Un Bébé À Bollywood
Un Bébé À Bollywood
Zara Khan, la reine de Bollywood, plaquée par Vikram Raawal pour une femme
plus jeune après une relation de dix ans !
Une illustre inconnue prénommée Naina souffle son homme à Zara Khan juste
sous son nez !
Le biopic à grand spectacle de Vikram Raawal parti pour couler avant même sa
sortie !
Zara Khan lut les titres sur trois sites différents et posa son téléphone,
consternée. Elle jeta un coup d’œil à Naina, son assistante et la fiancée de
son meilleur ami, Vikram Raawal, assise dans le fond de la salle avec Anya,
la sœur de Vikram. Même de loin, le stress se lisait sur son visage.
Naina avait-elle vu ces titres ? Depuis une semaine elle avait perdu son
entrain. Était-ce à cause de ces insinuations ridicules selon lesquelles elle
lui avait « soufflé » Vikram ? Comment les médias pouvaient-ils publier des
mensonges aussi répugnants ?
À une semaine de leur mariage, la dernière chose dont avaient besoin
les deux fiancés, c’était que ses fans se déchaînent contre eux. Vikram lui
avait apporté le soutien indéfectible de son amitié dans toutes les épreuves
qu’elle avait traversées. Par ailleurs, il avait travaillé avec acharnement
pendant quinze ans pour rétablir la réputation et la situation financière de sa
famille comme de la société de production Raawal House of Cinema. Il ne
méritait vraiment pas que son bonheur et celui de Naina soient ternis par
toutes ces calomnies.
Elle avait eu beau faire une déclaration officielle pour assurer qu’elle
était heureuse pour Vikram et Naina, ça n’avait pas convaincu ses fans.
Si encore il avait suffi d’endurer ces rumeurs jusqu’à ce que d’autres
plus croustillantes les remplacent à la une des médias… Mais elles étaient
en train de brouiller toute la communication autour du biopic de Vijay
Raawal, grand-père de Vikram et créateur de la société de production
familiale. À chaque fois que Vikram avait tenté de donner une interview au
sujet de ce projet, toutes les questions des journalistes avaient porté sur le
prétendu imbroglio de sa vie sentimentale.
Zara s’efforça de garder le sourire malgré son irritation, tandis que sur
scène se poursuivait le programme de lancement du site du magazine
SuperWomen, dont elle était l’une des principales investisseuses.
Si elle n’avait pas promis aux jeunes femmes qui avaient créé le site de
participer au lancement et si elle n’avait pas fait jouer toutes ses relations
dans l’industrie pour pousser des hommes influents à y assister, elle serait
partie. Elle n’avait aucune envie de se montrer tout sourires sur scène
devant des gens qui se demanderaient tous secrètement si elle avait le cœur
brisé.
Pas question de se laisser réduire au rôle de victime. Même quand elle
aurait eu des raisons elle s’y était refusée. Ce n’était pas pour commencer
aujourd’hui. Le moment était venu de passer à l’action. Et pas seulement
pour soigner son ego. L’animosité du public envers Vikram risquait de
compromettre le succès du biopic, qui devait être terminé d’ici quelques
semaines et dans lequel il s’était énormément investi. Il était temps de
détourner l’attention des médias. De donner à ses fans un sujet de
discussion beaucoup plus excitant que les fiançailles de Vikram et de Naina.
Un plan germa dans l’esprit de Zara dès qu’elle vit Virat Raawal qui
arrivait du foyer avec ce mélange de désinvolture et d’assurance qui faisait
tout son charme. Les têtes se tournèrent vers lui et des murmures se firent
entendre, comme à chaque fois qu’il apparaissait.
Tandis que Vikram s’était imposé comme le roi des acteurs, Virat, son
frère, restait sans rival au sommet de la hiérarchie des réalisateurs. Connu
pour ses scénarios brillants à travers plusieurs films ayant rencontré un
succès international, Virat était un véritable rebelle. Les acteurs et les
actrices se battaient pour jouer dans ses films, tandis que les écrivains
créaient des histoires pour qu’il leur donne vie sur le grand écran.
Avec son nez grec et ses traits taillés à la serpe, il ne méritait pas d’être
qualifié de « beau » ou de « séduisant ». C’étaient des termes trop banals
pour le décrire. « Indompté » était le seul mot qui venait à l’esprit de Zara
quand elle le voyait. Un homme qui n’accepterait ni les contraintes d’une
relation ni les limites respectées par ses semblables.
Un frisson parcourut Zara – le frisson familier que déclenchait
systématiquement la présence de Virat. Il fit le tour de la salle, un sourire
impertinent aux lèvres. Elle avait toujours eu le sentiment qu’il se moquait
des autres. Avec un mépris non dissimulé. Comme si tous ceux qui
l’entouraient étaient des pions dans un jeu auquel il était le seul à savoir
jouer.
Alors que tous les hommes présents – la plupart très influents dans leur
domaine – étaient en costume trois-pièces, Virat dédaignait le code
vestimentaire en chemise blanche et pantalon noir. Une tenue qui mettait en
valeur sa silhouette athlétique et son mètre quatre-vingt-huit. La blancheur
de sa chemise, dont les trois premiers boutons étaient ouverts, offrait par
ailleurs un contraste délicieux avec sa peau brune.
Dix ans plus tôt, alors qu’à vingt ans tout juste il respirait déjà
l’assurance et la désinvolture, Zara avait été incapable de résister à son
charme. Aujourd’hui, la mâchoire recouverte d’une barbe naissante et un
cigare aux lèvres, il était l’image même du génie voyou, comme on
l’appelait. À le regarder il n’était que trop facile de croire à la révélation
récente de sa liaison avec la jeune épouse d’un ministre. Apparemment, il
vivait sa vie comme il faisait ses films. En se jouant des conventions
sociales. Personne à Bollywood n’ignorait les rumeurs selon lesquelles
moins d’une semaine plus tôt le ministre avait usé de tout son pouvoir pour
tenter de nuire à Virat.
Zara se réjouit silencieusement. Au moins, il n’était pas venu à ce
lancement en compagnie de l’épouse du ministre. En fait, elle s’était même
demandé s’il viendrait. Mais puisqu’il était présent, il n’y avait pas un
instant à perdre pour exécuter son plan. Si elle réfléchissait trop longtemps
à ce qu’elle envisageait de mettre en œuvre avec l’homme qui la détestait,
le seul homme pour qui elle aurait toujours un faible, elle renoncerait.
Elle prendrait ses jambes à son cou.
Zara se leva et inspira profondément en feignant de rajuster son
chemisier de soie blanche et sa jupe vert émeraude. Les jambes tremblantes,
elle se dirigea vers le groupe d’hommes qui riaient aux éclats suite à une
réflexion sans aucun doute pleine d’esprit de Virat. Autrefois elle n’était pas
son égale. Elle l’avait quitté parce qu’elle craignait de ne pas être à la
hauteur. Aujourd’hui le problème ne se posait plus, du moins si l’on s’en
tenait au critère superficiel de la réussite, et elle pouvait se permettre de
s’attaquer à Virat Raawal. Après tout, elle était parfois surnommée la Reine
de Bollywood en raison de son succès qui ne se démentait pas malgré ses
trente-cinq ans, dans une industrie qui privilégiait la jeunesse et mettait
prématurément les actrices au rebut.
Pour que Naina et Vikram puissent se marier dans un climat moins
hostile et que le biopic connaisse la carrière qu’il méritait, elle était prête à
tout. Même à affronter le play-boy insolent qui la détestait et qui sauterait
sur toutes les occasions de la tourmenter pour la punir de fautes
mystérieuses.
La comédie imaginée par Zara fut une grande réussite. Pour un homme
réputé pour ne pas respecter les règles, Virat joua à la perfection le rôle
qu’elle lui avait assigné.
Alors que la soirée se terminait, Zara fit signe à Naina qu’elle pouvait
s’en aller. Elle n’avait ni le temps ni l’envie de satisfaire la curiosité qui
brillait dans les yeux de la jeune femme. Elle devait encore discuter avec
Virat « des règles et des conditions de ce nouveau jeu », comme il l’avait
dit.
Le moment était venu de découvrir ce que le diable allait exiger d’elle.
Parce qu’elle ne se faisait aucune illusion. Le prix à payer pour la
participation de Virat à la comédie qu’elle lui avait proposée allait être très
élevé…
Sa pochette à la main, Zara traversa le bar dissimulé derrière un
panneau lambrissé au rez-de-chaussée de l’hôtel. Un secret bien gardé qui
permettait de se cacher des médias. Sol de marbre sombre, décor rétro et
lumières tamisées créaient une atmosphère cosy. Virat était installé sur un
des tabourets entourant une table dans un coin isolé, un verre de rhum Old
Monk à la main. Le col de chemise toujours ouvert et les cheveux en
bataille, il était sublime.
Comme à son habitude, il avait devant lui une tablette sur laquelle il
concentrait toute son attention.
— Tu vas rester debout à me regarder, shahzadi ? demanda-t-il d’une
voix profonde, les yeux toujours fixés sur l’écran.
Zara eut un pincement au cœur. Autrefois elle aimait qu’il l’appelle
« princesse ». Et pour être honnête, il y avait une part d’elle-même qui
aimait toujours ça. Un peu trop. Mais aujourd’hui sa voix profonde avait
perdu ses inflexions tendres, et de son côté elle n’était plus une jeune fille
gauche et naïve avec des étoiles dans les yeux.
— Approche. Je ne te mordrai pas. À moins que tu en aies envie.
Elle resta immobile, le temps que les frissons déclenchés par ces paroles
s’estompent. Heureusement, elle avait de l’entraînement après l’avoir
observé de loin pendant plus de dix ans et l’avoir vu papillonner de femme
en femme. Il avait acquis la réputation d’être un réalisateur brillant et un
séducteur invétéré. Réputation méritée dans les deux domaines.
— Shahzadi était un terme qui ne me convenait déjà pas il y a dix ans,
déclara-t-elle en franchissant la distance qui les séparait. Vu mes origines
modestes, je n’ai jamais rien eu d’une princesse.
À son grand dam, il ne daigna pas lever les yeux vers elle.
— J’ai l’habitude de te considérer comme une princesse en formation,
shahzadi. Or comme tu le sais, les mauvaises habitudes sont difficiles à
perdre.
— Si je comprends bien j’étais une mauvaise habitude ? rétorqua-t-elle
avec une désinvolture qu’elle était loin de ressentir.
Au moins, elle ne s’était pas trahie. Elle n’avait pas laissé paraître
l’importance qu’elle attachait encore à son opinion.
— Oh ! de la pire espèce, shahzadi.
Il finit par lever sur elle un regard moqueur. Mais dans ses yeux bruns
elle vit luire autre chose, qu’elle ne parvint pas à identifier. Très vite, il
reporta son attention sur sa tablette et passa à la page suivante.
— Le genre d’habitude dans laquelle, si on ne fait pas attention, on
risque de replonger la tête la première… encore et encore.
Elle fut assaillie par une foule de souvenirs qui accrurent son trouble.
