Les Élites Musulmanes Politique Au Cameroun Sous Administration Française

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THIERNO MOUCTAR BAH et

GILBERT L. TAGUEM FAH

LES ÉLITES MUSULMANES ET LA


POLITIQUE AU CAMEROUN SOUS
ADMINISTRATION FRANçAISE :
1945-1960*

Les communautés musulmanes du Camerounse distinguent


par leur organisation politique très forte, hiérarchisée et centra-
lisée. Cette spécificité politique fut, pendant l’époque coloniale,
à l’origine de la << Question musulmane >> ou des N Affaires
musulmanes >> qui désignent l’ensemble des problèmesque
posaient ces communautés à l’autorité coloniale française. Le
colonisateur français s’était toujours méfié de l’Islamqu’il
considérait comme un véhicule possible de redoutables influences
étrangères, ainsi qu’un instrument éventuel de mobilisation des
Talibè pours’opposer à l’action coloniale. L‘ampleur de la
<< Question musulmane B exigeait donc l’élaboration, par
l’administration coloniale française, d’une philosophiepolitique
et d’une administration spécifique que l’on qualifie de politique
musulmane de la France au Cameroun. Il faut cependant éviter
de confondrela politique musulmane de la France avec l’adminis-
tration directequi fut lesystème préférentielfrançais et l’Indirect
Rule notoirementreconnucomme méthode d’administration
coloniale britannique. Cette forme de gouvernementtraduit une
certaine politique spécifiquement basée sur les modesde vie et
d’action des groupes musulmans. Le pouvoir colonialinstallé au
Cameroun s’attelait à associer élites et leaders musulmans à sa

(*) Voir liste des abbréviations en fin d’article.


- 104 -

politique pour hiter de s’attaquer trop directement et ouver-


tementau fonctionnement des soci6tBs construites sous la
banniihe de l’Islam. Ainsi,leaders musulmans (Larnibe,sultans,
marabouts...), wnfr6ries religieuses et pratiques tels que le
phlerinage furent transfomes en levier sur lequel devait agir
l’a&nhistration coloniale pour subjuguer et exploiter les fid$les
du Proph&te.

s et
Pour comprendre l’enjeu politiqueque representent les
leaders musulmans, il faut savoir qu ans toute societé placee
sous la bannibre de l’Islam, le Lami ou le Sultan posshde le
vCritablepouvoir de d6cision. En t qu’administrateurd’un
territoire aux limites bien definies, il n o m e ses collaborateurs
ainsi que les Imam charges de diriger la vie religieuse. Avec
l’amrd de la fada (Conseil des notables dans les soeiét6s
musulmanes du Nord-Cameroun)ou du tita-nfon(dignitaires du
royaumebamoun),le Lamido ou Sultanadministrela
cornmunaut6 soumise h son autorite.
selon le droit coranique), du Modibo (maître du droit musulman),
d’un MaZoum (animateur des Bcoles coraniques)etd’un
secretaire, il rend la justice sur la base du droit musulman.
Cette organisation politique atteste le r8le et la capacitC de
mobilisation des leaders musulmans. L’administrationcoloniale
avait donc tout intBr8t B s’associer les leaders spirituels et poli-
tiques. Elle a pu dompter ces derniers au point de se servir d’eux
dans sa politique musulmane. Christian C O ~ partage N ce
point de vue lorsqu51 constate que l’administration coloniale
fransaise fut attentive dans les regions islamisees h se menager
l’appui et la collaboration de l’dite musulmane qui pourrait
servir d’intem6diaire politique (Il.
Cette politique que Daniel ABWA qualifie à justetitre
d’a apprivoisement >> ( 3 était essentiellement faite d’influence,
de << sympathie u et de << gén6rosit6 >>.

1. Cbulon C., Les musulmans et le pouvoir en Afiique, Paris, Karthala,


1983, p. 103.
2. Abwa B., Le LamidaP de N ~ Q o u ~ I ~de
&& 1915 ci 1945,thèse prisentée
pour l’obtention du Master’s degree en Histoire, Universitgde YaoundC,
fivrier 1980.
- 105 -

L’administration coloniale française ne négligeait aucune


occasion qui pouvait lui permettre detémoigner la supériorité de
la France métropolitaine et la nécessité d’une réelle collaboration
qu’elle présentait comme bénéfique au chef musulman.
Dans cette perspective, les administrateurs français assistaient
régulibrement aux cérémonies d’investiture des Lamibe ou des
Sultans et tenaient à cet effet un discours dithyrambique. C’est
ici le lieu de mentionner cette déclaration de l’administrateur
Raynier au Sultan Njimoluh Njoya Seidou lors de son introni-
sation en 1933 :
Ce qui m’a beaucoup plulors de votre intronisation,c’est qu’avec
vous, j e n’aurais plusbesoin d’un traducteurpourme faire
comprendre.Noustravailleronsenvraiscollaborateurset
surmonterons toutesles difficultbs pouvant surgir. Même à présent,
nous sommes d6j3 en train de travailler (3?

La méthode d’influence se manifestait aussi à travers les


multiples lettres qu’adressaient les administrateurs coloniaux
aux chefs musulmans. Lettres par lesquelles, après avoir reçula
marque d’estime que leur portait la République française, ces
derniers étaient invités à apporter leur soutien à l’administration
coloniale.
La << sympathie >> était la deuxième astuce politique utilisée
par les colonisateurs français pour séduire les chefs musulmans
afin de les associer à l’oeuvre d’exploitation coloniale.
Très souvent à l’occasion des fêtes françaises, en effet, la
Franceinvitait,pourchaquegroupementmusulman du
Cameroun, des représentants. Ainsi furent invités à assister à
Paris, aux festivités marquant la fête du 14juillet 1950, les
Lamibe Yaya Dahirou de Maroua, Hama Saly de Bé et Mohaman
Bello de Tibati (4).
A travers ces invitations, l’administration coloniale rehaussait
le prestige des chefs musulmansà l’égard de leurs administrés et
témoignait ainsi du souci qu’elle avait de ne pas marginaliser

3. Njoya Njimoluh S., Sultan Bamoum, propos recueillis h Foumban le


11mars 1991.
4. A N Y , ZAC 3655, Islam 1949-1951. Conférence donnée par Aliou Garga
en 1950 h Garoua B I’occasion de la fête du 14 juillet sur le thème :
<< Pourquoi la France invite-t-elle ses protégks ? B.
- 166 -

l9autorit6traditionnelle. Par ailleurs, cette manoeuvre politique


se prQentait aux yeux des a illustres h8tes B de l’administration
fimgaise, c o r n e une marque d’estimeet de confiance. Il fallait
en retour Ctre obeissannt aux ordres de Paris h travers l’adminis-
tration locale, et persuader ses assujettis des a bienfaits w. de la
Mi%-Patrie.
Toutefois la participation aux différentes fêtes n’était pas
unilat6rale car, B l’occasion des E t e s musuhanes (la fin du
jeilne de Ramadan par exemple), les administrateurs frmgais
assistaient a m cdrCmoniesaux &Cs des %amibe. Eventuel-
lement, ils saisissaient cette occasion pour t6moiper leur préten-
due sympathie vis-&-visdes leaders musulmans et 5 travers eux,
de toute la cornunautê musulmane. s festivitCs s’achevaient
gCn6ralement par des décorations qui servaient de rCcompense
pour sepvices rendus 2 la France et pour attachement ii la politique
fraqaise. Le chef de circonscription de NgaounderC dCcrit ainsi
l’une de ces c6r6monies :
Le 14juillet, la croix d’officier de 1’Etoile Noire du BCnin fut
remise solemellement au Emido Issa Maïgari. Cette distinction
qui l’a fort flatté, a produit une excellente impression dans la
population non seulement de Mgaound&r6,mais encore dans tout
le pays etaux Btes qui ont suivi sa decoration, bien desgens sont
venus le fkliciter qui, jusque-18, ne se derangeaient pas. Il est
certain que sonprestige et son autorit6 ont Ct6 fortement
rehauss6s (5).
La manipulation &ait ainsi êrigêe en methode politique et les
Franqais apprkiaient fort bien cette strategie de la medaille.
Outre l’influence et la << sympathie D utilisees comme
mCthodes politiques, la 4< gbn6rosit6 B &ait l’un des 616ments
c l b de la politique musulmane de la France au Cameroun.
L’administration coloniale manifestait envers lesleaders
m u s b a n s , une apparente génkrosité. C’est ainsi qu’en 1961,
sous l’instigation du Haut Commissaire Soucadaux, un crédit
fut votê pour la construction de la mosqu6e deYaoundC @). Par
ailleurs en 1956, B l’occasion de la construction de lamosquee
de Tignère, un ciredit d’un millionde francs fut inscrit au budget

