Ad 346267
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tribunes
La médecine prédictive,
entre éthique et politique
P
armi les nombreux problèmes que test génétique, comment comprendre l’élec-
Au-delà du progrès doit affronter notre société dans ces trophorèse de la protéine « hémoglobine » qui
temps de révolution scientifique, la permet, en pratique, les mêmes résultats avec
scientifique qu’elle médecine prédictive est probablement l’un les mêmes conséquences pour le sujet con-
représente, la de ceux qui mettent le plus l’esprit et la rai- cerné ? Autrement dit, l’analyse des protéi-
son dans l’inconfort d’une solution apparem- nes peut-elle être, selon les cas, considérée
médecine prédictive ment impossible. Tous les éléments sont comme une analyse génétique pouvant en-
réunis pour souligner les conflits, les contra- trer dans le cadre de la médecine prédictive
pose au législateur des dictions et donc la difficulté de tracer de puisque les conséquences sont du même ordre
nouvelles frontières à notre humanité. On au regard de la discrimination et de la sélec-
problèmes d’ordre peut interroger la médecine, la santé publi- tion des personnes ? N’oublions pas que la
que et la société pour tenter de mesurer l’am- médecine prédictive a d’ailleurs vu le jour bien
politique et pleur de la tâche du législateur. avant l’analyse des gènes eux-mêmes puisque
c’est l’étude du système HLA qui a pour la
philosophique. L’exercice pratique de la médecine première fois permis à Jean Dausset de dé-
L’exercice pratique de la médecine soulève velopper ce concept. Alors comment légifé-
un premier lot de difficultés. La première, et rer et réglementer sur l’usage des « tests gé-
non des moindres, est de savoir exactement nétiques » quand on discerne mal leurs
de quoi on parle, non seulement en prati- limites, voire leur définition ? Je ne suis pas
quant la génétique médicale, mais aussi en sûr d’avoir les bonnes réponses. Il faudra du
écrivant le droit ! Il y a tout d’abord le sim- temps pour clarifier les choses, mais je ne suis
ple problème de définition. Chacun peut pas certain de la parfaite cohérence séman-
comprendre ce que sont les analyses généti- tique des textes de référence au regard des
ques, stricto sensu, c’est-à-dire celles qui por- développements actuels. Le dépistage de la
tent sur le patrimoine génétique véhiculé par phénylcétonurie chez le nouveau-né est ainsi,
la molécule d’ADN. Il s’agit bien de l’étude tout à la fois, le moyen de prédire et donc
des gènes et, à condition d’éviter la référence de prévenir un retard mental grave mais aussi
aux techniques tant il est vrai qu’elles évo- de révéler l’existence d’un risque génétique
luent très vite, médecins et législateurs peu- dans une famille. Il en va de même pour la
vent s’entendre. Pourtant, assez vite apparaît mucoviscidose ou l’hyperplasie congénitale
une première difficulté dans la définition des des surrénales, parmi d’autres affections gé-
analyses en cause. Il s’agit certes des analy- nétiques. Du malade à sa famille, on change
ses portant directement sur l’ADN qui vont de préoccupation !
