Islam Et Decolonisation en Cote 1

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1.

ISLAM ET DECOLONISATION EN COTE D’ IVOIRE

L’idée d’un islam menaçant pour la colonisation européenne a occupé parfois l’esprit de
certains publicistes et les missions catholiques ont essayé à plusieurs reprises de la faire
valoir. Dans l’ensemble cependant, les responsables de la colonisation française n’y ont
jamais cru. Les circonstances particulières, comme la Première Guerre Mondiale avec
d’une « guerre sainte »inspirée par les OTTOMANS, ont pu lui donner une consistance
éphémère. Certains hauts responsables, comme le gouverneur général BREVIE, ont pu s’y
intéresser. Mais elle n’a jamais fondé aucune politique continue.

On sait que dans le système britannique, la théorie et la pratique de l’indirect rule ont
souvent poussé à renforcer et à étendre le pouvoir des hiérarchies musulmanes en place,
comme dans les émirats du Nord-Nigéria. L’administration directe caractéristique des
Français visait au contraire plus ou moins consciemment à détruire cultures et les sociétés
africaines afin de ne plus avoir affaire qu’ à une poussière d’ individus isolés, faciles à
manipuler , à exploiter et finalement à assimiler. A priori, on pourrait croire qu’une telle
orientation, visant à nier et à réduire toute structure, spécifiquement africaine, s’ en
prendrait aussi à l’Islam noir. Ce serait là sous-estimer l’empirisme qui est le trait
dominant de toute domination coloniale’ même française.

Si les Etats musulmans, comme les héritiers d’ El Hadj OMAR ou SAMORI ( celui-
ci à vrai dire dans un esprit qu’ on pourrait presque qualifier de « laïc ») avaient résisté à
la conquête coloniale au 19e siècle d’autres s’étaient soumis facilement, comme les peuls
du Macina ou du Futa Jallon , des Etats païens avaient été tout aussi redoutables et les
oppositions les plus tenaces
étaient venues de sociétés lignagères (en Cote d’Ivoire par exemple, où elles ont duré
jusqu’en 1915 voire 1919). Le pouvoir français était naturellement hostile à l’Islam
militant et souhaitait isoler ses musulmans des courants réformistes ou rénovateurs du
monde musulman. D’où une censure postale, tatillonne et même ridicule, qui a été
particulièrement sensible de 1914 à 1945. Mais il était tout près à accepter et même à
encourager un Islam loyaliste. Ce fut le cas de presque toutes les grandes confréries,
notamment au Sénégal où le cas célèbre des MOURIDES a été bien étudié. En fait, dans
toute l’Afrique Noire française, à de rares exceptions près, l’Islam local, qu’il fut
majoritaire ou à plus forte raison minoritaire a été prêt à collaborer, dans l’intérêt
réciproque des parties.
L’autorité française obtenait ainsi une consolidation de son pouvoir et un appui
parfois décisif pour sa politique croissance économique. L’islam obtenait un cadre lui
permettant de s’étendre, dans un contexte différent, mais à un rythme bien plus rapide aux
dépens des religions traditionnelles. Les masses africaines y trouvaient la possibilité de
maintenir une certaine cohérence communautaire et une protection relative contre les
exigences de la domination coloniale.
Avec sa tradition laïque et largement anticléricale, le pouvoir colonial français a toléré les
misions catholiques, mais ne les a jamais vraiment encouragées. Les protestants, le plus
souvent d’origine anglo-saxonne ont été traités avec une suspicion hostile. Contrairement à
l’Afrique britannique, l’Etat colonial français a contrôlé directement la majorité du
secteur scolaire dont le caractère laïc a permis le recrutement facile des musulmans. Enfin,
les traditions païennes étaient considérées comme relevant de particularismes barbares à
éliminer au nom de l’assimilation alors qu’un compromis paraissait possible avec
l’universalisme musulman. Dans l’ ensemble, la colonisation française a donc partout été
favorable à l’Islam, tout en essayant de le contrôler jalousement. On peut dire que cette
politique lui a réussi en Afrique Noire.
En effet, contrairement à l’Afrique du Nord, il n’y a eu aucun lien spécifique entre le
mouvement de décolonisation (qui commence plus ou moins consciemment en 1945, prend
son essor en1949 et triomphe de 1954 à 1960) et les secteurs islamisés des sociétés
colonisées. Bien entendu, les musulmans ont participé comme les autres à ce vaste courant
historique, et en proportion variable selon leur place dans la population concernée. Mais ils
ne l’ont pas fait en tant que tels et leur religion n’a pas été à la source de ce
bouleversement. Les pays les plus islamisés comme la Mauritanie ou le Niger ont plutôt
suivi que montré le chemin. Les actions n’y ont pas été violentes comme en Cote d’Ivoire,
au Cameroun ou à Madagascar et n’ont pas été le fait de musulmans.
Cela montre bien qu’en Afrique Noire, même dans les Etats les plus islamisés, cette
religion n’occupe pas la même place qu’en Afrique du Nord, ni dans la tradition historique
ni dans la réalité sociale.
Il est significatif que, même dans les Etats à majorité musulmane écrasante comme le
Sénégal ou le Soudan(Mali), un rôle important a été joué dans la décolonisation par des
leaders non musulmans comme Léopold S. Senghor, Fily D. Sissoko ou Jean M. Koné.

