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Connaissance de l'islam et pouvoir colonial: L'exemple de la

France au Sénégal, 1936-1957

Hélène Grandhomme

French Colonial History, Volume 10, 2009, pp. 171-188 (Article)

Published by Michigan State University Press


DOI: https://doi.org/10.1353/fch.0.0015

For additional information about this article


https://muse.jhu.edu/article/266555

No institutional affiliation (28 Jul 2018 07:16 GMT)


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Connaissance de l’islam et pouvoir


colonial: L’exemple de la France
au Sénégal, 1936–1957

HÉLÈNE GRANDHOMME

This study urges us to describe and to understand the attitude and the point of
view of France on Islam in a particular territory, Senegal, and over a specific
period: that of colonialism. In this West African colony, the French policy vis-à-
vis Islam and Muslims is at the same time a pragmatic policy and a vision of the
other. We thus suppose that it fluctuated, even clashed, but it especially presented
a common core syllabus consisting of practices and knowledge.

A lors que la France entretient des relations très anciennes avec le monde
musulman, il s’agit ici de s’interroger sur la connaissance de l’islam en
milieu colonial. Jusqu’aux années 1920–1930, les rapports entre les autorités
musulmanes et le pouvoir colonial sont empiriques, dans le sens où elles con-
stituent une somme de parcours d’accommodation.1 A partir de la décennie
1930, on peut estimer que ces relations acquièrent des automatismes et prennent
davantage la forme d’un système d’accommodation avec ses logiques, ses enjeux
et ses contradictions. Le choix de l’année 1936 est emblématique à plus d’un titre.
Elle symbolise tout d’abord l’apogée coloniale. Les structures institutionnelles,

Hélène Grandhomme: Doctor of Contemporary History, University of Nantes (France); Research Center for International and
Atlantic History (CRHIA), University Cheikh Anta Diop of Dakar (Senegal).

French Colonial History, Vol. 10, 2009, pp. 171–188. issn 1539-3402. © 2009 French Colonial Historical Society. All rights reserved.

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administratives sont en place et constituent aussi bien un appareil de gouverne-


ment qu’une culture et des savoirs. Ensuite, c’est au cours de l’été 1936, que
le nouveau gouverneur général Marcel de Coppet arrive à Dakar. L’homme
est un représentant exemplaire de la politique d’« humanisme colonial » du
Front populaire. Il inaugure une politique de sollicitude à l’égard des autorités
musulmanes sénégalaises et contribue à donner de l’ampleur et un caractère
« routinier » au système d’accommodation. Enfin, les confréries entrent dans
une phase d’expansion pour devenir des superstructures à la fois religieuses,
économiques et sociales. Nous arrêterons cette étude en 1957, lorsque la mise
en place de la Loi-cadre entraîne l’autonomie du territoire et la délégation aux
nouvelles autorités sénégalaises d’institutions et de pouvoirs tels que celui des
affaires politiques et musulmanes.2
Au cours de cette période le savoir sur l’islam se veut descriptif, empirique,
finalement scientifique, mais se projette très souvent dans des applications poli-
tiques. La connaissance de l’islam relève d’institutions spécifiques, d’études, de rap-
ports, de missions et d’enquêtes diligentés par les divers étages de l’administration
coloniale française. Elle est aussi présente en amont du système, dans les lieux
de formation comme l’École coloniale. Enfin, elle comprend en parallèle les
études des scientifiques et/ou des administrateurs-ethnologues3 contemporains
de cette période historique. Tout cela a participé à la connaissance de l’islam au
Sénégal dans un milieu colonial.
L’exemple de la France au Sénégal nécessite la présentation rapide des par-
ticularités de la colonisation française au Sénégal, faisant de ce territoire un cas
de figure unique au sein de l’Empire. Elle nécessite également la présentation de
la configuration religieuse propre au Sénégal et due en grande partie au mode
d’implantation de l’islam sous la forme du soufisme. Pour terminer cette première
partie, nous ferons un rapide état des lieux de l’accommodation entre le pouvoir
colonial et les autorités musulmanes toutes puissantes au Sénégal. Nous aurons
ainsi fait un tableau des raisons qui ont amené la France à s’intéresser à l’islam
dans ce territoire ouest-africain. Dans une deuxième partie, nous décrirons les
sources de construction du savoir. Celui-ci émerge principalement des institu-
tions coloniales et des organismes de politique musulmane, mais aussi d’une
sphère scientifique souvent proche des milieux coloniaux. Davantage qu’une
politique centralisée et coordonnée, ces bureaux, services et autres établissements
ont donné naissance à ce que Jean-Louis Triaud a appelé la Culture des Affaires
musulmanes et qui est à l’origine de la conception de l’« islam noir ».4
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 173

La configuration et les spécificités de la colonisation


française au Sénégal

L’originalité de cette relation franco-sénégalaise naît du face à face, et surtout


