Autisme

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Dossier

Autisme :
l’enjeu crucial
du dépistage précoce

L
es autistes ne traiteraient pas les infor-
mations qu’ils reçoivent de la même
façon que les non-autistes. On décou-
vre que le cerveau présente une orga-
nisation et une structure neuronale
différentes, qui pourraient expliquer un fonc-
tionnement spécifique. Certains parlent tard,
mais apprennent parfois à lire seuls, bien avant
les autres, même s’ils ne comprennent pas ce
qu’ils lisent. D’autres ont des capacités visuelles
ou mnésiques exceptionnelles.
Leur traitement perceptif serait exacerbé, et
leur univers mental différent. À nous de le com-
prendre pour les aider à trouver leur place dans
une société qui cesserait de vouloir adapter à une
minorité un modèle d’apprentissage unique,
même s’il est pertinent pour la majorité. Pour ce
faire, il faut déceler, dès le plus jeune âge, les
ébauches de leurs spécificités.

21 L’autisme : une différence


plus qu’une maladie
26 Du dépistage à la prise en charge
32 L’intelligence des autistes
36 Les interactions sociales dans l’autisme
40 Les bases neurobiologiques de l’autisme
46 La génétique de l’autisme
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L’autisme : une différence


plus qu’une maladie
Parce que l’organisation de leur cerveau est différente,
les autistes ont un mode de pensée spécifique. À nous
de le respecter pour qu’ils trouvent leur place dans la société.

T
out ce que l’on sait aujourd’hui totalement autonome et sans que ses pairs ne Laurent Mottron
de l’autisme nous conduit à y remarquent quoi que ce soit. Ce serait le cas de est professeur
voir une organisation cérébrale plus de deux pour cent de la population géné- au Département
différente, plutôt qu’une mala- rale, s’ajoutant au un pour cent pour qui la dif- de psychiatrie et
die – l’effet du dysfonctionne- férence est évidente. Ces individus sont-ils titulaire de la chaire
ment d’une partie du cerveau. L’idée de faire « autistes» ? Oui, si on les définit par un com- de neurosciences
cognitives
de l’autisme une différence plutôt qu’une portement particulier ; non, si on les définit de l’autisme au
maladie commence à être reçue par la com- par une maladie. Centre d’excellence
munauté scientifique, même si elle ne fait pas en autisme
encore l’unanimité. Bien que le terme anglais Des différences de l’Université de
utilisé dans le Manuel des troubles psychia- Montréal, CETEDUM,
trique, le DSM-4, utilise le terme autistic disor-
anatomiques au Canada.
der, c’est-à-dire trouble autistique, qui impli- Se pose alors une question primordiale :
que plutôt une désorganisation, nous pensons sommes-nous en mesure d’étudier et de com-
que le cerveau autistique s’adapte au monde prendre cette différence avec nos outils scien-
à sa façon, traite de l’information, vit des tifiques ? Oui, dans le sens où la science reste
émotions, apprend, comme un cerveau non le moyen privilégié d’investigation des phé-
autiste – mais autrement. Nous soutenons nomènes biologiques (la psychanalyse n’a rien
qu’il s’agirait d’une différence d’organisation apporté à la compréhension ni à la prise en
cérébrale, et non d’une maladie, et que cette charge de l’autisme, ni en termes de pratique,
différence peut avoir, selon le contexte, des ni en termes de connaissance). Toutefois, cette
effets défavorables, mais aussi favorables, sur investigation reste bien imparfaite, parce que
l’adaptation du sujet au monde. nous ne pouvons étudier que le développe-
Il est probable que le « spectre autistique », ment, les performances et les substrats neu-
c’est-à-dire l’ensemble des personnes présen- ronaux des autistes n’ayant pas reçu une édu-
tant la plupart des caractères par lesquels on cation qui aurait optimisé leurs compétences.
définit cette condition, représente une popu-
lation considérable. Loin d’une prévalence
égale à 4 cas pour 10 000 personnes issues En Bref
des premiers travaux épidémiologiques
dénombrant les autistes, les chiffres avancés • Chez les autistes, l’organisation cérébrale, de la cellule jusqu’à
aujourd’hui avoisinent un pour cent. Plus la communication des régions entre elles, et surtout l’activité
des aires de la perception diffèrent.
encore, une étude coréenne récente a montré
qu’un individu peut répondre aux critères • Il conviendrait de respecter leurs modes d’apprentissage particuliers.
comportementaux de l’autisme tels que les • L’intégration des autistes dans la société soulève la question
définit la communauté scientifique, en étant de l’acceptation de la différence.