5. Abwa D. - op. eit.


6. A N Y , APA 12247, Culte islamique.
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territorial au titre de subvention auxcommunautésmusul-


manes (7).
Dans le même ordre d’idées, l’administrateur Bleu s’adressait
au chef de la circonscription de Garoua en ces termes :
J’ai l’honneur de vous faire parvenirpar ce courrier, deux Corans
destinés l’un au Lamido de Garoua, le second à Bouba Djemala,
Lamido de Rei. Vous voudrez bien en faire don dema part 3 ces
chefs comme une marque spéciale dema satisfaction des services
qu’ils nous rendent et de l’intérêt que je leur porte. Chacun deces
Corans renferme une lettreen arabe à l’adresse du destinataire. @)
Au-delà de toute apparence trompeuse, l’influence, la sympa-
thie et la générosité ne visaient qu’à charmer et à apprivoiser
l’élite musulmane afin de l’associer à la politique coloniale.
Toutefois, il faut reconnaître que cette méthode demanipulation
politique n’a pas annihilé les velléités contestataires de certains
chefs musulmans soucieux de préserver leurs prérogatives et
désireux de conserver intacte leur autorité traditionnelle. Bien
des leaders spirituels et temporels des communautés placées
sous la bannière de l’Islam se sont opposés à l’administration
coloniale. Le cas le plus frappant fut celui de Njoya, Sultan
bamoun. Dès 1919, avec l’arrivée de Prestat comme chef de la
subdivision de Foumban, Njoya devint un << subversz >> aux
yeux de l’administration coloniale (9). Prestat était chargé de
mettre des limites étroites au pouvoir traditionnel et d’admi-
nistrer le territoire bamoun à la façon française. Njoya s’opposa
dès lors à cette mission qu’il jugeait compromettante pour ses
prérogatives et son prestige. La création en 1924 par l’adminis-
tration coloniale des chefferies supérieures devait envenimer la
situation. Il s’installa alors un rapport de force qui, en 1931,
devait aboutir à l’exil du Sultan à Yaoundé où il mourut le
30 mai 1933 @O).
Un autre contestataire de l’ordre colonial fut Oumar Adjara,
Sultan de Mora destitué en 1922 parl’autorité coloniale et
remplacé par son fils Amada, lui aussi destitué deux ans après.

7. A N Y , 1AC 3390, Construction de la mosquie de TignBre, 1956.


8. A N Y , APA 1118O/C, Affaires musulmanes.
9. Nji Mfondu Z., Propos recueillis ii Foumban le 11 mars 1991.
10. Njoya Njimoluh S., Sultan Bamoun, propos recueillis ?IFoumban le
11 mars 1991.
- 188 -

Ces quelques cas d’opposition kr6ductible 8 l’ordre colonial


nous permettent d9avancer que la politique musulmane de la
France n9apas it6 na’iprement acceptée par tous les leaders des
communautês plac6es sous la bannière de l’Islam.

Le Cameroun n’estle berceau d’aucune confrCrie;toutes les


pr6sentes dans le pays n’Ctaient que des filiales des
de l’Afrique du Nord. Contrairement B I’AOF, les
confaCries religieuses ont une organi on interne beaucoup
moins forte et leurs relations avec les uia mbres sont assez
lâches. Toutefois,leur importance est inégale (‘l) et leur influence
dicline sans cesseau point que l’administrateurLACROIX estimait
en 1956 que, dans un proche avenir, Qadiriya et Tidjaniya
risquaient de n’ttre que des mots vides de sens (12).
Au Cameroun, l’Islam estdomine par trois principales
confrCries : Qadiriya, Tidjaniya et ahdiya. Ces confréries ont
eu chacune une influence politique plus ou moins grande.
Bien que regroupant trbs peu d’adhérents, la Qadiriya a joue
un r6le politiquenon n6gligeable vis-%-vis de l’autoritê coloniale.
La Qadiriya fut l’une des confibries pro-fianpises. Trbs conser-
vatrice, tolerante et prenant la charit6, %aQadiriya a accepte
%,ordrecolonial et servi les interets du colonisateur Cl3).
La Tidjaniya fut, contrairement 8 la Qadiriya, largement
repr6sentêe.Elleprenait ses ordres B Yola et B Kano et les
principaux centres furent Foumban (où la majorit6 des musul-
mans y adhêraient), Maroua où>sur environ $80 marabouts en
1958, 480 Btaient membres de la Tidjaniya (l4I9 NgaoundCr6 et
Garoua.
La Tidjaniya fut, tout comme la Qadiriya, uneconhêrie pro-
fiansaise. E‘administrateur LACROIX le reconnaît lorsque, parlant
du r6le des marabouts dans les influences extérieures qui
s’exerçaient sur l’Islam camerounais, il déclare :

11. Haman Adama, propos recueillis le 19 mars 1991 il Ngaoundéré.


12. ANA, 2AC 3655, Islam 1945-1951. Situation actuelle de l’Islam dans
le
Nord-Cameroun, 1956, p. 6, par Lacroix B.-P.
13. Haman Adama, propos recueillis le 19 mars 1991 B Ngaoundkré.
14. A N Y , M C 3655, op. cit.
- 109 -

Il s’agit en général de personnalités appartenantà des confréries


religieuses ayant fait preuve de loyalisme à notre égardet dont les
membres bénéficient comme tel de notre appui. Il est incontestable
que cet appui est d’ailleurs de bonne politiquelà où ces confréries
représentent vraiment quelque chose, que le soutien que nous
apportons par exemple au Tidjanisme et à la Kadrya se justifie
largement par les servicesqu’ils nous rendent. (15)

Cette déclaration situe l’enjeu d’un Tidjanisme officiel dont


les Cheikhs seraient voués à la cause coloniale. La Tidjaniya a
rendu, au Camerountout comme enAfriquedel’Ouest,
d’énormes services au colonisateur français.
Face auxconfréries précédentes, existait un important mouve-
ment mahdistedontlesprestations posèrent de troublants
problèmes à l’autorité coloniale au point de devenir << apoliticaE
problem of the Frst importance >> (16).
Le mahdisme n’est pas une véritable confrérie comme la
Tidjaniya. C’est plutôt une tendance mystique et eschatologique,
une école de pensée fondée sur l’attente d’un Messie.
Selon la doctrine mahdiste, nous sommes entrés dans 1’2re
des tribulations (l’Islam va disparaître de la surface du monde).
Le Padjal (le diable) est déjà descendu sur la terre ;c’est ce qui
explique la colonisation, l’affaiblissement de l’Islam, les héca-
tombes des guerres, etc. Mais le Mahdi viendra à la fin du
monde pour rétablir l’ordre, la justice et la paix ainsi que pour
revitaliser la foi islamique. Cette coupe pleine d’espoir que
présentait le Mahdisme a attiré une bonnepartie de lapopulation
islamisée du Cameroun. Ainsi cette école a fortement imprégné
l’Islam du Nord-Cameroun par l’intermédiaire de Rabah et du
petit-fils d’Ousman dan Fodio, Hayatou, qui a essayé vers1890
de se créer un royaume dans le Diamaré.
Le Mahdisme a constitué une résistance farouche à la domi-
nation et à l’exploitation coloniales. C’est l’un des mouvements
qui ont le plus traumatisé l’autorité coloniale. Les Allemands
eurent par exemple à faire face à des illuminés telquele
Ouaddaïen Maloum Djirmé, tué près de Garoua en 1910. Dans

15. Idem, p. 16.


16. Njeuma M.-Z., << The muslim intellectual and politics b, The Bernard
FonlonSocietySymposium,University of Yaounde, 18th november
1988, p. 6, inédit.
- 110 -

la région de NgaoundCré, les Francpis vinrent B bout d’un Mahdi


agobdo Konaraqui, en 1939,prQchaitle refus de l’impbt(ln.
Au Cameroun sous administration fransaise, les marabouts
mahdistes ont mobilisé leurs tslibe pour s’opposer 2 la fois i
l’autorité coloniale et aux autres confréries religieuses. On peut
& b e r qu’au regard desa doctrine et de ses velléités djihadistes,
le Mahdisme se présente comme une véritable révolution socio-
politiqua et spirituelle dont les thbmes se rapprochaient de ceux
de la lutte contre le colonialisme.
k a place centrale des marabouts ausein des différentes
confreries exige une Ctude spécifique de la <x politique mara-
boutique >> de la France au Cameroun. Il s’agit de déterminer et
de situer le r81e des marabouts dans la politique musulmane.
Les quelques leaders religieux au Cameroun n’ont pas la
mQme capacite de mobilisation des masses que, par exemple,
Amadou Bamba, fondateur du Mouridisme et Cheikh Hama-
houllah, l’initiateur du Hamallisme.Le r61e des marabouts dans
la politique coloniale au Cameroun s’arrQteradonc au niveau
des marabouts étrangers ayant elfectué une tournée dans le pays.
Il ne faut pas croire que tous les maraboutsayant effectué une
tournie au Cameroun ont servi les intérets coloniaux. Bien des
marabouts itinérants se sont oppods 21 l’administration coloniale.
On peut ainsi distinguer deux catégories de marabouts : les
<< non compmnising B (18) ou marabouts anti-coloniaux et les
marabouts pro-français.
Lesmarabouts anti-coloniaux sont des leaders religieux
clandestins que l’administration qualifiait de vagabonds D ou
.(s

itinerants. Ces marabouts difficilement identifiables distribuent


des tracts, tiennent des réunions secrktes au cours desquelles ils
font une propagande anti-fiansaise. Il s’agit de personnalitCs
a douteuses >> qui?loin de se prCsenter aux autorités, parcourent
les villages isolés de la broussedu Nord-Cameroun, évitant
soigneusement les centres européens (19).
Tel fut le cas du marabout (de nationalité soudanaise ou
libyenne) signalé par la brigadede gendarmerie de Mokolo

