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UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

COURS

HISTOIRE DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES (H. I. J.)

Licence I

GROUPE A

AMPHITHEATRE A

(KHALI MADIAKHATE KALA)


INTRODUCTION GENERALE

Notre cours s’intitule officiellement « Histoire des institutions judiciaires ». Il s’agit des
institutions judiciaires de l’Afrique, de l’Afrique de l’ouest et particulièrement du Sénégal.
L’Afrique est un continent vaste, immense, gigantesque. Située sous l’équateur et traversée par
les tropiques, avec des franges septentrionale et méridionale relativement tempérées, l’Afrique
ne présente pas partout les mêmes réalités. Elle offre toute une gamme de végétations où se
succèdent des zones de forêts, de savanes, de déserts, de collines. On y relève des sociétés
politiques de fondation, des sociétés politiques de conquêtes, des sociétés politiques
contractuelles. Et l’un des traits essentiels de ces sociétés est leur référence au sacré. Le sacré
domine la vie juridique africaine. Dans la pensée latiniste, le sacré ou sacer, appartient au
domaine séparé, interdit et inviolable. Il s’oppose au profane et fait l’objet d’un sentiment de
révérence religieuse. Autrement dit, c’est ce qui est digne d’un respect absolu. Amadou
Hampaté BA, reconnait avec force la prééminence de ce phénomène quand il affirme que :
« l’homme africain est un croyant né ». Dans ses travaux portant sur les populations négro-
africaines, leurs comportements et leurs droits, L- V. THOMAS en arrive à la conclusion qu’en
plus d’être « incurablement religieux », le négro-africain « vit en étroite communion avec
l’invisible et le sacré ». Le sacré apporte au droit le besoin de sens qui imprime toutes les
démarches humaines. C’est pourquoi, on ne peut ignorer les aspects métaphysiques et religieux
qui occupent un rang particulier dans la pensée juridique africaine. Sinon on aborde « avec
légèreté et de façon superficielle l’étude du droit négro-africain ».

Ici, la tradition occupe une place prépondérante dans les relations humaines. Elle peut être
comprise comme une doctrine, une pratique religieuse ou morale transmise de siècle en siècle,
originellement par la parole ou l’exemple. Fondée sur les mythes, les rites, la tradition est une
information relative au passé et transmise oralement de génération en génération. Mais la
tradition peut être entendue comme une manière de penser, de faire, d’agir qui est un héritage
du passé. Elle vise alors la coutume. Manière d’agir établie par l’usage, la coutume vise
l’habitude, les mœurs, la tradition ou ce qui est perçu comme tels. En d’autres termes, elle est
un habitus collectif, transmis oralement de génération en génération. Usage qu’une longue
tradition a rendu normative, elle se constitue lorsque certaines conditions cumulatives sont
réunies. Il s’agit de la pratique des mêmes actes (la répétition), l’accord du groupe (le
consensus) et la force du temps (la continuité). Par conséquent, elle est un droit non écrit. Selon
Etienne Le Roy, la coutume est bien l’ensemble des manières de faire, considérées comme
indispensables à la reproduction des relations sociales. Dans ce sens, les sociétés africaines
précoloniales ont, pendant longtemps, été gouvernées sous l’empire de la coutume qui
constituait la source par excellence de la règle de droit. En vérité, il a existé en Afrique des
sociétés suffisamment évoluées qui ont élaboré leurs cadres et leurs institutions, différents de
ce que la société occidentale a connu. Néanmoins, l’observation peut être riche en
enseignements sur ces peuples eux-mêmes, en même temps elle apportera une contribution aux
études sociologiques en général.

Aussi, est-il reconnu que certaines parties de l’Afrique subsaharienne, depuis le 8e siècle (an
746), au moins, ont été en contact avec le monde arabe. Le commerce transsaharien, fondement
de la richesse des peuples soudanais médiévaux, avec ses grands ensembles politiques et
culturels comme les grands empires du Ghana, Mali et du Sonrai à travers le commerce de l’or,
du sel, des esclaves, entre autres, a engendré des relations culturelles. Cette situation a eu des
effets sur l’Etat, les mœurs, les comportements, les habitudes, des populations ouest africaines.
Effectivement, l’islamisation qui est une conséquence de ce contact a créé en Afrique
subsaharienne un système juridique et judiciaire fondé sur le Coran et la Sunna qui sont
considérés par la doctrine comme étant les sources sacrées, fondamentales, originelles du droit
musulman ou fiqh et complétées par les sources dérivées. D’où un certain métissage culturel.
Ainsi, le mariage, la filiation, les testaments…et donc les questions de statut personnel ou de
droit de la famille, la justice, la conception de l’Etat, ont pu être influencés au fur et à mesure
que l’islam se propage en Afrique subsaharienne.

Le contact entre l’Afrique et le monde arabo-islamique est suivi de la colonisation occidentale.