Quel amant fantastique il était… Si elle restait près de lui trop longtemps,
elle pourrait bien perdre la tête. Inspirant profondément, elle attendit que
son cœur reprenne son rythme normal. Non, il fallait garder la tête froide au
contraire. Et ne surtout pas oublier que cet homme était un incorrigible
séducteur.
— Ah… Donc tu étais sérieux tout à l’heure quand tu disais que tu étais
inquiet ? commenta-t-elle en se penchant pour éteindre la tablette. Tu as
peur de ce que je pourrais te faire ?
Sourire aux lèvres, Virat la considéra un instant en se frottant la
mâchoire. Puis il poussa un tabouret du pied pour l’inviter à s’asseoir.
— C’est pour ça que tu m’as choisi pour ce rôle, Zara ? Parce que tu
crois pouvoir faire de moi ce que tu veux ?
— Non, je t’ai choisi parce que cette comédie te sera utile à toi aussi. Et
parce que je pense que, malgré vos désaccords, tu es attaché à ton frère.
Le visage de Virat se ferma.
— Alors tout ça c’est pour lui ?
Elle fronça les sourcils.
— Vikram n’est pas le seul à avoir besoin de mon aide.
— Je n’ai pas besoin que tu me sauves, shahzadi.
— Des autres ? Non. De toi-même, oui, rétorqua-t-elle. Tu m’as
soutenue quand je traversais la pire période de ma vie. Disons que je te
renvoie enfin l’ascenseur. Et par la même occasion je pourrai peut-être
même ôter un poids à Vikram en te faisant entendre raison.
— J’avais oublié que tu as l’habitude de tout calculer. Que tu détestes
prendre des risques. Pas étonnant que mon frère et toi vous vous entendiez
aussi bien depuis aussi longtemps.
Zara eut un pincement au cœur. Quel mépris dans ces propos… Les
divergences entre Virat et Vikram concernant la gestion de Raawal House
of Cinema étaient de notoriété publique. Mais l’accuser elle d’être
calculatrice, c’était injuste. Ce n’était pas par calcul mais par prudence
qu’elle évitait de prendre des risques. Aussi bien dans sa carrière que dans
sa vie personnelle.
Surtout en ce qui concernait les hommes. Parce qu’elle avait appris à
ses dépens à réagir avec sa tête plutôt qu’avec son cœur. Virat croyait-il
vraiment les rumeurs selon lesquelles Vikram et elle avaient eu une relation
intermittente pendant dix ans ? Pensait-il qu’elle était simplement passée
d’un frère à l’autre sur un coup de tête ? Cette pensée était odieuse… Non,
l’idée que Virat était encore affecté par le passé n’était qu’une illusion.
Virat Raawal attirait les femmes comme le miel attirait les abeilles.
Peut-être parce qu’il était un amant très généreux. Peut-être parce qu’il ne
jouait pas à des jeux d’ego comme les autres hommes. Peut-être parce que,
lorsqu’il le voulait, il pouvait être l’homme le plus affectueux et le plus
drôle qu’une femme pouvait rencontrer.
Il donnait tout aux femmes, sauf son cœur.
Au cours des dix dernières années il avait eu d’innombrables
maîtresses. Il faudrait qu’elle soit stupide pour croire qu’il avait été
amoureux d’elle, même quelques jours.
— Le fait est que la situation inextricable créée par tes incartades avec
la femme de ce ministre nous dépasse l’un et l’autre. Vikram a passé plus de
quinze ans à reconstruire Raawal House, et il vient enfin de trouver le
bonheur avec Naina. Il a mis toute son âme dans ce biopic et il a investi tout
ce qu’il possède pour le produire. De ton côté tu es hors de contrôle et si
personne ne t’arrête, tu vas finir par provoquer un désastre.
Virat pinça les lèvres.
— Si je suis devenu un tel boulet, Vikram me licenciera et trouvera un
autre réalisateur. Comme toi il n’est pas sentimental.
— Je serais étonnée que Vikram te licencie. Non seulement le projet est
bien avancé, mais il porte déjà ta marque et c’est un gage de grande qualité.
Ce biopic n’est pas un film comme les autres. C’est l’histoire de votre
grand-père. Une œuvre capitale de Raawal House. Un héritage que vous
laisserez tous les deux aux futures générations.
Zara avait adouci sa voix, consciente que ses propos ne pouvaient que
raviver une blessure ancienne mal cicatrisée. Depuis plus de vingt ans, la
filiation paternelle de Virat Raawal était l’objet de conjectures dans une
partie de la presse et de la profession. C’était la raison présumée de la
deuxième séparation fracassante de ses parents. La cause de l’abîme qui le
séparait de son père. Depuis son plus jeune âge cette incertitude était pour
lui une humiliation permanente.
Sa mère – star de Bollywood du temps jadis – avait eu une liaison
secrète après sa première séparation d’avec son mari. Puis était venue la
réconciliation abondamment commentée dans la presse. Quelques mois plus
tard, Virat était né. Et depuis toujours il était en butte aux insinuations
répétées de la presse de caniveau concernant l’identité de son père. Qui de
son côté ne lui manifestait que du mépris.
— Es-tu prêt à être exclu de cet héritage, Virat ? As-tu décidé que tu ne
souhaites pas être un Raawal, en fin de compte ?
Virat se passa la main dans les cheveux en étouffant un grognement.
— Ça suffit avec les bons sentiments, shahzadi. Mama m’a déjà tenu ce
discours en utilisant le prestige du nom de Raawal pour me coincer.
Il lui lança un regard malicieux avant d’ajouter :
— Bien sûr, ce que tu offres est très… motivant.
— Je ne t’offre rien du tout, protesta-t-elle aussitôt.
Il eut un sourire ambigu.
— Tu es donc sûre que je vais accepter de me conduire comme tu le
souhaites ?
Elle inspira profondément. Pas question de se laisser manipuler par lui.
Même si son pouls s’accélérait à chacune de ses paroles, à chacun de ses
sourires…
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Tu as besoin de détourner de toi
l’attention du ministre. Vikram et Naina ont besoin d’éviter que leur
mariage soit gâché par des rumeurs pernicieuses. Le biopic a besoin d’une
bonne publicité après tous les problèmes posés par ceux qui réclament la
tête de Vikram. Il me semble que tous ces arguments devraient suffire à te
convaincre. C’est une question de bon sens.
— Et si je t’en voulais toujours de m’avoir plaqué il y a dix ans pour
aller voir ailleurs parce que l’herbe y était plus verte ? Et si je saisissais
cette occasion de te faire tomber amoureuse et de te détruire une fois pour
toutes ? Et si…
— Je ne t’ai pas plaqué pour…
Elle s’interrompit. De quoi parlait-il ? À en juger par son regard
moqueur, il était inutile de lui demander des explications. Il ne lui en
donnerait pas. De toute évidence il n’attendait que ça, pour le seul plaisir de
la laisser dans le doute en ne lui répondant pas.
— Il semble que nous ne voyions pas le passé de la même manière,
reprit-elle.
Puis, sans lui laisser le temps de faire de commentaire, elle poursuivit.
— Est-ce que je me demande pourquoi tu as en permanence des liaisons
avec des femmes qui ne te conviennent pas ? Oui. Mais est-ce que je crains
que tu sois devenu un homme qui aime faire souffrir les femmes ? Non. En
vieillissant nous apprenons à nous protéger, nous nous mettons à porter des
masques, à dissimuler nos peurs, mais tout au fond nous restons ce que nous
avons toujours été. N’est-ce pas le thème de ton film plusieurs fois primé ?
Virat parlait à voix basse mais sur un ton si véhément que Zara
frissonna. Peut-être n’avait-il pas complètement changé. Peut-être avait-il
juste appris à mieux masquer ses émotions.
— S’il y avait une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était que tu
t’amuses avec les jeunes épouses innocentes d’hommes puissants…
La colère fit étinceler les yeux de Virat, mais il la réprima avec une
aisance qu’il ne possédait pas autrefois.
— Je te trouvais des tas de défauts, shahzadi, mais l’hypocrisie n’en
faisait pas partie.
— Je ne te fais pas la morale, Virat. Je…
— Tu sais aussi bien que moi que l’innocence n’a rien à voir avec l’âge,
Zara. Passer des nuits torrides avec moi quand j’avais à peine vingt ans ne
te posait pas de problèmes.
— C’est différent. Je n’ai que cinq ans de plus que toi et tu n’as jamais
été vraiment innocent, et puis je… tu… Nous tenions l’un à l’autre.
— Vraiment ? Aurais-tu réécrit notre histoire pour la transformer en
conte de fées, Zara ?
Cette question contenait un curieux mélange de mépris et de pitié… De
nouveau, Zara eut le sentiment d’avancer dans un champ de mines.
— Elle a été importante pour moi. Très importante, insista-t-elle en
soutenant le regard de Virat. Et je n’ai pas l’intention de te laisser déformer
notre passé pour en donner une image scabreuse. Ça ne marchera jamais si
tu veux me faire passer pour une séductrice perfide qui…
La surprise la réduisit au silence quand Virat lui prit la main. Il avait les
doigts plus rugueux que le chêne de la table en raison des années passées à
gratter des instruments à corde. Il jouait du corps des femmes avec la même
virtuosité.
— Tu as raison, dit-il d’un ton conciliant. Le passé est le passé.
Il sourit avant de poursuivre.
— Alors, c’est entendu ? Nous allons annoncer nos fiançailles. Peut-être
demain à la cérémonie de remise des prix. Et puis nous irons ensemble au
mariage la semaine prochaine.
Elle hocha la tête, en proie à un étrange cocktail d’inquiétude et
d’excitation.
— Dans ce cas, si nous nous entraînions, shahzadi ?
— À quoi ? demanda-t-elle dans un souffle.
— À nous conduire comme des fiancés. Si tu veux, je peux écrire un
scénario pour nous.
— Quel genre de scénario ? murmura-t-elle, aiguillonnée par un petit
diable intérieur.
Virat se leva, puis il se pencha vers elle et effleura ses lèvres.
— Quelques caresses furtives. Puis d’autres caresses un peu moins
furtives. Et ensuite, peut-être, si nous arrivons à le supporter l’un et l’autre,
un baiser ?
3.
Zara dut faire appel à toute sa volonté pour rester impassible. Il avait
donc l’intention de la torturer pendant les prochains mois. Pour quelle
raison, elle n’en avait aucune idée. Elle effleura les veines sur le dos de sa
main.
— Tu es d’humeur changeante, Virat. En un clin d’œil tu passes des
critiques aux caresses.
— Il y a un homme derrière le bar qui braque son téléphone sur nous,
murmura-t-il d’une voix rauque à son oreille. Couve-moi d’un regard
éperdu, shahzadi.
Déçue, elle eut un pincement au cœur, qu’elle s’efforça d’ignorer. Il
jouait juste la comédie ? Et alors ? Toujours perchée sur son tabouret, elle
posa la main sur le torse de Virat. À travers le tissu de sa chemise, les
battements de son cœur et la chaleur de son corps étaient nettement
perceptibles.
— Tu penses que ça fera une bonne photo ? murmura-t-elle en prenant
un air angélique.
Il posa une main sur son épaule avant de se pencher vers elle.
— Je pourrais presque croire que tu as vraiment envie de moi.