Il serait donc particulièrement intéressant d’observer quel a été leur rôle dans les
Etats où ils sont minoritaires, et de déterminer si leur religion (Islam) a été un facteur dans
les engagements politiques. L’exemple choisi sera celui de la C I qui a l’avantage de
posséder une communauté musulmane forte mais minoritaire, et d’avoir joué un rôle
décisif dans la lutte anticoloniale des années1945-1960. Elle a été pendant des années le
centre le plus actif du RDA le premier parti de masse qu’ait l’Afrique francophone.
La Cote d’Ivoire est un pays où l’Islam est relativement ancien mais est resté
jusqu’ à la colonisation très minoritaire et étroitement localisé. Cependant des secteurs
méridionaux, dominés par le monde de la forêt, lui sont restés pratiquement fermés jusqu’
à la colonisation, en dehors de timides incursions commerciales jusqu’à la mer sur le B as-
Comoé.
Dans le nord lui –même, l’Islam restait à la fin du 18 e siècle très minoritaire car
lié à la minorité ethnolinguistique et sociologique des Juula c'est-à-dire au monde du
commerce à longue distance, notamment celui de l’ or et de la kola. La masse paysanne
était animiste.
En dehors d’Odienné, les musulmans du nord ne s’identifiaient pas vraiment à
Samory, conquérant venu du Konyan, en Guinée et ils se sont résignés d’autant plus
facilement à la domination française que celle-ci leur a vite ouvert des perspectives
inespérées. En l’an 1900, tout ce domaine de savane arraché à Samory, est enlevé à
l’immense Soudan français pour être rattaché à la colonie de la CI. Il va servir de base
militaire pour prendre à revers les sociétés lignagères de la foret qui vont s’obstiner dans
une interminable résistance. Ce domaine obscur, mystérieux et redoutable, de tout temps
fermé aux commerçants du nord, va ainsi s’ouvrir à leurs entreprises dans le cadre de la
colonisation.