Parlant du phénomène colonial, précisons que l’année 1444 marque le début des relations entre
l’Afrique au Sud du Sahara et le continent européen. A partir de 1492, les navigateurs portugais
font fréquemment escale sur les côtes occidentales de l’Afrique et s’installent dans les enclaves
atlantiques comme Gorée, en Sénégambie. Quant aux Français, en 1638, ils sont localisés sur
une île de l’embouchure du fleuve Sénégal et fondent une vingtaine d’années après un comptoir
baptisé Saint-Louis. Au même moment, le pays est en proie à de violentes et nombreuses
guerres opposant différents royaumes dans un contexte de traite des esclaves. Cette situation,
combinée avec l’occupation des terres, s’accompagne de l’expérimentation de la culture de
l’arachide qui marque ses débuts en 1840, suite au déclin du commerce de la gomme ; l’arachide
étant considérée comme le produit miracle dès cette période pouvant sortir le commerce de la
colonie du Sénégal de l’impasse. L’année 1854 voit la nomination, au Sénégal, du Gouverneur
Faidherbe pour la mise en place d’une véritable colonie. Avec la colonisation, les
administrations européennes ont posé les bases d’un hybridisme culturel qui n’est pas resté sans
liens avec les conceptions juridiques autochtones. De nouvelles juridictions sont mises en place
avec de nouvelles catégories juridiques, un nouveau personnel judiciaire ; le tout dans le cadre
de la dualité juridique et judiciaire. Il y a d’une part une justice pour les citoyens français et
d’autre part une justice pour les indigènes. Les citoyens sont le personnel blanc venu de la
France et les populations des communes de plein exercice. Sur ces derniers s’exerçait la
souveraineté française. A eux s’appliquait le droit français et leurs litiges soumis aux
juridictions françaises. Les indigènes représentent toutes les autres personnes sur qui ne
s’exerçait pas la souveraineté française. Ces dernières continuaient de voire sous l’empire des
coutumes africaines. Et leurs litiges continuent d’être connus par les chefs traditionnels. La
colonisation européenne de l’Afrique aboutit vers la fin des années «1950 » et aux débuts des
années « 1960 » à l’accession des colonies à la souveraineté internationale. Les colonies
accèdent aux indépendances. De nouveaux instruments juridiques sont mis en place pour
organiser les jeunes Etats, les rapports entre l’Etat et les citoyens et ces derniers entre eux. Le
Sénégal appartient à cet espace géographique, historique, politique, économique et social qui a
fait partie des grands ensembles ayant existé en Afrique de l’Ouest comme le Ghana, le Mali,
le Sonrai, avant de tomber sous la domination européenne et plus précisément celle de la France
en 1816 qui en reprendra effectivement possession avec le colonel Julien Désiré Schmaltz. Le
Sénégal restera définitivement sous la domination française jusqu’au moment de son accession
à la souveraineté internationale en 1960. Le Sénégal a développé des institutions judiciaires
dont il est aujourd’hui possible de faire l’histoire.

Que faut-il entendre par Histoire ?

Des nombreuses définitions proposées relativement à l’Histoire, nous retenons celle-là.


« Histoire » comme une série d’évolutions complexes qui ne peuvent être analysées qu’au sein
de quelques grandes périodes appelées à leur servir de cadres. En effet, l’attachement concret
du droit à son origine confère une place importante à l’enseignement de l’histoire dans les
facultés de droit. Par conséquent, la culture juridique nécessite une approche historique
permettant d’identifier les fondements du droit, en précisant la vraie image du droit dans un
contexte social déterminé, pouvant éclairer le présent et préparer l’avenir. Donc, l’histoire ne
consiste pas simplement à raconter le passé du droit mais elle tend surtout à former l’esprit du
juriste, en ce sens que le droit est porteur de valeurs, de cultures et de traditions de son
environnement. Juriste, l’historien du droit doit savoir emprunter à l’histoire et à l’ensemble
des sciences humaines tout ce qui est nécessaire à la compréhension de la genèse, de la
détermination et de la vie des règles et des institutions. Par ailleurs, la discipline d’histoire du
droit permet de relativiser les réformes, les évolutions, les changements, puisque « tout
événement historique trouve sa source dans un événement antérieur qui tout à la fois l’explique
et déjà prépare la chaîne des événements ultérieurs ». Dès lors, un recul est nécessaire à toute
volonté de changer l’ordre juridique existant.

Une institution est une structure d'origine coutumière ou légale, faite d'un ensemble de règles
tourné vers une fin. Elle participe à l'organisation de la société ou de l'État. Autrement dit, il
s’agit d’un ensemble de règles établies en vue de satisfaire des intérêts collectifs. Du latin
INSTITUERE, l’institution signifie quelque chose qui demeure, destinée à durer dans le temps.
On parle d’institutions publiques qui sont relatives à l’organisation de l’Etat, à la constitution,
au Parlement. Elle régit les relations entre l’Etat et les citoyens. On parle aussi d’institutions
privées qui organisent les rapports entre les particuliers.

L’adjectif « judiciaire » mis en rapport avec « pouvoir » est défini par le lexique des termes
juridiques, dans un premier temps, comme la fonction qui consiste à juger, c’est-à-dire à assurer
la répression des violations du droit et à trancher, sur la base du droit, avec force de vérité légale,
les contestations qui s’élèvent à propos de l’existence ou de l’application des règles juridiques.
Dans un second temps, l’adjectif « judiciaire » est défini comme organe(s) qui exercent la
fonction judiciaire donc les tribunaux.

Par conséquent, il s’agit de retracer l’évolution des institutions judiciaires de l’Afrique à partir
de l’exemple du Sénégal pour voir comment cette justice a évolué dans le temps pour montrer
la relativité des réformes en s’interrogeant sur l’organisation judiciaire dans ces sociétés, le
droit applicable et le personnel judiciaire.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’après son accession à la souveraineté internationale, le


Sénégal s’efforce de mettre en place une nouvelle organisation judiciaire conformément aux
exigences d’une démocratie moderne, en respectant encore plus les libertés individuelles et
collectives et en s’inscrivant sur la voie d’une démocratie moderne. Dans ce sens, il est créée
au sommet de la hiérarchie judiciaire une Cour suprême, une Cour d’appel et à la base des
tribunaux de grande instance et des justices de paix.

Mais plusieurs réformes judiciaires vont intervenir en tenant chaque fois compte des contextes
et des nouveaux besoins et nouvelles préoccupations, pour une plus grande efficacité de
l’activité des juridictions. Ainsi, la première grande réforme judiciaire intervient en 1984, créant
des Tribunaux régionaux qui remplacent les Tribunaux de grande instance et les tribunaux
départementaux en lieu et place des justices de paix. En effet, la loi n°84-19 du 02 février 1984
fixe l’organisation judiciaire, la loi n°84-20 du 02 février 1984 fixe les attributions des
tribunaux départementaux en matière correctionnelle et la loi n°84-21 du 02 février 1984 fixe
le statut de la magistrature. Mais déjà en 1981, il avait été créé la Cour de répression de
l’enrichissement illicite (CREI) par la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 dans le but de réprimer
l’enrichissement illicite par la loi n°81-53 du 10 juillet 1981.

La réforme de 1992 consacre l’éclatement de la Cour suprême en Conseil constitutionnel par la


loi organique n°92-23 du 30 mai 1992, Conseil d’Etat à travers la loi n°92-24 du 30 mai 1992
et Cour de cassation instituée par la loi n°92-25 du 30 mai 1992.

