Islam Et Decolonisation en Cote 1
Islam Et Decolonisation en Cote 1
Islam Et Decolonisation en Cote 1
L’idée d’un islam menaçant pour la colonisation européenne a occupé parfois l’esprit de
certains publicistes et les missions catholiques ont essayé à plusieurs reprises de la faire
valoir. Dans l’ensemble cependant, les responsables de la colonisation française n’y ont
jamais cru. Les circonstances particulières, comme la Première Guerre Mondiale avec
d’une « guerre sainte »inspirée par les OTTOMANS, ont pu lui donner une consistance
éphémère. Certains hauts responsables, comme le gouverneur général BREVIE, ont pu s’y
intéresser. Mais elle n’a jamais fondé aucune politique continue.
On sait que dans le système britannique, la théorie et la pratique de l’indirect rule ont
souvent poussé à renforcer et à étendre le pouvoir des hiérarchies musulmanes en place,
comme dans les émirats du Nord-Nigéria. L’administration directe caractéristique des
Français visait au contraire plus ou moins consciemment à détruire cultures et les sociétés
africaines afin de ne plus avoir affaire qu’ à une poussière d’ individus isolés, faciles à
manipuler , à exploiter et finalement à assimiler. A priori, on pourrait croire qu’une telle
orientation, visant à nier et à réduire toute structure, spécifiquement africaine, s’ en
prendrait aussi à l’Islam noir. Ce serait là sous-estimer l’empirisme qui est le trait
dominant de toute domination coloniale’ même française.
Si les Etats musulmans, comme les héritiers d’ El Hadj OMAR ou SAMORI ( celui-
ci à vrai dire dans un esprit qu’ on pourrait presque qualifier de « laïc ») avaient résisté à
la conquête coloniale au 19e siècle d’autres s’étaient soumis facilement, comme les peuls
du Macina ou du Futa Jallon , des Etats païens avaient été tout aussi redoutables et les
oppositions les plus tenaces
étaient venues de sociétés lignagères (en Cote d’Ivoire par exemple, où elles ont duré
jusqu’en 1915 voire 1919). Le pouvoir français était naturellement hostile à l’Islam
militant et souhaitait isoler ses musulmans des courants réformistes ou rénovateurs du
monde musulman. D’où une censure postale, tatillonne et même ridicule, qui a été
particulièrement sensible de 1914 à 1945. Mais il était tout près à accepter et même à
encourager un Islam loyaliste. Ce fut le cas de presque toutes les grandes confréries,
notamment au Sénégal où le cas célèbre des MOURIDES a été bien étudié. En fait, dans
toute l’Afrique Noire française, à de rares exceptions près, l’Islam local, qu’il fut
majoritaire ou à plus forte raison minoritaire a été prêt à collaborer, dans l’intérêt
réciproque des parties.
L’autorité française obtenait ainsi une consolidation de son pouvoir et un appui
parfois décisif pour sa politique croissance économique. L’islam obtenait un cadre lui
permettant de s’étendre, dans un contexte différent, mais à un rythme bien plus rapide aux
dépens des religions traditionnelles. Les masses africaines y trouvaient la possibilité de
maintenir une certaine cohérence communautaire et une protection relative contre les
exigences de la domination coloniale.
Avec sa tradition laïque et largement anticléricale, le pouvoir colonial français a toléré les
misions catholiques, mais ne les a jamais vraiment encouragées. Les protestants, le plus
souvent d’origine anglo-saxonne ont été traités avec une suspicion hostile. Contrairement à
l’Afrique britannique, l’Etat colonial français a contrôlé directement la majorité du
secteur scolaire dont le caractère laïc a permis le recrutement facile des musulmans. Enfin,
les traditions païennes étaient considérées comme relevant de particularismes barbares à
éliminer au nom de l’assimilation alors qu’un compromis paraissait possible avec
l’universalisme musulman. Dans l’ ensemble, la colonisation française a donc partout été
favorable à l’Islam, tout en essayant de le contrôler jalousement. On peut dire que cette
politique lui a réussi en Afrique Noire.
En effet, contrairement à l’Afrique du Nord, il n’y a eu aucun lien spécifique entre le
mouvement de décolonisation (qui commence plus ou moins consciemment en 1945, prend
son essor en1949 et triomphe de 1954 à 1960) et les secteurs islamisés des sociétés
colonisées. Bien entendu, les musulmans ont participé comme les autres à ce vaste courant
historique, et en proportion variable selon leur place dans la population concernée. Mais ils
ne l’ont pas fait en tant que tels et leur religion n’a pas été à la source de ce
bouleversement. Les pays les plus islamisés comme la Mauritanie ou le Niger ont plutôt
suivi que montré le chemin. Les actions n’y ont pas été violentes comme en Cote d’Ivoire,
au Cameroun ou à Madagascar et n’ont pas été le fait de musulmans.
Cela montre bien qu’en Afrique Noire, même dans les Etats les plus islamisés, cette
religion n’occupe pas la même place qu’en Afrique du Nord, ni dans la tradition historique
ni dans la réalité sociale.
Il est significatif que, même dans les Etats à majorité musulmane écrasante comme le
Sénégal ou le Soudan(Mali), un rôle important a été joué dans la décolonisation par des
leaders non musulmans comme Léopold S. Senghor, Fily D. Sissoko ou Jean M. Koné.
Il serait donc particulièrement intéressant d’observer quel a été leur rôle dans les
Etats où ils sont minoritaires, et de déterminer si leur religion (Islam) a été un facteur dans
les engagements politiques. L’exemple choisi sera celui de la C I qui a l’avantage de
posséder une communauté musulmane forte mais minoritaire, et d’avoir joué un rôle
décisif dans la lutte anticoloniale des années1945-1960. Elle a été pendant des années le
centre le plus actif du RDA le premier parti de masse qu’ait l’Afrique francophone.