avoir pour effet d’identifier la structure de C’est la deuxième difficulté. En termes de
tel ou tel gène et donc de déterminer l’expres- médecine individuelle, le secret médical se
Jean-François Mattei sion de tel ou tel caractère normal ou patho- trouve ainsi confronté à une situation pour
Professeur de génétique logique de la personne ; chacun en comprend le moins inédite. La génétique est par défi-
médicale, membre de l’Académie aisément l’intérêt médical. Mais le problème nition une discipline qui ne peut concerner
nationale de médecine, député se complique cependant, car si, par exemple, le seul individu puisque aussi bien le patri-
des Bouches-du-Rhône l’analyse du gène de la bêta globine est un moine génétique de chacun est en partie
partagé avec d’autres, et cela d’autant plus que devrait, en nous rappelant à la modestie, Pour autant je ne suis pas certain que cette
les liens de parentés sont étroits. Qu’une remettre bien des idées en place. Si l’homme interdiction soit suffisante à terme. Si l’État
personne exige le secret de l’analyse qui la n’a guère plus de gènes qu’un grain de maïs interdit, comment les individus bien portants
concerne est parfaitement légitime et le res- ou qu’un lombric, on devine que sa com- — génétiquement parlant — ne cherche-
pect de cette volonté s’impose. Pourtant, si plexité ne réside pas dans le nombre de ses raient-ils pas à profiter de leur avantage pour
la conclusion permet de soupçonner que gènes mais probablement dans la complexité se regrouper au terme d’un mécanisme simple
d’autres membres de la famille sont également des interactions qu’ils établissent entre eux, de contre-sélection ? Au nom de la liberté de
atteints ou porteurs, faut-il les laisser sans sans omettre, évidemment, les influences chacun à prétendre à l’égalité des chances,
assistance et secours ? C’est bien toute la déterminantes du milieu environnant. À l’ex- pourra-t-on priver certains de la liberté de s’or-
difficulté du conseil génétique dont on voit ception de quelques cas d’affections mono- ganiser selon leur volonté ?
qu’il exige parfois, à côté des connaissances géniques, somme toute minoritaires, le de- Finalement, je trouve assez fabuleux de
biologiques et cliniques, des vertus psycho- venir de l’homme ne peut se résumer à ses constater que plus l’homme essaie de se sin-
logiques et diplomatiques. Oui, les analyses seuls gènes dans la sécheresse de leur séquence. gulariser, de revendiquer sa liberté et sa res-
génétiques rappellent à chacun que, pour être La vie n’est pas un programme. C’est en ponsabilité, et plus il se trouve face à l’autre
singulier, il fait partie d’un groupe ! Je ne suis quelque sorte une libération ! qui s’impose avec force dans une même
pas certain que citoyens et médecins aient Je ne veux pas m’étendre ici sur cet aspect humanité. La génétique médicale, au travers
clairement perçu la nature des enjeux entre qui ressort moins du législatif que les autres. de la médecine prédictive, constitue ainsi une
individualisme et solidarité. Pourtant le législateur doit veiller à ce que excellente introduction à la philosophie po-
La troisième difficulté résulte directement chacun puisse assumer pleinement la conduite litique en rappelant que personne ne peut
de la précédente. Elle concerne l’utilisation de sa vie sans se trouver enfermé dans les vivre seul en ignorant son prochain et qu’il
conjointe de la génétique et de la santé pu- mailles du filet d’ADN, comme prisonnier ne peut y avoir de bonheur égoïste, pas plus
blique. Chacun peut comprendre le bien- de ses gènes. Entre déterminisme et liberté, que de destin établi par avance. C’est en
fondé des stratégies de santé publique lors- c’est d’abord la liberté qui fonde l’humanité somme une simple affaire de conscience, mais
qu’il s’agit de prévention ou du dépistage et chacun a le droit de ne pas entrer dans la combien difficile à traduire en termes légis-
précoce permettant des thérapies curatives. maladie putative avant même d’être (peut- latifs et… en pratique !
Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de conduites dont être !) malade un jour. C’est probablement
les effets sont d’abord l’élimination, la sélec- un des aspects majeurs, difficile à cerner, que
tion, voire la discrimination ? Avant même le poids de la biologie révélée et des mots pour
que ces problèmes ne soient sous les feux de le dire au regard de l’avenir de chacun. C’est
l’actualité, la génétique des populations nous d’ailleurs un des soucis que j’ai dans l’accès
avait beaucoup appris sur telle communauté du malade, par ailleurs justifié, à l’intégra-
juive et la maladie de Tay Sachs, sur la lité de son dossier. C’est encore un souci de
thalassémie et les populations méditerranéen- douter que tous les médecins en situation de
nes, pour ne citer que deux exemples. Est-il manipuler de telles données aient réellement
fondé, et dans quel but, de s’engager dans le conscience de la gravité de ce danger sans
dépistage de masse pour des populations traduction immédiate. Un mot intempestif,
données sans avoir par avance clairement dé- et c’est tout le cours d’une vie qui peut bas-
fini les attitudes pratiques en termes de prise culer. La formation de nos médecins à cet
en charge et de suivi ainsi que les conséquen- égard est-elle suffisante au regard de la gra-
ces individuelles et collectives, notamment vité des enjeux ? Je n’en suis pas certain.