des accommodations entre le pouvoir colonial et les autorités musulmanes. Au
Sénégal, la politique musulmane de la France doit être envisagée après deux
mises au point liminaires. En effet, dès la fin du XIXe siècle, ce territoire présente
des spécificités politiques et institutionnelles qui en font un cas de figure unique
au sein de l’empire colonial français. La tradition républicaine qui consiste à
vouloir assimiler ou associer les populations colonisées, se trouve d’autre part
confrontée à un terreau religieux spécifique.
Le Sénégal dépend du ministère des Colonies depuis sa création en 1894. La
colonie a été un des foyers privilégiés de l’application d’une politique coloniale
assimilationniste.5 Au sein de la colonie, seules les quatre communes (Gorée,
Saint-Louis, Rufisque et Dakar) ont été dotées d’un statut particulier, faisant
de leurs habitants—qu’ils soient noirs, blancs ou métis—des électeurs. Ces
derniers reçoivent en 1871 le droit d’envoyer un député au Parlement français,
puis celui d’élire leurs propres conseils municipaux. Ce droit sera suivi en 1879
de la création d’un Conseil général. Alors que la France abandonne peu à peu
l’assimilation pour lui préférer le modèle de l’association, le Sénégal se voit
conforté dans ses prérogatives politiques et institutionnelles. En mai 1914, la
colonie envoie à Paris le premier député noir de son histoire, Blaise Diagne. Ce
dernier obtient l’incorporation des originaires6 dans l’armée régulière française
en 1915, puis la reconnaissance officielle de leur citoyenneté pleine et entière par
la loi du 29 septembre 1916. De part la coexistence de citoyens et de sujets,7 le
Sénégal rassemble donc toutes les ambiguïtés et toutes les contradictions d’un
système colonial français qui ne sait pas quoi faire du colonisé8 ou qui—pour
le moins—lui a apporté des réponses diverses. Cette originalité a également
contribué à forger dans la colonie une longue tradition du politique, de même
qu’un attachement profond aux principes républicains. Les particularités de la
colonisation française au Sénégal ne s’arrêtent cependant pas à ces considéra-
tions politiques et institutionnelles. La forte proportion de musulmans, ainsi
que le mode d’implantation de l’islam dans la colonie, s’insèrent dans le décor
de notre étude.
A la chute des grands empires subsahariens, l’islam ne s’impose plus d’en
haut mais devient une religion choisie, plus proche des populations grâce aux
174 Hélène Grandhomme

guides spirituels que sont les marabouts. Au cours de la deuxième moitié du


XIXe siècle, l’islamisation des paysans réalise l’implantation définitive des
confréries soufies9 en Afrique Noire. Au Sénégal, quatre tarîqa10 se partagent la
majorité des fidèles musulmans. La plus ancienne est la Qâdiriyya. Apparue au
Moyen-Orient au XIIe siècle, elle est présente dans tout le monde musulman.
La Tidjâniyya est une confrérie essentiellement africaine, née en Algérie à la fin
du XVIIIe siècle. Au Sénégal, elle est majoritaire dès le début du XXe siècle et se
concentre essentiellement entre les mains de la famille Sy de Tivaouane. Vient
ensuite la Mouridiyya ou confrérie mouride. Cette dernière voie soufie issue de
la Qâdiriyya est exclusivement sénégalaise; elle est l’œuvre de Cheikh Amadou
Bamba (1854–1927) et de sa succession, la famille M’Backé de Touba.
Les marabouts, occupant alors la place laissée vacante par la disparition poli-
tique des élites, princes et autres rois, vont incarner l’autorité auprès des popula-
tions. Ils sont à la fois initiateurs, guérisseurs, chefs, savants, enseignants et guides
religieux. La première des autorités de la confrérie sénégalaise est naturellement
religieuse; elle est personnifiée par la mystique du fondateur, dont la baraka est
censée jaillir sur ses successeurs, les khalifes et les grands marabouts. Notons
également que le degré d’érudition du marabout (petit ou grand) contribue beau-
coup à son aura religieuse et à son degré de légitimation auprès des musulmans.
La confrérie se caractérise également par le lien social qu’elle a su tisser entre les
hommes, offrant aux croyants un lieu d’entraide et de solidarité horizontale, tout
comme elle comprend une relation verticale entre le talibé11 et son cheikh basée
sur la soumission et l’obéissance. Dans le domaine économique, elle se caracté-
rise très souvent par un grand dynamisme et un vaste esprit d’entreprise. Par sa
mystique du travail, la confrérie mouride a largement contribué à valider cette
définition, notamment par sa responsabilité dans le développement de la culture
de l’arachide et le défrichage de vastes terres dans le centre du pays.12 Enfin, du fait
de la longue tradition politique et électorale de la colonie du Sénégal, ainsi que de
l’omniprésence et de l’omnipotence de certains chefs musulmans dans la société,
ces derniers vont très tôt devenir des acteurs indirects—mais essentiels—de la
politique locale. La combinaison de ces pouvoirs religieux, sociaux, économiques
et politiques, fait des chefs religieux des interlocuteurs obligés de l’administration
coloniale mais aussi des hommes politiques sénégalais; elle est à la fois cause et
conséquence de leur légitimité populaire.
Le principal atout des confréries est donc la combinaison de l’autorité sur
l’individu (l’intimité spirituelle de la relation maître/élève) et l’autorité sur la
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 175

collectivité. Les tarîqa sont donc des structures enveloppantes, enrichissantes et


rassurantes pour les croyants. Le champ d’autorité des chefs religieux est à la fois
spirituel et temporel. L’administration coloniale a pris conscience de ce poids
des confréries et de l’islam dans la société ouest-africaine. Rapidement, elle est
même contrainte de faire le constat de sa propre responsabilité dans la diffusion
massive de l’islam au Sénégal. Certains la déplorent, les autres la disent inévitable;
elle est néanmoins, dans le sujet qui nous intéresse, éminemment caractéristique
de l’intérêt de la puissance coloniale pour la sphère musulmane.