Au plan communautaire, il est mis en place l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du


droit des affaires (OHADA). Il s’agit d’une organisation intergouvernementale d'intégration
juridique instituée par le traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (île Maurice) auquel le
Sénégal est Etat parti. L'OHADA est créée dans un contexte de crise économique aigüe et de
chute drastique du niveau des investissements en Afrique ; l'insécurité juridique et judiciaire
étant alors identifiée comme cause majeure de défiance des investisseurs. La mise en place de
l’OHADA est à l’origine de la création de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dont le
siège est à Abidjan.

Dans le même élan, en 1999, la République du Sénégal, comme pays membre de l’UEMOA,
crée la Cour des comptes, en amputant au Conseil d’Etat certaines de ses attributions, sur le
fondement de la directive n°04/99/CM/UEMOA. Cette réforme judiciaire a été rendue possible
à travers deux lois et un décret d’application. Il s’agit de la loi organique n°99-70 du 17 février
1999 portant Cour des comptes et la loi organique n°99-73 du 17 février 1999 portant statut des
magistrats de ladite Cour. Il s’y ajoute le décret n°99-499 du 08 juin 1999 fixant les modalités
d’application de la loi instituant la Cour des Comptes. D’ailleurs, c’est dans le cadre de cette
intégration politique, juridique et économique, dans l’espace communautaire, qu’il faut situer
la mise en place d’autres juridictions communautaires en Afrique de l’Ouest comme c’est le cas
de la Cour de justice de l’UEMOA qui se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso. C’est dans
ce cadre qu’il faut situer aussi la Cour de justice de la CEDEAO dont le siège se trouve à Abuja,
au Nigéria.

Le souci de rapprocher la justice du justiciable a amené les pouvoirs publics à prendre, par
décret n° 99-1124 du 17 novembre 1999 relatif aux maisons de justice, à la médiation et à la
conciliation. Placées sous la responsabilité du Procureur de la République, ces dernières sont
chargées d’organiser des procédures de médiation et de conciliation en intervenant au plan civil
et sur la petite délinquance (infractions mineures ou délits mineurs). Du coup, elles doivent
contribuer à désengorger les tribunaux étatiques. Mais l’évaluation du fonctionnement des
maisons de justice établie en mars 2006 a révélé certains dysfonctionnements. Et des
recommandations issues des séminaires des mois de juin et juillet de la même année sur ces
dernières sont à l’origine du décret n° 2007-1253 du 23 octobre 2007 modifiant le décret n° 99-
1124 du 17 novembre 1999 relatif aux maisons de justice, à la médiation et à la conciliation
dans le but de corriger ces lacunes. De nos jours la République du Sénégal s’est orientée
résolument vers la généralisation de ces outils.

La loi constitutionnelle n°2008-34 du 07 août 2008 consacre le retour de la Cour suprême.

En 2012, les pouvoirs publics, dans leur volonté de lutter contre l’impunité et l’enrichissement
illicite, réactivent la Cour de répression de l’enrichissement illicite en hibernation depuis 1981.

Avec la loi n°2014-26 du 3 novembre 2014, la nouvelle organisation judiciaire comprend la


Cour suprême, les cours d’appel, les TGI, les tribunaux de travail et les tribunaux d’instance.
Au sein des TGI, des TI et des CA, des chambres spécialisées peuvent être créées en matière
civile et pénale par l’assemblée générale de la juridiction (article 4).

Une chambre africaine extraordinaire d’instruction est intégrée au tribunal de grande instance
hors classe de Dakar. Une chambre africaine extraordinaire d’accusation, une chambre africaine
extraordinaire d’assises et une chambre africaine extraordinaire d’appel sont rattachées à la CA
de Dakar. Ces juridictions extraordinaires, créées en accord entre l’UA et le Sénégal, sont
chargées d’instruire et de juger les crimes internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982
et le 1er décembre 1990. Elles seront automatiquement dissoutes à la fin de leur mission (article
4).

A travers la loi n°2017-23 du 28 juin 2017, le Sénégal se dote de tribunaux de commerce et de


chambres commerciales d’appel pour renforcer la protection des investisseurs et réduire les
délais d’exécution des contrats. Une telle politique devrait permettre aussi le désengorgement
des juridictions ainsi que la réduction des délais et des coûts pour faciliter l’exécution plus
efficace des contrats. Il s’agira de promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends
dont la médiation et la conciliation avec l’adoption du décret n° 2014-1653 du 24 décembre
2014 relatif à la médiation et à la conciliation.

Ce sont là quelques réformes judiciaires parmi d’autres adoptées par la République du Sénégal.
Dans le cadre de cours, notre travail s’attachera à présenter, dans un premier temps, les
juridictions chargées de rendre la justice, leur composition et la manière de procéder, de la
période précoloniale à la colonisation. Il s’agit des institutions judiciaires précoloniales
(première partie). Dans un second temps, nous nous attacherons à présenter les institutions
judiciaires de la période coloniale jusqu’aux indépendances. Il s’agit des institutions judiciaires
coloniales (deuxième partie).

PREMIERE PARTIE : LES INSTITUTIONS JUDICIAIRES PRECOLONIALES

Les sociétés négro-africaines sont des sociétés essentiellement tournées vers la recherche de la
paix quand bien même elles sont souvent confrontées à des dysfonctionnements. Mais l’un des
traits communs à cette justice dans des sociétés plurielles, est avant tout la recherche de la
conciliation. Il s’agit de concilier les parties. Concilier c’est engager des pourparlers en vue de
régler un différend ou de mettre fin à un conflit. L’accent est par conséquent mis sur la nécessité
de rapprocher les parties. C’est la recherche du compromis. En vérité, pour sortir de l’impasse
et échapper au désordre, des espaces étaient toujours prévus pour permettre la normalisation de
la situation par des gens investis de ce pouvoir. Cette phase est obligatoire et officielle. En
Afrique, le procès de justice est la dernière étape lorsqu’un conflit éclate. Cette situation découle
du communautarisme même de la société et elle influe sur le tribunal. C’est une justice
domestique, une justice familiale. Mais l’avènement de l’islam, avec ses règles, ses institutions,
son droit, conduira à la justice musulmane dite justice cadiale.