au niveau du vécu et de la symbolique
sociétale ? La préoccupation politique
Enfin la préoccupation plus immédiatement
La préoccupation philosophique politique concerne la sauvegarde des droits
La préoccupation philosophique n’est pas de l’homme face à l’utilisation que pourrait
absente du débat. On le comprendra aisément être tentée de faire notre société dans certains
en réalisant que les analyses génétiques ont domaines de son activité. Qu’il s’agisse d’as-
renouvelé le sempiternel débat entre l’inné surance, d’embauche ou de prêts, il est ten-
et l’acquis. On a, semble-t-il, trop vite adopté tant, parfois logique — économiquement
le terme de médecine prédictive, auquel je parlant — d’utiliser les tests génétiques pour
préfère celui de médecine présomptive car il évaluer un risque, améliorer un rendement
est moins frappé du sceau d’un destin appa- ou apporter une garantie. Interdire donc l’uti-
remment inéluctable. L’existence des analyses lisation des tests génétiques à toute pratique
génétiques a peu à peu déplacé l’opinion vers non médicale me paraît une première me-
une sorte de généticisme excessif contre le- sure conservatoire indispensable. La dignité
quel il faut s’élever avec force. Le récent dé- de l’homme ne dépend évidemment pas de
cryptage, même préliminaire, du génome ses gènes et toute discrimination ou sélection
humain apporte un lot d’enseignements qui génétique doit être condamnée sans faiblesse.
tribunes
Médecine prédictive :
l’exemple du diagnostic
génétique pré-implantatoire
L
e diagnostic génétique pré-implanta- l’absence de thérapeutique, la prédiction
Si le diagnostic toire (DPI) consiste à prélever une ou d’une pathologie « particulièrement grave »
quelques cellules d’un embryon libre conduit souvent à proposer l’élimination de
génétique pré- (3 à 5 jours après fécondation) afin de les l’embryon ou du fœtus. Pourtant, dans le dia-
implantatoire (DPI) soumettre à des identifications génétiques, gnostic génétique pré-implantatoire cette éli-
lesquelles feront décider du devenir de cet mination ne concerne qu’une partie des em-
peut éviter le recours à embryon. Le diagnostic génétique pré-im- bryons évalués au même moment, si bien que
plantatoire est donc différent des autres tests la manœuvre est simultanément conservatrice
l’interruption de prédictifs en ce qu’il concerne un être hu- (certains embryons retenus) et exclusive (cer-
main* au statut incertain (« amas de cellu- tains embryons éliminés). Dès lors, on con-
grossesse, il peut aussi les » selon des praticiens, « personne poten- çoit que dans le couple décisionnel conserva-
tielle » selon le Comité consultatif national tion-exclusion le poids relatif de chaque
permettre le « tri des d’éthique, « personne à part entière » selon solution dépende non seulement de l’exigence
le Vatican) d’une part, et par le fait que cet normative mais aussi de l’éventail du choix,
embryons ». Entre être humain n’est ni autonome (comme l’est c’est-à-dire de l’effectif des embryons soumis
incrédulité et peur de une personne), ni « intégré » dans le corps au diagnostic génétique pré-implantatoire.