17. Froelich J.-C., Les musulmans d’Afrique Noire, Paris, Ed. de l’&ente,
1962, p. 208.
18. Njeuma N.-Z., op. cif., p. 5.
19. .MW,2AC 3655, op. cit., p. 17.
- 111 -

comme ayant séjourné deux moisà Boula et Garoua où il aurait


tenu despropos anti-français etincitéla population à la
révolte @O).
Les marabouts pro-français, quant à eux, sont des person-
nalités religieuses munies de lettres de recommandation délivrées
par l’administration coloniale. Ils effectuent des tournées au
Cameroun’ proclamant l’allianceindéfectible de la France et de
l’Islam ainsi que la gratitude immense que chaquecroyant doit
ressentir pour elle
Parlant du passage de Si Ben Amor Tidjani (Maître de la
Tidjaniya et originaire de Laghouet en Algérie), le Haut-
Commissaire écrivait auchef de la région Bénouéque le
Gouverneur général de l’Algérie et le ministre de la FOM l’ont
signalé à notre bienveillance [sic]attention (22).
Haman Adama qui affirme avoir hébergé Si Ben Amor
lors de son passage à Ngaoundéré en 1948, reconnaît que la
tournée de ce dernier avait une motivation surtout politique. Il
déclare que le Cheikh demandait aux musulmansde refuser les
consignes de Yola, s’efforçant de les convaincre une fois pour
toutes qu’ils dépendaient non des centres britanniques, mais des
centres français et ceci toutautant sur le plan religieux et
culturel que temporel et politique.
. Par ailleurs, le grand marabout CherifEl Hadj Ismail Aidara,
Qadiriste en provenance de Côte-d’Ivoire, séjourna à Douala et
à Yaoundé en 1950, muni de multiples lettres de recomman-
dation et d’autorisations délivrées par le Haut-Commissaire de
I’AOF, les gouverneurs de Côte-d’Ivoire, du Dahomey et du
Togo (24). Ismail Aidara tenait le même langage que Si Ben
Amor, bien que les deuxmarabouts fussent de confréries
différentes.
Les autres marabouts ayant, sur l’invitation des autorités
coloniales du Cameroun ou sur la demande du Ministre de la

20. Ibid.
21. Ibid.
22. A N Y , 2AC 3655. Lettre datBe du 13 juillet1948 adressée au chef de la
r6gion BBnoué par le Haut-Commissaire.
23. Haman Adama, propos recueillis le 19 mars 1991 à Ngaoundéré.
24. A N Y , 2AC 3655, Rapportsur les activitBsmusulmanesaucoursdu
3c trimestre 1950.
- 112 -

FOM, effectu6 une visite 2 la cornunaut6 musulmme du Cme-


roun sont le marabout s6n6galais BarryEl Hadj Ousmane Bumar
en janvier 1953 et le Cheikh mauritanien Ab Del Wahab @5).
Ces marabouts ont continu6 la propagande pro-franqaise et
exhorté la population musulmane à rester fidble aux ordres de
l’administration coloniale.
Au total, le mouvement mahdiste et les marabouts anti-
frmqais ont constitue une barribre B l’entreprise coloniale certes,
mais dans l’ensemble, cette bxri8re a 6te sumontBe par l’admi-
nistration coloniale qui a trbs t& compris qu’elle ne pouvait
rBussir dans sa politique que par l’entremise des forces reli-
gieuses en place.Confréries et marabouts ont donc BtB des armes
efficaces au service de la politique musulmane de la France au
Cameroun.

Nous nous situons B une période oh de nombreux musulmans


camerounais commencent à dre officiellementou clandes-
tinementaupblerinage i la que oh ils sont exposés h une
propagande qui,sous le masque de la religion, est susceptible de
servir une politique directement ou indirectementdirigCe contre
la France. Le pblerinage aux Lieux Saints de l’Islam etait en
effet l’occasion propice d’exalter la solidarit6 musulmane et la
fraternite islamique. A cette occasion, des tracts en arabe
circulaient pour appeler i la création d’une communautemusul-
mane universelle et i la lutte contre les << mécréants >>.
A leur retour au Cameroun, les pblerins,imprBgnBs de la
propagande anti-frangaise, sillonnaient les quartiers et villages
Bloign6s des centres administratifs? appelant leurs coreligion-
naires i la disob6issance à l’administration des infidbles. Cette
pratique inquietait l’administration coloniale qui, à la longue, se
ligCe d’intervenir pour organiseret gerer elle-mCme le
la Mecque. Le principe de l’organisation officielle fut
alors adopté ( W et le départpourlaMecque fut désormais
soumis à des formalitCs diverses.

25. M W , 2AC 3655, Situation actuelle de l’Islam dans le Nord-Cameroun,


par Lacroix P.-F.,p. 17.
26. A M ” , APA 11390/A, pblerinage 2 la Mecque 1956-1951.
- 113 -

Un quota de pèlerins était fixé par territoire et le voyageétait


désormais collectif. Des mesures de surveillance et de contrôle
préalable des candidats au pèlerinage étaient instituées et l’admi-
nistration coloniale veillait à ce que le déplacement soit condi-
tionné par l’attitude du postulant vis-à-vis de la France et son
attachement aux intérêts français (2q.
Toutes les mesures restrictives (tarifs de voyage élevé, dépla-
cement assuré par la seule compagnie de transport UAT, procé-
dures administratives pour le passeport ; examenmédicalet
vaccination préalable des candidats ;appartenance confrérique,
etc.), ainsi que le taux élevé de décès des pèlerins (11,5 % en
1951 ; 15 % en 1952 et 20 % en 1953), contribuèrent à réduire
ou à limiter le nombre de pèlerins du territoire.
La capitale était le seul lieu d’établissement des passeports.
Les centres de vaccination étaient suffisamment éloignés pour
décourager les candidats au pèlerinage issus des zones reculées,
comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau de la rCpartition régionale
des pèlerins officiels de 1952à 1954 (28)

Nombre de pèlerinsen
Régions
1952 1953 1953
Adamaoua 17 49 24
Benoue 1 8 7
Maroua O O 14
Sud 2 4 6

NB :Sud :Bamoun, Wouri, Nyong et Sanaga

27. A N Y , 1AC 3392, pèlerinage à la Mecque 1941-1957.Circulaireno 1226/


CF/APA/I il traverslaquelleleHaut-Commissaire nomme le
Commissaire du gouvernement au pblerinage.
28. Ce tableau a été réalisé il partir des dossiers ci-dessous : A N Y ,
APA 10991/A, pèlerinage 1947 ; A N Y , APA 11390/A, pèlerinage à la
Mecque 1950-1951 ; A N Y , APA 10992/B, pblerinage 1954 ; A N Y ,
APA 10992/A, pèlerinage à la Mecque 1952-1953.
- 114 -

maoua fournit B elle seule plus de 85 9%du


iells en 1952 et 1953, et 40 9% environ en
1954. La rCgion de Maroua n’a pas eu de pklerins en 1952 et
1953. Le sud en gCnCraI est constamment representé, bien que le
taux de participation soit assez 18che.
Cette inégale rCpartition rCgionaledes pblerins traduit, de la
part de %’autorit6coloniale;,une astuce politique dont les axes
principaux peuvent se rCsumer en ces termes : dtcourager et
limiter autant que possible la pratique du pèlerinage dans les
ré ions oh les musulmans ne sontpas acquis B la cause frfranpise
roua par exemple abrite le plus important foyer mahdiste
hostile 2 l’autorité coloniale) et faire du hajj une récompense
pour les regions calmes sa l’Islam pose moins de problbmes et
où les hgkjji (titre honorifique qui caract6rise les pklerins de
retour des Lieux Saints) pouvaient servir de marionnettes.
A travers cette politique, le pklerinage qui, initialement, Ctait
p e r p comme un danger, est de plus en plus devenu un instrument
dont pouvait se servir Iyadministrationcoloniale pour realiser sa
politique de domination.
Dans un rapport Ctabli en1949, B son retour du pblerinage,le
chef supérieur musulman de Douala, Paraiso, montre comment
les pblerins de I’empire franpis ont bCntficiC de la gCnCrssit6 et
de la sympathie de l’aututorite coloniale. Paraiso mentionne que :
Les pèlerins de l’empire français ont éte fiers de ce qu’a fait la
France au point de vue hygiène pour ses p6lerins. Une ambulance
du Maroc, portantles marques tricolores et escortee de médecins,
sages-femmes, pharmaciens se rendit sans cesse dans tous les
points oh lespèlerinsfransais&aientsusceptiblesde se
trouver (2’).

