependant ma taille est la même et ma robe va toujours. Il est vrai que cer-
taines parties de mon corps sont rapetissées. Mon corps ne me fait plus la même
impression. J'ai senti ma tête changer dix fois de forme, je n'ai plus de cervelle. Il me
semble que ma tête et mes os sont en bois, je ne les sens pas comme avant. Je n'ai plus
de cœur : j'ai bien quelque chose qui bat à sa place, mais ce n'est pas mon cœur, cela
ne bat pas comme avant. Je n'ai plus d'estomac, je n'ai jamais la sensation d'avoir faim.
Quand je mange, je sens bien le goût des aliments, mais lorsqu'ils sont au gosier, je ne
sens plus rien, il me semble qu'ils tombent dans un trou. Autrefois, je sentais lorsqu'ils
descendaient dans l'estomac, s'ils étaient chauds ou froids. Je ne sens plus mes yeux
remuer, et pour les tourner, il faut que je tourne la tête. Autrefois, quand je pleurais, je
sentais mon cœur bondir, et cela me dégonflait, aujourd'hui je pleure sans rien ressen-
tir, je ne sais pas d'où ça vient » (p. 14 et 15).
« Signalons certaines formules qui se remarquent dans le langage tantôt monoto-
ne, tantôt pathétique de ces malades, les jurons, les blasphèmes dont ils émaillent sou-
429
ÉTUDE N° 16
…« quelquefois ils n'em- vent leurs lamentations. Il est à remarquer aussi que quelquefois ils n'emploient plus
ploient plus leur nom leur nom réel que lorsqu'ils parlent du présent, ils n'emploient plus le pronom je,
réel, ils n'emploient plus d'autre fois ils se servent du pronom il ou d'un pronom indéfini : cela (eux) n'existe
le pronom je, d'autre fois plus, cela est vide ou d'une périphrase comme le malade de LEURET qui se désignait
ils se servent du pronom il par « la personne de soi-même » (cf. Archives de Neurologie, 1862, tome IV, p. 155).
ou d'un pronom indéfini…
– Quel âge avez-vous? demandions-nous à une de ces malades.
ou d'une périphrase – Qu'en sais-je. Quand le monde s'est effondré je croyais avoir 52 ans.
comme le malade de – Quel est votre nom?
LEURET qui se désignait – Je me faisais appeler M... je n'ai plus de nom ; je ne veux pas que l'on me nomme
par « la personne de soi- celui de mes parents qui était honnête, je l'ai déshonoré.
même »…SÉGLAS. – Vous êtes mariée?
– Je vivais avec un homme nommé V... que j'appelais mon mari, qui ne pouvait pas
l'être (la malade est cependant mariée légitimement). Nous étions censés rester
ensemble 28 ans, jusqu'à la fin du monde.
– Avez-vous des enfants?
– J'avais un fils que je disais le fils à V... mais ce n'était pas mon fils.
– Quel est l'âge de votre fils?
– A ce moment (la fin du monde) il avait 25 ans ; il est mort comme tout le monde.
– Pourquoi semblez-vous aussi inquiète?
– Ah ! qu'elle est bête, qu'elle est bête, Coelina (elle-même) elle est damnée, elle
a tué tout le monde... Sacré mille milions de milliards de Dieu...
Telle est l'expression clinique la plus complète et la plus simple du délire. Nous
allons maintenant signaler quelques-uns des aspects psychologiques et cliniques les
plus remarquables que COTARD et SÉGLAS ont admirablement mis en lumière dans
leurs premières descriptions :
1° COTARD avait insisté sur l'oppositionnisme de ces malades dès le début de sa
description des « négateurs ». Après avoir rappelé la description de GRIESINGER sur la
« disposition négative » surtout marquée chez certaines mélancoliques, il poursuit 1 :
…Description de Cotard… « Je hasarde le nom de négation pour désigner l'état des malades chez lesquels la
position négative est portée au plus haut degré. Leur demande-t-on leur nom, ils n'ont
plus de nom. Leur âge? ils n'ont plus d'âge. Où sont-ils nés? ils ne sont pas nés. Qui
étaient leur père et leur mère? ils n'ont ni père, ni mère, ni femme, ni enfants. S'ils ont
mal à la tête, mal à l'estomac, mal en quelque point de leur corps? Leur montre-t-on
un objet quelconque, une fleur, une rose, ils répondent: ce n'est point une fleur, une
…« certains jours, dit rose ; chez quelques-uns la négation est universelle. Ces malades, ajoute COTARD, qui
GUISLAIN, ils sont d'une nient tout, s'opposent à ce qu'on veut leur faire faire, certains jours, dit GUISLAIN, ils
opposition dont on ne sont d'une opposition dont on ne peut se faire une idée... A cette folie d'opposition,
peut se faire une idée »... GUISLAIN rattache le mutisme, le refus d'aliments et cette singulière disposition de cer-
tains aliénés qui s'efforcent de retenir leurs urines ou leurs excréments. Mais il ne
signale pas le délire de négation dont la folie d'opposition n'est pour ainsi dire que le
côté normal »
2° Mais un caractère bien plus important est souligné d'emblée par COTARD, c'est
430
DÉLIRE DES NÉGATIONS
la teinte mélancolique. Il s'est d'ailleurs, dit-il, proposé « d'exposer une évolution déli- …« une caractéristique
rante spéciale qui paraît appartenir à un assez grand nombre de ces mélancoliques non bien plus importante:
persécutés, plus particulièrement aux anxieux, et reposer sur des dispositions négatives c'est la teinte mélanco-
très habituelles chez ces malades ». C'est donc d'une variété de délire mélancolique lique »… COTARD.
qu'il s'agit et pour lui, en effet, il y a deux versants délirants de la mélancolie : la
mélancolie avec idées de persécution et la mélancolie avec auto-accusation et indigni-
té. C'est à ce second versant qu'appartient le délire de négation dont COTARD retrace
ainsi l'évolution psychologique 1.
Examinons par quelle évolution délirante les mélancoliques, s'accusant eux-
mêmes, arrivent au délire des négations, résumons d'abord les principaux de leurs états
mentaux. Dans leur forme la plus atténuée, ces caractères sont ceux de la variété de
mélancolie signalée sous le nom : d'hypochondrie mentale par M. J. FALRET, qui l'a …L'hypochondrie menta-
décrite avec une exactitude minutieuse. Les mélancoliques, dits sans délire, sont en le de J. FALRET.
effet atteints d'un triste délire portant sur l'état de leurs facultés morales ou intellec-
tuelles, et présentent déjà une forme négative évidente. Ils ont honte, même horreur de
leur propre personne, et se désespèrent en songeant qu'ils ne pourront jamais retrouver
leur intelligence évanouie, leurs sentiments éteints, leur énergie disparue... ils préten-
dent qu'ils n'ont plus de cœur, plus d'affection pour leurs parents ou leurs amis, ni
même pour leurs enfants. Les idées de ruine apparaissent souvent, et semblent être un
délire négatif de même nature : en même temps que ces richesses morales et intellec-
tuelles, le malade croit avoir perdu sa forme matérielle, il n'a plus rien de ce qui fait
l'orgueil de l'homme, ni intelligence, ni énergie, ni fortune. C'est l'envers du délire des
grandeurs où les malades s'attribuent d'immenses richesses en même temps que tous
les talents et toutes les capacités. Cette hypochondrie morale repose sur le fond com-
mun de la mélancolie et sur un état d'anxiété vague et indéterminée, les malades sen-
tent que tout est changé en eux et au dehors et se désolent de ne plus apercevoir les
choses à travers le même prisme qu'autrefois (M. J. FALRET). Dans les cas légers, il
existe déjà comme un voile à travers lequel le malade ne perçoit plus la réalité que
d'une manière confuse, tout lui paraît transformé. A mesure que l'état maladif devient
plus intense, ce voile s'épaissit et, dans les cas de stupeur, finit par masquer entière-
ment le monde réel. Le malade est alors, comme le fait remarquer justement M.
BAILLARGER, dans un état voisin du rêve. Non seulement à ce point de vue, mais à tous
autres égards, il semble n'y avoir qu'une différence de degré entre ces états d'hypo-
chondrie morale et les affections mélancoliques avec idées de culpabilité, de ruine, de
damnation, et négation systématisées. L'hypochondrie morale est une ébauche dont il …L'hypochondrie morale
suffit d'accentuer les traits et de forcer les ombres pour achever le tableau de ces deux n'est qu'une ébauche[…]
dernières formes de mélancolie. Le dégoût de soi-même arrive au délire de culpabili- Le dégoût de soi-même
té et de damnation, les craintes deviennent des terreurs, la réalité extérieure transfor- arrive au délire de culpa-
mée et confusément perçue finit par être niée. Certaines négations se montrent même bilité et de damnation, les
de très bonne heure chez les hypochondriaques moraux : ils nient la possibilité de leur craintes deviennent des
guérison, d'un soulagement quelconque dans leur état de souffrance : c'est une des pre- terreurs…
mières négations de ces malades dont quelques-uns iront plus tard jusqu'à nier le
monde extérieur et leur propre existence.
431
ÉTUDE N° 16
…Un peu plus tard, 3° Un peu plus tard 1, COTARD se référait aux études de CHARCOT sur la « perte de
COTARD se référait aux
la vision mentale » (c'est-à-dire l'incapacité de « voir mentalement les objets absents »)
études de CHARCOT sur la
« perte de la vision men- chez les mélancoliques : « Des villes, des monuments, des paysages, des objets qui
tale » (c'est-à-dire l'inca- leur étaient familiers ne peuvent plus être évoqués. Les visages même de leurs parents
pacité de « voir mentale- et de leurs amis ne peuvent plus être rappelés à leur souvenir ». Naturellement, pour
ment les objets absents »)
se conformer au « sensationnisme » de son époque, COTARD fut amené à « considérer
chez les mélancoliques…
la négation systématisée comme un délire greffé sur le trouble psychosensoriel,
comme une interprétation maladive d'un phénomène sensible ».
Mais si COTARD s'est ainsi rapidement arrêté dans l'analyse du trouble, SÉGLAS a
pénétré plus profondément dans sa genèse psychologique en montrant que l'idée de
négation procède d'un travail de dépersonnalisation, de dissolution des fonctions syn-
thétiques qui assurent normalement la construction du corps comme celle du moi et
celle du monde extérieur. Citons ce long passage de l'illustre clinicien 3 :
…description de SÉGLAS…
« Cette difficulté de fixer l'attention, cet affaiblissement du pouvoir de synthèse
mentale est encore plus évident lorsqu'il cherche à faire lire le malade. Nous avons rap-
porté, à ce propos un certain nombre d'observations montrant que ces malades, même
lorsqu'ils n'ont pas d'amnésie verbale et qu'ils comprennent le sens des mots en détails,
ne comprennent que difficilement, parfois pas du tout, le sens des phrases. Ce n'est que
lorsqu'on leur a donné le sens général de la phrase, en un mot quand on a fait, pour
eux, cette même synthèse, qu'ils peuvent donner la signification de la phrase et la rete-
…affaiblissement du pou-
nir. Nous pensons même que c'est là, dans quelques cas, une cause du mutisme que
voir de synthèse mentale…
gardent parfois ces malades. On doit remarquer d'ailleurs que, plus l'on insiste, plus la
synthèse mentale devient difficile par suite de la fatigue rapide de l'attention volontai-
re. Un autre fait qui met encore en lumière le défaut de synthèse, c'est que les malades
qui ont un souvenir très net des faits antérieurs à leur maladie, ne se rappellent que
moins bien les événements suivants. Cette amnésie mélancolique, que la clinique révè-
le, n'a rien d'étonnant, car les synthèses mentales seules qui ont été nettes dans la
conscience, peuvent se conserver et se reproduire. On ne retient que ce que l'on consta-
te. Il existe donc chez le mélancolique des troubles de la mémoire. Sans doute, parfois,
il peut s'agir d'amnésies transitoires; comme dans ces cas rapportés par nous, où l'on
notait des symptômes de migraine ophtalmique accompagnée, mais parfois aussi les
images mentales étant conservées, il s'agit surtout pour les malades d'une impossibili-
té de les évoquer, comme dans les cas où ils semblent avoir, en lisant, de l'amnésie de
certains mots, qu'ils ne peuvent d'abord et n'arrivent à épeler que si on les prononce ou
si on les explique devant eux. La perte de la vision mentale, signalée par COTARD chez
ses négateurs, s'expliquerait de cette façon, par une impossibilité de grouper, en se les
identifiant, les images mentales, par une sorte de paralysie psychique aussi bien que
par une amnésie sensorielle à laquelle on est d'abord porté à l'attribuer. La lenteur de
l'idéation, la monotonie des idées, sont encore des phénomènes du même ordre, qui
dénotent la difficulté de synthèse mentale, la perte de cette activité mentale qui prési-
de aux opérations de la pensée.
432
DÉLIRE DES NÉGATIONS
433
ÉTUDE N° 16
données à cause du défaut de synthèse mentale, ne sont pas incorporées à la masse des
acquisitions antérieures qui constituent la personnalité, et ne produisent plus, d'autre
part, sur le modes malades, les mêmes modifications émotionnelles qu'auparavant ; ce
qui les amène à nier d'une façon ou d'une autre les caractères des objets mis en cause.
Un pas de plus et ce sera l'existence des objets extérieurs qu'ils nieront, comme ces
malades dont parle GRIESINGER, auxquels il paraît que le monde réel est complètement
évanoui ou mort, et qu'il ne reste plus qu'un monde imaginaire où ils sont anxieux de
se trouver. Mais sous un aspect différent de la formule négative, n'est-ce pas toujours
au fond le même processus psycho-pathologique puisant son origine dans une modifi-
cation des conditions premières de la personnalité.»
L'analyse de SÉGLAS met donc en évidence le caractère déficitaire de la « synthè-
se psychique » comme fondement de ce que nous appellerions actuellement l'expé-
rience délirante de négation. Le délire de négation paraît donc résulter à ses yeux et
comme l'a indiqué fort bien et plus récemment A. TOBINO (1940), de l'impossibilité de
former les concepts, c'est-à-dire d'accéder à cette forme de jugement de réalité qui se
confond avec la rationalité du monde objectif et avec l'existence des sujets.
4° COTARD avait observé « qu'il n'est pas rare, toutefois dans les états de chronici-
té avancée, que le délire de négation survive 1 en quelque sorte aux troubles généraux
du début et que les malades, comme celle de LEURET, ne présentent plus rien ni dépres-
…SÉGLAS à son tour a sion, ni agitation anxieuse ». SÉGLAS à son tour a noté que le délire de négation est
noté que le délire de chronologiquement secondaire à l'état de mélancolie : « Le délire, écrit-il (p. 22), n'est
négation est chronologi-
que le contre coup des atteintes portées par le malade dans le domaine des émotions et
quement secondaire à
l'état de mélancolie… de la volonté... Il ne se présente que lorsque la maladie une fois constituée a déjà passé
par la période de début et qu'il n'est d'un autre côté, comme déjà l'avait très bien dit
GRIESINGER, qu'une tentative d'explication de la part du malade de l'état d'anéantisse-
ment profond et de douleur qui le domine ». Citons encore cette phrase fulgurante (p.
23) : « la conscience du mélancolique ne contient plus que l'idée-douleur, selon un mot
de SCHULE ». Ainsi le délire de négation s'est présenté à ces deux grands cliniciens
pour ce qu'il est, c'est-à-dire une forme, pour ainsi dire, cicatricielle et chronique,
caractères qui témoignent de sa « typicité », de sa « pureté ».
5° L'association au thème de négation de thèmes connexes a fait également l'objet
d'analyses des deux auteurs. COTARD, dans son premier mémoire (1880), signalait
diverses observations d'hypochondriaques publiées par ESQUIROL, PETIT, MOREL, etc.
…COTARD, 1880: un cas
des thèmes fréquemment intriqués, comme dans l'observation qui a fait l'objet de sa
« d'hypochondrie, de
démonopathie, de damna- première communication d'un cas « d'hypochondrie, de démonopathie, de damnation
tion et d'immortalité »… et d'immortalité ». Voici ce qu'il a écrit à ce sujet 2 :
« Chez tous ces malades, le délire hypochondriaque présente les plus grandes ana-
logies ; ils n'ont plus de cerveau, plus d'estomac, plus de cœur, plus de sang, plus
434
DÉLIRE DES NÉGATIONS
d'âme, quelquefois même ils n'ont plus de corps. Chez les persécutés les organes sont
attaqués... Chez les damnés l'œuvre de destruction est accomplie, les organes n'exis-
tent plus, le corps entier est réduit à une apparence, un simulacre : les réactions méta-
physiques sont fréquentes alors qu'elles sont rares chez les persécutés grands ontolo-
giques. Aux idées hypochondriaques se joint très fréquemment l'idée d'immortalité. Il
est remarquable que tous les malades chez lesquels j'ai trouvé mentionné le délire
hypochondriaque avec l'idée d'immortalité, étaient dominés par des idées de damna-
tion, de possession diabolique...».
Dans sa communication de 1880 sur le délire d'énormité il s'exprimait ainsi 1 : …COTARD: sa communi-
cation de 1880 sur le déli-
« Il y a quelques années j'ai essayé de démontrer que les idées d'immortalité des re d'énormité…
anxieux chroniques se rattachent aux dispositions négatives qu'on observe ordinaire-
ment chez ces malades. Mais il y a d'autres conceptions morbides qui accompagnent
fréquemment les idées d'immortalité et qui me paraissent congénères. Si l'on examine
avec un peu d'attention ces immortels on s'aperçoit que quelques-uns d'entre eux ne …« ne sont pas seulement
sont pas seulement infinis dans le temps mais qu'ils le sont encore dans l'espace. Ils infinis dans le temps mais
sont immenses, leur taille est gigantesque, leur tête va toucher aux étoiles. Une démo- qu'ils le sont encore dans
nopathe immortelle s'imagine que sa tête a pris des proportions tellement mons- l'espace »…
trueuses qu'elle franchit les murs de l'église. Quelquefois le corps n'a plus de limites,
il s'étend à l'infini et fusionne avec l'univers. Ces malades qui n'étaient rien, arrivent à
être tout. Ils sont des millions, des milliards dans l'énorme et le surhumain. Dans leur
exagération et leur énormité les conceptions gardent leurs caractères de monstuosité et
d'horreur. Bien loin que cette énormité soit une compensation au délire mélancolique,
elle en marque, au contraire, le degré le plus excessif. Ils sont lamentables, gémisseurs
et désespérés. Il faudrait être un psychologue bien naïf pour ne pas deviner que là
même, l'amour-propre finit par trouver son compte. Le symbolisme du langage, les
idées d'énormité, le sentiment d'une jouissance malfaisante, il est vrai, mais inhumai-
ne s'accordent mal avec une véritable humilité. On arriverait presque à affirmer à prio-
ri avant que l'observation clinique nous y ait autorisés, que de véritables idées de gran-
deur doivent à la fin se développer sur ce terrain.
5° Enfin, COTARD et SÉGLAS ont insisté sur un certain nombre de symptômes asso- …Il y des symptomes
associés…
ciés, l'analgésie et autres troubles de la sensibilité 2, des hallucinations 3 (SÉGLAS), le
mutisme 4 et enfin les impulsions au suicide et à l'auto-mutilation 5.
435
ÉTUDE N° 16
436
DÉLIRE DES NÉGATIONS
ce à n'être que cette souffrance vide. Le « délire » est vécu dans une série de présen-
tations thématiques paradoxales et contradictoires, dont la pensée du rêve peut nous
faire saisir, par la déréalité et la confusion même des images qui le composent, que leur
« facticité » est déjà une forme d'anéantissement. Pour si pleine que soit cette
conscience confuso-onirique elle « vit » cette « déréalisation » et la pente naturelle du
délire qui l'exprime, est celui d'un amoindrissement de l'être : le thème cauchemar-
desque lie le « tout » au « rien », dégrade tout jusqu'à « ne rien être ». Tout est catas-
trophe. « Il n'y a plus de corps, il est dévoré, comme happé par l'infini, il est tout à la
fois éternel et voué à une mort effroyable. Il n'y a plus rien, mais ce rien est encore un
monde, celui du mal. Le sujet lui-même n'existe pas mais il est mêlé aux autres, au
démon, etc... »
D'autres fois, au contraire, le niveau du complexe délirant est plus élevé, plus
conceptualisé. Il se détache du plan des expériences délirantes que nous venons d'en- …parfois le délire subit
alors une sorte de subli-
visager. Le délire subit alors une sorte de sublimation intellectuelle. L'anxiété existe à
mation intellectuelle […]
peine, plus idéique que profondément émotionnelle, comme l'ont souligné COTARD et dépouillée d'anxiété…
SÉGLAS. Parfois même le délire est si loin de ses déterminations affectives angoissantes
que le « négateur » est presque euphorique, jovial, humoristique et même exception-
nellement maniaque 1. Sans insister davantage sur ce point qui mériterait pourtant une
étude spéciale, notons simplement que dans ces cas, le délire de négation se trouve
dépouillé d'anxiété. Il est devenu purement idéologique, équivalent à une pure « atti-
tude de négation » qui s'exprime en concepts plus ou moins riches. Tantôt son expres-
Tantôt son expression est
sion est monotone, stéréotypée, sommairement verbale. « Plus rien n'existe, je suis
monotone…
morte, je ne mourrai jamais, il n'y a plus d'estomac, je n'ai plus de derrière, jamais je
ne pourrai mourir, disait presque plaisamment une malade qui a été pendant longtemps …tantôt plus imaginati-
un des « joyaux » de la clinique de CLAUDE à Ste-Anne. Tantôt son expression est plus ve…
…ils touchent parfois
imaginative et pittoresque et le thème des négations prend des proportions grandioses
même à une sorte de rêve-
et apocalyptiques. Les sujets trouvent alors des accents lyriques et étrangement poé- rie métaphysique…une
tiques pour exprimer la dévastation universelle et leur effroyable solitude; ils touchent dialectique du pur néant,
parfois même à une sorte de rêverie métaphysique où l'idéalisme, le solipsisme pren- de la solitude immense et
infinie d'un être réduit à
nent un accent particulièrement poignant, celui d'une philosophie et d'une dialectique
n'être qu'un rien au centre
du pur néant, de la solitude immense et infinie d'un être réduit à n'être qu'un rien au du vide...
centre du vide...
Enfin comme l'ont signalé MALLET et BERLIOZ, le complexe de négation peut pré- …Enfin, le complexe de
négation peut présenter
senter une structure plus obsessionnelle que délirante, c'est-à-dire se présenter comme
une structure plus obses-
une ébauche de représentations vertigineuses et incoercibles contre lesquelles le sujet sionnelle que délirante…
lutte. Dans les observations de MALET il s'agit d'ailleurs plutôt d'obsession de déper-
1. Comme dans la fameuse observation de SÉGLAS et CODET (1920), nous avons pu observer trois
ou quatre cas de ce genre.
437
ÉTUDE N° 16
…La malade qu'il présen- sonnalisation que de négation. La malade qu'il présenta en mai 1933 (et que nous
ta en mai 1933 (et que crûmes guérir pendant quelques jours, peu de temps après, par une injection de mesca
nous crûmes guérir pen-
line) est connue de tous les psychiatres parisiens qui n'ont pu que constater la vanité
dant quelques jours […] )
est connue de tous les de leurs efforts devant cette « obsession » inébranlable. Albert CRÉMIEUX et J. CAIN 1
psychiatres parisiens… ont récemment publié une observation de négation qui s'inscrit dans le registre névro-
tique de l'obsession : comme si elle avait pressenti la profonde liaison du thème de la
« fin du monde » et des sentiments d'irréalité, leur malade présenta une angoisse à
thème d'artifice, d'étrangeté et de déréalisation après avoir éprouvé à l'âge de 15 ans
un choc émotionnel intense à l'annonce « prophétique » qu'à une date précise « il y
aurait une pluie de grenouilles et de serpents et que ce serait la fin du monde ». Ce fut
à partir du jour où l'Apocalypse prévue ne se produisit pas, qu'un « état psychasthé-
nique s'installa ». Des cas de ce genre sont assez fréquents et généralement absorbés
par l'étude et l'observation des sentiments de dépersonnalisation chez ces malades aux
confins des névroses 2 et des formes mineures de schizophrénie.
1° Formes mélancoliques.
C'est, nous l'avons vu, dans le cadre de la mélancolie que COTARD décrivit les
« idées de négation ». Il considérait ce « délire des négations » comme un état de chro-
nicité spécial à certaines formes hypochondriaques de mélancolie, fait, depuis lors, lar-
gement confirmé par la clinique de tous les jours. Cet état spécial se constitue rarement
… C'est le plus souvent au cours du premier accès. C'est le plus souvent après une ou plusieurs crises qu'on le
après une ou plusieurs voit apparaître et s'installer. SÉGLAS distingue à cet égard plusieurs éventualités.
crises [mélancolique]
D'abord ce qu'il appelle des cas frustes où manquent certains thèmes délirants (dam-
qu'on voit apparaître et
s'installer [le délire de nation, possession, etc.). Ensuite des cas à évolution rapide mais régulière, soit conti-
négation]… nue, soit intermittente, avec symptomatologie complète. Un troisième groupe de cas
était caractérisé, selon lui, par une évolution analogue à la précédente mais à sympto-
matologie fruste. Il admettait encore des cas à évolution irrégulière et des idées de
négation épisodiques au cours de la mélancolie.
Nous décrirons successivement les délires de négation des crises de mélancolie
1. Albert CRÉMIEUX et J. CAIN, Début apparent par choc émotionnel et angoisse de la fin du
monde, Ann. Médico-Psycho., 1948, II, pp. 76 à 80.
2. Nous avons observé une jeune malade qui présentait un syndrome de dépersonnalisation et de
négation à structure nettement hystérique. Elle a été guérie par quelques séances d'électro-chocs.
Sa mère internée en même temps qu'elle-même, car elles avaient toutes deux des idées de suici-
de, était une mélancolique hypochondriaque qui fut guérie par la même thérapeutique.
438
DÉLIRE DES NÉGATIONS
survenant et évoluant sur un fond d'anxiété plus ou moins chronique et les délires de
négation postmélancoliques. Les idées de négation des mélancoliques se présentent,
en effet, dans deux conditions assez différentes. Tantôt elles s'observent au cours d'une
mélancolie aiguë et disparaissent avec elle. Tantôt elles témoignent d'une organisation
plus durable de la conscience mélancolique.
Ajoutons encore une note clinique qui nous paraît justifiée par la pratique : les …les étas mixtes consti-
états mixtes avec intrication d'un certain tonus psychique et de l'anxiété constituent un tuent un terrain de prédi-
lection…
terrain d'élection pour le développement de ses formes les plus typiques.
2° LES DÉLIRES DE NÉGATION POST-MÉLANCOLIQUES :
Ce sont des délires qui, plus ou moins voisins de la construction thématique du …survivance purement
conceptuelle paraphré-
délire mélancolique, en constituent une survivance purement conceptuelle ou imagi-
nique ou paranoïaque…
native. Nous en décrirons deux formes principales : l'une paraphrénique, l'autre systé-
matique ou paranoïaque.
439
ÉTUDE N° 16
1. Ceci, nous ne l'ignorons pas, ne peut avoir de sens que pour ceux qui, avec nous, définissent
la « paraphrénie » comme un mode de reconstruction délirante fantastique qui survit au boule-
versement des expériences délirantes primaires.
2. LEROY, Délire de négation systématisé. Trente ans d'observation. Soc. Médico-Ment., 1920.
3. PORCHER, Délire hypochondriaque avec idées de préjudice et de persécution aboutissant à un
délire de négation, Soc. clin. Médico-Ment., 1920, 71.
4. SÉGLAS, pp. 160 à 183.
440
DÉLIRE DES NÉGATIONS
déclarait : « Comment voulez-vous que je meure? Est-ce qu'une charogne meurt, une
pourriture? La santé? Mais comment voulez-vous qu'un syphilitique issu de parents
idiots, criminels, qu'une masturbation invétérée a décharné, qu'un rachitique soit en
bonne santé ? Mes organes ? Mais vous êtes fou, je n'en ai pas. Mon thorax c'est un
thorax de grillon, un thorax de fille de putain qui ne se sent même pas mourir... »
Comme dans beaucoup de délires de persécution « secondaires » à la mélancolie
(notion ancienne, classique et pleinement justifiée), on trouve à la base et parfois au
début de ces délires des accès de dépression mélancolique qui ont orienté une concep-
tion pessimiste et néantisante du monde, de la personne et des relations sociales.
Ainsi selon cette classification qui nous paraît serrer les faits de près, les rapports
de la mélancolie et des délires de négation ne sont pas aussi simples qu'on se les figu-
re. Ils ne sont pas non plus aussi exclusifs qu'on ne l'imagine parfois, en oubliant les
travaux de COTARD et de SÉGLAS. C'est ce que nous allons examiner en faisant un bref
inventaire de ces diverses formes cliniques où le délire de négation est sans lien avec
la mélancolie.
1° FORMES CONFUSO-DÉMENTIELLES. SÉGLAS 1 avait signalé qu'au cours des états …au cours des états
confusionnels des délires
confusionnels des délires fébriles toxi-infectieux des idées délirantes de négation peu-
fébriles toxi-infectieux…
vent s'observer. Il rappelait que BAILLARGER avait décrit cette variété de délire hypo-
chondriaque au cours d'une fièvre typhoïde. Depuis lors un certain nombre d'observa-
tions ont été publiées. DUPOUY 2 a rapporté un cas de délire de négation en cours de
l'encéphalite épidémique. Naturellement les anciens auteurs se sont occupés de cette
forme délirante dans l'épilepsie. On trouvera des indications précieuses à cet égard
dans des travaux, vieux de cinquante ans, ceux notamment de MONDRIE 3 et
d'AUJALEU 4.
Mais c'est surtout dans la paralysie générale que le délire de négation a été étudié. …c'est surtout dans la
paralysie générale que le
Il avait été signalé pour la première fois par BAILLARGER (1857). VOISIN et
délire de négation a été
BURLUREAUX (1880) ont décrit ensuite quatre formes de délires hypochondriaques des étudié…
paralytiques : délire d'obstruction et de négation des organes – négation de l'existence
et de la personnalité – délire de petitesse – délire d'exagération ou emploi de nombres
ou expressions insensées pour exprimer les idées dépressives. Depuis lors, la thèse
d'HENRY (1896) a mis au point cette variété du délire paralytique.
Mais un nouveau et intéressant chapitre a été écrit par les auteurs qui ont étudié les
441
ÉTUDE N° 16
…par MINKOWSKI une délires des paralytiques généraux impaludés (VERMEYLEN LEROY et MEDAKOVITCH,
magnifique observation etc.). On trouvera dans un travail de MINKOWSKI 1 une magnifique observation du déli-
du délire de négation chez re de négation chez un paralysé général dont la malaria ne put enrayer l'évolution
un paralysé général…
démentielle.
Les états démentiels peuvent donc s'exprimer cliniquement par le thème de néga-
tion. C'était le cas notamment de l'observation de CUEL 2 où il paraissait s'agir d'une
forme de démence autre que la méningo-encé-phalite spécifique. C'est ainsi que dans
la sénilité et la pré-sénilité ces délires se voient assez souvent. C'est même une notion
classique que leur apparition à un âge avancé dans l'immense majorité des cas.
SCHWAB KRAFFT-EBING, KRAEPELIN, SÉGLAS, CAMUSET les ont signalés dans les
démences séniles. Dans un premier cas, dit SÉGLAS, elles sont directement liées à la
sénilité et elles se montrent alors dans la démence à la suite d'un ictus apoplectique,
dans les amnésies, au cours des délires séniles. Dans un deuxième groupe de faits, il
s'agit de psychoses tardives et non plus séniles et c'est le plus souvent dans les mélan-
colies pré-séniles que l'on voit ces délires se développer ; BARBÉ a consacré à ce sujet,
il y a longtemps, un court travail 3.
C. – PRONOSTIC
Le mauvais pronostic de ces délires a été affirmé par COTARD quand il a écrit: « On
peut dire que le délire des négations est un état de chronicité spécial à certains mélan-
coliques intermittents dont la maladie est devenue continue ». Cependant il avait eu
442
DÉLIRE DES NÉGATIONS
FURSAC et CAPGRAS (1912), TISSOT (1921) en ont rapporté des observations. Celle de
TISSOT, par exemple, concerne un officier de quarante-deux ans qui fut plongé pendant …mais au cours de ces
deux ans (1911-1913) dans une mélancolie avec délire de négation, mais guérit et com- dernières vingt ou trente
années, les idées sur les
battit honorablement sur le front de 1917 à 1918. La discussion qui a suivi la commu-
pronostics du « syndrome
nication de MIGNOT et LACASSAGNE (1937) montre que, au cours de ces dernières vingt de Cotard » se sont beau-
ou trente années, les idées sur les pronostics du « syndrome de COTARD » se sont beau- coup modifiées…
coup modifiées. En fait la réponse à cette importante question pratique dépend de la …c'est dans la « mégalo-
manie de négation » que
question de savoir à quelle structure, dont le complexe délirant n'est qu'une partie, on
le syndrome de Cotard
a affaire. Ce n'est que lorsqu'il y a conceptualisation, détachement du fond affectif et prend à la fois sa forme la
à plus forte raison véritable « mégalomanie de négation » que le syndrome de COTARD plus majestueuse et la
prend à la fois sa forme la plus majestueuse et la plus fixe, nous semble-t-il. plus fixe…
On ne confondra avec une telle organisation délirante les idées de négation qui
peuvent s'observer à titre épisodique non seulement dans les crises de mélancolie aiguë
mais au cours d'autres psychoses comme nous l'avons noté. Quand le délire de néga-
tion est solidaire d'une forme traînante ou chronique de mélancolie, son pronostic
dépend de la forme mélancolique qu'il exprime. Et s'il est vrai qu'il s'agit souvent dans
ces cas d'un habitus mélancolique solidement organisé sinon irréversible, on peut aussi
voir ces formes chroniques s'amender et rétrocéder. Quant aux délires de négation
symptomatiques d'autres psychoses, elles n'ont aucun caractère pronostique particuliè-
rement valable.
443
ÉTUDE N° 16
444
DÉLIRE DES NÉGATIONS
Par suite des modifications survenues dans le fonctionnement des appareils orga-
niques dans la mélancolie, et que nous avons signalées plus haut, on comprend aisé-
ment combien de sensations diverses et nouvelles doivent venir modifier le complexus
habituel cénesthésique. De plus, par suite de l'état particulier des centres nerveux qui,
eux aussi, participent à la souffrance générale de tout l'organisme, c'est surtout dans
leur élaboration cérébrale que les diverses sensations se transforment et s'altèrent,. Les
images antérieures, ainsi que le dit COTARD, modifiées, déformées ou oblitérées par
suite d'un état maladif des régions correspondantes de l'écorce cérébrale, ne sont plus
adéquates à leurs excitants normaux, et les impressions, même régulièrement trans-
mises, ne produisent plus que des sensations alarmantes par leur étrangeté. Comme
tout état nouveau doit l'être, l'affaiblissement général de l'organisme du mélancolique
est perçu par la conscience. L'état cénesthésique normal du bien-être perçu par le
consensus harmonique des sensations organiques, fait place, l'équilibre une fois
rompu, à un nouvel état cénesthésique pénible : état général de maladie le plus souvent
et parfois avec quelques localisations plus précises. L'effet d'un organe faible ou mala-
de dérange le ton psychique et se traduit dans le cerveau par une irritabilité excessive,
ou une disposition à l'émotion, en résumé, par un état de malaise psychique
(MAUDSLEY). C'est la source d'une série de raisonnements inconscients aboutissant, en
dernier terme, à un jugement confus mais défavorable sur la constitution physique et
psychique dont le ton semble abaissé au malade. »
Il est facile de reconnaître dans cette conception l'idée qu'on se faisait et que l'on
n'a guère cessé de se faire généralement de la « cénesthésie » et de ses troubles. Dans
quelle mesure une pareille hypothèse est compatible avec l'analyse (que nous devons
à SÉGLAS lui-même) des troubles de la « synthèse psychique », l'illustre clinicien ne se
l'est pas demandé tout au moins dans son livre de 1897. Quoi qu'il en soit, presqu'à
chaque fois qu'ils ont discuté de la pathogénie du « syndrome de COTARD », la plupart
des auteurs se sont ralliés à cette théorie.
On la considère en effet assez généralement comme suffisamment démontrée par le …on considère [la théorie
fait que des affections cérébrales comme l'encéphalite épidémique ou la syphilis altèrent de la cénesthésie] comme
suffisamment démontrée
les voies ou centres de la sensibilité. Ainsi DUPOUY, SCHIFF et Mme REQUIN 1 ont pu esti-
par le fait que des affec-
mer dans leurs cas que les « cénesthopathies » sont responsables du délire. Naturellement, tions cérébrales comme
lorsqu'il s'agit de tabès, les choses paraissent encore plus simples. Le cas présenté par l'encéphalite épidémique
PÉRON 2 paraissait se prêter admirablement à une interprétation de ce genre ; mais le fait ou la syphilis altèrent les
voies ou centres de la sen-
qu'il s'agissait d'une paralysie générale rend plus conjecturale son interprétation 3, puis-
sibilité…
qu'il laisse supposer un trouble beaucoup plus général de la structure psychique.
DENY et CAMUS 4, ne se rangeant pas à l'opinion exprimée par RÉGIS 5 qui admet-
445
ÉTUDE N° 16
tait une anesthésie viscérale, pensaient que l'on peut expliquer la psychose par une
« insuffisance fonctionnelle », une inhibition de la région de l'écorce où sont fixées et
enregistrées les images des sensations organiques c'est-à-dire des « centres cénesthé-
siques ». Ils émirent l'opinion que si leur première malade (qui présentait un délire de
« négation corporelle ») avait la conviction inébranlable de ne plus avoir de corps mal-
gré la conservation de sa lucidité, de son orientation de ses facultés logiques, et c'est
parce qu'elle avait perdu la faculté d'évoquer, de se représenter ses formes corporelles
« par suite de l'inhibition de ses centres cénesthésiques ». Ils expliquèrent cet étrange
trouble, cette disparition de l'image du corps « par un trouble cortical a-ou hypo- de la
cénesthésie, une hypo- ou une afonction de la « somatopsyché » des auteurs alle-
mands ». Ainsi, comme le souligne HECAEN 1, ces auteurs admettaient la théorie de
WERNICKE, STORCH et FOERSTER 2 sur la disparition des sensations musculaires norma-
lement associées aux sensations périphériques. Mais pour BONNIER 3 ce qui serait perdu
ce serait non point ces sensations proprioceptives mais la capacité gnosique de « la figu-
ration spatiale », la « définition topographique ». Il nous paraît évident que le type d'ex-
…le « progrès » introduit plication n'est pas très différent dans les deux cas. Et le « progrès » introduit par la
par la notion de « schéma notion de « schéma corporel » ne nous paraît pas avoir constitué une révolution mais
corporel » ne nous paraît
une formulation nouvelle d'une explication, somme toute, traditionnelle. Quelque grand
pas avoir constitué une
révolution mais une for- que soit le mépris qu'affectent les auteurs qui parlent constamment de « schéma corpo-
mulation nouvelle d'une rel » à l'égard de la « vieille théorie de la cénesthésie » ils ne font, nous semble-t-il, que
explication, somme toute, la reprendre à leur compte. On sait comment EHRENWALD 4 a tenté d'expliquer le délire
traditionnelle…
de dépossession par des phénomènes de « dépersonnalisation segmentaire ». VAN
BOGAERT 5 a cru pouvoir accepter cette idée d'une dépersonnalisation « segmentaire »
(c'est-à-dire d'une absence de dépersonnalisation) et entrevoir la possibilité de « pas-
ser » de celle-ci à l'atteinte totale de la personnalité. Extrapolation qui se heurte au fait
que le trouble partiel de la somatognosie qui est impliquée dans le concept « troubles
du schéma corporel », justement parce qu'ils sont partiels, se situe à un niveau inférieur,
celui d'une structure « segmentaire » que n'a pas le « délire de négation ».
446
DÉLIRE DES NÉGATIONS
LHERMITTE 1 sans insister sur le problème qui nous occupe, a cependant à propos
de « l'asomatognosie totale » (chapitre IX) adopté les idées de BONNIER, DENY et
CAMUS, etc. Le sujet voit son corps et ne le reconnaît pas et cela constitue un trouble
de l'identification, une sorte d'asymbolie, une agnosie. Il semblerait donc qu'au terme
de ses analyses si approfondies, LHERMITTE se soit laissé entraîner à admettre que le
délire ne constitue pas une modification globale de la conscience, mais une perturba-
tion de ses infra-structures psycho-sensorielles.
Nous retrouvons là l'idée qui se révèle comme le centre même de toute théorie …[dans le mécanicisme],
mécaniciste du « Délire de négation ». Il n'y a pas délire puisque le « délire » ne fait il n'y a pas délire puisque
qu'exprimer la réalité d'un trouble perceptif. le « délire » ne fait qu'ex-
primer la réalité d'un
Ceci est encore évident dans le travail d'HECAEN 2. Malgré la prudence avec laquel-
trouble perceptif…
le il paraît s'engager sur cette voie (p. 93), il n'en conclut pas moins que « si tous les
syndromes de négation ne sont pas dus à une lésion pariétale ou même à une altération
dynamique de cette région, lésion organique d'une part 3 et conflit instinctif d'autre
part 4, peuvent aboutir à des tableaux cliniques très proches ; les uns ne constituent pas
un trouble isolé du reste de la personnalité et les autres une attitude générale de com-
portement. » Autrement dit, si nous comprenons bien ces formules enveloppées, le
« délire de négation » peut ressortir « aussi bien » à une « lésion pariétale » qu'à un …On se demande surtout
comment il est possible de
« conflit affectif ». On se demande véritablement même en appelant SCHILDER à son
ne voir qu'une « différen-
secours comment on peut, en énonçant la dualité de ce mécanisme, prétendre l'envisa- ce de degré » entre un
ger dans son unité. On se demande surtout comment il est possible de ne voir qu'une trouble asomatognosique
« différence de degré » entre un trouble asomatognosique segmentaire et un délire de segmentaire et un délire
de négation…
négation ou de dépersonnalisation?
Ainsi toutes ces théories, malgré le mérite conjectural d'un « progrès » qu'elles
aiment à s'attribuer, se confondent avec la théorie sensationniste de la cénesthésie dans
la même affirmation : le délire des négations dépend d'un trouble basal de la perception.
Et tous les auteurs dont nous venons de rappeler les opinions défendent la thèse méca-
niciste par excellence : le trouble inférieur basal et partiel engendre le trouble supérieur
et global. Reste cependant à réduire cette contradiction : comment une perturbation
réelle du substratum perceptif engendre cet imaginaire qu'est le délire de négation?
2° THÉORIES PSYCHOGÉNISTES. Nous ne connaissons pas d'études particulières des
psychanalystes sur le « délire de négation 5 ». C'est donc à partir des travaux de FREUD,
447
ÉTUDE N° 16
…Nous ne connaissons ABRAHAM, H. DEUTSCH, M. KLEIN, A. GARMA etc., sur la mélancolie et l'angoisse que
pas d'étude particulière nous pouvons esquisser et en quelque sorte avancer une théorie psychanalytique de la
des psychanalystes sur le
« négation ». Tout d'abord le monde des objets suppose que, parvenue au stade géni-
« délire de négation »…
tal la libido l'investit de valeurs de réalité où se projette l'épanouissement de l'instinct
dégagé de soi, sorti de soi, c'est-à-dire ayant dépassé la phase proprement narcissique
de l'évolution. C'est cette projection objectale qui assure le « surgissement », la « réa-
lité » du monde, c'est aussi elle qui assure la réalité du corps et un certain attachement
commun à ce monde et à ce corps. Il suffit de lire les écrits de FREUD et particulière-
ment son étude sur l'identification, le moi et l'idéal du moi, pour comprendre que l'ob-
jectivité est liée à l'objectivation des pulsions instinctuelles comme si l'être prolongeait
le désir, et comme si le monde jaillissait de sa représentation 2. Or la mélancolie est
caractérisée par un reflux, un refus de l'existence, une destruction de ce mouvement
qui nous attache à la réalité comme à un « objet aimé ». La perte de l'objet aimé qui
caractérise pour l'École psychanalytique l'angoisse de la mélancolie et l'apparente au
deuil, cette perte vide le monde de son sens, lui retire sa réalité, l'anéantit. Une telle
destruction du monde objectif va de pair avec l'agressivité dirigée contre soi, contre le
corps châtié, que le mélancolique refuse de nourrir et qui, devenu objet de honte et de
…L'acharnement du sur- dégoût, perd son existence, son activité, sa chaleur et sa durée. L'acharnement du sur-
moi qui demeure « seul moi qui demeure « seul existant » dans le désastre comme pour mieux poursuivre son
existant » dans le désastre
œuvre d'anéantissement, dévore, insatiable, toute apparence de réalité et consume jus-
comme pour mieux pour-
suivre son œuvre d'anéan- qu'à ne plus laisser de cendres, les restes d'un monde aboli, et d'un cadavre qui n'est
tissement, dévore, insa- même plus rien... Cette dialectique freudienne de la « Destrudo » pourrait être indéfi-
tiable, toute apparence de niment allongée et approfondie. Il nous suffit ici d'en retrouver, par notre propre intui-
réalité et consume jusqu'à
tion et pour notre propre compte, le mouvement afin d'en apprécier tout à la fois la
ne plus laisser de
cendres, les restes d'un valeur et l'insuffisance : la valeur en ceci que contrairement aux théories mécanicistes
monde aboli… qui réduisent le délire de négation à un accident de la sensibilité et sont par conséquent
incapables de nous rendre compte de sa signification dramatique, elle nous restitue le
contenu significatif du « vécu » de ces délires – l'insuffisance en ceci que le reflux de
l'instinct retourné contre lui-même, cette inversion de l'être dans le néant, reste aux
yeux des psychanalystes, inconditionnée et que, dans ce problème particulier, comme
dans tous les autres que nous avons déjà examinés ou examinerons, la force de l'ins-
tinct, qu'elle s'appelle libido ou destrudo, pour autant qu'elle anime l'organisation de
notre existence, est incapable de nous expliquer sa désorganisation.
448
DÉLIRE DES NÉGATIONS
DYNAMISTE :
A vrai dire aucun des auteurs représentatifs, à nos yeux, de ces tendances doctri-
nales n'a présenté de théorie complète du délire de négation. Signalons cependant que
certaines analyses de SÉGLAS et surtout certains aperçus ou approfondissements de Ch.
BLONDEL en constituent des approximations importantes. Nous nous bornerons donc à
esquisser ici un simple schéma.
Le délire de négation représente une altération de la réalité objective et subjective
vécue par la conscience du malade comme un anéantissement diffus sinon global de la
réalité et observée par les psychiatres comme une dissolution de la construction du
monde en tant que relation de l'être à ce qui est. En un certain sens, le délire de néga- …En un certain sens, le
tion qui dénie la réalité à ce qui est, est le contraire de l'activité hallucinatoire qui la délire de négation qui
dénie la réalité à ce qui
confère à ce qui n'est pas. Une telle activité délirante n'est ni simple, ni toujours iden-
est, est le contraire de
tique à elle-même. Elle se distribue cliniquement en une série d'états psychopatholo- l'activité hallucinatoire
giques : expériences délirantes primaires (crise de mélancolie anxieuse, états mixtes, qui la confère à ce qui
états confuso-démentiels, etc.) et élaborations délirantes secondaires (type par n'est pas…
1. SARTRE, moins timoré que certains de nos « Gestaltiste » ou « Holististes » ne craint pas de dire
cette évidence : « notre corps est l'instrument et le but de nos actions ».
449
ÉTUDE N° 16
les choses » selon la formule de SARTRE. Notre corps, base existentielle de nos per-
ceptions, horizon toujours présent et constant des événements de notre vie, manière
« d'être noué ou enraciné au monde » est, comme l'a si bien exprimé MERLEAU-
PONTY 1, « à l'espace ». C'est cette forme d'existence impliquée dans notre existence,
qui est altérée dans la pathologie neurologique des diverses variétés d'asomatognosies.
Les troubles du « schéma corporel » sont cela et rien que cela dans la mesure où ils
sont quelque chose. Si une certaine pensée philosophique périmée séparait trop le
corps et l'esprit, l'instrument de la pensée, il faut bien reconnaître comme une éviden-
ce « existentielle » que le corps est le « ressaisissement continuel du pour-soi par l'en-
soi » et que le fait ontologique est précisément que « le pour-soi ne peut être que
…le corps est le « ressai-
sissement continuel du
comme l'être qui n'est pas son propre fondement », et que par conséquent « avoir un
pour-soi par l'en-soi […] corps » c'est bien, comme dit SARTRE, être le fondement de son propre néant et non pas
« avoir un corps » c'est être le fondement de son être 2. Autrement dit ce que notre corps représente, c'est pour
bien, comme dit SARTRE, nous quelque chose par quoi nous sommes enracinés, un « obstacle ». De telle sorte
être le fondement de son
propre néant et non pas
que les accidents qui surviennent à ce corps pour autant qu'ils ne l'entament que
être le fondement de son comme instrument n'abolissent ou ne diminuent qu'une portion inférieure de la réalité,
être… c'est-à-dire n'atteignent pas la totalité de l'existence.
…Le « délire de négation » Le « délire de négation », s'il se réfracte dans le système de réalité somatique, si
[…], ne se confond pas même il dépend de cette couche d'existence organique, ne se confond pas avec les
avec les formes de désinté-
grations partielles qui
formes de désintégrations partielles qui conditionnent les asomatognosies. Il se définit
conditionnent les asomato- par cette opposition. Les asomatognosies expriment en effet un « anéantissement réel »,
gnosies… un manque, une destruction, une « existence de néant » dans cette forme de réalité qui
peut mourir par morceaux et qui est ma corporéité pour autant qu'elle ne se confond pas
…Le « délire de négation » totalement avec mon existence. Le « délire de négation » est au contraire un délire,
est au contraire un délire,
c'est-à-dire un bouleversement de l'existence qui, comme le cauchemar, dépend de la
c'est-à-dire un bouleverse-
ment de l'existence… désorganisation somatique de l'être mais la dépasse. Peut-être si les psychiatres qui s'en
sont occupés avaient eu plus souvent à l'esprit cette vérité première (qu'il nous faut bien
avoir le courage d'énoncer) auraient-ils été protégés contre bien des erreurs, et auraient-
…si le délire est condi- ils mieux saisi que si le délire est conditionné par une altération de l'organisme, il ne se
tionné par une altération confond pas avec cette altération. Cela est particulièrement sensible pour cette forme de
de l'organisme, il ne se
délire qui, niant la réalité du corps ou de tel ou tel organe, ne saurait être identifié à la
confond pas avec cette
altération… disparition de ce corps ou de tel ou tel organe, ou encore à l'altération segmentaire et
par conséquent spatiale d'une image corporelle, d'un « modèle postural » où telle ou
telle des parties du corps occupe une place dans cette « représentation ».
450
DÉLIRE DES NÉGATIONS
Le délire qui nie l'existence est encore une forme de l'existence, c'est une illusion …Le délire qui nie l'exis-
de la « conscience malheureuse », de l'Angoisse ». Et tout ce que nous avons pu dire tence est encore une
forme de l'existence, c'est
de l'anxiété nous pourrions le répéter ici pour montrer que cette variété de délire se dis-
une illusion de la
tribue dans les divers niveaux et sous les diverses formes structurales où naît et s'or- « conscience malheureu-
ganise l'angoisse morbide. Tout de même que l'angoisse est l'ombre de la liberté se », de l'Angoisse »…
humaine, la négation est l'envers et aussi une certaine forme de l'existence, celle du
mal. Car le délire de négation ne retire pas seulement l'être au monde et aux choses et
au corps mais il leur attribue la négativité inverse d'un ordre, celui du bien et de la vie.
Quand la conscience chavire et s'effondre dans le mouvement qui renverse sa « rai-
son », elle se détourne de l'être vers le néant. Si ce mouvement de « néantisation »
général dans les névroses et les psychoses n'est qu'ébauché ou dégradé dans les thèmes
de persécution, d'influence, de dépossession, de dépersonnalisation ou d'hypochon-
…de la plus terrible des
drie, qui expriment une diminution de la plénitude de la réalité de l'être, il atteint dans angoisses, celle de l'éva-
le thème de négation au plus haut degré de sa puissance dramatique jusqu'au « vécu » nouissement et du vide,
de la plus terrible des angoisses, celle de l'évanouissement et du vide, celle de la fin celle de la fin sans fin
d'un monde inexistant…
sans fin d'un monde inexistant.
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452
Étude n° 17
9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
HYPOCHONDRIE
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
Il est peut-être difficile à un médecin qui s'est dépouillé, de par ses études et sa pro-
fession mêmes, du trouble qu'engendre chez tous les hommes le mystère du corps, de
retrouver l'angoisse hypochondriaque. Ce qui touche aux viscères, aux fonctions orga-
niques, aux actes médicaux, à cette réalité qui est, pour chacun de nous, celle qui
demeure la plus intime et la plus secrète, éveille chez tous les hommes un vif émoi, pro-
fonde résonance du narcissisme le plus primitif. La honte, la curiosité, la coquetterie,
l'effroi, le plaisir et la douleur émergent de ce « complexe corporel » ou se réfléchissent
en lui. Ainsi se constitue un système d'images privilégiées et particulièrement émou-
vantes, qui ne cessent de nous occuper et de nous préoccuper, sorte de toile de fond,
condition et accompagnement de toute réalité, clavier sensible de notre existence,
comme la corporéité elle-même. Naturellement cette matière somatique, à travers
laquelle et par laquelle nous vivons, qui est en nous, qui nous appartient et à laquelle
nous appartenons pèse de tout son poids sur notre vie psychique et sans cesse l'attire
vers l'angoisse de l'existence corporelle, vie précaire que la maladie et la mort sans
cesse menacent. Tel est le complexe hypochondriaque immanent à la nature humaine,
une des perspectives affectives fondamentales et commune à tous. Mystère et fragilité …Mystère et fragilité du
du corps, maladie et mort, tels sont les aspects de l'hypochondrie humaine qui nous sai- corps, maladie et mort,
tels sont les aspects de
sit, tous, « aux entrailles ». La maladie n'étant qu'un chemin possible vers la mort,
l'hypochondrie humaine
remarque Nikola SCHIPKOWENSKY 1, il y a une étroite relation entre la crainte de la mala- qui nous saisit, tous,
die et la peur de la mort. La claustrophobie et l'hypochondrie se sont trouvées dans ses « aux entrailles »…
observations profondément liées chez certains de ses malades dans le même complexe
phobique à l'égard de leur vie comme de leur corps. La statistique de STANLEY HALL à
laquelle se réfère Antonio SICCO (1939) dans son travail sur l'hypochondrie 2 nous
paraît, à cet égard, bien paradoxale. D'après ce travail portant sur les craintes majeures
de 1701 personnes, seules 299 craignaient la mort et 241 les maladies !
1. N. SCHIPKOWENSYI, Wesen der Hypochondrie, Zeitsch. f. Neuro., 1942, 174, pp. 1 à 66.
2. A. SICCO, Hypochondria y manifestaciones hypocondriacas, Jornadas Psiquiatricas
Panaméricanas, Lima, mars 1939.
453
ÉTUDE N° 17
Il suffit d'entendre les conversations quotidiennes de la masse des hommes (et sur-
tout des femmes), il suffit d'observer la séduction qu'exercent dans presque tous les
ménages le « Larousse médical », la chronique médicale de la « Radio » ou des jour-
naux, ou la trouble attirance qu'opèrent les atlas et les « muses » forains d'anatomie sur
l'immense majorité des gens pour se convaincre que le complexe hypochondriaque est
universel, pressant et lancinant dans l'humanité entière.
Rien d'étonnant dès lors à ce que le thème hypochondriaque soit si fréquemment
exprimé par le délire, ce reflet de l'instinct.
Quand on parle d'hypochondrie ou « d'idées » hypochondriaques, on incline tout
naturellement à y faire entrer les « préoccupations » exagérées ou imaginaires sur la
santé, définition qui dans sa substance se retrouve chez tous les auteurs. Les « idées
hypochondriaques » sont en effet des idées délirantes d'estimation péjorative de l'état
…comme l'exprime d'intégrité ou de santé du corps. Et comme l'exprime encore Nikola SCHIPKOWENSKY,
Nikola SCHIPKOWENSKY il il n'y a pas d'hypochondrie sans « idées hypochondriaques », c'est-à-dire sans un sys-
n'y a pas d'hypochondrie tème d'intuitions, convictions, croyances et jugements enracinés dans une conception
sans « idées hypochon-
et une expérience du corps malade.
driaques », c'est-à-dire
sans un système d'intui- L'hypochondrie ainsi définie admet donc comme tout « délire » une grande varié-
tions, convictions, té de phénomènes psychologiques allant depuis le « pur concept », et en passant par
croyances et jugements les « préoccupations obsédantes », jusqu'aux « sensations et perceptions anormales ».
enracinés dans une
Or, celle-ci en se présentant comme une « réalité », en fondant l'hypochondrie sur des
conception et une expé-
rience du corps malade… troubles « réels » (cum materia), risquent de la soustraire à sa rigoureuse définition
logique qui exige qu'elle soit « sine materia ». On voit à quelles obscurités théoriques
et à quelles difficultés pratiques se heurte le problème général de l'hypochondrie,
réplique de celui que nous venons d'examiner en étudiant le « délire des négations ».
A. – TROUBLES CÉNESTHOPATHIQUES
…Les cénesthopathies Les cénesthopathies sont, d'après DUPRÉ qui les a spécialement décrites 1, « des
sont, d'après DUPRÉ, « des altérations locales de la sensibilité commune ». Elles ont, précise-t-il, pour principaux
altérations locales de la
caractères « d'être simples, essentielles, irréductibles à un autre processus morbide,
sensibilité commune »…
d'être localisées, circonscrites à un seul territoire ». Elles diffèrent ainsi « des troubles
des éléments supérieurs de la conscience organique qui constituent les maladies du
sentiment de la personnalité. Tandis que ces maladies de la sensibilité semblent dues
454
HYPOCHONDRIE
455
ÉTUDE N° 17
B. – PRÉOCCUPATIONS HYPOCHONDRIAQUES
Ici c'est l'anxiété morbide en tant que projection d'imaginaire qui domine le tableau
clinique. Il s'agit généralement d'une anxiété systématisée à caractère obsédant,
…Il s'agit généralement concentrée sur un objet précis, comme si le malade était plus ou moins consciemment
d'une anxiété systémati- « fixé » sur une partie de son corps, tel appareil physiologique ou telle maladie et tirait
sée à caractère obsédant,
de cette source inépuisable de soucis un thème sans cesse renouvelé et monotone de
concentrée sur un objet
précis… catastrophes somatiques. L'hypochondrie se confond alors avec la phobie. Les malades
…L'hypochondrie se sont inquiets, sombres, à l'affût de tout ce qui peut intéresser, augmenter ou justifier
confond alors avec la leur inquiétude. Ils sont polarisés, absorbés par leur « idée fixe », consultent les méde-
phobie…
cins, lisent des ouvrages médicaux, tiennent une comptabilité minutieuse de tous les
incidents de leur vie organique. Ils sont terrorisés par l'idée du cancer qui les ronge, de
la syphilis qui va les rendre fous, de la tuberculose qui évolue... Parfois l'objet de la
préoccupation hypochondriaque est au contraire mobile mais sans cesse renouvelé,
tantôt c'est un malaise léger, tantôt c'est une lecture, le hasard d'une rencontre, qui
orientent les dispositions hypochondriaques toujours prêtes à se fixer sur une maladie
ou un trouble fonctionnel quelconque. De grandes crises d'anxiété marquent l'acmé de
ces longues phases de perplexité et de méditation pessimiste. Ces malheureux en proie
à une sorte de panique s'exaspèrent, se découragent ou se révoltent. Leur agitation ou
simplement leur « énervement » a toujours quelque chose de théâtral, de grotesque et
toutes leurs réactions sont outrancières et ostentatoires : ils se précipitent chez leur
médecin, exigent à grands cris d'être soulagés, guéris. Désespérés, ils font parfois des
menaces ou des tentatives plus ou moins résolues de suicide.
C. – DÉLIRES HYPOCHONDRIAQUES
Certes l'énoncé même, le récit, des troubles cénesthopathiques n'est séparé du déli-
…l'énoncé même, le récit, re – s'il l'est – que par la minceur d'une métaphore et à la préoccupation obsédante
des troubles cénesthopa-
seule fait défaut une nuance de plus pour être délirante... Cependant le délire, s'il ne
thiques n'est séparé du déli-
re – s'il l'est – que par la commence pas avec sa formulation thématique ne devient manifeste que lorsqu'il est
minceur d'une métaphore…
1. La thèse que G. MARGUERY (Les Cénestopathies, Toulouse, 1949) vient de consacrer à ce sujet
est si exactement l'expression de notre propre conception que nous renvoyons purement et sim-
plement à ce travail.
456
HYPOCHONDRIE
affirmé par le sujet d'un état somatique « purement imaginaire ». Nous parlons alors
tous dans ce cas de thèmes délirants hypochondriaques.
Les principales variétés en sont :
1° Le délire hypochondriaque de préjudice corporel.
C'est une variété du délire de revendication qui porte sur un dommage corporel. Le
type en est le délire « post-opératoire » ou encore certaines « psycho-névroses de
rente » appelées encore « sinistroses ». Le malade se plaint d'avoir subi un préjudice, …Tout s'y inscrit en terme
qu'il éprouve, dont il souffre sans cesse et pour lequel il demande ou même exige inlas- de protestation, […], de
sablement réparation. Ses gémissements, ses douleurs, ses troubles fonctionnels fausse résignation à
l'égard du dol dont il
entraînent un comportement de victime. Tout s'y inscrit en terme de protestation, de
« accuse » les symptômes
griefs, de fausse résignation à l'égard du dol dont il « accuse » les symptômes comme comme pour entretenir
pour entretenir une perpétuelle « accusation » contre ses auteurs. une perpétuelle « accusa-
tion » contre ses auteurs…
2° Le délire hypochondriaque de transformation corporelle.
Les transformations corporelles sont généralement éprouvées comme altération,
gêne ou même absence d'organes ou de fonctions (idées de négation) ou encore comme
métamorphose partielle ou générale du corps. Nous avons étudié longuement déjà les
« idées de négation 1 » et il serait inutile d'y revenir. Elles consistent à affirmer que les
organes n'existent plus, sont mutilés, sont bouchés, que les fonctions physiologiques
ne s'exercent plus. Les malades n'ont plus d'estomac, plus de cœur, ils sont morts, …les organes n'existent
plus, sont mutilés, sont
vides, etc. Les « Idées de métamorphose » expriment une transformation dans l'éco-
bouchés… (Idées de
nomie, la morphologie, la substance même du corps « vécu » comme la forme phy- négation)
sique de l'être et de la santé. Il s'agit soit de changements de substance de l'organisme
tout entier ou de certains organes : le cœur est en caoutchouc, les os en bois, les ver- …changements de sub-
stance de l'organisme tout
tèbres en marbre, le corps est en carton, etc. les tissus ont perdu leurs propriétés phy-
entier ou de certains
siologiques, ils sont secs, plats, froids ; le sang est glacé ; les muscles sont gorgés organes…
d'eau, etc., soit de changements de forme et de volume (idées d'énormité, de petitesse,
de transformation pathologique ou magique des viscères, du système nerveux ou des …changements de forme
et de volume…(Idées de
membres allant jusqu'au mythe du morcellement du corps).
métamorphose)
3° Le délire hypochondriaque de possession de zoopathie et de grossesse.
Cette possession, cette habitation du réceptacle charnel de l'être par un autre être,
cette inclusion dans le corps d'un autre corps parasite prend dans ses formes extrêmes …Quelquefois la posses-
sion va si loin que les
la forme de la démonomanie ou de zoopathie interne 2. Quelquefois la possession va
malades se sentent chas-
si loin que les malades se sentent chassés de leur corps et remplacés par des êtres sés de leur corps […], ils
mythologiques ou zoologiques, ils se sentent transformés en animaux (lycanthropie), se sentent transformés en
en chiens, en chevaux, en serpents : ils aboient ou rampent, etc. Si le délire démono- animaux (lycanthropie)…
457
ÉTUDE N° 17
pathique s'exprime généralement par un délire d'influence de telle sorte que les
malades n'agissent, ne parlent que sous « l'inspiration du diable » qu'ils ont dans leur
corps, il peut aussi se manifester sur le plan corporel par une possession démoniaque
des organes et des fonctions. Il faut joindre à ce groupe les idées de grossesse qui sont
assez fréquentes chez les femmes et peuvent aussi se rencontrer chez les hommes. VIE
et BOBE 1 ont publié il y a quelques années, une étude séméiologique et pathogénique
sur ces idées délirantes de grossesse.
4° Le délire hypochondriaque d'agression corporelle.
Ici les perturbations corporelles sont éprouvées non seulement comme des percep-
tions étranges, inusitées, douloureuses, mais comme l'effet d'une action extérieure per-
sécutrice (courants électriques, brûlures, sensations génitales). Il s'agit naturellement de
troubles essentiellement hallucinatoires pour autant que les malades projettent dans le
monde extérieur le point de départ des altérations somatiques qu'ils ressentent et ani-
ment leur champ perceptif proprio- ou enteroceptif de forces ou actions néfastes. Ces
délirants se plaignent d'être « travaillés », d'être des sujets d'expérience ou objets de
…Ces délirants se plai- sévices corporels plus ou moins compliqués ou affreux : on transforme leurs vertèbres,
gnent d'être « travaillés »,
on les a empoisonnés, ils sont magnétisés, aimantés dans leurs nerfs, leur sang est vicié,
d'être des sujets d'expé-
rience ou objets de
on dilacère leur estomac, on brûle leur cerveau, on introduit des corps étrangers dans
sévices corporels… leurs cavités naturelles. On les martyrise et tous ces supplices sont le plus souvent res-
sentis comme une agression sexuelle, une cohabitation forcée et infamante.
458
HYPOCHONDRIE
L'anxieux est pour ainsi dire voué par sa destination la plus naturelle à l'hypo-
chondrie, thème d'inquiétude « à portée de sa main », véritable instrument du suppli- …L'anxieux est pour ainsi
ce qu'il s'inflige. Ainsi se trouve réalisée cette « constitution organique » (ainsi dire voué par sa destina-
tion la plus naturelle à
qu'ABADIE avait proposé de l'appeler pour placer tous ces hypochondriaques sous le
l'hypochondrie…
patronage du plus illustre et du plus ridicule d'entre eux : le Malade imaginaire). Ce
type de déséquilibré anxieux est hyperémotif, impressionnable, sombre, souvent
hypersthénique et d'esprit doctrinaire. Il poursuit avec une ardeur implacable le châti-
ment systématique dont il se persécute. Il est abstinent, ami des contraintes alimen-
taires (végétarismes, régimes draconiens), idéaliste sur le plan moral et parfaitement
égoïste dans la pratique. Sa vie se passant à s'appliquer le plus dur, le plus minutieux
des martyrs, il entretient soigneusement toutes les causes d'angoisse, cultive tous ses
malaises, ses indispositions, les moindres irrégularités de sa vie organique.
Incessamment appliqué à détecter la maladie, il fait de l'hygiène la loi d'une existence
entièrement asservie aux prescriptions diététiques et médicamenteuses. Il s'anéantit
sous l'accumulation des plus sévères interdits. Acariâtre, tyrannique, gémisseur, il
inflige à son entourage familial le supplice de ses exigences, de ses plaintes, comme si …Acariâtre, tyrannique,
tous autour de lui devaient participer à son anxiété, se plier à ses caprices, se soumettre gémisseur, il inflige à son
entourage familial le sup-
à son perpétuel chantage. Il s'agrippe au médecin, le capte, entend le diriger, le traiter
plice de ses exigences, de
tout à la fois comme un complice et un responsable de son hypochondrie, il lui impo- ses plaintes…
se ses diagnostics, ses théories physiopathologiques. Sa présence continuelle lui est
indispensable moins pour l'apaiser que pour donner de nouveaux aliments à son anxié-
té, la justifier et lui accorder plus de prétextes. Parfois cette hypochondrie présente
tous les aspects d'une névrose neurasthénique : le malade est inquiet, perplexe, abou- …Parfois cette hypochon-
lique, présente des crises d'angoisse, un syndrome neuro-végétatif souvent de type drie présente tous les
vagotonique, des céphalées et une profonde asthénie. Sur ce fond dépressif apparais- aspects d'une névrose
neurasthénique…
sent de véritables bouffées hypochondriaques intermittentes où se renforcent et se cris-
tallisent ses tendances nosophobiques et nosophiliques.
2° L'hypochondriaque paranoïaque.
Celui-ci se plaint toujours contre quelqu'un. Agressif, tyrannique, méfiant, excen-
trique, il est essentiellement revendicateur. DELMAS (1931) a souligné le « caractère
paranoïaque » de beaucoup de malades hypochondriaques. Il s'agit le plus souvent …DELMAS (1931) a souli-
d'une hypochondrie viscéro-abdominale, les troubles digestifs, les cénesthopathies gné le « caractère para-
gastro-intestinales, les désordres fonctionnels de la digestion et surtout de l'alimenta- noïaque » de beaucoup de
malades hypochon-
tion et de la défécation occupent le premier plan, on peut même dire le centre du
driaques…
tableau clinique. Souvent aussi l'hypochondrie se fixe sur l'appareil génito-urinaire et
se projette sur les fonctions sexuelles et l'urination. Enfin, rappelons-le, car il s'agit …fixé sur l'appareil géni-
d'une éventualité très fréquente, elle se cristallise autour d'une intervention chirurgica- to-urinaire…
459
ÉTUDE N° 17
…cristallisée autour d'une le ou d'un traumatisme. Le malade se plaint d'avoir été et d'être encore une victime de
intervention chirurgicale son entourage familial, de ses médecins, de l'alimentation, etc. Les erreurs de dia-
ou d'un traumatisme…
gnostic, les conseils pernicieux, les interventions maladroites, l'indifférence coupable
de son entourage, la malignité de ses serviteurs concourent à faire de lui, dans son
esprit, une pitoyable victime. Il se révolte, proteste, dénonce. Parfois c'est devant les
tribunaux qu'il entend faire la lumière et demander réparation. Rien ne l'arrête, rien ne
l'apaise, tout et tous l'exaspèrent, le narguent, lui font endurer un supplice « réel »,
« physique », « et non moral et imaginaire ». Se sentant bafoué, incompris, « empoi-
…Se sentant bafoué, sonné » (parfois au sens propre), il devient agressif, menaçant et parfois meurtrier. La
incompris […], il devient mort du conjoint perfide, du médecin « assassin », seule en portant le délire à son
agressif, menaçant et par-
comble, à son acmé parvient à détendre pour quelques temps cette inextinguible soif
fois meurtrier…
de vengeance et de punition que représente l'hypochondrie paranoïaque.
3° L'hypochondriaque obsédé.
La psychonévrose obsessionnelle se manifeste fréquemment par des obsessions
d'ordre hypochondriaque : (nosophobie, folie du toucher, obsessions et phobies portant
sur l'activité génitale, les fonctions organiques, la tuberculose, les microbes, etc.).
Dans ce cas, l'hypochondrie est concentrée sur un seul thème ou quelques thèmes seu-
…Dans ce cas, l'hypo- lement et engendre tout le cérémonial habituel de protection, de défense et de lutte
chondrie est concentrée contre l'obsession reconnue comme telle. D'autre part, elle n'est que l'expression d'un
sur un seul thème […] et
type de pensée morbide « compulsionnelle », marquée du sceau de la contrainte,
engendre tout le cérémo-
nial habituel de protec- incoercible et vertigineuse. Tous les traits de la mentalité de l'obsédé, le syndrome sou-
tion, de défense et de vent appelé « psychasthénique », le caractère sadique-anal constituent à l'hypochon-
lutte… drie sa toile de fond caractéristique : méticulosité, scrupules, aboulie (et plus généra-
lement tous les « impedimenta » de l'action) mais aussi agressivité dirigée contre soi.
4° L'hypochondriaque hystérique.
L'hystérie, névrose pathomimique par son aspect le plus caractéristique met en
œuvre un mécanisme hypochondriaque de conversion. Elle transfère sur le plan des
fonctions organiques et de leurs troubles un conflit inconscient. Aussi va-t-elle, peut-
on dire, « au delà » de l'hypochondrie, elle fabrique ou contrefait des maladies avec
une complaisance et une efficacité qui excluent, puisqu'elles la neutralisent, l'angoisse
…l'hystérie neutralise
l'angoisse inhérente au inhérente au délire hypochondriaque. Cependant ce mécanisme n'est pas toujours aussi
délire hypochondriaque. sommaire et complet et bien souvent il s'arrête en chemin réalitant une sorte de « poli-
Cependant ce mécanisme tique de la maladie », une « hypochondrie ostentatoire » (CODET) qui est parfois tout
n'est pas toujours aussi
à fait caractéristique par ses expressions outrancières, son théâtralisme, ses excès et ses
complet réalisant […]
une « hyponchondrie subterfuges. La fiction morbide est vécue ici avec un éclat pittoresque, à grand renfort
ostentatoire »… d'images, d'attitudes et comme dans une débauche d'exagérations, de mensonges et de
manifestations bruyantes. La psychologie du sexe et de la race intervient pour engen-
460
HYPOCHONDRIE
drer et renforcer chez les femmes, les arabes, les juifs, les latins, etc. la riche éclosion
de gestes, de mimiques, de crises névropathiques, de caprices et d'affectations, qui sur-
chargent le tableau clinique 1.
1. On rattache parfois à l'hystérie ce groupe de cas auquel nous avons fait allusion plus haut
et qui a donné lieu à tant de discussions. On appelle sinistrose (BRISSAUD) ou, à l'étranger, névro-
se de rente, ces cristallisations psychiques ou psychomotrices consécutives à un traumatisme don-
nant lieu à tant de procès et d'expertises. La revendication se confond parfois si exactement avec
l'intérêt que l'on a pu nier le caractère pathologique de ces réactions et les confondre avec de purs
et simples stratagèmes de simulation. Quoiqu'il en soit pour autant qu'elles représentent une
revendication paranoïaque et inconsciente, dans leur forme authentique, elles doivent entrer plus
naturellement dans le groupe de l'hypochondrie paranoïaque que dans la grande névrose.
461
ÉTUDE N° 17
chondrie « physique » se joint ce que l'on a appelé parfois une hypochondrie psychique
ou morale : les mélancoliques se plaignent alors de n'avoir plus de pensées, d'avoir la
tête vide, d'être des monstres, des mécaniques, autrement dit d'avoir perdu les attributs
même de l'humanité.
Mais en dehors de la crise de mélancolie proprement dite, nous observons fré-
quemment des formes hypochondriaques sur fond dépressif ou cyclothymique et le
plus souvent à évolution chronique. C'est le cas notamment de l'hypochondriaque
déprimé ou anxieux, cyclothymique, constitutionnel, dont nous avons parlé plus haut.
C'est le cas aussi de certaines formes de délires systématisés secondaires à la mélan-
…C'est le cas aussi de cer- colie dont nous parlerons plus loin et qui manifestent la parenté profonde du thème de
taines formes de délires persécution dans la paranoïa et du thème de dépréciation, d'indignité, de culpabilité et
systématisés secondaires à
d'oppression physique dans la mélancolie.
la mélancolie…
Il faut souligner enfin l'existence de certains états mixtes hypochondriaques et
même, si l'on en croit certaines observations, une hypochondrie sur fond hypoma-
niaque (DUPOUY et DUBLINEAU 1930 – COURBON et MARS 1935). C'est ainsi que A.
DEMEY1, ayant consacré un travail aux relations de l'hypochondrie et de la manie, a pu
réunir douze observations de ce genre.
462
HYPOCHONDRIE
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ÉTUDE N° 17
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HYPOCHONDRIE
de ses troubles et les préceptes des « guérisseurs » extra-médicaux ont presque tou-
jours leur préférence. C'est qu'un peu de sorcellerie, de magie, d'ésotérisme ou d'exor-
cisme leur est indispensable. Une fois adoptée et tant qu'elle reste à leurs yeux mysté-
rieusement efficace, la thérapeutique devient un absolu. Qu'il s'agisse de drogues, de …la thérapeutique est
régimes, de pratiques occultes, de radiesthésies, de procédés magiques, de médications aveuglément appliquée et
toniques et anodines, de mécanothérapies grotesques, d'hydrothérapie compliquée, de érigée plus encore qu'en
massages, d'ondes ou de pendules charlatanesques, la thérapeutique est aveuglément discipline hygiénique, en
appliquée et érigée plus encore qu'en discipline hygiénique, en règle morale, en impé- règle morale, en impéra-
ratif catégorique. tif catégorique…
d) Le mode d'existence. Souvent la clinophilie, l'agoraphobie conjuguent leur effet
pour faire de l'hypochondriaque un reclus, enfermé dans sa chambre, sa maison de …Souvent la clinophilie,
santé et parfois confiné au lit. Mais même quand il conserve une apparence d'activité l'agoraphobie conjuguent
normale, son comportement général est essentiellement sado-masochiste. Le com- leur effet pour faire de
plexe de persécution est très près à ce point de vue du complexe hypochondriaque et l'hypochondriaque un
quand l'hypochondrie n'est pas simplement une forme de délire mélancolique elle reclus…
s'identifie presque nécessairement au thème persécutif. Aussi le plus souvent l'hypo-
chondriaque a le comportement d'un persécuté-persécuteur. Même quand ces deux
pôles de son activité sont situés sur un plan purement nosographique, médical, les
réactions qui en dépendent sont caractéristiques à la fois de l'autopunition et de l'agres-
sivité. Les restrictions systématiques de leur programme vital, un sur-moi inflexible,
la culture et l'entretien d'une anxiété qui les brûle à petit feu, les échecs professionnels
renouvelés jusqu'à l'interdit complet de l'action d'une part et les scènes familiales, la
jalousie, les crises de colère, la tyrannie domestique (nous avons connu une hypo-
chondriaque qui avait imposé plus de trente déménagements à son mari), l'incessante
importunité à l'égard de l'entourage, du médecin, etc. d'autre part, correspondant à la
structure bipolaire sado-masochiste de l'hypochondriaque. C'est par rapport à cette
…il s'emploie à « dévo-
bipolarisation que s'ordonne l'existence de l'hypochondriaque, soit qu'il passe son
rer » sa famille ou ses
temps à se « suicider », moralement, soit qu'il s'emploie à « dévorer » sa famille ou ses
médecins…
médecins.
Réactions anti-sociales : Nous savons tous qu'en présence des hypochondriaques
il faut craindre trois principales réactions : le suicide, l' auto-mutilation et l'homicide.
…il faut craindre trois
Le suicide s'observe naturellement dans les formes mélancoliques mais il doit être principales réactions : le
considéré spécialement dans les formes de dépression constitutionnelle qui s'apparen- suicide, l' auto-mutilation
tent à la névrose d'angoisse. Dans son rapport, ESTAPE (1939) a réuni 21 observations et l'homicide…
personnelles de tentatives de suicide chez les hypochondriaques. Il insiste sur 1' « état
dangereux latent » que représente toute hypochondrie. Tous les cliniciens connaissent
des cas de ce genre. Si généralement la conduite du névrosé hypochondriaque est plu-
tôt celle d'un sado-masochiste qui cultive l'échec, se confine dans l'inaction ou entre-
tient des conflits qui exacerbent sa délectation morose dans la semi-existence, il lui
arrive parfois d'y mettre fin1.
L'auto-mutilation s'observe dans deux conditions assez différentes : dans les états
anxieux et obsédants et au cours des grands délires hypochondriaques paranoïdes. Le
plus souvent, il s'agit de mutilations des organes génitaux, siège privilégié du délire
hypochondriaque de ces malades. On peut, à la rigueur faire entrer dans ce cadre les
467
ÉTUDE N° 17
§ III. – DIAGNOSTIC
Nous laisserons de côté le diagnostic différentiel structural des diverses formes
d'hypochondrie pour ne nous occuper que du grand problème diagnostique que pose la
…Maladie réelle ou ima- notion même d'hypochondrie. Maladie réelle ou imaginaire ? C'est en effet en ces
ginaire ?… termes un peu trop simplistes, comme nous le verrons, que se présente, avec son maxi-
mum de difficultés, le diagnostic pour lequel le psychiatre est si souvent consulté par
les praticiens. Il ne se passe pas de jour que nous n'ayons à trancher cette question.
Le praticien a consciencieusement examiné, radiographié, ausculté son malade, il n'a
trouvé rien de net, d'objectif, mais il a observé une extrême nervosité, des réactions
anxieuses excessives. Et alors le redoutable dilemme surgit : est-ce un « organique » dont
le cancer, la cardiopathie, le mal de Pott « ne fait pas sa preuve », ou est-ce un « psycho-
pathe » hypochondriaque ? Généralement, dans ces cas, chacun se méfiant du diagnostic
tributaire de sa propre position médicale, de son diagnostic « par destination », le praticien
incline vers une « psychopathie » et le psychiatre croit à une « affection organique... »
les observations
Tout le monde connaît les fameuses observations d'ESQUIROL : il s'agissait d'un
d'ESQUIROL, de MOREL, de malade atteint d'ulcère de l'œsophage et qui pensait avoir un corps étranger dans le
BONNET, de MARCHAND… gosier et d'un autre qui atteint de péritonite croyait avoir des animaux dans le ventre...
MOREL avait observé un cas analogue, celui d'un malade qui croyait qu'un animal lui
rongeait le cœur : il avait un rétrécissement auriculo-ventriculaire. – BONNET citait un
cancéreux qui pensait avoir un crapaud dans l'estomac. – MARCHAND (1904) a vu une
malade qui prétendait que son estomac était en bois et rempli de gravier et elle avait
« en réalité » un cancer à l'estomac, sous diverses désignations (hypochondrie justi-
fiée, hypochondrie en rapport avec des affections organiques, hypochondrie « cum
materia »). Les auteurs n'ont cessé de publier d'assez nombreuses observations du
468
HYPOCHONDRIE
1. Par exemple encore VIGOUREUX et COLLET, Ann. Médico-Psycho., 1908 ; MIGNARD, Ann.
Médico-Psycho., 1908 ; AMARIE et BOUVILHET, Ann. Médico-Psycho., 1909, etc., etc...
2. Cf. notamment le livre de DÉJÉRINE et GAUCKLER, Les manifestations fonctionnelles des
Psychonévroses, Paris, 1911.
3. MORALLIE, 1904.
4. PICK, 1904.
5. Cf. Étude n° 4, pp. 58-59 et Étude n° 6, p. 122. Nous renvoyons également au chapitre
« Psychiatrie et Médecine psychosomatique » que nous venons d'écrire pour la « Somme de
Médecine » dirigée par le Pr LERICHE.
6. Soc. Méd. Ment., 1925.
7. Journal Belge de Neuro., 1935.
469
ÉTUDE N° 17
Les troubles organiques qui conditionnent les psychoses et névroses de type hypo-
chondriaque sont admis par la plupart des auteurs. Nous venons de rappeler que cer-
taines affections viscérales (cancers, syndromes vasculaires, maladies du foie, des
organes pelviens, du péritoine, etc.) affectent d'étroites relations avec certains états
hypochondriaques. De même certaines affections nerveuses comme le tabès 2, la
syphilis cérébrale 3, l'encéphalite 4 paraissent engendrer des syndromes hypochon-
driaques et il nous paraît évident d'admettre que l'hypochondrie comme toute autre
névrose ou psychose est conditionnée par un désordre neuro-somatique. Ceci dit, les
diverses théories des troubles hypochondriaques interprètent ces faits différemment,
les unes basant tout délire hypochondriaque sur des troubles neurologiques basaux, les
autres mettant l'accent sur la psychogénèse consciente ou inconsciente de l'hypochon-
drie et d'autres enfin considérant les diverses formes d'hypochondrie dans un schéma
génétique de fonctions hiérarchisées où elle figure comme une forme structurale de
l'anxiété névrotique ou psychotique ; ce sont ces théories mécanicistes, psychogéné-
tistes et organo-dynamistes de l'hypochondrie que nous allons passer rapidement en
revue, sans trop entrer dans le détail des controverses que nous avons déjà eu l'occa-
sion d'exposer à propos de l'anxiété et des délires de négations.
1. Rappelons à ce sujet le titre du premier grand ouvrage sur le sujet, celui de BRACHET,
Recherches sur la nature et le siège de l'hystérie et de l'hypochondrie...
2. DUPRÉ et LÉVY, Rev. Neuro., 1903.
3. URECHIA, Ann. Médico-Psycho., 1934.
4. PETIT, Congrès de Nancy, 1937.
470
HYPOCHONDRIE
A. – THÉORIES MÉCANICISTES
Elles tentent d'expliquer les symptômes de l'hypochondrie sous toutes leurs formes
par un trouble basal élémentaire des fonctions perceptives de la sensibilité ou de la
somatognosie, de telle sorte que les algies, les cénesthopathies, les troubles accusés par …les algies, les cénestho-
les hypochondriaques sont considérés comme le produit de l'excitation ou des altéra- pathies, les troubles accu-
sés par les hypochon-
tions des voies et centres de la perception proprio- ou entéroceptive tout de même que
driaques sont considérés
les idées de transformation ou de négation d'organes seraient conditionnées par des [dans le mécanicisme]
troubles soit de la sensibilité protopathique, soit de l'intégration des données sensibles comme le produit de l'ex-
dans les opérations gnosiques. Et cela même quand les notions utilisées sont celles de citation ou des altérations
des voies et centres de la
« cénesthésie » ou de « schéma corporel » qui sont assez ambiguës pour désigner à la
perception proprio- ou
fois la forme globale d'organisation de la conscience du corps ou de la représentation entéroceptive…
de tel ou tel segment du corps ; malgré les précautions oratoires ou les artifices de
style, ces notions sont utilisées de telle sorte que le délire est toujours considéré
comme basé sur une désintégration fonctionnelle partielle et basale. Ce point de vue
qui nous est familier par la constance même de sa position doctrinale, constitue une
thèse fondamentale du mécanisme atomistique appliqué à la psychiatrie en général et
au problème qui nous occupe en particulier. Nous examinerons trois aspects de cette
position théorique : l'hypochondrie considérée comme engendrée par des troubles
cérébro-spinaux de la sensibilité, l'hypochondrie engendrée par des algies viscérales
réflexes et enfin l'hypochondrie engendrée par des troubles du schéma corporel.
1° Hypochondrie et affections des voies et centres de la sensibilité.
Nous trouvons naturellement dans les anciens auteurs et notamment chez LUYS
cette idée exprimée avec une très grande netteté : « Chaque partie du corps est reliée …« Chaque partie du
à un point particulier du centre cénesthésique. Quand par suite du progrès des lésions corps est reliée à un point
particulier du centre
de la périencéphalite diffuse, un point quelconque du point cénesthésique est atteint,
cénesthésique… LUYS..
ce point ne fonctionne plus... Il en résulte que la partie du corps en relation avec ce
point du centre cénesthésique devient absent du moi et le sujet malgré ce que lui
apprennent ses sens extérieurs en nie absolument l'existence ». Une telle théorie s'est
appliquée très rigoureusement au délire de négation, comme nous l'avons vu. Mais
selon les cas et avec quelques variantes, la même conception se retrouve chez tous les
auteurs qui défendent un point de vue analogue à propos de tous les troubles des
« fonctions perceptives » qui assurent la « sensibilité » et « la conscience du corps ».
Les maladies du niveau spinal comme le tabès sont considérées par certains
auteurs comme susceptibles de provoquer des délires hypochondriaques. C'est le cas
du fameux syndrome de PIERRET-ROUGIER qui ne résiste guère à l'analyse puisque,
d'une part, les troubles de la sensibilité du tabès ne constituent pas une condition suf-
fisante pour déterminer un délire hypochondriaque (ce que montre l'expérience cli-
nique avec une évidence aveuglante) et que, d'autre part, ces troubles ne paraissent pas
471
ÉTUDE N° 17
472
HYPOCHONDRIE
turbation fonctionnelle de la cénesthésie cérébrale qu'il faut rattacher les états hypo-
chondriaques ». Au même congrès, BONNIER déclarait : « De même que les centres bul-
baires peuvent « s'emballer », de même que des centres cérébraux pourront se prendre
dans leur fonctionnement, s'empêtrer dans leur susceptibilité propre et constituer la
phobie des contacts externes, l'hypochondrie consciente des contacts avec notre repré-
sentation interne et d'autres systématisations durables... » Si pour lui l'état hypochon-
driaque était le propre de l'étage bulbaire, l'idée hypochondriaque régnait à l'étage
supérieur selon ses propres expressions. Mais ceci nous conduit tout naturellement à
la pathologie du schéma corporel que nous envisageons plus loin.
2° Théorie sympathico-viscérale de Head.
Elle est déjà ancienne et a été excellemment exposée dans le rapport de ROY …La conception ancienne
(1905), avant d'être présentée à nouveau chez nous par MOURGUE 1. En 1901, HEAD pathogénique de HEAD a
été présentée par
publia un mémoire « sur certains troubles mentaux qui accompagnent les affections
MOURGUE…
viscérales » où il a consigné le résultat de cent cinquante-quatre longues et minutieuses
observations. Il a pu dans tous ces cas noter les changements d'humeur et les troubles
mentaux associés (hallucinations et interprétations) reconnaissant pour principal fac-
teur la « douleur réfléchie » des affections viscérales (The reflected pain of visceral
disease). La dépression, le malaise, l'inquiétude naissaient en effet d'autant plus faci-
lement que la douleur viscérale est intense, durable ou fréquemment répétée, que le
nombre des segments affectés est plus considérable et enfin que la zone douloureuse
d'hyperesthésie est plus étendue. C'est donc dans les affections viscérales à projection
hyperesthésique abdominale que la dépression s'observe le plus. Il faut au contraire des
douleurs particulièrement vives et durables du thorax pour produire celle-ci et là enco-
re la douleur réfléchie sur la partie supérieure de la cage thoracique, produite par l'in-
suffisance aortique par exemple, cause bien moins d'impression que le stertor avec
insuffisance mitrale qui donne une douleur réfléchie au niveau des 7me et 9me zones
thoraciques ». La théorie de HEAD, justificative de la plus ancienne conception de l'hy-
pochondrie, fut reprise à grand fracas par un Américain CAMBLE (1904). Depuis lors
on paraît s'être bien écarté de cette conception pathogénique. Cependant, et c'est une
des conclusions essentielles du rapport de ROY, beaucoup d'auteurs ont admis que le
facteur viscéropathique et sympathologique constitue une composante essentielle de
l'hypochondrie.
3° Théorie du « Schéma corporel ».
Nous l'avons déjà envisagée à propos du « délire des négations » et nous nous
exposons ici à des redites pourtant indispensables. Encore qu'il soit bien difficile de
trouver dans les travaux contemporains, pourtant si nombreux sur ce point, une bonne
473
ÉTUDE N° 17
…On désigne sous le nom définition du « schéma corporel », du « modèle postural », de « l'image de soi » ou de
de « schéma corporel » la « somatognosie » qui marque avec décision une différence conceptuelle véritable à
un système fonctionnel
l'égard des vieilles notions de « sensibilité générale » ou de « cénesthésie », il semble
sinon un dispositif anato-
mique à composante mul-
que l'on désigne sous ces noms, depuis FOERSTER, HEAD, et surtout les travaux de
tisensorielle […] assu- SCHILDER, LHERMITTE, VAN BOGAERT, GUREWITCH, L. VON ANGYAL, HECAEN 1 etc. un
rant la conscience du système fonctionnel sinon un dispositif anatomique à composante multisensorielle
corps, de son unité, de sa
s'étageant depuis les étages inférieurs jusqu'à l'écorce pariétale et assurant la conscien-
diversité, de sa représen-
tation topographique et
ce du corps, de son unité, de sa diversité, de sa représentation topographique et de son
de son intégrité… intégrité. Au fond, on le voit, cette notion est assez élastique et vague pour que, pom-
peusement parée de vocables physiologiques, elle ait exercé une séduction quasi-uni-
verselle. (Chez nous André THOMAS l'a cependant vivement et justement critiquée).
Elle permet notamment de donner une apparence de consistance à la théorie neurolo-
gique de l'hypochondrie. L'image du corps, une fois « hypostasiée », déposée dans un
système cortical, est dès lors soumise aux habituelles manipulations des « atomistes »
(même quand ils n'ont à la bouche que les mots de totalisme, dynamisme,
« Ganzheitsprinzip » ou principe « holistique », etc.). De telle sorte que « l'image de
notre corps » qui tantôt désigne les apparences inconscientes ou les sensations que
nous en recevons, tantôt se confond avec la conscience de la personnalité morale et
…Le « schéma corporel » sociale, est présentée ici comme vulnérable « partes extra partes ». Le « schéma cor-
ainsi vaguement défini est
porel » ainsi vaguement défini est devenu la « tarte à la crème » des applications de la
devenu la « tarte à la
crème » des applications
neurologie à la psychiatrie en reprenant, sans la modifier autant que certains le pré-
de la neurologie à la psy- tendent, la vieille théorie « sensationniste » de la conscience. Les auteurs qui se sont
chiatrie… occupés de cette question se bornent généralement à quelques approximations discu-
tables. Ainsi VAN BOGAERT écrivait il y a quelques années 2 :
« Le sentiment d'étrangeté, de dépossession de certaines parties du corps est un
symptôme courant dans les états hypochondriaques et il y a longtemps qu'il a retenu
…observations de van l'attention des psychiatres. Il revient à EHRENWALD d'avoir montré qu'entre un fait de
BOGAERT et d' EHRENWALD … dépossession et les dépersonnalisations segmentaires observées au cours d'affections
non névropathiques il y a une certaine analogie. Les deux exemples d'EHRENWALD sui-
vants illustrent parfaitement cette thèse. Observation I : Fille de 28 ans. Hémiplégie
par tumeur cérébrale. Elle nie sa menstruation, ne reconnaît pas les linges sanglants
comme les siens, ignore d'où viennent les taches dans ses draps. Pas d'autres troubles
mentaux. Ultérieurement idées de négation : tout son corps a disparu entièrement.
Observation II : Femme de 33 ans ayant une hémiplégie gauche. Elle nie aussi sa
menstruation, se comporte puérilement et ne parle d'elle-même qu'à la troisième per-
sonne. »
Et le grand neurologiste d'Anvers ne craignait pas de conclure :
474
HYPOCHONDRIE
« Ces deux cas sont d'un intérêt théorique considérable : l'anosognosie à l'égard de
la fonction menstruelle conduit chez la première à une dépersonnalisation réelle ; chez
la seconde à une perte isolée du sentiment du moi. Elles montrent toutes les deux
qu'une dépersonnalisation « segmentaire » peut ultérieurement compromettre, à une
échelle psychologique beaucoup plus haute, le sentiment de notre personnalité. »
Peu de temps après, DE MORSIER écrivait à son tour 1 à propos des hallucinations
sensitives dans les lésions pariétales :
« Le phénomène de dépersonnalisation se trouve très nettement dans le cas
d'EHRENWALD (tumeur) et dans ceux de Van BOGAERT. Comme EHRENWALD le dit juste-
ment, le symptôme de dépersonnalisation est le même, qu'il apparaisse au cours d'une
lésion grossière du cerveau ou au cours d'un délire hypochondriaque chronique. »
Enfin HECAEN dans son récent travail (1948), sans d'ailleurs envisager spéciale-
ment l'hypochondrie, a repris à son compte, après un exposé des mêmes faits
(EHRENWALD, L. VON ANGYAL etc.), une opinion semblable. Faisant état de quelques
observations personnelles et de celles de TEITELBAUM 2, il tente, en appliquant les idées
de P. SCHILDER, de montrer que le syndrome interpariétal de GUREWITCH, les troubles
hystériques, les troubles amyostatiques, les cénesthopathies, l'hypochondrie en géné-
ral et la pathologie corticale forment une masse homogène de faits. Ce « confusion-
nisme » ne peut pas avoir d'autre sens que de réduire précisément le délire hypochon-
driaque à un « trouble focal ». Quant à l'idée que, selon « la conception de P.
SCHILDER », tendances narcissiques, sadiques, complexes de castration peuvent « aussi
bien que les troubles kinesthésiques vestibulaires ou optiques être directement à l'ori-
gine des troubles du schéma corporel », elle ne fait qu'ajouter à la confusion et rendre
encore plus évident que sous l'ambiguïté et le mélange de concepts, que représente la
notion de « schéma corporel », il y a plutôt une idée confuse qu'un fait précis. …Tous les travaux aux-
quels nous venons de
Tous les travaux auxquels nous venons de faire allusion ont ceci de commun, qu'ils
faire allusion ont ceci de
tentent de baser l'hypochondrie sur des symptômes réels et ainsi qu'il arrive pour toute commun, qu'ils tentent de
théorie mécaniciste de la projection hallucinatoire, ils n'expliquent l'hallucination et le baser l'hypochondrie sur
délire qu'à la condition de les supprimer. des symptômes réels…
B. – THÉORIES PSYCHOGÉNISTES
Le type le plus sommaire de ce genre d'explication est constitué par la théorie de
DUBOIS (de BERNE), exposée dans son fameux livre 3. Voici quelques extraits de son
ouvrage, caractéristique de sa manière de considérer l'hypochondrie comme « pure-
ment » psychique :
« C'est une conception enfantine que de chercher l'origine de ces altérations struc-
1. DE MORSIER, p. 316.
2. TEITELBAUM, Psychogenic body image associated with psychogenic aphasie and agnosie,
Journal of nerv. and ment. diseases, 1941, 93, p. 581.
3.[NdÉ: voir note 1 page suivante]
475
ÉTUDE N° 17
turelles ou chimiques qui modifient notre pensant et sentant dans un simple trouble du
…Conception psychogé-
fonctionnement de nos organes splanchniques... Ce sont là des illusions, des jeux de
nétiste de DUBOIS de
Berne (1909)… laboratoires... On oublie l'abîme qui sépare la physiologie même moderne de la cli-
nique. Il nous arrive à tous d'être fatigués, d'avoir quelques troubles gastriques, des
battements de cœur, une névralgie fugace. L'hypochondriaque prend peur, constate
avec dépit cette lassitude, la rend durable par l'attention qu'il lui prête fasciné par l'idée
de maladie, elle devient chez lui une idée fixe ». Quant aux troubles périphériques
locaux constatés au cours de l'hypochondrie, DUBOIS dit d'eux, les assimilant à des
« J'ai l'impression qu'il ne troubles hystériques et disant de ceux-là ce que BABINSKI disait de ceux-ci : « J'ai l'im-
fallait pas les chercher,
pression qu'il ne fallait pas les chercher, car les constater c'est les faire naître ». Ainsi
car les constater c'est les
faire naître » BABINSKI se défend une position « purement psychique » de l'hypochondrie par idéo-genèse ou
pure suggestion, théorie qui ne satisfait que par une première approximation, car,
…cette théorie laisse de comme pour l'hystérie, elle laisse de côté le problème principal, celui des conditions
côté les conditions de
de cette « idée fixe ». La même critique vient à l'esprit à la lecture du travail de GELMA
cette« idée fixe »…
sur les « douleurs obsédantes 2 », malgré son recours à la théorie psychanalytique.
…Il faut convenir que les Il faut convenir que les psychanalystes, en effet, ont davantage approfondi les
psychanalystes, en effet,
racines inconscientes de la névrose hypochondriaque. HESNARD, par exemple, étudiant
ont davantage approfondi
les racines inconscientes un cas 3 de ce genre, montre comment s'est constituée l'angoisse hypochondriaque par
de la névrose hypochon- diffusion de l'excitation érotique sur des régions extragénitales du corps, à la suite du
driaque… HESNARD par refoulement exogène d'un auto-érotisme assez marqué ; son malade présentant un fort
ex.
complexe de castration, il fut guéri par la psychanalyse. Dans un autre travail 4,
HESNARD a approfondi le mécanisme complexuel de la névrose hypochondriaque à
propos d'un nouveau cas où l'hypochondrie, effet d'une régression en masse vers la
sexualité infantile, constituait une érotisation corporelle anxieuse. On trouvera encore,
parmi cent autres, un exemple d'interprétation freudienne de névrose hypochondriaque
dans l'observation de FROIS-WITMANN 5. Plus généralement, il sera aisé, comme le dit
cet auteur, d' « aller chercher dans FREUD, dans FERENCZI, dans JONES, dans Mélanie
KLEIN, dans REICH, dans STARCKE, dans RADO » des interprétations psychanalytiques
de l'hypochondrie. Il est évident en effet que celle-ci constitue peut-être la névrose
d'angoisse la plus fréquente, celle où les mécanismes de conversion, d'auto-punition et
de régression aux phases prégénitales de la libido se conjuguent étroitement.Tous les
476
HYPOCHONDRIE
477
ÉTUDE N° 17
C. – THÉORIE ORGANO-DYNAMISTE
Les théories mécanicistes de l'hypochondrie en la fondant sur des troubles de la
perception croient pouvoir la considérer comme une collection de « symptômes » à
l'égard desquels la conduite du psychiatre doit céder le pas à celle du médecin prati-
cien qui traite (ou ne traite pas) un trouble somatique comme tel. Les théories psycho-
génistes en approfondissant la signification inconsciente de l'hypochondrie et en la
présentant comme une manifestation d'une intentionnalité de maladie rendent compte
de sa structure psychique sans nous en fournir d'explication. Dans l'opposition de ces
deux conceptions, l'hypochondrie condamnée à être « cum materia », c'est-à-dire à être
une maladie comme les autres ou « sine materia », c'est-à-dire rien qu'un pur imagi-
naire, cesse d'être une forme anormale de la vie, c'est-à-dire cesse d'être ce qu'elle est.
L'application particulière du « dilemme psychiatricide » que nous avons si souvent
dénoncé devient ici, comme dans un autre domaine voisin, celui de l'hystérie, vérita-
blement caricaturale. Cela se conçoit d'ailleurs puisqu'il s'agit précisément dans les
deux cas du point même où la pathologie mentale se confond avec son expression
somatique et pose de ce fait avec la dernière acuité la question des rapports du phy-
sique et du moral, problème qui, on le sait 1, est presque toujours pensé en termes
« monistes » ou « dualistes » qui le rendent justement impensable.
Le propre d'une conception organo-dynamiste est de dépasser ces deux modes
d'explication et de leur substituer une théorie qui puisse expliquer comment l'hypo-
chondrie est une maladie somatique où les symptômes sont ceux d'une structure névro-
tique et psychiatrique et non d'une lésion d'organes ou de fonctions.
Une telle vue des choses exige que soit débrouillé l'écheveau si emmêlé des
notions de « corps », de troubles organiques et fonctionnels, de troubles de la sensibi-
478
HYPOCHONDRIE
479
ÉTUDE N° 17
480
HYPOCHONDRIE
Enfin nous abordons l'essentiel, « l'organicité » de l'hypochondrie comme de toute … l'essentiel [pour nous] :
psychose ou névrose est manifeste, à nos yeux par sa structure régressive même. Cette « l'organicité » de l'hypo-
organicité est signée par ce que nous savons des processus morbides acquis ou héré- chondrie comme de toute
psychose ou névrose est
ditaires en tant que générateurs ou de délires hypochondriaques. Ce que nous enseigne
manifeste, à nos yeux par
la pathologie de l'encéphalite, de l'épilepsie, de la senescence cérébrale, l'importance sa structure RÉGRESSIVE
des tares héréditaires, les relations des névroses hypochondriaques avec les formes même…
maniaco-dépressives etc. sont autant de faits qui ne doivent pas être tenus hors du pro-
blème de l'hypochondrie mais qui doivent au contraire y entrer comme un facteur déci-
sif d'explications. Mais l'organicité de l'hypochondrie est celle du conditionnement de
la névrose ou de la psychose à forme hypochondriaque et non pas celle du symptôme
hypochondriaque.
En s'écartant résolument des naïvetés du mécanisme qui identifie l'hypochondrie à
un trouble organique « pur et simple » et aux vues sommaires d'une conception pure-
ment psychogénétique qui reste impuissante à nous rendre compte du fait qu'ayant,
tous, les « complexes » qui « mènent » à l'hypochondrie, nous ne sommes pas tous des
hypochondriaques, l'« explication » organo-dynamiste restitue son vrai visage à l'hy-
…l'« explication » organo-
pochondrie. C'est un délire 1 qui comme tous les délires se déploie à des niveaux et dynamiste restitue son vrai
selon des structures diverses depuis les « expériences délirantes » éprouvées comme visage à l'hypochondrie.
des sensations actuelles de détérioration corporelle jusqu'aux mythes de la négation du C'est un délire…
…Mais ce délire n'est pas
corps et du monde. Le thème de la mort différée en exprime toutes les variétés et varia-
une « pure imagination »,
tions de « vécu »: mort partielle et circonscrite de telle fonction ou tel organe, de tel il exprime une décomposi-
nerf, agonie de tel appareil qui souffre et fait mal ou encore cette mort virtuelle déjà tion de l'être...
présente dans le corps qu'est la maladie. Mais ce délire n'est pas une « pure imagina-
…c'est, comme dans l'hys-
tion », il exprime une décomposition de l'être... Le délire hypochondriaque (névrose térie, la maladie où l'écart
ou psychose hypochondriaque) est l'effet d'une maladie qui altère réellement l'être et organo-clinique est maxi-
s'exprime par l'imaginaire : c'est, comme dans l'hystérie, la maladie où l'écart organo- mum…
clinique est maximum et il est tellement grand que la relation qu'il exprime entre le
…la « réalité » de l'hypo-
conditionnement somatique et les symptômes, relation vécue trop étroitement et chondrie n'est ni celle d'un
comme « à la lettre » par le malade, est généralement niée par le médecin. C'est en objet, d'un organe ou du
nous défiant de ces deux erreurs que nous avons tenté de restituer à l'hypochondrie sa trouble d'un appareil de
notre corps, mais cette
« réalité » ou, si l'on veut, sa « demi-réalité ». C'est-à-dire une « réalité » qui n'est ni
« réalité » somatique
celle d'un objet, d'un organe ou du trouble d'un appareil de notre corps, mais cette ambiguë qui participe tout
« réalité » somatique ambiguë qui participe tout à la fois au monde des objets et de à la fois au monde des
l'existence du sujet et qui, altérée dans l'hypochondrie, est vécue comme un événe- objets et de l'existence du
sujet
ment, une catastrophe somatique.
481
ÉTUDE N° 17
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482
Étude n° 18 9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
JALOUSIE MORBIDE
11. Impulsions.
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
§ I. – ANALYSE DE LA JALOUSIE
La jalousie est une conscience douloureuse de frustration ; c'est une passion vécue
dans l'angoisse, la colère, le dépit, une souffrance engendrée et exaspérée par l'image
d'un rival.
Cette souffrance est indépendante et du fait, et de la nature du « bien » ravi, c'est-
à-dire : 1° que la jalousie est avant tout, selon le mot de MAIRET 1 le chagrin « d'une
frustration dont le jaloux a peur », que cette frustration soit réelle ou non, 2° que la
jalousie peut s'exercer dans tous les domaines (jalousie de fortune, d'honneurs,
d'amour).
Cependant on réserve généralement le nom de jalousie à la jalousie amoureuse qui
est la forme la plus intense et la plus caractéristique de la jalousie en raison du carac-
tère constamment conjectural de la possession et du don dans l'amour. Sans doute, le
terme de « jalousie » s'applique-t-il en dehors de toute situation de compétition ou de
rivalité dans le sens d' « attachement pour » ou de « zèle pour » en tant qu'elle est
essentiellement et simplement un « désir brûlant ». Dans l'ouvrage monumental que …l'ouvrage monumental
LAGACHE 2 a consacré à cette passion et qui nous servira tout au long de cette étude de que LAGACHE a consacré
à cette passion nous ser-
guide, il indique justement de quel intérêt est le travail de Margot GRYWACZ sur le sens
vira, tout au long de cette
des mots « zelosus » (latin) et « gelos » (provençal). Mais s'il est vrai que la jalousie étude , de guide…
est différente de l'envie en ce que, comme l'écrivait d'ALEMBERT : « On est jaloux de
ce qu'on possède et envieux de ce que possèdent les autres », on saisit bien que le sens …le sens profond de la
jalousie est constitué par
profond de la jalousie est constitué par le sentiment d'être frustré d'un bien, d'un bien
le sentiment d'être frustré
soustrait à notre possession pour être donné à autrui, et, mieux encore, d'un bien qui se d'un bien […] qui se reti-
retire de nous pour aller vers autrui. C'est donc une personne en tant qu'enjeu de notre re de nous pour aller vers
possession qui est l'objet le plus fort et le plus authentique de la jalousie. Voilà pour- autrui…
483
ÉTUDE N° 18
A. – LA JALOUSIE AMOUREUSE
…L'amour est jaloux, L'amour est jaloux, comme le dit excellemment LAGACHE, en ceci qu'il est selon le
comme le dit excellem- mot de PICHON « captatif ». Quand l'amour est « oblatif », c'est-à-dire qu'il se donne et
ment LAGACHE, en ceci
est vécu comme un don presque désintéressé, qu'il se satisfait dans le sentiment d'ap-
qu'il est selon le mot de
PICHON « captatif »…
partenir à l'autre dans un acte d'offrande dont l'amoureux reste encore maître, même
quand il se livre à l'esclavage total il n'y a pas de jalousie possible. Par contre, dès que
l'amour est vécu comme une possession de l'objet, comme un droit de propriété, il pose
par son propre mouvement la possibilité indéfiniment ouverte d'une « frustration »,
d'une atteinte à ce droit de possession. L'amour captatif n'est pas vécu comme une rela-
tion entre deux êtres mais comme une relation entre soi et un être qui peut échapper.
C'est dire que la situation affective de l'amour contient en puissance la situation « tri-
angulaire » de la rivalité. Mais la jalousie ne contient pas seulement la souffrance de
la privation, elle implique la colère de l'amour-propre blessé. D'un côté, le jaloux est
plongé dans la peine du bien perdu, d'un autre, dans l'irritation que lui cause la joie du
rival. Frustration d'amour et dépit, telle est la jalousie amoureuse. Rappelons à ce pro-
« Il y a dans la jalousie pos les phrases des moralistes et psychologues qu'il est classique de citer : « Il y a dans
plus d'amour-propre que la jalousie plus d'amour-propre que d'amour » (LA ROCHEFOUCAULT). « Celui qui aime
d'amour »
veut posséder à lui tout seul la personne qu'il désire, il veut avoir un pouvoir absolu
LA ROCHEFOUCAULT
tant sur son âme que sur son corps, il veut être aimé uniquement et habiter l'autre, y
dominer comme ce qu'il y a au monde de plus élevé et de plus admirable »
(NIETZSCHE). Citons surtout la fameuse proposition de l'Éthique 1 : « Celui qui s'ima-
gine que la femme qu'il aime se prostitue à un autre ne s'attriste pas de l'obstacle que
cette infidélité peut dresser entre sa passion et lui, mais il est forcé d'unir à l'image de
ce qu'il aime, l'image du sexe et des excrétions de cet autre. A cette vue, il prend cette
femme en haine, et c'est la jalousie qui consiste en un trouble de l'âme obligée d'aimer
et de haïr à la fois le même « objet ».
Nous venons d'indiquer une première ambiguïté de la jalousie (frustration et
dépit), nous devons en souligner une seconde, suggérée par le texte de SPINOZA : La
jalousie est un mélange de haine et d'amour où la proportion de haine peut être plus
grande que la composante amoureuse 2. Le jaloux enveloppe l'objet dans la haine du
rival ; ou, pour mieux dire, la jalousie dissimule la répartition exacte des sentiments
d'amour et de haine entre le sujet, l'objet et le rival dans la figure triangulaire de la
situation fondamentale.
Enfin, troisième caractère ambigu : la jalousie est un mélange de conviction et de
doute. Il est de l'essence de ce sentiment d'être une adhésion profonde, obsédante, à la
484
JALOUSIE MORBIDE
croyance qu'il existe un motif de jalousie, et d'autre part de ne constituer qu'une série
d'approximations hypothétiques, de suppositions sans fin. Le jaloux est avide de certi-
tude. Il poursuit la preuve sans l'atteindre, sans jamais pouvoir l'atteindre. Le caractè-
re angoissant, vertigineux de la jalousie, a été bien noté par LA ROCHEFOUCAULT : « La … « La jalousie se nourrit
jalousie se nourrit dans les doutes : c'est une passion qui cherche toujours de nouveaux dans les doutes…» LA
ROCHEFOUCAULT
objets d'inquiétude et de nouveaux tourments » : elle rebondit sans cesse.
Nous devons, avant d'entreprendre la psychopathologie de la jalousie, nous attar-
der un peu à l'étude de ses divers aspects fondamentaux (la jalousie mélange d'amour
et de haine, – la jalousie blessure d'amour-propre, – la jalousie, doute, – l'ambivalen-
ce du comportement jaloux).
485
ÉTUDE N° 18
486
JALOUSIE MORBIDE
4° Le comportement jaloux.
Le jaloux veut « savoir » par tous les moyens : il ouvre les lettres, surprend les ren-
dez-vous, les œillades, examine le linge, scrute l'emploi du temps, calcule la vraisem-
blance, suppute les probabilités, vérifie les allées et venues, surveille ou fait surveiller,
épie les gestes, les moindres mots, dissèque les attitudes, les lapsus, poursuit le men-
songe et le flagrant délit. Sans cesse sur le qui vive, il vit un monde tout entier dirigé
contre son bien et son droit. Un seul être menaçant de ne plus répondre et de se plier
à son amour et tout est peuplé d'ombres, de mystères, de complots, d'intrigues et de
conspirations. Pour soutenir son propre personnage, le jaloux a besoin de donner une
consistance à ceux de l'infidèle et du rival et ainsi, toujours comme le « cocu magni-
fique », parvient-il à créer la situation que ses soupçons construisent et que sa persé-
vérance, dans la démonstration pièce à pièce, inlassablement exige. Il tente de proté- …Il tente de protéger
ger l'objet de son amour captatif, par tous les moyens physiques (réclusion, port impo- l'objet de son amour cap-
tatif, par tous les moyens
sé de ceintures de chasteté), ou moraux (chantage sentimental, scènes, épreuves,
physiques […], ou
feintes d'infidélité, guet-apens, etc.). Mais plus encore il essaie de lui faire du mal. Il moraux…Mais plus enco-
est agressif, il humilie, injurie, frappe ; la colère monte, il doit faire un éclat, se ven- re il essaie de lui faire du
ger, rompre le cercle qui l'étreint, tuer... Et son meurtre, à travers le corps de l'objet ou mal. Il est agressif, il
humilie, injurie, frappe…
du rival atteindra les fantasmes que son inconscient a interposé entre l'infidèle objet de
son amour et ses propres possibilités d'aimer.
Soulignons encore que la jalousie procède par paroxysmes, par crises et que les
rêves jouent parfois un rôle considérable dans l'établissement de la conviction pas-
sionnelle. Il n'est pas impossible en tout cas qu'ils rythment le développement de la
passion jalouse.
– Quant au caractère masculin de la jalousie, si l'on peut admettre avec quelque
vraisemblance que la jalousie est plus fréquente chez l'homme en raison du caractère
plus typiquement captatif de l'amour masculin, les caractères mêmes de 1' « hyperes-
thésie » jalouse et de la fragilité de la fixation amoureuse chez la femme nous rendent
compte de la plus grande fréquence de la jalousie morbide chez elle (MOREAU de
Tours, fils 1).
Naturellement la jalousie, cet aspect si vivant de la vie humaine familiale et socia-
le, cette passion, une des plus riches en développements dramatiques, a été de tout
temps un objet privilégié d'études morales, psychologiques et littéraires. A ce propos …Rappelons l'analyse
les noms de personnages des grandes tragédies, Oreste, Hermione, Othello ne sau- subtile que contient de ce
sentiment l'œuvre de
raient manquer d'être cités. Rappelons l'analyse subtile que contient de ce sentiment
PROUST (Un amour de
l'œuvre de PROUST (Un amour de Swann). Cette violente passion humaine dont Swann)…
TRÉLAT 2 a dit : « La jalousie portée à l'excès est une véritable folie », s'apparente ainsi
487
ÉTUDE N° 18
par son intensité même à la folie tout au moins selon l'idée d'ÉRASME, de DESCARTES
et de tant de moralistes. Ce n'est pas, peut-être, nécessairement l'opinion de tous les
…la jalousie patholo- psychiatres. Nous nous attacherons précisément à montrer que la jalousie pathologique
gique présente une struc- présente une structure particulière. Elle libère en effet tout l'appareil « fantasmique »
ture particulière…
seulement contenu dans la jalousie normale laquelle est essentiellement réaction à une
situation d'infidélité certaine ou plausible.
488
JALOUSIE MORBIDE
le meurtrier auquel nous faisions allusion plus haut, et qui, se croyant trompé, l'était...
Mais comme le disait malicieusement et profondément G. DE CLÉRAMBAULT à pro-
pos d'un jaloux morbide que l'on avait conduit à l'infirmerie du dépôt : « Plût au ciel, …« Plût au ciel,
Monsieur, qu'il suffise
Monsieur, qu'il suffise d'être cocu pour n'être point malade ! » Il arrive en effet que
d'être cocu pour n'être
même, lorsque l'infidélité est réelle, la jalousie soit pathologique. C'est au fond le cas point malade ! » …G. de
des jalousies passionnelles que LAGACHE considère avec JASPERS, mais à notre avis CLÉRAMBAULT
abusivement si elles ne sont que « réactionnelles », comme « morbides » et qu'il appelle …Il arrive en effet que
même, lorsque l'infidélité
les « réactions de la personnalité ». Il s'agit là, nous y reviendrons, d'un concept assez
est réelle, la jalousie soit
obscur. Ce qui caractériserait cette forme de jalousie selon LAGACHE qui en fournit pathologique…
deux observations (sur les 51 qui font l'objet de son travail), ce sont les traits suivants :
1° La réaction ne serait pas née sans l'événement. – 2° Le contenu est en rapport com-
préhensible avec l'événement « bien qu'il faille faire intervenir des mécanismes extra-
conscients ». – 3° L'évolution dépend de l'événement et des rapports de la réaction
avec lui. – S'il en était véritablement ainsi on se demande pourquoi et au nom de quoi,
ces « jalousies » devraient être considérées comme pathologiques. Mais en fait, l'étu-
de de ces cas permet, nous semble-t-il, d'admettre un facteur « caractériel » au moins
aussi important que le facteur « circonstanciel » et on revient toujours à propos d'ob-
servation de ce genre au concept « d'hyperémotivité diffuse ». Il semble bien en effet
que chez ces jaloux, c'est le critère de « débordement » émotionnel qui est essentiel,
c'est-à-dire que tout se passe comme si le seuil de l'émotion se trouvait anormalement
bas de telle sorte que le sujet ne peut pas dominer sa situation catastrophique et qu'il
se laisse submerger par elle. Et c'est pourquoi il s'agit non pas d'une simple « réaction »
mais d'une réaction inadéquate à une infidélité même patente.
Inversement un jaloux peut être un jaloux pathologique alors qu'il ne vit pas la
situation d'infidélité comme réelle mais seulement comme possible ou virtuelle. C'est
alors la structure même de la personnalité et parfois le délire connexe qui nous font
porter le diagnostic de jalousie pathologique.
Si dans ces deux cas, à vrai dire les plus délicats, le délire n'est pas manifesté, il …[même lorsque] le déli-
re n'est pas manifesté, il
est latent dans la structure même de la jalousie, car la jalousie morbide est toujours
est latent dans la structu-
délirante soit qu'elle vive la situation d'infidélité sans fondement réel, soit qu'elle pro- re même de la jalousie,
jette dans une situation réelle les exigences des fantasmes imaginaires et inconscients. car la jalousie morbide
Nous reviendrons à la fin de cette étude sur la structure de la jalousie pathologique. est toujours délirante…
…la jalousie morbide
Pour le moment, les réflexions qui précèdent nous suffisent pour dire que la jalousie
comprend classiquement
morbide comprend classiquement les délires de jalousie et un petit secteur de réactions les délires de jalousie et
émotionnelles jalouses qui se développent dans l'histoire de certaines personnalités un petit secteur de réac-
morbides. tions émotionnelles
Selon la classification de JASPERS 1 reprise par LAGACHE et qui constitue un vrai jalouses…
489
ÉTUDE N° 18
progrès dans l'étude des délires de jalousie et des délires en général nous distinguerons:
1° La jalousie délirante comme développement de la personnalité.
2° La jalousie délirante déterminée par une altération processuelle de la personnalité l.
3° La jalousie délirante symptomatique de processus organique.
Nous aurons l'occasion d'ailleurs en décrivant ces faits de montrer leur profonde unité.
…Cette classe de « délires Cette classe de « délires de jalousie » correspond à la notion de « Monomanie »
de jalousie » correspond à d'ESQUIROL. « C'est, disait-il, une affection dans laquelle le délire est borné à un seul
la notion de « Monomanie »
objet ou à un petit nombre d'objets, avec exaltation et prédominance d'une passion gaie
d'ESQUIROL…
ou triste... Le plus souvent les monomaniaques ne déraisonnent pas, mais leurs affec-
tions, leur caractère sont pervertis ; par des motifs plausibles, par des explications très
bien raisonnées, ils justifient de l'état actuel de leurs sentiments et excusent la bizarre-
rie, l'inconvenance de leur conduite. C'est ce que les auteurs ont appelé monomanie
raisonnante, mais que je voudrais nommer monomanie affective ». Dans de tels délires
il semble y avoir une gradation progressive, une simple différence d'intensité entre la
passion normale et pathologique. C'est, tout au moins, ce qu'ont admis la plupart des
…MOREAU (de Tours),
auteurs classiques. Citons par exemple ce passage de MOREAU (de Tours), fils 2 : « Un
fils …
monomaniaque dominé par la pensée de tel ou tel individu est son ennemi acharné, le
déteste cordialement et désire sa perte. Il est fou, parce qu'il est sous l'emprise d'une
croyance erronée et parce qu'il hait son ennemi ou celui qu'il regarde comme tel. Sa
haine, sa jalousie sont la conséquence naturelle de son erreur. Que si l'on objecte que,
son erreur détruite, ses sentiments haineux, jaloux, peuvent subsister encore, nous
répondrons sans contester, ce qui, au reste, nous paraît très susceptible de l'être et
qu'aucun fait bien observé n'établit, selon nous, qu'il n'y a point de haine véritable,
mais plutôt une sorte de réminiscence des impressions produites par les sentiments
dont l'individu est affecté. Entre cette réminiscence et la haine véritable, la même dif-
férence existe entre la sensation d'un son que l'on entend et le souvenir, la réminiscen-
ce de cette sensation ». Cette passion poussée à l'extrême a donc été considérée comme
une véritable « folie partielle », une véritable monomanie, pouvant passer par toutes
les phases cliniques régulières, aller depuis un simple dérangement des facultés se tra-
490
JALOUSIE MORBIDE
duisant par un caractère spécial de méfiance, jusqu'à l'exaltation la plus violente entraî-
nant l'homicide et parfois aussi le suicide.
C'est au fond la même conception que l'on rencontre dans la notion de « dévelop- …La jalousie par develop-
pement de la personnalité » due à JASPERS l. pement anormal de la per-
sonnalité …(JASPER)
Lorsqu'elle est due au développement d'une personnalité, la psychose présente,
selon JASPERS, les caractères suivants :
« Le développement lent des symptômes, selon un mode analogue au progrès nor-
mal de la vie, tel qu'il s'est manifesté depuis l'enfance. – Les épisodes diffus n'entraî-
nent aucun bouleversement durable. – On peut déduire la vie entière d'une prédisposi-
tion personnelle univoque » (JASPERS 2).
D'après LAGACHE qui en fournit dix observations et reprend les critères de JASPERS,
on peut caractériser les cas de jalousie « par développement de la personnalité » de la
façon suivante :
1° Il s'agit d'individus dont les dispositions à la jalousie remontent à la jeunesse (il
existe souvent des anomalies instinctives et spécialement sexuelles). – 2° Le tableau
clinique apparaît de façon compréhensible à l'occasion d'événements susceptibles d'ir-
riter la passion du sujet (Pas d'idées de persécution ou d'empoisonnement). – 3° Les
idées délirantes ainsi apparues sont ranimées lors de nouvelles occasions et avec le
temps s'oublient en partie, en partie se transforment : seule subsiste la tendance à des
explosions nouvelles lors d'occasions appropriées.
Nous n'acceptons pas, quant à nous, sans réserves, l'idée qu'il s'agit d'une passion …Nous n'acceptons pas,
« excessive » ou d'un « simple développement psychogénétique d'une personnalité », quant à nous, sans
réserves, l'idée qu'il s'agit
pour autant qu'il s'agit précisément de véritables délires paranoïaques à structure pas-
d'une passion « excessive »
sionnelle. Si LACAN 3 admet que tout est compréhensible dans un tel développement ou d'un « simple dévelop-
morbide qui consisterait seulement dans l'élaboration systématique des événements pement psychogénétique
dans l'histoire de l'individu (ce qui définit, nous semble-t-il, la personnalité normale) d'une personnalité »…
…LACAN, [lui], admet que
nous devons noter que plus récemment STENBERG 4 dans son travail qui paraît avoir
tout est compréhensible
échappé à LAGACHE, conclut que la jalousie morbide « même sous sa forme purement dans un tel développe-
paranoïaque » est irréductible au développement historique de la personnalité. Il exis- ment morbide…
te dans ces cas un éréthisme émotionnel, un facteur constitutionnel et aussi des
« moments féconds », des crises délirantes qui, si elles n'altèrent pas profondément et
de façon progressive la personnalité impriment à sa trajectoire une modification
pathologique.
491
ÉTUDE N° 18
C'est ce que nous allons voir en décrivant les deux types cliniques les plus connus
de ces sortes de jalousie morbide : l'hyperesthésie jalouse et le délire systématisé de
jalousie.
492
JALOUSIE MORBIDE
493
ÉTUDE N° 18
494
JALOUSIE MORBIDE
reposer cette idée. Il n'en est rien cependant; ne possédant pas de preuves palpables de
l'infidélité de son conjoint, ces preuves il voudrait les avoir et met tout en œuvre pour …ces preuves il voudrait
les avoir et met tout en
les obtenir » (MAIRET). Les investigations sont de toutes sortes : le jaloux surveille sa
œuvre pour les obtenir »
femme dans les moindres faits et gestes, se dissimule pour la surprendre, l'épie dans sa (MAIRET).
toilette, l'observe dans ses parfums, flaire ses vêtements quand elle rentre, il examine
son linge et s'il trouve quelque trace suspecte l'examine à la loupe ou la fait analyser,
ses lettres sont décachetées, il va jusqu'à supposer une cryptographie compliquée, etc.
Une observation de PARANT nous montre un jaloux espionnant sa femme, jugeant que
si elle était fatiguée c'est qu'elle venait de se livrer à son amant, etc... Il était à l'affût
des regards furtivement échangés entre elle et un passant. Un matin il alla visiter toutes
les églises de la ville pour l'y chercher, jugeant que c'est là qu'elle aurait dû être et que
ne s'y trouvant pas, elle ne pouvait être qu'en mauvaise compagnie. Les rapports inces-
tueux sont naturellement particulièrement soupçonnés par le monomane jaloux 1.