d’une personne (comme l’est un fœtus). Par Cette équation est presque suffisante pour
dérives sélectives, ailleurs, le diagnostic génétique pré-implan- prédire l’avenir du DPI puisque les autres
tatoire n’a pas pour but d’identifier la pré- éléments du choix, importants en cas d’in-
quelle est l’évolution sence d’une caractéristique génétique dans terruption de grossesse, se trouvent ici réduits
un embryon (comme fait le diagnostic gé- a minima : aucune intervention sur le corps
prévisible du DPI ? nétique prénatal) mais de désigner, parmi maternel, aucune souffrance de l’embryon,
d’autres, les embryons porteurs de telles ca- reconnaissance d’une dignité seulement re-
ractéristiques, grâce à son application simul- lative de l’embryon pré-implantatoire. Sur-
tanée à une population d’embryons. C’est dire tout, et contrairement à l’interruption mé-
que, par principe même, chaque diagnostic dicale de grossesse (IMG), le bilan prédictif
génétique pré-implantatoire est sélectif (re- demeure toujours positif pourvu qu’un
tenir « le meilleur ») plutôt que prédictif (éta- embryon reste disponible pour tenter d’établir
blir la connaissance d’un état). Une telle re- la grossesse. Cette situation, qui sépare DPN
cherche du « mieux-disant moléculaire » est et DPI, est parallèle à celle qui sépare IVG-
bien différente dans ses conséquences de ce IMG d’une part, et « réduction embryon-
qui occupe jusqu’ici le diagnostic pré-ou post- naire » dans les grossesses multiples d’autre
natal. part, et on doit rappeler alors que la perspec-
Le diagnostic génétique pré-implantatoire tive du maintien de la grossesse a permis de
partage avec le diagnostic génétique préna- placer la « réduction » hors du champ légal
tal la gravité de l’issue du test puisque, en de l’interruption volontaire de grossesse
(IVG).
Jacques Testart * L’œuf fécondé est un être humain pour le biologiste,
de même que celui des bovidés est un être bovin, et
Ces quelques considérations permettent
Directeur de recherche, celui des souris un être murin. Ne pas confondre cet déjà de refuser l’adage proposé par les tenants
Unité Inserm 355, Clamart état objectif avec la qualification de « personne ». du tri embryonnaire : « Le diagnostic géné-
tique pré-implantatoire n’est qu’un diagnostic (FIV) ultérieures. Aussi des réserves de ga- sélection d’êtres humains par l’élection du
génétique prénatal précoce »… Le recours mètes féminins peuvent être constituées à côté mieux-disant moléculaire appartient-elle
récent au diagnostic génétique pré-implan- de celles des gamètes masculins, limitant les encore à la « médecine prédictive » ? Existe-
tatoire pour sélectionner un enfant donneur interventions sur la femme à un seul prélè- t-il une réelle différence entre le choix indi-
de cellules, génétiquement compatible avec vement ovarien, sans aucun monitorage ni viduel des enfants dans un cadre d’expertise
sa sœur malade, est un exemple qui annonce stimulation hormonale. univoque et celui que proposerait un État
la nature révolutionnaire de cette technique bienfaiteur au nom de la carte du « génome
dans le champ de la médecine prédictive : ce Produire de très nombreux embryons normal »* ? Après avoir agité ces questions
n’est pas pour gagner quelques semaines que Pourvu qu’on soit capable de faire évaluer en pendant quinze ans** j’ai voulu, avec Ber-
le diagnostic génétique pré-implantatoire ovules les ovocytes contenus dans les folli- nard Sèle***, proposer un garde-fou qui se-
« plus précoce » a été utilisé mais pour per- cules primordiaux ainsi conservés, des em- rait un engagement des professionnels « pour
mettre le choix entre plusieurs embryons. bryons pourraient être conçus par dizaines. que le DPI reste un DPN précoce », selon
La plupart des praticiens de génétique Or des travaux menés dans plusieurs espè- le texte ci-dessous :
médicale reconnaissent cette spécificité du ces animales montrent la faisabilité de cette Pour certains, le diagnostic génétique pré-
DPI par rapport au DPN, mais ils sont sou- démarche. Outre la perspective de cultiver implantatoire n’aura jamais d’autres indica-
vent incrédules quant à l’avenir de cette in vitro les complexes ovocyto-folliculaires tions que le diagnostic génétique prénatal,
nouvelle technique. D’une part, le diagnos- jusqu’à obtenir des ovocytes compétents pour pour d’autres il deviendra inéluctablement
tic génétique pré-implantatoire est décrit la FIV, il est possible de cultiver ces complexes le moyen eugénique de sélectionner le
comme trop « lourd » (compliqué, éprouvant, in vivo, éventuellement chez une femelle « meilleur » enfant potentiel, à partir d’une
cher) pour échapper à des situations très d’une autre espèce. batterie de tests génétiques appliqués aux
particulières et sérieusement motivées ; embryons.