Impossible de ne pas remarquer la pointe de mépris dans sa voix. Elle
serra les dents. Le pire, c’était qu’elle avait vraiment envie de lui. Mais elle
n’en avait pas honte. Non, elle n’aurait plus jamais honte de ses désirs ni de
ses rêves. C’était lui qui lui avait appris à les assumer. En revanche elle était
furieuse de constater que quelques instants passés en sa compagnie
suffisaient à réveiller son désir pour lui. Et la lueur narquoise qui dansait
dans ses yeux n’arrangeait rien. Elle mourait d’envie de le déstabiliser. De
le pousser à reconnaître qu’elle ne lui était pas indifférente.
— Suis-je autorisée à tirer le meilleur parti de ce moment, Virat ? Puis-
je leur montrer pourquoi mon cœur n’est pas brisé par le mariage imminent
de Vikram ? lança-t-elle.
Les doigts de Virat se crispèrent imperceptiblement sur son épaule.
— Tu peux toujours essayer, shahzadi.
Elle descendit de son tabouret et se retrouva contre lui, dos à la table.
Les sourcils arqués, il la regardait toujours d’un air narquois. Visiblement
déterminé à lui prouver qu’elle ne lui faisait plus aucun effet. Que la
comédie qu’ils avaient décidé de jouer ne pouvait être que ça. Une comédie.
Qu’il n’y avait absolument plus rien entre eux. Après tout, c’était une
attitude raisonnable qu’elle ferait bien d’adopter également. Et pourtant,
quelque chose en elle s’y refusait.
Avec ses talons aiguilles, elle était à la bonne hauteur… Plongeant son
regard dans le sien, elle referma la main sur sa mâchoire et pressa ses lèvres
contre les siennes. Elles avaient un goût irrésistible, mélange de rhum, de
cigare et de masculinité. Les jambes tremblantes, elle étouffa un
gémissement. Elle avait oublié à quel point ses lèvres étaient douces. À quel
point elle aimait l’embrasser, l’avoir pour elle toute seule.
Virat Raawal, le sublime rebelle dont toutes les filles du pays étaient
folles. L’homme qui avait refusé de devenir acteur comme son père et son
frère. Qui avait choisi de rester dans l’ombre, derrière la caméra. Dire
qu’après tout ce qui s’était passé entre eux elle l’avait perdu… Cette pensée
raviva la souffrance qu’elle s’était infligée en renonçant à lui. Toute la
frustration accumulée pendant ces dix années au cours desquelles elle
l’avait vu devenir un brillant réalisateur et collectionner les maîtresses. Ces
dix années pendant lesquelles il avait superbement ignoré son existence, se
comportant comme si elle était transparente à chaque fois qu’ils s’étaient
croisés dans des cérémonies de remise de prix ou dans des galas de
bienfaisance.
Mon Dieu, elle avait envie de ce baiser depuis dix ans, depuis l’instant
où elle l’avait quitté. Elle en avait assez d’attendre. Assez de réprimer ses
sentiments. Assez de rester enfermée dans la cage qu’elle s’était construite
elle-même. Elle accentua son baiser. La respiration de Virat s’altéra
furtivement mais il resta immobile, les bras pendants. Imperturbable et
moqueur. Comme si elle n’était qu’une femme de plus dans son
impressionnante collection. Comme si elle était incapable de lui faire perdre
le contrôle de lui-même…
Pas question de se décourager. Au contraire. Elle noua les mains sur sa
nuque et quitta ses lèvres pour parsemer sa mâchoire de baisers. Elle enfouit
le visage dans son cou, l’embrassant et le mordillant tour à tour. Puis elle
lécha du bout de la langue la petite cicatrice au coin de ses lèvres, tout en
enfonçant les doigts dans ses cheveux et en effleurant son torse du bout des
seins.
Quand elle captura de nouveau sa bouche, il referma une main sur sa
nuque et posa l’autre au creux de ses reins pour la plaquer contre lui.
Triomphante, elle fut électrisée par le contact de son corps puissant.
— Je sais comment tu devrais m’appeler à la place de princesse,
murmura-t-elle avec un regard provocant.
Elle pouvait se permettre de manifester son désir pour lui, mais il fallait
à tout prix éviter de lui laisser voir qu’elle tenait encore à lui. Elle avait
travaillé avec acharnement et fait beaucoup de sacrifices pour arriver là où
elle était aujourd’hui. S’il y avait une chose qu’elle avait apprise pendant
ces dix années où elle avait réussi à survivre dans le cinéma, c’était qu’il ne
fallait jamais dévoiler sa vulnérabilité, ses regrets ou ses doutes à
quiconque.
Et surtout pas à cet homme, qui savait exactement comment elle avait
commencé.
— Comment ?
La voix de Virat était rauque et son regard étincelant de désir. De toute
évidence, il lui avait fallu un moment pour comprendre ce qu’elle avait dit.
Elle sourit. Peu importait pourquoi elle l’embrassait. Ou pourquoi il lui
rendait son baiser. Elle avait juste envie de lui.
— Reine, répondit-elle. Après tout, j’ai bâti mon propre royaume.
À sa grande joie il pouffa.
— Ça, je ne peux pas dire le contraire, Zara.
Il écarta une mèche de sa joue et le contact furtif de ses doigts attisa son
désir.
— Dois-je vérifier si je peux faire trembler la reine dans mes bras ? S’il
reste quelque chose de cette femme délicieuse que j’ai connue il y a
longtemps ?
— Cette femme avait très peur, Virat. De tout le monde et de ses
propres rêves. Aujourd’hui j’ai changé. La preuve, c’est que je n’ai pas
hésité à aborder le play-boy le plus en vue de Bollywood pour lui demander
de coopérer à l’exécution de mon plan.
Le regard de Virat n’avait plus rien de narquois. Elle fut parcourue d’un
frisson délicieux. Le désir qui brillait dans ses yeux bruns était grisant.
— Et tu es sûre de pouvoir supporter le degré de coopération que je suis
prêt à t’apporter ? Parce que je meurs d’envie de me jeter sur toi, shahzadi.
— Il suffit d’essayer pour le vérifier, rétorqua-t-elle sans se démonter
malgré les battements frénétiques de son cœur.
Il se pencha lentement et effleura ses lèvres avec une douceur qui la
stupéfia. Elle qui s’attendait à un baiser impérieux… Il goûtait sa bouche
comme s’il cherchait à vérifier si elle avait vraiment changé. Ce n’était pas
la passion qu’elle espérait mais ça ne l’empêchait pas de vibrer tout entière.
Les jambes tremblantes, elle s’alanguit contre lui en étouffant un
gémissement. Aussitôt, ce baiser de pure dégustation devint vorace.
Transportée, elle y répondit avec fougue tandis que Virat la couvrait de
caresses fébriles. Le temps s’arrêta. Plus rien n’existait que ce baiser.
Durait-il depuis une éternité ou depuis une seconde ? Elle n’en savait rien.
Elle ne se posait pas la question.
Mais tout à coup, Virat y mit fin. Et le juron furieux qu’il laissa
échapper dissipa brutalement la brume de désir dans laquelle elle flottait.
Elle s’écarta de lui et vacilla sur ses talons aiguilles. Il referma aussitôt la
main sur son bras pour l’empêcher de tomber. Elle leva les yeux vers lui, au
comble de la confusion.
— Virat ?
— Félicitations, shahzadi. C’était un super baiser de fiançailles, n’est-ce
pas ? Si j’avais su que tu deviendrais une comédienne aussi extraordinaire,
je t’aurais engagée depuis longtemps pour un de mes projets.
Outrée, elle lui donna un coup dans la poitrine.
— Je ne jouais pas la comédie. Toi non plus, d’ailleurs. La seule
différence, c’est que moi j’assume mes désirs et mes rêves. Et sais-tu qui
m’a appris que c’était très libérateur ? Toi.
Sans attendre sa réaction, elle quitta le bar d’une démarche altière.
Virat passa en revue toutes les raisons de refuser. Au cours des quelques
jours qui s’étaient écoulés depuis leurs retrouvailles, Zara lui avait
démontré qu’il ne la connaissait pas. Mais comment résister au parfum de
sa peau ? Aux frôlements de son corps contre le sien ? Impossible.
Contrairement à l’image que tout le monde avait de lui, il ne couchait
pas avec n’importe qui. Cependant, il avait toujours été capable de dissocier
les sentiments et le désir. Zara était la seule femme avec laquelle la frontière
entre les deux avait été floue.
Mais il n’était plus un gamin de vingt ans, et elle n’était plus la même
femme. La nouvelle Zara savait ce qu’elle voulait et elle n’hésitait pas à
agir en conséquence. Animée d’une volonté farouche, elle était prête à tout
pour protéger ceux qu’elle aimait. Cette Zara, il en avait déjà eu des aperçus
à l’époque. Elle avait toujours été là, sous la surface, attendant de se libérer.
Cette nouvelle Zara était encore plus redoutable que celle d’autrefois et
elle risquait de lui faire de nouveau perdre la tête. Or c’était justement cette
perspective qui l’enflammait. La sagesse n’avait jamais été son fort. L’idée
de tenir cette Zara fougueuse et désinhibée dans ses bras faisait rugir le
fauve qui était en lui…
Du calme. Avant tout, il fallait mettre les choses au clair. Comme il le
faisait toujours.
— Ça restera purement sexuel. Il ne peut rien…
Elle se pencha vers lui et effleura du bout des lèvres sa mâchoire
recouverte d’une barbe naissante.
— Tout ce que je veux, c’est faire l’amour avec toi. J’ai envie de toi,
Virat. Je crois que je n’ai jamais cessé de te désirer…
À en juger par son débit précipité et sa voix étranglée, cet aveu avait
échappé à Zara. La lueur de consternation qu’il entrevit dans ses yeux
confirma à Virat qu’il ne se trompait pas. Pas de doute, elle ne jouait pas la
comédie. Elle était sincère. Cette certitude lui fit perdre le peu de sang-froid
qui lui restait.
Plongeant les doigts dans ses cheveux, il s’empara de sa bouche dans un
baiser passionné. Avec la plupart des femmes il jouait un rôle – il était le
rebelle, le benjamin de la dynastie la plus puissante de Bollywood, le
réalisateur qui faisait et défaisait les carrières. Mais Zara le dépouillait de
tous ses masques avec une facilité déconcertante. Elle ne lui laissait pas
d’autre choix que d’être lui-même. Et à cet instant, il n’était plus qu’un
homme fou de désir pour cette femme qui répondait à son baiser avec une
ardeur grisante. Un baiser qui s’approfondit encore et encore jusqu’à ce
qu’ils soient l’un et l’autre à bout de souffle.
S’arrachant à sa bouche, Virat promena les doigts dans le dos de Zara et
joua avec les liens qui fermaient son corsage.
— Ces cordons m’ont nargué toute la soirée, shahzadi. Juste un petit
coup sec et tu es à moitié nue. Tu veux bien, Zara ?
— Oui…
Elle lui vola un nouveau baiser gourmand, puis elle quitta ses genoux
pour fermer la porte donnant sur le couloir. Le déclic du verrou résonna
comme une promesse, qui décupla le désir de Virat.