La Cote d’Ivoire est un pays où l’Islam est relativement ancien mais est resté
jusqu’ à la colonisation très minoritaire et étroitement localisé. Cependant des secteurs
méridionaux, dominés par le monde de la forêt, lui sont restés pratiquement fermés jusqu’
à la colonisation, en dehors de timides incursions commerciales jusqu’à la mer sur le B as-
Comoé.
Dans le nord lui –même, l’Islam restait à la fin du 18 e siècle très minoritaire car
lié à la minorité ethnolinguistique et sociologique des Juula c'est-à-dire au monde du
commerce à longue distance, notamment celui de l’ or et de la kola. La masse paysanne
était animiste.
En dehors d’Odienné, les musulmans du nord ne s’identifiaient pas vraiment à
Samory, conquérant venu du Konyan, en Guinée et ils se sont résignés d’autant plus
facilement à la domination française que celle-ci leur a vite ouvert des perspectives
inespérées. En l’an 1900, tout ce domaine de savane arraché à Samory, est enlevé à
l’immense Soudan français pour être rattaché à la colonie de la CI. Il va servir de base
militaire pour prendre à revers les sociétés lignagères de la foret qui vont s’obstiner dans
une interminable résistance. Ce domaine obscur, mystérieux et redoutable, de tout temps
fermé aux commerçants du nord, va ainsi s’ouvrir à leurs entreprises dans le cadre de la
colonisation.
Citons parmi ceux qui lui seront le plus constamment fidèles, l’instituteur Mamadou
Coulibaly et Lamine Fadiga originaire de Touba mais commerçant à Bouaké. Le premier
secrétaire général du RDA a été Fily Sissoko
Nous allons évoquer maintenant la place que le mouvement de
libération a donnée aux musulmans et voir si l’Islam a joué alors dans son sein un rôle
spécifique.
Dans les années 1949-1950, au moment le plus dur de la lutte ses adversaires, et
particulièrement les missions catholiques, accusaient volontiers le RDA (crée en 1946)
d’être « le parti des juula ». Il s’agissait bien sûr d’une polémique de mauvaise foi. Partant
n’essayaient –elles pas d’utiliser un sentiment vague mais assez répandu dans certains
milieux ?
Le PDCI est issu du syndicat agricole africain (SAA) fondé en 1944 pour lutter les
discriminations scandaleuses dont profitaient les planteurs blancs. Pour être membre il
fallait exploiter au moins 2 ha et les délégués devaient être lettrés en français. Le premier
bureau comptait 8 membres dont 3 juula. Le plus important de ceux-ci était Lamine Touré,
originaire d’Odienné, commerçant-planteur à Bassam. Lors des élections municipales
d’août 1945, le bloc africain dirigé par Houphouët Boigny, concéda une majorité des sièges
à des musulmans, notamment sénégalais, ce qui correspondait d’ailleurs à la composition
ethnique de la ville, comptant alors 46000 habitants. C’est avec une majorité écrasante
allant de 70 à 95% des voix dans l’ ensemble de la CI que Houphouët fut ensuite élu, en
novembre 1945 puis en 1946.L’electorat musulman ne paraît pas avoir agi de façon
distincte. Parmi les premiers adversaires politiques d’Houphouët, dès 1945, l’avocat
Kouamé Binzème et Kakou Aoulou sont des chrétiens du sud mais Tidiane Dem est un
musulman de Korhogo. Ils constituent bientôt le parti progressiste, essentiellement
implanté en pays agni. Il reste que le PDCI se construit de haut en bas et que la
composition de sa direction ne reflète pas nécessairement celle de la base qu’il prétend
représenter. Or les figures connues ne sont pas celles de musulmans, ce qui dément la
rumeur du « parti juula », mais les musulmans sont, un ivoirien d’origine malienne et
neveu de l’homme politique soudanais bien connu.
A partir de la fin de 1948, surtout sous le gouvernement Péchoux, l’administration
française décidera d’écraser par tous les moyens le PDCI, provoquant une série d’incidents
sanglants qui dureront près de 2 ans. Des pressions constantes seront exercées pour
amener les militants à quitter le parti. Or parmi ceux qui cédèrent, l’un des plus connus
est Sékou Sanogo, un musulman de Séguéla qui organisa en août 1949 l’Entente des
Indépendants, à côté du Bloc Démocratique Eburnéen, qui a été créé dès 1948 par Etienne
Djaument un Néyo chrétien de Sassandra. Tandis que Dignan Bailly réorganisait un
fantomatique Parti Socialiste(SFIO) dont l’influence ne dépasse pas la région de Gagnoa.
Que peut-on dire de cette réputation de « parti juula » ?
Il semble qu’elle est surtout due à l’influence des missions catholiques qui, ayant jugé le
PDCI communiste dès 1946, ont mis longtemps à se réconcilier avec lui et l’identifiaient
spontanément à leurs adversaires musulmans.
- Malgré des injonctions sévères de l’administration, des Imams comme Ali Baba
Timité de Bondoukou ou Aliou Sanogo de Kong (en Août 1950) refusèrent de se
déconsidérer en reniant le parti qu’ils avaient approuvé. Par contre, Ali Diabi,
l’Imam de Bouaflé chez qui Biaka Boda chercha refuge une nuit de Janvier 1950,
parait avoir joué un rôle dans son assassinat, par peur de l’administration.
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