Beaucoup de ces délirants ne se contentent pas d'investigations. Ils ont recours à …Ils ont recours à des
mesures de contrôle et de
des mesures de contrôle et de probation de toutes sortes pour mettre un terme à leur
probation de toutes
perplexité sinon à leur infortune. Tel jaloux suit tous les mouvements de sa femme, lui sortes…
défend de parler à personne et ne la laisse aller à la fontaine qu'en la regardant du pas
de la porte. Tel autre l'oblige à le suivre partout où il va, et même à passer avec lui la
nuit dehors pour surveiller ses foins coupés. Un autre, obligé de quitter quelques jours
son domicile et ne pouvant emmener sa femme, l'enferme dans sa chambre après avoir
fait grillager les fenêtres et la cage de l'escalier. MAIRET cite le cas d'un délirant jaloux
qui, couché auprès de sa femme, craignait qu'elle ne l'endorme avec un narcotique
pour aller courir à quelque rendez-vous ou qu'elle ne reçoive quelque amant dans son
lit : il mit alors derrière la porte une table chargée de vaisselle afin qu'à la moindre ten-
tative il soit réveillé. Un autre de ses malades jetait de la cendre devant la porte de sa
chambre pour s'assurer que personne n'était entré pendant la nuit. Certains attachent
leur femme au lit, l'un d'eux garrotait la sienne avec une courroie, sans d'ailleurs par-
venir à assurer sa tranquillité : se réveillant parfois dans la nuit il palpait les cuisses de
sa femme et « s'il les trouvait fraîches, pensait immédiatement qu'elle avait profité de
son sommeil pour courir à la débauche » (MAIRET). Un malade de BOMBARDA qui sou-
mettait son épouse à une véritable inquisition garnissait toutes les portes de cadenas.
Un malade que nous sommes en train d'expertiser barricadait sa porte la nuit avec un
cadenas dont il avait seul le secret ; mais des fétus de paille de contrôle lui ayant
« montré » que sa femme (qui est « si fine ») parvenait à s'échapper il en a conclu qu'el-
le lui versait une poudre qui l'endormait et, nouveau « sérum de vérité », lui faisait tra-
hir son secret... La réclusion, les garrots, les filatures par agences de polices privées,
1. Nous verrons plus loin que l'explication de cette fréquence ne doit pas être cherchée seulement
dans les conditions occasionnelles et la promiscuité de l'habitation.
495
ÉTUDE N° 18
les ceintures de chasteté sont les moyens les plus usuels de contrainte et de vérifica-
tion employés par ces délirants jaloux.
…L'évolution de ce délire L'évolution de ce délire peut, selon MAIRET, se faire avec la persis tance de la seule
peut, selon MAIRET, se idée délirante de jalousie, il s'agit alors de monomanie de jalousie pure ou d'idée fixe
faire avec la persis tance
de jalousie. Dans certains cas cependant s'ajoutent les idées de persécution : c'est la
de la seule idée délirante
de jalousie… monomanie jalouse avec délire de persécution et le jaloux se comporte comme un per-
sécuté-persécuteur. Dans l'évolution de la « monomanie jalouse pure » nous voyons
persister avec une intensité croissante l'idée fixe. Cette forme correspond à la brève
description que nous venons de rappeler du délire systématisé progressif de
BOMBARDA. « L'éloignement du conjoint, contrairement à ce qui se passe dans l'hyper-
esthésie jalouse, ne fait pas disparaître le délire, elle atténue seulement son activité ».
Séparé de son milieu familial, le malade paraît souvent calme, affirme même avec
énergie la disparition de toute idée de jalousie : mais celle-ci reprend souvent dès la
sortie. Pour MAIRET, la « monomanie jalouse » reste indéfiniment ce qu'elle est, ou
bien, ajoutait-il, elle aboutit à un moment donné à une « folie » dont la forme est
variable ; rarement elle aboutirait à la démence, éventualité que l'on observerait par
contre plus souvent lorsqu'il s'agit de « monomanie avec délire de persécution ». On
voit quand il s'agit de cette dernière forme s'ajouter au thème de jalousie, les persécu-
tions de toutes sortes avec plaintes aux autorités. Mais, pour MAIRET, « la différence
…l'idée fixe de jalousie est qui distingue le persécuté-persécuteur jaloux du persécuté ordinaire, c'est que chez lui
le pivot autour duquel se l'idée fixe de jalousie est le pivot autour duquel se cristallisent les idées de persécu-
cristallisent les idées de
tion ». C'est ainsi que le persécuté jaloux accuse souvent l'épouse coupable de l'em-
persécution…
poisonner et le complice de se moquer de lui ouvertement.
BOMBARDA a rapporté l'observation d'un délirant jaloux qui peut servir de type de
description de cette forme. Il eut beaucoup de peine à le faire interner, vingt médecins
ayant refusé d'attester la folie. Suspectant depuis de nombreuses années l'infidélité de
sa femme, ce malade croyait ses enfants adultérins et il la persécutait sans cesse. Il
trouvait partout de nombreuses traces de sperme. Il croyait que ses persécuteurs s'in-
géniaient à des manœuvres extraordinairement compliquées pour pénétrer chez lui.
L'un d'eux entrait par la fenêtre, ayant loué la maison d'à-côté, il passait par le premier
étage et sautait dans la maison du malade d'une fenêtre à l'autre. A l'approche du mari,
il fuyait par la fenêtre du fond. En sortant de là, il allait dormir avec la propre fille du
malade. Les enfants s'étaient entendus avec leur mère pour qu'elle le trahisse. Une fois
l'audace de sa femme et de son amant alla jusqu'à « pratiquer l'infamie à sa barbe »,
cela s'était passé sur une chaise-longue de la pièce voisine, la porte de communication
avec sa chambre étant ouverte pendant un court moment où le sommeil l'avait pris. Les
jupes de la femme avaient servi à cacher l'amant de telle sorte qu'il était impossible
qu'on le vît. A l'asile il ne doutait pas de la complicité de sa femme et du médecin, et
496
JALOUSIE MORBIDE
Il s'agit de Marie J. âgée de 40 ans. A 21 ans un jeune homme, dont elle ne voulait …observation de
pas, l'aurait violée pour l'engrosser et la contraindre au mariage. Ayant connu son futur LAGACHE…
mari, plus jeune qu'elle de six ans, elle continuait de fréquenter son ancien amant. Peu
d'amour pour son mari mais satisfaction sexuelle dans les rapports conjugaux. Conflits
avec la belle-famille, longue période de « jalousie diffuse ». Soupçons, surveillance
puis cristallisation du délire.
On note les particularités suivantes :
1°. Au cours de toute son histoire et de toute l'observation, elle se montre très atta-
chée à la mère qui regrette elle-même qu'elle se soit mariée à cause de ses crises de
folie ; l'attitude de la mère, révélée spontanément, complète et pour une part suscite
celle de la fille.
497
ÉTUDE N° 18
498
JALOUSIE MORBIDE
1. Cette « incompréhensibilité » constitue la structure formelle de ces délires. Elle est si patente
pour un clinicien exercé que dès que le jaloux est examiné, nous saute aux yeux la « typicité » de
ces délires, leurs caractères évolutifs et leurs aspects séméiologiques.
499
ÉTUDE N° 18
… ces délires ne diffèrent Pour nous ces délires ne diffèrent des précédents, dont nous venons de souligner
des précédents, […] que qu'ils ne sauraient se réduire à un développement psychogénétique, que par leur carac-
par leur caractère plus tère plus nettement « processuels », c'est-à-dire par la fréquence, l'intensité et la durée
nettement « processuels »,
des expériences délirantes primaires. Aussi donnons-nous ici les critères de JASPERS
c'est-à-dire par la fréquen-
ce, l'intensité et la durée non point comme des critères différentiels à l'égard des délires que nous venons d'étu-
des expériences délirantes dier mais comme des critères communs aux deux groupes de délires.
primaires.… La psychose par processus, selon JASPERS, se présente avec les caractères suivants.
« On constate, dit-il, qu'à partir d'un moment déterminé, un nouveau développement
s'inaugure. Il y a irruption toujours nouvelle d'instances psychiques hétérogènes. Que
le bouleversement soit passager ou durable il dépend du processus sous-jacent. Il exis-
te une absence anarchique de régularité dans le décours des symptômes mentaux.
Toutes les manifestations se succèdent en des transitions où n'apparaît aucune dériva-
tion psychologique ; car elles dépendent ordinairement du processus ». C'est à partir
de l'analyse de deux observations que JASPERS a décrit ces délires de jalousie condi-
tionnés par un processus, description dont se détachent quelques particularités cli-
niques caractéristiques :
1° Il s'agit de personnes « un peu particulières » qui montrent un certain entête-
ment et sont assez excitables sans d'ailleurs que l'on puisse les distinguer des milliers
de personnes présentant les mêmes traits.
2° Le délire de jalousie (bientôt suivi d'idées de persécution) se déclare dans un
laps de temps relativement court ne dépassant pas un an environ.
3° Cette formation délirante est accompagnée de symptômes divers : inquiétude
(n'as-tu rien entendu ?), idées délirantes d'être observé... Illusions de la mémoire. « Les
écailles lui tombent des yeux ». Symptômes somatiques interprétés.
4° Ces malades s'entendent à relater d'une manière très expressive le fait de leur
empoisonnement et les états effrayants qui ont suivi. On n'a aucun point d'appui pour
affirmer les hallucinations.
5° On ne trouve aucune cause extérieure au déclenchement de tout le processus (à
savoir ni modification quelconque des circonstances de la vie ni le plus mince acci-
dent).
6° Dans le cours ultérieur de la vie (7 à 18 ans) aucune adjonction de nouvelles
idées délirantes, mais le sujet garde son délire ancien, ne l'oublie pas, il considère son
500
JALOUSIE MORBIDE
contenu comme la clef de sa destinée et traduit sa conviction par des actes. Il est pos-
sible et vraisemblable que se parachèvent les idées délirantes, mais cela se limite à
antidater certaines données de l'époque fatale relativement courte et du temps qui l'a
précédée. Le sujet n'est pas réticent.
7° II n'est pas question d'un affaiblissement démentiel quelconque. Il y a eu un
dérangement délirant qu'on peut concevoir comme localisé en un point et la personna-
lité ancienne l'élabore rationnellement avec ses sentiments et ses instincts anciens.
8° Ces personnalités présentent un complexe de symptômes qu'on peut rapprocher …Ces personnalités pré-
de l'hypomanie ; conscience de soi jamais défaillante, irritabilité, tendance à la colère sentent un complexe de
symptômes qu'on peut rap-
et à l'optimisme, dispositions qui à la moindre occasion se renversent en leur contrai-
procher de l'hypomanie…
re, activité incessante, joie d'entreprendre. On se rapportera à la thèse de LACAN 1 à
défaut de pouvoir se rapporter à l'article de JASPERS 2.
LAGACHE 3 a insisté à son tour :
1° Sur l'impossibilité d'une interprétation compréhensive à partir des événements
ou du caractère.
2° Sur un certain nombre de troubles concomitants : inquiétude, illusion de la
mémoire, idées d'empoisonnement, etc...
3° Sur la constitution rapide (en moins d'un an) d'une systématisation dont les
expériences délirantes initiales constituent la clé de voûte. L'observation publiée par …observation publiée par
MINKOWSKI 4 lui paraît à cet égard typique ; le délire était enveloppé dans une atmo- MINKOWSKI…
sphère de mystère, il se situait dans un « espace noir » analogue à celui que nous avons
devant nous, homogène et monotone, quand nous fermons les yeux. La jalousie dans
ce cas se développa sur le thème d'infidélité homosexuelle et le rival, ami du mari,
avait été précisément l'amant de la malade. A cette projection complexuelle manifeste
correspondait une pensée très altérée (trouble de la conscience de soi, étrangeté des
…la jalousie [perd] de sa
sentiments, aliénation de la pensée et de la parole intérieure, altération de la percep-
pureté pour se fondre
tion d'autrui, échange de personnalité entre elle et autrui). Autant dire que la jalousie dans un contexte délirant
perdait de sa pureté pour se fondre dans un contexte délirant et hallucinatoire. et hallucinatoire…
Les observations de LAGACHE qui correspondent à ce type de « délire proces-
suel » sont au nombre de dix. Dans un premier groupe (3 observations) il s'agit
d'états de jalousie contemporains des altérations de la personnalité. Constitution
rapide du délire, idées d'empoisonnement, imprécision des soupçons et des preuves,
déformation de la perception du moment et des personnages de la situation-triangu-
laire, situation complexuelle manifeste, etc., tels sont les traits majeurs de ce type de
501
ÉTUDE N° 18
jalousie morbide qui se confond plus ou moins avec l'évolution de psychoses schi-
zophréniques l. Le cas de Dominique (observation XVI) est particulièrement inté-
ressant et LAGACHE insiste spécialement sur la projection anachronique du thème
dans le passé, sur l'incongruence de ce passé avec le présent et sur la charge de bou-
leversement que la jalousie emprunte au moment présent pour s'édifier dans le passé.
La jalousie de Dominique est comme étrangère à sa personnalité, elle est, dirions-
nous, essentiellement « fantasmique ». Les observations XVII et XVIII constituent
un deuxième groupe caractérise par le fait qu'après un processus psychotique d'alté-
ration de la personnalité, il se forme une jalousie anachronique également tournée
vers le passé. – Enfin dans un troisième groupe de faits (observations XIX à XXII)
c'est la jalousie qui « inaugure le processus », c'est-à-dire que la jalousie morbide,
d'abord analogue à un « délire passionnel » (pour lequel on emploie généralement le
terme de « paranoïaque » en raison de sa « clarté », et dont on parle avec JASPERS,
LACAN OU LAGACHE comme d'un simple développement de la personnalité) devient
…l'on ne saurait séparer,
ensuite manifestement « processuelle » ; de telles observations sont d'un intérêt
[à nos yeux] répétons-le,
le « délire-développement considérable, car elles montrent précisément que l'on ne saurait séparer, répétons-le,
d'une personnalité » du le « délire-développement d'une personnalité » du « délire-processus », le premier
« délire-processus »… étant à nos yeux déjà « processus » dans la mesure même où il est délire.
1. Nous n'étudierons pas ici tous les aspects cliniques de la jalousie dans les psychoses. Pour ce
qui est des « idées de jalousie » dans la démence précoce, on consultera le travail de P. ABELY et
C. FEUILLET (Ann. Méd.-Psycho., 1941, II, pp. 75 à 87).
2. MARCEL, De la folie causée par les boissons alcooliques, Paris, 1847.
502
JALOUSIE MORBIDE
– En Allemagne COHEN VAN BAREN 1 (1846) et KRAFFT-EBING 2 (1891) attribuè- …le délire alcoolique de
rent une importance considérable à l'alcoolisme dans l'étiologie de la jalousie, puis- jalousie. Il fut étudié par
MARCEL déjà en 1847…
qu'ils estimaient que 80% des alcooliques sont des jaloux. – En 1901, PARANT 3 rap-
pelait que l'action de l'alcoolisme, tout en ne faisant bien souvent que concourir avec
celle d'autres causes, telles que dégénérescence et troubles sexuels, peut faire naître le
délire de jalousie en dehors de tout « tempérament jaloux ». Cependant plus récem-
ment DUPOUY, CHATAGNON et TRELLES 4, étaient d'un avis opposé et pour eux l'alcool
ne crée pas la jalousie ; il exerce seulement une action libératrice et stimulante sur les
dispositions paranoïaques de jalousies préexistantes. Pour LAGACHE l'action de l'alcool
est d'abord « quantitative », c'est-à-dire que l'alcool entraîne une diminution du contrô-
le et stimule les automatismes ; mais elle est aussi qualitative en s'exerçant élective-
ment sur les fonctions sexuelles.
Ce délire de jalousie presque spécifique du sexe masculin s'élabore dans les accès
aigus alcooliques, mais on le rencontre plus ou moins organisé, plus ou moins inten-
se, plus ou moins durable dans toutes les manifestations de l'alcoolisme.
Dans les délires alcooliques aigus, les idées de jalousie sont fréquentes. On peut
observer des ivresses jalouses, des états d'onirisme jaloux qui, le plus souvent éphé-
mères, peuvent cependant ne constituer qu'une étape vers un délire permanent plus ou
moins systématisé.
Mais c'est surtout dans l'alcoolisme chronique que le délire de jalousie est le plus
fréquent. Il se manifeste, après une période d'incubation, par des soupçons à point de
départ souvent nocturnes. Ce délire est excessivement tenace et survit même à l'im-
prégnation alcoolique.
Le « délire d'interprétation à forme jalouse des Buveurs » 5 a été anciennement
étudié par ESCOUBE 6, BATTIER 6 et ISCOVESCU 7. R. MIGNOT 8 soulignait que ces délires
s'édifient sur des interprétations plutôt que sur des hallucinations ; « c'est le type par- « c'est le type parfait des
fait des psychoses à base d'interprétations délirantes », écrivait-il. SÉRIEUX et psychoses à base d'inter-
prétations délirantes »,
CAPGRAS 9 ont mis l'accent sur les « éclipses » et les accès « paroxystiques » qui ryth-
écrivait R. MIGNOT…
ment l'évolution de ces délires, véritables « moments féconds » de l'inspiration jalou-
se morbide. Ce sont en un certain sens des « délires de rêve à rêve », de « confusion à
confusion ». Au cours de ces délires chroniques en effet apparaissent des accès subai-
503
ÉTUDE N° 18
gus qui aggravent le pronostic et pendant lesquels s'exacerbent les idées délirantes. Ces
…tous les classiques ont « expériences délirantes aiguës » plus ou moins oniriques s'accompagnent de troubles
insisté sur l'érotisme et
psychosensoriels comme dans la fameuse observation de GARNIER 1 où le malade frap-
l'obscénité des représenta-
tions dans les rêves et les
pait l'image hallucinatoire de l'amant de sa femme. – Rappelons enfin que tous les clas-
hallucinations pénibles de siques ont insisté sur l'érotisme et l'obscénité des représentations dans les rêves et les
ces malades… hallucinations pénibles de ces malades.
Pour LAGACHE 2, les délires de jalousie alcoolique se présentent, en clinique, selon
toute une gamme de types. Il distingue : 1° la jalousie ébrieuse (1 cas) ; 2° les réac-
tions psychologiques morbides du type de la jalousie passionnelle morbide ou « hyper-
esthésie jalouse » des classiques (4 cas) ; 3° les délires d'interprétation qui s'amendent
dans le délai de la désintoxica tion toxique (3 cas) ; 4° des états de jalousie du type du
délire chronique d'interprétation (1 cas) ; 5 des bouffées interprétatives avec altération
de la personnalité (1cas) ; 6° des états de jalousie du type de la psychose hallucinatoi-
re chronique (1cas) ; 7° des états de jalousie de type confuso-chronique du delirium
tremens (1 cas) ; 8° enfin des cas mixtes où s'intriquent les divers symptômes et les
divers mécanismes (1 cas). – Il insiste sur les caractères communs de tous ces cas : éré-
thisme affectif de caractère mixte plus net que chez le passionnel ou l'interprétant – rôle
considérable de la lubricité et de la perversité sexuelle dans les représentations déli-
rantes – troubles sexuels et notamment impuissance – caractère bruyant, scandaleux et
obscène des manifestations – aggravation sous l'influence des facteurs d'alcoolisation
(influence saisonnière, vespérale, nocturne) – enfin, fréquence des idées d'empoison-
nement en rapport avec les troubles digestifs.
NEVEU 3 dans son étude des « délires chroniques » a noté lui aussi et une fois de
plus la fréquence des « idées de jalousie » chez les alcooliques : elles se développent,
dit-il, sur un fond d'interprétations. Quelquefois, elles peuvent être inconscientes et ne
s'exprimer que dans le rêve. « Celui-ci peut être la source d'une conviction délirante et
cette conviction est parfois entretenue par des rêves successifs partiellement amné-
siques, origine d'un sentiment de jalousie inexpliqué. Dans une de ses observations,
son malade exprime dans la jalousie à l'égard de sa mère la haine qu'il ressentait à son
égard et ses rêves de coït incestueux révélaient naturellement des tendances œdi-
piennes profondes. D'autres fois, c'est dans l'hallucination que se projette la jalousie.
Le thème de jalousie doit être rapproché d'après NEVEU de celui d'agression sexuelle
si fréquent également dans les délires alcooliques et de celui d'empoisonnement qui
lie, pour ainsi dire, la haine à la vengeance perfide dans l'événement persécutif.
LLOPIS LLORET et A. ESCUDERO ORTUNO 4 ont récemment bien analysé la structu-
…la multiplicité de l'ima- re formelle de la conscience onirique de jalousie dans le delirium tremens. Ils ont insis-
ge du rival… té sur la multiplicité de l'image du rival (série de personnages, arabes, soldats, etc.).
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JALOUSIE MORBIDE
1. CLAUDE et Henri EY, Troubles psychosensoriels et états oniriques dans l'Encéphalite épidé-
mique chronique. Presse Médicale, 1933.
2. DUPOUY, COURTOIS et BOREL, Délire de jalousie chez les Parkinsoniens, Ann. Médico-Psycho.,
1932, 11.
3. DUPOUY, CHATAGNON et TRELLES, SOC. Clin. Méd. Ment., 1930.
4. CHRISTIANSEN, Le délire érotique des vieillards.
5. PUYUELO, La jalousie, Thèse de Bordeaux, 1935, pp. 93 à 98.
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n'en reste pas moins que la passion normale a un double caractère fondamental : elle
est adaptée à une situation vitale et elle peut être « dominée ». Le premier de ces carac-
tères soustrait la passion à une détermination purement interne de ses mobiles. Sans
doute – et c'est en cela qu'elle est « passion » – est-elle subie comme une exigence
issue de soi-même pour autant que je me pose et que je m'oppose comme « revendi-
cant », « avide », « emporté », etc., dans l'élan et la véhémence de mon être profond
dressé de toute sa fureur contre l'événement, les circonstances et le milieu social. Mais
elle est née, sinon entièrement nourrie, de ma mise en situation dans le monde. Issue
de cette situation, même si j'y ajoute le complément constitutif de mes instincts, ma
passion en épouse les contours, en subit le sens et le poids. De telle sorte que la pas-
sion normale est pour ainsi dire soudée à son second critère : dépendant essentielle-
ment d'une situation, c'est-à-dire d'une manière d'être dans un aspect concret et fini du
monde, elle dépend de la conscience que je prends de cette situation, c'est-à-dire d'un
acquiescement implicite de mon jugement ou mieux de sa conformité à ma conception
réfléchie du monde, laquelle, pour être à l'arrière-plan, n'en demeure pas moins pré-
sente. Pour si frénétique que soit le mouvement auquel je m'abandonne, pour si vio-
lent et irrésistible que soit le tourbillon de mes sentiments je garde la possibilité de me
ressaisir et, après m'être livré à cette « folie », de la surmonter. Elle est un « paroxys-
me » consenti et, somme toute, sinon contrôlé, du moins contrôlable.
C'est précisément ce que ne peut pas être la maladie et c'est en quoi elle est mala-
die. La forme passionnelle qu'affecte la maladie, est un effet et non une cause de cette
manière de vivre les tourments de la frustration, c'est-à-dire d'être enfermé dans sa pas-
…l'endogénéité et l'irra- sion, de la subir et de s'y engloutir. Ici l'endogénéité et l'irrationalité de la jalousie
tionalité de la jalousie
morbide sont les qualités structurales et formelles de la conscience délirante. C'est ce
morbide sont les qualités
structurales et formelles qui nous explique que les études particulières de JASPERS sur la jalousie morbide aient
de la conscience déliran- conduit justement à la psychopathologie générale de la pensée délirante. C'est ce qui
te. C'est ce qui nous nous explique encore que G. DE CLÉRAMBAULT ait pu si admirablement décrire la mor-
explique que les études
phologie des délires passionnels, c'est-à-dire en déterminer la structure formelle 1 : « Il
particulières de JASPERS
sur la jalousie morbide existe certes, écrivait-il en 1921, des cas limites mais dans l'immense majorité des cas
aient conduit justement à la différenciation entre état passionnel banal et état passionnel morbide est possible.
la psychopathologie Les critériums en outre de la table thématique (coexistence typique des formules et des
générale de la pensée
thèmes) sont l'intensité des réactions, la persistance, l'incoercibilité, la dyslogie, l'hy-
délirante…
pertonie, sur fond de perversité et d'impulsivité ».
La légitimité même du concept de « jalousie morbide », reconnue de si éclatante
façon, nous incite donc à en établir ses caractéristiques structurales fondamentales.
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JALOUSIE MORBIDE
Les modifications de l'activité noétique constituent les modalités propres de l'irra- …Les modifications de
tionnalité de la jalousie morbide. Répétons-le de crainte de paraître l'oublier : certes, l'activité noétique consti-
tuent les modalités
tout état passionnel est – c'est un lieu commun – essentiellement irrationnel et soumis
propres de l'irrationnalité
aux lois de la « logique affective », c'est-à-dire, en fin de compte, soustrait aux lois de de la jalousie morbide…
la logique tout court ; mais la « conscience » du jaloux morbide et ses modes de
connaissance constituent une chute de niveau 1 en ce sens que la pensée du jaloux
pathologique a perdu non seulement sa clarté et sa rationalité, ce qui est le cas de toute
« connaissance » passionnelle, mais la possibilité d'être claire et rationnelle. C'est ce
qui nous explique qu'une étude de la « jalousie vécue », quand elle prend pour objet
presque exclusif de son analyse la jalousie morbide, comme celle de LAGACHE, met …l'analyse la jalousie
perpétuellement en évidence les modalités de connaissance paranoïaque que LACAN morbide, comme celle de
LAGACHE, met perpétuel-
avait magistralement exposées, il y a quelques années 2. Les altérations de l'activité
lement en évidence les
noétique sont majeures dans ces « moments féconds », ou ces « phases matricielles » modalités de la connais-
des délires de jalousie qui se présentent en clinique sous forme onirique, oniroïde, sance paranoïaque…
maniaque, etc. Le cas des délires alcooliques de jalousie est à cet égard absolument (LACAN)…
probant. Ce que nous avons dit des élaborations de la jalousie dans le rêve ou les
phases parahypniques rejoint cette constatation. Mais, même quand le jaloux est
« lucide » et « calme », sa pensée garde l'empreinte de cette profonde modification de
sa vie psychique. Rapportons-nous à cet égard à l'analyse par LAGACHE de ses cas
« Anna » et « Simon » 3. Leurs expériences fondamentales se sont constituées sur la
base de sentiments pathologiques, effets de la régression de la pensée vers ses formes
magiques et archaïques de connaissance. Les expériences « Imaginatives » de « l'in-
trusion », du « regard », de la « trahison », et de 1' « excommunion » sont vécues,
comme les « postulats passionnels » de G. DE CLÉRAMBAULT, sur un registre de pro-
jection quasi ou même typiquement hallucinatoire. Les fausses perceptions, les illu-
sions, les interprétations, constituent les sources classiques de cette connaissance :
« La place des pressentiments anxieux, des illusions, des fausses connaissances, des
fantasmes, des rêves parmi les matériaux de la croyance montre bien le rôle de l'à prio-
ri représenté par les structures intentionnelles de l'amour jaloux et le postulat de la
jalousie » 4. On conçoit que la « connaissance » jalouse morbide qui plonge ses racines
profondes dans le monde des images, comme nous le verrons plus loin, emprunte, à la
fois, son système de valeurs « asséritives », ses hésitations 5, son perpétuel doute, ses
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1. Le meurtre du partenaire semble être plus fréquent de la part de l'homme jaloux tandis que la
femme jalouse tue de préférence sa rivale (LAGACHE). C'est peut-être parce que la femme va
moins directement jusqu'au bout de ses fantasmes.
2. Étude n° 13, Perversité et Perversions.
3. Étude n° 12, Exhibitionnisme.
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ÉTUDE N° 18
…c'est à l'immanente Autrement dit, c'est à l'immanente ambivalence de notre système pulsionnel que
ambivalence de notre sys- correspond le fantasme de l'intrusion du rival. Soit qu'il double le sexe du partenaire
tème pulsionnel que cor-
« infidèle » quand la trahison de celui-ci est présumée homosexuelle, et permette une
respond le fantasme de
l'intrusion du rival… satisfaction symétrique et secrète. Soit qu'il introduise un tiers du même sexe que le
jaloux (cas le plus fréquent) dans le couple et élargisse ainsi jusqu'à l'inverser le plai-
sir d'aimer. Soit enfin que ce fantasme du rival domine jusqu'à l'abolir l'image de l'in-
fidèle. Toutes situations ou possibilités qui s'expriment en termes approximatifs de la
fameuse formule de FREUD « je ne l'aime pas lui, c'est elle qui l'aime ».
Or c'est une des dimensions structurales les plus authentiques de la jalousie mor-
bide que de mettre à jour ce substratum complexuel de la jalousie 1. Tout ce que l'on
a dit (et que nous avons rappelé plus haut) sur la « lubricité » et la « perversité » des
jaloux alcooliques, encéphalitiques, etc... les exemples cliniques que la pratique nous
offre constamment (et dont on trouvera dans l'ouvrage de LAGACHE de très belles
observations), la fréquence des « composantes » homosexuelles, incestueuses, exhibi-
tionnistes, scoptophilique, sadique ou masochiste, des délires de jalousie, tous ces
traits typiques de la jalousie pathologique nous permettent de mieux la saisir pour ce
qu'elle est. Si l'amour est d'autant plus fort et normal qu'il enferme deux êtres de sexe
opposé dans l'espace rigoureusement clos d'un corps double et seulement double ; si la
jalousie normale est la crainte ou le dépit d'une intrusion effective dans cet espace
fermé, la jalousie morbide est une production fantasmique qui n'introduit pas, (puis-
qu'elles y sont déjà incluses), mais qui libère les « imagos » antagonistes dont est for-
mée l'image unique du partenaire, en tant qu'objet de la relation amoureuse. Cette divi-
…Cette division de l'ob-
sion de l'objet, en ses parties constitutives, est l'essence de la jalousie complexuelle.
jet, en ses parties consti-
tutives, est l'essence de la Ainsi, c'est l'opacité et l'actualité d'une image jusque-là transparente et virtuelle qui, en
jalousie complexuelle… faisant apparaître le « Rival », cristallise le délire de jalousie.
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BIBLIOGRAPHIE
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514
Étude n° 19
9. Les troubles de la mémoire.
10. La catatonie.
11. Impulsions.
MÉGALOMANIE
12. Exhibitionnisme.
13. Perversité et perversions.
14. Le suicide pathologique.
15. Anxiété morbide.
16. Délire des négations.
17. Hypochondrie.
18. Jalousie morbide.
19. Mégalomanie.
Par les « idées de grandeur » s'exprime une surestimation de tous les attributs de …Définition…
possession, de puissance et de valeur du Moi. Elles s'accompagnent souvent, mais pas
toujours, de sentiments euphoriques. Car, si la joie exalte les dispositions mégaloma-
niaques et ambitieuses, on les retrouve aussi dans d'autres constellations psycho-affec-
tives telles que l'orgueil, le sentiment de persécution et même nous le verrons dans l'in-
finité de la douleur. C'est dire que le « thème de grandeur », dès que nous l'approchons,
nous paraît refléter des structures délirantes très diverses.
L'Historique des « idées de grandeur », du « délire ambitieux », des « conceptions
mégalomaniaques », reflète d'ailleurs la diversité des complexes affectifs et délirants
dont l'idée de grandeur n'est qu'un fragment. Tout d'abord avec BAYLE, les idées de …Tout d'abord avec
grandeur sous leur forme euphorique, expansive, furent rattachées à la « folie paraly- BAYLE…
tique ». Plus tard FOVILLE (1889) entendit décrire une variété spéciale de délirants …Plus tard FOVILLE
chroniques plus ou moins nettement opposés aux persécutés : les mégalomanes. Le tra- (1889)…
1. ADLER, Ueber den nervösen Charaktern, 1912 (trad. fr., 1926) ; Praxis und Théorie der
Individualpsychologie, 2e édit., Munich, 1924 ; Menschenkentniss, Leipzig, 1931, etc.
515
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516
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517
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1. DEBESSE, La crise d'originalité juvénile, Paris, 1936 cf. surtout pp. 164 à 193.
2. Ch. BLONDEL, La personnalité, Traité de DUMAS, II, p. 528.
3. E. SPRANGER, Psychologie des Jugendalters, 1928.
4. Le Nabab, d'Alphonse DAUDET, comprend de bonnes observations à cet égard d'un auteur qui
a rendu légendaires les fameuses mégalomanies de TARTARIN...
5. P. BOREL, Les idées de grandeur dans le rêve, Journal de Psychologie, 1914, p. 400. Article
posthume, car l'élève de DÉJÉRINE fut tué au début de la guerre de 1914.
518
MÉGALOMANIE
sorte de « mégalomanie normale » dans nos rêves, mais qui ne serait qu'accidentelle et
occasionnelle. L'explication de la rareté relative de la mégalomanie dans le rêve serait,
pour P. BOREL, le fait qu'il existe entre le rêve et la rêverie une différence considérable :
la conscience du moi ; la notion de personnalité est présente dans la rêverie et manque
dans le rêve, or elle est nécessaire à la formation de l'idée de grandeur. Cette explica-
tion est peut-être ingénieuse. Mais il ne semble pas très évident, si l'on en croit l'expé-
rience psychanalytique du monde onirique (et plus simplement l'expérience de la plu-
part des gens), que l'idée de grandeur dans les songes, que les rêves mégalomaniaques,
soient si rares que P. BOREL le pensait. En fait, il existe un grand nombre de scènes et
de thèmes ambitieux, mirobolants, acrobatiques, glorieux, héroïques ou somptueux
dans les aventures oniriques ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte en se référant
au « matériel » de n'importe quelle analyse. Mais ce qui est en effet plus particulier au …ce qui est en effet plus
particulier au rêve, c'est
rêve, c'est la « magnification de l'image », sorte de complaisance de la conscience du
la « magnification de
rêveur pour l'agrandissement, la luxuriance, l'amplification théâtrale, l'énormité, la l'image » […] la luxu-
richesse, la grandeur de l'image vécue. C'est que, à ses degrés les plus inférieurs, le riance, l'amplification
rêve est si immédiatement soudé aux aspirations, aux intentions d'ailleurs obscures de théâtrale, l'énormité, la
richesse, la grandeur de
la conscience que celle-ci se repaît, se repose et se délecte dans cette imagerie issue
l'image vécue…
d'elle-même, morceau d'elle-même, où coule sa propre substance et qu'elle jouit de ses
images amplifiées par le foyer d'un prodigieux miroir, celui de ses désirs. C'est de cette
griserie, de cet ensorcellement, de cet enchantement, de cette toute-puissance de l'ima-
ge que naît la valeur privilégiée et esthétique du monde éidétique. Autrement dit :
même quand le rêve n'exprime pas nettement l'idée de grandeur, son atmosphère en est
tout imprégnée, car les aspirations mégalomaniaques s'accrochent, s'agglutinent au
monde des images, à ce monde qui est celui où se détendent les forces d'expansion
comprimées par la pensée vigile.
1. Ce « jugement » est, plutôt, une certaine « manière d'être au monde » où sont engagées non
seulement les opérations noétiques ou cognitives de la vieille psychologie des « facultés », mais
notre attitude affective et surtout notre perspective des valeurs morales et de réalité. Le « juge-
ment » doit être ici entendu comme la forme supérieure d'intégration du comportement et de la
pensée dans le système des valeurs, la hiérarchie des formes d'être et de possible.
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ÉTUDE N° 19
l'adolescent) rompre à son profit la difficile et équitable estimation du moi par rapport
à autrui et au monde.
…Il paraît certain que Il paraît certain que certaines conditions de l'équilibre thymique (c'est-à-dire de l'in-
certaines conditions de tégration des variations émotionnelles) en disparaissant favorisent l'expression des pul-
l'équilibre thymique
sions mégalomaniaques. C'est le cas des états psychopathologiques essentiellement
(c'est-à-dire de l'intégra-
tion des variations émo- euphoristiques où la joie, comme nous le disions précédemment, enveloppe alors l'idée
tionnelles) en disparais- de grandeur ; celle-ci, ainsi libérée, jaillit de son propre élan. On connaît l'action des
sant favorisent l'expres- toxiques « hilarants » ou euphoristiques (opium, haschich, alcool, éther, etc...) qui, en
sion des pulsions mégalo-
altérant la conscience, produisent des sentiments d'alacrité, de confiance expansive ; ils
maniaques…
font voir la vie « en rose » ; ils élargissent les perspectives vitales ; ils renversent les
obstacles et sous la sourde poussée du désir brisent les résistances de la réalité et de la
raison. L'euphorie délirante des phtisiques, celle foncière de la paralysie générale à
forme expansive, celle des états d'excitation maniaque sont classiquement considérées
comme génératrices de tendances mégalomaniaques. MIGNARD, en étudiant les états de
satisfaction chez les déments, a montré quel rôle joue l'euphorie béate dans la genèse
de certaines idées de grandeur. Nous étudierons plus loin ce problème à propos de la
paralysie générale. De tels états euphoriques dépendent manifestement des perturba-
tions de la vie neuro-organo-végétative dont la « moria frontale » et les « états d'exci-
tation hypothalamiques » ont tour à tour depuis cinquante ans représenté le type privi-
légié. C'est dans ce sens que COTARD 1, déjà en 1888, parlait de « l'origine psychomo-
trice » du délire de grandeur et le fondait sur un automatisme hyperthymique, une exal-
tation des processus cérébraux. Mais si les sentiments euphoriques, l'état d'émotion pro-
voquent l'idéation mégalomaniaque, par un assez étrange paradoxe les états d'anxiété de
la paralysie générale n'en sont pas exemptés et la mélancolie peut donner au délire
mélancolique, et spécialement à celui de négation, une véritable dimension mégaloma
niaque : c'est le délire d'énormité (idées « pseudo-mégalomaniaques » de RÉGIS). Nous
aurons encore à souligner, plus loin, l'importance du lien qui unit la mégalomanie aux
délires « pessimistes » de persécution, de possession ou d'influence.
Mais le « mécanisme » le plus important de la genèse des idées de grandeur paraît
être différent et il convient plutôt de mettre l'accent sur la régression des capacités psy-
chiques et des troubles de la conscience qui « libèrent » tout ce que le jugement et la
conscience claire réprimaient : les forces expansives égotistes. L'importance des états
régressifs de la conscience et de la personnalité est telle que l'observation clinique la
plus rudimentaire a toujours montré l'idée de grandeur fâcheusement subordonnée à un
trouble déjà assez profond de la personnalité et des fonctions psychiques, soit dans les
états de démence soit dans les formes terminales des « vésanies ».
520
MÉGALOMANIE
d) Dans les états oniriques et oniroïdes, les rêves ambitieux qui peuplent l'oniris- …les rêves ambitieux
peuplent l'onirisme…
me sont vécus dans l'atmosphère exaltante des secrets révélés, du paradis entrouvert et
des prodigieuses extases. Les apparitions et révélations surnaturelles en constituent la
trame la plus fréquente et les expériences délirantes sont vécues comme visions, ins-
pirations divines et prophétiques, merveilleuses communications célestes. C'est sou-
vent aussi sur le registre érotique que le thème de grandeur enveloppe le sujet d'une
atmosphère lascive où il jouit délicieusement des accouplements satisfaisant au-delà
du possible les fantasmes libidinaux dont ils sont nés... Sur le plan de l'action politique
et sociale, enfin, sont vécues avec une extrême fréquence également des scènes de
1. On trouvera de bons exemples dans le travail de DUPRÉ et LOGRE, Les psychoses Imaginatives
aiguës, Ann. Médico-Psycho., août-septembre, 1914 et les travaux d'A. BOREL, et G. ROBIN, Les
rêveries morbides, Ann. Médico-Psycho., mars 1924, et Les rêveurs éveillés, I vol., Gallimard,
1925.
2. SÉGLAS, Journal de Psychologie, 1907, p. 240.
521
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522
MÉGALOMANIE
1. H. C. RUMKE, Zur Phänomenologie und Klinik des Glücksgefühls, I vol., Berlin, 1924
2. W. MAYER, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1914, 2.
3. ZIEHEN, Die Geisteskrankheiten des Kinderalters, I vol., 1915.
523
ÉTUDE N° 19
524
MÉGALOMANIE
avons déjà annoncé ces formes de délire de grandeur qui constituent non seulement,
comme disait Gilbert BALLET, un « métabolisme de la personnalité » physique, socia-
le, morale dans un sens mégalomaniaque, mais une véritable métamorphose de la
conception du monde. Sans doute toute modification dans l'équilibre moi-monde
qu'exprime l'idée de grandeur transforme-t-elle, du même coup, toutes les perspectives
idéologiques des malades, mais nous avons, ici, spécialement en vue les cas cliniques
où le thème de grandeur est au premier plan et enveloppe l'ensemble de l'existence du …le thème de grandeur est
mégalomane. Soit que se constitue un véritable système du monde, une philosophie au premier plan et enve-
loppe l'ensemble de l'exis-
dont le centre est le culte d'un personnage tout puissant incorporé à la personne du déli-
tence du mégalomane…
rant devenu le Tout-Puissant. Soit que la nature, l'histoire, la théologie, la géographie,
la physique et la biologie soient pensées comme des aspects fantastiques d'un monde
infiniment dilaté à la mesure même d'un moi qui se confond avec l'univers.
Dans le premier cas le délire construit sa trame et s'enfonce comme un coin dans …soit le centre[du délire]
est le culte d'un person-
la réalité en utilisant toutes les ressources dialectiques et logiques d'une formidable
nage tout puissant incor-
démonstration, parfaite dans son architectonie mais sans aucune base autre qu'une poré à la personne du
intuition initiale fulgurante et irréfragable pour le mégalomane fragile et pitoyable délirant…
pour autrui. C'est le cas par exemple d'un malade de Bonneval qui se croit depuis qua-
rante ans issu de la famille Bonaparte ; il a accumulé preuves sur preuves pour démon-
trer ses véritables origines, ayant entrepris et achevé un travail surhumain de refonte
de l'histoire. Il convenait un jour que tout l'édifice reposait sur « cette petite fleur de
lys qui est imprimée dans son dos ». Sur notre observation que cette marque n'existait
pas, il chancela et pâlit au bord de la syncope. Éperdu, sentant vaciller tout son systè-
me, il ne trouve la force que de balbutier « Oh, alors !... » en mimant le coup de rasoir
dont il voulait, dans son désespoir, se trancher la gorge... Il ne nous restait plus que la
ressource pour calmer son émotion si dramatique que de jeter un coup d'oeil sur son
dos et de le rassurer en lui affirmant que « la petite fleur de lys y était bien ». Il revint
à la vie et retourna à sa fantasmagorie un instant ébranlée.
Dans la seconde éventualité il s'agit de ces délires 1 étudiés chez nous sous le nom …soit dans les délires
d'imagination ou para-
de « délires d'imagination » et par KRAEPELIN de « paraphrénies ». La mégalomanie est
phrénies, la mégalomanie
ici un mode de pensée où rien n'est perçu, rien n'est vécu qui ne soit un mythe de toute- est ici un mode de pensée
puissance. Le corps merveilleusement plastique traverse les siècles et les continents ; où rien n'est perçu, rien
chacune de ses parties reflète le tout de l'univers et les trésors de la terre, les pierreries, n'est vécu qui ne soit un
mythe de toute-puissance…
l'or, forment avec son sang la circulation elliptique des astres dans l'éternelle rotation
1. Les études de STORCH (DOS archaïsche Denken, 1922 – et article in Zeitsckr. f. d.g. Neuro.,
1930, t. 127) s'appliquent assez exactement à ce type de délire. De même les études de G. DUMAS
(Annales Médico-Psycho., 1934) et LEVY-VALENSI (Annales Médico-Psycho., 1934). Beaucoup
d'analyses d'inspiration plus ou moins phénoménologique comme celles de Kurt SCHNEIDER,
d'Otto KANT, Carl SCHNEIDER, etc., sur la pensée délirante ont approfondi le « scandale logique »
de ces structures mégalomaniaques.
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ÉTUDE N° 19
des signes du zodiaque. Empereur de Rhénanie, cette femme opulente, commande par
le jet de ses dix millions de sexes masculins au forage du tunnel sous la Manche par
où Staline et Truman, c'est-à-dire les deux Amazones, filles d'un lézard quadricéphale
à l'œil vert doivent pénétrer dans son ventre homme-femme, etc... Tous nos services
sont ornés de quelques spécimens de ce genre qui passent leur triste existence de reclus
à produire un véritable océan de fantastique. Tout ne se passe-t-il pas comme si cette
mégalomanie jusque-là à peine dessinée, ébauchée, timide ou naissante et dont nous
avons retracé les niveaux structuraux successifs n'éclatait ici avec toute la puissance
lyrique d'une force qui a rompu toutes les digues pour nous offrir l'image suprême de
la folie?
526
MÉGALOMANIE
l'abondance du flux idéo-verbal les entraîne à vivre un état d'exaltation à la fois pseu-
do-génial, artificiel et mystérieux. Naturellement, quand un tel état se prolonge dans les
formes de manie chronique, il constitue la structure de tous ces délires chaotiques,
tumultueux, mais présentant parfois de véritables travées d'organisation, qui constituent
des thèmes de richesse, de puissance, de mission divine, de prophétie, etc... Quand l'ex-
citation maniaque se résorbe jusqu'à n'être plus qu'un état d'hypomanie, on sait que la
surestimation des valeurs du « moi » conduit à des délires de revendication, d'invention,
d'idéalisme passionné qui s'insèrent presque toujours dans l'activité proprement socia-
le, professionnelle ou politique. A ce degré, le délire mégalomaniaque ne constitue
qu'une sorte d'exubérance où se mêlent l'avidité, la vanité et la captativité de ces sujets
débordant d'enthousiasme, de désir et de tumultueuse activité. Notons enfin la nuance
spéciale que prend le délire de grandeur chez les maniaques débiles. Le fond oligo-
phrénique colore alors de puérile naïveté les conceptions délirantes de grandeur et c'est
généralement au monde rétréci de leur existence qu'ils empruntent leurs expressions
thématiques : les images d'Épinal, les mythes folkloriques, les superstitions, les
croyances les plus primitives fournissent un matériel enfantin au délire. C'est ainsi que
la vie militaire ou professionnelle, la lecture des journaux chez les hommes, l'imagerie
religieuse chez les femmes, sont candidement exploitées.
527
ÉTUDE N° 19
4° Dans l'épilepsie.
…Il est assez rare, comme Il est assez rare, comme le faisait remarquer CHRISTIAN, d'observer chez les épi-
le faisait remarquer leptiques des idées de grandeur, et les délires mystiques même de l'épilepsie ne revê-
CHRISTIAN, d'observer
tent que rarement une forme expansive 1. Cependant les phases d'activité délirante que
chez les épileptiques des
idées de grandeur… l'on observe chez ces malades, soit à titre de confusion post-critique soit d'équivalents
psychiques, peuvent être oniriques ou féeriques 2. Autrement dit ce que nous venons
de rappeler au sujet des expériences confuso-oniriques vaut également pour ces états
délirants comitiaux. Il peut même arriver que se forme à travers ces expériences déli-
rantes paroxystiques une organisation autistique de la vie psychique sur laquelle
FOLLIN a récemment fondé son étude des relations entre l'épilepsie et la schizophré-
nie 3. La mentalité épileptique, à certains égards si près de celle des parkinsoniens
encéphalitiques, se trouve pour ainsi dire infiltrée de significations délirantes puisées
dans l'immense variété d'états psycholeptiques qui rythment l'évolution de cette psy-
chose. La religiosité de ces sujets prend sa source dans ces divers degrés d'automatis-
me comitial et s'élargit parfois jusqu'à des thèmes grandiloquents et naïfs de grandeur.
Des thèmes de filiation, de fabuleuse maternité, de mission prophétique, peuvent se
rencontrer et coïncider par leur frénétique inspiration avec les thèmes spécifiquement
dostoïevskiens. Parfois cependant le délire de grandeur comitial se condense en cou-
lées fantasmagoriques violentes et brèves. Rappelons, par exemple, les cas cités par
CHRISTIAN et cette observation de KRAFFT-EBING 4 où il s'agissait d'un épileptique de
vingt et un ans à tendance imaginative qui présentait de brusques bouffées délirantes
de grandeur, sorte de rêverie mégalo-romanesque sur un thème héroïque et guerrier.
528
MÉGALOMANIE
529
ÉTUDE N° 19
1. Les études d'Alfred ADLER et de l'école de l'Individual psychologie ont admirablement montré
le rôle que jouent ces mécanismes dans la structure des névroses. L'ouvrage d'ADLER sur le
Tempérament nerveux est tout infiltré de la « fiction schématique » par quoi l'individu substitue
à sa malheureuse condition une fiction consolatrice.
2. Cette paranoïa caractérielle, si elle est l'ébauche ou l'indice de ce qu'est un véritable système déli-
rant paranoïaque, ne saurait être confondue avec les véritables délires paranoïaques systématisés
dont nous parlerons plus loin et dont elle ne constitue ni la condition nécessaire, ni suffisante.
530
MÉGALOMANIE
531
ÉTUDE N° 19
des complots et forment les cycles magiques et grandioses qui, enserrant la personna-
lité dans une étreinte cosmique, l'hypertrophient dans le mirage de sa toute-puissance.
Il nous suffit d'avoir rappelé ce que la clinique nous offre journellement d'exemplaires
de cette pensée schizophrénique essentiellement narcissique pour en avoir établi la
structure essentiellement mégalomaniaque.
« Après avoir souffert plus ou moins longtemps de leurs hallucinations, après les
…La fameuse analyse cli- avoir attribuées à des ennemis inconnus ou s'être contentés de les expliquer à l'aide
nique de FOVILLE… d'un mot plus ou moins obscur ou merveilleux, certains lypémaniaques hallucinés se
disent : de pareils phénomènes ne peuvent se passer dans l'état social où nous vivons,
sans l'intervention des personnages les plus puissants et les plus haut placés ; eux seuls
disposent de l'autorité nécessaire pour provoquer de pareils effets ; eux seuls par
conséquent sont les instigateurs de nos tourments. D'autres au contraire, voyant qu'en
1. Les travaux de BLEULER, KEHRER, KRETSCHMER, LANGE, LACAN, etc. sur ces formes de systé-
matisation contiennent tous des analyses des thèmes de persécution et de grandeur. Le fameux
cas Wagner, étudié par GAUPP (Allg. Zeitschr. f. Psych., 1910, p. 317), puis par LANGE (Zeitschr.
f. d. g. Neuro., t. 85 et t. 94 — Die Paranoïa Frage, 1 vol., 1927) est très démonstratif à cet égard.
2. Achille FOVILLE, fils, Mémoire de l'Académie de Médecine, 1871, pp. 344 à 350.
532
MÉGALOMANIE
fin de compte ils ne succombent jamais complètement aux dangers dont ils sont entou-
rés se figurent qu'ils ont des amis cachés, mais tout-puissants, qui les protègent.
Cet ordre d'idées imprime dès lors son cachet à l'ensemble des conceptions et des
hallucinations; les malades parlent de grands personnages; ils en voient partout, ils
méconnaissent la personnalité réelle des personnes qui les approchent : l'empereur,
l'impératrice, les princes viennent les voir ou leur envoient des messages. Au milieu
du délire mélancolique, les idées de grandeur acquièrent une importance réelle prédo-
minante. Ce n'est là en réalité que l'exagération de ce que nous avons déjà indiqué
comme fréquent chez les lypémaniaques : l'enchaînement des phénomènes est le
même ; seulement les idées ambitieuses au lieu d'être accessoires et accidentelles sont
devenues principales et continues, et de plus elles conduisent les malades à des erreurs
sur la personnalité des personnes étrangères.
Mais les choses peuvent aller encore plus loin, frappés du peu de rapport qui exis-
te entre la position bourgeoise et la puissance dont leurs ennemis doivent disposer pour
les atteindre en dépit de tout ; entre le rôle effacé qu'ils jouent dans le monde et les
mobiles impérieux qui seuls peuvent expliquer l'acharnement avec lequel on les pour-
suit, quelques-uns de ces malades finissent par se demander si réellement ils sont aussi
peu importants qu'ils le paraissent. Une nouvelle perspective s'ouvre là à leur esprit
tourmenté ; ce n'est plus la personnalité des autres, c'est leur propre personnalité qui
se transforme à leurs yeux ; pour qu'on la traque comme on le fait, il faut, se disent-
ils, qu'on ait un intérêt à agir ainsi et si l'on a si grand intérêt à les perdre c'est qu'ils
portent ombrage à quelque personnage riche et puissant, c'est qu'ils auraient droit eux-
mêmes à une richesse et à une puissance dont ils sont frauduleusement dépouillés ;
c'est qu'ils appartiennent à un rang élevé dont les circonstances plus ou moins mysté-
rieuses les ont écartés ; c'est que les gens qu'ils avaient considérés comme leurs
parents, ne sont pas leurs parents véritables ; c'est qu'eux ils appartiennent en réalité à
une famille de premier ordre, à une souche royale le plus souvent. »
On saisit ici ce que l'on a appelé le fameux « syllogisme » d'Achille FOVILLE : « Si …le syllogisme d'Achille
FOVILLE: « Si je suis persé-
je suis persécuté c'est donc que je suis un grand personnage ». Cette conception intel-
cuté c'est donc que je suis
lectualiste du délire contient une part de vérité, car il est certain que le « travail raison- un grand personnage »…
nant » de ces malades occupe la première place du tableau clinique. Mais si nous vou-
lons comprendre l'épanouissement du thème mégalomaniaque dans le développement
de la systématique délirante, il est nécessaire d'envisager que le thème prévalent, dans
le dernier temps de la symphonie, était déjà impliqué et comme annoncé dès la première
phase de son évolution. Il est impossible en effet d'envisager le thème de persécution
autrement que comme un des termes du binôme fondamental persécution-grandeur (ou
si l'on veut culpabilité-avidité, ou si l'on veut encore masochisme-sadisme). Si le thème
de grandeur ne se développe qu'après avoir été enveloppé, c'est que dans l'expérience
délirante fondamentale et initiale (comme dans le rêve), la structure complexuelle pro-
fonde subissait encore une certaine censure, et restait, comme étouffée, soumise à une
forte répression. Dans la suite, quand le délire a pu devenir la forme même de l'exis-
tence, jaillit alors et s'élève comme un chant glorieux le thème narcissique primordial
533
ÉTUDE N° 19
du délire de grandeur. Mais c'est aussi un chant du cygne. Tous les cliniciens connais-
sent en effet le mauvais pronostic d'un système délirant de cet ordre.
Toutefois le délire systématique peut brûler pour ainsi dire les étapes et Achille
…« Cependant on ren- FOVILLE avait pu écrire : « Cependant on rencontre certains cas où les conceptions déli-
contre certains cas où les rantes de nature mégalomaniaque naissent spontanément, sans hallucinations anté-
conceptions délirantes de
nature mégalomaniaque
rieures, et d'autres où les hallucinations sont de nature flatteuse ou agréable et font
naissent spontanément…» naître d'emblée des idées de grandeur ». Bien des observations ont été publiées dans la
FOVILLE. littérature 1 et l'observation clinique quotidienne nous offre un grand nombre de cas de
ce genre. Généralement les anciens auteurs attribuaient à cette génération rapide et
pour ainsi dire spontanée de la mégalomanie un pronostic plus favorable comme si
…Nous avons eu l'occa- cette rapide flambée devait plus aisément s'éteindre. Nous avons eu l'occasion d'ob-
sion d'observer ces der- server ces dernières années un cas qui semble confirmer cette manière de voir, réser-
nières années un cas qui ve faite de l'efficacité de la thérapeutique employée. Il s'agissait d'une jeune fille très
semble confirmer cette
manière de voir…
intelligente mais à hérédité chargée. Quelques mois après la mort d'un jeune homme
avec qui elle avait entretenu des relations d'ailleurs purement sentimentales et même
sans projet de mariage ferme, brusquement, elle crut que ce jeune homme n'était pas
mort, que c'était son sosie qui était mort, qu'il devait l'épouser, qu'il était toujours pré-
sent autour d'elle, qu'elle l'entendait, que tout parlait de lui, que par tout et par tous il
communiquait avec elle, qu'il était prince d'Angleterre et qu'elle devait le rejoindre
pour régner sur la Grande-Bretagne. Ce délire commanda entièrement sa conduite pen-
dant plus de deux ans. Il paraissait absolument inébranlable et cependant sous les
coups combinés d'une psychothérapie très active et d'électrochocs, brusquement, tout
le délire tomba, et est tombé depuis un an. Mais si la soudaineté de la mégalomanie est
parfois d'un pronostic favorable il n'en est pas toujours ainsi. Nous pensions pouvoir
obtenir un aussi beau résultat avec une autre de nos malades, jeune fille également
intelligente, qui, un jour de Pentecôte, il y a trois ans, eut la révélation qu'elle était le
Paraclet. Depuis lors tout son délire et toute son existence se résument dans cette affir-
mation : « Je suis le Saint-Esprit. J'ai un don exceptionnel, une puissance totale et je
connais La Vérité : la réalité des couples ». Elle présente ses idées sous une forme sys-
tématique serrée et absolument inébranlable : « de par ailleurs » elle est complètement
saine d'esprit. C'est le type même d'une monomanie... Mais jusqu'ici tous nos efforts
thérapeutiques sont brisés contre une affirmation à la fois globale et intransigeante :
« C'est la seconde époque de l'ère chrétienne, je suis le Saint-Esprit incarné. » Ce
thème mégalomaniaque condensé dans l'ellipse d'une croyance souveraine et dogma-
tique constitue un des paradoxes les plus extraordinaires que peut nous offrir la cli-
nique psychiatrique. Ici l'idée de grandeur ne paraît pas constituer la résultante de tout
1. Nous indiquons à titre d'exemple celles d'ARNAUD dans le Journal de Psychologie, 1904.
534
MÉGALOMANIE
– Dans une deuxième catégorie de faits nous avons affaire à des délires paraphré- …dans les délires para-
niques dont on peut dire que la mégalomanie constitue une caractéristique structurale, phréniques on peut dire
que la mégalomanie
une dimension fondamentale. Ce qui caractérise ces délires en effet, c'est précisément
constitue une caractéris-
que c'est sans frein et sans fin que coule de source le délire de grandeur. Il submerge tique structurale…
la totalité du monde et, trait également caractéristique, il superpose sa grandeur au
monde réel, de telle sorte que le sujet dans une manière de diplopie voit et vit deux
mondes : celui de la réalité où les valeurs subjectives sont subordonnées aux valeurs
objectives, c'est le monde de tous les jours vécu avec ses dimensions étroites, humbles
et normales, et celui de la fiction qui élargit le moi jusqu'à un horizon infini et éternel.
Cette expansion égotiste allant jusqu'à atteindre et dépasser les limites et les lois de …les paraphrénies repré-
l'univers s'exprime dans les thèmes d'infinité, de toute puissance, de magie qui carac- sente un flot puissant de
térisent, nous l'avons vu, les aspects de la pensée schizophrénique : en quoi précisé- lyrisme qui déferle sur
toute la conception du
ment ces délires paranoïdes touchent sans toutefois se confondre avec elle à la désa-
monde et nous avons
grégation schizophrénique. Nous y avons souvent insisté, cette forme de délire para- affaire ici aux malades les
noïde que constituent les paraphrénies représente un flot puissant de lyrisme qui défer- plus esthétiques, les plus
le sur toute la conception du monde et nous avons affaire ici aux malades les plus fantastiques, les plus
merveilleux...
esthétiques, les plus fantastiques, les plus merveilleux...
535
ÉTUDE N° 19
tions des presbyophrènes sont à cet égard tout à fait remarquables puisqu'elles expri-
ment outre une certaine inconscience du trouble une vision panoramique et générale-
ment optimiste des événements passés, présents ou futurs. Quand l'activité hallucina-
toire est prévalente, les rêveries oniriques se présentent assez souvent non point
comme des événements angoissants ou tragiques, mais comme des scènes cocasses où
se mêlent l'espièglerie, la farce et des aventures plus ou moins romanesques. Il y a lieu
de remarquer que le caractère mégalomaniaque de ces expériences délirantes est assez
fréquemment reconnu et critiqué ; les malades rient parfois de ces imaginations ou de
ces visions qui les représentent jeunes ou riches ou en compagnie de personnages
illustres. A la pointe extrême de la série se situent ces formes d'imageries hallucino-
siques dont l'observation de FLOURNOY rapportée par MOURGUE à la fin de son livre 1
constitue un exemple magnifique. Ce matériel esthésique avec tous ses caractères de
féerie, de couleur, de formes d'ornements, de métamorphoses brillantes, etc., se retrou-
ve assez souvent dans ces formes oniriques ou oniroïdes des délires des vieillards en
état plus ou moins prononcé de démence.
Mais c'est surtout dans la paralysie générale que se rencontrent les délires de gran-
deur les plus connus et les plus constants et le délire mégalomaniaque par son aspect
…Pour BAYLE, le délire tristement grotesque et excessif a toujours frappé les observateurs. Pour BAYLE, le déli-
ambitieux était le symptô- re ambitieux était le symptôme pathognomonique de cette maladie. Un long débat
me pathognomonique de
s'institua dans la suite pour savoir si les idées mégalomaniaques ne se trouvaient pas
cette maladie…
dans d'autres maladies et particulièrement dans certaines monomanies (BAILLARGER,
DELASIAUVE, FALRET) et surtout pour déterminer les caractères du délire ambitieux
…mais c'est FALRET qui en propres à la paralysie générale et au délire ambitieux des persécutés. C'est à FALRET
donne les caractéris- que revient le mérite d'avoir indiqué les caractères particuliers des idées de grandeur
tiques: [les idéees de
dans la démence paralytique. Elles sont, disait-il, multiples, mobiles, non motivées,
grandeur sont] multiples,
mobiles, non motivées, contradictoires. LALANDE (1900) a essayé d'y ajouter d'autres caractères généraux et
contradictoires… notamment la tendance à l'infini, c'est-à-dire l'exagération, l'extravagance, l'énormité
que prennent les idées délirantes du paralytique ; VIGOUROUX et BURLINEAUX ont pro-
posé le terme de « délire d'exagération » pour les caractériser. On a souligné égale-
ment la perte des notions de l'espace et de la durée (désorientation, ubiquité, aucun
sens de la mesure). N. POSCHOGA 2 a noté que sur cent cas de paralysie générale qu'il
avait étudiés à l'hôpital Kostinscheni à Kichinew (79 hommes et 21 femmes), 64 % des
hommes présentaient des idées de grandeur. La prévalence de la mégalomanie lui a
paru nette chez les intellectuels chez qui le pourcentage atteignait 74 %.
Nous distinguerons dans l'étude clinique des idées de grandeur dans la paralysie
générale deux plans différents déjà bien aperçus par FOVILLE et consacrés également
536
MÉGALOMANIE
par la division qu'établit SÉGLAS 1 en idées de satisfaction et idées de grandeur pro- …SÉGLAS introduit une
prement dites. division entre idées de
satisfaction et idées de
Les idées de satisfaction. Tout paraît au paralytique général favorable, bien, beau,
grandeur proprement
satisfaisant : « Il parle, dit FOVILLE, de l'étendue de son savoir, du chiffre de ses dites…
affaires, de ses revenus, de la considération dont il est entouré, de l'excellence de sa
femme, de la beauté de ses enfants. Il montre avec enthousiasme ses mains, ses bras,
ses organes génitaux. Il fait des dessins magnifiques. C'est un poète hors ligne, un par-
fait musicien. Il achète sans compter, car il est très riche. Il suffit de passer à sa
banque ». Il va sortir le jour même, il est en pleine forme, tout va très bien...
Les idées de grandeur proprement dites consistent en des inventions tout à fait
imaginaires : il a fait des campagnes, il fait jouer des pièces, il a des millions et des
milliards. Il « millionne » des autos, des femmes, des bijoux... Il est pape, roi, Dieu lui-
même. Il est chargé par la Providence de construire un charriot de 45 kilomètres de
long pour faire le tour du monde en 36 minutes. Le délire ambitieux ici substitue à la
personnalité de ce malheureux dysarthrique, trémulant, incapable de se conduire, celle
d'un personnage puissant, fait, nous le verrons, d'une valeur cruciale.
Ces idées de grandeur constituent la forme habituelle du délire expansif de la para-
lysie générale. Elles peuvent constituer comme nous le verrons plus loin un délire
mégalomaniaque à forme paranoïde.
Quant au mécanisme de ces idées de grandeur, de satisfaction ou ambitieuses dans …Quant au mécanisme
la paralysie générale, il faut noter l'importance des accès oniriques à répétition, des de ces idées de grandeur,
[…] il faut noter l'impor-
états d'excitation maniaque et la coïncidence de telles idées avec de véritables explo-
tance des accès oniriques
sions hallucinatoires. M. PERLMUTTER 2, comparant les idées de grandeur des paraly- à répétition, des états
tiques et les idées de grandeur dans le parkinson post-encéphalitique, a justement insis- d'excitation maniaque et
té sur les états d'excitation maniaque et a vu dans la mégalomanie l'indice d'une lésion la coïncidence de telles
idées avec de véritables
plus profonde du cortex. Ceci rejoint l'idée que se font également beaucoup d'auteurs,
explosions hallucina-
à juste raison, sur le caractère progressivement démentiel (c'est-à-dire conditionné par toires…
l'état de démence) de la mégalomanie des paralytiques généraux. C'est ainsi que
MIGNARD dans son étude des états de satisfaction rattache la mégalomanie à l'état
démentiel et à la « satisfaction béate » qu'il parait entraîner. L'absence de contrainte
rationnelle libérerait une activité purement délirante, affective, foncièrement absurde
et variable. Il est important de noter à ce propos que de même que nous avons vu les
idées de grandeur s'insérer dans le fond expansif, jovial, ludique, de la pensée désor-
donnée du maniaque, ici les idées de grandeur sont en continuité directe avec les
troubles graves du comportement général du malade comme affranchi de toute
contrainte morale ou logique. Son inconscience absolue, la perte de l'auto-critique
537
ÉTUDE N° 19
constituent naturellement le fond sur lequel se détachent les idées de grandeur. La pre-
mière idée venue à l'esprit des aliénistes et qui paraît assez ancrée chez la plupart
d'entre eux, c'est pourtant que l'idée de grandeur serait directement engendrée par une
disposition euphorique fondamentale. Comme l'a fait remarquer KAUFMAN 1, il n'est
… il n'est pas rare [sui- pas rare cependant de constater que le délire de grandeur chez les paralytiques géné-
vant KAUFMAN] de raux est indépendant du fond de l'humeur. Il a tenté de faire varier l'état cénesthésique
constater que le délire de
ou de « Stimmung » de paralytiques généraux mégalomanes en leur faisant absorber
grandeur chez les para-
lytiques généraux est de l'huile de ricin ou de crotone et il aurait observé que malgré l'état d'angoisse, les
indépendant du fond de idées délirantes de grandeur persistaient... Enfin, nous devons signaler le travail de
l'humeur… Paul SCHILDER 2 qui estime que l'idée de grandeur chez ces malades qui sont si pro-
fondément frappés dans leur être exprime par une sorte de mécanisme de défense
(Abwehrmecanicismus) le désir de compenser par le délire d'une fabuleuse puissance
leur misérable faiblesse. Nous verrons plus loin l'importance de ce mécanisme pour la
pathogénie de la mégalomanie.
Dans les formes paranoïdes de la paralysie générale 3, les thèmes mégalo-
maniaques sans constituer un système bien cohérent s'agglutinent à d'autres thèmes
pour se présenter en clinique comme un délire voisin de la schizophrénie ou des para-
phrénies. Il y a lieu de mentionner spécialement ces formes paranoïdes mégaloma-
niaques tout empreintes d'onirisme que l'on observe après la malariathérapie (délires
secondaires 4).
Quant nous avons étudié les perversions, le suicide, etc... il nous a fallu nous réfé-
rer aux découvertes que FREUD et son école ont faites dans la couche inconsciente de
l'humanité, pour mettre en évidence dans le « cœur » humain, des pulsions que la gran-
de majorité des hommes méconnaît. Ce n'est qu'au prix de cet effort d'analyse que nous
avons pu montrer que la « maladie ne crée pas mais libère » des tendances humaines
communes à l'espèce. Quand il s'agit de l'expansion mégalomaniaque, par contre, la
chose paraît plus facile. Tous les moralistes, tous les littérateurs, tous les hommes ont
toujours aperçu, et admis, qu'il existe en nous une puissante propulsion à survaloriser
538
MÉGALOMANIE
notre propre personne. Que ce soit sous les aspects éthiques de l'idéal et du devoir qui
nous exhausse dans l'exercice de la vertu et jusque dans notre propre humilité – que ce
soit sur le plan social où notre existence prend la valeur d'une « ascension » ou plus sim-
plement d'une « percée » ou d'un « surclassement » – que ce soit encore sur le plan
affectif que nous recherchions des « succès » – ou sur le plan professionnel que nous
tendions vers la « réussite » ou la « fortune » – toujours et inlassablement, vivre, pour
autant que la vie tend vers un but, c'est sans cesse croître et grandir. Quand ce n'est pas
en « puissance » c'est en « sagesse ». Toute notre vie psychique entraîne dans son pro-
grès les formes successives d'un effort, d'un épanouissement par quoi notre existence
persévère dans son désir de poursuivre un programme vital qui satisfasse un besoin pro-
fond, celui de nous « élever », c'est-à-dire de réaliser notre « idéal », notre « plan » ou
plus simplement notre « fin ». L'expansion fondamentale de l'être qui le pousse à aug- …L'expansion fondamen-
tale de l'être qui le pousse
menter son « espace vital », à « progresser », à se « développer » est contenue en puis-
à augmenter son « espace
sance (que l'on appellera ou on n'appellera pas « instinctive », peu importe) chez tous vital », à « progresser », à
les êtres vivants. Cette racine biologique, cet instinct d'accroissement est en germe dans se « développer » est
tout organisme. C'est même le germe à partir duquel se développe l'organisme, en tant contenue en puissance
chez tous les être
qu'il est lui-même son propre constituant et, en croissant, se conforme à la loi interne
vivants…
de sa formation et de son développement. Cette plante qui pousse réalise dans ses
feuilles et ses fruits une volonté de puissance qui est le sens de sa vie particulière. Cet
insecte qui travaille à peine détaché de la masse de ses semblables et concourt à l'édifi-
cation collective d'une commune réserve alimentaire, si « anonyme » qu'il soit, si peu
personnalisé qu'il demeure jusqu'à sa mort, ne s'affirme comme individu que dans la
mesure où il introduit par les particularités de sa morphologie ou de son travail un
aspect singulier, un semblant de diversité dans la monotonie et l'homogénéité de la
masse spécifique. Ce par quoi il « se distingue », c'est précisément cette force qui le
sépare des autres, qui le dresse contre les autres, et par là introduit dans la communau-
té une possibilité de conflit. Dans la société humaine, ce conflit est porté à sa suprême
puissance par la différenciation progressive même des tendances de chacun. La per-
sonne humaine se caractérise en effet par son degré extrême d'individualisation et par
conséquent par la possibilité toujours ouverte d'un conflit entre sa puissance et celle du
monde. Toutes ces banalités nous devions les dire pour saisir à sa racine la mégaloma-
nie en tant que pulsion de puissance qui se confond avec la conscience d'être une per-
sonne, une personnalité, un « personnage », c'est-à-dire un système de forces auto-
nomes ayant une certaine grandeur privilégiée – et vécues comme « miennes ». Car la
conscience de l'unité, du sens et des forces qui me composent n'est rien d'autre que le
pouvoir que je me sens de l'orienter et de l'animer. Ainsi, naît par mon corps, dans mon
corps (mais sans aller toujours jusqu'à y « incorporer » tout le « mien », tout ce qui est
à moi, depuis « mes » parents jusqu'à « ma montre ») un système de valeurs dont la
539
ÉTUDE N° 19
commune mesure est d'être dans les deux sens du mot, une « propriété » de ma person-
ne et qui englobe mes organes, mes facultés, ma famille, mes idées, mes biens, mon
nom, mes fonctions, mes droits, mon histoire et mon destin. La possibilité d'augmenter
tous les attributs de mon « moi », c'est justement mon Moi.
le Moi n'est pas pure Mais ce Moi n'est pas une pure conscience des relations qui m'unissent au monde,
conscience […] il passe il passe nécessairement par un « objet » auquel tous les autres me renvoient, mon
nécessairement par un corps 1. Il est là comme le foyer et le cœur de notre existence. C'est sur lui que notre
« objet » , mon corps…
conscience du monde s'est posée, c'est lui qui l'a engendrée, c'est par lui que nous
avançons dans la vie. C'est lui qui a constitué le premier personnage intégralement
aimé. C'est pourquoi la racine biologique de notre désir de puissance se confond avec
…Toute la réalité de notre la racine psychologique de notre « narcissisme ». Toute la réalité de notre désir de
désir de puissance, c'est puissance, c'est notre corps qui la contient et la détient, c'est en lui que notre person-
notre corps qui la
nage est incarné, est « enraciné au monde » (MERLEAU-PONTY). C'est en lui et par lui
contient et la détient, c'est
en lui que notre person- que se sont composés l'image privilégiée et le modèle d'un être humain objet de la pre-
nage est incarné, est mière fixation libidinale. Et ce n'est qu'au prix d'un effort que, seul, l'enjeu vital de
« enraciné au monde » notre socialisation a permis, que nous nous sommes détachés de lui pour le reconnaître
(MERLEAU-PONTY)…
chez autrui, ou plutôt que nous avons reconnu autrui dans les lignes, la chaleur et la
vie de cette image, la première adorée, de cet eidolon. A partir de cette première et
fondamentale aventure, le drame des « identifications » va commencer et dérouler ses
lourdes volutes qui resteront inscrites au plus profond de nous-même. Investissements
successifs, transferts libidinaux, « complexes », vont représenter les phases succes-
sives du travail dialectique que va constituer le monde et le personnage à partir des
…le stade décisif appelé fantasmes du corps morcelé et de son membrement primitif au stade décisif appelé par
par LACAN « stade de LACAN « stade de miroir 2 », c'est-à-dire au moment où le corps « vu » va capter et
miroir », [c'est le] moment
coapter l'image spécifique de l'être humain. Cette première, cette primordiale expé-
où le corps « vu » va cap-
ter et coapter l'image spé- rience va dresser l'enfant dans la conscience qu'il prend de lui-même, face à face avec
cifique de l'être humain. le monde des objets et les premiers conflits vont surgir dont la solution ne pourra être
Cette première, cette pri- trouvée que dans l'introjection et l'identification, premier travail de stratification du
mordiale expérience va
personnage, ou dans l'agressivité qui est le premier réflexe de sa puissance. Telle est
dresser l'enfant dans la
conscience qu'il prend de la phase initiale et prégénitale à laquelle succède le stade œdipien quand au système
lui-même… pulsionnel masochiste-oral et sadique-anal, se substituera progressivement la fixation
à autrui : le choix objectal.
Mais s'ouvrir au monde c'est déjà à ce moment rencontrer un monde fermé, c'est-à-
dire les difficultés et les limites qu'autrui et le monde des objets opposent à l'expansion
1. Nous renvoyons aux analyses de SARTRE et de MERLEAU-PONTY auxquelles nous avons fait
déjà allusion dans notre étude n° 17.
2. Cf. J. LACAN, La famille. Encyclopédie française VIII. La vie mentale et notamment « le com-
plexe, facteur concret de la psychologie familiale », 1938.
540
MÉGALOMANIE
des pulsions égotistes, fait qui lie indissolublement dans un rapport conflictuel les rela-
tions du moi et du monde. Ce conflit prend dès ce moment une forme d'inhibition inter-
ne en ce sens que le système des interdits, des valeurs, de culpabilité et des sanctions
propose à la conscience qui développe son champ d'action, la considération d'une dis-
cipline normative. Les limites que le principe de réalité opposait au principe du plaisir
deviennent celles d'une conscience morale qui impose une soumission, une limite, une
discipline, un renoncement. Et c'est ici que nous rejoignons les analyses qui ont servi
d'introduction à cette étude, celle du conflit des tendances entre l'avidité et l'oblativité.
Il est donc évident que le développement de la personnalité s'opère par une série
…C'est, au terme de ce
de paliers successifs qui, à travers l'enfance et l'adolescence jusqu'à la maturité, vont développement, dans un
renforcer toujours davantage le contrôle que la « réflexion », la « raison », la conscien- vaste système de distribu-
ce morale, tout le système des valeurs qui constitue notre « jugement », exerceront sur tion énergétique plus
souple, plus « sublimé »
la tendance fondamentale à « pousser », à se « pousser », à « repousser ». C'est, au
que la primitive affirma-
terme de ce développement, dans un vaste système de distribution énergétique plus tion de puissance du moi
souple, plus élastique, plus « sublimé » que la primitive affirmation de puissance du se trouve canalisée et
moi se trouve canalisée et neutralisée. neutralisée…
541
ÉTUDE N° 19
sions primitives, le désir de puissance. Ainsi nous voici encore et sans cesse ramenés
à cette dualité fondamentale qui gît à la charnière biologique de notre nature conflic-
tuelle : les tendances réductrices et paralysantes, les tendances amplificatrices et acti-
vantes. C'est entre ces deux systèmes énergétiques et leur équilibre proprement moral
que notre action s'inscrit et que s'exerce le jugement de valeur que nous portons sur
notre propre personne. Pour bien comprendre la place qu'occupe la mégalomanie dans
la hiérarchie des thèmes délirants, nous devons précisément connaître ce que repré-
sentent ceux-ci quand se rompt cet équilibre.
Dans la prise de possession du monde, dans l'investissement du monde des objets
et d'autrui, c'est l'équilibre de mon désir de puissance et de mon renoncement, de mon
avidité et de mon oblativité, de mon activité dévorante ou de ma passivité résignée,
…Le monde est « pour etc., qui se projette. Le monde est « pour moi », c'est-à-dire qu'il contient quelque
moi », c'est-à-dire qu'il chose de mon engagement dans la réalité et qu'il offre par ricochet et comme par un
contient quelque chose de
reflet de miroir, ma structure dans sa structure. Que fléchisse mon désir de s'épanouir
mon engagement dans la
réalité et qu'il offre par en lui, que je me retire de lui comme pour le vider de ma propre expansion et la réali-
ricochet et comme par un té tout entière devenue mécanique, misérable et inutile se résorbera vers le néant (et ce
reflet de miroir, ma struc- sont alors les expériences délirantes de la négation de la fin du monde, du jamais vu,
ture dans sa structure…
de l'étrange et du vide). – Que, par contre, mes forces d'expansion pénètrent la nature
et le monde physique, le « cosmos », transfiguré et asservi à ma puissance va s'offrir
comme « mien », comme l'objet de mon pouvoir de Sujet absolu (ce sont les expé-
riences délirantes de création, de toute-puissance, de conquête de l'univers, de connais-
sance absolue, etc.).
Les « relations » du moi et d'autrui sont encore plus évidemment soumises à ce
flux et reflux de ces pulsions qui battent dans mon cœur le rythme de ma vie. Les rela-
tions de dépendance ou d'indépendance à l'égard des sociétés, des institutions et de
l'histoire, tantôt je les vivrai comme un écrasement de mon être par les autres (expé-
riences de persécution, d'hostilité, de frustration, de dépossession, etc.), – tantôt je les
éprouverai comme un pouvoir merveilleusement favorable d'aide, de secours, de sym-
pathie (thèmes de favorisation, d'universelle complaisance, etc.).
Dans ce mixte ambigu qu'est ma réalité corporelle qui est tantôt « moi » tantôt « à
moi » et qui m'échappe sous tant de multiples aspects pour se fondre dans le monde,
– les valeurs « objectives » et « subjectives » se trouvent mêlées à proportions
variables qui expriment, là encore, la subordination de la perception de mon corps au
jeu antagoniste de mes pulsions narcissiques, ou masochistes. Dans mon attitude de «
rétraction », de passivité et d'auto-agression, ce corps me deviendra douloureux, mons-
trueux, il cessera d'être ou en tous cas de m'appartenir pour tomber déjà en pourriture
sous l'effet de la maladie (expériences hypochondriaques et de négation corporelle).
– Si, au contraire, je sens mon corps comme un instrument de ma puissance, si j'intro-
542
MÉGALOMANIE
duis dans ses fonctions et ses organes la force qui m'anime au point d'en faire la forme
même de mon prodigieux destin, il se détachera de la matière et de ses accidents pour
se confondre avec l'idéal même de mon activité, il s'animera de mon esprit (expé-
riences délirantes de puissance corporelle, de prouesses, de survalorisation des fonc-
tions somatiques, etc.).
Enfin, si je me tourne maintenant vers cet aspect de la « réalité » qui est celle de
ma pensée où ce qui est, est ce que je suis, ce que je suis en train d'être et de vouloir,
– les relations d'objectif à subjectif sont celles d'esclave à maître. Je sens ma pensée …Je sens ma pensée m'ap-
partenir comme un attribut
m'appartenir comme un attribut de ma puissance, comme son développement, sa
de ma puissance, comme
garantie et son effet. Ici la « dévalorisation » de cette réalité sera vécue comme l'inva- son développement, sa
sion d'autrui dans ma citadelle, comme une métamorphose physique et mécanique de garantie et son effet. Ici la
mon esprit (expériences d'influence, dépersonnalisation, mécanisation de la pensée). « dévalorisation » de cette
réalité sera vécue comme
Enfin cette dévalorisation de la personne morale cessant d'être seulement vécue
l'invasion d'autrui dans
comme un événement, va « au suprême degré de la rétraction de l'être » se montrer ma citadelle…
pour ce qu'elle est : désirée (thème d'auto-accusation et de culpabilité. – Dans le mou-
vement inverse d'accroissement infini et obscur de ma liberté, ma pensée ne me
deviendra « étrangère » que pour s'identifier avec un absolu de puissance (expériences
d'inspiration divine, prophétique, etc.).
Ainsi tous les « thèmes » délirants s'ordonnent relativement au besoin fondamen- …Ainsi tous les « thèmes»
délirants s'ordonnent
tal des rapports vécus d'action réciproque du moi et du monde. A la rétraction du Moi
relativement au besoin
correspondent les thèmes de cataclysme et de l'anéantissement cosmique, le thème fondamental des rapports
hypochondriaque, les thèmes d'influence et de dépersonnalisation et le mouvement vécus d'action réciproque
même qui les engendre : la culpabilité ; à l'expansion du moi correspondent les thèmes du moi et du monde…
543
ÉTUDE N° 19
…Nous ne saurions en Nous ne saurions en effet nous limiter à ce que nous venons d'exposer, pour la
effet nous limiter à ce que bonne raison que nous nous bornerions alors à faire seulement œuvre de psychologue
nous venons d'exposer,
qui démonte les ressorts du cœur humain, ou de moraliste qui en apprécie les
pour la bonne raison que
nous nous bornerions « valeurs ». Toute étude des délires qui se bornerait à cette dialectique, à cette phé-
alors à faire seulement noménologie de la pensée délirante, nécessaire, mais insuffisante, ne peut satisfaire le
œuvre de psychologue médecin psychiatre. Car pour lui le délire est une « maladie mentale », le délire est
[…] ou de moraliste…
même un aspect fondamental de toute maladie mentale et c'est dans la dynamique des
dissolutions ou désorganisations de l'être humain que nous devons maintenant péné-
trer pour orienter l'esquisse d'une « histoire naturelle 1 » de l'idée de grandeur.
Nous l'avons rappelé, la mégalomanie immanente à la nature humaine est « libé-
rée » dans les diverses structures psychopathologiques avec une fréquence remar-
quable. Comment pouvons-nous nous représenter la genèse de ce symptôme si impor-
tant dans les troubles mentaux ?
…Tout « délire » repré- Tout « délire » représente un trouble, un bouleversement de la vie psychique qui
sente un bouleversement se ramène en fin de compte à un travail de projection lequel a été mis clairement en
de la vie psychique qui se
évidence par l'école psychanalytique à propos de la projection de l'inconscient dans le
ramène en fin de compte
à un travail de PROJEC- conscient. Mais plus conséquente que les psychanalystes avec leur propre système,
TION… pour nous cette pour nous cette projection dépend d'une RÉGRESSION dont la projection de l'inconscient
projection dépend d'une dans le conscient n'est qu'un cas particulier.
RÉGRESSION…
Nous l'avons vu plus haut en étudiant la phénoménologie des « thèmes » déli-
rants, c'est le dérèglement de la proportion des valeurs des deux termes du binôme
fondamental moi-monde que reflète toute expérience délirante laquelle altère préci-
sément la « réalité », c'est-à-dire la structure même de cette liaison existentielle qu'est
« l'être au monde ». Toute décomposition de la synergie fonctionnelle qui constitue
l'activité de la conscience, toute modification structurale de la conscience, toute
1. C'est ici au terme de ce deuxième volume d'« Études », c'est-à-dire de travaux préparatoires que
nous entendons définir d'un mot le but que nous poursuivons : l'histoire naturelle de la folie. A une
époque où l' anthropologie prétend éclipser les sciences de la nature dans l'appréhension du phé-
nomène « maladie mentale » nous aurons assez le sens de la continuité historique de notre science
et assez de courage pour affirmer que les troubles mentaux ne peuvent pas, ne sauraient sortir du
cadre des sciences médicales. Pour autant en effet qu'il ne suffit pas de comprendre mais d'expli-
quer, pour autant qu'il ne sert à rien de dire que pour les maladies mentales les comprendre c'est les
expliquer, puisqu'elles sont justement et dans leur essence davantage l'objet d'une démarche expli-
cative appliquée à la dissolution qu'elles expriment, qu'objet d'une analyse de leur structure signifi-
cative qui se heurte toujours à un moment donné à une limite, celle qui définit la folie, celle-ci reste
(même quand son extension s'accroît naturellement dans le domaine des névroses) ce qu'elle a tou-
jours été : un phénomène de la nature. La folie est en effet sous toutes ces formes une altération de
l'esprit causée par une altération du corps. C'est dans cette perspective « naturelle », « physiolo-
gique » et « médicale » qui n'exclut pas mais au contraire exige son complément « anthropolo-
gique », que nous entendons fermement nous tenir ici dans cette étude pathogénique de l'idée de
grandeur comme dans l'examen de l'ensemble des problèmes psychiatriques.
544
MÉGALOMANIE
« régression » de la conscience entraîne une projection, une infiltration de la réalité …toute « RÉGRESSION » de
objective, soumise aux lois physiques, dans la structure subjective – et inversement. la conscience entraîne
une projection, une infil-
Cette projection, cette osmose est vécue sur le registre significatif du délire. Tel est le
tration de la réalité
point d'insertion naturel de la signification des délires dans le processus de dissolu- objective, […] dans la
tion psychique qu'ils expriment. C'est le même qui articule le monde des images et structure subjective – et
des fantasmes à la dissolution hypnique de la conscience. Nous avons assez insisté inversement…
sur ce point 1 à propos du phénomène sommeil-rêve pour n'avoir pas ici à y revenir.
Qu'il nous soit permis de rappeler que dormir n'est pas dormir mais vivre un rêve,
c'est-à-dire un drame ou un réseau significatif qui dépend pourtant d'autre chose, du
sommeil. Ce n'est pas le sommeil qui est vécu mais le rêve. Ce n'est pas la dissolu-
tion qui est vécue, c'est le délire.
Nous désirerions montrer la naissance de l'idée de grandeur dans la « maladie men-
tale » en fonction de ce mécanisme de projection osmotique. Un fait paraît évident,
c'est que, lorsque nous considérons la masse délirante dans son ensemble, les expé-
riences de dépréciation sont beaucoup plus fréquentes que la mégalomanie. Nous pen-
sons que c'est parce que ces expériences expriment précisément plus directement le
processus de dissolution lui-même qui effectivement représente une expérience vitale
catastrophique et psychiquement mutilante. Ce n'est pas être victime d'une « illusion
réaliste » que de prendre le délire pour ce qu'il est, savoir une forme « négative »
d'existence, une régression qui compromet la liberté et la puissance du délirant. C'est
cette forme qu'exprime l'angoisse (nous l'avons vu) et avec elle et par elle tous les
délires de dévalorisation du monde et du moi.
La mégalomanie paraît à première vue, elle, plus difficile à expliquer et d'autant
plus que, si la « dimension mégalomaniaque » est relativement plus rare que les délires
de dépréciation, elle nous paraît généralement être d'un plus fâcheux pronostic. Telles
sont les données ultimes du problème.
Pour tenter de le résoudre nous devons faire un rapprochement entre la valeur …nous devons faire un
« compensatrice » de l'idée de grandeur et la structure positive des troubles mentaux. rapprochement entre la
valeur « compensatrice »
Les thèmes de dépréciation seraient à la structure négative ce que les thèmes d'ex-
de l'idée de grandeur et la
pansion seraient à la structure positive. Dans une telle hypothèse, l'idée de grandeur structure positive des
représenterait une « réaction » à la situation catastrophique de la maladie. Elle mon- troubles mentaux…
terait comme la fièvre dans les maladies aiguës en tant qu'elle représenterait un méca-
nisme de défense massif et allant, comme elle, au-delà de la production des énergies
nécessaires. La mégalomanie exprimerait donc une exaspération hypertrophique des
valeurs du moi menacé. Cependant la mobilisation du système pulsionnel, d'avidité, la
tendance vitale à s'affirmer, à se surestimer telle que nous en avons retracé plus haut
le développement et les exigences, brutalement libérée, comme un cri de révolte et
545
ÉTUDE N° 19
546
MÉGALOMANIE
BIBLIOGRAPHIE
547
TABLE DES MATIÈRES DU TOME II
ARGUMENT.………………………………………………………………… 7
ÉTUDE N° 9 :
Les troubles de la mémoire……………………………………………………… 9
ÉTUDE N° 10 :
La Catatonie.……………………………………………………………… 69
ÉTUDE N° 11 :
Impulsions………………………………………………………………………… 163
ÉTUDE N° 12 :
Exhibitionnisme.…………………………………………………………… 213
ÉTUDE N° 13 :
Perversité et Perversions………………………………………………………….233
ÉTUDE N° 14 :
Le Suicide -pathologique.………………………………………………… 341
ÉTUDE N° 15 :
Anxiété morbide.…………………………………………………………… 379
ÉTUDE N° 16 :
Délire des négations.……………………………………………………… 427
ÉTUDE N° 17 :
Hypochondrie …………………………………………………………………… .453
ÉTUDE N° 18 :
Jalousie morbide………………………………………………………………… 483
ÉTUDE N° 19 :
Mégalomanie.……………………………………………………………… 515
[NdÉ: L'exmplaire de 1950 avait été imprimé par la SOC St-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie, Bruges
(Belgique). – 19709/5. Réimpression photomécanique, les procédés Dorel, Paris]
548
INDEX DU TOME II, VOLUME I*
*. [NdÉ : 2006. Un tel index n’existait pas dans la publication originale, il comporte plus de 1700
entrées différentes. Il a été rendu possible par la numérisation intégrale de la typographie du texte.]
I
INDEX
BARISON, VOL. I, T. II : 85 BERTILLON, VOL. I, T. II : 357
BARLETT, VOL. I, T. II : 67 BERTIN, VOL. I, T. II : 44
BARRE, VOL. I, T. II : 482 BERTOLANI, VOL. I, T. II : 108, 117, 131, 138, 149
BARRÉ, VOL. I, T. II : 401 BERTRAND, VOL. I, T. II : 59
BARRERA, VOL. I, T. II : 132 BERTRAND (LE SERGENT), VOL. I, T. II : 321
BARREVELD, VOL. I, T. II : 133 BERZE, VOL. I, T. II : 143, 164, 195, 211, 258
BARTH, VOL. I, T. II : 285 BESSIÈRE, VOL. I, T. II : 47, 86
BARTHE, VOL. I, T. II : 111 BETHE, VOL. I, T. II : 127, 137, 234
BARTHÉLÉMY, VOL. I, T. II : 42 BIANCHI, VOL. I, T. II : 56, 194
BARUK, VOL. I, T. II : 18, 30, 57, 58, 59, 72-162 BIANCHINI, VOL. I, T. II : 80, 154
(2TUDE N°10, CATATONIE) 164, 176, 190, 196, BICHAT, VOL. I, T. II : 373, 401
266, 402 BICHEL, VOL. I, T. II : 318
BATTIER, VOL. I, T. II : 503 BIDRE, VOL. I, T. II : 376
BAUER, VOL. I, T. II : 102, 343 BILLIG, VOL. I, T. II : 97
BAYET, VOL. I, T. II : 363, 378 BILLOD, VOL. I, T. II : 174
BAYLE, VOL. I, T. II : 515, 536 BINDER, VOL. I, T. II : 182, 185, 252, 310
BAZIN, VOL. I, T. II : 252 BINET A., VOL. I, T. II : 12, 26, 27, 29
BEARD, VOL. I, T. II : 387, 396 BINET ET SIMON, VOL. I, T. II : 12
BEAUSSART, VOL. I, T. II : 57 BINGHAM, VOL. I, T. II : 293
BEAUVOIR (SIMONE DE), VOL. I, T. II : 227, 285 BINOIS, R., VOL. I, T. II : 37, 38
BECHTEREW, VOL. I, T. II : 194 BINSWANGER L., VOL. I, T. II : 39, 182, 273, 334,
BECK, VOL. I, T. II : 146, 349 521
BEDUSCHI, VOL. I, T. II : 41 BIRNBAUM, VOL. I, T. II : 39, 49, 254
BEER, VOL. I, T. II : 234 BISCHLER, VOL. I, T. II : 448
BELA MORANVI-HOCHST, VOL. I, T. II : 146 BISWANGER, VOL. I, T. II : 108
BELEY, VOL. I, T. II : 463, 482 BITTER, VOL. I, T. II : 396, 414, 426
BELLAK, VOL. I, T. II : 86, 162 BLACKURN, VOL. I, T. II : 37
BELLETRUD, VOL. I, T. II : 321 BLAGOVETCHTCHENSKAYA, VOL. I, T. II : 57
BELLEVUE, VOL. I, T. II : 13, 39, 44 BLANC-FONTANILLE, VOL. I, T. II : 30
BELPERRON, VOL. I, T. II : 295 BLANCHOT M., VOL. I, T. II : 317, 338
BENDER, VOL. I, T. II : 42 BLANIES, VOL. I, T. II : 135
BENDIT, VOL. I, T. II : 331 BLEEKWENN, VOL. I, T. II : 137
BENEDEK, VOL. I, T. II : 190, 195 BLEULER E., VOL. I, T. II : 16, 61, 67, 72, 73, 80,
BENICHOU, VOL. I, T. II : 26 86, 90, 91, 97, 112, 129, 155, 156, 159, 200, 212,
BENON, VOL. I, T. II : 48, 50, 68 334, 391, 515, 531, 532, 546, 547
BERGER, VOL. I, T. II : 57, 85, 87 BLEYNIE, VOL. I, T. II : 468
BERGERON, VOL. I, T. II : 166, 202 BLIN, VOL. I, T. II : 26, 27, 28, 29, 83
BERGSON H., VOL. I, T. II : 11, 59, 60, 61, 63, 67, BLOCH, VOL. I, T. II : 283
203, 250, 423 BLONDEL CH., VOL. I, T. II : 329, 354, 355, 363,
BERLIOZ CH., VOL. I, T. II : 437, 451 371, 374, 378, 446, 449, 451, 482, 518
BERNABENTE, VOL. I, T. II : 99 BLONDEL MAURICE , VOL. I, T. II : 203
BERNADOU, VOL. I, T. II : 72, 99, 140, 195 BOBÉ, VOL. I, T. II : 458
BERNARD F., VOL. I, T. II : 40, 110, 182, 342 BOHN, VOL. I, T. II : 234
BERNAUD, VOL. I, T. II : 83 BOITELLE, VOL. I, T. II : 99
BERNHEIM, VOL. I, T. II : 98 BOMAISTER, VOL. I, T. II : 175
BERRINGTON, VOL. I, T. II : 85 BOMBARDA, VOL. I, T. II : 36, 494, 495, 496, 513
BERSOT, VOL. I, T. II : 37 BONAPARTE M. , VOL. I, T. II : 199, 227, 321
BERTHOLLET, VOL. I, T. II : 321 BONAPARTE MARIE, VOL. I, T. II : 199, 227, 321
II
INDEX
BONAR LINDSLAY, VOL. I, T. II : 97, 145 BREZOWSKY, VOL. I, T. II : 165
BONASERA-VAZZINI, VOL. I, T. II : 118 BRIAND, VOL. I, T. II : 42, 99, 177, 182, 220, 440,
BONHOEFFER, VOL. I, T. II : 39, 174, 529 451
BONN, VOL. I, T. II : 37 BRICKNER, VOL. I, T. II : 58, 147
BONNAFÉ, VOL. I, T. II : 369, 479 BRICY, VOL. I, T. II : 192
BONNAFOUS-SÉRIEUX MME, VOL. I, T. II : 95, 106, BRIÈRE DE BOISMONT, VOL. I, T. II : 345, 352,
168 353, 355, 361, 378
BONNEAU, VOL. I, T. II : 317 BRILL, VOL. I, T. II : 26, 27
BONNER, VOL. I, T. II : 112 BRIQUET, VOL. I, T. II : 38
BONNET, VOL. I, T. II : 57, 468 BRISSAUD, VOL. I, T. II : 102, 390, 401, 402, 405,
BONNIER, VOL. I, T. II : 390, 401, 426, 446, 447, 406, 407, 461
473 BRISSON, VOL. I, T. II : 36
BONSTEIN, VOL. I, T. II : 109 BRITTON, VOL. I, T. II : 403
BOREL, VOL. I, T. II : 72, 87, 153, 183, 334, 344, BRODMANN, VOL. I, T. II : 139
505, 517, 518, 519, 521, 538, 547 BROSIUS, VOL. I, T. II : 71
BORENSTEIN, VOL. I, T. II : 99 BROSTER, VOL. I, T. II : 301, 302
BORNSTEIN, VOL. I, T. II : 112, 185, 258 BROSTES, VOL. I, T. II : 301
BORSEY, VOL. I, T. II : 119 BROUARDEL, VOL. I, T. II : 42, 52
BOSS, VOL. I, T. II : 197, 215, 217, 219, 228, 229, BROUKANSKI, VOL. I, T. II : 359
231, 232, 273, 274, 277, 283, 291, 305, 308, 314, BROUKANSKI NICOLAS , VOL. I, T. II : 359
319, 324, 325, 326, 328, 329, 339 BROUSSEAU, VOL. I, T. II : 39, 49, 346, 382, 383,
BOSSARD, VOL. I, T. II : 317 426
BOSTROEM, VOL. I, T. II : 69, 72, 73, 77, 94, 98, BROWN W., VOL. I, T. II : 39, 40
99, 138, 139, 144, 155, 165, 166, 168, 190, 192, BRUCKARD, VOL. I, T. II : 72
196 BRUN, VOL. I, T. II : 234
BOUCAUD P. DE, VOL. I, T. II : 112 BRUTUS, VOL. I, T. II : 370
BOUDET, VOL. I, T. II : 190 BUCY, VOL. I, T. II : 148
BOUL, VOL. I, T. II : 513 BULMAN, VOL. I, T. II : 134
BOULITTE, VOL. I, T. II : 120 BUMKE (TRAITÉ DE ), VOL. I, T. II : 67, 69, 73,
BOURDIN, VOL. I, T. II : 69, 362 77, 94, 98, 103, 123, 124, 139, 144, 155, 162,
BOURDON, VOL. I, T. II : 45, 46 165, 168, 178, 183, 248, 404
BOURGET P., VOL. I, T. II : 32, 349 BURCHAN, VOL. I, T. II : 27
BOURGUIGNON, VOL. I, T. II : 81, 121, 122, 131 BURCKARD, VOL. I, T. II : 151
BOUTONIER MELLE J., VOL. I, T. II : 379, 382, BURGER, VOL. I, T. II : 59, 190, 195, 211
383, 384, 387, 406, 407, 408, 412, 413, 417, 418, BURLINEAUX, VOL. I, T. II : 536
419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426 BURLINGHAM, VOL. I, T. II : 250
BOUTTIER, VOL. I, T. II : 103 BURLUREAUX, VOL. I, T. II : 441
BOUVET, VOL. I, T. II : 18 BURT, VOL. I, T. II : 16
BOUVILHET, VOL. I, T. II : 469 BUSCAINO, VOL. I, T. II : 116, 130, 134, 139, 140,
BOVEN, VOL. I, T. II : 383, 415, 426, 528 141, 142, 143, 152, 162, 195
BOVERI, VOL. I, T. II : 119 BUTSBACK, VOL. I, T. II : 363
BOVET, VOL. I, T. II : 381 BUYTENDIJK, VOL. I, T. II : 234
BOVIERI, VOL. I, T. II : 83 BYRON (LORD), VOL. I, T. II : 295
BOZZI, VOL. I, T. II : 96 CABANIS, VOL. I, T. II : 444
BRAILOVSKI, VOL. I, T. II : 39 CAIN, VOL. I, T. II : 438, 451
BREGER, VOL. I, T. II : 46 CALEGRAVE, VOL. I, T. II : 67
BRESLER, VOL. I, T. II : 188 CALIGULA, VOL. I, T. II : 239, 295, 317, 338
BRETON A., VOL. I, T. II : 240, 241 CALMEIL, VOL. I, T. II : 22
III
INDEX
CALOWINA, VOL. I, T. II : 124 CHEVALIER J., VOL. I, T. II : 222, 283, 286, 294,
CAMERON, VOL. I, T. II : 46, 60, 68 309, 312
CAMPAGNE, VOL. I, T. II : 261 CHEYNE-STOCKES, VOL. I, T. II : 102
CAMUS, VOL. I, T. II : 135, 143, 194, 445, 446, CHEYNEY, VOL. I, T. II : 252
447, 452 CHIODI, VOL. I, T. II : 354
CAMUSET, VOL. I, T. II : 428, 435, 442, 451 CHOPARD, VOL. I, T. II : 234
CANGUILHEM G., VOL. I, T. II : 507 CHOROHSKO, VOL. I, T. II : 56
CANNON, VOL. I, T. II : 194, 403, 409 CHRISTIAN, VOL. I, T. II : 187, 528
CAPGRAS, VOL. I, T. II : 29, 32, 83, 100, 103, 230, CHRISTIANSEN, VOL. I, T. II : 505
443, 451, 482, 503, 507 CHRISTOFFEL, VOL. I, T. II : 319
CARDIN, VOL. I, T. II : 99 CIANTAR, VOL. I, T. II : 252
CARDONA, VOL. I, T. II : 55 CLACKLEY, VOL. I, T. II : 264
CARETTE, VOL. I, T. II : 29, 353 CLAIROIN, VOL. I, T. II : 34
CAREY, VOL. I, T. II : 14 CLARK, VOL. I, T. II : 36
CARLIER, VOL. I, T. II : 309, 320 CLARKE, VOL. I, T. II : 175
CARMICHAEL, VOL. I, T. II : 85 CLAUDE (PR. HENRI), VOL. I, T. II : 40, 46, 72, 75,
CARON, VOL. I, T. II : 111, 220 82, 83, 84, 87, 96, 99, 101, 104, 110, 112, 113,
CARP, VOL. I, T. II : 451 114, 117, 118, 119, 121, 122, 140, 141, 145, 147,
CARRERE, VOL. I, T. II : 18, 333 149, 153, 157, 332, 342, 387, 395, 400, 426, 437,
CARRIER, VOL. I, T. II : 182, 193, 378, 443 451, 482, 505, 513
CARROT, VOL. I, T. II : 114, 185 CLAUS, VOL. I, T. II : 69, 71, 72, 73, 82, 106, 108,
CASANOVA, VOL. I, T. II : 278 115
CASEY, VOL. I, T. II : 23, 24 CLAY, VOL. I, T. II : 332
CASTIN, VOL. I, T. II : 428, 443, 451 CLÉRAMBAULT G. G. DE, VOL. I, T. II : 36, 315,
CATON, VOL. I, T. II : 349, 370, 374 482, 489, 508, 509, 535
CATTELL, VOL. I, T. II : 13 CLIFFORD ALLEN, VOL. I, T. II : 301
CATULLE, VOL. I, T. II : 295 CLOUSTON, VOL. I, T. II : 404
CATULLE MENDES, VOL. I, T. II : 283 COBB, VOL. I, T. II : 132, 403
CAVÉ, VOL. I, T. II : 54 COCTEAU J., VOL. I, T. II : 283
CAVE M. , VOL. I, T. II : 334 CODET, VOL. I, T. II : 313, 393, 437, 452, 460,
CAVEIX, VOL. I, T. II : 240 482
CAZAUVIEILH, VOL. I, T. II : 355, 362, 378 COHEN, VOL. I, T. II : 143
CEILLIER, VOL. I, T. II : 344 COHEN VAN BAREN, VOL. I, T. II : 503
CENAC, VOL. I, T. II : 332 COLAPIETRE, VOL. I, T. II : 332
CHADWICK, VOL. I, T. II : 315 COLEMAN, VOL. I, T. II : 24
CHALIER, VOL. I, T. II : 98 COLIN, VOL. I, T. II : 111, 177, 182, 248, 266
CHAMPY, VOL. I, T. II : 300 COLLET, VOL. I, T. II : 88, 134, 469
CHANES, VOL. I, T. II : 116 COLLIAS, VOL. I, T. II : 234
CHARCOT, VOL. I, T. II : 173, 187, 400, 432 COLOMB, VOL. I, T. II : 168, 290, 353
CHARLIN, VOL. I, T. II : 53, 114, 174 COLOMB R. , VOL. I, T. II : 290
CHARPENTIER, VOL. I, T. II : 232 COMBES-HAMELLE, VOL. I, T. II : 332
CHASLIN, VOL. I, T. II : 46, 69, 70, 71, 72, 111, CONDILLAC, VOL. I, T. II : 444
115, 362 CONDORCET, VOL. I, T. II : 370
CHATAGNON, VOL. I, T. II : 343, 503, 505, 513 CONKEY, VOL. I, T. II : 48, 50
CHATELIN, VOL. I, T. II : 58 CONRAD, VOL. I, T. II : 46
CHAUME, VOL. I, T. II : 69 CONSTANTINIVITCH, VOL. I, T. II : 85
CHAUMIER, VOL. I, T. II : 100 COOL, VOL. I, T. II : 451
CHEADL, VOL. I, T. II : 173 CORBBT, VOL. I, T. II : 269
IV
INDEX
CORBET, VOL. I, T. II : 248, 256, 266 DEBESSE, VOL. I, T. II : 263, 354, 518
CORMAN, VOL. I, T. II : 348 DEBIERRE, VOL. I, T. II : 290
CORMOLESCO, VOL. I, T. II : 133 DEITERS, VOL. I, T. II : 146, 401
CORNU, VOL. I, T. II : 42, 102 DEJEAN, VOL. I, T. II : 122
CORRE, VOL. I, T. II : 373 DÉJERINE, VOL. I, T. II : 395, 400
COSMULESCO, VOL. I, T. II : 84 DÉJÉRINE, VOL. I, T. II : 426, 469, 518
COSTBDOAT, VOL. I, T. II : 52 DELACROIX, VOL. I, T. II : 15, 67
COSTE, VOL. I, T. II : 101 DELAITRE, VOL. I, T. II : 452
COTARD, VOL. I, T. II : 353, 427, 428, 429, 430, DELASIAUVE, VOL. I, T. II : 536
431, 432, 433, 434, 435, 436, 437, 438, 439, 440, DELAY, VOL. I, T. II : 10, 12, 16, 26, 28, 30, 31,
441, 442, 443, 444, 445, 446, 449, 451, 452, 465, 33, 37, 38, 47, 53, 68, 85, 88, 134, 137, 220, 256,
482, 520 403, 404, 405, 409, 411, 426
COURBON, VOL. I, T. II : 73, 80, 85, 111, 112, 462, DELGADO, VOL. I, T. II : 174, 185, 202, 274, 275,
513 464
COURTIAL, VOL. I, T. II : 266 DELILLE, VOL. I, T. II : 83, 97, 99
COURTOIS, VOL. I, T. II : 505, 513 DELMAS A., VOL. I, T. II : 18, 40, 49, 149, 173,
COX, VOL. I, T. II : 404 247, 272, 346, 355, 356, 362, 369, 370, 371, 374,
CRAMER, VOL. I, T. II : 151 378, 459
CRAWLEY, VOL. I, T. II : 278 DELMAS-MARSALET, VOL. I, T. II : 53, 82, 85,
CRÉMIEUX, VOL. I, T. II : 98, 438, 451 117, 118, 141, 145, 149
CREVEN, VOL. I, T. II : 374 DELMONT, VOL. I, T. II : 248, 249, 254, 258, 265,
CRITCHLEY, VOL. I, T. II : 104, 105, 168. 266, 333
CROMELYNK, VOL. I, T. II : 486 DEMOINE, VOL. I, T. II : 100
CUEL, VOL. I, T. II : 104, 140, 442, 452 DEMOLE, VOL. I, T. II : 143
CULLÈRE (MELLE), VOL. I, T. II : 83 DENY, VOL. I, T. II : 445, 446, 447, 452, 472
CULLERRE, VOL. I, T. II : 176, 177 DERMOT, VOL. I, T. II : 23, 24
CURRAN, VOL. I, T. II : 41, 44, 264 DESCARTES, VOL. I, T. II : 9, 54, 488
CURTI, VOL. I, T. II : 131 DESCHAMPS, VOL. I, T. II : 85, 87
CZERMAK, VOL. I, T. II : 137 DESCLAUX, VOL. I, T. II : 53, 506, 514
DAGAND, VOL. I, T. II : 97 DESCURET, VOL. I, T. II : 506
DAGONET, VOL. I, T. II : 163, 182 DESFONTAINE, VOL. I, T. II : 341
DALBIEZ, VOL. I, T. II : 328 DESHAIES, VOL. I, T. II : 341, 344, 345, 346, 347,
DALKE, VOL. I, T. II : 452 348, 349, 350, 351, 353, 354, 355, 356, 357, 358,
DALLEMAGNE, VOL. I, T. II : 192 360, 361, 362, 371, 372, 374, 377, 378, 388
DAMAYE, VOL. I, T. II : 113 DESOILLE, VOL. I, T. II : 42, 53, 352
DAMMAYE, VOL. I, T. II : 101 DESPINE, VOL. I, T. II : 376
DANDY, VOL. I, T. II : 57 DESROMBIES, VOL. I, T. II : 29, 32
DANJEAN, VOL. I, T. II : 101 DESRUELLES, VOL. I, T. II : 26
DARDENNE, VOL. I, T. II : 403 DEUTSCH H., VOL. I, T. II : 227, 311, 315, 448
DARKIEWITSCH, VOL. I, T. II : 146 DEVAUX, VOL. I, T. II : 39, 47, 91, 100, 380, 387,
DARWIN, VOL. I, T. II : 381 395, 396, 400, 401, 405, 426
DASKALOW, VOL. I, T. II : 101. DEVIC, VOL. I, T. II : 42
DAUDET A., VOL. I, T. II : 518 DEVINE, VOL. I, T. II : 112
DAUMEZON, VOL. I, T. II : 42, 451 DI FORTUNATO, VOL. I, T. II : 85
DAUPHIN, VOL. I, T. II : 26, 28 DI GIACOMO, VOL. I, T. II : 130, 131
DAVID, VOL. I, T. II : 134, 401, 402, 405, 409 DI TULLIO, VOL. I, T. II : 315
DE MAULLE, VOL. I, T. II : 317 DIAMANDI, VOL. I, T. II : 27
DE MORSIER, VOL. I, T. II : 472, 475 DICKMEISS, VOL. I, T. II : 402
V
INDEX
DIDE, VOL. I, T. II : 58, 72, 101, 123, 140, 141, EBBINGHAUS, VOL. I, T. II : 17, 38, 55, 67
143, 464 ECK, VOL. I, T. II : 136
DIDEROT, VOL. I, T. II : 283 EGGER, VOL. I, T. II : 25
DIVRY, VOL. I, T. II : 69, 72, 73, 75, 85, 110, 131, EHRENWALD, VOL. I, T. II : 446, 472, 474, 475
135 ELLENBERGER, VOL. I, T. II : 62, 68, 69, 70, 73,
DOEKART, VOL. I, T. II : 47, 48 86, 87, 88, 90, 91, 92, 93, 113, 154
DOFFLER, VOL. I, T. II : 332 EMMA M., VOL. I, T. II : 333
DOITEAU, VOL. I, T. II : 18 ÉRASME, VOL. I, T. II : 488
DOLKART, VOL. I, T. II : 13 ERMES, VOL. I, T. II : 80
DONAGGIO, VOL. I, T. II : 132, 148 ESCOUBE, VOL. I, T. II : 503, 513
DONALIES, VOL. I, T. II : 319 ESCUDERO ORTUNO, VOL. I, T. II : 504
DOREZ, VOL. I, T. II : 513 ESPINAS, VOL. I, T. II : 30, 234
DOS SANTOS, VOL. I, T. II : 250 ESQUIROL, VOL. I, T. II : 178, 246, 359, 360, 361,
DOTT, VOL. I, T. II : 404 362, 378, 434, 468, 490
DOUTREBENTE, VOL. I, T. II : 349 ESTAPE, VOL. I, T. II : 467, 482
DRAGANESCO, VOL. I, T. II : 102 EULENBURG, VOL. I, T. II : 277, 325.
DREYFUS, VOL. I, T. II : 111, 112 EURYALE, VOL. I, T. II : 295
DREYFUS (L'AFFAIRE), VOL. I, T. II : 358 EUZIÈRE, VOL. I, T. II : 247, 261, 263
DRIEST, VOL. I, T. II : 78, 95 ÉVERAND, VOL. I, T. II : 290
DROMARD, VOL. I, T. II : 31, 67, 76, 81, 85 EVRARD, VOL. I, T. II : 85, 135, 137
DROUART, VOL. I, T. II : 29 EWALD, VOL. I, T. II : 112, 183, 411
DUBITSCHER, VOL. I, T. II : 246, 248, 258, 264, EY, VOL. I, T. II : 40, 53, 86, 88, 95, 97, 105, 106,
268 139, 172, 192, 195, 337, 342, 353, 479, 505
DUBLINEAU, VOL. I, T. II : 266, 462 FABRE J. H. , VOL. I, T. II : 376
DUBOIS, VOL. I, T. II : 220, 475, 476 FALRET J., VOL. I, T. II : 31, 32, 35, 36, 67, 69, 72,
DUBRISAY, VOL. I, T. II : 352 174, 362, 431, 443
DUBUISSON, VOL. I, T. II : 315 FALRET J. P. , VOL. I, T. II : 247, 515, 532, 536
DUCOSTE, VOL. I, T. II : 36, 52, 175, 378 FANNY DE RISTOR, VOL. I, T. II : 320
DUFOUR, VOL. I, T. II : 98 FASSOU, VOL. I, T. II : 103
DUGAS, VOL. I, T. II : 67, 283, 295, 482 FATTOVITCH, VOL. I, T. II : 452
DUHREN, VOL. I, T. II : 317 FEDERN, VOL. I, T. II : 325
DUMAS, VOL. I, T. II : 40, 43, 49, 52, 55, 67, 68, FEINDEL, VOL. I, T. II : 187
328, 381, 518, 525 FEINSTEIN, VOL. I, T. II : 123
DUNBAR, VOL. I, T. II : 350, 400, 469 FEIREIRA, VOL. I, T. II : 132
DUNE, VOL. I, T. II : 53 FELD, VOL. I, T. II : 346
DUPOUY, VOL. I, T. II : 103, 216, 221, 315, 322, FENELL, VOL. I, T. II : 234
323, 352, 354, 391, 402, 441, 445, 452, 462, 482, FENICHEL, VOL. I, T. II : 277, 283, 296, 319
503, 505, 513 FERDIÈRE, VOL. I, T. II : 403
DUPRÉ, VOL. I, T. II : 184, 238, 247, 253, 258, FÉRÉ, VOL. I, T. II : 25, 36, 176, 277, 279, 386,
260, 262, 271, 272, 275, 393, 394, 396, 401, 411, 402
426, 454, 455, 470, 521 FERENCZI, VOL. I, T. II : 283, 306, 330, 349, 476,
DURKHEIM, VOL. I, T. II : 355, 356, 357, 362, 363, 538, 547
364, 365, 366, 367, 368, 370, 378 FERRARO, VOL. I, T. II : 27, 132
DÜSS, VOL. I, T. II : 266 FERREIRA, VOL. I, T. II : 127
DUSSER DE BARENNE, VOL. I, T. II : 147 FERRI, VOL. I, T. II : 355, 356, 373, 375, 376
DUVAL J., VOL. I, T. II : 290 FERRIER, VOL. I, T. II : 193
EARL, VOL. I, T. II : 106 FEUCHTWANGER, VOL. I, T. II : 103, 201
EAST, VOL. I, T. II : 220, 223, 232 FEUERBACH, VOL. I, T. II : 318
VI
INDEX
FEUILLE, VOL. I, T. II : 80 353
FEUILLET, VOL. I, T. II : 80, 502, 514 FRIEDMANN, VOL. I, T. II : 355, 373, 375, 378,
FEUTSCHTWANGER, VOL. I, T. II : 57 513
FIKER, VOL. I, T. II : 345 FRÖCHLICH, VOL. I, T. II : 119, 126, 129.
FILASSIER, VOL. I, T. II : 182 FROIS-WITMANN, VOL. I, T. II : 476
FINAN, VOL. I, T. II : 146 FROMENTY, VOL. I, T. II : 81
FINK, VOL. I, T. II : 71 FUERSTENER, VOL. I, T. II : 404
FINZI, VOL. I, T. II : 88 FULTON, VOL. I, T. II : 148, 404
FISCHER, VOL. I, T. II : 86, 92, 108 FUNFGELD, VOL. I, T. II : 139
FIZZI, VOL. I, T. II : 75 FURTADO, VOL. I, T. II : 145
FLESCHER, G., VOL. I, T. II : 37 FURTWANGEL, VOL. I, T. II : 290
FLEURY M. DE, VOL. I, T. II : 362, 387, 426 FUSSWERK, VOL. I, T. II : 86
FLOURNOY, VOL. I, T. II : 153, 352, 536 GAGEL, VOL. I, T. II : 404
FOERSTER, VOL. I, T. II : 103, 104, 105, 168, 404, GALL, VOL. I, T. II : 55, 247
446, 474, 482 GALLEPSIE, VOL. I, T. II : 482
FOIX, VOL. I, T. II : 104, 117, 118, 120, 189 GALLOT, VOL. I, T. II : 346
FOLEY, VOL. I, T. II : 137 GAMPER, VOL. I, T. II : 41, 58, 59, 194
FOLLIN, VOL. I, T. II : 83, 107, 200, 369, 479, 528 GANSER, VOL. I, T. II : 113
FONTE CULLA, VOL. I, T. II : 468 GANTT, VOL. I, T. II : 42, 234, 411, 414
FORBES, VOL. I, T. II : 67, 124, 125 GANYMÈDE, VOL. I, T. II : 294
FÖRSTER J.C., VOL. I, T. II : 35, 44, 45, 58, 115, GARANT, VOL. I, T. II : 72, 74, 98, 99, 100, 107,
196 282
FORTANIER, VOL. I, T. II : 39, 49, 54, 60, 66 GARDIEN, VOL. I, T. II : 174, 412
FORTINEAU, VOL. I, T. II : 182 GARMA, VOL. I, T. II : 295, 373, 375, 376, 378,
FORX, VOL. I, T. II : 104 448, 477
FOULQUIÉ, VOL. I, T. II : 203 GARNIER, VOL. I, T. II : 52, 176, 179, 213, 219,
FOURNIER, VOL. I, T. II : 46 220, 224, 226, 232, 269, 277, 452, 504
FOVILLE, VOL. I, T. II : 36, 182, 515, 532, 533, GAUCKLER, VOL. I, T. II : 400, 426, 469
534, 536, 537, 547 GAUDIO, VOL. I, T. II : 131
FRACASSI, VOL. I, T. II : 109 GAUPP, VOL. I, T. II : 97, 112, 174, 396, 532, 547
FRAISSE, VOL. I, T. II : 17, 34 GAUTIER, VOL. I, T. II : 283, 343
FRANCE ANATOLE , VOL. I, T. II : 316 GAYRAL, VOL. I, T. II : 403
FRANCHINI, VOL. I, T. II : 354 GEESINK, VOL. I, T. II : 136
FRANÇOIS-GUILLAUME, VOL. I, T. II : 214 GEHLEN, VOL. I, T. II : 203
FRANKEL, VOL. I, T. II : 141, 152. GEHRARD SCHMIDT, VOL. I, T. II : 185
FRANKEL A. : 173. GELMA, VOL. I, T. II : 389, 426, 476
FRANTZ, VOL. I, T. II : 56 GENET JEAN, VOL. I, T. II : 243, 278, 283, 335
FREEMAN, VOL. I, T. II : 97, 249 GENGERELLI, VOL. I, T. II : 37
FREUD (D'AMSTERDAM), VOL. I, T. II : 136 GENIL-PERRIN, VOL. I, T. II : 75, 482
FREUD ANNA , VOL. I, T. II : 388, 413 GENNEP, VOL. I, T. II : 277
FREUD SIGMUND, VOL. I, T. II : 21, 39, 86, 153, GEORGET, VOL. I, T. II : 232, 246, 362
155, 197, 198, 199, 214, 230, 232, 234, 244, 250, GERHARD SCHMIDT, VOL. I, T. II : 354
274, 277, 282, 283, 284, 291, 295, 296, 305, 314, GERTSMAN, VOL. I, T. II : 538
315, 316, 317, 319, 325, 341, 350, 376, 385, 387, GIACOMO, VOL. I, T. II : 130, 131, 132, 133, 134
388, 389, 393, 395, 396, 410, 412, 413, 416, 417, GIDE A., VOL. I, T. II : 19, 278, 283, 295
418, 426, 447, 448, 476, 477, 480, 485, 492, 512, GILLEPSIE, VOL. I, T. II : 42, 66
513, 515, 538 GILLES, VOL. I, T. II : 29
FRIBOURG-BLANC, VOL. I, T. II : 40, 332, 342, GILLES DE LA TOURETTE, VOL. I, T. II : 188
VII
INDEX
GILLES DE RAIS, VOL. I, T. II : 317 GUREWITCH, VOL. I, T. II : 474, 475
GILLES DE RETZ, VOL. I, T. II : 317 GUTHONE, VOL. I, T. II : 234
GIROUD, VOL. I, T. II : 282 GUTMAN, VOL. I, T. II : 100
GISCARD, VOL. I, T. II : 45 GUTTMANN, VOL. I, T. II : 40
GJESSING, VOL. I, T. II : 96 H. ELLIS, VOL. I, T. II : 315, 331
GLUECK, VOL. I, T. II : 315 HAARMAN, VOL. I, T. II : 318
GODET, VOL. I, T. II : 141, 315 HAFNER, VOL. I, T. II : 108, 109
GODFREY, VOL. I, T. II : 278 HAHN, VOL. I, T. II : 141, 513
GOLDMAN, VOL. I, T. II : 13, 47, 48 HALBERSTADT, VOL. I, T. II : 29, 333
GOLDSCHMIDT, VOL. I, T. II : 283, 299, 302, 306 HALBWACHS, VOL. I, T. II : 62, 68, 355, 356, 357,
GOLDSTEIN, VOL. I, T. II : 58, 148, 382, 388, 391, 358, 362, 363, 367, 368, 369, 376, 378
415, 426 HALES M. , VOL. I, T. II : 349
GOLTZ, VOL. I, T. II : 56, 403 HALL, VOL. I, T. II : 104, 453
GONZALEZ, VOL. I, T. II : 513 HALLOS, VOL. I, T. II : 538
GOODHART, VOL. I, T. II : 24 HALMER, VOL. I, T. II : 86
GOODMAN, VOL. I, T. II : 185, 258 HALSTEADT, VOL. I, T. II : 51
GORDON A., VOL. I, T. II : 39, 58, 109 HAMMOND, VOL. I, T. II : 71, 349
GOT, VOL. I, T. II : 452 HANSEN, VOL. I, T. II : 120
GRAAM GREEN, VOL. I, T. II : 252 HARGREAVES, VOL. I, T. II : 14
GRANOKE, VOL. I, T. II : 85 HARMANN, VOL. I, T. II : 58
GRANTE, VOL. I, T. II : 343 HARNIK, VOL. I, T. II : 227
GRANVILLE, VOL. I, T. II : 18, 67 HARTENBERG, VOL. I, T. II : 387, 426
GRAVING, VOL. I, T. II : 97 HARTMANN NICOLAÏ , VOL. I, T. II : 203
GREEFF DE, VOL. I, T. II : 339 HATSHORNE, VOL. I, T. II : 265
GREGOR, VOL. I, T. II : 261 HAUSER, VOL. I, T. II : 352
GRIESINGER, VOL. I, T. II : 176, 247, 379, 430, HAVELOCK ELLIS, VOL. I, T. II : 226, 227, 228,
433, 434 232, 277, 283, 286, 295, 315, 328, 330, 518, 522
GRINKER, VOL. I, T. II : 405 HEAD, VOL. I, T. II : 48, 455, 473, 474
GROHMANN, VOL. I, T. II : 246 HEALY, VOL. I, T. II : 315
GRUEHLE, VOL. I, T. II : 183, 277, 356, 378, 514 HECAEN, VOL. I, T. II : 58, 105, 401, 402, 405,
GRUNTHAL, VOL. I, T. II : 106 409, 446, 447, 474, 475, 479
GRYNFELDT, VOL. I, T. II : 139 HECHST, VOL. I, T. II : 102, 132
GRYWACZ, VOL. I, T. II : 483 HECKEL, VOL. I, T. II : 387, 393, 395, 400, 401,
GUHL, VOL. I, T. II : 234 405, 426
GUICCIARDI, VOL. I, T. II : 27 HECKER, VOL. I, T. II : 71
GUICHART, VOL. I, T. II : 111 HEDIGER, VOL. I, T. II : 234
GUILLAIN, VOL. I, T. II : 99, 103 HEIDEGGER, VOL. I, T. II : 273, 419, 420, 423,
GUIMARD, VOL. I, T. II : 468 424, 426
GUIRAUD P., VOL. I, T. II : 18, 72, 73, 77, 80, 82, HEIM, VOL. I, T. II : 25
83, 97, 99, 100, 106, 110, 111, 116, 118, 139, HEIMANS, VOL. I, T. II : 27
140, 141, 142, 143, 149, 150, 152, 194, 195, 333, HÉLIOGABALE, VOL. I, T. II : 295
334, 411, 464, 472, 517, 547 HELLER, VOL. I, T. II : 342
GUISLAIN, VOL. I, T. II : 70, 391, 430 HELMER, VOL. I, T. II : 86, 90
GULDBERG, VOL. I, T. II : 55 HENDERSON, VOL. I, T. II : 42, 355
GULLOTA, VOL. I, T. II : 130, 131, 135 HENLE, VOL. I, T. II : 444
GULOTTA, VOL. I, T. II : 84 HENNÉ AM. RHYN, VOL. I, T. II : 295
GURDJIAN, VOL. I, T. II : 103 HENNER, VOL. I, T. II : 130
GUREVIC, VOL. I, T. II : 109 HENRY, VOL. I, T. II : 53, 127, 132, 277, 402, 441,
VIII
INDEX
452 HULTON, VOL. I, T. II : 57
HERING, VOL. I, T. II : 54, 61, 67 HUMBERT, VOL. I, T. II : 286, 335
HERMAN ROBERT , VOL. I, T. II : 290 HUTH, VOL. I, T. II : 266
HÉRODOTE, VOL. I, T. II : 227 HUXLEY, VOL. I, T. II : 234
HERPIN, VOL. I, T. II : 173 HYATT VERRILL, VOL. I, T. II : 234
HERTWIG-MAGENDIE, VOL. I, T. II : 196 HYVERT, VOL. I, T. II : 101, 352
HESNARD, VOL. I, T. II : 18, 99, 100, 103, 153, ICHOCK, VOL. I, T. II : 356, 358
230, 232, 236, 244, 277, 278, 279, 280, 283, 292, INAUDI, VOL. I, T. II : 27
300, 313, 322, 328, 375, 379, 384, 398, 418, 426, INGALLES, VOL. I, T. II : 39
476, 477, 478, 482, 512 IONESCO, VOL. I, T. II : 84
HESS W.R., VOL. I, T. II : 150, 157, 162, 194 ISCOVESCO, VOL. I, T. II : 503
HESS, RUDOLF, VOL. I, T. II : 52 ISCOVESCU, VOL. I, T. II : 513
HEUCQUEVILLE, VOL. I, T. II : 81, 343, 452 IVORY, VOL. I, T. II : 56
HEUYER, VOL. I, T. II : 26, 27, 28, 29, 37, 53, 190, JACK L'ÉVENTREUR, VOL. I, T. II : 318
247, 259, 266, 506, 514 JACKSON, VOL. I, T. II : 12, 25, 36, 65, 67, 156
HIESCHFELD, VOL. I, T. II : 286 JACOB, VOL. I, T. II : 38, 109, 138, 143
HINES, VOL. I, T. II : 148, 194 JACOBSEN, VOL. I, T. II : 57
HINSEY, VOL. I, T. II : 403 JACOBSON E., VOL. I, T. II : 477
HINTZIGER, VOL. I, T. II : 26 JACOBY, VOL. I, T. II : 163
HIRSCH, VOL. I, T. II : 463 JAHRMAKER, VOL. I, T. II : 108
HIRSCHFELD, VOL. I, T. II : 277, 283, 286, 304, JAHRREISS, VOL. I, T. II : 482
306, 311, 314, 316, 322 JAMEISON, VOL. I, T. II : 355, 402
HIRSEN, VOL. I, T. II : 328 JAMPPS, VOL. I, T. II : 39
HITZIG, VOL. I, T. II : 56, 193 JANET P., VOL. I, T. II : 10, 11, 17, 21, 22, 29, 31,
HOCHE, VOL. I, T. II : 216 32, 33, 38, 60, 62, 67, 86, 87, 94, 113, 155, 156,
HOFFMAN, VOL. I, T. II : 112, 137 187, 200, 201, 202, 203, 277, 387, 390, 415, 426,
HOFFMANN, VOL. I, T. II : 127, 156, 248 480, 482
HOLLANDER, VOL. I, T. II : 101 JANSENS, VOL. I, T. II : 26
HOLLOS, VOL. I, T. II : 547 JANTZ, VOL. I, T. II : 145
HOLZINGEN, VOL. I, T. II : 249 JASPERS K., VOL. I, T. II : 86, 88, 164, 203, 419,
HOLZINGER, VOL. I, T. II : 14 489, 490, 491, 494, 499, 500, 501, 502, 508, 513
HOMBURGER, VOL. I, T. II : 77, 168, 183 JEANSEN, VOL. I, T. II : 32
HORN, VOL. I, T. II : 109, 132 JOERGER, VOL. I, T. II : 248
HORNEY, VOL. I, T. II : 325 JOFFROY, VOL. I, T. II : 115
HORREVELD, VOL. I, T. II : 135 JOHN, VOL. I, T. II : 97
HORSLEY GANTT, VOL. I, T. II : 234 JOHNSON, VOL. I, T. II : 44, 124
HOSACEK, VOL. I, T. II : 360 JONES, VOL. I, T. II : 19, 46
HOSKINS, VOL. I, T. II : 145 JONES E., VOL. I, T. II : 321, 476
HOSSENLOP, VOL. I, T. II : 251 JONG DE, VOL. I, T. II : 82, 83, 120, 126, 127, 128,
HOTZEN, VOL. I, T. II : 220 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 147,
HOTZINGER, VOL. I, T. II : 249 149, 152, 153, 162
HOUCARD, VOL. I, T. II : 99 JOSEPHY, VOL. I, T. II : 139
HUBER, VOL. I, T. II : 292 JOTEYKO, VOL. I, T. II : 26
HUBERT, VOL. I, T. II : 29 JOUANNAIS, VOL. I, T. II : 403, 493, 514
HUBNER, VOL. I, T. II : 123 JOUFFROY, VOL. I, T. II : 444
HUDDLESON, VOL. I, T. II : 350 JOURNIAC, VOL. I, T. II : 428, 452, 482
HUGUET, VOL. I, T. II : 290, 300 JUCQUELIN, VOL. I, T. II : 315
HULL, VOL. I, T. II : 234 JUKES, VOL. I, T. II : 248
IX
INDEX
JULES CÉSAR, VOL. I, T. II : 295 KLARFELD, VOL. I, T. II : 139
JULIAN, VOL. I, T. II : 104 KLEIN (1888), VOL. I, T. II : 515
JUNG, VOL. I, T. II : 85, 86 KLEIN G. , VOL. I, T. II : 334
JUNG E., VOL. I, T. II : 153, 414, 426, 547 KLEIN MÉLANIE, VOL. I, T. II : 334, 388, 392,
JUQUELIER, VOL. I, T. II : 467 399, 448, 476
JUSTI, VOL. I, T. II : 295 KLEIN R. , VOL. I, T. II : 49, 60
JUVÉNAL, VOL. I, T. II : 295 KLEINPAUL, VOL. I, T. II : 227
KAFKA, VOL. I, T. II : 234 KLEIST, VOL. I, T. II : 48, 58, 59, 72, 74, 78, 79,
KAFKA F., VOL. I, T. II : 385 80, 83, 95, 97, 98, 102, 103, 104, 105, 107, 111,
KAHLBAUM, VOL. I, T. II : 70, 71, 72, 73, 76, 78, 112, 115, 116, 144, 145, 146, 150, 151, 157, 161,
82, 86, 88, 90, 96, 97, 98, 115, 129, 140, 151, 164, 165, 166, 168, 190, 192, 193, 194, 196, 201,
155, 159, 162, 333 405, 411, 529
KAHN, VOL. I, T. II : 99, 183, 247, 255, 328 KLIMMER, VOL. I, T. II : 283, 296
KALBERLAH, VOL. I, T. II : 50 KLIPPEL, VOL. I, T. II : 139
KALISCHER, VOL. I, T. II : 56 KLOSSOWSKI, VOL. I, T. II : 317
KANDINSKY, VOL. I, T. II : 155 KLOTZENS, VOL. I, T. II : 319, 324, 325
KANDOU, VOL. I, T. II : 39, 49, 54, 60, 66 KLUVER, VOL. I, T. II : 194
KANOROVITCH, VOL. I, T. II : 85 KLYSSEN, VOL. I, T. II : 26
KANT F., VOL. I, T. II : 101 KNECHT, VOL. I, T. II : 108
KANZER, VOL. I, T. II : 39 KNOX, VOL. I, T. II : 14
KARL HEINRICH ULRICH, VOL. I, T. II : 283 KNUD SAND, VOL. I, T. II : 299, 300, 302
KARPMAN, VOL. I, T. II : 264 KOCH, VOL. I, T. II : 352
KARPMANN, VOL. I, T. II : 304 KOEHLER, VOL. I, T. II : 234, 235
KATONA, VOL. I, T. II : 68 KOEMPFEN, VOL. I, T. II : 21, 49
KATSARAS, VOL. I, T. II : 100 KOFFKA, VOL. I, T. II : 68, 234
KATZ, VOL. I, T. II : 102 KOK, VOL. I, T. II : 135
KATZENELBOGEN, VOL. I, T. II : 131 KOLK, VOL. I, T. II : 26, 133
KAUDERS, VOL. I, T. II : 156, 157, 373 KORSAKOFF, VOL. I, T. II : 16, 17, 31, 41, 42, 46,
KAUFFMAN, VOL. I, T. II : 136 50, 59, 404
KAUFMAN, VOL. I, T. II : 137, 538, 547 KOTTGEN A., VOL. I, T. II : 108, 138.