Les enjeux de l’accommodation: La connaissance


à des fins de surveillance

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’islam montre principalement deux


visages: celui de l’accommodation13 et celui de la lutte armée.14 Progressivement,
avec la période d’administration et de mise en valeur de la colonie, les autorités
coloniales entérinent la valeur des confréries. Au début du XXe siècle, celles-ci
vont occuper un rôle d’intermédiaire entre colonisateurs et colonisés, permet-
tant ainsi à la France de mener son « œuvre de civilisation », et aux marabouts
d’étendre leur prestige sur la population. Il faut néanmoins noter que ce mariage
de raison n’est pas dénué de méfiance et de sous-entendus de part et d’autre. La
suspicion et la défiance président aux relations franco-musulmanes. Pour les
autorités coloniales, l’équilibre des relations avec les chefs religieux musulmans
apparaît comme une des clés de la pérennité de la présence française. Pour la
plupart des chefs musulmans sénégalais, l’apaisement des relations apparaît
comme une nécessité qui d’ailleurs ne fait pas de tous les marabouts des obligés
de l’administration coloniale. Il faut en effet souligner que la plupart des chefs
religieux aspire principalement à la tranquillité religieuse, loin des villes et
avec le moins de contacts possible avec l’administration. Cette reconnaissance
tacite de la domination n’est pas tant une acceptation du fait colonial qu’une
confirmation de l’inéluctable supériorité technique des Français. C’est aussi et
surtout reconnaître que l’affrontement fragilise la communauté musulmane,
tout comme l’expansion et l’épanouissement de l’islam.
L’administration coloniale possède le pouvoir de contraindre et de réprimer
mais il lui manque la légitimité. Par manque de légitimité, mais également du
fait de l’autorité de certains chefs religieux sur la population, l’administration
176 Hélène Grandhomme

coloniale doit reconnaître son incapacité à maintenir seule l’ordre publique, de


même que la menée de sa politique sociale et économique nécessite parfois le
recours aux autorités musulmanes qui, par leur profonde influence sur les popu-
lations, sont parfois amenées à jouer un rôle d’intermédiaire incontournable.
Il en est ainsi pendant les grèves syndicales de 193815 et 1947,16 ou encore lors de
la révolte de Thiaroye en 1944,17 événements au cours desquels les marabouts
incitent leurs concitoyens à la tempérance au nom de l’islam. Dans le domaine
économique, l’administration se dit très satisfaite de l’esprit d’entreprise et du
dynamisme de la plupart des confréries. L’expansion de la culture de l’arachide,
due en partie aux mouvements de colonisation des terres neuves du centre du
pays par les mourides, est un exemple de la jonction ponctuelle des intérêts des
uns avec les intérêts des autres.
Malgré leur légitimité, les autorités musulmanes ont souvent besoin de
transiter par le pouvoir colonial. Outre la soumission aux lois, les autorités
musulmanes se retrouvent très souvent dans l’obligation de se soumettre ou pour
le moins de transiger dans le cadre de leur exercice religieux. L’administration
coloniale devient en effet incontournable pour l’obtention des autorisations
indispensables à la vie spirituelle de la confrérie comme les rassemblements
religieux, les pèlerinages locaux, la construction de mosquées, les tournées des
marabouts ou ziyâra, etc. La politique musulmane de la France au Sénégal se
caractérise également par l’encadrement de deux moments forts dans la vie
du croyant: le pèlerinage à la Mecque et le passage par l’école coranique. Dans
le premier cas, l’administration coloniale organise un pèlerinage officiel érigé
en vitrine d’une France, nation amie de l’islam. Les autorités françaises envis-
agent ce pèlerinage aux lieux saints de l’islam comme un outil, non seulement
de propagande, mais d’encadrement à même de limiter les contacts entre les
pèlerins africains et les sources arabes de contestation.18 Pour ce qui concerne
l’enseignement coranique et de la langue arabe, l’administration mène une poli-
tique hésitante et ambiguë mais néanmoins caractéristique de l’omniprésente
volonté de contenir l’« islam noir ».
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les autorités coloniales ont
conscience que le trouble et la contestation risquent d’éclore dans la colonie.
Les menaces politiques et religieuses sont à la fois intérieures et extérieures au
Sénégal et sont à l’origine d’une certaine crispation de la politique musulmane de
la France. En effet, les mouvements nationalistes, anticolonialistes ou religieux
qui s’animent en Orient et en Afrique du Nord inquiètent les autorités coloniales
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 177

qui craignent la contagion à l’Afrique subsaharienne. On assiste alors à une re-


crudescence de la surveillance du religieux (des hommes et des manifestations),
de même qu’à la multiplication des organismes de politique musulmane, des
enquêtes, missions et autres études sur l’islam. Dans cette volonté de circonscrire
l’islam dit noir, la France entend préserver l’accommodation mise en place avec
certains chefs confrériques en l’opposant à toutes innovations, qu’elles soient
religieuses ou politiques.
Sur le plan intérieur, l’administration coloniale soupçonne les aspirations
religieuses et politiques de certains musulmans sénégalais. Il existe dans l’islam
une dynamique réformiste interne qui est de retrouver la pureté originelle de la
foi. Dès les années 1930, des musulmans sénégalais remettent en cause l’ordre
social né de l’attachement aux confréries et aux marabouts au nom de l’orthodoxie
religieuse. Des associations, telles que l’Union culturelle musulmane (UCM) ou
encore l’Association musulmane des étudiants africains (AMEA), s’inscrivent
dans ce courant. Elles sont rapidement suspectées d’aller s’abreuver aux sources
de la contestation arabe et de remettre en cause l’accommodation.
L’internationalisation des courants politiques et religieux aux lendemains du
deuxième conflit mondial, va contribuer à mettre l’islam au centre des préoc-
cupations françaises. Les autorités intensifient leur politique de surveillance
et de renseignement des milieux religieux sénégalais. On observe alors une
méfiance accrue vis-à-vis des Arabes vivant dans la colonie, le redoublement
du renseignement quant à l’organisation et au déroulement du pèlerinage
officiel à la Mecque, le fichage des marabouts ou chefs religieux sénégalais
suspectés d’avoir des contacts avec l’étranger, la censure de la presse et de la
propagande musulmane arabe, la surveillance des étudiants sénégalais formés
dans les universités arabes, la suspicion vis-à-vis de l’enseignement religieux
en langue arabe.