Nous allons analyser d’abord la justice communautaire (Chapitre 1) et ensuite la justice


musulmane (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : LA JUSTICE COMMUNAUTAIRE

Il est admis de tous qu’en Afrique il y a une primauté du groupe sur l’individu. La famille à la
tête de laquelle se trouve le chef constitue la cellule de base de la société. C’est pourquoi, la
justice en Afrique précoloniale était calquée sur ce modèle social. Egalement, elle était d’une
extrême simplicité, car régie par des principes appelés coutumes. Dans le règlement de leurs
différends, les Africains, malgré l’absence de l’écrit, préféraient appliquer la maxime selon
laquelle « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ». La justice communautaire
reposait d’abord sur la famille et était distribuée par des chefs et au plus haut sommet le roi.
C’est la typologie de la justice (Section 1). Toutefois cette volonté de trouver la solution à tout
prix ne signifiait point absence de sanctions. En cas d’atteintes graves au fonctionnement de la
société, il était mis en place un système de preuves appelées ordalies (Section 2).
SECTION 1 : LA TYPOLOGIE DE LA JUSTICE

Les sociétés africaines précoloniales étaient communautaires, collectives et hiérarchiques.


L’individu n'avait de droits et de devoirs qu'en fonction du groupe social. La justice était calquée
sur ce modèle. C’est pourquoi, l’Africain privilégiait l’anticipation, la conciliation et
l’apaisement. Cette justice était dirigée par les chefs. Le chef est la personne qui commande,
exerce une autorité. Il détient, selon des modalités très variables, une autorité particulière au
sein de diverses sociétés. Il se confond souvent avec le juge. Au sommet de la hiérarchie
judiciaire se trouvait le roi/empereur.

Voyons la justice des chefs (Paragraphe I) et la justice royale (paragraphe II).

Paragraphe I : La justice des chefs


La justice dans le cadre traditionnel africain était liée à l’organisation et à la mentalité des
sociétés. Il s’agissait essentiellement d’une justice de chefs qui privilégiait la conciliation. Dans
les sociétés africaines au Sud du Sahara, il y a un « dédoublement fonctionnel » chez le juge.
Le dédoublement fonctionnel est la situation où une même autorité exerce des pouvoirs ou des
fonctions tantôt pour le compte d’une personne de droit public tantôt au nom d’une autre. Ainsi
entendu, le juge africain est à la fois une autorité judiciaire et politique.

Dans les sociétés africaines traditionnelles, un conflit est dissuadé et son éclatement prévenu
par différentes instances, exclusives les unes des autres. Selon la nature du conflit, il est de
prime abord réglé au niveau de la famille. Lorsque l’instance familiale réussit à résoudre le
problème, les autres instances de règlement sont exclues. Par contre, si la famille échoue, le
conflit est porté à un niveau supérieur, celui du clan représenté par les chefs de lignage et, ainsi
de suite, jusqu’au Conseil des anciens qui peut soumettre la transaction proposée à l’autorité du
souverain. C’est dire que l’appel et la cassation existent-ils. En fait, tout plaideur non satisfait
de la sentence rendue peut porter la décision devant l’instance juridictionnelle supérieure et ce
jusqu’à la juridiction suprême. Suivant les cas, le conseil des notables du village ou la cour de
justice royale, voire impériale. La multiplicité des instances juridictionnelles garantit à chacun
une justice de proximité, tout en servant de rempart contre l’arbitraire ou l’abus de pouvoir.
Pivot des institutions, il est un élément fondamental qui porte sur ses épaules toute l'armature
politique, économique, sociale et judiciaire. L’origine de son pouvoir a fait l’objet de débats
nourris de la part de la doctrine. Quelques positions permettent d’étayer ces discussions. Guy
A. Kouassigan estime que la fonction du chef a un fondement religieux. Maurice KAMTO
trouve que celle-ci a une origine ancestrale. Dans d’autres sociétés, le pouvoir prend naissance
dans les mythes. Ailleurs, le chef est carrément déifié. Le chef a la plénitude de juridiction.
Relèvent de son pouvoir, tous les conflits qui surgissent dans la communauté qu'il dirige. Le
juge cumule en même temps le pouvoir de juger et celui de commander. Durant la période
considérée, les pouvoirs de commander et de juger étaient généralement confondus dans la
même personne du chef. Tel est le cas, par exemple, chez les Orungu, une ethnie gabonaise qui
fait partie du groupe des Myéné. Chez ce peuple, la distribution de la justice était la prérogative
du chef. Concrètement, cela signifie une confusion des fonctions politiques et judiciaires. En
d’autres termes, le pouvoir de distribution de la justice est tellement lié à celui de
commandement que celui-ci était rarement délégué sans celui-là. De même dans les sociétés où
l’islam est profondément ancré, la fonction de dire le droit revient au chef religieux. C’est le
cas chez les Halpulaar de la région du Fleuve qui se situe au nord du Sénégal appelée « Fouta »
qui désigne la bande de terre à cheval sur les territoires sénégalais et mauritanien s’étendant en
lougans, depuis le marigot de N’diorol à l’est de Dembankané jusqu’à la mosquée centrale de
Dagana.

Le juge est un négociateur réputé. Le négociateur est une personne sert d’intermédiaire dans
une affaire pour favoriser un accord. Son rôle est de négocier. Négocier, c’est discuter des
affaires communes en vue de parvenir à un accord. Pour parvenir à ces fins, une solution
conciliée, le juge africain s’appuie sur l’art oratoire. La conciliation est une action visant à
rétablir la bonne entente entre des personnes qui s’opposent. On parle d’ailleurs de
l’intervention du juge ou d’un conciliateur auprès de personnes en litige. Il y a ensuite la
médiation qui est l’entremise destinée à obtenir un accord. Le médiateur doit être éloquent.
Maître de la parole, il doit avoir une connaissance parfaite des proverbes et adages qui sont des
facteurs valorisants de son discours. Jean-Godefroy BIDIMA disait à ce propos : « Par son
aspect ludique, théâtral et rhétorique, la palabre s’apparentait à une juridiction devant laquelle
la justice jouait avec les mots et se jouait des mots ». La parole de celui-ci est riche en images,
expressions et figures de style, de proverbes et d’adages. Il s’agit ici de la parole, expression de
l’autorité du tribunal et comme caractéristique de la vérité des situations. La parole est un
moyen de résolution des litiges. C’est pourquoi, le juge a toute la liberté de l'ajuster en vue de
l'adapter au différend qui lui est soumis pour dire le droit. L’autorité du juge est rendue possible
par le fait que la justice était administrée dans les langues africaines, les dialectes locaux,
conformément à une procédure qui était coutumière, selon des règles de droit et plus largement
de principes généraux du droit parfaitement compris. C’est là une justice de proximité ;
proximité par rapport à la distance, à la langue et aux procédures. La parole du juge a une
fonction sociale qui permet la résolution des différends.