KEHLER, VOL. I, T. II : 123, 124 KRAEPELIN, VOL. I, T. II : 29, 31, 50, 71, 73, 86,
KEHRER, VOL. I, T. II : 39 88, 90, 92, 94, 97, 108, 109, 115, 123, 155, 156,
KELLER, VOL. I, T. II : 25, 135, 316, 329 159, 162, 164, 174, 182, 183, 333, 442, 515, 525,
KEMPF, VOL. I, T. II : 86, 94, 154, 304 532, 535
KENNARD, VOL. I, T. II : 148 KRAFFT-EBING, VOL. I, T. II : 71, 174, 175, 185,
KENNEDY, VOL. I, T. II : 129 218, 219, 220, 232, 273, 277, 283, 286, 313, 315,
KENT, VOL. I, T. II : 112 318, 320, 321, 328, 442, 468, 503, 528
KERMANN, VOL. I, T. II : 137 KRAL, VOL. I, T. II : 49, 59
KIELHOLZ, VOL. I, T. II : 137, 178 KRAPF E., VOL. I, T. II : 350
KIERKEGAARD, VOL. I, T. II : 418, 419, 421, 422, KRAUSE, VOL. I, T. II : 132
426 KRAUSS, VOL. I, T. II : 228
KIERMAN, VOL. I, T. II : 71 KREINDLER, VOL. I, T. II : 143
KIERNAN, VOL. I, T. II : 71 KREIPE, VOL. I, T. II : 202
KIETZENELBOGEN, VOL. I, T. II : 482 KRETSCHMER, VOL. I, T. II : 39, 155, 165, 184,
KINDBERG, VOL. I, T. II : 264 200, 201, 415, 497, 532
KINSLEY, VOL. I, T. II : 279, 328 KRISCH, VOL. I, T. II : 131, 195
KKAL, VOL. I, T. II : 60 KROMTSKY, VOL. I, T. II : 101
KLAGES, VOL. I, T. II : 183 KRONFELD, VOL. I, T. II : 86, 88, 165, 168, 190,
X
INDEX
195, 211, 277, 283 LAUGWORTHY, VOL. I, T. II : 148
KROSE, VOL. I, T. II : 355, 378 LAUPTS, VOL. I, T. II : 277, 283, 286
KUBIE, VOL. I, T. II : 329, 388 LAURENT, VOL. I, T. II : 84, 329
KUBO, VOL. I, T. II : 46 LAUZIER, VOL. I, T. II : 84
KÜNKEL, VOL. I, T. II : 414 LAVASSOR, VOL. I, T. II : 67
KUNZ, VOL. I, T. II : 273, 325 LAVERAN, VOL. I, T. II : 42
KUPPER, VOL. I, T. II : 139 LE DOSSEUR, VOL. I, T. II : 42
KURSERITZKY, VOL. I, T. II : 290 LE MAUX, VOL. I, T. II : 108
KUSMAUL, VOL. I, T. II : 168 LE MOAL, VOL. I, T. II : 354, 378
KUTTNER, VOL. I, T. II : 137 LEBOVICI, VOL. I, T. II : 26, 28
LA ROCHEFOUCAULT, VOL. I, T. II : 484, 485 LECONTE, VOL. I, T. II : 85, 513
LABAT, VOL. I, T. II : 403 LECORDONNIER, VOL. I, T. II : 108
LACAN J., VOL. I, T. II : 250, 282, 422, 479, 491, LEDUC, VOL. I, T. II : 135
501, 502, 509, 532, 540, 547 LEFAUCHEUR, VOL. I, T. II : 100
LACASSAGNE, VOL. I, T. II : 277, 315, 317, 318, LEFORT MARIE-MADELEINE , VOL. I, T. II : 290
373, 442, 443, 452 LEGOURAND DE TROMELIN, VOL. I, T. II : 252
LACROIX, VOL. I, T. II : 469 LEGOYT, VOL. I, T. II : 356
LADAME, VOL. I, T. II : 220 LEGRAIN, VOL. I, T. II : 177, 182, 193
LAFORA, VOL. I, T. II : 26, 27, 28 LEGRAND DU SAULLE, VOL. I, T. II : 173, 176,
LAFORGUE, VOL. I, T. II : 320, 334 468, 515
LAGACHE, VOL. I, T. II : 106, 261, 327, 483, 484, LEHMAN, VOL. I, T. II : 140
485, 486, 489, 491, 493, 497, 498, 501, 502, 503, LELY, VOL. I, T. II : 317
504, 505, 506, 507, 509, 510, 511, 512, 514 LEMIERRE, VOL. I, T. II : 352
LAGRIFFE, VOL. I, T. II : 75, 82, 84, 85 LEMONNIER, VOL. I, T. II : 81
LAHY, VOL. I, T. II : 26, 27, 29 LENDRUM, VOL. I, T. II : 358, 359
LAIGNEL-LAVASTINE, VOL. I, T. II : 99, 141, 328, LENNAN, VOL. I, T. II : 282
332, 343, 346, 452, 493, 514 LÉO DEUTSCH, VOL. I, T. II : 315
LALANDE, VOL. I, T. II : 31, 536 LÉONARD DE VINCI, VOL. I, T. II : 283, 295
LALANNE, VOL. I, T. II : 214, 215, 216, 219, 221, LEONHARD, VOL. I, T. II : 74, 78, 79, 95, 96, 180
232, 387, 426 LEPINAY, VOL. I, T. II : 376
LAMARTINE, VOL. I, T. II : 283 LERI, VOL. I, T. II : 103
LAMBERCIER, VOL. I, T. II : 320 LERICHE, VOL. I, T. II : 469
LAMY, VOL. I, T. II : 102 LERIT, VOL. I, T. II : 332
LANCASTER, VOL. I, T. II : 354 LEROY, VOL. I, T. II : 31, 42, 75, 103, 111, 440,
LANG, VOL. I, T. II : 302, 303, 311 442, 452
LANGE, VOL. I, T. II : 111, 112, 248, 266, 409, LESHLEY, VOL. I, T. II : 56
532, 547 LESNE, VOL. I, T. II : 104
LANGELUDDECKE, VOL. I, T. II : 82 LETRESOR, VOL. I, T. II : 84
LANGFELD, VOL. I, T. II : 84 LEUPOLD, VOL. I, T. II : 75
LANSON, VOL. I, T. II : 403 LEVENHART, VOL. I, T. II : 85
LANTMANN, VOL. I, T. II : 190 LEVITAN, VOL. I, T. II : 37
LAPEYRE, VOL. I, T. II : 84 LÉVY, VOL. I, T. II : 13, 457, 470, 482
LARREY, VOL. I, T. II : 22 LEVY-VALENSI, VOL. I, T. II : 29, 46, 112, 387,
LASÈGUE, VOL. I, T. II : 213, 214, 217, 220, 222, 395, 400, 426, 482, 484, 513, 525, 547
224, 228, 230, 231, 232, 315, 515, 532 LEWIN, VOL. I, T. II : 156
LASHLEY, VOL. I, T. II : 56 LEWY, VOL. I, T. II : 60, 68
LASNER, VOL. I, T. II : 44 LEY, VOL. I, T. II : 232, 464, 469
LAST, VOL. I, T. II : 122 LEYDE, VOL. I, T. II : 193
XI
INDEX
LHERMITTE, VOL. I, T. II : 40, 57, 75, 83, 104, MAGNUS-HIRSCHFELD, VOL. I, T. II : 277
105, 110, 139, 140, 174, 220, 446, 447, 474 MAGOUN, VOL. I, T. II : 403
LIBER, VOL. I, T. II : 12, 15, 17, 67 MAIER, VOL. I, T. II : 56, 305, 411
LIDDEL, VOL. I, T. II : 234 MAILLARD, VOL. I, T. II : 80, 108, 404
LINDNER, VOL. I, T. II : 349 MAINE DE BIRAN, VOL. I, T. II : 444
LINTZ, VOL. I, T. II : 320 MAIRET, VOL. I, T. II : 17, 19, 48, 49, 247, 261,
LION, VOL. I, T. II : 328 263, 483, 492, 494, 495, 496, 513
LISLE, VOL. I, T. II : 355, 356, 358, 378 MAJOROFF, VOL. I, T. II : 124
LLOPIS LLORET, VOL. I, T. II : 504 MALE P. , VOL. I, T. II : 250, 259, 260
LOBSTEIN, VOL. I, T. II : 232, 277 MALINOWSKI, VOL. I, T. II : 234, 282
LOEB, VOL. I, T. II : 104, 111, 234 MALLET, VOL. I, T. II : 39, 85, 99, 137, 437, 452
LOEWE, VOL. I, T. II : 301 MALLET, R., VOL. I, T. II : 39
LOGAN, VOL. I, T. II : 148 MALLMISON, VOL. I, T. II : 264
LOGRE, VOL. I, T. II : 39, 47, 99, 103, 141, 185, MANGOLD, VOL. I, T. II : 137
261, 380, 387, 395, 396, 400, 401, 405, 426, 521 MARANDON DE MONTYEL, VOL. I, T. II : 183
LOKEN, VOL. I, T. II : 37 MARANON, VOL. I, T. II : 277, 300, 302, 304, 328
LOMBROSO, VOL. I, T. II : 246, 247, 318 MARBE, VOL. I, T. II : 350
LONDE, VOL. I, T. II : 401 MARC, VOL. I, T. II : 183, 246
LOOWENTERY, VOL. I, T. II : 349 MARC AURÈLE, VOL. I, T. II : 374
LORAND, VOL. I, T. II : 314 MARCEL, VOL. I, T. II : 502, 503
LORENTE DE NO, VOL. I, T. II : 55 MARCEL GABRIEL , VOL. I, T. II : 203
LORENZ, VOL. I, T. II : 85, 87, 137, 235 MARCHAI, VOL. I, T. II : 321
LOTTE, VOL. I, T. II : 26 MARCHAND, VOL. I, T. II : 36, 45, 57, 80, 101,
LOUDET, VOL. I, T. II : 452 106, 173, 174, 176, 343, 345, 378, 402, 403, 468,
LOUP, VOL. I, T. II : 452 482
LOVAT, VOL. I, T. II : 351, 352 MARCHESINI, VOL. I, T. II : 291
LÖWENBACH, VOL. I, T. II : 97, 122 MARCIAT, VOL. I, T. II : 317
LÖWENFELD, VOL. I, T. II : 381 MARCUS, VOL. I, T. II : 57, 100, 178, 220
LÖWENSTEIN, VOL. I, T. II : 124 MARFAN, VOL. I, T. II : 104
LOWY, VOL. I, T. II : 195 MARGUERITE P. , VOL. I, T. II : 283
LUA, VOL. I, T. II : 138 MARGUERY, VOL. I, T. II : 456
LUCCHINI, VOL. I, T. II : 29 MARIANI, VOL. I, T. II : 98
LUCRÈCE, VOL. I, T. II : 370 MARIE, P., VOL. I, T. II : 58
LUNDBORG, VOL. I, T. II : 115, 151 MARIN LE MARCES, VOL. I, T. II : 290
LUNIER, VOL. I, T. II : 321 MARINESCO, VOL. I, T. II : 143
LUYS, VOL. I, T. II : 471 MARIO D'ARREGO, VOL. I, T. II : 85
LUYT, VOL. I, T. II : 329 MARIO D'ARRIGO, VOL. I, T. II : 85
MABILLE, VOL. I, T. II : 41, 57 MARIO DE MENNATO, VOL. I, T. II : 85
MAC CRAE, VOL. I, T. II : 17 MARKUS, VOL. I, T. II : 248
MAC CULLOCH, VOL. I, T. II : 55 MARS, VOL. I, T. II : 462
MAC DOUGALL, VOL. I, T. II : 381 MARTIAL, VOL. I, T. II : 295
MAC NISCH, VOL. I, T. II : 22 MARTILLE, VOL. I, T. II : 83
MACARIO, VOL. I, T. II : 22, 25, 482 MARTIMOR, VOL. I, T. II : 48
MAGGENDORFER, VOL. I, T. II : 248 MARTIN L. ET G., VOL. I, T. II : 13, 34, 43, 44, 45,
MAGNAN, VOL. I, T. II : 42, 52, 163, 175, 177, 46, 47, 48, 54, 98, 143
178, 182, 193, 215, 216, 224, 232, 247, 273, 344, MARTINEZ-DALKE, VOL. I, T. II : 452
515, 529, 532 MARTY, VOL. I, T. II : 174
MAGNUS, VOL. I, T. II : 116, 142, 195, 277, 304 MARZO, VOL. I, T. II : 290
XII
INDEX
MASOCH SACHER, VOL. I, T. II : 278, 317, 320 MEYRAT, VOL. I, T. II : 46
MASOIN, VOL. I, T. II : 106 MICHAELS, VOL. I, T. II : 185, 258
MASPERO, VOL. I, T. II : 137 MICHALEWUSKAJA, VOL. I, T. II : 39
MASQUIN, VOL. I, T. II : 40, 99, 103, 342, 452, MICHEL ANGE, VOL. I, T. II : 295
538 MICHEL R. , VOL. I, T. II : 258
MASSARYK, VOL. I, T. II : 378 MICHELET, VOL. I, T. II : 317
MASSELOK, VOL. I, T. II : 123 MICHON, VOL. I, T. II : 451
MASSELON, VOL. I, T. II : 83, 123 MICKLER, VOL. I, T. II : 175
MASSERMAN, VOL. I, T. II : 234, 328 MIELLA, VOL. I, T. II : 99
MASSON A. , VOL. I, T. II : 289 MIGNARD, VOL. I, T. II : 469, 520, 524, 537, 547
MATANSCHER, VOL. I, T. II : 108 MIGNOT, VOL. I, T. II : 81, 83, 442, 443, 452, 503
MATHIEU, VOL. I, T. II : 503 MIGNOU, VOL. I, T. II : 452
MAUGHS, VOL. I, T. II : 264 MILIAN, VOL. I, T. II : 39
MAURICE, VOL. I, T. II : 452 MILLS, VOL. I, T. II : 360
MAUROIS A., VOL. I, T. II : 295 MINKOWSKI E., VOL. I, T. II : 47, 61, 77, 92, 216,
MAUZ, VOL. I, T. II : 184 377, 391, 442, 501, 513
MAX MARCUSE, VOL. I, T. II : 277 MIRA, VOL. I, T. II : 266, 382
MAX SCHELER, VOL. I, T. II : 339, 407, 409 MITCHELL, VOL. I, T. II : 18, 26
MAXWELL, VOL. I, T. II : 36, 52 MITLUF, VOL. I, T. II : 320
MAY, VOL. I, T. II : 265 MITSCHERLICH, VOL. I, T. II : 250
MAYER, VOL. I, T. II : 73, 94, 119, 126, 355, 357, MITSCHERLISCH, VOL. I, T. II : 261
361, 378, 523 MOBIUS, VOL. I, T. II : 26, 27
MC PHERSON, VOL. I, T. II : 35 MOHR, VOL. I, T. II : 310
MC. CULLOCH, VOL. I, T. II : 9 MOLITSCH, VOL. I, T. II : 332
MECHAN, VOL. I, T. II : 131, 513 MOLL, VOL. I, T. II : 217, 219, 230, 232, 277,
MEDAKOVITCH, VOL. I, T. II : 84, 442 283, 291, 292, 295, 309, 312
MEGGENDORFER, VOL. I, T. II : 178 MONAKOW, VOL. I, T. II : 57, 156, 189, 234, 391,
MEIBONNIUS, VOL. I, T. II : 318 405, 426
MEIGE, VOL. I, T. II : 80, 187, 290 MONCEAUX, VOL. I, T. II : 53
MEINERTZ, VOL. I, T. II : 203 MONDIO, VOL. I, T. II : 133
MELAKOVITCH, VOL. I, T. II : 452 MONDRIE, VOL. I, T. II : 441
MELLON, VOL. I, T. II : 253 MONNIER, VOL. I, T. II : 513
MENDEL, VOL. I, T. II : 71, 108 MONTAIGNE, VOL. I, T. II : 48
MENDOZA, VOL. I, T. II : 482 MONTASSUT, VOL. I, T. II : 396
MENGER, VOL. I, T. II : 332 MONTMOLLON, VOL. I, T. II : 303
MENNINGER, VOL. I, T. II : 99, 124, 350 MOORE, VOL. I, T. II : 17, 343, 345, 355, 358, 378
MENUT, VOL. I, T. II : 250 MORAWITZ, VOL. I, T. II : 106
MERCIER, VOL. I, T. II : 321 MOREAU, VOL. I, T. II : 110
MERET, VOL. I, T. II : 220 MOREAU (DE TOURS), FILS, VOL. I, T. II : 277,
MERGENER, VOL. I, T. II : 37 487, 490, 513
MERLEAU-PONTY, VOL. I, T. II : 64, 203, 326, MOREAU JACQUES , VOL. I, T. II : 354
340, 450, 479, 540 MOREAU PAUL , VOL. I, T. II : 277, 351, 352
MERLOO, VOL. I, T. II : 341, 378 MOREAU, MLLE, VOL. I, T. II : 37
MESNET, VOL. I, T. II : 174 MOREL, VOL. I, T. II : 61, 74, 100, 131, 147, 163,
MESSIMY, VOL. I, T. II : 146, 147, 148 175, 246, 247, 273, 303, 328, 348, 387, 426, 434,
MEYER, VOL. I, T. II : 129, 153, 234 468
MEYER-HOLZAPFEL, VOL. I, T. II : 234 MORLAAS, VOL. I, T. II : 332
MEYNERT, VOL. I, T. II : 149, 157, 193, 194 MORSELLI, VOL. I, T. II : 167, 356
XIII
INDEX
MORSIER, DE, VOL. I, T. II : 57 NUNBERG, VOL. I, T. II : 154, 417
MORTIMER, VOL. I, T. II : 18, 67 OBICI, VOL. I, T. II : 291
MORTON PRINCE, VOL. I, T. II : 22, 23, 24, 38 OBREGIA, VOL. I, T. II : 96, 141
MOSKOWICZ, VOL. I, T. II : 304 ODIER, VOL. I, T. II : 375, 398, 410, 422, 426
MOSSO, VOL. I, T. II : 121, 381 OESTERREICH, VOL. I, T. II : 482
MOUNDRIE, VOL. I, T. II : 452 OFFNER, VOL. I, T. II : 17
MOUNIER, VOL. I, T. II : 53 OLLIVIERS, VOL. I, T. II : 216, 217, 218, 220, 221,
MOUNOLIE, VOL. I, T. II : 463 232
MOURGUE, VOL. I, T. II : 156, 234, 311, 391, 405, OLMSTED, VOL. I, T. II : 148
415, 426, 473, 536 OMBREDANE, VOL. I, T. II : 290, 402
MOUTON, VOL. I, T. II : 25 OPPENHEIM, VOL. I, T. II : 396, 404
MOZKOWICZ, VOL. I, T. II : 306 ORFILA, VOL. I, T. II : 42
MUELLER, VOL. I, T. II : 26, 28, 29 OSTERMEYER, VOL. I, T. II : 115
MULLER, VOL. I, T. II : 27, 57, 111, 300 OSTWALD, VOL. I, T. II : 55
MUNK, VOL. I, T. II : 25, 56 OTTAVIANO, VOL. I, T. II : 129, 143
MURRAY, VOL. I, T. II : 266 OTTINGEN, VOL. I, T. II : 356
MUSKENS, VOL. I, T. II : 188, 195, 196 OTTO KANT, VOL. I, T. II : 525
MUSSET, VOL. I, T. II : 492 OVIDE, VOL. I, T. II : 289
MYERSON, VOL. I, T. II : 391 PACHE, VOL. I, T. II : 256
NACHMANSOHN, VOL. I, T. II : 203 PACTET, VOL. I, T. II : 174, 277
NACHT, VOL. I, T. II : 154, 317, 320, 325 PADEANO, VOL. I, T. II : 72, 99, 140, 152
NACKE, VOL. I, T. II : 108 PANCRAZI, VOL. I, T. II : 290
NADEAU, VOL. I, T. II : 241 PANKER, VOL. I, T. II : 134
NARBUTOWITCH, VOL. I, T. II : 124 PANSE, VOL. I, T. II : 248, 249
NARDI, VOL. I, T. II : 452 PAPPALARDO, VOL. I, T. II : 129, 143
NATHAN, VOL. I, T. II : 50, 51, 68 PARANT, VOL. I, T. II : 495, 503, 506, 513
NAUDASCHER, VOL. I, T. II : 404 PARHON, VOL. I, T. II : 305
NAVILLE, VOL. I, T. II : 220 PASCAL C. , VOL. I, T. II : 334
NECCABRUNNI, VOL. I, T. II : 349 PASTEUR, VOL. I, T. II : 240
NEISSER, VOL. I, T. II : 71, 155 PATERSON A., VOL. I, T. II : 35, 40, 131
NEOUSKINE, VOL. I, T. II : 81 PAULHAN, VOL. I, T. II : 67, 316
NÉRON, VOL. I, T. II : 239, 261, 295, 317 PAULIAN, VOL. I, T. II : 141
NERON G., VOL. I, T. II : 259, 266 PAVLOV, VOL. I, T. II : 234, 328, 388, 411
NEUMANN, VOL. I, T. II : 17 PÉGUILLOU, VOL. I, T. II : 452
NEVEU, VOL. I, T. II : 493, 503, 504, 514 PEISSE, VOL. I, T. II : 444
NEWMAN, VOL. I, T. II : 249 PELANDA, VOL. I, T. II : 220
NICCOLAI N., VOL. I, T. II : 452 PELLER, VOL. I, T. II : 350, 360
NICOLAS, VOL. I, T. II : 105 PELLER-ROUBICZEK, VOL. I, T. II : 350
NICOLESCO, VOL. I, T. II : 104 PENROSE, VOL. I, T. II : 247, 264
NIETZSCHE, VOL. I, T. II : 484 PEON DEL VALLS, VOL. I, T. II : 482
NIGRIS, VOL. I, T. II : 98 PEPO ESCADE, VOL. I, T. II : 132
NISSL, VOL. I, T. II : 108 PERELMANN, VOL. I, T. II : 113
NISUS, VOL. I, T. II : 295 PERERA, VOL. I, T. II : 17
NOBILE, VOL. I, T. II : 134 PERLMUTTER, VOL. I, T. II : 537, 547
NONNE, VOL. I, T. II : 39 PÉRON, VOL. I, T. II : 445, 452
NOUEL, VOL. I, T. II : 119 PETER KÜRTEN, VOL. I, T. II : 318
NOUET, VOL. I, T. II : 57 PETERS, VOL. I, T. II : 126
NUMBERG, VOL. I, T. II : 86 PETIT, VOL. I, T. II : 42, 83, 99, 140, 343, 434,
XIV
INDEX
470 POE EDGAR , VOL. I, T. II : 321
PETROFF, VOL. I, T. II : 84 POLLAK, VOL. I, T. II : 195
PÉTRONE, VOL. I, T. II : 295 POPPI, VOL. I, T. II : 100, 131
PETTE, VOL. I, T. II : 168 POPVON, VOL. I, T. II : 249
PEYREFITE, VOL. I, T. II : 288 PORAK, VOL. I, T. II : 82, 121
PEYREFITTE, VOL. I, T. II : 291 PORCHER, VOL. I, T. II : 329, 440, 451
PEZARD, VOL. I, T. II : 300, 301 POROT, VOL. I, T. II : 42, 100, 103
PEZART, VOL. I, T. II : 300 POSCHOGA, VOL. I, T. II : 536
PFAENLER, VOL. I, T. II : 203 POTT, VOL. I, T. II : 468
PFEFFER, VOL. I, T. II : 217, 232 POUMEAU, VOL. I, T. II : 83, 97
PFEIFER, VOL. I, T. II : 103 POUSSEP, VOL. I, T. II : 83, 118, 119
PFEIFFER, VOL. I, T. II : 57 POZZI, VOL. I, T. II : 468
PFERSDORF, VOL. I, T. II : 72, 83 PREGER, VOL. I, T. II : 137
PFERSDORFF, VOL. I, T. II : 72, 73, 77, 102, 106, PRIBAT, VOL. I, T. II : 220, 232
112 PRICHARD, VOL. I, T. II : 247
PHÉDON, VOL. I, T. II : 294 PRINCE MORTON, VOL. I, T. II : 22, 23, 24, 38, 45,
PICARD, VOL. I, T. II : 173, 174, 179, 190, 195, 354
230, 255 PROAL, VOL. I, T. II : 354
PICHARD, VOL. I, T. II : 352, 391 PROTROWSKI, VOL. I, T. II : 125
PICHON, VOL. I, T. II : 173, 264, 334, 381, 383, PROUST, VOL. I, T. II : 26, 89, 278, 283, 295, 309,
424, 425, 484, 516 487
PICHON-RIVIÈRE, VOL. I, T. II : 392 PRUDHOMME CH., VOL. I, T. II : 345, 360
PICHOT, VOL. I, T. II : 12, 13, 14, 26, 28, 34, 41, PUECH, VOL. I, T. II : 133, 146
45, 47, 51, 68, 85, 88 PUEL, VOL. I, T. II : 69
PICK, VOL. I, T. II : 74, 110, 138, 469 PUILLET, VOL. I, T. II : 107
PICKER, VOL. I, T. II : 104 PUYUELO, VOL. I, T. II : 505, 513
PICKERT, VOL. I, T. II : 124 QUARANTA, VOL. I, T. II : 109
PIEDELIÈVRE, VOL. I, T. II : 352 QUINCEY, VOL. I, T. II : 257
PIÉRON, VOL. I, T. II : 12, 14, 17, 19, 38, 48, 49, QUINCHET, VOL. I, T. II : 318
50, 55, 61, 67, 68 RABAUD, VOL. I, T. II : 234
PIERRE MARIE, VOL. I, T. II : 400 RABBR, VOL. I, T. II : 234
PIERRE RAY, VOL. I, T. II : 234 RABIN A. I. , VOL. I, T. II : 349
PIERRET-ROUGIER, VOL. I, T. II : 471 RACINE, VOL. I, T. II : 134
PIKER, VOL. I, T. II : 343, 358, 359 RADO, VOL. I, T. II : 476
PILCZ, VOL. I, T. II : 403 RAECKE, VOL. I, T. II : 106, 113
PINEL, VOL. I, T. II : 246, 247 RAGAZ, VOL. I, T. II : 104
PINTO, VOL. I, T. II : 143 RAGLAN, VOL. I, T. II : 282
PIOTROWSKI, VOL. I, T. II : 83, 119 RAMBONI, VOL. I, T. II : 27
PIPER, VOL. I, T. II : 120 RAMOND, VOL. I, T. II : 110
PITRES, VOL. I, T. II : 22, 30, 41, 57, 175, 348, RANDCHBURG, VOL. I, T. II : 59, 106
387 RANK O., VOL. I, T. II : 86, 153, 331, 388, 426
PITTS, VOL. I, T. II : 55 RANKE, VOL. I, T. II : 108
PLANCK, VOL. I, T. II : 54 RANSCHBURG, VOL. I, T. II : 59
PLATER, VOL. I, T. II : 22 RANSON, VOL. I, T. II : 403, 405
PLATON, VOL. I, T. II : 283, 295, 484 RAPAPORT, VOL. I, T. II : 44, 60, 68
PLATTNER, VOL. I, T. II : 37 RASCOWSKY, VOL. I, T. II : 477
PLESSET, VOL. I, T. II : 249 RAUCH, VOL. I, T. II : 338
PLUTARQUE, VOL. I, T. II : 295 RAUH, VOL. I, T. II : 339
XV
INDEX
RAVIART, VOL. I, T. II : 315 ROENAU, VOL. I, T. II : 62
REBOUL-LACHAUX, VOL. I, T. II : 29, 76, 332 ROFFMANN, VOL. I, T. II : 120
REES, VOL. I, T. II : 40 ROGUES DE FURSAC, VOL. I, T. II : 39, 73, 173,
RÉGIS, VOL. I, T. II : 47, 98, 107, 112, 164, 175, 220, 443
251, 348, 350, 387, 427, 443, 445, 446, 452, 520 ROIG, VOL. I, T. II : 174
REHBERGER, VOL. I, T. II : 109 ROJAS, VOL. I, T. II : 132
REICH, VOL. I, T. II : 315, 325, 476 ROLLER, VOL. I, T. II : 115, 151
REICHARD, VOL. I, T. II : 25, 143, 149, 194 ROMAIN ROLLAND, VOL. I, T. II : 295
REICHARDT, VOL. I, T. II : 59, 134, 157 ROMANES, VOL. I, T. II : 234, 376
REICHARDT, MARTIN, VOL. I, T. II : 59 ROMME, VOL. I, T. II : 277
REICHERT, VOL. I, T. II : 139 RORSCHARCH, VOL. I, T. II : 266
REIK, VOL. I, T. II : 325 ROSANOFF, VOL. I, T. II : 249, 304
REISS, VOL. I, T. II : 248 ROSE, VOL. I, T. II : 101
REMOND, VOL. I, T. II : 114 ROSEN, VOL. I, T. II : 86
RENANT, VOL. I, T. II : 240 ROSENFELD, VOL. I, T. II : 103
REQUIN, VOL. I, T. II : 445 ROSINAUER, VOL. I, T. II : 451
RESPINE, VOL. I, T. II : 506 ROSS, VOL. I, T. II : 86, 90
RESTIF DE LA BRETONNE, VOL. I, T. II : 278, 313, ROSSEN, VOL. I, T. II : 54, 61
316 ROSSOLLIMO, VOL. I, T. II : 83
REUTER, VOL. I, T. II : 178 ROST, VOL. I, T. II : 355, 378
REVAUT D'ALLONES, VOL. I, T. II : 452 ROSTAND J., VOL. I, T. II : 234, 292, 293
REY, VOL. I, T. II : 12, 48, 50 ROTH, VOL. I, T. II : 266
RIBEIRO DI VALE, VOL. I, T. II : 134 ROTHFELD, VOL. I, T. II : 190, 195
RIBEIRO DO VALE, VOL. I, T. II : 127, 128, 132 ROTHMANN, VOL. I, T. II : 56, 403
RIBOT TH., VOL. I, T. II : 15, 17, 21, 22, 36, 38, ROUART, VOL. I, T. II : 12, 111, 112, 187, 250, 479
45, 47, 50, 59, 61, 67, 203, 349, 381 ROUAULT DE LA VIGNE, VOL. I, T. II : 42, 43
RICHARD III, VOL. I, T. II : 239 ROUBLEFF, VOL. I, T. II : 85
RICHER, VOL. I, T. II : 194 ROUMANGEON, VOL. I, T. II : 134
RICHET, VOL. I, T. II : 15 ROUQUIER, VOL. I, T. II : 99
RICHTER, VOL. I, T. II : 131, 148, 264 ROUSSEAU J.J., VOL. I, T. II : 48, 239, 278, 320
RICKLES, VOL. I, T. II : 216, 232 ROUSSET, VOL. I, T. II : 69, 72, 79, 97, 99, 102,
RIEGER, VOL. I, T. II : 115 104, 109, 110, 111
RIGAL, VOL. I, T. II : 185 ROUSSY, VOL. I, T. II : 40
RIGNANO, VOL. I, T. II : 61, 67 ROXO, VOL. I, T. II : 482
RIMBAUD (1931), VOL. I, T. II : 190 ROY, VOL. I, T. II : 134, 452, 467, 472, 473, 482
RIMBAUD ARTHUR, VOL. I, T. II : 240, 283, 295 ROYER-COLARD, VOL. I, T. II : 338
RINDERKNECHT, VOL. I, T. II : 333 RUBINOVITCH, VOL. I, T. II : 43
RIOCH, VOL. I, T. II : 403 RUCH, VOL. I, T. II : 46, 194
RISER, VOL. I, T. II : 403 RUCKLE, VOL. I, T. II : 27
RITCHIE, VOL. I, T. II : 68 RÜDIN, VOL. I, T. II : 248
RITTI, VOL. I, T. II : 221, 344, 349, 535 RUIN, VOL. I, T. II : 493, 513
RIVERS, VOL. I, T. II : 40 RUMKE, VOL. I, T. II : 523, 547
RIZZATI, VOL. I, T. II : 126 RUNGE, VOL. I, T. II : 183
ROBERSTSON, VOL. I, T. II : 55 RUSDEA, VOL. I, T. II : 100
ROBIN, VOL. I, T. II : 72, 87, 153, 216, 259, 260, RUSH, VOL. I, T. II : 246
332, 334, 521 RUSSELL, VOL. I, T. II : 50, 68
RODENBERG, VOL. I, T. II : 302 RYLANDER, VOL. I, T. II : 51, 56, 58
ROE, VOL. I, T. II : 12 SACHS, VOL. I, T. II : 57
XVI
INDEX
SACHS MAURICE, VOL. I, T. II : 252 SCHREIB, VOL. I, T. II : 314
SADE (MARQUIS DE), VOL. I, T. II : 239, 240, 278, SCHRENK-NOTZING, VOL. I, T. II : 277
316, 317, 338 SCHRIJWER-BERNHARD, VOL. I, T. II : 119
SADGER, VOL. I, T. II : 283, 325, 330 SCHRISWER-BERNHARD, VOL. I, T. II : 118
SAGER, VOL. I, T. II : 102, 133, 149, 156, 157, SCHRIVER-BERNHARD, VOL. I, T. II : 83
160 SCHRÖDER, VOL. I, T. II : 37, 49, 50, 102, 108,
SAINT SIMON, VOL. I, T. II : 316 112, 138
SAINT-HILAIRE, VOL. I, T. II : 290 SCHRŒDER, VOL. I, T. II : 529
SAKIAMOUNI, VOL. I, T. II : 374 SCHUCHAREWA, VOL. I, T. II : 95
SALIES, VOL. I, T. II : 302 SCHULE, VOL. I, T. II : 71, 434
SALMON, VOL. I, T. II : 116, 117, 142, 149, 195 SCHULSTER, VOL. I, T. II : 402
SAND, VOL. I, T. II : 299, 300, 301, 302 SCHULTE, VOL. I, T. II : 292, 304
SANDER, VOL. I, T. II : 71, 266 SCHULTE-VAERTING, VOL. I, T. II : 292
SANTENOISE, VOL. I, T. II : 84 SCHULTZ, VOL. I, T. II : 183, 283, 303
SARTRE J.P., VOL. I, T. II : 203, 338, 374, 420, SCHULTZ-HENKE, VOL. I, T. II : 296, 328
422, 424, 426, 449, 450, 540 SCHUSTER, VOL. I, T. II : 168, 332, 472
SAUSSURE, VOL. I, T. II : 112, 313 SCHWAB, VOL. I, T. II : 95, 442
SAUVAGE, VOL. I, T. II : 48 SCHWARZ, VOL. I, T. II : 273, 283, 291, 295, 305,
SCHAEFER, VOL. I, T. II : 258 306, 307, 308, 309, 310, 314, 339, 469
SCHALTENBRAND, VOL. I, T. II : 115, 117, 120, SCHWEIZER, VOL. I, T. II : 135
121, 132, 157, 160, 403 SCHWINGS, VOL. I, T. II : 314
SCHALTENBRAND, VOL. I, T. II : 83 SCHWOB, VOL. I, T. II : 78, 103
SCHELER, VOL. I, T. II : 216, 339, 407, 409 SCIPION, VOL. I, T. II : 370
SCHEMINZKY, VOL. I, T. II : 135 SCOURAS, VOL. I, T. II : 101, 102
SCHIFF, VOL. I, T. II : 29, 332, 445, 513, 522 SCRIPTURE, VOL. I, T. II : 26
SCHILDER P., VOL. I, T. II : 39, 41, 44, 60, 86, 92, SEBASTIAN, VOL. I, T. II : 100
93, 94, 124, 142, 154, 155, 195, 201, 447, 474, SECUNDA, VOL. I, T. II : 185, 258
475, 482, 538, 546, 547 SÉGLAS, VOL. I, T. II : 36, 69, 70, 71, 72, 83, 85,
SCHILL, VOL. I, T. II : 85 108, 111, 112, 115, 138, 156, 172, 349, 387, 390,
SCHIPKOWENSKY, VOL. I, T. II : 453, 454 427, 428, 429, 430, 432, 434, 435, 436, 437, 438,
SCHIPKOWENSKY, VOL. I, T. II : 461, 480, 481, 482 439, 440, 441, 442, 443, 444, 445, 446, 449, 452,
SCHLICHTEG-ROLL, VOL. I, T. II : 317 465, 482, 521, 537, 547
SCHMIDT G., VOL. I, T. II : 109, 138, 185, 354, SEMON, VOL. I, T. II : 61, 67
547 SÉNÈQUE, VOL. I, T. II : 209, 370, 374, 402
SCHMIDT K. , VOL. I, T. II : 138 SEQUART, VOL. I, T. II : 40
SCHMIDT-KRAEPELIN, VOL. I, T. II : 109 SERBSKI, VOL. I, T. II : 71
SCHMIELBERG, VOL. I, T. II : 133 SERBSKY, VOL. I, T. II : 115
SCHNEIDER, VOL. I, T. II : 166, 290, 547 SÉRIEUX, VOL. I, T. II : 72, 83, 95, 106, 115, 123,
SCHNEIDER CARL , VOL. I, T. II : 93, 334, 390, 391 168, 222, 247, 344, 482, 498, 503, 518
SCHNEIDER H. , VOL. I, T. II : 183, 185, 319 SERIN, VOL. I, T. II : 128, 343, 361, 378, 402,
SCHNEIDER HANS, VOL. I, T. II : 319 464, 538
SCHNEIDER KURT, VOL. I, T. II : 182, 183, 184, SERRIER, VOL. I, T. II : 99
254, 409, 411, 525 SEVERINO, VOL. I, T. II : 118, 123
SCHNEIDER, P. B., VOL. I, T. II : 53 SHAKOW, VOL. I, T. II : 12, 13, 47, 48
SCHNYDER, VOL. I, T. II : 318 SHAPIRO, VOL. I, T. II : 349
SCHÖFER, VOL. I, T. II : 138 SHARPEY, VOL. I, T. II : 18, 53, 67
SCHOLZ, VOL. I, T. II : 183 SHELLY, VOL. I, T. II : 32
SCHOPENHAUER, VOL. I, T. II : 374, 448 SHENKIN, VOL. I, T. II : 194
XVII
INDEX
SHEPHERD, VOL. I, T. II : 56 STEGER, VOL. I, T. II : 117, 120, 121
SHERMAN, VOL. I, T. II : 37 STEINACH, VOL. I, T. II : 300
SHERRINGTON, VOL. I, T. II : 189 STEINER, VOL. I, T. II : 99, 123, 190, 195, 196
SICARD, VOL. I, T. II : 99, 141 STEINGER, VOL. I, T. II : 127
SICCO, VOL. I, T. II : 453, 461, 482 STEINIGER, VOL. I, T. II : 137
SIDAWY, VOL. I, T. II : 96 STENBERG, VOL. I, T. II : 491, 514
SIDIS, VOL. I, T. II : 24 STERDTZ, VOL. I, T. II : 138
SILVERMAN, VOL. I, T. II : 304 STERLING, VOL. I, T. II : 104
SIMMINS, VOL. I, T. II : 36, 43, 44, 45, 68 STERN, VOL. I, T. II : 382, 425
SIMON, VOL. I, T. II : 12, 24, 88, 316, 349, 509 STERTZ, VOL. I, T. II : 211
SIMONEIT, VOL. I, T. II : 202 STEVENIN, VOL. I, T. II : 26, 28
SIOLI, VOL. I, T. II : 123 STOKES, VOL. I, T. II : 97, 145
SIVADON, VOL. I, T. II : 85, 332 STOKVIS, VOL. I, T. II : 26, 27, 29
SLEPIAN, VOL. I, T. II : 17 STOLTENHOFF, VOL. I, T. II : 106
SMITH, VOL. I, T. II : 55, 58, 517 STORCH, VOL. I, T. II : 446, 525
SNODDY, VOL. I, T. II : 46 STÖRRING, VOL. I, T. II : 382, 383, 390, 392, 400,
SOCRATE, VOL. I, T. II : 294, 370 408, 409, 415, 426
SODEBERG, VOL. I, T. II : 83 STRANSKY, VOL. I, T. II : 138, 157
SODERBERG, VOL. I, T. II : 118, 119 STRATTON, VOL. I, T. II : 40
SOLLIER, VOL. I, T. II : 16, 25, 34, 38, 40, 48, 53, STRAUB, VOL. I, T. II : 202
67 STRAUS, VOL. I, T. II : 182, 216, 273, 314
SOMMER, VOL. I, T. II : 106, 109, 110, 115, 219, STRECH, VOL. I, T. II : 109
228 STROM OELSEN, VOL. I, T. II : 122
SOSSET, VOL. I, T. II : 12, 16, 33, 34, 35, 45, 47, STRUMPEL, VOL. I, T. II : 121, 190
67 STRÜMPEL, VOL. I, T. II : 115
SOULAIRAC, VOL. I, T. II : 255 SUÉTONE, VOL. I, T. II : 317
SOUQUES, VOL. I, T. II : 59, 143, 406 SUGAR, VOL. I, T. II : 217, 232
SPAGNOLI, VOL. I, T. II : 130 SUTTER, VOL. I, T. II : 53
SPATZ, VOL. I, T. II : 139 SWICK, VOL. I, T. II : 528
SPEARMAN, VOL. I, T. II : 12, 14, 15, 17, 33, 63, SWINEFORD, VOL. I, T. II : 14
67 SYMONDS, VOL. I, T. II : 40
SPECK, VOL. I, T. II : 55 SZONDI, VOL. I, T. II : 266, 349, 516
SPIEGEL, VOL. I, T. II : 131, 136, 137 TAINE, VOL. I, T. II : 17
SPINOZA, VOL. I, T. II : 484 TALAIRACH, VOL. I, T. II : 401, 402, 405, 409
SPRAGUE, VOL. I, T. II : 94 TALATIN, VOL. I, T. II : 85
SPRANGER, VOL. I, T. II : 518 TALLMAN, VOL. I, T. II : 51
SPURZHEIN, VOL. I, T. II : 247 TALOT, VOL. I, T. II : 46
STAEHLIN, VOL. I, T. II : 216, 217, 218, 219, 220, TAMBURINI, VOL. I, T. II : 71
221, 232 TARDIEU, VOL. I, T. II : 277, 290, 352
STANDER, VOL. I, T. II : 31 TARGOWLA, VOL. I, T. II : 402, 426
STANOJEVIE, VOL. I, T. II : 45 TAUSER, VOL. I, T. II : 82
STARCKE, VOL. I, T. II : 476 TAUSK, VOL. I, T. II : 86, 153
STAUB, VOL. I, T. II : 264, 271 TEITELBAUM, VOL. I, T. II : 475
STECK, VOL. I, T. II : 123, 149, 150, 157, 195, TENBE, VOL. I, T. II : 88
332, 402 TERRAMOISE, VOL. I, T. II : 252
STECKEL, VOL. I, T. II : 277, 283, 311, 315, 318, TEULON, VOL. I, T. II : 282
325, 373, 381, 382, 386, 387, 389, 393, 395, 396, THÉO LANG, VOL. I, T. II : 302, 303, 311
412, 426 THÉVENARD, VOL. I, T. II : 82, 117, 118, 119
XVIII
INDEX
THIBAULT, VOL. I, T. II : 29 VALLANCIEN, VOL. I, T. II : 134
THIELE, VOL. I, T. II : 183, 332 VALLON, VOL. I, T. II : 349
THODE HENRY, VOL. I, T. II : 295 VAN BANLIET, VOL. I, T. II : 55
THOMAS ANDRÉ, VOL. I, T. II : 474, 482 VAN BOGAERT, VOL. I, T. II : 168, 189, 195, 196,
THOMAS MADELEINE, VOL. I, T. II : 266 446, 451, 472, 474, 475
THORNDIKE, VOL. I, T. II : 16, 56, 234 VAN DER KOLK, VOL. I, T. II : 26
THUERLMANN, VOL. I, T. II : 302 VAN DER MADE, VOL. I, T. II : 370
THURSTONE, VOL. I, T. II : 12, 14, 33, 68 VAN WERKOM, VOL. I, T. II : 44
TIBÈRE, VOL. I, T. II : 295, 317 VASILESCO, VOL. I, T. II : 102
TIGGES, VOL. I, T. II : 71 VEDRANI, VOL. I, T. II : 75, 513
TILING, VOL. I, T. II : 254 VEDRENI, VOL. I, T. II : 88
TINBERGER, VOL. I, T. II : 234 VELLUZ, VOL. I, T. II : 185
TINEL, VOL. I, T. II : 84, 125, 136, 143 VERCIER, VOL. I, T. II : 183, 184
TISSOT, VOL. I, T. II : 443, 452 VERDEAUX, VOL. I, T. II : 220
TITECA, VOL. I, T. II : 469 VERGER, VOL. I, T. II : 99
TIXIER, VOL. I, T. II : 392, 426 VERJAAL, VOL. I, T. II : 39, 60
TOBINO, VOL. I, T. II : 434, 452 VERLAINE E., VOL. I, T. II : 234
TOEPEL, VOL. I, T. II : 283 VERLAINE L. , VOL. I, T. II : 234
TOMESCO, VOL. I, T. II : 84, 102, 133 VERLAINE P. , VOL. I, T. II : 283
TOMESCU, VOL. I, T. II : 96 VERMEYLEN, VOL. I, T. II : 442, 464, 538
TOOTH, VOL. I, T. II : 37 VERROL, VOL. I, T. II : 27
TOSELLI, VOL. I, T. II : 175 VERSCHUER, VOL. I, T. II : 248
TOULOUSE, VOL. I, T. II : 12, 14, 38, 43, 107 VERVAECKÉ, VOL. I, T. II : 538
TOVATO, VOL. I, T. II : 175 VERWAECK, VOL. I, T. II : 464
TRAVIS, VOL. I, T. II : 119 VERZENI, VOL. I, T. II : 318
TRÉLAT, VOL. I, T. II : 487 VESILESCU, VOL. I, T. II : 96
TRÉLAT, VOL. I, T. II : 246, 506 VIDART, VOL. I, T. II : 403
TRELLES, VOL. I, T. II : 332, 503, 505, 513 VIÉ, VOL. I, T. II : 458
TRENEL, VOL. I, T. II : 42, 108, 445, 452 VIGNERON, VOL. I, T. II : 81
TREPSAT, VOL. I, T. II : 87, 108 VIGOUROUX, VOL. I, T. II : 45, 354, 469, 536
TRIANTOPHYLLOS, VOL. I, T. II : 156 VILLASECA, VOL. I, T. II : 447
TRIBOULET, VOL. I, T. II : 503 VINCHON, VOL. I, T. II : 315
TRILLOT, VOL. I, T. II : 53, 124 VIRCHON, VOL. I, T. II : 290
TROUSSEAU, VOL. I, T. II : 16, 49, 174 VISINTINI FABIO, VOL. I, T. II : 55, 68, 137.
TRUBERT, VOL. I, T. II : 493 VITO LONGO, VOL. I, T. II : 131
TRUCHE, VOL. I, T. II : 216, 221, 225 VOGELIN, VOL. I, T. II : 138
TRUELLE, VOL. I, T. II : 42, 99, 140, 177, 182 VOGT, VOL. I, T. II : 105, 115, 157, 190
TSCHISCH, VOL. I, T. II : 71 VOIGTLANDEN, VOL. I, T. II : 261
TUSQUES, VOL. I, T. II : 300, 301 VOLTAIRE, VOL. I, T. II : 349
UEXKULL VON, VOL. I, T. II : 234, 273 VON ANGYAL, VOL. I, T. II : 474, 475
ULRICH, VOL. I, T. II : 283, 309 VON BALAZS, VOL. I, T. II : 360
URECHIA, VOL. I, T. II : 100, 470 VON BUZAGH, VOL. I, T. II : 54
URIBE CUALLA, VOL. I, T. II : 464, 482 VON GEBSATTEL, VOL. I, T. II : 182, 218, 273,
URSTEIN, VOL. I, T. II : 110, 111, 112 306, 314, 325, 339
VACHÉ J., VOL. I, T. II : 240, 241 VON GRAUTE, VOL. I, T. II : 345
VACHER J., VOL. I, T. II : 374 VON PAP, VOL. I, T. II : 472
VACHER L'ÉVENTREUR, VOL. I, T. II : 277, 317, VON STOCKERT, VOL. I, T. II : 472
318 VOSS-SUBKE, VOL. I, T. II : 301
XIX
INDEX
VURPAS, VOL. I, T. II : 348, 443, 452 WINSLOW, VOL. I, T. II : 18, 22, 25, 53, 67, 362
W. REICH, VOL. I, T. II : 315, 325 WINTE, VOL. I, T. II : 302
WAAGE, VOL. I, T. II : 55 WITTELS, VOL. I, T. II : 315
WACKENRODER, VOL. I, T. II : 126 WITTMAN, P., VOL. I, T. II : 37
WAGNER, VOL. I, T. II : 356 WLADYCKO, VOL. I, T. II : 141
WAGNER (LE CAS), VOL. I, T. II : 532 WOHLFAHRL, VOL. I, T. II : 202
WALL J. H. , VOL. I, T. II : 341 WOHLFARTH, VOL. I, T. II : 514
WALLON, VOL. I, T. II : 36, 168, 200, 202, 249, WOLFE., VOL. I, T. II : 300
259, 443 WOLFF C.S., VOL. I, T. II : 86, 90, 154
WALTZ, VOL. I, T. II : 87 WOODROW, VOL. I, T. II : 16
WASSERMEYER, VOL. I, T. II : 123 WOODWORTH-MATHEWS, VOL. I, T. II : 265
WATSON, VOL. I, T. II : 203 XANTIPPE, VOL. I, T. II : 294
WEBER, VOL. I, T. II : 505 XENOPHON, VOL. I, T. II : 295
WECHSLER, VOL. I, T. II : 13, 39, 41, 44 YASMADJIAN, VOL. I, T. II : 261
WECHSLER-BELLEVUE, VOL. I, T. II : 13 YERKES, VOL. I, T. II : 35, 234
WEICHERODT, VOL. I, T. II : 355 ZACKER, VOL. I, T. II : 57
WEIMANN, VOL. I, T. II : 318 ZAND, VOL. I, T. II : 143
WEINBERG, VOL. I, T. II : 195 ZANGWILL, VOL. I, T. II : 40
WEIR MITCHELL, VOL. I, T. II : 18 ZELIONY, VOL. I, T. II : 56
WEISS, VOL. I, T. II : 400 ZÉRO, VOL. I, T. II : 248
WEIZSACKER, VOL. I, T. II : 120, 273, 469 ZIEGLER, VOL. I, T. II : 234
WELCKER, VOL. I, T. II : 290 ZIEHEN, VOL. I, T. II : 16, 67, 138, 182, 254, 523
WELLS, VOL. I, T. II : 13, 34, 43, 44, 45, 46, 47, ZILBOORG, VOL. I, T. II : 285, 355, 360, 373, 378
48, 67 ZILIAN, VOL. I, T. II : 202
WERNER, VOL. I, T. II : 349 ZINGERLE, VOL. I, T. II : 168, 188, 189, 195
WERNICKE, VOL. I, T. II : 16, 58, 59, 72, 79, 107, ZINGERLÉ, VOL. I, T. II : 103, 315
144, 151, 152, 164, 165, 168, 193, 194, 333, 390, ZISKIND, VOL. I, T. II : 37
446, 535 ZOLA, VOL. I, T. II : 32, 228, 283
WERTHER, VOL. I, T. II : 373 ZONDEK, VOL. I, T. II : 301
WESPHAL-STRUMPELL, VOL. I, T. II : 192 ZUCKERMANN, VOL. I, T. II : 234, 235, 279, 292,
WESTPHAL, VOL. I, T. II : 71, 123, 124, 176, 179, 293, 294
193, 283 ZUNINI, VOL. I, T. II : 234
WETZEL, VOL. I, T. II : 90, 436, 522
WEYGAND, VOL. I, T. II : 156
WEYGANDT, VOL. I, T. II : 155
WEYRICH, VOL. I, T. II : 360
WIDAL, VOL. I, T. II : 141
WIENER, VOL. I, T. II : 9
WIESE, VOL. I, T. II : 360, 376
WIGAN, VOL. I, T. II : 32
WILDE OSCAR, VOL. I, T. II : 283
WILLIAMS J. H. , VOL. I, T. II : 258
WILLMAN, VOL. I, T. II : 39
WILMANS, VOL. I, T. II : 108, 111, 112, 261
WILSON, VOL. I, T. II : 25, 189, 192
WIMMER, VOL. I, T. II : 315, 332
WINCKELMANN, VOL. I, T. II : 283, 295
WINOGRADOFF, VOL. I, T. II : 124
XX
TABLE DES MATIÈRES du VOLUME I
XXI
TABLE DES MATIÈRES
[NdÉ : La pagination des deux Tomes n’a pas été changée par rapport aux éditions des années 50,
les pages ajoutées en préfaces, index et tables des matières sont en chiffres romains]
XXII
ISBN 10 : 2-9527859-0-2
ISBN 13 : 978-2-9527859-0-7
ETUDES
PSYCHIATRIQUES
PAR
HENRI EY
***
VOLUME II
TOME I
Argument. – C’est dans une perspective résolument dynamiste conforme aux plus anciennes doctrines médi-
cales que doit se développer la Psychiatrie. Abandonnant le dilemme cartésien qui étrangle la notion même de
« maladie mentale », la Psychiatrie ne doit être ni « mécaniciste » ni « psychogénétiste », car la « maladie men-
tale » n’est ni un agrégat de symptômes mécaniques et sans signification humaine ni une simple variation de com-
portement sous l’influence de causes psychologiques ou sociales. La « maladie mentale » est une forme de dis-
solution de l’activité psychique conditionnée par un processus organique. Elle est à cet égard analogue au rêve
que libère le sommeil.
TOME II
Aspects séméiologiques
Argument. – Les divers troubles du comportement et de la pensée qui forment le « tableau clinique » des
« maladies mentales » ne sont pas des « symptômes » constants et simples. Chacun d’eux représente un « monde »
et constitue un des aspects de l’immaturation ou de la décomposition de la vie psychique qui varient de significa-
tion et de nature avec les divers niveaux de la conscience morbide et leurs formes d’organisation et d’évolution.
Soit qu’il s’agisse de troubles négatifs (comme les « troubles de la mémoire »), soit qu’il s’agisse de troubles posi-
tifs (catatonie, impulsions, perversité, anxiété, délires, hallucinations, etc ... ), l’objet de la séméiologie psychia-
trique n’est ni un symptôme, ni une série de « troubles élémentaires » artificiellement isolés. L’unité clinique psy-
chiatrique est la structure névrotique ou psychotique dans son mouvement évolutif.
[NdÉ: Le lecteur notera que dans ce tome III paru en 1954, l'éditeur n'annonce plus le tome IV qui figurait encore en 1950 dans
le tome II sous le titre : Tome IV à paraître, « les processus somatiques générateurs ».]
AVERTISSEMENT
7
TROISIÈME PARTIE
ARGUMENT
*
* *
9
ARGUMENT
n’y a pas lieu notamment de séparer les premiers des autres car ils se présentent tous
dans un ordre naturel de dégradation. Du point de vue pathogénique, les psychoses
aiguës constituent, en effet, les divers niveaux de déstructuration de la conscience.
L’ordre même des niveaux de cette dissolution dévoile du même coup la stratifi-
cation structurale de la conscience. En nous découvrant ce qu’elle perd à chacun de
ces niveaux (la possibilité d’être présent au monde, dans la confusion – la capacité
d’ordonner l’espace vécu de la représentation, dans les expériences hallucinatoires des
bouffées délirantes et des états oniroïdes – la faculté de régler son mouvement selon
les exigences et les problèmes du présent réel dans les états maniaco-dépressifs), il
nous permet de saisir la conscience pour ce qu’elle est : l’organisation du présent vécu
en champ temporo-spatial de l’expérience sensible des relations du sujet avec son
monde. En nous montrant qu’à chaque degré de sa décomposition l’imaginaire et l’au-
tomatisme prennent une force proportionnelle à la faiblesssse de la conscience, les
divers niveaux de sa déstructuration nous démontrent que la dynamique de la
conscience suppose une dynamique de l’inconscient.
Ces Études sur les « Psychoses aiguës » sont rigoureusement conduites selon les
principes jacksoniens de l’évolution et de la dissolution des « fonctions » car la struc-
ture et la pathologie de la conscience constituent en Psychiatrie le champ privilégié de
l’application de ces principes. Nous verrons ultérieurement que dans la mesure même
où la pathologie de la personnalité (névroses et psychoses chroniques) ne se réduit pas
à la pathologie de la conscience, il nous faudra introduire dams notre conception orga-
no-dynamiste une autre dimension, celle de la personne que les « courtes folies » sont
insuffisantes à altérer ou à aliéner.
10
Étude n° 20 20. La classification des M. mentales.
LA CLASSIFICATION
21. Manie.
22. Mélancolie.
23. Bouffées délirantes.
1. Telle est, si nous l’avons bien comprise, la position de LECONTE (M.), Semaine des Hôpitaux,
1953, 3386-3393 (Lois nosographiques d’une Médecine psychiatrique positive).
2. Karl MENNINGER par exemple, tout au moins d’après une brève note parue dans la Presse
Médicale (4 juillet 1953, p. 278) que nous reproduisons ici : « Au dernier Congrès de
l’Association psychiatrique américaine qui a eu lieu à Los Angeles, Karl MENNINGER a proposé
de remplacer la classification pseudo-scientifique des maladies mentales en névroses et psy-
choses. De même il a condamné les termes de schizophrénie, de paranoïa, de psychose maniaco-
dépressive et il a proposé de les remplacer simplement par une gradation, 1, 2, 3, 4, selon la gra-
vité de la maladie mentale observée et selon l’intensité avec laquelle le malade a perdu contact
avec le monde extérieur. En effet, dit Karl MENNINGER, la maladie mentale consiste essentielle-
ment en une perte de contrôle du malade sur lui-même. Il y a toujours un certain ordre dans son
désordre. Pratiquement, les malades guérissent plus vite dans les hôpitaux où l’on ne parle plus
de psychose ou de névrose. » – En réalité, dans la discussion du rapport de S. RADO,
K. MENNINGER (Amer. J. Psych. 1953, no, 417-421) n’a pas pris une position aussi tranchée et
tranchante que celle qui lui a été attribuée dans la note que nous venons de reproduire.
11
ÉTUDE N° 20
…Nous devons donc, en des phénomènes qui constituent son objet, c’est-à-dire ici des « Maladies mentales »
entreprenant de présenter (Cf. notre Étude n° 4).
une vue panoramique des
Nous devons donc, en entreprenant (dans ce volume d’« Études » et dans le sui-
« maladies mentales »,
rechercher quel ordre doit vant) de présenter une vue panoramique des « maladies mentales », rechercher quel
être introduit dans les faits, ordre doit être introduit dans les faits, c’est-à-dire quelles catégories et espèces natu-
c’est-à-dire quelles catégo- relles doivent être dégagées sans tomber dans le travers d’une trop stricte et dérisoire
ries et espèces naturelles
nosographie des entités.
doivent être dégagées…
§ I. – LE PROBLÈME DE LA CLASSIFICATION
DES MALADIES MENTALES
Jetons d’abord un coup d’œil sur les « classifications » qui sont les plus connues
ou les plus caractéristiques depuis trois siècles :
Le terme d’amentia ou de dementia est utilisé par lui pour désigner le genre, l’en-
semble des troubles mentaux dont les principales espèces sont représentées par la
« Fatuitas », l’« Insania » et la frhnitiw ou Delirium.
La « Fatuitas » représentait l’arriération congénitale dont il distinguait divers
degrés Ignorantia, Fatuitas proprement dite et Stoliditas. Il se référait à l’âge mental
de ces arriérés pour distinguer les degrés de leur arriération. Et on voit que la sépara-
tion de la démence et de l’idiotie que l’on attribue généralement à ESQUIROL était déjà
bien claire dans l’esprit de ZACCHIAS.
12
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Nous voyons dès cette classification de P. ZACCHIAS surgir le vice de méthode qui …dès cette classification
faussera toutes ou presque toutes les autres : le mélange du critère séméiologique et du de P. ZACCHIAS surgit le
vice de méthode qui faus-
critère étiologique. Ce mélange ne serait justifié que si l’on avait affaire à des entités
sera toutes ou presque
anatomo-cliniques spécifiques. Mais comme il est impossible qu’il en soit ainsi (cf. toutes les autres : le
notre Étude n° 4) on ne peut ranger sous la même rubrique des maladies définies uni- mélange du critère
quement d’après leur tableau clinique et des maladies définies par tel ou tel processus. séméiologique et du critè-
re étiologique…
L’encéphalite (frhnitiw de cette époque), même si elle provoque plus souvent le
« Delirium » que la « fatuitas » ou 1’ « insania », ne peut être considérée comme une
espèce qui exclut la fatuitas et l’insania.
Si nous nous rapportons maintenant à la fin du XVIIIe siècle, à la fameuse classifi- …Classification des vésa-
nies par BOISSIER de
cation de F. BOISSIER DE SAUVAGE 2 nous constaterons le même souci de diviser sans
SAUVAGE (1767)…
parvenir à trouver un principe de classification.
1. Ce terme de « Delirium » va être désormais conservé par toutes les classifications jusqu’à nos
jours et à peu près dans le même sens ; mais en français et plus généralement dans les langues
latines, il va désigner aussi et de plus en plus la conviction ou l'idée délirante, point crucial sur
lequel nous aurons l’occasion de revenir à plusieurs reprises.
2. BOISSIER DE SAUVAGE, Nosologia methodica, 1767, 8e classe Vesaniae.
3. On trouvera dans le livre de MOURGUE « Neurobiologie de l’Hallucination », 1932 (pp. 27-28),
un exposé détaillé de tous ces phénomènes.
13
ÉTUDE N° 20
…Classsification de Nous devons à CULLEN 1 une classification également célèbre, à peu près de la
CULLEN (1787)… même époque.
Il exclut des « Vésanies » ou « Maladies mentales » les deux premières catégories
de la classification de SAUVAGE. Pour lui, la Vésanie engendre ou le délire en tant
qu’erreur de jugement, ou l’imbécillité en tant que faiblesse de jugement. La folie est
constituée par le « délire sans fièvre ni coma ». Et il en décrit trois variétés : la Manie
ou folie universelle, la Mélancolie ou folie partielle et la Démence qui peut être innée,
sénile ou accidentelle. CULLEN nous offre donc une classification assez homogène
basée presque uniquement sur des critères cliniques, mais, par contre, la notion de psy-
chose aiguë y est à peine indiquée.
…Classification de PINEL Avec PINEL 2 nous rencontrons aussi une classification assez cohérente.
(1801)…
Il exclut de l’aliénation les « névroses » comme l’hypocondrie, l’hystérie, les hal-
lucinations (tout comme CULLEN excluait des vésanies les deux premières espèces de
SAUVAGE) parce que, dit-il, elles peuvent exister sans troubles de la raison. La folie est,
en effet, pour lui, essentiellement une lésion de l’entendement. Il distingue, avec
CULLEN, la Manie comme trouble général de l’entendement, la Mélancolie, la
Démence, qui est l’abolition de la pensée et y ajoute l’Idiotisme qui est une « oblitéra-
tion » des facultés intellectuelles et affectives ».
…à l’orée du XIXe siècle Ainsi à l’orée du XIXe siècle la classification paraît engagée dans une bonne voie
[…] c’est le travail de
puisque c’est le travail de description clinique qui doit, seul, constituer la méthode
description clinique qui
seul, constitue la méthode même de classification des « maladies mentales » en espèces purement cliniques
même de classification… (ESQUIROL, GRIESINGER, J.-P. FALRET, etc.). Mais avec MOREL et KRAEPELIN on va reve-
nir à nouveau à la confusion des plans étiologique et clinique, c’est-à-dire plus ou
moins confusément à l’idée d’entités anatomo-cliniques spécifiques.
14
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
lectuels, affectifs ou instinctifs qui vont dès lors être l’objet de vives discussions (J. P.
FALRET notamment se placera à la tête de tous ceux qui ont lutté contre cette notion).
Mais, et c’est là que nous voulons en venir, la notion de « Psychose aiguë » va …la notion de « Psychose
désormais se développer à partir de l’« idiotisme » ou des « démences aiguës ». Sous aiguë » va désormais se
développer à partir de
le nom de « stupidité » avec GEORGET et plus tard avec DELASIAUVE, on tenta de décri-
l’« idiotisme » ou des
re des crises dont le gros problème était de savoir si elles devaient être séparées ou « démences aiguës ».
non de la manie et de la mélancolie (FALRET, BAILLARGER, GRIESINGER). Ces « formes Sous le nom de « stupidi-
aiguës » vont donc sous des noms variés de Manie, Mélancolie, Stupidité, Delirium té » avec GEORGET…
et, plus tard, « Wahnsinn », « Bouffées délirantes », etc. interférer ou alterner dans un
ordre plus ou moins cohérent dans toutes les classifications du XIXe siècle qui,
presque toutes, se contenteront de reprendre celle d’ESQUIROL (à la question des
Monomanies près) et en faisant jouer un rôle toujours plus grand mais mal élucidé
aux Psychoses aiguës. C’est dans ce sens que BRIERRE DE BOISMONT 1 pouvait écrire
en 1850 : « J’ai lu avec attention tous les essais de classification qui ont été tentés
depuis que l’on cultive l’aliénation mentale (sic) et je déclare qu’aucune division ne
m’a paru supérieure à celle de quatre grandes classes : Manie, Mélancolie, Démence
et Idiotie. » BAILLARGER s’exprimait d’une manière analogue lorsqu’il écrivait : « La
plupart des médecins adoptent la classification d’ESQUIROL à laquelle GEORGET a
ajouté la stupidité. »
Mais avant d’exposer avec quelques détails les classifications classiques du XIXe …Classification
siècle, arrêtons-nous un instant à une tentative curieuse et intéressante, celle de d'HEINROTH (1818)…
HEINROTH 2.
Dans un ouvrage extrêmement systématique et approfondi (il a cherché à appliquer
les principes de toute classification en recourant aux concepts d’ordre, de classe et de
genre) il propose trois genres de défaut de liberté de l’âme, de l’esprit ou de la volon-
té. Dans son premier genre, caractérisé par l’exaltation, il place le « Wahnsinn » sorte
d’état extatique, la « Verrücktheit » et la « Tollheit » (Manie). Dans un deuxième genre
caractérisé par la dépression, il range la Mélancolie, le Blödsinn (obtusion) et la
Willenlösigkeit (aboulie et perplexité). Dans le troisième genre, mixte, il range le
Wahnsinn avec dépression, la Verwirtheit (confusion agitée) et la Scheue (anxiété).
Une pareille classification très « architectonique » et trop parfaitement symétrique,
ne tenant pas compte précisément du critère évolutif, ne pouvait prétendre à beaucoup
de succès. Elle synthétisait en effet plus qu’elle ne « divisait » alors que, nous allons
le voir, le travail de dissection va aller bon train dans tous les pays et toutes les Écoles.
Revenons donc aux essais de catégorisations plus cliniques 3. J. P. FALRET propo-
15
ÉTUDE N° 20
…Classification de J.P. sait la classification en deux groupes, les aliénations générales, les aliénations par-
FALRET, tielles. C’est du moins ce que la plupart des auteurs lui font dire. Mais il nous a sem-
blé que son Traité ne contenait à cet égard rien d’autre qu’une critique, effrayante de
lucidité, des classifications de son époque, critique qui vaut encore pour la plupart de
celles que l’on a essayé de leur substituer sans s’inspirer de ses sages conseils métho-
…de BAILLARGER (1854)… dologiques. – BAILLARGER dans « Essai d’une classification des différents genres de
folie » 1 distinguait le délire avec lésion partielle (monomanie), les délires avec lésion
générale (manie et mélancolie) et il rejetait la stupidité.
…Pour la première fois, – A cette même époque, W. GRIESINGER 2 divisait les « maladies psychiques » en :
GRIESINGER (1861) sou- 1° États dépressifs (mélancolie) ; 2° États d’excitation (Tobsucht, manie et formes
ligne une articulation
délirantes monomaniaques qu’il appelait Wahnsinn) ; 3° États d’affaiblissement intel-
naturelle et essentielle,
celle des états aigus des lectuel (la folie systématisée ou Verrücktheit secondaire à la manie et à la mélancolie
deux premières catégo- – la démence agitée – la démence apathique et l’idiotisme et le crétinisme). Pour la
ries et celle de la folie première fois, GRIESINGER souligne une articulation naturelle et essentielle, celle des
systématisée chronique…
états aigus des deux premières catégories et celle de la folie systématisée chronique.
– Bien moins intéressante est la classification de GUISLAIN 3 qui recourt à des néo-
logismes pour désigner ses huit formes de phrénopathie : la mélancolie (luperophré-
nie), la manie (hyperphrénie), la folie (paraphrénie), l’extase (hyperplaxie), les états
convulsifs (hyperspasmie), le délire (idéo-synchysie), la rêvasserie (anacoluthie), la
démence (noasthénie).
…Classification de Nous avons vu jusqu’ici la classification des maladies mentales tendre de plus en
MOREL (1860)…Il va plus à se dégager selon les seuls critères évolutifs et cliniques et sans recourir aux fac-
abandonner les critères
teurs étiologiques qui donnaient aux classifications anciennes (SAUVAGE) un caractère
évolutifs et cliniques pour
réintroduire les facteurs hétéroclite. Or avec MOREL4 on va abandonner cette saine méthode de classification et
étiologiques… cela va être le défaut organique de la plupart des classifications ultérieures 5.
MOREL distinguait en effet six classes : 1° les aliénations héréditaires (mono
manie, dégénérescences intellectuelles, idiotie) ; 2° les aliénations par intoxications
(alcoolisme, pellagre, etc.) ; 3° les aliénations déterminées par certaines névroses
(hystéro-épilepsie, hypocondrie) ; 4° les aliénations mentales idiopathiques (affaiblis-
sement intellectuel, paralysie générale) ; 5° les folies sympathiques ; 6° les démences.
« Classification » qui décourage tout commentaire... et on comprend que FOVILLE
n’ait pas eu de peine à lui faire remarquer qu’une classification des causes de la folie
16
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
1. Du 12 novembre 1860 au 27 mai 1861, 9 séances lui furent consacrées. Cf. Ann. Médico-
Psycho., 1861, et le résumé qu’en ont fait DESRUELLES, LÉCULIER et GARDIEN (loc. cit., p. 15).
2. Ann. Médico-Psycho., 1861, p. 459.
3. BAILLARGER, Ann, Médico-Psycho., 1889.
17
ÉTUDE N° 20
…Classification de Comme MOREL, il va juxtaposer et brouiller les tableaux cliniques et les formes
BAILLARGER (1889)… symptomatiques. Cependant, sa dernière tentative, malgré ses pléonasmes et son
défaut de clarté, n’est pas sans intérêt. Il y groupait en effet les maladies mentales
selon un critère évolutif. Dans les formes durables qu’il appelle assez paradoxale-
ment 1 « folies », il distingue les folies simples (délires partiels, manie, mélancolie,
folie à double forme) – les folies graves (manie ambitieuse, mélancolie hypocon-
driaque) – la folie circulaire (à double forme) – la folie d’origine toxique (alcoolisme,
pellagre, paludisme). Dans les formes incurables qu’il appelle des démences, il range
la paralysie générale, la démence sénile, les démences organiques et les démences
vésaniques 2. Enfin il réserve une classe spéciale aux arrêts de développement.
…de MAGNAN (1882)… MAGNAN à la même époque, en 1882, divisait les maladies mentales en : 1° états
mixtes tenant de la pathologie et de la psychiatrie ; il énumérait sous cette curieuse
rubrique la Paralysie Générale, la Démence sénile, les troubles mentaux par lésions
cérébrales circonscrites, l’Hystérie, l’Épilepsie, l’Alcoolisme, le Crétinisme ! 2° folies
proprement dites (Psychoses) et il distinguait dans ce groupe la Manie, la Mélancolie,
les Délires chroniques, les Folies intermittentes, la Folie des dégénérés avec les syn-
dromes épisodiques et les Délires d’emblée, les Idiots, Imbéciles, Débiles et
…le congrès d'Anvers : Déséquilibrés... Le CONGRÈS D’ANVERS 3 commit encore la même erreur de méthode
« Recherche d'une base
en présentant un tableau hétéroclite « pour servir à la statistique internationale ».
pour une statistique des
aliénés » 1885.
L’énumération proposée comportait huit rubriques: Arriérations – Démences simples
(primitives ou consécutives) – Manie et Mélancolie – Délire Aigu ou Chronique (!) –
Folie morale – Folie circulaire – Aliénations compliquées de paralysie, d’épilepsie,
d’hystérie ou de tumeurs ou foyers cérébraux – Aliénations mentales par intoxica-
tions...
2° Kraepelin
18
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
1. Nous allons voir cependant que KRAEPELIN lui-même a succombé à une certaine confusion des
plans clinique et étiologique.
2. A la condition de bien séparer les deux premières rubriques de la troisième (celle-ci étant un
tohu-bohu séméio-étiologique).
19
ÉTUDE N° 20
1. Ici, on le voit, KRAEPELIN glisse fâcheusement vers la confusion des plans, mais il suffit de sup-
primer cette troisième rubrique de la classification clinique ou plutôt de l’en séparer comme clas-
sification étiologique, pour en rétablir l’ordre.
20
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Cette « systématique mixte » et en quelque sorte empirique est restée le modèle de …Cette « systématique
la Psychiatrie classique de la fin du XIXe siècle. mixte » et en quelque
sorte empirique est restée
Le chemin parcouru d’ESQUIROL à KRAEPELIN est certes considérable car la nébu-
le modèle de la
leuse primitive s’est disloquée en laissant apparaître certaines espèces naturelles, mais Psychiatrie classique…
beaucoup de confusion a cependant persisté, celle-là même qui enveloppe la notion de
« maladie mentale » dans la mesure où on n’entend la définir que par un processus spé- …beaucoup de confusion
a cependant persisté,
cifique. De telle sorte que si, dans les classifications de ces soixante dernières années,
celle-là même qui enve-
ces processus ne sont pas mentionnés explicitement, ils y figurent virtuellement sous loppe la notion de
la forme du cadre étiologique qui interfère avec le cadre séméiologique. « maladie mentale »…
Tout d’abord nous allons parler de celles que nous appellerons « classiques », car
elles ne font que prolonger la classification kraepelinienne ou en constituent un com-
plément ou une simplification.
1. Noter que, comme pour illustrer nos réflexions précédentes, Démence précoce et Paralysie
générale sont là côte à côte.
2. Nous voyons pour la première fois surgir cette notion : Munich n’est pas loin de Vienne.
21
ÉTUDE N° 20
1° Classifications classiques
…le caractère général de Leur caractère général est donc de maintenir en équilibre précaire la juxtaposition
la classification française des critères symptomatiques, évolutifs et étiologiques.
du XX° sièclee est donc de
Le type en est la classification classique de l’École Française. Sans vouloir entrer
maintenir en équilibre
précaire la juxtaposition dans le détail des tentatives nombreuses que nous devons aux écoles de MAGNAN, de
des critères symptoma- RÉGIS, de Gilbert BALLET, de SÉRIEUX, de DUPRÉ, ou à celles de CLAUDE et de
tiques, évolutifs et étiolo- CLÉRAMBAULT, on peut donner le schéma suivant qui conserve ou confère à toutes ces
giques…
tentatives leur caractère le plus rationnel.
I. Arriérations.
II. Déséquilibre et constitutions psychopathiques :
Cyclothymie.
Mythomanie.
Paranoïa.
Schizoïdie.
Perversité.
III. Psychoses confusionnelles toxi-infectieuses :
Formes simples.
Formes oniriques.
Formes stuporeuses.
Délire aigu.
Psychose de Korsakow.
IV. Psychoses cyclothymiques ou intermittentes :
Manie, Mélancolie.
V. Démence Précoce ou Schizophrénie :
Forme hébéphrénique.
Forme catatonique.
Forme paranoïde.
VI. Délires chroniques :
Psychose hallucinatoire chronique.
Délire d’interprétation.
Délire d’imagination.
Délires passionnels.
VII. Démences organiques :
Traumatiques.
Tumorales.
Artériopathiques.
VIII. Démences séniles et préséniles – Psychoses d’involution.
IX. Paralysie générale.
X. Psychoses alcooliques.
XI. Épilepsie.
22
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
XII. Névroses :
Hystérie.
Névroses obsessionnelles.
Neurasthénie.
Un tel « tableau » plus ou moins détaillé selon les tendances analytiques de chacun,
soit du côté des processus étiologiques (psychoses hormonales, affections nerveuses,
etc.), soit du côté des formes délirantes chroniques (délires de revendication, érotoma-
nie, etc.), soit du côté des névroses (névrose d’angoisse, phobies, névroses d’organes,
etc.) constitue bien une énumération puisqu’il n’y a aucun principe de classification.
…On s’en tient donc –
Parfois (DELMAS et POLL) on a tenté d’appliquer le critère « endogène ou constitution- chez nous comme ailleurs
nel » et « exogène ou acquis » mais la position a été rapidement reconnue intenable. On – à une sorte de mosaïque
s’en tient donc – chez nous comme ailleurs – à une sorte de mosaïque ou de puzzle. ou de puzzle…
En Grande Bretagne, une classification du même genre est indiquée dans l’ouvra-
ge classique de HENDERSON et GILLESPIE 1 comme celle qui fut, il y a déjà longtemps,
approuvée par la British Medico-Psychological Association :
I. Arriérations intellectuelles et morales.
II. Folie (Insanity) de l’âge adulte :
Avec épilepsie.
Paralysie générale.
Par lésion cérébrale.
Délire aigu (Acute delirium et acute delirious mania).
Confusional Insanity.
Stupor.
Primary dementia.
Manie rémittente, chronique ou récurrente.
Mélancolie rémittente, chronique ou récurrente.
Folie alterne.
Folie délirante : systématisée, non systématisée.
Folie volitionnelle (Volitional Insanity),
Obsessions, impulsions, folie du doute.
Moral Insanity.
Démences secondaires ou terminales.
Démences séniles.
Dans ce tableau déjà ancien ne figure pas la Démence précoce ou Schizophrénie
absorbée, selon toute vraisemblance, par les « Démences primaires ». Mais depuis, les
auteurs dans leurs classifications distinguent des « affective reaction-types » (M.D.),
des « schizophrénic reaction-types », des « paranoïa et paranoïde-types » des « orga-
nic reaction-types », etc.
Le récent traité (Clinical Psychiatry 1954) de W. MAYER-GROSS, E. SLATER et M.
ROTH reprend cette énumération : mental deficiency – neurotic reactions – affective
disorders – schizophrenia, etc.
1. HENDERSON et GILLESPIE, A text Book of Psychiatry, 1927. Depuis lors (5e édition, 1940)
quelques « retouches » ont été apportées par ces auteurs à leur classification.
23
ÉTUDE N° 20
1. Cette classification est reproduite dans de nombreux manuels de psychiatrie des U. S. A., par
exemple dans le Practical Clinical Psychiatry de STECKER (6e édition 1948), dans la Modem
Clinical Psychiatry de NOYES (3e édition 1949), etc.
24
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Sans doute s’agit-il de « classifications » qui sont plutôt des nomenclatures et qui …Sans doute s’agit-il de
ont, d’ailleurs, été établies pour servir à des statistiques 1. Mais c’est tout de même « classifications » qui
sont plutôt des nomencla-
sous la rubrique « classifications » qu’elles figurent dans les rapports aux Congrès,
tures et qui ont,
dans les Revues et même dans les ouvrages classiques de psychiatrie. d’ailleurs, été établies
Il est intéressant par exemple de prendre connaissance de la « nomenclature » pour servir à des statis-
recommandée pendant la guerre aux États-Unis 2 ainsi que des instructions qui en pré- tiques…
conisent l’emploi : « Troubles psychiques », y précise-t-on, constitue un terme géné-
ral dont les divers « types de réaction » sont les espèces, seuls objets d’un diagnostic ».
Les diverses réactions sont ainsi présentées.
– Réactions transitoires de la personnalité à une tension aiguë ou spécifique. Ces …la « nomenclature »
réactions diffèrent des névroses et des psychoses par leur réversibilité et leur dépen- recommandée pendant la
dance à l’égard de la situation. Parmi ces réactions figurent les états d’épuisement guerre aux États-Unis
durant les combats et les inadaptations à une ambiance tendue. (1945) et la notion de
– Les troubles psycho-névrotiques. Ils sont caractérisés par l’émancipation, à réaction…
l’égard de la répression par la conscience, des émotions ou des expériences infantiles.
L’étude « longitudinale » des réactions chez ces malades montre une inadaptation pério-
dique ou constante ; le principal caractère est l’angoisse plus ou moins « flottante ». Il
faut distinguer les réactions d’angoisse – les réactions dissociatives (la désorganisation
de la personnalité peut permettre par exemple à l’individu [d'éviter] d’être submergé par
l’angoisse. Il s’agit ici d’hystérie de conversion qu’il faut distinguer des réactions schi-
zophréniques) – les réactions phobiques où l’anxiété se déplace et se concentre sur un
objet – les réactions de conversion proprement dites avec leurs syndromes somatique
et psychomoteur, expressions des troubles des fonctions nerveuses (céphalées, parésies,
tremblements, etc.) – les réactions de somatisation (terme préféré à celui de réaction
psycho-somatique, est-il indiqué expressément). Ce sont les expressions viscérales de
l’angoisse (réactions gastro-intestinale, cardio-vasculaire, genito-urinaire, allergique,
cutanée, asthénique, psychogène) – les réactions obsessivo-compulsionnelles – les
réactions hypocondriaques – les réactions dépressives névrotiques.
– Les troubles du caractère et de la conduite comprennent les types pathologiques
de la personnalité (constitutions et caractères schizoïdes, paranoïaques, cycloïdes,
1. Une nomenclature, si elle n’est pas une simple table des matières par ordre alphabétique stric-
te, reflète nécessairement un souci comme honteux de classification. Nous devons signaler ici
pour mémoire l’effarante nomenclature des maladies mentales adoptée pour la nomenclature
internationale des maladies et des causes de décès par le Comité de préparation de la 6me révi-
sion décennale de cette nomenclature, Genève, octobre 1947. Ce document a été largement dif-
fusé par l’Organisation Mondiale de la Santé. Il est à peu près impossible d’y trouver une classi-
fication cohérente. L’énumération est très mal équilibrée dans ses rubriques innombrables et pour
ainsi dire sans ordre. Nous n’en finirions pas si nous voulions la commenter. Nous signalerons
simplement quelques « perles » : ainsi la rubrique « Schizophrénie latente », la division en « per-
versions sexuelles et déviations sexuelles », etc.. Dans cette nomenclature, les Psychoses aiguës
ne figurent qu’à l’article 300, 4 ( « Accès schizophréniques aigus »). Pour le reste, elles sont dis-
tribuées dans les psychoses maniaco-dépressives ou dans les psychoses symptomatiques. Nous
ne sommes pas les seuls à trouver cette « nomenclature » un peu ridicule. U. DE GIACOMO
(Neuropsichiatria, 1953, 1-2, 87-98) se montre pour elle — comme pour les autres — féroce.
2. T. B. Med. 203 War Department Technical Bulletin, 19 octobre 1945. Elle est exposée notam-
ment dans le J. of Nerv. and Ment. Disease, 1946, 104, p. 180.
25
ÉTUDE N° 20
…Classification en Amérique Dans les pays d’Amérique du Sud, la classification est aussi éclectique et analy-
du Sud… tique, elle tend également à n’être qu’une simple nomenclature. Ainsi, si nous nous
rapportons à la classification de la Société Brésilienne de Neuro-Psychiatrie et de
Médecine Légale nous trouverons l’énumération suivante (comportant, d’après
PACHECO SILVA, un pourcentage intéressant des 1187 malades classés par lui) :
Psychoses infectieuses (0,77 %), Psychoses autotoxiques (8,70 %), Psychoses exo-
toxiques (4,90 %), Démences précoces (14 %), Délires systématisés, Paraphrénies (6
%), Paranoïa (3 %), Psychoses maniaco-dépressives (7,80 %), Psychoses d’involution
(2,90 %), Psychoses par lésions cérébrales (11,72 %), Paralysie générale (3,5 %),
Psychoses épileptiques (13,30 %), Névroses (11,7 %), Psychopathies constitution-
nelles (0,12 %), Arriérations (11,5 %). Outre le mélange des plans symptomatiques et
étiologiques, cette présentation du « matériel clinique » permet de mesurer l’élasticité
de la notion de « Schizophrénie » qui, dans les pays où elle est largement dispensée,
englobe 50 % des malades mentaux – et même plus – et là, au Brésil, ne s’adapte qu’à
14% – au plus à 23% en y rangeant tous les cas de « délires chroniques ».
Ce contraste est forcément rendu plus saisissant si nous comparons à ces données
statistiques la classification des maladies mentales en Allemagne.
En Allemagne, en effet, ce sont les tendances synthétiques qui l’emportent et le
fameux Traité de BUMKE (1928) en constitue l’exemple le plus classique et le plus inté-
ressant. Voici comment il est divisé.
26
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Nous venons de voir que dans sa majorité et dans sa forme académique et clas-
sique, la Psychiatrie n’a plus fait en matière de « classification » beaucoup de progrès
depuis 50 ans. Mais ce problème de la classification des maladies mentales a été bou-
1. Pour avoir une idée du champ considérable de la Schizophrénie dans la Psychiatrie allemande,
nous pouvons nous rappeler que plus de 50 % des malades mentaux sont des schizophrènes
(Traité de GUTT, 1940, article de KIHN, dans le volume consacré à la Schizophrénie, p. 40). On
pourra également consulter le tableau décrit comme le « cycle schizophrénique héréditaire » au
sens large, de la schizophrénie, dans ce même volume, dans l’article de LUXEMBURGER.
27
ÉTUDE N° 20
leversé par deux tendances doctrinales très fortes et très importantes. La première est
celle de la définition de la « maladie mentale » comme « syndrome » ou « type de réac-
tion » aspécifique ; la seconde c’est l’importance du caractère psychogénétique attri-
bué à certaines maladies mentales.
Sans aller jusqu’au concept de « Monopsychose » 1 et aux idées intéressantes de
ZELLER, H. NEUMANN et GRIESINGER à ce sujet, il est certain qu’avec LEGRAIN 2, RÉGIS 3,
CLAUDE 4, etc. chez nous ; avec HOCHE 5, BONHOEFFER 6, BOSTROEM 7, K. SCHNEIDER 8,
… un puissant mouvement A. MEYER 9, K. JASPERS 10, etc. à l’étranger, un puissant mouvement s’est constitué
s’est constitué contre contre l’idée que la maladie mentale doit être purement et simplement confondue avec
l’idée que la maladie men-
la somatose qui constitue sa base organique connue ou hypothétique 11. De ce fait, la
tale doit être purement et
simplement confondue classification des Psychoses doit se déplacer résolument dans le sens d’une analyse
avec la somatose… structurale et évolutive des formes de « réaction » de la conscience et de la personnali-
…la classification des té morbides. Les « maladies mentales » ont été dès lors de plus en plus considérées
psychoses doit se dépla-
comme des « syndromes » ou des « réactions psychopathologiques » qui sont l’effet
cer vers une analyse
structurale et évolutive
d’une multiplicité de facteurs (A. MEYER, BIRNBAUM, KRETSCHMER). D’où, d’une part,
des formes de « réaction» l’écroulement de la barrière dressée entre psychoses endogènes et exogènes, entre psy-
de la conscience et de la choses organiques et inorganiques, et, d’autre part, la nécessité d’établir dans la classi-
personnalité morbides… fication deux chapitres : la classification des psychoses comme types de réactions ou
…d'où la nécessité d’éta-
syndromes – et la classification des facteurs étiologiques qui peuvent les engendrer 12.
blir dans la classification
deux chapitres : clinique Certes, tout cela n’est pas encore suffisamment clair ou clarifié dans les esprits et les
et étiologique…
1. Nous devons à B. LLOPIS (La psicosis unica. Archivos de Neurobiologia, 1954, XVII) une
excellente étude sur cette notion. [NdE : rééd. Madrid : Editorial Triacastela, 2003]
2. LEGRAIN, Les poisons de l’intelligence, Ann. Méd. Psych., 1891, II, et 1892, I.
3. RÉGIS a admirablement dégagé la classification qu’il expose avec rigueur (Précis, 6ème Édition,
pp. 258-259) de toute confusion avec le plan « étiologique ». Cette classification des « états psy-
chopathiques primitifs » serait parfaite si elle sous-entendait que justement ils ne sont pas primitifs.
4. S’il n’a rien écrit spécialement sur ce point, c’était une des idées qu’il développait dans son
enseignement (1923-1939).
5. HOCHE, Die Bedeutung des Symptomenkomplexe in der Psychiatrie, Zeitschr. f.d.g. Neuro,
1912, 12, 540-551.
6. BONHOEFFER, Traité d’Aschaffenbuch (1912) et Die exogenen Reaktiontype. Archiv. f. Psych.,
1917, 58, 350.
7. BOSTROEM, Traité de Bumke 1928.
8. SCHNEIDER (Kurt), Der Begriff der Reaktion in der Psychiatrie. Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1925,
95, 500.
9. MEYER (Adolf), Collected Papers II Psychiatry. Éd. J. Hopkins Press., Baltimore, 1951 (cf.
aussi l’exposé de l’ensemble de sa conception dans « Psychobiology and Psychiatry » de MUNCIE
(2e édit. 1948).
10. JASPERS (K.). Allg. Psychopathologie. (1913-1946) éd. fr., 1928. [NdE : trad. d’après la troi-
sième édition allemande par A. KATSLER et J. MENDOUSSE. Réédition : Paris : Claude Tchou
Bibliothèque des introuvables, 2000].
11. KRAEPELIN, (Der Erscheinungsformen des Irreseins. Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1920, 62, 1), a
écrit lui-même d’excellentes réflexions sur ce point.
12. Nous avons nous-même en 1935, au Congrès des Aliénistes de Lyon, où on discutait le rap-
port de DESRUELLES sur « Classification et Statistiques des Maladies Mentales » insisté…/…
28
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Écoles, mais il y a une tendance générale que nous devons saluer comme un espoir d’en
finir avec l’incohérence des classifications ou des nomenclatures.
On sait que LEGRAIN (1891), RÉGIS (1911) et BONHOEFFER (1912) ont montré que
les « réactions exogènes » aux facteurs toxiques étaient aspécifiques malgré certains
types privilégiés réalisés avec une particulière fréquence. De même HOCHE (1912)
considérait que le cerveau « réagit » par une série de réponses automatiques et pour
ainsi dire « préformées ». Cette notion de « réaction exogène » a été transposée par
BONSTROEM sous le terme de « réaction endogène » au cas où la prédisposition et les
tendances affectives de la personnalité peuvent être déclenchées sous l’influence de
causes multiples. BARUK a, au cours de ces dernières années, soutenu chez nous un
point de vue assez semblable.
Mais c’est Adolf MEYER qui, dès 1906, et durant sa longue carrière de « Leader » …c’est Adolf MEYER qui,
de la Psychiatrie nord-américaine, a fait de cette notion de « réaction » la pièce maî- dès 1906, a fait de cette
notion de « réaction » la
tresse de son enseignement.
pièce maîtresse de son
Pour lui les maladies mentales sont précisément des comportements, des réponses enseignement…
de l’organisme à des situations internes et externes plus ou moins difficiles et catas-
trophiques. Ce sont des « types de réaction », des formes typiques de l’ « Ergasia »
c’est-à-dire de la structure vitale totale qui est à la base des activités d’intégration de
l’organisme et de son milieu. Il décrit deux classes de réactions : 1° Les « Major-réac-
tions » ou Psychoses qui sont représentées par les « Thymergasies » (réactions mania-
co-dépressives et paranoïaques) ; les « Parergasies » (réactions schizophréniques) ; les
« Dysergasies » (Délires confusionnels) ; les « Anergasies » (psychoses organiques et
épileptiques). 2° Les « Minor-réactions » (les états d’arrêt de développement intellec-
tuel et affectif qui comprennent les « Oligergasies » (arriérations, personnalités psy-
chopathiques), les « Meregasies » (psycho-névrose, hystérie, réactions névrotiques
anxieuses).
Nous devons à K. JASPERS une excellente et lucide réflexion sur le problème des
espèces de maladies mentales.
« La question qui domine depuis longtemps la Psychopathologie (écrit-il, p. 499,
de l’Édition française) est celle-ci : « Comment tous les symptômes se réunissent-ils
dans chaque cas particulier. De quelle maladie, c’est-à-dire de quelle entité nosolo-
gique s’agit-il ? Quelles sont les entités nosologiques ? Et si en tant qu’analyste le psy-
…/…sur l’exigence de cette double perspective. BARUK (à la même séance et depuis dans plu-
sieurs travaux) et LECONTE et DAMEY plus récemment ont préconisé le même système (Essai cri-
tique des nosographies actuelles. 1949). Ce point de vue a triomphé à propos de la « fiche » dont
le projet a été adopté sur la proposition de la Commission de la Santé Mentale du Ministère de la
Santé (1951), qui l’a rendu officiel chez nous. — BARUK ne paraît pas avoir rigoureusement
appliqué ses propres principes. En effet, il présente la classification suivante : Réactions dépres-
sives (comprenant la Mélancolie, les Psychasthénies et les Cénestopathies), Réactions d’excita-
tion (Manie et Hypomanie), Syndromes périodiques, Réactions confusionnelles, Réactions schi-
zophréniques et démentielles, Délires hallucinatoires, Réactions épileptiques. Et enfin, Etats
démentiels et psychopathies organiques (Tumeurs cérébrales, syphilis, et.). Cette dernière
rubrique détruit l’esprit même du système de classification puisque le double versant symptoma-
tique et étiologique est ici présenté dans une perspective unique et par conséquent hétérogène.
29
ÉTUDE N° 20
…psychose unique avec chiatre doit disséquer chaque cas de toutes les manières possibles, comment arrivera-
variété infinie d'aliéna- t-il au diagnostic? On a répondu à cette question de deux façons. Pour les uns une seule
tion ou entités distinctes psychose existe : il n’y a pas une psychopathologie des maladies distinctes mais seu-
avec symptomatologie, lement une variété infinie d’aliénations qui partout et dans toutes les directions pré-
évolution, étiologie… sente des transitions continues. Les formes de l’aliénation doivent être rangées comme
états se succédant d’une façon typique (toutes les maladies mentales commençant par
la Mélancolie, ensuite suivrait la folie furieuse, la schizophrénie et finalement la
démence) 1. – Suivant les autres, la tâche principale de la psychiatrie consiste à trou-
ver des entités nosologiques qui doivent être séparées en principe, qui possèdent cha-
cune sa symptomatologie, son évolution, sa cause, ses manifestations physiologiques
particulières et caractéristiques. La lutte a été soutenue des deux côtés avec un grand
mépris réciproque... Cependant le fait historique que la lutte n’a jamais cessé qu’en
apparence et continue en réalité, permet de supposer que les deux opinions renferment
leur part de vérité. Au lieu de s’opposer, elles peuvent se compléter. »
…Classification de Malheureusement la classification des psychoses que JASPERS nous propose (pages
JASPERS… 512 à 518) n’est guère satisfaisante car elle est aussi hétéroclite que les autres. Il s’ar-
rête en effet à une présentation dont il a soin de nous dire qu’elle est « plus didactique
que scientifique ».
D’abord les psychoses organiques causées essentiellement par des phénomènes
physiologiques saisissables (elles sont exogènes ou symptomatiques). Ensuite ce qu’il
appelle les processus dont il dit quelques mots très vagues (onze lignes) parmi lesquels
il range la « Schizophrénie », la Paranoïa et la Catatonie. Puis viennent enfin les
formes d’aliénation dégénérative (Psychoses maniaco-dépressives, Psychoses réac-
tives, Psychopathies).
Cependant l’œuvre de JASPERS malgré ses faiblesses dans la classification des
formes typiques de psychoses est fondée sur une vue plus profonde et qui doit nous
arrêter. Il distingue en effet 2 dans une des parties les plus importantes et originales de
…par accés, phases ou
périodes… son ouvrage, des cycles d’évolutions typiques. Ce sont : 1° les accès, phases ou
périodes dont le mécanisme; est essentiellement « endogène » car les causes exté-
rieures demeurent complètement insuffisantes pour notre compréhension et les théo-
…par processus : modifi- ries de la causalité (p. 430) – 2° les processus qui sont caractérisés par une modifica-
cation durable physiopa- tion durable 3 de l’évolution naturelle de la vie psychique. Ces « processus » peuvent
thologique avec désagré-
être physio-pathologiques et entraînent une désagrégation de la vie mentale (ceci lui
gation ou psychique sans
désagrégation… paraît être le cas d’un certain nombre de maladies du groupe de la « démence préco-
ce ») ou de processus psychiques de type évolution psychologique sans désagrégation
…par développement de de la vie psychique – 3° le développement de la personnalité comme par exemple, dit-
la personnalité…
il, le développement paranoïaque du revendiquant jaloux.
1. Les traducteurs, non psychiatres, ont bourré leur traduction d’invraisemblables impropriétés de
termes. Je n’hésite pas, quand je cite JASPERS, à rétablir le texte.
2. Chapitre VI. Les relations de la vie psychique, § II. Relations causales et notamment le para-
graphe « Cycles d’évolutions typiques » (pp. 430 à 442).
3. Souligné par JASPERS.
30
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
On comprend qu’une pareille classification basée sur la notion d’une analyse struc- …JASPERS base sa classi-
turale des cycles évolutifs (celle qui nous paraît, nous le répétons, la plus originale de son fication sur la notion
d’une analyse structurale
œuvre) le conduise à mettre l’accent (p. 523-524) sur l’opposition entre psychoses aiguës
des cycles évolutifs […]
et psychoses chroniques. Opposition fondée sur le fait que dans les psychoses aiguës il sur l’opposition entre
y a des altérations considérables et intenses du comportement qui constituent de véri- psychoses aiguës et psy-
tables accidents et qui sont généralement curables, tandis que dans les psychoses chro- choses chroniques…
niques les troubles ont un caractère réfléchi, orienté, calme et invariable et ils constituent
une évolution progressive ou représentent des séquelles qui sont, elles, généralement
incurables. Nous aurons à revenir plus loin sur cette opinion à laquelle nous ferons appel
comme à une incontestable autorité pour présenter notre propre conception dont les rap-
ports entre psychoses aiguës et psychoses chroniques constituent la charnière.
Mais une autre tendance s’est développée depuis une cinquantaine d’années dont
le bénéfice est moins évident, c’est celle d’une extension quasi indéfinie du domaine …Autre tendance : une
des névroses considérées comme des « réactions psychogènes ». Tout d’abord notons extension quasi indéfinie
du domaine des névroses
que l’objet privilégié de la psychiatrie a cessé fort heureusement d’être le grand alié-
considérées comme des
né, ce qui a constitué un progrès considérable et décisif, car en effet la psychiatrie ne « réactions psycho-
peut pas être seulement la médecine de 1’« aliénation », et qu’elle doit s’intéresser, gènes »…
dans la pratique comme dans la théorie, à toutes les formes même mineures d’ « alté-
ration » de la vie psychique et de la personnalité. Mais ces formes névrotiques de désé-
quilibre, d’arriération affective, ces personnalités psychopathiques, ces « réactions
inadaptées », ont empoisonné la psychiatrie en suggérant aux esprits peu réfléchis ou
peu observateurs que de telles « altérations », « réactions » ou « névroses » étaient l’ef-
fet de « causes psychiques ». Il est facile, en effet, si on n’y prend garde, de prendre
les effets pour les causes 1. Quoi qu’il en soit, de « fil en aiguille », on a fini par « psy- …Il est facile, en effet, si
chiatriser » tout le comportement humain dans la mesure même où on « psychologi- on n’y prend garde, de
prendre les effets pour les
sait » ou « sociologisait » la Psychiatrie. Dès lors, à lire certains ouvrages de
causes …
Psychanalyse 2 ou de Psychiatrie anglo-saxonne, il semblerait que l’on puisse classer
toutes les formes de « réactions psychopathologiques » à partir de certains « méca-
nismes » psychologiques plus ou moins apparentés aux conflits complexuels de l’éco-
le psychanalytique. Ainsi, de « frustration » en « identification », de « compensation »
en « introjection », de « projection » en « conversion » on finit par donner une classi-
fication des maladies mentales qui en obscurcit tous les contours et en efface toutes les
limites au centre comme à la périphérie des genres et des espèces. Mais ce qui est plus
31
ÉTUDE N° 20
…ce qui est plus grave grave encore, c’est que l’on aboutit ainsi fatalement (pour la bonne raison que le
encore, c’est que l’on concept de psychogénèse est à l’évidence inapplicable à l’ensemble des maladies men-
aboutit ainsi fatalement
tales et à la totalité de chacune d’elle) à une dichotomie classificatrice qui pour être
[…] à une dichotomie
classificatrice qui pour séduisante par sa clarté n’en est pas moins fausse : la division entre névroses psycho-
être séduisante par sa génétiques et psychoses organogénétiques. Cela ne pouvait manquer de frapper les
clarté n’en est pas moins psychiatres qui ne se sont pas laissés gagner, sans prudentes réserves, à l’enthousias-
fausse : la division entre
me que FREUD a justement suscité. C’est ainsi que nous lisions récemment 1 à propos
névroses psychogéné-
tiques et psychoses orga- d’une classification projetée par l’American Psychiatrie Association, projet qui parais-
nogénétiques… sait aux auteurs de l’article séparer trop dangereusement névroses et psychoses, qu’il
faut distinguer deux classes : les troubles causés directement ou indirectement par une
altération du tissu fonctionnel cérébral, les troubles d’origine psychogénétique, mais
que ceux-ci doivent être définis somme toute selon un critère purement négatif en tant
…puis ce sont les qu’ils se produisent « en dehors de toute cause physique clairement définie d’altéra-
« Psychotic disorders »… tion structurale du cerveau » : ce sont les « Psychotic disorders ». Cette « petite modi-
fication » (qui étrangle le concept de « névrose psychogénétique ») comprendrait, tou-
jours selon ces auteurs, les « Réactions involutives, les Réactions affectives, les
Réactions schizophréniques, les Réactions paranoïdes, les troubles psychonévrotiques
…Autant dire que dans et les troubles de la personnalité ». Autant dire que dans cette perspective s’évanouit
cette perspective s’éva- l’autonomie des névroses (définie par la notion même de psychogénèse)... Comment
nouit l’autonomie des
d’ailleurs pourrait-il en être autrement si on prend les névroses pour ce qu’elles sont,
névroses…
c’est-à-dire des formes pathologiques de la personnalité qui ne sont pas radicalement
différentes des formes psychotiques de la personnalité. Les Psychanalystes eux-mêmes
en parlant de la Pathologie, de la faiblesse du Moi dans les névroses, comblent le fossé
que certains d’entre eux avaient voulu creuser. 2
Nous devons poser quelques règles que, nous l’avons vu, J. FALRET et PARCHAPPE
…une classification ne
doit être ni pure énuméra- avaient bien établies.
tion, ni nomenclature, 1° Une « classification » ne doit être ni une pure énumération ni une simple
mais doit être systéma-
nomenclature, indéfiniment ouverte. Elle doit être systématique, c’est-à-dire contenir
tique…
32
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
dans le concept général de « maladie mentale » toutes les espèces qui entrent dans la
compréhension et l’extension de ce concept. Elle doit donc partir d’une définition cor-
recte de la maladie mentale. Elle doit donc être claire et simple à la mesure même de
sa profondeur.
2° La « maladie mentale », comme nous l’avons vu dans notre Étude n° 4, ne peut …la « maladie mentale» ne
peut être définie que comme
être définie que comme une physionomie clinique, une forme typique d’évolution des
une physionomie clinique,
troubles de la vie psychique ayant une structure particulière et conditionnée par un pro- forme typique d'évolution
cessus somatique soit d’arrêt de développement, soit de dissolution de l’édifice psychique. […] conditionnée par un
processus somatique…
3° II y a donc lieu de séparer dans l’histoire naturelle des maladies mentales une
double perspective : celle des types cliniques ou des « typic-reactions » qui définissent …Il y a lieu de séparer les
les psychoses (et les névroses), objets d’une classification des maladies mentales et types cliniques […] des
celle des processus somatiques qui les engendrent, objet d’une classification des pro- processus somatiques…
cessus pathogènes. .
4° La classification des maladies mentales se divise naturellement, comme l’en-
semble de la vie psychique en deux versants : la pathologie du champ de la conscien- …avec deux versants: la
pathologie du champ de la
ce et la pathologie de la personnalité. Le champ de la conscience étant défini par l’ac-
conscience et la pathologie
tivité psychique qui organise l’actualité du vécu présent et la personnalité par la tra- de la personnalité…
jectoire des valeurs existentielles et logiques, permanentes, de l’individu (croyances,
principes rationnels et moraux, idéal de soi, etc.), le Moi en tant que système de déve-
loppement historique et de construction de la Personne.
5° La Pathologie de la conscience est constituée par les niveaux de dissolution ou …la pathologie de la
conscience est constituée
de déstructuration qui décomposent son activité. C’est à chacun de ces niveaux de sa
par des niveaux…
désagrégation que correspondent les « espèces » de psychoses aiguës. Qu’il s’agisse
en effet de crises maniaco-dépressives, de bouffées délirantes et hallucinatoires,
d’états confuso-oniriques, toutes ces psychoses aiguës représentent le spectre de la
décomposition de la conscience : série de niveaux structuraux typiques de cette
déstructuration de la conscience.
6° La Pathologie de la personnalité définit les maladies mentales chroniques soit …la pathologie de la per-
qu’elles contiennent, en l’élargissant dans la perspective de la personnalité, l’actualité sonnalité définit les mala-
dies mentales chroniques…
des troubles de la conscience, soit qu’elles les organisent en mode d’existence durable.
Ces formes de personnalité pathologiques supposent un seuil de réaction abaissé pour
l’éclosion et l’organisation durable des crises ou psychoses aiguës.
1. Toutes les classifications de caractère scientifique qui ont tenté de déduire les anomalies de la
vie psychique d’une conception de l’activité psychique normale sont valables dans la mesure où
l’analyse de la vie de l’esprit est correcte. C’est précisément parce que cette analyse était artifi-
cielle (facultés — fonctions psychiques isolées — concepts psychanalytiques trop vagues, trop
généraux ou trop banaux) qu’elles ont échoué.
33
ÉTUDE N° 20
Pour donner une idée très simple de notre classification nous pouvons donc la
réduire au schéma suivant :
Et c’est tout simplement à l’explication de ce petit schéma 1 que nous allons consa-
crer ce volume de nos Études et le suivant.
Comme nous venons de le voir, dans toutes les « classifications » envisagées, des
rubriques plus ou moins importantes ont été consacrées par les auteurs aux « crises »,
aux états paroxystiques, aux « délires transitoires », c’est-à-dire à ces troubles men-
taux, tous plus ou moins délirants 2, où l’exaltation, l’angoisse, l’agitation, le désordre
des actes et les troubles de la conscience prédominent. Mais si ce problème des psy-
choses aiguës a toujours hanté l’esprit des auteurs, très peu ont tenté de les classer ou
de leur assigner, dans une véritable classification, une place équivalente à celle
qu’elles occupent dans la clinique. La raison en est, croyons-nous, que la Nosographie
1. Nous prions le lecteur de ne point trop hâtivement établir entre les deux séries une concordance
qui est moins « schématique » dans notre esprit que dans notre schéma. Nous entendons montrer
en effet au cours de cet ouvrage (et particulièrement dans le Tome IV) que si la pathologie de la
personnalité, à ses niveaux inférieurs, et sans se confondre avec elle, admet de profondes et
immédiates relations avec la pathologie de la conscience, il n’en est pas de même aux niveaux
supérieurs. Là, les névroses ne soutiennent avec la forme élevée de la déstructuration de la
conscience que des rapports indirects dans la mesure même où l’écart organo-clinique et l’éla-
boration positive des symptômes garantissent l’autonomie de ces formes d’existence à l’égard de
la déstructuration de la conscience.
2. Pratiquement et théoriquement les « psychoses aiguës » sont toutes des psychoses délirantes
aiguës. Sans doute, les états de stupeur, d’impulsivité, de catatonie, etc.. entrent dans ce groupe,
mais ils ne se détachent pas de l’aspect délirant de la conscience. Par exemple, le Rapport de
VALLON intitulé « Les délires transitoires » (Congrès des Aliénistes 1898), rangeait sous ce terme
toutes ces manifestations. Les fameuses Psychoses de la Motilité de WERNICKE n’échappent pas
non plus à la modalité délirante de la conscience altérée de ces malades...
34
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
classique s’est orientée surtout vers la constitution d’entités définies soit par la chro-
nicité, soit par la périodicité (qui est encore une forme de la chronicité), soit par l’étio-
logie 1. De telle sorte que les psychoses aiguës représentent alors un « reste » atypique …les psychoses aiguës
et comme une « déviation dégénérative » de la vie psychique assez « polymorphe » représentaient alors un
« reste » atypique et
pour décourager les classifications et n’y figurer que « pour mémoire ».
comme une « déviation
Si nous voulons bien comprendre l’évolution de cette notion de « psychose aiguë », dégénérative » de la vie
il nous reste précisément à parcourir le chemin historique et le cheminement logique de psychique assez « poly-
sa définition, à l’égard des formes chroniques continues, des formes périodiques, des morphe » pour découra-
ger les classifications…
formes aiguës symptomatiques et enfin à l’égard des psychoses dégénératives 2.
1. Nous nous sommes toujours étonnés que la Psychiatrie classique ne dispose pour ainsi dire que
d’étiquettes de chronicité alors que la pathologie mentale se présente si fréquemment sous forme
de « crises ».
2. On trouvera l’historique de cette question soit dans certains travaux déjà anciens comme ceux
de SEGLAS (14ème leçon, 1894), de TRENEL (Ann. Médico-Psycho., 1910, 11, p. 446), ou de
HALBERSTADT {Ann. Médico-Psycho., 1922, H, p. 100), soit dans l’excellente thèse de P. PETIT,
« Les Délires de persécution curables », Thèse Paris, 1937, p. 3 à 38. — Le livre de E.
STROMGREN (Episodikes Psychoser, Copenhague 1940), est presque entièrement centré sur le pro-
blème historique et contient une bibliographie très complète, mais malheureusement pour nous,
il est écrit en danois.
3. Cf. sur ce point le fameux travail de THOMSEN. Arch. f. Psych., 1909, 45, 3, p. 803, et les com-
mentaires de TRENEL dans l’article cité plus haut.
35
ÉTUDE N° 20
Verrücktheit » caractérisée par un début rapide des idées délirantes et de grandeur, des
hallucinations auditives et un certain degré de confusion ou d’excitation. Mais malgré
l’adhésion de quelques-uns le scandale que représentait le concept d’une paranoïa
aiguë en contradiction avec l’idée que l’on se faisait justement de la paranoïa en tant
qu’affection chronique, fut écarté. Dès lors prévalut dans les pays de langue alleman-
…KRAFFT-EBING opposa de l’opinion de KRAFFT-EBING qui, « faisant la part du feu », opposa une forme, 1’« hal-
[…] la paranoïa, elle, luzinatorische Wahnsinn » (confusion hallucinatoire) à la véritable « Verrücktheit » de
reconnue comme authen-
la paranoïa, elle, reconnue comme authentiquement chronique en spécifiant que jamais
tiquement chronique en
spécifiant que jamais l’« halluzinatorische Wahnsinn » ne passait à la « Verrücktheit » 1. Mais avec
l’«halluzinatorische KRAEPELIN (qui devait s’opposer à la conception de WESTPHAL, deux fois, tout d’abord
Wahnsinn » (confusion en tant qu’il définissait la paranoïa comme maladie mentale chronique et ensuite en
hallucinatoire) ne passait
tant qu’il la définissait comme une maladie mentale sans hallucinations) la réaction fut
à la « Verrücktheit »…
…KRAEPELIN dressa un encore plus nette et ce fut un véritable barrage que le Maître de l’École de Munich
véritable barrage contre dressa contre le « concept bâtard » de paranoïa aiguë. Pourtant on n’en avait pas fini
le « concept bâtard » de de discuter de ce problème. Fallait-il placer la « paranoïa aiguë » ou plutôt les « délires
paranoïa aiguë…
hallucinatoires aigus » dans les états confusionnels (« amentia ») ou dans le groupe
maniaco-dépressif – les détacher radicalement de la paranoïa ou accepter que la para-
…les notions de « réac- noïa puisse se constituer sur la base de ces états aigus ? WILLIGE 2, KRUEGER 3 ont
tions paranoïdes », continué la discussion en recherchant des solutions éclectiques et, en définitive, la des-
d’« expériences déli-
cription de formes atténuées (FRIEDMANN 4) OU abortives (GAUPP 5) de paranoïa, de
rantes aiguës », d’« états
hallucinatoires » ou de délires de persécution curables a cependant jeté un pont entre ce que la grande école
6
dépersonnalisation, classique considérait comme deux « entités » pures et sans mélange possible 7.
d’« états oniroïdes », etc. Au cours de ces dernières années les notions de « réactions paranoïdes », d’« expé-
ont posé à nouveau le
riences délirantes aiguës », d’« états hallucinatoires » ou de dépersonnalisation,
même problème mais
cette fois à propos de la d’« états oniroïdes », etc. ont posé à nouveau le même problème mais cette fois à pro-
Schizophrénie… pos de la Schizophrénie. Il est arrivé en effet que pendant que l’on discutait sur les rap-
1. Nous retrouverons plus loin la même irréductible opposition chez MAGNAN entre le « délire
chronique de persécution » et les « délires épisodiques des dégénérés ». Disons encore que
SEGLAS adopta une opinion à peu près voisine de celle de KRAFFT-EBING.
2. WILLIGE, Acute paranoïsche Erkrankungen, Arch.f. Psych., 1914, 54, p. 121.
3. KRUEGER, Die Paranoïa, Berlin 1917.
4. FRIEDMANN, Beitrage zur Lehre von der Paranoïa, über milde Paranoïaformen, Monatschr. f.
Psych., 1905, 17, 456-532.
5. GAUPP, Ueber paranoïschen Veranlagung und abortive Paranoïa, All. Zeitsch. Psych., 1910, p.
317.
6. Formes étudiées chez nous par GUIRAUD et son élève Mlle P. PETIT (loc. cit., p. 35) et surtout
par LACAN dans son travail fondamental : La Paranoïa dans ses rapports avec la personnalité
(Thèse, Paris 1932). [NdE : De la Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnali-
té; Réédition : Paris : Le Champ freudien, Le Seuil, 1971].
7. HALBERSTADT écrit à ce sujet et comme un axiome : « Une Psychose ne se transforme jamais
en une autre Psychose ». Ann. Médico-Psycho., 1922, 11, p. 115.
36
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Ces troubles aigus, hallucinatoires et délirants qui existent mais que l’on a tant de …Ces troubles aigus, hal-
mal à classer, n’entreraient-ils pas, purement et simplement, dans « la psychose lucinatoires et délirants
qui existent mais que l’on
maniaco-dépressive »? Rappelons-nous en effet, que l’on a eu beaucoup de peine à
a tant de mal à classer,
les dégager des crises de manie et de mélancolie (J. P. FALRET, GRIESINGER, n’entreraient-ils pas,
BAILLARGER) et on sait bien que la manie comme la mélancolie ont des formes cli- purement et simplement,
niques « atypiques » où les hallucinations, les délires de persécution ou d’influence, dans « la psychose
maniaco-dépressive »? …
la confusion, etc.. occupent parfois le premier plan du tableau clinique. La paranoïa
aiguë ne pouvant entrer, selon KRAEPELIN, dans le cadre de la psychose paranoïaque
chronique en vertu de ce principe que l’eau et le feu s’excluent, on s’est tout naturel-
lement demandé si elle ne constituait pas une forme de la « folie périodique ». C’est, …c'est, en partie, la thèse
au moins en partie, la thèse de KLEIST l. Mais là encore la pureté de la psychose de KLEIST (1911)…
1. KLEIST, Die Streitfrage der akuten Paranoïa. Zeitsch. f. d.g. Neuro., 1911, 5, p. 306.
37
ÉTUDE N° 20
38
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
Il est bien évident que lorsque l’on a construit une nosographie d’entités « claires
et distinctes », fussent-elles artificielles, quand on a distribué l’ensemble des maladies
mentales en quelques maladies autonomes comme « la psychose maniaco-dépressi-
ve », la « confusion mentale », la « schizophrénie », « l’épilepsie », « la paranoïa »,
1. Ceci bien entendu pour bien préciser que la confusion est le prototype même d’une « maladie
mentale » et qu’à ce titre elle dépend naturellement d’un des processus étiologiques organiques
dont la classification constitue une table de catégories distincte de l’ordre de classification des
psychoses.
39
ÉTUDE N° 20
40
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
41
ÉTUDE N° 20
ciens ont toujours eu en vue, sous le nom de psychoses dégénératives, des états aigus
ou subaigus, variables, polymorphes, défiant toute description précise et nous verrons
que c’est cette difficulté que nous aurons à surmonter dans toutes nos descriptions des
formes aiguës de la déstructuration de la conscience qui vont faire l’objet de nos pro-
chaines Études. Mais si les psychiatres de langue allemande se sont intéressés, depuis
le déclin de l’école de MAGNAN en France, toujours davantage à ces psychoses « aty-
piques » mixtes et désordonnées et de pronostic favorable malgré leur caractère réci-
divant presque constant, en tentant de les isoler soit des évolutions schizophréniques
(malgré BLEULER) ou des évolutions maniaco-dépressives (malgré l’opinion de
BUMKE), il appartenait à KLEIST et à ses élèves d’en faire une étude approfondie en les
rapprochant comme « Psychoses marginales » (Randspsychosen) des grandes entités.
…Les travaux de Kleist… En 1912 1, KLEIST tenta d’isoler, précisément dans le cadre de la psychose mania-
co-dépressive, des cas qui lui paraissaient entrer dans ce que WERNICKE appelait les
« psychoses de la motilité » avec excitation hallucinatoire, etc. (cas désignés par
SCHRÖDER comme « Hallucinose périodique » – par EWALD comme états paranoïdes
périodiques – par BOSTROEM comme « Autopsychoses » expansives ou dépressives,
selon la terminologie de WERNICKE) et il proposa d’appeler ces symptômes aigus des
« psychoses dégénératives autochtones » affirmant encore une fois par là sa fidélité à
WERNICKE.
En 1921 2, il les sépara nettement de la psychose maniaco-dépressive et les consi-
déra comme vraiment « autochtones » – ou si l’on veut « autonomes » – par rapport
aux trois grandes psychoses endogènes (Épilepsie, Psychose maniaco-dépressive,
Paranoïa). Depuis lors dans ses travaux 3 il n’a cessé de présenter ce groupe des psy-
choses aiguës, « à forme d’états crépusculaires de la conscience », avec confusion, stu-
peur, hyperkinésies, etc., comme apparenté à la Psychose cyclothymique, à l’Epilepsie
et à la Paranoïa, sans cesser de se référer à la conception de WERNICKE et aux idées
défendues par KRETSCHMER, GAUPP, HOFFMANN sur les psychoses atypiques ou mixtes.
Mettant enfin l’accent sur le fait que toutes les psychoses typiques ou atypiques sont
des dégénérations ou des dégénérescences du système nerveux (et c’est un des côtés
les plus obscurs de sa conception) il admet que certaines formes atypiques marginales
gravitant autour des grands processus typiques constituent précisément la majeure part
des psychoses d’allure aiguë qu’il propose d’appeler psychoses dégénératives aty-
piques. Dans ces psychoses les facteurs exogènes jouent un rôle important mais étroi-
tement intriqué à des facteurs endogènes et les syndromes moteurs s’associent aux
troubles de la conscience pour constituer des tableaux cliniques brefs, violents et inter-
mittents. C’est ainsi que gravitent autour, « en marge », de la psychose maniaco-
dépressive, les psychoses cycloïdes groupant des états confusionnels, des psychoses de
42
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
43
ÉTUDE N° 20
Telle a été l’évolution des idées en Allemagne 1. Comme on le voit, l’idée de créer
un groupe nosographique distinct est la même chez KLEIST et chez MAGNAN mais le
contenu n’est pas tout à fait le même. Alors que l’École française s’était appliquée à
décrire des « bouffées délirantes », l’École allemande a fini par donner forme d’entité
nosographique aux « états crépusculaires épisodiques ».
*
* *
Pour bien saisir, à travers leur byzantinisme, le sens de tous ces travaux, nous
devons revenir en arrière. Le problème qui nous occupe est celui de la place des psy-
choses aiguës dans une classification. Or ce serait revenir au temps révolu de la « sys-
tématique » psychiatrique que de tenter de faire un groupe des psychoses aiguës ou de
constituer certaines formes d’entre elles en maladie particulière. Sous cet aspect nous
pouvons considérer la tentative de MAGNAN et celle de KLEIST comme un double
échec.