Deux fronts d’islamisation ’d’importance inégale vont se


rencontrer sur les cotes du golfe de Guinée. Avec la création d’une colonie autonome en
1892 et le débarquement de colonne Monteil dirigée contre Samory en1894, les cotes du sud
avaient vu surgir de nombreux Sénégalais, agents civils et militaires du pouvoir français.
Cet Islam citadin, acculturé, très déraciné va longtemps considérer avec mépris les
« sauvages païens » du sud, mais aussi, les musulmans arrivés du nord qui vont bientôt
arriver jusqu’à lui (cf Triaud 1971) .
Le vrai fait capital est que les juula des savanes ont su profiter très vite de
l’extension du pouvoir français pour pénétrer les pays forestiers qui leur avaient toujours
été fermés. La conquête s’organisant selon des axes méridiens c’est là que surgissent très
vite, autour des postes militaires à peine installés des quartiers et des villes juula dans un
pays qui n’avait jamais connu la vie urbaine. Des gens de toute origine, mais surtout
d’Odienné ,Touba, Séguela, Mankono s’installent ainsi à Man, Daloa, Sassandra, plus tard
Gagnoa, Lakota ,Divo. Plus à L’est, ils gagnent Bouaflé et les gares du nouveau chemin de
fer, Bouaké Dinbokro, Agboville. Ils y rencontrent des Juula de Kong et de Bondoukou,
ainsi que plus à l’est, à Abengourou, ils rejoignent les Sénégalais dans les capitales d Sud-
Bassam, Bingerville, puis Abidjan.
Pour les forestiers ce sont les envahisseurs au même titre que les blancs et
ce n’est pas sans risques que les colporteurs s’aventurent sur les pistes nouvelles qui
coupent l’obscurité sylvestre. A chaque révolte du Sud, on les massacre en grand nombre.
Ce fut le cas en 1908 entre Daloa et Séguéla, ainsi qu’en 1910 dans la région d’ Agboville à
l’ occasion de la grande révolte des Abbeys.
Mais enfin, l’essentiel est là. Une révolution sociale et ethnique s’est produite sous
l’égide de la colonisation française. Toutes les villes qui surgissaient dans le sud sont des
villes Juula ; les commerçants manding y sont majoritaires partout dès les années 1920.
L’hostilité des forestiers aux Juula ne s’affaiblira que lentement .Ils chercheront le
salut dans des christianismes syncrétiques comme le Harrisme plutôt que dans la
conversion à l’Islam. Cependant la conversion à l’Islam, déjà amorcée au 18 e siècle les
Baoulé de l’Ano(Comoé) s’étendra, gagnant même après la Guerre Mondiale certains Agni
et Krou(Bété de Soubré).Elle ne se généralisera pas.
D’autres éléments d’islamisation assez inattendus apparaitront. Soucieux de les isoler
dans un milieu radicalement différent, la colonisation française déportera au Gabon ou en
CI certains résistants Maures ou Soudanais. Si Samory est mort au Gabon, le fameux
cheikh Hamahoullah, fondateur du Hamallisme, vivra en Cote d’Ivoire de 1930 à1936,
avant d’être à nouveau déporté en 1940 et de mourir en France en 1942.
Son disciple Yacouba Sylla, un Soninké de Kaédi(Mauritanie) établira la confrérie à
Gagnoa où il devint l’un des principaux commerçants.
Sauf dans le Nord-Ouest, l’élément musulman, citadin et commerçant, s’oppose donc
fortement à la masse paysanne, qu’il contribue à exploiter. Il souffre moins des contraintes
de l’indigénat et du travail forcé. En fait, il participe à l’entreprise de la colonisation, d’une
façon différente, mais non moins active que les Sénégalais de la cote.
Entre les deux guerres mondiales, les Juula occupent tous les domaines de la nouvelle
économie que négligent les grandes sociétés d’import-export (SCOA, CFAO).
Ils fournissent un grand nombre d’agents, boutiquiers, acheteurs et revendeurs à ces
sociétés. Ils traitent régulièrement avec elles et ont leurs propres boutiques. Enfin entre les
2guerres, ils s’emparent très tôt du transport par camions, à mesure que les véhicules à