La recherche du compromis (arrangement) est au cœur de la justice familiale. Durant la période


précoloniale, l’accès des populations à la justice n’était pas difficile. La justice était administrée
conformément à une procédure qui était familière, selon des règles de droit et plus largement
de principes généraux du droit parfaitement intériorisés. Elle était facilitée aussi par le fait
qu’elle était administrée dans les langues locales. Elle se passe sous l’arbre à palabre qui
constitue le cadre privilégié de règlement des conflits. La palabre est un cadre d’organisation
de débats contradictoires, d’expression d’avis, de conseils, de déploiement de mécanismes
divers, de dissuasion et d’arbitrage. La palabre apparait pour les Africains comme le cadre
approprié de résolution des conflits. La palabre, incontestablement, constitue une donnée
fondamentale des sociétés africaines et elle est l’expression la plus évidente de la vitalité d’une
culture de paix. Cette palabre se tient en un lieu chargé de symboles avec une date
soigneusement choisie, et les débats sont publics. Le chef est entouré par des notables. Les
parties viennent en compagnie de leurs familles.

Voyons à présent le rôle judiciaire du roi.

Paragraphe II : La justice royale

Dans les sociétés négro-africaines, l’autorité royale ou impériale était la plus haute instance
juridictionnelle ; celui-ci cumulant ses fonctions politiques et judiciaires. Plusieurs exemples
permettent d’illustrer cette situation.

L’Egypte pharaonique a mis en place une organisation judiciaire très hiérarchisée. Elle s’est
dotée de cours et de tribunaux variés, intervenant les uns à la suite des autres dans la logique
du double degré de juridiction. Il a existé aussi des tribunaux de cassation. Un tel système a
déjà été observé à la fondation de l’Etat. Il y avait en Egypte des tribunaux inférieurs, au 1 er
degré, dont le tribunal de nôme qui était matériellement compétent pour connaitre des affaires
locales de niveau. Cette juridiction inférieure était présidée par un nomarque. C’est à ce niveau
aussi qu’on observe la Cour provinciale encore appelée Tribunal de ville. Cette cour était
présidée par le maire de la ville, assisté de deux assesseurs qui sont des juges non professionnels
et qui pouvaient être des prêtres ou des fonctionnaires maires. Qui plus est, l’organisation
judiciaire pharaonique comprenait six grandes cours de Haut et de Basse Egypte. Ces cours
étaient présidées chacune par un plénipotentiaire du Vizir. Enfin, au sommet de la hiérarchie
judiciaire, il y avait deux Cours royales de Thèbes et d’Héliopolis dirigées par les vizirs, d’une
part et la Cour suprême pharaonique, d’autre part. Cette haute juridiction jouait le rôle de Cour
de cassation par rapport aux juridictions inférieures et comportait un ensemble de conseillers
chargés de gérer la carrière des magistrats.

Dans une telle organisation judiciaire, le pharaon avait un pouvoir discrétionnaire de


nomination et de révocation des juges. Il avait aussi un pouvoir d’ingérence dans toutes les
affaires pendantes devant la justice. Cette hiérarchisation des cours et tribunaux ainsi que le
regard pharaonique se justifient par le nécessaire contrôle que les dieux devaient exercer sur
l’activité pharaonique pour conjurer toute tentative d’arbitraire. Les cours et tribunaux
pharaoniques prononcent des peines aussi nombreuses que variées : travaux forcés, peine
capitale, confiscation des biens, bastonnades, déportations, mutilations, emprisonnement.

Le pouvoir pharaonique de trancher les litiges se justifiait par le souci permanent de servir le
bien, de pratiquer la bonne gouvernance. Ainsi la justice pharaonique devait être équitable et
les lois pharaoniques justes.

Au Soudan occidental, dans l’empire du Ghana, un auteur enseigne que l’empereur tous les
matins fait à cheval le tour de la capitale, écoute les gens qui avaient à se plaindre de quelque
injustice et qui pouvaient s’adresser directement à lui. Il réglait l’affaire sur-le-champ. Il
s’agissait par conséquent de rapprocher la justice du justiciable pour une plus grande efficacité
dans la distribution de la justice.

Dans le royaume Cayor, quand il y avait litige entre deux ou plusieurs habitants du village, par
exemple, le chef du village jouait le rôle de magistrat- conciliateur.

Au cas où il ne parvenait pas à mettre d’accord les parties, il portait l’affaire devant le Jaraaf
qui jugeait en première instance.

Dans ces deux ordres de juridictions, on observait des juridictions à juge unique, c’est-à-dire
un seul juge quand bien même celui-ci pouvait se faire aider par les notables.

Si les parties n’acceptaient pas le jugement rendu, cette fois encore, l’affaire est soumise au
chef de province lequel formait un conseil de sept membres, présidé soit par lui, soit par son
fondé de pouvoir, pour en connaitre et la régler définitivement.

Lorsqu’il s’agissait d’une affaire importante dans laquelle de grands intérêts étaient en jeu ou
lorsque deux chefs de province étaient en cause, l’affaire était portée devant le Damel qui la
faisait examiner par un conseil supérieur composé du Diawrigne M’boul N’diambour,
Président, ainsi que des dignitaires suivants : Bataloupe, N’diobe, Lamane Diamatil, Lamane
Palméo, Badié Gateigne, Bour Gade, Gnollé, Diarraff Khaudane, Bessigne de Satté, et enfin
Fara Seuff qui le représentait. Le jugement rendu par le comité supérieur était soumis par le
Fara Seuff au Damel qui ordonnait l’exécution.

Le tribunal de province et celui du Damel étaient des juridictions collégiales.