…les travaux de MAGNAN Par contre, ces études soulignent un certain nombre de faits importants : l’impor-
et de KLEIST sur les psy- tance considérable du point de vue de la fréquence clinique des formes aiguës plus ou
choses aiguës ont le méri- moins « délirantes » (et plutôt plus que moins), l’importance de ces « états aigus » pour
te de montrer: l'importan-
l’évolution et l’organisation des Psychoses chroniques, l’importance de leurs formes
ce de leur fréquence, leur
importance pour l'organi- atypiques à l’égard des formes « typiques » maniaco-dépressives ou épileptiques, l’im-
sation des psychoses portance de l’intrication constante des facteurs endogènes et exogènes, l’importance
chroniques, l'importance de leur polymorphisme enfin, en tant qu’elles se présentent comme des « éclosions »
de leur polymorphisme…
plus ou moins fugaces et chaotiques de troubles dont le tableau clinique est souvent
variable.
L’important est ce que tous les cliniciens ont pressenti, en étant gênés pour l’ex-
…[Il y a donc] unité de ce primer par la rigidité de leurs cadres nosographiques artificiels : l’unité de ce groupe.
groupe…
Mais il s’agit non pas d’une unité-entité, mais de l’unité même de la pathologie de la
déstructuration de la conscience.
Quant à leur diversité si longuement discutée, et disputée, elle est l’expression
…et diversité d'expres- même des différents niveaux de dissolution de la conscience, c’est-à-dire des formes
sion de ses formes…
structurales typiques, des paliers auxquels la conscience régresse depuis la pensée
réfléchie jusqu’au chaos du rêve.
A cet égard – perspective masquée par la « manie » des psychiatres d’isoler des
1. A l’étranger, sauf en Allemagne, ce problème n’a guère été étudié profondément ou discuté.
Signalons cependant l’article de VERMEYLEN (J. de Neuro belge, 1926) et en Italie celui de E.
MARTINI {Rassegna di Studi Psichiatrici, 1937). Quant au livre d’E. STRÖMGREN, Episodiske
Psyckoser (loc. cit., p. 35), autant que nous avons pu deviner ce qu’il contient, il nous paraît se
rapprocher de la conception de KLEIST et surtout de son esprit systématique d’analyse (le tableau
qui le termine est assez démonstratif).[NdE : Des travaux de E. STRÖMGEN ont été .../...
44
CLASSIFICATION DES MALADIES MENTALES
45
Étude n° 21
20. La classification des M. mentales.
21. Manie.
22. Mélancolie.
23. Bouffées délirantes.
MANIE
24. Confusion.
25. Psychoses périodiques
maniaco-dépressives.
26. Epilepsie.
27. Structure et destructuration
de la conscience.
Le tableau clinique de la manie est tellement « simple » que c’est celui que l’on
apprend le premier aux débutants. Nous verrons pourtant qu’il est plus complexe qu’il
ne le paraît, ce qui explique le développement historique, les problèmes psychopatho-
logiques, nosographiques ou pathogéniques dont il fait encore l’objet. Pour bien saisir
la structure de l’état maniaque et avant d’en étudier la pathologie, rapportons-nous
d’abord à un cas « typique ».
Il s’agit d’une malade, Cécile, 31 ans, sténotypiste dont l’infirmité (cypho-scolio- …Un cas typique…
se dorsale) n’a pas empêché qu’elle exerce parfaitement son métier. La crise de manie
a éclaté après un voyage à Paris et c’est un de ses amis, instituteur, qui a noté méticu-
leusement toutes les péripéties de ses troubles et de ses propos pendant les trois jour-
nées qui ont précédé son hospitalisation. Cette description aura donc pour nous les
mérites de l’objectivité et de la naïveté :
« Pendant le repas, tout à coup, dans la philosophie de la fumée d’une cigarette,
Cécile s’écrie : « Il se marie cet imbécile... Le docteur J. a refoulé sur moi. Alors j’ai
tout pris et maintenant on est fort tous les deux. Personne ne peut rien contre nous...
La science est en progrès. Il y a les faibles. Je les ai tous fait rire hier à Paris, les faibles
parce que jusque-là, moi aussi j’étais faible... de Gaulle... le député J. Ah ! quelle
vache... la sténotypie... c’est une chipie... Nous ne pourrons pas téléphoner... pas de
fils... »
Suivent des propos grossiers au cours desquels reviennent fréquemment les images
suivantes : pompe aspirante et foulante – gonflée – circuit à l’endroit à l’envers – ralen-
tir (plusieurs dizaines de fois dans la journée elle a parlé de ralentir des trains, des gens,
des pensées). Elle a fait des algarades à sa propriétaire et dit à son propos, faisant allu-
sion à une scène récente : « le cul sous le porte-parapluie, qu’elle y reste, je n’y suis pas
retournée ». Les souvenirs d’enfance, les scènes passées reviennent constamment très
nettement. Le mot « réagir », réaction revient constamment dans les propos : « Papa a
réagi après l’incendie... le docteur J. avait pris le mauvais circuit, il a réagi. Ma cousi-
ne n’a eu qu’une seule réaction. » Elle parle également d’histoires de vomissements.
« La propriétaire a vomi toute la nuit... J’ai des vomissements intérieurs. » Des invec-
tives contre les hommes politiques et les curés sont proférées à plusieurs reprises. Elle
parle aussi constamment de folie (père fou, cousine folle, employé de chemin de fer
fou), elle fait des jeux de mots sur son nom. Des cloches se mettent à sonner, elle dit :
47
ÉTUDE N° 21
« Moi, je les entends comme elles sont, mais pas mal les entendent fêlées. »
Brusquement, elle veut aller chercher un tableau dont elle avait parlé avec son ami
(l’instituteur) il y a 2 ans. Elle veut vendre ce tableau, elle se montre très gaie avec pro-
pos assez cohérents puis elle « déraille » en répétant à plusieurs reprises : « retomber
sur terre, se flanquer par terre, etc. ». Elle tient alors les propos suivants : « J’ai la pen-
sée claire, je ris fort mais on ne m’entend pas. Les bruits de Paris rendent fou ». Puis
faisant allusion à un incident qui s’est passé la veille à son départ de Paris, incident
montrant l’état d’exaltation qui commençait à se manifester : « J’avais oublié mon billet
de métro perforé de deux trous ». L’employé protestait, je lui ai répondu : « Pourquoi
n’aurait-il pas deux trous, vous en avez bien deux, vous ? L’autre jour, chez les cousins,
ils ont pris la température du gosse, mais personne n’y voyait rien (silence assez pro-
longé) 14 juillet... Berlioz... Damnation de Faust, vous viendrez. (Les cloches com-
mencent à sonner). Ils ne veulent pas arrêter les cloches. Ils commencent à avoir la
…Hou ! on ne dormira trouille. Ce soir, tout le monde dehors à minuit... Hou ! on ne dormira pas, on rigolera.
pas, on rigolera. Ah ! il Ah ! il fallait voir la tête des gens dans le métro... À la gare de Lyon. Hou ! Hou ! le
fallait voir la tête des lion va sortir... Ils étaient tous fous... Ralentir, ralentir, moi je ne vais pas vite... J’ai
gens dans le métro... À la donné 200 francs au chauffeur... Ils m’ont regardé tous à l’envers... J’ai engueulé tous
gare de Lyon. Hou ! Hou! les autres... Mes élèves se fichent d’être collés... Réaction...Le soleil a chauffé...
le lion va sortir... Ils Anatole France. Orphée... Où as-tu mis les pieds en mettant ta philosophie dans les
étaient tous fous... mains du clergé... Tu as raison, Anatole, tu as raison, Anatole... Un avion appelé
Ralentir, ralentir, moi je Cléopâtre... Picasso n’est pas fou... Œil sur la figure ou le ventre, certains l’ont derriè-
ne vais pas vite... re... Je ne veux pas voir maman tout de suite, je n’ai pas la force de la voir à plat. »
Après une période d’assoupissement, elle s’éveille en riant : « Un nez de gosse, écor-
ché à force de le moucher. Il n’avait pas le nez sale... Versailles, Ah ! les vaches... »
Elle se rendort, sa respiration est irrégulière et saccadée. Elle se réveille à nouveau
en riant : « C’est très long, frotter le parquet... Je voudrais voir la tête du député... La
girafe du Zoo court au ralenti... Cette histoire de miroitier. On a rigolé tous les deux.
Sa femme était par terre, mais on a ri... Il avait déjà suivi le mouvement... La cousine
au marché donnait de gros billets. Elle s’en voyait rendre plus. Alors elle a eu une réac-
tion... Ils ont acheté des petits biberons avec des bonbons pour les enfants... J’ai ri, je
n’ai pas pleuré. Et puis, il faisait une tête d’enterrement (la pendule sonne) c’est la
demie ? De quoi ? je ne perds pas les pédales... Ma cousine, hier matin, n’a pas voulu
me donner à manger. »
Sa sœur entre alors, pour la visiter. Elle l’accueille par des paroles décousues, parle
de prendre des forces pour le 14 juillet : « Papa rit toujours... toujours d’accord... anni-
versaire de Michel (son neveu) caleçon parce que bon garçon ; chaussette, parce que
esprit net... Les Américains... Il a compris, perpétuel recommencement... Papa se repo-
sera jusqu’à 15... les enfants jusqu’à 30 ans... On reculera, mais on est sur la voie... on
ira à la radio s’amuser... Je vous donnerai une chaire à la Sorbonne... Vous serez plus
fort qu’eux... Ils perdent les pédales... Les taxis ont ralenti... Nicole (petite cousine) a
mal à la tête, parce qu’elle monte en tête... ils ont pissé dans leur culotte. » Elle reçoit
alors encore une visite au cours de laquelle, elle paraît tranquille, et contente. Quand
la personne qui la visitait, est sortie, elle reprend ses propos décousus : « Elle est dans
son bon sens (en parlant de la visiteuse)... Circuit... Auguste... Pan!... Je me suis bagar-
rée avec la théologie et la bible... Vous en avez du boulot, vous, il faut que vous réfor-
miez tout le vocabulaire... Duhamel avait vu clair. J’ai noté... Plaisirs et des jeux...
Scènes de la vie future... Chronique des Pasquier... »
Elle donne alors des signes de fatigue, s’endort : Elle se réveille 20 minutes après :
« J’use, j’use... 14 juillet... Prise de la Bastille par les filles... Pan ! Pan !...
48
MANIE
Si je vais à Paris je m’habille en homme. Ils en font une tête. Vous viendrez avec
moi et le Dr. J. On rigolera tous les trois. On amènera Mme J... Le 14 juillet, le bou-
langer, on l’aura facilement ; le boucher aussi. On décorera avec un grand zéro...
Tables disposées pour le banquet de l’église au calvaire devant la porte de papa... Vous
avez vu le coup de soleil de papa : s’il a repris des forces. Ah ! on ira à Rome... Papa
l’a dit... Papa ! il respire et il aspire... Alors ça va... Il nous donnera des idées quand il
sera bien reposé... On finira par travailler un jour par an. »
On décide alors de la transporter chez ses parents en voiture. En passant devant la
porte de son domicile, elle s’écrie : « C’est vous qui avez mis une pancarte sur la
porte ? Qu’est-ce que vous avez écrit ?... Fermé pour cause de décès ? (Elle rit). » Un
peu plus tard dans l’auto : « Vous voyez cette plaine ? Demain il n’y aura plus rien. Ils
vont en avoir un boulot les gens, tous ceux qui n’ont pas de travail, à faire disparaître
tout cela. (La voiture ralentit). Oh ! ce qu’on va vite, dit-elle. Regardez donc les gens
dans la rue. Qu’est-ce qu’ils ont donc à cligner des yeux comme ça ? » Arrivée chez
ses parents elle est heureuse de voir sa mère, va se coucher tout de suite, dit adieu à
l’instituteur, en parlant « d’éternel recommencement ». Elle dit ensuite à sa sœur : « je
m’allonge, je grandis, mon dos se redresse, je vais pouvoir trouver un mari ». »
Cette « petite bossue » intelligente, fine et à certains égards brillante, sous l’in-
fluence des chocs, guérit rapidement. Son état d’exaltation, la jonglerie de mots, des
gestes et d’attitudes, sa projection dans l’ambiance, sa ruée vers la vie, l’espoir, le
tumulte de son existence, sa logorrhée, sa fuite des idées, tous ces traits du tableau cli-
nique qui constituent la trame la plus authentique de sa « manie » ont rapidement dis-
paru avec le traitement. Et alors, un peu honteuse et triste au souvenir de ses extrava-
gances, elle est revenue chez elle reprendre son métier.
Quinze jours après, elle a rechuté à l’occasion de la mort de sa sœur (manie de …Quinze jours après, elle
deuil, caractérisée par la méconnaissance de la mort de sa sœur : elle est, dit-elle, mala- a rechuté à l’occasion de
de, mais va venir la voir). Au milieu de ses facéties et espiègleries, de sa jovialité, la mort de sa sœur (manie
quelques sanglots et des idées de culpabilité se mêlent à son euphorie et la teintent de deuil)…
d’angoisse. Ou plus exactement elle passe de l’état de joie à l’angoisse. Le traitement
guérit en quelques jours cette nouvelle crise. Elle se rappelle et admet le décès de sa
sœur, mais ne se souvient pas avoir oublié ou méconnu sa mort. Elle reprit à nouveau
son existence normale.
Huit jours après, elle a fait encore une nouvelle rechute, cette fois « état mixte » à …une nouvelle rechute,
forte composante mélancolique avec auto-accusation, conscience douloureuse de la cette fois « état mixte » à
maladie, fuite des idées, surexcitation, irritabilité, pleurs, théâtralisme et grandilo- forte composante mélan-
quence. Ce nouvel accès a été guéri rapidement et depuis trois ans la rémission est colique…
excellente, elle a repris son état professionnel.
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ÉTUDE N° 21
A.– HISTORIQUE
Le terme de « manie » a servi en Grèce pour désigner la folie, et c’est peut-être
parce que le « maniaque » offre l’image la plus pittoresque du « fou » que l’usage du
mot qui le désignait s’est concentré sur cet aspect particulier et si caractéristique des
« débordements de l’esprit ».
Au cours de l’histoire de la Psychiatrie, la notion de manie s’est appliquée
d’abord aux formes agitées et au « trouble général » des facultés et elle est devenue
un moment synonyme de « délire général » avec Félix PLATTER, ZACCHIAS, D.
SENNERT, Th. WILLIS, B. DE SAUVAGES, etc. C’est ainsi que la manie est explicitement
désignée par Félix PLATTER comme un trouble global de l’intelligence. A vrai dire,
malgré tous les travaux des médecins, depuis ARETEE jusqu’à la fin du XVIIIe siècle,
l’histoire de la manie restait encore pleine d’équivoque et d’obscurité, lorsque parut
le traité de PINEL 1. Avec lui d’ailleurs la notion demeure encore bien imprécise puis-
qu’il écrivait : « la manie est provoquée au moral comme au physique par une vive
excitation nerveuse, par la lésion d’une ou plusieurs fonctions de l’entendement avec
des émotions gaies ou tristes, extravagantes ou furieuses 2 ». ESQUIROL serra de plus
près le sens du terme « manie » sans toutefois le préciser complètement : « la manie
est une affection cérébrale chronique, ordinairement sans fièvre, caractérisée par la
perturbation et l’exaltation de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté 3 ». On
…au début du XIXe siècle voit combien au début du XIXe siècle encore les plus grands psychiatres employaient
encore les plus grands un terme qui nous est devenu familier dans un sens plus vague et plus général que
psychiatres employaient
celui sur lequel l’accord s’est fait. On comprend que LINAS pouvait exprimer quelque
le terme de manie […]
dans un sens plus vague découragement à définir la manie en déclarant « qu’il n’est pas plus facile de définir
et plus général… la manie que la folie ». Ceci, en tout cas, explique pourquoi nous avons hérité de la
psychiatrie du XIXe siècle tant d’expressions où le terme de manie désigne les états
les plus divers : « monomanies » – « manie incendiaire » – « manie puerpérale » –
1. PINEL, Traité Médico-Philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie.An IX, 1802. [NdE : réf.
complète Etude N°1 p. 14, note 2], 1802. – Consulter sur la conception de PINEL et des aliénistes du
début du XIXe siècle, l’excellent article de LINAS, Manie, dans le Dictionnaire Dechambre (1876).
2. PINEL, Traité de la Manie. Ch. IX, p. 160. [op. cit. note 1].
3. ESQUIROL, Maladies mentales, p. 132.
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MANIE
I. Mode de début.
Il est généralement brusque 3 et le malade entre rapidement et d’emblée dans une …Début brusque : le
phase d’agitation considérable : il chante, devient turbulent, coléreux, érotique, fait du malade entre rapidement
dans une phase d’agita-
scandale, du tapage et des dégâts. Parfois cependant, le début est précédé d’une phase
tion considérable…
1. Cf. l’historique général (Étude n° 20) et l’historique de la Psychose périodique (Étude n° 25).
2. GRIESINGER, Die Pathologie und Thérapie des psychischen Krankheiten, 1845. Traduction
française, 1865.
3. Parfois la manie se produit comme une « réaction » à un événement et ceci a conduit beaucoup
d’auteurs à étudier et discuter le problème des « manies réactionnelles » dont le facteur de préci-
pitation est émotionnel ou « situationnel ». BUMKE (Zentralblatt f. Nervenheilkunde 1909) et K.
SCHNEIDER (Monatsch. f. Psych., 1919, 46, 76) ont signalé que la manie est alors en étroite liaison
avec la psychologie normale du « choc émotionnel », et ils insistaient dans ce cas sur la courte
durée des accès. Depuis lors, beaucoup de cas ont été publiés. ROBIN et CENAC (Ann. Médico-
Psych., 1927), ROBIN, CENAC, DURAND-SALADIN (Ann. Médico-Psych., 1926). par exemple, ont
rapporté des cas de manie d’origine émotionnelle. En 1938, LAGACHE a publié un article sur le
« Deuil maniaque » (Semaine des Hôpitaux. janv. 1938) et à la même séance de la S. M. P. (28 fév.
1938) EY et Mme BONNAFOUS SÉRIEUX d’une part et X. ABÉLY et LECONTE d’autre part, ont étudié
les relations de la manie avec les émotions tristes et spécialement de veuvage. Dans l’observation
que nous avons placée au début de cette étude, le 2me accès (état mixte) s’est produit après le décès
de la sœur de la malade et en réaction contre l’événement. Ces observations de crises de manie
survenant après des chocs émotionnels sont naturellement innombrables et la clinique nous en
offre des exemples tous les jours (crises survenant après un accident ou une déception…/…
51
ÉTUDE N° 21
…/… ou, comme nous venons de le rappeler, un deuil, c’est-à-dire après une émotion triste et
déprimante (« griefmania »), crises survenant au contraire après un succès, une joie, etc... Il y a
quelques années, J. DELAY (Ann. Médico-Psych., 1943, p. 462) a publié l’observation d’un offi-
cier à caractère sensitif de KRETSCHMER qui fit une crise de manie dans ces conditions. Outre les
travaux que nous venons de citer, il faut mentionner spécialement le travail de HARROWES (The
Reaktiv Maniac Episod, J. of Mental Science, 1931) et les travaux danois de WIMMER
(Centenaire saint Hans Hospital. Copenhague 1916), de FAERGEMAN (Thèse de Copenhague
1945, (p. 425) et de Vagn ZAHLE (Acta psychiatrica, 1951).
1. JANET, La force et la faiblesse psychologiques, p. 215.
2. MEURIOT, Ann. Méd.-Psych. 1944, t.1, p. 288.
3. PETIT, (G.). Ann. Méd.-Psych. 1933.
4. MICHAUX, GALLOT, CIRILLI et MARIBAS, Ann. Médico-Psych., 1948, t. II, p. 634.
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MANIE
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ÉTUDE N° 21
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MANIE
1. M. LORENZ, Language Behaviour in manic patients. Archiv. of Neuro. and Psychiatry, 1953,
14-26.
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ÉTUDE N° 21
et transperce. Naturellement, cette activité ludique rappelle les jeux des enfants et il
n’est pas rare d’ailleurs de voir les maniaques jouer « comme un enfant », prendre un
langage puéril : les femmes jouer à la poupée, les hommes commander des soldats
imaginaires, ou mimer des scènes pittoresques d’images d’Épinal. Mais c’est davanta-
ge encore au jeu du mauvais théâtre que ressemble le jeu maniaque avec ses déclama-
tions forcées et sans naturel, ses attitudes grotesques et son éloquence essoufflée : la
voix qui s’enfle pour tenir le ton d’un héros, d’un saint, d’un orateur, ou d’un prophè-
te, défaille et manque son but et malgré son tapage, il est bien exceptionnel que pour
tant qu’il « remplisse » son rôle, le maniaque le tienne avec talent. Son jeu est lui-
même un simulacre, un jeu de jeu et un rôle sans consistance qui ne cesse de varier
comme si chaque mot, chaque image, chaque attitude en entrant dans le jeu, en modi-
fiait le cours, car, comme le disait SCHULE, « rien n’est durable dans la manie que sa
transformation perpétuelle ».
1. Exactement (BINSWANGER le souligne) comme cette déception qui saisit, quand il se réveille,
le rêveur qui s’était trop illusionné sur la qualité de ses découvertes ou de la profondeur de ses
idées.
2. MAGNAN, Maladies Mentales, op.cit, p. 387.
56
MANIE
re rappelle à l’esprit une foule de faits qui semblaient oubliés ; des souvenirs très loin-
tains, incapables d’être évoqués en temps normal, sont rafraîchis sans difficulté ;
l’imagination acquiert une telle activité que les malades paraissent plus intelligents.
Les pensées sont enchaînées naturellement, logiquement, bien qu’énoncées avec une
exaltation et une volonté maladives. »
Comme on le voit, le grand clinicien français, tout en estimant à sa juste valeur, c’est-
à-dire, somme toute, en lui attribuant une assez faible qualité, l’activité intellectuelle du
maniaque, lui reconnaît toutefois, en vertu des concepts atomistiques de l’époque, des
compensations dans la richesse de sa mémoire et de ses associations. C’est que, du temps
de la psychologie associationniste, on pensait pouvoir étudier séparément certaines fonc-
tions : orientation, attention, mémoire, associations, etc... Revenons un peu sur ces ana-
lyses de style ancien, ne fût-ce que pour en montrer l’insuffisance.
L’orientation est certes relativement correcte, mais à condition que le malade
veuille bien s’adapter à la question, entrer dans le jeu.
L’autocritique est, dit-on, assez bien conservée et le malade a, en effet, générale-
ment conscience de sa maladie, d’être dans un état anormal. Il en plaisante ou s’en
émeut parfois, mais il faut bien dire, qu’entraîné par son tourbillon, il perd pied le plus
souvent et ne réfléchit pas.
L’inattention est, sans doute, un trait remarquable de ce syndrome psychique …L’inattention est, sans
doute, un trait remar-
puisque le malade va d’une idée à l’autre sans, pouvoir se fixer sur aucune, et sans être
quable […] le malade va
capable de s’engager dans un effort mental soutenu. Cette mobilité, c’est-à-dire cette d’une idée à l’autre sans
impuissance de l’attention, cette « aprosexie » a fait naturellement l’objet de beaucoup pouvoir se fixer sur aucu-
de travaux du temps de l’école de WUNDT 1. LIEPMANN 2 avait conduit à cette époque ne…
1. Des Psychologische Arbeiten, publiés par KRAEPELIN entre 1905 et 1910, portent la trace de cet
intérêt des recherches de psychologie dite expérimentale.
2. LIEPMANN, Psychologische Untersuchungen in Manisch-depressiven, Monatschr. J. Psych.,
1907 22, 530.
3. KULPE, Psychologie und Medizin, 1912.
4. LANGE p. 96. Nous citons son opinion parmi cent autres parce qu’il est, en cette matière, le plus
récent « classique ».
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ÉTUDE N° 21
avait constaté également par des tests que l’ensemble des opérations associatives est
médiocre chez les maniaques comme chez les déprimés. D’ailleurs, ces troubles asso-
ciatifs sont toujours des troubles de la synthèse psychique qui est « relâchée » dans la
manie, exactement comme dans les expériences avec la caféine de ALLERS et FREUND 6
ou dans les états de dénutrition, de fatigue, d’intoxication alcoolique. C’est pourquoi
…il s’agit d’un trouble
général de la pensée ASCHAFFENBUCH 7 a mis en garde contre les interprétations trop atomistes de la patho-
conceptuelle… logie des associations en mettant en évidence qu’il s’agit d’un trouble général de la
(ASCHAFFENBUCH, 1904) pensée conceptuelle.
Ces études sur l’activité associative ont été rajeunies et reprises par
M ARTIN 8 (à l’aide de la méthode de G ARDNER M URPHY ) par W ELCH , D IETHELM
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MANIE
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MANIE
nalité de l’optimisme vécu comme une véritable danse avec le réel. Cette « danse » va …optimisme vécu comme
justement prendre tout son sens si nous étudions maintenant l’intentionnalité de la une véritable danse avec
le réel…
conscience maniaque.
61
ÉTUDE N° 21
de cette « saturnale » trouvent un écho dans nos propres émotions de joie et d’élation,
dans nos tendances à l’optimisme ou à la satisfaction de nos pulsions, pour tant qu’elles
sont en effet des émotions fortes, la structure même de cette vie déréglée et « endia-
blée » porte en elle une telle signification de désordre, un tel besoin d’insurrection, que
nous ne pouvons pas la réduire, la « ramener » à une pure et simple « hyperthymie ».
Ce que la structure émotionnelle de la manie livre à notre observation clinique (et
comme nous le verrons mieux plus loin, à notre analyse phénoménologique), c’est une
altération de la vie psychique qui constitue une véritable déstructuration de son orga-
nisation. Tout se passe, en effet, comme si la conscience avait perdu la possibilité
d’opérer dans le calme et la pondération pour tomber dans la précipitation d’une chute
verticale vers une forme archaïque et primitive d’existence paroxystique, chute qui
l’entraîne à grandes guides sur le chemin du rêve et de l’imaginaire.
5° LA PRODUCTION SUBDÉLIRANTE.
On répète souvent que la manie n’est pas un délire et cela dans le double sens du
mot (« delirium » – « Wahn » ou « delusion » des auteurs étrangers). Cela est vrai si
l’on veut entendre par là que la conscience maniaque ne se confond exactement ni avec
les formes les plus inférieures de dissolution plus profondes (delirium) ni avec celles
qui comportent une « expérience délirante » actuellement et intensément vécue comme
un bouleversement de la réalité. Mais cela est faux si l’on entend méconnaître que
… la « fuite des idées », même dans les manies les plus simples et les plus pures, la « fuite des idées », l’exal-
l’exaltation imaginative, tation imaginative, les propos narratifs et inventifs, la fabulation, etc. et surtout la fan-
les propos narratifs et
inventifs, la fabulation,
taisie ludique des rapports qui lient le Monde au Moi du maniaque sont déjà un délire
etc […] sont déjà un déli- naissant, c’est-à-dire « valent déjà pour » une certaine distorsion de la réalité vécue et
re naissant… pensée.
Dans la mesure même où la pensée du maniaque « rêve » ou tend à vagabonder
dans le rêve comme nous y avons déjà insisté (Étude n° 8), et comme nous le verrons
plus loin, il délire, et si la fuite des idées par son inconsistance, sa superficielle légè-
reté apparaît peu susceptible d’être comparée aux croyances délirantes fermes et
tenaces de nos délirants chroniques, il n’en reste pas moins qu’en tant qu’elle est une
fabulation verbale, elle contient en germe et nous fait déjà pressentir le délire plus
immédiatement et intensément vécu des « expériences délirantes » que nous étudie-
rons plus loin (Étude n° 23), car il y a dans le délire, comme dans la manie, tous les
degrés. Aussi n’est-il pas étonnant qu’en bien des points, ces deux sortes de troubles,
trop artificiellement isolés dans la psychiatrie classique, interfèrent pour former un
tableau clinique intermédiaire : celui de la « manie délirante » dont nous aurons à étu-
dier les diverses modalités. Rappelons donc simplement ici que toutes les études clas-
siques, tout en admettant (avec des réserves) le caractère délirant de la manie, ne l’en-
62
MANIE
visagent que comme une contingente « association » d’idées délirantes au tableau cli-
nique de la manie. Cette opinion n’a guère changé, depuis que LINAS écrivait : « les
conceptions délirantes s’observent quelquefois dans le délire maniaque : mais loin de
faire partie de ses éléments nécessaires, elles n’interviennent que d’une manière secon-
daire, accessoire, à titre d’incident et de complication. Elles diffèrent essentiellement
de celles qui se manifestent dans les monomanies en ce que celles-ci sont persistantes
et fixes, tandis que dans la manie elles sont mobiles, changeantes et fugitives 1. »
Certes, mais elles n’en sont pas moins délirantes.
KRAEPELIN admettait à son tour que les constructions délirantes sont généralement
chez le maniaque fugaces et floues, mais que parfois il existe des délires rappelant les
délires paranoïdes ou des conceptions délirantes extemporanées fréquemment mys-
tiques 2. De même à peu près à la même époque, STRANSKY 3 considérait les délires des
maniaques comme purement épisodiques et, depuis lors, la plupart des manuels clas-
siques tiennent la Manie franche aiguë pour un état « par définition » exempt de déli-
re (MAGNAN, RÉGIS, etc.), LANGE 4 par exemple parle des idées délirantes de préjudi-
ce ou hypocondriaques comme de troubles accessoires.
Cependant, avec DERON nous rencontrons un essai qui nous paraît cliniquement
plus intéressant pour rapprocher la pensée maniaque du délire. Voici comment il s’ex-
prime 5 :
« Ce qu’on a nommé délire chez le maniaque, en dehors des cas exceptionnels et …DERON (Thèse, 1928)
sur lesquels nous reviendrons ultérieurement, est essentiellement mobile, son poly- rapproche la pensée
morphisme incohérent relève de l’excitation, l’incohérence étant toujours accrue par la maniaque du délire…
débilité sous-jacente. Ce délire n’a ordinairement rien d’homogène et il faudrait parler
plutôt de conceptions ou d’idées délirantes. Si elles s’orientent dans un sens nettement
déterminé, on voit toujours un grand nombre d’idées accessoires se greffer sur les pre-
mières, aucun phénomène de conscience, pas plus intellectuel qu’émotionnel, n’arrive
à se maintenir pendant un temps suffisant pour influencer et grouper ces éléments pas-
sagers. Les idées délirantes liées au déchaînement associatif et dérivant d’évocations
instables sont donc très mobiles.
Les illusions diverses, les erreurs d’interprétation des sensations, les fausses recon-
naissances, quelquefois les hallucinations vraies, et même l’apparence hallucinatoire
dont l’expression métaphorique en langage matériel contribue à troubler la conscien-
ce, créent une certaine fantasmagorie. D’autre part, si les idées délirantes prennent,
jusqu’à un certain point, leur origine dans le caractère et les tendances du malade, ce
sont plutôt les réactions qu’elles provoquent, que ces idées elles-mêmes qui sont sou-
mises à leur influence. Les conceptions se suivent sans lien logique, souvent heurtées,
1. LINAS, p. 518.
2. KRAEPELIN, pp. 1252-1253.
3. STRANSKY, p. 56.
4. LANGE, p. 91-92.
5. DERON, pp. 52 à 55.
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ÉTUDE N° 21
64
MANIE
fondément enraciné dans la sphère des croyances et des perceptions, qu’il est désigné
classiquement comme « non délirant ».
Les hallucinations qui témoignent généralement d’un état de délire plus profond et
en quelque sorte plus authentique ont même été signalées par les Classiques dans l’état
maniaque. Beaucoup d’entre eux (LINAS, RITTI, MAGNAN, KRAEPELIN, etc.) en admet-
taient la possibilité (comme pour les idées délirantes) tout en soulignant leur présence
exceptionnelle et comme hétérogène par rapport au fond pur et simple de l’excitation
maniaque. Pourtant avec MASSELON 1 nous voyons plus clairement discerné et analy-
sé le mécanisme de projection qui est déjà comme une activité hallucinatoire « statu
nascendi » dans l’état maniaque.
« Si les hallucinations sont absentes quand l’état maniaque est pur, elles font leur …MASSELON (1913) ana-
apparition en même temps que les tendances délirantes. Et qu’on ne se méprenne pas lyse […] l’activité hallu-
sur ce que j’appelle tendances délirantes. Il ne s’agit pas là de convictions indéraci- cinatoire « statu nascendi
nables, de délire confirmé, il s’agit de constructions imaginaires souvent fugaces, qui » dans l’état maniaque…
sont formées sous le coup de fouet de l’exaltation intellectuelle, associées souvent à
un sentiment d’euphorie et de plénitude et qui n’emportent pas une foi bien profonde
en leur objet. Les hallucinations sont marquées au sceau de cet état. Tout d’abord, elles
sont mobiles, kaléidoscopiques : ce sont des visions changeantes, des propos décou-
sus, qui reflètent la rapidité du cours des pensées et des représentations. Ensuite, elles
n’ont pas un caractère très net d’objectivité. Les malades les distinguent fort bien des
perceptions vraies. Beaucoup même les situent dans leur tête. En somme, elles sont
proches parentes des représentations mentales ordinaires, de ces visions indécises que
nous avons tous lorsque nous nous abandonnons au cours de nos rêveries. Ce n’est que
faute d’une meilleure expression et par analogie que les malades disent : « je vois » ou
« j’entends ». Enfin, elles n’entraînent pas une conviction bien forte en leur objet. Le
plus souvent, ces malades exagèrent : au fond d’eux-mêmes, ils savent fort bien qu’il
n’y a rien de réel derrière tous ces mirages. Ou bien encore, leur croyance est inter-
mittente : elle subit les oscillations de leur exaltation. De temps en temps, une plai-
santerie, une saillie indiquent qu’ils ne sont pas dupes eux-mêmes des jeux de leur
imagination. […]
Le simple énoncé de ces caractères montre bien qu’il ne s’agit pas là d’hallucina-
tions confirmées. Ce sont des ébauches, des embryons d’hallucinations. Si l’halluci-
nation est une perception sans objet, il manque au phénomène que nous décrivons ici
la plupart des caractères de la perception : il n’en a ni l’intensité ni l’objectivité.
Néanmoins, il se distingue de la représentation mentale ordinaire par ce fait que son
origine n’est pas complètement méconnue. Il se tient donc à mi-chemin entre l’image
mentale complètement réduite et l’hallucination vraie, il montre à l’observateur une
hallucination à l’état naissant. Ces cas forment une transition vers ceux où une riche
moisson d’idées délirantes, généralement polymorphes, éclosent à la faveur d’un état
d’excitation maniaque.
Ici la foi dans les diverses suggestions du délire est plus forte, les hallucinations
ont plus d’intensité et d’objectivité. Elles se rapprochent de celles que l’on observe
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ÉTUDE N° 21
dans la folie systématisée et par là, relèvent de la constitution paranoïaque sur laquel-
le l’accès s’est développé. Mais à ces caractères se joignent ceux qu’elles tiennent de
l’état maniaque lui-même. Riches, colorées, mobiles, actives, intéressant tous les sens,
elles font défiler devant les yeux du sujet des scènes qui objectivent immédiatement le
cours de ses représentations, lui font entendre de véritables conversations où des inter-
locuteurs imaginaires traduisent ses propres préoccupations. Néanmoins, quoique les
images mentales soient ici plus nettes que dans les cas qui nous ont préoccupé précé-
demment, elles n’arrivent pas encore à atteindre l’intensité de la perception vraie et à
se substituer complètement aux impressions sensorielles. Lorsque la confusion sur-
vient, l’hallucination augmente encore de netteté. L’état de rêve tend à se réaliser, la
réalité disparaît et abandonne la conscience aux mille suggestions des images objecti-
vées. La foi en l’objectivité de ces représentations s’accroît en même temps et le mala-
de, d’autant plus sourd aux impressions des sens que son état maniaque le rend plus
distrait, assiste au défilé multiple et changeant de sensations diverses que les hasards
de l’automatisme font surgir en lui. Tout, d’ailleurs, représentations, impulsions, affec-
tions se confond, rapide, imprécis, flou, dans le pêle-mêle que l’excitation commu-
nique à tous les processus mentaux. C’est la fuite des idées dans le domaine de l’hal-
lucination aussi bien que dans tous les autres. Un tel état laisse peu de place dans l’es-
prit, et après leur guérison les malades ne s’en souviennent que comme d’un rêve dont
ils ont gardé l’impression générale, mais dont beaucoup de détails leur échappent. »
Force est donc d’admettre que, selon le degré de profondeur de l’atteinte de l’ac-
…la pensée maniaque tivité psychique, la pensée maniaque peut prendre une forme plus ou moins délirante
peut prendre une forme
et hallucinatoire. C’est que le délire sature plus ou moins tout le groupe des psychoses
plus ou moins délirante et
hallucinatoire… aiguës y compris ce premier degré ou déstructuration de la conscience.
Ainsi, nous semble-t-il, pouvons-nous voir dans la manie une modalité de déstruc-
turation de la conscience qui constitue seulement un degré moindre de la conscience
proprement délirante et hallucinatoire que nous étudierons plus loin. Tout est relâché
et désordonné dans ce chaos, dans cette chute de l’activité psychique qui a perdu sa
cohésion et sa possibilité de s’accorder au réel, de le construire et d’assurer les syn-
thèses nécessaires pour s’y adapter et dominer la tumultueuse fermentation de la vie
affective. Il s’agit donc d’une modification structurale de la conscience, d’un niveau
de dissolution globale et non point, comme parfois les écoles anciennes de psychopa-
thologie associationniste le croyaient, d’un trouble fonctionnel isolé (« Attention » ou
…c’est la structure géné- « Humeur »). En réalité, c’est la structure générale de l’esprit qui est bouleversée, la
rale de l’esprit qui est
pensée perdant avec sa profondeur et son efficacité la méticuleuse précision de son
bouleversée…
effort et sa soumission aux indispensables contraintes, elle s’étale en surface sans la
capacité opérationnelle qui garantit sa valeur : la réflexion et ses corollaires, la pondé-
ration, la prudence et le silence. Nous approfondirons un peu plus loin la structure de
cette conscience maniaque que nous décrivons ici seulement comme un tableau cli-
nique typique.
66
MANIE
1. Cf. DEROK, pp. 127 à 150 et plus loin notre Étude « Généralités sur les psychoses périodiques »
(n° 25) en ce qui concerne la pathologie hormonale et généralement somatique de la crise de
manie.
2. MIGAULT, Manie et chorée, Thèse, Paris, 1930.
3. SANTENOISE, Rapport au Congrès des aliénistes, Alger, 1938 et Thèse de Mme GARDIEN-
JOURDEUIL, 1930.
4. DAVIS (P. A.), Amer. J. of Psych., 1941, 98, 430.
5. GREENBLATT, HEALEY et JONES, Amer. J. of Psych., 1944, 101, pp. 82 à 90.
6. DAVIS & DAVIS (H.), Amer. J. of Psych., 1939, 95.
7. DELAY, NEVEU et DESCLAUX, Ann. Médico-Psycho., 1944.
8. LIBERSON, Dis. New. System., 1944, 5, 357.
67
ÉTUDE N° 21
c) Glandes endocrines.
On a observé parfois des poussées congestives thyroïdiennes avec syndrome d’hy-
perthyréose, de la mélanodermie, etc. PETIT avait beaucoup insisté sur les aspects viri-
loïdes de l’habitus des femmes maniaques. Chez celles-ci, les accès maniaques débutent
ou s’exacerbent assez souvent dans la période menstruelle 2 ; leurs paroxysmes peuvent
coïncider également avec la phase post-cathaméniale ou la phase d’ovulation. Le fonc-
tionnement hypophysaire chez les maniaques a été très étudié il y a quelques années chez
nous 3 autant que l’est aujourd’hui le syndrome hypophyso-corticosurrénal 4.
d) Troubles cardio-vasculaires.
Le cœur subit au cours de ces états d’agitation des oscillations de fréquence qui
expliquent les divergences des auteurs au siècle dernier. Il était toujours accéléré pour
GRIESINGER, toujours ralenti pour JACOBI, et SÉGLAS notait qu’il n’est pas modifié.
Quant à la tension artérielle de PILCZ (1901) jusqu’à P. ABÉLY (1950), la plupart des
auteurs s’accordent à la trouver abaissée.
68
MANIE
e) Fonctions digestives.
La constipation est la règle, et les voies digestives présentent un aspect saburral.
Les malades ont peu d’appétit ; celui-ci peut par contre être quelquefois sensiblement
augmenté (véritable boulimie).
atteint de 24 à 36 mois. L’accès de manie peut parfois même être très long (plusieurs
années) mais cette éventualité, comme inversement les cas de durée très brève
(quelques jours), est exceptionnelle.
Tantôt, la terminaison se fait brutalement (RÉGIS recommande de se méfier des …Terminaison tantôt bru-
tale…
récidives fréquentes surtout dans ces cas) par une véritable « crise » : le malade s’en-
dort, les urines sont abondantes, la dénutrition cesse.
Tantôt, la guérison s’opère progressivement, : le sommeil revient, l’agitation …tantôt progressive…
motrice cesse et seule l’exaltation affective, les troubles du caractère persistent long-
temps.
Enfin, retenons-le, il n’est pas rare de voir des rechutes fréquentes ressaisir le …les rechutes au seuil de
la guérison ne sont pas
malade au seuil de la guérison (Manie rémittente), surtout quand il s’agit d’accès brefs
rares…
ou abrégés par l’électro-choc par exemple.
La mort termine très rarement l’accès de manie. Elle s’observe surtout dans les
états de « Manie confuse » et ces formes d’agitation qui touchent au « délire aigu ».
On a parlé souvent, surtout à l’étranger où le diagnostic de « délire aigu » n’est géné-
ralement pas envisagé, de « manies d’épuisement » (exhaustion Manie). C’est ainsi
que C. MILLING 1 a réuni au South Caroline States Hospital, 360 cas mortels de ce
genre : parmi ces cas (140 blancs et 200 noirs, 191 hommes et 169 femmes) 197 étaient
des maniaques de ce type. M. NORMANN et R. SCHILLACK 2 ont également recensé dans
la littérature 403 cas de manie mortelle et ont rapporté eux-mêmes 7 nouveaux cas et
ils insistent sur l’hypotonie vagale, le déficit en sodium, les troubles de l’équilibre
acide-base, la toxémie et la tension psycho-émotionnelle comme facteurs psychoso-
matiques de gravité. Récemment encore JARVIE et HOOD 3 sont revenus sur ces grandes
crises d’agitation et de « délire aigu ».
69
ÉTUDE N° 21
…Personne mieux que L. Personne mieux que L. BINSWANGER n’a approfondi l’étude de la « conscience
BINSWANGER n’a approfon- maniaque » et, comme il le dit, du « monde maniaque », c’est-à-dire ce trouble de la
di l’étude de la « conscien-
conscience qui perturbe radicalement les rapports entre le Moi et le Monde vécus dans
ce maniaque »…
l’expansivité et l’avidité de la conscience maniaque. Nous allons donner d’abord une
transposition « très concentrée » de la phénoménologie de la « fuite des idées » selon
70
MANIE
cet auteur 1. Nous avons traduit aussi consciencieusement que possible ce texte et nous …Nous allons donner une
nous sommes efforcé ensuite de le présenter en un « concentré » qui n’en trahisse pas transposition « très
concentrée » de la phéno-
la vivante signification. Parfois nous n’avons pas hésité à laisser interférer notre propre
ménologie de la « fuite
pensée avec celle de l’auteur. Cette gageure d’un délicat équilibre entre le texte et sa des idées » selon L.
transposition a été pour nous difficile à tenir, et nous craignons de ne pas y avoir réus- BINSWANGER…
si comme nous l’eussions souhaité. Mais L. BINSWANGER a bien voulu s’en trouver
satisfait, ce qui nous autorise à en publier ici l’essentiel. (Toutes les notes sont des
notes personnelles et non pas de l’auteur.)
« Prenons un exemple banal de « fuite des idées ordonnée ». Celui d’une malade,
vieille fille de 48 ans, qui souffre d’accès circulaires depuis 25 ans. Dans son dixième
accès de manie elle écrit au crayon :
« A Mlle St. (nom d’une préposée à la cuisine), comment pouvez-vous
faire une galette dans la même gamelle d’aluminium où vous avez la veille
fait cuire du gras ? Il y a des ustensiles et les portions sont distribuées au
Pavillon Iaunegg. Regrettez de ne pas être une poubelle A. B. »
L’écriture remplit la page. Les lignes sont ascendantes, le mot « faire » est souli-
gné. Il y a des majuscules. L’ensemble de cette « manifestation » (Kundgabe) est ana-
lysé en quelques lignes où sont soulignées les caractéristiques de sauts de signification,
les ellipses et le style. Mais ce « griffonnage » exprime la totalité de l’existence actuel-
le de cette malade, une véritable structure anthropologique. Il constitue une production
spontanée dont le sens est une réclamation qui lui confère un certain ordre. Il est évi-
dent que la malade élide et saute (ausslöst und uberspringt), mais la pensée ne saute
pas seulement les termes intermédiaires, elle est elle-même bondissement et jaillisse-
ment dans un espace vital propre. Il s’agit d’une volubilité fluide de la structure géné-
rale de l’être qui tient pour ainsi dire tout l’espace dans sa main. Cette prise de pos-
session de l’espace est manifeste dans l’écrit qui remplit le papier en laissant des
espaces relativement grands entre les lignes. Le monde, trop petit pour l’expansion de …Le monde, trop petit
l’être, rapproche ses distances. Le filet de la réalité a de plus grandes mailles, et plus pour l’expansion de
souples, que chez un sujet normal. Le monde d’autrui est lui-même homogène et sans l’être, rapproche ses dis-
aspérités, il est de plain-pied et ce sont de véritables courts-circuits qui s’établissent tances…( BINSWANGER)
entre le malade et les autres. Le saut que la malade fait dans son écrit est le même
qu’elle fait pour interpeller d’un bond la cuisinière, bond qui nivelle d’un seul coup les
dénivellations sociales humaines, logiques et spatiales.
Cette totalité de la structure du « saut » ne doit pas être prise dans le même sens …le « saut »…
où, par exemple, BUMKE croit que l’excitation, les variations d’attention ou la labilité
de l’humeur forment un tout. Ce qui est le « tout » de notre analyse est une interpréta-
tion anthropologique de la modification structurale existentielle de la personne du
71
ÉTUDE N° 21
maniaque. Le fait que la malade se tourne vers la cuisinière, « se jette » vers les usten-
siles ne peut pas être expliqué par des concepts simples comme l’excitation ou la labi-
lité de l’humeur. Nous ne pouvons pas nous contenter d’abstractions de ce genre, ou
d’un autre genre.
Comment un « homme » (Mensch) peut-il s’exciter sur la façon dont sont servis des
galettes et des aliments graisseux dans un même ustensile et interpelle-t-il de manière
si fulgurante la préposée responsable ? Le profane comme le médecin en restent pan-
tois. Les notions de motivation externe « ou d’affect », interne ou même d’expérience
vécue en soi et pour soi, n’ont aucune relation profonde avec la réalité concrète et
vivante de cette conduite humaine.Il ne s’agit pas d’un événement pour ainsi dire occa-
sionnel, mais d’une altérité (Andersartigkeit) de l’événement. Sans doute, tous les indi-
vidus sont-ils enfermés dans leur individuation, mais ici, il s’agit d’une inappartenance
radicale à notre monde. Le problème anthropologique n’est pas de se demander pour-
quoi notre malade s’excite ainsi à propos de peu de chose, mais de se demander dans
quel monde elle vit. Que cette malade soit une « cyclothyme syntone » au sens de
KRETSCHMER OU que, comme l’ont montré FREUD et ABRAHAM, elle vive dans une orgie
de liberté comme si elle participait au triomphe du repas totémique, cela ne peut nous
suffire. L’homme est un être plus ou moins structuré et un être multicatégoriel (dans le
sens de N. HARTMANN) et c’est la catégorie de la signification (Bedeutung), du vécu
(Erlebnis), et du vécu temporel et proprement personnel (Erlebniszeit et Erlebnis Ich)
qui nous importe. Se fâcher est un problème anthropologique qui touche tout à la fois
l’intentionnalité mais aussi 1a temporalité et la spatialisation de l’existence 1.
…syntonie et schizoïdie… En ce sens, les études de E. MINKOWSKI et de STRAUS constituent un premier pas
vers les relations significatives de ce mode d’existence. MINKOWSKI a peut-être trop
considéré avec BLEULER la syntonie et la schizoïdie comme deux facteurs opposés. Il
a mis l’accent sur le dynamisme du désir; chez le schizoïde et, chez le syntone, sur le
contact vital avec le monde qui est celui d’un moment punctiforme, le déploiement
dans le temps étant pour lui difficile. Ce contact est celui du maintenant (jetzt) mais
sans aucun « présent », vécu comme tel. Mais le « maintenant » et le « point » appar-
tiennent au monde objectif, tandis que le « présent » et le « moment » sont du monde
subjectif. Ce n’est donc que par analogie que l’on peut dire que le vécu du syntone se
réduit à un point solide et que celui du schizoïde s’évade dans le temps. En effet un
contact « punctiforme » ne serait pas un contact proprement psychique qui exige, pour
être tel, d’être pris dans le courant de l’intentionnalité 2. Ainsi la syntonie comme la
schizoïdie ne s’opposent pas aussi radicalement. Toutes deux sont des modes de
déploiement dans le temps. Le schizoïde vit de préférence dans l’avenir, le syntone
dans le présent. Et MINKOWSKI a bien vu que l’essence de la syntonie est de se satis-
faire dans le présent.
…E. STRAUS et la danse… E. STRAUS distingue à son tour le mouvement vers un but, et le mouvement dans le
présent. Le type de mouvement dans le présent c’est la danse. Celle-ci n’est pas un
déplacement vers un autre point de l’espace mais un enroulement, c’est un mouvement
qui se satisfait en lui-même et pour lui-même parce qu’il est un mouvement du corps,
une modification, pour ainsi dire interne, de l’espace vital. Le « synchronisme » de
1. Ceci est absolument capital pour notre propre conception de la structure temporelle de la manie
qu’il nous arrivera d’appeler justement structure temporelle éthique.
2. Nous verrons nettement que dans les niveaux les plus inférieurs de la déstructuration de la
conscience, ce contact vital qui fonde la perception devient de plus en plus punctiforme (confu-
sion et notamment syndrome de KORSAKOFF).
72
MANIE
1. Idée qui est identique à celle de JACKSON quand il affirmait que la maladie ne crée pas mais
libère.
73
ÉTUDE N° 21
74
MANIE
mère, il y a dans cette idée quelque chose d’ironique qui interdit là encore de se rap-
porter simplement à une représentation fortuitement associée.
La fuite des idées qu’on peut étudier dans cet exemple montre que cette fuite des …cet exemple montre que
idées ne se fait pas ici sous la forme d’une prolixité verbale, d’un dévidement, mais cette fuite des idées ne se
plutôt d’une compression elliptique. Et ceci amène à considérer le concept même de fait pas ici sous la forme
« vitesse de la pensée ». On peut exprimer par là soit un acte de création synthétique d’une prolixité verbale,
de grande rapidité, soit une mesure du nombre d’idées qui se déroulent en un instant d’un dévidement, mais
donné et qui constitue leur « vitesse » dans le sens des catégories temporo-spatiales plutôt d’une compression
objectives. Dans le style de fuite des idées envisagé ici, il s’agit du premier sens. elliptique…
Comme nous le verrons plus loin, dans la fuite des idées désordonnées, il s’agit du
deuxième sens. Notre malade présente la fuite des idées sous son aspect fuyant qui
donne à son expression la « concision » discontinue obtenue par le saut de l’ellipse et
ainsi ce qui est l’objet de cette analyse n’est pas le trouble d’une fonction, mais la
structure anthropologique même du monde maniaque avec son clignotement et ses
sautillements.
Nous pourrons nous demander aussi, si, lorsqu’elle fait fond sur la possibilité pour
un des sept neveux éloignés de se consacrer à sa mère, il s’agit d’une sorte de trouble
logique (de la catégorie de la possibilité) ou d’un trouble de la probabilité empirique.
A cet égard, si nous comparons purement et simplement son erreur à celle d’une per-
sonne normale, la nature intime du trouble nous échappe. De même, si nous nous
contentons de parler d’un dérèglement des rapports entre la possibilité et la probabili-
té, car ce « désordre intellectuel » pourra aussi bien caractériser également un débile,
un schizophrène ou un paranoïaque.
L’originalité de l’expérience maniaque qui rend compte de la bévue de la malade
doit donc être recherchée dans une modification de la constitution même de l’univers
qui n’est pas une réalité en soi, mais une organisation impliquant la loi de la transcen-
dance (HUSSERL). C’est à un monde sans transcendance que correspondrait un sujet sans
monde (Weltlos Subject), c’est-à-dire un sujet qui ne se poserait pas par rapport au
monde. Mais il s’agit là évidemment d’une abstraction, car aucun sujet ne peut être vidé
du monde. Cependant, la fuite des idées, si elle était totale, tendrait vers cette illimita-
tion, et, en dernière analyse, elle n’est pas possible. Ce qu’est le monde dans lequel se
meut la malade, est un monde qui tend à abolir toutes les difficultés logiques ou réelles,
c’est un monde qui est plus direct et immédiat, c’est le monde même de l’optimisme.
L’optimisme est un style de pensée et un mode d’existence qui, chez la malade, lui …l’optimisme est un style
permet de prendre toutes les choses du bon côté, sous l’angle de la facilité. Il s’agit de pensée et un mode
d’une sorte d’optimisme lié à la « Stimmung » du « Dasein », (Stimmungs- d’existence…
Optimismus) qui lui confère ses qualités de coloris, de légèreté, de « roséité ». Ce
monde optimiste ne connaît aucune difficulté, tout est facile, tout va de soi, la réalité
n’est plus dure, mais devient un véritable lit de roses. Le vraisemblable et le réel se
confondent dans le mieux et le monde temporo-spatial est sans limites, d’un horizon
infini et éternel. Ce monde est le contraire de l’étroit, il est spacieux et brillant. Il y a
toujours assez de temps et d’espace pour parvenir à ses fins. La possibilité de trans-
formation et de métamorphose, la fusion et la fluidité des perspectives du monde de
l’optimiste peuvent se désigner d’un seul mot : sa volatilité, volatilité sans poids, sans
résistances, qui permet de glisser, de nager, de voler dans un milieu transparent aisé et
élastique. Le monde intérieur et le monde de la réalité coexistent alors presque entiè-
rement. Le cerveau n’est pas trop étroit pour le monde, ni le monde pour le cerveau.
La pensée et l’action s identifient dans l’acte même de la toute-puissance, comme si la
75
ÉTUDE N° 21
76
MANIE
mère. Quant à la situation de la malade vis-à-vis d’autrui, il ne s’agit pas d’un isole-
ment autistique, mais au contraire d’une sorte de mouvement de sympathie, et, pour
ainsi dire, d’indiscrétion et de manque de tact, qui lui présente les autres comme bons,
préjugé favorable qui la rend indiscrète en attendant d’être déçue.
Après avoir analysé un cas cette fois de « fuite des idées » confuse et incohérente …Analyse d’un cas de
{Archives suisses Neuro. Tome 28, 183 à 293) L. BINSWANGER poursuit (Tome 29, 20 « fuite des idées » confuse
à 32) : et incohérente (par L.
Nous pouvons mettre en évidence trois facteurs de la confusion de la fuite des BINSWANGER)…
idées (Ideenflucht Verwirtheit) : la régression de la sphère intentionnelle – le jeu ver- …Trois facteurs :
bal et la logorrhée (Rededrang) qui constituent véritablement une sorte de déluge de Régression de la sphère
paroles (Redeschwall). La régression, dans l’ordre de la pensée proprement théma- intentionnelle, jeu verbal
tique, est dans la manie telle, qu’il y a encore possibilité pour le maniaque à se confor- et logorrhée…
mer aux règles et méthodes idéogrammaticales qui constituent la mise en forme thé-
matique de la pensée, mais d’une manière plus relâchée et négligente. Le terme ultime
de cette régression, c’est le moment où le langage cesse d’être un moyen (Werkzeug)
pour devenir une sorte de fin, de jeu au service de la joie existentielle (Daseinsfreude).
Le jeu a pénétré toute la structuré humaine du maniaque qui est devenu jeu et c’est en
quoi précisément ses « manifestations » (Kundgabe) sont plus fortes que ses réflexions
et ses pensées. C’est pourquoi aussi ù se lie avec les autres, présents ou absents, dans
et par des conversations jouées. Avant d’examiner d’un point de vue anthropologique
la logorrhée, il faut bien préciser quelques points touchant le mode d’existence de la
confusion (Verwirtheit). Celle-ci ne s’oppose pas purement et simplement aux propos
réfléchis du langage concret (qui sont eux-mêmes assez souvent confus) mais à la
réflexion vraie. Si l’on se réfère au principe de la « propriété même » (Prinzip des
Selbst) des êtres, on peut dire que si dans la réflexion véritable c’est le « moi-même »
(Ich-Selbst) qui parle, dans le langage courant « on » parle « soi-même » (Man-Selbst)
et dans l’état confusion il n’y a plus aucun sujet même (Kein « eigentliches Selbst »)
comme noyau de sa propre existence 1. La logorrhée constitue un mode d’existence
que le langage courant désigne très bien par le terme de « grande gueule » (gross- …la grande gueule…
maulig). Cette expression désigne tout à la fois l’organe parlant et un mode de parler,
plein de gros mots. Cet homme « grande gueule » tourne tantôt vers l’un, tantôt vers
l’autre sa gesticulation, sa mimique animée et use sa salive et crache ses paroles dans
une sorte d’expectoration à jet continu de sa gueule ouverte. L’instabilité motrice, la
logorrhée, l’hyperprosexie (hypervivacité de l’attention) constituent les traits essen-
tiels de la structure anthropologique de « l’être-grande-gueule ». Le maniaque, pour
autant qu’il est justement « grande gueule », remplit de vacarme, de cris, et vociféra-
tions, de bruits (qui sortent de sa « gueule ») tout l’espace où il vit. C’est là, à la péri-
phérie de son corps, par cet organe qui assure plus que tout autre son contact avec les
autres, que, plus près de ses lèvres que de son cœur, jaillit l’incontinence de ses
paroles 2. Les observations des psychanalystes sur l’importance de la bouche et de
l’oralité, sur cet organe du « vouloir avoir », de l'« emporter », du « déchirer », de
1’« incorporer » et du « mordre », trouvent ici leur place naturelle. Cette place est celle
d’un milieu entre le milieu intérieur et la périphérie, milieu qui est comme un centre
de gravité au point de vue anthropologique entre deux courants existentiels, celui de la
1. Cf. à ce sujet ce que nous disons de la structure de la conscience confuso-onirique (Etude n° 24).
2. Ces quelques lignes résument trop les pages (26 à 32) consacrées à cette analyse existentielle.
77
ÉTUDE N° 21
– Dans son quatrième article (Arch. suisses Neuro., t. 29, pp. 32 à 38) BINSWANGER
précise alors les caractères propres à cette fuite des idées confuse ou incohérente.
L’inconscience et la fragilité de l’existence, la conduite oscillante entre la réflexion, la
problématique et la culture d’une part, et l’abandon des problèmes et des soucis au
profit d’une vie de « festivité » d’autre part, sans que jamais ne disparaissent complè-
tement l’une et l’autre de ces formes d’existence, telle est la forme du Dasein
maniaque de notre malade. Ce serait une erreur de le considérer comme n’ayant plus
d’humanité, car son désordre verbal est vécu encore avec ordre, ainsi que l’on peut le
…Le vécu esthétique et voir en se rapportant encore au protocole détaillé de sa fuite des idées. Le vécu esthé-
extatique de cette jongle- tique et extatique de cette jonglerie atteint à travers son optimisme à une sorte d’ex-
rie atteint à travers son périence mystique, comme si l’envers de sa grossièreté était sa religiosité. Celle-ci est
optimisme à une sorte liée dans son existence au drame de son origine, au suicide de son père. Revenons à ce
d’expérience mystique, qu’il a exprimé dans ses propos prolixes et soigneusement notés et analysés (mais dont
comme si l’envers de sa nous ne pouvons ici que « résumer » l’essentiel).
grossièreté était sa reli-
« Tout d’abord, le malade emporté par sa logorrhée (qui n’est pas seulement auto-
giosité…
matisme verbal mais qui est plus encore un besoin existentiel) déclame des propos
contradictoires :
« Bim ! Boum ! Tu as raison, non, tu n’as pas raison. Il prend l’infir-
mier pour son père et tantôt il est tendre (mon bon papa, tu es mon meilleur
ami) et tantôt insultant à son égard : Tu es stupide, tu es un âne, un cochon,
un hypnotiseur. Il veut voir son père au moins une fois. (Le père, rappe-
lons-le, s’est suicidé avant sa naissance, laissant sa mère enceinte). Le père
est au ciel, tu es mon divin Père... Dieu soit loué. Je suis le Christ. Ma
chère maman... que fais-tu avec ton revolver ? Tu es un démon. Je dois te
cracher trois fois au visage. Entends-tu la voix de ton père ? Toi seul mon
père qui es dans le ciel tu as le droit, absolument le droit. Chez Mussolini,
chez Hindenburg, chez papa, tu es un âne, etc... etc...
Ces quelques propos sont ici rapportés d’une façon fragmentaire et seulement pour
donner la « tonalité » des contradictions autour de l’image du père 1 qui va faire l’ob-
jet de l’analyse anthropologique qui va suivre. (T. 29, pp. 193 à 201, 5ème article).
…en plein cœur de la L’analyse de la structure thématique de ces propos tenus par le malade au moment
fuite des idées, cet de sa plus grande confusion et dans son état fébrile nous montre que ces contradictions
homme est encore un sont l’expression d’un conflit et ce conflit est un conflit humainement très significatif
homme et, en un certain et compréhensible. Cela montre que, en plein cœur de la fuite des idées, cet homme
sens, un homme nor- est encore un homme et, en un certain sens, un homme normal.
mal… Le concept de normal doit être ici éclairé comme lorsque le biologiste ou le neu-
rologue étudient ce qui reste encore d’une fonction normale. La notion de norme a une
1. A propos de l’image du père (p. 36, note 2), BINSWANGER critique la conception des analystes
et notamment de JONES qui confond la relation historique contingente de l’image complexuelle
avec les relations immanentes qui lient l’homme à son humanité et dont cette relation n’est qu’un
aspect fondamental. Il rejoint ici la critique de KUNZ.
78
MANIE
double fonction, celle de déterminer la différence, l’écart qui existe entre le normal et
l’anormal, mais aussi celle de déterminer en quoi cet écart anormal. C’est ce dernier
point « qualitatif » qui est important. Ainsi les préoccupations du malade ont quelque
chose de normal puisqu’elles répondent à une situation de fait (suicide de son père,
questions et problèmes qui s’y rattachent), et à cet égard, elles se situent au centre de
son existence, dans sa profondeur. Mais nous venons de voir que ce qui caractérise le
« gueulard » qu’est le maniaque, situe sa forme d’existence comme à la périphérie de
son être, comme si ces propos redondants bondissaient ou rebondissaient à sa surface
ou dans sa bouche. Allons-nous dire que c’est son conflit qui est à la base de la genè-
se du désordre, comme le pensent les psychanalystes, ou plutôt dire avec SCHILDER la
psychose qui a intensifié ses préoccupations ? Nous devons nous placer en dehors de
ces perspectives traditionnelles ou classiques car les notions de « complexe », de
« genèse de la manie », ne valent que pour une analyse abstraite dans le style habituel
des « théories cliniques ». Pour nous, ce qui nous importe c’est de pénétrer dans la
modalité existentielle du conflit maniaco-dépressif, l’essentiel étant ce qui, sous l’état
maniaque (celui de la pure festivité improblématique), constitue encore une structure
de la problématique de l’existence. Et à cet égard, même à ce degré, la fuite des idées
confuse et incohérente du malade exprime ce conflit existant entre la
« Daseinsfreude » et l’existence esthétique d’une part, et la tendance dépressive de
refus de l’existence et de sa problématique d’autre part. Le maniaco-dépressif qu’est
tout maniaque procède de cette contradiction, de ce jeu hégélien des contraires qui se
disputent son unité.
– Ceci conduit naturellement BINSWANGER à voir quelles différences séparent de …ambivalence schizo-
l’ambivalence schizophrénique, la projection ou le projet, dans le monde maniaco- phrénique et existence
dépressif, de cette forme d’existence antinomique. C’est ce qu’il étudie dans son 5ème antinomique du monde
article (t. 29, pp. 201 à 218). maniaco-dépressif…
L’ambivalence schizophrénique réside selon BLEULER dans la coexistence de deux
aspects, de deux côtés d’un concept, d’un sentiment ou d’une tendance. Cette ambi-
valence a quelque chose de systématique, qui résulte chez le schizophrène de la
« Spaltung » de sa vie psychique, laquelle se développe en séries pour ainsi dire paral-
lèles, et selon un mouvement rectiligne et excentrique. Il en est tout autrement de l’an-
tinomie maniaco-dépressive. L’attitude du malade à l’égard du suicide de son père
subit des variations comme si elle dépendait de positions successives à l’égard de l’ob-
jet de sa préoccupation, de telle sorte que le maniaque décrit, pour ainsi dire, autour de
son objet, des mouvements rythmiques et concentriques. Il en est ainsi notamment au
sujet de ce qu’on peut appeler la religiosité du malade pour autant qu’elle dépend de
la position antinomique de ses désirs. Un schizophrène peut aimer et haïr à la fois et
s’entêter (d’une manière « parallèle », « rectiligne » et « excentrique ») dans cette
double direction juxtaposée, tandis que le maniaco-dépressif est sans cesse rejeté d’un
côté ou de l’autre de l’objet et qu’il oscille à l’intérieur d’une problématique, qu’il
tourne dans le cercle du bon et du mauvais, du bien et du mal, ou de Dieu et du Démon,
comme on peut s’en rendre compte par le protocole des propos du malade.
La structure antinomique de l’existence maniaco-dépressive doit être également
distinguée de l’aboulie névrotique, en ce sens que précisément il n’y a pas d’indéci-
1. SCHILDER (P.), Vorstudien zur einer Psychologie der Manie, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1921, 68,
p. 93.
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Voici maintenant l’essentiel de l’analyse que poursuit BINSWANGER dans son 5ème
article (t. 29, pp. 218 à 235).
A. – Le Tourbillon. – Si nous voulons interpréter l’Être-dans-le-monde de la fuite des …le tourbillon…
idées à partir des critères immanents qui constituent une véritable ana lyse ontologique,
nous devons revenir sur les 1re et 2me parties de ce travail. Dans l’interprétation du
monde de l’homme à fuite des idées ordonnée, nous avons choisi comme fil conducteur,
le « Stimmungsoptimismus », forme du « Dasein » dans lequel il se projette. Nous avons
cherché à interpréter ce monde à partir d’une exégèse qui semble être l’apanage de la
richesse de la langue allemande 1. Rappelons simplement ces qualités de coloris, de clar-
té, de consistance de ce monde. Ici, dans la fuite des idées confuse, elles manquent et
nous notons plutôt des sentiments comme la colère, l’irritabilité, le désespoir, la béatitu-
de et la folie. D’une signification plus profonde encore sont toutes les expressions ver-
bales dont nous nous sommes servi pour interpréter le monde de la « grande gueule ».
Mais nous allons maintenant partir d’un des constituants les plus importants de la trans-
cendance ou mondanisation de ce monde, et particulièrement du temps immanent
(HUSSERL) OU de la Durée vécue (BERGSON). Chaque vécu, a dit RILKE, a son temps
propre, et ainsi chaque sentiment a, pour ainsi dire, sa valeur propre de temps vécu, et
inversement les modalités de ce temps font partie intégrante de la tonalité et de la diver-
sité de ce vécu. Il suffit de se rapporter aux analyses de BERGSON OU de PROUST pour sai-
1. Il est évident que cette analyse existentielle de BINSWANGER est presque entièrement basée sur
la richesse de la langue allemande particulière en substantifs. Le nombre de ces substantifs dans
l’étude que nous résumons si brièvement, chacun d’eux exprimant une nuance ou une relation
existentielle propre, est prodigieux.
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sir, sous la discontinuité du vécu, les qualités propres de sa durée et de son mouvement.
Dans l’interprétation de la « fuite des idées incohérente, ou confuse » nous avons
vu que la précipitation et la soudaineté étaient des facteurs temporels fondamentaux.
L’optimisme de base, la rapidité du mouvement du monde, l’élargissement de l’ho-
rizon de ce temps et son infinité constituent la trame de l’impulsivité optimiste et
aussi de la « grande gueule », qui se fonde, comme modalité d’existence du rapide
et du « subit », sur des qualités temporelles propres. L’homme est alors en éruption
comme un volcan, et son effervescence, sa fièvre, sont existentiellement « momen-
tanées ». C’est en ce sens que SCHILDER a pu dire que pour le maniaque il n’y a rien
de définitif, rien de permanent. Ces qualités de temporalité coïncident justement
avec des valeurs morales, en tant que l’improvisation, ce qui est bâclé, ce qui est
vécu sans opiniâtreté et continuité, l’est aussi sans sérieux, de telle sorte que cette
brièveté de la durée vécue s’accorde avec le mouvement même et l’abandon de la
danse. L’hyperbole de la grandeur (toute-puissance, grande gueule, grossièreté)
constitue aussi une forme de vécu qui exige que d’un bond soient sautés tous les
degrés d’espace et franchis les moments du temps, comme si leur élargissement était
porté à l’infini par la joie existentielle de la festivité. L’espace, gonflé de cette danse
qui est à la fois une fête et une récompense 1, en est comblé 2.
…absence de soucis Cette forme esthétique d’existence est moins éprouvée par le malade dans un senti-
(Sorge) et d’occupations ment de beauté, qu’éprouvée sur le registre des valeurs morales comme une absence de
sérieuses (Arbeitlosig- soucis (Sorge 3) et d’occupations sérieuses (Arbeitlosigkeit). On doit entendre cette absen-
keit). On doit entendre ce comme une qualité temporelle du Dasein du maniaque qui n’a rien à faire ni aucune
cette absence comme une crainte à avoir, de sorte que l’interprétation de cette temporalité immanente c’est essen-
qualité temporelle du tiellement le saut. Comme l’a bien vu HEIDEGGER, l’impatience, la curiosité, cette disper-
Dasein du maniaque… sion et cette trépidation dans le temps constituent l’impossibilité de s’arrêter au moment.
Sans doute l’absence d’inhibition, de repos, emporte l’homme hors de lui, et pour
ainsi dire sans responsabilité, dans une existence purement actuelle. La forme de cette
agitation est, d’après HEIDEGGER, le Tourbillon (der Wirbel), c’est-à-dire cette forme
de mouvement qui trouve en lui-même sa propre promulsion. C’est en ce sens, qu’em-
portée dans un présent 4 toujours renouvelé, l’existence devient comme étrangère au
passé et au futur. On peut dire que la temporalité a perdu son relief, s’est nivelée, le
1. Pour exploiter ici les ressources de la langue française, nous pourrions dire que le monde du
maniaque est plein de grâces, en prenant le mot dans son double sens de merveilleux soutien et
de charme.
2. Pour exploiter encore les richesses de la langue française, nous pouvons dire que le monde
maniaque est comble (plein) et comblé (de grâces).
3. « Sorge » est un mot très employé dans les philosophies existentielles. On le traduit générale-
ment par « soucis ». Il correspond au mot latin « cura ».
4. Dire que le maniaque est emporté dans un présent toujours renouvelé équivaut, selon nous, à
dire qu’il n’y a pas pour lui de présent. Le présent est en effet ce moment du temps vécu que la
conscience construit normalement aux dépens du passé et de l’avenir et qui marque dans le cou-
rant temporel une « pause », pause dans laquelle s’inscrit la situation présente réellement vécue.
Même quand la conscience normale se plonge dans le passé, l’imaginaire ou le futur, c’est entre
les parenthèses de la situation réelle du maintenant qu’elle vagabonde mais sans cesser de pou-
voir toujours se reprendre. C’est précisément cette capacité d’organiser le présent en événement
qui groupe dans le même moment les péripéties et les perspectives simultanées d’une situation
« réellement », « sérieusement » présente qui fait défaut au maniaque. C’est en quoi, son présent
n’est qu’une phase sans cesse renouvelée du tourbillon qui l’entraîne.
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MANIE
malade glisse dans le temps, et quand il nous a parlé du plu beau moment de son exis-
tence, c’est moins pour se référer à la structure de ce moment qu’à sa qualité d’instant
instantané.
B. – Le retour à. – Notre malade qui vit « le plus beau moment de sa vie » revient
vers son père, et un des caractères thématiques les plus importants de ses propos, rési-
de dans ce « toujours – de nouveau – en arrière – revenir ». Ce « toujours de nouveau » …ce « toujours – de nou-
constitue une qualité propre de sa structure temporelle et aussi une manière d’être fidè- veau – en arrière – reve-
le, une manière de retour aux personnes et aux objets aimés comme pour se retrouver nir »…
pour ainsi dire soi-même. Ce retour à soi exprime le besoin de cesser de vivre à la péri-
phérie de l’existence, c’est-à-dire dans cette région improblématique de l’existence qui
ne comporte pas de soucis. Or, nous voyons que, constamment, le malade revient vers
la problématique à l’égard de son père, sa mère, ses devoirs, sa culpabilité, comme si
dans le monde chancelant qui l’emporte, il tentait de s’accrocher au fond de lui-même.
Il est un peu comme un danseur enragé qui se glisse subrepticement hors dû tourbillon
de la fête vers sa bonne amie qui l’attend derrière une colonne. Par là ce besoin de
« prendre appui » constitue un retour sur soi, et comme un refuge dans les couches les
plus profondes et solides de son existence.
C. – La Satisfaction des désirs. – Nous devons nous demander, au sujet de ce phé-
nomène psychanalytique, non pas pourquoi la satisfaction des désirs prend la place de
la réalité. Le désir en tant que tendance à la transformation du monde, dépend natu-
rellement de la réalité et de la modalité d’appréhension de ce monde. Exister dans un
monde sur lequel nous ne voulons pas avoir une influence, c’est, vis-à-vis de lui, res-
ter béatement sans désirs, en supprimant la problématique du monde ; c’est se conten-
ter d’être satisfait dans un monde aussi inerte que nous-mêmes. Plus notre monde, par
contre, est volatil, plus facilement peut être transformé, et plus nous-mêmes sommes
légers et avides d’une avidité repue. L’optimisme fondamental (Stimmungsoptimis- …la volatilité…
mus) constitue une telle volatilité. Conformément au principe que « l’individualité est
ce que le monde est pour, elle », à cet optimisme volatil, correspond également un
monde qui est « lui-même » volatil. Le Monde et le Moi sont ici également fluctuants,
et qu’il s’agisse de cette forme d’optimisme que nous observons dans le surmenage,
dans le rêve, ou dans la manie, tout y paraît possible, s’effaçant la distinction entre la
réalité et l’imagination. L’une et l’autre se confondent. Si nous avons affaire encore à
une forme d’existence ou « à côté », ou « sous » l’optimisme fondamental (c’est-à-dire
à ce plan du glissement sur les choses, les hommes et les problèmes), c’est qu’il y a
une autre couche existentielle qui remet en question le sérieux de l’existence et fait dif-
ficulté, difficulté qui doit s’accommoder du monde optimiste. Comme il n’y a pas de
sujet sans monde, cette exigence constitue une conduite qui modifie aussi le monde, et
en tant qu’ayant un désir, mon monde est différent de celui qui n’a pas de désir. Mais
quand au milieu d’une sorte d’insouciance (Sorglosigkeit), d’une atmosphère de verti-
ge, surgit un désir, celui de retrouver sa propre constance, dans cette « confusion » qui
est l’objet de cette analyse, pour autant que prédomine la recherche de soi, l’ipséité
(Selbstheit), les soucis, les désirs, il y a une tendance à la transformation du monde, et
pour autant que prédomine la festivité vertigineuse du Dasein, il y a indifférence,
insouciance, laisser-aller, non seulement du Moi, mais aussi de la structure du monde.
Le monde se construit d’après le désir, le désir du Triomphe de la réalité. Qu’est-ce à
dire ? Ceci que dans le comportement du désir, dans l’imagination pathologique, la con
science de la fictivité de la fiction est perdue.
Mais l’essentiel est de savoir comment se constituent la temporalité et l’historici-
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ÉTUDE N° 21
BINSWANGER en vient alors à ses conclusions (6ème article, t. 30, pp. 68 à 85).
1. Nous reviendrons avec BINSWANGBR sur ce point dans notre Étude n° 27.
2. L’auteur emploie les termes : Verfallen et Geworfenheit qui impliquent l’idée de « tomber » et
de « se jeter » dans le monde.
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harmonie est ici rompue par un saut, une accélération, une avidité, un élan qui dévore
le temps, le consomme et le consume. La conscience maniaque saute en même temps
hors du temps et des disciplines de son organisation en tant que celle-ci exige tout à la
fois la patience et qu’elle prescrit un ordre de succession et de subordination des
actions. Elle perd sa « direction » dans la double acception du terme : son sens qui est
de diriger son courant vers le présent – son contrôle qui est la légalité même de l’ordre
qu’elle impose normalement à l’organisation de son champ d’action. C’est tout cela
qui est impliqué dans la phénoménologie de ce que l’on appelle parfois « un simple
trouble de l’humeur ».
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ÉTUDE N° 21
ve les combinaisons les plus singulières et les créations les plus fantastiques. C’est
alors que l’on peut observer des productions artistiques ou littéraires de quelque
valeur, d’heureuses spéculations : c’est dans ces cas qu’on a pu parler d’élévation du
malade au-dessus de lui-même. Dans les cas très légers, écrit KRAEPELIN, l’excitation...
peut dans certains cas libérer des forces qui sans cela seraient restées latentes.
L’activité artistique particulièrement l’est plus encore par la facilité nouvelle de l’ex-
pression verbale ».
« A un degré plus marqué du trouble intentionnel, il n’y a plus richesse apparente,
mais seulement instabilité, les idées se pressent et s’associent en foule mais l’attention
soutenue est impossible en dehors des courts instants où l’effort volontaire peut enco-
re permettre à un petit nombre de faits psychiques utiles de durer un temps suffisant :
l’évocation automatique, si fidèle et si riche soit-elle, ne sert plus de rien, le malade ne
contrôle pas, ne choisit rien parmi les associations parasites ; les représentations inco-
hérentes ne peuvent plus diriger l’activité dans une voie raisonnable et pratique, et
c’est inutilement que se ravivent les états de conscience antérieurs. L’activité psy-
chique est réduite aux seules ressources et au hasard de l’automatisme. Au maximum
du trouble, dans la pensée essentiellement instable les idées sont ébauchées et de plus
en plus fugitives ; il y a désagrégation de l’idéation et l’on n’observe plus que la fuite
incohérente des mots et des images. La conservation des états de conscience pendant
l’accès paraît défectueuse, bien qu’il soit le plus souvent impossible d’apprécier exac-
tement à ce moment les défauts de la fixation mnésique, à cause du trouble de l’atten-
tion qui met le malade hors d’état de répondre. Mais après la guérison, on s’étonne fré-
quemment de constater que des éléments que l’on croyait fixés ne l’ont été qu’incom-
plètement et superficiellement ».
Ainsi, le trouble fondamental, d’après DERON, n’est pas l’exaltation du ton affec-
tif, c’est un trouble de la « synthèse psychique ». « L’état maniaque, écrit-il encore (p.
35), ne construit pas », et il dit ailleurs « l’excitation des états maniaques intenses
apparaît comme un état de basse tension ». Et c’est là, croyons-nous, un premier point
essentiel.
C’est dans ce sens, en effet, que nous voudrions brièvement présenter une analyse
…Sans doute le tableau structurale de la manie qui lui restitue son caractère fondamental en la faisant appa-
clinique de la maladie raître comme un niveau de déstructuration de l’activité psychique qui comporte essen-
étant caractérisé par une tiellement une structure négative. Sans doute le tableau clinique de la maladie étant
extrême exaltation de
caractérisé par une extrême exaltation de l’activité psychique inférieure, donne bien
l’activité psychique infé-
rieure, donne bien l’illu- l’illusion qu’il n’y a pas de troubles déficitaires, mais l’analyse de l’état maniaque per-
sion qu’il n’y a pas de met cependant de mettre au premier plan du point de vue clinique et pathogénique la
troubles déficitaires… décomposition du champ de la conscience.
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venons de le souligner. Qu’est-ce à dire, sinon que les opérations par lesquelles l’es-
prit s’engage dans l’observation, la réflexion, le choix méthodique et l’effort soutenu
sont impossibles ? Les grandes synthèses de la mémoration et de l’orientation sont
troublées non dans ce qu’elles ont de simple, mais dans leurs fonctions élevées (ordre
chronologique des souvenirs, cadres temporo-spatiaux nets et hiérarchisés, développe-
ment de l’action dans un ordre de succession mesuré). La perception du réel est hâti-
ve et superficielle. Les mécanismes profonds de la pensée, l’emploi contrôlé et atten-
tif des schémas qui organisent et forment le flux intuitif sont défaillants. Il manque à
la vie psychique sa véritable dimension : la profondeur, d’où sa volatilité. Tous les pro-
cessus se déroulent en surface faute de pouvoir accéder à une véritable construction
patiente et pondérée.
La pensée s’évapore, glisse, sans pénétrer ni s’attarder et le relâche ment, la dis-
persion, le gaspillage d’énergie utile, favorisent la poussée des instances inconscientes
et automatiques.
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3° Déstructuration temporelle-éthique.
L’affectivité est constituée par des « forces instinctives », par le « tonus vital » qui
animent l’activité intellectuelle et la personnalité. Ce sont des « fonctions de base »
certes, mais l’erreur qui consiste à voir dans la manie un simple trouble olothymique
(MAIER) que l’on se figure basique et élémentaire, doit être dissipée. L’affectivité n’est
pas touchée à sa base par une exaltation primitive du biotonus (EWALD), elle est attein-
te secondairement par suite d’une modification plus globale de l’activité qui intègre
ses tendances dynamogènes dans des actes réfléchis et adaptés. On peut dans une pre-
mière approximation, et en recourant aux banalités habituelles, dire que c’est l’appa-
reil fonctionnel de contention, d’inhibition et de régularisation du « tonus vital » ou de
« l’équilibre instinctivo-affectif » qui est lésé, et que l’affaiblissement du contrôle du
flux affectif, par les instances intellectuelles, constitue l’essentiel du déficit fonction-
nel : d’où l’anarchie de la vie psychique en tant que celle-ci cesse d’être représenta-
tion réfléchie du réel, d’où aussi la ruée des forces instinctivo-affectives « libérées »
qui se répandent en désordre tumultueux et stérile, la mémoire devenant une mémora-
tion chaotique, l’idéation un miroitement d’images, et le jugement se dissolvant jus-
qu’à n’être plus qu’une acceptation des croyances asséritives, monde verbal et figuré
du désir. Mais pour caractériser cette impétuosité de mouvement vertigineux, comme
nous l’avons vu avec BINSWANGER, il ne suffit pas d’invoquer une rapidité objective,
mécanique et en quelque sorte primitive de la pensée, ni de faire appel à la force des
instincts déchaînés, il faut comprendre que la vitesse de la pensée et la force « libé-
rée » entrent dans une structure plus globale de la conscience qui s’organise comme
…une vertigineuse impos- une forme originale et actuelle d’existence, celle d’une vertigineuse impossibilité de
sibilité de s’arrêter… s’arrêter. Élan plus que mouvement passif, projection et jeu d’élation que mouvement
communiqué, le trouble fondamental de la manie réside dans cette frénésie qui pous-
se le maniaque à ne se soumettre à rien, ni au présent ni au réel, ni aux convenances,
1. LEWIN (B. D.), Psychoanalysis of Elation, insiste très heureusement (pp. 82 à 101) sur l’ana-
logie de la manie et du rêve.
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ni aux conseils, ni à son intérêt, ni surtout aux impératifs sociaux ou moraux. Cette
course éperdue, cette insatiable et tourbillonnante manière d’être au monde, c’est-à-
dire de ne s’arrêter à rien, de ne s’arrêter pour rien au monde, ni au présent qui requiert
une relative immobilité, ni aux disciplines éthiques ou logiques qui exigent un retour
en arrière, une réflexion, nous la saisissons ici d’abord comme une impuissance, une
nécessité qui soumet la forme de la conscience à un type de déstructuration propre, la
désorganisation de l’ordre temporel-éthique. Nous devons souligner et une fois pour
toutes ce que nous entendons par « structure temporelle-éthique » et déstructuration …ce que nous entendons
temporelle-éthique. La conscience normale (cf. notre note 4 p. 82) a la faculté de par « structure temporel-
le-éthique »…
constituer le présent (non point celui de l’instant qui s’inscrit en heures ou en minutes
sur le cadran de l’horloge mais ce présent qui est la situation actuellement et réelle-
ment vécue comme « l’événement qui est en train de se passer »). Or ce présent exige
un équilibre, une pause, une pondération, une « réflexion » qui subordonnent les
moyens par rapport à la « fin » de l’événement présent, qui modèrent les élans intem-
pestifs, la précipitation, l’impatience, qui règlent le déroulement des instances succes-
sives dont se compose ce présent, etc. C’est-à-dire que la conscience a normalement
une structure temporelle-éthique en tant qu’elle oriente et tempère le sens du courant
de son vécu. La déstructuration de cette structure, son dérèglement maniaque – et nous
verrons qu’il est de même mais en sens inverse pour la mélancolie – doit s’entendre
tout à la fois comme une précipitation tumultueuse hors de la « mesure » du temps
vécu et comme un déchaînement de l’avidité dévorante des désirs. Et c’est pour quoi
nous parlons ici, rejoignant les analyses de BINSWANGER et celles de HESNARD de
déstructuration temporelle-éthique, ce que l’on doit entendre comme une désorganisa-
tion de l’organisation simultanée de l’« attention de la vie présente » et de la problé-
matique du présent. En ce sens cette déstructuration est la même que celle de « l’émo-
tion » qui dans la joie ou la colère « déchaîne » les tendances, précipite le sujet « hors
de lui » ou l’en traîne irrésistiblement. Mais ici il s’agit d’une émotion irréversible qui
se déroule non pas comme un événement intégré dans l’existence mais comme une
rupture de la continuité historique de l’individu : c’est une « crise ». Désordre de
l’ordre temporel par impatience, et désordre éthique par insouciance, ce désordre n’est
pas seulement un vide et une désorganisation, il suppose encore une organisation, une
forme d’existence, et c’est elle qui constitue la structure positive de la manie. Cela
nous suffit ici pour rendre évident que le fait primordial de la manie, c’est d’être un
tourbillon qui emporte et déchaîne la conscience hors des lois constitutives d’un réel
« présent », c’est-à-dire du sens même de sa direction.
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Ce besoin de dévorer qui « excite » le maniaque, est vécu comme un jeu, un jeu
imaginatif et un jeu de pulsions 1.
Ce sont ces trois aspects cliniques de la structure intentionnelle de la conscience
maniaque que nous devons maintenant retrouver ici.
1° Le comportement de jeu.
Le maniaque « joue. » Il s’amuse. Sa gesticulation, sa mimique, ses inventions et
ses aspirations, tout son comportement, ses grimaces, ses bouffonneries, son manié-
risme, son emphase, sa puérilité, ses facéties, son humeur espiègle, sa jovialité fami-
lière, toute son activité en un mot, est empreinte, comme nous l’avons vu, d’une signi-
fication ludique, c’est-à-dire que pour lui le monde n’est pas sérieux d’une part, et que,
d’autre part, ses fantaisies sont vécues elles-mêmes comme une réalité sans réalité,
…aspects cliniques de la dont il use et s’amuse comme d’un hochet, d’une chose soumise à son plaisir, juste
structure intentionnelle
assez « objective » pour lui donner l’impression qu’elle est une « chose », juste assez
de la conscience
maniaque… « subjective » pour qu’elle lui donne l’impression d’en être maître. Tout est vécu par
le maniaque dans cette perspective optimiste et hyperbolique. Il entoure d’un halo ima-
ginatif les objets, les personnes, les événements, et il confère au monde objectif les
valeurs artificielles à la mesure de son seul désir. Ce double mouvement intégré dans
l’euphorique ivresse d’une action sans cesse divertissante définit le jeu, ce jeu, qu’il
projette devant lui, « hors de lui ». Il jongle avec ses idées, ses illusions, ses troubles,
il s’amuse de ses gestes, il se grise de ses mouvements, s’enthousiasme de ses mots
comme il tire du plaisir de tout, d’un bouton de porte, de ses pieds, de sa voix. Sa verve
intarissable se joue de tout, extrait le comique des moindres banalités. Il se délecte,
infatigable, des plus minuscules riens, poursuivant inlassablement sa sarabande, sa
ronde endiablée. Toute la manie est là, dans cette impossibilité d’adhérer au vrai réel 2
et dans ce besoin de caresser un réel ductile et plastique qui se plie au gré de ses
caprices, impossibilité déjà impliquée dans les troubles négatifs et besoin grossi par la
poussée des forces qui exigent de se satisfaire et de se rassasier. Même quand la manie
ne se joue plus « en clé de joie », même quand elle comporte la note fréquente d’une
colère elle-même feinte ou caricaturale, c’est encore dans le cadre ludique que le com-
portement maniaque ne cesse de se mouvoir. Car être maniaque c’est jouer et jouir.
1. Comme le rêve. Nous renvoyons à ce que nous avons dit de la structure fantasmique de la
manie dans notre Étude n° 8 (t. I).
2. C’est une illusion, entretenue par l’usage du concept inadéquat de « syntonie » ou pire encore
de la notion d’ « hypersyntonie » qui fait croire à la « projection » du maniaque dans la « réali-
té », car son jeu traverse la réalité, la déjoue.
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La fabulation est sur le plan de l’imaginaire ce qu’est le jeu sur le plan du com-
portement. Prenons, au hasard, un exemple, écoutons une malade : « J’ai fait la pros-
titution avec mon père. Y a donc une terre, dis... Beethoven? Maintenant (elle voit le
médecin fumer). J’ai assez fumé. Je me serais mariée, même avec trois nègres. Je
serais même un cochon si tu veux... Je te remercie beaucoup ; je te rapporterai comme
tu as été crié... Je vous ai déjà vu au cinéma, je ne sais pas dans quoi tu es poussé...
T’es donc un carabin? Tu as fait du cinéma ?... tu as chatouillé le nez de maman ?...
J’ai fait un enfant qui était mort... Il est jour et nuit en même temps. J’avais perdu mon
esprit, mon père a changé de figure. Quand il fait kalt, il fallait se réchauffer avec un
pied-de-nez tout neuf, etc... » Et voilà à nouveau sous nos yeux la fuite des idées, cette
vapeur de rêve, ce bavardage inconsistant et rapide qui coïncide si exactement avec la
pensée que celle-ci ne peut pas ne pas s’exprimer sans celui-là, car chez le maniaque,
tout ce qui est pensé est parlé. Une telle « verbo-idéation » se soutient à l’aide de sou-
…aspects cliniques de la
venirs, de récits, d’apostrophes et de monologues. Quelle valeur de réalité peut s’atta-
structure intentionnelle
cher à cette fabulation verbale ? Ce n’est pas du délire, dit-on, car le sujet « n’y croit de la conscience
pas », et l’ensemble pensé et exprimé reste comme suspendu dans une demi-réalité, maniaque…
celle de l’inconsistance verbale. Mais ce n’est pas non plus, certes, une pensée stricte-
ment adaptée au réel comme un jeu contrôlé. Fuite des idées, délire verbal, fabulation,
propos incohérents, de quelque nom que l’on désigne le phénomène, il n’en demeure
pas moins dans son essence une sorte de demi-délire, soit qu’il se projette dans une
réalité faussement vécue et tende à s’identifier au délire, soit qu’il demeure dans la
conscience du malade plus près de son véritable niveau, celui d’une farce, d’un récit,
d’une « loufoquerie » ou d’une rêverie parlée et mimée. La thématique de cette fiction
est naturellement riche, variable et diverse comme la manie elle-même. Dans sa forme
la plus typique, l’élation, l’euphorie, l’enthousiasme, l’optimisme, orientent le
maniaque vers les thèmes érotiques, de grandeur ou prophétiques, mais aucun thème
n’est exclu de ses fantaisies, car l’exaltation passionnelle, l’irascibilité, les « à-coups »
même de cette réalité qui n’est jamais assez fluide et plastique, s’expriment souvent en
vécus de persécution et d’influence, ricochets nécessaires d’une expansivité qui se
heurte encore aux aspérités de la réalité objective ou butte contre soi-même.
93
ÉTUDE N° 21
Si, en général, le niveau maniaque est plus imaginatif, fabulatoire que « délirant »,
il est, comme nous le verrons plus loin, en si étroite continuité avec le vécu des états
de dépersonnalisation ou oniroïdes, que la moindre baisse de niveau doit nécessaire-
ment entraîner une dissolution plus grande des synthèses de la personnalité et de la réa-
lité, dissolution qui est vécue alors comme « expérience délirante » 1. La manie
contient donc, comme un de ses éléments positifs essentiels, une fiction parlée et pen-
sée qui se rapproche du délire. Une telle disposition à fabuler, à dramatiser, à roman-
cer, à jouer avec les mots, les concepts et les choses, constitue en soi une tendance déli-
rante, en ce sens qu’elle inflige une certaine distorsion à la réalité vécue.
La manie est, avons-nous dit et répété avec FREUD, un « festin orgiaque », une bac-
chanale. Mais pour bien comprendre le contenu fantasmique de l’intentionnalité de la
conscience telle que l’école psychanalytique l’a établi et approfondi, il ne faut pas
perdre de vue cette qualité existentielle propre à la manie, qualité que nous devons en
effet désigner comme l’essence de sa festivité bourdonnante de jubilation, d’enthou-
siasme et de plaisirs. Le maniaque en effet est en fête : il fait la noce et la foire.
Naturellement, sa soif de mouvements, son activité dévorante, sa « grande gueule »
(comme dit BINSWANGER), son appétit, sa fringale, sa faim, ce besoin de « tout avaler »
ne pouvaient manquer de frapper les psychanalystes 2 et K. ABRAHAM 3 a tout de suite
mis l’accent sur ce fait que le maniaque paraît dévorer l’« objet » de telle sorte que la
…la saturnale maniaque saturnale maniaque se présente comme une orgie de caractère cannibalique, comme
se présente comme une un festin totémique (FREUD). C’est relativement à l’introjection de l’objet par le mélan-
orgie de caractère canni-
colique, c’est-à-dire relativement à sa soumission à la magie du Sur-Moi incorporé,
balique, comme un festin
totémique (FREUD)… que la psychologie fantasmique du maniaque prend tout son relief. La manie est bien
1. Nous insisterons plus loin, et dans les études ultérieures, sur ce point fondamental.
2. JONES, Psychanalytic notes on a case of hypomania 1910 (cité par ABRAHAM).
3. K. ABRAHAM, Zur psychoanalytischen Erforschung und Behandlung der M. d. Irresein. 3ème
Congres psychanalytique international. Weimar 1911, in Zentralblatt f. Psychoanalysis, 1912, 11,
pp. 302 à 315. S. FREUD Totem et Tabou – article sur le retour infantile au totémisme 1912. La
phase orale 1915. K. ABRAHAM – Untersuchungen über die früherte proegenitale
Entwicklungsstrife der Libido. International Zeitsch. f. Psycho analyse, 1916, 4, pp. 71 à 97. B.
LEWIN, The Psychoanalytic Quarterly, 1932, I, p. 43. H. DEUTSCH, International Zeitsch. f.
Psychoanalyse, 1933, 19, p. 358. M. KLEIN, International J. of Psychoanalysis, 1935, 16 et 1940,
21. On trouvera des exposés complets des Études des Psychanalystes sur ce sujet dans le livre de
Bertram LEWIN : The psychoanalysis of elation. New-York, 1950, sous le titre Psicoanalisis de la
melancolia, (1948). On est un peu déçu par les pages que (dans la Dynamic Psychiatry
d’ALEXANDER et collab. 1952) HENRY W. BROSIN consacre (pp. 294-298) aux réactions maniaco-
dépressives.
94
MANIE
une angoisse retournée, extravertie et inversée. En plaçant hors de lui le centre et l’ob- …La manie est bien une
jet de sa vie affective, en l’incorporant au monde extérieur et en le dévorant, le mythe angoisse retournée,
extravertie et inversée…
du maniaque devient celui du triomphe. Dans cette dialectique pulsionnelle des jeux
de l’amour et de la réalité, la manie représente comme un procédé de conquête et d’ab-
sorption de l’objet aimé. Sous le jeu de sa fiction, le maniaque joue son existence dans
un autre jeu, celui du renversement même de toute problématique, de toute barrière
entre lui et l’objet, lui et le monde. Et c’est encore ce que les psychanalystes ont bien
vu, lorsque, par exemple, Mélanie KLEIN parle de sentiment de toute-puissance
maniaque comme d’une négation de la réalité psychique, et une destruction des fan-
tasmes introjectés, ou que B. LEWIN nous dit que la manie est comme le rêve du petit
enfant, un refuge, et ici – comme dans le rêve – un refuge qui a le sens d’un refus
(denial). Une certaine ambiguïté plane cependant sur toutes ces analyses, car le
maniaque en définitive, même s’il est dupe de son jeu, le joue, et loin de se trouver
contraint à vivre dans les profondeurs abyssales des premières phases du développe-
ment de la libido, il y recourt seulement comme à la source d’inspiration du mythe
nécessaire pour vivre le débordement, le gaspillage et l’avidité de son existence actuel-
le, en tant que forme de sa conscience vertigineusement ouverte sur l’infini, l’espoir et
le plaisir.
C’est seulement quand ils sont pris dans le tourbillon même de la structure néga-
tive de la conscience maniaque que tous ces mythes du maniaque (et ceux des psy-
chanalystes) trouvent leur sens. Et ce sens, c’est celui de la dilatation de l’existence,
de sa projection au delà de l’impossible présent, de sa volatilité jusqu’à l’extrême pos-
sibilité de sa puissance d’optimisme et d’illusion. La prestigieuse prestidigitation de
l’existence maniaque consiste précisément à transformer jusqu’à l’absurde la pensée
en monde, en monde verbal et imaginaire, subtil et léger comme un jeu de mots 1.
Ainsi la structure de la manie se situe-t-elle au niveau d’une déstructuration tem-
porelle-éthique, là où l’insouciance, l’élan du désir effréné se confondent dans un
même tourbillon. Mais il s’agit d’une modalité « éthique » pathologique en ce sens
qu’elle ne garde que la forme de la liberté, qu’elle est une nécessité, une fausse liber-
té de tout se permettre.
– Au terme de cette analyse, nous devons encore préciser et synthétiser notre pen-
sée, notamment sur trois points :
1. Ce qui nous fait revenir au point de départ de l’Étude psychanalytique sur la manie et les mots
d’esprit (S. FREUD, 1905), aux sources même du rire. Cf. aussi « Rôle of word in Mania » de M.
KATAN (Inter. Zeitschr. f. Psychoanal. Imago. 1940, 25, 138-173).
95
ÉTUDE N° 21
nous venons d’exposer en n’acceptant pas que la manie soit une forme d’existence
aussi archaïque que le prétendent paradoxalement les psychanalystes. Mais ce qui fait
parfois envisager la manie comme un trouble « très profond », c’est encore une autre
erreur, celle qui consiste, répétons-le, à considérer qu’il s’agit d’une affection de « l’af-
fectivité de base », « olothymique ». En fait, c’est une affection où l’affectivité de base
est bien perturbée, mais comme secondairement à un trouble de niveau supérieur, celui
d’une dissolution de la conscience très élevée dans la hiérarchie des dissolutions pos-
sibles, celui d’une déstructuration de sa temporalité en tant que celle-ci est, comme
nous l’avons vu, l’ordre qui contient et contraint l’élan, l’impatience et l’insouciance
de la conscience. Si nous envisageons maintenant le côté positif des troubles, nous dis
cernons mieux encore l’énorme masse de la part « subsistante » du psychisme. La
conscience de la maladie, les sentiments de contrainte et d’inspiration (plus fréquents
que les sentiments d’influence) témoignent encore de la forte réaction psychique dont
le sujet est capable ; ils expriment la grande part que le sujet lui-même (c’est le sens
et l’enjeu de son jeu) prend à ses propres troubles. Le jeu, nous l’avons dit, est corré-
latif d’une fiction peu profonde, d’un demi-délire qui tient le maniaque accroché enco-
re à l’ambiance et à la réalité mais comme à son jouet. Ici doit trouver sa place un
aspect clinique de première importance dont nous avons à plusieurs reprises parlé.
C’est l’adhérence du maniaque au « réel » ou tout au moins sa projection dans le
monde des objets, dans l’ambiance (« flight into reality » des anglo-saxons). Le jeu
comme la demi-fiction qui caractérise si profondément la pensée du maniaque, prend
encore pied dans son monde familier et le maniaque, dans son perpétuel effort pour
maintenir ce contact, réalise une de ses attitudes les plus typiques. Loin de sombrer
comme dans le sommeil, la confusion ou la schizophrénie vers le noyau subjectif de la
vie psychique, loin de basculer au fond de lui-même, de chavirer dans le rêve, il s’ef-
force encore de se projeter en dehors 1 MAGNAN avait bien noté ce trait structural de
…Tout au dehors : Telle première importance lorsqu’il disait : « toutes les portes sont grandes ouvertes pour
est la formule du projeter au dehors les images, les souvenirs, les mouvements... Tout au dehors : Telle
maniaque… (MAGNAN) est la formule du maniaque 2. »
Cette « formule » est en effet celle qui exprime l’effort incessant du maniaque pour
se maintenir au niveau d’une réalité mais d’une réalité qui lui échappe ; il s’y cram-
ponne et réussit tant bien que mal à ne pas se laisser engloutir par le torrent qui l’en-
traîne. Ce sont tous ces efforts dans ce sens, et ce qu’ils représentent encore d’activité
96
MANIE
psychique utile, qui donnent l’impression clinique si vraie que le maniaque à travers
toutes ses divagations, ses excentricités, sa logorrhée, sa fuite des idées, son agitation
psycho-motrice, ses jeux, est moins malade qu’il ne le paraît au vulgaire, tout en étant
plus malade que ne l’admettait peut-être la psychiatrie classique.
1. Formule qui comme un leit-motiv va être répétée au cours de nos « Études » ultérieures.
2. G. PETIT parlait au sujet de la manie de « régression pédoïde » et de régression « héboïde »
dans l’hypomanie. La régression infantile dans la manie. A. M. P. octobre, 1933. WITZEL
(Régression in manie dépressive reactions. Psychiatrie Quarterly, 1933, 7, 387) exposait à la
même époque des idées analogues.
3. L. BELLACK, Manic-depressive psychosis, New-York, 1952, pp. 1 à 17.
97
ÉTUDE N° 21
La crise de manie typique dont nous venons d’approfondir l’étude a posé aux
nosographistes de l’école classique des problèmes difficiles car il y a des crises de
manie où, certes, se rencontrent les traits essentiels de crises de manie « franche »
typique, « pure » et aiguë, mais qui ne sont pas assez « typiques » cependant pour que
soit posé le diagnostic de « manie », soit qu’à leur structure maniaque se mêlent des
troubles d’autres « maladies mentales », soit parce qu’elles ne sont pas aussi aiguës et
transitoires que les crises typiques, soit encore parce qu’au lieu d’apparaître comme
« pures » elles sont symptomatiques d’affections somatiques évidentes. Ce sont toutes
ces formes « atypiques » que nous devons maintenant brièvement examiner. Ces
« exceptions » doivent nous aider à mieux comprendre la pathologie de la crise de
manie hors d’une nosographie désuète et insoutenable, puisque, précisément, elle ne
peut que se détourner systématiquement de ces faits qui rendent caduque l’hypothèse
98
MANIE
d’une entité spécifique et pure. Pour nous, au contraire, qui n’acceptons pas ce préju-
gé il nous suffira de voir ces faits tels qu’ils sont, n’éprouvant aucune peine à les
admettre dans le cadre plus souple de la manie considérée comme un niveau de
déstructuration de la conscience qui admet des degrés, des formes d’évolution et des
facteurs de détermination variés et variables.
Nous allons successivement examiner les manies atypiques par leur séméiologie,
les manies atypiques par leur évolution, les manies atypiques par leur caractère
« symptomatique, » les manies mêlées à la mélancolie (états mixtes).
99
ÉTUDE N° 21
100
MANIE
vaise humeur », la projette sur les autres, la fait rebondir des autres sur soi et contre
lui-même. Signalons enfin l’association possible et paradoxale d’idées hypocon-
driaques à ces accès maniaques 1. Les malades se plaignent d’avoir été empoisonnés,
contaminés, souillés, d’avoir été ou d’être « travaillés » dans leur corps, etc... Et ceci
nous amène maintenant à la question des hallucinations dans la manie.
Généralement, le « mécanisme » d’édification de ces délires maniaques est verbal, …le « mécanisme » d’édi-
fication de ces délires
fabulatoire, imaginatif, intuitif et interprétatif. Mais naturellement, comme nous
maniaques est verbal,
l’avons souligné plus haut, les expériences délirantes de ces états peuvent être hallu- fabulatoire, imaginatif,
cinatoires, et on retrouve alors dans la séméiologie ces phénomènes groupés sous les intuitif et interprétatif…
noms classiques d’hallucinations psychiques, psycho-motrices verbales, cénesthé-
siques, pseudo-hallucinations visuelles, etc... Le syndrome de dépersonnalisation se
rencontre aussi quelquefois 2. La modification structurale de la conscience imageante
se présente sous forme d’une série d’états d’altération, de dramatisation de la
conscience qui ont été signalés par bien des auteurs. MAYER GROSS 3, ROUART 4,
BONNAFÉ et TOSQUELLES 5, ANDERSON 6, STERN 7, etc... Tous ces types de conscience
oniroïde ou extatique constituent des états crépusculaires plus ou moins profonds, et
qui s’éloignent d’autant plus de la structure maniaque qu’ils se confondent avec les
structures oniroïdes et confuso-oniriques que nous étudierons ultérieurement.
1. LANGE, p. 92.
2. Mais la dépersonnalisation en tant que malaise et angoisse fait partie beaucoup plus souvent
de la mélancolie délirante et anxieuse. Le sentiment d’être autre chez le maniaque est vécu dans
cette atmosphère propre à la joie pathologique, à l’acuité des sentiments d’ineffable bonheur, si
bien analysés par RÜMKE (1924). Dans son travail sur les troubles de la conscience de la person-
nalité chez les malades maniaco-dépressifs (un petit volume de 60 pages, Éd. KARGER, 1938), E.
STÖRRING, à propos de son malade S. W., montre cependant que l’état de tension, d’exaltation
(Spannung) s’accompagnait de ce sentiment d’étrangeté. VALKENBURG a également étudié il y a
quelques années le syndrome de dépersonnalisation dans la manie et la mélancolie (Nerderl.
Tijdschr. v. geneesk., 1939, 83, 1, 1767).
3. MAYER GROSS, cf. plus loin p. 250 à 279.
4. ROUART, L’onirisme dans la manie, Evol. Psych., 1936.
5. BONNAFÉ et TOSQUELLES, Ann. Médico-Psycho., 1944, 1, p. 168.
6. E. W. ANDERSON, Clinical study of states of « extasy » occuring in affective disorders. J. Neuro.
and Psych., 1938, 1, 80 ; et (en collaboration avec MALLINSON) Psychogenic episode in the cour-
se of major psychoses. J. ment. Sc., 1941, 87, 383.
7. STERN et WHILES, Three Ganser states and Hamlet, J. ment. Sc., 1942, 88, 794.
8. Cf. la description qu’en donne DERON (p. 159).
9. Dans sa communication le 27 juin 1910 (Ann. Médico-Psycho., 1910), il a fait à ce sujet des
réflexions très intéressantes qui ont donné lieu à une discussion.
101
ÉTUDE N° 21
c’est sous le nom de « delirious mania »qu’elle a été désignée. En psychiatrie alle-
mande, la « manische Verimriheit » et 1’« ideenfluchtige Verwiriheit » sont des notions
qui ont été élaborées par WERNICKE et KRAEPELIN. Dans un travail de PILCZ 1, on trou-
vera un long développement sur ces formes confusionnelles de la manie. A propos du
deuxième malade qui fait l’objet de l’analyse existentielle de BINSWANGER 2, celui-ci
nous rappelle la conception de WERNICKE qui distinguait trois degrés dans la fuite des
idées : la fuite des idées ordonnée caractérisée par un état d’exaltation de la producti-
vité, les troubles des associations, mais avec intégrité des liaisons intellectuelles ; la
fuite des idées désordonnée avec euphorie, jeux de mots, dévidement rapide d’images ;
la fuite des idées incohérente avec propos confus, agitation, logorrhée. A ce tableau
clinique de la manie confuse, dit BINSWANGER, les auteurs classiques ont ajouté des
idées de grandeur, les hallucinations, l’agressivité de telle sorte que le diagnostic entre
la manie confuse et la confusion maniaque est – on le conçoit ! – difficile. Et il suffit
de se rapporter par exemple à la longue observation que BINSWANGER expose (p. 192
à 197) pour se rendre compte qu’il est en effet impossible de parler dans ce cas de
…Manie confuse et inco-
hérente… manie en éliminant ipso facto le diagnostic de confusion. Il faut prendre ces tableaux
cliniques pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des confusions qui contiennent l’aspect de la
manie – point sur lequel nous aurons à revenir à plusieurs reprises et longuement. Mais
ce qui rend ces cas de confusion inséparables de la manie c’est que dans l’évolution
même des troubles, la confusion suit ou précède l’accès maniaque franc avec lequel il
est en continuité parfois dans le même accès, parfois dans la succession des accès chez
le même malade. Cela montre encore une fois qu’entre confusion et manie, il y a une
différence de niveau, ce qui n’exclut pas, comme nous le soulignons plus tard, une dif-
férence de structure. Mais il ne peut, bien entendu, s’agir de deux maladies distinctes...
C’est-à-dire que la description de ces manies confuses trouvera mieux sa place dans
notre Étude n° 24 (comme celle des manies délirantes et hallucinatoires se retrouvera
dans notre Étude n° 23).
Quoi qu’il en soit, il nous suffit de rappeler que la clinique nous offre tous les jours
des cas où le diagnostic entre manie et confusion est strictement impossible et que ces
cas sont ceux précisément où la confusion rappelle, dans sa structure et à un niveau de
déstructuration plus inférieur, le vécu de la manie. Dans ces cas, l’obscurcissement de
la conscience, sa structure confuso-onirique, l’agitation désordonnée, les troubles de
l’orientation, l’atmosphère plus opaque et l’intensité plus actuelle du vécu délirant sont
tels, que c’est plus directement encore à la pensée obscure de rêve qu’est précisément
la confusion que nous renvoie le tableau clinique de ces « Manies ».
102
MANIE
Ces dernières années, CHATAGNON et SOULAIRAC 1 ont attiré l’attention sur la fré-
quence de la phase confusionnelle que traverse la crise de manie. Mais au lieu de voir
une différence de niveau entre l’un et l’autre état, ce qui rend parfaitement significati-
ve cette fréquence, ils se contentent de faire appel comme la plupart des psychiatres
qui se sont intéressés à cet aspect séméiologique de la clinique quotidienne, à des
notions comme la juxtaposition « d’un facteur » confusionnel ou d’un « appoint
toxique ».
La « manie » dans sa pureté et sa typicité est une « crise ». Mais il y a des manies
chroniques 2.
Le tableau clinique des « manies chroniques » n’est pas exceptionnel dans les ser-
vices psychiatriques (environ 2 ou 3 % des malades chroniques), aussi les cliniciens se
sont-ils attachés à leur description. Mais l’extension du cadre des schizophrénies tend
…Les Manies chro-
à les absorber, sans y réussir toutefois à la satisfaction de tous, car ces formes d’exci-
niques…
tation avec leur excentricité, leur fabulation, leur thématique délirante, demeurent
cependant plus près de la manie que de l’incohérence schizophrénique. Aussi, n’est-il
pas sans intérêt pour nous de nous attarder un peu à cette question et à la position noso-
graphique de la manie chronique. Il existe d’ailleurs très peu de travaux généraux sur
ce point, contrairement à ce que laisserait prévoir l’usage presque quotidien qui est fait
de ce terme.
WERTHAM 3 signale l’abus qu’il y aurait à faire de la manie chronique le synony-
me de manie incurable. D’après lui, il faut réserver cette dénomination aux accès
maniaques qui se prolongent de telle sorte qu’ils deviennent l’habitus du sujet, même
si, à un moment donné, 2, 3, 4, 5 ans après, cet habitus cesse.
De par ailleurs, la notion de manie chronique paraît devoir être réservée aux faits
de prolongation d’un véritable état maniaque. C’est-à-dire qu’elle ne se confond pas
nécessairement avec la notion d’hypomanie qui représente, en tant qu’état d’excitation
maniaque constitutionnel, un fond de manie chronique un peu spécial.
La manie chronique peut donc être définie un habitus maniaque qui s’installe à la
suite d’une ou plusieurs crises maniaco-dépressives.
Les auteurs qui se sont occupés de la question soulignent la fréquence plus gran-
de de ces formes de manie chronique chez les femmes.
103
ÉTUDE N° 21
1. HAMEL et VERNET, Contrib. à l’étude de la Manie Chr., Encéphale, 1921, 515-526, 596-600.
104
MANIE
2° La manie rémittente.
On trouvera une description de ce type assez fréquent, par exemple dans l’obser-
vation que ROGUES DE FURSAC 2 a publiée comme caractéristique de Manie Chronique.
L’évolution « démentielle » des manies passées à la chronicité, soit après un seul
accès (particulièrement pour des manies plus ou moins typiques d’involution), ou
après plusieurs accès maniaques (manie intermittente ou rémittente), affecte deux
formes. Tantôt il s’agit du type « démence agitée » : le malade devient de plus en plus
grossier, tumultueux, désordonné ; il est malpropre et débraillé. Son activité devient
absolument vide et stérile. Les fonctions mentales élémentaires sont très altérées.
Malgré la persistance de l’aspect maniaque superficiel, les propos deviennent insi-
gnifiants, la mémoire s’affaiblit, la conscience s’obscurcit progressivement jusqu’au
1. Telle est la physionomie générale du maniaque chronique. Se reporter aux descriptions clas-
siques de SCHULE (Handbuch d. Geisteskr., Ed. fr., 1888, p. 101), de RÉGIS (Précis, p. 277) ou par
exemple au cas de LEROY (Soc. Méd. Ment., 1904).
2. ROGUES de FURSAC, Précis de Psychiatrie 1923.
105
ÉTUDE N° 21
moment où, perdus dans une agitation perpétuelle ou fixés dans la turbulence et l’in-
curie, ces « maniaques » deviennent inconscients et réduits à une vie purement végé-
tative. Tantôt il s’agit de cas de type schizophrénique, caractérisés par l’évolution de
la manie vers un état de dissociation, une incohérence idéo-verbale très marquée et
qui laisse le clinicien fort perplexe : vie psychique impénétrable, salade de mots, sté-
réotypie du comportement, impulsivité, maniérisme, crises d’agitation catatonique,
structure autistique de la pensée. On conçoit que de tels cas aient posé avec une par-
ticulière acuité la question des rapports de certaines psychoses périodiques avec les
états schizophréniques 1.
Cette forme sans être très fréquente est aussi d’une grande importance clinique et
théorique. On observe des délires généralement fabulatoires ou d’imagination, mais
on peut rencontrer aussi des délires d’influence et des délires de persécution halluci-
…constructions déli- natoires. Dans la forme fabulatoire simple, il s’agit généralement de constructions
rantes prolixes, touffues, délirantes prolixes, touffues, juxtaposées, où se trouvent mêlés les faux souvenirs, les
juxtaposées…
fausses reconnaissances, des récits d’aventures extravagantes, des fabulations extem-
poranées, des idées mégalomaniaques. Les propos de ces délirants sont rapides,
désordonnés, mêlés de décharges émotionnelles, d’injures, d’exclamations et de
bouffées d’agitation. Notons la fréquence des thèmes de filiation, des délires de per-
sécution, des délires d’inspiration ou prophétiques et des délires spirites. Dans ces
dernières formes, les hallucinations psychiques et psychomotrices sont la règle. Du
point de vue de leur structure, certains de ces délires de la manie chronique restent
assez cohérents pour constituer des délires passionnels, de filiation, d’influence ou de
persécution de structure systématique, mais c’est l’exception. Le plus souvent, il
s’agit de délires imaginatifs, incohérents, fabulatoires, mobiles, absurdes, de type de
la paraphrénie expansive.
On sait à quelles discussions doctrinales ces délires ont donné lieu, et que leur
existence a été classiquement reconnue par la notion même de « délires chroniques
secondaires » des auteurs anciens. C’est dire que nous ne visons pas ici des cas d’ex-
1. Cf. parmi les travaux si nombreux sur ce point, article de LANGE (Traité de BUMKE 1928), l’ar-
ticle de CLAUDE et LEVY-VALENSI, Encéphale, 1931. – l’article de N. D. C. LEWIS et HUBBARD.
The mecanism and pronostic aspects of the manic-depressiv. schizophrenic combinations, A. for
research nerv. and ment. Disease, 1931, II, pp. 539 à 608. – la thèse, de ROUART (Paris, 1934) –
le rapport de AUBREY-LEWIS sur le pronostic de la psych. m. d. (1936). J. WYRSCH, Zeitsch. f. d.
g. Neuro., 1937, 159, 668 à 693.– le travail de HOCH et RACHLIN : An évaluation of m. d. in the
light of follow up studies. Am. J. Psych., 1941. Dans tous ces travaux et tant d’autres analogues,
nous trouvons des observations ou statistiques d’états maniaques chroniques posant au clinicien
une des plus grandes difficultés de diagnostic.
106
MANIE
ception, mais une masse considérable de délires chroniques. Pour certains auteurs
effectivement, il existe des relations très étroites entre la paranoïa, les délires chro-
niques et l’excitation maniaque chronique. SPECHT 1, BESSIÈRÈ 2,PETIT 3, CAPGRAS 4,
etc., ont insisté beaucoup sur ces relations, et il semble bien, en effet, que le substra-
tum d’excitation maniaque se rencontre dans l’évolution et la genèse de certaines
« paranoïas ». Les relations des paraphrénies expansives et des manies chroniques sont
encore moins précisées mais elles nous paraissent être d’une grande importance
comme nous aurons l’occasion de le voir ultérieurement.
5° « Hypomanie chronique ».
Enfin, bien que l’hypomanie n’entre pas classiquement dans la définition même de
la Manie chronique, nous devons signaler la possibilité d’une forme hypomaniaque de
la manie chronique. Sans doute, la manie chronique mérite-t-elle d’être à certains
égards opposée pour ainsi dire à l’hypomanie constitutionnelle, mais il existe des
formes d’accès maniaques qui se prolongent indéfiniment sous la forme d’une exubé-
rance hypomaniaque (« manie douce » de SCHULE).
On sait que « l’hypomanie » a été ainsi baptisée par RÉGIS qui en faisait une consti- …« l’hypomanie » a été
tution autonome, caractérisée par un état permanent d’excitation mentale simple avec ainsi baptisée par RÉGIS
qui en faisait une consti-
exaltation intellectuelle, hypertonie affective et troubles du comportement. On la
tution autonome…
décrit classiquement comme composée de trois catégories de symptômes.
Dans la sphère intellectuelle, il existe une grande promptitude de jugement, les
associations sont rapides, les opinions variables, les estimations sommaires. La pro-
duction intellectuelle est abondante, superficielle, imaginative. Les fabulations
maniaques sont fréquentes. Le bavardage, l’esprit d’entreprise, 1’ « inventivité » sont
habituels.
Dans la sphère affective, on note des variations de l’humeur, qui reste cependant
généralement très tendue, euphorique ou rageuse. L’éréthisme émotionnel, les colères
« type soupe-au-lait », les exaltations passionnelles qui flambent comme un « feu de
paille », les tendances altruistes constituent autant de traits de la mentalité hypoma-
niaque dont tout le tableau clinique est coloré d’inconsistance et de légèreté.
Dans la sphère du comportement, les maladresses, les entreprises hasardeuses, les
hâbleries, la prodigalité, les excès de dévouement, les changements de résidence, de
profession, les voyages, les procès, les affaires, les achats, les coups de tête se succè-
107
ÉTUDE N° 21
« personnalité psychopa-
On a beaucoup discuté dans l’École allemande pour savoir si ce type de « person-
thique hyperthymique » nalité psychopathique hyperthymique » appartient ou non aux formes d’hypomanie,
c’est-à-dire, en dernier ressort, au cadre maniaco-dépressif au sens large. On trouvera
un exposé très intéressant de ces discussions (EWALD, Kurt SCHNEIDER, Heinz
SCHULTZ, etc...) dans le travail de Hans HOLLWEIDE 1. Ces controverses naturellement
ont beaucoup porté sur les analyses du tempérament et du caractère. Pour K.
SCHNEIDER, le groupe des personnalités hyperthymiques comprend dix variétés allant
depuis le philanthrope jusqu’au meurtrier, et tous ces « déséquilibrés » impulsifs, irri-
tables, violents et exaltés, entrent dans le cadre de l’hypomanie. H. HOLLWEIDE estime,
au contraire, que malgré un certain nombre de traits caractériels communs (tableau p.
734), il y a lieu de penser qu’il s’agit d’une psychopathie hyperthymique plutôt que
d’un maniaque chronique (hypomanie), lorsque l’on peut noter les traits de caractère
suivants : hyperesthésie – tendance à des réactions « doubles » à la fois sollicitées par
le milieu extérieur et intérieur – labilité de l’humeur de type réactionnel – sentiment
accentué d’une stabilité suffisante, et enfin suggestibilité sous l’influence de moyens
psychothérapiques.
L’habitus hypomaniaque chronique (si nous ne voulons pas trop nous engager dans
la voie de toutes ces subtilités) nous paraît se distinguer de l’hypomanie constitution-
nelle : 1° par le désordre plus grave des actes (la variabilité et l’inconsistance des buts
donnant à l’ensemble du comportement un aspect plus fragmentaire et incohérent),
108
MANIE
1. Ce problème moins étudié que celui des états dépressifs et des névroses n’est pas moins impor-
tant (cf. notre Étude n° 22 où justement nous parlerons des relations de la mélancolie et des
névroses).
2. MAGNAN, Leçons Cliniques, p. 404.
109
ÉTUDE N° 21
situation. Dans ces cas, la manie constitue une véritable entité clinique ; elle n’est
significative que d’elle-même ; c’est un état idiopathique, l’état maniaque joue le rôle
prépondérant, primordial. Or, les vrais maniaques sont rares; ce qui est très commun,
au contraire, c’est d’observer des malades ayant tout l’extérieur des maniaques chez
lesquels la manie n’est qu’un aspect d’un autre mal, l’indice révélateur d’un autre
désordre intellectuel, le signe par lequel ce trouble se manifeste. C’est à ces états qu’il
faut attacher la dénomination d’état maniaque. »
…dans la psychiatrie Telle est la position de la psychiatrie classique; l’accès de Manie franche aiguë
classique; l’accès de appartient à une « psychose endogène » définie par son évolution cyclique. Il est donc
Manie franche aiguë généralement intégré à la psychose périodique intermittente ou maniaque-dépressive,
appartient à une « psy-
c’est-à-dire, dira-t-on plus tard, à une psychose constitutionnelle à hérédité similaire
chose endogène » définie
par son évolution se transmettant sur le mode mendelien dominant. C’est une entité clinique pure. Nous
cyclique… aurons l’occasion toujours à propos des généralités sur les « psychoses périodiques 1 »
de voir que les choses ne sont pas aussi simples et évidentes dans la clinique qui oppo-
se à cette conception les formes atypiques des psychoses intermittentes, l’hérédité
dégénérative dissemblable et les cas de manie aiguë symptomatique d’autres psy-
choses ou d’affections neuro-somatiques diverses. Nous ne pouvons songer ici à don-
ner un aperçu historique et clinique complet de cette question, nous tenons simplement
à signaler que cette opposition entre manie « vraie » et « fausse » vaut ce que valent
généralement les notions de « pseudo-maladies » ou d’affections « essentielles » en
pathologie générale comme en pathologie mentale...
En fait, s’il est exact que la manie s’observe avec une particulière fréquence dans
…il n’en reste pas moins
sa forme « pure » ou typique chez les pycniques cyclothymiques issus de familles à
que la « manie » […] peut
également s’observer antécédents maniaco-dépressifs et présentant eux-mêmes des crises intermittentes, il
dans des cadres clinico- n’en reste pas moins que la « manie » telle que nous l’avons longuement analysée peut
étiologiques très divers… également s’observer dans des cadres clinico-étiologiques très divers.
Quatre faits sont d’une telle importance qu’ils ne peuvent pas être tenus en dehors
du débat ; ce sont d’une part 1° l’action pathogène de la sénescence, 2° l’action patho-
gène des toxiques, 3° les états maniaques symptomatiques d’affections démentielles au
début de leur évolution, 4° les syndromes maniaques symptomatiques d’affections
organiques.
On sait à quelles discussions ont donné lieu les rapports des états maniaques d’in-
volution, les manies séniles avec la psychose maniaco-dépressive (si le problème a été
plus souvent soulevé pour la mélancolie d’involution, il est le même pour les états
maniaques de la sénescence). C’est que chez des sujets indemnes de toute prédisposi-
tion individuelle ou familiale, le déclin somato-psychique déclenche des états d’exci-
tation qui ont une structure maniaque authentique du point de vue séméiologique. La
1. Cf. aussi : H. EY, Hérédité et Psychiatrie, Rapport pour les Journées de Bonneval, 1950, à paraître
prochainement. [NdE : ce rapport annoncé, n’est pas paru sous forme d’un ouvrage séparé].
110
MANIE
jugé que le tableau clinique réalisé dans les phases de début ou dans les degrés légers
d’intoxication, affecte souvent celui de la manie. Et encore une fois, ce n’est pas parce
que ces états sont « symptomatiques » ou d’origine toxique qu’ils cessent d’être
maniaques. Il en est de même par exemple des états maniaques provoqués par la cor-
tisone et l’A. C. T. H. (cf. notre Étude n° 25) ; faits sur lesquels nous reviendrons à
propos de la pathogénie des psychoses périodiques.
Il est également banal d’observer au début d’évolutions psychopatiques démen-
tielles, telles que la paralysie générale, la démence sénile, la démence artériopa-
thique 6, des états d’exaltation psychomotrice qui constitueront de « vrais » états
maniaques si on ne les considérait généralement que comme des « syndromes » d’ex-
citation symptomatiques de ces diverses affections. Ceci encore une fois ne doit pas
nous échapper dans cet inventaire approfondi de la manie.
Que dire maintenant de toutes les observations publiées depuis 50 ans dans toutes
nos revues ou exposés au sein de toutes nos sociétés où il est question des « manies
symptomatiques » d’affections diverses ? Deux ordres d’observations doivent être ici
particulièrement mentionnés : celles où la manie paraît symptomatique de lésions céré-
brales et celles où la manie paraît symptomatique de troubles hormonaux.
Qu’il s’agisse de traumatisme crânien 7, de tumeur cérébrale 8, d’atrophie cérébra-
111
ÉTUDE N° 21
112
MANIE
Enfin ces dernières années, c’est sur le système hypophyso-cortico-surrénal que les
observations et investigations se sont concentrées 1 et notamment à propos de la physio-
pathologie des réactions d’alarme 2 de SELYE et des inter-réactions dont l’A. C. T. H. 3
est le vecteur entre le centre pituitaire et la cortico-surrénale. Ce cycle hormonal com-
plexe (hypophyso-corticosurréno-génital) est actuellement pressenti comme un « facteur
hormonal » qui peut s’avérer de grande importance pour la pathogénie de la manie.
En effet, ainsi que BINSWANGER l’a souligné expressément, l’analyse structurale, la
phénoménologie de la manie loin d’être en contradiction avec une pathogénie diencé-
phalique (ou humorale) de la manie, s’en accommode fort bien. Nous dirions même
qu’elle l’exige car la structure négative du trouble signe le processus pathologique qui
le conditionne.