— Ici ? demanda-t-il en promenant un regard avide sur elle dans la
pénombre du balcon, que seules quelques diyas éclairaient de leurs flammes
vacillantes.
— Ici. Maintenant, acquiesça-t-elle en avançant lentement vers lui. Je
ne présente pas de risques. Et toi ?
— Moi non plus.
Il se leva et la rejoignit en un pas.
— Mais le jali peut laisser passer les bruits.
— Il est plus de minuit et tout le monde est à moitié ivre. Je n’ai pas
envie d’aller dans ma chambre et de prendre conscience en chemin de
toutes les raisons pour lesquelles ce n’est peut-être pas une bonne idée.
— Déjà des doutes, shahzadi ?
Il la saisit par la taille et la fit pivoter. Le petit gémissement qu’elle
étouffa quand il referma les bras sur elle l’excita presque autant que le
contact de ses fesses rebondies contre son sexe.
— Des doutes, non. Plutôt la crainte que les vilains fantômes du passé
fassent une nouvelle apparition.
— La pénombre ne cache pas la vérité, Zara.
— Ne pas avoir envie de voir sa faiblesse en face n’est pas la même
chose que se cacher la vérité.
Il enfouit le visage dans le creux de son épaule et huma son odeur avec
délectation.
— Si je comprends bien, je suis une faiblesse ?
Elle posa les mains sur ses bras en se pressant contre lui. Il lui mordilla
la nuque, lui arrachant un rire rauque qui lui parut aussi mélodieux que son
ghazal favori.
— Tu serais plutôt une tentation. Comme un délicieux dessert. Et je ne
peux pas me permettre d’en abuser.
Il la couvrit de caresses en riant avant de refermer les mains sur ses
seins. Le gémissement qu’elle étouffa l’électrisa. La mémoire avait quelque
chose d’étrange. Il se souvenait que ses seins étaient extrêmement sensibles
aux caresses. Et de toute évidence, de ce point de vue elle n’avait pas du
tout changé. Lorsqu’il effleura les bourgeons hérissés, elle pressa les fesses
contre son sexe en ondulant des hanches.
Il tira sur les cordons de son corsage et le lui enleva. Au contact de sa
peau soyeuse sous ses doigts, il fut parcouru de longs frissons. Refermant
les mains sur les somptueux globes, il pinça délicatement les pointes
durcies. Elle tourna la tête vers lui avec un gémissement modulé et
s’empara de sa bouche avec une avidité qui menaça de lui faire perdre le
contrôle de lui-même. Son désir manifeste pour lui était un aphrodisiaque
surpuissant.
— Contre le jali ? murmura-t-il contre ses lèvres.
— Tout le palais va nous entendre…
Il sentit qu’elle souriait contre sa bouche.
— Penchés sur le divan ?
Le rythme syncopé du hip-hop fusion s’estompa, remplacé par un slow.
Il la fit tournoyer dans la pénombre et son éclat de rire joyeux le combla. Il
sentit ses ongles effleurer son torse avant que les boutons de sa chemise se
mettent à voler autour d’eux. Lorsque la chemise elle-même les eut rejoints
par terre, ses mains se promenèrent sur sa peau, épousant les contours de
ses pectoraux avant de descendre sur son ventre puis de remonter sur son
torse dès qu’elles atteignirent la ceinture de son pantalon. Elles refirent le
même circuit à plusieurs reprises, s’attardant un peu plus longuement sur sa
ceinture à chaque fois.
— Trop impersonnel, murmura-t-elle enfin, alors qu’il était au supplice.
— Zara, tu…
— Ce n’est pas juste un coup d’une nuit avec un inconnu, Virat. Même
s’il n’y a rien de mal à ce genre de chose. Mais ce n’est pas ce dont j’ai
envie. Je veux la chaleur d’un désir partagé. Je veux te regarder dans les
yeux quand tu jouiras en moi. Je veux retrouver l’ivresse de l’échange entre
deux personnes qui ne cherchent qu’à se donner mutuellement du plaisir.
Est-ce trop demander ?
— Bien sûr que non.
Il prit soudain conscience que tout en parlant elle l’avait entraîné vers le
divan. Au dernier moment il la fit tourner et ce fut elle qui tomba dessus. Il
s’empressa de la rejoindre et le contact de leurs deux poitrines nues leur
arracha un même soupir extatique. Il captura sa bouche dans un baiser
langoureux tandis qu’elle le couvrait de caresses. Mais de nouveau ses
mains fuyaient dès qu’elles atteignaient sa ceinture. Sans savoir pourquoi, il
sentit son cœur se serrer.
— Tout va bien, shahzadi ? murmura-t-il en déposant un baiser sur sa
tempe.
— Très bien. Très très bien, répondit-elle en soutenant son regard.
Il y avait dans ses yeux une lueur qu’il ne parvint pas à identifier mais il
n’insista pas. Après tout, ce n’était qu’une aventure sans lendemain. Il n’y
avait rien entre eux. La familiarité qui existait entre deux anciens amants,
oui. Mais rien d’autre.
— Je vais te caresser là, annonça-t-il en posant la main entre ses cuisses
sans relever sa jupe.
Elle hocha vivement la tête.
— Oh ! oui…
Il pouffa devant son enthousiasme.
— Tu peux en faire autant, ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
Malgré la pénombre, il la vit rougir. Comme autrefois. Elle traça les
contours de son érection du bout des doigts à travers le tissu de son
pantalon.
— Comme ça ? murmura-t-elle en scrutant son visage.
Avec ces grands yeux noisette qu’il avait si souvent surpris sur lui
depuis dix ans… Il l’avait ignorée mais cela ne l’avait pas empêché de
remarquer certains regards nostalgiques. Éprouvait-elle des remords ?
Regrettait-elle de s’être servie de leur relation pour donner une impulsion à
sa carrière ? Cette question, il se l’était souvent posée.
— Oui, répondit-il d’une voix rauque.
— Montre-moi.
— Pardon ?
— Dis-moi ce dont tu as envie. Montre-moi.
Alors qu’il restait muet de surprise, elle lécha ses lèvres du bout de la
langue avant d’ajouter :
— S’il te plaît.
— Je voudrais que tu me caresses plus… franchement.
Elle posa la main sur son sexe.
— Comme ça ?
— Par exemple, mais sans mon pantalon, répliqua-t-il, au comble de la
frustration.
Le glissement de la fermeture Éclair de sa braguette fut une musique
divine à ses oreilles. Quand les doigts de Zara se refermèrent autour de son
sexe, il laissa échapper un juron assez sonore pour réveiller les plus ivres
des invités logés aux étages inférieurs. Elle pouffa puis elle commença à le
caresser en plongeant dans le sien un regard qui l’émut étrangement. Il
captura sa bouche et ils s’embrassèrent avec une ferveur inédite tandis
qu’elle poursuivait ses caresses. Lorsqu’elle effleura l’extrémité de son sexe
du bout du pouce, il rejeta la tête en arrière avec un grognement guttural.
— J’aime quand tu fais ça, commenta-t-elle aussitôt.
— Quoi donc, shahzadi ?
— Quand tu t’abandonnes.
— Je ne me refrène jamais, Zara.
— Ça marche peut-être avec les autres mais pas avec moi.
— Que veux-tu dire ?
— Tout le monde pense que tu es incapable de te contrôler. Que tu
cèdes à toutes tes impulsions. Mais on te pardonne pratiquement tout,
comme à la plupart des génies, parce que tu crées des œuvres admirables.
Il éclata de rire et l’embrassa avec une tendresse irrépressible.
— Ah… Le cynisme te va bien, shahzadi.
— Oh ! quel soulagement ! Enfin un homme qui n’attend pas de moi
que je passe mon temps à le flatter.
Il rit de plus belle, puis il traça un sillon de baisers entre ses seins.
— Tu me ferais presque perdre le fil de mes pensées.
— Presque ? Ça ne suffit pas.
Il souffla sur un bourgeon hérissé avant d’effleurer de sa barbe la peau
délicate qui l’entourait.
— Oh… tu exagères… Je n’ai pas fini. Les gens disent que ce sont tes
impulsions incontrôlables qui te rendent aussi brillant, aussi créatif. Mais je
sais que tout ça n’est qu’une comédie.
Il s’immobilisa.
— Qu’est-ce qui est une comédie, Zara ?
Une lueur de défi s’alluma dans les yeux noisette, malgré le désir qui les
voilait.
— Tu sais parfaitement te dominer en toutes circonstances. Quand tu
cèdes à une impulsion, c’est toujours en gardant le contrôle de la situation.
Rien n’entame la cuirasse de cynisme sous laquelle tu t’abrites.
Il accueillit cette déclaration par un silence stupéfait. Zara l’observait
avec une inquiétude non dissimulée. Comme si elle craignait d’être allée
trop loin et de le voir s’en aller. Bien sûr, sa perspicacité était troublante,
mais pas assez pour qu’il renonce à ce plaisir.
— Tu penses beaucoup trop, shahzadi, dit-il enfin d’un ton léger en
l’attirant contre lui. Je connais un excellent moyen de t’empêcher de
continuer à perdre ton temps en réflexions inutiles.
Sans attendre sa réaction, il remonta sa jupe et glissa les doigts sous
l’élastique de sa culotte. Elle faillit tomber du divan.
— Oh…
Chacun des soupirs qu’il lui arrachait décuplait son propre désir. Tout
en approfondissant son exploration, il se pencha sur un sein et aspira
goulûment sa pointe durcie. Les doigts enfoncés dans ses cheveux, elle
ondulait des hanches avec des gémissements modulés qui menaçaient de lui
faire perdre la raison. Interrompant ses caresses, il enleva son pantalon et la
débarrassa de sa jupe avec des gestes fébriles. Lorsqu’il plongea en elle
d’un seul coup de reins, il fut assailli par des sensations si incroyables qu’il
n’eut pas conscience tout de suite qu’elle s’était raidie, la tête tournée
comme pour fuir son regard. Elle semblait terriblement vulnérable et son
attitude trahissait un secret qu’il ne voulait surtout pas connaître.
Il n’avait qu’une envie. Donner libre cours sans attendre à la passion qui
le dévorait. Mais il était difficile de traiter comme une étrangère cette
femme qu’il avait si bien connue.
— Zara ?
Il frotta sa joue contre la sienne.
— Nous pouvons arrêter si c’est ce que tu veux, shahzadi.
Elle tourna la tête vers lui. Toute trace de vulnérabilité avait disparu de
son visage. Elle était redevenue la Zara qui tenait le monde à distance.
— Mais… Je n’ai même pas joui, protesta-t-elle avec une moue
faussement boudeuse.
Il sourit, mais tout au fond de lui il ne put s’empêcher d’être déçu que le
moment de vulnérabilité soit terminé.
— Continue, s’il te plaît, ajouta-t-elle.
— Tes désirs sont des ordres, shahzadi, murmura-t-il contre ses lèvres
avant de l’embrasser dans le cou.
Sa bouche poursuivit sa descente jusqu’à la pointe d’un sein, qu’il suça
et mordilla tour à tour jusqu’à ce qu’elle le supplie de lui faire l’amour.