Le sultan des Bamoun, Njholuh Njoya, délCgu6 officiel


pour le pklerinage centre-Afrique en 1948, dont les frais de
transport avaient et6 B la charge du territoire (30), relevait dans un
message sous forme de télCgramme les actes et autres gestes de
sympathie manifestCs par la France B l’égard des populations
musulmanes :

29. A N Y , M A 10991/A, op. cit.


30. A N Y , N A 1099aW,op. cil.
- 115 -

Gouverneur Cameroun Yaoundé ;en ma qualité de délégué officiel


au pèlerinage et représentant dela France à La Mecque sur point
quitter ciel Cameroun, tiens respectivement au nom de tous les
pèlerins et en mon nom personnel renouveler notre attachement
pour sympathieet confiance dont France t6moigne toutes circons-
tances envers population musulmane Stop(31).

Toutes ces déclarations montrent les tentatives pour appri-


voiser et rallier les pèlerins camerounais à la cause française.
A leur retour de La Mecque,les délégués au pèlerinage étaient
tenus d’organiser un meeting au cours duquel ils devaient per-
suader leurs coreligionnaires des bienfaits de la France avant de
les inviter à toujours obéir à l’administration coloniale française.
Au total, le pèlerinage à La Mecque fut, pendant la p6riode
française au Cameroun, l’un des problèmes qui figuraient en
bonne place dans la hiérarchie des prCoccupations politiques. Ce
fut un point sur lequel l’administration coloniale exerça une
vigilance soutenue. Les multiples craintes que suscitaient les
contacts avec le monde arabejustifient le fait que l’administration
coloniale française se soit efforcée de contrôler et de surveiller
rigoureusement le pèlerinage au point d’en faire une arme au
service de sa politique.

Les élites musulmanes et la marche vers


l’indépendance
L’étude du comportement et des prises de position politiques
des élites musulmanes dans le processus de transfert de la
souveraineté politique doit, si elle veut restituer la véritable
réalité historique, être axée sur deux aspects essentiels, à savoir
l’action des parlementaires musulmans au sein des assemblées
locales et l’attitude des élites musulmanes face à la question
nationale camerounaise.
L’action des parlementaires musulmans
Le groupe des parlementaires musulmans forme une entité
politiquedisparate où s’opposentrsur le mêmeéchiquier
politique, différentes tendances,

31. A N Y , APA 10991/A, op. cit.


- 116 -

De f a p n globale, ces oppositions peuventCtre goupCes en deux


cat6gories :
- opposition entre dite ancienne (ddtentrice de privilbges et
autres avantages liCs 5 l’exercice du pouvoir traditiomel)
et Clite moderneformêedescadresissus de 1’Ccole
colsniale ;
- oppositionentresegmentprogressisteetsegment
conservateur de I’Clite moderne.
La crise h6gCmonique que symbolise la dialectique Clite
traditionnelle-Clite moderne rCsulte des mutations nCes de la
colonisation. Au centre de ces mutations figure le probl5me de
l’enseignement puisque l’acceptation de 1’Ccole colonide et la
formation des cadres qui en a résulté, ont cr6éunnouveau
segment de ]la vie socio-politique, parallcle B l’ancienne Clite
(compo&e des leaders spirituels et temporels) et dont il faudra
d6sorrm~stenir compte.
E’Ccole coloniale a Ctabli un clivage entreles leaders
traditionnels et les leaders modernes. Ces derniers Ctaient
considCr& comme des rivauxqui cherchaient B limiter l’auutoritC
des premiers en sepssa~tesmmeunenouvelleforce politique.
Ainsi,
l’élite politique. ancienne a souvent p e ~ ~lesp cadresissus de
l’icole colonide comme des concurrents, comme une nouvelle
classe dirigeante (certes subalterne BU dkppart) qui, peu B peu, se
substituait 5 son autorit6. L’Ccole Btait
le véhicule d’un changement
politique qui laissait les anciennes aristocraties sur les marges du
pouvoir. Les diplBrnés B faisaient donc figure d’htms irrespec-
tueux des hiBrarchies d’autrefois 02).

Chef de file de la nouvelle classe Clitiste, Ahmadou


inquiétait les membres les plus conservateurs de l’aristocratie
foulbé par la crêation en 1948 de l’Association Amicale de la
Bénouê puis en 1956 du Mouvementpolitique pour 1’Evolution
duNord-Camerounauquelsuccéda le Mouvement <<Jeunes
Musulmans >) (33).

32. Codon C., op. cif.,p. 98.


33. Bayart J.-P., L’Etaf au Cameroun, Paris, Presses de
la Fondation nationale
des Sciencespolitiques, 1985, p. 48.
- 117 -

En réaction à cet engagement politique, le Lamido de Maroua


Yaya Dahirouprit la tête des élites traditionnelles et créa
l’Association Amicale des Musulmans du Diamaré qui avait
pour finalité de conjurer la montée des << Jeunes Turcs D.
Cet antagonisme entre élite traditionnelle et élite moderne
caractérisa la classe politique musulmane jusqu’en 1958. Au
cours de son discoursd’investituredu 18 févrierdevant
l’Assemblée législative du Cameroun, Ahidjo reconnaît alors
aux aristocraties anciennes et en particulier aux Lamibe et aux
Sultans du Nord, une placeet des fonctions spécifiques dans le
futur système politique. Ahidjo déclare :
Ilseraitdommagepour le pays tout entierque les cadresqui
prouvent chaque jour leur vigueur,jeetpense tout particulièrement
à ceux du Nord-Cameroun que je connais bien, soient atteints par
un vent de réformes qui ne trouverait sa justification que dans une
volonté abstraite de faire du neuf (34).

Cette déclaration du nouveau Premier Ministre et successeur


de A.-M. Mbidacomporteunedoublesignification.Elle
consolide la position de Ahidjo auprès de sespairs musulmans
et faitde lui leporte-flambeau de la lutte contre les Démocrates
camerounais qui, au cours d’un congrès à Abong-Mbang, avaient
tant inquiété l’aristocratie foulbé et la communauté musulmane
en général, en déclarant de façon expresse leur intention de
<< démocratiser B les structures du Nord-Cameroun.
En outre, cette déclaration consacre le prélude à une récon-
ciliation entre segment traditionnel (Yaya Dahirou, Njimoluh
Njoya, Arouna Njoya ...) et segment moderne (Ahidjo, Nana
Djafarou, HamanAdama...)de l’élite musulmane. Réconciliation
qui se consolidera plus tardpar le renforcementdu groupe
parlementaire de l’Union Camerounaise qui, en avril 1958 à
Garoua, donnera naissance au parti politique l’Union Came-
rounaise (UC). L’UC de Ahidjo et Moussa Yaya se présente
désormais comme cadre d’unification et facteur de cohésion
politique de l’ensemble de l’élite musulmane du Cameroun.
L’opposition entre l’aile progressiste et l’aile conservatrice
de l’élite moderne est symbolisée par Mahondé et Ahidjo qui
ontété lesmusulmans les plus en vue à 1’ARCAM et à