moteur se vulgarisent et que les routes adéquates sont construites. La pénétration
commerciale se fait en outre jusqu’aux contrées les plus éloignées de part et d’autre de
l’axe de chemin de fer, qui s’étend peu à peu vers la Haute –Volta et les terres surpeuplées
du pays Mossi.
Les Dioula riches vont investir les capitaux que leur rapporte le commerce dans
des plantations. Ils auront parfois de la peine à obtenir des terres et des tensions naîtront
avec les autochtones. La solidarité de classe finira cependant en général par l’emporter sur
la solidarité ethnique. Le rôle de ces planteurs commerçants Dioula est particulièrement
important chez les Bété (Gagnoa, Daloa) et chez les Agni (Abengourou, Aboisso ). Yacouba
Sylla, devenu le plus gros commerçant de Gagnoa propriétaire de plusieurs cinémas,
animera après la guerre, le syndicat des transporteurs Africains fondé en 1937. Mais
deviendra aussi un planteur important.
La lutte commune contre les privilèges des planteurs européens aura aussi contribué à
rapprocher les groupes ethniques initialement hostiles.
Même s’ils partent « animistes » de chez eux, ces gens du nord se rallient vite, au moins
en apparence à l’Islam afin de trouver de solidarité. Ils bénéficient alors d’un certain
paternalisme des patrons Juula. Ceux-ci marquent donc des points dans la recherche du
travail à bon marché, tout en contribuant à étendre l’Islam.
Dans leur totalité, ces grands juula, même très riches vivaient dans la culture
traditionnelle et soutenaient les religieux musulmans même s’ils n’avaient guère le temps
de s’instruire eux-mêmes.
En matière d’éducation, le fait remarquable, qui met à part le cas français, est que les
nouvelles écoles étaient essentiellement des écoles laïques d’Etat, alors que les
Britanniques, jusqu’ au bout, ont presqu’entièrement abandonné ce domaine aux missions
qu’ils se contentaient de subventionner. Pour les pays à Islam minoritaire comme la
CI cette différence a eu des conséquences considérables.
_Au Ghana par exemple, les musulmans, évitant les écoles chrétiennes ont été largement
tenus à l’écart de l’éducation moderne, ce qui les a marginalisés socialement et isolés de la
nouvelle bourgeoisie intellectuelle qui allait construire le nationalisme. En CI, au
contraire,si les pays du nord sont restés sous-scolarisés,les musulmans des villes du sud
c'est-à-dire les plus riches et plus actifs ont fait scolariser leurs enfants autant que les
chrétiens d’origine animiste ,et ont ainsi participer à la formation de la même bourgeoisie.
Ils rejoignaient ainsi le groupe des musulmans sénégalais souvent citoyens français,
jusque-là très réticents à se solidariser avec leurs coreligionnaires arriérés.
L’évolution économique et la transformation culturelle allaient donc en CI dans le
même sens contre un particularisme politique des musulmans. Il y aura des problèmes
régionaux à fondement ethnique, qui subsistent d’ailleurs d’autant plus qu’on veut les nier
mais il n’y aura pas de clivages religieux à signification politique.
Telle la situation de l’Islam lors de la 2 e guerre mondiale..Il était en expansion constante
quoiqu’assez lente. Si ses terres d’origine dans le nord, restaient la marge pauvre du pays,
il y avait du moins rallié la majorité de la classe dirigeante ; jadis « animiste »du moins
chez les Sénoufo. Si la conversion de la zone mandingue n’était pas totale, les musulmans
tendaient déjà à y être majoritaires .Enfin dans le sud, patrie riche et vivante de l’Etat, si les
conversions restaient exceptionnelles et si la masse misérable des manœuvres venait de plus
en plus du nord, les riches juula occupaient une place croissante dans la nouvelle
bourgeoisie africaine à laquelle s’intégraient ses fils, nombreux dans l’entourage du chef.