— Lent ou endiablé ? demanda-t-il en souriant au souvenir d’une fois
où il l’avait taquinée à ce sujet.
— Lent, endiablé, fluide, frénétique… ça m’est égal, répondit-elle dans
un souffle. Je veux juste…
Il l’entraîna dans une valse tourbillonnante dont le rythme s’accéléra
inexorablement.
— Maintenant, Virat, s’il te plaît…
Glissant la main entre eux, il la fit basculer dans la jouissance d’une
seule caresse. Elle s’y abîma en gémissant et en répétant son nom.
Galvanisé, il la rejoignit quelques instants plus tard et enfouit le visage dans
son cou.
Un moment plus tard, au lieu d’un besoin urgent de se séparer d’elle et
de se lever, il éprouva tout le contraire. Il n’avait qu’une envie, prolonger ce
moment voluptueux. Lentement, sans se détacher d’elle, il se redressa sur
les coudes et l’étudia. La tête sur le côté, les yeux fermés, elle avait encore
la respiration haletante. Une perle de sueur roula le long de son cou et
poursuivit sa descente sur sa poitrine. Il attendit qu’elle arrive entre ses
seins pour la lécher du bout de la langue.
Elle gémit, tout entière parcourue de frémissements. Aussitôt, il sentit
son sexe se durcir en elle.
— Je pensais que tu n’en étais plus là, commenta-t-elle avec un sourire
malicieux, qui creusa sur sa joue la fossette sur laquelle tout le monde, les
femmes comme les hommes, s’extasiait.
Il voulut se retirer mais elle l’arrêta et plongea dans le sien un regard
effronté.
— Je ne me plains pas.
Il effleura du pouce les cernes qui creusaient ses yeux.
— Tu as l’air fatigué. Je ferais mieux de te ramener dans ta chambre.
— Ça doit faire environ vingt heures que je me suis levée.
Elle lui donna un petit coup sur le torse.
— Et tu n’es pas obligé de chercher des excuses si tu n’as pas envie de
recommencer. Tu peux me le dire franchement. Je suis capable de
l’entendre.
— Vraiment, Zara ? À chaque fois que je crois avoir réussi à
comprendre qui tu es, tu me lances une autre pièce du puzzle…
Au moment où il finissait sa phrase, Virat prit conscience d’une
évidence. Dans cet espace clos plongé dans la pénombre, Zara lui avait
dévoilé une part d’elle-même que personne d’autre ne voyait jamais. Sa part
de vulnérabilité. La part qui l’avait poussée à tenir tous les autres hommes à
distance pendant si longtemps. Ce pour quoi son frère lui avait servi
d’alibi… Non, décidément, il ne la connaissait pas du tout. Il lui manquait
encore de nombreuses pièces du puzzle.
Le désir de Virat s’éteignit instantanément. Il détestait les puzzles. À
cause de sa mère et de son père, toute sa vie en était un. Les mensonges
constants, les grandes scènes, l’emprise exercée sournoisement sur les
autres… Il fuyait tout ça comme la peste. Détournant le regard, il se retira
de Zara et se força à ignorer son petit cri étouffé ainsi que sa propre
frustration. Ce qui venait de se passer entre eux n’était qu’un coup d’une
nuit. Rien de plus.
Il n’avait pas envie de s’intéresser à cette femme. Ni d’en savoir
davantage sur le centre d’accueil qu’elle soutenait, sur la comédie qu’elle
avait jouée pendant dix ans en utilisant son frère pour éviter les hommes. Et
encore moins pourquoi c’était lui, Virat, qu’elle avait choisi pour lui faire
l’amour.
Un choix qu’elle n’avait pas fait à la légère. De ça, il était absolument
certain.
Zara sut qu’elle avait perdu Virat avant même qu’il se retire d’elle.
Cette froideur subite… C’était comme une gifle. Elle se redressa et remit sa
culotte tandis qu’il enfilait son pantalon. Pendant quelques secondes elle
s’autorisa à savourer les courbatures inhabituelles, les légères éraflures
laissées par la barbe de Virat sur sa peau, et le bien-être délicieux consécutif
au plaisir qui faisait encore vibrer tout son corps.
Elle ramassa sa jupe par terre en jetant un coup d’œil à Virat. Torse nu,
il contemplait le ciel obscur après avoir ouvert la petite fenêtre aménagée
dans le jali. Prise d’une envie irrésistible de le rejoindre et de couvrir son
dos musclé de baisers, elle parvint de justesse à se retenir. En revanche, elle
ne réussit pas à chasser de son esprit les pensées qui y tourbillonnaient. Que
s’était-il passé ? Pourquoi ce revirement de Virat ? Avait-elle été collante ?
Décevante ? Avait-elle… Stop ! Cette mauvaise habitude de s’interroger sur
les erreurs qu’elle avait forcément commises, elle l’avait prise pendant son
mariage. Avant même de rencontrer Virat sur le tournage de son premier
film, où elle jouait la meilleure amie de l’héroïne. Cette habitude, il n’était
pas question de la reprendre aujourd’hui sous prétexte que le seul homme
en qui elle avait jamais eu confiance se comportait tout à coup comme si
elle n’avait pas été à la hauteur de ses attentes.
Inspirant profondément, Zara s’efforça de se ressaisir. Ce soir elle avait
eu besoin de lui. Et elle l’avait eu. Pas de regrets. Pas de récriminations.
Elle était déçue parce qu’elle attendait de lui quelque chose qu’il n’était pas
prêt à donner ? Eh bien, il fallait se faire une raison.
Elle remonta la fermeture Éclair de sa jupe. Pour le corsage en
revanche, c’était plus compliqué… Elle l’enfila puis se dirigea vers Virat. Il
se retourna avant qu’elle ait prononcé un mot. Comme s’il avait senti sa
présence. Elle se retourna et s’efforça d’ignorer les frissons qui la
parcouraient tandis qu’il renouait les cordons. Le frottement du coton contre
les pointes hypersensibles de ses seins réveilla le souvenir de caresses
qu’elle aurait préféré effacer de sa mémoire. Dès qu’il eut terminé, elle
voulut s’écarter de lui, mais il l’immobilisa en refermant les mains sur ses
épaules.
Il appuya le front contre son crâne et murmura :
— Je m’en suis très mal sorti.
— Dans le rôle de l’homme qui regrette tellement ce qui s’est passé
qu’il se ferme comme une huître avant même que la femme soit partie ?
Non, je dirais que tu es excellent, au contraire.
Dieu merci, sa voix exprimait plus de colère que de souffrance,
constata-t-elle avec soulagement. La dernière chose qu’elle voulait était sa
pitié. Il pouffa et ce son lui fit chaud au cœur.
— Non, je parlais de ces cordons. Ils sont tout embrouillés, maintenant,
shahzadi. Un peu comme toi et moi. Tu ne vas pas pouvoir enlever ton
corsage.
— Je me débrouillerai, répliqua-t-elle en haussant les épaules pour les
dégager de ses mains.
Puis elle chercha ses sandales dans la pénombre.
— Zara… Je ne regrette rien.
Elle s’immobilisa. Où étaient passées ces fichues chaussures ?
— Inutile de tout disséquer, Virat.
Il se mit face à elle et chercha son regard avec une insistance qui lui
donna envie de fuir.
— Je… Tu n’as eu personne depuis nous, n’est-ce pas ?
À sa grande consternation, elle sentit tout son visage s’enflammer.
Allons bon, pourquoi ne s’était-elle pas contentée de le remercier poliment
et de s’en aller ? À présent elle avait l’air d’une demeurée qui faisait une
fixation sur lui… Faisant appel à son expérience d’actrice, elle parvint à
afficher un calme qu’elle était loin de ressentir.
— Waouh, je n’aurais jamais imaginé que tu réclamerais un historique
de ma vie sexuelle. Ni que tu étais le genre d’homme à juger une femme
d’après le nombre de ses partenaires.
Visiblement choqué, il eut un temps d’arrêt avant de répondre.
— Je n’ai jamais porté ce genre de jugement sur une femme. Jamais. Tu
le sais.
Il eut un large sourire avant d’ajouter :
— Tu sais comment me piquer au vif, n’est-ce pas, Zara ?
— J’aimerais le croire.
— Oh ! tu peux le croire, shahzadi. Tu es beaucoup trop perspicace.
— C’est toi qui m’as appris à l’être.
Il la prit par la taille et elle sentit son cœur se gonfler de joie.
Décidément, elle était vraiment mordue !
— Zara, pourquoi n’as-tu pas eu d’autre relation pendant toutes ces
années ? Pourquoi avoir utilisé mon frère pour le cacher ?
— Je n’accepte pas le cliché selon lequel mon existence devrait tourner
autour de l’amour, du sexe et du mariage sous prétexte que je suis une
femme.
— Je n’ai jamais dit ça.
Elle détourna les yeux. Il n’allait pas la laisser tranquille tant qu’elle
n’aurait pas répondu à sa question. Sincèrement, en plus. Elle hésita un
instant. Qu’avait-elle à perdre à lui dire la vérité ? Non. Elle ne supporterait
pas qu’il la voie comme une victime. Qu’il la traite différemment. Qu’il la
trouve trop faible. Elle haussa les épaules et fit un effort pour prendre un
ton désinvolte.
— Le succès est à double tranchant. Surtout pour les femmes. Après
notre séparation, j’ai été accaparée par ma carrière. Pendant longtemps, je
n’ai pas eu envie d’avoir un homme dans ma vie. Et par la suite, il s’est
trouvé que j’étais devenue plus exigeante. Il était plus facile de vivre dans
la solitude que de partager ma vie avec quelqu’un qui n’aurait pas été à la
hauteur de mes attentes. De faire confiance à quelqu’un de nouveau.
— Ah… Si je comprends bien, je présente l’avantage de…
Elle posa une main sur sa bouche.
— D’être un familier, oui. Mais je savais aussi que tu serais attentionné
et que tu ne t’estimerais pas en droit de me poser des tas de questions
inutiles par la suite.
Sur ces mots, Zara s’en alla avant qu’il ait le temps de la percer à jour. Il
la suivit jusqu’à sa suite et resta immobile pendant un moment devant la
porte fermée. De l’autre côté elle attendit qu’il s’en aille, le cœur battant à
tout rompre et les jambes tremblantes. En se disant que c’était pour une
seule raison. Leur entente sexuelle, toujours aussi parfaite.
Pour rien d’autre.
6.
Ce soir-là, Zara décida d’aller voir Virat dans sa suite. Elle s’apprêtait à
frapper à la porte quand elle entendit un rire provenant de l’intérieur. Un
rire féminin qui lui fit prendre la fuite. De retour dans sa propre suite, elle
se traita de tous les noms.
Que lui avait-il pris ?
Pourquoi avait-elle tendance à oublier qu’elle n’avait aucun lien réel
avec Virat ? Elle était quand même bien placée pour savoir que leurs
fiançailles n’étaient qu’une comédie ! Et pourquoi s’imaginait-elle qu’après
le plaisir qu’ils avaient partagé il avait forcément envie de recommencer ?
Pourquoi se comportait-elle comme une adolescente surexcitée parce que
Vikram pensait que son frère était jaloux de Richard ? Alors qu’en réalité il
n’avait même pas pris la peine de la saluer décemment depuis son arrivée.