34. Bayart J.-F., op. cit., pp. 49-50.


- 118 -

Leur participation h l’évolution politique du


telle franGaisea BtB importante. Toutefois, si
a pu continuersa carribre politique en
les fonctions de Vice-Présidentde
(1956)’ Vice-Premier inistre charg6 de l’Intérieur
le premier gouvernement de Mbida (1957, Premier
lstre en 1958 et enfinpremier Président du Cameroun
ind6pendant (1960)’ MahsndB a trBs t6t quitté la scbnepolitique
camerounaise h cause de l’antagonisme qui existait entre lui et
Ahid’o.
esse Camerounaise

progressistes ouvertement oppos6s i


dans les deux premi$res Assembl6es
Tout comme sonfrère musulmanetadversaire politique,
ahormdt5 occupa d’importants postes au sein des Assemblees
camerounaises. Ses idCes progressistes le dressbrent contre
l’aristocratie foulb6 et parricochet contre l’administra * -
niale frmpise qui prit fait et cause pour Ahidjo contre
au cours des élections de 1956 et mit ainsi fin à la carribre
politique de celui qu’elle taxait de pro-Upéciste.
L’action de l’administration colonialevisait à opposer musul-
mans et chretiens d’une part, et d’autre part musulmans entre
eux. En même temps qu’elle recherchait dans les cornmunaut6
musulmanes du Cameroun, une unite politique capable de
s’opposer i la mont6e de la propagande updciste au Sud,
l’administration fraqaise favorisa la division au sein de 1’Clite
musulmane, parpeur que cette unit6 politique ne se dBrobe de sa
préoccupation initiale et r6clame autrechose que le maintien de
la pr6sence franpise.
Les parlementaires musulmans, regpoupis au sein du groupe
parlementaire de l’UC visaient, au niveau local ou regional, 2
on entre élites et B surmonter la crise
si&&(35)avec le debut du a choix de
la diffBrence D provoque par la pinétration occidentale. Au sein
du groupe parlementaire del’UC, les antagonismes étaient
pourtant fi6guents.Les mésententes ontBtB multiples et gCn6rale-

35. Bayart LF., op. eit., p. 34.


- 119 -

mentressentiesdefaçon intense. Toutefois, lesaffinités


religieuses, le prestige dont jouissaient les musulmans dans un
groupe parlementaire où ils étaient majoritaires, la communauté
d’intérêts et le souci de promouvoir la position de lacollectivité
toute entière avaient créé et maintenu des liens solides entre
segments ancien etmodernede l’élite musulmane.Cette
solidarité a permis un programme politique et unique
une position
commune de l’ensemblede l’élite musulmane au sein des assem-
blées locales. Programme qui, grosso modo, se subdivise en
trois points : le développement social et culturel, le dévelop-
pement éconornique et infrastructurel, la lutte contre la << sécula-
risation >) abusive et la recherche de l’équilibre politique.
Le développement social et culturel constituait la toile de
fond del’action des parlementaires musulmans. Les élus du
Nord-Cameroun et de Foumban voulaient promouvoir l’ensei-
gnement, préserver leur religion de toute dégradationet assurer
le maintien des institutions sociales et politiques menacées de
modernisation par les envahisseurs sudistes chrétiens.
En matihre d’éducation, les élites musulmanes qui, pendant
longtemps étaient réfractaires à l’école moderne, avaient enfin
compris la nécessité d’y envoyer leurs enfants. La situation
déplorablede l’éducation dansles régions islamiséesdu
Cameroun est posée explicitement dans quelques extraits de
déclarations des membres du groupe parlementaire de l’Union
Camerounaise :
Kotouo : je voudrais tout de même signaler que l’enseignement,
comme tout au Cameroun, est mal réparti. Il y a des régions qui
sont servies et d’autres qui nele sont pas encore.
Je dis :tant qu’il
y a des régions déshkritées où il n’y a pas d’école comme le Nord
et d’autres largement pourvues, il sera impossible de parler de
développement (36).
Arouna Njoya:C’est que depuis longtemps, on a toujoursdit dans
les assemblées territoriales ou métropolitaines que les Nordiques
étaient peu ouverts à l’enseignement. Quand on ouvre le budget
qu’on a déjàvoté, on s’aperçoitqu’il y a descrédits de votés pour
construire des bâtiments devant servir d’écoles dans les régions
du Nord ou celles éloignées du Centre, on s’aperçoit que ces

36. A A N Y , Proch-verbaux des séances plénibresde I’ATCAM, 1= session


ordinaire, 21 avril au 8 mai 1952, p. 65.
- 126 -

crddits n’ont pas dt6 ufilisBs. Depuis qu’on a soulevêla question,


ment nous a peut-btre envoy6 dix-huit instituteurs. Vous
arrivez dans certains centres où l’instituteur a faitsix mois et où il
n’est meme pas log6 4371.
Etonde :Je dis que, au niveau de l’organisation de l’enseignement
au Cameroun, il y a vraiment e certaines filles2t papa w en ce qui
concerne les rBgions qui sont favorisées par rapport 3 d’autres.
Ainsi j’attire votre attention surle fait suivant : sur 250 600 habi-
tants dont 50 96 d’enfants, lla rdgion de Margui Wandala n’a que
six 6coles. Ce chiffre est dtrisoire, et vous avez certaines écoles
qui sont dirigbes par des jeunes gens qui n’ont même pas suivi
leur cours Blêmentaire. C‘est pour cela queje demande au service
de l’enseignement de faireun effort considbrablepour combler le
trou qui a êtb fait dans l’enseignement au Nord-Cameroun @).

De ces dbclarations d&eoule un double constat : laplace


importante r6sewBe i l’enseignement dans la hiQuchie des
pr6oecupatiisns des parlementaires musulmans et les difficultCs
amquelles est confrontée la scolarisation en gbn6ral dans le
N ~ d - e f m e tel
~ oque
~ ~nous
~ le montre le tableau ci-dessous :

La respsnsabilite du retard de l’enseignement dans le Nord-


Cameroun incombe non pas seulement B la population musul-
mane longtemps restbe rdfractaire i toute innovation d’origine
occidentale, mais aussi et surtout i l’administration coloniale

37. dbid.
38.dbid.
39. Rapport annuel du gouvernement fianpis B l’Assemblée gbntrale des
Nations-Unies sur l’administrationdu Cameroun plad sous tutelle de la
France, année 1955, cité parNgongo L., Histoire des forces religieuses
au Cameroun, Paris, Karthala, 1982,p. 166.
- 121 -

française qui a mal organisé la répartition des écoles et des


instituteurs (en1946, il y avait entre Ngaoundéréet Fort-Foureau,
troisinstituteurs européens contre plus d’une centaine au
Sud (40)), ainsi qu’à quelques fonctionnaires du Sud qui consi-
déraient le Nord comme un bagne dans lequel n’étaient affectés
que les disciplinaires.
On peut résumer l’action des parlementaires musulmans en
matière d’enseignement en ces termes : solliciter un système
d’enseignement particulier pour le Nord (système qui tiendrait
compte des réalités locales et des particularités des régions
musulmanes),réclamerla gratuité de la scolarisation et des
indemnités aux marabouts des écoles coraniques, aux moniteurs
et instituteurs des écoles modernes.
Par ailleurs, l’action des parlementaires musulmans au sein
des assemblées locales tendait à soutenir la vie religieuse par la
demande de subventions pour la construction de mosquées (41)
et la rémunération des marabouts animateurs des écoles cora-
niques (42).
En réclamant une majorité parlementaire qu’ils ont obtenue
à partir de 1956 (le groupe parlementaire de I’UC avait,à cette
date, 30 sièges à l’Assemblée contre 20 sièges pour les Démo-
crates camerounais, 9 pour les Paysans Indépendants et 8 pour
l’Action nationale), lesélus duNord étaient soucieux de
préserver leurs institutions sociales et politiques des attaques
d’hommes politiques du Sud qui voulaient les << démocratiser et
les moderniser B.
Sur leplan économique et infrastructurel, l’action des parle-
mentaires musulmans avait comme objectifs : l’hydraulique
pastorale et villageoise,le développement des cultures existantes
(mil, maïs) et l’introduction de nouvelles cultures. En matière
d’élevage qui constituait la principale richesse de la région, les
parlementaires musulmans ont réclamé une couverture sanitaire
largement étendue, la réduction des taxes liées aux activités

40. AANY, Procès-verbaux des s6ances pl6nières’


op. cit., p. 66. Rapport du
directeur de l’enseignement de 1’ATCAM.
41. Journal des debats de I’ATCAM,lnande, no 1 du 8 mai 1954, session
ordinaire d’avril 1954.
42. Ibid.
- 122 -

pastorales (43) et enfin l’appui efficace du gouvernement colonial


pour aider les êleveurs B trouver de meilleurs d6bouchCs pour
leurs produits. Pour ce qui est des infrastructures de commu-
nication, les 61us des communautés musulmanes ne m6nagbrent
aucun effort pour demander des formes nouvelles de crédits et
de subventions tendant B dCvelopper et accroître les voies de
communication dans leur region (44).
Sur le plan purement politique’ les 61us duNord, majoritaires
2 19hsemb16e,ont rendu possible la crise gouvernementale de
1958 (crise qui a propulsd leur coreligionnaire .Ahidjo i la plus
haute responsabilité de la politique camerounaise) et l’octroi des
pleins pouvoirs B Ahidjo en 1959 lorsque le Cameroun traversait
la tourmente de l’ind6pendance.
L’action des parlementaires musulmans a donc consiste B
assurer le progrbs Cconomique etsocial des rBgions islamisCes,
progbs gui se prCsente comme une condition indispensable du
relkvement du niveau de vie des masses. Sur le plan institu-
tionnel, ils ont soutenu, par un vote massif(en dCpit de l’absten-
tion dugroupe d’Action nationale dirig6 parPaul Soppo Priso),
un nouveau statut du territoire en 1956. Ce statut rCalisait l’un
des reves majeurs de l’élite musuhane :la création d’une assem-
blbe provinciale pour le Nord-Cameroun. Cette innovation fut
d’une grande port& pour les populations placCes sous la bamikre
ais ne risquait-elle pas de separer
l’dite musulmane
du nationalisme camerounais ?