La justice africaine précoloniale était avant tout une justice de conciliation, basée sur la
recherche du compromis. Elle était communautaire hiérarchique avec la prééminence des chefs.
Avec l’avènement de l’Islam, l’on assiste à la naissance de nouvelles institutions judiciaires et
d’un nouveau droit, fruits des contacts culturels.

En outre, il y a la parenté plaisante en Afrique qui permet


de prévenir ou de résoudre un conflit. Selon Raphael
N’DIAYE, la parenté plaisante est un ensemble de liens
conviviaux, privilégiés établis par l’Ancêtre, activés dans
une démarche personnelle renouvelée et qui fonctionne
sur la base de l’humour et la dérision courtoise. Faisant
échos à ces propos, Djibril T. NIANE parle de blagues et
de railleries permises entre certaines catégories de gens.
Ainsi, traite-t-on l’autre de gourmand, de menteur, de
voleur, de paresseux. Et même des propos salés sinon
grossiers peuvent être lancés à l’endroit de l’autre sans
que cela déclenche colère ou irritation. La parenté
plaisante existe presque partout en Afrique, du moins dans
la partie occidentale du continent. Elle prend plusieurs
appellations en fonctions de la langue de la société
considérée : Sanakouya par les Mandingues, Dendiragu
ou Dendiragal chez les Peuls, Mangu en pays Dogons,
Maasir par les Sérères. Cette pratique permet d’instaurer
la paix.

SECTION 2 : LE SYSTEME DE PREUVE PAR ORDALIES

En droit traditionnel négro-africain, la preuve en tant que manifestation de la vérité occupe une
place centrale. Il faut mentionner une idée maîtresse. C’est que partout en Afrique de l’Ouest,
l’infraction appelle la sanction. Et le plus important, c’est que la sanction appelle
l’administration de la preuve. De principe, la justice n’est pas expéditive, elle n’est pas
sommaire. Il faut dire aussi qu’il y a une présomption d’innocence. Mais celle-ci est loin d’être
irréfragable notamment lorsque la société est menacée, lorsqu’il s’agit d’infraction capitale
comme me meurtre, l’adultère, la vérité doit être amenée à se manifester contre le délinquant.
Cela pose la question de la charge de preuve mais aussi des moyens de preuve.

Paragraphe I : La charge de preuve

Certaines infractions pourraient être appelées capitales car constituant des menaces sur le
groupe, constituant en même temps danger de mort.

Dans le chapitre des infractions capitales, l’on peut citer l’anthropophagie, l’adultère, le meurtre
de même que le vol caractérisé et il faut déduire de cette énumération que la fidélité conjugale,
le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique, moral et mental doivent être regardés comme des
droits naturels de la personne et en tant que telles garanties la société. Justement, lorsqu’il y a
soupçon d’atteinte à ces droits naturels, lorsqu’il y a un ensemble d’indices suffisants, il y a
alors nécessité de prouver non pas non pas la culpabilité mais l’innocence.

Le Soupçon, l’accusation articulée en bonne et due forme, lorsqu’ils s’appuient sur des indices
suffisants, amènent une présomption de culpabilité. Du moins quand il s’agit de ces infractions
capitales. Ce suspect doit démontrer son innocence, il doit se laver du soupçon pris en charge
par la société. Et la société elle-même a intérêt à la preuve de l’innocence qui lui permet de
désamorcer une tension sociale interne, en l’occurrence la tradition est de recourir à un devin
qui se chargera, une fois le serment prêté, de débusquer le mensonge et alors s’ouvre la période
d’administration concrète de la preuve.

Paragraphe 2 : Les moyens de preuve

Ici, il ne s’agit pas d’écrit, de témoignage, de présomption. Il s’agit d’incursion dans le domaine
de l’irrationnel pour démontrer une culpabilité ou une innocence. C’est ce recours aux pratiques
magiques par la justice qu’on appelle ordalie. Il s’agit d’un test d’une épreuve magique censée
conduire à la manifestation de la vérité. Ces preuves très diverses en Afrique de l’Ouest ont été
assidûment pratiquées même pendant la période coloniale et il faut ajouter que c’était en marge
des instances officielles. En Côte D’Ivoire, la décoction au bois rouge qui devait être ingurgitée
au suspect pour l’amener à vomir la vérité n’a pas totalement disparu. De même, en Côte
D’Ivoire, l’épreuve d’huile bouillante dans laquelle il fallait plonger la main n’a probablement
pas disparu des campagnes.

Enfin, au Sénégal, le fer rougi au feu qu’il fallait lécher ou mettre en contact avec l’organe
suspect était de pratique courante.

Au bout du compte, la brûlure, la mort après absorption de la substance, la morsure du serpent,


la noyade après immersion dans le cour d’eau, ont été regardées comme démonstration absolue
de la culpabilité du suspect.

L’incantation, le rite, occupe, ici, une place centrale. Et nous sommes en présence d’une justice
culturellement adaptée à la mentalité ambiante. Il faut dire, enfin, qu’il y avait et il y a peut-être
encore des recours préventifs à la magie en vue de provoquer la flagrance, par exemple, que le
voleur ne puisse plus partir du lieu du vol ; que l’extromition devient impossible pendant l’acte
adultérin. En tous cas, il s’agit de moyens de preuve irrationnels qui ne valent que
proportionnellement à l’acceptation du système de croyance autochtone et au moins le constat
doit être fait de ce recours universel en Afrique de l’Ouest au mode de preuve irrationnel.

CHAPITRE 2 : LES INSTITUTIONS JUDICIAIRES MUSULMANES

A partir du 8e siècle, l’Afrique est au contact avec le monde musulman par le commerce
transsaharien. Il en résulte des relations culturelles desquelles procède l’Islam avec ses
institutions et ses règles. On parle des institutions judiciaires musulmanes. Il s’agira pour nous
de voir ici l’image des de ces institutions à travers le personnel judiciaire, le droit applicable et
la technique judiciaire.

Le droit musulman se compose de nombreuses sources qu’il convient d’examiner dans un


premier temps (Section 1) avant de présenter dans un second temps l’organisation de la justice
musulmane (Section 2).