Si l’équipe de tournage n’avait pas été à l’affût de leurs moindres gestes, il
aurait sans doute fait comme si elle n’existait pas.
Cette agitation fébrile ne lui ressemblait pas. Rôder la nuit dans les
couloirs ne lui ressemblait pas. Espérait-elle que Virat s’engage dans une
relation durable ? Elle n’était tout de même pas stupide au point de tomber
amoureuse d’un homme qui l’ignorait depuis qu’ils avaient de nouveau
couché ensemble ?
Il était urgent de se ressaisir. Pas question de lui courir après. Pas
question de solliciter son attention ni d’insister pour s’expliquer au sujet du
passé. Elle allait se montrer professionnelle. Réprimer toutes ces émotions
qui la déstabilisaient et se concentrer sur son rôle.
Le travail était la seule valeur sûre dans sa vie. La seule constante sur
laquelle elle pourrait toujours compter.
7.
Deux jours plus tard, peu avant 7 heures, Virat pénétra dans le vaste
studio de danse situé au rez-de-chaussée de l’hôtel où étaient logés Vikram,
Zara et trois autres stars qui jouaient dans le film. Le reste de l’équipe
occupait des chambres dans le complexe de Bollywood à proximité du
studio de tournage.
Zara, accompagnée d’un groupe de six danseurs, répétait sur la musique
d’une des séquences dansées du biopic. Désireux de ne pas la distraire,
Virat s’adossa au mur du fond.
En débardeur rose et leggings noires, des ghunghurus aux chevilles et
les cheveux relevés en chignon flou, elle était aussi belle que la veille au
soir au dîner d’équipe dans sa robe bain de soleil habillée. Une robe qui
dénudait une telle proportion de peau soyeuse qu’il avait été au supplice
toute la soirée avec son bras autour de ses épaules ou de sa taille.
Ils avaient tous les deux joué les fiancés amoureux à la perfection, mais
elle était si tendue et il y avait une telle résignation dans son regard qu’il
avait eu des remords. Se comporter comme un crétin qui soufflait le chaud
et le froid avec la femme qui le rendait fou de désir… Ce n’était vraiment
pas glorieux.
Ce matin il était là… mais sans véritable plan. Pendant dix ans il avait
été facile de faire comme si elle n’existait pas. Mais à présent qu’il la
côtoyait de nouveau, à présent qu’il se surprenait à admirer la femme
qu’elle était devenue… Comment continuer à l’ignorer ?
Il avait une suite à l’hôtel, mais la plupart du temps il préférait dormir
au studio pour être en mesure de voir à tout instant n’importe quel problème
technique. Comme quand il avait eu besoin que la costumière – sa sœur –
effectue des modifications de dernière minute sur une des tenues de Zara.
Ayant terminé de dessiner les costumes six mois plus tôt, Anya n’avait pas
apprécié cette « exigence déraisonnable », selon ses termes. Mais cette
tenue, dans laquelle Zara devait exécuter cette danse particulièrement
rapide, s’était révélée trop lourde pour lui permettre de bouger avec aisance.
Si bien qu’Anya avait fini par accepter de reprendre sa planche à dessin. Ou
son carnet à croquis.
Loger au studio lui donnait par ailleurs une excellente excuse pour ne
pas partager la suite de sa fiancée à l’hôtel. Vu l’état dans lequel il était, il
se retrouverait à coup sûr dans son lit. Ce qui ne serait pas une bonne idée.
Elle le perturbait beaucoup trop, mentalement et physiquement.
Le plancher de la salle vibrait sous les pieds des danseurs. Cette
chorégraphie était si rapide qu’il avait fallu deux mois au directeur musical,
AJ Kumar, pour la mettre au point. Zara et la troupe qui l’accompagnait
virevoltaient à travers la salle à une vitesse vertigineuse, tout en effectuant
des mouvements des mains et en prenant des poses très élaborées. Devant
ce spectacle enthousiasmant qui se reflétait dans les miroirs tapissant les
murs de la salle du sol au plafond, Virat éprouva une intense satisfaction.
Zara dansait le kathak comme si elle n’avait fait que ça toute sa vie.
Mais ce n’était pas seulement une question de virtuosité et de grâce dans
l’exécution des mouvements et des poses qu’elle maîtrisait à présent
parfaitement. Il y avait ce je-ne-sais-quoi indéfinissable et flagrant à la fois,
qui réduirait au silence tous les critiques susceptibles de suggérer qu’il
aurait dû prendre une actrice plus jeune. Cette Zara tenait toutes les
promesses qu’il avait pressenties lors de leur rencontre sur un plateau, au
tout début de leurs carrières respectives.
Elle était si adorable, si drôle et si fragile, qu’elle l’avait bouleversé.
C’était la première et unique femme qui lui avait donné envie de devenir
meilleur et de changer le monde. Il était deuxième assistant-réalisateur – un
poste de garçon de courses amélioré qu’il avait obtenu en raison de ses
qualités. Du moins c’était ce qu’il pensait jusqu’à ce qu’il découvre des
années plus tard que sa mère l’avait imposé au réalisateur. Parce qu’elle
l’avait entendu dire au cours d’une dispute avec son frère que c’était le seul
homme pour lequel il pourrait envisager de travailler.
Toujours adossé au mur du fond de la salle, Virat réprima un
grognement. Sa mère se mêlait toujours de ses affaires, autrefois. Et elle
essayait encore aujourd’hui. Pour apaiser ses remords sans doute. Et parce
qu’elle n’avait jamais réussi à empêcher son père de le traiter différemment
de Vikram et d’Anya. Même à l’époque il ne la condamnait jamais quand
elle prenait des amants au cours des multiples séparations de ses parents.
Comment aurait-il pu lui en vouloir de chercher du réconfort quand son
mari était jaloux de son talent et de son succès parce que sa propre carrière
était sur le déclin ? Ce qu’il n’avait jamais pu lui pardonner, c’était son
incapacité à quitter un homme qui n’avait pas cessé de traumatiser ses
enfants.
Le réalisateur, une des rares personnes qu’il respectait encore dans
l’industrie, avait dit à sa mère que la seule chose dont son fils était capable
c’était de lui servir son thé et de nettoyer son matériel. Déterminé depuis
toujours à tracer sa propre voie, il n’y avait vu aucun inconvénient.
Le souvenir de sa première rencontre avec Zara, qu’il avait refoulé
pendant dix ans, s’imposa à Virat, aussi précis que s’il datait de la veille.
Elle jouait la meilleure amie de l’héroïne, un rôle sans dialogue
n’apparaissant que dans deux scènes. Il l’avait tout de suite remarquée sur
le plateau, réservée, avec des grands yeux étonnés, d’une beauté saisissante.
Un peu méfiante avec les hommes. Elle avait déjà une présence inouïe et
elle volait presque la vedette à l’héroïne. C’était en faisant la queue pour le
café qu’ils avaient fini par se rencontrer. Lorsqu’il lui avait demandé
comment se passait la journée, elle lui avait répondu que le réalisateur
venait de l’accabler de reproches parce qu’elle surjouait.
— Comment peut-on surjouer une scène où on meurt ? s’était-il
exclamé en riant.
— Vous êtes le frère de M. Raawal. Vous êtes Virat Raawal, avait-elle
dit, soudain méfiante.
Il avait acquiescé, la mort dans l’âme. Être considéré comme un Raawal
uniquement quand ça arrangeait ses interlocuteurs, c’était douloureux. Être
connu seulement comme le frère du brillant aîné bien-aimé qui veillait à la
préservation du patrimoine familial, c’était insupportable. Son frère s’était
déjà fait un nom grâce à des blockbusters très appréciés du public.
— Je suis le deuxième assistant-réalisateur, avait-il dit fièrement alors
que jusque-là il n’avait approché le matériel que pour s’assurer qu’il était
bien rangé à la fin de la journée.
— Vous voulez dire que votre frère et votre mère n’ont pas déjà prévu
un film à gros budget pour lancer votre carrière d’acteur ? avait-elle
demandé en le regardant vraiment pour la première fois.
Après s’être attardé sur son visage, son regard était descendu vers ses
épaules, puis il s’était promené fugitivement sur son corps et elle avait
dégluti péniblement. Il avait su alors qu’elle avait ressenti elle aussi ces
vibrations soudaines. Cette attirance.
— Pourquoi feindre de vouloir rester derrière la caméra ? Vous avez le
physique d’un héros, avait-elle murmuré entre ses dents.
Mais il l’avait entendue. Le gamin de vingt ans qu’il était alors avait
paradé sur le plateau tout le reste de la journée avec un sourire béat. Jusque-
là il avait eu trois petites amies – des filles d’amis ou de relations de sa
famille qui appartenaient toutes au même milieu privilégié que lui. Des
filles qui ne s’intéressaient qu’à la mode et aux voitures. Des filles qui
trouvaient que son nom et le doute au sujet de sa filiation faisaient de lui un
« héros sentimentalement tourmenté », selon la formule de l’une d’entre
elles. Comme si sa vie était un drame romantique dans lequel sa petite amie
pourrait jouer le rôle de l’héroïne et le « sauver » de son existence sans
amour. Après sa rencontre avec Zara, une évidence s’était imposée à lui.
S’il était désenchanté et s’il méprisait les filles qu’il avait fréquentées il ne
pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Après tout, c’était lui qui les avait
toutes choisies bâties sur le même modèle.
Toujours adossé au mur tandis que Zara continuait de danser, Virat se
passa la main sur le visage. En fait, avant et après Zara il avait toujours
recherché des femmes avec qui les relations restaient superficielles.
Dix ans plus tôt il lui avait répondu :
— Je ne travaille avec le réalisateur que pour l’été.
C’était Vikram qui avait insisté pour qu’il prenne le poste alors qu’il
était prêt à partir sac au dos après un énième affrontement avec son père.
— Je ne veux rien avoir à faire avec le milieu factice du cinéma. Et de
toute façon, je préférerais raconter une histoire plutôt que de recevoir des
consignes sur la façon de jouer un rôle.
— Vous tenez à garder en permanence le contrôle de la situation, c’est
ça ?
Ce commentaire l’avait désarçonné. Elle était la première personne à
deviner ce qu’il cachait derrière son masque de désinvolture.
— Un rebelle parmi les Raawal ? avait-elle ajouté.
— Je n’ai pas besoin du nom de Raawal pour entreprendre, avait-il
affirmé.
À ce souvenir, il réprima un grognement. Comme il était imbu de lui-
même à l’époque ! Et il passait son temps à répandre son ressentiment et sa
colère contre tout et tout le monde. Il était un rebelle sans cause, un jeune
homme plein de talent, certes, mais sans objectif. Il ne cessait pas de
critiquer son frère parce qu’il estimait qu’il se compromettait en produisant
des films trop commerciaux, alors que Vikram avait tout simplement choisi
de préserver la société de production créée par leur grand-père et qu’il était
prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition pour y parvenir.
De son côté, il jurait sans cesse qu’un jour il partirait et qu’il tournerait
définitivement le dos à ce fichu héritage familial. Quand il l’avait dit à Zara,
elle avait laissé échapper un rire si méprisant qu’il avait exigé qu’elle lui
explique le fond de sa pensée.