s Clifes musrlnPmannes et ]le probl6me national


~ a ~ ~ ~ o ~
Les partis politiques auCameroun sous administration
coloniale furent en majorit.6 implantCs dans le Sud-Camerounoh
l’emprise de l’Europe et des religions chretiennes était grande.
Les regions islamisees n’ont connu ni la même inflation, ni le
même engouement pour des partis politiques. Seuls ont existe
dans ces rdgions genéralement hostiles aux agitations, des

43. Journal des debats de l’AT“, lrCannêe, no 2’31 mai 1954,p. 37.
44.A A N Y , Procbs-verbaux des s6ances de l ’ A T “ , 1“ session ordinaire
du 20 avril au 16 mai 1953.
- 123 -

associations et autres groupements politiquessans assise sociale :


l’Association Amicale de la Bénoué et 1’Evolution du Nord-
Cameroun (créées respectivement en 1948 et 1956 par Ahmadou
Ahidjo) ; l’Association Amicale des Musulmans du Diamaré
(Co-fondéeparYaya Dahirou, lamido de Marouaet Salihi
Haman) ;l’Association pourle Progrès et 1’Evolution du Margui-
Wandala (de Adama Haman), 1’Association ProgressisteSociale
et Evolutive du Nord (fondée par Djafarou Nana) ; la Ligue
Progressiste des Intérêts Economiques et Sociaux des Popula-
tions du Nord-Camerounet l’Association pourle Progrès Econo-
miqueetSocialdeNgaoundéré.Toutescesassociations
n’avaient ni un projet de société bien élaboré, ni une ligne
idéologique précise : elles n’ont servique de levier pour
propulser leurs leaders dans les Assemblées locales (ARCAM,
ATCAM, ALCAM).
Cet égocentrisme politique caractérisé par une régionalisation
et une ethnicisation des formations politiques se constate à la
simple dénomination des associations:contrairement auxforma-
tions politiques du Nord,les partis politiques du Sud-Cameroun
avaient des appellations qui traduisaient une certaine intention
nationale : Union des Populations du Cameroun, Bloc Démo-
cratique Camerounais,Union Sociale Camerounaise, Union
Démocratique Camerounaise, etc. Dès lors, quelle fut l’attitude
de l’élite musulmane face au nationalisme camerounais ? (45)
Si l’Union des Populations du Cameroun (WC) s’imposa
comme la formation politique la plus déterminée dans la lutte
pour la souveraineté nationale et la réunification, l’adhésion de
l’élite musulmane à ce parti resta somme toute très faible.
Dès sa crCation en 1948,l’UPC trouva un éch0favorable au
sein des populations du Sud qui y adhérèrent massivement.Les
populations musulmanes, quant à elles, demeurèrent sceptiques
jusqu’en 1954, début de la difficile implantation de I’UPCdans
les régions musulmanes (46). Avantcette date, I’UPC avait

45. Pour cettequestionimportantedunationalismecamerounais,voir


Joseph R., Le Mouvement nationaliste au Cameroun, Paris, Karthala,
1986. U m Nyobe R., Le problBme nationalkamerunais, Paris,
L’Harmattan, 1984, par J.-A. h4bembe.
46. ANY, 3AC 1718, UPC, Nord-Cameroun, 1955.
- 124 -

toujours tent6 en vain de s’implanter dans les communautes


musulmanes. Elle crCait des sections locales qui regroupaient
autour de fonctionnaires du Sud en service dans ces commu-
nautês, d’autres fonctionnaires pour la plupart originaires du
Sud, ainsi que quelques mecontents autochtones (47). De l’avis
du Directeur de la SûretC, P. Divol en 1955, les militants les
plus actifs de I’UPC furent originaires du Sud, les populations
musulmanes étantdemeuréesjusque-18 B peu prBs imperm6ables
2 la nouvelle propagande (45). ]Les administrateurs coloniaux des
subdivisions de la region Nord corroborent ce point de vue
lorsqu’ils quali€ient de << fort calme D la situation politique, au
moment où de multiples agitations sont enregistriesdans
plusieurslocalitesduSud-Cameroun (49). L’un de nos
informateurs abonde dans le même sens lorsqu’il reconnaTt
qu’en dépit de quelques G m6contentsupécistes B isolBs,
l’activite del’WC a et6 en gCnéral de moindre envergureet sans
effet d m s les rggioss musulmanes @O).
Plusieurs manifestations upécistes dans les zones musulmanes
se soldkrent par unCchec. _Ainsien janvier 1955,l’UPC créait
Ngaoundér6 une section et amorçait une active propagande gui
suscitait une vive h o t i o n parmi les populations musulmanes,
les FoulbCs’innquiBtant des menies d’a agitateurs &rangers B
leur pays et 8 leurs coutumes >> (5B). u n administrateur colonial
rappelle que la population est trks traditionaliste, en majeure
partie islamisée et d’un loyalisme a f f h é envers l’administration
et les chefs coutumiers (521.
Loin de fondre dans le m&memoule les peuples camerounais
sans distinction d’ethnie, de particularisme culturel et religieux,
l’action des nationalistes camerounais a plut8t renforcéle clivage
nord-sud et les vell6it6s separatistes. La plupart desmusulmans
avaient toujours considCré les nationalistes upécistes comme
des perturbateurs. L’une des manifestations les plus patentes de

47. Ibid.
48. A N Y , M C 8341, Synthkse sur l’implantation de I’UPC, 1947.
49. M W , 2AC 7992, Adamaoua, politique, août 1956 et A N Y , 3AC 1753,
Garoua (Cameroun) politique 1956.
50. Hamatoukour H., Propos recueillis le 19 mars 1991 ii NgaoundBrB.
51. A N Y , 3AC 1718, op. cit.
52. Ibid.
- 125 -

ce refus du nationalisme à travers le rejet de L’UPC et de son


action, est la tentative d’assassinat dont fut victime Um Nyobe,
le secrétaire général de ce parti à Foumban en 1953. En décembre
1952, il avait demandé devant l’ONU, au nom de son organi-
sation et d’un grand nombre d’autres organisations camerou-
naises, l’unification et l’indépendance du Cameroun (53). Par
ailleurs, au moment où les activités upécistes s’intensifiaient,
les élites musulmanes, sous l’instigationde l’administrateur
Liot, créèrentune formation politique dénommée Mediafrancam
(Médiation France-Cameroun) essentiellement dirigée contre
I’UPC (54). Qu’est-ce qui justifiait cette réaction de refus de
1’UF“ et comment peut-on expliquerle comportementdes élites
musulmanes face au nationalisme camerounais ?
Trois facteurs rendent compte de ce phénomène historique
d’envergure : le substrat idéo-religieux ;le clivage Nord-Sud et
les velléités séparatistes ;l’effet de la colonisation.
Le substrat idéo-religieux estd’une importance capitale.
L’Islam a marqué de façon indélébile le comportementde l’élite
musulmane à l’égard de la lutte pour l’indépendance. Etymolo-
giquement, << Islam B vient du verbe << aslama D qui veut dire se
soumettre.Cette religion prône le respect et l’obéissance à
l’autorité en place car elle est instituée par Dieu et nul n’a le
droit de contester l’ordre divin. En outre, les institutions que
l’Islam a générées (une hiérarchisation socio-politique et une
centralisation de l’autorité) excluent tout soulèvement populaire
et toute velléité des populations pour se dérober à l’autorité du
leader qui est à la fois chef spirituel et temporel.
L’enjeu du clivage Nord-Sud et des velléités séparatistes est
déterminant dans le comportement de l’élite musulmane vis-à-
vis de la lutte nationaliste. Dans son introduction à L ’Etat au
Cameroun (55), Bayart souligne l’opposition entrele Nord, moins
développé économiquement et politiquement, à prédominance
islamique, et le Sud largement dominé par le christianisme. La
prééminence dela disparité régionale entre le Nord et le Sudest
une donnée essentielle de l’histoire politique du Cameroun.