Mais, dira-t-on, dans tout cas de manie « symptomatique », il ne s’agit que de fac- …les manies symptoma-
teurs organiques de déclenchement, de « facteurs de précipitation » et l’essentiel tiques, discussion…
Les cliniciens ont naturellement été frappés de l’intrication des traits maniaques et
mélancoliques dans le tableau clinique de la manie. C’est peut-être une des raisons
pour lesquelles ces « psychoses typiques » ont eu tant de mal à être individualisées
(comme nous l’avons vu dans l’Étude n° 20). Quoi qu’il en soit, point n’est besoin de
recourir à l’autorité de ZACCHIAS, de WILLIS OU à celle de GRIESINGER pour établir la
réalité de ce fait clinique que tout le monde peut observer si aisément. Après
1. Les travaux de ALTSCHULE (M. D.), de CLEGHORN (R. A.), de HOAGLAND (H.), de HEMPHILL (R. E.),
de LEHMANN (H. E.), de MALAMUD (W.), de PINCUS (G.), etc., seront exposés dans notre Étude n° 25.
2. DELAY, Ann. Médico-Psycho., 1952.– BENDA, Encéphale, 1951.
3. Après les cures de cortisone et d’A. C. T. H. des crises de manie ont été observées par ROME
et BRACELAND, Proc. Mayo Clin., 1950, par CLEGHORN, Canada Méd., 1950, et depuis lors par de
nombreux auteurs. Cf. Étude n° 25.
4. C’est ce que souligne aussi SOMMER (note p. 270 de son Étude « États maniaque et mélanco-
liques » Évolution Psych., 1949, 11).
113
ÉTUDE N° 21
1. Nous avons publié (en collaboration avec Mme BONNAFOUS, Ann. Médico-Psycho., 1938, 1),
le cas d’une de nos malades Mme S. Elle a eu étant jeune (« cyclothymique héréditaire » ) une
seule crise de manie au moment où, ayant perdu son mari, « tout lui a été permis », autorisation
qui impliquait précisément un Sur-Moi inflexible et qui, à peine en avait-elle profité, a été sup-
primée. Elle a été précipitée à jamais dans la punition mélancolique de cette orgie contenue et un
seul moment goûtée.
2. Le maniaque ne goûte pas une « joie sans mélange ». RUMKE dans sa phénoménologie clinique
du sentiment du bonheur dit que sur 5.000 malades dont il a dépouillé l’observation de la
« Valeriusklinik » d’Amsterdam, il n’a pu retenir que quatre cas de « Glückerlebnis » au sens
strict du terme auquel il se tient rigoureusement dans sa monographie.
114
MANIE
*
* *
Cette étude des « formes atypiques » de la manie est donc pleine d’enseignements
puisque nous avons ainsi appris à considérer la manie sous un certain nombre d’as-
pects que la psychiatrie classique a trop méconnus. Avec la considération des degrés
de profondeur plus grands de la déstructuration de la conscience, nous avons bien vu
que la manie constitue un simple degré de cette déstructuration inséparable dans son
mouvement évolutif comme dans sa phénoménologie, des autres niveaux de dissolu-
tion de la conscience : la manie doit donc être étudiée dans la perspective dynamique
de cette évolution et de ces formes structurales hiérarchisées. Avec la considération
des formes chroniques nous avons vu que la manie pouvait, à des niveaux divers, se
survivre et s’installer comme une forme d’existence qui impose au système de la per-
sonnalité morbide son empreinte « maniaque » : la manie doit donc être étudiée dans …la manie doit donc être
la perspective historique de ses rapports possibles avec l’organisation de l’existence étudiée dans la perspecti-
ve historique de ses rap-
personnelle. D’autre part avec la considération des formes symptomatiques nous avons
ports possibles avec l’or-
vu que la manie ne cessait pas d’être authentique quand elle cessait d’être « pure » et ganisation de l’existence
qu’elle pouvait être incontestablement déterminée par des processus somato-nerveux personnelle…
qui conditionnent la dissolution qu’elle représente et que le maniaque vit sous forme
d’une expérience vécue typique : la manie doit donc être considérée dans une pers-
pective pathogénique. Enfin, avec la considération de ses rapports avec une forme de
conscience symétrique et de même niveau (la mélancolie), nous avons été amené à
voir que la manie est une forme d’existence essentiellement liée au conflit éthique qui
déchire l’homme : la manie doit être envisagée du point de vue de l’anthropologie
existentielle dans une perspective phénoménologique.
Si nous avons réussi dans notre entreprise nous pouvons dire que nous avons trai-
té de la manie dans une perspective multidimensionnelle et nous avons ainsi satisfait
aux règles méthodologiques que CLAUDE, BIRNBAUM, KRETSCHMER, JASPERS, etc. ont
particulièrement recommandées pour l’analyse structurale des psychoses.
Sans prétendre avoir atteint ce but, il n’est pas douteux que nous nous sommes
efforcé dans cette étude, comme dans celles qui vont suivre, d’envisager les aspects de
la conscience morbide dans toutes leurs articulations et ramifications, dans leur évo-
lution comme dans leur signification. Il importe, en effet, de cesser de voir dans la
manie (comme dans toutes les formes de déstructuration de la conscience), un « état »
en quelque sorte pur et simple, pour la considérer comme « conscience maniaque »
dans toute la complexité des aspects et des perspectives qui la composent et l’animent.
115
ÉTUDE N° 21
116
Étude n° 22
20. La classification des M. mentales.
21. Manie.
22. Mélancolie.
23. Bouffées délirantes.
MÉLANCOLIE
24. Confusion.
25. Psychoses périodiques
maniaco-dépressives.
26. Epilepsie.
27. Structure et destructuration
de la conscience.
niques, que nous ne perdrons plus de vue dans la suite de cette étude, si nous voulons
bien saisir tous les problèmes cliniques et pathologiques que soulèvent de telles crises.
Mme Ber-Gou Marie, 75 ans Cette malade qui a présenté de 15 à 30 ans des crises …Observation N°1…
d’épilepsie 1, a eu, depuis la cessation de ses crises jusqu’à 60 ans, une existence nor-
male. Sa sœur s’est suicidée et elle a, parmi des petits-enfants, un arriéré épileptique.
Depuis 15 ans elle a eu plusieurs crises de mélancolie (trois crises d’une durée de
quelques mois). Quand elle entre dans le service, son accès mélancolique actuel est
déjà ancien puisqu’il se prolonge depuis plus d’un an. Le tableau clinique de la mélan-
colie est typique : pessimisme, sentiment d’indignité, tendances autoaccusatrices et
hypocondriaques, inhibition. Elle parle lentement et ses propos, monotones et prolixes,
témoignent de la profondeur de son état de dépression et de tristesse. Voici ce qu’elle
exprime dans les conversations provoquées ou entretenues par « l’interrogatoire »
médical :
117
ÉTUDE N° 22
je meure ; c’est malheureux pour une parole... C’est à m’en faire mourir de chagrin...
On me dit bien sûr : « c’est une parole de rien », mais j’ai tant peur qu’elle se tour-
mente. Savez-vous encore une autre bêtise qui me retire le courage ?... Ça, je ne sais
pas si c’est guérissable... Voilà de ça, un ou deux ans, j’étais chez elle. Il y avait quel-
qu’un qui se met à lire les lignes de la main et voilà que j’ai la bêtise de dire : « Moi
qui suis vieille, je vais voir ce qu’elle va me dire... » Encore une faiblesse de la tête...!
Elle se met à me parler de la mort et dit : « A la fin je vois beaucoup de monde autour
de vous ». Alors j’ai compris en venant ici où il y a beaucoup de monde... Oui, cela
peut-être voulait dire qu’il y aurait beaucoup de monde autour de moi à ma mort
puisque j’ai eu 14 enfants et que j’ai 30 petits-enfants, mais ce n’est pas une consola-
tion, il n’y a pas de consolation pour moi. Le malheur nous poursuit toutes les deux.
Le Bon Dieu n’est pas toujours de notre côté. S’il n’y avait pas eu cette maudite machi-
ne à coudre et cette diseuse de bonne aventure, je n’aurais pas dit ces sales paroles...
Hélas ! faut-il ? ça me tuera... J’ai été quatre fois malade comme ça... Étant jeune,
j’avais les nerfs malades, mais je n’étais pas comme ça. » – Elle précise dans un petit
écrit de quelques lignes : « Les nerfs malades à la taille, quelle douleur !... Les effets
ne peuvent même pas les toucher, enfin cette douleur qui étouffe plutôt et rend mala-
de partout ! En plus, on ne peut ni marcher, ni travailler, et un peu plus forte, elle vous
force à pousser de forts gémissements ; enfin ce n’est pas du tout comme une douleur
ordinaire... elle menace de vous faire trouver mal. » Elle-même lie ses douleurs à ses
regrets : « J’ai deux choses de dépression que j’appelle les regrets ; quand ma fille s’est
mariée j’ai eu des regrets ; j’ai aussi les nerfs malades ; au fond c’est la même chose.»
Incessamment elle revient sur ses plaintes monotones ; ne parle que de son passé, de
ses malheurs, de ses reproches et de ses craintes. Le visage est hébété et exprime une
douleur constante. Le plus souvent abattue ou en proie à des crises d’énervement sté-
rile : elle n’a de goût ni à parler ni à s’occuper. La malade a guéri de son accès et vit
chez elle depuis trois ans.
Tel est le tableau clinique de la forme la plus banale et la plus simple d’une dépres-
sion mélancolique d’intensité moyenne, où prédominent le pessimisme, l’inhibition
(parfois remplacée par une légère fuite des idées), les sentiments de regrets ou d’indi-
gnité, et l’hypocondrie. C’est une crise de « noir ». Rien de plus fréquent que ce syn-
drome et c’est sa banalité même qui doit être, ici, inscrite en tête de cette étude. Cette
petite description clinique a son intérêt cependant ; elle nous montre nettement la
conscience mélancolique « refermée » sur le passé, contrainte par son « rappel »,
contractée et pliée sous son poids, de telle sorte que le seul présent possible, celui du
corps douloureux, est encore vécu comme un regret, ainsi qu’elle l’exprime elle-
même, expression qui dans la bouche de cette vieille paysanne simple et presque illet-
trée va rejoindre les analyses phénoménologiques les plus subtiles...
…Observation N°2… Mme D. 38 ans. « Mon mari va me laisser... Pour élever les enfants, il faut que je
m’en occupe, ça je le sais bien... Je vois bien que ça va mal... (silence)... Alors ?...
Parce que ?... Est-ce que je ne peux pas aller dans un autre service pour travailler ?...
où on me dira de faire ça... Je préférerais être commandée et rendre service... A la cou-
118
MÉLANCOLIE
ture ?... Ce n’est pas possible ?... Je ne veux pas rester sans rien faire !... Il faut tra-
vailler... Où allez-vous me mettre ? – (« Vous ne voulez pas tout de même aller aux tra-
vaux forcés ? » lui fait-on remarquer) – « Je ne peux pas, je ne l’ai pas mérité... Si ?...
Ah ! j’ai peur de la guerre !... C’est la guerre mondiale... J’ai bien vu en ville que toutes
les autos galopaient !... Je n’y comprends rien... Je n’y comprends rien !... Je n’y com-
prends rien... Je pense que je vais mourir... On m’a bien dit que je mourrai en 1952.
(Pourquoi, lui demande-t-on, voulez-vous vous donner la mort vous-même ?) – Je vois
que les choses ne sont pas comme avant, ça devient de plus en plus compliqué, la vie...
Il y a du désordre. Chez moi tout était en réparation, en déménagement, en désordre...
Des décombres et des rats partout... J’ai peur de ne pas rester ici... Mon mari ne veut
pas revenir sans doute ?... Mon mari ne veut pas revenir sans doute ?... Mon mari ne
veut pas revenir sans doute ?... Il vaudrait mieux que je meure !... Il vaudrait mieux
que je meure !... Si je suis toute seule, ce n’est pas la peine que je reste là !... Je n’avais
jamais vu ça, la guerre mondiale ! Ici, c’est calme oui, mais c’est dehors !... Chez moi,
c’était tout drôle, tout était en l’air... la guerre est revenue... Tout le monde galopait...
Moi je n’y suis pour rien... Rire ? Oh, ce n’est pas rigolo (elle rit)... A la maison j’avais
des cauchemars, j’entendais du bruit toute la nuit... un remue-ménage... c’est la guer-
re mondiale !... J’ai peur !... »
La note dominante est en effet la peur, peur de ce qui va arriver, peur d’une catas-
trophe cosmique imminente et déjà déclenchée. La mimique, la perplexité, l’énerve-
ment, le regard, manifestent cette profonde anxiété. Ce n’est que dans le récit et l’en-
tretien avec le médecin qu’elle s’apaise et par moment que « perce » l’enjouement qui
nous ramène à nouveau à un état mixte déjà étudié dans la précédente « Étude » et dont
la mélancolie anxieuse et agitée représente une forme clinique bien connue (dépres-
sion agitée).
La malade a guéri de son accès qui a duré 7 mois. Elle est depuis deux ans rentrée
dans sa famille.
La mélancolie est donc un « état dépressif » généralement paroxystique qui se défi-
nit par le caractère douloureux des contenus de conscience, l’effondrement de la
volonté, l’inhibition intellectuelle, l’idéation pessimiste et l’anxiété.
§ I. – HISTORIQUE
PREMIÈRE PÉRIODE. – (Nous englobons sous cette rubrique toute la médecine men-
tale antérieure à ESQUIROL). Depuis la plus haute antiquité, bon nombre d’aliénés ont
été considérés comme des « mélancoliques » et HIPPOCRATE, conformément à son sys-
119
ÉTUDE N° 22
tème humoral, voyait dans la mélancolie une affection triste des humeurs en rapport
avec la bile et l’atrabile, à laquelle il assignait pour siège l’hypocondre. ARÉTÉE la défi-
nissait comme une « animi angor in una cogitatione defixus absque febre, » idée et
définition qui devaient connaître le plus vivace succès. A partir de la Renaissance, en
effet, le terme de Mélancolie désigna – fait capital – une sorte de « folie partielle » qui
n’impliquait pas nécessairement la dépression affective 1. C’est ainsi que Félix
PLATTER (à qui nous devons une bonne description des formes hypocondriaques) oppo-
sait « la manie ou trouble global de l’intelligence, » à la mélancolie, considérée par lui
comme un « délire partiel ». Également, à la même époque, ZACCHIAS voyait dans le
mélancolique soit un malade qui délirait « sur un seul objet », soit un malade hypo-
condriaque qui ne délirait pas du tout et Daniel SENNERT définissait aussi la mélanco-
lie comme une concentration de l’âme sur une seule idée, il précisait même qu’il y
avait des « mélancoliques gais ». THOMAS WILLIS distinguait, lui, une forme générali-
sée de mélancolie et une mélancolie particulière ou spéciale. BOISSIER DE SAUVAGES,
un peu plus tard, reprenant la définition de D. SENNERT, considérait également la
mélancolie comme un « délire partiel » et il décrivait une « Melancolia moria » ou
mélancolie gaie...
120
MÉLANCOLIE
TROISIÈME PÉRIODE. – Les états mélancoliques ainsi « isolés » ne tardèrent pas à …Les états mélancoliques
être intégrés dans une psychose bien caractérisée, que pour ainsi dire en même temps ainsi « isolés » ne tardèrent
pas à être intégrés dans
BAILLARGER et J. P. FALRET (1854) isolèrent sous le nom de folie à double forme
une psychose bien caracté-
(BAILLARGER) et de folie circulaire ou alterne (FALRET). MAGNAN donna plus tard à risée […] folie à double
cette psychose le nom de folie intermittente (1890). Dans les pays de langue alleman- forme (BAILLAR-GER) et de
de après les études classiques de GRIESINGER, ce fut KRAEPELIN qui montra l’analogie folie circulaire ou alterne
(FALRET), 1854…
et même l’identité clinique de la manie et de la mélancolie dans une même psychose :
la psychose maniaque dépressive, appelée encore « cyclothymique » ou « périodique ».
A partir de ce moment et vers la fin du XIXe siècle, les recherches entreprises sur …vers la fin du XIXe, les
recherches entreprises
la mélancolie se sont orientées vers l’aspect biologique, dégénératif, physiologique de
[…] se sont orientées vers
la mélancolie et ont établi son origine nettement « organique ». Elle est apparue (et l’aspect biologique, dégé-
demeure encore) aux yeux de la plupart des cliniciens, depuis FALRET, BAILLARGER et nératif, physiologique…
GRIESSINGER, jusqu’à BLEULER, LANGE et KRETSCHMER, etc. en passant par MAGNAN et
SEGLAS, comme une psychose « endogène, » c’est-à-dire comme appartenant dans ses
formes les plus « franches » ou « pures » à la « psychose maniaco-dépressive » ou
« périodique », affection considérée comme une entité « dégénérative », il y a 50 ans,
et plus récemment comme une entité « génétique ». Les auteurs qui ont placé la crise
de mélancolie hors de la psychose périodique ont décrit des « mélancolies affectives »
(pour KRAEPELIN et pour CAPGRAS c’est la fameuse mélancolie d’involution), ou bien
rangent simplement la mélancolie dans le groupe, assez vague et trop général, des
« psychoses affectives » ou des « réactions affectives » (LANGE). Et à ce sujet il
convient de signaler les nombreux travaux qui depuis 30 ans ont eu pour objet l’ana-
lyse psychologique de la mélancolie, notamment dans le sens psychanalytique (FREUD,
ABRAHAM, etc.) C’est dire que nous allons retrouver, trait pour trait, les mêmes pro-
blèmes que ceux que nous avons déjà envisagés dans l’étude précédente consacrée à
une psychose aiguë exactement symétrique : la manie.
121
ÉTUDE N° 22
Les corrélations entre le biotype et les accès de mélancolie sont bien connues et
tout le monde connaît les travaux de KRETSCHMER, MAUZ, SHELDON, EYSENCK etc., et
aussi, naturellement, les études génétiques sur la prédisposition aux accès dépressifs
dont nous parlerons dans notre Étude n° 25. KRAEPELIN avait déjà relevé chez les
mélancoliques des dispositions caractérielles dépressives dans 64 % et des tendances
à l’exaltation dans 36 % des cas.
…L’accès mélancolique L’accès mélancolique, comme l’accès maniaque, se développe assez fréquemment
[…] se développe assez à l’occasion d’un événement psychologique. C’est parfois un choc émotionnel qui
fréquemment à l’occasion déclenche l’accès (mélancolie dite affective ou « réactionnelle » actuellement et que
d’un événement psycholo-
Georges DUMAS et les auteurs de la fin du XIXe siècle appelaient assez paradoxale-
gique…
ment « mélancolie d’origine intellectuelle »).
La crise est le plus souvent déclenchée par une émotion déprimante comme par
exemple un accident, une frayeur, un bombardement. Mais il peut s’agir parfois d’un
choc émotionnel joyeux. C’est ainsi qu’il est classique de rappeler l’observation
d’ESQUIROL (qui avait tant insisté sur les « causes morales de la folie »). Il s’agissait
d’un homme qui, apprenant sa nomination à une place importante, entra dans une crise
de mélancolie (il faut noter d’ailleurs que sa promotion l’éloignait de sa maîtresse).
Pour en rester à cette époque presque « préhistorique » rappelons encore la fameuse
observation de l’artilleur de PINEL 2 : ce brave militaire qui avait soumis au Comité de
Salut Public le projet d’un nouveau canon et qu’une lettre favorable de Robespierre
émut au point de le faire tomber dans un état de « stupeur » mélancolique... Nous
retrouvons là un fait analogue (mais inverse) à celui des « manies de deuil », ce qui
nous montre que la mélancolie pouvant constituer une réaction à une émotion gaie
comme une réaction à une situation triste ne saurait être considérée comme une simple
exagération d’une réaction émotionnelle, ni comme une simple mais intense réaction
122
MÉLANCOLIE
à une situation vitale. Un autre exemple de mélancolie en relation avec une situation
heureuse est fourni par le fameux « vertige de la sortie 1 » que ressent souvent le
mélancolique au moment où il est à nouveau libre et « devrait être heureux », mais que,
encore insuffisamment guéri pour s’adapter à cette nouvelle situation, il s’en effraie.
Quoi qu’il en soit du « conditionnement » de la crise de mélancolie par les situations
pénibles, difficiles ou « conflictuelles », ces faits sont si importants que, comme nous
le verrons plus loin, on a voulu faire des « états dépressifs réactionnels » une catégo-
rie clinique spéciale. Trois faits nous paraissent à cet égard certains. Le premier c’est
qu’il est fréquent de voir la crise de mélancolie naître au sein d’une situation vitale
catastrophique ou simplement déprimante (embarras économiques, nostalgie, inquié-
tudes familiales, contrariétés et frustrations sentimentales, drames familiaux, circons-
tances personnelles ou collectives tragiques, deuil, guerre, captivité, etc.). Le deuxiè-
me, c’est que ces crises, comme nous le verrons, n’ont un caractère véritablement
mélancolique que si quelque anomalie se glisse précisément dans l’équilibre des réac-
… la crise de mélancolie
tions de l’individu à son milieu. Enfin, il faut bien dire que le fait le plus frappant et éclate sans aucun rapport
le plus déconcertant de l’observation clinique habituelle, c’est précisément que la crise compréhensible avec la
de mélancolie éclate sans aucun rapport compréhensible avec la situation. situation…
Pour ce qui est du sexe, tous les auteurs sont d’accord pour dire que les crises
dépressives, les accès de mélancolie et plus généralement les tendances à la mélanco-
lie sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Ainsi PLANÈS, 2 dans
sa statistique portant sur 3.137 mélancoliques, dénombrait 2.038 femmes pour 1.099
hommes. Et nous pourrions ici rapporter de nombreuses statistiques du même ordre. Il
en est de même pour les travaux récents, si l’on consulte par exemple les tableaux où
BELLAK 3 expose les « vital statistics » des affections maniacodépressives, ou pour
prendre un autre exemple, si l’on se réfère au travail de HUTTER 4 sur les états dépres-
sifs où il compte 239 femmes pour 120 hommes. Nous aurons l’occasion cependant de
voir ultérieurement que ce fait a été contesté notamment par les statisticiens généti-
ciens Scandinaves.
Pour ce qui est de l’âge, « la mélancolie peut apparaître à tous les âges », notaient
ROUBINOVITCH et TOULOUSE, et cela est vrai, mais il semble (le suicide en est un test)
que le déclin de l’existence soit une condition favorable, d’où la fréquence des
fameuses « mélancolies d’involution ».
La recrudescence saisonnière a été étudiée par plusieurs auteurs. KALLIBAY et
123
ÉTUDE N° 22
UTER 1 et E. SLATER 2 ont noté la plus grande fréquence au début de l’été et un petit
« clocher » au début de l’automne. Pour LEUTHOLD 3 c’est surtout le mois d’octobre
(plus que le printemps) qui est l’époque du plus grand nombre de débuts de crises
dépressives. TOMARI 4 indique que le minimum est en hiver et le maximum en été.
L’accès de mélancolie s’installe généralement d’une manière plus insidieuse que
l’accès maniaque. Le malade devient sombre, il accuse une certaine gêne dans l’acti-
vité intellectuelle, une certaine lenteur dans ses pensées et ses mouvements. On note
un certain degré de « fixité » dans ses idées, il se montre plus émotif, plus susceptible,
pleurnicheur, énervé, instable, triste. Ces modifications de son caractère et de son
…signes physiques qui humeur s’associent à quelques signes physiques qui manquent rarement : céphalées,
manquent rarement […] troubles digestifs (aérophagie, état saburral des voies digestives, tremblement émotif,
insomnies, « agacements moteurs »), et surtout des troubles du sommeil et de l’appé-
…L’insomnie est un tit qui sont la règle. L’insomnie est un symptôme capital au début et au décours de la
symptôme capital… crise. Certains accès dépressifs cependant ne présentent pas de troubles de la fonction
hypnique. MAURICE 6 a attiré l’attention sur le fait que les formes sans insomnie
seraient d’un pronostic plus défavorable. Signalons aussi une forme de début qui n’est
pas exceptionnelle par des rêves très anxieux qui persistent encore à l’état de veille
sous forme d’ « idées fixes mélancoliques », de références angoissées et des situations
dramatiques redoutées et déjà vécues dans des cauchemars vivaces. Récemment,
MICHAUX, GALLOT 6, etc., ont décrit des phases de début de mélancolie caractérisées
par ce qu’ils appellent une « aura obsessionnelle ».
Il est très difficile de donner une description univoque de la mélancolie car elle se
définit par une telle complexité de sentiments dépressifs, qui expriment avec des tona-
lités et des qualités diverses, la douleur morale sous des formes tellement variées (tris-
tesse passive, tristesse active, ennui, peur, angoisse, remords, désespoir, douleur, etc.)
que les divers cas cliniques offrent une grande diversité selon les nuances des senti-
ments fondamentaux qui constituent le vécu de la conscience mélancolique 7.
Toutefois, nous pouvons admettre schématiquement que celle-ci s’organise selon deux
124
MÉLANCOLIE
types fondamentaux, lesquels constituent les deux formes les plus « pures » de la struc-
ture mélancolique. Tantôt c’est l’état dépressif ou la dépression mélancolique simple,
à base de sentiments passifs de tristesse et d’inhibition ; c’est aussi ce qu’on appelle la
« mélancolie simple » avec stupeur plus ou moins marquée. Tantôt c’est la mélancolie
anxieuse à base d’angoisse, de craintes, d’inquiétude et de perplexité 1. Telles sont les
deux dimensions fondamentales de la conscience mélancolique, dans un cas suspen-
due dans le vide du passé, dans l’autre ouverte sur le présent et l’avenir comme sur un
gouffre béant. C’est ce que nous saisirons mieux lorsque, après avoir fait la descrip-
tion clinique de ces deux formes, nous en esquisserons l’analyse structurale.
I. La mélancolie dépressive.
C’est le tableau clinique de l’abattement, du désarroi et du refus de l’existence. Les
expressions émotionnelles de la tristesse 2, les « vécus douloureux » de la conscience
malheureuse constituent, sous la multiplicité des symptômes décrits, la trame fonda-
mentale de cet état mélancolique qui a toujours frappé tous les cliniciens et que l’on
observe effectivement en clinique comme un état de morne torpeur caractérisée par la
« simplicité » même d’une structure et d’une situation affective qui peuvent se résu-
mer d’un mot selon K. SCHNEIDER : « la tristesse vitale 3 ».
1° FACIES. HABITUS.
Le malade est généralement prostré, comme anéanti. Ses mouvements sont rares et
lents. Il est accablé : sa tête pend, son cou est plié et la ligne générale de son corps figu- …Il est accablé…
re comme la courbe même de la prostration qui l’écrase. Il se meut et se déplace lente-
ment ; il se traîne plutôt qu’il ne marche. Et, dans les formes moins accentuées, c’est la
1. La division clinique des formes de la crise de mélancolie n’a jamais été très nettement établie.
Le plus souvent on accepte la classification en formes dépressives simples, stuporeuses,
anxieuses et délirantes. Mais, comme l’écrivait justement MASSELON (p. 46), la stupeur ne consti-
tue pas une variété spéciale de la mélancolie ; on peut la rencontrer dans toutes les formes de l’af-
fection et lorsqu’on parle de mélancolie confuso-stuporeuse, la structure même de la conscience
est alors d’un niveau nettement confuso-onirique comme nous le verrons plus loin (Étude n° 24).
Quant aux mélancolies délirantes, il s’agit soit d’un délire impliqué dans l’état dépressif où
l’anxiété est vécue comme regret, remords, auto-accusation ou crainte de dangers imaginaires,
soit d’états oniroïdes et de dépersonnalisation que nous étudierons dans notre Étude n° 23, à leur
place naturelle.
2. L’aspect séméiologique de la mélancolie coïncide naturellement avec les expressions émo-
tionnelles de la triste vie, de la peur, de la douleur que G. DUMAS a bien étudiées (Nouveau Traité
de Psychologie, 1932, t. II, pp. 251 à 443).
3. K. SCHNEIDER, Die Schichtung des emotionalen Lebens und der Aufbau der
Depressionzustände. Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1920, 59. Zur Psychologie und Psychopathologie des
Trieb und Willenserlebnisse. Même Revue, 1932, et « Die Hintergrunddepression ». Fortschr.
Neuro Psych., 1949, 17, 429.
125
ÉTUDE N° 22
a) Aboulie et inhibition motrice. Sans exception tous les auteurs et tous les clini-
ciens ont mis ce symptôme en premier plan et ce que nous avons déjà dit de la « pré-
sentation » du mélancolique (et tout ce que nous dirons plus loin de la structure propre
de « son temps vécu ») indique assez que l’inertie, la chute de toutes les énergies
vitales est effectivement un aspect séméiologique fondamental. On peut le considérer
1. L’article du Traité de BUMKE rédigé par LANGE contient beaucoup de détails intéressants sur la
psychomotricité de la physionomie du mélancolique.
2. La « triade » de la grande crise de mélancolie est constituée, d’après E. KAHN, par la tristesse,
l’inhibition motrice et l’inhibition psychique. (Nervenarzt, 1950).
126
MÉLANCOLIE
b) Inhibition psychique. Lenteur de l’idéation, propos rares, immobilité, monoï- …Lenteur de l’idéation,
propos rares, immobili-
déisme, réponses monosyllabiques, concentration, monotonie, incapacité d’évocation,
té…
stérilité de la synthèse mentale, difficulté de l’initiative, ralentissement des associa-
tions, gêne douloureuse de la pensée, improductivité intellectuelle, allongement des
temps de réaction, tous ces traits cliniques expriment là encore un processus d’inhibi-
tion qui se confond avec le « fond dépressif » lui-même, c’est-à-dire qu’il comporte
une impuissance foncière et un refus total de toute activité, de toute dépense d’éner-
gie. Et la « perte de vitesse » de la pensée doit naturellement ici être considérée (tout
de même que l’excès de vitesse du maniaque), non pas comme une propriété physique
de l’influx nerveux, mais comme l’effet d’une modification structurale et globale, de
la conscience totale du mélancolique qui lui confère son sens et sa qualité propres.
C’est la chute du potentiel vital dans son ensemble qui brise le ressort de l’activité, de
l’intérêt et du mouvement de telle sorte que ce qui est fondamentalement vécu par la
conscience mélancolique, c’est la vanité de l’action, l’ataraxie de la nonchalance,
l’abandon, le désespoir et le dégoût.
Un des symptômes le plus difficile à étudier, condition nécessaire d’ailleurs de
1. MASSELON et G. DUMAS, chez nous, et l’école de WUNDT en Allemagne ont étudié, assez vai-
nement d’ailleurs, les impulsions motrices au dynamomètre. Les investigations contemporaines,
à l’aide de l’électromyographie, ne pourront vraisemblablement que détailler le phénomène sans
l’expliquer davantage.
2. CAMERON (D.), Studies’ expression, Journ. Mental Sc., 1937, 82, 148, 161.
127
ÉTUDE N° 22
…études du langage… toutes les autres analyses du « fond mental » du mélancolique, c’est le langage. Soit
dans sa phonétique, soit dans son « tempo », son articulation, ses pauses, sa syntaxe
ou son style 1 le langage est freiné par l’inhibition ; quand celle-ci bloque toute expres-
sion c’est le mutisme, mais le plus souvent c’est le semi-mutisme. La voix est basse,
parfois inintelligible (mussitation), seuls les mouvements furtifs et ébauchés des lèvres
et des joues manifestent parfois que le mélancolique « parle » ou plus exactement
« murmure » ou « marmonne » : par longs intervalles seulement et entre deux réponses
séparées par d’interminables silences, quelques mots brefs sont articulés. Mais c’est
surtout le démarrage de la conversation qui est difficile et après avoir arraché quelques
paroles au malade, on parvient ensuite à rendre ses propos plus aisés et plus animés au
fur et à mesure qu’un contact s’établit, et qu’il se sent aidé et réconforté.
Les « associations », les « temps de réaction », 1’ « attention » ; les « images men-
tales », les « perceptions » des mélancoliques ont été longuement étudiés il y a 50 ans.
On trouvera dans les traités classiques de la fin du XIXe siècle ou du début de celui-ci
(KRAEPELIN, STRANSKY, MASSELON, ROUBINOVITCH et TOULOUSE, WUNDT, etc.) des
exposés un peu fastidieux d’expériences très en vogue à l’époque et qui eurent le méri-
te de représenter une tentative pour introduire les méthodes de laboratoire en psycho-
logie pathologique 2. J. LANGE fait état de ces anciens travaux et on trouvera dans son
étude notamment (p. 69) un tableau qui montre chez les mélancoliques (opposés aux
maniaques) une prédominance d’ « associations internes » (81 % contre 17 % chez les
maniaques) alors que les associations externes sont dans une proportion inverse (17 %
pour les mélancoliques et 81 % pour les maniaques). Mais qu’il s’agisse des vieux tra-
vaux d’OBERSTEINER 3 ou de ceux de BUCCOLA 4 ou encore de ceux de MASSELON, on
ne peut presque rien retenir de cette accumulation de faits, de mesures et d’expériences
qui se bornent en définitive à expliciter le ralentissement, l’inhibition générale des pro-
cessus psychiques des mélancoliques, phénomène qui se donne à l’observateur le plus
superficiel, déjà comme une évidence. Cependant, certains travaux ont tenté de rafraî-
chir l’intérêt de recherches analogues 5. Nous devons signaler surtout l’intérêt de l’ap-
1. Ce sont tous ces aspects du langage qui sont analysés dans le travail de S. NEWMANN et V. C.
MATHER, Analysis of spoken language of patients with affective disorders, Amer. J. of Psych.,
1938, 94, pp. 918 à 942.
2. Traité de BUMKE, VI, pp. 67 à 71.
3. OBERSTEINER, Wirchow’s Arch., t. IX.
4. BUCCOLA, Rivista sperim. di Freniatria, 1881.
5. Comme les travaux de G. GIEHM (Exp. Psych. Stud. etc., Archiv. f. Psych., 1931, 95, pp. 330
à 335), de MASSERMANN et BALKEN (The clinical application of phantasy studies, J. Psych., 1938,
6, pp. 81 à 88), de P. WACHTER (The typical form of exp. Gestalten as related to Kretschmer tem-
pérament cycles, Arch. ges. Psych., 1939, 104, pp. 1 à 47), de EYSENK (Dimensions of persona-
lity, 1947, trad. fr. 1950, de A. MARTIN (A study of word association in D. P. and M. D., J. Gen.
Psych., 1945, 33, pp. 257 à 364), etc..
128
MÉLANCOLIE
129
ÉTUDE N° 22
130
MÉLANCOLIE
plus est profonde la dépression, plus incoercibles et ineffables sont ces vécus, c’est-à-
dire les sentiments qui composent la qualité propre de la douleur morale. Sentiments
de malaise, « vague à l’âme », cafard, fatigue, impression de vide, d’anéantissement
(de « noir » comme disait la malade de P. JANET, Flore, et, avec elle, tant de milliers
d’autres malades) sont vécus comme une « expérience immédiate ». C’est pourquoi,
par exemple, P. JANET insiste tout spécialement 1 sur les sentiments de vide en tant
qu’ils sont la forme même du vécu de la dépression. Le recours à ces métaphores phy-
siques est d’ailleurs le seul moyen d’exprimer cet ineffable.
Mais l’effondrement, la dépression ne sont pas vécus dans la mélancolie seulement
comme un vide, une impuissance, un « trou », ils sont vécus aussi comme un malheur,
et c’est pourquoi l’on parle de douleur et non pas seulement de dépression. C’est que
la conscience mélancolique, comme nous le notions un peu plus haut, n’est pas seule- …la conscience mélanco-
ment passivement submergée par une « vague de fond », elle est orientée, elle s’orien- lique […] est orientée
[…] comme « conscience
te elle-même par son propre mouvement qui est celui d’un besoin qui la porte de se
malheureuse »…
constituer comme « conscience malheureuse » pour autant que non seulement elle est,
mais qu’elle se juge et se veut comme telle. Ceci est, du point de vue clinique, le seul
auquel nous nous plaçons ici pour le moment, d’une importance capitale ; car tous les
symptômes mélancoliques s’offrent à l’observateur comme une dépression qui s’en-
gendre elle-même : « je suis anéanti, tout est perdu... C’est fatal et il faut que ce soit
ainsi. On veut me tuer et je dois mourir... ». Ce sont ces formules qui constituent, selon
mille variantes, le leit-motiv de la mélancolie. Propos rares et sinistres, extirpés par
« l’interrogatoire » du médecin, ou bien surpris par la famille ou le personnel infirmier
et qui rendent compte de cette détresse, tout à la fois « vague de fond » cœnesthésique
ou vitale ou « thymique » – et dramatique souffrance de la conscience morale.
1. P. JANET, De l’angoisse à l’extase, 1928, II, pp. 44 à 126. L’étude de VON GEBSATTEL
(Nervenarzt, 1937) est également centrée sur le sentiment de vide (Leeres Syndrom) à propos
d’une belle auto-observation semblable en bien des points à celle de « Madeleine », la malade de
JANET.
131
ÉTUDE N° 22
remords, crainte, désespoir, déception), soit des « idées » (idée de ruine, hypocon-
driaque, de culpabilité, de domination, de négation, de persécution). Il est vrai, en
effet, que la conscience mélancolique pour autant qu’elle vit le mal et le malheur est
« peuplée » de ces fantasmes qui s’expriment en « idées » ou sont vécus en « senti-
ments » dépressifs combinés selon mille nuances possibles. Ces « contenus idéiques »,
ces « thèmes » et ces « vécus » de la mélancolie sont même parfois appelés « idées
délirantes mélancoliques ». Mais à peine les désigne-t-on ainsi (SEGLAS, LANGE, etc.)
que l’on se demande s’il s’agit bien d’un « délire »... Nous ne nous arrêterons pas à
…la conscience mélanco- cette discussion, byzantine et nous répéterons seulement ici ce que nous avons déjà dit
lique contient le délire à à propos de la manie : la conscience mélancolique contient le délire à l’état naissant
l’état naissant… en tant que, précisément, elle est une forme délirante de conscience. Mais le délire y
est si immédiatement vécu comme une expérience qui appartient davantage à la sphè-
re éthique qu’à celle de la réalité, qu’il est, ce « subdélire », dans cette forme mélan-
colique typique, comme virtuel et comme une première déchirure entre l’être et sa loi,
celle d’une défaillance, plutôt que d’une altération de la réalité. Si nous voulons en
effet comprendre la séméiologie de l’« état mélancolique » nous devons considérer le
pessimisme mélancolique sous certains aspects typiques et stéréotypés, qui tous se
réduisent à un pessimisme réfléchi sur soi, c’est-à-dire à la culpabilité morale et à l’in-
dignité. Les autres aspects du pessimisme mélancolique sont des corollaires et des
dérivés que la conscience mélancolique elle-même sent, pressent ou présente comme
des substituts, des prétextes ou des alibis de cette péjoration foncière qui vise, à tra-
vers tous ses malheurs, le sujet lui-même.
Le sentiment de culpabilité est donc ainsi « donné » comme « primitif » dans l’ex-
périence mélancolique typique que nous étudions. C’est le « primäre Schuldgefühl »
des auteurs allemands 1. Naturellement (comme nous le faisions remarquer plus haut
pour les sentiments vitaux de dépression), il y a lieu de faire des réserves sur ce carac-
tère exclusivement primaire de la culpabilité. Elle se présente en effet, dans le tableau
clinique, même quand elle paraît en contraste violent avec la personnalité consciente
et son développement historique, comme un besoin profond, une exigence de
« s’amoindrir », de se « rapetisser », de se martyriser, et pour dire comme les psycha-
1. Hans J. WEITBRECHT l’a étudié récemment (Zur Typologie depres. Psychosen, Fortschritte der
Neur. Psych., juin, 1952, pp. 247 à 269). Ce travail qui complète ceux que l’auteur a déjà publiés
sur la psychopathologie de la dépression (Livre Jubilaire de K. SCHNEIDER, 1947, Fortsch. Neuro-
Psycho., 1949, et Studien zur Psychopathologie der krampfbehandelten Psychosen, Stuttgart,
1949), est très intéressant justement au point de vue qui nous intéresse car il intègre le problème
du caractère primaire ou secondaire dans celui plus général des rapports de la psychose dépres-
sive avec la typologie et la caractérologie des malades cyclothymiques. C’est dans la même pers-
pective que LOPEZ IBOR a envisagé le problème de l’angoisse vitale {La angustia vital, 1950,
Madrid.).
132
MÉLANCOLIE
nalystes, de se punir. Ce n’est peut-être pas par l’effet d’un simple jeu de mots que
nous trouvons une identité dans l’expression dont se sert HESNARD 1 (culpabilité endo-
gène) et celle dont se sert la Psychiatrie classique (mélancolie endogène). L’emploi de
ce même mot signifie en effet que le pessimisme mélancolique échappe radicalement …le pessimisme mélanco-
et aux motivations compréhensibles ou conscientes et aux conditions actuelles ou lique échappe radicale-
ment aux motivations
externes d’existence ; il est l’expression d’une incapacité interne de bonheur et d’un
compréhensibles […] et
besoin interne de malheur. De ce sentiment complexe dérivent pour ainsi dire toutes aux conditions […]
les péripéties thématiques imaginaires ou de comportement dans lesquelles la d’existence…
conscience mélancolique comme frappée de stupeur par ce besoin vertigineux de mal
vit et fait son propre malheur.
Le complexe hypocondriaque, c’est-à-dire tout ensemble le désir et la crainte de la
maladie – l’illusion de ruine ou de négation, c’est-à-dire le dépouillement des biens et
de l’existence, – le conflit, la crainte et l’échec dans les rapports avec autrui (persécu-
tion et déshonneur) – le découragement, – la certitude de l’inévitable catastrophe, – le
désespoir, – la honte, la perte des êtres chers, – la négation de toute forme « positive »
ou heureuse d’existence – la résignation, – la fatalité, – l’expiation impossible et
nécessaire, tous ces « vécus » de la conscience mélancolique ne prennent tout leur sens
aux yeux du clinicien, comme dans l’existence même du mélancolique, que par leur
saturation par le sentiment de culpabilité, car le pire des malheurs pour le mélanco-
lique comme pour tout être humain est non pas seulement d’être voué au malheur mais …Le « noir » de la mélan-
de l’être par sa propre faute et de se livrer soi-même, par le péché, au châtiment de la colie c’est l’ombre même
de la culpabilité, de la
justice. Le « noir » de la mélancolie c’est l’ombre même de la culpabilité, de la faute
faute et du péché…
et du péché 2.
Telle est la forme, pour nous, la plus pure de mélancolie, celle où prédominent,
dans le tableau clinique, l’immobilité et la tristesse. Il est bien en effet le plus authen-
tique des mélancoliques, ce mélancolique sombre, livide, muet, comme dévoré par lui-
même et strictement replié sur son mal.
133
ÉTUDE N° 22
anxieuse. Nous avons déjà étudié assez longuement l’anxiété 1 pour pouvoir être ici
très bref, car ce qui caractérise l’anxiété en général, est vécu au diapason le plus élevé
et le plus vertigineux par le « mélancolique » anxieux.
L’aboulie et l’inertie sont ici remplacées par la stérilité tragique des actions. Le
malade « tourne en rond », gesticule, déambule, ne peut tenir en place, il guette aux
…à l’inhibition psychique portes, va et vient de long en large, sans repos, toujours aux aguets. Et à l’inhibition
fait place également une psychique fait place également une agitation intérieure, la perplexité anxieuse qui se
agitation intérieure…
dépense en velléités inopérantes, en activités fébriles, embrouillées, perpétuelles varia-
tions improvisées sur le thème fondamental de la peur, du désir de fuir, de s’échapper,
d’aller on ne sait où... La fuite ici n’est pas élan, mais désarroi, déroute, échec toujours
renouvelé, parce que, étant sans but précis, elle est sans issue. Le mélancolique ne peut
pas vouloir et ne veut pas pouvoir s’échapper ; il entretient par ses propres efforts
désespérés la situation qui le désespère, vertige non pas de l’infinité du possible, mais
au contraire de l’inéluctable fatalité. Sa douleur morale est elle-même comme inver-
sée et tandis que le mélancolique déprimé vit anéanti, l’absolu du désespoir, et n’at-
tend au bord du néant plus rien, le mélancolique anxieux, ayant projeté hors de lui-
même le malheur, en attend toujours sans trêve, ni merci, l’inquiétante et inexorable
menace. Le pessimisme enfin n’est pas ici une résignation au mal, mais un combat et
une lutte désespérée que la défaite de chaque instant renouvelle sans cesse pour l’ins-
tant suivant.
Ces quelques caractères essentiels de la conscience mélancolique anxieuse se
retrouvent dans tous les détails de la conduite désordonnée paradoxale de ce type de
mélancoliques constamment en mouvement et qui se débattent seuls comme dans une
cage ou une prison 2.
134
MÉLANCOLIE
1. LIBERSON, (Problem of sleep and mental disease, Digest Neuro-Psycho., Institute of Living,
1945, I3, pp. 93 à 108), signale l’importance de l’insomnie chez ces malades anxieux à l’égard
de la propulsion au suicide. LIPSCHUTZ, (Some administrative aspects of suicide in the mental
Hospital, Amer. J. of Psych., 1942, 99, p. 181), confirme les expériences de tous les cliniciens à
savoir qu’il faut se méfier, comme disait G, DE CLÉRAMBAULT, du « pôle matinal de l’anxiété ».
135
ÉTUDE N° 22
1° SYNDROME DIGESTIF.
L’état saburral des voies digestives, la constipation opiniâtre sont les symptômes
d’une parésie intestinale presque constante. Les spasmes, les nausées, les régurgita-
tions, les débâcles diarrhéiques, s’observent plutôt dans les formes anxieuses. Quant
au syndrome hépato-biliaire 3 qui a donné son nom à l’affection, il est bien rare de
l’observer cliniquement. Il s’agit plutôt de troubles des fonctions hépatiques qui
règlent le métabolisme. Le subictère est exceptionnel, la congestion hépatique rare.
La sécrétion gastrique a fait anciennement l’objet des investigations de VON NORDEN
(1877) et de PACHOUD (1888), de ZIEHEN (1892) ; elles ont été reprises par
1. Naturellement nous devons renvoyer à ce propos à notre Étude n° 14, sur le suicide.
2. Étude n° 25.
3. Cf. ZISTERMANN, Rapports des états mélancoliques et de l’atonie de la vésicule biliaire. La bile
noire, Thèse, Paris, 1929, BARUK (H.), BRIAND (H.), CAMUS (L.) et CORNU (R.), L’anxiété biliai-
re. Ann. Médico-Psycho, 1935, I, 177-192.
136
MÉLANCOLIE
HEDSTROM 1 qui a trouvé un taux d’acidité et même une véritable achlorhydrie (dans
22 cas sur 34 déprimés examinés).
2° SYNDROME CARDIO-VASCULAIRE.
3° SYNDROME RÉNAL.
137
ÉTUDE N° 22
V. Évolution et pronostic
1. Depuis que nous avons consacré (avec TARGOWLA) une étude aux variations de la glycémie
dans les maladies mentales (1926), et depuis les travaux cliniques de cette époque (WUTH, KOOY,
DI RENZO), TOD et JONES, (Edinburg Med., J. 1937, 44), ont confirmé les recherches de Mc.
GOWAN et QUASTEL concluant que l’index hyperglycémique (H. I.) varie avec la tension émo-
tionnelle. Mac FERLAND et GOLDSTEIN, (Biochemistry of M. D. Amer. J. of Psych., 1939, 96, 21-
58), RENNIE et HOWARD, (Hypoglycemie and tension depress. Psych. Méd., 1942), et GILDEA,
(Arch. N. P. 1943-49), ont surtout étudié le taux et les courbes d’intolérance sans qu’il soit pos-
sible d’en tirer des conclusions bien nettes.
2. Les travaux de SCHULE, (J. Lab. and Clinic. Med., 1936), et surtout ceux de GEORGI (Schweizer
Med. Wochenschr., 1944, pp. 338 à 344). Cet auteur a montré que l’absorption de cholestérine à
jeun par le mélancolique atteint de dépression endogène ne modifie pas la cholestérinémie
comme cela se produit chez les sujets normaux.
3. Cf. Thèse, LAUZIER, (Paris, 1923), Thèse de Mlle BADONNEL, (Paris, 1924), et de M.
SCHLUMBERGER, (Thèse, Paris, 1933), et plus récemment, à l’étranger : WOLBERG, (Basal Metab.
and M. D., Psych. Quarterly, 1935), LESZYCKI, (cité par BELLAK, p. 260).
4. Cf. DAVIS, (Amer. J. Psycho., 1941, pp. 98 à 430), GREENBLATT, HEALY et JONES, (Amer. J.
Psych., 1944, 101, pp. 82 à 90), COHEN, (J. ment. Sc., 1940, 86, pp. 802 à 823), MOORE, NATHAN,
ELLIOT et LAUBACH, (Amer. J. of Psych., 1935, 92, 43-67 (p. 60).
5. MAUZ, Die Pronostik der endogenen Psychosen, Leipzig, 1930, (le pronostic est d’après l’au-
teur fonction de la biotypologie de KRETSCHMER).
6. AUBREY-LEWIS, Melancholia pronostic study and cases. Meeting de la Royal Med. Psycho.
Assoc. de Folkestone, juillet 1936. C. R. publiés dans le Journal of Ment. Sc., 1936, 82, pp. 488
à 588. Ce rapport est d’une grande importance par sa documentation.
7. LUNDQUIST, Pronostic and cours M. D. Psychoses, (Collection Acta Psych., 1945).
138
MÉLANCOLIE
RENNIE 1, de DEDICHEN 2 etc., qui toutes ont été ces dernières années orientées ou uti-
lisées pour éclaircir le problème de l’action des thérapeutiques de choc 3.
…la crise de mélancolie
Généralement on s’accorde pour dire que la durée de la crise de mélancolie abandon-
est [spontanément] plus
née à la spontanéité de son évolution est en moyenne plus courte que la crise de manie courte que la crise de
et se situe entre 4 et 5 mois. (KRAEPELIN parlait de 6 et 8 mois en moyenne). Mais cette manie et se situe entre 4
durée augmente avec l’âge et avec les récidives (cf. Études n° 25). et 5 mois…
L’évolution est caractérisée par une période de prodromes assez brève et une
longue période d’état au cours de laquelle le tableau clinique tout en variant assez sou-
vent de niveau (phase de délire, d’agitation nocturne, passages de la stupeur à l’anxié-
té ou à la confusion, etc.) garde sa tonalité fondamentale. La fin de l’accès est carac-
térisée par la régularisation du sommeil et de l’appétit (la courbe de poids est à cet
égard caractéristique de même que, chez les femmes, la restauration d’un cycle hor-
monal ovarien régulier).
Le pronostic immédiat, c’est-à-dire celui de la sévérité et de la durée de l’accès est
relativement facile 4 puisque les tableaux statistiques auxquels nous venons de faire
allusion et que nous étudierons dans notre Étude n° 25, indiquent une probabilité qu’il
est relativement facile d’appliquer en tenant compte de l’âge et des récidives.
Cependant le pronostic quoad vitam ne doit pas être négligé. Il arrive, en effet, que cer-
taines formes de mélancolie aient une évolution mortelle. Sans doute s’agit-il générale-
ment de psychoses aiguës plus nettement confusionnelles ou stuporeuses, mais on peut
voir des mélancolies typiques notamment chez les vieillards ou simplement des per-
sonnes âgées dont l’état organique est précaire, succomber dans une cachexie rapide.
Quant au pronostic éloigné il porte sur deux points principaux : 1° la crise de
mélancolie va-t-elle permettre une restitution ad integrum de l’activité psychique ? 2°
la crise se renouvellera-t-elle ? Là encore nous devons nous en référer aux probabili-
tés que nous pourrons tirer des statistiques plus ou moins correctement établies. La
réunion d’un grand nombre d’éléments de pronostic favorable permettent de penser
qu’il s’agit d’une crise aiguë et franche (tableau clinique pur et typique, structure
maniaco-dépressive mixte alterne de la mélancolie, cyclothymie, biotypologie pyc-
nique, etc.), augmente par contre les risques de « périodicité » et les craintes de réci-
dives et de rechutes. On ne saurait oublier en tout cas (ce que certains praticiens ont
1. RENNIE (C), Prognosis in maniac-depressiv. Psychosis, Amer. J. of Psych., 19425 98, pp. 801 à
814.
2. DEDICHEN, A comparaison of 1459 shock treated psychoses in Norvegian Hospitals, 1946.
3. Cf. Henri EY et BURGUET, Ann. Midico-Psych., 1952, 1. Cf. aussi la thèse récente de J. B.
DENIS, Le pronostic des états mélancoliques. Paris, 1954.
4. Mac GOWAN a proposé un élément de pronostic, l’index hyperglycémique (calculé en tenant
compte de la glycémie à jeun provoquée). Son taux élevé serait d’un bon pronostic. – Des indi-
cations pronostiques ont été tirées du test de Rorschach par A. MORRIS, (Amer. J. of Psych., 1943,
100, pp. 222 à 230).
139
ÉTUDE N° 22
peut-être tendance à négliger) que la crise de mélancolie (comme la crise de manie) est
une crise dont la durée est relativement longue lorsqu’elle est abandonnée à son évo-
lution spontanée (4 à 6 mois et plus). Il ne faut pas perdre de vue cette « unité » de
temps d’observation psychologique si l’on ne veut pas se tromper lourdement et fré-
quemment en portant des pronostics de chronicité sur tous les cas de dépression plus
ou moins typique qui ne guérissent pas dans les cinq ou six mois.
Lorsque nous avons étudié la manie il nous a suffi de nous rapporter au travail de
L. BINSWANGER pour établir, sur des bases solides, notre propre analyse. Au moment
d’entreprendre la même opération pour la mélancolie, force est bien de reconnaître
qu’il n’existe nulle part une analyse aussi approfondie de ce type de psychose aiguë.
Sans doute depuis le temps où on « ramenait » la mélancolie à un trouble de l’humeur
ou de la cénesthésie – et l’angoisse à ses « concomitants » physiologiques, depuis les
premières descriptions d’ESQUIROL ou de GRIESINGER ou les analyses psychologiques
de G. DUMAS 1, depuis que l’on dissertait, au temps de SEGLAS, sur les rapports des
idées délirantes, des hallucinations et des sentiments dans la mélancolie, de grands
progrès ont été faits. Ces progrès sont dus à deux écoles. D’une part, FREUD et les psy-
chanalystes ont enrichi la compréhension psychologique de la mélancolie en mettant
en évidence sa thématique complexuelle. D’autre part, des cliniciens, psychologues
pénétrants, comme P. JANET et E. MINKOWSKI en France, et en pays de langue alle-
mande STRAUSS, Kurt SCHNEIDER, FREIHERR VON GEBSATTEL, E. STORRING, etc. ont
approfondi la structure de la mélancolie dans le sens même qui nous permet d’y voir
…déstructuration tempo- une déstructuration temporelle de la conscience. C’est naturellement à la convergence
relle de la conscience… sinon à la synthèse de ce double mouvement que nous entendons nous placer. L’exposé
séméiologique que nous avons fait rend évident que chaque symptôme (inhibition,
pessimisme, aboulie, etc.) chevauche sur les autres comme s’ils se détachaient tous et
chacun d’un fond commun. C’est ce fond commun, cette structure qui doit faire main-
tenant l’objet de l’analyse phénoménologique de la mélancolie.
1. G. DUMAS, Les états intellectuels dans la mélancolie, Thèse de Paris, 1894, travail caractéris-
tique de la psychopathologie de cette époque.
2. Notamment dans De l’angoisse à l’extase, (1937, II). Nous ne craignons pas de placer …/…
140
MÉLANCOLIE
d’ « asthénie » et aussi ce qu’il appelle les « états de pression » (il emploie ce mot pour
ne pas employer celui de tension par lequel il désignait la force organisatrice des fonc-
tions du réel). Ainsi confond-il dans le même objet de son analyse, le « noir » de sa
malade Flore, et les « douleurs » de Madeleine. Les sentiments qui dominent dans ces
états sont la grande tristesse, le chagrin, la détresse, l’anxiété, et l’angoisse, et quand ces
sentiments sont très profonds, on pourrait, dit-il, employer le mot d’agonie morale. Un
des mots les plus employés par les malades c’est celui de « peur ». Mais la peur est une
conduite de niveau perceptif caractérisée par les actions de fuite loin des objets tandis
qu’il s’agit ici de « peur morale », car il s’agit d’une « peur sans objet » (p. 308). JANET
rappelle le mot de la malade d’ESQUIROL : « J’ai peur et je ne sais pas de quoi j’ai peur ».
De même une de ses malades disait dans ses moments d’affreuse angoisse : « J’ai abo-
minablement peur, mais je ne sais pas de quoi ; peut-être ai-je simplement peur de
perdre la tête », et, en effet, ces malades disent souvent qu’ils ont peur de perdre leur
liberté, de devenir des automates. A ce sujet, JANET rappelle (sans le citer davantage)
que DESCHAMPS 1 parlait d’une crampe de la vie, de chagrin de la pensée, de tenailles
dans l’âme, de cancer de l’âme, de couche de plomb fondu sur la conscience... Mais,
ajoute-t-il, toutes ces expressions sont assez vagues et embrouillées par des comparai-
sons et des métaphores, dont il faut dégager « les idées ». Or ces idées se rapportent
toutes au futur, car, selon le mot de LASÈGUE, si le persécuté est un condamné, le mélan-
colique est un prévenu. Il s’agit en tout cas d’idées catastrophiques. Pour le présent ce
sont des « idées de dévalorisation » qui expriment la morosité et les sentiments de vide
et des « idées de péjoration » qui indiquent une mélancolie plus profonde (sacrilège,
immortalité, idées de mort). Mais cette péjoration n’est pas, comme le veulent certains
auteurs (p. 376), le point de départ des autres idées mélancoliques. Le fait fondamental
ce n’est pas la péjoration de soi-même, c’est la péjoration des actions. Toutes les
actions présentes ou futures, imaginées ou passées, sont représentées comme crimi-
nelles ; le fond du problème, c’est la peur de l’action d’où les conduites de la peur. …le fond du problème,
Toute conduite de la peur étant généralement de s’écarter, de réaliser une absence rela- c’est la peur de l’action
d’où les conduites de la
tivement à l’objet de la peur (p. 324), chez le mélancolique il y a arrêt de l’action et le
peur… (JANET)
désir d’aller ailleurs. Cet arrêt de l’action, continue JANET, n’a pas été vu par
BAILLARGER qui rapprochait cet état de celui du rêve 2, ni par les auteurs allemands qui
ont parlé d’arrêt psychique, car on n’explique guère cet arrêt de l’action en l’appelant
…/… les analyses de JANET dans cette rubrique car le meilleur de ses descriptions dépeint tout
naturellement la phénoménologie de l’angoisse et de la détresse qui fait l’objet des autres ana-
lyses rapportées dans ce paragraphe.
1. Il nous a été impossible de retrouver le travail et même l’auteur à qui JANET fait allusion.
2. BAILLARGER, Œuvres, p. 448. (Citation inexacte de P. JANET, car cette phrase se trouve dans
les Recherches sur les centres nerveux, tome II, p. 468).
141
ÉTUDE N° 22
une inhibition psychique. Cet arrêt est bien lui-même une conduite. C’est la conduite de
la fuite de l’action. Il s’agit d’une inhibition active, de l’arrêt actif de l’action par une
réaction du sujet lui-même à son propre acte. Chez le mélancolique il y a une tendance
à inverser les actes, caractéristique surtout de l’inversion morale. Le suicide est à cet
égard la conduite type, car il est l’expression la plus complète de la peur des actes et de
l’inversion de toutes les tendances à l’action, lesquelles sont toujours des tendances
vitales (p. 338). Nous devons bien nous représenter que l’arrêt des actes est motivé soit
par leur succès, soit par leur insuccès. Si, pour reprendre l’exemple de DESCARTES, le
bras étant placé trop près du feu, il se produit un mouvement de retrait, une réaction,
néanmoins pour que le bras soit tout à fait à l’abri, il faut un acte plus parfait d’écarte-
ment, c’est l’abréaction (mot, dit JANET, emprunté à « Mr. FREUD »), c’est elle qui assu-
re le succès d’un acte. Les conduites d’échec du mélancolique sont des « réactions ».
Parmi ces réactions, le « recul », la « retraite », le « manquement » sont les plus carac-
téristiques (p. 350-354). Une des idées les plus intéressantes émises sur la conduite de
l’échec est celle du « refoulement de Mr. FREUD » (p. 361). L’application précise de ce
…L’analyse de P. JANET…
terme aux phénomènes névropathiques est discutable mais on peut se demander si cette
conception ne s’applique pas mieux aux conduites mélancoliques par cette formule :
« Un désir refoulé se traduit en angoisse ». C’est que, effectivement, les actes du mélan-
colique sont arrêtés avant toute considération réfléchie et les idées morales sont seule-
ment des prétextes « après coup ». Le mélancolique freine, opère des actions d’arrêt en
opposition avec l’acte primaire et sa tendance à agir est immédiatement inversée, refou-
lée. La peur de l’action qui porte sur l’une des deux tendances (qui toujours entrent
comme un couple de forces dans la conduite d’une action) précipite à l’autre extrémité
celle de la tendance opposée. Tout s’embrouille et non seulement aucun acte ne peut
être exécuté mais aucun désir ne peut être conservé d’une manière stable (p. 363). La
vie n’est plus possible.
Et ainsi, pour JANET, la mélancolie est un peu ce qu’elle était pour GRIESINGER, une
« justification de l’état de désarroi primordial 1 ». Mais pour lui ce désarroi porte sur
1. Sans doute cette idée a-t-elle été exprimée différemment et dans un style trop intellectualiste
par GRIESINGER. Relisons le passage célèbre de son Traité, (p. 269, de l’édition française) : « Le
malade se sent en proie à la tristesse, or il est habitué à n’être triste que sous l’influence d’actions
fâcheuses ; de plus la loi de causalité exige que cette tristesse ait un motif, une cause, et avant
qu’il s’interroge à ce sujet, la réponse lui arrive déjà : ce sont toutes sortes de pensées lugubres,
de sombres pressentiments ou appréhensions qu’il creuse et qu’il couve jusqu’à ce que quelques-
unes de ces idées soient devenues assez fortes et assez persistantes pour se fixer... Aussi ce déli-
re a-t-il le caractère des tentatives que fait le malade pour s’expliquer son état ». Toutes les ana-
lyses de la mélancolie ont depuis gravité autour de ce problème qui a été formulé ainsi : le mélan-
colique est-il triste parce qu’il est troublé ou est-il troublé parce qu’il est triste ? On comprend
que la batrachomyomachie mécano-psychiste s’en soit donnée à cœur joie... Sans doute JANET
s’éloigne-t-il de la position mécaniciste en ce qu’il n’envisage pas le « trouble » comme …/…
142
MÉLANCOLIE
les conduites : l’impuissance, l’aboulie, le désordre des réactions internes qui déclen-
chent et entretiennent l’action. Tel est le trouble profond de la conscience mélanco-
lique pour autant qu’elle est un bouleversement du champ actuel de l’action.
…/… un phénomène mécanique élémentaire mais en le considérant comme l’effet d’une désor-
ganisation des « états intellectuels », dans la mélancolie il entend faire dépendre la tristesse du
mélancolique du « désordre » interne de sa vie psychique. Nous allons voir que cette désorga-
nisation structurale de la conscience qui devient mélancolique, est le leit-motiv des études les
plus modernes et les plus approfondies sur la mélancolie, et que pour autant la « tristesse » y
apparaît comme un effet et non une cause.
1. E. MINKOWSKI, Le temps vécu, 1933, pp. 277 à 328. Les analyses de l’auteur un peu para-
doxalement portent sur des états dépressifs atypiques (qu’il appelle dépression schizophrénique,
dépression ambivalente, dépression avec automatisme mental, etc.). S’il n’a pas envisagé la
mélancolie dans sa « pureté », ses études phénoménologiques y renvoient pour ainsi dire néces-
sairement.[NdE : 2ème édition ; Paris : P.U.F.; 1995].
2. Journal de Psychologie, 1923.
143
ÉTUDE N° 22
fonde ; il s’agit d’un devancement et d’un arrêt de l’acte projeté par l’image intellec-
tuelle de cet acte. Le malade ne parvient plus ici à réunir deux principes qui ne se lais-
sent pas désunir. Si dans la vie normale la prévision du résultat ne paralyse pas nos pro-
jets en ce sens qu’il persiste une « asymétrie fondamentale » entre l’avenir et nos pré-
visions, ici ces deux aspects de la temporalité ne s’équilibrent plus (p. 317).
L’existence étant vécue en fonction de ce déroulement temporel est foncièrement trou-
blée car le sentiment que nous en avons dépend de nos possibilités d’achèvement et de
réalisation 1. Les plaintes hypocondriaques, les sentiments d’emprise et d’éloignement
procèdent des troubles profonds de l’élan et de la fusion dans la durée de tous les élé-
ments qui composent notre existence corporelle et nos relations avec autrui.
…L’analyse d’E. MINKO- L’analyse d’E. MINKOWSKI se rapproche à cet égard des investigations dont les
WSKI se rapproche […] de états dépressifs ont fait l’objet en langue allemande et notamment de celles de E.
celles de E. STRAUS et de STRAUS et de VON GEBSATTEL.
von GEBSATTEL…
– Pour STRAUS 2 suivant naturellement le mouvement et le rythme de la pensée de
M. HEIDEGGER 3 les phénomènes de la temporalité, le déroulement objectif du temps
mesurable (Tranzcendante Zeit ou « temps transitif), l’appréciation subjective du
temps (Zeitschätzung), le vécu même du temps en tant qu’il est structure de la
conscience (Zeitserlebnis ou « temps immanent ») constituent les données de la
connaissance (Einsichten) les plus importantes pour l’organisation (Aufbau) et la
genèse des phénomènes morbides de la vie psychique, les modifications du vécu tem-
porel sont les formes constitutives mêmes de tous ces phénomènes particuliers et c’est
en réduisant ceux-ci à ceux-là qu’on atteint la vivante charnière des relations somato-
psychiques. Dans la dépression endogène, dit STRAUS, c’est la rétro-activité du temps
vécu (Rückgang auf dem Zeitserlebnis) qui constitue la modification vitale de l’état de
dépression et le concept d’inhibition n’est pensable que comme une mise entre paren-
thèses, une suspension (Hervorhebung) de la construction du temps (Zeitsgestalt).
C’est le désaccord profond entre le temps et la durée, pourrait-on peut-être dire en
termes « bergsoniens », qui est l’essence du malaise et de l’angoisse.
– F. VON GEBSATTEL 4 a d’abord publié l’observation d’une jeune fille de 20 ans
144
MÉLANCOLIE
ayant présenté une crise de mélancolie à type de dépression avec représentations et sen-
timents obsédants du temps. La peur de vieillir et du temps qui s’écoule ne saurait être
envisagée selon la méthode historico-génétique telle que FREUD l’a préconisée. Il s’agit
bien plutôt de décrire et de saisir la forme même de la structure temporelle de cette
dépression et l’essentiel de cette description phénoménologique est le « dévoilement »
d’un phénomène caractéristique de cette structure : le remplissage du vide du temps par …le remplissage du vide
du temps par le thème de
le thème de la mort. Mais bien plus importante est la contribution de l’auteur à la phé-
la mort… (VON
noménologie de la mélancolie dans son deuxième travail. Celui-ci s’appuie sur l’auto-
GEBSTATTEL)
observation d’une malade, cultivée, de 43 ans, qui souffrait d’une mélancolie typique et
présentait un syndrome de dépersonnalisation, de sentiment de vide et d’étrangeté.
L’état dépressif guérit après 5 ans. L’auto-observation est très riche en nuances et l’au-
teur la présente en distinguant les expressions de dépersonnalisation et de vide psy-
chique (« autopsychische Seite » dans le sens de la célèbre classification de WERNICKE),
la dépersonnalisation et l’étrangeté dans les relations avec autrui (Allo-psychische
Seite) et enfin la dépersonnalisation dans la sphère corporelle (somato-psychische
Seite). Tous ces troubles s’apparentent à la « melancolia anesthesica » qui comporte un
sentiment universel de vide (« loss of feeling » selon JOHNSONN, 1935). Les sentiments
d’inexistence, d’insensibilité, d’irréalité étaient constants chez la malade. Le monde,
l’univers étaient « là », mais « irréels », « en l’air ». La richesse des impressions éprou-
vées par la patiente rend la description intéressante mais certainement pas plus que celle
que l’on trouve chez P. JANET, ou dans le cas de MINKOWSKI ou encore dans d’autres cas
publiés chez nous 1, Tout cela serait somme toute assez banal. Mais dans l’étude struc-
turale de 1’« état de dépersonnalisation » VON GEBSATTEL entre dans le vif du sujet.
Déréalisation et dépersonnalisation constituent deux côtés d’un même trouble, celui de …Déréalisation et déper-
s o n n a l i s a t i o n … ( VON
la « communication ». Ce qui est altéré le plus profondément c’est l’unité du Moi, il y
GEBSTATTEL)
a une division du Moi (Spaltung der Selbst). « Je ne suis pas là... Je ne suis plus rien... »
est une forme qui est elle-même l’objet de la part du moi d’une analyse interminable.
La malade pour son compte distingue dans son auto-observation une topique du Moi
(Lagebeziehung der Ich) illustrée par un schéma où les « deux Mois » sont représentés
distincts et comme séparés ou plutôt comme deux pôles opposés. Une dynamique des
relations de ces deux « parties » est décrite comme une sorte de « chasse à courre » qui
malgré son « tempo furieux » dans la poursuite de l’une ou de l’autre partie, tourne en
rond et sur place. Une identification de ce double Moi, l’un celui que je suis moi-même,
celui de la plénitude, de la liberté et de la force, « et de l’esprit », l’autre, celui qui dit
1. Nous nous rappelons notamment une malade connue de tous les psychiatres praticiens de Paris,
il y a 15 ou 20 ans. Elle fut longtemps soignée par SÉGLAS et son observation a été publiée par
MALLET sous le nom d’Obsession de négation, (cf. Thèse, BERLIOZ, L’obsession de Négation,
Paris, 1935). L’article de DUGAS, (Journal de Psychologie, 1936), contient de nombreuses réfé-
rences cliniques riches en contenus significatifs, du même ordre.
145
ÉTUDE N° 22
« Je ne suis pas », « Je suis vide, isolé du monde et des hommes » (le premier est dési-
gné par B, le second par A, comme pour montrer que le faux Moi est plus fort que le
vrai). Normalement il existe bien quelque chose de ce dédoublement du Moi dans la
conscience ; le Moi fort et actuel est celui qui est à l’extrême pointe de l’action (im
Spitze einer Pyramide), le Moi automatique et comme étranger est celui qui demeure à
la base de l’action. L’état dépressif à cet égard doit être compris (et nous retrouvons ici,
encore, les études de JANET que nous avons exposées plus haut) comme une désorgani-
sation de cette hiérarchie structurale où le Moi fort ayant perdu sa force perd son actua-
lisation (ou plutôt sa « possibilité de s’actualiser » : Aktualisierbarkeit). Il devient un
objet dont les liens vitaux sont rompus avec l’autre Moi. La recherche vertigineuse
(Jagd, mot à mot : la chasse) qui est au fond de l’angoisse procède de l’impossible pour-
suite de ces deux parties du Moi (p. 251-252). Le vide de la vie psychique est vécu sur
deux registres : le Moi vide à la recherche du Moi plein – et la résistance au gouffre ver-
tigineux du vide. L’image du gouffre est en effet le symbole du vide ou plutôt le vide
est vécu comme un gouffre. On sent bien ici que nous sommes tout près des analyses
existentielles de BINSWANGER sur la « fuite des idées ». Effectivement c’est dans un
même style, mais plus sommairement que VON GEBSATTEL analyse la structure de la
…Le vide et le gouffre mélancolie. Le vide et le gouffre sont là au centre de la psychose. Le gouffre suppose
sont là au centre de la
une direction de haut en bas, mais il s’agit ici d’une dimension qui n’est pas spatiale
psychose. […] Le syndro-
me de dépersonnalisation mais morale. Le syndrome de dépersonnalisation constitue la forme mélancolique de
constitue la forme mélan- l’existence dans le vide (p. 255). Certes tous les mélancoliques ne vivent pas les
colique de l’existence troubles décrits par la malade qui fait l’objet de cette analyse, mais ce trouble rayonne
dans le vide… (VON
pour ainsi dire sur toute la symptomatologie de la mélancolie. Bien plus, la forme
GEBSTATTEL)
d’existence dans le vide est un des aspects le plus caractéristique de l’humeur maniaco-
dépressive. L’inhibition mélancolique est avant tout une forme de « ne pas pouvoir » (je
ne peux pas penser, agir, comprendre, lire, écrire, je ne peux pas sentir, travailler... ni
manger... ni déféquer, etc.). C’est de cette impuissance que dérive la suspension de toute
action et le vide à l’intérieur de la personne. L’inhibition du mélancolique a un sens
existentiel et celui-ci ne se laisse saisir entièrement que comme l’existence dans le vide
(p. 256). Le vide est, comme dit le malade, « horreur », « ténèbre », « glace », « désert
absolu ». Cette forme de dépersonnalisation 1 ne constitue pourtant pas une « vraie
dépersonnalisation » (p. 257), état avec lequel elle ne doit pas être confondue, car le
1. Les analyses de VON GEBSATTEL nous paraissent un peu en porte à faux. La phénoménologie
du « gouffre » moral est certainement tout à fait adéquate à la structure mélancolique. Mais en
tant précisément qu’il s’agit de dépersonnalisation nous touchons ici avec la phénoménologie de
l’espace vécu au niveau de déstructuration que nous aborderons seulement dans l’étude suivan-
te. Mais il est justement très intéressant pour nous de faire remarquer ici qu’entre le niveau
mélancolique et celui de la psychose hallucinatoire aiguë et notamment des expériences de déper-
sonnalisation, il y a une certaine continuité (la dépersonnalisation dans le cas analysé par …/…
146
MÉLANCOLIE
Moi lui-même est peu altéré dans la mélancolie. Mais il s’agit en tout cas d’une forme
de « minimisation » et de dévalorisation qui constitue le centre des sentiments dépres-
sifs fondés sur le non-pouvoir (Nicht konnen) qui appartient à la structure générale du
non-être ou, comme le répète l’auteur, de l’existence dans le vide.
R. DIGO 1 a entrepris également de dégager la structure essentielle de la conscien-
ce mélancolique conformément aux enseignements et exemples de M. HEIDDEGGER,
JASPERS et MINKOWSKI. Il part, lui, de l’analyse de l’ennui : « Grande steppe sans com- …R. DIGO part, lui, de
mencement ni fin dont rien ne vient rompre la monotonie » 2 et dont la répétition éter- l’analyse de l’ennui…
nelle de l’identique constitue l’écœurante nausée. L’ennui apparaît donc comme une
conscience sans déroulement temporel, sans changement. La référence aux analyses
littéraires d’AMIEL, d’OBERMANN, de G. SAND, de FLAUBERT, de PROUST, de Th. MANN,
etc. et aux analyses psychopathologiques de LE SAVOUREUX, de TARDIEU, de P. JANET
permet de distinguer l’ennui normal et l’ennui pathologique, celui dont BAILLARGER
disait qu’il était l’essentiel de « la mélancolie dans sa forme simple ». L’ennui normal
est inséparable de l’objet sur lequel se dirige spontanément la conscience 3, il naît des
« contingences extérieures ». L’ennui morbide est « endogène » (qualité que, rappe-
lons-le, nous avons précédemment reconnu au vécu de la mélancolie) ; il exprime la
présence de quelque chose d’ « hétérogène 4 », le contenu des tendances est secondai-
re, il n’y a plus ni passion déçue ni vocation contrariée, ni habitude perturbée ; le mal
est beaucoup plus profond et fondamental ; il est dans l’acte même de la vie qui est
rejetée dans sa totalité (p. 54). Dans cette forme pathologique de l’ennui, il y a effon-
drement de sentiment d’effort (« pierre de touche de l’ennui », p. 55) et c’est là l’es-
sentiel, si avec BURLOUD 5 nous définissons l’effort comme un acte psychique impos-
sible à concevoir autrement que comme un rapport de temps, une transition, un pro-
grès. Le sentiment de cette impuissance devient le flux dynamique de l’élan vital dont
…/… VON GEBSATTEL est aussi une mélancolie) mais une discontinuité de structure qui marque
un palier inférieur relativement à la déstructuration temporelle éthique de la mélancolie et que
nous définissons justement par un approfondissement du processus de déstructuration, au point
que celui-ci atteint alors la structure des espaces vécus. Mais tout cela ne sera clair que lorsque
nous étudierons dans l’étude n° 23, cette phénoménologie à laquelle le travail de VON GEBSATTEL
nous renvoie par anticipation.
1. R. DIGO, De l’ennui à la Mélancolie, Esquisse d’une structure temporelle des états dépressifs,
(Prix MOREAU de Tours, 1942, exemplaire déposé à la bibliothèque de Ste-Anne). Ce travail est
au point de vue qui nous occupe plus important que le second : La mélancolie et l’Électro-choc,
Thèse, de Paris, 1947.
2. Ainsi s’exprimait l’infante Eulalie d’après LE SAVOUREUX, (Le Spleen, Thèse, Paris, 1913)
3. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
4. La « nausée » cette « saleté poisseuse » qui avait des tonnes et des tonnes d’existence dans la
conscience, Roquentin (J. P. SARTRE, La Nausée, pp. 162 à 171).
5. BURLOUD, Principes d’une psychologie des tendances, 1938, Éd. Alcan, Paris.
147
ÉTUDE N° 22
ne peut plus être suivi le rythme créateur (sentiment dont le sentiment d’inhibition ne
représente qu’une forme particulière). Ce sentiment est donc lié à la chute de l’élan
personnel qui constitue selon une autre formule de BURLOUD, le « dynamisme plura-
liste », la causalité des tendances. La « longueur du temps » est corrélative de cette
impuissance à être et à devenir ; le temps n’est plus que la « mesure quantitative » des
passages du temps qui en s’égrénant entretiennent l’attente anxieuse des actes impo-
sés par la vie, d’où, pour échapper à cet esclavage, cette soif de repos absolu, cette
fuite vers le suicide, ultime refuge de ces « traqués du temps » (p. 83-85).
HESNARD 1 dans le chapitre qu’il consacre aux alternances des conduites hyper-et
hypomorales dans la Psychose intermittente étudie spécialement la structure tempo-
relle-éthique de la mélancolie. Le mélancolique (comme le maniaque), dit-il, ne vit pas
dans notre réalité. Il est arrêté dans un moment critique du déroulement de sa vie mora-
…HESNARD insiste sur la le par une transformation de son univers désormais statique et menaçant. Il insiste sur
profonde liaison de la la profonde liaison de la signification éthique et du déroulement temporel dans la
signification éthique et du
conscience mélancolique, car, dit-il, les conduites éthiques ne consistent pas seulement
déroulement temporel
dans la conscience en structures abstraitement intelligibles d’actions se déroulant dialectiquement dans
mélancolique… une durée qui refléterait le temps abstrait de la science physique en tant que mouve-
ments matériels structurés, elles participent jusque dans leur mode de déroulement
temporel de l’organisme vivant dont elles traduisent le mouvement. Quoi qu’il en soit
de cette interprétation et aussi de la confusion que par moments HESNARD semble éta-
blir entre la structure éthique et la déstructuration éthique, nous verrons plus loin,
comme nous l’avons déjà noté à propos de la manie, que ses analyses et les nôtres
convergent jusqu’à ce point où se saisit le déroulement du temps comme organisation
de la finalité de la conscience.
1. HESNARD (A.), L’Univers morbide de la faute, 1949, P. U. F., Paris, pp. 194 à 215.
148
MÉLANCOLIE
1. Tous les hommes, qu’ils croient ou ne croient pas en Dieu ou à la fin du monde, tous ont une
opinion sur le déterminisme, la transmission de pensée, etc. ou encore ont une vague conception
sur la réalité du monde extérieur, etc. Mais ces positions métaphysiques si elles constituent des
secteurs lointains de l’action n’entrent pas dans l’expérience immédiate de chaque instant de leur
existence. Si ces croyances sont plus virtuelles que présentes dans la conscience normale, elles se
solidifient dans la conscience morbide. C’est ainsi que, dans la conscience mélancolique, « se
sédimente » l’idée de fatalité, comme expérience vécue immédiate de l’illusion du déterminisme.
149
ÉTUDE N° 22
Le temps vécu du mélancolique est un temps qui non seulement « revient en arriè-
re », mais qui reste soudé au passé. Ce mouvement rétroactif du déroulement du temps,
ce détournement hors du présent et de l’avenir, ce reflux vers ce qui a été, cet enchaî-
…l’arrêt du temps vécu… nement au passé, font de l’arrêt du temps vécu, l’aspect caractéristique de cette forme
de déstructuration de la conscience. L’impossibilité même de s’adapter au présent
(c’est-à-dire de le construire dans l’intérêt et avec l’efficacité d’un acte qui se saisit de
l’instant pour en utiliser sinon épuiser toutes les possibilités), l’anéantissement du pré-
sent, la néantisation de l’actualité même de l’action, la rétrogradation vers le passé,
l’enracinement dans l’histoire déjà vécue, lient le néant du présent à l’être du passé
dans une relation dont la signification emprunte et confère à la mélancolie tout son
sens, celui même de la fatalité. Cette fatalité ce n’est même pas celle de l’avenir, tou-
jours conjectural, c’est la fatalité de l’enchaînement absolu du mélancolique à son des-
tin passé mais jamais révolu. Il est rivé au passé comme à la loi de son existence : les
dés ont été et demeurent inexorablement et catastrophiquement jetés. Le temps n’est
…Le passé ne passe pas… et ne peut être qu’une sorte d’éternité du passé. Le passé ne passe pas. Il ne se dépas-
se pas. Il n’est jamais passé, tout au moins en tant qu’il est la forme même de ce qui a
été irrémédiablement fait et subsiste. Et si un souvenir du passé a le « malheur » de
paraître avoir été un bonheur, il est alors « regretté », c’est dire qu’il devient objet d’un
repentir qui dissout ce bonheur, en lui assignant sa position exacte certes, mais irré-
médiablement caduque dans le déroulement temporel. Par contre, que surgisse ce
passé dans l’image rétrospective d’un malheur, d’un risque ou d’une faute, il est alors
accueilli et vécu dans un rapport de causalité fatale avec le désarroi actuel, comme si
la trame du malheur n’avait jamais été rompue entre le moment du passé auquel ren-
voie le souvenir pénible et le moment actuellement tragique de la conscience malheu-
reuse et tourmentée.
La conscience mélancolique est, du fait de l’inversion temporelle de son courant
d’intentionnalité, incapable de se présenter au présent, de se le représenter, de le struc-
turer comme la seule et fugitive occasion de projeter dans le réel ses projets, c’est-à-
dire en définitive de construire son existence en saisissant les possibilités offertes par
la succession des instants qui, composant le déroulement temporel, se proposent à
notre choix. Elle est attirée au contraire par le passé comme par une pesanteur, ou pire
encore, sollicitée par le principe même d’une inertie psychique, d’une véritable
« entropie » qui dégrade l’énergie de l’action et de l’existence. Mais que dire alors du
cas où, dans la mélancolie anxieuse, le mélancolique est tout au contraire projeté dans
…L’attente anxieuse de l’attente anxieuse de l’avenir ? L’attente anxieuse de l’avenir est là encore et néces-
l’avenir est là encore et sairement une projection de la fatalité (tout à la fois réitération certaine du mal et cau-
nécessairement une pro-
salité absolument néfaste) des moments successifs du temps. Être dans l’angoisse de
jection de la fatalité…
ce qui va se produire c’est encore vivre, mais sous forme d’une anticipation, l’inéluc-
150
MÉLANCOLIE
151
ÉTUDE N° 22
…anomalie de la structu- colie nous renvoie là encore à une anomalie de la structure éthique de l’être. C’est une
re éthique de l’être… déstructuration de la structure temporelle éthique de la conscience. Nous le signa-
lions, dès le début de cette analyse existentielle, il est évident que le mélancolique est
tourné contre lui-même, qu’il agit et pense comme s’il était foncièrement mauvais,
comme si sa vie et son corps étaient pourris et comme si son existence était à jamais
maudite. La fatalité du malheur est vécue par lui comme prise dans son existence et
comme si l’un et l’autre s’engendraient réciproquement. Le poids du passé, la respon-
sabilité de son malheur dont il ne souffre jamais assez et l’anéantissement de son exis-
tence, tout à la fois craint et désiré, constituent son martyre et sa damnation éternelle.
Car tout malheur fortuit ou fini est écarté de sa conscience qui ne peut supporter, en le
rendant lui-même strictement insupportable, que le « malheur-par-soi-éternellement-
provoqué ». Sans doute dans les formes les plus typiques ce sont les sentiments d’in-
dignité et de culpabilité, le désir d’être puni et châtié, l’attente de la condamnation
redoutée et sollicitée, la certitude de la damnation ou la torture du remords qui occu-
pent la scène de cette tragédie et constituent sa thématique délirante. Mais, même
quand le martyre subi est vécu comme une injuste ou incompréhensible persécution, il
n’en garde pas moins le sens d’un sacrifice et d’un holocauste. C’est que par delà les
contingences quasi anecdotiques du vécu mélancolique, c’est-à-dire les péripéties de
la prise de conscience du tragique existentiel, demeure le bloc inébranlable de la
« mauvaise conscience absolue ». Le mélancolique est livré au mal, se livre au mal et
doit se livrer au mal. La structure intentionnelle de la conscience mélancolique passe
…le trouble est vécu par ce niveau existentiel où le trouble est vécu comme un conflit interne qui engage la
comme un conflit interne maladie dans la perspective même du bien et du mal. C’est d’ailleurs souvent que le
qui engage la maladie
mélancolique a conscience de son anomalie, mais, pour lui, de ses tourments il est res-
dans la perspective même
du bien et du mal… ponsable ; ils sont moraux et la Médecine, les Médecins et leurs moyens thérapeu-
tiques sont, à son égard de coupable, dérisoires. Le malheur qui est arrivé par sa faute
ou le malheur qui doit arriver, doivent s’entendre comme des effets directs, nécessaires
et, somme toute, mérités de sa propre monstruosité. Mais si la structure de la conscien-
ce mélancolique est à cet égard hautement significative et organisée en courants inten-
tionnels qui partagent la conscience divisée contre elle-même, comme celle du pécheur
qui se repent, ce serait une très grave erreur 1 de ne pas voir ce que cette structure com-
porte de différent à l’égard de la « mauvaise conscience » du pécheur toujours libre de
ses alarmes. Que brusquement et « sans raison » un homme soit précipité dans l’abso-
lu, l’éternité et la fatalité de l’angoisse des flammes de l’enfer et vive, au comble de la
1. A laquelle on pourrait craindre qu’ait succombé BARUK. Le déplacement de son foyer d’inté-
rêt scientifique depuis ses investigations expérimentales sur l’« automatisme de la volonté chez
l’animal catatonique jusqu’à la nature morale de la folie » (déplacement qui lui a fait parcourir
en chemin inverse la distance qui sépare KAHLBAUM de HEINROTH), peut-être ce déplacement
peut-il expliquer son zèle pour défendre ce qu’il avait d’abord paru négliger.
152
MÉLANCOLIE
1. Nous avons examiné le problème des formes pathologiques de la conscience morale dans le
petit travail paru dans Médecine de France, n° 23, 1951 sous le titre « La Psychiatrie devant la
Morale » en mettant en évidence ces deux aspects fondamentaux.
153
ÉTUDE N° 22
…Le « noir » de la mélan- Le « noir » de la mélancolie (et comme nous l’appellerons plus loin, la tragédie
colie […] est si privé d’is- mélancolique) constitue un monde si affreux, si opaque et si terrible, si vide aussi et si
sue que la mort […] est
privé d’issue que la mort (parfois impossible aux yeux du mélancolique, et en tout cas
là, elle-même, comme un
néant de néant…
elle-même dépourvue de toute valeur de repos ou de solution) est là, elle-même,
comme un néant de néant. Elle est bien là à la fois attirante et redoutée, enveloppant
comme d’un possible arrêt de l’impossible existence, la structure mélancolique elle-
même. Mais elle est aussi là dans ce « Dasein » de la désolation mélancolique, comme
un mal sans fin et non pas comme une fin. On a mille fois souligné le paradoxe de la
politique de Gribouille du mélancolique qui, pour échapper à la mort, se la donne.
C’est que cette contradiction constitue précisément le point où la problématique de
l’être et du néant est parvenue à son extrême limite et le fond de la mélancolie est
(exactement symétrique relativement au fond de la manie) de porter cette dialectique
à son plus haut degré d’insolubilité. Tous les mélancoliques sont des métaphysiciens
ou (si l’on ne veut pas de cette formule paradoxale), tous les mélancoliques saisissent
jusqu’à la racine existentielle de leurs problèmes vitaux (fussent-ils les plus simples ou
les plus grossiers) le problème de la fin et des fins dernières. La modification de la
structure temporelle de leur conscience ne leur permet plus de « continuer », de « mar-
cher », d’ « aller de l’avant », comme s’ils savaient (ni plus ni moins que nous tous)
où ils vont. Chez eux le mouvement (qu’on le nomme insouciance, optimisme, réso-
lution, espoir, légèreté, entrain ou courage, etc.) s’arrête, et glacés d’effroi dans l’im-
mense désert d’un néant qui ne peut pas cesser d’être, les mélancoliques cherchent ce
« quelque chose » ou même ce « quelqu’un » que doit être encore pour eux « la Mort ».
Mais elle est pour eux aussi décevante et effrayante que la vie. Car c’est le problème
154
MÉLANCOLIE
1. Nous allons dans cet exposé suivre dans ses grandes lignes, le livre : Psicoanalisis de la
Melancolía édité par le groupe analytique de Buenos-Aires (1948, 519 pages).
2. Discussion sur le suicide à la Société Psychanalytique de Vienne (1910), dont on trouvera le
texte dans les Gesammelte Werke, VIII, p. 64. Plus tard il écrivit son fameux mémoire « Trauer
und Melancholie », qui parut dans le Zeitschr. f. Psychoanalyse, 1916, IV, et est reproduit dans
les Gesammelte Werke, X, pp. 428-446.[NdE : Deuil et mélancolie trad. fr. in Métapsychologie,
Paris : Gallimard ; 1952]
3. MAEDER, Psychoanalyse bei einer melancolischer Depression, Zentralblatt f. Nervenheilk.,
1910, n° 302.
155
ÉTUDE N° 22
…Travaux psychanaly- colique d’un net conflit entre les attitudes masculines et féminines. En 1911, Karl
tiques… ABRAHAM 1 étudiant les relations des états dépressifs et de la névrose obsessionnelle 2
remarquait que les tendances agressives refoulées provoquent le sentiment de culpabi-
lité du mélancolique. La culpabilité réalise ici un désir complexuel : le désir d’être le
pire des criminels. La dépression peut être considérée comme le résultat de la régres-
sion des instances sadiques, l’inhibition est une « mort symbolique » et les idées de
ruine paraissent dériver de l’incapacité foncière de posséder amoureusement un objet.
L’année suivante, S. FREUD 3 commença à s’intéresser à la signification de « repas toté-
mique », c’est-à-dire à la reproduction symbolique de la mort du père et à son incor-
poration orale dans les rites de sacrifice totémique, ce qui le conduisit quelques années
plus tard (1915) à l’étude de la phase orale du développement libidinal, c’est-à-dire
aux tendances cannibaliques primaires. Voici d’après R. STERBA 4 cette intéressante
conception de FREUD : La première phase orale commence dès la naissance (et même
avant, puisque l’on peut au cours d’une césarienne surprendre le fœtus un doigt dans
la bouche) et déborde l’instinct d’alimentation (le plaisir de sucer, c’est-à-dire d’ériger
les lèvres et la langue en organes de satisfaction libidinale). La deuxième phase orale
commence avec les dents, la destruction des objets déchirés par les dents et avalés
devient en soi un plaisir. Tandis que la succion était essentiellement érotique, ici le
mordre et le dévorer exigent un objet extérieur et la notion d’objet s’introduit dès lors
comme une expérience psychologique basale : désormais, manger un objet, s’en empa-
rer et l’incorporer constitue une tendance qui est elle-même essentiellement ambiva-
lente puisqu’elle va à la fois exprimer l’amour et la haine de l’objet. Dans ses travaux
sur le développement de la phase prégénitale de la libido, K. ABRAHAM 5 et seulement
à la fin (paragraphe 7) revient sur la dépression mélancolique. Le mélancolique, dit-il,
renie la vie et refuse de manger, c’est ce que tout le monde sait, mais le psychanalys-
te doit aller plus loin et peut nous l’expliquer. Pourquoi choisit-il précisément le refus
d’aliments ? C’est que la libido régresse chez lui jusqu’à la phase la plus primitive que
nous connaissons, la phase « orale » ou « cannibalique », autrement dit, il soumet
inconsciemment l’objet sexuel au désir d’incorporation de la phase prégénitale orale,
156
MÉLANCOLIE
car au plus profond de lui se trouve la tendance à dévorer et à détruire cet objet : les
auto-accusations des mélancoliques sont des déplacements de culpabilité relativement
à ces tendances cannibaliques. Et, en effet, les fantasmes cannibaliques se retrouvent
souvent dans la mélancolie sous forme d’idées délirantes de zoopathie interne (le
malade par exemple a dans le ventre un loup). Son refus d’aliments est donc une
défense contre les tendances cannibaliques.
Le fameux mémoire de FREUD 1 sur les rapports du deuil et de la mélancolie devait
assurer un progrès considérable à l’interprétation analytique des relations objectales du
mélancolique. Celui-ci est dans un état de douleur et de vide : il a perdu l’objet libidi-
nal. Dans le deuil, la perte de l’objet aimé n’est pas facilement acceptée et la présen-
ce de l’objet continue encore longtemps à se manifester à la conscience de celui qui le
pleure. Certes dans la mélancolie l’objet n’est pas toujours réellement perdu, le mélan-
colique n’est pas toujours en état de deuil réel mais l’objet « disparaît », « est perdu »
en tant qu’objet fantasmique. De même la relation libidinale qui lie le patient à l’objet
n’est pas toujours consciente. Dès lors il faut admettre cette formule : la mélancolie
est une situation de « perte d’objet » qui échappe à la conscience. De telle sorte que
le mélancolique sans savoir qu’il a perdu quelqu’un se comporte pourtant comme s’il
était en deuil et comme si le monde, de ce fait, était réduit à rien. Un autre aspect fon-
damental du deuil mélancolique c’est qu’il transfère sur la personne du patient toutes
les accusations qu’inconsciemment il porte sur l’objet perdu. Ainsi l’identification de
sa propre personne avec l’objet perdu rend compte de l’agressivité même avec laquel-
le le mélancolique s’acharne contre lui-même, c’est-à-dire contre l’objet incorporé.
D’un côté la mélancolie est bien une conduite de deuil à l’égard de la perte de l’objet …D’un côté […] perte de
et d’autre part elle est une identification agressive à cet objet. Cette identification l’objet, d’autre part […]
identification agressive à
s’opère selon le mécanisme que FREUD appellera plus tard l’introjection (1921).
cet objet…
Venons-en maintenant au travail le plus important, à celui de K. ABRAHAM 2. Il
revient encore, notons-le, sur les rapports de la mélancolie et des névroses obsession-
nelles. Dans la mélancolie le malade abandonne ses relations psychosexuelles avec
l’objet, tandis que l’obsédé évite d’en arriver là. Ceci démontre le bien-fondé des
conclusions de FREUD (dans son travail sur le rapport du deuil et de la mélancolie) dans
le cas par exemple d’un malade en état de dépression mélancolique qui s’accuse
d’avoir volé, alors que c’était son père qui avait volé. Il n’en reste pas moins, dit
ABRAHAM, que nous sommes assez incapables de nous faire une idée claire des rela-
tions qui unissent la perte de l’objet, son introjection et la tendance à sa perte et à sa
destruction. D’après FREUD il semble que le sujet après avoir perdu l’objet tente de le
157
ÉTUDE N° 22
…Travaux d’ABRAHAM… récupérer par le mécanisme de l’introjection. Pour ABRAHAM, l’objet est surtout une
« cible » pour toutes les pulsions sadiques-anales et l’on pourrait considérer le pro-
cessus psychoanalytique de la mélancolie de la façon suivante : la tendance à la perte
de l’objet dépend de la fixation à la phase sadique-anale et, à plus forte raison, de la
fixation orale, c’est-à-dire à une phase encore plus primitive du développement libidi-
nal (tendances sadiques-orales). A l’étape cannibalique de la phase orale, l’individu
incorpore l’objet en le détruisant et (comme nous l’avons signalé plus haut) une pre-
mière problématique de l’objet se présente selon qu’il est investi de valeurs positives
ou négatives (ambivalence pulsionnelle). Or la mélancolie en régressant à ce niveau
…conflit primitif d’ambi- retrouve ce conflit primitif d’ambivalence orale. Quand les investissements libidinaux
valence orale… sont retirés de l’objet, ils sont dirigés sur le Moi et en même temps l’objet est intro-
jecté dans le Moi. Le Moi doit alors supporter toutes les conséquences de ce proces-
sus. Ce n’est, dit ABRAHAM, qu’à un examen superficiel que le mélancolique paraît être
la proie d’une lancinante autodépréciation et un examen plus attentif peut nous faire
dire tout le contraire. Quoi qu’il en soit, K. ABRAHAM admet la nécessité de plusieurs
facteurs pour que se constitue une psychose mélancolique : 1° un facteur constitution-
nel (sur lequel il fait d’ailleurs tellement de réserves qu’il s’agit là d’une simple clau-
se de style), 2° une fixation spéciale de la libido au niveau oral, 3° de fortes atteintes
contre le narcissisme infantile produites par des déceptions amoureuses successives,
4° l’existence d’une première déception amoureuse antérieure à l’époque où les désirs
œdipiens ont été vaincus, 5° la répétition ultérieure de cette frustration primaire. Quant
au mécanisme de l’introjection, il peut affecter deux formes : ou bien la mélancolie a
introjecté l’objet originel sur lequel il a construit son idéal du Moi (les autoaccusations
émanent de cet objet introjecté), ou bien les autoaccusations s’adressent à un objet
introjecté qui est lui-même objet de l’agressivité du sujet.
…Travaux de S. RADO… En 1927, SANDOR RADO 1 a insisté à son tour sur la conduite paradoxale du mélan-
colique. Celui-ci use de ruse, tantôt recourant à la révolte, tantôt à l’humiliation pour
reconquérir l’objet perdu dont il ne consent pas à accepter la perte. L’autopunition
dépend de l’espoir d’obtenir l’absolution et le pardon. C’est en quoi (leit-motiv de
toutes les études analytiques comme de toutes les études cliniques) la mélancolie
touche à la manie comme à son nécessaire complément structural.
…Travaux d’H. DEUTSCH.… Hélène DEUTSCH 2 a publié un cas où la malade s’était identifiée avec sa sœur,
l’avait « internalisée », incorporée, créant ainsi une relation maternelle, substitutive,
après la mort de ses parents. Cette forme de « Sur-Moi » adouci et indulgent que figu-
1. SANDOR RADO, Das Problem der Melancolia. Intern. Zeitsch. f. Psychoanal. 19271 (C. R. du
10ème Congrès d’Innsbruck, sept. 1927).
2. H. DEUTSCH, Homosexuality in Women, Inter. J. Psychoanalysis, 1933, 14, p. 34. Zur
Psychologie der m. d. Zustände, Int. Zeitschr. f. Psychoanal. 1933, 14, p. 358.
158
MÉLANCOLIE
rait cette introjection n’a pas résisté à une situation de frustration de la part de la sœur
et l’objet accusé se retirant devint l’objet d’une agressivité terrible du Sur-Moi. Les
interprétations d’Hélène DEUTSCH sur ce thème constituent un des documents les plus
intéressants de la dialectique analytique appliquée à la situation dramatique du mélan-
colique.
Quelques années après, Georg GERO 1 à propos de la psychanalyse d’une dépres-
sion névrotique et d’un malade atteint de troubles maniaco-dépressifs caractérisés, a
étudié la « formation de la dépression » « mais en se plaçant plus spécialement au point
de vue de la technique thérapeutique qui a pour but la solution de la fixation orale fon-
damentale et de frustration qu’elle entraîne ».
Dans un article sur le suicide A. GARMA 2 souligne que la structure psychologique
de la mélancolie est la même qu’il s’agisse d’une mélancolie psychogène ou d’une
mélancolie endogène. La perte de l’objet libidinal, qu’elle soit causée par des « motifs
réels » ou par des « motifs constitutionnels » entraîne le mécanisme même de la mélan-
colie psychogène. Au bout, dans les deux cas, il y a le suicide, en tant que tentative de
récupérer l’objet perdu (un diagramme plus satisfaisant du point de vue de la géomé-
trie que de l’analyse psychologique illustre les mécanismes à la fois complexes et peut-
être un peu trop schématiques de cette tragédie).
Enfin il faut naturellement nous rappeler ici les travaux de M. KLEIN 3 qui ont eu …travaux de M. KLEIN…
tant de retentissement à propos notamment du problème qui nous occupe, puisque l’in-
trojection des objets bons et mauvais y est donnée comme une expérience vitale abso-
lument primordiale du nourrisson. La construction même du monde des objets dépend
de ce cadre d’investissement primitif. Les objets intériorisés sont soumis à des procé-
dés, de défense et d’attaque, qui représentent des réactions paranoïaques ou dépres-
sives de l’enfant 4. Les processus d’identification, d’ « internalisation », d’introjection
et de projection, représentent la trame du comportement de l’enfant et de ses relations
avec le monde extérieur. Aux tendances paranoïaques infantiles correspond l’identifi-
cation du Moi avec le bon objet totalement incorporé. Quant à l’angoisse infantile à
quoi nous renvoie la psychanalyse de la mélancolie, elle est, dit M. KLEIN, de nature
beaucoup plus complexe quoique voisine de cette paranoïa. Elle est faite surtout de la
crainte que les bons objets intériorisés et avec eux le Moi ne soient détruits, désinté-
grés. Tandis que le paranoïaque lutte contre la multitude de petits objets de persécution,
1. G. GERO, Der Aufbau der Dépression, Inter. Zàtschr, f. Psychnoanal., 1936, 22, p. 379, et en
anglais in International J. of Psychoanalysis, 1936, , 17, p. 423.
2. A. GARMA, Psychologie der Selbstmordes. Imago, 1937, 23, p. 63.
3. Congrès de Lucerne, 1934 – International J. of Psychoanalysis, 1935, 16, p. 145 – Ibidem,
1937, 23, p. 275, – Ibidem, 1940, 21, pp. 125 à 253 – et Ibidem, 1948, 29.
4. M. KLEIN, dans sa Psychoanalyse des enfants, signale que le jeune enfant a des accès de
dépression allant parfois jusqu’à l’automutilation et les tentatives de suicide.
159
ÉTUDE N° 22
le mélancolique tend à réunir la totalité des objets qui lui échappent, mais tout état
dépressif comporte l’un et l’autre mécanisme. Un des aspects de la mélancolie sur
lequel insiste encore M. KLEIN, c’est la cruauté de ce Sur-Moi primitif, celui de l’in-
trojection primitive 1, cruauté sadique primaire dirigée contre les mauvais objets, et
qui, intériorisée, constituerait la première ébauche de la « persécution » de la conscien-
ce morale contre soi, conscience qui est toujours conçue comme « dévorant » sa victi-
me, ce qui est comme un rappel de la phase orale où se lient les relations d’objets et
notamment la « position dépressive » infantile si intégrée à la « position paranoïaque ».
E. JACOBSON 2 situe par contre à un stade plus évolué du développement libidinal la
structure inconsciente de la dépression (à vrai dire sa malade Peggy souffrait plutôt
d’une dépression névrotique avec phobies et hypocondrie). La désillusion, la décep-
tion (« Desappointment » en anglais, « Enttauschung » en allemand) ou plus exacte-
ment la frustration constituent le centre de l’angoisse. La phase de l’Œdipe est à cet
égard d’une particulière importance car la frustration à l’égard du père constitue un
danger terrible pour le Moi et l’édification du Sur-moi.
1. On sait que l’originalité de M. KLEIN est précisément de placer à l’orée de l’existence l’édifi-
cation du Sur-Moi en tant que modalité de relation avec les bons et mauvais objets primitifs.
2. E. JACOBSON, Depression. The œdipus complexe in the development of depression,
(Psychoanalytic Quart., 1943, 12, pp. 541 à 560), et Desappointment on ego and superego for-
mation in normal and depressive development, Psychoanal. Rev., 1946, 33, p. 129.
160
MÉLANCOLIE
morbide. Si l’on consent à renoncer à une pareille illusion, le vécu mélancolique, tel
qu’il nous est livré par ces profondes analyses (un peu à la manière brutale et immé-
diatement saisissable dont il nous est offert, par exemple, dans le noir et terrible
« Saturne » de GOYA) est, par elles, rendu infiniment plus sensible et émouvant. Elles
nous font pénétrer ces tourments au plus profond de la tragédie mélancolique en nous
rappelant sa signification existentielle, la plus radicale et la plus originelle. Le vide de
l’existence c’est le trou, l’abîme de l’absence et de la séparation de l’objet aimé, en
tant qu’il est, cet objet, le modèle même de toute objectivité. Ce vide interne, l’inté-
riorité de ce gouffre qui « remplit » ce sujet, c’est l’avidité d’une subjectivité qu’au-
cun objet incorporé ne peut combler. C’est un Moi, sans fond, sans le fondement de sa
relation avec autrui, le Moi seul face à face avec lui-même, c’est-à-dire face au néant.
Mais ce néant d’une première rencontre avec l’objet et le monde, en se dressant devant
moi, et n’étant pas moi, me laisse seul subsister comme l’image de l’objet et du monde
perdu et détruit, c’est cette image spéculaire du moi que j’accable pour la conserver,
etc., etc... Ainsi retrouvons-nous les formules 1 auxquelles l’analyse existentielle de la
mélancolie nous avait nécessairement contraints d’aboutir. Si nous le répétons ici
comme un leit-motiv, c’est pour bien faire saisir que le vertige de l’être et du néant
enveloppe précisément toute la thématique, toute la mythologie psychanalytique de la
mélancolie.
Comme nous l’avons fait pour la manie, nous devons maintenant, pour sortir de
cette pure description phénoménologique de la mélancolie, analyser la crise de mélan-
colie de telle sorte que cette analyse nous prépare à en saisir la pathologie totale. C’est
faute d’avoir envisagé comme une totalité psychosomatique véritable tous les aspects …Une « véritable totalité
de la mélancolie, que toutes ces études dont nous venons d’exposer l’essentiel demeu- psychosomatique » doit
s’entendre […] comme la
rent incomplètes. Une « véritable totalité psychosomatique » doit s’entendre non pas
reconstitution d’un certain
comme une vague référence verbale à la notion de « Gestalt », mais comme la recons- ordre naturel de la structu-
titution d’un certain ordre naturel de la structure psychopathologique. C’est dire que la re psychopathologique…
mélancolie en tant qu’objet de l’analyse structurale (que nous avons préparée tant au
point de vue clinique que phénoménologique) doit être envisagée maintenant dans ses
rapports avec le processus organique qui la conditionne et avec le dynamisme psy-
chologique qui la constitue, autrement dit, nous devons nous placer dans notre pers-
1. Car ce ne sont ici que de simples formules, faibles échos des grandes analyses
« Kierkegardiennes » de l’angoisse.
161
ÉTUDE N° 22
pective habituelle et lui décrire une structure négative et une structure positive 1. Nous
allons pouvoir, en conclusion de cette étude psychopathologique, présenter cette ana-
lyse comme une sorte de schéma de référence synthétique à tout ce que nous avons
déjà exposé dans les pages précédentes.
STRUCTURE NÉGATIVE
Elle paraît dans la mélancolie plus importante qu’elle n’est (au contraire de la
manie). Ces malades effondrés et hantés par la mort nous offrent une telle image de
l’anéantissement qu’ils se présentent cliniquement comme profondément atteints d’un
déficit vital, d’une faiblesse de leur volonté et d’une diminution de leurs capacités
intellectuelles. Et effectivement, on doit considérer la « pensée mélancolique » comme
un état de trouble déficitaire 2 dont l’auto-dépréciation est elle-même l’expression.
a) La perte d’activité synthétique de la pensée. C’est dans ce cadre que doivent être
rangés ici tous les aspects fondamentaux du tableau clinique que nous avons étudiés
sous le nom d’aboulie, d’inhibition motrice et d’inhibition psychique. La lenteur, la
monotonie, la stérilité de la pensée constituent un syndrome qui se résume somme
toute en un seul mot, la « concentration ». Sans doute dit-on d’un esprit qui fait des
efforts et travaille à plein rendement qu’il se concentre. Mais la concentration de l’ac-
tivité mentale productrice est tout juste le contraire de la « concentration » du mélan-
colique qui se fixe sur un objet et ne peut s’en détacher ni s’en départir comme s’il s’y
cramponnait tout ensemble par lassitude, passivité et inertie. La concentration psy-
chique du mélancolique dépend de la réduction de son activité, sa pensée cessant
d’être opératoire et réflexive. Cette viscosité, cette lenteur, cette monotonie de la
…la concentration pénible concentration pénible et douloureuse du mélancolique doit être considérée elle-même
et douloureuse du mélan- comme un trouble négatif, c’est-à-dire une impuissance. La déstructuration de la
colique doit être considé-
conscience se manifeste en effet et essentiellement par l’incapacité de se détendre, de
rée elle-même comme un
trouble négatif, c’est-à- se déployer, de se mouvoir. Sa lourdeur, sa masse, son poids sont les qualités structu-
dire une impuissance… ralement équivalentes à la volatilité de la conscience maniaque. L’une et l’autre témoi-
1. Une pareille exigence s’est certainement imposée à L. BELLAK. Dans l’introduction à l’expo-
sé de la psychose maniaco-dépressive (Manic-depressive psychosis New-York, 1952, pp. 1 à 13),
BELLAK indique formellement (en se référant notamment aux descriptions de O. H. MOWRER,
« Time as determinant of integrative learning » Psychol. Rev. I945), qu’une psychopathologie de
ces états est déterminée par la structure libidinale de la personnalité mais aussi par le facteur de
force du moi, c’est-à-dire pour nous, respectivement, la structure positive et la structure négati-
ve de la Psychose.
2. Trouble primordial et primitif aux yeux de beaucoup d’auteurs et spécialement de G. DUMAS
(Les états intellectuels dans la mélancolie, 1895), pour qui l’asthénie mentale et les troubles orga-
niques se confondent pour constituer la base de la mélancolie ce qui n’exclut pas cependant une
activité (nous dirions « restante ou positive ») qui organise les contenus de la conscience mélan-
colique en totalité d’intentionnalité.
162
MÉLANCOLIE
gnent du trouble de l’activité dynamique de la conscience pour autant que celle-ci nor-
malement s’accorde et s’adapte aux exigences des situations. Ici, renfermé et renfro-
gné, sa concentration manifeste que le mélancolique a perdu le pouvoir de liquider et
de dépasser le vécu qui l’occupe et le préoccupe. Par là, nous saisissons la nécessité
de compléter la négativité de l’impuissance par l’intentionnalité positive d’un besoin,
tant il est vrai que la structure négative et la structure positive d’une forme morbide de
conscience se fondent dans la même unité clinique, ici, celle de la concentration dou-
loureuse et de la délectation morose dans l’impuissance fondamentale. Bien plus, l’im-
puissance étant à la fois subie et désirée est comme multipliée par le besoin d’être et
de paraître impuissante.
163
ÉTUDE N° 22
souvenirs de la crise. Ce trouble est « accusé » par les malades eux-mêmes, et cette
formule pose à nouveau le problème que nous soulevions il y a un instant. Sans doute
le mélancolique se voit-il en noir et obscurcit-il lui-même le champ, pour lui misé-
rable, de sa conscience. Mais là encore son impuissance, pour si « accusée » qu’elle
soit par l’auto-accusation, exprime les traits « nettement accusés » de sa chute forcée
dans l’imaginaire l.
1. Cet autre aspect négatif fondamental de la mélancolie nous renvoie lui aussi au problème som-
meil-veille (dont la plupart des auteurs ont fait l’apanage des confusions à l’exclusion des états dits
« thymiques » maniaco-dépressifs). A cet égard l’étude de A. MYERSON (The sleeping and waking
mechanism : a theory of depressions and their treatement, J. nerv. and ment. Dis. 1947, 105, pp.
598 à 606), malgré quelques observations intéressantes nous a déçus. Un autre aspect de cet inté-
ressant problème mériterait des études approfondies, celui des rêves des mélancoliques. Nous ne
connaissons qu’un travail ancien (H. HIRSCHMANN et P. SCHILDER. Träume des Melancholiker.
Bemerkungen zur Psychopathologie der Melancholie, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1920, 53, p. 130) ;
il indique que les mélancoliques sortent de la mélancolie en entrant dans le rêve ce qui paraît mon-
trer que le vécu même de l’expérience mélancolique exige un niveau plus élevé que celui qui
caractérise le sommeil-rêve sans que cesse de se préfigurer dans la mélancolie, le cauchemar.
164
MÉLANCOLIE
STRUCTURE POSITIVE
Cette « dynamique » c’est une problématique de l’existence. Mieux, c’est la
TRAGÉDIE au sens le plus fort du mot et pour autant qu’il exprime sur la scène de la
conscience mélancolique : un drame, une angoisse métaphysique et un retour sur l’ori-
gine même de toute tragédie, les tourments de l’amour.
165
ÉTUDE N° 22
soit qu’il la construise par avance dans la fatalité de son destin, cette scène tragique,
muette ou frénétique, elle est comme la satisfaction d’un besoin, besoin non pas de se
donner en spectacle ni de se donner un spectacle, mais besoin de vider la réalité pour
lui substituer un mythe de mort et de sang. Le mélancolique tient d’autant plus à sa fic-
tion qu’il ne la vit pas comme une réalité, mais comme une possibilité d’autant plus
absolue et sommaire qu’elle engage sa « responsabilité ». Ses obstinations, ses refus
systématiques, son entêtement, sa persévération opiniâtre dans le silence, le pessimis-
me, la douleur morale, ne sont pas seulement des qualités immédiates de sa conscien-
ce, une impuissance à agir, à varier ou à accepter, mais un parti-pris de pousser tout
…Tout devient alors tra- au tragique 1. Tout devient alors tragique, c’est-à-dire poussé jusqu’à une sorte de
gique, c’est-à-dire poussé sublime grandiose. L’héroïsme du sacrifice de l’holocauste et du martyre, par l’excès
jusqu’à une sorte de
même de leur fatalité sans mérite, est plus tragique encore dans la conscience mélan-
sublime grandiose…
colique que dans les grandes tragédies grecques. Naturellement, cette mégalomanie
mélancolique (qui a été soulignée, nous l’avons vu, par l’école psychanalyste) n’est
pas toujours apparente, et le mélancolique nous paraît plutôt, retranché dans sa modes-
tie et croupissant dans la honte de ses misérables misères, vivre une tragédie sordide,
un mélodrame de bas étage. Mais le sens tragique de son existence n’en reste pas
moins le même. Ce que l’on appelle ses « idées délirantes » et que lui-même qualifie
d’ « idées noires », ce sont les ébauches thématiques de cette tragédie où se joue son
destin au travers des scènes et des représentations dont la typicité témoigne même
qu’elles surgissent des éternelles sources de l’angoisse humaine : tribunal, accusations,
gendarmes, guillotine, incendies et guerres, enterrements, massacres, crimes et châti-
ments, c’est-à-dire effectivement tout le décor et l’attirail nécessaires et suffisants pour
…Ces horreurs sont fer- jouer toutes les tragédies. Ces horreurs sont fermement tenues pour inexorables et
mement tenues pour implacables, en vertu seulement mais fortement d’un jugement de valeur éthique qui
inexorables et impla-
soustrait l’univers aux lois physiques pour les placer uniquement sous l’empire des
cables, […] sous l’empire
des lois morales… lois morales. Ce sont elles qui règlent tous les conflits qui surgissent non seulement
dans la famille, la profession, le voisinage, et les rapports sociaux, mais aussi qui
régnent dans le cœur et le corps et encore, au delà, dans le cosmos et la nature. Enfin
cette tragédie est elle-même monotone, sans inspiration et pour ainsi dire sans talent
comme si le mélancolique était un médiocre auteur. Elle se déroule dans un morne
silence, avec une désespérante lenteur, entrecoupée de violences « pathétiques » qui
témoignent de la force qui se cache sous cette faiblesse et de l’implacable volonté qui
se dissimule sous l’apparence à la fois authentique et fausse d’une existence manifes-
tement ruinée, vide, désespérée et anéantie.
166
MÉLANCOLIE
167
ÉTUDE N° 22
existence. Car pour lui comme pour le physicien et le philosophe, il n’y a pas de petits
faits, il n’y a que des faits qui font problème, et c’est à l’échelle humaine et non pas à
la sienne, qu’il porte jusqu’à l’infini la petitesse de son existence.
…précisions à propos de Par contre nous voudrions préciser deux points importants à propos de la « régres-
la « régression » du sion » du mélancolique à ces phases libidinales si primitives qu’elles déjouent toute
mélancolique…
possibilité d’en retracer clairement l’histoire et la dialectique pulsionnelles. Tout
d’abord quand on se contente de dire que le mélancolique a régressé dans ses fan-
tasmes, il est bien clair qu’on ne dit pas grand chose quand on ne dit rien du « pour-
quoi » et du « comment » de cette régression 1 et les explications verbales sont d’au-
tant plus faciles à donner qu’elles sont plus embrouillées et font appel à des méca-
nismes multiples et contradictoires, à autant de pulsions et de contre-pulsions que l’on
veut, et en définitive à des « cas cliniques » à peu près indéchiffrables ou sans valeur
démonstrative autre qu’arbitraire 2. Mais il y a plus grave encore, le mélancolique n’a
pas du tout régressé à la phase infantile de son développement. Ce qui frappe tous les
cliniciens (et les psychanalystes l’ont bien vu) c’est que le mélancolique vit dans un
monde artificiel de fantasmes, que tout se passe comme s’il subissait une exigence
1. « Nous ne pouvons même pas affirmer que la régression de la libido soit un processus psy-
chologique... Bien qu’elle exerce sur la vie psychique une influence profonde, il n’en reste pas
moins que c’est le facteur organique qui domine chez elle. » Ce n’est pas nous qui le disons mais
FREUD (Introduction à la Psychanalyse, p. 369).
2. Nous prions le lecteur de se rapporter à la plupart des textes dont nous donnons plus haut les
références. Il se convaincra, pensons-nous, facilement de ce que nous avançons ici.
168
MÉLANCOLIE
169
ÉTUDE N° 22
n’aboutit absolument pas à un retour au passé infantile 1, à une sorte de recul effectif
dans le temps) et par l’angoisse qui y est vécue sous une forme qui rappelle (et actua-
……Comment pouvons- lise) les formes primitives de l’angoisse. Comment pouvons-nous nous représenter
nous nous représenter […] cette actualisation, ou, autrement dit, cette remontée des couches inconscientes et
cette remontée des couches
oubliées de l’angoisse dans la détresse cataclysmique de la mélancolie ? Nous ren-
inconscientes et oubliées
de l’angoisse dans la controns ici une loi d’organisation des maladies mentales que nous aurons l’occasion
détresse cataclysmique de de vérifier à propos de tous les aspects de la psychopathologie : à l’impuissance, au
la mélancolie ?… fléchissement de l’être psychique correspond un besoin qui gît dans le sein de cette
impuissance et tend à l’investir d’une signification existentielle. La mélancolie est une
impuissance (c’est le poids de la structure négative dont nous avons retracé plus haut
l’essentiel) impuissance à s’accorder avec confiance au déroulement temporel de
l’existence. Elle est vécue comme un besoin de reculer, d’aller vers l’anéantissement,
d’« accélérer », si l’on peut dire, la rétroactivité de son « mouvement », c’est-à-dire
qu’elle est vécue comme un désir d’anéantissement, d’où la tragédie factice, la thé-
matique de l’angoisse métaphysique, d’où aussi la référence pour ainsi dire nécessai-
re aux sources primitives de l’angoisse destinées à fournir à la tragédie et à la méta-
physique sa substance la plus radicale. Cette substance c’est celle du problème de
l’amour et le problème de la relation fondamentale du monde des objets et de celui des
désirs. Et c’est parce que la relation amoureuse (ou si l’on veut libidinale) est infanti-
le dans son aspect le plus primitif et le plus violent (car jamais aucun amour d’adulte
ne peut reproduire la violence, la nécessité des réactions de l’enfant placé au début de
sa vie devant les deux problèmes joints ou plutôt le problème unique pour lui de la
construction du monde des objets et des relations amoureuses avec autrui) que le
mélancolique peuple la tragédie de sa mort des images de sa naissance et des premiers
investissements libidinaux qui l’ont aidé à donner un sens à sa vie, là maintenant,
remis en question.
Ainsi la structure positive de la mélancolie englobe tout à la fois la tragédie de
l’existence, le monde des fantasmes originels, l’angoisse métaphysique et le besoin de
se soumettre à l’impératif catégorique du mal. Ceci nous amène en conclusion à saisir
la mélancolie une fois encore pour une forme de déstructuration de la conscience qui
est vécue au niveau d’un conflit éthique. Car c’est essentiellement comme un drame
de la conscience morale que se présentent la manie et la mélancolie à ce premier
niveau de dissolution de la conscience. C’est la structure de ce premier déchirement de
la conscience qui fait de la mélancolie une douleur morale, c’est-à-dire un malheur
tout à la fois déterminé par la maladie et par le mal, le rapports respectifs entre ces
1. Si l’on pouvait dire que l’actualisation des tendances infantiles provient de la rétroactivité de
la conscience mélancolique, elle serait impossible à expliquer chez le maniaque où pourtant l’in-
conscient est retourné, ou si l’on veut retrouvé également.
170
MÉLANCOLIE
termes étant vécus indissolublement comme une tragédie ou, plus exactement encore,
comme une tragédie sous son aspect premier (celui du premier drame existentiel) et
dernier (celui de la fin et des fins de l’existence). Mais il s’agit d’une problématique
éthique pathologique, c’est-à-dire d’un problème qui ne garde du conflit moral que la
forme d’une loi caricaturale, celle d’un mythique « devoir-se-punir-de-tout ».
171
ÉTUDE N° 22
dernier auteur (1929) d’ailleurs il y a non seulement des formes « plus légères » de
mélancolie, mais des formes plus graves (Schwere Melancholie) : ce sont des mélan-
colies délirantes à type paranoïde ou fantastique (selon la classification de KRAEPELIN).
Au cours de ces dernières années on n’a cessé de publier des travaux sur les états
dépressifs plus ou moins mélancoliformes et – toujours dans les pays de langue alle-
mande ou les écoles anglo-saxonnes – on a tenté la classification des « états dépres-
sifs » étages selon le degré de profondeur et d’endogénéité, depuis les états dépressifs
dits « névrotiques » jusqu’aux états psychotiques plus accentués. BUMKE 1 dans le
cadre du cycle psycho-thymopathique, décrit des formes typiques et graves, et hors de
ce groupe, des dépressions réactionnelles, des états neurasthéniques et des dépressions
hystériques. Kurt SCHNEIDER, après avoir défini la « dépression mélancolique » comme
une dépression endogène à base de « tristesse vitale » enracinée et comme incarnée
dans la couche corporelle biotypologique 2, a admis l’existence de formes moins pro-
fondément endogènes, des états dépressifs fondés sur les situations vitales et en
quelque sorte réactionnels, mais seulement en ceci qu’ils sont causés mais non exac-
…les innombrables clas-
sifications… tement motivés par ces situations. De même M. BLEULER 3, tout en considérant que le
noyau mélancolique est représenté par la situation vitale catastrophique endogène,
admet des degrés et des formes dégradées de cette « profonde déception instinctive »
qui surgit du fond de l’être quand sont bloquées toutes les « voies » qui assurent nor-
malement sa satisfaction. GILLESPIE 4 distingue aussi des formes « réactionnelles » et
« autonomes » (la première sensible à l’action personnelle du Médecin et la seconde
résistante à cette influence). MIRA Y LOPEZ 5, à son tour, a décrit 7 types : la dépres-
sion physiogénique d’origine physique, la simple dépression affective, la dépression
mélancolique avec angoisse et tendance au suicide, la dépression anxieuse, la dépres-
sion psychogénique, la dépression aboulique, la dépression schizophrénique. C’est
cependant le travail de HUTTER 6 qui est à cet égard le plus intéressant car il s’est placé
très exactement dans la perspective des niveaux structuraux dont il distingue 6 degrés :
la dépression psychogène – la dépression hystérique – la dépression obsessionnelle –
la dépression mélancolique maniaco-dépressive – la dépression schizophrénique – et
la dépression démentielle. Le schéma de cette conception des niveaux de la dépression
172
MÉLANCOLIE
mélancolique (p. 285) est très intéressant. Il aurait pu nous satisfaire il y a 15 ans, car
il est présenté selon la loi générale de la hiérarchie des niveaux qui exige que chaque
niveau inférieur de dissolution suppose le trouble du niveau supérieur. Mais nous esti-
mons qu’il ne répond pas assez exactement à la nature des choses car cette échelle de
niveaux de la conscience dépressive et mélancolique ne peut s’appliquer qu’à la patho-
logie de la conscience (telle que nous l’exposons précisément dans ce volume consa-
cré aux psychoses aiguës qui toutes se rangent naturellement dans ce schéma) et non
point à ces formes structurales de désorganisation de la personnalité que constituent
notamment les névroses que nous étudierons dans le prochain volume.
Quoi qu’il en soit, nous voyons que tous les auteurs sentent la nécessité de distri- …tous les auteurs sentent
la nécessité de distribuer
buer les diverses formes de dépression en une série hiérarchisée des formes structu-
les diverses formes de
rales qui vont depuis les états dépressifs mineurs (légers ou réactionnels) jusqu’aux dépression en une série
formes délirantes et confuso-stuporeuses. Pour ne pas nous perdre dans le dédale de hiérarchisée des formes
ces formes et degrés, nous ne nous attarderons que quelque peu sur ces trois aspects structurales…
ou, si l’on veut, ces trois niveaux de dépression mélancolique. Disons simplement que
la crise typique que nous avons décrite représente le niveau moyen au dessus duquel
nous trouvons les formes mineures et au dessous duquel nous trouvons les formes déli-
rantes et stuporeuses. Nous examinerons justement à ce sujet dans quelle mesure on
peut encore parler de « conscience mélancolique » (telle que nous l’avons décrite) dans
ces diverses formes atypiques.
1° DÉPRESSION LÉGÈRE.
On désigne ainsi des cas de « dépression simple » et peu marquée qui constitue ce
que les anciens auteurs appelaient la « mélancolie avec conscience ». Généralement,
en effet, le trouble est vécu par ces malades comme un état pathologique de malaise et
d’impuissance pénible. Dans cette forme encore appelée dépression asthénique, il …formes athéniques…
s’agit, disait Régis, « d’un état général de tristesse de dépression, d’inaction et d’im-
puissance ». Ces malades, ajoutait-il, restent parfois des semaines et des mois assis ou
couchés, incapables de vouloir, de décider et de faire un effort pour agir. Naturellement
cette forme s’apparente par ses nuances de nostalgie, de spleen, de tourment moral,
aux formes « romantiques » du « mal du siècle » et à certains traits des conduites hys-
tériques qui manifestent la politique de la maladie, et le « refuge dans la maladie ».
Souvent, aussi, elles comportent des ruminations obsédantes, un monoïdéisme noir et
angoissé qui les apparente à l’état initial des névroses phobiques, ou même obsession-
173
ÉTUDE N° 22
…formes psychasthéniques… nelles (on les appelle alors « psychasthéniques »). La conversion somatique et la cris-
tallisation de l’autoréférence hypocondriaque y constituent des symptômes fonction-
nels de type psychosomatique.