— Laissez tomber, beau gosse, avait-elle éludé.
Au lieu de s’offenser, il avait payé leurs cafés en riant. Mais tout de
suite après, ça avait été plus fort que lui. Il n’avait pas pu s’empêcher
d’insister.
— Pourquoi avez-vous ri comme ça ? J’aimerais le savoir, s’il vous
plaît.
Lorsqu’elle avait hoché la tête, il avait eu le sentiment grisant d’avoir
gagné une bataille.
— Ce n’est pas quelque chose dont vous pouvez simplement décider de
vous débarrasser, avait-elle déclaré. Vos privilèges… Penser qu’ils ne
gardent pas leur poids partout où vous allez, penser que votre visage en lui-
même n’est pas une carte de visite, c’est non seulement stupide mais c’est
insultant pour les autres.
Elle s’était interrompue, visiblement embarrassée, et elle avait soupiré.
— Excusez-moi. Je ne vous connais pas. S’il vous plaît, ne me faites
pas avoir des ennuis.
Il était resté un long moment sans voix, horrifié qu’elle puisse imaginer
qu’il risquait de se plaindre d’elle à sa superstar de frère, ou à son ami le
directeur musical, ou à n’importe quel autre personnage influent qu’il
appelait par son prénom sur le plateau. Il avait pris conscience que la
carrière de beaucoup d’acteurs – et surtout de beaucoup d’actrices – était à
la merci d’un mouvement d’humeur d’hommes puissants comme son père,
son frère ou même lui.
Il avait réalisé qu’elle avait raison. Il était bel et bien stupide de croire
qu’il ne bénéficiait pas de tous les privilèges attachés au nom de Raawal,
même si Bollywood et les médias relançaient régulièrement le débat sur sa
filiation paternelle.
Ni ses grands-parents, ni sa mère, ni son frère, ni sa sœur, ni même son
père malgré les doutes qui le rongeaient sur sa paternité, ne l’avaient jamais
privé de quoi que ce soit. C’était lui qui ne cessait pas de leur jeter leurs
privilèges à la figure.
Pour la première fois de sa vie, il avait rencontré une femme qui lui
avait démontré en quelques mots qu’avoir des idéaux était souvent un luxe
réservé aux riches et aux puissants.
— Tu as raison, avait-il reconnu, déterminé à gagner son respect.
La vague attirance qu’il éprouvait depuis la première fois où son regard
s’était posé sur elle avait pris à cet instant une autre dimension.
— Mon raisonnement était stupide. Et sache qu’il ne me viendrait
jamais à l’idée de te faire renvoyer. Ce serait monstrueux.
Elle avait eu un pâle sourire.
— Mes propos étaient déplacés. Je suis juste un peu nerveuse
aujourd’hui, c’est tout.
— Mon idéalisme et mes principes peuvent te paraître artificiels mais
ils sont sincères. Cependant, tu as raison. Je dois reconnaître mes privilèges.
— Oui. Au lieu de les nier il vaut mieux les assumer et les utiliser à bon
escient. Parce que les gens comme moi ne peuvent pas exprimer leur
désaccord avec ceux qui détiennent le pouvoir sans risquer le renvoi.
— Tu crains de te faire renvoyer si tu discutes avec le réalisateur ?
Des larmes avaient noyé les yeux de Zara et elle avait tourné la tête.
— Viens t’asseoir avec moi, avait-il dit, désireux d’en apprendre
davantage à son sujet. Nous ne sommes pas obligés de parler.
Elle l’avait suivi jusqu’à un banc dans le jardin où son personnage se
faisait tuer. Ils avaient bu leur café en silence et il avait savouré pleinement
ce moment, enchanté qu’elle accepte de le partager avec lui.
— J’ai refusé de laisser ma robe se soulever quand je tombe là, blessée
à mort, avait-elle enfin déclaré en regardant la dalle de béton sur laquelle
elle s’était entraînée à tomber. Le fait que cette mort soit un épisode de
violence gratuite destiné à susciter la compassion et à justifier la violence
du héros envers le coupable n’est-il pas déjà suffisant ? Faut-il en rajouter
une couche en montrant mes cuisses nues et ma culotte rose ?
Ce soir-là, pour la première fois de sa vie il avait demandé une faveur à
son frère. Et il fallait reconnaître que celui-ci l’avait écouté quand il lui
avait dit qu’il était indécent d’exhiber les cuisses et la culotte de la victime
dans cette scène pour flatter les mauvais instincts des spectateurs. Le film
étant produit par Raawal House, le réalisateur avait tenu compte des
suggestions de Vikram.
Le lendemain matin, après le tournage, Zara était venue le trouver et
elle l’avait serré dans ses bras juste assez longtemps pour qu’il sente son
corps tout chaud contre le sien. Quand elle avait murmuré « merci », il avait
répliqué que cette fois c’était à elle de lui offrir un café. Elle avait eu un
sourire si éclatant qu’il avait eu le sentiment d’être un héros. Pour la
première fois de sa vie, il avait entrevu la possibilité d’être autre chose
qu’une tache à la réputation des Raawal.
Zara avait toujours eu le don de faire ressortir le meilleur de lui-même.
De l’inciter à formuler les rêves qu’il ne s’était jamais autorisé à s’avouer.
Elle lui avait prêté l’oreille dont il avait besoin pour développer les idées de
scénarios qu’il portait en lui depuis si longtemps. Elle lui avait fait prendre
conscience que, même s’il avait beau être très critique envers l’industrie, le
cinéma était sa passion.
Elle avait été la première personne à voir en lui un homme qui avait un
potentiel créatif.
— Je sais que tout le monde considère ton frère comme le véritable
héritier de votre grand-père, mais moi je pense que c’est toi, avait-elle
déclaré un jour après qu’il lui eut exposé une idée qu’il avait eue pour un
film. Tu es fait pour raconter des histoires, Virat. Pourquoi fuir cette
vocation ?
Ils étaient restés ensemble pendant trois mois mais ils ne s’étaient pas
vus très souvent parce qu’elle passait de plus en plus de temps en
déplacement pour passer des auditions. Elle lui avait confié que son mari
était mort l’année précédente mais à part ça, elle n’avait jamais voulu parler
du passé. Malgré son envie de tout connaître d’elle, il n’avait jamais insisté,
pour ne pas l’importuner. Et bien que blessé par cette requête, il avait
accepté de garder leur liaison secrète comme elle le lui avait demandé.
Il était tombé amoureux d’elle. Éperdument. Au point d’être obsédé par
elle de façon presque maladive. C’était aujourd’hui seulement qu’il prenait
conscience que leur liaison clandestine lui avait servi de point d’ancrage.
Mais heureusement, à l’époque il avait eu la prudence de ne pas lui avouer
ses sentiments. De ne pas lui laisser voir à quel point elle comptait pour lui.
Il avait continué à faire la fête avec sa bande de copains et à cultiver son
image de raté de la famille Raawal. Tout en cherchant des investisseurs
pour une comédie à petit budget qu’il avait écrite. Jusqu’au jour où… il
avait entendu dire que Zara avait décroché le premier rôle dans le prochain
blockbuster intergénérationnel et multi-star de Vikram. Qu’elle avait déjà
quitté le pays pour le tournage.
C’était sa mère qui lui avait annoncé la nouvelle. Moins de sept mois
plus tard, Zara avait une relation sentimentale avec son propre frère.
Les applaudissements du professeur de danse et de ses assistants
ramenèrent Virat au présent. Il regarda, fasciné, le visage rayonnant de Zara
tandis que le tonnerre d’applaudissements qui saluait son travail et celui des
danseurs se prolongeait. Alors s’imposa à lui la question qu’il aurait dû se
poser dix ans plus tôt. La question qui ne lui était même pas venue à l’esprit
parce qu’il avait simplement pensé que Zara le rejetait. Au cours des trois
mois qu’ils avaient passés ensemble, elle ne lui avait jamais demandé son
aide pour trouver un rôle. Pas une seule fois elle n’avait cherché à obtenir
de lui des informations sur son frère – dont les productions figuraient déjà
en très bonne place au box-office – ou sur ses projets. Même un tout petit
coup de pouce de Vikram lui aurait évité des mois de désenchantement pour
s’être vu préférer la sœur, la fille ou la cousine d’une star ou d’un
producteur. Elle ne lui avait jamais demandé de parler d’elle à son frère.
Elle savait pourtant qu’il ne lui aurait rien refusé.
Pourquoi avoir fini par utiliser leur liaison après lui avoir demandé de la
garder secrète ? Et surtout, pourquoi avoir traité avec sa mère alors qu’elle
savait que leurs relations étaient tendues ?
Les pensées tourbillonnaient dans l’esprit de Virat, toujours adossé au
mur. Il avait refoulé le passé pendant tant d’années… Convaincu que Zara
l’avait trahi, il avait multiplié les aventures passagères avec des femmes
superficielles.
Mais à présent qu’ils travaillaient de nouveau ensemble, à présent qu’il
avait de nouveau fait l’amour avec elle, il ne savait plus quoi penser de ce
qui s’était passé autrefois. Et de toute façon, le passé avait-il encore de
l’importance ?
Il n’était plus ce jeune homme rebelle qui ne savait pas ce qu’il voulait
faire de sa vie. Aujourd’hui il était Virat Raawal, un homme qui avait
acquis sa réputation et sa fortune sans s’appuyer sur celles de sa famille. Il
avait investi chaque roupie qu’il avait gagnée dans des hôtels de luxe afin
de faire fructifier son argent et de pouvoir financer ses propres films. Il
avait fait beaucoup de chemin depuis leur rencontre et à présent il était
largement à sa mesure. D’ailleurs elle avait manifesté ouvertement son
intérêt pour lui.
Zara, assise par terre dans la position inconfortable sur laquelle elle
terminait sa danse, tourna soudain la tête comme si elle sentait sa présence.
Lorsque leurs regards se croisèrent, il eut l’impression de recevoir une
décharge électrique. Elle détourna très vite les yeux mais tout dans son
attitude trahissait son trouble. Il sourit. Comme il était tentant de la
rejoindre pour déposer un baiser au creux de son épaule… Ensuite il la
hisserait sur ses pieds, il capturerait sa bouche et elle lui rendrait son baiser
en se serrant contre lui avec cette fièvre qui le rendait fou.
Elle grimaça en dénouant les jambes. Aussitôt, l’assistant du
chorégraphe, un jeune homme visiblement fou d’elle et plein d’une énergie
qui donnait à Virat le sentiment d’être centenaire, se précipita pour lui
tendre la main et l’aider à se lever. Elle le remercia d’un sourire mais il ne
lui lâcha pas la main et se mit à lui parler. À en juger par le rouge qui se
répandait sur les joues de Zara, il la complimentait. Quand il lui lâcha la
main ce fut pour écarter les bras. Elle se montra du doigt comme pour lui
expliquer qu’elle était en sueur mais il secoua la tête. Et elle le laissa la
serrer dans ses bras.