53. A N Y , 1850 [sic] antiup6ciste’ 1953.


54. A N Y , 3AC 2417, Cameroun, Séparatisme.
55. Bayart J.-F., op. cit., p. 9.
- 126 -

Le clivage Nord-Sud se caractirise par des particularismes de


toutes sortes qui singularisent chaque rigion : particularismes
historiques, geographiques, linguistiques, ethniques et religieux.
Da f a p n empirique, le territoire du Cameroun peutse diviser
en deux p6les de civilisation qui n’ont rien de commun. Le
premier est le Nord du pays oh l’h6gimonie foulbC a fait du
genre de vie musulman, unepratique quotidienne. Le deuxième
est la Sud, en majorit6 chretien, oh la colonisation a suffisam-
ment influene6 les populations pourqu’elles acceptent laculture
et le mode de via occidentaux. Cette diHirence de civilisation
entraîne une distinction notableentra le type de systbme kducatif
pratique au Nord et celui en vigueur au Sud.
Du fait de l’actiondes missions chretiennes et par suite de la
colonisation, le systbme Cducatif pratiqué au Sud-Cameroun est
calq1.16 sur le modele occidental.L’Clite a subi trbs t6t l’influence
des Bglises chrétiennes et a fr’rCquent6 I’6colemoderne.Fait
symbolique, la premibremouture de l’hymnenational a i t i
r6alisBe par une promotion des 612ves de 1’Ecole Normale de
Fulassi. L’dite du Sud a participi trbs t8t aux activitis Bcono-
miques et B la vie politique. Les nationalistes des premibres
heures furent d’origine chritienne-sudiste.
Les populations musulmanes du Cameroun se singularisent
par leur système Cducatif. En effet << ayant adopte l’Islam, les
Fulbe se hhtbrent d’introduire chez eux, le mCcanisme scolaire
qui lui est partout 1% : l'écale coranique >> (56). Cette Ccole se
prtsente comme une institution traditionnelle de l’Islam. Elle
assure une 6ducation religieuse et une formation intellec-
lruelle (57).
%’Cesle coraniquejoue un r8le da pilier dans le processus de
socialisation du jeune musulman. 11 s’agit, en fait, d’une forme
d’éducation detype preceptoral quijoint la pratique i l’enseipe-
ment. Son effet doit se faire sentir dans tous les aspects de la
personnalit& tant sur le plan religieux, intellectuel, physique et
professionnel que sur le plan moral et social @).

56. Santerre R.,Pkdagogie musulmane d'Afrique noire. L’Ecole coranique


peule du Cameroun, Canada, Les Presses de l’Universit6 de MontrEal,
1973, p. 29.
57. Haman Adama, Propos recueillis B NgaoundM le 19 mars 1991.
58. Santerre R., op. cit., p. 946.
- 127 -

La prééminence de l’école coranique,ainsi que l’intérêt que


les musulmans attachaient à cette forme d’éducation, furent une
entrave à l’implantationd’écoles modernes dans les régions
islamisées. Les musulmans du Cameroun sont restés pendant
longtemps réfractaires à cette institution occidentale. De l’avis
du chef de la région Nord-Cameroun en 1950, les musulmans
<< sontlesgenslesplusinassimilablesqu’onpuisse
rencontrer D (59). La réticence vis-à-vis de l’école française se
manifestait parfois de façon aiguë par des actes de violence
pouvant aller jusqu’au meurtre@O), Suivis de leurs enfants d’âge
scolaire, les parents musulmans fuyaient la proximité des écoles
modernes pours’installer dans des lieux reculés @l).Comme le
souligne Santerre, les musulmans du Cameroun avaient fait du
refus de l’école française une question de principe car
disposant d’un réseau d’écoles mieux adaptées à leurs coutumes
et à leur religion, ils ne voyaient pasl’utilité de livrer leurs enfants
à une école étrangère et de mettre leur foi en p6ril(62).

Cette hostilité a contraint l’administration coloniale de forcer


les musulmansà fréquenter l’école moderne ou de lespersuader
par l’octroi de facilités aux enfants musulmans désirant aller à
l’école étrangère @j3). La résistance musulmane fut affaiblie par
lapressiondel’administrationcoloniale,lesdébouchés
qu’offraient les écoles modernes et surtout le souci de ne pas
perdre le contrôle politique dans une société en pleine mutation.
La formation de l’élite musulmane moderne et sa contribution à
la vie politique camerounaise avant l’indépendance ne peuvent
se comprendre que parce relatif changementd’attitude vis-à-vis
de l’école moderne.
En bref, le Cameroun sous administration française fut
essentiellement marqué par le clivage Nord-Sud. Ce clivage a
été déterminant dans le paysage politique camerounais avant
l’indépendance. Il existait une méfiance entre le Nord,peu
développé économiquement et politiquement, et le Sud, siège

59. Idem., p. 113.


60. Idem., p. 114.
61. Hamoa Soudy, Propos recueillis B NgaoundBr6 le 19 mars 1991.
62. Santerre R., op. cit., p. 114.
63. Hamoa Hamatoukour, Propos recueillis à Ngaoundbé le 19 mars 1991.
des institutions coloniales et poumon de 1’Cconomie du territoire.
Cette mêfiance qui, B un moment, s’est transformee en mêpris
rCciproque, fut B la base de ce que l’histoire du Cameroun a
retenu sous l’expression de s6paratisme Nord-Sud.
Pendant que les populations du Sud s’organisaient en groupes
de pression ayant pour objectif la fin du pouvoir colonial, les
populations du Nord posaient comme préalable l’amélioration
de leurs conditions de vie. Elles l’estimaient indispensable 5 la
cohabitation avec leurs frbres du Sud, afin d’Cviter de faire de
leur région, a le parent pauvre de la Nation Camerounaise de
demain >> (a). Cette conception se développa, au moment sa la
vslont6 d’indêpendmce devenait de plus en glus forte, en une
tentation des populations du Nord de se séparer du Cameroun
pour se rattacher à un territoire voisin (Tchad ou Oubangui-
Chari) @5).
En r6dit6’ les rapports entre Nordistes et Sudistes avaient Cté
tr&ssouientt c o a c b e l s . Mais, c’est prCcis6ment apr&sles Cv6ne-
men@ de mai 1955 que se manifesta, de fason ostensible, la
volonté nordiste de se débarrasser de l’êlément sudiste.
Au cours du passage de la ission de visite de l’ONU 21
NgaoundCrB en octobre 1955, les associations musulmanes du
Nord lui adresskent de multiples pCtitions pour solliciter le
refoulement de tous les originaires du Sud, sous pretewte qu’ils
troublaient la quiCtude des populations du Nord par des reven-
dicationsintempestives d’indCpendance. Cettepolitique
luetablement sur un séparatisme entre le Nord et le
suite d’un entretien le 28 octobre 1955 avec les
te de l’ONU, le prCsident gCnéral
unaise Ibrahim f i o n o écrivait au
Haut-Commissaire ences ternes (67) :

64.Mohaman L.,in Journaldesd6bats 21l’AL 3” annke, n” 9 du 21 mars


1957, p. 113.
65. Rapportsur le Cameroun sous administration fianpise, New-York,
1956, p. 16. Cite par Bayart I.-F., op. eif.
66. ANY, 3AC 2417, Cameroun, S6pparatisme 1955.
67. Ibid., Le PrEsidentgkndraldelaM6diafrancam B Monsieur le Haut-
Commissaire de la Rkpublique FranGaise au Cameroun. Ngaound6r6, le
26 novembre 1955.
- 129 -

J’avais fait comprendre aux visiteurs que c’était une erreur, une de
ces grosses erreurs biengraves, car le Nord n’était pas encore de
taille à mener seul ses activités administratives dans les domaines
sociaux, politiques et économiques et que s’il se sentait même
capable, il a son sort liB à celui du Sud qu’on le veuille ou non et
ceci vice-versa. Rienquedans le domaineadministratif, les
fonctionnaires autochtones du Nord n’atteignent nullement pas la
moitié des effectifs du personnel en service ici (68).