Ces derniers cas ont été surtout bien étudiés dans les « formes mono-symptoma-
tiques » de la mélancolie où l’angoisse se fixe sur certains systèmes organiques, fonc-
tionnels ou psychomoteurs 1.
…formes neurasthéniques… La neurasthénie mélancolique, autre forme clinique, a été bien étudiée par
FRIEDMANN 2 ; elle commence par une phase neurasthénique et ensuite survient un
accès de mélancolie et après la période d’état, il existe une série de « poussées »
dépressives récidivantes. BEARD (1869) avait entrevu ces faits dans ses études sur la
neurasthénie. L’ouvrage, plus récent, de MONTASSUT 3 a rajeuni ce tableau clinique.
Après un large exposé historique des idées sur la neurasthénie où se trouvent rappor-
tées les conceptions de CHARCOT (1887), RAYMOND (1898), HARTEMBERG (1912),
DEJERINE (1911), BIRNBAUM (1915), de FLEURY (1924), CURSCHMANN (1924),
STERMERLING (1927), STUTZ (1928), SCHULTZ (1928), JELIFFE et WHITE (1935),
MONTASSUT décrit les signes objectifs de la mélancolie-neurasthénie, d’abord le type
morphologique (prédominance des formes longitudinales et des lignes droites et bri-
sées, dolichocéphalie, « nez généreux », peau épaisse de teinte jaunâtre, etc...) – puis
les troubles digestifs (spasmes des organes abdominaux et de la sangle musculaire,
aérophagie, solarite, colites, colibacillose, cholécystite chronique) – ensuite les
troubles cardio-vasculaires (hypotension, crises d’ischémie, acrocyanose) – le syndro-
me d’instabilité hormonale du type de la diathèse oxalémique de LOEPER – le syndro-
me de déséquilibre neuro-végétatif (amphotonie avec déviation habituelle dans le sens
d’une vagotonie discrète) – les troubles sensoriels (rhinopharyngite, troubles auricu-
laires) – les troubles de la sensibilité générale (algies, surtout rachialgies, cellulite,
céphalées, cénesthopathies, etc.) Les manifestations subjectives majeures de ces sujets
à hérédité arthritique sont les sensations de fatigue, l’impressionnabilité et le sentiment
d’impuissance et d’insécurité. A ce tableau fondamental peuvent s’ajouter des com-
plications : obsessions, comportement névrotique, crises anxieuses, psychose d’épui-
sement, cénesthopathies et organopathies fonctionnelles. Certes, MONTASSUT et beau-
coup d’autres auteurs soucieux de camper la neurasthénie comme une forme clinique
autonome essayent d’établir une différence fondamentale entre l’habitus mélancolique
et la neurasthénie. Mais les formes mineures chroniques et pour ainsi dire caracté-
174
MÉLANCOLIE
1. Cf. pour les aspects généraux du problème des « mélancolies réactionnelles » : dans le Traité de …bibliographie des états
BUMKE, l’excellent article de BRAUN et celui de LANGE, (t. VI, pp. 96 à 102), – la Thèse, de LE dépressifs réactionnels…
MAPPIAN (Paris, 1946), et le Rapport de CHATAGNON (Congrès des Aliénistes, 1948) – Cette ques-
tion des formes mineures appelées états dépressifs psychogènes, ou « réactionnels » a encore été
étudiée par K. SCHNEIDER : Die Schichtung des emotionalen Lebens und der Aufbau der Depression
Zustände. Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1920, 55, – par M. BLEULER, Die Depression in der arztlichen
Allgemeinpraxis, 2ème édition, Bâle, 1948, – par LOPEZ-IBOR, La angustia vital, 1950, (El circulo
timopatico, pp. 338 à 361), – par Eugen KAHN. Eine Bermerkung zum Problem der cyclothymen
Depression, Nervenarzt, 1950, p. 507, – par LE MAPPIAN (M.), Les états dépressifs et la notion de
réaction. Entretiens psychiatriques, 1952 (éd. l’Arche, Paris, 1953), pp. 171 à 201 ; etc. Tous ces
travaux s’inspirent pour ainsi dire nécessairement de la phénoménologie de K. JASPERS. – Pour
DELAY, (Les dérèglements de l’humeur, pp. 18 à 22 et 44 à 46), ces mélancolies réactionnelles sont
des mélancolies émotionnelles d’origine thymique comme les autres mélancolies.
En dehors de ces travaux fondamentaux signalons spécialement encore parmi les travaux sur ce
point si controversé, ceux de WIMMER, Psykogene sindssygdomsformer, 1916, – de MAYER, (Zur
Frage der Behandlung der Cyclothymen, Zeitsch. Neuro., 1926, 101, p. 350), – de BOSTROEM,
(Zur Frage der Auslösungsfaktoren, etc., Münch. med. Wochensch., 1933, 80, p. 963), – de M. F.
BREN, (Precipitating Factors in M. D. Psychiatrie Quarterly, 1933, 7, p. 411), – de E. JUNG,
(Psychogenese der reaktiv Depression, Archives suisses de Neuro et Psych., 1934, 34, pp. 267 à
279), – de GIANELLI, (Nuclei constituzionale atipice e idiosincrasia ambiantale in alcuni casi di p.
m. d. Rassegna di Studi Psich., 1938, 27, p. 193), – de R. C. HUNT, (Relations between precipi-
tating Situation and Outcome in M. D. Psychosis, Amer. J. of Psych., 1938, 95, p. 65), – de J.
WYRSCH, (Die Bedeutung der endogen Faktoren für die Entstehung und der Verlauf des M. D.
Irreseins, Archives suisses de Neuro., 1939, 43, p. 187), – de H. J. MYERS et S. VON KOCH,
(Reaction depressions, a study of two consecutive cases, War Med. 1948, 8, pp. 358 à 364), – L.
A. GOTTSCHALK, Systematik Psychotherapy of the Psychoses, Psychiatrie Quarterly, 1947, 21, p.
554), – de R. DIGO, (Thèse, Paris, 1947), – de Vagn ZAHLE, (On manic-depressive, Psychosis and
Neurosis, Acta Psychiatrica scandinavia, 1951, p. 95), et enfin le chapitre que BELLAK, (1951),
dans sa Monographie bibliographique sur les états maniaco-dépressifs, (Manic depressiv psycho-
sis, 1952), consacra à ce problème, (pp. 230 à 235).
175
ÉTUDE N° 22
1. Pour notre part nous avons été frappé de deux faits : le premier c’est que les dépressions sont
dans ce cas phénoménologiquement compréhensibles et qu’il faudrait effectivement être fou pour
ne pas être déprimé, ou « terrorisé » ou « angoissé » dans les conditions effroyables du danger,
de menace ou de catastrophe individuelle et collective. Le second c’est que ces états dépressifs
pathologiques comportent une structure pathologique qui les éloigne de l’angoisse normale pour
si vive qu’elle soit et pour si intenses que soient les réactions paniques qu’elle engendre. Nous
ne voulons pour preuve de ce dernier trait que le fait que, par exemple, dans les camps de concen-
tration les malheureux ne cherchaient pas la mort qui était pourtant à leur portée. CZITROM. Le
suicide dans les camps de concentration. Thèse, Paris, 1948.
176
MÉLANCOLIE
1° MÉLANCOLIE DÉLIRANTES :
Tous les psychiatres ont toujours considéré que la mélancolie a un aspect délirant
ou qu’il existe une forme clinique spéciale appelée délirante et l’on peut dire que les
« idées délirantes » font partie intégrante de la mélancolie.
Ces délires et idées délirantes des mélancoliques ont été magistralement étudiés
par SEGLAS 2 qui avait noté les caractères suivants: a) ils sont de tonalité affective
pénible mêlée à tous les sentiments dépressifs ; – b) ils sont monotones, les malades
répètent toujours les mêmes craintes, les mêmes scrupules, les mêmes idées déli-
rantes ; – c) ils sont pauvres, c’est-à-dire que l’idée délirante ne se développe pas à tra-
vers un ensemble de souvenirs, d’images, de raisonnements nombreux. L’esprit, dans
…Ce sont, comme le fai-
le délire mélancolique, reste assez inactif. Mais s’ils sont pauvres quant à leur structu- sait remarquer MASSELON,
re intellectuelle, les délires mélancoliques sont riches d’émotion. Ce sont, comme le des délires affectifs plus
faisait remarquer MASSELON, des délires affectifs plus qu’idéatifs ; – d) ils expriment qu’idéatifs…
1. W. M. CESHMANN, Suicide du to promotion depression, Nav. Med. Bulletin, 1943, 41. p. 1412.
2. SÉGLAS, Leçons cliniques, 1895. Onzième Leçon.
177
ÉTUDE N° 22
la passivité des malades à l’égard de leurs malheurs : ils ont peur, ils sont repentants,
craintifs, timorés, inquiets, mais rarement ils manifestent une attitude de révolte ou
d’agressivité ; – e) ils sont « divergents » ou « centrifuges », c’est-à-dire qu’ils s’éten-
dent progressivement à l’entourage et à l’ambiance : la souffrance, la crainte, la dou-
leur du malade se projettent au fur et à mesure sur les gens et sur les choses autour de
lui ; – f ) enfin, ce sont des délires du passé (regrets, remords) ou de l’avenir (anxié-
té, craintes, scrupules) mais le moment présent (c’est-à-dire la phase de l’action) ne les
intéresse pas 1, au contraire des délires de persécution (SÉGLAS).
…Les Thèmes Délirants Les Thèmes Délirants de la mélancolie peuvent être classés en plusieurs groupes
de la mélancolie […] qui tous expriment le « délire de petitesse » du mélancolique : idées d’indignité, de
expriment tous le « délire
culpabilité, d’expiation, de damnation (complexe de dépréciation morale).
de petitesse »…
a) Le complexe d’autodépréciation morale (idées de culpabilité). Ce qui est essen-
tiel dans ce groupe de délires, c’est le sentiment éprouvé par les malades de ne pas
…Idées de faute… avoir le droit à la vie, au bonheur, à l’estime. C’est l’idée de faute, de péché, de souillu-
re, de tare, qui s’exprime, soit par un sentiment d’humilité (idées d’indignité), soit par
un sentiment de remords (idées de culpabilité, d’autoaccusation). La contre-partie de
ces idées et de ces sentiments, c’est l’idée délirante du châtiment (idées d’expiation,
de damnation) ; ces supplices, cette damnation, que le malade croit justes, sont en
même temps pour lui terrifiants, il appelle le châtiment et le redoute par le même para-
doxe affectif que nous avons déjà souligné. Les malades en proie à ces idées délirantes
ne cessent de s’accuser, de se dénoncer, de se punir même de leurs prétendus crimes.
Souvent ces fautes ne sont que peccadilles insignifiantes, mais la conscience mélan-
colique les exhausse et les grandit jusqu’à en faire des « crimes horribles », car ce que
les mélancoliques visent avant tout c’est à affirmer la seule chose au monde qu’ils ne
nient pas et ne renient pas, leur propre monstruosité morale : ils sont des criminels, des
êtres abjects, immondes et malfaisants.
b) Le complexe de frustration (idées de ruine et de deuil). Ici c’est moins une faute
…Idées de perte… qu’un malheur qui est tragiquement vécu. Ce malheur, c’est souvent la perte des biens,
de la fortune, d’un être cher, d’un enfant. Les malades se sentent seuls, nus, dépossé-
dés. La forme thymique de ce malheur, c’est un manque, un vide, ce que l’on appelle,
avec les psychanalystes, comme nous le verrons ailleurs, la perte de l’objet. La dispa-
rition de la famille, du foyer, des moyens d’existence est à cet égard tout à fait carac-
téristique de la thématique du délire mélancolique.
1. Trait structural que nous avons placé au centre de notre propre analyse de la mélancolie.
178
MÉLANCOLIE
animal (zoopathie), de toute façon c’est un être abject qui inspire le dégoût et se
confond plus ou moins, dans l’intimité de leur personne, avec eux-mêmes, pour autant
qu’ils se sentent être un démon, un cochon ou un monstre 1.
1. Cet aspect séméiologique est naturellement à la base des études des psychanalystes sur l’in-
trojection.
179
ÉTUDE N° 22
…Les halluciantions dans Ceci nous conduit justement à parler des « hallucinations » dans la mélancolie et
la mélancolie…
de la « forme hallucinatoire » de la mélancolie. GRIESINGER avait souligné 1 leur fré-
quence surtout dans les mélancolies avec stupeur, observation faite également par
BAILLARGER 2. MICHEA 3 signalait des hallucinations dans plus de 60 % des cas.
REVERTIGAT 4 indiquait le pourcentage de 37 %. Évidemment cette précision mathé-
matique fait un peu sourire aujourd’hui où l’on ne considère plus l’hallucination
comme un phénomène simple et si aisément dénombrable. Il est remarquable que
MASSELON en 1906 ne souffle pas mot des hallucinations dans la mélancolie 5 et que
LANGE (1928) se contente d’indiquer que les troubles psychosensoriels
(Trugwahrnehmungen) sont rares 6. (Il mentionne les injures et les menaces, les hallu-
cinations hypnagogiques et certaines visions diaboliques.) C’est probablement parce
que la « projection » hallucinatoire est aux yeux de ces auteurs si directement prise
dans la structure même de la conscience mélancolique, que ne pouvant plus considé-
rer l’hallucination comme un « phénomène isolé » celle-ci disparaît... tout au moins de
leur observation. C’est, croyons-nous, pour la même raison que l’on a tendance à refu-
ser le caractère « hallucinatoire » en clinique (on le désigne alors comme illusionnel,
interprétatif, etc.) à ces rumeurs, ces « voix de la conscience », ces « sensations » et
« sentiments » de transformation corporelle, de possession et d’influence qui entrent
dans le vécu mélancolique comme des projections, dans le champ du vécu, de l’angois-
se, de la crainte et de la peur, c’est-à-dire de la mélancolie. Quoi qu’il en soit, les hal-
lucinations psychosensorielles, acoustico-verbales, les hallucinations visuelles, les
180
MÉLANCOLIE
181
ÉTUDE N° 22
…Observation d’un état Observation de Mme B. B. C’est à 42 ans à la suite de la mort d’une amie que Mme
de dépersonnalisation en B. B. tomba malade (1922). Son grand-père maternel avait présenté des hallucinations
tant qu’expéreince déli- visuelles et son frère a été soigné pour « neurasthénie ». Toujours préoccupée de ques-
rante et hallucinatoire… tions philosophiques et religieuses, très cultivée, peintre et musicienne, vivant en plein
accord avec son mari, sans enfant, elle tomba alors brusquement dans un état d’étran-
geté, de vide, et de dépersonnalisation. Tout lui paraissant changé, souffrant de se sen-
tir changée et différente, elle dut être internée de ce moment-là et le resta pratiquement
jusqu’à sa mort en 1945. Durant cette longue période elle a présenté des oscillations
considérables de son équilibre mental, sous forme de crises maniaco-dépressives, tan-
tôt typiques tantôt atypiques. C’est-à-dire que sa psychose intermittente a été rythmée
par une suite de crises aiguës ou subaiguës, variant de quelques semaines à quelques
mois, avec, de temps en temps, un retour (d’ailleurs imparfait) à l’équilibre. Dans ces
phases intercalaires elle se montrait exaltée et versatile, tantôt tourmentée, tantôt exa-
gérément confiante dans sa guérison. Voici une de ses crises, selon l’observation qui a
été prise dans notre service en 1935-1936, alors qu’elle avait depuis peu quitté la
Maison de Santé de VILLE-EVRARD et avait pu revenir provisoirement chez elle. Peu
après son retour auprès de son mari elle s’était sentie à nouveau fatiguée et retomba
dans la crise qui la fit placer dans notre service. Elle était très anxieuse et agitée. Elle
exigeait d’être camisolée et alimentée à la sonde et, somme toute, présentait un « fond
de mélancolie anxieuse » mais avec des troubles plus profonds de la conscience :
« Je n’existe pas, le monde n’existe pas, mon esprit a quitté mon corps, et il exis-
te comme étranger à tout ce que fait ce corps, parce que je ne suis plus; je n’ai rien
pour agir et cependant j’agis. Je pense et pourtant je ne suis pas. Je tuerai quelqu’un,
c’est plus fort que moi ! Je ne comprends plus le milieu extérieur. Je ne sais plus ce
que c’est que de vivre, mourir, souffrir ou aimer ; Je ne sais pas si je suis morte ou
vivante. Je ne puis rien comprendre. Je suis disparue et tout le monde est disparu. Je
répète ce que j’ai pensé, parce que je ne peux plus penser. On peut me couper en mor-
ceaux, on m’étouffera. J’ai peur que l’on m’étouffe. Lorsque j’étais vivante, j’avais
toujours peur que l’on m’étouffe et pourtant je ne crois pas à la mort. Il n’y a ni vie,
ni mort ; c’est l’éternité. Il y a quelque chose en moi qui sait que j’ai été morte, la sub-
conscience peut-être ? Il y a une partie du cerveau qui divise l’avenir sans qu’on le
sache. Je ne crois à rien. Je parle automatiquement sans aucune représentation. Je ne
sais plus rien. Je répète tout ce que je pense. Mais je ne pense plus ; Il y a quelques
temps de petites bêtes me parlaient, des grillons, des guêpes, elles me disaient qu’il fal-
lait que la bête soit écrasée. C’est condamner une créature qui n’est pas une créature à
182
MÉLANCOLIE
vivre dans les souffrances ! On devrait permettre de tuer. Il y a des créatures qui ne
devraient plus exister... etc. »
Elle resta longtemps muette. « Les mots avaient disparu, disait-elle, et sa tête était
vide. » Toujours désordonnée et faisant un véritable vacarme, hurlant souvent, son
anxiété était d’ailleurs entrecoupée de chants. Elle déambulait comme « une âme en
peine ».
Quelques jours après son entrée elle reçut une injection de 0,25 de mescaline.
Après une courte phase de troubles neuro-végétatifs (nausées, hypotension, forte sym-
pathicotonie), elle parle plus aisément, et toujours sur un ton pathétique : « Je me sens
faible mais le corps est fort. Ça me serre à l’estomac, à la gorge, aux joues ; j’ai chaud
à la tête. Il me semble que je vais mourir. C’est la mort qui vient. On a l’impression
qu’il manque quelque chose dans le cœur. Tout a disparu et quand même on peut faire
du mal. On travaille sur mon cœur. Il doit y avoir de la force dans les bras et de la fai-
blesse dans le cœur. Je sens partout de la force et de la faiblesse en même temps... Tout
est sec, il n’y a plus de muqueuse. Ça ne doit être que des membranes. La vie est éter-
nelle, cette vie que j’ai là, ce corps sans être un corps. Ce sont mes paroles qui disent
quelque chose, ce n’est pas moi. Je m’en vais dans un autre monde. C’est comme une
personne qu’on aurait magnétisée. Je suis évanouie sans être évanouie. Quand on est
mort, le corps devient des vers, alors c’est soi qui vit encore. Les vers sont mangés par
des oiseaux, ceux-ci par des chats, on vit toujours parce qu’on est mangé. On est dans
la personne qui vous mange, alors c’est l’éternité. Donner naissance à un être, c’est
faire de la mort. Je n’ai pas voulu avoir d’enfant. Il y a quelque chose dans le corps qui
manque, je suis assaillie par un fond de souvenirs d’enfance. Si on me tuait, je ne
mourrais pas ; je ne sais pas où je suis, peut-être chez nous, mais non, ce n’est pas
comme ça. Cela me fait froid dans le crâne. Ça me fait mal dans le corps. Il n’y a pas
de temps, l’Antiquité n’existe pas ! Le moyen âge s’étant passé vers 1.000 ans, ils
avaient pensé que tout serait fini vers l’an 2.000. Et pourtant, je viens de vomir. C’est
quand on a vécu sur la terre qu’on se rend compte que l’on est privé de centre récep-
teur. Quand on est vivant, il y a des rayons qui partent et qui viennent frapper quelque
chose en vous. Les hommes ont un poste de TSF, ce qui leur permet d’appeler au
secours à distance. Je ne veux pas être ici. Tout est reculé... Je vois la Sœur. C’est drôle
puisqu’elle n’existe pas... Mais c’est une vision, ce n’est pas des êtres... Je suis comme
si j’étais évanouie... C’est comme les plaques sensibles qui ont vu le jour... ce que je
suis actuellement, c’est un moyen âge... etc. »
Ainsi l’action de la mescaline s’est manifestée en actualisant le délire mélanco- …l’action de la mescaline
lique de négation, en le faisant vivre, non pas seulement comme une rêverie métaphy- s’est manifestée en actua-
sique sur le thème de l’angoisse, mais comme une expérience pour ainsi dire positive lisant le délire mélanco-
du néant et de l’anéantissement. lique de négation…
Au cours d’une nouvelle crise 1 nous la soumîmes à nouveau à l’action de la mes-
caline et cette fois une dose plus forte (0,40). Les troubles neuro-végétatifs, les illu-
sions de mouvement, les impressions vertigineuses furent très marqués. Cette fois
(comme pour nous montrer à quel point est peu « spécifique » cette drogue...) ce fut
un état d’exaltation presque euphorique et avec fuite des idées que nous avons noté :
« Je me sens comme si je n’étais pas un corps. C’est nébuleux. C’est comme quand
vous m’avez fait la première piqûre (allusion aux troubles neuro-végétatifs). Je crois
maintenant à la réalité... c’est-à-dire que je suis démente... Nous autres les fous (san-
1. La malade en effet est sortie de sa « mort » à plusieurs reprises, elle en parlait alors avec esprit
et une sorte de macabre jovialité.
183
ÉTUDE N° 22
…états de dépersonnali- glots...) je suis tellement peu Mme B. B. Ce n’est pas moi... La folie défigure... Rien de
sation… moi n’en reste... (Brusquement elle se met à rire) Aujourd’hui je suis sans corps. J’ai
l’impression de flotter, je suis dans l’espace. Je n’existe plus. Je suis une nébuleuse...
Mon corps a disparu, il n’y a pas d’agréable... C’est comme si je pensais en rêve...
(Elle tient des propos tour à tour angoissés et pleins d’espoir...). Je suis dans l’espace
sans corps. Je ne fais pas corps avec la matière... C’est ouaté... Je n’ai pas conscience
d’une pesanteur... Je suis toujours dans l’espace sans mouvement... je suis une riches-
se intérieure. Il me semble que l’on ne pourra jamais m’enlever cette richesse... »
De fait, cette malade jusqu’à sa mort, a présenté des états de ce genre entrecoupés
de phases d’états mixtes et parfois nettement hypomaniaques. L’atypicité de cette
forme de mélancolie (atypicité accrue par la mescaline) réside justement dans le fait
que l’expérience délirante par vagues – et surtout sous l’action mescalinique – touchait
au niveau de la conscience « hallucinante » dont nous parlerons dans l’Étude suivan-
te. La structure de la conscience ne comportait pas seulement une excursion désespé-
rée vers le passé et le néant, mais un bouleversement de l’espace vital du corps dans
ses relations avec la réalité, un « évanouissement » du monde « géographique » de sa
personne, une déstructuration de la conscience en tant que celle-ci est constituante
d’un certain ordre spatial qui garantit l’objectivité de la réalité.
…délire et hallucinations Si nous essayons maintenant de saisir dans sa totalité ce problème du délire et des
dans la mélancolie… hallucinations dans la mélancolie, nous pouvons y voir plus clair. Il est bien évident
que – comme nous l’avons dit pour la manie – la conscience mélancolique contient le
délire et l’hallucination. Cela est si évident que depuis GRIESINGER et G. DUMAS jus-
qu’à JANET, VON GEBSATTEL, MINKOWSKI et DIGO, la relation du délire avec la structu-
re même de la conscience mélancolique a été considérée comme un phénomène cen-
tral pour toute clinique et toute psychopathologie de la mélancolie 1. Il faut bien dire
par conséquent que le vécu de la mélancolie typique est délirant et hallucinatoire, qu’il
implique déjà les sentiments d’étrangeté et les expériences de l’angoisse hypocon-
driaque, d’influence, de persécution, etc. Mais ceci dit, il n’en reste pas moins que la
mélancolie typique est vécue sur le registre du passé et de l’avenir plus que dans le pré-
sent. Par contre la mélancolie en s’approfondissant s’actualise parfois dans des expé-
riences délirantes et hallucinatoires qui témoignent d’une déstructuration plus profon-
de de la conscience (expériences hallucinatoires oniroïdes, ou de dépersonnalisation),
d’une forme plus profonde de la « dépression », et c’est alors que nous avons affaire à
ces formes « plus graves » ou, en tout cas, plus délirantes et hallucinatoires de mélan-
1. Nous rappelons encore ce que nous avons déjà noté plus haut, les discussions sur la genèse du
délire mélancolique, son origine idéative ou affective, etc. (Cf. MASSELON, pp. 143 à 161, ce sont
les pages les plus intéressantes de cet ouvrage).
184
MÉLANCOLIE
colie. Elles feront l’objet d’une grande partie de nos analyses dans l’Étude n° 23 et
trouveront leur place naturelle dans la pathologie de ce niveau de conscience où pré-
cisément, comme nous le verrons, l’imaginaire est vécu comme un bouleversement
des rapports temporo-spatiaux de la conscience, du Moi et du Monde.
2° MÉLANCOLIES CONFUSO-STUPOREUSES
Nous pouvons être ici beaucoup plus brefs sur cette forme qui pour autant qu’elle
ne se confond pas avec l’inhibition mélancolique 1, représente, elle aussi, une forme
de confusion de niveau encore plus profond, dont l’étude trouvera sa place naturelle
ultérieurement. Il suffit de se rapporter aux descriptions classiques ou anciennes pour
saisir que la « mélancolie confuse » est une « confusion mélancolique », ce qui ne doit
pas s’entendre comme un simple jeu de mots, mais comme l’expression de ce fait que, …lorsque la mélancolie
lorsque la mélancolie devient confuse, elle cesse d’être purement mélancolique. Tous devient confuse, elle
les auteurs en effet parlent à propos de cette forme de mélancolie, de troubles profonds cesse d’être purement
mélancolique…
de la conscience, de désorientation temporo-spatiale, d’amnésie consécutive, de cata-
lepsie, d’onirisme, etc. 2. Ces formes sévères de mélancolie sont généralement consi-
dérées comme « compliquées » de confusion, c’est-à-dire (selon un synonyme tradi-
tionnel) de facteurs toxiques 3. Il semble plus naturel de les considérer pour ce qu’elles
sont : des niveaux de dissolution plus profonds qui, à ce titre, impliquent la sympto-
matologie mélancolique des niveaux moins profonds. Car, comme nous le verrons à
propos des états confuso-stuporeux, ceux-ci, comme les états maniaco-dépressifs de
niveau qui nous occupent, sont, eux aussi, « expansifs » ou « dépressifs ». Mais nous
aurons l’occasion d’insister ailleurs sur les relations du niveau maniaco-dépressif qui
nous occupe ici avec les formes de déstructuration plus profonde.
1. Et c’est pourquoi, depuis DELASIAUVE, CHASLIN, SEGLAS et RÉGIS l’école française a détaché
du groupe des « Lypémanies », les états oniro-stuporeux.
2. Par exemple TOULOUSE et ROUBINOVITCH (pp. 152 à 174), ou E. ILLING, Monatschr. f. Psych.
und Neuro., 1953, 85, pp. 366 à 390.
3. CHATAGNON et SOULAIRAC, Épisodes confusionnels au cours de l’évolution des psychoses
maniaco-dépressives. Encéphale, 1939. – LANGE dans le Traité de BUMKE (t. VI, p. 103), parle de
deliriösen Formen, de la mélancolie – concept qui dans la nosographie étrangère correspond à
notre notion de confusion (delirium).
185
ÉTUDE N° 22
…il y a des Mélancolies mélancolie typique est une « crise » d’une durée de quelques semaines ou de quelques
chroniques. Or, celles-ci mois. Mais il y a des Mélancolies chroniques. Or, celles-ci s’organisent en système
s’organisent […] en
durable, en forme d’existence de la personnalité selon des modalités structurales
forme d’existence de la
personnalité selon des diverses. Tantôt la mélancolie chronique s’installe comme un état démentiel, tantôt elle
modalités structurales peut évoluer comme une psychose schizophrénique, comme un délire chronique, ou
diverses : démentielles, comme une névrose. Ce sont ces diverses éventualités que nous devons envisager.
schizophréniques, déli-
rantes chroniques, névro- I. Évolution démentielle
tiques…
Il est bien connu que les phases initiales des grands processus destructeurs com-
portent souvent des états dépressifs. C’est que la paralysie générale ou la démence
sénile ou toute autre forme de dégradation progressive, passent effectivement et sou-
vent par le niveau de la mélancolie. Mais même quand le tableau clinique emprunte à
cette forme de début une sorte de ton fondamental de dépression, d’angoisse et de per-
plexité, on ne peut pas parler dans ce cas de « mélancolie chronique démentielle »
puisque la structure de la psychose cesse alors plus ou moins d’être mélancolique pour
affecter la forme d’une démence.
Par contre, certaines formes de mélancolie s’installent dans un habitus mélanco-
lique chronique lequel constitue secondairement une démence. C’est le cas notamment
de certaines formes de « mélancolie d’involution » (comme nous le verrons plus loin).
Ces formes appelées anciennement « démences vésaniques » (démences secondaires à
une affection mentale : ici la mélancolie) sont caractérisées : 1) par la dépression
(aboulie, inhibition, douleur morale ou anxiété), 2) par la réduction progressive de
toute activité d’adaptation, la détérioration intellectuelle et l’affaiblissement global de
toutes les capacités. Les deux « parties » du tableau clinique de cette « démence mélan-
colique » (KRAEPELIN) sont intimement liées, ce qui confère justement à la mélancolie
son aspect démentiel. Tout se passe en effet comme si la déstructuration de la totalité
de l’activité psychique s’opérait sans que varie beaucoup le tableau clinique fonda-
mental.
1. COEN GIORDANA, Stati depressivi netola la perioda iniziale della schizofrenia, Rassegna di
Neuropsichiatria, 1951, 5, p. 175. Cf. aussi l’excellente étude de DUPOUY et PICHARD. L’anxiété
dans la démence précoce, Ann. Médico-Psycho., 1931, II. Le fait que sur 5-799 …/…
186
MÉLANCOLIE
diagnostic par leur « atypicité ». Que l’on se rapporte aux travaux les plus importants
qui traitent ce problème, ceux de URSTEIN 1, HOFFMANN 2, MAUZ 3, LANGE 4, A.
DELMAS 5, CLAUDE et LEVY-VALENSI 6, J. ROUART 7, J. WYRSCH 8, etc. et on se rendra
compte de son extrême difficulté, et quelle que soit la solution envisagée par les
auteurs (psychoses génétiquement associées, biotypologie kretschmerienne, schizo-
asthéno-dysplasique de ces mélancoliques, etc.) le fait demeure d’une possibilité d’or-
ganisation schizophrénique d’un état mélancolique. Il s’agit soit de comportement sté-
réotypé avec inertie psychomotrice et négativisme, rappelant certaine forme de cata-
tonie, soit d’hypocondrie ou d’un complexe délirant de dépersonnalisation et de trans-
formation corporelle avec perplexité, ambivalence, « rappelant » certaines formes
paranoïdes. L’organisation autistique de ces formes dépressives est caractérisée géné-
ralement par la monotonie, le vide, l’introversion et l’étrangeté de l’angoisse vécue
comme un monde inextricable, hostile et lointain 9. Mais nous retrouverons ce problè-
me comme tous ceux d’ailleurs que posent ces formes chroniques dans l’étude que
nous consacrerons plus loin aux psychoses maniaco-dépressives.
…/… cas de schizophrénie, 417 (7%) avaient été considérés comme des états maniaco-dépres-
sifs (Statistique rapportée par HOCH et RACHLIN, Amer. J. of Psych., 1941, 97, pp. 831 à 843),
donne assez exactement la mesure de ces difficultés cliniques...
1. URSTEIN, Die D. P. und ihre Stellung zu M. D. Irresein, 1909, – M. D. und Periodische Irresein
bei Erscheinungsform der Katatonie, 1912.
2. HOFFMANN, Erblichkeitforschung... der M. D. Irresein und D. P. Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1919,
et Schizothym und Zyklothym, Même Revue, 1923, 82, p. 93.
3. MAUZ, Schizophrener mit pyknischen Körperbau, Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1923, 86, p. 96.
4. LANGE, Traité de BUMKE, t. VI, pp. 160 à 178.
5. A. DELMAS, Psychose périodique et D. P., Ann. Médico-Psycho., 1934, II.
6. CLAUDE et LEVY-VALENSI, Psychose périodique et D. P. Encéphale, mars, 1931.
7. J. ROUART, Psychose maniaque dépressive et folie discordante, Thèse, Paris, 1935.
8. WYRSCH, Ueber Mischpsychosen. Zeitsch. f. d. g. Neuro., 1937, 159, pp. 668 à 693.
9. MINKOWSKI, Le temps vécu, 1933. Les dépressions ambivalentes, pp. 304 à 327. Dans ce cha-
pitre on trouvera une excellente étude de deux cas.
187
ÉTUDE N° 22
colie » à l’organisation d’un délire chronique. Nous avons vu que la mélancolie repré-
sente une expérience délirante fondamentale (même lorsqu’elle ne se présente pas
sous la « forme délirante et hallucinatoire » d’une forme atypique d’une expérience qui
bouleverse profondément les rapports temporo-spatiaux du Moi et du Monde). C’est
de cette expérience que peut jaillir et s’organiser sur le plan de la personnalité le thème
et le style existentiels de type délirant chronique. Ces délires secondaires de la mélan-
colie sont bien connus depuis GRIESINGER. Ils ont fait notamment l’objet chez nous
d’un rapport classique, celui de D. ANGLADE 1. Cliniquement nous pouvons en distin-
guer quatre principales variétés :
188
MÉLANCOLIE
les préoccupations obsédantes et sans cesse renouvelées, les inquiétudes et les autoré-
férences somatiques expriment par les gémissements, la pusillanimité et l’insécurité de
la vie affective.
4° LE DÉLIRE DE NÉGATION, que nous avons étudié (Étude n° 16) sous toutes ses
formes et dont les rapports avec la conscience mélancolique sont si évidents (SEGLAS
et COTARD).
Nous voici maintenant en présence d’un autre problème très important 2. Nous
avons décrit comme une forme typique de psychose aiguë « la mélancolie », et nous
avons analysé dans tous les sens sa structure. Nous avons à ce propos montré que cette
structure est essentiellement constituée par une modification du temps vécu ou, si l’on
veut, de « l’élan vital » pour autant qu’il est intégration des moments qui composent
et organisent l’actualité de la conscience. Cet arrêt et ce renversement des perspectives
vitales qui cessent de regarder à travers le présent de l’action l’avenir qui en dépend,
nous renvoient presque nécessairement à ces troubles de l’existence qui empêchent le
libre déploiement de la personnalité et que l’on appelle les névroses. Dans les névroses
aussi nous observons le dégoût de la vie, les inhibitions, l’aboulie, l’angoisse, la
dépression et, terriblement accru, le poids du passé inconscient. BELLAK a exposé en
termes excellents (p. 122 et 123) les difficultés que l’on peut rencontrer dans la déli-
189
ÉTUDE N° 22
…opinions récentes 1. Ainsi D. CURRAN, (The differenciation of nevroses and manic-depressiv Psychoses, J. Ment.
(exposées par BELLAK, Sc., 1937, 83, pp. 156 à 174), modifiant un peu le schéma de GILLESPIE, propose les critères sui-
1952) des auteurs anglo- vants ; pour la psychose sont caractéristiques : la dépression foncière, peu de plaintes somatiques,
saxons sur le problème autoaccusation, pas d’accusation contre les autres, la perte de poids est invariable, les malades
des relations et distinc- sont constipés, ils sont dépersonnalisés, primitivement il n’y a pas de motif déclenchant, l’évo-
lution est indépendante des événements, l’état physique est altéré, il y a des antécédents fami-
tions de la mélancolie
liaux. Pour la névrose sont caractéristiques les facteurs « symétriques » suivants : inquiétude et
avec la dépression névro- fatigue, plaintes somatiques prédominantes, autoaccusation sans sincérité, plaintes contre autrui,
tique… la perte de poids n’est pas invariable, la constipation est inconstante, il n’y a pas de dépersonna-
lisation, il y a des événements déclenchants, l’évolution est influencée par le milieu, intégrité de
l’état physique, il n’y a pas d’antécédents familiaux. Malgré le côté hétéroclite et un peu comique
de ce tableau il résume assez bien tout ce que l’on dit généralement sur ce point. Suivons
d’ailleurs l’exposé que BELLAK fait à ce sujet des opinions récentes des auteurs anglo-saxons.
MYERSON (Neuroses and Neuropsychoses. Amer. J. of Psychiatry, 1938, 94, pp. 961 à 983)
conseille d’étudier la totalité de l’inadaptation des individus pour trancher le diagnostic. PARFITT
(The psychoneurotic spectrum and dual diagnosis, J. mental. Sc., 1945, 91, pp. 477 à 480) se
borne à énumérer les divers types de personnalité et des réactions correspondantes (réactions
anxieuses, hystériques, etc.), qui rendent si difficile la solution du problème dont il donne un
exposé dans la littérature. K. E. APPEL (The differenciation of psychosis and psychonevrosis,
Clinics, 1943, 1, pp. 807 à 841), étudiant le problème général des relations entre névroses et psy-
choses passe en revue sept critères. Le premier est la description même des symptômes de la
mélancolie. Le second est le pronostic. Le troisième (social) dépeint la psychose comme un dan-
ger social. Le quatrième (dit objectif) est la conscience de la maladie. Le cinquième (quantitatif)
établit une différence de degré seulement entre les traits névrotiques et psychotiques. Le sixième
(qualitatif) est celui du contraire d’une différence radicale. Le septième (dynamique) se réfère à
la différence établie par FREUD entre deuil et mélancolie, celle-ci exigeant non seulement la frus-
tration libidinale avant la perte de l’objet aimé, mais l’investissement narcissique l’incorporation
de l’objet aimé. – G. T. T. STOCKINGS (A study of depression in military psychiatry and its diffe-
rential diagnosis from the depressive psychoses, J. Ment. Sc., 1944, 90, pp. 772 à 776), a étudié
des réactions névrotiques chez des militaires caractérisées par un mélange d’anxiété et de traits
hystériques et psychopathiques de l’affectivité et du caractère. Il insiste sur l’apathie, l’augmen-
tation de la tension émotionnelle et la motivation comme « precipitating cause ». Pour lui la
dépression névrotique n’est pas due à un ralentissement cérébral (cerebral retardation), comme
c’est le cas dans la psychose. L’absence de projection et de troubles associatifs de la pensée est
caractéristique de la dépression névrotique qui n’est pas favorablement influencée par l’électro-
choc. Peut-être peut-on comprendre qu’un peu découragé par l’incertitude et le vague de ces cri-
tères, L. B. HOHMAN (A reclassification of affective disorders, J. Amer. Neur., 1941, 67, pp. 225
à 228) arrive à la conclusion que « beaucoup de névroses d’angoisse » sont en réalité des dépres-
sions anxieuses à tendance vers la guérison spontanée. L’article de BROSIN {Dynamic Psychiatry
d’Alexander et collaborateurs, 1952), qui tente de distinguer les structures névrotiques et psy-
chotiques est très intéressant à ce sujet. Bien d’autres travaux encore ont été consacrés à ce pro-
blème si controversé. Citons WEXBERG, Zur Klinik und Patho. der leichten Depressionzustände,
Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1928, 112, 49, – GILLESPIE (R. O.), The clinical differentiation of types
of dépression – Guy’s Hosp. Reports, 1929, 79, 306, – HARROWES (W. Me E.), The depressive
reaction type, J. Ment. Sc., 1933, 79, 23. – ROGERSON (C. H.), The reference to states of depres-
sion and anxiety, J. Med. Se, 1940, 86, 632. Récemment ASCHE (Ed.) a consacré un excellent tra-
vail critique à l’exposé de tous ces travaux (A criticism of the concept of neurotic …/…
190
MÉLANCOLIE
…/… depression, Amer. J. of Psych., 901 à 908). Nous avons nous-mêmes fait une étude récen-
te (Acta psychotherapeutica, 1954) sur les concepts de névrose et de psychose pour montrer
qu’il est impossible de les séparer radicalement.
1. ROBERTSON, Introduction à l’œuvre de Kraepelin, 1921, (cité par BELLAK, p. 122).
191
ÉTUDE N° 22
1. Tous problèmes qui encore une fois sont d’une extrême importance classique, historique ou
clinique pour la pathologie des obsessions et des phobies particulièrement comme chacun sait
(fameuses discussions sur la genèse secondaire de ces troubles relativement aux états maniaco-
dépressifs). Faut-il rappeler par exemple quels courants d’opinion se sont affrontés à la fin du
XIXe siècle à propos des obsessions et des phobies. Si pour WESTPHAL (1877), ces phénomènes
étaient « intellectuels », pour MOREL (1866), Ch. FERE (1892), PITRES et REGIS (1902), REISS
(1910), BONHOEFFER (1913), ils étaient basés sur l’anxiété, sur des états d’émotivité et d’angois-
se qui peuvent poser la question de leurs relations avec la mélancolie. Le travail de VURPAS et
CORMAN (Arm. Médico-Psycho., 1930), comme celui de LANGE (Traité de BUMKE, t. VI, pp. 161
à 163), rejette expressément la parenté des obsessions et de la maniaque-dépressive, tandis
qu’ARMENISE (Il Cervello, 1934), étudiant 213 cas cliniques, les admet. Problème par conséquent
toujours ouvert et qui ne peut être résolu qu’en considérant la mélancolie et la névrose obses-
sionnelle comme des maladies mentales, certes distinctes sous leur forme la plus pure et typique,
mais admettant entre elles une large communication. L’ouvrage d’ALEXANDER et de ses collabo-
rateurs (Dynamic Psychiatry, 1952), auquel nous avons fait allusion plus haut, ou celui de
FENICHEL sur les névroses sont à cet égard très importants. S’ils ne convainquent pas que les psy-
choses soient des névroses psychogènes, ils montrent en tout cas que l’on ne peut plus, même aux
yeux des psychanalystes, séparer radicalement Psychoses et Névroses.
192
MÉLANCOLIE
faut envisager comme une éventualité assez fréquente, les cas où la dépression mélan- …éventualité assez fré-
quente, les cas où la
colique rythme l’évolution de certaines névroses et fournit à l’aspect multidimention-
dépression mélancolique
nel de la personnalité névrotique, l’occasion ou la condition de sa cristallisation. rythme l’évolution de cer-
taines névroses…
C.– FORMES ATYPIQUES ÉTIOLOGIQUES.
A peine les grands cliniciens avaient-ils mis la dernière main (FALRET,
BAILLARGER, KRAEPELIN) à la description des accès maniaques et mélancoliques dans
le cadre des « Psychoses périodiques, cyclothymiques ou intermittentes », que face au …face au groupe des
mélancolies pures,
groupe des mélancolies pures, franches et endogènes de ce groupe, la clinique mon-
franches et endogènes de
trait que certaines formes de mélancolie n’y entraient pas. Ce fut notamment le cas ce groupe, la clinique
pour la fameuse mélancolie d’involution. De plus, le caractère « endogène » des crises montrait que certaines
de « vraie » mélancolie ne s’accommodant pas non plus de l’existence de mélancolies formes de mélancolie n’y
entraient pas…
qui ressortissent de processus somato-nerveux divers (mélancolies symptomatiques),
celles-ci ont été considérées aussi comme atypiques. Ce sont ces deux formes aty-
piques que nous devons envisager maintenant.
1. CAPGRAS, Essai de réduction de la mélancolie à une psychose d’involution, Thèse, Paris, 1910.
2. GAUSSEN, Thèse, Bordeaux, 1911.
3. Cf. DIDE et GUIRAUD, (Psychiatrie du Médecin praticien) – les travaux d’HALBERSTADT, Ann.
Med. Psych., 1923, et Encéphale, 1934 – la Thèse de COULÉON, Paris, 1935.
4. G. DREYFUS, Die Melancholie in Zustandsbild der M. D. Psychose, Iena, 1908.
5. KEHRER, Zentralblatt, 1921, et Die krankhaften psych. Störungen der Rückwandlungforme,
Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1939, 167, 34, 78 (cf. pp. 65 à 70).
193
ÉTUDE N° 22
a) Pour ce qui est du premier point, tandis que MAUZ admet des antécédents cyclo-
thymiques chez ces malades, par contre PALMER, LEONHARDT, MALAMUD et SANDS ont
mis en évidence des dispositions caractérielles et constitutionnelles de la personnalité
d’un autre type (rigidité). PALMER et SHERMAN ont insisté sur les tendances à l’intro-
version et aux obsessions et la fréquence des difficultés de la vie sexuelle.
Les antécédents héréditaires ont été recherchés dans ce groupe de mélancolies
d’involution par ALBRECHT, GAUSSEN, Hélène SCHNITZENBERGER, BROCKHAUSEN,
PALMER et JORDAN, etc. ALBRECHT, GAUSSEN, DIDE et GUIRAUD, HALBERSTADT tiennent
l’hérédité psychopathologique et notamment maniaco-dépressive pour rare ; PALMER
et JORDAN la trouvent aussi plus rare que dans le groupe maniaco-dépressif (40% dans
le groupe maniaco-dépressif et 27 % dans le groupe mélancolie d’involution) ;
BROCKHAUSEN a noté également le taux d’hérédité plus faible dans son groupe de 32
mélancoliques d’involution. Cependant H. SCHNITZENBERGER conclut qu’il n’est pas
possible au point de vue hérédo-pathologique de trancher la question. En comparant
un groupe de 21 cas de mélancolies d’involution dans notre service, avec le groupe
maniaco-dépressif, nous trouvons à peu près le même pourcentage d’antécédents héré-
ditaires (33% dans le groupe d’involution et 34% dans le groupe maniacodépressif).
194
MÉLANCOLIE
Ainsi le bilan est assez négatif en faveur d’une discrimination nette entre la mélan- …Ainsi le bilan est assez
colie d’involution et la mélancolie « typique », réputée « pure » quand elle est fran- négatif en faveur d’une
discrimination nette entre
chement « endogène » et « cyclothymique ». Il vaut mieux envisager le problème sous
la mélancolie d’involu-
son aspect le plus simple et le plus naturel. Si sous l’influence de facteurs étiopatho- tion et la mélancolie
géniques encore inconnus, la mélancolie se situe dans le cadre « maniaco-dépressif », « typique »…
la mélancolie peut apparaître dans d’autres conditions bio-psychotiques et notamment
à la phase d’involution de la vie, au moment où la vie sexuelle s’éteint et provoque une
crise qui peut sombrer dans une « catastrophe vitale » (OKSALA). NOUS reviendrons sur
ce problème dans l’Étude n° 25 où il trouve plus naturellement sa place.
Voyons rapidement quel genre de faits sont le plus souvent observés et publiés.
Nous nous contentons d’ailleurs ici de brèves indications simplement pour « situer »
le problème.
Tout d’abord ce sont les relations avec la syphilis qui ont retenu l’attention des
1. Nous retrouverons dans l’Étude N° 25 l’occasion d’un exposé plus complet sur les aspects neu-
rologiques des problèmes des états maniaco-dépressifs.
2. WYRSCH (J.), Exogenen Faktoren zum Entwicklung und Atiologie des M. D. Pschychosen,
Archives Suisses de Neuro et de Psycho., 1939, 43, pp. 187 à 203.
195
ÉTUDE N° 22
auteurs. WESTPHAL 1 a, un des premiers, étudié ces cas. Ils ne sont pas pour étonner
quand on se rappelle que la méningo-encéphalite débute assez souvent par une crise
de dépression, fait commun et reconnu par tous les classiques 2. KUSTERS 3 a discuté à
ce sujet la question de savoir si la syphilis déclenche ou manifeste les dispositions
endogènes aux états maniaco-dépressifs.
La pathologie des tumeurs cérébrales donne au début du siècle (SCHUCHTER 1902)
l’occasion d’observer des crises de mélancolie en rapport avec certains désordres céré-
braux. Des travaux comme ceux de BARUK (1926), de KEHRER (1931), de JAMEISON et
HENRY (1933) et de WALTHER-BÛEL (1951) contiennent des faits intéressants à cet
égard. Le cas rapporté par MARCHAND et DUPOUY 4 (mélancolie en relation avec une
tumeur temporale) peut constituer un bon exemple (cf. plus loin, p. 457).
…Les mélancolies symp- La pathologie de l’encéphalite épidémique a donné l’occasion d’observer aussi
tomatiques d’affections certains cas du plus grand intérêt. On sait en effet combien les « troubles de l’hu-
du système nerveux… meur », les « crises d’anxiété paroxystique », les idées de suicide, etc. sont fréquents
dans le tableau clinique. Aussi les « réactions mélancoliques », les « états mélancoli-
formes » (désignation qui témoigne toujours dans l’esprit des psychiatres de leur répu-
gnance à rompre avec le concept de mélancolie pure et endogène) ont été souvent
notés (BRIAND, PETIT, STECK, etc.). DICKMEISS 6 a signalé les états mélancoliques
notamment dans la phase de recrudescence de la contracture extrapyramidale. E.
STENGEL 6 a été un des premiers à ce propos à soulever le problème de la localisation
cérébrale du conditionnement de la crise de mélancolie. O. PÖTZL 7 également à
Vienne a esquissé une première conception neurologique qui s’appuyait sur des expé-
riences sur le diencéphale et sur des cas d’encéphalite épidémique.
Au cours de la sclérose en plaques, certains auteurs ont noté des accès dépressifs
et anxieux dont les observations ont été rassemblées dans la thèse d’OMBREDANE 8.
TARGOWLA 9 a observé certains états dépressifs avec troubles neurologiques qu’il a
considérés comme symptomatiques d’une véritable « psycho-encéphalite ».
196
MÉLANCOLIE
1. FOSTER KENNEDY, A cas of postencephalitic cyclothymic, Journal of nerv. and Ment. Disease,
1944, 100, pp. 192 à 197.
2. CAHANE (M. et T.), Ann. Médico-Psycho., 1935 et 1936.
3. J. DELAY, Les dérèglements de l’humeur, Paris, 1946.
4. Cf. ce que nous avons déjà dit à ce sujet de l’anxiété dans notre Étude N° 15 et notamment pp.
400 à 405.
5. R. GRINKER, Psychomatic Medecine, 1939.
6. Consulter M. BLEULER, Endokrinologie in Beziehung zur Psychiatrie, Zentralblatt. f. Neuro-
Psych., 1950, 110, 225-237, l’ouvrage de BELLAK (pp. 67-70 et 92-93) et le rapport de REISS (M.),
Untersuchungen über Psycho-Endocronologie, Archiv. Suisses N. et P., !953, 71, (355-358).
7. Cf. les vieilles observations de DELASIAUVE, de SEGLAS, de FAUVEL et celles plus …/…
197
ÉTUDE N° 22
– Pour conduire notre Étude sur la mélancolie dans le souci d’une parfaite symé-
trie avec celle que nous avons consacrée à la Manie, il nous reste enfin à rappeler que
les « formes mixtes » (déjà indiquées dans notre précédente Étude) mêlent « inextrica-
blement » les symptômes de la Manie et de la Mélancolie, mélange que l’on retrouve
souvent dans les cas de « mélancolies pures » ou typiques. Il nous paraît important
(plutôt que d’exposer encore les divers « états mixtes ») de faire, en conclusion même
…quelques réflexions sur le de cette étude, quelques réflexions sur le niveau où s’organisent et sont vécues les
niveau où s’organisent et crises de manie et de mélancolie. Nous avons parlé à plusieurs reprises, et comme un
sont vécues les crises de
aspect fondamental de la crise de mélancolie (comme de la crise de manie), de la
manie et de mélancolie…
déstructuration temporelle éthique de la conscience. Nous avons à ce propos indiqué
que nous serions nous-mêmes victimes de cette formule si nous lui attribuions la signi-
fication d’une désorganisation « basale » de l’être psychique, ainsi que se le figurent
généralement ceux qui voient dans la mélancolie (et la manie) un trouble élémentaire
de l’humeur. La structure temporelle de la conscience au niveau de la manie comme
de la mélancolie, c’est essentiellement la forme même de l’espoir ou du désespoir.
D’un espoir et d’un désespoir « insensés » qui tantôt précipitent l’être dans un bon-
dissement hors des contraintes du présent en tant qu’il implique une problématique de
…/… récentes de SAINTON, DELAY, HOWARD et ZIEGLER, etc. Le problème des relations de ces
états avec les thyréoses a été notamment exposé par DELAY, CORTEEL et BOITELLE, Ann. Méd.
Psych., 1945, et Sem. des Hôp., 1948. Cf. aussi DURAND (Ch.) et BOFILL, Rapport à la Société
suisse de Psychiatrie, Arch. Suisses de N. et P., 1953, 71, p. 389.
1. ZONDEK, X. et P. ABÉLY, CAHANE et CAHANE, etc.
2. Les états dépressifs de la ménopause, de la castration, du post-portum, les syndromes d’hyper
et d’hypofolliculinie, les modifications pathologiques du cycle hormonal féminin vérifiées par les
biopsies de l’endomètre ou le cyclodiagnostic vaginal, constituent une masse de faits qui mettent
en relation le déséquilibre hormonal sexuel et la mélancolie sans que les mécanismes physiopa-
thologiques aient été clairement définis (cf. notamment les travaux de l’école de DELAY, de P.
ABÉLY, d’ALLEN, etc).
3. Les travaux sur la Cortisone, l’ACTH et plus généralement les relations hypophyso-cortiso-sur-
rénales, notamment dans le syndrome d’alarme de SELYE (cf. rapport de J. DELAY, Ann. Médico-
Psycho., juin 1952), n’ont pas apporté jusqu’ici de faits très probants sur le mécanisme hormo-
nal de la mélancolie. Cf. plus loin Étude n° 25.
198
MÉLANCOLIE
l’action, et tantôt le fait reculer et le paralyse dans le passé ou devant l’avenir. Ici en
parlant de temporalité, nous parlons du temps comme de la perspective vitale qui
s’ouvre ou se ferme selon que nous projetons dans l’actualité de notre conscience,
l’avenir avec ses promesses ou bien que nous sentons la marche du temps comme une
menace qui abolit et détruit l’œuvre même de l’action personnelle, notre existence.
C’est donc que la structure temporelle de la manie comme de la mélancolie est vécue
essentiellement dans une atmosphère éthico-affective caractéristique, celle que nous
avons justement tenté de décrire et d’approfondir dans notre analyse de la manie et de
la mélancolie, en confirmant ce qui a été écrit, à notre sens, de plus profond jusqu’ici.
*
* *
Ainsi ce premier niveau de déstructuration de la conscience nous apparaît comme …ce premier niveau de
un vertige où l’individu se trouve emporté dans le tourbillon d’une liberté sans fin ni déstructuration de la
conscience nous apparaît
frein ou d’une désespérante fatalité. Si, comme nous l’avons vu pour les deux formes
comme un vertige où l’indi-
antinomiques de ce niveau, il arrive que le trouble de la conscience s’approfondit (cas vidu se trouve emporté dans
des manies et des mélancolies délirantes, hallucinatoires, confuses, etc.), c’est que le tourbillon d’une liberté
quelque chose de plus s’ajoute à ces troubles (ou que quelque chose de moins se sans fin ni frein ou d’une
désespérante fatalité…
retranche encore de l’organisation de la conscience). Ce « quelque chose », c’est en
effet une altération plus accentuée de la structure de la conscience qui, comme nous
allons le voir maintenant à propos des niveaux de dissolution plus profonds, peut être
atteinte non plus seulement dans sa structure temporelle éthique, mais dans ses rela-
tions existentielles temporo-spatiales plus profondes, celles du « monde des objets »,
et de 1’ « ordre du sujet ».
199
ÉTUDE N° 22
200
Étude n° 23
20. La classification des M. mentales.
21. Manie.
22. Mélancolie.
23. Bouffées délirantes.
« BOUFFÉES DÉLIRANTES »
24. Confusion.
ET PSYCHOSES HALLUCINATOIRES
25. Psychoses périodiques
maniaco-dépressives.
AIGUËS
26. Epilepsie.
27. Structure et destructuration
de la conscience.
Les « crises », les « états », les « bouffées » de délire qui manifestent dans leur
tableau clinique les modifications structurales aiguës ou subaiguës de la conscience
morbide sont-elles toutes réductibles soit aux accès maniaco-dépressifs que nous
venons d’étudier (Études n° 21 et 22) soit aux états de « délire confuso-onirique » que
nous étudierons ultérieurement (Étude n° 24) ? Si l’on répond affirmativement, la pré-
sente étude n’a pas d’objet et, dans ce cas, nous ne pourrions que nous réjouir de cette
« simplification ». Mais pouvons-nous vraiment dire que les formes pathologiques de
la conscience qui en clinique se présentent le plus généralement sous forme de « psy-
choses hallucinatoires aiguës » sont toutes, soit des crises de manie ou de mélancolie,
soit des confusions ? N’y a-t-il pas une masse énorme de faits cliniques qui se situent
pour ainsi dire entre ces deux formes typiques, entre ces deux niveaux ?
Nous avons vu, du point de vue historique, que les notions de « Paranoïa aiguë »,
de « Bouffées délirantes », de « halluzinatorische Wahnsinn » se sont imposées aux
cliniciens avec une telle force que (même quand c’est sous le concept de
« Schizophrénie aiguë » qu’elles reparaissent dans les écoles modernes) elles témoi-
gnent de la nécessité d’interposer entre les crises maniaco-dépressives et les psychoses
confusionnelles encore un niveau structural, celui des « psychoses délirantes et hallu-
cinatoires aiguës ».
Sans doute avons-nous eu l’occasion de remarquer que les psychoses aiguës que
nous avons déjà étudiées, sont « peu ou prou » délirantes et « hallucinatoires » et que
201
ÉTUDE N° 23
1. Pour nous, psychiatres de langue française, ou encore pour ceux de langue espagnole ou ita-
lienne, il est facile de saisir la continuité des divers degrés des états « délirants », car nous
n’avons qu’un mot (« délire » ou « delirio ») pour désigner l’idée délirante, le thème délirant, le
délire aigu ou le délire alcoolique. Par contre, dans les pays de langue allemande (Wahn et
Delirium) ou de langue anglaise (Delusion et Delirium) la tradition (plus que la science) a intro-
duit une sorte de séparation « contre nature » qui a faussé complètement le problème.
2. Cf. notre Étude n° 20.
3. HALBERSTADT, La Psychose délirante dégénérative aiguë. Une question de doctrine psychia-
trique, Ann. Médico-Psycho., 1922, II, p. 102
202
BOUFFÉES DÉLIRANTES
re aiguë et bien plus encore avec la paranoïa aiguë ». Mais il est bien évident que
même si SÉGLAS pouvait écrire à leur sujet : « MAGNAN englobe tous ces cas aigus dans …MAGNAN englobe tous
sa folie des dégénérés sous le nom de délires d’emblée et polymorphes », même s’il y ces cas aigus […] sous le
nom de délires d’emblée
a entre toutes ces crises quelque chose de commun qui est une forme univoque de
et polymorphes…
déstructuration de l’activité de la conscience, il est légitime de réserver une place par-
ticulière à ces « Bouffées délirantes » entre la manie et la mélancolie et la confusion.
C’est de l’étude strictement clinique que le merveilleux esprit concret de MAGNAN
a tiré une conception qui est restée comme un traditionnel modèle d’observation dans
la psychiatrie française. Les descriptions, d’ailleurs éparses, de MAGNAN et de ses
élèves ont frappé l’imagination de toute une génération d’aliénistes, mais il est peut-
être permis de remarquer que nulle part, hors la tradition orale, on ne trouve un expo-
sé systématique et complet de ces fameuses « bouffées délirantes » que la clinique, il
est vrai, se charge de nous présenter et rappeler fréquemment. C’est ainsi que pour
donner un aperçu aussi fidèle que possible des études de 1’ « École de l’Admission »
sur un des points fondamentaux de son enseignement, nous n’avons guère pu trouver
que dans la thèse de LEGRAIN 1 un exposé clinique assez complet. C’est de lui que nous …la thèse de LEGRAIN
nous inspirerons (presque textuellement) pour tracer le tableau clinique des bouffées [comporte] un exposé cli-
délirantes. Nous y ajouterons quelques traits ou formules puisés dans MAGNAN 2, nique assez complet.
SAURY 3, et SÉRIEUX 4. C’est de lui que nous
I. Les dégénérés.
nous inspirerons…
Ce sont des êtres héréditairement tarés entrant soit dans le groupe des arriérés
(idiots, imbéciles, débiles) soit des dégénérés supérieurs, ou simples « prédisposés »,
chez lesquels, à côté de facultés parfois brillantes, se montrent des lacunes de l’intel-
ligence, du sens moral, ou des troubles émotifs. Chez tous, le déséquilibre mental est
la règle et reconnaît pour cause l’arrêt du développement de telle ou telle faculté, l’hy-
pertrophie de tel ou tel penchant, les imprécisions des sentiments de moralité ainsi que
les éclipses de la volonté sans cesse tenue en échec par les impulsions instinctives.
Chez eux, la déséquilibration fonctionnelle des divers centres de l’axe cérébro-spinal
se manifeste par des caractères communs : l’irrésistibilité des impulsions. De tels êtres
sont le produit d’un processus de dégénérescence que (à l’inverse de MOREL) MAGNAN
se représentait non comme un état régressif, une « anomalie réversive », mais comme
une véritable création d’un type morbide. La dégénérescence est pour MAGNAN l’état
pathologique de l’être qui comparativement à ses générations les plus immédiates, est
constitutionnellement amoindri dans sa résistance psycho-physique et ne réalise qu’in-
complètement les conditions biologiques de la lutte héréditaire pour la vie. Cet amoin-
drissement se traduit par des stigmates physiques et psychiques. De tels sujets présen-
tent une pathologie mentale spéciale. C’est une des idées maîtresses et bien connues
de MAGNAN que d’opposer à la grande psychose à évolution systématique, à cette sorte
de processus évolutif accidentel que représentait, à ses yeux, le « délire chronique » —
les psychoses des dégénérés, toujours marquées du sceau de l’intermittence et d’un
caractère de « faiblesse congénitale » qui « ne leur permet pas un développement sys-
1. LEGRAIN, [NdE : Du Délire chez les Dégénérés. Observations prises à l’hôpital Sainte-Anne
1885-1886 (Service de M.Magnan). Paris : Le progrès médical ] Thèse, Paris, 1886, pp. 130 à 152.
2. MAGNAN, Leçons cliniques, 1887-1889.
3. SAURY, Étude Clinique sur la Folie Héréditaire, Paris, 1886.
4. SÉRIEUX, Bulletin de la Soc. Ment. de Belgique, 1890-1891.
203
ÉTUDE N° 23
204
BOUFFÉES DÉLIRANTES
1° LES DÉLIRES EN SÉRIES POLYMORPHES. Le « Délire d’emblée » dit LEGRAIN l, n’a …Le « Délire d’emblée »
pas toujours une forme aussi élémentaire. Un aspect clinique souvent observé peut être dit LEGRAIN, n’a pas tou-
décrit de la manière suivante : jours une forme aussi élé-
Un malade entre à l’Asile avec une idée délirante ; quelques jours après une autre mentaire…
apparaît qui efface la première, puis une troisième idée délirante, une quatrième lui
succède et ainsi de suite pendant un temps indéterminé. Il se produit donc ici une série
de bouffées délirantes, autant de délires d’emblée bien différents les uns des autres,
sans aucune cohésion. Ces variations que subissent les idées délirantes à très bref délai
sont encore un caractère des délires chez les dégénérés. Ce délire est essentiellement
protéiforme. C’est une preuve du peu de fondement sur lequel reposent les troubles
intellectuels. Profondément déséquilibrés, les dégénérés apportent dans leur manière
de délirer ce caractère de leur état mental. Ils sont déséquilibrés, illogiques dans leur
délire comme ils le sont normalement. Un malade faible d’esprit présente successive-
ment des idées de persécution, de grandeur, mélancoliques, hypocondriaques, troubles
intellectuels qui se succèdent à des intervalles inégaux, qui s’enchevêtrent parfois et
qui, dans leur ensemble, constituent un délire polymorphe inextricable.
2° LES BOUFFÉES DÉLIRANTES À TYPE INTERMITTENT. Parfois les délires d’emblée,
au lieu de se succéder sans retour à la santé, reparaissent dans la vie de l’individu après
des périodes de calme. Le malade délire plusieurs fois dans sa vie, chaque fois son
délire fera la même irruption subite au milieu du calme de la vie intellectuelle. Il n’y
aura qu’une différence à noter, c’est que le contenu du délire variera dans chaque
accès. Cette dissociation est très commune dans la vie des dégénérés. Tel malade inter-
né une première fois pour une manie qui guérira, sera interné plus tard pour un accès
de mélancolie. Tel autre interné pour un délire de persécution, présentera quelques
années après une bouffée délirante à forme ambitieuse. Quand le médecin se trouve en
présence d’un deuxième ou troisième accès de délire survenant chez le même malade,
surtout si ces accès présentent une forme différente chaque fois, il pourra conclure
qu’une prédisposition héréditaire existe, mais il fera ses réserves en ce qui concerne
d’autres accès, surtout si, bien renseigné sur les antécédents héréditaires, il trouve une
prédisposition accentuée.
3° DÉLIRE D’EMBLÉE SURVENANT DANS LE COURS D’ÉVOLUTION D’UN DÉLIRE CHRO-
NIQUE. On voit parfois le délire d’emblée éclater comme « syndrome supplémentaire »
au cours d’un délire à évolution chronique 2. Un malade, par exemple, délire depuis
plusieurs mois, son délire a une évolution chronique, lorsque, tout à coup, rompant la
monotonie de ce dernier, survient une bouffée délirante. Cette bouffée n’a que la
valeur d’un incident fugitif qui disparaît comme il est venu et le délire primitif reprend
son cours comme si rien n’était arrivé. Plusieurs bouffées successives peuvent ainsi se
produire et changer de forme chaque fois durant toute la maladie; elles ne laissent
aucune trace derrière elles. En aucune façon il ne faudrait penser à la coexistence mul-
tiple de plusieurs délires. Toutes ces effervescences délirantes sont comme autant de
bourgeonnements éphémères appartenant au même tronc.
— La conception des délires épisodiques de l’école parisienne ne s’est guère déve-
loppée depuis MAGNAN et ses élèves directs. On trouvera cependant, de 1910 à 1930 3,
1. LEGRAIN, p. 146.
2. LEGRAIN, p. 138, Ce fait nous le retrouverons plus loin et surtout dans le prochain Tome consa-
cré aux Psychoses chroniques.
3. Notamment dans la collection du Bulletin de la Société de Médecine Mentale.
205
ÉTUDE N° 23
…premier projet de thèse 1. TARGOWLA (R.), Encéphale, 1926. C’est auprès de lui que nous fîmes nos « premiers pas » en
d’H. EY… psychiatrie et nous nous rappelons encore la malade « Canoine » qui avait fait, un moment l’ob-
jet de notre projet de thèse de doctorat et dont l’observation figure dans cet article.
2. J. DUBLINEAU, Semaine des Hôpitaux, 1932.
3. BENON, Journal des Praticiens, 1936.
4. RÉGIS, Précis, (6me Édition 1923, « Dégénérescences avec Psychoses, pp. 503 à 543).
5. Il est curieux de constater combien ce « fait primordial » est dans l’école « mécaniciste » de
MAGNAN loin du « fait primordial » de MOREAU (de Tours). Pour LEGRAIN, le fait primordial c’est
l’erreur commise comme effet d’une interprétation délirante. Pour MOREAU (de Tours), c’est la
condition même de l’erreur de l’interprétation et du délire, la modification structurale de la
conscience. La conception intellectualiste et atomistique de l’École de MAGNAN est évidente dans
tous les passages que nous allons citer.
206
BOUFFÉES DÉLIRANTES
font naître et elle se produit comme un véritable réflexe... Prenons un exemple. Une
débile très dévote, très affaiblie par un jeûne volontaire dans un but de pénitence, s’est
absorbée depuis quelque temps dans des pratiques religieuses exagérées. Tout à coup
son esprit s’exalte et elle bâtit un délire à forme mystique avec hallucinations. Elle se
rappelle les passages des livres saints où Dieu a parlé aux prophètes, les évoque insen-
siblement et elle entend Dieu qui lui parle : son attitude est celle de l’hallucinée ; dans
sa surexcitation délirante, Dieu lui apparaît comme elle l’a vu représenté sur les
images de sainteté, etc... « Voilà, conclut LEGRAIN (p. 142), un exemple de délire d’em-
blée avec hallucinations comme on en observe souvent. » Ainsi (et c’est la raison pour
laquelle nous citons ce passage) si pour l’École de MAGNAN la bouffée délirante n’était
pas « hallucinatoire » essentiellement, c’est parce que l’hallucination ne dépendait pas,
à ses yeux, du délire... Mais dans ses propres exemples et ses descriptions, le délire est
constamment hallucinatoire. Si la présence d’hallucinations a été considérée comme
une contingence par l’école de MAGNAN, elle n’en est pas moins signalée à tout bout
…malgré les artifices de
de champ. C’est ce que nous dit encore HALBERSTADT pour qui la psychose délirante
la description de l’école
dégénérative aiguë est caractérisée « par le développement rapide d’un délire plus ou
de Magnan, la « bouffée
moins cohérent, souvent instable, variable et superficiel... En dehors des interpréta-
délirante » est au centre
tions morbides et des hallucinations, on peut trouver à la base de ce délire un élément
même de l’ensemble des
imaginatif » (p. 115). Autrement dit, malgré les artifices de la description de l’école de
psychoses hallucinatoires
MAGNAN, la « bouffée délirante » est au centre même de l’ensemble des psychoses hal-
aiguës…
lucinatoires aiguës, elle est une « bouffée délirante et hallucinatoire ».
1. Cf. Étude, n° 8.
2. Nous citons ici d’après la traduction française de la 3me Édition allemande (Paris, 1928).
[NdE : Trad Rééd. in Karl JASPERS : Psychopathologie générale, 2000 :Paris : Claude Tchou.]
207
ÉTUDE N° 23
que sont les expériences hallucinatoires (p. 83). Elles ont la même actualité, la même
vividité, le même caractère de contrainte et de corporéité 1. Elles sont aussi pour nous
…« Il y a quelque chose, foncièrement impénétrables (pp. 86-87) en tant que formes du vécu irréductibles à nos
dis-moi ce qu’il y a. Je ne expériences normales de la vie psychique. « Il y a quelque chose, dis-moi ce qu’il y a.
sais pas quoi, mais il y a Je ne sais pas quoi, mais il y a quelque chose ». Telle en est la formule la plus vague,
quelque chose »[…] Tout la plus générale et la plus intense. Tout prend une signification nouvelle, le vivant est
prend une signification changé et non point comme projeté dans l’avenir ou le passé (comme nous l’avons vu
nouvelle […] le vivant est pour la conscience maniaque ou mélancolique) mais il est changé là, maintenant. Ces
changé là, maintenant… expériences délirantes primaires, JASPERS les classe en perceptions délirantes, repré-
(JASPERS) sentations délirantes et intuitions délirantes (Bewusstheiten), ce qui est loin de consti-
tuer un progrès par rapport aux analyses symptomatiques des écoles classiques ! Mais
l’intérêt de la description n’est pas dans cette classification plus ou moins artificielle.
En parlant de perception délirante (pp. 88 à 91) il souligne l’importance absolument pri-
mordiale du « significatif pathologique » qui « colle » aux choses et les enduit de leurs
qualités dramatiques intenses. (Ici naturellement les propos de malades que rapporte
JASPERS renvoient — peut-être comme à leur écho — à la Nausée de SARTRE). A pro-
pos des fabulations soudaines, des idées subites, il souligne (comme de CLÉRAMBAULT)
leur caractère irruptif, massif et incoercible. C’est surtout l’analyse des
« Bewusstheiten » délirantes qui est intéressante. Il signale lui-même à leur propos (p.
92) qu’elles « apparaissent souvent dans les psychoses aiguës, riches en événements ».
« A côté, ajoute-t-il, de l’expérience sensible des contenus illusoires, hallucinatoires ou
pseudo-hallucinatoires, il y a une sorte d’expérience où la plénitude des sensations n’est
pas essentiellement modifiée. A l’idée comme à la perception se lie une signification
spéciale ». Il pense encore que ces expériences délirantes primaires, quand elles ne sont
pas systématisées, ou élaborées en états chroniques « sous forme non systématique et
confuse », se trouvent dans les états aigus (p. 93). Si JASPERS indique (p. 144) que les
« vraies » hallucinations et les « vrais » délires exigent une conscience claire, la plupart
de ses descriptions et surtout les exemples cliniques dont il émaille son ouvrage mon-
trent que pour lui, comme pour MOREAU (de TOURS), l’expérience délirante primaire
est, sous son aspect le plus authentique, représentée par le vécu des psychoses délirantes
aiguës et à propos des troubles de la conscience de Soi (pp. 100 à 107) comme pour la
dépersonnalisation, le dédoublement de la personnalité et le sentiment de métamorpho-
se, il renvoie, comme MOREAU (de TOURS), au hachisch.
1. Nous touchons ici et pour la première fois dans cette Étude à ce qui va en être le leit-motiv.
Entre le monde indéfiniment ouvert ou fermé des crises de manie et de mélancolie et le déroule-
ment tumultueux et chaotique en vase clos du délire confuso-onirique, la conscience morbide étu-
diée ici est celle d’un monde encore monde, mais hallucinatoire et artificiel.
2. Niveau où la conscience altérée seulement dans sa structure temporelle éthique est trop vigi-
lante pour être hallucinée.
3. Niveau où la conscience a tellement chaviré dans l’imaginaire que les contrastes réel-imaginaire
et sujet-objet ne sont plus possibles et où la conscience est trop troublée pour être hallucinée.
208
BOUFFÉES DÉLIRANTES
209
ÉTUDE N° 23
siques prédominent 1. Somme toute on comprend que d’une part MAGNAN ait décrit ses
« bouffées délirantes » chez les « dégénérés » et que d’autre part on ait souvent ten-
dance à faire entrer ces troubles dans le cadre des « schizophrénies aiguës... » car,
comme nous le verrons, elles ont souvent, en effet, tendance à s’organiser en forme
d’existence schizophrénique (formes épisodiques ou cycliques sur fond schizoïde).
Nous allons d’abord exposer très brièvement quelques observations choisies
presque pour leur banalité. Nous nous imprégnerons mieux ainsi de la substance cli-
nique qui doit passer dans nos descriptions et dans nos analyses. Disons de suite que
ces observations sont caractérisées par leur début d’emblée, le polymorphisme de la
…ces observations sont
caractérisées par leur symptomatologie et les caractères typiques de la conscience délirante et hallucinante
début d’emblée, le poly- en tant qu’elle projette et actualise dans les champs perceptifs l’imaginaire immédia-
morphisme de la sympto- tement vécu comme un événement du monde mais d’un monde dont s’effacent les
matologie et les carac-
limites entre l’univers externe et la réalité somatopsychique subjective jusqu’à les
tères typiques de la
conscience délirante et confondre dans l’état crépusculaire de la conscience.
hallucinante… On comprend qu’au regard d’une Psychiatrie classique qui considérait l’halluci-
nation comme un phénomène sensoriel isolé, cette structure de conscience soit passée
presque inaperçue ou ait été dispersée aux quatre coins de la nosographie (en partie
dans les psychoses hallucinatoires ou délires chroniques, dans la schizophrénie, par-
fois dans la paranoïa et la psychose maniaco-dépressive, le plus souvent dans les
formes délirantes et hallucinatoires « atypiques », etc...). On comprend aussi que l’étu-
de des psychoses aiguës ou épisodiques ait presque toujours adopté précisément une
classification des phénomènes en fonction du symptôme réputé fondamental, celui de
l’hallucination : d’où les « formes hallucinatoires » opposées (ou apparentées) aux
formes « interprétatives », « imaginatives », « pseudo hallucinatoires », etc. — d’où
aussi les formes isolées selon le champ perceptif intéressé (hallucinations psychosen-
sorielles, auditives, visuelles — hallucinations psychiques et psychomotrices — syn-
drome d’influence et d’automatisme mental — hallucinations et illusions cénesthé-
siques — dépersonnalisation, etc.).
A.– OBSERVATIONS.
Le coup d’œil que nous allons d’abord jeter sur quelques observations suffira pour
nous faire sentir la nécessité d’engager l’étude clinique dans des perspectives moins
artificielles. Nous allons donc exposer quelques cas destinés à nous montrer : – 1° que
certaines crises délirantes et hallucinatoires existent en clinique qui ne se confondent
ni avec les états maniaco-dépressifs typiques, ni avec les états confuso-oniriques
1. Sans doute les « psychoses épisodiques » ont-elles souvent des affinités avec le tempérament
« cycloïde », mais ces « dispositions cyclothymiques » ont été souvent un peu exagérées par les
auteurs qui ont le souci de séparer radicalement ces troubles de l’évolution schizophrénique.
210
BOUFFÉES DÉLIRANTES
typiques 1 – 2° que ces crises sont d’un niveau inférieur aux états maniaco-dépressifs
en ce sens qu’elles impliquent la structure maniaco-dépressive dans le tableau cli-
nique, mais que cette structure est noyée dans un ensemble de troubles plus profonds
de la déstructuration de la conscience 2.
Le choix de telles observations de « psychoses aiguës » est difficile pour la raison
que nous allons exposer. En effet comme nous avons en vue ici un niveau de dissolu-
tion typique par lequel passent les psychoses aiguës, mais que les psychoses chro-
niques (comme nous le verrons ultérieurement) traversent non seulement aussi mais
souvent, il nous faut chercher des exemples qui permettent un recul de plusieurs
années. Les observations cliniques datant d’une dizaine d’années sont généralement à
exclure aussi parce que les traitements de choc en bouleversent, depuis lors, l’évolu-
tion spontanée. Force est donc de recourir à de vieilles observations et chacun sait qu’il
n’est pas facile non pas de s’y rapporter certes, mais de pouvoir les compléter par des
renseignements catamnestiques qui, pour être significatifs, doivent couvrir précisé-
ment 5 ou 10 ans.
Les trois exemples que nous avons ainsi choisis parmi notre matériel clinique pour …observations person-
avoir été l’objet de nos propres et personnelles observations, vont donc illustrer la pos- nelles… H.EY.
sibilité pour certaines psychoses aiguës de se constituer en type de « bouffées déli-
rantes et hallucinatoires », à mi-chemin de la manie-mélancolie et de la confusion. Les
accès que nous allons décrire ont été vraiment des accès, des psychoses aiguës, quel-
le qu’ait été, on va le voir, l’évolution ultérieure assez diverse de ces crises.
211
ÉTUDE N° 23
Les troubles avaient éclaté en février, quelques jours avant l’internement. Elle
avait eu quelques ennuis professionnels (ne se plaisant pas dans ses places en raison
« de la légèreté de mœurs des patrons et des employés ») et elle avait eu une liaison
sentimentale avec un officier anglais. La veille du jour où elle tomba malade, elle avait
reçu un télégramme où il était question de « surprise party » (la matérialité du fait a
été établie). Elle s’est emportée, a eu une crise d’excitation au cours de laquelle elle se
demandait si elle devait se marier ou prendre un amant. D’où altercation avec sa mère
et crise d’agitation.
Pendant toute la durée de son hospitalisation, elle se montra agitée, logorrhéique,
avec une grande fuite des idées. Mais cet aspect maniaque était submergé par une acti-
vité délirante et hallucinatoire qui la séparait du monde extérieur. Le contact avec elle
ne fut pas possible pendant les premiers temps de l’observation. Son état mental n’était
pas celui d’une manie franche et typique, mais d’une « manie confuse et hallucinatoi-
re ». Ce qui frappait le plus, c’est qu’il s’agissait d’une sorte d’onirisme qui touchait
par moments, rarement d’ailleurs, à la confusion, mais qui, le plus souvent, était plus
intuitif et « représenté » que perceptivement vécu. Toute la psychose dans la majeure
partie de son évolution est restée dans une demi-teinte « oniroïde », avec une forte dra-
matisation de l’ambiance et des situations internes ou externes. Elle se complaisait
d’ailleurs (elle l’a dit) dans un état qui l’éloignait de la réalité désagréable. Un autre
caractère de la psychose était représenté par sa forte structure affective : elle baignait
littéralement dans un monde de fantasmes sexuels où il est facile de reconnaître
comme composante fondamentale un complexe d’homosexualité.
… le tableau clinique Après une période de trois mois durant lesquels le tableau clinique était très poly-
était très polymorphe et morphe et sans cesse oscillant, elle s’est calmée et elle est sortie complètement guérie
sans cesse oscillant… en juin 1932.
Voici le récit qu’elle a fait, soit oralement, soit par écrit de cette expérience déli-
rante et hallucinatoire :
« Je n’ai jamais été absolument normale, j’ai toujours été très nerveuse. Je me sen-
tais très déprimée depuis onze mois. J’étais allée à Madrid (février 1931) comme secré-
taire d’un banquier. Je suis devenue la secrétaire de ce monsieur qui était très grincheux.
Certains excès de nourriture et de boisson (dîners au Champagne). J’étais très conten-
te, j’y suis restée huit jours. Rentrée le 1er mars 1931, j’étais très déprimée, découragée,
j’avais eu des ennuis... Il y avait un triste individu avec nous, c’était un avocat conseil
qui occupait un appartement au Ritz. Je suis entrée dans son bureau, la porte de sa
chambre s’est ouverte, il est entré nu comme un ver et je me suis sauvée. Une fois avant
déjà il m’avait fait le coup. J’étais dégoûtée. J’étais tellement révoltée que je n’ai pas
voulu travailler pour lui. Cet incident a eu comme résultat la rupture de pourparlers
commerciaux. J’ai refusé de partir à Paris en même temps que cet individu. Rentrée à
Paris, nouveaux ennuis avec mon patron qui m’avait remplacée pendant mon absence.
Crise de foie (Restée alitée pendant plusieurs jours). On m’a proposé une nouvelle
situation Avenue Georges V, où j’ai travaillé jusqu’en février 32. J’étais dans un entou-
rage extrêmement antipathique. C’étaient des Américains. Il y avait des Américaines
impossibles. J’étais littéralement surmenée. Elles avaient, paraît-il, des mœurs spé-
ciales. Toutes les femmes étaient les maîtresses du patron. Le mien me faisait écrire ses
lettres d’amour en français. Je crois bien que c’était à moi qu’il s’adressait. Vers le mois
d’août, j’ai fait la connaissance d’une autre secrétaire, Mlle L. qui m’a amenée dans des
milieux de Montmartre. Elle était amoureuse du directeur et elle n’osait pas lui résister.
Elle en avait peur... comme moi. Il prenait des poses de Don Juan. Ça devait être un
212
BOUFFÉES DÉLIRANTES
homme dangereux à bien des égards. Il me reprochait mon allure un peu masculine...
J’ai eu tous ces temps derniers une seule aventure. J’avais fait la connaissance d’un offi-
cier anglais très épris de moi. J’étais également éprise de lui. Je me suis demandé s’il
n’émargeait pas aux Affaires Étrangères. Des raisons sociales interdisaient de nous
marier. Il m’a demandé de vivre maritalement avec lui ; je lui ai répondu que je ne pou-
vais pas le faire à cause de ma mère. Il était dans une situation de fortune trouble... Entre
temps j’ai revu le baron de C, secrétaire également de la maison où j’étais. Il a 37 ans
également. Il me poursuivait de ses assiduités et j’ai fini par lui promettre de devenir sa
femme dans six mois. Il m’a fait signer un papier dans lequel je l’autorisais à me servir
de « frère aîné ». Il estimait que je vivais dans un milieu louche. C’était en février
1932... Je n’avais plus de nouvelles de Londres, de l’officier anglais que je connaissais,
jusqu’au jour où je suis tombée malade. Ce jour-là j’ai reçu un télégramme « Ne vous
inquiétez pas. Surprise Party. Jeudi 8, signé : Maurice ». Le baron de C. était un per-
sonnage assez étrange, je me suis demandé si ce n’était pas lui qui m’avait fait envoyer
ce télégramme. Ma mère a tenu à s’en assurer, il a répondu catégoriquement qu’il n’en
était rien. Lors de cette entrevue, il aurait également dit à ma mère qu’il ne voulait pas
de moi, ni de la main droite, ni de la main gauche.
Ce jour-là, je m’étais emportée avec ma mère comme jamais encore. Je me deman-
dais si je devais me marier ou prendre un amant. Ma mère a été révoltée. Entre temps
ma mère a eu une crise de nerfs, elle me suppliait d’être raisonnable. Avec le Docteur
qui me soignait, on a décidé de m’amener chez le Dr. TOULOUSE. A partir de ce
moment-là, j’ai passé une journée horrible (avant mon arrivée à Henri Rousselle).
La nuit après j’ai cru entendre dans l’appartement en dessous des airs russes « les
Bateliers de la Volga », « le Coq d’or... ». J’ai entendu des bruits de cailloux contre la
fenêtre de ma chambre. « Allo ! Andrée, nous sommes là ! ». J’ai cru que c’était la sur- …« mon cerveau très fati-
prise party annoncée dans le télégramme... mon cerveau très fatigué travaillait à toute gué travaillait à toute
vitesse... vitesse »...
Quand je suis arrivée chez le Dr. TOULOUSE, le chauffeur m’a dit que le Dr.
TOULOUSE était chef de l’espionnage (Récit de tous les détails de son entrée : détails
infimes, très circonstanciés).
J’ai eu l’impression qu’on se servait de moi, « Oh ! la bonne prise ! la belle
prise !. » Je me demandais si c’était une rafle... Moi je déteste les milieux de
Montparnasse, mais le soir de Noël une amie a insisté, nous sommes allées à la
Coupole, à l’Atlantide... Je me suis laissé inviter. J’avais l’impression que mes dan-
seurs s’incrustaient absolument en moi. J’en ai repoussé un au milieu de la danse. Je
fréquentais quelques gens de Montparnasse. Durant ce mois fatidique de décembre, j’y
allais souvent. Je prenais des apéritifs ; un « teddy » s’était amouraché de moi et il me
tutoyait en dansant, me donnait des rendez-vous. Alors quand je vins ainsi chez le Dr.
TOULOUSE, je me suis demandé si ce « teddy » ne voulait pas m’enrôler dans une
bande. A Henri Rousselle j’ai ruminé que le général C, ami de mon père, était un
espion. J’ai même cru le voir dans mes hallucinations.
Pendant 3 jours chez le Dr. TOULOUSE je n’ai pas eu l’impression de perdre
conscience. J’ai eu l’impression de parler tout un jour l’anglais. Quand on m’a fait la
P. L. j’avais l’impression qu’on m’inoculait la syphilis. J’avais l’impression que je
voyais des taches de sang, du sang d’un autre malade. J’avais peur d’attraper une mala-
die contagieuse. Je ne dormais pas. Je croyais entendre des prières en hébreu. J’ai cru
qu’on voulait m’associer à ces prières. Alors j’ai chanté des bribes de cantiques qui me
revenaient. Je suis restée longtemps les bras en croix... Il me semblait que ça me sou-
lageait. J’entendais une rumeur... Par les bouches de chaleur je sentais comme des
213
ÉTUDE N° 23
1. A ce moment-là elle déclarait qu’elle ne savait pas où elle était « Tantôt je crois être à Agadir,
tantôt à Trafalgar, tantôt à Rabat. D’autres jours, j’ai l’impression d’être à Paris, à Fontainebleau,
à Nevers ». Son orientation dans le temps était, par contre, assez correcte.
214
BOUFFÉES DÉLIRANTES
aussi mon docteur ordinaire. Je l’ai vu en fasciste... je l’avais vu en effet avec un fou-
lard noir. Je voyais une série de scènes, des photographies. C’était bien plus flou qu’au
cinéma. C’était comme un livre d’images... C’était un peu grisaille... Je ne voyais
qu’un buste, mon père, le Dr. X. D’autres avaient l’air très mystérieux. Elles ne se
liaient pas à des paroles... Moi je leur parlais... Il me semblait que je devais leur par-
ler... Je préférais leur parler et voir tout ça que les voix des autres malades. Un jour-
naliste que je connais assez mal me disait « je suis avec toi, mon ange, pense à moi ».
Cette voix avait quelque chose d’artificiel. Elle était affaiblie, j’étais persuadée que la
personne n’était pas là. Je m’amusais à parler toute seule. Je faisais les demandes et
les réponses. Depuis longtemps je pense plus facilement en anglais, j’arrive plus faci-
lement à m’exprimer en anglais qu’en français. Je trouvais que tout le monde avait
l’air pédant, qu’ils parlaient bizarrement. Il me semblait que tout cela était une sorte
de reconstitution judiciaire. Je m’amusais... J’avais envie qu’on me rafraîchisse avec
un tonique, un produit de beauté... et j’ai éprouvé immédiatement cette sensation. Je
rêve très peu, mais quand je rêve, je rêve de serpents ou de corps gras, de tout ce qui
est répugnant. Ça me fait frissonner. Je le sens sur ma peau. Je voyais des images de
serpents. Je voyais que ce n’était pas vrai, ils étaient seulement en images.
Impressions « bizarres » 1. Au bout de 2 ou 3 heures, je trouvais que mes fesses
étaient brûlées. J’avais l’impression que j’étais assise sur une toile cirée collée à ma
peau. Ça me faisait comme un cataplasme. J’avais l’impression que c’était une expé-
rience. Je n’y comprenais absolument rien. Je pensais qu’on voulait se servir de moi
comme médium. J’avais l’impression que peut-être on m’avait influencée de façon à
ne dire que des choses agréables à celui qui m’influençait. Je sentais que mon cerveau
se troublait. Je m’amusais parfois à me dire des choses agréables ou que je pensais
devoir être agréables aux docteurs qui m’étaient sympathiques. Je pensais qu’on vou-
lait faire des expériences sur moi. J’avais comme la tête serrée. La veine de la tempe
se gonflait. J’ai senti une douleur violente dans la nuque. Je voulais réagir. Ma tête
était bouillante.
Étrangeté et dramatisation du Monde extérieur. J’avais l’impression que mon lit
était sale... Je me suis aperçue qu’il y avait une bouche de chaleur. Il me semblait
qu’on me faisait monter des odeurs... Je trouvais tout étrange. Je m’imaginais que les
gestes ordinaires avaient une signification. Ensuite je croyais reconnaître (mais au bout
de deux ou trois jours, quand j’étais très affaiblie) des gens que je connais dans la per-
sonne des infirmières et des docteurs. Il me semblait qu’on m’accordait une dernière
grâce de revoir tout le monde. J’ai pensé que c’était là la véritable « surprise party ».
Je croyais que tout était artificiel. Tout me paraissait très long. Il me semble que j’ai
vécu pendant trois jours plus intensément que pendant six mois. C’était comme des
sketchs, des scènes de revue. Je trouvais cela extrêmement pénible. J’avais une
mémoire formidable. Mon corps me paraissait très affaibli et mes facultés me parais-
saient décuplées. »
A la fin de son séjour, quand l’effervescence délirante est tombée, quand cette
« expérience délirante » vécue dans la terreur et la satisfaction de ses propres fan-
tasmes (de ses besoins libidinaux tout à la fois projetés dans un monde menaçant et
assouvis dans l’exaltation érotique de son « rêve ») a fait place à la réalité ordonnée
215
ÉTUDE N° 23
du monde des objets et des personnes, quand tout est revenu « à sa place », Andrée
écrit : « Je peux vous affirmer que j’ai atrocement souffert moralement pendant ces
trois journées » (elle parle des trois jours du début de la psychose). « Ces trois jour-
nées que je n’appellerai jamais les « trois glorieuses » ...Après tout j’aime trop la vie
pour finir ainsi. Je n’oublie pas que je suis la fille d’un soldat de carrière, un héros, je
peux le dire, et d’une maman tendre à l’excès dont je suis malheureusement la joie et
le désespoir tout à la fois. Maintenant je me sens beaucoup mieux mais je ne vous dis-
simule pas que je suis sous le coup d’un terrible ébranlement nerveux. C’est presque
contre tous mes principes que je me résigne à une pénible inaction pendant plusieurs
mois encore afin de tâcher de devenir une femme raisonnable et pondérée et non pas
le garçon manqué que j’ai toujours été... » (11 mai, 1932).
Nous l’avons revue récemment (1953), après avoir eu de temps en temps de ses
nouvelles après sa sortie. Son existence a été celle d’une célibataire en conflit presque
constant avec sa vieille mère avec qui elle vit en continuelles disputes. Elle est depuis
plusieurs années secrétaire dans une grande maison de parfumerie. En 1952, 20 ans
après l’accès dont nous venons de rapporter l’observation, elle a été à nouveau hospi-
talisée à la Clinique pour un « accès maniaque » franc d’une durée d’un mois. Elle
même distingue très nettement ces deux « crises » en disant qu’elle a été beaucoup plus
troublée lors de la première et en expliquant que la seconde n’a été qu’une « crise
d’exaspération » contre sa mère. Elle a gardé un souvenir extrêmement précis de l’évé-
nement délirant qu’elle a vécu il y a plus de vingt ans.
216
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Andrée. Mon saint Patron qu’est-ce qu’il a eu comme supplice ? Attendez ! As-tu vu la
Croix de saint André... Maintenant je n’y ai plus droit. Non je ne crois pas y avoir droit...
Saint Christophe ? Où est mon mari ? Les heures pour moi sont brouillées... d’ailleurs
la pendule est arrêtée... Il est moins vingt... Les arbres ne veulent pas reverdir, ils sont
tout noirs... Tout est brûlé, non pas tout, pas mon mari!... Non !... Je voulais demander
de qui je suis la fille... J’avais une fille. Je ne veux pas qu’ils meurent en enfer. Je ne
veux pas que coule le sang innocent... Ma sœur c’est Marthe Hanau (une voleuse célèbre
à l’époque). Non, j’entends des voix, mais non... Le tapis... Il y en a qui cuisent. Je ne
dois pas encore avoir assez suivi Dieu... C’est l’histoire de ma grand’mère (sortie de
l’hôpital psychiatrique en 1933 et décédée peu après)... Le docteur la droguait, pour aller
plus vite... J’étais enceinte à ce moment-là... Mon mari pensait à nous trois... Nous
sommes venus le 20 janvier. Mon mari est venu un soir avant hier, c’était dimanche,
donc c’est mardi aujourd’hui. Pour moi aujourd’hui je suis, je serai dans l’enfer. C’est
la chaux, la chaux, avec un x. Je ne suis pas la vertu, la voie, la victuaille. Je ne suis pas
née. Je suis la chaux vive. Il y a Henriette (une autre malade). C’est une avare. C’est elle
qui met du charbon, du charbon, du charbon... J’ai eu mes périodes sur terre... Quand je
suis arrivée, c’était l’infirmière... J’ai cru que ma fille était dans Henriette. On a dit
Henriette a 6 ans. Il aurait mieux valu qu’elle se mette la tête du père Robin... Celui-là
il a voulu m’embrasser sur la bouche une fois. C’était un vieux... On a cru que j’étais
une espionne. On m’a vidé ma tête. On me l’a remplie je n’oserais pas dire où. Je ne sais
pas qui a raison de ma famille à moi ou de celle de mon mari... Ma mère est morte d’un
cancer... Il y avait une femme qui lui ressemblait beaucoup. Il y avait des étoiles quand
je suis arrivée. Elle avait confiance. Elle priait. J’ai prié aussi. J’ai revu des étoiles. La
personne qui avait pris la place que j’occupais, représentait la mère C. qui a eu un can-
cer de la langue... Elle aimait beaucoup le fromage de gruyère. J’avais une montre que
Maman m’a donnée. Je l’ai cassée, puis elle a marché... Ça c’est les gothas pendant la
guerre... J’ai demandé la Paix. Il y en a qui sont en train de chauffer dans l’éternité. Je
suis une sale sainte, une sainte sale... J’ai été fille suivie, une filature formidable... A
Paris l’autobus allait toujours de travers. J’ai vu des lettres de feu Pouthar. C’était une
maison close. C’était le pont arrière. J’y suis allée avec mon mari... je n’ai pas besoin de
détailler. Il y a 7 ans, j’étais partie de chez nous. Je me suis toujours dit, je suis une imbé-
cile, une oie, une dinde, une poule, une mouche, qu’on me tue. Toujours il y avait le ther-
momètre. Je me suis trop laissé salir... Des voix ? C’est le dualisme entre l’église et l’état
parce qu’il y a eu la révolution de 1889. Je suis l’église. Oui dans la mort il avait fallu
m’asseoir, non sur le dos parce que quand je suis arrivée on ne travaillait que pour les
tombes. On ne faisait que des marbres et des croix. C’était la préparation de la guerre.
J’étais coupée en deux, non en plus que cela, en huit. Je suis partagée entre deux
extrêmes, Dieu et le diable. La pendule est arrêtée. C’est une personne supérieure. On
ne peut pas nier l’existence de Dieu. Il ne doit rien rester de moi. Vous avez vu en bas
l’entonnoir, il fallait me brûler. Je me demande qui a été brûlée. »
Ces propos monotones défilent avec leur cortège semi-onirique (ou de rêve
éveillé) de scènes et images macabres... Par moments elle paraît hallucinée, répondre
à des voix, tandis que le plus souvent la fabulation submerge l’hallucination. Le com-
portement demeure calme mais étrange, un peu théâtral, le regard est lointain. Elle est
comme « captée » et « captive » de son imagerie scénique (souvenirs faux et réels
télescopés en une série kaléidoscopique de fragments concrets à forte charge drama-
tique). Malgré sa « distraction » ou son « détachement » elle est capable d’opérations
intellectuelles compliquées. Étant comptable, on lui propose un problème qu’elle
résout rapidement (notamment le calcul du plus grand commun diviseur entre deux
217
ÉTUDE N° 23
nombres de 4 chiffres). Elle dessine des animaux, des motifs décoratifs. Mais aussi elle
fait des séries de chiffres ou écrit des formules bizarres. « Erreur n’est pas compte...
Dois-je rester ? Dois-je mourir ? A mon mari, en Dieu, en l’Église, nôtre, vôtre, leur !
A mon mari qu’on accuse à tort...». Elle aime à écrire et à griffonner. Elle écrit au
crayon une longue lettre, assez incohérente où se mêlent les images de la Bible, les
Saints et sa famille et elle écrit au verso de la dernière page : On ne doit jamais renier
ce qu’on a aimé, puis elle ajoute « le po, je n’ai pas peur du pompier » puis elle biffe
« le po... » et « peur du pompier » mais très légèrement.
Pendant tout le mois de janvier et de février elle est impulsive avec des idées très
actives de suicide. L’état crépusculaire de la conscience persiste. Elle n’est ni inhibée,
ni en état de fuite des idées mais dans une sorte d’extase à rebours comme « ravie »
par la représentation sinon la vision de catastrophes et de cataclysmes.
Le 23 mars, après quelques oscillations du tableau clinique, celui-ci se transforme.
L’atmosphère délirante est moins opaque et globale, mais par contre, le sentiment
d’étrangeté, les impressions de dépersonnalisation prédominent : « A l’atelier (où elle
peut travailler depuis quelques jours) tout le monde sait ce que je pense. On chucho-
te... Je comprends qu’il s’agit de moi. Hier je pensais que je viendrai dans ce bureau
et que vous aviez un pistolet. Ce sont des idées bien noires (elle rit). Je ne sais pas
lequel aurait tué l’autre le premier. Cette nuit on a encore appelé le diable. On connaît
ce que je pense, c’est à cause des pansements qu’on m’a fait. On me vide la tête,
comme à ma grand’mère qui est restée douze ans ici ».
Vers la fin du mois presque aussi soudainement « le voile se déchire » tout à fait
et, après quelques jours de perplexité avec vagues successives d’angoisse et de délire,
elle « reprend conscience de la réalité ». Le 1er avril, elle écrit à son mari une lettre
tout à fait normale dans laquelle elle dit notamment : « J’espère que tu vas bientôt
venir me chercher car je m’ennuie énormément, ce serait préférable que je sois auprès
de toi et nos chers petits. Voilà les beaux jours et je vais encore m’ennuyer ». Elle est
sortie le 23 avril 1935, en excellent état.
De fait, malgré le pronostic de schizophrénie qui nous était naturellement venu à
l’esprit (comme à tout le monde) en présence de ce tableau si « discordant », l’étran-
geté des expériences délirantes et le comportement catatonique (impulsions, négati-
visme, pathétisme, etc..) elle guérit complètement et reprit sa vie familiale et sa pro-
fession pendant plusieurs années.
Mais... huit ans après (1942), elle présenta à nouveau une crise analogue et depuis
lors, internée, elle est devenue sans rémission une schizophrène 1 en même temps
qu’elle présentait une évolution tuberculeuse, qui l’emporta en 1951.
1. Ceci — ainsi que MAYER-GROSS en fait pertinemment la réflexion (comme nous le verrons)
dans sa description des états oniroïdes — ne modifie pas le sens de notre étude. Pour nous il s’agit
de décrire une forme de troubles de la conscience, un niveau typique de dissolution qui se situe
entre la conscience maniaco-dépressive et la conscience confuso-onirique.
Le problème si important du passage de ces états à la récidive ou à la chronicité n’est pas ici en
question, il fera au contraire l’objet de nos investigations quand nous aborderons l’analyse struc-
turale des psychoses chroniques et notamment des schizophrénies. Nous nous contenterons d’in-
diquer simplement qu’avec un recul de 10 ou 20 années, on observe souvent, chez ces malades,
des crises analogues et assez souvent des évolutions schizophréniques. Ceci dit, nous pouvons à
ce sujet ajouter que les hasards de l’observation clinique ont fait grouper dans notre esprit trois
cas qui nous paraissaient cliniquement si identiques que pendant des années nous n’avons cessé
d’y penser, d’y réfléchir et de nous en informer. D’abord celui de Mme G. M. que …/…
218
BOUFFÉES DÉLIRANTES
…/…nous venons d’exposer et qui pendant 7 ou 8 ans nous a mise au courant de sa parfaite, et
hélas ! non définitive, guérison. Ensuite celui d’une jeune femme, V. Cl., à hérédité chargée éga-
lement, qui fit aussi son premier accès d’état délirant et hallucinatoire aiguë à forte teinte de
mélancolie anxieuse avec une dramatisation oniroïde de la conscience en tous points semblable
aux troubles de Mme G. M. et aussi à l’occasion d’un accouchement. Lors de deux accouche-
ments ultérieurs elle présenta exactement les mêmes troubles, toujours aussi inquiétants et « aty-
piques ». Elle a eu depuis lors plusieurs enfants sans jamais présenter de troubles. Mais ceux-ci
reviennent de temps en temps sous forme de vagues d’angoisse de type cyclothymique, absolu-
ment sans aucune organisation schizophrénique. Quant à la troisième, Mme F. F., jeune femme à
antécédents héréditaires chargés, elle fit à l’âge de 23 ans (toujours à l’occasion d’un accouche-
ment), une psychose délirante anxieuse avec état crépusculaire de la conscience et délire halluci-
natoire polymorphe de courte durée. (Traitée sur notre conseil et guérie, d’ailleurs, par une seule
injection de folliculine). Elle a fait plusieurs crises depuis (1940 et 1949) et toutes ces crises rap-
pelaient étrangement le tableau clinique des deux autres malades et ont fait craindre une évolu-
tion schizophrénique qui ne s’est pas non plus confirmée. Nous ne donnons pas ces faits comme
exceptionnels, mais au contraire comme des faits que nous rencontrons constamment dans la pra-
tique et c’est précisément pourquoi nous les plaçons en tête de cette étude. Ils montrent en tous
cas que, quelle que soit l’étiologie et l’évolution ultérieure des psychoses délirantes et hallucina-
toires aiguës (formes « atypiques » de manie ou de mélancolie, bouffées délirantes, etc.) celles-
ci se situent dans la série des états de déstructuration de la conscience entre la manie et la mélan-
colie d’une part et la confusion au point de vue symptomatique, seul point de vue que peut adop-
ter une simple « classification » de « syndromes » distribués ici en niveaux de déstructuration de
la conscience.
1. Début : au début de mai 1946. Nous donnons ici cette observation qui n’a qu’un recul de 8
ans parce que dans sa simplicité elle est très démonstrative. (La malade n’a été traitée que par un
abcès de fixation). Les troubles ont coïncidé avec une suspension de la menstruation.
219
ÉTUDE N° 23
sans éclat, comme purement « intérieure ». La conscience était très relâchée, obnubi-
lée et dramatisée.
Pendant plusieurs jours, elle resta inquiète, tourmentée, craignant que sa famille
n’aille au four crématoire. Par instants elle se trouvait environnée d’ennemis et de
menaces. D’autres fois elle se plaignait que tout le monde se moquait d’elle.
Un abcès de fixation pratiqué le 12 mai fut incisé le 22 mai. Malgré une certaine
amélioration, le « fond » délirant subsista sous forme d’expériences dont le vécu et la
thématique, tout en gravitant autour des mêmes sentiments d’angoisse, variaient sans
cesse.
2 Juin 1946 : « J’ai l’impression que je suis empoisonnée. Il y a une chose bizar-
re, je ne peux pas définir exactement ce qu’il y a... (elle est parfaitement orientée
comme en témoignent ses réponses précises et réfléchies)... Je pense que je suis tuber-
culeuse... Je me le suis imaginé avant Pâques. J’avais peur de mourir. J’entendais des
voix à la maison. J’avais l’impression que l’on m’avait gratté dans la tête. Je me suis
réveillée et je croyais que tout le monde était mort. J’avais rêvé une fois que j’étais
devenue squelette et que je marchais... J’entendais des craquements. Ma tête revient à
moi... Il me le semble. On a dû m’opérer, je ne peux pas comprendre. »
De fait, à partir de cette date, l’expérience délirante a tendance à être « racontée »
au passé. Le décantage est en train de s’opérer entre le rêve et le réel. Malgré le flou,
l’imprécision de la pensée et la perplexité, une nette amélioration se dessine. Une
dizaine de jours après elle était guérie.
Elle a repris ses occupations et aux dernières nouvelles (1954), c’est-à-dire 8 ans
après cette « crise » délirante et hallucinatoire, elle mène une vie normale et gagne sa
vie. C’est une personne un peu délicate et timide mais qui n’a jamais présenté à nou-
veau de troubles mentaux caractérisés depuis sa sortie.
220
BOUFFÉES DÉLIRANTES
bides. Cet état délirant imaginatif présente, ajoute-t-il (p. 184) « un état d’éréthisme et
de désarroi intellectuel analogue à celui de certains maniaques et de certains confus. »
Ceci situe bien ces formes de délire au niveau qui fait l’objet de notre étude, niveau
intermédiaire auquel, pour reprendre ce qu’écrit DUPRÉ 1 dans le même passage, « il
est difficile de fixer la part qui revient à l’élément maniaque ou confusionnel dans le
complexus morbide »... C’est relativement à l’onirisme que DUPRÉ a essayé sans tout
à fait y parvenir de poser des règles de diagnostic. « Il n’y a pas, disait-il, dans le déli-
re imaginatif, de fond confusionnel, il ne comporte pas en général d’hallucinations.
Les troubles psycho-sensoriels, lorsqu’ils existent, sont accessoires, épisodiques et ne
présentent pas comme les états oniriques le caractère des hallucinations toxiques » (p.
185). Mais voici une des observations qu’il donne comme caractéristique d’un état
imaginatif aigu. Il est aisé de voir que le diagnostic avec un état hallucinatoire est assez
« subtil ». Il s’agit d’une observation de Ch. FÉRÉ :
On comprend dès lors que DUPRÉ, découragé par le caractère artificiel de ce dia-
gnostic entre délire imaginatif et délire hallucinatoire, écrive (p. 186); « Mais il exis-
te entre délire onirique et le délire imaginatif des faits d’association et de transition …Dans les « psychoses
aussi nombreux que ceux qui relient le sommeil et la veille, le rêve, la rêverie et l’im- imaginatives aiguës » de
provisation romanesque. » Ce qui nous paraît en effet essentiel ce n’est pas le caractè- DUPRÉ, ce qui paraît
essentiel […] c’est la pré-
re hallucinatoire ou non (car ces délires dits imaginatifs sont aussi et, pourrait-on dire,
sentation (se présenter à
essentiellement hallucinatoires) c’est la présentation (dans le double sens de « se pré- la conscience et s’actuali-
senter à la conscience » et d’ « actualiser », de présentifier) de l’imaginaire. — Peut- ser) de l’imaginaire…
221
ÉTUDE N° 23
être le tableau clinique décrit par Bussow et BACH 1 sous le nom de « syndrome expan-
sivo-confabulatoire » serait-il à rapprocher de ces états de rêverie, de ces flambées
d’imagination. Cependant la description de ces auteurs se rapproche davantage du syn-
drome de Korsakoff que nous étudierons plus loin. En tout état de cause, il faut consi-
dérer cet état « expansivo-confabulatoire » comme une nuance de plus dans l’analyse
spectrale des psychoses aiguës.
L’École française a mis encore l’accent sur une autre forme de « délires subai-
gus » ou « transitoires », la FORME INTERPRÉTATIVE. Opposant au grand délire chro-
nique d’interprétation de SÉRIEUX et CAPGRAS les « états interprétatifs aigus »
VALENCE (élève de SÉRIEUX) a, dans sa thèse 2, isolé une forme d’ « états interpréta-
tifs essentiels » caractérisés par une atmosphère d’inquiétude et un début générale-
ment dépressif et survenant le plus souvent après une émotion ou en réaction à une
situation vitale difficile. Les malades interprètent alors les paroles, les moindres faits
et les plus insignifiantes coïncidences dans le sens de leur thématique délirante. Son
observation VII 3 est assez typique. Cette malade de 47 ans s’était brusquement ima-
ginée être en but à une poursuite. On la suivait dans le cimetière où elle allait porter
des fleurs sur la tombe de son mari. Or, elle avait lu sur un programme de concert ce
titre « Du sang sur les fleurs ». On voulait dire, par conséquent, que les fleurs qu’el-
le portait à son mari étaient pleines de sang. C’était faire comprendre qu’elle avait
voulu tuer son mari. Si on parlait d’indigents, c’était donc pour faire allusion à ce
qu’elle avait demandé l’Assistance pour les obsèques de son mari, etc... » Ce qui
échappe dans ces descriptions et observations un peu trop superficielles, c’est préci-
sément une analyse qui restitue à l’interprétation le fond dont elle se détache et ce
fond c’est toujours le trouble de la projection d’imaginaire dont les degrés et les
…l’imaginaire [vécu modalités d’objectivation restent contingents. Car nous pouvons dire de cette « forme
comme] une « significa-
interprétative » ce que nous avons dit de la « forme imaginative », elle est inséparable
tion évidente » […] s’im-
pose intensément et de la forme hallucinatoire, pour autant que l’imaginaire (qu’il soit vécu comme
actuellement comme une une :« révélation », une « signification évidente » ou une « perception ») s’impose
forme de réel… intensément et actuellement comme une forme de réel.
Nous pourrions en dire autant des « DÉLIRES D’INTUITION » qui ont été étudiés par
TARGOWLA et DUBLINEAU 4. Chose curieuse dans leur livre, ces auteurs ne font pour
ainsi dire pas état d’observations d’ « états délirants intuitifs aigus ». C’est pourtant
dans ces formes que l’on s’attendrait à saisir l’intuition délirante sous son aspect le
plus authentique de « donnée immédiate » (c’est au fond ce qu’exprime le mot alle-
222
BOUFFÉES DÉLIRANTES
teurs intentionnels de leur existence propre). Ceci a été dit et répété tant de fois depuis
50 ans 1 par les psychiatres qui ont approfondi l’étude de la projection hallucinatoire 2
qu’il doit paraître à peu près impossible de faire ici une distinction entre les « psychoses
délirantes et hallucinatoires » selon qu’elles sont « à base » d’hallucinations cénesthé-
siques, visuelles, tactiles ou auditives, etc.. Mais le sens des « sens » 3 s’il n’est pas
rigoureusement déterminé comme stricte fonction de l’appareil sensoriel, n’en rend pas
moins possible de distinguer les expériences hallucinatoires acoustico-verbales, les
expériences hallucinatoires cénesthosomatiques et les expériences hallucinatoires
visuelles, non point, répétons-le, comme des phénomènes de « sensorialité » distincte,
mais comme des couches, des niveaux différents d’expérience délirante.
Si nous voulons précisément opérer, dans la couche des troubles de déstructuration
1. C’est le sens notamment de tous nos travaux sur l’activité hallucinatoire (cf. Hallucinations et
Délire, I vol., Paris, 1934), et de ceux qui, en France, ont soutenu à peu près le même point de
vue : P. JANET, MINKOWSKI, LAGACHE, CEILLIER, etc... ou encore de P. SCHRODER et C. SCHNEIDER,
etc.. en Allemagne.
2. Naturellement cette « projection a été également très étudiée par FREUD et son école ». Pour
eux, en tant que « bourgeon de l’instinct », l’hallucination n’est pas non plus un phénomène sen-
soriel primitif.
3. E. STRAUS, Von Sinn der Sinne, Berlin, 1935. [NDE : rééd. : Du sens des sens. Contribution à
l’étude des fondements de la psychologie, J. Millon éd., 2000.]
223
ÉTUDE N° 23
224
BOUFFÉES DÉLIRANTES
1. On remarquera que tout de même nous nous sommes refusés à voir dans la manie et la mélan-
colie une forme de dissolution profonde et pour ainsi dire basale, nous nous refusons à considé-
rer la dépersonnalisation, si « cénesthésique » qu’elle soit dans son vécu, comme un phénomène
d’altération des couches les plus profondes du Moi...
2. Gérard DE NERVAL, Aurélia. — Cf. l’étude de SEBILLOTTE (I. H.), Le secret de Gérard de
Nerval, Corti, Paris, 1948.
225
ÉTUDE N° 23
1. Nous avons, avec CLAUDE et MIGAULT (Ann. Médico-Psycho., 1934, I, p. 257), proposé ce
terme auquel nous ne tenons pas d’ailleurs spécialement.
2. DUGAS, Revue Philosophique, 1898. Il réunit plus tard ses études dans un petit volume : DUGAS
et MOUTIER, La Dépersonnalisation, Paris, 1911. — Voici les principaux travaux à consulter sur
ce sujet : D’abord le vieux livre de M. KRISHABER, La Cénesthopathie cérébrocardiaque, Paris,
1873, auquel on se réfère généralement dans toutes les études sur la dépersonnalisation. Ensuite
les belles analyses cliniques de P. JANET, notamment dans Les obsessions et la Psychasthénie. Le
travail le plus complet paru ces dernières années est l’étude de K. HAUG, Depersonnalisation und
verwandte Erscheinungen, Traité de BUMKE, t. XII, pp. 134 à 204, 1939. Parmi les travaux les
plus importants et les plus souvent cités, mentionnons le volume de HESNARD, Les troubles de la
personnalité dans l’asthénie psychique, Paris, 1909, les livres de K. OESTERREICH,
Phenomenologie des Ich, Leipzig, 1910, et Les Possédés, (trad. fr., 1929), celui de P. SCHILDER,
Selbstbewusstsein und Persönlichkeitbewusstsein, Berlin, 1914 ; l’article de H. HARTMANN, Ein
Fall von Depersonnalisation, Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1922, 74, p. 593, celui de R. KLEIN, Ueber
die Empfindung der Körperlichkeit, Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1930,126, p. 453 ; celui de G. E.
STORRING, Die Depersonnalisation, Arch. f. Psych., 1933, 98, pp. 462 à 545 ; celui de MAYER-
GROSS, On Depersonalization, British J. of Med. Psychol., 1935, 15, pp. 103 à 126, le livre de A.
WEBER, Ueber nihilischen Wahn und Depersonnalisation, Leipzig, 1938 ; le travail de H. J.
SHORVON, Proced. Royal Soc. Med., 1945, 39 p. 779, etc.. Un colloque du Ier Congrès Mondial
de Psychiatrie (1950), a été consacré à ce problème (Rapports de FOLLIN et de KRAPF). Depuis
ont paru un excellent article de MORSELLI (Il probleme della depersonalizzazione, Sistema ner-
voso, 1951, pp. 243 à 251) un travail de SCHMIDT (P.), La dépersonnalisation et les limites du Moi,
Ann. Méd. Psycho, 1951, II, 408, et un nouveau travail de Paul GUIRAUD, Les états d’étrangeté,
J. de Psycho, 1952, 449-463.
Ce problème a été envisagé dans deux perspectives différentes. Du côté de la neuropathologie du
schéma corporel, cf. spécialement EHRENWALD, Monatschr. f. Psychiatrie, 1931, pp. 75 à 79, et
Nervenarzt, 1931, 4, p. 681 ; A. VON ANGYAL, Arch. Neuro. Psych., 1934, 1935 et 1936, etc..
L’ensemble du problème (avec les références bibliographiques) se trouve très bien exposé dans
le livre récent de HECAEN et AJURIAGUERRA, Méconnaissances et hallucinations corporelles,
Paris, 1952, (pp. 256 à 343, notamment). L’intoxication par la Mescaline étant une expérience
fondamentale pour ce problème, on consultera également K. BERINGER, Der Mescalinrausch.,
Berlin, 1927, l’auto-observation de SERKO, Jahrbuch f. Psych., 1913, 34, p. 355, et celle de E.
MORSELLI, Journal de Psychologie, 1936, pp. 368 à 392, etc... L’action de certaines drogues sur
l’affectivité et l’humeur, notamment dans ses relations avec l’expérience de dépersonnalisation,
a été plus récemment étudiée par WIKLER, Mechamsm of action of drugs that modifies personal
function, Amer. J. Psych., 1951, 52, 590-599) — Du côté psychanalytique, d’autre part, signalons
les travaux de H. NEUNBERG, Depersonnalisation Zustände im Lichte der Libido-theorie, …/…
226
BOUFFÉES DÉLIRANTES
a fait fortune. Naturellement aux yeux de la plupart des auteurs (JANET, MAYER-GROSS,
HAUG) il s’agit d’un syndrome qui se retrouve sous de multiples aspects dans la plu- …[ la dépersonnalisation
part des névroses et des psychoses. Mais MAYER-GROSS indique fort bien (comme suppose pour MAYER-
DUGAS) qu’on le rencontre surtout dans les états de dissolution incomplète de la GROSS] que l’altération
conscience, c’est-à-dire quand l’altération du Moi laisse encore intacte une grande du Moi laisse encore
activité de la conscience. Ce sentiment de dépersonnalisation comporte tout à la fois intacte une grande activi-
celui d’étrangeté de la personne physique ou psychique et d’étrangeté du monde exté- té de la conscience…
rieur, fait dont toutes les nuances peuvent être observées « soit dans la qualité, soit
dans la quantité » de ce sentiment. Mais la « somatopsyché » et 1’ « allopsyché »,
comme disait WERNICKE, sont généralement altérées ensemble. Tous les sentiments de
jamais-vu, de déjà-vu, l’atmosphère des fausses reconnaissances, des illusions de la
mémoire (paramnésies, reduplication, etc..) constituent une sorte d’auréole au senti-
ment majeur d’étrangeté et de modification du Moi.
Nous n’avons pas ici à rappeler la symptomatologie de la dépersonnalisation schi-
zophrénique et psychasthénique, car alors les sentiments qui la composent font partie
d’une structure pathologique de la personnalité que nous envisagerons dans le pro-
chain volume. Nous avons déjà parlé aussi des états de dépersonnalisation dans les
crises maniaco-dépressives (STÔRRING). NOUS n’avons ici en vue que la dépersonnali-
sation pour autant qu’elle est une forme typique de vécu d’un état de dissolution aigu
ou subaigu de la conscience.
A cet égard rappelons que HAUG 1 met l’accent sur l’état de demi-rêve de la
conscience (traumhafte Bewusstsein) au cours duquel les données subjectives et objec-
tives de la perception se confondent ce qui naturellement définit la « conscience hal-
lucinante » (dans sa forme la plus dégradée mais déjà typique). Il rappelle que dans
l’ictus apoplectique, D. B. FRANK 2 a pu observer au cours de « l’hypofonction de
l’énergie vitale » des phénomènes de dépersonnalisation. De même G. STERTZ 3 a
observé ces symptômes dans les accidents de circulation cérébrale (artério-sclérose).
SOLLIER, FLATAU, ROSENFELD 4 les ont signalés dans la migraine. Sven HEDENBERG
(cité par HAUG) les a notés dans un état d’épuisement. Mais c’est naturellement au
cours des accidents comitiaux qu’on les a le plus souvent notés (P. JANET, HESNARD, P.
SCHILDER, ISSERLIN). Le dédoublement de la conscience va parfois si loin dans ces cas
qu’à la dépersonnalisation s’ajoute la présence hallucinatoire du double héautosco-
pique ou de profondes altérations du schéma corporel 5.
227
ÉTUDE N° 23
Sans entrer dans les graves problèmes de pathologie cérébrale que posent ces faits,
nous devons en exposer ici l’essentiel. Naturellement la perturbation de la dynamique
de la conscience qu’ils impliquent, puisqu’ils représentent une déstructuration de
l’orientation du Moi dans l’espace et de l’orientation à l’intérieur même du Moi, a fait
penser à beaucoup d’auteurs qu’il s’agit d’une lésion altérant le processus vital de
l’identification et de l’unification de la conscience de soi qui implique (selon les
conceptions de PALAGYI, si importantes aux yeux de l’école allemande de 1925 à 1940)
une répression des fantasmes impliqués dans la perception. Or le « siège » de cette
activité synthétique de la perception du Moi (au travers de la diversité des expériences
temporo-spatiales et des images qui risquent d’en altérer la clarté et la précision) a pu
être recherché soit dans le soma et la cénesthésie périphérique, soit dans le tronc céré-
bral et le diencéphale, soit encore dans l’écorce. On sait comment depuis KRISHABER
la théorie sensationniste a perdu beaucoup de terrain, mais elle n’a peut-être fait que
se déplacer en remontant dans le mésodiencéphale ou même dans l’écorce ! Quoi qu’il
en soit pour KUPPERS, REICHARDT, KLEIST il s’agit de lésions portant électivement sur
les formations végétatives du tronc cérébral et on sait que plus récemment (nous y
reviendrons plus loin) c’est dans l’hypothalamus que l’on a tenté de localiser, avec la
« fonction vigile », cette activité de la conscience qui naturellement comporte l’inté-
gration des données de l’expérience autoperceptive. La corrélation des centres végéta-
tifs profonds mésodiencéphaliques avec les formations végétatives enfermées dans
l’épaisseur du lobe temporal et l’enroulement de la corne d’Ammon paraissent, nous
le verrons, ériger ce dispositif de régulation de la conscience en un vaste système cor-
tico-sous-cortical. Quant aux théories localisatrices proprement corticales, elles sont
représentées dans ce domaine par l’assimilation des phénomènes de dépersonnalisa-
tion à un trouble du schéma corporel, à une désintégration somatognosique et dès lors
c’est à une lésion pariétale ou pariéto-thalamique de l’hémisphère mineur qu’elles sont
attribuées.
Quelle que soit d’ailleurs l’interprétation pathologique cérébrale que l’on donne de
ces troubles, ils apparaissent à tous les auteurs (psychiatres, psychanalystes, neurolo-
gistes) comme inséparables de la vie instinctive-affective en ce sens que l’étrangeté du
corps et plus généralement du Moi est nécessairement vécue en fonction de la vie émo-
tionnelle affective et fantasmique profonde qui, constituant une des instances antago-
nistes de la conscience de soi, participe nécessairement aux sentiments d’étrangeté,
d’extranéité et d’irréalité.
228
BOUFFÉES DÉLIRANTES
que après VON GEBSATTEL et E. STÖRRING nous avons dit à propos des formes de déper-
sonnalisation et de négation dans la mélancolie (notamment à propos de l’observation
de Mme B. B.).
Crises de dépersonnalisation paroxystiques. Nous avons publié cette obser-
vation en 1934, avec H. CLAUDE, et MIGAULT 1. Cette malade, Georgette L., née en
1884, présentait des « bouffées délirantes polymorphes » à forme nettement paroxys-
tique. Voici comment elle décrivait ses crises, véritables états hypnoïdes de quelques
heures et parfois de quelques jours dont elle gardait un souvenir assez précis pour les
raconter (certaines crises d’impulsivité coléreuse étaient amnésiques).
...Elle dit elle-même : « Il y a des périodes de 3 ou 4 jours pendant lesquelles je …Observation (AMP, 1934)
me transforme, je prends en moi différentes personnes. J’ai envie de sauter. Je retour- CLAUDE, EY, MIGNOT…
ne à de nombreuses années en arrière. » Par exemple, le 3 août 1931, elle dit : « Les
années ont passé comme si c’était l’espace de quelques heures... Je répète des conver-
sations d’autres personnes, je ne sais lesquelles... Je ne sais plus où je suis. Me voilà
encore repartie ! Je voudrais vous dire mon ennui, je ne peux pas... On dirait que j’ai
du dégoût de tout... Je vais rester une journée entière comme si j’étais dégoûtée de la
vie... J’avais beaucoup de choses à vous demander... Il m’est impossible de suivre une
conversation... J’ai l’impression que je vais intercaler des phrases qui n’ont rien à voir
avec la question... C’est comme si j’occupais la place d’une autre... Je ne dis pas que
j’ai la personnalité d’une autre personne, mais presque par moments... J’ai fait des
réflexions avec une voix dure qui n’était pas la mienne... Je ne retrouve plus ce que
j’étais. On dirait que tout mon être est dominé par une volonté... L’atmosphère chan-
ge brusquement... C’est comme un souvenir. Je suis comme sous la sensation d’une
personne, d’une foule qui serait près de moi. »
Nous pouvons grouper schématiquement l’ensemble des troubles tels qu’ils se pré-
sentent dans ces états qui durent, répétons-le, 2 ou 3 jours.
a) Impression d’asthénie, sentiment d’incomplétude et d’irréalité. Elle se sent
vidée de sa spontanéité, inerte. « Je vis le cerveau terne... Je n’ai aucune pensée, je suis
fatiguée. La pensée m’échappe. Je suis fatiguée, lasse, faible, fébrile. Je me sens
engourdie. Je ne peux pas arriver à faire un effort. Je ne puis pas arriver à finir ce que
je faisais. Il me semble que je n’arriverai pas au bout ». Sentiment de rêve éveillé. Je
ne puis pas me rendre compte si je rêve ou non. (Elle a acheté d’ailleurs des livres sur
les rêves pour chercher à s’expliquer ces états).
b) Impression de mort — Mort imminente. Rêveries macabres. « Je vois un sque-
lette... Je meurs peut-être... Je ne vis pas, on a enlevé la vie à mon cerveau... J’ai la
sensation d’être morte comme si mon corps était réduit au squelette... Je me sens
morte ». Elle offre de véritables paroxysmes pantophobiques. Elle tombe dans des
gouffres d’anxiété, avec sentiment du néant, de vide vertigineux.
c) Impression à caractère cénesthésique pénible. « Je me sens changée... Je suis
mal à l’aise... Mon corps me gêne... C’est comme un marteau qui frappe mon cer-
veau... Mon cerveau bouillonne » et autres métaphores de ce genre.
229
ÉTUDE N° 23
1. Nous avions été amenés à tenter cette « mescalinisation » car nous avions obtenu chez une
malade dont l’observation a été publiée par R. MAIXET et Ch. BERLIOZ (Obsession de déperson-
nalisation, Ann. Médico-Psycho.) — malade à laquelle nous avons déjà fait allusion et qui a fait
le tour pendant 20 ans de tous les psychiatres parisiens... — une rémission spectaculaire mais
hélas furtive.
230
BOUFFÉES DÉLIRANTES
vous ? » elle répond alors « des oiseaux de paradis... » puis « des chinois... le Japon...»