d’autre part, on postule que les velléités de Sélectionner l’embryon de « meilleure Nous, professionnels de l’assistance médi-
dérive seront contenues par l’appareil médical qualité » génétique cale à la procréation ou de la génétique mé-
et social, comme le montrerait l’histoire du Le grand nombre d’embryons disponibles dicale, proclamons solennellement notre en-
diagnostic génétique prénatal. Ainsi, ceux- justifiera l’abondance des tests génétiques gagement de veiller à ce que le DPI n’aille
là soutiennent que, sauf à sombrer dans un pour identifier, au-delà des « maladies par- pas au-delà de ce qu’autorise le DPN, quels
régime totalitaire, il n’est rien à craindre du ticulièrement graves », des prédispositions aux que soient les progrès techniques qui ren-
tri précoce des embryons. En réalité, un tel risques de survenue d’affections diverses, voire draient possible une sélection plus perfor-
discours regroupe deux regards différents sur des probabilités de conformation physique mante qu’aujourd’hui. Puisque la loi ne peut
la nature du diagnostic génétique pré-implan- ou mentale. Le nombre limité de blastomè- nommer les « pathologies particulièrement
tatoire et sa place dans la médecine prédic- res chez ces embryons ne saurait freiner la graves », il faut qu’elle limite le nombre des
tive : certains « ne croient pas » à son inté- variété des tests, ces cellules pouvant être paramètres d’exclusion pour que l’assistance
rêt, tandis que d’autres, qui sont parfois les multipliées à dessein, ou soumises à des médicale à la procréation reste une aide
mêmes, « ne croient pas » à des usages per- « biopuces » capables de reconnaître de très médicale à la procréation et ne devienne pas
vers. nombreuses configurations de l’ADN dans un moyen de sélection médicalisée de l’hu-
Au-delà des croyances des uns et des autres, une seule cellule. manité. Aussi, nous affirmons notre volonté
nous pensons qu’il faut affronter les réalités. de tout faire pour que le DPI reste un DPN
Remarquons d’abord que la crainte d’engen- Transformer en enfant l’embryon choisi précoce, en limitant définitivement son in-
drer un enfant handicapé est immémoriale Même si les chances de naissance par em- tervention à l’établissement du caryotype et
et raisonnable, et qu’il n’existe aucune défi- bryon transplanté in utero n’augmentent pas à la recherche d’un seul variant pathologique
nition limitative du handicap quand la place (environ 10 % aujourd’hui), le clonage em- pour l’ensemble des embryons disponibles
de chacun dans la société dépend de sa con- bryonnaire ainsi médicalement justifié devrait chez un même couple.