Les institutions et les organismes de politique musulmane

Dans une colonie où l’islam est une religion enveloppante et les marabouts des
guides spirituels et temporels, la connaissance de l’islam devient un élément
constitutif et incontournable de l’administration française au Sénégal. Les institu-
tions et les organismes de politique musulmane constituent les manifestations
officielles et intrinsèquement coloniales du savoir sur l’islam. Le savoir émerge
178 Hélène Grandhomme

également d’établissements et d’individus appartenant à la sphère scientifique,


mais qui néanmoins opèrent des connexions avec le système colonial. Ainsi, la
connaissance de l’islam nous renvoie au renseignement politique, tout comme
au savoir scientifique; le floue entre les deux s’envisage dans un contexte par-
ticulier qui est la colonisation.

Les territoires où domine l’islam sont lieux de colonisation; en conséquence,


le comportement politique des islamisés se trouve être aujourd’hui un des élé-
ments de la question coloniale.19

La connaissance de l’islam apparaît comme une nécessité; cependant la


politique musulmane de la France manque cruellement de cohérence. Chaque
ministère en charge d’une parcelle de pouvoir en la matière entend mener sa
propre politique et hésite à partager ou communiquer les informations. Entre
1910 et 1957, se met en place un maillage à la fois vertical et horizontal, composé
d’institutions, d’organismes de liaison et de formations.
A l’échelle de la Fédération d’Afrique occidentale, il existe une longue tradi-
tion du service de renseignement. La Direction des Affaires politiques (ou bureau
des Affaires extérieures) est créée en 1845 par le gouverneur du Sénégal Louis
Faidherbe. Il faut attendre 1906 pour assister à la mise en place d’un bureau
spécifiquement destiné aux Affaires musulmanes.20 Ce dernier bureau gère les
fiches de renseignements, les études et les rapports de missions et d’enquêtes
concernant l’islam et les musulmans dans la Fédération. Sous l’autorité des Affaires
politiques qui l’encadre, il centralise toutes les informations en provenance des
différents cercles21 de la colonie. En effet, les rapports politiques des cercles
représentent une source essentielle de la connaissance de l’islam pour les hautes
autorités coloniales. Ils sont issus d’un véritable travail plus ou moins exhaustif
d’observation et de compilation de la configuration religieuse locale.
Le rapport politique est une source inestimable de la connaissance de l’islam
en milieu colonial. Il nous donne à comprendre la façon dont l’administration
coloniale française envisageait l’islam, ses dirigeants et ses manifestations. Dès
le début du XXe siècle, la connaissance de l’islam se voit soutenue en amont de
l’exercice colonial par des lieux de formations spécifiques tels que l’École coloniale22
et le Centre des hautes études d’administration musulmane (cheam).23 Tous les
administrateurs coloniaux sont en effet persuadés de la nécessité d’acquérir un
savoir à des fins éminemment pragmatiques:
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 179

Le maniement des peuples musulmans est délicat, il exige du tact et du doigté


ainsi qu’une connaissance parfaite des lois et coutumes de nos ressortissants
mahométans. La négligence, la faute, ou la simple maladresse de quelques uns
et parfois même d’un seul peut déchaîner un jour et généraliser soudain du
désordre parmi les masses indigènes [ . . . ]24
Notre grande colonie africaine ne pourra certainement pas être entièrement
tenue à l’écart de l’évolution qui se poursuit dans le monde de l’islam et il est
plus que jamais nécessaire que nos administrateurs puissent, par leur forma-
tion, aussi bien dans les cercles qu’auprès de votre gouvernement général, se
renseigner quotidiennement sur les tendances nouvelles, l’origine des propa-
gandes pernicieuses, et déceler, avant qu’ils ne se manifestent ouvertement, des
mouvements de nature à contrarier l’action de notre administration.25

La connaissance de l’islam demeure cependant très longtemps lacunaire et


confidentielle. En effet, les lieux de formation excluent dans un premier temps le
champ de l’Afrique subsaharienne de l’étude de l’islam. L’École coloniale n’ouvre
une section Afrique Noire qu’en 1945 et ne propose un stage de perfectionnement
sur l’« islam noir » que l’année suivante. Il faut ajouter à ce retard les carences de la
formation de la majorité des administrateurs coloniaux. En 1938, 28 seulement
des administrateurs coloniaux sont diplômés de l’École nationale de la France
d’Outre-mer,26 de même qu’en 1951, la fédération d’Afrique occidentale française
compte seulement quatre brevetés du Centre des hautes études d’administration
musulmane.27 Davantage que des lieux de formation, ces centres et écoles ont
offert un lieu d’échange et de discussions pour le personnel colonial. Chaque
administrateur faisait part à ses collègues de son expérience de la réalité coloniale
et de ses connaissances propres. Dès 1911, des volontés de coordination et de
centralisation des affaires musulmanes émergent. Entre 1911 et 1937, un Comité
interministériel des affaires musulmanes est mis en place. Il s’agit d’un organisme
consultatif de coordination, d’analyse, de réflexion et de suggestion sur la base de
l’ensemble des connaissances sur l’islam dans l’empire colonial français. De 1935
à 1938, le relais est pris par le Haut comité méditerranéen et de l’Afrique du Nord
qui consacre en mars 1938 une session spécialement consacrée à l’islam dans les
colonies françaises et les territoires sous mandat. Au cours de la dernière décennie
coloniale, les autorités françaises continuent de concevoir des organismes destinés
à la centralisation des renseignements sur l’islam: les sections de coordination
locales (1950), la commission des affaires musulmanes (1954), un groupe de travail
180 Hélène Grandhomme

permanent (1955). En parallèle, des missions, enquêtes et conférences sur l’islam