Citons parmi ceux qui lui seront le plus constamment fidèles, l’instituteur Mamadou
Coulibaly et Lamine Fadiga originaire de Touba mais commerçant à Bouaké. Le premier
secrétaire général du RDA a été Fily Sissoko
Nous allons évoquer maintenant la place que le mouvement de
libération a donnée aux musulmans et voir si l’Islam a joué alors dans son sein un rôle
spécifique.
Dans les années 1949-1950, au moment le plus dur de la lutte ses adversaires, et
particulièrement les missions catholiques, accusaient volontiers le RDA (crée en 1946)
d’être « le parti des juula ». Il s’agissait bien sûr d’une polémique de mauvaise foi. Partant
n’essayaient –elles pas d’utiliser un sentiment vague mais assez répandu dans certains
milieux ?
Le PDCI est issu du syndicat agricole africain (SAA) fondé en 1944 pour lutter les
discriminations scandaleuses dont profitaient les planteurs blancs. Pour être membre il
fallait exploiter au moins 2 ha et les délégués devaient être lettrés en français. Le premier
bureau comptait 8 membres dont 3 juula. Le plus important de ceux-ci était Lamine Touré,
originaire d’Odienné, commerçant-planteur à Bassam. Lors des élections municipales
d’août 1945, le bloc africain dirigé par Houphouët Boigny, concéda une majorité des sièges
à des musulmans, notamment sénégalais, ce qui correspondait d’ailleurs à la composition
ethnique de la ville, comptant alors 46000 habitants. C’est avec une majorité écrasante
allant de 70 à 95% des voix dans l’ ensemble de la CI que Houphouët fut ensuite élu, en
novembre 1945 puis en 1946.L’electorat musulman ne paraît pas avoir agi de façon
distincte. Parmi les premiers adversaires politiques d’Houphouët, dès 1945, l’avocat
Kouamé Binzème et Kakou Aoulou sont des chrétiens du sud mais Tidiane Dem est un
musulman de Korhogo. Ils constituent bientôt le parti progressiste, essentiellement
implanté en pays agni. Il reste que le PDCI se construit de haut en bas et que la
composition de sa direction ne reflète pas nécessairement celle de la base qu’il prétend
représenter. Or les figures connues ne sont pas celles de musulmans, ce qui dément la
rumeur du « parti juula », mais les musulmans sont, un ivoirien d’origine malienne et
neveu de l’homme politique soudanais bien connu.
A partir de la fin de 1948, surtout sous le gouvernement Péchoux, l’administration
française décidera d’écraser par tous les moyens le PDCI, provoquant une série d’incidents
sanglants qui dureront près de 2 ans. Des pressions constantes seront exercées pour
amener les militants à quitter le parti. Or parmi ceux qui cédèrent, l’un des plus connus
est Sékou Sanogo, un musulman de Séguéla qui organisa en août 1949 l’Entente des
Indépendants, à côté du Bloc Démocratique Eburnéen, qui a été créé dès 1948 par Etienne
Djaument un Néyo chrétien de Sassandra. Tandis que Dignan Bailly réorganisait un
fantomatique Parti Socialiste(SFIO) dont l’influence ne dépasse pas la région de Gagnoa.
Que peut-on dire de cette réputation de « parti juula » ?
Il semble qu’elle est surtout due à l’influence des missions catholiques qui, ayant jugé le
PDCI communiste dès 1946, ont mis longtemps à se réconcilier avec lui et l’identifiaient
spontanément à leurs adversaires musulmans.