formité à un modèle abstrait et « compéti- assurer la naissance d’un enfant à l’issue de Cette résolution a été diffusée de multiples
tif ». Ainsi la recherche de l’enfant « idéal » tout diagnostic génétique pré-implantatoire façons en France et dans le monde : courrier
n’est nouvelle que parce qu’elle est préten- pourvu que des clones de l’embryon choisi électronique par trois réseaux structurés
due possible. soit conservés par congélation en vue de trans- (Blefco, généticiens, ESHRE) ; courrier postal
ferts successifs. Faire naître un seul enfant à ciblé sur plusieurs dizaines d’acteurs déjà im-
Une stratégie vraisemblable pour le DPI partir d’un embryon, voilà qui devrait récon- pliqués dans le diagnostic génétique pré-im-
Ce qu’il faut examiner pour savoir où le dia- cilier la bioéthique avec le clonage reproduc- plantatoire ; distribution aux biologistes des
gnostic génétique pré-implantatoire nous tif !
* On a évité ici l’emploi du terme « eugénisme » parce
mène, c’est seulement le faisable à moyen
qu’une amnésie élective de la médecine a conduit à
terme. Quelques questions et un garde-fou l’assimiler au nazisme (lire Pichot A., Testart J. : « Les
avorté métamorphoses de l’eugénisme ». Encyclop. Univ. 99-
Diminuer les servitudes pour le couple Un scénario comme celui-ci relève-t-il de la 105, 1999).
On sait déjà prélever une biopsie dans le science-fiction quand il recompose des tech- ** Le désir du gène. Paris : Flammarion, coll. Champs,
1994. Des hommes probables. Paris : Ed. du Seuil, 1999.
cortex ovarien, très riche en petits follicules niques, déjà réalisées ou en voie d’aboutis- *** Testart J., Sèle B. « Enquête auprès des profes-
surtout chez une femme jeune, et congeler sement, au service de fantasmes collectifs qui sionnels : Pour que le DPI reste un DPN précoce ».
cet échantillon en vue de fécondation in vitro nourrissent des intérêts professionnels ? La Colloque Embryon 2000, mai 2000, R 31.
tribunes
Blefco avec demande de communication aux
cliniciens. Les réponses sont parvenues par
courrier électronique ou postal et fax. Nous
Les bases
considérons que le faible nombre des réponses
(87) montre que la plupart des praticiens
internationaux de FIV ne sont pas conscients
des enjeux et notre inquiétude est aggravée
quand les acteurs actuels du diagnostic gé-
de la médecine
nétique pré-implantatoire refusent de s’en-
gager ou se déclarent opposés à toute restric-
tion, comme l’illustre cette réponse d’un
généticien américain : « Leave this choice to
the people, not to some enlighted self appointed
prédictive
moral dictators » (laissez ce choix aux gens,
pas à quelque directeur de conscience
autoproclamé éclairé)…
Un article récent issu d’une autre équipe
américaine* se réjouit de la prochaine capa-
N
cité du diagnostic génétique pré-implanta- ombreux sont aujourd’hui les collo-
toire « to screen for any genetic trait, e. g. sta- La médecine prédictive ques, les réflexions sur la médecine
ture, baldness, obesity, hair colour, skin colour prédictive. Elle a ses sceptiques ou
or even IQ » (de détecter n’importe quelle ca- fera-t-elle partie de la même ses détracteurs, mais l’engouement que
ractéristique génétique telle que la taille, la pratique médicale l’on constate suffit à prouver son intérêt. Il
calvitie, l’obésité, la couleur de cheveux ou est bien connu « qu’un homme prévenu en
de peau ou même le quotient intellectuel) et courante de demain ? vaut deux », ou en termes médicaux que la
note justement que la plupart des praticiens connaissance du risque offre des possibilités
de l’assistance médicale à la procréation ne Quelles seront ses de prévention ou de traitement précoce. Mais
sont pas encore conscients de ces enjeux… cette évidence ne doit pas nous fermer les yeux
Puisque les praticiens ne sont pas seuls répercussions sur la sur les risques que la médecine prédictive peut
concernés, rappelons ce sondage Ifop réalisé entraîner, en particulier celui de créer une
en janvier 2000 pour le journal Eureka à population ? Propos angoisse inutile.