En dépitdeces explications qui tendaient à dissuader la


Mission devisite ainsi que la France de ces velléités séparatistes?
l’administration coloniale prit fait et cause pour les associations
musulmanes. Elle introduisit dans le projet de statut de 1956
accordant l’autonomie interne au Cameroun? une loi visant à
créer des Assemblées provinciales autonomes (celle du Nord
devant être créée la première).
Il estpossible que l’administration coloniale ait favorisé
(comme ce fut le cas au Tchad où elle apporta son soutien à un
parti nordiste musulman, I’UDT contre le PPT, parti sudiste
radical) (69) un séparatisme dans le but de déjouer la menace
upéciste, en brandissantle spectre d’une balkanisation du terri-
toire. En fait, pour consolider ses positions et maintenir le
Cameroun dans son giron, l’autorité coloniale gagnait à faire
croire aux populations du Nord que les Sudistes n’étaient que
des terroristes et des agitateurs communistes necherchant qu’à
perturber l’évolution du territoire et à nuire au bien-être du
pays (70).
Par ailleurs?ces manoeuvres devaient permettre de retarder la
prise de conscience des populations du Nord et de créer une
unité socio-politique capable de faire contrepoids à l’action des
Sudistes radicaux. La suggestion de création d’une province
Nord autonome reçut un écho favorable au sein des élus du Nord
et de Foumban à I’ATCAM, qui votBrent sans réserve pour le

68. Ibid.
69. Bouquet C.,Tchad, gen2se d’un conflit, Paris, L‘Harmattan, 1982.
70. ANY, 3AC 2417, op. cit., La Médiation franco-camerounaise, Section
de Garoua à M. le Président de la Mission devisite du Conseil de Tutelle
de passage à Garoua le 17 octobre 1955.
- 130 -

projet de statut de 1954. Ecoutons ii cet effetquelques


didarations des élus musulmans :
Arouna Njoya : Dans l’all6gresse gCn6rale que les nouvelles
institutions sont susceptibles d’occasionnerb une grande majorit6
des Camerounais, nousautres, ressortissants des régionsdu Nord,
nous ne pouvons manquerau besoin d’exprimer notre doublejoie,
car, en glus des organes centraux auxquels nous tenons tous, la
province nous a éte aaordbe. (71)
Iyawa Admou @mido de Banyo) :Je tiens B remercier le gouver-
nement franpis au nom de tous mescollEgues etde mes &lecteurs
du Nord-Cameroun, pour avoir penséB nous remettreen mains la
gestion de nos propres affaires, ce qui a d&jAfait l’objet de tant de
revendications. (72)

Ces diclarations suscitent des interrogations sur le motif


exact du disir des populations du Nord et de Fournban de voir
le territoire divise en deux parties. Les velliit6s separatistes
avaient pour cause principale le syndrome sudiste, c’est-à-dire
l’êtat de peur et d’inquietude qui hantait les populations du
Nord. Pour les a Nordistes Y,il fallait prêsewer leur r6gion des
invasions sudistes et iviter une indipendance précoce qui ne
profiterait qu’aux chretiens du Sud. Ceux-ci risquaient de les
dominer et d’hypothêquer leurs structures socio-politiques et
surtout religieuses. Cette conception trouve sa justification B
travers une dêclaration du Eamido de Banyo, Iyawa Adamou B
propos du projet de statut de 1956 :
Nous allons voter ce statut avecpleineconfiance,maisnous
mettons aussi l’Administration franpise en garde contre certaines
brimades dont nous pourrionsbtre victimes dela part de nos frPBres
qui seraient appe16s 1 prendre la direction du pays enmain. (73)

L’aristocratie foulb6 n’avait jamais cache son inquietude


quant aux csnsiquences de l’ind6pendance : elle y voyait une
menace sur son higémonie dans le Nord. Elle pr6firait demeurer
sous la souverainete frangaise, si le nouvel Etat camerounais ne

71. Njoya A., in Journal des&bats de l’Assemblée Territoriale du Cameroun,


3c année, no 20 du 17 avril 1957,p. 306.
72. Iyawa A., in Journal desdCbats de l’&semblêe Territoriale du Cameroun,
3c annge, no 20 du 17 avril 1957, p. 307.
73. dbid.
- 131 -

luidonnaitpasdegarantiessuffisantes d’autonomie, en
particulier auplan administratif (74). Le danger d’un séces-
sionnisme devenait de plus en plus évident. Le Premier Ministre
déchu André-Marie Mbida, à la suite du Congrèsdes Démocrates
Camerounais d’Abong-Mbang qui préconisaitla G démocra-
tisation du Nord-Cameroun D comme préalable à l’accession à
l’indépendance,envoya un télégramme au gouvernement
français pour demander<< l’éclatement politiqueD du Cameroun
en << plusieurs Etats régionaux D (75). Il écrivait en ces termes :
Les populations que nousreprésentons, environ plus d’un million
d’âmes, qui sont éconorniquement les plus fortes du Cameroun et
qui, pour lemoment, sont opposées pourraisons trbs pertinentes à
l’indépendance à brève échéance, demandent pour sauvegarder
leur évolution normale en tous domaines que le Cameroun soit
divisé en plusieursEtats régionaux distincts. Nos populations
tiennent absolument à ce quel’éclatementpolitique demandé
intervienne dans très brefs délais parce qu’il conditionnera pour
elles acceptation, discussion, budget et paiement impôts 1959 (76).

Cet acte du Premier Ministre déchu contribua à déconsidérer,


aux yeuxdes Nordistes, l’idée de la régionalisation du Cameroun
en la présentant comme un instrument au bénéfice des popu-
lations du sud, désireuses d’assurer leur hégémonie sur le pays.
Par ailleurs’ les intentions de Mbida suscitèrent un élan
unificateur dans la coalition gouvernementale, soucieuse de
préserver l’unité territoriale et d’éviter la dislocation du pays.
Bayart reconnaît que l’alliance Soppo Priso (77), Charles Assalé
et Ahmadou Ahidjo est présentée comme une riposte nationaliste
à ces tentatives de démembrement du territoire (78?

74. Bayart J.-F., op. cit., p. 39.


75. Idem, p. 58.
76. La Presse du Cameroun du 17 juin 1958. Le télégramme était Bgalement
signé Djoumessi et Akono.
77. La Presse du Cameroun, du 3 juillet 1958. Soppo Priso se distinguait
particulibrementdesautreshommespolitiquesduSudparla
détermination aveclaquelle il soutenaitque le sous-développement socio-
Bconomique du Nord-Cameroun n’était pas un obstacle insurmontable3
I’intBgration nationale et ? l’indépendance.
I
78. Bayart J.-F., op. cit., pp. 39-40.
- 132 -

Le problème du s6paratisme trouva sa solution dans cet


antagonisme. L’unité territoriale fut prCservée. L’attitude passive
de l’élitemusulmanevis-%visdu nationalisme camerounais
trouve sa justification dans le fait que l’ordre ancien (colonial)
risquait, avec l’indépendance, dese transformer en ordre sudiste
dangereux pour la survie de ses institutions et de son système
idéo-religieux.

L’organisation des communautés camerounaisesplacCes sous


la bannière de l’Islam et leur forte hiêrarchisation ont déterminê,
pendant la période coloniale, une administration spécifique
connue sous le nom de politique musulmane de la France.
Originellement opposte 5 ceux qu’elle qualifiait d’intrus ou de
perturbateurs de l’ordre ttabli, l’élite musulmane est progres-
sivement devenue le support politique et le levier sur lequel
l’administration coloniale s’appuya pour rtaliser sa politique
indigène. Les forces et valeurs religieuses musulmanes (p2leri-
nage, confréries), tout comme l’tlite traditionnelle (Sultan,
hmido, marabout) furent ma?trisées au point de servir lesint6rabts
coloniaux hanpis. L’Islam, force mondialede grande envergure,
avait subi une d6sorganisation et ne pouvait plus, comme il
l’avait fait dans le passe, susciter des initiatives politiques au
moment oh les peuples camerounais s’attelaient B des projets
liberateurs. Paradoxe apparent :malgr6 son origine coloniale, le
christianisme a servi de point d’appuiB une élite camerounaise
engagee dans la luttepourle transfert de la souverainet6
nationale. Au contraire, les dites musulmanes ont participé
timidement 2 cette lutte prestigieuse. Cependant, cet attentisme
ne relève pas d’un manque de nationalisme ou d’une aliénation
religieuse. Plus que le christianisme’ l’Islam est une force
mobilisatrice et peut servir de levier politique. L’attitude des
élites musulmanes du Cameroun face ii la montée du nationa-
lisme trouva sa justification dans un contexte geographique,
socio-culturel, religieux, éconornique et politique prCcis. Elle se
situe au-del8de toute analyse simpliste qui expliquerait le
comportementdesmusulmansvis-&-visde la lutte pour
l’indépendance en terme de tribalisme, de régionalisme ou de
- 133 -

simple appartenance religieuse. C‘est le degré d’évolutionsociale


et économique qui explique la conception différenciée de la
notion d’indépendance et, par ricochet, l’inégalité dans l’implan-
tation de la composante la plus vigoureuse dumouvement
nationaliste camerounais que fut l’Union des Populations du
Cameroun. La différenciation régionale Nord-Sud préside aux
destinées duCamerounindépendant. Elle justifie en grande
partie la politique d’équilibre régional pratiquée par l’adminis-
tration post-coloniale. Elle explique les soubresauts actuels,
dans une nouvelle ère de mutations politiques.

Abréviations
ANY Archives
Nationales de Yaoundé
AANY Archivesde1’AssembléeNationalede Yaoundé
ARCAM AssembléeReprésentativeduCameroun
ATCAM Assemblée Territoriale duCameroun
ALCAM Assemblée Ugislative du Cameroun
FOM d’Outre-Mer
France
TOM Territoire d’Outre-Mer

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