sont diligentées par l’État français en Afrique de l’Ouest, parmi lesquelles: mission
sur l’état des forces islamiques en AOF (1952); rapport sur la religion musulmane
en Afrique Noire (1953); mission sur l’islam, le communisme et les nationalismes
arabes (1954); conférence des gouverneurs sur le problème musulman en AOF
(1955); rapport sur l’islam en Afrique Noire (1958).
A peine édictés, les objectifs de ces organismes et de ces rapports se transfor-
ment en vœux pieux: manque de moyens, de personnel, de communication et
de transmission de l’information d’un service à l’autre, ainsi que des difficultés
pour transformer les rapports et les études en actions politiques concertées. Il
faut également noter qu’à travers tous ces organismes de politique musulmane,
l’intérêt pour l’Afrique au sud du Sahara est tardif, quantitativement faible et
faisant l’objet d’un traitement singulier. Néanmoins, malgré les disfonctionne-
ments et les incohérences de ce système, ses activités attestent de la constante
volonté de surveillance de la sphère religieuse musulmane. Ces institutions et
ces organismes ont davantage contribué à la formation d’une culture des af-
faires musulmanes basée sur l’« islam noir »28 qu’à la cohérence de la politique
musulmane de la France.
Même si les tentatives politiques ont été vaines dans le domaine de l’action
concrète, la connaissance de l’islam au sud du Sahara s’est largement enrichie.
On doit également cet enrichissement aux nombreuses études faites par des
chercheurs, historiens, ethnologues apparemment en marge de la colonisation.
Il faut néanmoins remarquer qu’un certain nombre de monographies sur l’islam
en Afrique occidentale vont être réalisées par des fonctionnaires coloniaux.
Quelques-unes, comme l’Étude sur l’islam au Sénégal de Paul Marty en 1917,
vont ainsi servir de repère à plusieurs générations d’administrateurs jusqu’à
l’indépendance en 1960.29 En définitive, la connaissance de l’islam au Sud du
Sahara demeure éminemment liée à la menée d’une politique coloniale spécifique;
le savoir est en grande partie soumis ou coopté par le politique.

L’élaboration d’une culture des affaires musulmanes


et la théorie de l’« islam noir »

Quelle vision de l’islam apparaît dans ce que l’on peut qualifier de mouvance des
affaires musulmanes et qui comprend aussi bien les études et les missions dili-
gentées par et au sein de l’administration coloniale, que les travaux scientifiques
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 181

contemporains de la colonisation? La présentation de le l’islam pratiqué au


Sénégal en tant qu’« islam noir » relève d’un travail d’observation et d’examen.
Néanmoins, son élaboration au cours de la période coloniale est largement teintée
d’une vision particulière de l’altérité. Le musulman sénégalais est avant tout un
colonisé; il est ainsi entaché des mêmes stéréotypes quant à l’appartenance à une
population jugée alors inférieure. Le musulman sénégalais apparaît en quelque
sorte comme un musulman de second rang qui aurait dénaturé l’islam pour le
fondre dans un terreau spécifiquement africain. Cette volonté d’isoler l’Afrique
au sud du Sahara du fait d’une pratique originale de l’islam n’est pas seulement
un élément essentiel de la vision que porte la France coloniale sur le Sénégal.
Cette vision de l’altérité est inséparable d’un dessein politique.
On doit essentiellement aux administrateurs coloniaux les études fondatrices
de l’« islam noir » à l’extrême fin du XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle.
Elles proviennent d’une observation des administrés de confession musulmane
dont ils ont la charge, mais également d’une pratique de classement et de hiér-
archisation. L’ethnographie musulmane postule en effet que chaque groupe ou
individu est musulman à des degrés divers et suivant des pratiques différentes.
Au Sénégal, le regard que porte le colonisateur sur l’islam se singularise et se
spécifie dès l’époque de Faidherbe. Nous présupposons que la période 1900–1936
correspond à l’époque d’expansion et d’apogée de la théorie de l’« islam noir ».
Au cours de ces quatre décennies, six administrateurs-ethnologues ont retenu
notre attention pour leurs études relatives à l’islam ouest-africain ou sénégal-
ais: Alfred Le Châtelier, Alain Quellien, Robert Arnaud, Paul Marty, Maurice
Delafosse et Pierre-Jean André. Tous les six sont des observateurs et des in-
vestigateurs soucieux de décrire le monde qui les entoure. Leurs études sont
souvent méthodiques et denses. Leurs descriptions et visions de l’islam pratiqué
en Afrique de l’Ouest s’accompagnent toujours d’une partie didactique destinée
à une application politique et administrative.
Dans un premier temps, ces administrateurs considèrent que l’islam est un
progrès moral, un état médian entre la sauvagerie et la civilisation, une sorte
de pis-aller. Néanmoins, ce développement est considéré comme un « petit
progrès »30 compte tenu d’une vision simpliste tant de l’islam que du musul-
man africain. « L’islam a réussi, parce que son dogme est simple, qu’il manque
d’originalité et de sacerdoce » écrit Alain Quellien en 1910.31
Pour ce dernier, le succès de l’islam en Afrique de l’Ouest relève de son es-
sence, de sa nature et des nombreuses affinités qui existent entre ses dogmes,
ses pratiques et le terroir et les coutumes africaines. De façon méthodique, il
182 Hélène Grandhomme

nous livre une liste des causes du succès et du progrès de l’islam en Afrique oc-
cidentale, parmi lesquelles: la simplicité du dogme et des pratiques, le manque
d’originalité et de sacerdoce, l’indulgence et la polygamie.32
En 1917, l’administrateur colonial Paul Marty est l’auteur d’un ouvrage de
référence sur la configuration confrérique sénégalaise. Extrêmement documentés,
ses écrits contribuent fortement à définir l’« islam noir » à partir de l’exemple
sénégalais. Il y qualifie notamment la tarîqa mouride de « réaction de l’âme ouolof
sur l’islam », « de religion nouvelle née de l’islam » ou encore de « revanche de la
coutume et des ancêtres sur la religion d’importation ».33 Pour tous les auteurs,
l’« islam noir » est de fait un islam négrifié, adapté à la « psychologie du noir
musulman ». Cette dernière expression est le titre d’une partie de l’ouvrage de
l’administrateur Robert Arnaud en 1912:

Le Noir n’entend point la nature comme nous et il apprécie les êtres et les
choses à travers ses croyances et les coutumes de ses ancêtres; il est encore trop
près de la terre pour ne pas se fier à ses instincts plus qu’à son esprit critique;
il se contente aisément, en cette matière, de l’apport des autres; ses sorciers lui
disent les conséquences, ses marabouts lui disent les causes; le sorcier parle au
nom de la coutume, le marabout au nom de l’islam.34

La construction de l’« islam noir » est donc née de la convergence de plusieurs


principes. Le premier est la profonde méconnaissance des populations colonisées
animistes, alors que l’islam, pour des administrateurs ayant souvent fait leurs
classes en Algérie, est supposé connu. Les pratiques religieuses traditionnelles
sont interprétées très souvent comme de la barbarie et rarement étudiées. Le
second est l’utilisation du critère racial de classification qui attribue au Noir
des caractéristiques détestables et fait de la « race noire », une « race » primitive
et inférieure. Dans un premier temps, le Noir converti à l’islam est victime de
la même vision raciste que son frère noir et catholique. Le troisième et dernier
principe relève du pragmatisme politique qui tend à vouloir isoler les musulmans
africains. Ainsi, après les descriptions et les analyses, tous ces auteurs consacrent
une partie de leurs ouvrages à la politique qu’il convient de mener à l’égard des
populations musulmanes d’Afrique Noire. Au Sénégal, les confréries—tenants
de l’« islam noir »—représentent un pouvoir non négligeable. L’administration
les considère toutefois comme des entités tolérantes et malléables qu’il faut en-
tourer d’une « bienveillante neutralité ».35 L’aspect délicat de l’entreprise augure
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 183

cependant du fossé qui risque de se creuser entre les discours et les pratiques.
Ainsi, à côté de la bienveillante neutralité, Paul Marty prône une action politique
faite de surveillance, d’isolement, de répression, de renseignement et de divi-
sion. Pour Arnaud et Quellien, il ne faut ni combattre, ni encourager l’islam,
mais cependant soutenir discrètement un esprit de dissension et de corruption
au sein des confréries afin de les détourner de préoccupations qui dépassent le
cadre religieux. Maurice Delafosse est un des rares savants et administrateurs
à se défier d’une opinion courante qui voudrait présenter les sociétés animistes
comme sauvages, alors que les populations musulmanes auraient un degré plus
élevé de civilisation.
La théorisation de l’« islam noir » vient donc justifier les enjeux successifs
de la France au Sénégal. Malgré la méfiance de l’administration coloniale à
l’égard des confréries religieuses, elle a mis l’accommodation avec les autorités
religieuses locales au centre de son projet colonial. Les confréries sont con-
sidérées comme malléables et loyales par opposition à un islam dit « arabe »
jugé radical et dangereux pour la pérennité de la colonisation. Il convient donc
d’isoler le plus possible les musulmans africains des mouvements orientaux,
qu’ils soient réformistes religieux ou politiques. En 1953, le commissaire du
gouvernement pour le pèlerinage à la Mecque prône une politique d’appui sur
les confréries d’AOF afin de les « rattacher intellectuellement à l’Occident plutôt
qu’à l’Orient ».36 La doctrine de l’islam confrérique (ou « islam noir ») s’insère
alors dans le pragmatisme colonial. L’enjeu de la politique musulmane de la
France est édictée: la défense de l’islam ouest-africain, entendue comme garant
de relations franco-musulmanes que l’on dit équilibrées et sincères.

Les milieux musulmans de l’Afrique Occidentale Française se caractérisent dans


l’ensemble par une activité religieuse réduite et un loyalisme assuré. [ . . . ] Il
faut s’efforcer de leur ménager un champ d’évolution taillé à leur mesure, en
fonction de leurs qualités natives. Or ce résultat ne peut-être atteint que sous la
conduite d’une élite dévouée, affinée et patiemment éduquée à notre diligence,
en conformité de nos conceptions colonisatrices.37

Entre 1936 et 1957, cette vision de l’« islam noir » est largement enracinée au
sein de l’administration coloniale, bien qu’elle subisse quelques assauts, notam-
ment dans les milieux scientifiques. A l’approche de l’indépendance, on assiste au
bannissement de la terminologie coloniale dans le discours officiel. On ne parle
184 Hélène Grandhomme

plus de mission civilisatrice mais de communauté franco-africaine. L’enjeu de


la présence française au Sénégal évolue et prend une autre forme. Cependant,
malgré le sentiment clair que les choses sont amenées à changer en Afrique, les
relations entre le pouvoir colonial et les autorités religieuses apparaissent plus
que jamais comme une des clés de la pérennité de la présence française dans la
mesure où la plupart des marabouts sont considérés comme des remparts.38 Si
la France ne dispose plus des moyens administratifs et institutionnels lui per-
mettant de mener une politique musulmane après 1960, la culture des affaires
musulmanes et son corollaire l’« islam noir » demeurent dans les mentalités.
Il ne s’agit pas ici de nier la couleur africaine de l’islam pratiqué au Sénégal,
mais de s’interroger sur un concept d’« islam noir » né pendant le système de
domination qu’est la colonisation et à une époque où l’idée de couleur renvoyait
à des théories inégalitaires et discriminantes. En réalité, de nombreux intel-
lectuels sénégalais—religieux ou non—ont revendiqué et revendiquent encore
l’idée d’un islam sénégalais. Cette conception-ci est cependant dénuée de toute
vision dégradante et péjorative. Le bannissement de l’expression « islam noir »
par certains musulmans a pour origine deux causes principales. La première rai-
son est historique et s’attache au fait que cette conception a été le porte drapeau
d’une politique coloniale qui a surveillé, discriminé et tenté d’isoler l’islam
pratiqué au sud du Sahara. La seconde relève d’une appréhension universaliste
et unitaire de l’islam :