propos du diagnostic génétique pré-implan- Nous définissons la médecine prédictive
tatoire. Si 93 % des Français l’approuvent
d’un des pionniers de comme le dépistage d’un individu sain, mais
« pour détecter des maladies génétiques graves », la recherche sur le susceptible de développer une affection dé-
ils sont encore 53 % (dont 74 % au Front terminée. A contrario, elle permet de dépis-
national …) à souhaiter son usage « pour génome humain. ter les individus non susceptibles ou même
améliorer les caractéristiques de l’enfant à naî- protégés par des gènes de résistance. Ainsi ce
tre ». concept concerne tout sujet que l’examen
Fermer les yeux sur l’évolution prévisible clinique, et même les examens complémen-
du diagnostic génétique pré-implantatoire taires les plus précis, déclarent indemne de
relève pour le moins de l’inconscience, sou- l’affection redoutée.
vent de l’irresponsabilité, parfois de la délin-
quance. Une médecine préventive individuelle
En fait, la médecine prédictive diffère de la
médecine préventive en ce qu’elle est stric-
tement individuelle alors que la médecine
préventive est le plus souvent une médecine
de masse, comme par exemple par la vacci-
nation obligatoire. En somme, la médecine
prédictive est une médecine préventive in-
dividuelle. De plus les études statistiques
permettent de mesurer le degré de risque
(risque relatif). C’est donc un diagnostic de
probabilité quantifié.
On oublie souvent que les premières dé-
* Brenner C., Cohen J. « The genetic revolution in
couvertes de l’existence des gènes de suscep-
artificial reproduction : a view of the future ». Human Jean Dausset tibilité ont été ceux du système HLA*. C’est
Reprod. 15 (Suppl S) 111-116, 2000. Professeur, Fondation Jean Dausset en effet dans les années soixante-dix que les
Par ailleurs, les pouvoirs publics ne doi- En ce qui concerne les employeurs, s’ils
vent autoriser la commercialisation d’un test avaient la connaissance d’un test positif pour
de prédiction que si celui-ci est utile indivi- l’un de leurs employés, ils pourraient d’un
duellement et en termes de santé publique. côté entretenir une discrimination à son
Ces quatre principes de base doivent main- égard, mais de l’autre permettre de l’affec-
tenant être discutés et parfois nuancés dans la ter à un poste sans risque.
pratique. Ces réflexions portent sur l’individu Enfin, on peut se poser la question de la
lui-même, sa famille, la société dans laquelle répercussion que pourrait avoir la médecine
il est, et enfin sur l’humanité tout entière. prédictive appliquée de façon systématique
En ce qui concerne le désir de l’individu et à long terme sur la population. En théo-
de savoir ou de ne pas savoir, l’expérience rie la possibilité qu’elle offre à des individus
prouve que, dans les cas comme celui de la porteurs d’un gène de susceptibilité de le
maladie d’Huntington, beaucoup de mem- transmettre devrait entraîner une augmen-
bres de ces familles éprouvées demandent tation de la fréquence de ce gène délétère dans
néanmoins à connaître leur destin tragique, la population générale du fait de l’allonge-
puisque la mort suit inéluctablement une ment de la durée de vie de ces individus ayant
démence précoce. La raison essentielle, mais bénéficié d’un traitement. Le « fardeau »
non unique, est de pouvoir décider ou non génétique en serait accru. Cependant le fait
premières associations de diverses maladies de procréer. On le comprend, mais dans ce que la médecine prédictive s’applique, essen-
avec les variantes (ou allèles) des gènes HLA cas il est nécessaire d’organiser des consul- tiellement, à des maladies qui touchent sur-
ont été décrites. L’exemple typique est celui tations spécialisées associant des psychiatres tout des adultes qui ont le plus souvent déjà
du gène HLA-B27, très fortement associé à et psychologues afin d’accompagner les per- procréé incite à penser que l’impact sur le pool
la spondylarthrite ankylosante. Dès cette sonnes auxquelles on révèle qu’elles sont génétique serait probablement faible.