Elle tient des propos où elle fait allusion à « des yeux dans le cerveau » et à « sa pen-
sée répétée ». Expressions tragiques de dégoût. Elle mime une scène de viol. « Je le
tuerai avec un revolver. » Elle parle ensuite de têtes, de coquilles, d’hommes. Elle
chante, puis fait la petite fille boudeuse, son intonation devient puérile, elle « zézaie ».
La désorientation devient très prononcée et elle entre en plein délire onirique avec
déclamations grandiloquentes : « Ah ! Cette femme, elle tenait un bordel. Elle a enfer-
mé ses enfants dans ce bordel avec des hommes dessus, on a souillé leur chair pendant
qu’elle gardait la sienne. Des hommes, des hommes ! J’aimerais mieux le noir à poil
qu’habillé, puisqu’on se montre toute nue, exhibant ce qui vous reste de charme. Oh !
Guillaume cache ton nu ! Souillure. Enfants pleins de sang, tête de veau... ». Puis vien-
nent des thèmes guerriers. « Les Prussiens ont envahi la France. Je les empêcherai de
passer. Les Prussiens ont violé ma mère pendant la guerre. Si tu tiens ma famille, je te
tiens, Guillaume par ceci... Regarde. Je te dirai le secret de la souffrance... Pendant la
guerre le viol que j’ai revécu. Je voudrais voir ma mère. Toujours l’épée, l’épine dor-
sale. Prusse maudite qui fit couler tant de sang français... Cette femme je ne peux pas
la voir, elle se croit belle ou devant un homme. Les glandes, la thyroïdienne pour se
les greffer, pour rester toujours jeune... Qui la protège contre les piqûres souvent mor-
telles, mord-elle avec ses dents ? Qu’est-ce que tout cela ? Il y a des feuilles partout. …rêverie oniroïde à forte
C’est comme de la poussière. Ma mère — elle en parle constamment — ne doit pas charge d’exaltation et
rester ici... Mais ce n’est pas elle, qui est-ce alors qui me parle ? On a branché trois d’angoisse…
conversations l’une sur l’autre ? Voici mon mari, une figure rouge avec un bouc, mais
je ne suis pas mariée. Je veux l’enfiler moi l’automatisme. Il veut se servir de ma
bouche... Qu’est-ce que c’est que cette tête-là ? Je suis un garçon, j’ai cru que c’était
moi. Un aigle avec ses serres et ses griffes. Je suis un cheval cochon, un homme
nichon. Je vois toujours des hommes, je raisonne comme un homme. Il a une redin-
gote marine, des cheveux crépus. Ces hommes qui défendent la terre de France dégra-
daient leurs vieilles couilles usées. Je ne peux pas voir cette femme... Achète-moi un
revolver... la comédie, la comédie du monde. J’ai le délire... Quand on a commis une
faute... On ne commet pas une faute toute seule. Il a surpris le secret de ma naissance.
Mon père qui avait une peau de satin... ils ont sali tout cela. Je vois encore ma mère
avec ses cheveux blonds cendrés, avec son corps livré aux Prussiens. Je l’entends dans
le ventre de ma mère... ». Cette rêverie oniroïde à forte charge d’exaltation et d’angois-
se et qui touchait parfois au niveau de la confusion onirique, s’est prolongée pendant
plusieurs heures.
Le lendemain, après avoir passé une nuit agitée, elle ne se rappelle presque rien de
son délire mescalinique.
Le surlendemain (11 août) par contre, reviennent les souvenirs (ou l’élaboration
secondaire des scènes oniriques 1 et voici le récit qu’elle nous fait de ce qui a été vécu
sous l’influence de la mescaline : « Hier j’étais très troublée et je ne savais plus si
c’était moi qui parlais ou des hommes à côté de moi. Avant-hier, après la piqûre, je me
rappelle maintenant que j’avais vu la guerre, des hommes qui cherchaient à m’enlever.
Il me semblait qu’on voulait s’emparer de secrets. Les hommes avaient un caleçon
blanc, une odeur d’alcool. C’était tout ce que je crains en général, mais là je le res-
sentais et le voyais davantage. C’était comme un rêve qui suivait, c’était un beau rêve
comme si j’avais lu un beau livre. Je voyais des objets de toutes sortes qui formaient
une gorge de pigeons, des plumes d’oiseaux, des sculptures dans la pierre, des feuilles,
1. Nous retrouverons les mêmes faits dans l’état crépusculaire de J. P. (Étude n° 26).
231
ÉTUDE N° 23
beaucoup de lumière, beaucoup de vie, des feuilles comme on voit dans les sculptures
d’églises ou de cathédrales. Des angles, des triangles, toujours avec de la lumière
comme s’il y avait du soleil dessus. Tout cela était tout petit, petit. Puis comme des
demi-cercles qui s’échappaient et formaient ensuite la voûte des églises. J’avais l’im-
pression de comprendre comment la pensée fonctionnait, se matérialisait. Je voyais de
petits chapeaux de lumière les uns sur les autres, puis la lumière, non du soleil, mais
la lumière d’un cerveau. Ces petits chapeaux devenaient des toits de pagodes, des
ronds, des cercles qui se transformaient en maisons, mais rien ne durait. De fines cise-
lures dans l’or, on aurait dit des oiseaux de paradis qui remuaient leur gorge. C’était
comme des bijoux... comme des défenses d’éléphants, comme du bois de rose, des
branches de bois des îles. C’était ciselé, mais d’une finesse ! Des palais multicolores
et turques, des palais arabes avec de l’or, des mosaïques. Tout un dôme d’or. (Dans ce
récit peut-être reflété dans l’euphorie du moment elle dit constamment c’était joli,
joli !). J’ai vu le soleil par ses rayons, mais pris tout à fait au début, comme à leur sour-
ce. J’ai vu encore un feu qui s’échappe de la terre, du bleu, de jolies teintes bleues...
J’ai revécu toute ma vie comme dans un rêve. J’ai vécu, un couteau au-dessus de ma
tête. Mon corps était là-bas où se passaient les choses. J’avais l’impression d’être enle-
vée et que des femmes habillées en hommes cherchaient à me violer. Dans ce sommeil,
je ne savais pas où j’étais, j’entendais une voix d’homme. Je voyais une figure d’hom-
me. Quelque chose s’est abattu. J’ai rêvé des choses de mon enfance. Tout un truqua-
ge de gens qui cherchaient à capter ma pensée. Hier j’étais très drôle. Il me semblait
que ce n’était pas moi qui parlais, je ne pouvais pas arriver à me retrouver. A cause de
ma figure desséchée, je me disais que je n’étais pas une femme, mais un homme... ».
Si nous avons donné ici ce protocole de mescalinisation, c’est pour faire saisir en
quelque sorte expérimentalement ce que les états spontanés de dépersonnalisation, si
fréquents chez la malade, et revenus au premier plan après l’épreuve de mescaline (le
lendemain) contenaient en puissance et quelle masse de fantasmes a été ainsi libérée.
L’intérêt de cette observation est justement de nous montrer comment une dose faible
de mescaline 1 qui généralement ne produit chez un sujet normal que peu de troubles
…Dans sa fameuse expé- 1. Cette dose est en effet assez faible. Dans sa fameuse expérience personnelle, E. MORSELLI (J.
rience personnelle, E. de Psychologie, 1936, pp. 368 à 392) avait ingéré 0,75 de mescaline. L’ensemble des troubles
MORSELLI […] avait ingé- éprouvés par lui ont atteint leur maximum 5 ou 6 heures après l’ingestion. Dans cette magnifique
narration, ou mieux, dans la méthodique analyse de ses troubles, MORSELLI a insisté notamment
ré 0,75 de mescaline… sur deux points. Le premier c’est que pendant longtemps il a eu l’impression de diriger lui-même
le cours, ou tout au moins l’orientation du vécu délirant fantastique (un peu comme quand on
commence à être ivre, on « fait » celui qui l’est). Le second c’est que malgré les assauts de l’in-
vasion délirante, en fin de compte, il n’a pas déliré... C’est dire que chez lui par conséquent les
troubles n’ont pas été très profonds, qu’ils se sont situés au niveau de la dépersonnalisation tan-
dis que chez notre malade dépersonnalisée, ou plus exactement dont la destruction de la
conscience était telle que le seuil de dépersonnalisation était anormalement abaissé, ils ont atteint
rapidement le niveau onirique. Voici d’ailleurs quelques passages caractéristiques de l’observa-
tion de MORSELLI :
« Je m’aperçois que je vais glisser dans l’expérience hallucinatoire et délirante et je
renonce à m’y livrer, cherchant à me distraire par des idées futiles. Jusqu’à ce moment
je sens que je suis parfaitement en état de m’inhiber et de me conduire ; mon exigence
introspective demeure vigilante.
Ma critique est alerte, mais j’assiste avec une certaine angoisse, puisque je me sens sans
défense, à l’évolution rapide de ce trouble. Je dois faire un effort pour « croire que je
suis effectivement seul » en cet endroit, à l’abri d’influences étrangères dont, par ins-
tants, j’ai l’obscure intuition.
Pendant que je me promène avec excitation et que ma main gauche, d’un mouvement…
232
BOUFFÉES DÉLIRANTES
On saisit donc, par cet exemple, que l’expérience de dépersonnalisation est comme …l’expérience de déper-
un premier degré de l’expérience onirique. Sans doute, comme le fait remarquer E. sonnalisation est comme
un premier degré de l’ex-
MORSELLI, est-elle vécue bien différemment que le rêve, mais c’est le même mouve-
périence onirique…
ment que l’un et l’autre manifestent sur le registre du vécu comme sur le plan « cli-
nique ». La dépersonnalisation nous apparaît ainsi tout à la fois comme la « frange »
d’un trouble plus étendu qui se situe d’ailleurs à un niveau assez élevé, dans une struc-
ture de conscience sans doute assez altérée pour s’éprouver elle-même étrange et
étrangère, mais pas assez pour abolir l’étrangeté de cette étrangeté.
…/… automatique incessant, passe dans mes cheveux (ce que je ne fais jamais norma-
lement), je m’arrête dans mon cabinet de toilette. Il m’arrive tout naturellement de me
regarder dans la glace : j’aperçois mes traits déformés, oscillants, et j’éprouve du dégoût.
Ma figure est toute pâle, défigurée, défaite par le toxique et par l’angoisse ; tout à coup
je ressens l’impulsion très forte à m’élancer contre mon image et à briser la glace.
Je me ressaisis avec énergie, je réfléchis. Je n’ai plus de doute, désormais : je me suis
engagé, sans prendre les précautions préalables, dans une situation grave et qui va d’un
instant à l’autre empirer. Est-ce que mon « selfcontrol » et ma connaissance de la psy-
chopathologie auront le dessus ?
D’un moment à l’autre, je sens que mon « selfcontrol » perd du terrain, — j’éprouve des
impressions extraordinaires pour lesquelles je ne trouve pas de termes correspondants :
au premier plan j’ai l’impression de m’égarer moi-même, comme si « ma » personnali-
té s’éloignait et s’obscurcissait toujours plus ; le monde extérieur des objets et des per-
sonnes que je vois dans la rue prend à mon regard un aspect hostile, monstrueusement
animé.
Il me semble qu’un cyclone peut m’anéantir d’un instant à l’autre, et qu’un gouffre
s’ouvre à l’intérieur de moi. L’émotion, toutefois, que ces sensations me donnent, ne me
fait pas perdre entièrement mon sang-froid : pas même alors qu’une rafale extrêmement
violente paraît m’envelopper et m’enlever toute conscience. Mon psychisme suggère à
mon introspection l’image d’un paysage bouleversé par un tremblement de terre et dont
le ravage extrême est imminent.
……………………………………………………………………………………………
Mon inconscience d’être MORSELLI coexistait avec une parfaite lucidité sensorielle et
introspective et avec la faculté d’apprécier la gravité de mon trouble, puisque mon état
psychique était caractérisé par une suite incessamment alternée de conscience normale
et de conscience altérée. C’est pourquoi je suis à même, maintenant, d’évoquer avec pré-
cision et netteté les phénomènes ; mon moi perçait sans cesse dans le courant morbide,
barrant, ou pour mieux dire, ralentissant son cours, et y faisant en même temps autant de
sondages. C’est justement au moment où je reviens de ces interventions de ma conscien-
ce que j’ai la notion foudroyante, immédiate de glisser vers la catastrophe, d’être en
proie au désordre le plus subversif qui m’enveloppe de ses rafales toujours plus fré-
quentes. Au moment où j’allais m’exclamer « MORSELLI, qui est-ce ? » mon moi remon-
tait à la surface, enregistrait cette expression délirante, saisissait l’écho du trouble dont
il prenait acte et auquel il s’opposait désespérément ».
1. Naturellement avec le pentothal et autres substances analogues, le fait que nous venons de rap-
porter est devenu monnaie courante ; mais au travers de 1’ « aspécificité » de ces drogues, c’est
toujours le même fait que l’on observe : elles actualisent et approfondissent les « psychoses
aiguës », cf. p. 693 (Étude n° 27).
233
ÉTUDE N° 23
1. Nous devons renvoyer encore à la thèse de Mlle P. PETIT, Les Délires de persécution curables
(1937). Dans la première partie consacrée aux « Délires curables à structure oniroïde » on trou-
vera des observations bien intéressantes (et notamment l’observation IX) et de nature à nous rap-
peler la vieille notion de Psychose hallucinatoire aiguë, (Thèse de FAKNARIER, Paris, 1899), qu’il
est, à nos yeux, indispensable de restaurer. Ceci dit, il n’en reste pas moins vrai que la clinique
nous apprend que les délires chroniques et les schizophrénies passent par ce niveau avec une
grande fréquence et c’est avec une grande fréquence que l’on voit les psychoses de ce type pas-
ser à ces formes de chronicité.
234
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Nous le répétons, le seul intérêt de cette observation est son manque total d’origi-
nalité. Il ne s’agit pas en effet ici de rechercher des cas exceptionnels, mais de nous
référer à ceux que la clinique nous offre sous son aspect le plus habituel. Ce qui est
moins fréquent c’est, comme pour ce cas, de pouvoir s’assurer que 17 ans après, les
crises hallucinatoires ne se sont pas renouvelées...
Avec un recul bien moindre, Mlle PETIT a rapporté dans sa thèse une observation
que nous reproduisons ici pour son aspect également typique et banal.
Observation résumée de Mme Deff (Thèse de Mlle PETIT, observation IV). Cette
malade de 25 ans a été l’objet (novembre 1935) des certificats suivants :
235
ÉTUDE N° 23
…Observation de Melle 1er cetificat : « Psychose hallucinatoire d’allure paranoïde. Hallucinations audi-
PETIT (Thèse, 1937)… tives et visuelles : entend parler d’Hitler, du Prince de Galles, voit le Christ, un
Archange dans le ciel. Idées d’influence et de persécution incohérentes. On agit sur
elle et un médium. On installe très haut dans le ciel des doubles miroirs qui reflètent
par le magnétisme, la télévision, le téléphone. On veut faire d’elle une espionne, la per-
sonne qu’on veut lui montrer. A tenté au dehors de s’enfoncer des aiguilles dans la tête,
se jette par terre. Excitation psychique. Agitation et violences dans le service. A dû être
maintenue. »
2me certificat : « Psychose paranoïde. Idées de persécution et d’influence.
Hallucinations multiples. Troubles cénesthésiques. Entend des voix ; c’est du spiritis-
me, du magnétisme, de l’hypnotisme. On imite certaines personnes, on lui commande
de se disputer, on l’insulte, on lui parle d’espionnage, d’Hitler, de l’Allemagne, du Roi
d’Angleterre, du Prince de Galles, de Jeanne d’Arc. On veut lui faire assassiner quel-
qu’un comme Gorguloff. C’est un fakir qui doit la poursuivre. Sentait des boules navi-
guer dans sa tête, se piquait avec une aiguille pour les faire disparaître. A vu dans le
ciel le Christ, un tigre, du feu. On a dû se servir d’un miroir concave et convexe, de
magie noire, de télévision. Coups dans le cœur, déformation de la matrice. Excitation.
Frappe le personnel. Lacération. »
……
Le début des troubles, en 1934, fut vraisemblablement marqué par un épisode oni-
rique fugace. Une « grippe l’avait laissée tout énervée, elle ne dormait plus, rêvait
beaucoup, parlait toute seule. Elle crut avoir la folie de la persécution », mais bientôt
elle comprit « qu’il s’agissait de spiritisme ». La malade exprimait en souriant des
idées confuses d’influence et de persécution, liées à un syndrome hallucinatoire et
xénopathique d’agression physique et mentale. Hallucinations auditives multiples,
insultantes, menaçantes, un crocodile devait la dévorer ; hallucinations impératives :
on lui a ordonné d’aller tuer le Président de la République. Conversations lointaines ;
on parlait de sa famille. On lui faisait faire des « pantomimes ». On lui disait qu’elle
« était Eve, puis Henri IV, Notre-Dame-de-Lourdes » ; elle « se mettait alors dans la
peau du personnage, mais n’y croyait pas », dit-elle. Elle entend de multiples voix
d’hommes et de femmes. Son principal persécuteur est un spirite, un fakir qui la pour-
suit partout, nuit et jour mais qu’elle n’a jamais pu apercevoir. Hallucinations psy-
chiques : « cet homme pénètre dans sa tête, lui envoie des pensées et la met en com-
munication avec toutes sortes de personnes ». Elle répond mentalement aux questions
que le spirite lui pose. Elle soliloque en elle-même. Prise, devinement et écho de la
pensée : « on me prenait ma pensée à l’aide d’un miroir », dit-elle ; « dès que je pense
quelque chose je l’entends répéter, je l’exprime après ». Troubles cénesthésiques mul-
tiples : ses yeux se voilent, on lui a également voilé le cœur et changé les entrailles.
Elle sent des boules qui lui courent dans la tête. Elle les a piquées avec une aiguille
« ce qui a effrayé son mari ». Elle a le corps tout déformé. Hallucinations ou pseudo-
hallucinations visuelles. On lui fait voir le Christ dans le ciel, des artistes connus. Au
début, elle a vu « des avions tomber en flammes ». Sentait par moments « des parfums
de roses ». Systématisation délirante très pauvre : Ce fakir gagne sa vie à ses dépens ;
il veut faire d’elle un médium et l’instrument d’un crime. « Tu arriveras à commettre
un crime », lui a-t-il répété.
A partir du 7 décembre, tout à fait calme, elle s’occupait régulièrement dans le ser-
vice. Le 12, on notait la disparition complète des phénomènes hallucinatoires depuis
une semaine. La malade n’exprimait plus aucune idée délirante et les rectifiait partiel-
236
BOUFFÉES DÉLIRANTES
lement. « Elle ne sait pas tout ce que cela veut dire, c’est peut-être un effet de son ima-
gination, elle va tâcher d’oublier tout cela. Elle s’est suggestionnée elle-même. Elle
n’est pas folle du tout... peut-être l’a-t-elle été, mais elle ne l’est plus ». Exprimait
quelques idées de jalousie à l’égard de son mari. Croyait encore à la possibilité du
magnétisme « puisque c’est une science ».
Les jours suivants la malade se montra très calme, s’occupa et n’exprima pas
d’idées délirantes. Le 27 décembre elle rectifiait complètement les troubles antérieurs.
Elle ne croyait plus à ces phénomènes qui avaient si complètement disparu à l’asile.
« J’ai cru que c’était du magnétisme, je ne me rendais pas compte que j’avais le cer-
veau fatigué », dit-elle.
La sortie a été accordée le 12 janvier 1936 1.
Voici maintenant l’observation d’une malade que nous suivons depuis 5 ans. Elle …Observation personnel-
a présenté depuis 1948 une série de « crises hallucinatoires » toutes très intenses et le : « crises hallucina-
toires » avec organisation
dramatiques avec une rémission d’abord complète puis moins complète en ce sens que,
sans cristallisation d’une
entre ces grandes phases de troubles, tend à s’organiser, sans toutefois se cristalliser, conviction délirante…
une conviction délirante où s’installe nettement dans le sens d’une systématisation la H.EY.
croyance à une action extérieure qui, comme nous le verrons, reflète au moins autant
la naïveté de ses conceptions que ses expériences délirantes et hallucinatoires.
Observation de Mme Q. T. Née en 1911, cette femme vit dans un milieu rural et
aucun événement important n’a agité son existence. Il n’y a pas d’antécédents psy-
chopathiques familiaux. Instruction primaire. Elle est d’un caractère assez sociable et
de type asthéno-longiligne. Elle a eu deux enfants. Bonne entente conjugale. En 1946
elle a subi un traumatisme crânien (perte de la conscience de plusieurs heures).
En 1948, première crise à type d’anxiété avec syndrome d’influence. Elle se plai-
gnait d’avoir la tête engourdie, d’être comme hypnotisée. Mais rapidement la crise
cessa, sans séquelles.
En 1950, elle est hospitalisée pour une psychose délirante aiguë à thèmes multiples
de persécution et d’influence. Jusqu’à ce moment (janvier 1950) elle n’avait présenté
aucun trouble. Cette nouvelle crise a débuté par de l’angoisse nocturne et une activité
délirante fabulatoire et hallucinatoire. Elle entendait les Allemands qui voulaient l’em-
mener avec eux. Après une période d’accalmie en juin 1950, nouvelle crise. Au cours
de cet épisode, elle exprimait son délire sous cette forme : « J’ai peur. Je ne puis plus
dormir la nuit. Les Allemands veulent m’emmener... Quand je pense quelque chose,
les Allemands le savent. Ils connaissent tout ce que je pense. Ils m’obligent à penser.
Nous avons eu un officier allemand chez nous, c’est lui qui doit penser tout ça... Ils
voient tout ce que je fais chez moi et ensuite on me met à la télévision... J’ai peur qu’on
scie les barreaux de ma chambre pour m’enlever, etc.». Tout ce délire tombe rapide-
ment après trois électro-chocs.
Rentrée chez elle le 2 septembre 1950, elle est de nouveau normale selon son mari
et ses propres confidences, avec cependant, de temps en temps, l’impression qu’un
guérisseur qu’elle avait consulté agit sur ses pensées.
1. Nous avons essayé de retrouver cette malade mais nous n’avons pas pu y parvenir, toutes les
correspondances adressées à sa famille n’ayant pas pu toucher leurs destinataires.
237
ÉTUDE N° 23
Puis en juillet 1951 éclate à nouveau une grande crise. « Ils m’envoient des pen-
sées que je ne reconnais pas comme miennes et j’ai peur que ces pensées ne fassent du
mal à mon entourage... Ils sont au courant de tout ce que je fais... Ils m’espionnent et
me surveillent. Je suis poussée, c’est comme s’il y avait deux forces en moi ». Ce
dédoublement hallucinatoire est vécu dans un débordement extrême d’angoisse qui l’a
conduite au bord du suicide. Dans le premier choc, elle déclare : « J’ai ressenti une
amélioration immédiate, je n’ai plus l’impression d’être divisée en deux. Je vais
reprendre le dessus. Tous ces temps je ne voulais plus sortir et j’avais mauvais moral,
mais je vais reprendre le dessus ». Elle sort le 18 juillet 1951.
Pendant 8 mois elle a été à nouveau normale avec tout de même des préoccupa-
tions obsédantes et quelques convictions délirantes, mais intermittentes, au sujet de
l’action du guérisseur sur sa pensée et son existence. Elle présenta en février 1952 une
nouvelle crise avec pantophobie, idées d’influence et de persécution, guérie en 17
jours dans une maison de santé privée. Nouvelle rémission complète (d’après le mari)
ou à peu près complète (d’après elle-même qui demeure effectivement dans l’inter-
valle des crises assez préoccupée) jusqu’en mai 1953. A cette date, elle rentre dans
notre service. On note qu’elle est très obnubilée, dans un état d’agitation extrême et en
plein délire presque onirique : « Depuis un mois je demande la paix. J’ai tous les par-
tis politiques qui m’envoient des radiesthésies dans la tête. L’autre nuit on est venu
chercher mon fils pour l’emmener dans les soviets de la politique. J’avais plein de
réaction politique dans la tête. Avec la radiesthésie les gens connaissent mes pensées.
Tout le monde sait ce que je pense. Ça me travaille, dans la tête. Je ne suis plus maî-
tresse de moi... Par la radiesthésie toutes ces idées viennent malgré moi. Des phrases
me viennent dans la bouche ou dans la pensée ». Elle est sombre et angoissée, tres-
saille au moindre bruit. Elle craint toujours que l’on vienne enlever son fils. « C’est
toujours la même chose, s’exclame-t-elle, ils veulent que je dise que mon fils est un
Allemand et ce n’est pas vrai, je l’ai eu avec mon mari quand il est revenu de captivi-
té ». Elle a peur d’être responsable de la guerre et veut établir la paix. Son agitation
pantophobique devient considérable, elle pousse des hurlements, se tord sur son lit.
« Allez-vous-en ! Salauds ! Non je ne veux pas me remarier... Non ! Jamais, Je ne veux
pas ! Je ne veux pas ! Mon fils, ils l’envoient au four crématoire... Faites m’y pas-
ser ! ». Ces déclamations sont théâtrales avec des crises de rage et de désespoir. Elle
se roule à terre et fait des contorsions pathétiques.
Nous réussissons cependant à lui injecter du Privénal. L’agitation cesse et brus-
quement elle dort d’un sommeil profond pendant une demi-heure. Au réveil, en même
temps que la pensée vigile revient, elle reprend sa gesticulation tragi-comique. (Voix
de polichinelle, dialogues hallucinatoires mimés). Pendant cette phase du réveil, le
délire s’intensifie encore : « Je veux être exécutée... Je veux mourir de faim et de
soif ». La narcose avec le Privénal a mis en évidence son extrême sensibilité au
toxique et le fait que les phases parahypniques (tout au moins celle du réveil, la seule
qui ait pu être explorée) approfondissent et actualisent le délire et l’activité hallucina-
toire, fait qui se retrouve dans toutes les expériences délirantes de ce genre.
…dès le premier choc, le Le traitement par électro-choc qui avait toujours bien réussi est alors entrepris et
délire disparaît. Tout le effectivement, dès le premier choc, le délire disparaît. Tout le délire est recouvert par
délire est recouvert par l’amnésie. Elle rit quand on lui parle de ses propos et de son angoisse au moment de
l’amnésie… son entrée.
Cependant, quelques jours après, elle se plaint de sa période de réveil. « C’est tou-
jours, dit-elle, au moment du réveil que les choses bizarres se passent. Ce matin j’avais
238
BOUFFÉES DÉLIRANTES
l’impression comme si on me cassait des pierres dans la tête. Je ne puis pas com-
prendre ça, ni ce que c’est, ni ce qu’on veut dire ». Effectivement après quelques jours
elle se plaint de cette invasion de pensées et d’imagerie fantastiques, elle retombe de
nouveau en plein délire d’influence et d’automatisme mental. Enfin, après deux ou
trois électro-chocs tout rentre à nouveau dans l’ordre. Il persiste seulement une convic-
tion délirante d’ailleurs chancelante : il se peut, dit-elle, que le guérisseur soit pour
quelque chose dans ce qui lui arrive et ait une influence sur sa pensée. Quant à ce
qu’elle-même appelle son délire, elle en rit et il lui paraît extraordinaire qu’elle ait pu
se laisser prendre à des « idées si bêtes ».
Après quelques oscillations dans les convictions délirantes, elle est rentrée chez
elle à nouveau depuis 10 mois et parle de son délire comme d’une crise de maladie.
Telle est, réduite à sa plus simple expression clinique, cette observation remar-
quable en plus d’un point. Soulignons les plus importants : tout d’abord les crises hal-
lucinatoires sont ici intermittentes et assez rapprochées ; elles cèdent avec une remar-
quable facilité dès le premier choc qui agit en faisant cesser l’expérience délirante
comme le réveil dissipe le rêve et ses souvenirs ; elles laissent entre elles un interval-
le lucide qui, sans équivaloir peut-être à une guérison totale, contraste vivement avec
les « bouffées délirantes et hallucinatoires ». La continuité de la conscience halluci-
nante et du rêve est manifeste dans les phénomènes de retour offensif du délire, dans
les phases de réveil qui constituent de véritables « moments féconds » du délire ; elle
est également mise en évidence par la narcose qui va « dans le sens du délire ». Enfin,
nous saisissons ici à travers toutes ces expériences délirantes, comme un « fil » de déli- …nous saisissons ici à tra-
re qui les relie et peut être l’ébauche d’une organisation chronique. Ce « fil » qui est vers toutes ces expériences
déjà comme le lien existentiel qui sous-tend ces expériences et leur survit représente délirantes, comme un « fil »
une forme de croyance dans le pouvoir magique d’autrui, c’est-à-dire une exigence de délire qui les relie et
interne d’être aimée (par le guérisseur ou l’Allemand) sans avoir la responsabilité de peut être l’ébauche d’une
ce crime. C’est par là et aussi peut-être par la naïveté de ses conceptions et de ses organisation chronique…
superstitions paysannes que cette malade est vulnérable dans la trajectoire de sa per-
sonnalité. C’est par là que le délire d’un instant peut menacer de devenir le délire
d’une existence. Quoi qu’il en soit de cette possibilité, ce cas nous présente le cortège
habituel des troubles « rappelant » la mélancolie anxieuse et la dépersonnalisation des
niveaux structuraux supérieurs et aussi la possibilité de passer par instants au niveau
inférieur à celui de la confusion (lorsqu’à son entrée elle était désorientée et présentait
une obnubilation vraiment « confusionnelle » de la conscience). L’aspect oscillant et
chaotique de ces expériences hallucinatoires aiguës est ici très typique.
Nous allons maintenant (pour aller des cas d’observation clinique simple à un cas
plus approfondi dans sa structure) exposer une observation d’une malade que nous
connaissons depuis 17 ans.
Mlle Marguerite L., employée de banque, née en 1901. Pas d’antécédents psycho-
pathologiques familiaux. De caractère plutôt gai, syntone sans oscillations cyclothy-
miques. Existence paisible. Projet de mariage en 1931 dont l’échec l’a contrariée.
Personne cultivée d’intelligence vive.
En janvier 1935, pendant quelques semaines, a présenté des troubles. Devenue
taciturne et sombre, elle s’imaginait qu’à son bureau on la calomniait, on faisait des
allusions indiscrètes à sa conduite, on l’accusait d’avoir un amant. Puis tout est rentré
dans l’ordre. En septembre 1936, reprise des troubles. Brusque crise d’agitation, pen-
dant plusieurs mois, excitation, idées délirantes multiples.
239
ÉTUDE N° 23
…Observation personnel- En septembre 1936, recrudescence de l’excitation délirante elle déclare un jour :
le suivie pendant 17 « La France est en danger et une seule personne peut me comprendre, le Dr. M. ».
ans… H.EY. Placée à Henri Rousselle, puis dans une maison de santé. Après une brève tentati-
ve de réadaptation dans la vie familiale, elle entre dans le service à cause d’une tenta-
tive de suicide le 3 novembre 1936.
Le certificat d’internement fait mention de « délire polymorphe avec réactions
mélancoliques mal systématisées, d’influence à thème érotomaniaque. Syndrome
…état d’excitation d’automatisme mental fruste. Hallucinations auditives différenciées. (On lui donne des
maniaque alternant avec ordres, elle reconnaît la voix d’un médecin dont elle est amoureuse, on lui dit qu’elle
des phases d’anxiété. a la syphilis, qu’elle a contaminé un grand nombre de gens, etc...) ». Le certificat de
Activité délirante et hal- 24 heures note un état d’excitation maniaque alternant avec des phases d’anxiété.
lucinatoire […] qui domi- Activité délirante et hallucinatoire. Expériences oniroïdes avec sentiments d’influence
ne le tableau clinique… et d’étrangeté.
Pendant les premiers jours de son hospitalisation, elle se montre très excitée, tur-
bulente. Pleurs et gémissements fréquents. Préoccupations hypocondriaques.
L’insomnie, la fuite des idées, la logorrhée, la gesticulation, l’énervement complètent
ce tableau d’état mixte. Mais ce qui domine le tableau clinique, c’est le délire halluci-
natoire. Celui-ci s’exprime dans ses attitudes, ses conversations avec des interlocu-
teurs imaginaires. Elle est en communication constante avec les médecins qui lui par-
lent par transmission de pensée. Ce sont, dit-elle, des conversations incessantes tout à
la fois amoureuses, politiques et religieuses. C’est un échange, un « commerce » conti-
nuel. Ces communications ne sont pas seulement verbales, elles constituent des
contacts affectifs et parfois de véritables relations sexuelles. Voici ce qu’elle nous
disait le 14 janvier 1937 (in extenso) :
« Je suis en communication avec tout le monde ici... Toutes mes pensées sont en
communication... Je suis en communication avec ma mère, avec mon neveu et d’autres
personnes de Bordeaux... Tout ça n’est pas clair. Est-ce seulement une impression ?
Est-ce vrai ? J’ai la certitude. Mon cerveau fonctionne d’une façon anormale, alors
j’entends des bruits. Ce ne sont que malédictions, imprécations, accusations. J’ai fini
par contaminer par la syphilis tous mes parents en donnant seulement une poignée de
main. C’est peut-être possible. Je ne puis rien faire ni penser sans être en communica-
tion. Lisait-on dans un cerveau autrefois ? Je l’ignore. Moi je ne connais pas les pen-
sées des autres, mais j’ai l’impression que l’on sait les miennes. Ces communications
ne sont pas des voix, ou plutôt oui, ce sont des voix. Pour certaines je reconnais les
voix, pour d’autres non. C’est très embrouillé. Pour l’instant j’entends le Dr. M. de
Bordeaux qui me dit : « Oui, vous êtes en communication avec moi ». Quand je pense
personnellement, je dis, je viens quand cette pensée vient avec « nous ».
Après une cure pyrétothérapique (huile soufrée, 8 accès fébriles) l’activité hallu-
cinatoire s’efface un peu ; elle dit entendre moins de voix et ajoute : « Ce sont des voix
intérieures, ce sont peut-être des pensées de personnes et peut-être de personnes ne
parlant pas, ce sont leurs pensées qui se succèdent dans mon esprit ».
Après une nouvelle cure de somnifène per os avec de petites doses d’insuline (15
à 20 unités par jour), genre de traitement que nous employons beaucoup alors dans le
service, l’ensemble de l’excitation et de l’activité délirante hallucinatoire a cessé au
bout de 3 ou 4 mois. Voici comment elle a alors raconté cette « expérience vécue » du
11 septembre 1936 au 20 juin 1937 :
« La première fois, c’était le 11 septembre, j’ai entendu des paroles d’amour.
C’était le Dr. M.. Je perdais la mémoire. Je ne peux pas vous dire tout ce que me
240
BOUFFÉES DÉLIRANTES
241
ÉTUDE N° 23
Nous pouvons à propos de cette dernière observation insister sur quelques points.
D’abord, le fond maniaco-dépressif est pour ainsi dire constamment présent mais
demeure à l’arrière-plan du tableau clinique : ce ne sont en effet ni l’angoisse, ni la
joie, ni le conflit moral ou la festivité, ni la fatalité du passé, ni l’ouverture infinie vers
…[Elle vit] une « expé- l’avenir qui constituent l’essentiel du vécu délirant. C’est plutôt une « expérience »
rience » profondément profondément étrange et, de même que nous nous servons de ce mot expérience dans
étrange […] la pénétra- le sens d’ « Erlebniss » pour désigner ce qu’elle-même a vécu dans l’intimité et dans
tion de son être par
la profondeur de sa personne, c’est de ce même mot expérience qu’elle se sert pour
autrui…
désigner la pénétration de son être par autrui. Cette « pénétration » est tout à la fois
érotique et scientifique. La communication qui la lie à la présence réelle du « parte-
naire » qui entre en contact intime avec elle, est une relation amoureuse de possession
et de don ; mais ce don lui-même, comme tel, n’émane pas d’elle-même, ne vient pas
d’elle-même, et s’il lui arrive de se livrer à ce commerce lascif, c’est comme si son
propre désir était lui-même violenté. Par là justement cette communication des corps
(ou de ses substituts les plus subtils, la pensée, le langage, le pouvoir d’attraction ou
de domination, les sentiments) cette cohabitation charnelle et sentimentale est vécue
par elle comme une expérience radicalement étrangère à elle-même, c’est-à-dire arti-
ficielle (et le thème de la fécondation à distance et de l’épreuve scientifique expriment
typiquement le noyau même de ce vécu). Tout le reste, peut-on dire, dérive de ce point
crucial : c’est au centre même de la personne, dans ce qui ne peut jamais être atteint
que par l’amour, ou qui ne peut être jamais que le réceptacle d’une magique ou surna-
turelle puissance, c’est dans la profondeur même de l’espace vital, à la fois infini et
fermé de l’être, que se situe le lieu, le sens, la puissance et l’exclusivité de l’action
maléfique. Ce n’est pas le monde extérieur, dit-elle, qui est modifié, c’est moi, et c’est
moi qui ne m’appartiens plus, c’est moi pénétrée et saisie comme objet libidinal et cela
…Le devinement de la à la fois comme objet de désir et comme objet de connaissance. Le devinement de la
pensée et le dévoilement pensée et le dévoilement de la pensée, c’est la dénudation 1 comme expérience fonda-
de la pensée, c’est la
mentale de la destruction même de la corporéité en tant que celle-ci est la limite tégu-
dénudation comme expé-
rience fondamentale de la mentaire et la protection du moi. Le corps transparent est, comme le corps transpercé,
destruction même de la un corps livré à la puissance d’autrui, et cette puissance se définit comme phallique par
corporéité… le sens centripète de sa pénétration, par sa force dominatrice et percutante, par son rôle
de défloration majeure de « l’espace » le plus intime que le moi puisse occuper dans
le monde. La cloison qui sépare et protège la pensée (comme espace virtuel de la puis-
242
BOUFFÉES DÉLIRANTES
243
ÉTUDE N° 23
C’est pourtant à quoi s’est employée l’énergie de toutes les écoles psychiatriques
du siècle dernier. Depuis BAILLARGER jusqu’à SEGLAS et G. DE CLÉRAMBAULT, de
GRIESINGER à WERNICKE, des milliers d’articles, de mémoires et d’ouvrages ont tenté
de classer les « hallucinations » en troubles psycho-sensoriels et hallucinations psy-
chiques, en « hallucinations vraies » et « pseudo-hallucinations » etc...Personne mieux
que G. DE CLÉRAMBAULT 1 n’a décrit les variétés de l’automatisme mental avec ses
nuances, ses phénomènes subtils (émancipation des abstraits, mots jaculatoires for-
tuits, jeux verbaux psittaciques et parcellaires, scies verbales, écho de la pensée, de la
lecture et de l’écriture, écho anticipé, « ombre anticipée d’une pensée indiscernable et
transitoire », énonciation et commentaire des actes, vol et devinement de la pensée,
etc...) Ses descriptions venant après les études de SEGLAS sur les hallucinations psy-
chomotrices verbales 2 et leurs multiples variétés, ont élargi le champ des symptômes
hallucinatoires au point de le faire coïncider en effet avec l’émancipation des automa-
tismes de la pensée, vécus comme phénomènes étrangers ou xénopathiques. Il ne pou-
vait en être autrement si l’essence de l’hallucination est non pas la « sensorialité » mais
l’illusion d’objectivité dont la sensorialité ou l’esthésie vécue n’est, somme toute,
qu’un cas particulier. Les analyses très détaillées de Carl SCHNEIDER 3, tout en étant
conduites dans un esprit très différent de celui de l’École française, ont abouti égale-
ment à une pulvérisation incroyable de « phénomènes hallucinatoires » de
« Trugwahrnehmungen » pour autant que leur structure, leur signification et leur vécu
spécifique constituent des expériences originales et particulières.
…[Beaucoup plus impor- Mais beaucoup plus importante que ces distinctions et cette désintégration vérita-
tante est] la question de blement atomique de l’activité hallucinatoire nous paraît être la question de savoir ce
savoir ce qui distingue qui distingue l’activité hallucinatoire des expériences primaires aiguës, que nous
l’activité hallucinatoire visons ici, de l’activité hallucinatoire des psychoses chroniques organisées en forme
des expériences primaires d’existence. Le caractère immédiatement vécu, actuellement vécu, l’ineffabilité de
aiguës, de l’activité hal- l’expérience, ses oscillations, surtout sa dépendance d’une déstructuration de la
lucinatoire des psychoses conscience vécue par les malades comme un vertige et analysable par le médecin
chroniques organisées en comme un trouble dont l’hallucination n’est qu’un aspect et plus généralement leur
forme d’existence…
1. G. DE CLÉRAMBAULT, Œuvre, t. II, pp. 455 à 654.
2. Cf. H. EY, Hallucinations et Délire, 1934.
3. C. SCHNEIDER, Die Sinnentrug, Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1930, 131, 719-813 et 1931, 137, 458-
251.
244
BOUFFÉES DÉLIRANTES
intégration à un des tableaux cliniques des psychoses aiguës qui font précisément l’ob-
jet de ce volume, sont les caractères qui doivent permettre de faire le diagnostic.
C’est ainsi que l’hallucination verbale que nous retrouverons dans les psychoses
chroniques, si élaborée et si abstraite est ici constamment noyée dans l’atmosphère de
drame, de mystère où se déroulent les scènes concrètes et mouvantes : l’écho de la
pensée se répercute là, maintenant dans la cuisine, terriblement illuminée, la « trans-
mission » perce les murailles et brûle les cheveux, les communications à distance se
font à l’aide d’une lanterne verte, elles émanent d’un puits de pétrole dont l’incendie
brûle, etc... Sous l’expérience de la pluralité de la multiplicité et du viol de l’espace
clos de la parole intérieure, c’est l’histoire, le déroulement kaléidoscopique de l’ima-
ginaire onirique qui est pressenti et déjà déclenché.
En tout état de cause, et même si nous ne sommes pas toujours en mesure d’éta-
blir correctement ce diagnostic, il se pose et il se pose justement dès que l’on cesse de
considérer l’hallucination (ou le symptôme d’automatisme mental) comme un phéno-
mène « pur et simple » toujours identique à lui-même, ce qui, on le conçoit, est plus
« simple » mais engage le diagnostic et le pronostic des états hallucinatoires dans une
impasse.
245
ÉTUDE N° 23
faute d’avoir assez mis l’accent sur ce « substratum » clinique fondamental de l’hal-
lucination en ne s’attardant qu’à sa « frange » ou au tranchant que l’halluciné nous pré-
sente (plus émerveillé ou bouleversé de l’éclosion et du sens des figures qu’attentif au
fond sur lequel elles se forment) que tant de cliniciens (et spécialement G. DE
CLÉRAMBAULT) ont décrit ces troubles comme des phénomènes « isolés ».Pourtant, ils
s’intègrent manifestement à un « ensemble significatif et formel », à une structure
propre à ce niveau de déstructuration dont nous allons donner quelques exemples. Sans
doute, si on n’accepte la notion de « trouble de la conscience » que pour désigner l’ob-
nubilation profonde, la confusion et la désorientation, on ne saurait ici les discerner,
mais si les « troubles de la conscience » sont considérés non pas comme une simple
propriété extrinsèque de la conscience morbide mais comme la série des niveaux de la
déstructuration de son organisation interne allant depuis celui de l’altération de sa
structure temporelle dans la manie-mélancolie jusqu’à l’abolition des perspectives
temporo-spatiales de la « confusion », on est beaucoup plus à l’aise pour saisir le
trouble de la conscience du niveau que nous étudions pour ce qu’il est réellement,
…désorganisation des c’est-à-dire une désorganisation des espaces vécus dans le champ phénoménal que
espaces vécus…
compose la totalité des perceptions internes et externes de l’expérience actuelle. Ce
qu’expriment les expériences hallucinatoires « actuellement » et « spatialement »
(c’est-à-dire « intensément ») vécues, dont nous étudions les modalités cliniques, c’est
leur solidarité avec une structure négative générale propre à ce niveau et que nous
approfondirons plus loin. Contentons-nous d’indiquer ici que c’est parce qu’ils ont
perdu leurs caractères d’unité, d’intériorité et de subjectivité que les péripéties du vécu
de la « conscience hallucinante » se dévoilent à elle comme « hallucinées ». Peut-être
saisira-t-on mieux ce « fait primordial » si nous tentons de le décrire avec un peu plus
de détails. Nous avons pénétré par exemple dans la structure de la « conscience hallu-
cinante » de la malade M. L. et nous avons pu la décrire comme une sorte d’effraction
de l’intimité de la personne, c’est-à-dire une exposition radicale de l’être au regard
d’autrui, une possession par le regard et la voix d’autrui. Cette expérience suppose une
modification structurale de l’organisation de l’espace fermé, secret et privé de la per-
sonne. Cette modification structurale n’est pas une abstraction et sa réalité résulte de
la forme même du vécu tel qu’il passe dans les récits des malades tout à la fois irré-
ductibles à une expérience normale et à la compréhension d’autrui. Dans d’autres cas,
le dédoublement hallucinatoire, c’est-à-dire l’invasion et l’occupation du propre espa-
ce vital par une autre personne, prend la forme et le sens d’une présence incluse soit
dans telle ou telle partie de l’espace corporel (présence d’un polichinelle dans la poi-
trine) soit dans l’espace virtuel de l’activité psychique (voix d’un voisin dans la pen-
sée), et cette coexistence interne « double » le sujet d’un objet qui est lui aussi un sujet,
un « autre sujet » mais un sujet irrévocablement spéculaire ou symétrique du Moi,
246
BOUFFÉES DÉLIRANTES
reflet et écho de lui-même. Une pareille structure hallucinatoire se répète sur le modè-
le d’une galerie des glaces ou se répercute en cascades infinies de doubles, d’échos et
de ricochets, de « photographies de photographies » de pensées. Le courant intention-
nel et centripète de la conscience 1 est intercepté par les sortilèges fantastiques qui
s’intercalent dans et par son mouvement interne. Ce fantastique « hétérogène » et
« parasite » — si bien mis en évidence par DE CLÉRAMBAULT SOUS l’aspect de la
« mécanicité » du syndrome d’automatisme mental — s’introduit comme pour doter
l’expérience hallucinatoire des attributs d’une étrangeté foncière dont aucune méta-
phore n’est capable de restituer le sens. C’est quand sont déjouées toutes les impossi-
bilités spatiales dans ces sortes d’acrobaties, facéties et jongleries qui défient l’ordre
de l’espace interne et subjectif et qui en solidifient le dynamisme et le jeu en vécus
hétéroclites — c’est quand ce champ perceptif élastique et sans cesse labile se réfrac-
te, se disperse ou se réfléchit en une infinité de ces formes et déformations mons-
trueuses, étranges et baroques comme des illusions d’optique,— c’est quand se monte
un spectacle doublement cinématographique par le défilé kaléidoscopique des images
et par la transformation de la pensée en appareil de projection — c’est alors que s’opè-
…ce bouleversement
re la mutation de la conscience la plus caractéristique, sa métamorphose en machine.
manifeste du sujet qui a
Elle volatilise en effet sa structure au point qu’elle cesse d’être « sujet » pour n’être, perdu, avec l’exacte
pour elle-même, qu’un objet « en soi » et « contre soi » et pour nous apparaître 2, à conscience de lui-même,
nous observateur, non point comme un objet certes, mais comme ce bouleversement la possibilité de résister à
l’invasion de sa pensée
manifeste du sujet qui a perdu, avec l’exacte conscience de lui-même, la possibilité de
par l’espace…
résister à l’invasion de sa pensée par l’espace.
Nous devons insister, à ce sujet, sur deux points particuliers.
Tout d’abord cette machinerie hallucinatoire avec ses illusions, ses métaphores
réalisées, ses « images » soumises aux modalités du monde physique, nous contraint
nécessairement nous-mêmes à l’usage des notions de relations spatiales d’optique,
d’acoustique, de mécanique, etc. comme pour nous montrer, jusqu’à l’évidence en
nous entraînant dans son propre vertige, que les « expériences délirantes et hallucina-
toires » ne sont rendues possibles que par cette spatialisation vertigineuse et absurde
du monde des images.
247
ÉTUDE N° 23
…c’est dans l’ordre du Ensuite, nous devons souligner que c’est dans l’ordre du langage intérieur que se
langage intérieur que se produisent électivement ces déraillements, ces métastases et ces télescopages. Ceci
produisent électivement
mérite de nous arrêter un instant, ne fût-ce que pour compléter notre description. Le
ces déraillements, ces
métastases et ces télesco- monde de la personne est un monde verbal. Même s’il existe une imagerie sans for-
pages… mulation verbale et comme on l’a dit une « pensée sans images », ce qui caractérise
vraiment la vie psychique c’est qu’elle se constitue elle-même en « monde » dont les
mots préfigurent les objets. Le système symbolique de l’esprit, cette masse sémantique
qui nous permet de déchiffrer le monde et nous-mêmes, de nous interpénétrer, de nous
survivre, de nous dévoiler et de nous dissimuler, de feindre et de calculer, de nous
exprimer, constitue en effet le monde des « objets » internes, de ces faux « objets »
plus exactement, qui sont les seuls « objets » que peut admettre mais qu’exige la pen-
sée en tant qu’elle se déroule, s’exprime et « s’objective » en nous-même. Penser c’est
constamment se parler à soi-même, et c’est, en l’exprimant, dresser la pensée en cette
architecture intérieure qui est comme le reflet ou un double du Monde extérieur, c’est
introduire dans l’ordre de l’action la dimension indispensable à toute construction d’un
monde, celle d’un espace intérieur où se déploie cette action. Cette pensée qui est
« derrière la tête », « dans le cerveau », mais aussi au bout de la langue, dans les yeux
et les oreilles, « se situe » en fin de compte dans cet espace vécu dont nous ne cessons
de parler et qui n’est au fond « nulle part ».Mais le langage est aussi et essentiellement
conversation et commerce avec autrui, c’est-à-dire relation entre le noyau le plus pro-
fond, le plus caché et le moins géométrique de soi et le noyau le plus profond, le plus
caché et le moins géométrique d’autrui, relation qui est, elle aussi, extra-spatiale par
excellence 1, qui reste transparente et virtuelle dans les formes de conscience claires et
nettes, mais qui se fige et se prend en même temps que se désorganisent les forces
constitutives de la conscience 2. Virtuel jusque-là, cet espace vécu et représenté se
concrétise, les liens symboliques se matérialisent et les mots s’y congèlent et devien-
nent des phénomènes physiques. Ce monde verbal tardivement créé dans le dévelop-
pement de la vie psychique infantile, ce monde qui a eu tant de mal à se détacher des
figures phonétiques sensori-motrices et à rompre ses adhérences avec les liens affec-
tifs qui l’ont rendu nécessaire et possible, ce monde abstrait, ce monde où le Moi
s’exerce acrobatiquement à la conjugaison pronominale (je me dis, je me décide, je me
représente, je me lève, etc...), ce monde de la multiplicité des inspirations et de l’en-
trecroisement des conduites verbales, ce monde si fragile se disperse et retourne à
l’image du monde extérieur traversé comme lui de vibrations, de sons et d’ondes —
tout de même que le sujet, cessant d’être seul parlant et pensant, occupe deux points
1. Comme le regard qui pénètre au fond de l’être sans s’arrêter à ses déterminations spatiales ou
celui du lecteur qui « traverse » les signes.
2. Ainsi que chacun en peut faire l’expérience dans l’endormissement.
248
BOUFFÉES DÉLIRANTES
249
ÉTUDE N° 23
par exemple pour les confusions oniriques alcooliques (les accidents subaigus de l’al-
coolisme chronique ou le delirium tremens) qui laissent assez souvent après elles des
états que depuis WERNICKE on appelle « l’hallucinose alcoolique ». C’est un fait d’une
grande, importance et à notre connaissance jamais signalé qu’au début ou à la fin des
confusions le vécu proprement hallucinatoire fait la transition avec l’état normal. On
le verra plus loin très nettement dans l’observation de Martha Schmieder a et dans plu-
sieurs autres. Mais nous allons maintenant assister à une transformation plus « ima-
geante » de la conscience qui va « se prendre » au point que l’imaginaire ne va plus
faire seulement hernie hallucinatoire dans le monde réel, mais va y pénétrer en masse,
l’envahir et l’embraser pour constituer un monde imaginaire.
250
BOUFFÉES DÉLIRANTES
peu connu chez nous que nous allons le présenter ici avec beaucoup de détails et
notamment en concentrant en « digests » aussi vivants et concrets que possible,
quelques-unes des auto-observations qui font l’intérêt majeur de l’ouvrage 1.
Entrant dans le vif du sujet, MAYER-GROSS expose d’abord (p. 1 à 10) le cas publié
par ENGELKEN en 1849. Il s’agit d’une auto-observation qui peut servir d’exemple pour …auto-observation […]
illustrer la forme onirique du vécu (Die oneiroïde Erlebnisform) dont l’étude fait l’ob- d’une forme onirique du
vécu…
jet de l’ouvrage. La malade y dépeint avec beaucoup de précision et de richesse l’uni-
té du vécu de sa psychose, unité qui s’exprime dans une exaltation passionnelle éro-
tique et une merveilleuse atmosphère de ronde magique. A ce sujet l’auteur relève que
le premier caractère (négatif) du vécu de la conscience oniroïde est son inachèvement,
c’est-à-dire que tout ce qui y figure reste flottant et inconsistant ; le deuxième (positif)
c’est la tendance à la formation d’ensembles scéniques. Une telle structure de la
conscience ne se confond ni avec la manie ou la mélancolie ni avec la confusion (ou
amentia). Nous sommes avertis que la description de cette forme de vécu va se heur-
ter évidemment aux limites de l’hystérie, de la confusion, et de la schizophrénie, mais
il s’agit avant tout d’approfondir une structure psychopathologique sans entrer dans les
discussions nosographiques (p. 10 à 22).
251
ÉTUDE N° 23
…auto-observations Au milieu de janvier 1889. Antonie Wolf dut aller soigner ses neveux, et suppor-
d’une « expérience oni- ter un surcroît de fatigue. Son neveu l’empêchait de dormir, elle lui racontait alors des
roïde »… MAYER-GROSS. histoires : « Et voilà que dans la nuit il se met à crier que j’étais le loup et que je vou-
lais le dévorer. J’eus peur, et je sentis la maladie m’envahir de plus en plus... Il me vint
l’idée que je pourrais faire du mal à l’enfant. Je craignais de dormir, car la garde-mala-
de aurait pu, par transmission de pensées, m’inciter à l’égorger. Durant toute la nuit, je
suis restée sur le bord du lit, secouée de fièvre, et presque incapable de saisir une pen-
sée, j’étais malheureuse parce que je ne pourrais peut-être pas préparer la choucroute
et mon père n’aurait rien à manger le lendemain ».
Sa lassitude et sa frayeur augmentaient ; elle devait s’arrêter pour reprendre son
souffle. Elle ne pouvait se déterminer à en parler au médecin, qui venait souvent à la
maison.
Au début de février : « Une nuit je me suis réveillée brusquement et je croyais qu’il
y avait un homme sous mon lit. Mon père était assis près de moi. J’ai crié qu’une
potence avait été dressée pour me pendre. Il devait faire clair de lune, car je me crus
en plein jour. Une voix venant d’en-haut prononça : « Maintenant, le chemin franchit
sept cadavres ». Je vis des formes suspectes couvertes de draps blancs et je reconnus
les voix de mes cousins. Ils étaient de la branche paternelle. La vengeance du sang
devait donc s’accomplir et je les vis alignés côte à côte sur le lit. Quand nous serons
sept, le destin de la famille sera accompli et tout rentrera dans l’ordre. Une voix,
comme au Tribunal, demanda à l’assistance si j’étais digne de rester en vie. Je fis mon
examen de conscience. Puis je me trouvai dans une société secrète où l’on me mon-
trait du doigt. Je survolais des foules compactes, et les gens se moquaient de moi. Il
m’était très pénible d’être ainsi regardée par tout le monde. Il y avait des officiers et
des dames de la société, dont plusieurs que je connaissais, et je pensais qu’on m’avait
invitée pour me distraire. Nous allâmes ensuite par de sombres coupe-gorge, mais je
puis affirmer qu’il ne s’y passa rien d’inconvenant. Je faisais de vifs efforts pour gar-
der ma clairvoyance et examiner toutes les circonstances, mais ma conscience som-
brait par moments, et j’en venais, comme le disait Goethe, à perdre tout ce dont l’édu-
cation et les lectures m’ont rempli l’esprit. J’étais prodigue de mes forces et ne
connaissais pas le repos. Les voix se faisaient plus pressantes à mes oreilles. Me
croyant chanteuse dans un cabaret je rimais sans arrêt :
« Où nous reverrons-nous ?
Dans une salle de tatoués
Au bal masqué
Non, partout, partout. »
Elle remarque, à ce propos, que, depuis longtemps, des rimes lui venaient irrésis-
tiblement, dont le sens ne se déclarait qu’après. Lorsqu’elle se plongeait dans sa bai-
gnoire, elle croyait y voir un homme, un de ses voisins d’immeuble. A d’autres
moments elle croyait voir, comme dans un kaléidoscope, tel ami qu’elle avait reçu
quelques jours auparavant, et elle sentait avec angoisse tout son esprit chavirer. Elle
pouvait seulement tenter de réunir des bribes éparses échappées de ce « royaume d’im-
bécillité ». Mais, dit-elle, « puisqu’il faut entreprendre ce récit, allons-y rondement ».
Suit alors le récit des 14 jours du début de sa maladie :
« Tout autour de moi s’éclipsait, et je restai seule au monde. Ma chambre rétrécis-
sait, et au loin, des hommes en perdition criaient dans un monde en flammes. Le cris-
tal tintait. Tout se prenait comme dans un bloc de glace. Les grands espaces vides où
passaient les corbillards... Je vis le Dieu du ciel et le Kaiser Guillaume I à son côté, mais
252
BOUFFÉES DÉLIRANTES
je ne pouvais les rejoindre. Mon frère couvert de sang et d’éclats de verre remontait du …auto-observations
centre de la terre. Il se dressait près de mon lit comme un avertissement muet. Les d’une « expérience oni-
domestiques murmuraient des prières pour conjurer le sort. J’étais à leurs yeux possé- roïde »… MAYER-GROSS.
dée du diable. Les cercles m’enserraient toujours de plus près, et il me fallait sauver le
monde. Je ne possédais toujours pas le mot magique. Je pensais que j’étais « Gea » et
je me retournais sans cesse sur mon oreiller, cherchant le mot : « Qu’elle dise, qu’elle
se rappelle ! ». Mais le mot sauveur manquait toujours. Alors la nouvelle race apparut :
les Géants. Je les entendis s’approcher, ils me cherchaient comme leur mère, mais
j’étais si petite qu’ils ne pouvaient pas me trouver. Au loin, ils se lamentaient ».
Dans son rêve, disait-elle, ses pupilles élargies lui découvraient des espaces
immenses, les formes atteignaient le ciel. Au réveil tout était rétréci.
« J’étais profondément malheureuse et voulais me jeter par la fenêtre. Tout brûlait,
on m’accusait, et je n’y étais pour rien. Une fois, et cela est véridique, je me suis levée,
et j’ai vu un couteau de cuisine posé sur la table la pointe vers moi : la cuisinière vou-
lait me tuer, ainsi que mon père. Les domestiques étaient de connivence. Je ressentis
l’affreuse angoisse de ne plus savoir distinguer le vrai du faux. Dans la chambre voi-
sine, on se battait, c’est notre cuisinière qui venait d’avoir des jumeaux ; ils pleuraient.
Il y avait un prêtre, un diable et un médecin, trio qui m’était familier. Mon père vint,
ce qui est exact, me montrer une lettre Professeur Richter von Paukow. Elle était écri-
te à l’encre bleue sur papier réglé. J’eus la lumineuse certitude que mon père voulait
me nuire et je ne voulus plus le voir par la suite. En 1870, il avait été fournisseur aux
armées, et je le soupçonnais de malversations à l’égard du Grand Duc. Je l’avais soup-
çonné de faire de la fausse monnaie. Voilà pourquoi il nous donnait tant d’argent en
rouleaux. D’ailleurs, j’avais cessé de le prendre pour mon père. J’étais née du Grand
Duc, et cela n’avait rien de déshonorant pour ma mère. Maintenant, j’ai peine à ima-
giner avoir eu des idées aussi absurdes, mais j’en conclus que j’avais honte de mon
père. Dans mon enfance, je rêvais de connaître le Grand Duc, et cette pensée me ber-
çait en m’endormant. Samedi dernier, j’ai vu pour la première fois le conseiller
Furstner. Il était debout près de mon lit. J’ai craint qu’il ne m’entraîne dans des
endroits inconvenants. Nous étions avec la voiture à 6 heures. J’étais emmitouflée, car
il faisait un froid glacial ; en route on m’a passé à boire dans un bidon, je craignais que
ce soit du bromure ou un narcotique pour me maintenir calme pendant le voyage.
Quand mon cousin mit pied à terre, je lui dis : Max, veux-tu m’aider ? Je reconnais-
sais très bien les gens, mais je méconnaissais la situation. Je croyais qu’on voulait me
livrer à quelque hideux personnage haut-placé, pour racheter mon frère qui n’avait pas
fait son service militaire. Cette pensée m’apaisait, car éviter une punition à mon frère
que j’aimais bien, me rendait douce l’idée d’être une victime expiatoire. J’ai été dans
un cimetière, cadavre décomposé et putréfié.
Tous les cercueils s’ouvraient, mon frère en sortait, avec ceux qui lui avaient fait
du tort, et ils étaient nombreux. Il fallait autant d’années qu’il y a de grains de sable
dans le désert, pour le sauver, et il fallait que je reste encore après pour les sauver, eux,
et gagner le paradis en étant en repos avec ma conscience. Devant le « Pfälzer Hof »,
à M., un ami de mon frère s’est couché près de moi dans mon lit, et si près que je sen-
tis sa barbe. J’étais remplie de honte. On me suspendit à la porte de mon frère, et quand
il parut, ayant bu de l’éther, il était rayonnant de lumière. Je restai abasourdie et sans
force. On voulut m’obliger à me coucher auprès de lui, en plein jour, puis de joyeux
compagnons assez éméchés firent irruption et nous forcèrent à boire. Je me sentis gros-
sir et je devins un tonneau qu’on roula dans la cave, et l’on voulait me mettre en perce,
histoire de rire. Je me suis retrouvée dans la rue, sans vêtements, complètement per-
253
ÉTUDE N° 23
…auto-observations due et encore plus honteuse qu’effrayée. Je songeais au voyage de retour à M., où j’ha-
d’une « expérience oni- bitais depuis longtemps, et aux douze amis de mon cousin avec qui j’allais devoir cou-
roïde »… MAYER-GROSS. cher. J’étais devant la porte d’un de mes amis avec qui j’avais passé la nuit, et je pen-
sais à toutes les choses honteuses que j’avais dites et faites, je me figurais en voyage
à travers les neiges. Nous allions vers la Sibérie. Il y avait l’Empereur de Russie, il n’y
jouait pas un rôle toujours très louable. A ce moment-là, la surveillante Ida m’a portée
dans la baignoire. Je l’ai prise pour un homme déguisé. Après le bain, je me suis mise
au lit, et je me crus enfermée dans la Tour de Londres. J’eus tout à coup la révélation
que ma voisine de lit était Mme Tusseaud, la propriétaire du musée de figures de
Londres, et que les hommes de haute taille mutilés et réduits au silence, étaient des
mannequins de cire. On cherchait ensuite à assassiner Richard III. Je voulus demander
aussi une échelle de corde pour m’enfuir avec Julia, mais j’avais si peu d’énergie que
je me bornai à contempler les lumières de Tower Bridge et de la Tamise. Je me vis à
la morgue à Paris, exposée publiquement pour le plaisir de quelques amateurs. Le Dr.
Sch. jouait le rôle de marchand d’esclaves ou de diable, peut-être à cause de sa che-
velure qui profilait des cornes sur le mur, ou de sa difformité ». (Quand il empochait
sa clef, elle croyait qu’il cachait une clef de l’enfer). « Dans la nuit, je le sentais cou-
ché dans mon lit, et je me débattais et me sauvais continuellement. Puis je devins une
bobine de fils téléphoniques de la poste de M. et je me mis à réciter les communiqués
militaires qui m’étaient dictés ». (Elle avait l’habitude de s’enrouler plusieurs fois dans
la couverture). « Sur le pont du Rhin ; les Français avançaient. Je vis toute la France
étalée comme une vaste carte géographique et j’avais le pouvoir de sauver
l’Allemagne. Un mot de moi, et les Allemands survolaient le Rhin en ballon pour faire
décamper les Français. Puis les drapeaux de la victoire emplirent le ciel. Les bateaux
étaient couverts de guirlandes. Les anciens dieux soutenaient mon bras. Je me portai
alors à la hâte vers les champs de bataille d’Amérique. Nous cheminions sous terre,
dans un sombre cloaque. Un bloc de glace nous barrait le chemin. Nous progressions
et pourtant nous restions sur place. Sur la mer, agitée par les vagues, j’étais dans un
tonneau, poursuivie par une lumière rouge. Une voix me répétait sans cesse : « Tu ne
veux point combattre le Dr Katz ? » – « Non, je ne le veux pas », répondis-je, et le ton-
neau éclata. Je me retrouvai dans l’eau glacée, cramponnée à un iceberg. Des tonneaux
chargés de chaînes passaient, un pigeon-voyageur qui était Dieu me survola, parmi les
animaux sauvages et d’inoffensifs ours blancs. Je rompis la glace et voguai, voguai,
récitant des vers :
« Lui, le crâne rasé, sur la place du marché
Avec elle, sa voilette à demi relevée. »
Les animaux fantastiques apparaissaient dans les veinosités du bois de lit et ce
crâne rasé était sans doute la tête chauve du Grand Duc. Après quelques autres péri-
péties, sautant d’escalier en escalier, je parvins à d’autres caves. J’ai vu des râteliers,
des chevaux, un maître d’hôtel ivre dont le fils voulait m’assassiner. Dans la fosse aux
ours de Berne, les ours voulaient nous manger et les gens s’enfuyaient. Je me trouvai
dans une salle dont les murs s’étiraient. J’eus peur d’un grand tableau noir et je restai
près de la Grande Duchesse pour porter sa traîne. Mais en passant je tombai dans la
prison. Les lits de fer étaient des lits orthopédiques ou des lits de torture qui m’étaient
réservés. Je tombai dans un abîme. J’étais Napoléon III enfermé dans sa garde-robe.
Mes dents tombaient et disparaissaient dans la profondeur de la glace ». (Elle rêve
encore maintenant que ses dents tombent et produisent des craquements dans la
bouche). Elle vit ensuite des glaciers en Suisse, suscités par des reflets du parquet
254
BOUFFÉES DÉLIRANTES
brillant de la salle de la clinique à travers ses yeux mi-clos. Elle avait la sensation …auto-observations
d’être prise dans un glacier, tout en sachant être dans son lit). « Partout des soldats d’une « expérience oni-
suisses patrouillaient. Les yeux d’un prisonnier luisaient comme des diamants. Puis, roïde »… MAYER-GROSS.
j’étais dans un harem, et l’on riait à de plates plaisanteries. Nous étions nourries par
un tuyau qui nous traversait toutes successivement, et cela ressemblait à une ménage-
rie de singes ; un avocat célèbre nous souriait par la fenêtre. Il pleuvait sur le toit des
dents de cheval, nous étions assises les jambes croisées, et j’étais lasse de voir cette
assemblée de visages bleus qui ressemblaient à des mandrilles. Je pris place sur un
navire commandé par le Sultan Soliman, et je barrais adroitement en coupant les cor-
dages avec une épée ». (Elle se rappelle qu’elle était assise à la tête de son lit en train
de nouer les draps). « Les grandes malades étaient couchées dans les cabines. Sous une
pluie de gravier et de charbon, on ne pouvait plus s’y reconnaître et nous espérions
grâce à cela pouvoir nous évader en trompant la surveillance du Sultan et des esclaves
aveugles. Mais les cabines étaient construites en barres métalliques, et avaient toutes
la forme de canots à moteur à la proue desquels une surveillante était assise et trico-
tait, si bien que je les pris pour des chattes-tricoteuses. La porte sauta, et les grands
nègres entrèrent pour nous dévorer. Ensuite nous étions dans un oratoire. Les rideaux
étaient marqués de signes sacrés. Je sus que ce lieu s’appelait Gethsémanie. Je ne
savais pas bien ce que c’était, mais une malade invoquait constamment les noms des
saints. Je voyais de grands signes sur les murs, la tête du sauveur couronné d’épines,
et des larmes de sang, distinctes et colorées comme dans une vision. Quelques prélats
étaient là en capes rouges, sous les traits de Léon XIII.Je me rappelai alors une hallu-
cination antérieure. J’étais venue dans le clocher d’une église jésuite avec des gens qui
avaient le projet de se faire baptiser, et le mien était de les en empêcher. Du haut de la
nef, je voyais les robinets d’argent qu’on avait installés comme des machines hydrau-
liques. Je descendis à la hâte pour les ouvrir, le vin coula à flots et l’on disposa à l’en-
tour des plats délicieux. Les gens s’enfuirent, je me retirai sur l’autel, mais les géants
fermèrent les robinets et maîtrisèrent les flots. Je me sauvai par un souterrain, et je vis
l’Assomption de la Vierge, le Baptême de Jésus et le Portement de la Croix. Dans une
autre hallucination, je vis Bismarck aux bains assis dans sa baignoire. Nous parlions
de politique, et il était émerveillé de ma sagesse. Les trous de serrure étaient des télé-
phones et les bouches de chaleur des gueules de canons. Des bruits suspects annon-
çaient une attaque imprévue. Des diables passaient. Les chaises percées étaient des
encriers et j’avais peur d’y tomber. Je dis des incorrections à l’audience. J’allais être
condamnée ; j’étais couchée sur la table du Tribunal. Puis ce fut la guerre. J’étais direc-
trice de crèche et je parlais en français : « Oh ! Mlle, c’est pas fin, j’ai cru que vous ne
soyez plus fine 1 ». J’apprenais aux enfants à tricoter. Ensuite j’étais Blanche Neige.
J’avais pris une tricoteuse pour une méchante fée et je devais dormir constamment.
Près de moi, sur sa chaise d’enfant, Louis-Napoléon mangeait sa bouillie. Ensuite
j’étais en Suisse, au temps des cités lacustres. Les hommes étaient en guerre pour 100
ans. Rentrés dans leurs foyers, ils ne pouvaient se comprendre. »
Elle dit qu’elle crut voir des nains parce que les gens devant elle ne surpassaient
que de la tête les hauts bois de lits. Elle ne comprenait plus rien. Le conseiller à la cour
de F. ne différait en rien du Comte. Elle ne sut rien répondre quand on lui demanda de
se reconnaître sur un tableau où elle figurait en compagnie d’une amie, tant la ques-
tion lui parut obscure.
255
ÉTUDE N° 23
…auto-observations « J’appris que mon père avait été condamné à passer trois nuits au cimetière pour
d’une « expérience oni- racheter l’âme de ma sœur, transformée en corbeau. Je voyais au ciel le buste du Kaiser
roïde »… MAYER-GROSS. Guillaume. Je m’élançai vers lui par des chemins sinueux et aperçus, assise près d’un
chaudron de fer, une de mes amies pleurant son fiancé tombé à la guerre. J’entrai dans
le palais des fées pour le sauver. Je fus enterrée vive, et, assis sur mon lit, se tenaient
d’un côté le diable, de l’autre le Dr. B. et Mlle Sp., que je prenais depuis longtemps
pour un chapelain déguisé qui me faisait des avances ».
Elle savait bien que Mlle Sp. était une femme, mais elle s’en défiait de crainte de
se méprendre. Elle s’efforçait de contrôler son angoisse et son excitation et de garder
le contact avec les événements, mais rejetée perpétuellement d’une sensation à une
autre, elle ne cessait de s’égarer. La présence de son médecin la rendait plus lucide et
sans lui, elle se perdait à nouveau. On la forçait à s’alimenter, sans utiliser la sonde,
mais elle craignait perpétuellement d’être empoisonnée. Elle a gardé de tous ces faits
un souvenir très précis et sans lacunes. Elle se souvient que pendant 14 jours elle avait
pris l’habitude de tourner constamment la tête de droite à gauche sur l’oreiller dans les
moments de lassitude, ou après les périodes d’excitation. Puis, cela se calmait, et elle
essayait encore une fois « pour voir si cela allait toujours ». Elle raconte ensuite un épi-
sode où elle s’identifiait volontairement au cheval préféré du Kaiser, sans cesser, dit-
elle, d’être au moins en partie elle-même quand elle se voyait transformée en cheval.
« Lorsqu’on voulut me prendre la température, je crus d’abord qu’on voulait me
tuer, puis qu’on voulait m’appliquer une marque déshonorante, enfin je pensai que le
thermomètre était un instrument très précieux qu’il fallait protéger ; j’en conçus le
désir de sacrifier ma vie à la science. Je me conformais volontiers à la discipline ; je
me levais et me peignais seule, réclamais ma brosse à dents et de l’eau. L’image des
canons me revenait souvent. Je m’adossais aux bouches de chaleur en demandant :
« Attachez-moi donc à ces bouches de canon, pour que je m’envole comme une balle
à la tête de l’empereur de Russie. » J’avais vu à Berlin des tableaux de peinture russe
Weretschagrin, tableaux lourds et surchargés représentant des Indiens attachés aux
bouches de canon par les Anglais ou bien des officiers russes pendus à une potence au
milieu d’un tourbillon de neige. Cela m’avait fait une grosse impression. La cheminée
de la cour me suggérait que j’étais à Berne ou l’on brûlait des Juifs. A Schmalkalden,
on me tirait cruellement par les oreilles, et du suif me collait la langue au palais ».
Après quelques autres hallucinations semblables à celles déjà racontées, elle abor-
de une période où, dit-elle, « elle s’éveillait et reprenait conscience ». « Quand le Pr.
FURSTNER m’a demandé : « que pensez-vous de ce que vous aviez, je lui ai répondu
qu’il me semblait être restée alitée 14 jours, malade du tétanos, consciente de tout mais
incapable de bouger ou de prononcer un mot. Cela l’a beaucoup fait rire. » Elle se rap-
pelle qu’elle savait appeler les gens par leur vrai nom quand elle avait besoin de
quelque chose, et qu’elle reconnaissait ceux dont elle avait fait connaissance entre
temps, mais qu’elle n’avait aucune notion du lieu véritable où elle se trouvait.
« J’eus encore des hallucinations. Les nuits d’insomnies je faisais le compte des
bonnes et mauvaises actions humaines. Pour moi, les mauvaises prédominaient, et
c’est pourquoi saint Pierre me fermait continuellement la Porte du Ciel. Les malades
en camisoles étaient Adam et Eve. Mon ombre en chemise de nuit était le Juif Errant,
et je pensais qu’au moins je ne risquais pas de la perdre. Son grandissement et son
rapetissement m’effrayaient. Je voyais encore des sphères célestes en section, comme
les anneaux de Saturne. Je croyais voir alors des crinolines. Les cercles étaient lumi-
neux. Sur le plus haut était perché le coq de la Liberté ; il projetait de petites ombres
sur le clocher ; des œufs volaient en éclats et il me semblait que quand le dernier aurait
256
BOUFFÉES DÉLIRANTES
éclaté, le monde cesserait d’exister. Sur le cercle le plus haut du ciel étaient rangés mes …auto-observations
amis, mais je ne pouvais parvenir jusqu’à eux ; un œuf tomba du premier rang et roula d’une « expérience oni-
jusqu’au bas. Je vis dans un nuage un esprit et un ange, j’entendis une musique roïde »… MAYER-GROSS.
enchanteresse, mais il me fallait encore vivre seule. Un cercle de neige et de glace me
séparait du ciel, et soudain je voulus me cacher, car j’avais reconnu dans un rang supé-
rieur une amie décédée qui m’avait demandé de recueillir ses fillettes. Elle était morte
à Illenau et déjà elle était au ciel. Ensuite, je me vis dans un château couvert de glace.
Au dehors volaient des oiseaux, âmes des enfants naturels. Je ne pouvais les faire
entrer, car une sorcière apparut à la fenêtre. Tels sont les phénomènes qui ont marqué
mes 14 jours de maladie. Je me suis trouvée dans la chambre du haut. Le 28 mars, j’ai
pu me lever pour la première fois. Je crus avoir encore une hallucination : une énorme
étoile filante. J’avais encore du mal à lutter contre la peur. Ayant vu des diables à tra-
vers une porte entr’ouverte, je suis revenue pour une journée à la clinique. J’eus enco-
re un dernier cauchemar et ma période de dépression prit fin. Je me fis apporter des
livres, et traduisis en Italien un roman allemand, avec beaucoup de fautes au début,
mais je remarquai qu’à la fin je n’en faisais presque plus. Je chantais souvent, et sur-
tout le poème de Byron « Fare the well », ou « T’amio per sempre » avec toutes ses
variations, ou des complaintes, comme un orgue de barbarie. J’étais alors très gaie,
mais je voulais voir peu de monde, et certains médecins me faisaient encore peur, sauf
le Dr. Sch., à qui je suis éternellement reconnaissante. Je regrette vraiment de n’être
pas un homme pour devenir médecin aliéniste. »
Telle est résumée la première autobiographie d’Antonie Wolf. Les deux autres
récits de la malade sont, nous semble-t-il, moins intéressants et typiques. (L’ensemble
de cette auto-description occupe 25 grandes pages d’un texte très serré).
Après avoir étudié en détail la famille (p. 54 à 73) d’Antonie Wolf qui, à la géné-
ration de la malade, a compté plusieurs cousins maniaco dépressifs, un frère et une
sœur maniaco-dépressifs et une sœur schizophrène, MAYER-GROSS étudie les relations
de la psychose avec la personnalité de la malade (p. 73 à 83). La forme de vécu oni-
roïde est caractérisée « d’un côté » par la dispersion, l’instabilité, l’incomplétude de ce
vécu (c’est, dirions-nous, le côté négatif) et « d’un autre côté » (nous dirions du côté
positif) par la poussée de l’organisation scénique du monde objectif. C’est ce dernier …organisation scénique
du monde objectif…
point qui est important car la fiction kaléidoscopique se déroule liée et comme per-
sonnifiée aux événements et perceptions du monde extérieur. Les souvenirs et images
qui entrent dans la composition fantastique sont eux-mêmes dotés d’un fort coefficient
de « réalité », de telle sorte que l’ensemble est empreint d’un vif caractère de netteté
et de réalité scénique et c’est bien de réalité scénique qu’il s’agit car elle constitue un
matériel imaginaire dont, tout au moins à certains moments, la malade prend conscien-
ce. Tantôt en effet elle s’en éloigne et tantôt elle s’en rapproche. Les images visuelles
prédominent, mais il entre aussi dans la constitution de la scène hallucinatoire des per-
ceptions acoustiques (téléphone, voix, etc...). L’attitude de la malade oscille entre l’ac-
tivité parfois toute puissante ou, en tout cas, toujours et incessamment en train de se
poursuivre et la passivité qui s’exprime par l’érotique féminine de ses actions subies.
Dans l’ensemble tous ces traits, y compris le caractère de chasse endiablée d’images
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ÉTUDE N° 23
1. A. FOREL, Selbstbiographie eines Falles von Mania acuta, Archiv. f. Psych., 1901, 34, p. 2.
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BOUFFÉES DÉLIRANTES
ments cachés. Une explosion menaçait l’un des miens ; je les perdais tous dans une …observation de FOREL…
course folle, et quelqu’un cherchait à me sauver mais il ne pouvait m’atteindre. Une
révolte éclata, j’étais dans un labyrinthe et les hordes ennemies battaient les murs et
pourchassaient des êtres semblables à moi. Toute la nuit attentive n’osant à peine bou-
ger je guettais et essayais furtivement de trouver une issue en longeant le mur ; mais en
vain. J’avais à la main un sac plein d’explosifs. Enfin une grande lassitude m’envahit,
et je pus me calmer. Puis un ennemi me poursuivit à travers un théâtre incendié.
« Signorina, Signorina », déjà les murs étaient brûlants et je me sentais perdue. Survint
une inondation menaçante. Du haut du clocher je dominais un calme infini, l’eau avait
tout englouti mais voilà qu’elle pénétrait par les jointures des portes et des fenêtres.
J’entendis alors battre le tambour et marcher au pas cadencé. Puis ce furent des scènes
de confusion où l’on explosait, emprisonnait, fustigeait devant une foule exaltée. A la
fin je me trouvais avec plusieurs compagnons dans une cave où nous attendions d’être
jugés par le tribunal du peuple. Heureusement le fantastique baissa de ton et les choses
s’arrangèrent : je sortis mais j’avais tout perdu. C’est grâce à un ami que je me trouvai
au calme et je racontai malicieusement mon sauvetage à des membres de l’armée du
Salut dont l’uniforme portait un H flamboyant. Mon entourage était énigmatique. Étais-
je morte, ou étais-je au purgatoire. La différence d’un mort et d’un vivant ne me venait
pas à l’esprit le moins du monde. En ce lieu où se trouvaient des enfants italiens je par-
lais de Dante et de la Liberté. Je pris pour le Pape un homme maigre et véhément. Se
trouvaient là aussi la bienheureuse Catherine de Sienne et saint François. Je pensais que
Anna W. fut le modèle de la madone de la Sixtine ou bien la déesse Hora conduisant le
char d’Aurore. Je pensai que les surveillants faisant leur ronde régulière symbolisaient
les heures de la journée et je pris la femme du Pr. B. pour Pie IX venu par erreur ou pour
Ludovic Richter qui eut été enfermé dans une galerie de tableaux et oublié là. Une
vieille femme aux cheveux courts devait être Bach tandis que cette autre, avec des
tresses, était une dame noble de Bunsen ou bien Elisabeth Fry. Je pris I. H. pour
Pestalezzi, Mme B. pour Lavater ou Mme de Maintenon ou Louise de la Vallière et M.
N., pour Pascal. Tantôt j’étais à l’école de la grande Cathédrale pour un examen ou une
conférence, tantôt dans un bateau sur le lac dans une fabrique où je voulais distraire les
ouvrières avec toutes sortes de numéros de danses, des chants, des improvisations. Il me
semblait que je payais une dette de gratitude envers ma patronne, ainsi je mimais les
vagues de la mer ou les courses de pur-sang. J’étais aussi Myriam ou une des sœurs de
Sulamith ou un personnage de théâtre ou de roman. Je complétais l’intrigue où s’entre-
laçaient les réminiscences des « Promessi Sposi » de Manzoni que j’avais lu à l’école.
Par contre le rôle si envié alors de Sociétaire à la Comédie Française ne me charmait
nullement. Je « vivais » mon héroïne et jouais très aisément Antigone, Iphigénie ou
Jeanne d’Arc, etc... La déclamation me faisait du bien mais si la colère me prenait j’en
étais troublée. J’étais mêlée aux événements de l’histoire et je vivais avec passion : la
mythologie romaine, les histoires de lépreux ou de saints, de héros nordiques, de
Huguenots, la Révolution française, la bataille de Zurich, la guerre franco-allemande.
Je sympathisais avec le jeune Louis XIV, avec Louis XV, Louis XVI et sa famille dont
j’ai souvent vu les portraits dans une maison amie. Avec Napoléon Ier également et sa
mère Laetitia et Joséphine. J’avais de bonnes relations avec la maison d’Orléans. Je ren-
contrai la duchesse Hélène dans un chalet à Rigi, elle fuyait dans le mauvais temps avec
ses enfants. Il m’arriva de trouver dans les boulettes de pomme de terre du repas de
midi, de petites figures de cire qui se tournaient vers moi en signe d’intelligence. Avec
la dynastie prussienne, j’eus aussi beaucoup de relations, faisant visite à leurs châteaux
ou me rendant à leurs fêtes, j’avais une fonction de lectrice auprès d’un vieux et sévère
259
ÉTUDE N° 23
…observation de FOREL… Fritz, ce qui me donnait l’espoir d’être un jour ensevelie dans leur caveau de famille à
Potsdam. Déjà la mesure du tombeau était prise, c’est le banc de la cour de la cellule
qui servit de modèle. C’est un vieux galant Zurichois, ami de Chamisso, qui m’avait
recommandée. Le Reichstag me donnait du souci, je devais y remplacer Bismarck et sa
grosse voix s’il était en retard. Ma sœur était désignée avec Chamisso et Thumann pour
former des tableaux vivants devant la noblesse, et la bonne reine Louise avec l’empe-
reur Guillaume devaient s’y trouver. Mon père et ma mère tenaient les rôles d’Hermann
et Dorothée. Dommage que la représentation fut retardée. Je pensais que l’empereur
Guillaume II serait de passage et je voulus, en lui présentant mon hommage, lui deman-
der d’éviter la guerre et le retour d’atrocités semblables à celles du temps du chevalier
Fritz. Notre maison était destinée à abriter les monarques de passage. J’encourageais
aussi les relations entre les populations suisses et mecklembourgeoises, mais j’étais
également prête à manier les armes et j’avais commencé l’exercice avec zèle. Une invi-
tation de Berlin me fit plaisir. Le roi de Bavière se trouvait à la clinique et je pensais
que la reine mère était venue pour le soigner. Je reconnus quelques dames de compa-
gnie ainsi que la Kaiserine Friedrich dont le mari a restitué à mes amis de Suisse fran-
çaise un vieux presbytère qu’ils avaient quitté. (Les héritages et les gains de fortune
avaient un grand rôle dans mon esprit). Il m’arriva de prendre une compagne pour le
Roi Frédéric Guillaume IV ou pour mon professeur de dessin. J’en confondais d’autres
avec Fanny Kensel-Mendelssohn. Toute la famille Mendelssohn m’intéressait. Je crus
un moment que le Dr. Fr. en faisait partie ; lui-même d’ailleurs incarnait toutes sortes
de gens ; le jeune Goethe, Herbert Bismarck, un Rothschild, un prince russe et même
le prophète Mahomet allant honorer le tombeau de sa mère que je croyais être dans une
cellule. Mon directeur était tantôt Moïse ou tantôt Michel-Ange, Benavente Cellini ou
un pilote de Venedig. Je me vis aussi accompagner au Vatican une délégation helvé-
tique. Il m’aurait plu d’être comme saint Julien Anachorète dans un couvent ou de
peindre à la fresque un chemin de croix. Je fus aussi compagne des bâtisseurs de cathé-
drales ; je construisis des maquettes de piliers avec de la mie de pain et toutes sortes
d’ébauches. Un certain soir la cour de la cellule avait été une partie du Paradis terrestre
puis un lieu visité de missionnaires sous la protection allemande. On y trouvait aussi
des traces de bombes et les restes d’un cimetière. J’observais tout cela minutieusement
et évoquais mon enfance, mes anciennes camarades d’école. J’agrémentais l’histoire de
ma famille d’aventures empruntées à Goethe et qui faisaient revivre les souvenirs atta-
chés à ma maison. Celle de Goethe était adossée à la colline derrière les murs de la cel-
lule, elle recelait des manuscrits secrets. Ma mère s’était liée d’amitié avec lui et ma
grand’mère était Gretchen. Je vis construire une fonderie dont mes parents m’avaient
parlé qui devait être édifiée, semblable à une autre qui se trouvait à Versailles, selon les
plans qui dataient de la Renaissance. Mes idées suivaient une sorte de chronologie
déterminée et je revécus alors dans mes phantasmes à peu près tout ce qui s’était dérou-
lé dans ma vie ».
Cette malade reprit son rang social et notamment cultiva son talent de dessinatri-
ce, et vécut sans liaisons sentimentales, préférant satisfaire ses tendances religieuses.
En 1921, la visite que lui fit MAYER-GROSS permit à celui-ci de se trouver en face
d’une dame de 65 ans, gaie, « assez peu vieille fille » et ayant gardé une mémoire très
fidèle de sa psychose. Elle mourut en 1922 d’un cancer, sans avoir présenté de troubles
mentaux.
Un pareil cas pose naturellement le problème des rapports de ces états de confu-
sion (Verwirrtheit) avec la Schizophrénie (p. 98 à 101). C’est ainsi que BLEULER cite,
260
BOUFFÉES DÉLIRANTES
dit MAYER-GROSS, dans son fameux ouvrage (p. 92) des passages de l’observation de
cette malade comme démonstratifs des troubles de la pensée schizophrénique. Sans
doute, si l’on isole certains symptômes, ils sont communs aux deux états, mais leur
tableau d’ensemble paraît à MAYER-GROSS différent.
Pour bien comprendre ce problème, il faut faire, dit-il, une excursion dans la
pathologie des troubles de la conscience (p. 101 à 116 — ce sont peut-être les pages
les plus essentielles de ce livre.) L’auteur rappelle que ce chapitre reste assez vague en
psychiatrie. MEDOW 1 définit par exemple la conscience comme « capacité de percep-
tion de soi », mais il y adjoint ensuite des troubles de l’attention, de la mémoire, etc...
BUMKE également comprend sous le terme de « modifications de la conscience » toute
altération dans l’ordre clair et distinct des contenus de la conscience, mais il laisse en
suspens la question de savoir si ce trouble se retrouve dans tout « trouble de la
…MAYER-GROSS propose
conscience » ou est seulement le début de l’altération de la conscience. Les expres-
alors de considérer,
sions imagées de « clarté », de « foyer », de « champ » restent insuffisantes, et cela selon JASPERS, une série
vaut aussi pour les « degrés de la conscience » de WESTPHAL, les « oscillations de l’at- d’aspects fondamentaux
tention » de WUNDT, etc. MAYER-GROSS propose alors de considérer, selon JASPERS, des troubles de la
conscience…
une série d’aspects fondamentaux des troubles de la conscience :
1° Ce qu’il appelle la « conscience décomposée » (Zerfallende Bewusstsein) – 2°
la « conscience altérée » (Veränderte Bewusstsein) – 3° les « troubles affectifs » de la
conscience (Bewusstseinstörungen im Affekt).
Il y a lieu d’envisager d’abord l’état d’obnubilation ou d’obtusion
(Benommenheit) qui, selon le mot de JASPERS, reste, pour ainsi dire, suspendu entre
conscience et absence de conscience. Il est caractéristique d’un état intermédiaire entre
la pensée vigile, et la stupeur et le coma. Il témoigne d’un amoindrissement des fonc-
tions synthétiques, tel que PICK 2 l’a bien étudié par exemple dans la psychose de
KORSAKOFF. C’est pourquoi ce trouble est défini par le caractère « dissocié » de la
conscience (Zerfallende Bewusstsein). Mais comme ce terme paraît prêter à ambiguï-
té, nous préférons le traduire par « conscience décomposée ».
A l’autre extrémité de la chaîne nous rencontrons ce que JASPERS appelle la
conscience altérée (Veränderte Bewusstsein) dont la conscience rétrécie de BUMKE
peut être considérée comme le type. A cet égard cette forme de conscience morbide
représente une sorte de contre-pied de la conscience décomposée. Les contenus de la
conscience sont fortement différenciés et comme « découpés avec netteté en même
temps qu’ils sont coupés de la réalité ». Il y a une prévalence de la situation interne par
rapport au monde extérieur. Ces états correspondent notamment aux états paroxys-
tiques psychogènes du type de l’état crépusculaire hystérique. Si, dans la conscience
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ÉTUDE N° 23
262
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Les « troubles affectifs de la conscience » se rencontrent en première ligne dans la …Les « troubles affectifs de
folie maniaco-dépressive. Il n’est pas nécessaire d’insister. Ils se trouvent dans la schi- la conscience »…JASPERS…
zophrénie, et notamment sous forme des « états crépusculaires extatiques ». Mais, pré-
cise MAYER-GROSS (p. 107), ce qui est important dans ces troubles schizophréniques
de la conscience affective, c’est que l’indifférenciation Sujet-Objet, l’extension du
Moi, la fusion du Moi et de l’objet même du sentiment, l’union du Moi et du monde,
les identifications et projections du Moi, sont alors vécues sous cette forme même
« qui est généralement désignée comme appartenant seulement au vécu schizophré-
nique 1 ».
Quant aux états de la « conscience altérée », nous les trouvons rarement dans les
états maniaco-dépressifs, où effectivement les phénomènes psychogènes hystériques
et les réactions théâtrales n’occupent tout au moins pas le premier plan. Par contre, ils
se rencontrent fréquemment dans la schizophrénie, et notamment sous la forme d’états
crépusculaires pour autant que précisément l’état crépusculaire y apparaît comme un
renforcement de l’autisme.
Pour les formes de la « conscience décomposée », elles s’observent au cours de la
maniaco-dépressive sous deux formes principales : le vide de la conscience des
dépressions graves et les états confusionnels maniaques. Les états de « conscience
décomposée » au cours de la schizophrénie constituent les états que BLEULER a décrits
sous le nom de Benommenheit. Ces états se rapprochent de la pensée du rêve ou de
l’endormissement mais davantage de la conscience décomposée que de la conscience
altérée, de telle sorte que, répète encore l’auteur, il ne nous paraît pas extraordinaire
que nous trouvions dans ces états de troubles de la conscience des symptômes extra-
ordinairement analogues au processus primaire de la dissociation de la schizophrénie
(p. 109). Cependant cela ne veut pas dire que l’on tombe ainsi sous le coup de l’ob-
jection que ne manque pas de soulever, au moins apparemment, cette opposition. Il ne
s’agit pas en effet de dire que tous ces troubles de la conscience sont identiques ou
même « analogues » à la schizophrénie, même quand ils se produisent hors de la schi-
zophrénie. Cela en effet paraît impossible à soutenir, pour qui est sensible à l’atmo-
sphère schizophrène, qui, au fond, dit MAYER-GROSS, définit la schizophrénie sans que
nous sachions trop comment faire passer cette intuition dans une formule acceptable.
Le problème n’en reste pas moins difficile à régler, et cela notamment, à propos des
poussées schizophréniques aiguës : Les états d’extase — les réactions d’éloignement
de la réalité ou de délire de compensation 2 — les états hallucinatoires, plus ou moins
1. Cette phrase est textuellement traduite ici en raison de la façon cruciale dont elle pose le pro-
blème...sans le résoudre.
2. États et formes de réactions qui en France, à peu près à la même époque, ont été étudiés par
CLAUDE et ses élèves sous le nom d’états schizomaniaques.
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ÉTUDE N° 23
…« conscience décompo- confusionnels — les états de troubles schizophréniques de la pensée à allure aiguë —
sée » et « conscience alté- et enfin ces états de double orientation, de double enregistrement, ou de comptabilité
rée »…
en partie double 1 comme dit BLEULER.
Dans tous ces états la tendance à la dissociation l’emporte sur les tendances syn-
crétiques de la conscience oniroïde.
Les troubles de la conscience dans les formes de vécu oniroïdes telles que le « déli-
rium » ou les « états crépusculaires », les états oniroïdes se tiennent pour ainsi dire
entre la « conscience décomposée » et la « conscience altérée ». Qu’est-ce que cela
veut dire ? Comment s’articulent ces deux troubles, comment se distinguent-ils ? La
« conscience décomposée » ne se réduit pas, dit l’auteur, en fragments d’objets ou de
pensées, mais les perceptions isolées sont entraînées dans un torrent de souvenirs. Et
tantôt il s’agit d’un flux plus ou moins confus et désordonné au niveau de la conscien-
ce décomposée, et tantôt d’une dévastation de l’esprit (Hunneschlacht des Geistes). A
ce trouble correspond le caractère d’inachèvement et de déchaînement de la succession
des scènes. — De la « conscience altérée » surgissent de forts courants internes de
cohésion plus ou moins proches de la concentration de l’état normal. — Quant aux
« troubles affectifs de la conscience » ils se retrouvent par exemple dans ses sentiments
de bonheur ou d’élation du début de la psychose dans le premier cas, ou dans beau-
coup de scènes racontées par Antonie Wolf. Une des caractéristiques de ces états est
la clarté et l’intensité des contenus vécus de la conscience, caractères qui proviennent
de leur forte signification et qui expliquent précisément cet autre caractère fondamen-
tal : l’extraordinaire vivacité des souvenirs.
1. « Doppelte Buchführung ».
2. Observation d’une malade à l’Asile de LEUBUS, partiellement publiée par KLINKE (Jahrbuch f.
Psychiatrie, 1890, 9, pp. 319). D’après le complément d’observation de MAYER-GROSS, cette
malade est morte en 1910, à l’âge de 65 ans, n’ayant plus présenté de troubles mentaux.
264
BOUFFÉES DÉLIRANTES
angoisse m’étreignit et je me demandais si mon fiancé était réellement mort ? Déjà …auto-observation de
oppressée pendant la messe, au moment de l’Offertoire, je m’écriai brusquement : « II Martha Schmieder…
est mort » en pleurant et gémissant. MAYER-GROSS.
On s’empressa autour de moi, et l’on m’emmena bientôt dans la chambre du
bedeau. Quelques dames de la Communauté tentaient de défaire mes vêtements et de
m’allonger, mais je déclarai me trouver bien et vouloir retourner à l’église. Justement
le Prêtre administrait la Communion. Il me fit signe de reculer, je m’assis tranquille-
ment jusqu’à la fin de la Messe. Un diacre fut chargé de m’accompagner chez moi.
J’étais très lasse et presque incapable de m’entretenir avec mon aimable compagnon.
Je ne trouvais plus mes mots, et une fois seule, je fermai toutes les portes, et négligeant
de me nourrir, m’affaissai dans un fauteuil, sans pouvoir dormir. Peu à peu, je repris
des forces, et, les yeux mi-clos, je vis les murs de la chambre commencer à changer.
Ils brillaient pompeusement et offraient des couleurs mouvantes ; les rideaux, en tom-
bant, découvrirent des espaces inconnus. Les coins se peuplèrent d’objets d’art, vases,
médailles, statues de marbre. A l’opposé, je vis sur des chevalets, de grands portraits
de nos trois Empereurs d’Allemagne. Je crus avoir quitté le monde et me trouver dans
un sombre caveau d’où s’exhalait une odeur de pourriture. J’y distinguai un singulier
tombeau qui s’ouvrit lentement pour laisser sortir des morts vêtus mi parti-blanc, mi
parti-noir. C’étaient les Empereurs d’un temps très ancien, des héros et des grands
princes de l’Église. Tout à coup apparut mon fiancé, que je croyais mort. Je m’enten-
dis pousser un cri strident et supplier plusieurs fois : « Lazare, mon bien-aimé, lève-
toi ! 1 » et les larmes me coulaient. La porte s’ouvrit, la lumière augmenta, et je le vis
au loin, avec la fière stature qu’il avait lorsqu’il était bien portant. Ce fut une joie indi-
cible. Je lui demandai alors d’ouvrir le secrétaire, tout en me rappelant que la clef avait
disparu, et de prendre des lettres importantes. Il le fit très facilement et son apparence
s’évanouit, mais je continuai à rêver. Je voyais son corps se dégager de son envelop-
pe, d’abord les mains, devenues blanches et transparentes comme du marbre. Il fallait
promptement le sauver de toute emprise terrestre, car l’heure du retour du Seigneur
approchait et la lutte avec l’Antéchrist allait commencer. Dans la rue, une foule des
temps bibliques criait et appelait « au feu ». A midi, la bataille faisait rage, mais les
ténèbres revinrent. J’étais anxieuse de ces pillards avides de sang qui me cherchaient,
j’eus aussi le sentiment d’un espace étroit qui se refermait sur moi, car en me redres-
sant, ma tête heurta une paroi dure. Je crus être fixée sur une croix, ou couchée sur une
surface molle, mes vêtements se disloquaient et mon collier se rompit. Je devenais,
contre mon gré, de plus en plus légère, mais incapable de me lever. Les lumières cha-
toyantes se déplaçaient, puis à nouveau dans l’obscurité du caveau, des hommes appa-
rurent, mon père décédé, et d’autres qui me tendaient des mains suppliantes que je sai-
sissais. Les prières se faisaient plus pressantes comme je gravissais les marches. Il
devait faire nuit car une morne obscurité m’entourait. Je remarquai qu’on essayait de
crocheter la porte. Mon secrétaire s’ouvrit avec fracas, et mes meubles volèrent en
éclats. Mais que m’importait. J’étais déjà détachée des vanités terrestres, comme du
temps ; et je compris le sens de l’Écriture : « Pour Dieu, mille ans valent un jour ». Le
matin me plongea dans la douloureuse stupeur d’être encore sur terre, il me fallait trou-
ver le salut avant qu’on n’entre dans la chambre. A travers la porte ouverte, une faible
lueur entourait Sion, et me laissait l’espoir d’y être admise. Puis de nouveaux enchan-
tements défilèrent. Deux routes, l’une large, l’autre étroite s’engageaient sous la porte
de la Jérusalem Céleste. Des pèlerins allègres ou épuisés cheminaient. D’autres, n’en
1. Dans l’état oniroïde que nous avons rapporté précédemment (Étude n° 8, Tome I) on trouve la
même fiction.
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ÉTUDE N° 23
…auto-observation de pouvant plus, jonchaient les côtés de la route. Mes prêtres étaient en soutane blanche.
Martha Schmieder… Je les suppliais de m’emmener, mais ils ne pouvaient pas m’entendre. La Suisse se
MAYER-GROSS. dressa devant moi. Des paroles venant d’en-haut, signifiaient que l’on me cherchait,
quelques personnes parvinrent jusqu’à moi, mais devant mon hostilité, s’en furent. Je
parlais à l’assistance sur des sujets empruntés à la Bible ou aux prédications que
j’avais écoutées dernièrement. J’articulais des mots incompréhensibles avec le senti-
ment de lutter avec l’archange Michel et l’ange déchu. L’Antéchrist survint sous la
forme d’un dragon. Je fus empoignée, et je crus devoir sacrifier l’une de mes mains,
qui fut arrachée avec une violente douleur. J’entendis alors les pas de mon cher fian-
cé, ressuscité. Il s’approcha et je le priai encore une fois de prendre dans mon secré-
taire tout ce qui m’appartenait. La serrure sauta avec un fort craquement, il inspecta
méthodiquement tous les tiroirs. Il était près de moi, et je me sentais tranquille et heu-
reuse. Tout disparut, et je vis ma cousine à côté de moi avec une servante qui tentaient
de me maintenir au lit. Je fus indignée que ma cousine osât toucher de ses mains pro-
fanes la robe de soie brillante lamée d’argent dont les puissances m’avaient revêtue. Je
me réfugiai sous mon oreiller refusant tout échange ; je ne voulais ni boire ni manger
pour n’être pas ramenée à la vie. Quelques membres de ma Communauté étaient venus
me rendre visite, et je reconnus des voix de prêtres. Puis ma cousine me servit du café,
je la surnommai Marthe. Mais quand la sœur de mon fiancé entra, je me rappelai qu’el-
le était aussi ma sœur chérie Marthe. Je me sentais moi-même, comme Marie, déta-
chée de tout bien terrestre pour ne plus me tourner que vers les choses célestes ».
Elle raconte ensuite, qu’elle se rendit compte qu’on l’emmenait à la clinique, et,
une fois arrivée, elle se crut destinée à soigner les malades et à secourir son fiancé.
« Dans la chambre où l’on m’a conduite, deux cercueils identiques étaient posés : je
tendis amoureusement les mains vers le premier, et l’appelai, du ton le plus tendre dont
je fusse capable : « Lazare, mon chéri, lève-toi ». Puis je me dirigeai vers l’autre qui
devait contenir ma mère, je tentai de ranimer celle-ci par des paroles affectueuses. Il
me semblait que sous mes mains la mort devenait la vie. Mais ma vision s’élargissait,
et je me trouvai dans une arène contenant des centaines de spectateurs dont plusieurs
de mes amis. Dans cet entassement de têtes, je remarquai avec émotion le visage de
M. le Baron Von Richtofen. Je lui lançai tout haut un appel amical, et comme en même
temps je continuais, dans un zèle infatigable, à faire lever les morts, ma main heurta
violemment le mur, et je me foulai le pouce. Cherchant de l’aide je vis le Baron sau-
ter de la galerie pour venir soigner mon doigt malade. Je glorifiai notre Église capable
de guérir elle-même de graves maladies, et j’eus la satisfaction d’entendre M. le
Directeur Kahlbaum et plusieurs autres, parler dans les mêmes termes. Je leur exposai
que ma force sortait surtout de ma main droite, mais que de la gauche, proche du cœur,
rayonnait l’amour tout puissant, capable de tout surmonter, et même d’entrer dans les
tombeaux pour ressusciter les morts par la caresse de sa douce voix. Je m’exaltai à par-
ler, et gesticulais toujours plus. A ce moment, les murs devinrent transparents dans leur
partie inférieure, et je m’émerveillai. Je me trouvai subitement à Jérusalem, couchée
auprès d’un puits d’où les Israélites tiraient une eau dont j’implorais en vain une
coupe. Deux prêtres s’approchèrent pour écouter, vivement intéressés, la conversation
que j’avais avec Israël. Je pensais d’ailleurs avoir gagné l’autre monde en évitant les
affres de la mort. Longtemps après je me réveillai, et j’eus le sentiment d’être dans une
sombre prison. A de petites fenêtres grillagées se succédaient de chers visages connus,
et je désirai qu’on ne me dérangeât pas. Pourtant j’eus l’étonnement de voir entrer M.
le Directeur Kahlbaum en compagnie de M. le médecin le Dr. K. Je leur déclarai être
redevenue enfant, et leur vantai la vertu universelle de cet âge où se cache une grande
sagesse. Quand ils furent sortis, j’entendis près de moi des voix larmoyantes et je crus
266
BOUFFÉES DÉLIRANTES
l’Antéchrist revenu pour saccager l’Église avec une armée de sauvages. Alors deux …auto-observation de
surveillantes entrèrent avec un bol de lait et je compris qu’elles me disaient : Martha Schmieder…
« L’ennemi est en fuite, et à nous seules, nous vous avons sauvée des ruines ». Je ne MAYER-GROSS.
sais si de ma vie j’ai jamais accepté un bol de lait avec autant d’effusions de recon-
naissance. Il m’a fort bien restaurée, et je m’endormis. Je me réveillai à la nuit et tout
à coup, d’une hauteur considérable et dans un fracas de tous les diables, tomba sur ma
tête une énorme pierre de taille, qui m’occasionna non seulement une forte douleur,
mais une peur terrible. J’en restai abasourdie. Reprenant peu à peu mes esprits, je diri-
geai mes regards vers le haut, et une voix murmura : « Cette nuit, c’est la Visitation de
la Vierge. Il se passera des choses extraordinaires ». Et une apparition grandiose dis-
sipa l’obscurité : les apôtres Pierre, Paul et Jean baignaient dans une lumière céleste
et multicolore, revêtus d’habits magnifiques. Puis je me retrouvai dans mon lugubre
séjour. Une lumière filtrait vers la fenêtre. J’allai voir, et quand je me retournai, une
charmante créature était à côté de moi. C’était une jeune fille vêtue de satin blanc et
couronnée de myrte. Elle se dirigea vivement vers un piano qui venait d’apparaître et
posa sur les touches des doigts éthérés. Une profonde douleur me pénétra en entendant
les sons surnaturels qui sortaient sous ses doigts, car le sentiment de l’imperfection ter-
restre me toucha si tristement que je désirais ardemment n’être plus dans ce monde. La
jeune apparition recula de quelques pas, s’inclina en une profonde révérence, jusqu’à
toucher le sol de son visage, à plusieurs reprises, et resta agenouillée. Je m’agenouillai
à mon tour, et remplie d’un sentiment de dévotion, je posai ma tête aussi bas que l’our-
let de sa robe pour prier pour elle et pour moi. Après un long temps, elle disparut et je
fus ainsi abandonnée. Désespérée, j’examinai les fissures des portes, quand un être
grossier, ceint d’un trousseau de clefs, un bonnet sur la tête, comme un gardien de pri-
son s’assit en face de moi, puis disparut dans le brouillard, me laissant dans mon
ignoble cellule remplie de désordre, et où même le sofa était si sale qu’on ne pouvait
s’y asseoir. Par moments, des cris et des lamentations à l’extérieur me rappelaient les
soins que je devais donner aux malades, mais, pour la première fois, je pris conscien-
ce de ma faiblesse et je suppliais Mr. le Directeur Kahlbaum de me laisser aller car je
me sentais incapable de chasser les mauvais esprits de tous les malades, surtout sans
aide. J’entendis prononcer mon nom : la voix de mon fiancé qui, plein d’angoisse, me
cherchait. Posant mes regards sur l’imposte, je le vis, gémissant à déchirer le cœur,
pourchassé, et portant une lourde croix. Je répondis à ses gémissements, et l’accom-
pagnai d’un regard chargé d’amour et compassion. Enfin il m’aperçut, et put, avec
beaucoup de peine, se décharger de son fardeau pour venir me voir. Malheureusement,
nous ne pûmes rester longtemps ensemble, tant la pièce était sale et impraticable, et
après une courte et amicale salutation, il fallut nous séparer. Je me rappelai que c’était
la fête de la Visitation de la Vierge. J’appelai alors tous mes amis et relations, les
exhortant à profiter de l’occasion que Dieu leur donnait d’assister au miracle et
d’éprouver son amour. Qu’ils se dépêchent avant qu’il soit trop tard. Ils se groupèrent
les uns le long du mur, d’autres sur mon lit. J’étais assise devant la fenêtre, et l’auro-
re commençait à luire. Des images merveilleuses s’épanouirent. L’harmonie de l’en-
semble m’apparut d’une gravité chargée de sens et j’admirai avec respect les symboles
resplendissants. Il y avait des morts et des vivants qui marchaient de long en large ou
s’asseyaient, seuls ou par groupes, cherchant la paix. Un autel était dressé entre les
arbres, entouré des Vases de la sainte Communion. Des Anges grands et petits for-
maient de charmants groupes mêlés ; et d’innombrables pigeons voletaient. Un serpent
blanc et un noir s’entrelaçaient sur le sol, et les pigeons descendaient auprès d’eux sans
crainte. De-ci, de-là des sources claires bouillonnaient dans l’herbe, et ajoutaient enco-
re au charme du tableau. Sur le côté droit à l’écart, ma mère, décédée depuis longtemps
267
ÉTUDE N° 23
…auto-observation de était assise sur un banc. Elle se leva, soudain grave et délicieuse. Une Juive, que j’avais
Martha Schmieder… soignée lorsque j’étais surveillante chez Mr. le Dr. Kahlbaum était attablée en face
MAYER-GROSS. d’elle. Elles eurent toutes deux un contact silencieux et parfois embarrassé quand elles
échangèrent le pain et le vin. Un prêtre tenta de s’entremettre et éprouva bientôt le
même embarras. Je m’avançai également et je remarquai alors à mes côtés mes frères
et sœurs, qui m’écoutaient avec attention. Je leur expliquai le sens de mes nombreuses
apparitions, et je sentis mon corps et mon visage devenir irréels et désincarnés, tandis
qu’un immense sentiment de joie et de jeunesse me faisait oublier les tourments de la
terre. Le réveil à la pâle clarté du matin fut affreux. Je m’agenouillai à la porte de la
cellule, et frappai de toutes mes forces, car il importait désormais de restaurer le royau-
me de Judée. J’avais annoncé aux Juifs qu’ils pourraient bientôt reprendre leur magni-
fique Jérusalem, à condition d’être prêts à combattre, car l’heure du Christ approchait.
Je disséminai des miettes de pain à divers endroits du plancher en pensant par analo-
gie à la communion luthérienne, et cela m’éclaira sur bien des points restés obscurs
dans les prédications apostoliques. Je demandai pardon à Dieu des paroles obscures
que j’avais pu prononcer jusque-là par ignorance. Vers midi, on vint me changer. Je
considérai cela comme une agression dirigée par la surveillante contre mon existence.
Le soir, je me retrouvai dans l’église. Les prêtres, couronnés d’étincelantes pierreries,
avançaient sur la route céleste, et une clarté m’aveugla jusqu’à remplir mes yeux de
larmes. J’expliquai aux étranges êtres qui m’entouraient que la fin des temps était arri-
vée, que nous étions les derniers habitants de la terre, et que la nouvelle humanité arri-
vait. Tandis que je parlais, les ténèbres succédèrent aux célestes apparitions, et de noirs
serpents se levaient à mes pieds, m’obligeant à reculer, sans savoir où fuir. Des gens,
vainement, cherchaient refuge auprès de moi. Enfin, après quelques instants de lutte
pénible, la magnificence de Sion s’ouvrit devant moi. Une voix d’une beauté et d’une
force surnaturelle me fut donnée, que j’employais dès lors à chanter les mélodies
célestes aux bienheureux, mais je me retrouvai bientôt dans l’obscure nuit des com-
bats. Je fis une longue marche en chantant, mêlant les chansons de jadis à des airs nou-
veaux, et qui me conduisit dans la cour de la demeure d’une famille aristocratique que
je connaissais, et avec qui j’entrepris sur-le-champ une conversation approfondie sur
la religion. Je distinguai parmi l’assistance feu le Kaiser Frédéric que je retrouvai plus
tard dans ma maladie. Il règne sur les régions les plus élevées de mon être, il est mon
protecteur et mon défenseur, mon conseiller et mon consolateur dans les durs
moments. Il est tout pour moi. Lorsqu’il eut disparu, je crus ma fin venue, ma gorge
serrée me privait de voix et de respiration. Je me tordais de douleur, il n’y avait d’eau
nulle part, depuis cette nuit pleine d’événements où les puits furent obturés, et la mer
elle-même desséchée. La famine était sur tout le pays. On réclamait du Champagne
pour se désaltérer, mais rien. J’entendais les supplications de mes deux frères morts, le
plus jeune disait : « Je suis ton benjamin », mais moi, courageuse, voulais tout sur-
monter. Je versais si intimement dans la religion juive, que je parlais l’hébreu ancien.
Moïse est le prêtre que je fréquentais le plus pendant les premiers temps de mon séjour.
Je me liais beaucoup à lui, il m’apporta sa protection et m’expliqua la loi judaïque, des
tableaux mirifiques défilèrent devant mes yeux : une rangée de Tabernacles, et la mon-
tagne sacrée. Lors de la grande sécheresse, où l’eau manqua totalement, Dieu déchaî-
na la mer qui vint battre contre les maisons. Puis il fit tomber une pluie bienfaisante et
trembler la terre. Les montagnes vacillaient, les arbres tremblaient en tous sens, et sur
les collines branlantes, les pierres tombales venaient se réunir au bas, et mes parents
et amis se relevaient s’appuyant les uns sur les autres. Le Kaiser, sanglé de blanc et
casqué d’un acier étincelant, traversait les airs. Tout cela avait la magnificence de
l’Orient. Une autre fois, le char de feu vint emporter Élie, et moi qui étais son fils
268
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Elissar, je devais rester et attendre mon destin. J’accueillais différemment les gens ou …auto-observation de
les personnes selon le sentiment qui m’habitait. Ainsi ma solide foi m’armait d’un Martha Schmieder…
véritable héroïsme devant les tourments que j’eus à supporter, et auprès desquels la MAYER-GROSS.
faim et la soif qui régnèrent au temps du Pharaon, lors des sept plaies d’Egypte, étaient
peu de choses. C’étaient les serpents. Ils s’enroulaient sans cesse autour de moi et arri-
vais-je à les écarter qu’ils me reprenaient aussitôt. Leur plus cruelle façon fut de péné-
trer mon corps à quatre, et de fouiller le fond de mes entrailles. Puis les puces me
recouvrirent complètement, quand elles eurent disparu c’étaient des vers de terre qui
se mouvaient dans mon corps ou le parcouraient en tous sens. Ensuite je me trouvai la
tête placée à l’envers, et quand cela cessa, mon corps en resta pourtant déformé. J’en
conçus un grand désespoir et tentai, en vain, de rendre à mon corps son état naturel,
par exemple par des massages. Puis l’idée me vint qu’on me voulait du mal, que l’on
me poursuivait et qu’on menaçait ma vie. Cent ans nous séparaient de la Révolution
Française. Mais, en vertu de ma foi, j’éprouvai en moi-même une véritable Saint-
Barthélemy. On devait me couper les membres, et cela était si vrai que je ressentais
déjà la douleur. A la fin, on a scié la partie postérieure de mon crâne, et j’ai senti le
sang suinter de la blessure entr’ouverte. Le Kaiser et la reine ont toujours pris une
place déterminante dans mon destin, soit qu’ils fussent des tyrans, soit qu’ils me pro-
tégeassent. Il m’était souvent douloureux de voir mes parents et mes amis jouir du
bonheur céleste tandis que je luttais, l’âme remplie d’amertume, dans des combats
désespérés, il m’arrivait d’entrevoir un instant, par une petite fenêtre, leurs joyeuses
réunions. Peu de temps avant ma maladie, j’avais commencé l’étude de l’orgue. On me
fit alors une opération à chaque bras parce que, disait-on, les doigts doivent être diffé-
rents pour l’orgue et pour le piano. Dès lors, j’eus parfois des impressions anormales
quand au nombre de mes doigts, j’en comptais 4 à une main et 6 à l’autre, ou quel-
quefois 4 à chaque main ». — Suit un long épisode où elle déjoue les machinations de
sa cousine qui voulait ruiner son enseignement, elle organise des concerts avec
l’Empereur, et des tournois d’éloquence. Elle fit quelques rêves de voyage, puis, « Je
suis revenue à la maison, où se passa un événement frappant : par une veine ouverte
de mon bras, reliée à mes parents et amis, on me faisait une transfusion de sang grâce
à laquelle j’allais entrer dans la mort. Nous nous tenions les mains, en une chaîne inin-
terrompue, tandis que le sang coulait de tous les corps. Nous mourûmes ainsi douce-
ment et sans souffrir. J’ai dû perdre conscience assez longtemps, car, au réveil, je me
suis sentie changée. La transfusion fut répétée par la suite, mais avec des étrangers.
J’éprouvais une vive angoisse à admettre ainsi dans mon être intime des particules
étrangères, peut-être opposées à moi. La crainte de perdre tout mon sang m’était aussi
très pénible. Souvent c’est la jugulaire qui s ouvrait spontanément ; une autre fois la
veine du cœur se rompit pendant que je chantais, et je perdis connaissance. » — Les
infirmières la soignaient et la traitaient comme une enfant, et les gens étaient des
géants ; leurs têtes, surtout, avaient des dimensions inhabituelles. Par la suite elle eut
conscience de grandir 14 ans, puis s’arrêta à 18 ans. Elle pensait aussi être morte et
venue dans un monde incompréhensible. Son corps irradiait une puissance magné-
tique, qui s’appliquait surtout par les mains ; elle dispersait des brins de laine dans sa
cellule, et peu à peu ils se regroupaient auprès d’elle ; sa grossière robe de laine grise
devenait une soie blanche éblouissante quand elle la touchait, et quand elle remuait ses
mains en l’air comme des marionnettes, des flots d’étincelles en jaillissaient. Dès que
le soir tombait, les esprits venaient la garder ou la servir, mettre ses vêtements et sa
chevelure en ordre. Ils avaient parfois des allures de malfaiteurs, et elle se retrouva
ainsi en pleine bataille, à Sparte, sous les murs de Troie avec le Kaiser, le Directeur,
aux prises avec les poisons, enfermée dans le même cercueil que son fiancé. Elle
269
ÉTUDE N° 23
270
BOUFFÉES DÉLIRANTES
la sorte toute orientation et ne savait plus distinguer la nuit du jour. Elle revit les …auto-observation de
malades qu’elle avait soignés, et fit revivre ceux qui étaient morts et qu’elle nourris- Martha Schmieder…
sait grâce à des fragments de son repas qu’elle cachait quand l’infirmière était partie. MAYER-GROSS.
Elle pensait que sa famille mourait de faim dans un souterrain au-dessous de sa
chambre, et cette pensée la tourmentait. Elle se croyait dépossédée de tout, et vivant
de charité sur une literie prêtée.
« Mes tourments moraux croissaient de jour en jour, à tel point que souvent les
apparitions vinrent à manquer, mais des cataclysmes me menaçaient perpétuellement
d’être enterrée vive sous l’écroulement de la maison ». Le doute et la faiblesse l’en-
vahissaient. Elle voulait mourir. Les visions l’y invitaient, le Kaiser lui faisait des
signes. Toute autre arme qu’un poignard lui semblait indigne. S’ouvrir les veines n’eut
pas de résultats, alors elle tenta de s’enfoncer les ongles dans le cœur, et perdit
connaissance. Elle se souvient aussi de s’être étranglée avec un essuie-main, et récem-
ment de s’être à moitié arraché l’œil gauche tant les angoisses et l’amour du Kaiser
Guillaume la tourmentaient. Le lendemain, elle se sentait faible et « cassée intérieure-
ment comme un tas de débris de poteries ».
« Et comme mes prières pour ma délivrance demeuraient vaines, je pensai avoir
été achetée pour un harem où des femmes en très grand nombre rivalisaient de beauté
et se disputaient le rang avec acharnement. Certaines, pour être plus éthérées, ne se
nourrissaient que de raisins secs, d’autres pour être préférées clamaient :
— J’offre pour cela mes yeux !
— Moi, ma main gauche !
— Moi, je donne trois doigts !
— Moi, ma jambe !
et les cris d’angoisse qui résonnaient à nos oreilles me laissaient penser que ces
dons étaient prélevés et que mon tour arrivait. Ma Foi en était le gage, et pour la ten-
ter encore, on m’injecta la sérosité d’un cadavre. J’étais encore pleine de terreur,
quand on vint me préparer à partir en voyage (c’était vers le mois de mai). Je respirai
allègrement. Je ne savais pas ma destination, mais j’étais résolue ».
Pendant le trajet, elle fit de continuelles fausses reconnaissances de gens et de
lieux, et arrivant à la maison de Santé de Leubus, elle pensa venir en prison pour expier
par l’eau et le pain sec ce qu’elle avait dit ou fait pendant sa maladie. Elle voulut
d’abord travailler, car elle ne se sentait pas malade, mais ne comprenait pas grand-
chose à la situation. D’ailleurs elle n’avait pas affaire à des gens, mais à des esprits, et
tout concourait, par exemple le sédatif du soir, à la conduire au ciel. Puis elle versa à
nouveau dans une atmosphère d’angoisse et de culpabilité. La signification symbo-
lique des moindres objets lui échappait, car elle avait perdu espoir et inspiration. Elle
confondait les plus misérables malades qui l’entouraient, avec les membres de sa
congrégation venus pour se mortifier. Elle-même se sentait faible et rompue, elle avait
du mal à parler à voix haute, et pourtant une voix lui ordonna de se surmonter et de
crier.
« Mais, dit-elle, à présent je suis devenue obéissante aux ordres du Kaiser. Je ne
pouvais pas crier en présence des autres personnes même si je l’avais voulu. Je pus
seulement pousser un faible cri, devant l’insistance des demandes. L’empereur
Frédéric me dit que, mécontent de mes premières tentatives de désobéissance, il allait
me priver de ma voix de chanteuse. Cette pensée me tourmentait, ainsi que mes rap-
ports avec la maison impériale. Je versais bien des larmes suppliantes aux pieds des
Empereurs Frédéric et Guillaume pour obtenir mon pardon ».
271
ÉTUDE N° 23
…auto-observation de Elle déclare, de plus, que les rapports avec les morts commençaient à l’inquiéter,
Martha Schmieder… et qu’elle sentait monter, du fond de sa faiblesse, un fort désir de vivre. Le sort moral
MAYER-GROSS. et matériel de son entourage la préoccupait. A chaque bouchée, elle faisait des vœux
et des conjurations mentales qui la liaient à telle ou telle malade. Elle avait l’impres-
sion que leur bien-être et même leur énergie psychique étaient détournés par des gens
du bas peuple, avides de pouvoir et de richesses. Elle projetait, à sa guérison, de tra-
vailler la terre, ou quelque autre rude besogne, pour gagner son pain, car, dit-elle, il
faut bien s’adapter ». Mais, en même temps, elle se promettait de redoubler d’efforts
dans l’entreprise de « revivification générale des esprits » et, pour le présent, elle
remarquait la nécessité de se soigner mutuellement, entre malades. Il lui arrivait, par
moments, de se sentir transformée en une statue de bronze et de ne pouvoir bouger et
une voix qui l’incitait à se lever la plongeait dans une vive angoisse. Des malades qui
chantaient des cantiques, l’exaspéraient car, à la lumière des révélations d’ordre reli-
gieux qu’elle avait eues, cela prenait l’aspect d’une misérable profanation. Et souvent,
ces malades lui « suggéraient » des pensées ou des paroles en contradiction avec ses
convictions religieuses et elle en était révoltée.
« II me vint à l’idée que les paroles étaient une sorte de chapelet circulant à la
ronde et que le méchant hasard voulait toujours qu’il m’échût de prononcer précisé-
ment les paroles de profanation. Pour l’empêcher, je me « barrais » le cerveau, c’est-
à-dire que, par un effort inouï, je m’isolais du monde extérieur, et tâchais de rester tota-
lement inactive ; je restais couchée dans mon sarcophage (ainsi m’apparaissait souvent
être mon lit) et je sentais mon sang m’engourdir dans mes veines puis je me transfor-
mais en quelque personne vivante : le Baron von Richtofen, le Dr. Kahlbaum, ou tels
de mes élèves ou amis. J’évoquais aussi mes anciennes amours, et des silhouettes
agiles sautaient dans mon lit, contre moi ou sous les couvertures. Des charmantes
conversations s’engageaient, nous faisions des jeux de mots ou évoquions des souve-
nirs drôles. Mais il pouvait arriver qu’un de mes parents soit « attrapé » par les voix
médisantes des autres malades ou des infirmières, et je m’en plaignais douloureuse-
ment au vieux Fritz. Mais de grands personnages venaient me consoler ; et lorsque par
méchanceté on chantait dans le voisinage pour me retirer mes dons musicaux, des
formes éthérées en perruques poudrées ou tricorne sur la tête, musiciens, poètes,
auteurs dramatiques, se groupaient autour de mon lit. J. S. Bach seul y manquait. Ils
prédisaient la résurrection de l’art et l’épanouissement d’un âge heureux. Mais aussi
des apparitions horribles se manifestaient (ici, à Leubus, tandis que chez Kahlbaum,
c’étaient des apparitions d’une vive beauté). J’appris à connaître des choses aux-
quelles, de ma vie, je n’avais pensé : des crimes, des images grimaçantes, les particu-
larités les plus dégoûtantes des gens. Au début, je croyais tout pouvoir braver, mais
avec l’affaiblissement de ma Foi, croissait ma superstition. Je commençai à craindre la
sorcellerie et les influences qui, par exemple, me faisaient injurier mentalement une
malade, ou me lançaient une vive douleur dans un membre, ou déposaient une arai-
gnée dans mon lit. Et comme au fond de moi-même, j’étais incapable de souhaiter du
mal à quiconque, mes violences ou mes injures n’étaient pas le fait de ma volonté.
C’est mon imagination maladive qui me rendait violente, et j’en venais à le regretter.
La raison de mon internement se faisait peu à peu jour dans mon esprit. J’étais sous la
contrainte de mon entourage, je ne me sentais pas malade, et l’absence de mes proches
se faisait de plus en plus cruelle, et me faisait parfois pleurer. Il me fallait défendre leur
image dans mon souvenir, me défendre de l’influence de mon entourage qui me rebu-
tait. J’avais cru, parmi ces malades, en reconnaître que j’avais connues chez le Dr.
Kahlbaum et certaines que j’avais ressuscitées et que le Dr. Kalhbaum m’envoyait.
Mais certains autres me suivaient pour mon œuvre apostolique, ayant fui leur famille.
272
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Enfin, il y avait de malheureux domestiques congédiés et toutes, je devais les aider, …auto-observation de
alors que j’étais si faible. Je désirais de toutes mes forces me sauver. Cette promiscui- Martha Schmieder…
té me rappelait constamment les effroyables transfusions de sang que j’avais subies. MAYER-GROSS.
Des gens s’appropriaient ma chair et mon âme et pouvaient aller au ciel avant moi, et
moi ressusciter dans la chair d’un autre. Ces rêves inextricables m’agitaient sans
qu’aucune lumière me guidât sauf parfois cette parole d’un prêtre qui avait dit que
l’âme d’un aliéné est gardée par Dieu qui la rend intacte à l’heure de la mort. C’est
alors que je vis s’élever devant moi, riant, Nicolas Lendus tenant une harpe d’or, et une
claire lueur parsemée de diamants et brillant comme des gouttes d’eau nimber mon lit.
C’est mon âme dis-je tout bas ».