Inversement, de nombreux musulmans commerçants ont su user au mieux du RDA pour


développer leurs propres affaires. Le loyalisme politique obligeait beaucoup de militants à
leur donner la préférence. Il est notoire que Ladji Sidibé de Daloa a réussi de cette façon à
construire une fortune un moment remarquable.
Il faut donc admettre que, dès 1946, les musulmans ralliés au RDA ont joué un très
grand rôle dans la propagande et l’organisation du parti, ainsi que dans les relations entre
les sous-sections locales.
Comme acheteurs de produits faisant des avances aux paysans, ils étaient bien placés
pour les influencer. Propriétaires de camions ils pouvaient facilement transporter des
électeurs favorables pour voter au chef-lieu.
On voit donc que l’Islam entant que tel avait peu à voir avec cette sélection. C’est la
réalité économique et sociale de la brousse ivoirienne qui a fait que les Dioula ont joué un
niveau des sous-sections. Ex : Abengourou, ville coloniale installée dans le royaume Agni
du Ndenyé.
Félix H.Boigny y avait passé de nombreuses années comme médecin et s’était marié
dans la famille royale. On sait que son beau-frère Amoakon Dihyé, fils d’un sénégalais
intrusif dans une succession matrilinéaire, était le seul membre musulman de la famille
royale.
Il était en conséquence étroitement lié à la colonie Dioula locale et se heurtait à une
vive hostilité de ses parents. Or c’est lui qu’ Houphouët réussit à imposer en 1945, grâce
au soutien du gouverneur Latrille.
Le RDA va désormais s’appuyer sur la minorité musulmane contre les riches
planteurs Agni, qui avaient d’ abord soutenu le syndicat agricole pas
un noyau de vérité partielle. Commerçants dans tout le pays, planteurs autour des villes du
sud, les musulmans les plus riches avaient des intérêts identiques à ceux de la bourgeoisie
ivoirienne qui organisait le RDA. Les fonctionnaires et employés musulmans passés par la
même école française se distinguent de leurs collègues chrétiens. Les paysans plus ou
moins islamisés du nord subissaient les pressions fiscales plus difficilement que leurs frères
du sud et étant entrainés loin de chez eux par le travail forcé.
Dès les années 1924-1934, le grand centre religieux de
Samatiguila près d’Odienné était noté comme centre d’opposition et pendant
toute la période étudiée ici il sera un bastion inébranlable du PDCI. Houphouët lui-même,
chef de canton catholique à Yamoussoukro était connu pour l’hospitalité qu’il accordait
aux juula de passage.
A peine élu, au début de 1946, il se rendra à Montluçon pour se recueillir sur la tombe
de Cheick Hamahoullah, maître à penser de Yacouba Sylla, mort en captivité en africain.
Il en est de même à Aboisso, dans le Sanwi, où les Agni, si proches ethniquement du
Baoulé F.H.B, sont généralement progressistes sous l’influence de maître Binzeme alors
que la colonie Dioula organise le PDCI.
D’autre part, tous les notables musulmans n’étaient pas nécessairement des membres
actifs du PDCI encore moins de responsables.
Il y a certes le cas de Yacouba Sylla qui entraînait avec lui la communauté Dioula de
Gagnoa, mais par réaction provoquait une vive opposition des paysans Bété qui se
reconnaissaient dans le socialiste Dignan Bailly. On peut en dire autant de Ladji Sidibé de
Daloa, négociant d’origine malienne étroitement lié à Houphouët.
Aucun de ces 2 commerçants n’était cependant secrétaire de la sous-section ; cette
fonction revenait à un Dioula à Gagnoa mais au bété Robert Druid à Daloa.
On peut encore citer le cas de Bouaké, ville dioula en terre baoulé dont le leader politique
était dès 1946 un peul d’origine voltaïque Djibo Sounkalo. Il était entouré de dioula
connus comme Lamine Fadiga et Siaka Berté. Dès 1947, c’est lui qui organise « les
tribunaux » clandestins du RDA pour se substituer systématiquement à la justice française
officielle.
Mais cette fidélité n’était pas universelle.
Très souvent de gros commerçants musulmans, croyant à l’avènement du pouvoir
français, firent l’erreur d’adopter une position violemment hostile au RDA. Ils firent
aussitôt l’objet de boycottage, parfois violent, et n’hésitèrent pas à se défendre les armes à
la main, comme Mory Koné d’Agboville. Le plus célèbre est celui de Sékou Baradji,
négociant de Bouaflé, qui était devenu l’ennemi personnel du secrétaire de sous-section un
authentique Gouro, Zoro Bi Tra .C’est le boycottage systématique de ses achats et la
destruction de ses magasins auquel il répondit les armes à la main, qui provoqua les
violents incidents de Bouaflé en janvier 1950 ; Culminant dans l’assassinat toujours mal
éclairci, du sénateur Bété Biaka Boda, l’un des plus proches collaborateurs d’Houphouët.
A Dimbokro également, qui connut l’incident de plus sanglant de l’époque, le 30 janvier
1950, le secrétaire Samba Ambroise était un Tagbana (senoufo), c’est à dire un chrétien
du Nord, mais le rôle du dioula dans la sous-section était capital.
Il paraît donc impossible de déterminer une tendance propre aux musulmans. Parmi
les hommes de religion. Les Imams des communautés ; ils y ont rarement un engagement
politique directe, mais il est certain que l’ambiance était favorable au PDCI dès 1946, alors
que celle des missions catholiques donc le clergé noir était encore très minoritaire, devenait
de plus en plus hostile.
Cependant au moment de la répression en 1949-50, toutes les affiches peuvent
s’observer.