L’utilisation de ce concept de l’« islam sénégalais » pour désigner ce fait culturel,


qui est loin d’être un cas isolée, s’appuie sur une mise en évidence de son expres-
sion tout en excluant toute intention de vouloir isoler la société musulmane
sénégalaise du reste de la communauté musulmane.39

Malgré la méfiance de l’administration coloniale à l’égard des confréries


religieuses, elle a mis l’accommodation avec les autorités religieuses locales au
centre de son projet colonial. La doctrine de l’islam confrérique (ou « islam
noir ») s’insère alors dans le pragmatisme colonial, tout en pénétrant les esprits.
L’enjeu de la politique musulmane de la France est édictée: la défense de l’islam
ouest-africain, entendue comme garante de relations franco-musulmanes que
l’on dit équilibrées et sincères. L’« islam noir », à la fois savoir et pouvoir, est en
définitive le principal postulat de la politique musulmane coloniale.
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 185

NOTES

1. Le terme « accommodation » se substitue à celui de « collaboration ». Il décrit de façon


plus adéquate et plus exhaustive le type de relation instaurée en période coloniale entre
le pouvoir français et les autorités religieuses sénégalaises. La paternité du terme « ac-
commodation » revient à Nehemia Levtzion. . Le terme est repris par David Robinson.
2. Par l’arrêté du 24 mai 1957, le chef du territoire délègue au ministre de l’Intérieur sénégalais
la gestion d’un certain nombre de prérogatives, dont l’Intérieur et l’Enseignement.
3. En 1971, l’ancien administrateur colonial Pierre Alexandre distingue l’ethnologie « qu’on
peut dire ouvertement coloniale ou colonialement engagée » et l’ethnologie « qui se
voulait pure ou peut-être fondamentale ». P. Alexandre, “De l’ignorance de l’Afrique et
de son bon usage.” Cahiers d’Études Africaines 11, no. 42, cahier (1971): 448–54.
4. J. L. Triaud, “Le crépusue des Affaires musulmaues en AOF, 1950–1956.” In Le temps des
marabouts: Itinéraire, et stratégies islamiques en Afrique occidenteile français v. 1880–1960,
ed. J. L. Triaud et D. Robinson (Paris: Karthala, 1997), 443–519.
5. La doctrine de l’assimilation consiste à vouloir faire des peuples colonisés des peuples
français. L’assimilation est culturelle et politique, elle implique la mise en place d’institutions
similaires à celles de la métropole.
6. Les originaires sont les habitants des quatre communes du Sénégal.
7. Les individus nés en dehors des quatre communes ont le statut de sujet. Ils sont alors
soumis au système de l’Indigénat. Ce dernier prive l’individu d’une grande partie de sa
liberté et de ses droits politiques, ne conservant au plan civil que son statut juridique
personnel, religieux ou coutumier. Le sujet est ainsi contraint aux travaux forcés, à l’impôt
de capitation et à d’autres mesures discriminatoires.
8. Je renvoie le lecteur à la notion frères /sujets d’Hannah Arendt, Les origines du totalita-
risme: L’impérialisme (Paris: Fayard, 1987). Notion reprise dans l’ouvrage de Jean-Pierre
Dozon, Frères et sujets: La France et l’Afrique en perspective (Paris: Flammarion, 2003).
9. Le Soufisme est à l’origine la volonté de créer, au sein de la communauté musulmane, des
relations d’enseignement de maître à élève. Mais il se définit davantage par son objectif,
ainsi le soufi est semblable à « un voyageur sur la voie du retour à son créateur ». Dans
l’islam soufi, la confrérie offre aux initiés des liens de solidarité. En tant que cadres de
formation religieuse tendant vers un même objectif, les confréries ne peuvent s’opposer
les unes aux autres. En revanche, il peut exister des rivalités familiales et d’intérêts.
10. Une Tarîqa est une voie spirituelle, une méthode sur le chemin menant à Dieu. Il s’agit
d’une confrérie ou d’une congrégation initiatique.
11. Le talibé est le disciple d’un ordre mystique. C’est un postulant, un aspirant.
186 Hélène Grandhomme