SECTION 1ER : LES SOURCES DU DROIT MUSULMAN

La pensée démocratique que la volonté du nombre peut faire la loi, en s’exprimant par les
différents modes de suffrage, est une idée qui n’a jamais pénétré l’Islam. En terre musulmane,
la loi doit être respectée « parce qu’elle est la volonté du pouvoir et que cette volonté reflète ou
incarne celle de Dieu ». Il s’agit, par conséquent, d’une justice divine. Les sources sont
nombreuses et variées. Elles se répartissent en sources légales originelles (Paragraphe 1) et en
sources légales dérivées (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les sources légales originelles

Les sources légales originelles du droit musulman sont constituées du Coran (A) et de la Sunna
(B). Une certaine doctrine y ajoute le tafsir (C).

A- Le coran

Le coran est le texte sacré des musulmans, la parole de Dieu. Ce livre est le premier et le plus
ancien document complet et authentique connu en arabe.

Le livre (Kitâb) se compose de 114 sourates (sürat) ou chapitres, divisés en eux-mêmes en 6219
versets (ayat, signes miraculeux), phrase ou ensemble de phrases exprimant une ou plusieurs
pensées complètes, dans la forme dite nazm, ou composé rythmés, ordonné.

La fixation définitive du texte serait l’œuvre d’Othman, troisième calife. Chaque verset est une
énonciation (khitâb) portant injonction (taklif) par invitation ou interdiction ordre (amr) ou
défense (nahy), ou encore simple mention qui n’impose rien, - se référant aux législations
antérieures et aux peuples aniciens dont Dieu narre l’histoire (kissa).

La loi de l’Islam n’a pas pris naissance dans des principes mais dans des décisions isolés,
intervenant à point nommé pour résoudre des difficultés, mettre fin à un litige. Le texte explicite
(nass) oblige le croyant à une obéissance absolue ; qui conteste est un mécréant (Kâfir), qui
désobéit est un dévoyé (fäsik). « Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils
m’adorent » (LI, 56). Chaque verset a la valeur d’un postulat susceptible de donner naissance à
un nombre infini de lemmes et corollaires.

Code de la vie religieuse et sociale, il a tout prévu, tout réglementé, implicitement ou


explicitement. Qu’une situation nouvelle se présente, qu’un besoin nouveau se crée, il devra et
il pourra toujours y être pourvu à l’aide des principes qui s’y trouvent posés. Mais ces principes
eux-mêmes, énoncés d’intangible manière, sont immuables : et toute réforme qui leur serait
apportée constituerait une nouveauté blâmable (bid’a), c’est-à-dire une hérésie.

A vrai dire, il est une base étroite pour la construction juridique musulmane. Il réglemente la
société musulmane sous ses différents aspects comme le mariage, la dévolution successorale,
la guerre sainte, l’aumône, dîme, la matière pénale. Par conséquent, il règle les rapports de
l’individu avec la société. L’exégèse littéraire et la recherche linguistique ont donc joué un rôle
considérable dans le travail législatif, par l’extension qu’elles ont permise du sens d’un grand
nombre de termes.
B- La sunna

La Sunna est la manière d’agir, le comportement de l’Envoyé de Dieu indiqué par la parole
(takrir), l’action (fi’l), le silence (sukut). Elle trace pour le croyant la voie à suivre. L’islam,
aussi, a son Imitation. Bien que rien n’ait été négligé dans le livre (VI38), Mahomet est obligé
fréquemment d’intervenir. De son vivant, son éminente dignité sacralise l’exercice de ses
fonctions de chef de la Communauté musulmane. Autrement dit, la sunna est la tradition
adoptée par le prophète relativement à des questions pratiques. Cette sunna est exprimée par les
hadiths : les faits et dires du prophète de l’Islam. En effet, la sunna du prophète propose
également des règles au juge chargé de départager les musulmans.

Dès lors, la Sunna encore que non issue de révélations, a la même valeur légale que le Coran :
elle est également obligatoire pour les fidèles. C’est pourquoi les musulmans orthodoxes
s’intitulent gens de la Sunna et de la Communion (ahl al-Sunna wa –l-djamâ a)

Lorsque le prophète ne fut plus là pour régler les difficultés quotidiennes, lorsqu’il fallut
poursuivre l’organisation posée par lui pour une humanité primitive composée des petites
sociétés patriarcales d’Arabie, l’adapter aux développements de la vie interne de l’Islam et aux
législations des pays conquis, on rechercha les solutions nécessaires dans l’exemple du Maître
en poussant aussi loin que possible l’interprétation de sa pensée.

C. Le tafsir

Tafsîr ou encore interprétation est le terme arabe pour désigner une exégèse du texte
coranique. Il est basé sur les hadiths. Le travail d'interprétation requiert de son auteur non
seulement une grande érudition en matière de tradition orale mais aussi une maîtrise parfaite de
la langue arabe et de ses subtilités. La science du tafsîr s'est révélée précieuse surtout aux débuts
de l'islam. Cependant, bien qu'utile le tafsir est à prendre avec précaution à cause, selon
certaines écoles musulmanes, de beaucoup d'exagération et de récits non authentiques.
L’interprétation donne lieu à diverses lectures selon le profil intellectuel (à dominante
linguistique, théologique, juridique, traditionaliste ou moderniste), le tempérament (libéral,
rigoriste, etc.), la sensibilité religieuse (sunnite ou shî'ite, dogmatique ou mystique), l'option
méthodologique (privilégiant la lettre ou l'esprit du texte sacré), la tendance idéologique
(légitimisme politique, radicalisme populiste, etc.). Par conséquent, le consensus est toujours à
l'état virtuel, et jamais pleinement acquis, pas même sur des points où l'on s'attendrait à
rencontrer une large convergence entre les commentateurs ».
Qu’en-est-il des sources légales dérivées ?

Paragraphe 2 : Les sources légales dérivées

Lorsque la loi formelle (shar) tirée du Coran et de la Sunna dont l’ensemble représente l’Ecriture
sainte ne fournit pas la solution d’une difficulté posée, on peut faire appel à d’autres sources
complémentaires des règles normatives. Elles sont nombreuses et variées. Mais on insistera sur
l’Idjima (A) et le Kiyas (B).