époque, je proposais le concept et même le porteurs du gène délétère. Cette technique, Ainsi, c’est l’avenir qui nous dira si cette
mot « prédictive » pour ce type de méde- qui a montré son efficacité à propos de la nouvelle forme de médecine entrera en force
cine**. maladie d’Huntington, la plus terrible, ser- dans la pratique courante. Dès maintenant
vira de modèle, à n’en pas douter, pour des la susceptibilité à certains cancers (sein, co-
Les bases éthiques de la médecine affections au pronostic moins sévère. Il est lon) et à certaines maladies associées à HLA
prédictive inutile d’insister sur le fait qu’un résultat en permet déjà une application clinique. L’ex-
Avant d’aborder les questions éthiques que négatif enlève un grand poids sur le cœur de traordinaire travail de localisation sur le gé-
la médecine prédictive posent à la commu- celui qui attendait dans l’anxiété le verdict. nome et le clonage des gènes polygéniques
nauté, je voudrais souligner les bases mêmes Elle peut apporter la certitude d’une vie devrait allonger rapidement la liste des tests
de ce nouveau mode d’investigation. normale. possibles. La médecine prédictive fait appel
Ces bases sont au nombre de quatre : Dans le cadre familial, la révélation d’une à chacun de nous. Aux individus de prendre
– Le respect absolu de l’autonomie de l’in- « tare familiale » n’est pas sans conséquen- en charge leur capital santé.
dividu, lui assurant le droit de pratiquer ou ces parfois graves. Cependant, quoique cela Dans tous les cas, la médecine prédictive
non l’examen, et si celui-ci est pratiqué le droit devienne de plus en plus rare, une partici- entraînera de nouveaux devoirs comme le dit
de savoir ou non le résultat. pation de la famille est nécessaire pour con- si bien Maurice Tubiana : « [Elle] pose un nou-
– Le respect du secret absolu. Seul le gé- clure à la présence ou l’absence du gène dé- veau devoir aux médecins : éduquer les bien
néticien et le médecin traitant (secret médi- létère. C’est alors à l’individu intéressé que portants ; la santé se conquiert, elle n’est pas un
cal partagé) en sont dépositaires. Le résultat revient de demander ou non à sa famille de don, à la limite elle est un devoir envers soi-
ne peut être transmis à d’autres personnes ou collaborer. Il y a là pour lui un cas de cons- même… et envers les autres. »
organismes que sur autorisation écrite de l’in- cience, car, a contrario, la connaissance d’une
téressé. prédisposition peut aider d’autres membres
– L’assurance que le test ne sera pratiqué de la famille à se prendre en charge.
que dans les cas où il existe, pour l’affection Dans le cadre de la société, la pratique des
redoutée, des mesures ou des traitements pré- tests génétiques de susceptibilité pose de
ventifs ou des traitements précoces d’effica- graves problèmes.
cité reconnue. Une compagnie d’assurance a-t-elle le droit
– Le rapport risque/bénéfice doit être de demander les résultats de tests génétiques
notablement positif afin de ne pas provoquer au préalable à la souscription d’un contrat
une inquiétude ou une angoisse injustifiées. d’assurance sur la vie, malgré le principe de
En conscience, le médecin ne doit ordonner secret ? Cela n’a pas, à l’heure actuelle, trouvé
la pratique du test que dans des circonstan- de solutions satisfaisantes. En France, un
ces favorables pour le patient. moratoire a été accepté par les compagnies
*HLA : Histocompatibilité leucocyte antigène.
d’assurance afin de trouver une solution
** In Progress of Clinical Immunology, 1, 1972, p. 183- équitable entre les intérêts réciproques légi-
210. times.