C’est là la dernière apparition fantastique qu’elle eut, à part, jusqu’à la fin d’août
1889, des bruits de machine à vapeur, et des conversations entre « ses morts » qui lui
faisaient soupçonner la surveillante de s’occuper de nécromancie. Par contre 1, elle
était de plus en plus persuadée que l’on captait sa pensée, que ses pensées d’autrefois
étaient révélées à tous, qu’on l’obligeait à penser contre son gré. Les cloches, les
aiguilles à tricoter des couturières étaient un langage qui, soit trahissait sa pensée, soit
lui communiquait celle des autres. Le sujet de ses confidences lui déplaisait souvent et
éveillait en elle des tempêtes de sentiments : d’abord furieuse et indignée elle se livrait
à des violences et à des actes et paroles, qui la plongeaient dans les remords, la com-
passion et l’amour du prochain. Parfois, elle se croyait enfant, ou bien elle se retrou-
vait vieille, ridée et édentée. Elle n’ignorait jamais son âge, mais croyait à la chrono-
logie renversée, comme fit Dieu qui, pour prolonger la vie d’Ézéchias mourant, dépla-
ça les cadrans solaires. Il y avait aussi, avec l’entourage, des échanges de force magné-
tique (soit que les autres aient dormi grâce à un don de son magnétisme, soit qu’elle
se sentit épuisée parce qu’on la volait, soit qu’elle ait dormi grâce à la force des
autres). Lorsqu’elle était au bain, elle apercevait à travers les lattis, des gens sans doute
revêtus de peignoirs, qui pour elle étaient des esprits. Mais cette fois ils lui étaient
familiers, elle aurait voulu les aborder pour les interroger sur ses parents défunts. Elle
ne se préoccupait d’ailleurs plus guère de religion ni de spéculation métaphysique, tout
cela était trop élevé, et la certitude avait fait place à un doute douloureux. Elle aspirait
vivement à retrouver la liberté et ce sentiment contre-balançait l’angoisse d’être per-
pétuellement épiée et devinée par les autres malades ou les êtres malveillants, en plus
des conversations véritables qu’il fallait soutenir. Elle se réfugiait au jardin et
s’écriait : « J’ai besoin de calme, je veux réfléchir » lorsqu’une infirmière venait l’en
déloger. Le premier livre qu’elle a lu semblait paraphraser sa situation, mais pauvre-
ment et sans l’intéresser. La première fois qu’elle a joué de la musique, elle crut que
ses mains avaient changé, et qu’il lui faudrait tout apprendre à nouveau ; quelques
semaines plus tard, jouant au réfectoire elle sentit l’ébauche d’un progrès. Sa voix, par
contre, avait gardé encore cette extraordinaire virtuosité dont elle parlait au cours de
sa maladie, pour revenir peu à peu à une capacité normale. Elle ajoute qu’à l’heure où
elle écrit ceci, elle ressent parfois encore ses impressions de présences furtives autour
d’elle, mais depuis un certain temps les moments libres de phénomènes hallucinatoires
s’allongent et elle reprend possession de son esprit. Les derniers moments pénibles
étaient dus au brusque retour du sentiment d’être devinée à distance et d’être le récep-
tacle des forces mauvaises et malveillantes des autres malades, et cela se déclenchait
dès qu’un soupçon de son entourage effleurait sa pensée. Lorsqu’elle se reposait après
déjeuner, sans cependant dormir, il montait devant ses yeux comme des vapeurs
1. Comme nous l’avons précédemment fait remarquer (p. 250) ici l’expérience délirante remon-
te à un palier supérieur, celui de l’expérience hallucinatoire.
273
ÉTUDE N° 23
1. Ce cas a fait l’objet des articles de RYCHLINSKI {Arch. f. Psych., 1896, 28, p. 625) et de
POBIEDIN (Allg. Zeitschr. f. Psych., 1902, 59, p. 482), sous le titre de Psychose périodique hallu-
cinatoire.
274
BOUFFÉES DÉLIRANTES
1. Nous ne pouvons nous empêcher à propos de ce cas de nous rappeler les discussions sur le cas
de Van Gogh et notamment sur les diagnostics faits par JASPERS (schizophrénie) et par F.
MINKOWSKA (épilepsie). [NdE : MINKOWSKA F. : Van Gogh . Les relations entre sa vie,sa mala-
die,son œuvre, Evol. Psych. V, I, 1936 69-76. Voir aussi à ce sujet la note 2 de l’Etude n°26].
2. Nous profitons de cette occasion pour dire que cette double perspective est celle-là même qui
constitue les coordonnées entre lesquelles, pour nous, s’inscrit la courbe de la vie psychique et
aussi la psychopathologie que nous présentons dans ces « Études ».
3. Dans notre propre matériel clinique à Bonneval, nous comptons environ 30 % de psychoses
maniaco-dépressives qui comportent des états oniroïdes, des crises à forme hallucinatoire et déli-
rante ou des crises qui passent à des niveaux encore plus inférieurs.
4. Sur ces états confusionnels si bien et si largement étudiés par l’École française (DELASIAUVE,
SEGLAS, CHASLIN, RÉGIS, etc.), MAYER-GROSS fournit (note p. 175) une bibliographie strictement
allemande, bibliographie sans doute précieuse pour nous et dont nous reparlerons dans notre
« Étude n° 24 », mais qui a scotomisé complètement aux yeux de nos collègues d’outre Rhin tous
les travaux de l’École française. Le cas n’est certes pas particulier, mais il faut le signaler pour
en souligner les funestes conséquences.
275
ÉTUDE N° 23
— Nous passons alors au cas de Robert Gast soigné longtemps par WILLMANN (pp.
189 à 223). Cette longue observation très détaillée comprend aussi une auto-observa-
tion très intéressante (pp. 210 à 223). Nous ne pouvons pas, sans sortir des limites
« honnêtes » de cet exposé, en donner les détails.
Il s’agit d’une observation dont le type évolutif est peu fréquent et déconcertant.
Antécédents héréditaires chargés (père, grands-parents, frère, oncle, etc...) fils d’un
ingénieur, né en 1881, intelligent. Premiers troubles vers 20 ans, la psychose débute
par une longue période de 5 ans de troubles au cours de laquelle on note successive-
ment un « état oniroïde » aigu de courte durée puis deux accès et après une rémission
complète, une nouvelle poussée hallucinatoire. Tous ces troubles durèrent avec
quelques oscillations de 1908 à 1912. Puis en 1913 il guérit et demeura pratiquement
guéri jusqu’en 1922 date à laquelle MAYER-GROSS l’a vu.
…problème des relations Ce type d’évolution pose le problème des relations de la schizophrénie à forme
de la schizophrénie à intermittente et épisodique avec les états mixtes hystéro-névrotiques, c’est-à-dire avec
forme intermittente et épi-
les « fameuses » psychoses dégénératives et atypiques dont nous avons tant parlé au
sodique avec les états
mixtes hystéro-névro-
début de cette étude. L’histoire du frère du malade est celle d’un déséquilibré schizoï-
tiques… de, hypocondriaque excentrique. Sa mère avait présenté une crise de plusieurs mois
avec délire, anxiété, tentative de suicide, théâtralisme. Quant à sa grand’mère mater-
nelle, elle avait présenté également de fréquents accès d’excitation. Tout cela relie au
fond ici l’état oniroïde étudié à une histoire personnelle et familiale où les diagnostics
de « catatonie » et de « crises maniaco-dépressives » flottent un peu.
276
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Elle était issue d’une famille de négociants des provinces baltes en 1873. Hérédité
également très chargée (plusieurs cas de type maniaco-dépressif dans la famille).
L’observation est d’un très grand intérêt car elle est établie sur la base de deux sortes
de documents : une correspondance très importante avec WILLMANNS qui la soigna et
trois auto-observations (1903-1903-1910). L’évolution a commencé par une crise de
mélancolie dès l’âge de 16 ans avec un syndrome de dépersonnalisation. Ensuite
rémission jusqu’à 25 ans, puis une longue suite d’états de dépression, d’hypomanie, de
confusion qui font penser à la schizophrénie. Mais qui ne connaît de ces malades très
longuement internés et pourtant « circulaires » (p. 273) !
D’après l’évolution, il s’agit d’une psychose périodique mais avec des tableaux …MAYER-GROSS a le
cliniques atypiques. Cette « atypicité » correspond aux états oniroïdes dont nous constant souci de les distin-
guer de la schizophrénie…
voyons que MAYER-GROSS a le constant souci de les distinguer de la schizophrénie.
Les cas Kreuznacher (pp. 272 à 282) et März (pp. 282 à 292) n’apportent, en
dehors des observations elles-mêmes, rien de nouveau.
Les conclusions de cet ouvrage un peu touffu, hétérogène mais d’une si grande
richesse, sont les suivantes (p. 224 à 296).
1° Les états confusionnels (Verwirtheitzustände) au cours des psychoses endo-
gènes se sont trouvés éclipsés soit par des considérations étiologiques, soit par l’ex-
tension du domaine de la schizophrénie. Nous avons essayé, écrit MAYER-GROSS, de
désigner l’essentiel de leur caractère psychologique en les désignant comme « oni-
roïdes », c’est-à-dire comme un type de trouble de la conscience qui se rapproche de
la conscience du rêve.
2° L’incorporation des « formes oniroïdes du vécu » aux troubles de la conscience
pose le problème des syndromes schizophréniques qui apparaissent dans ces troubles.
Il a donc fallu rechercher à délimiter ces « états oniroïdes » des troubles schizophré-
277
ÉTUDE N° 23
— Nous ne saurions certes rien ajouter 1 à cet exposé d’un travail qui n’a pas, à
notre sens, retenu suffisamment l’attention des écoles psychiatriques contemporaines.
…Pour nous [le travail de Pour nous il est d’une particulière importance, car il a nettement marqué la nécessité
MAYER-GROSS] est d’une d’introduire un échelon dans la série de niveaux de déstructuration de la conscience,
particulière importance,
échelon essentiel puisqu’il nous permet de saisir dans le passage d’une conscience hal-
car il a nettement marqué
la nécessité d’introduire lucinante à la conscience onirique le palier qui rétablit la continuité naturelle de la
un échelon dans la série régression de la conscience depuis les crises maniaco-dépressives jusqu’aux états
de niveaux de déstructu- confuso-oniriques. Nous avons pu voir, en effet, en pénétrant dans les parties vives de
ration de la conscience…
l’œuvre de MAYER-GROSS que toutes les psychoses oniroïdes contiennent pour ainsi
dire nécessairement les structures du niveau supérieur. L’ « état oniroïde » contient la
déstructuration temporelle éthique du niveau maniaco-dépressif, la dépersonnalisation
et la qualité hallucinatoire du vécu délirant, mais il y ajoute (en tant que forme de
278
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Pour bien saisir maintenant quel palier existentiel représente le niveau de déstruc-
turation de la conscience qui correspond au type des psychoses aiguës que nous étu- …quel palier existentiel
dions, nous devons encore revenir un peu en arrière, à nos analyses de la manie et de représente le niveau de
déstructuration de la
la mélancolie. Nous avons vu, au sujet des crises maniaco-dépressives, qu’elles étaient
conscience qui corres-
un jeu (manie) ou une tragédie (mélancolie) qui expriment soit l’avidité effrénée pond [aux bouffées déli-
(manie) soit l’arrêt fatal (mélancolie) de l’élan vital vécu comme un temps indéfini- rantes]…
ment ouvert (manie) ou définitivement fermé (mélancolie). La structure temporelle-
éthique des crises maniaco-dépressives situe précisément ces troubles à un niveau de
déstructuration élevé, celui de la temporalité de la conscience (et non celui de la
conscience du temps...). Il nous a paru en effet bien évident que dans l’ordre du déve-
loppement psychique de l’être humain, comme à l’analyse de son organisation psy-
chologique, la possibilité d’intégrer l’action en accord avec les exigences de l’ordre
moral et l’orientation des perspectives temporelles vitales, se situe au sommet des opé-
rations de la conscience. De la conscience tout à la fois « morale » et « temporelle »
en ce sens que, à ce niveau, elle est la régulation même du désir de chaque instant rela-
tivement au désir global de l’existence. C’est ce qu’en termes plus simples, mais trop
sommaires, on appelle quelquefois 1’« équilibre » affectif, émotionnel ou thymique,
ce qui, à nos yeux, a l’inconvénient de réduire à une sorte de qualité simple la déstruc-
turation temporelle de la conscience infiniment trop complexe et dynamique pour s’ac-
commoder d’une telle simplification, d’une telle falsification. Si donc nos analyses de
la mélancolie et de la manie sont exactes, il est aisé de se rendre compte que la
conscience et le monde maniaque et mélancolique sont là comme pour nous montrer
que le premier niveau de déstructuration de la conscience altère l’être dans la liberté
de son mouvement.
279
ÉTUDE N° 23
— L’originalité des troubles qui sont vécus dans les bouffées délirantes et les psy-
choses hallucinatoires aiguës est constituée par ce fait capital que ce sont des troubles
de la perception. Nous avons dans notre exposé clinique montré une fois encore que
les distinctions habituelles et traditionnelles entre interprétation, imagination, halluci-
nations, pseudo-hallucinations, etc... ne résistaient pas à l’analyse pour la bonne raison
que si l’hallucination n’est pas un phénomène sensoriel primitif, s’il n’y a pas lieu de
se cramponner à cette notion périmée, il faut bien qu’elle soit un trouble plus global
de l’activité de la conscience et dès lors les barrières artificielles entre illusion, intui-
tion, hallucination, interprétation, imagination, doivent tomber puisque ce trouble glo-
bal enveloppe ces variétés particulières.
280
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Qu’est donc cette structure essentiellement hallucinante de la conscience ? …Qu’est donc cette struc-
Autrement dit, qu’est donc la perception ? Nous ne pouvons pas songer ici à faire une ture essentiellement hal-
lucinante de la conscien-
étude approfondie de ce problème qui constitue, comme nous le faisions remarquer
ce ? Autrement dit, qu’est
récemment, le centre de gravité de la psychiatrie car il est le problème même des rela- donc la perception ?…
tions du réel et de l’imaginaire. Aussi nous pardonnera-t-on de désirer être ici plus
clair que complet : « Ce qui garantit l’homme sain contre le délire ou l’hallucination,
ce n’est pas sa critique, c’est la structure de son espace », dit excellemment MERLEAU
PONTY 1. La perception, sa « fonction » et son sens nous renvoient en effet au problè-
me de l’espace. Mais, comme nous l’avons déjà indiqué dans nos analyses cliniques
(notamment à propos de l’observation de Marguerite L.), il ne saurait s’agir ici de l’es-
pace du monde objectif, de cet espace qui enveloppe et forme dans ses dimensions
l’objet du monde extérieur et lui confère les qualités sensibles par quoi il se dévoile à
nous comme un objet réel, « là-dans-l’espace », c’est-à-dire dans la réalité la plus soli-
de et la plus indiscutable, il ne s’agit pas de l’étendue du monde physique. La percep-
tion extérieure n’est en effet qu’une partie de l’acte de percevoir qui dresse le vécu
dans un espace représenté. Cet espace vécu est l’ordre même dans lequel se compo-
sent « du dehors » et « du dedans » les formes subjectives et objectives du « champ
phénoménal ». Cet espace vécu dans la coupe du temps figure la rencontre actuelle du
Moi et de son Monde. Peu nous importe ici de nous référer à KANT ou à HUSSERL, à
BERGSON, à PALAGYI ou à MERLEAU PONTY et nous nous abstiendrons de toute érudi-
tion. Ce qui nous importe au contraire, c’est de bien comprendre que la perception,
c’est cet ordre en tant qu’il nous ouvre une perspective sur le monde présent en intro-
duisant non seulement ses dimensions dans le monde des choses qui sont perçues dans
le champ de la conscience, mais en « mettant au point » les relations réelles du Moi à
son Monde. Il importe également de souligner que si la perception est conscience et
pensée, elle est cette forme de conscience et de pensée qui est enfermée dans l’actua-
lité du présent réel et concret de l’expérience immédiate de chaque moment du temps.
Le réel perçu est le réel du « là-maintenant », c’est-à-dire encore une fois non pas le …Le réel perçu est le réel
du « là-maintenant »…
réel que notre raison peut développer dans l’abstraction ou que notre mémoire peut
nous représenter, mais le réel qui entre dans le « champ phénoménal » de ma conscien-
ce et de mon corps pour autant que celui-ci est le lieu où s’enracine la totalité de l’es-
pace que je vis et de l’expérience actuelle qui s’y présente en événement. Ce fonde-
ment des moments de notre existence, cette perception qui fait communiquer le Moi et
son Monde par le contact corporel et sensible, constitue une couche de la vie psy-
chique sous-jacente et antécédente à la structure temporelle-éthique dont nous avons
analysé la dissolution à 1’ « étage » supérieur de la manie et de la mélancolie : anté-
281
ÉTUDE N° 23
1. Ceci naturellement ne peut être évident que pour celui qui veut bien accepter de considérer,
avec nous, que la structure temporelle de la conscience, telle qu’elle se trouve altérée dans la
manie et la mélancolie, n’est pas ce temps qui se confond avec l’espace dans la perception de la
vitesse d’un objet, c’est-à-dire le temps physique en tant que dimension de la perception du
monde des objets.
2. Cf. E. MINKOWSKI, Le temps vécu, 1933, Vers une psychopathologie de l’espace vécu, pp. 366
à 389. — L. BINSWANGER, Das Raumproblem in der Psychopathologie, Zeitschr. f. d. g. Neuro.,
1933, 145, 598-647 et MERLEAU PONTY, Phénoménologie de la perception, pp. 324 à 344.
282
BOUFFÉES DÉLIRANTES
S’il en est ainsi en effet, l’hallucination n’est pas seulement la perception sans …l’hallucination n’est
objet extérieur, c’est plus généralement la perception qui mêle l’imaginaire au réel. pas seulement la percep-
tion sans objet extérieur,
Mais non pas comme lorsque j’imagine une maison connue et que « j’altère » cette
c’est plus généralement
« représentation » en y mêlant des détails faux et imaginaires ; mais pas non plus la perception qui mêle
comme lorsque le réel et l’imaginaire se mélangent dans un « récit », un « projet », l’imaginaire au réel…
un « espoir » ou un « jugement », mais comme se mêlent le réel et l’imaginaire sur le
registre sensible de la spatialité actuellement vécue. De telle sorte que — pourvu
qu’elles aient toutes cette propriété — entre les diverses variétés d’hallucinations et
entre les hallucinations et les symptômes voisins que l’on s’acharnait à distinguer les
uns des autres il y a cinquante ans (illusions, pseudo-hallucinations, hallucinations
psychiques, psychomotrices, interprétations, sentiments d’influence, automatisme
mental, représentations de nos souvenirs, etc.), il n’y a pas de différences essentielles.
Tous ces phénomènes, symptômes ou troubles plus ou moins hallucinatoires sont les
effets d’un même processus d’indifférenciation de l’espace vécu dans la perception,
d’une osmose actuelle de l’imaginaire subjectif et de l’espace objectif. C’est cette
fusion qui constitue la structure même de l’activité hallucinatoire, fusion qui est,
certes, projection du subjectif dans l’objectif mais aussi, et inversement, pénétration
de l’objectif spatial dans le subjectif. Et nous touchons là à la structure dynamique la
plus profonde de l’activité hallucinatoire qui suppose tout à la fois et nécessairement
l’aspect négatif et formel de l’indifférenciation spatiale et l’aspect positif et inten-
tionnel de la projection des valeurs subjectives dans le monde objectif, structure en
« partie double » qu’aucune théorie mécaniciste ou psychogénétiste ne peut totalement
283
ÉTUDE N° 23
1. Tel est le sens de la conception générale de l’activité hallucinatoire que nous avons dévelop-
pée depuis 20 ans. Tout d’abord nous avons lutté pour l’établir contre la conception mécaniciste,
puis, plus tard, quand a mûri davantage notre conception organo-dynamiste de la psychiatrie,
nous avons lutté contre le préjugé psychogénétiste — car, en fin de compte, la conscience hallu-
cinante est, comme nous venons de le souligner, une forme d’expérience vécue irréductible aux
variations normales de la vie psychologique réactionnelles aux situations ou aux conflits internes
puisqu’elle suppose une modification structurale de l’espace vécu. Nous nous rencontrons donc
ici avec les analyses psychopathologiques d’E. MINKOWSKI (Le Temps vécu) et de L.
BINSWANGER, (loc. cit., p. 282, 1933).
284
BOUFFÉES DÉLIRANTES
la métaphore, que rien ne peut être « perçu » du corps dans la conscience que nous en
prenons qui ne fasse figure d’objet de la nature et d’image de soi.
Ce clavier sensible des relations existentielles du Moi et du Monde, cet espace
mixte et intermédiaire est donc le lieu privilégié et premier des bouleversements de la
structure spatiale de la perception, de la fusion des espaces vécus. Et si le terme de
« dépersonnalisation » est appliqué parfois à des troubles de la sensibilité périphérique
du corps qui, eux aussi, doivent recourir aux images de la métaphore pour être éprou-
vés comme des « brûlures », des « fourmillements », des « allongements », des
« piqûres », des « picotements », des « distorsions », des anomalies perceptives
visuelles, sonores, etc.. c’est en vertu du préjugé sensationniste impliqué dans une
théorie de la dépersonnalisation plutôt que par une analyse phénoménologique exacte
des troubles. La dépersonnalisation ne commence en effet que lorsque l’altération du
corps est vécue comme une altération du sujet et non seulement de son corps. C’est
précisément ce que le terme de « dépersonnalisation » indique dans son sens simple et
fort. Or la dépersonnalisation est aussi une « déréalisation » ou plus exactement une …la dépersonnalisation
expérience bouleversante de 1’ « étrangeté », de la « nouveauté » et de la « monstruo- est […] en fin de compte
une invasion réciproque
sité » des rapports du Moi et du Monde, c’est-à-dire en fin de compte une invasion
de l’espace objectif et de
réciproque de l’espace objectif et de l’espace « psychique », du réel et de l’imaginai- l’espace « psychique »…
re. Cela est si vrai que les expériences de dépersonnalisation que nous observons si
souvent soit dans la clinique des psychoses aiguës ou paroxystiques, soit dans la mes-
calinisation, sont vécues comme une forme du fantastique et non pas seulement
comme un accident « périphérique » de la « perception du corps ». Les images, ou plu-
tôt l’imagination nécessaire à la constitution de cette expérience, qu’elle se rencontre
chez le fumeur d’opium ou de hachisch, au moment où le parkinsonien va s’endormir,
ou chez l’alcoolique qui se réveille de son délirium ou encore au début d’une « bouf-
fée délirante », etc..., cette participation d’imaginaire est là, non seulement comme un
complément indispensable, mais comme une dimension nécessaire de l’expérience
délirante. Le corps se déforme et se dissout dans la pénombre d’une métamorphose
plus globale, celle de la confusion des espaces qui composent l’architectonie, la pers-
pective organisée de la réalité présente. Soit que la lumière de la pièce s’adoucisse, que
flottent les objets dans une capiteuse atmosphère docile aux caprices de l’euphorie,
que les couleurs s’avivent et que le monde extérieur, pimpant et animé, s’enrichisse
jusqu’à se rendre étrange par l’excès même de sa somptuosité — soit que, tout au
contraire, il s’obscurcisse, se remplisse d’ombres et de gouffres ténébreux, que se
trouble la réalité et que l’espace perde son équilibre et sa fixité pour chavirer dans le
mouvement vertigineux de l’angoisse jusqu’à figurer le noir et l’opacité d’un monde
hostile, étranger et étrange.
La dépersonnalisation oscille entre ces deux pôles, ces deux modalités de pulsa-
285
ÉTUDE N° 23
tions affectives (structure dramatique sur laquelle nous reviendrons) elle lie nécessai-
rement à l’étrangeté du monde extérieur — celle du corps lui-même lourd, pantelant
et morcelé ou bien merveilleusement dispos et éclatant de force — et celle du noyau
central du Moi, lui-même vide et impuissant ou transfiguré et surnaturalisé. C’est donc
…C’est donc le champ le champ phénoménal entier du sensible qui est ici bouleversé par une sorte de méta-
phénoménal entier du
stase des coefficients de valeur d’objectivité spatiale, car, non seulement les objets s’y
sensible qui est ici boule-
versé… déplacent ou remuent, grimacent et se transforment mais le bras s’y continue avec la
jambe, le tégument incapable de contenir les formes du corps dans leurs limites natu-
relles s’y laisse traverser par les objets, les monstruosités fantomatiques du corps dila-
céré et écartelé s’y juxtaposent ou s’y combinent entre elles et la pensée solidifiée s’y
…Métaphores fulmi- casse comme du verre, se plie ou se noue comme un fil. Métaphores fulminantes
nantes immédiatement immédiatement vécues comme les images de cette réalité en effet essentiellement ima-
vécues comme les images
ginaire et inexorablement imposée comme la forme sensible même de la fatale actua-
de cette réalité…
lité du monde présent lequel se donne comme tel sans trêve ni merci. La structure fon-
damentale de ce « trouble de la perception » que la seméiologie classique détaille en
symptômes (troubles cénésthopathiques, sentiments de jamais vu, de déjà vu, d’étran-
geté, illusions, hallucinations cénésthésiques, troubles du schéma corporel, etc., etc.)
réside, on le voit, dans le bouleversement et la compénétration des structures spatiales
qui sont comme les catégories de la réalité pour autant que celle-ci n’est pas seulement
pensée, représentée ou méditée mais « sentie », engagée dans l’actualité immédiate de
l’instant vécu.
Or c’est une donnée clinique irréfragable à laquelle aucune analyse, pour si artifi-
cielle ou tendancieuse qu’elle soit, ne peut échapper, que cette expérience de déper-
sonnalisation est effectivement précédée et conditionnée par un premier degré de
déstructuration de la conscience qui est précisément sa déstructuration temporelle-
éthique, c’est-à-dire que ces expériences supposent nécessairement le vécu maniaco-
dépressif. L’exaltation et l’angoisse en constituent les courants intentionnels fonda-
mentaux qui orientent ces expériences soit dans l’élan de l’euphorie soit dans le sens
de la dépression, qui fournissent à la dépersonnalisation sa thématique de féerie ou de
cauchemar. Rien dès lors de surprenant à ce que les analyses de la manie et de la
mélancolie nous aient montré qu’elles touchaient au plan de la dépersonnalisation,
qu’elles nous la faisaient, en tout cas, pressentir.
286
BOUFFÉES DÉLIRANTES
cession temporelle du vécu en tant qu’il entre en moi, me touche ou dépend de moi.
Mais l’espace virtuel de notre pensée comporte encore une autre dimension : le Moi
n’est jamais seul, et 1’ « autre », l’image d’autrui, occupe aussi une place à l’intérieur
de notre propre pensée face à nous-mêmes ; de telle sorte que non seulement le champ
phénoménal subjectif s’organise comme un espace physique mais aussi comme un
milieu social.
C’est le passage de la virtualité mouvante de cet « espace vécu » à l’expérience
d’une multiplicité pour ainsi dire mathématique, ou en tout cas à celle d’une duplicité
radicale qui constitue le fond de l’expérience hallucinatoire ou, si l’on veut, la struc-
1. Pour nous comme pour MERLEAU PONTY, répétons-le encore, le champ phénoménal de « la per-
ception », la conscience organisant, vivant et sentant l’actualité de son monde, suppose nécessai-
rement la totalité de son horizon avec ses deux points cardinaux spécifiques : le moi et le monde.
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ÉTUDE N° 23
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BOUFFÉES DÉLIRANTES
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ÉTUDE N° 23
1. Cf. les pénétrantes analyses d’E. MINKOWSKI, Intériorité, extériorité, spection, in Vers une cos-
mologie, 1936.
290
BOUFFÉES DÉLIRANTES
triche, celle d’un faux espace, d’un espace plastique, cadre virtuel de l’objectivation
seulement « représentée » et « imaginaire ». Et comme nous le verrons dans l’Étude
suivante, la confusion onirique et plus encore le rêve du sommeil se caractérisant par
la dissolution de l’espace objectif et sa submersion par l’espace imaginaire, ici, à ce
niveau, celui des états oniroïdes, il y a juxtaposition de ces deux modalités d’espace,
comme une diplopie du vécu visuel et comme une double perspective qui tend à
confondre ses plans sans jamais y parvenir complètement ; de telle sorte que les deux
mondes de cet espace visuel s’affrontent et se complètent, qu’ils se pénètrent sans
jamais pouvoir complètement s’exclure. Le vécu de l’espace imaginaire est prévalent
cependant et il constitue un foyer de fantastique qui se projette non seulement comme
sur un écran sur le monde perçu, se superpose à lui, en enduit et bariole la surface, mais
…l’espace virtuel du
encore l’infiltré et le gonfle de ses propres images. Non seulement ici l’espace virtuel monde subjectif s’est
du monde subjectif s’est actualisé et pour ainsi dire solidifié, mais il rayonne mainte- actualisé et pour ainsi
nant comme pour éclipser le monde extérieur ou en tout cas le faire reculer. dire solidifié…
Le sujet de cette expérience oniroïde de la déstructuration de la conscience est ici
comme happé par la profondeur vertigineuse de ses perspectives internes et déjà
(comme dans la conscience hypnagogique avant qu’elle ne sombre dans le sommeil et
le rêve) il est fasciné par la miraculeuse éclosion d’événements qui se forment et se
déroulent non plus seulement sur la scène intérieure de sa conscience mais dans le
champ même de son Monde. Car si, comme l’a si admirablement vu J. P. SARTRE 1,
l’imaginaire onirique est sans mondanité, la conscience oniroïde reste, elle, capable de
constituer l’imaginaire en monde sur le modèle et sur le reliquat démantelé mais enco-
re subsistant du monde des objets.
Là encore les niveaux supérieurs de déstructuration subsistent avec leur phénomé-
nologie propre et il n’y a pas d’état oniroïde qui ne comporte plus ou moins la phéno-
ménologie de la manie et de la mélancolie, et aussi celle de la dépersonnalisation et
celle de la conscience hallucinante (Il suffit de nous rapporter aux belles observations
de MAYER-GROSS et aux discussions qu’elles ont provoquées dans l’ouvrage même de
cet auteur). Ainsi l’angoisse ou l’excitation, ces courants intentionnels violents, ces
voix ou ces vécus d’étrangeté et de mystère, se mêlent au développement scénique de
la fiction qui malgré la cohésion de ses péripéties dramatiques ou esthétiques demeu-
re traversée de soubresauts, se ralentit ou s’anime au gré des forces déchaînées en tour-
billon ou immobilisées dans la syncope de l’effroi. Mais toujours c’est la richesse du
vécu, la prodigalité des ressources imaginatives, la profusion des fantasmes qui exer-
cent comme une pression incoercible de fantastique et impriment à la fiction son
« tempo » d’irrésistible mouvement. Cette coulée de rêve se répand, et ses péripéties
291
ÉTUDE N° 23
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BOUFFÉES DÉLIRANTES
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ÉTUDE N° 23
ture en bouleversant les valeurs d’objectivité des phénomènes qui se répartissent dans
tel ou tel « espace » ou « catégorie de réalité ». Lorsque JANET écrivait que l’halluci-
né et le délirant sont des malades qui se situent mal dans l’échelle de la réalité, il ne
disait pas autre chose et on ne peut s’exprimer ni plus simplement ni plus fortement.
294
BOUFFÉES DÉLIRANTES
globale ? Pour nous, en effet il s’agit maintenant non plus de décrire une structure,
mais d’en représenter l’architectonie.
STRUCTURE NÉGATIVE.
reflètent ce processus pour autant qu’il passe au niveau d’une coupe moyenne et idéa-
le que nous allons un peu arbitrairement opérer au travers des psychoses délirantes
aiguës de ce type.
a) Le vague de la pensée.
La « divagation » qui s’exprime dans le comportement soit de la turbulence exal-
tée soit de la perplexité anxieuse accuse le trait maniaco dépressif que nous avons déjà
noté, celui de la perte de la pensée réfléchie. Mais ici la conscience n’est pas seule-
ment désaxée quant à son mouvement et son élan, elle n’est pas seulement incapable
de se fixer et de converger utilement sur le foyer de l’action présente, elle ne se dis-
perse pas ou ne s’arrête pas « simplement », mais plus désintéressée du réel, plus déta-
chée de sa fonction essentiellement abstraite et de son activité propre d’organisation
du réel, elle se concrétise et se condense en substituant à sa forme réfléchie et diffé-
renciée une masse d’idées et d’images agglutinées. La rêverie, celle du « mentisme »
et de 1’ « automatisme mental » incoercibles devient la forme structurale de cet entraî-
nement et de cette chute vers un mode de pensée tout à la fois magique et syncrétique.
La « fascination » de la pensée par elle-même et ce vertige qu’elle-même engendre
devant son propre vide sont ici aux antipodes de la pensée réfléchie, sereine et pleine.
En se « prenant » (comme dit J. P. SARTRE à propos de la conscience de l’endormisse-
ment, comme on dit qu’une crème « se prend ») elle se prend elle-même dans le réseau
inextricable de sa condensation, dans les vagues de son vague.
b) L’état crépusculaire
Le trouble qui à mesure que nous avançons vers les niveaux inférieurs de la
déstructuration de la conscience de plus en plus s’épaissit et s’impose à l’observation
objective jusqu’à devenir la « confusion », ce trouble, ici, à ce « niveau moyen » et
plus nettement encore dans l’état oniroïde est celui de la crépuscularisation de la
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ÉTUDE N° 23
1. Nulle part mieux que dans les articles de STEIN et de MAYER-GROSS, (Pathologie der
Wahrnehmung, Traité de BUMKE, t. I, pp. 350 à 507), la déstructuration de la perception n’a été
étudiée. Ces auteurs ont appliqué là les études de PALAGYI sur la composante motrice et le jeu des
fantasmes dans la structure de la perception dans un esprit très « jacksonien », (cf. aussi
SCHORSCH, Zur Theorie der Halluzinationen, 1934), petit livre où les conceptions psychologiques
et physiologiques modernes sur l’activité hallucinatoire sont très bien synthétisées ; tout au moins
pour ce qui concerne les auteurs de langue allemande).
296
BOUFFÉES DÉLIRANTES
le présent est-il vécu à la fois comme une représentation vive et une réalité étrange. En
s’abandonnant de plus en plus au rêve, la conscience qui a déjà perdu — dès le niveau
de la déstructuration temporelle-éthique — la capacité d’équilibre dynamique de son
mouvement, se prend invinciblement à une forme d’actualité insolite. C’est que le pré-
sent, la forme actuelle de l’action telle qu’elle remplit le « champ phénoménal » de la
conscience et telle qu’elle s’ordonne correctement relativement aux formes structu-
rales des espaces vécus, ce présent n’est plus possible et l’actualité de la conscience
gagne en intensité ce qu’elle perd en extension, en perspectives et en possibilité d’or-
ganisation de l’événement « réellement » présent.
STRUCTURE POSITIVE.
297
ÉTUDE N° 23
1. C’est la raison pourquoi une description phénoménologique de ce vécu exige un « style » lui-
même métaphorique. Si nous l’avons trop employé au gré du lecteur, il voudra bien convenir que
c’était pure nécessité.
298
BOUFFÉES DÉLIRANTES
cette qualité propre de l’événement délirant et hallucinatoire qui déjà est celle du rêve …Structure positive…
exprime cette extrême coalescence du monde des images et du monde des désirs. Rien
de plus caractéristique en effet que la symbolisation intense et pour ainsi dire transpa-
rente de sens dans la thématique et la scénique de la fiction. Cela est si vrai que, les
instances pulsionnelles étant spécifiquement limitées, ce sont toujours ou à peu près
toujours les mêmes événements qui, à l’anecdote près, sans cesse reviennent dans la
fantasmagorie.
c) L’artificialisation du vécu. Les espaces entrecroisés et communiquants vécus
par la conscience démultipliée, l’osmose de subjectif et d’objectif, la compénétration
du Moi et du Monde insèrent l’expérience de l’imaginaire « réalisé » dans un cadre
d’une crépusculaire semi-objectivité. Le caractère insolite de l’événement délirant
n’échappe pas entièrement à la conscience « spectatrice » et celle-ci le vit comme cette
atmosphère de miracle prodigieux ou d’incroyable mystère qui se donne pour ce qu’el-
le est, ineffable et incompréhensible, mais aussi, pour si flottante qu’elle soit, comme
irrévocable. L’artifice de cette vision, de ces voix, de ces aventures, de ces féeries, de
ces machinations ne suffit pas à les anéantir dans une conscience qui est « prise » dans
leur mirage. Sans doute quand elle se déprend, que se dénoue le drame, que se dissipe
la dramatisation, que, revenant à elle, elle reprend le système familier des distances
indispensables à sa vigilance, s’éloigne-t-elle alors de ses propres illusions, mais leur
« originalité » même, les maintient encore comme d’ineffables souvenirs et parfois
comme des expériences cruciales qui laissent derrière elles d’inquiétantes perplexités.
Ce type de vécu délirant est, en effet, celui qui laisse les traces les plus profondes, plus
indélébiles que la crise maniaco-dépressive vécue comme un excès ou que la crise
confuso-onirique vécue comme un rêve.
Le vécu délirant et hallucinatoire de la conscience hallucinante ou oniroïde se …Le vécu délirant et hal-
ramasse comme à l’intérieur de l’être replié vers le pôle de la subjectivité, il s’organi- lucinatoire […] s’organi-
se comme un « monde »
se comme un « monde » ambigu intérieur par rapport au monde extérieur mais, exté-
ambigu intérieur par rap-
rieur relativement au Moi. Si dans la conscience déstructurée au niveau maniaco- port au monde extérieur
dépressif le sujet vit la réalité à l’extrémité des deux fonctions vitales du balancier du mais, extérieur relative-
temps, au niveau de la déstructuration des expériences délirantes, hallucinatoires et ment au Moi…
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ÉTUDE N° 23
…Deux modalités théma- Deux modalités thématiques de la conscience hallucinante et oniroïde méritent
tiques… d’être « isolées » celle du bonheur (de 1’ « extase » et de la « volupté ») et celle du
malheur (de la catastrophe au martyre).
300
BOUFFÉES DÉLIRANTES
parfois les plus lascives de la volupté. Toutes les figures de l’érotique viennent ici se
mêler comme pour la satisfaction de tous les vices. Parfois, quand la « conscience oni-
roïde » élargit les fantasmes des plaisirs préliminaires ou des variétés de l’orgasme jus-
qu’à les constituer en monde libidineux, c’est, comme une « représentation » de théâtre
pornographique, ou un chapitre d’aventures galantes, que l’ensemble de la situation
vécue devient celle d’un harem, d’un lupanar, d’une priapée. Mais dans la « conscien-
ce hallucinante » plus étroitement ouverte sur le monde des images, c’est par le tru-
chement de caresses furtives ou précises, de propositions murmurées, de plaisirs et
301
ÉTUDE N° 23
302
BOUFFÉES DÉLIRANTES
en cessant de pouvoir s’accorder à l’objective et sereine réalité, glisse dans les ténèbres
de l’angoisse, dans le monde infernal du mal et d’un mal non plus, comme dans la
mélancolie, moral, mais qui s’incarne ici et se concrétise là maintenant dans le monde
physique extérieur ou dans le monde corporel de la personne, sous forme de ces
machines granguignolesques, de ces opérations chirurgicales, de ces expériences
scientifiques, de ces catastrophes cosmiques qui composent un univers terrifiant, celui …univers terrifiant, celui
d’une physique du cataclysme et d’une anatomophysiologie du supplice. Mais là enco- d’une physique du cata-
clysme et d’une anatomo-
re nous pouvons distinguer deux éventualités. Au premier degré dans la « conscience
physiologie du supplice…
hallucinante » cette sourde et terrible menace, cette terrifiante action sont vécues
comme des manifestations sensibles mais sporadiques, comme des coups de boutoir,
des fulgurations intermittentes ou juxtaposées, sensibles indices d’une effroyable vivi-
section du corps et de l’esprit. Dans la « conscience oniroïde » submergée par l’ima-
ginaire, c’est tout le monde, le monde entier, jusqu’à la totalité de l’univers qui sont
traversés des courants maléfiques de la destruction et comme embrasés et consumés
par le mal. C’est alors l’expérience si fréquente et typique des visions d’Apocalypse et
de l’expérience de la Fin du monde...1
Il est inutile de poursuivre ces descriptions ou énumérations, elles ne nous appren-
draient rien de plus. Ce qu’il importe de mettre en évidence c’est, par contre, le poly- …le polymorphisme thé-
morphisme thématique de ces expériences délirantes. Tous ces thèmes, répétons-le, se matique de ces expé-
riences délirantes…
mêlent, se succèdent, se complètent ou se juxtaposent dans un chaos d’autant plus ver-
tigineux et impénétrable que la conscience devient plus « imageante », qu’elle perd ses
connexions avec le monde de l’objectivité pour verser dans celui de l’étrange et du
baroque jusqu’à chavirer dans l’imaginaire fantastique. Dans ce mouvement désor-
donné et tumultueux, elle bariole ses décors, truque ses personnages, mêle les genres,
varie ses thèmes. Une telle réalité clinique, celle de l’inconsistance chaotique du déli-
re, a été remarquablement mise en évidence par MAGNAN. La thématique habituelle de
la psychiatrie (persécution, grandeur, mysticisme, empoisonnement, influence, pos-
session, hypocondrie, etc.) s’essouffle et le psychiatre perd son latin devant cette extrê-
me fantaisie de la fantaisie.
1. Cf. le fameux travail de WETZEL, Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1922, celui de WEBER (A.), Ueber
nihilischen Wahn und Depersonnalisation, Leipzig, 1938 et, en français, le travail de SCHIFF, Ann.
Médico-Psycho., 1946, I, p. 283.
303
ÉTUDE N° 23
I. Formes paroxystiques.
Sous le nom d’ « Episodische Dämmerzustände 1 » KLEIST a publié dans sa mono-
…accès d’une durée graphie de 1926, 9 observations de malades qui ont présenté plusieurs accès d’une
moyenne de 5 jours… durée moyenne de 5 jours. Il s’agissait d’ « états crépusculaires » sans troubles pro-
fonds de l’orientation et de la mémoire. Dans plusieurs de ces cas il a noté le délire et
les hallucinations, des troubles affectifs avec angoisse ou, au contraire, des états exta-
tiques. Ce genre de crises lui a paru alors entrer dans le groupe des psychoses épilep-
tiques, mais « au sens large ». Dans un travail ultérieur 2 KLEIST a décrit toute une série
de psychoses atypiques à caractère aigu. Certaines, comme les psychoses cycloïdes
(confusion avec agitation, avec symptômes « catatoniques » répondant aux descrip-
tions des « psychoses de la motilité » de WERNICKE), ne sont pas en rapport avec les
états que nous étudions ici. Par contre, ce que KLEIST appelle les « Psychoses du Moi »
(Ichpsychose), les psychoses paranoïdes (« en marge », dit-il, de la paranoïa), les psy-
choses schizoïdes (états crépusculaires « en marge » de la psychose schizophrénique,
tableaux cliniques qui ressemblent aux « états schizomaniaques » de CLAUDE) et sur-
tout les psychoses épileptoïdes (« en marge » du cycle comitial proprement dit). C’est
parmi les troubles de ce type que figurent les états crépusculaires de brève durée que
nous visons ici. Nous avons exposé ailleurs l’ensemble de la conception de KLEIST 3.
Ce qui nous intéresse ici au point de vue clinique, c’est que ces « psychoses aty-
piques » et pour ainsi dire fulgurantes que l’on a bien du mal parfois à faire entrer dans
…avec un caractère de le cadre de l’épilepsie, de la maniaco-dépressive, etc. peuvent être de très courte durée
« paroxysme » extrême- et présenter un caractère de « paroxysme » extrêmement violent et bref. De paroxys-
ment violent et bref… me et, pourrait-on dire aussi, d’ « abréaction cathartique », car certaines de ces crises
à forte charge émotionnelle se présentent aussi comme ces « états crépusculaires » que
l’on a toujours et traditionnellement rattachés à l’hystérie 4.
La « crise », quand elle a cette brève durée, a bien, en effet, comme toutes les
304
BOUFFÉES DÉLIRANTES
crises qu’étudie la pathologie, une valeur de décharge salutaire, celle d’une réaction
explosive, d’un procédé de défense à l’égard d’une situation, sans pour cela qu’elle
doive cesser d’être considérée pour ce qu’elle est, une déstructuration accidentelle de
la conscience dont le déterminisme complexe met en jeu la constitution, le caractère,
les situations vitales, la fragilité de l’équilibre nerveux et les perturbations du système
nerveux plus ou moins dynamiques, fonctionnelles ou lésionnelles.
305
ÉTUDE N° 23
de phase de réveil du délire onirique (Encéphale, 1911). Dans certains cas même, le
retour au réel est incomplet et le malade garde de son délire une ou plusieurs croyances
erronées, qui retentissent plus ou moins profondément sur sa conduite et sur ses actes.
Tel se désole d’avoir confié à quelqu’un un précieux dépôt imaginaire ou d’avoir été vic-
time d’un vol ; tel autre croit avoir voyagé, avoir acquis un objet une propriété, avoir
perdu un être cher dont il veut absolument porter le deuil, etc... On conçoit que des pré-
disposés puissent, à la suite d’un accès de confusion mentale, bâtir tout un roman déli-
rant, mais logiquement agencé et systématisé sur de pareils reliquats psychiques. Il s’agit
là, comme je l’avais appelé (Congrès 1899), d’une sorte de délire systématisé secondai-
re post-confusionnel, ou, comme ont dit DELMAS et GALLAIS (Soc. Psych., 1911),
LEGRAIN, DEMAY (Soc. Clin. Ment. 1912) à propos de cas qu’ils ont publiés, d’un délire
systématisé post-onirique. Depuis lors divers auteurs ont poursuivi l’étude des états oni-
riques, soit dans leurs modalités cliniques, soit, comme CHARPENTIER, HESNARD, dans
leurs rapports avec la confusion mentale et l’hyperémotivité anxieuse. »
Depuis lors, l’École française s’est illustrée dans l’étude clinique de ce mouve-
ment d’organisation délirante dite post-onirique. De nombreux travaux ont été publiés
de 1900 à 1920 sur ce point et on ne peut que regretter qu’ils n’aient pas été systéma-
tiquement poursuivis depuis et qu’ils n’aient pas été davantage connus des grandes
…DELMAS notamment a écoles psychiatriques étrangères. DELMAS 1 notamment a présenté une magistrale des-
présenté une magistrale cription de tous les aspects de ces délires qui émergent de l’expérience onirique, d’au-
description de tous les
tant plus, dirons-nous, qu’il s’agit précisément d’expériences délirantes et hallucina-
aspects de ces délires qui
émergent de l’expérience toires plus oniroïdes que véritablement oniriques. Tout se passe en effet comme si à ce
onirique… niveau l’événement délirant et hallucinatoire vécu avec les riches ressources d’une
activité psychique encore vive et entièrement subjuguée par le travail de sa propre fic-
tion gardait avec les souvenirs vivaces de cette plongée dans le monde du demi-rêve
comme l’empreinte idéo-affective de cette aventure sensationnelle et fulminante.
A. DELMAS distingue 1° des délires transitoires à type de délire d’évocation consti-
tués par la persistance pendant un certain temps d’une conviction délirante qui reste
attachée à un ou plusieurs événements de la fiction. C’est ainsi que la malade reste
convaincue qu’il y a eu une catastrophe de chemin de fer, que son mari a voulu l’em-
poisonner, qu’elle a aperçu une voisine morte depuis plusieurs années, etc... 2° des
délires reviviscents, c’est-à-dire des oscillations du niveau de la conscience qui tantôt
réintègre la réalité, tantôt est submergée par l’imaginaire. Pendant quelquefois plusieurs
semaines ou plus, les malades comme « ballottés » entre le pôle du réel et celui de la
fiction, restent perplexes, anxieux ; ils sont « empêtrés » dans leur délire et leurs hallu-
cinations dont les vagues successives assaillent sans cesse leur jugement, compromet-
tent la stabilité rassurante de leur « monde ». A ce sujet KLIPPEL et TRENAUNAY 2 ont
306
BOUFFÉES DÉLIRANTES
décrit des « délires systématisés de rêve à rêve ». C’est souvent dans la phase hypna-
gogique que la reviviscence délirante et hallucinatoire s’opère, reformant le délire en
train de se déformer.
Plus que la littérature, la clinique nous apprend combien cette phase (que nous
appelons souvent dans notre service la phase « amphibole ») du réveil ou de l’assou-
pissement des expériences délirantes et hallucinatoires aiguës est importante car c’est
à ce moment que le clinicien doit redoubler d’attention pour saisir et aider le passage
vers la guérison et empêchant la cristallisation et la systématisation des convictions.
Cela explique que, survivant à ces phases de « fécondité » du travail délirant de la
conscience troublée, ou utilisant encore des retours offensifs de l’activité délirante et
hallucinatoire, certains délires persistent longtemps dans une atmosphère de « mystè-
re » et assez paradoxalement avec une certaine conscience de la maladie 1. Ce sont ces
délires durant parfois de longs mois, qui ont fait l’objet du très intéressant travail de
Paule PETIT sur les « Délires de persécution curables 2 ». Elle réserve une place impor-
tante aux délires de « structure oniroïde ». Elle reconnaît à ces délires les caractères
suivants : brusquerie du début, épisode onirique initial parfois nocturne et reviviscent,
« éléments confusionnels » « surajoutés » et habituellement « légers », marqués par le
délire exubérant et complexe derrière lequel il faut les rechercher et qui traduisent un
état de trouble diffus de la conscience, et, enfin, état affectif intense. Ces états oni-
roïdes, ajoute l’auteur, sont l’expression de la pensée onirique qui est une des formes
de la pensée affective, la construction oniroïde est faite de l’intrication du mode vigi-
le et du mode onirique de la pensée. Enfin, souligne encore Paule PETIT, ces délires
sont remarquables par leur polymorphisme, la variabilité, le défaut de cohésion de
leurs thèmes délirants. Leur guérison est l’évolution la plus habituelle mais elle peut …une vaste brèche est
être rapide ou retardée après un mois ou, exceptionnellement, des années, le passage à ouverte dans la cloison que
la chronicité restant, sinon fréquent, du moins possible. l’on a dressée entre les psy-
choses délirantes et aiguës
Ainsi, et c’est seulement ce que nous voulons ici indiquer, une vaste brèche est
et les psychoses chroniques
ouverte dans la cloison que l’on a dressée entre les psychoses délirantes et aiguës et en les considérant comme
les psychoses chroniques en les considérant comme des « entités ». Nous ne perdons des « entités »…
pas une occasion de le souligner.
1. Ces deux traits de la phénoménologie du tableau clinique sont d’une importance considérable
tant en ce qui concerne le pronostic favorable que les indications thérapeutiques des méthodes de
choc et de la psychothérapie complémentaire.
2. P. PETIT, Les Délires de persécution curables, Thèse, Paris, 1937.
307
ÉTUDE N° 23
indépendante des facteurs étiologiques qui les provoquent. Sans cela, on risque d’in-
troduire toutes sortes de confusions et de malentendus dans la pathologie des psy-
choses aiguës, comme par exemple d’appeler « confusion » toutes les psychoses
« toxi-infectieuses » ou de refuser le diagnostic de « mélancolie » à un état de mélan-
colie d’involution, etc. Cependant, et ne serait-ce que pour bien montrer que le tableau
clinique n’est pas strictement spécifique des divers processus qui l’engendrent, nous
devons dire un mot de ces « formes étiologiques ». Sans doute pourrions-nous ici énu-
mérer une infinité de processus somatiques et cérébraux, de chocs émotionnels et de
conditions biopsychologiques de déclenchement de ce type de psychoses aiguës. Nous
nous limiterons, pour ne pas allonger démesurément cette étude, à deux catégories de
processus : les intoxications neurotropes et les encéphalites épidémiques.
1. Sans doute ne peut-on pas faire abstraction de l’action pharmacologique propre à la plupart de
ces drogues mais leur action spécifique quant à la détermination de tel ou tel niveau de conscien-
ce morbide paraît dépendre beaucoup plus de l’intensité, de la durée et de la profondeur de leur
action. Une très intéressante observation a été publiée récemment par W. de BOOR (Ueber toxi-
schen Psychosen verschiedener Aetiologie bei einer Person., Arch. suisses de Neuro et Psycho.,
1952, 70, pp. 33 à 41), avec d’excellentes considérations sur les rapports des intoxications
diverses chez un même malade (Mescaline, Scopolamine, Dolantin, alcool, etc...), et sur l’enga-
gement de la personnalité au cours de ces diverses intoxications.
2. Le CHLORAL, (si bien étudié par G. de CLÉRAMBAULT, Ann. Médico-Psycho., 1909) ; la COCAÏNE,
(cf. spécialement l’ouvrage de W. MAIER, La Cocaïne, Payot, Paris, 1928, et le livre de C.
GUTIERREZ-NORIEGA et V. SAPATA ORTIZ : Estudios sobre la coca y la cocaïne en el Peru, Lima,
1947) ; l’OPIUM et l’ivresse thébaïque, (cf. le beau livre de R. DUPOUY, Les Opiomanes, Alcan, Paris,
1912, qui n’a pas vieilli), ou des toxiques dont l’action psychopathologique a été plus récemment
étudiée : l’HYOSCINE (KAPPES, cité par MAYER-GROSS), l’ATÉBRINE, (UDALAMAGA, 1935, VOLLMER
et LIEBIG, 1944, MICHELLA, KIMMELMAN et LEWIS, 1945, HOHLER, 1947), tous travaux dont nous
trouvons la bibliographie dans l’excellent travail de A. FAVRE : Atebrine et Psychose, Encéphale,
1949, pp. 281 à 386, et dans la monographie de GUIJA MORALES (E.), Psicosis paludicas y atebri-
nicas, Barcelone, 1945 ; les BROMURES (Max G. LEVIN, Amer., J. of Psych., 1948, 104, p. 798, tra-
vail qui rejoint celui du même auteur dans la même revue, 1945, 129, p. 610, où il avait étudié les
états de semi-delirium et d’hallucinose toxiques, etc.). — Cf. également R. MÜLLER, Ueber den
Erlebniswandel durch Pharmaka, Zeitsch f. Psychothérapie, 1954, I, 21-32.
308
BOUFFÉES DÉLIRANTES
ne le plus commun, l’alcool, mais nous aurons l’occasion d’y insister à propos des psy- …rôle de l’alcool…
choses confuso-oniriques alcooliques. Disons simplement ici que, sous le nom d’« hal-
lucinose des buveurs » ou de « psychoses subaiguës de l’alcoolisme chronique », beau-
coup de « psychoses délirantes et hallucinatoires aiguës » sont décrites soit comme
« hallucinoses pures » (éventualité rare et qui ne se rencontre guère qu’au décours de
la crise délirante onirique ou hallucinatoire 1), soit comme des « confusions ». Quoi
qu’il en soit, l’alcool sous forme d’intoxication aiguë (ivresse délirante et hallucina-
toire) ou indirectement sous forme d’intoxication hépato-nerveuse (à pathogénie cer-
tainement fort complexe) réalise des tableaux cliniques où se rencontrent communé-
ment les troubles de la conscience, les hallucinations visuelles, les zoopsies, les scènes
dramatiques de persécution ou de jalousie, les combats, les poursuites, les visions de
feu et de sang et, aussi, quoique selon les classiques plus rarement, des hallucinations
acoustico-verbales, des hallucinations psychiques avec syndrome d’automatisme men-
tal ou encore des troubles hallucinatoires cénesthésiques. Tous ces troubles, trop exclu-
sivement attribués au delirium ou à la confusion, se présentent plus souvent qu’on ne
le dit sous forme d’états crépusculaires de la conscience c’est-à-dire de niveaux de
déstructuration de l’activité de la conscience d’un niveau supérieur à celui de la confu-
…les troubles psychosen-
sion. Quant à la « spécificité » des troubles psychosensoriels alcooliques, il suffit de lire
soriels alcooliques […]
quelques observations d’intoxications par divers toxiques pour être fixé : la scène hal- dépendent beaucoup plus
lucinatoire et les caractères des hallucinations dépendent certainement beaucoup plus des conditions indivi-
des conditions individuelles, générales ou locales du processus d’intoxication dans l’ac- duelles […] que de la
constance et de la spécifi-
tualité et la totalité de son action que de la constance et de la spécificité de son action
cité de son action phar-
pharmacodynamique. Nous nous bornerons ici à envisager les deux toxiques les plus macodynamique…
connus : le hachisch et la mescaline. Le hachisch. Il est à peine besoin de rappeler, qu’il
a été l’agent toxique « expérimental » qui a servi à MOREAU (DE TOURS) à édifier sa
conception de « l’état primordial » délirant 2. Le chanvre indien (cannabis indica)
1. Les états d’« hallucinose » alcoolique de WERNICKE sont des états de niveaux divers. Tantôt ils
se confondent avec l’onirisme, tantôt ils constituent des états crépusculaires de type conscience
oniroïde, tantôt enfin ils sont caractéristiques du niveau « conscience hallucinante ». Que l’on se
rapporte à l’observation de COURBON et CHAPOULAUD (Hallucinations visuelles et unilatéralement
auditives chez un otopathe, Ann. Médico-Psycho., 1937, 1, p. 764), ou à celles plus anciennes de
KANDINSKI, (Betrachtungen im Gebiete der Sinnentäuschungen, Berlin, 1885), de J. BERZE,
(Zeitschr. f. d. g. Neuro., 1923, 84, 478), de LEONHARD, (Arch.f. Psych., 1934, 102, p. 372), ou
encore au livre récent de BENEDETTI (Die Alkoholhallucinoze, 1953)) on discerne dans ces états
la loi générale de l’évolution de ces troubles de la conscience : plus la dissolution est profonde,
plus elle est vécue visuellement, plus elle est de niveau élevé, plus elle est vécue sur le registre
auditivo-verbal. C’est en effet à la fin des « délires subaigus » ou du delirium tremens, comme
souvent au décours de la plupart des états oniroïdes, que les hallucinations acoustico-verbales se
présentent comme des séquelles plus ou moins isolées du mouvement de dissolution. Le lecteur
voudra bien se rapporter à la note 2 de la p. 353, où nous rappelons le sens différent de celui de
WERNICKE que nous donnons au terme d’hallucinose.
2. Cf. notre Étude n° 8.
309
ÉTUDE N° 23
…rôle du hachisch… employé sous forme d’électuaire (dawa-mesc) ou fumé (Gozah ou Kif en Afrique
noire, Marihuana en Amérique où l’on observe actuellement cette toxicomanie) est
intimement lié à l’histoire et aux fantasmagories de l’Orient (hafiou, madjoun, chas-
try, gunja, charas, hang, etc.). On retrouve la trace de sa réputation « orgiaque » à tra-
vers les siècles depuis Homère (Nepenthès) et Hérodote jusqu’à nos jours en passant
par les récits de voyage de Marco Polo, et à travers toute l’Asie de l’Extrême Orient
jusqu’aux pays des « Hachischins » en Asie Mineure, en Egypte, etc 1. MOREAU (de
Tours) a magistralement décrit les symptômes de l’ivresse hachischique. Elle s’ac-
compagne 1° de troubles psychiques, hallucinations, délire, illusions d’espace et de
temps, aprosexie, excitation, sommeil, amnésie et hypermnésie, suggestibilité, hyper-
émotivité euphorique ou mélancolique de la dissociation des idées qui constitue l’état
primordial — 2° de troubles sensoriels : hyperexcitabilité, hyperesthésie, anesthésie
— 3° de troubles neuro-musculaires — 4° de troubles respiratoires, circulatoires —
5° de troubles sécrétoires — 6° de troubles génitaux : excitation aux faibles doses, ana-
phrodisie aux doses fortes, etc. On sait de quels pouvoirs « dyonisiaques » ces poisons
et leur paradis artificiels ont été dotés par la littérature « fin de siècle » (BAUDELAIRE,
Th. GAUTIER, Th. QUINCEY, COLERIDGE, Edgard POE, G. de NERVAL, etc.). Voici com-
ment Théophile GAUTIER dépeint l’expérience hachischique :
…Th. GAUTIER dépeint « Le premier accès touchait à sa fin. Après quelques minutes je me retrouvai avec
l’expérience hachi- tout mon sang-froid, sans mal de tête, sans aucun des symptômes qui accompagnent
schique… l’ivresse du vin, et fort étonné de ce qui venait de se passer. — Une demi-heure s’était
à peine écoulée que je retombai sous l’empire du hachisch. Cette fois, la vision fut plus
compliquée et plus extraordinaire. Dans un air confusément lumineux voltigeaient,
avec un fourmillement perpétuel, des milliards de papillons dont les ailes bruissaient
comme des éventails. De gigantesques fleurs au calice de cristal, d’énormes passe-
roses, des lits d’or et d’argent montaient et s’épanouissaient autour de moi, avec une
crépitation pareille à celle des bouquets de feux d’artifice. Mon ouïe s’était prodigieu-
sement développée : j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, bleus, jaunes,
m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de
1. « C’est, dit Marco Polo, au territoire des « Assassins » (Perse, Syrie), que se rencontrent ces
jardins paradisiaques avec leurs parterres de fleurs, des gazons ombragés, des bosquets de rosiers
et des treilles de vigne ornant de leurs feuillages de riches salons ou des kiosques de porcelaines
garnis de tapis de Perse et d’étoffes grecques. Le son des harpes s’y mêle au chant des oiseaux.
C’est dans cette joie, cette volupté et cet enchantement que le Maître rencontrant un jeune
homme doué d’assez de force et de résolution pour faire partie de cette légion de meurtriers l’in-
vite à sa table et l’enivre avec la plante appelée haschich et le fait transporter dans les jardins. A
son réveil il se croit transporté au Paradis de Mahomet. Les femmes, les « houris » contribuent à
augmenter l’illusion ». Si nous reproduisons selon R. MEUNIER {Le hachisch, 1909) ce petit
tableau c’est parce que le décor oriental nous renvoie ici nécessairement à la féerie du toxique
comme si celle-ci reflétait celui-là dans la conscience déstructurée de l’intoxiqué, comme si,
aussi, les impulsions à la violence déclenchées par le hachisch ne faisaient un assassin que d’un
candidat assassin... Car tel est le pouvoir de « libération » des drogues et des poisons qu’ils ne
sont « libérés » que dans un monde qui donne un sens à cette libération et dans une personne qui
les contient déjà virtuellement.
310
BOUFFÉES DÉLIRANTES
fauteuil, un mot prononcé bas, vibraient et retentissaient en moi comme des roule-
ments de tonnerre ; ma propre voix me semblait si forte que je n’osais parler, de peur
de renverser des murailles ou de me faire éclater comme une bombe. Plus de cinq cents
pendules me chantaient l’heure de leurs voix flutées, cuivrées, argentines. Chaque
objet effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne. Je nageais dans un
océan de sonorité, où flottaient, comme des îlots de lumière, quelques motifs de Lucia
et du Barbier. Jamais béatitude pareille ne m’inonda de ses effluves ; j’étais si fondu
dans le vague, si absent de moi-même, si débarrassé du moi, cet odieux témoin qui
vous accompagne partout, que j’ai compris pour la première fois quelle pouvait être
l’existence des esprits élémentaires, des anges et des âmes séparées du corps. J’étais
comme une éponge au milieu de la mer : à chaque minute des flots de bonheur me tra-
versaient, entrant et sortant par mes pores ; car j’étais devenu perméable, et jusqu’au
moindre vaisseau capillaire, tout mon être s’injectait de la couleur du milieu fantas-
tique où j’étais plongé. Les sons, les parfums, la lumière, m’arrivaient par des multi-
tudes de tuyaux minces comme des cheveux, dans lesquels j’entendais siffler des cou-
rants magnétiques. — A mon calcul cet état dura environ trois cents ans, car les sen-
sations s’y succédaient tellement nombreuses et pressées que l’appréciation réelle du
temps était impossible. — L’accès passé, je vis qu’il avait duré un quart d’heure...
Un troisième accès, le dernier et le plus bizarre, termina ma soirée orientale : dans …Th. GAUTIER, Le club
celui-là, ma vue se dédoubla. — Deux images de chaque objet se réfléchissaient sur ma des Hachischins (1843)…
rétine et produisaient une symétrie complète ; mais bientôt la pâte magique tout à fait
digérée agissant avec plus de force sur mon cerveau, je devins complètement fou pen-
dant une heure. Tous les songes pantagruéliques me passèrent par la fantaisie : capri-
mulges, coquesigrues, oysons bridés, licornes, griffons, cauchemars, toute la ménage-
rie des rêves monstrueux trottait, scintillait, voletait, glapissait dans la chambre... Les
visions devinrent si baroques que le désir de les dessiner me prit, et que je fis en moins
de cinq minutes le portrait du docteur X, tel qu’il m’apparaissait assis au piano, habillé
en turc, un soleil dans le dos de sa veste. Les notes sont représentées s’échappant du
clavier, sous forme de fusées et de spirales capricieusement tirebouchonnées. Un autre
croquis portant cette légende, — un animal de l’avenir — représente une locomotive
vivante avec un cou de cygne terminé par une gueule de serpent, d’où jaillissent des
flots de fumée avec des pattes monstrueuses, composées de roues et de poulies ; chaque
paire de pattes est accompagnée d’une paire d’ailes, et, sur la queue de l’animal, on voit
le Mercure antique qui s’avance vaincu malgré ses talonnières. Grâce au hachisch, j’ai
pu faire d’après nature le portrait d’un farfadet. Jusqu’à présent, je les entendais seule-
ment geindre et remuer la nuit, dans un vieux buffet 1... »
BAUDELAIRE (dont il n’est pas très sûr qu’il ait une seule fois absorbé de la drogue) …BAUDELAIRE…
311
ÉTUDE N° 23
pas constamment euphorique mais encore qu’elle est parfois purement dépressive et
mélancolique. Il rapporte le cas d’une dame qui, ayant fumé du Kif, après avoir senti
une sorte d’engourdissement, « se plut d’abord à trouver une grande beauté aux objets
les plus ordinaires » puis, ajoute R. MEUNIER, la mélancolie fondamentale apparut et
pendant les nuits qui suivirent cette ivresse elle présenta un délire onirique au cours
duquel elle s’efforça de prendre un revolver pour se tuer...
Ainsi l’expérience délirante hallucinatoire et oniroïde du haschich ne peut pas être
considérée comme un effet simple et direct de l’action spécifique du toxique. La dis-
solution qu’elle provoque nous montre expérimentalement que son niveau passe par
un état d’exaltation ou de dépression... qui dépend certainement de causes et de fac-
teurs propres à la personne, à la situation, au monde actuel du sujet au moins autant
que de l’action du toxique sur telle ou telle partie du névraxe. Le vécu de l’ivresse
hachischique est une nébuleuse où la suggestion, l’autosuggestion jouent un rôle
considérable, fait qui doit être interprété dans le sens même de la thèse que nous
n’avons cessé de défendre dans toute cette Étude, à savoir qu’il s’agit d’un niveau de
déstructuration de la conscience qui admet une organisation psychique supérieure à
celle de la confusion.
La Mescaline. Le peyotl nous situe au Mexique à l’autre extrémité de la planète 1.
Ce cactus (Echinocactus Williamsii) érigé en dieu est effectivement l’objet de rites et
de cultes de nombreuses sectes. L’ingestion de « mescal-buttons » (ou mescal-beans)
représente au milieu des danses sacrées une sorte de repas totémique (peyotl-meetings)
et le « petit cactus glauque », dit ROUHIER, malgré les persécutions dont ses sectateurs
ont été l’objet, a résisté jusqu’à nos jours. Ses effets psychophysiologiques le rendent,
malgré les noms pompeux dont il a été affublé, assez impropre à l’usage toxicoma-
…ce n’est que lorsqu’ont niaque. Aussi ce n’est que lorsqu’ont été isolés (LEWIN 1888) ses alcaloïdes (anhalo-
été isolés (LEWIN 1888) nine, lophophorine, pellotine, mescaline) qu’il est devenu presque exclusivement l’ob-
les alcaloïdes [du peyotl] jet d’expérimentations du plus grand intérêt. C’est HEFFTER qui isola la mescaline
qu’il est devenu presque
(1894). Sa synthèse fut réalisée par SPAETH en 1919 puis par SLOTTA et HELLER en
exclusivement l’objet
d’expérimentations du 1930. Elle dérive d’une phenyl-éthylamine. Rappelons à ce sujet que la bulbocapnine,
plus grand intérêt… la diétylamine de l’acide lysergique 2 ont une action assez semblable sur le « psychis-
me » pour que l’on ait pu considérer la série des aminés comme des poisons spéci-
fiques de la « dissociation psychique 3 ». Nous n’avons pas ici à entrer dans le détail
1. Cf. sur l’usage de cette drogue chez les Indiens du Mexique (Huichols), le livre de A. ROUHIER,
Le Peyotl. La plante qui fait les yeux émerveillés, Doin, Paris, 1927, ou plus récemment l’article
de W. BROMBERG et C. TRAUTER, Peyotl intoxication, J. of Nerv. and Ment. Disease, 1943, 97, p.
518.
2. HOCH, CETTEIX et PENNES, Effects of mescalin and lysergic acid (L. S. D. 25), Amer. J. of
Psych., 1952, 108, pp. 579 à 584.
3. Communication de BUSCAINO sur la pathologie extraneurale macro et microscopique de la
schizophrénie, Congrès d’Histopathologie du système nerveux, Rome, 1952.
312
BOUFFÉES DÉLIRANTES
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ÉTUDE N° 23
314
BOUFFÉES DÉLIRANTES
sais bien !... Est-ce spontané ce que vous venez de me dire ?... Je l’aime bien ».
18 h.15 — Pouls, 64. Mlle de K. semble plus tranquille, sans visions, et parle d’el-
le à la troisième personne : « Elle est redevenue elle-même. L’autre est domptée main-
tenant. » De nouveau, elle trouve que sa voix est rauque et constate que les paroles …l’ivresse par le peyotl…
n’expriment pas ce qu’elle ressent : « elles rendent faux ce que je pense ». L’état de
nervosité reparaît. Elle se lève, va et vient dans l’appartement avec assurance.
18 h.25 — Son ivresse continue d’être agréable et hilare. Elle parle d’elle avec
beaucoup d’intelligence et de précision, mais toujours comme si elle était double. Elle
ne cesse d’apprécier un de ses « moi » : « Elle n’est pas mauvaise la petite bête, vous
savez !Elle est très jeune ; elle est toute enfant !» Elle déclare que son autre « moi »,
le plus intime « est très vieux, lui, très intelligent ».
19 h.10 — Elle ouvre les yeux. Son « ivresse » est alors différente. Mlle de K.
semble avoir à ce moment une prescience assez impressionnante des êtres et des
choses qui l’entourent. Elle chante très délicatement.
Les yeux ouverts, elle reparle de ses différents « egos » : « Est-ce qu’il n’y aurait
pas plusieurs personnes en soi-même ? ». Elle a envie de parler russe et, ce qui ne lui
arrive jamais, chante en russe, avec vocalises.
19 h.20 — A genoux sur le divan, elle continue à chanter, avec beaucoup d’ex-
pression. Voit des colliers de corail. « Oh !Comme j’ai vécu antérieurement ! ».Suit un
petit discours évangélique, prononcé toujours accroupie et les yeux fermés : « II faut
être simple, sans orgueil et faire tout son devoir sans chercher le pourquoi des choses.
On n’a pas assez d’étoffe pour cela. Il faut avoir une grande indulgence pour tous les
hommes et ne pas les traiter comme des fourmis. Il faut être sage et ne pas prendre de
cette plante dans le seul but d’avoir des sensations !... (Un silence)... Ah ! Je les vois !
Ils sont noirs, tout nus, avec un petit pagne seulement... Je vois un squelette, mais je
n’en ai pas peur ! ».
20 h.45 — Mlle de K. rouvre les yeux. A partir de ce moment jusqu’à minuit et
demie, elle n’aura plus que de rares visions, lorsque ses paupières seront closes et elle
monologuera presque constamment, légèrement divagante, très loquace. « Il y a une
loi de gravitation et de pesanteur pour les astres et les étoiles. La même loi régit intel-
lectuellement les hommes : c’est la loi des attirances et des répulsions constituant la
loi de grande unité, qui relie tous les humains les uns aux autres... Les saints, les
ascètes, les intellectuels, suivent des chemins différents pour arriver au même but... ».
Cette forme de troubles avec imagerie féerique — celle de la plante « qui fait les
yeux émerveillés » — se rencontre assez souvent, mais elle est bien loin d’être
constante. De toutes nos propres expériences sur la mescaline résulte au contraire l’im-
pression que les états oniroïdes anxieux sont plus fréquents. Une de nos jeunes col-
lègues du temps où nous expérimentions la drogue (1933) fit à quelques temps de dis-
tance (Mai-Août) deux expériences très différentes de la mescaline (même dose 0,25 ;
0,30). Tandis que la première fois ce fut un état d’exaltation agréable, la seconde fois
l’ivresse se déroula sur le ton fondamental de l’angoisse 1. Voici l’observation de cette
deuxième expérience :
1. L’observation de ces deux mescalinisations de Mme L. a été publiée dans le travail que nous
avons publié avec RANCOULE : Hallucinations mescaliniques et troubles psychosensoriels de l’en-
céphalite épidémique, Encéphale, 1938.
315
ÉTUDE N° 23
…l’ivresse par le peyotl… Mescalinisation (le 19 août 1933). A 14 heures, pouls 90. Tension artérielle : 13
1,2 — 6. Légère mydriase (dans l’ensemble il s’agit d’un sujet hyper-sympathicoto-
nique et émotif).
A 15 h.35, angoisse. Pouls 100. Larmoiement. Légère dysarthrie. État subconfu-
sionnel. Les plis du rideau remuent d’arrière en avant et dans le sens latéral. Un pli pris
dans la porte lui donne l’impression d’un grand mouvement. Tout est barré de raies
lumineuses de tous les côtés.
A 15 h.45 angoisse. Sentiment de peur. Impression de mort imminente. Crainte
que son cœur s’arrête. « J’ai vu mes mains maculées de sang, de grosses pattes sales
qui ne sont pas à moi. »
« Nous devons signaler ici un des traits les plus intéressants de cette observation.
Mme L. était par son nom de jeune fille homonyme d’un grand assassin. C’était une
plaisanterie qu’elle faisait souvent de parler de cet assassin. Or, au cours de la mesca-
linisation pas une fois elle n’associa ce souvenir à ses fantasmes. Après l’épreuve nous
lui dîmes : « Mais vos mains sanglantes c’étaient les fameuses « mains visqueuses de
D... ». (Ces « mains visqueuses », expression trouvée dans un livre d’anthropologie
criminelle pour désigner les mains d’un assassin célèbre dont elle portait par hasard le
nom, étaient l’objet le plus habituel de nos plaisanteries). Mme L. fut littéralement stu-
péfaite de ne pas avoir pensé à cela et fut très frappée de ce « refoulement » de la mani-
festation d’une des préoccupations qui, sous les apparences de plaisanterie, a toujours
été depuis sa plus tendre enfance un des points névralgiques de sa vie affective.
Cette vague d’angoisse fut remplacée d’ailleurs par une vague d’euphorie, puis
ensuite par une sorte « d’état mixte ».
Nous ne saurions multiplier les exemples et nous avons déjà noté (p. 232) la
curieuse et intéressante observation de MORSELLI. NOUS ne pouvons pas non plus son-
ger à analyser la structure de la conscience mescalinisée. Nous pouvons à ce sujet ren-
…nous renvoyons à la voyer à la pénétrante étude de J. DELAY et GÉRARD 1 où est très bien analysé le repli
pénétrante étude de J. progressif de la conscience sur son propre monde, « la diffusion de la personnalité
DELAY et GÉRARD infiltrant de subjectivité l’ambiance », et réalisant « une inflation du moi ». De telles
(1949)…
formules sont celles qui peuvent caractériser non seulement l’expérience délirante et
hallucinatoire mescalinique mais l’ensemble des troubles du niveau de la conscience
hallucinante et oniroïde qui nous occupe ici.
Notons à ce sujet que le déroulement de toutes ces psychoses toxiques comme
celui des psychoses délirantes aiguës spontanées s’opère sur un modèle qui nous ren-
voie nécessairement au processus de dissolution hypnique. Tout se passe dans tous ces
troubles (sommeil ou ivresse) comme si une désintégration du champ perceptif (hallu-
cinations hypnagogiques) marquait la première étape du processus général de dissolu-
tion, puis faisait place à une dissolution plus ou moins profonde de la conscience où
se mêlent, comme le fond et les figures qui s’en détachent, l’atmosphère déstructurée
et imageante de la conscience et les phénomènes « sensoriels » qui y éclatent ou fusent
en « formes » perceptives désintégrées et baroques.
316
BOUFFÉES DÉLIRANTES
317
ÉTUDE N° 23
318
BOUFFÉES DÉLIRANTES
Au réveil elle voyait bien que ce n’était pas réel. Le 15 mars 1930, elle entre à l’asile.
On nota alors un état d’anxiété nocturne avec sentiment d’étrangeté : elle avait l’im-
pression d’avoir une grosse tête, des dents très longues. Elle présentait un état d’oni-
risme typique. Elle racontait qu’elle avait vu une fois dans son sommeil un serpent
géant dans le ciel. La nuit de Noël elle aurait eu un état de ce genre mais alors un véri-
table rêve. Au contraire, ce qu’elle éprouve maintenant est distinct « d’un véritable
rêve ». C’est un « sommeil hypnotique » où les images sont plus nettes, plus vives. Ce
n’était certainement pas un rêve. Cet état se renouvelle chez cette malade dans un état
de demi-sommeil, jamais à l’état de veille on n’observe quelque chose de semblable.
Tous les soirs, les mêmes phénomènes se répètent. Le 6 avril 1930, étant depuis plu-
sieurs jours sous l’action de l’atropine-scopolamine, elle ne présente plus de sommeil
hypnotique. Elle ne croit pas d’ailleurs que ce soit l’action du médicament qui fasse
cesser ces sommeils hypnotiques, mais parce que son mari dont elle est séparée et qui
l’hypnotise, ne peut pas l’atteindre dans sa nouvelle salle... En revanche, on note un
curieux phénomène, c’est que le soir, si on lui fait regarder dans un verre vide, elle voit
des quantités d’images visuelles vives mais irréelles. Il s’agit d’illusions visuelles très
esthétiques, très colorées, des sphères, des figures qui se transforment, s’épanouissent,
changent constamment de forme et de couleur. Si on cesse l’atropine-scopolamine, les
sommeils hypnotiques réapparaissent. »
319
ÉTUDE N° 23
face de moi un autre qui regardait. J’étais éveillée à ce moment-là, je n’ai rien dit, je
n’ai pas bougé ni même appelé mon père, car je savais de quelle source ça venait ;
celui qui la tenait a éteint la bougie, j’ai entendu son souffle, et une fois qu’ils furent
partis, j’ai tâté la mèche pour bien m’assurer que je n’avais pas rêvé, elle était toute
chaude. J’ai donc reposé ma tête sur l’oreiller et je me suis dit « je vais le dire au
Docteur », les voix m’ont répondu que c’était vous qui le leur commandiez. Je ne sais
plus que penser ».
Elle écrit plus loin :
…Observation post encé- « Cette nuit-là, j’avais très mal dormi, je me suis réveillée, puis, sans pouvoir faire
phalitique de RANCOULE un mouvement, puisque j’étais paralysée, j’ai senti sauter sur mon édredon, puis pas-
(1938)… ser sur moi à tour de rôle des sortes de petits cochons d’Inde ou d’écureuils ; ils pas-
saient sur mon corps en faisant leurs petits besoins. Puis il y en avait encore un qui
était sur mon cou, quand je me suis mise à penser « pourvu qu’en passant sur ma poi-
trine il ne me tête pas le sein », au même moment la petite bête s’est mise en devoir
de le faire. Trois ou quatre jours après je me sens réveillée dans la nuit, il y avait devant
moi un homme assez jeune, il passait sa main sous mon drap du dessus et me deman-
dait de lui donner la main ; lui refusant, il la chercha en grimpant le long de moi
comme une araignée qui tisserait sa toile, puis ne la trouvant pas, il appela « Joseph » ;
aussitôt j’entendis une chaise remuer dans notre chambre, et le deuxième bonhomme
apparut, cherchant à côté du premier ma main ; puis, voyant qu’ils ne la trouvaient pas,
ils sont repartis, mais impossible de me rendormir. Il y a un de ces hommes qui est
revenu sous la forme de cochon d’Inde me supplier de lui laisser prendre ma main ;
comme je lui disais qu’il la prenne vite, il appela le deuxième bonhomme par une sorte
de bruit indéfinissable, puis voyant que je ne la leur laissais pas prendre, ils sont repar-
tis ; mais cette fois pour revenir à huit petits cochons d’Inde dans mon lit et comme
ma main était allongée le long de mon corps mais fermée, ils ont chanté, puis il y en
avait un qui balançait sa queue sur mon cou et qui me faisait souffrir énormément. Les
quatre autres ont mis leur queue dans mon poing fermé pendant qu’il y en avait un qui
discourait. C’était le Ier décembre, je me rappelle, ils venaient me souhaiter du bon-
heur puis il y en avait un autre à ma droite qui me flairait même étant éveillée, il venait
se coucher à côté de moi ou derrière ma tête en me chatouillant les oreilles.
« Une autre fois, je sentais qu’on essayait de me gonfler le ventre, comme je ne me
laissais pas faire, au milieu de la nuit j’ai été réveillée en sursaut, toujours engourdie,
j’ai senti et vu au moins sept femmes qui me montaient sur le ventre, j’étais oppressée
et je ne pouvais plus respirer, j’ai compris que c’était pour me punir d’avoir refusé de
me prêter à la chose dont je vous ai parlé plus haut... ».
Elle écrit dans une autre lettre :
« Je n’ai pu m’endormir de la nuit. Lorsque j’essayais de m’endormir en répétant
la formule du Professeur COUÉ, je tombais non pas dans le sommeil mais dans une
sorte d’engourdissement et sans pouvoir me défendre, environnée de coquillages, de
moules, de poissons, de sangsues, enfin de toutes sortes de bêtes qui vivent dans l’eau,
puisque je sentais l’eau. La nuit suivante comme je faisais la même chose pour m’en-
dormir, je tombais dans le même engourdissement sans pouvoir me défendre et les
yeux ouverts, puisque je savais que je ne dormais pas, et cette fois je suis tombée au
bord de la mer parmi les requins, les crocodiles et je sentais qu’ils voulaient me dévo-
rer. Puis je voyais devant moi, dans l’angle de l’armoire à glace, un esprit mauvais
avec un long bâton appelé tête de loup, qui le faisait aller et venir devant moi pendant
ce cauchemar ; une autre fois, comme il y avait un Christ pendu au mur juste en face
320
BOUFFÉES DÉLIRANTES
de mon lit, je voyais dans la nuit étant éveillée un esprit aussi, une femme, qui priait
soi-disant pour moi ; pendant ce temps plus elle priait plus j’avais les sens éveillés : le
démon me tentait ».
Si nous multiplions ainsi ces observations qui se ressemblent toutes, c’est précisé-
ment pour montrer qu’elles se ressemblent et on voudra bien nous excuser d’y insis-
ter. Mais cela est indispensable pour bien illustrer ce fait que quelle que soit l’étiolo- …quelle que soit l’étiolo-
gie, la « réponse » délirante et hallucinatoire est à peu près la même, en tout cas assez gie, la « réponse » déli-
rante et hallucinatoire est
constante pour caractériser une forme typique de conscience en voie de dissolution et,
à peu près la même…
pour ainsi dire, à moitié chemin du rêve et de la veille.
Naturellement le rapprochement avec l’action des toxiques hallucinogènes comme
la mescaline et le hachisch s’impose de lui-même 1. Mêmes états oniriques ou semi-
oniriques, impressions de dépersonnalisation ou d’étrangeté. Mêmes phénomènes hal-
lucinosiques aussi dont voici une assez jolie observation sous forme d’imagerie eidé-
tique, observation que nous empruntons à H. BECKETT et Ph. POLLATIN 2 :
« Il s’agit d’un homme de 23 ans qui présenta une encéphalite à l’âge de 10 ans, …observation de H.
d’une durée de 11 jours ; quelques mois après, il devint irritable, querelleur, paresseux, BECKETT et Ph. POLLATIN…
indiscipliné ; il commit des larcins et se montra vicieux, sadique, cruel. A 14 ans on
notait chez lui des troubles de caractère, des tendances agressives, notamment à
l’égard de sa mère (plusieurs attentats également sur de petits enfants). Il se plaignait
à ce moment-là de « brouillard devant les yeux ». A 19 ans il commença à parler de
visions et de tableaux qu’il pouvait voir même les yeux fermés et dans l’obscurité. Ses
hallucinations s’accompagnaient d’anxiété à tel point qu’il fit une tentative de suicide.
Il déclarait : « Ils sont en train de me rendre fou. Je puis voir les figures des infirmières
que j’ai vues dans d’autres services. Je peux me représenter comment mes pas mar-
chent sur le plancher. Je vois des visions de pas. Je prends la vision de tout ce que je
porte, mes souliers, mes vêtements, boutons, toutes les choses sur lesquelles j’ai jeté
un regard. Tout ce que je regarde, je le vois devant moi ». Durant tout notre examen il
dit : « Quand j’étais dans mon bain je visionnais l’aspect de toutes les choses qui
étaient de l’autre côté du mur dans les lignes du plancher, les formes des tubes, etc...
Un jour j’étais assis sur un banc, deux malades vinrent à passer et quand ils furent par-
tis, en fermant les yeux, je pouvais les voir encore comme s’ils étaient là. Plusieurs
jours après, étant assis sur le même banc, je n’eus pas besoin de fermer les yeux pour
les voir clairement comme je les avais vus la première fois. Quand je suis au lit et que
je regarde le plafond, je puis voir une image de l’ensemble du lit, du sommier, du
matelas, la couleur des raies sur le matelas ; mes yeux s’abaissent, je ne puis les main-
tenir droits, j’ai des visions de lignes sur tout ce qui se trouve dans la salle de bains, je
pense que l’œil droit va vers l’œil gauche et réciproquement ; je vous demande de
m’aider à me rendre maître de ces visions et de ces tableaux et de me guérir de façon
à ce que je puisse rentrer dans ma famille ».
1. Ce rapprochement et l’étude des effets de la mescalinisation des encéphalitiques ont été expo-
sés dans notre travail (avec RANCOULE) : Hallucinations mescaliniques et troubles psycho-senso-
riels de l’encéphalite épidémique chronique, Encéphale, 1938, 23.
2. H. BECKETT et PH. POLLATIN, J. of New. and Ment. Disease, 1937, pp. 548 à 556.
321
ÉTUDE N° 23
Ceci nous conduit à nous demander (comme BINSWANGER à propos de la fuite des
…quel rôle peuvent jouer idées ou comme MAYER-GROSS à propos de ses états oniroïdes) quel rôle peuvent jouer
les « centres » neuro- les « centres » neuro-végétatifs du tronc cérébral dans cette déstructuration de la
végétatifs du tronc céré- conscience. D’après REICHARDT et CAMUS, c’est dans les formations grises du méso-
bral dans cette déstructu- diencéphale qu’il faut « localiser » la conscience, la pensée vigile et la régulation de
ration de la conscience… l’activité psychique. Cette idée a été reprise, à la lumière de la pathologie traumatique
de guerre, par KLEIST (Gehirnpathologie 1934) qui a noté des lésions du tronc cérébral
chez les blessés de guerre qui présentaient des états intermédiaires entre la léthargie et
les états de demi-sommeil. Les états de dépersonnalisation avec sentiments d’irréalité
dépendent du trouble des fonctions du diencéphale. Il indique aussi que dans les
formes délirantes où le processus hallucinatoire s’associe à la désorientation spatiale
et à une légère « crépuscularisation » de la conscience avec « hallucinose » au sens de
WERNICKE, il s’agit presque toujours de blessures qui ont intéressé le diencéphale, le
lobe temporal ou le cerveau frontal (lobe orbitaire). Cette localisation d’un système
pour ainsi dire longitudinal aux divers étages du cerveau est, dans la conception des
…Travaux de KLEIST… centres des fonctions psychiques de KLEIST, particulièrement remarquable pour sa
localisation du Moi ou plutôt des divers systèmes du Moi. Le Moi de relation dépend
du cerveau frontal — le Moi intrinsèque (Selbst-ich), l’unité de la personne dépend des
fonctions mnésiques et ses troubles sont dus à des lésions fronto-orbitaires — le Moi
instinctif dépend des formations basales antérieures du diencéphale et le moi affectif
est localisé dans le tronc cérébral. Comme on le voit, la diversité des fonctions décal-
quée sur la multiplicité des centres permet à ce système de localisations de ne pas être
trop rigoureux. Ce caractère un peu disparate a été encore accentué en 1936 2. Pour ce
qui nous intéresse ici, soulignons simplement que les troubles psychopathologiques
des fonctions d’intégration entéroceptives des processus extero et proprioceptifs
(troubles de la conscience et dépersonnalisation, phénomènes d’influence) sont dus à
des lésions du mésencéphale, mais les états crépusculaires se rencontrent dans les
lésions mésencéphaliques et temporales.
Cette dernière remarque est d’autant plus significative que H. JACKSON le premier
avait placé dans la profondeur du lobe temporal les lésions responsables des états cré-
pusculaires, des « dreamy states » (uncinate fit), idée qui, après les travaux des Neuro-
chirurgiens et Neuro-pathologistes anglo-saxons (KENNEDY, CUSHING, WILSON,
HORRAX, etc...) a pris sa pleine actualité à propos de l’épilepsie temporale non seule-
ment pour les électroencéphalographistes (GIBBS, JASPER, GASTAUT) mais pour des cli-
niciens (PENFIELD). Il semble que l’on considère que la région temporo-hippocam-
1. Nous aurions pu étudier ici également les psychoses délirantes aiguës, les états hallucinatoires
et oniroïdes déterminés par la syphilis cérébrale. Cf. à ce sujet F. BARISON, Classificazioni e ana-
lisi degli stati oniroïdi nella paralisi progressiva malarizzata, Rivista sper. di Freniatria, 1936, 60,
217-270.
2. [KLEIST] : Congrès allemand de Neurologie et de Psychiatrie, 1936. Zeitschr, f. d. g. Neuro.,
1937, 58, pp. 159 à 193.
322
BOUFFÉES DÉLIRANTES
pique constitue une unité physiologique. De telle sorte que, comme nous aurons l’oc-
casion d’y insister à la fin de ce volume dans notre Étude n° 27, les idées de KLEIST
qui, à première vue et en raison de ses localisations en forme de mosaïque un peu hété-
roclite, paraissaient surprenantes, tendent à prendre plus de relief, s’il est vrai juste-
ment que les structures rhinencéphaliques de l’hippocampe (archicortex) et l’amygda- …ce « centrencéphale »
lium sont largement connectées notamment par le fornix à l’hypothalamus postérieur. […] constitue la « portion
Certainement ce vaste système fonctionnel, ce « centrencéphale » comme on l’a appe- végétative » fondamenta-
lé récemment, qui constitue la « portion végétative » fondamentale de la vie de rela- le de la vie de relation ou
tion ou mieux, pourrait-on dire, le nœud psycho-vital, sera, dans le sens déjà indiqué mieux, pourrait-on dire,
par JACKSON, l’objet d’observations physiologiques et psychophysiopathologiques du le nœud psycho-vital…
plus haut intérêt.
En France, les travaux les plus originaux et les plus approfondis sur ce problème …Travaux de LHERMITTE…
sont dus à LHERMITTE. Il a réuni une série d’observations très intéressantes sur l’hal-
lucinose pédonculaire, c’est-à-dire sur ces états d’onirisme partiel que l’on observe
notamment dans les lésions vasculaires de la calotte des pédoncules cérébraux en
même temps qu’une ophtalmoplégie par atteinte des faisceaux supra-nucléaires ou des
noyaux oculo-moteurs. « Une véritable marée hallucinatoire » peut être déchaînée,
écrit LHERMITTE 1, par ces lésions de la calotte bulbo protubérantielle ou, dans le cas
d’altérations qui portent sur la région la plus proche de la calotte pédonculaire, celle
du mésodiencéphale ou de l’hypothalamus médian. « L’halluciné pédonculaire, dit
encore LHERMITTE (p. 98) se trouve plongé dans un état qui s’apparente à l’état mor-
phéique ou plus exactement dans un état hallucinatoire » et c’est à la faveur d’une dis-
solution partielle des fonctions de connaissance, de critique, en bref de vigilance supé-
rieure que peut éclore la fantasmagorie.
Pour R. MOURGUE (qui rappelle très justement que, pour la raison que nous indi-
quions nous-mêmes plus haut, le sommeil est incompatible avec l’hallucination
« vraie », à ses yeux caractérisée par le phénomène de projection perceptive de l’ima-
ge) l’état hallucinatoire signale tout à la fois une désintégration des fonctions sensori-
motrices et un état d’inhibition corticale au sens de PAVLOV 2. Mais chez l’aliéné, dit-
il (c’est-à-dire, si nous ne nous abusons pas, chez les malades qui présentent les
troubles globaux de la conscience), il faut admettre un envahissement de la sphère de
la causalité par celle de l’instinct car ce n’est que dans ce bouleversement de la
« syneidesis » que la pensée se soumet à la loi de la « causalité agglutinée ». Cette
thèse, en clair, peut s’exprimer ainsi : les troubles de la conscience exigent toujours
une dissolution globale et en définitive c’est l’activité corticale qui est troublée. Cette
conception (pour si différente qu’elle soit du système réflexologique de PAVLOV) tend
donc à restaurer l’écorce cérébrale dans cette fonction d’intégration suprême de l’ac-
tivité psychique que l’on a un peu perdu l’habitude de lui attribuer depuis que les
centres d’association corticaux apparaissent comme une « paraphrase anatomique » de
l’atomisme associationniste.
Mais il nous suffit d’avoir montré ici toute la complexité et l’actualité de ce pro-
blème de physiopathologie cérébrale. Soulignons cependant dans quel sens plus dyna-
miste il a évolué puisque même, quand on parle de « centre de la conscience », on
entend sous ce nom non plus un centre où siège une fonction (la conscience ramenée
à une fonction ne pouvant que faire éclater le cadre même et la notion de fonction !)
mais un système plus fonctionnel qu’anatomique dont dépend l’énergétique de la vie
323
ÉTUDE N° 23
…la « conscience » n’est psychique. De telle sorte que ce « centre » n’est pas seulement « déterminé » par ses
pas une fonction qui exis- propriétés topographiques mais qu’il est l’activité même de l’intégration en tant qu’el-
te ou n’existe pas, qui le est soudée à la vie de l’organisme et qu’elle dispose ainsi des forces de l’organisme
s’éclipse ou paraît selon tout entier. De telle sorte encore que la « conscience » n’est pas une fonction qui exis-
la loi du tout ou rien, te ou n’existe pas, qui s’éclipse ou paraît selon la loi du tout ou rien, mais un système
mais un système dyna- dynamique de forces créatrices capable de structurer plus ou moins les relations exis-
mique de forces créa- tentielles du Moi et du Monde, de construire à l’intersection du temps et de l’ordre des
trices… espaces vécus, le champ de l’expérience présente.
Au terme de cette « ÉTUDE » nous pouvons dire que les notions flottantes de
« Psychose hallucinatoire aiguë », de « Bouffées délirantes », d’« États oniroïdes »
peuvent trouver dans notre perspective, avec leur relative unité, leur véritable sens et
leur exacte position dans le déroulement du processus de déstructuration de la
conscience. Elles correspondent en effet à cette phase intermédiaire (entre la « manie-
mélancolie » et la « confusion ») de la décomposition du champ de la conscience où
se désorganise la « représentation » de l’ordre spatialement vécu de l’expérience sen-
sible actuelle.
324
Étude n° 24 20. La classification des M. mentales.
21. Manie.
22. Mélancolie.
CONFUSION
23. Bouffées délirantes.
ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
24. Confusion.
25. Psychoses périodiques
maniaco-dépressives.
26. Epilepsie.
27. Structure et destructuration
de la conscience.
1. Nous devrions employer ce mot pour désigner spécialement le « délire confuso-onirique » afin
de bien marquer qu’ici « le délire » correspond au sens plein du vieux terme de delirium, tandis
qu’au niveau de déstructuration de la conscience qui a fait l’objet de l’étude précédente, les états
de « délire » sont mieux caractérisés par les épithètes « Wahnhaft » ou « delusional » qui peuvent
établir un pont entre le delirium et les délires (Wahn, Delusion).
Dans son livre, CHASLIN donne pour ces états de confusion (dont le delirium représente le
niveau le plus profond) une longue liste de synonymes. Nous les reproduisons à titre documen-
taire (elle figure à la page 78 de son livre) : Démence aiguë (ESQUIROL, BRIERRE DE BOISMONT) ;
Stupidité, stupeur (VÉROGET, FERRUS, DELASIAUVE, DAGONET); Confusion, confusion hallucina-
toire (DELASIAUVE) ; Délire de dépression (LASÈGUE) ; Délire d’inanition (BOCQUET) ; Torpeur
cérébrale (BALL) ; Acute primäre Verrücktheit (WESTPHAL); Hallucinatorische Verwirrtheit
(KRAEPELIN) ; Hallucinatorischer Irresein (FURSTER) ; Dementia generalis acuta oder subacuta
(TILLING) ; Mania hallucinatoria (MENDEL) ; Amenda (MEYNERT, SIRBAKY) ; Dysnoïa,
Polyneuritic psychose (KORSAKOFF) ; Délire sensoriel (SCHERESCHANSKI) ; Folie générale
(ROSENBACH) ; Paranoïa acuta ou hallucinatoria acuta (divers auteurs) ; Primary confusional insa-
nity (SPITZKA) ; Acute hallucinatore confusion (SPITZKA) ;…/…
325
ÉTUDE N° 24
§ I. — HISTORIQUE
…tout le problème est de De tout temps, sous le nom de « phrenitis », puis de « delirium » les médecins ont
savoir si ce groupe, désigné des états de troubles mentaux symptomatiques des affections cérébrales et
englobant toutes les psy- organiques aiguës. Et tout le problème est de savoir si ce groupe, englobant toutes les
choses confusionnelles
psychoses confusionnelles toxi-infectieuses, doit être séparé des autres psychoses
toxi-infectieuses, doit être
séparé des autres psy- aiguës ou si au contraire ces formes aiguës doivent être rapprochées de l’ensemble des
choses aiguës… psychoses aiguës dans une perspective qui nous est de plus en plus familière, celle des
niveaux de déstructuration de la conscience. Nous avons déjà dit un mot, dans notre
précédente Étude (n° 20) consacrée à la classification des psychoses aiguës, de la dif-
ficulté rencontrée pour séparer le « délire » des états de confusion mentale, du cadre
de la mélancolie ou de la manie, etc.
…PINEL et l’idiotisme… C’est à PINEL 1 que DELASIAUVE attribue le mérite de la première identification de
cette forme de troubles 2. Sous le nom d’« idiotisme », PINEL en effet a décrit « une
commotion » qu’il rapportait à une émotion (une affection vive et brusque, dit-il)
comme celle de cet artilleur des armées de la Révolution qui, à l’annonce que son pro-
jet de canon était favorablement envisagé par Robespierre, recevant une lettre de celui-
ci « resta comme immobile et fut envoyé à Bicêtre dans un état complet d’idiotisme ».
PINEL indique qu’il eut l’occasion d’observer de nombreux cas de ce genre qui se ter-
minent, dit-il, par un accès de manie. Il n’est pas sans intérêt de noter que cette des-
cription « princeps » vise des cas où le choc émotionnel joue un rôle primordial par
l’ébranlement qu’il provoque. A côté de ces « causes morales », PINEL admettait,
d’ailleurs, un facteur d’épuisement dans le déterminisme de ces troubles (faiblesse,
atonie et stupeur).
…ESQUIROL et la « démen- ESQUIROL 3 ayant réservé le terme d’idiotie aux états de « démence congénitale »
ce aiguë »… préféra appeler 1’ « idiotisme » de PINEL « démence aiguë ». Il ne s’intéressa guère
d’ailleurs à sa description.
326
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
GEORGET 1, lui, choisit le terme de « stupidité » pour définir ce qu’il appelait …GEORGET et la « stupi-
« l’absence accidentelle de la manifestation de la pensée, soit que le malade n’ait pas dité »…
d’idées, soit qu’il ne puisse pas les exprimer », et il cite l’observation de deux malades
qui toutes deux ont, après leur accès, décrit ce qu’elles avaient éprouvé.
ÉTOC-DEMAZY 2 se rallia au point de vue de GEORGET mais se refusa à voir dans
ces troubles une affection spéciale. Il les tenait plutôt pour une « complication de la
manie et de la monomanie ». (Son travail comporte une partie d’anatomie patholo-
gique où il insistait surtout sur l’œdème cérébral).
CALMEIL 3 et surtout FERRUS 4 s’intéressèrent vivement à cette nouvelle forme de
troubles. FERRUS soulignait le caractère apyrétique de la stupidité et effectivement tous
les travaux de cette époque semblent s’appliquer aux états de stupeur confusionnelle
profonde et sans fièvre où prédomine ce que l’on appelait « l’étonnement nerveux ».
Mais BAILLARGER 5 refroidit le zèle de ses contemporains pour cette nouvelle …BAILLARGER trouve un
maladie. Chez les « stupides » qu’il examina (6 observations) il était frappé du fait « fond de mélancolie»…
qu’il existait, disait-il, toujours un « fond de mélancolie » 6. Il admit cependant que
l’embarras des idées, les illusions, les hallucinations, une sorte de fatigue de tête ou
mieux, ajoutait-il (pour se servir de l’expression même de la malade), une sorte «
d’étourdissement », etc. constituent une « variété particulière » de « mélancolie stu-
poreuse ». Cet article, écrit CHASLIN, produit tellement d’effet que la plupart des alié-
nistes (et il cite RENAUDIN et AUBANEL) se rallièrent à l’opinion de BAILLARGER et refu-
sèrent de séparer la « stupidité » de la mélancolie.
Il appartenait à Louis DELASIAUVE de reprendre la question et de la porter à un …DELASIAUVE porte la
question à un admirable
admirable degré de précision clinique. Venu assez tard à l’étude de l’aliénation (1839),
degrè de précision cli-
il travailla à Bicêtre et fut fondateur d’une revue « Le Journal de Médecine Mentale » nique…
dans lequel la plus grande partie de son œuvre a été publiée. Nous insistons sur ces
détails pour faire comprendre que l’œuvre de DELASIAUVE est presque toujours citée
de seconde main et, naturellement, à peu près inconnue à l’étranger. DELASIAUVE esti-
mait que l’on considérait trop volontiers toute agitation active comme un signe de
1. GEORGET (E.), De la folie, Considérations sur cette maladie, son siège et ses symptômes, 1820,
et article « Folie », Dictionnaire de Médecine, 2e édition, 1836, XIII, p. 277.
2. ÉTOC-DEMAZY (G.), -De la stupidité considérée chez les aliénés. Recherches faites à Bicêtre et
à la Salpêtrière, Thèse, Paris, 1833.
3. CALMEIL (L.-F.), article « Démence », Dictionnaire de Médecine, 1835, p. 70.
4. FERRUS (G.), Gazette des Hôpitaux, 1838, p. 600.
5. BAILLARGER (J.), De l'état désigné chez les aliénés sous le nom de stupidité (1843), reproduit
dans ses Recherches sur les maladies mentales, 1890, I, p. 85.
6. Cela ne saurait nous surprendre si précisément nous admettons le principe des niveaux de dis-
solution de la conscience puisque, au niveau inférieur, s'ajoute la structure négative du niveau
supérieur. De telle sorte que la confusion contient aussi la mélancolie.
327
ÉTUDE N° 24
…DELASIAUVE dote la psy- Cet ensemble de petites études claires est, encore aujourd’hui, plein d’intérêt.
chiatrie du terme de C’est à lui que nous devons non seulement d’avoir doté la psychiatrie du terme de
« confusion »…et la
« confusion », mais d’avoir donné une description magistrale de cette « forme menta-
décrit magistralement…
le ». « Qu’on se figure, dit-il, un clavier sur lequel se promène une main distraite ou
inexpérimentée soumise au jeu machinal de ses propres molécules et notamment aux
impulsions de la circulation sanguine 2, le cerveau rend ainsi toutes sortes de notes dis-
cordantes. Il en est des « stupides » comme de ces hommes de 1’ « In exitu » qui ont
des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne point entendre. Leur situation me
paraît en tout point comparable à celle des gens qui assistent en automates à une
bataille ou à un spectacle. Impuissants à se soustraire aux impressions dont leur ima-
gination est frappée, ils en peuvent conserver le souvenir, comme un spectateur dont
je parle se remémorant le bruit du canon, de la fusillade, la mêlée des combattants, les
mouvements et les déclamations des acteurs, etc. En ce sens, les « stupides » sont des
témoins forcés et tout à fait passifs des scènes qui s’accomplissent devant eux ». Et
soucieux de séparer (contre l’avis de BAILLARGER) la confusion de la mélancolie, il
ajoute : « L’essentiel est de discerner quand, tristes ou non, les perceptions vicieuses
appartiennent à un sentiment altéré ou correspondent à une confusion intellectuelle. Or
ce dernier cas est celui de la stupidité ». Il insiste sur les symptômes physiques et avant
tout sur le caractère rémittent que prend souvent la marche de la maladie. Il décrit
cette « confusion » (stupidité) comme une sorte de groupe naturel comprenant des
espèces diverses. Il insiste sur les semi-stupidités en indiquant que c’est surtout dans
celles-là (qui correspondent au niveau qui a fait l’objet de l’Étude n° 23) que se ren-
contrent les hallucinations et le délire. Mais il ajoute : « Rarement les semi-stupidités
demeurent longtemps exemptes de complication. Le jeu machinal du cerveau produit
des scènes fantastiques dont le rapprochement avec les songes permet une interpréta-
1. On se rapportera notamment à son fameux Journal de Médecine mentale (éditeur Masson, col-
lection en dix volumes ayant paru de 1861 à 1870), t. I (1861), p. 10 et pp. 304 à 311 (Des
diverses formes mentales, Stupidité, Confusion intellectuelle) ; t. II (1862), pp. 74 à 81 et 111 à
à 125 (Semi-stupidité et stupidité légère) ; pp. 250 à 256 et 342 à 352 (Délires des névroses
convulsives, deuxième espèce : stupidité) ; t. III (1863), pp. 10 à 19, 137 à 144, 170 à 174, 213
à 226 (Folie ou délire par intoxication, troisième espèce : stupidité).
2. Nous retrouverons une théorie analogue chez MEYNERT dont CHASLIN fait d’ailleurs état.
328
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
329
ÉTUDE N° 24
re, que le « délire » (au sens de delirium) des alcooliques n’est pas un délire (au sens
d’idées délirantes) mais un rêve. Mais il appartenait à E. RÉGIS d’illustrer son nom par
…le délire onirique son étude approfondie du « délire onirique ». Voici comment il s’exprime dans son
(1901)… Précis :
« Ayant étudié de près, dans les hôpitaux, le délire des sujets atteints de mala-
dies infectieuses ou toxiques, je crus pouvoir en effet signaler en 1894 que ce déli-
re était comme dans l’alcoolisme un délire de rêve ; que ce délire de rêve auquel
je. donnais le nom de délire onirique (de onar, oneirow, rêve) pouvait être consi-
déré comme étant caractéristique de toutes les intoxications et infections, que ce
délire, enfin, pouvait être, non le rêve d’un sommeil ordinaire, mais le rêve d’un
sommeil pathologique » et il poursuit : « J’ai établi, et c’est là le point dominant
en l’espèce, que le délire onirique est un véritable état somnambulique, un état
second. Comme tout état second il est formé par la mise en jeu de l’activité sub-
consciente ou inconsciente... ».
1. Le délire onirique des intoxications et des infections. Bull. Académie de Médecine, 7 mai 1901.
2. On trouvera dans une thèse très documentée de cette époque (FAURE, Sur un syndrome mental,
etc., Paris, 1900), une bibliographie très abondante sur la confusion mentale (p. X à XVI de la
bibliographie).
3. A. DELMAS, Les Psychoses post-oniriques, Congrès de Luxembourg (1914), en fait tenu à
Strasbourg en 1920.
4. CHARPENTIER (R.), L’onirisme hallucinatoire, Revue Neuro, 1919.
5. Cf. sur ce point CHASLIN (pp. 59 à 71), MAYER-GROSS (Selbstschilderungen von Verwirrtheit,
1924, pp. 170 à 174) et EWALD (t. VII, Traité de BUMKE).
330
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
MEYNERT qui vient en tête, non point qu’avant lui on ne se soit préoccupé des …MEYNERT, l’Amentia et
états de « Verwirrtheit » (confusion) mais parce que, le terme d’ « Amentia » a fait les écoles allemandes…
fortune 1. Comme nous l’avons vu dans notre Étude n° 23, c’est autour de la question
des délires épisodiques, de la paranoïa aiguë et des confusions hallucinatoires (hallu-
zinatorische Verwirrtheit) que l’on discutait à cette époque à Berlin et à Vienne.
Malgré une longue série de travaux 2, dont les plus importants sont ceux de WILLE (qui
se rapproche au fond de l’École française), de STRANSKY, de BONHOEFFER, de
SCHRÖDER, etc. la notion de « confusion », écrasée entre les formes aiguës et subaiguës
de paranoïa d’abord, puis de schizophrénie, ne s’est jamais très sérieusement implan-
tée dans l’École de langue allemande. Celle-ci a bien plus souvent recours à la notion
de « réaction exogène » pour désigner les états confusionnels toxi-infectieux, ou à
celle de « Psychose de KORSAKOFF » pour désigner les syndromes où prédomine la
confusion amnésique avec désorientation. Enfin une partie des troubles confusionnels
sont plus ou moins rapprochés (surtout par l’École de KLEIST) des psychoses de la
motilité de WERNICKE quand il s’agit de formes confusionnelles hyperkinétiques ou
akinétiques qui posent un problème de diagnostic difficile avec les excitations catato-
niques. Quoi qu’il en soit, dans son fameux Traité, KRAEPELIN se contentait d’énumé-
rer quelques formes de « confusion » : délire fébrile, délire de collapsus, délires
toxiques. Et, plus tard, le traité de BUMKE, dans le tome consacré aux formes de « réac-
tions exogènes », après quelques généralités sur les aspects « delirium », « amentia »,
« états d’hallucinose » (pp. 15 à 45) est entièrement consacré aux diverses rubriques
étiologiques toxi-infectieuses (pp. 46 à 157) pour les affections organiques infec-
tieuses ou générales et (pp. 151 à 400) pour les diverses intoxications. Aussi est-il évi-
dent que la confusion comme telle, (comme « syndrome » ou « psychose » ou « struc-
ture psycho-pathologique typique ») est à peu près systématiquement ignorée.
Dans les pays anglo-saxons (acute insanity, acute dementia, acute confusional …dans les pays anglo-
saxons…
insanity, etc.) il y a peu de travaux importants ou récents ; CHASLIN signalait ceux de
1. MEYNERT « Amentia, die Verwirrtheit », Jahrbuch Psych. und Neuro (1890, 9, p. 1). En réali-
té, note EWALD, il s’agit là d’un vieux mot dont l’acception était restée très flottante. A vrai dire,
le cas décrit sous le nom d’Amentia par MEYNERT comprend sous un état confusionnel des
troubles aphasiques. Depuis lors le terme d’amentia est devenu classique pour désigner la confu-
sion mentale dans la plupart des pays étrangers. Aussi ne peut-on qu’être stupéfait en présence
du titre que L. Pierce CLARK a donné à son ouvrage sur l’arriération mentale : The nature and
treatment of Amentia (1933)...
2. Citons notamment FRITSCH, Die Verwirrtheit, Jahrbuch Psych., Neuro., t. II, p. 27. Die Lehre
der Verwirrtheit, Arch. f. Psych., 1888, 29, p. 328. MEYNERT: Zum sogenannte Hallwahnsinn,
Allg. Zeitschr. f. Psych., 1886. STRANSKY: Zur Lehre von der Amentia, J.f. Psych. und Neuro.,
1905, 5-6, p. 37. ZWEIG, Zur Lehre von Amentia Allg. Zeitschr. f. Psych., 1908, 60, p. 709.
SCHRÖDER, Ungewöhnliche periodische Psychose, Monatschr. f. Psych., 1918, 44, p. 261.
BONHOEFFER, Die exogenen Reaktionstypen, Arch. f. Psych., 1917, 58, p. 358, etc...
331
ÉTUDE N° 24
332
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
le niveau que nous avons précédemment étudié (Étude n° 23). Mais elle doit être aussi
détachée du concept de « toxi-infection », car si les états confuso-oniriques sont sou-
vent d’origine toxi-infectieuse, ils peuvent relever aussi d’autres processus et inverse-
ment les processus toxi-infectieux ne réalisent pas toujours et nécessairement ce
niveau de déstructuration de la conscience. En définissant la « confusion mentale » soit
par la « toxi-infection » soit par « l’analogie avec le rêve » on en a fait un concept
beaucoup trop large et vague qui a nui à son application. En la définissant au contrai-
re comme une forme typique de déstructuration (à son niveau le plus profond) de l’ac-
tivité de la conscience caractérisée par l’obnubilation, la désorientation et l’expérien-
ce onirique la plus identique à l’imagerie du rêve, en l’apparentant aux états de « deli-
rium » nous lui restituons sa place la plus naturelle dans la classification des psychoses
aiguës.
Et nous comprenons du même coup, 1° que les Psychiatres français, dans le pays
où, depuis LASÈGUE, DELASIAUVE, CHASLIN et RÉGIS, on a mis l’accent sur la structu-
re onirique de la confusion, aient englobé dans les états confuso-oniriques la presque
totalité des états délirants et hallucinatoires aigus sans trop s’apercevoir que pour si
infiltrés de rêve qu’ils soient ils ne sont pas tous « confusionnels », — 2° que les psy-
chiatres des Écoles étrangères, mettant l’accent sur les troubles de la conscience déter-
minés par les facteurs exogènes aient purement et simplement englobé la confusion
dans le syndrome de KORSAKOFF ou les états de « delirium » mais en omettant dans …sa strucure propre est
l’étude de ces psychoses, leur structure propre qui est l’état confuso-onirique. l’état confuso-onirique…
Autrement dit notre position, fidèle aux critères d’une analyse structurale, seule
capable de distinguer parmi les psychoses aiguës non pas des « entités » mais des
niveaux de déstructuration de la conscience, consiste à définir le niveau dont nous
nous occupons dans cette étude comme celui d’un trouble où s’ajoutent les troubles de
la conscience décomposée et les troubles de la conscience altérée (ainsi que l’a fort
bien vu MAYER-GROSS 1), pour constituer une forme structurale essentiellement et au
sens fort « confuso-onirique » que nous nous proposons précisément d’étudier.
1. Cf. notamment les pp. 170 à 181 de son ouvrage : Selbstschilderungen der Verwirrtheit — Die
oneroïde Erlebnisform, (1924).
333
ÉTUDE N° 24
§ II — LA PSYCHOSE CONFUSO-ONIRIQUE
TYPIQUE
…MAYER-GROSS différen- Les exemples de confusion abondent. Mais pour bien préciser à quelle structure de
cie la psychose confuso- conscience morbide répond ce concept, nous préférons donner ici l’exemple même que
onirique des états oni-
MAYER-GROSS fournit dans son ouvrage (pp. 175-180) comme base de diagnostic avec
roïdes et hallucinatoires
aigus…
les états oniroïdes dont nous avons déjà parlé. Cet exemple est en effet choisi en vue
de dégager la structure typique de la confusion (ou « amentia ») pour autant que celle-
ci représente une déstructuration de la conscience plus profonde que celle des états
oniroïdes et hallucinatoires aigus.
334
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
quelque incident dans la salle où elle était hospitalisée se produisait, elle s’effrayait,
regardait autour d’elle et puis se replongeait dans son état. A un moment donné, elle
se désignait elle-même comme étant un boulanger, B. (qui aurait tenté de la séduire,
dit-elle plus tard) et elle ne pouvait plus abandonner ce sujet, ni sortir de ce cercle de
pensées... Le 11 juillet elle regarda le jardin par la fenêtre et il n’était plus question que
des jardins. Un moment après, ayant été interrogée sur son nom, elle adhère à ce thème …Observation de MAYER-
du nom et on ne peut plus rien tirer d’elle. Elle dit : « je suis une pauvre veuve, je ne GROSS…
suis pas le boulanger B., je suis folle... mais je ne suis pas folle ». L’interrogatoire est
très difficile, en raison des persévérations et des réponses inadéquates. Elle revient
souvent à son identité, comme si elle cherchait à la définir. Elle ne sait pas depuis com-
bien de temps elle est là. Tantôt elle dit qu’elle a eu un enfant, tantôt qu’elle en a eu
deux, et elle dit « je suis si confuse que je ne sais plus où je suis, mais je ne sais depuis
quand. Elle continue à s’embrouiller à propos du nombre de ses accouchements et de
leur succession. A la question souvent répétée de « qui êtes-vous? » elle répond « une
folle. Ils ont hissé les drapeaux. Ils ont effrayé le boulanger et on dit que je dois aussi
pavoiser et craindre le boulanger B. » A propos d’un tableau accroché au mur (femme
apprenant à tricoter à un enfant) elle dit « je ne sais pas si c’est sa grand-mère ou sa
tante. Je suis tout à fait confuse ». Il est remarquable que plus on lui pose de questions,
plus la perplexité s’accroît, comme s’il s’agissait d’un écolier embarrassé. Cependant
vers la fin des examens, elle montrait une sorte de résignation désespérée à cette situa-
tion pénible.
Après une recrudescence nocturne le 16 juillet, son esprit s’éclaircit. Elle se mit en
colère et protesta contre le fait qu’elle était dans une maison d’aliénés. Elle disait enco-
re qu’elle n’avait pas d’enfants, mais cependant un moment après, elle corrigeait et
disait qu’elle avait bien deux enfants. Quatre jours plus tard, le 20 juillet, elle répon-
dait affirmativement au médecin qui lui demanda si elle voulait voir son mari, et pour
la première fois, elle parut à nouveau orientée dans le temps.
Après quelques jours où il y eut des intermittences dans l’amélioration, la guéri-
son s’est confirmée. Interrogée plus tard sur cette période, elle semble l’avoir vécue
surtout comme une formidable incapacité de se concentrer. Elle sortait constamment
du sujet, prenait son élan, ne trouvait plus le fil, n’était plus capable de retrouver l’es-
sentiel et se perdait sans cesse dans les détails sans importance. Elle se rappelait cer-
tains détails des événements subjectifs avec une exactitude stupéfiante. Par contre elle
montrait de grandes lacunes de souvenirs des événements réels. Elle dit aussi qu’elle
prenait une autre malade pour une voisine de son pays.
Ce qui est caractéristique, aux yeux de MAYER-GROSS, dans cette observation, c’est
…fragmentation du vécu,
la fragmentation du vécu et l’impossibilité de construire des ensembles. Il s’agit là
[…] démembrement de la
d’une sorte de démembrement de la conscience comme émiettée et déchiquetée. La conscience, […], per-
perplexité et l’effort pour sortir de cette impuissance sont à cet égard caractéristiques plexité…
de l’état confusionnel dans lequel prédominent les troubles de la conscience décom-
1. Nous devons signaler en raison justement de cette rareté l’excellent travail de H. HARTMANN
et P. SCHILDER, Zur Klinik der Amentia, Zeitschr.f. d. g. Neuro., 1924, 92, pp. 531 à 596. Ce tra-
vail comporte aussi quelques observations sur les confusions « grippales », c’est-à-dire, à cette
époque, plutôt sur les « confusions encéphalitiques ». — BALDUZZI (E.) vient de consacrer tout
récemment (Rivista di Patologia nerv. e ment., 1954, 75, 24-68) une bonne étude à l’onirisme.
335
ÉTUDE N° 24
posée tels que nous avons eu l’occasion de les exposer dans notre précédente étude.
Il est remarquable que les observations approfondies et en particulier les études
psycho-pathologiques de cas de confusion sont rares 1. La clinique de ces cas ne se
prête guère en effet à des analyses, le malade étant très troublé, souvent agité ou stu-
poreux et dans la suite plus ou moins amnésique. De plus la plupart des médecins, fort
raisonnablement, en face des problèmes pratiques urgents que posent de tels malades,
oublient un peu d’en étudier avec détails « l’état mental » et celui-ci passe en quelque
sorte au second plan ; on se contente alors le plus souvent d’un diagnostic rapide et on
s’intéresse davantage à l’aspect symptomatique de la toxi-infection ou du facteur étio-
logique général.
…le type de description: Nous devons prendre comme type de description les états que CHASLIN décrivait
la « confusion mentale comme « Confusion mentale primitive », terme qui ne signifie pas grand’chose, mais
primitive » de CHASLIN… qui est resté pour désigner la confusion mentale sous son aspect le plus caractéristique,
celui qui constitue le tableau clinique de la confusion mentale délirante de RÉGIS. Elle
est caractérisée par 1° la confusion, 2° l’onirisme, 3° l’agitation perplexe, 4° le syn-
drome physique d’un état de déficience organique plus ou moins généralisé et grave.
A.– DÉBUT.
…son début comporte Si la psychose peut éclater brusquement, souvent au réveil ou à la fin de la journée,
généralement […] une son début comporte généralement comme pour la plupart des psychoses aiguës, une
période d’invasion de
période d’invasion de quelques heures et parfois de quelques jours. Troubles de l’hu-
quelques heures et parfois
de quelques jours… meur et du caractère, tristesse, inquiétude, rêveries et distractions signalent le patient à
l’attention des siens. Le mutisme, l’inappétence, l’insomnie, parfois quelques actes sau-
grenus (refus de se lever de son lit, errance, fugue) ou bien quelques idées délirantes
(persécution, empoisonnement, sentiment d’étrangeté, etc.) étonnent l’entourage. RÉGIS
insistait sur la « céphalée » comme signal symptôme important : « Très souvent, écrit-
il 1, elle ouvre la scène et se prolonge dans le cours de l’accès. Cette céphalée est inten-
se, pénible, gravative, à siège diffus fronto-orbitaire ou occipital, si violente chez cer-
tains sujets que ce sont ces paroxysmes même qui peuvent créer le délire et en tout cas
le précédent immédiatement ». Les abords du sommeil sont particulièrement révéla-
teurs des modifications profondes qui se préparent dans la structure de la conscience.
Et somme toute, soit sous forme d’exaltation anormale ou d’anxiété, soit sous forme
d’expériences délirantes naissantes, c’est par les deux niveaux précédents (maniaco-
dépressif et hallucinatoire) que passe d’abord le processus de déstructuration de la
conscience. Les modalités de cette dégradation, sa rapidité, sa profondeur, la durée de
ses paliers successifs constituent les aspects cliniques de cette période d’invasion.
1. Précis. 6e édition, p. 346, et cf. aussi la thèse qu’il inspire à un de ses élèves A. BOUYER,
(Thèse, Bordeaux, 1900).
336
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE
I. La présentation mimique.
C’est son visage qui d’abord surprend ; les traits sont décomposés et comme
désaccordés avec la situation et les circonstances qui l’environnent. Il émane de sa …une impression d’hébé-
mimique une impression d’hébétude et d’égarement notamment dans le regard tude et d’égarement…
« hagard », « vitreux » et « lointain ». DELASIAUVE disait, rappelons-le, des confus
qu’ils sont, comme ces hommes dont parle le psaume ; « ils ont des yeux et ne voient
point ». En effet leurs sens demeurent comme insensibles ou ne paraissent frappés qu’à
la condition de refléter les émotions ou les images de la confusion interne. Le masque
de la confusion est si caractéristique qu’il constitue un symptôme crucial du tableau
clinique et le clinicien n’a pas de peine à l’identifier quand il est en présence de ces
malades dont la physionomie reste figée même quand s’expriment des émotions
intenses, dont les yeux sont constamment voilés même quand ils se fixent soit dans le
vague soit sur un objet et dont les propos demeurent atones et amorphes même quand
ils sont proférés dans l’intensité d’un gémissement ou d’un cri. Cet aspect de
« trouble » qui brouille les traits du confus ou ouate l’ensemble de son comportement
est caractéristique de son absence de la situation présente. C’est précisément ce symp-
tôme qui est le premier perçu par l’entourage et le premier qui entre nécessairement
dans la description du clinicien, car c’est cette modalité même du contact « confus »
avec autrui, cette épaisseur de vague et de flou que la conscience confuse interpose
entre le monde et soi, qui exprime et résume le trouble fondamental de l’obscurcisse-
ment de la conscience. Le manque de lucidité, de clarté, il est déjà là, perceptible et
totalement donné sur la physionomie du malade pour autant qu’elle exprime l’obnubi-
lation, la perplexité et la désorientation de la « confusion ». De telle sorte que l’on peut
dire que tous les symptômes de la confusion de l’esprit sont inscrits ici dans ces traits
caractéristiques de la confusion du visage.
II. Le comportement.
Le comportement gestuel, verbal et psychomoteur provient également de ce
trouble général et l’exprime. Perdu dans un labyrinthe de tâtonnements, d’essais et
d’erreurs, le confus, désemparé, se lève et s’arrête, court à la fenêtre, s’arrête, repart.
Sombre et muet, il se cramponne farouchement à un siège, à son lit, s’agrippe au bras
337
ÉTUDE N° 24
de l’infirmière, puis se laisse aller sur le sol, rampe par terre, brusquement crie à tue-
…L’impulsivité confu- tête, appelle au secours, se saisit d’un verre et le brise, etc. L’impulsivité confusion-
sionnelle […] est pour nelle 1 avec ses raptus violents, ses accès d’agitation désordonnée et ses troubles exci-
ainsi dire latente…
to-moteurs paroxystiques ou subcontinus est pour ainsi dire latente, quand elle n’écla-
te pas en violences subites, dans ce trouble profond de la conscience. Les propos
comme les gestes ont quelque chose d’incertain et de violent, mais aussi quelque chose
de théâtral comme si le patient parlait à la cantonnade ou en « a parte ». Et là encore
nous retrouvons sur le plan de l’expressivité psychomotrice et des actes le même
trouble fondamental : des figures émotionnelles hypercinétiques ou idéo-verbales se
détachent du fond d’obscurcissement de l’activité psychique comme de brusques
éclairs issus des ténèbres de la conscience obnubilée. Le mutisme entrecoupé de
… une manière d’ « être- monologues, de mussitations, d’incantations ou de chantonnements est l’expression
ailleurs »… fréquente de cette manière d’ « être-ailleurs ». De même le refus d’aliments, l’erran-
ce, les actes accomplis dans une sorte de rêvasserie incohérente (s’arracher les che-
veux, déchirer les draps, se promener en chemise, aller embrasser un autre malade ou
le frapper, etc.) sont symptomatiques du relâchement global de l’activité et de la pré-
valence des actes automatiques et des comportements archaïques sur les conduites
adaptées et lucides.
1. Cet aspect impulsif ou excito-moteur de la confusion a été spécialement étudié dans l’alcoo-
lisme (GARNIER, La folie à Paris, 1890. CULLERRE, Thèse, Paris, 1919. H. BINDER, Archives
suisses de N. et P., 1935, etc.), ou dans l’épilepsie (MAGNAN, Leçons cliniques, pp. 35 a 42.
MARCHAND et AJURIAGUERRA, Épilepsies, pp. 101 à 117, et cent autres travaux, depuis ceux de
JACKSON et GOWERS, jusqu’aux études contemporaines sur l’épilepsie « psychomotrice » (GIBBS,
PENFIELD). Mais ce n’est pas seulement dans les états confusionnels comitiaux ou alcoolo-
toxiques que se déclenche « la fureur », elle est souvent aussi l’apanage de la « confusion men-
tale elle-même » sous la forme de l’agitation subcontinue, soit sous la forme d’impulsivité
paroxystique.
338
CONFUSION ET DÉLIRE CONFUSO-ONIRIQUE