12. Yves Copans, Les marabouts de l’arachide: La confrérie mouride et les paysans du Sénégal
(Paris: L’Harmattan, 1988).
13. Cette accommodation est largement décrite et analysée sur la période 1880–1920 par
l’historien David Robinson, op. cit. On y voit l’importance des personnalités telles que
Tamsir Hamat, Bu el-Mogdad, Saad Bûh, Sidiyya Baba et El Hadj Malick Sy dans le
processus relationnel entre pouvoir colonial et islam.
14. La résistance musulmane à la pénétration française est incarnée pendant la deuxième
moitié du XIXe siècle, entre autre, par des personnages tels que: El Hadj Omar du Fouta
Toro; Lat Dior, Damel du Cayor; Alboury N’Diaye, roi du Djoloff; ou encore Ma Bâ
Dyakhou.
15. Grève générale déclenchée en septembre 1938 par le syndicat des travailleurs indigènes
du Dakar-Niger.
16. Grève des cheminots africains. Premier mouvement syndical d’envergure en Afrique de
l’Ouest, relaté par le romancier sénégalais Ousmane Sembène, Les bouts de bois de Dieu
(Paris: Pocket, 1988).
17. Soulèvement d’anciens prisonniers de guerre de retour à Dakar (camp de Thiaroye). Ces
derniers demandaient la régularisation de leur situation financière. Le 1er décembre 1944,
le commandement de la caserne ouvre le feu sur les soldats démobilisés.
18. Ce grand rassemblement de l’Ummah musulmane fait craindre à la France une « con-
tamination » des croyants aofiens par les mouvements de contestation politiques et
religieuses comme le Wahhabisme, le panislamisme, l’idéologie de Nasser et de la Ligue
arabe ou encore les mouvements nationalistes d’Afrique du Nord.
19. Alphonse Gouilly, L’islam devant le monde moderne (Paris: Les Nouvelles Éditions,
Collection diplomatique et politique internationale, 1945).
20. Le service des Affaires politiques d’AOF est relayé à Paris par la Direction des Affaires
politiques du Ministère des Colonies.
21. La colonie du Sénégal est divisée en cercles, puis en subdivisions respectivement dirigés
par un commandant de cercle et un chef de subdivision.
22. A partir de 1912, l’École coloniale obtient le monopole de la formation des futurs ad-
ministrateurs coloniaux. En 1934, elle devient l’École nationale de la France d’Outre-mer
(ENFOM)
23. Le CHEAM est créé en 1936 par le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères. L’objectif
du centre est de parfaire la formation technique des administrateurs (ou autres) amenés
à servir dans les territoires musulmans.
24. Extrait d’une lettre du service des Affaires musulmanes du ministère des Colonies, au
gouverneur de l’AOF du 19 novembre 1923. Elle fait suite au rapport d’enquête de André
Connaissance de l'islam et pouvoir colonial 187

et Chatelaîn sur les tendances actuelles de l’islam en AOF. Archives nationales du Sénégal,
Dakar, fonds AOF, série Affaires musulmanes: 19G5(1).
25. Extrait d’une lettre de Marius Moutet, ministre des Colonies, au gouverneur général
d’AOF le 30 octobre 1937. Centre des Archives diplomatiques de Nantes [ci-après CADN],
fonds AOF « Dakar », no. 352.
26. William-Benjamin Cohen, Empereurs sans sceptres: Histoire des administrateurs de la
FOM et de l’École coloniale (Paris: Berger-Levrault, 1973).
27. CADN, fonds AOF « Dakar », no. 352. Statistiques pour 1951.
28. L’expression « islam noir », notée entre guillemets, est ici envisagée dans le cadre d’une
politique musulmane en contexte colonial. Que ce soit chez les administrateurs ou chez
les historiens de la première moitié du XXe siècle, l’expression véhicule des sous-entendus
qui la font très souvent rimer avec infériorité, simplicité et malléabilité. Après les indépen-
dances, les scientifiques tels Monteil, Cruise O’Brian, Trimingham et autres, tentent de
donner à l’expression une réalité débarrassée de toutes les scories de l’époque coloniale.
Ainsi, la notion d’islam noir recouvrirait un syncrétisme que l’on pourrait qualifier de
positif: « africanisation de l’islam, par réaction dialectique de la personnalité africaine »
selon Vincent Monteil. L’expression ne contiendrait plus de considérations qualitatives
purement subjectives, mais signifierait que les sociétés africaines auraient adapté l’islam
à leurs structures sociales, et conservé certaines formes de la religion traditionnelle, tout
en maintenant intact ce que l’on appellera l’islam des principes. Dans ce texte, nous
utilisons l’expression entre guillemets lorsque celle-ci est attribuée à l’administration
coloniale, sinon nous lui préférons l’expression: islam au sud du Sahara.
29. Cet ouvrage de référence est encore cité dans diverses études et rapports de l’ambassade
de France à Dakar après 1960.
30. A. Le Châtelier, L’islam dans l’Afrique Occidentale (Paris: G. Steinheil, 1899), 376.
31. A. Quellien, La politique musulmane dans l’Afrique Occidentale Française (Paris: Larose,
1910). D’après une thèse de doctorat présentée à la faculté de droit de l’Université de
Paris le 25 mai 1910.
32. Ibid.
33. P. Marty, Études sur l’islam au Sénégal, vol. 1: Les personnes; vol. 2 : Les doctrines et les
institutions (Paris: E. Leroux, 1917).
34. R. Arnaud, “L’islam et la politique française en Afrique Occidentale,” Renseignement
Coloniaux et documents, supplément à l’Afrique Française, no. 1 (3 -20); no. 3 (115 -27);
no. 4 (142 -54), janvier 1912.
35. Paul Marty, op. cit., 85.
36. Rapport de S. Sankalé, commissaire du gouvernement pour le pèlerinage à la Mecque 1953.
188 Hélène Grandhomme

Archives nationales du Sénégal (ANS), Dakar, fonds colonial, série Affaires musulmanes:
19G15(17).
37. Session du Haut Comité méditerranéen et de l’Afrique du Nord, mars 1938. Annexe au
rapport no. 1, activité du Haut Comité méditerranéen de la commission d’études et du
secrétariat général du Haut Comité méditerranéen, CADN, fonds de l’ambassade de
France à Dakar, no. 361.
38. Fernand Quesnot, “Les cadres maraboutiques de l’islam sénégalais,” in Notes et Études
sur l’islam en Afrique Noire, éd. M. Chailley, A. Bourlon, B. Bichon, F.-J. Amon D’Aby, F.
Quesnot (Paris: Recherches et Documents, série Afrique Noire, Centre des hautes études
administratives sur l’Afrique et l’Asie moderne [CHEAM], Peyronnet & Cie, 1962).
39. Mamadou Karfa Sané, Islam et société au Sénégal, approche sociologique d’une confrérie:
Le cas de la confrérie tidjane, thèse de 3e cycle, Université de Nantes, département de
Sociologie, décembre 2004.

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