A- L’Ijma ou l’assentiment général

L'ijma désigne l’unanimité, le consensus. Il est une des sources du droit musulman, après le
Coran et la sunna. Le consensus est généralement compris comme celui des oulémas
spécialistes du domaine dont il est question. L’institution puise son fondement dans le verset
IV, 115 : « Quant à celui qui se sépare du Prophète après avoir clairement connu la vraie
Direction et qui suit un chemin différent de celui des croyants : nous le jetterons dans la
Géhenne». Tout ce qui a l’approbation des adeptes de l’islam est donc juste et doit être
obligatoirement reconnu.

Qui le nie est un mécréant. Les hadiths sont plus explicites : « Ce qui a paru bon aux Musulmans
est bon au regard de Dieu ». « Ma communauté ne tombera jamais sur une erreur ». « Vous êtes
les meilleurs des hommes, il est de votre devoir d’ordonner que les hommes fassent ce qui est
juste et d’interdire qu’ils fassent ce qui est injuste. ». « Celui qui se sépare du peuple de la
distance d’un empan mourra de la même mort qu’aux jours de l’ignorance. ».

L’accord peut intervenir selon trois formes, il en est ainsi :

1. Lorsque le consentement est donné par parole (Kawl) par chacun des mudjtahid
séparément ;
2. Lorsque les juristes ont fait connaitre leur opinion en accomplissant des actes que
tous les croyants, à quelque école qu’ils appartiennent, ont l’habitude de pratiquer
(fi’l) : les ablutions, la fête de la tabaski.

Dans ces deux premières situations, on parle d’accord formel, par la pratique ou la pratique des
docteurs de l’islam. L’idjma est dit strict ou de rigueur (azima). L’autorité de la règle est absolue
et sanctionnée par le crime d’hérésie (kufr).

3. L’accord peut intervenir en troisième lieu par un avis d’un mudjtahid ayant fait
connaitre son avis d’une manière publique ou notoire, nul autre n’y contredit,
donnant ainsi son approbation tacite par le silence (suküt) : la fixation de la fête
musulmane.
B- Le kiyas ou raisonnement analogique

Le kiyas peut être défini comme une méthode par laquelle une règle posée par un texte est
appliquée à des cas non compris dans ses termes mais commandés par la même raison. C’est le
cas de la consommation du vin qui est interdite et par conséquent condamnée dans la mesure
où elle entraîne l'ivresse. De façon analogique, il est interdit la consommation de toute boisson
fermentée produisant l'ébriété. Par la technique du Kiyas, il s’agit de montrer comment la
jurisprudence musulmane part des situations concrètes prévus dans les textes écrits (Coran et la
sunna) pour ensuite opérer des généralisations à l'aide d'analogies sur des cas spécifiques.

Au-delà de la science coranique, il est permis au juge musulman de se référer à celle des
Oulama. L’équité, ray (point de vue) en droit musulman, nécessite l’intervention du mufti
(jurisconsulte). En effet, l’équité favorise l’équilibre dans la sentence de la justice (Un mauvais
arrangement vaut mieux qu’un bon procès) : d’où la flexibilité du droit musulman. Qui plus est,
le cadi doit tenir compte des conditions dans lesquelles l’acte banni a été réalisé. C’est ainsi,
par exemple, que la consommation du porc, alors qu’il n’y a pas d’autre nourriture à disposition,
relève d’un acte de nécessité. Aussi, le vol du pain pour sauver une vie humaine est-il une charte
fondamentale de nature à influencer la décision du juge musulman.

Voyons à présent l’organisation de la justice musulmane.

SECTION 2 : L’ORGANISATION DE LA JUSTICE MUSULMANE

Dans la doctrine traditionnelle des auteurs musulmans, l’avènement de l’islam est le point de
départ de toutes les institutions juridiques. L’on parle de justice du cadi. Le cadi est un
personnage essentiel dans les juridictions musulmanes. Mohamed s’est érigé lui-même en cadi.
Les califes qui lui ont succédé ont eux-mêmes ou par leurs représentants administré la justice
et réglementé les procédures judiciaires.

Examinons les conditions de nomination du cadi et ses compétences (Paragraphe 1) et ensuite


la nature juridique de la fonction cadiale (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions de nomination et les compétences du cadi

Pour être nommé cadi, il faut remplir un certain nombre de conditions. Parmi ces dernières, il
est exigé que l’intéressé soit musulman, de sexe masculin et pubère. Il faut avoir, en outre
l’honorabilité, c’est-à dire réunir un ensemble de qualités duquel on doit surtout retenir deux
vertus : la piété et la sincérité. Il faut connaitre la loi musulmane.

Le cadi est chargé de trancher le litige en se fondant, en principe, sur les sources du droit
musulman (le fiqh), notamment en matière pénale (mutilation et lapidation), de mariage (dot,
par exemple), de divorce (l’irrévocabilité de la 3e répudiation et l’impuissance) et de
successions (prépondérance de la masculinité : double de la part de la fille ou demi-part). Il est
également un arbitre notaire et protecteur des incapables. Il contrôle l’exercice du culte.

Paragraphe 2 : La nature juridique de la fonction cadiale

Dans sa conception classique, la structure de l’Etat musulman est théocratique. Le calife ou


imam, représentant d’Allah, législateur suprême, est le chef de la communauté et concentre en
sa personne tous les pouvoirs pour la direction de celle-ci. Tous les fonctionnaires agissent en
vertu d’une délégation de pouvoir qui est en même temps une représentation. Le cadi comme
tout autre fonctionnaire est délégué de celui qui l’a institué. A l’origine c’est le gouverneur qui
institue le cadi. Ensuite c’est le calife et par la suite le cadi en chef et enfin un cadi d’un grand
ressort qui aura institué un suppléant. C’est un mandat qui est donné par le gouverneur au cadi
qui exerce une justice retenue. En islam, il y a une unité de juridiction. Mais il n’y a pas une
formation collégiale judiciaire. Il n’y a pas non plus de double degré de juridictions, d’appel.
Toutefois, en cas de doute sur l’impartialité du cadi, le calife ou la personne qui l’a nommé peut
réformer la décision. Les recours institués sont de caractère gracieux. La personne condamnée
peut demander la clémence.

Tels sont les grands traits de l’organisation judiciaire africaine précoloniale. Mais au contact
avec la colonisation, ce système subit une grande influence. Il s’agit des institutions judiciaires
coloniales.

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