« Tu es si possessif que tu sembles prêt à étrangler tous les hommes qui
la regardent ou qui lui sourient. Ils sont tous terrorisés. » Son frère était
hilare quand il lui avait expliqué pourquoi un des éclairagistes laissait
toujours tomber quelque chose dès qu’il le voyait s’approcher. « La jalousie
te va bien, Virat », avait ajouté Vikram avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Virat réprima un soupir. Malheureusement, son frère avait raison. Il
n’arrêtait pas de penser à elle. Il mourait d’envie d’accepter sa proposition
de lui refaire l’amour. Et il en avait assez de résister à la tentation. Que lui
avait-il pris de revenir sur le passé et de la rejeter quand elle lui avait avoué
qu’elle avait envie de lui ? Soit il lui pardonnait ce qui s’était passé dix ans
plus tôt et il tournait la page, soit il prenait définitivement ses distances dès
maintenant.
Ne plus jamais toucher Zara. Ne plus jamais discuter avec Zara. Non,
c’était impensable.
Tourmenter une femme parce qu’il était incapable de contrôler ses
propres émotions, c’était la spécialité de son père. Or depuis toujours il
faisait tout pour ne pas ressembler à un homme capable de nourrir
indéfiniment sa rancune contre sa femme et un petit garçon innocent.
Il n’y avait qu’une chose à faire. Reconnaître ses torts.
8.
S’il avait pensé qu’en passant deux jours entiers dans la plus grande
intimité avec Zara il finirait par se lasser d’elle, il se serait complètement
trompé.
Mais puisqu’il avait juste voulu partager des moments divins avec une
femme qu’il trouvait de plus en plus irrésistible à bien des égards, il avait
complètement réussi.
Du moment que Zara et lui laissaient le passé à sa place, du moment
qu’il parvenait à ne pas ruminer le fait qu’aujourd’hui elle l’avait choisi
parce qu’il était réputé, puissant et riche, leur complicité d’autrefois les
unissait de nouveau.
Cette pause était une des meilleures idées qu’il avait jamais eues. Elle
s’était endormie avant lui, et la chaleur de son corps tout proche l’avait aidé
à sombrer dans un profond sommeil. Puis au réveil, sentir ses bras et ses
jambes autour de lui, quelle sensation incroyable ! Et la fougue avec
laquelle ils s’étaient jetés l’un sur l’autre…
À ce souvenir, Virat fut parcouru d’un long frisson, et un large sourire
étira ses lèvres. Il était assis sur un canapé dans la suite de Zara. Allongée
les pieds sur ses genoux, elle relisait son texte pour la scène finale, qu’ils
commenceraient à tourner le lendemain. Encore une semaine et le tournage
serait terminé. Il commencerait le travail de postproduction avec son équipe
et elle enchaînerait probablement sur le film suivant dans la liste de ses
nombreux engagements.
Alors qu’il pensait à tout ce qui l’attendait après ce petit interlude, Virat
était conscient de baigner dans une douce béatitude qu’il n’avait pas
éprouvée depuis très longtemps. Pourquoi ? Impossible de se mentir. C’était
la présence de Zara qui depuis quelques semaines faisait pétiller son sang
dans ses veines. Il fallait reconnaître que la perspective de ne plus la voir et
de retourner à sa vie d’avant n’avait rien de réjouissant. Mais c’était
inévitable. Il n’y avait pas d’avenir possible avec elle. Parce qu’il ne
pourrait jamais avoir pleinement confiance en elle.
C’était la nature éphémère de cette relation qui la rendait aussi
exaltante.
— Tu as un air très sérieux tout à coup, dit-elle d’une voix douce,
cachée derrière les feuilles du script.
Il se raidit. Elle avait le don de lire dans ses pensées, ce qui était très
déstabilisant…
— Je vais partir un peu plus tôt que prévu à la fin du tournage, annonça-
t-il, se surprenant lui-même.
Elle ne baissa pas les feuilles mais ses pieds se tendirent
imperceptiblement sur ses genoux.
— D’accord.
Après un bref silence, elle déclara :
— J’ai une longue période de vacances après ce tournage. Je me suis
trop surmenée ces derniers temps. Si tu me tiens au courant de ton emploi
du temps, j’irai te voir.
— Regarde-moi, Zara.
Elle baissa les feuilles en soupirant. Son débardeur couleur rouille
mettait en valeur sa peau cuivrée. Ses cheveux étaient ébouriffés parce que,
lorsqu’elle était sortie de la douche, il avait plongé les doigts dedans tout en
dénouant la serviette dans laquelle elle s’était enveloppée. Elle était
splendide, mais comment ne pas remarquer ces cernes profonds sous ses
grands yeux noisette ? Et elle avait les traits tirés. Et puis tous ses costumes
étaient à présent trop grands pour elle, se rappela-t-il. Les deux assistantes
costumières devaient travailler toute la nuit pour les reprendre avant le
tournage de demain matin.
— De toute façon, il y a la soirée de lancement et quelques autres
événements auxquels nous devons assister ensemble, dit-elle d’un ton léger.
Bien sûr, ils devraient continuer à jouer les fiancés amoureux au moins
jusqu’à la sortie du film. Il oubliait toujours avec quelle efficacité elle
parvenait à gérer le chevauchement de leurs vies publiques et privées. Dans
laquelle de ces deux vies prévoyait-elle de le revoir ?
— C’est à cette soirée que tu faisais allusion ?
— Non. Il y a des événements auxquels nous devrons assister en jouant
la comédie des fiançailles. Mais ce que je voulais dire, c’est que j’ai envie
de te voir après le tournage. En dehors de cette comédie. Et en dehors de la
promotion du film. Chez toi. Chez moi. Où ce sera possible.
Il fallait garder ses distances, se dit-il aussitôt. Ne pas hésiter à être
désagréable. Répondre « Je ne peux pas te garantir que j’aurai envie de te
voir », par exemple. Mais son cœur tambourinait dans sa poitrine et le désir
l’envahissait déjà. Sa main remonta sur la cuisse de Zara, enveloppa sa
hanche. Il promena les doigts sur son ventre, les glissa sous la ceinture
déboutonnée de son short, puis les immobilisa et plongea son regard dans le
sien dans une question muette.
— Oui, souffla-t-elle, les joues en feu.
Un seul mot. Brûlant. Qui sonnait comme une vérité immuable. Mais
pendant combien de temps encore continuerait-elle à lui dire oui ? Cette
question et toutes les autres qu’il avait à poser à Zara s’effacèrent de l’esprit
de Virat devant le regard étincelant de ses yeux noisette. Il glissa les doigts
dans sa culotte de coton et laissa échapper un grognement étranglé. Oui, pas
de doute, elle partageait son désir… Elle creusa les reins en se mordant la
lèvre inférieure. La tête renversée en arrière, les yeux fermés, la respiration
hachée, elle était d’une beauté déchirante.
Il la débarrassa de son short et de sa culotte, caressa son ventre.
— Ouvre les yeux, Zara, dit-il en glissant la main entre ses cuisses.
Elle continuait de soutenir son regard, les paupières mi-closes.
— De quoi as-tu envie, shahzadi ?
Il avait besoin de savoir. Comme toujours avec elle. Il avait besoin de
l’entendre exprimer son désir.
— J’ai envie de toi.
— Alors viens plus près, murmura-t-il d’une voix rauque en la hissant
sur ses genoux. Je voudrais goûter ton sexe, Zara. L’embrasser. Je peux ?
Dans le silence qui suivit, il lut l’espoir et le désir sur son visage, plus
autre chose qu’il ne parvint pas à identifier.
— Seulement si tu en as envie, shahzadi. Pas de règles entre…
— … amants. Juste du plaisir, termina-t-elle à sa place.
Puis elle demanda en s’humectant les lèvres :
— Aurai-je l’autorisation de te rendre ce plaisir ?
Il fut assailli par une bouffée de désir qui lui coupa le souffle. Dire
qu’autrefois elle avait été effarouchée par cette même suggestion…
Aujourd’hui, leur intimité était marquée par une spontanéité et une sincérité
si exaltantes qu’elles en devenaient presque inquiétantes.
— Ce n’est pas une transaction, Zara.
Elle se redressa pour capturer sa bouche dans un baiser avide qui
décupla son excitation.
— Dix années n’ont rien changé à ce que j’éprouve pour toi, Virat.
Doutes-tu toujours de moi ? Doutes-tu de ça ?
Elle plongea son regard dans le sien.
— Cette fois je veux tout le plaisir que tu peux me donner. Je veux aussi
être la maîtresse intrépide et effrontée que je ne pouvais pas être il y a dix
ans.
Submergé par une vague de tendresse, il referma la main sur sa nuque et
frotta le nez contre sa joue.
— Zara, tu étais parfaite il y a dix ans. Pourquoi penses-tu que… ?
— Non, j’étais loin d’être parfaite. J’avais peur que quelqu’un découvre
notre liaison. Peur de te décevoir. Peur que tu prennes conscience que je
n’étais qu’une source de problèmes…
Zara s’interrompit quelques secondes avant de reprendre.
— J’avais peur de mes propres désirs. Si nous sommes devenus proches
c’est uniquement parce que tu étais irrésistible, attentionné et patient avec
moi.
Pourquoi cette véhémence contenue dans sa voix ? Il scruta son visage,
et la lueur étrange qui brillait dans ses yeux lui serra le cœur. Une fois de
plus, le doute s’insinua dans son esprit. Et s’il s’était trompé à son sujet
autrefois ? Elle porta sa main à ses lèvres et déposa un baiser au creux de sa
paume. Lorsqu’il caressa sa lèvre inférieure du bout d’un doigt, elle lécha
ce dernier puis elle le suça d’un air gourmand en plongeant son regard dans
le sien.
— Cette fois j’exige tout ce que tu peux me donner, annonça-t-elle.
— Alors je peux te goûter, shahzadi ?
— Oui…
Il traça un sillon de baisers dans son cou puis vers la pointe d’un sein
qu’il mordilla à travers le fin coton de son débardeur avant de relever le
vêtement pour mieux sucer tour à tour les deux bourgeons hérissés. Ses
lèvres poursuivirent ensuite leur lente descente jusqu’à son sexe qu’il
dégusta avec délectation, approfondissant peu à peu ses caresses. Jusqu’à ce
qu’elle fonde de plaisir et se dissolve contre sa bouche en répétant son nom
encore et encore d’une voix entrecoupée de soupirs. Lorsqu’il leva la tête, il
vit une larme rouler sur sa joue.
— Shahzadi ?
Lui aurait-il fait mal ? Non, ses réactions indiquaient tout le contraire.
Ce qui était inquiétant en revanche, c’était le tourbillon d’émotions qu’elle
déclenchait en lui… Elle poussa un long soupir d’aise, puis elle ouvrit sa
braguette et referma les doigts sur son sexe gorgé de désir. Ses caresses
faillirent le faire basculer à son tour dans le précipice de la jouissance, mais
elle les interrompit à temps et intima d’une voix rauque :
— Viens…
Il plongea en elle et donna libre cours à la passion qui le consumait. Son
désir pour elle finirait-il par s’émousser un jour ? Cette question eut à peine
le temps de se former dans son esprit avant que le plaisir le prive de toute
pensée cohérente.
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