- Malgré des injonctions sévères de l’administration, des Imams comme Ali Baba
Timité de Bondoukou ou Aliou Sanogo de Kong (en Août 1950) refusèrent de se
déconsidérer en reniant le parti qu’ils avaient approuvé. Par contre, Ali Diabi,
l’Imam de Bouaflé chez qui Biaka Boda chercha refuge une nuit de Janvier 1950,
parait avoir joué un rôle dans son assassinat, par peur de l’administration.
-

Il allait être bientôt révoqué par sa communauté.


- On a remarqué que nous n’avons pratiquement pas parlé de confréries (tarîqa) ce qui
est remarquable si l’on considère le rôle qu’elles ont joué, pour la colonisation
comme pour la décolonisation, dans des pays comme la Mauritanie, le Sénégal, le
Mali ou même la Guinée.
Au soudan (Mali) et en Guinée, l’agitation causée par les réformistes qualifiés de
wahhabites à créé une ambiance de 1948 à 1960. En Côte d’Ivoire, El Hadj Kabine
Diané, Imam de Bouaké devenu wahhabite durant son pèlerinage fut l’un partisans
les plus résolus du RDA. Leur affiliation ne paraît pas avoir joué un rôle spécifique.
On connaît la tragédie du hamallisme en Mauritanie et au soudan. Or l’existence
d’un sérieux foyer Hamallisme à Gagnoa n’ a donné aucune tonalité particulière à la
lutte dans cette ville , ou il n’y a pas eu d’incidents sanglants malgré l’ opposition des
Bailly .
Yacouba Sylla n’a pas joué un rôle différent de celui de Ladji Sidibé ou de
Djibo Sounkalo
Indépendante, la CI n’a pas à proprement parler de politique religieuse, mais on
a le sentiment que certains aspects révolutionnaires ou intégristes inquiètent parfois
le pouvoir. L’hostilité à l’égard d’une hégémonie musulmane dans un Nigéria
anglophone et trop puissant explique sans doute la malencontreuse reconnaissance
du Biafra en 1962.
Les étrangers représentant plus de 1/3 de la population actuelle de la CI et ils sont
en majorité musulmans.
CONCLUSION
-L’Islam en CI est un facteur important et nullement marginal, mais que son
caractère minoritaire l’empêche de jouir d’un rôle déterminant. La société
globale ne lui est pas hostile, ne l’ignore pas mais ne s’identifie pas à lui. Elle est
prête à lui reconnaître un rôle important à condition qu’il ne prétende pas
poursuivre des buts distincts.
Parmi les citoyens ivoiriens les musulmans doivent être près du 1/3 alors qu’au
moment de la colonisation, ils ne devraient pas dépasser 5%de la population (mois de
100.000 sur peut être 2 millions).
Cette remarquable croissance due aux conditions de l’ère coloniale, favorables
au déracinement des hommes et à la rupture des équilibres anciens n’a fait que
renforcer les identités distinctes des différentes sections du pays, mais a permis
l’apparition des communautés musulmanes dans les régions qui les ignoraient.
YVES PERSON in LE MOIS EN AFRIQUE MAI-JUIN 1982

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