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En effet, ce que nous savons de la différence dire la connectivité anatomique entre régions
autistique vient de l’étude de personnes qui cérébrales, sont maintenant accessibles in vivo
n’ont pas eu accès à l’information et à la cul- grâce à la technique d’imagerie par tenseur
ture que leur cerveau peut traiter. de diffusion. On aurait pu penser que s’il y a
Prenons une analogie : les études que nous davantage de cellules, il y a aussi plus de fibres
faisons aujourd’hui du cerveau autistique, et pour les connecter, mais c’est apparemment
les conclusions que nous tirons sur leurs défi- l’inverse qui se produit. Le câblage axonal est
cits, risquent d’être aussi erronées ou partiel- nettement diminué, surtout entre les deux
les que si des anthropologues avaient tiré des hémisphères cérébraux, puisque le corps cal-
conclusions sur la suprématie des peuples leux (les fibres qui relient les deux hémisphè-
occidentaux à partir d’études cognitives réa- res) des autistes est en moyenne 15 pour cent
lisées sur les esclaves des plantations du plus petit que chez les sujets témoins.
XVIIIe siècle. On ne sait pas comment se com-
porteraient les autistes s’ils avaient accès, dès Une connectivité différente
leur naissance, à la bonne information.
Chez les autistes, le tissu cérébral, c’est-à- Ainsi, on observe une diminution de la
dire la substance grise – ou l’ensemble des connectivité anatomique. Par ailleurs, la
noyaux des neurones – et la substance blan- connectivité fonctionnelle, qui reflète les
che – c’est-à-dire les axones, ou prolonge- échanges d’information entre les régions céré-
ments, de ces neurones –, présente des dif- brales ayant une fonction distincte, est éga-
lement différente de celle des non-autistes.
On étudie cette connectivité fonctionnelle par
résonance magnétique fonctionnelle ou élec-
troencéphalographie : pour ce faire, on
observe si deux régions cérébrales différen-
tes sont ou non activées en même temps. Ces
études ont donné naissance à un modèle de
la différence de fonctionnement du cerveau
Fabienne Samson

autistique maintenant bien étayé, le modèle


de la sous-connectivité.
Ce dernier s’appuie sur le fait que les
1. Certaines aires cérébrales sont utilisées davantage par les autistes régions corticales impliquées dans une tâche
pour la reconnaissance de visages (en rouge), d’objets (en vert) et de mots (en donnée s’activent de façon moins simultanée
bleu) que par les non-autistes. chez un autiste que chez un non-autiste. C’est
pourquoi on le nomme aussi modèle de la
férences dont on commence à mesurer diminution de la synchronie corticale. Cette
l’ampleur. Elles sont présentes dans tout le constatation s’applique à de nombreuses
cerveau, même si leur expression varie selon régions, dans un même hémisphère ou entre
les fonctions et les composants. Les noyaux deux régions homologues des deux hémisphè-
des neurones sont plus petits et plus nom- res. Ces différences se manifestent dès l’âge de
breux. Dans certaines régions, on dénombre deux ou trois ans, dans les aires du langage.
plus de 60 pour cent de cellules de plus par En revanche, on constate, dans une même
rapport à un cerveau typique. La plus petite région fonctionnelle, une augmentation de la
unité fonctionnelle de la substance grise après connectivité locale. Toutefois, ces modèles ne
le neurone est la minicolonne. L’étude post parviennent pas à expliquer que les autistes
mortem du cerveau d’autistes montre que ces réussissent très bien des tâches qui requièrent,
minicolonnes sont plus rapprochées et com- chez le sujet non autiste, une excellente com-
posées de corps neuronaux plus petits que munication entre les aires cérébrales. Les dif-
dans un cerveau non autiste. Cette organisa- férences ne permettent donc pas d’expliquer
tion cellulaire expliquerait pourquoi l’infor- les déficits observés : les zones concernées s’ac-
mation perceptive des autistes, stockée dans tivent en IRM fonctionnelle, c’est-à-dire qu’el-
de telles minicolonnes, serait plus précise. les « font leur travail », même si elles ne le font
Les axones de ces neurones, qui forment pas comme chez un non-autiste. Dans l’au-
les faisceaux de substance blanche, c’est-à- tisme, différence ne signifie pas déficit.

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Une différence plus qu’une maladie

( Chez l’autiste, certaines aires cérébrales « font


leur travail », même si elles opèrent différemment :
ici, différence ne signifie pas déficit.
)
Il existe également des différences de spé- supérieurs, mais utilisaient des régions céré-
cialisation fonctionnelle des aires cérébrales, brales différentes pour réussir la tâche.
et on commence à les comprendre. On sait que Le cas du langage illustre à lui seul la diffé-
certains autistes ont des capacités visuelles rence autistique, dans sa richesse et sa singu-
exceptionnelles, et que les autistes en général larité. Le langage autistique pose d’ailleurs une
réussissent mieux les tâches visuo-spatiales énigme aux neuroscientifiques. Ils ont observé
(par exemple faire tourner mentalement une que certains autistes n’émettent pas un mot (un
forme ou reproduire une figure). Ces capaci- autiste sur dix ne parle pas ou quasiment pas),
tés reposent sur une redistribution des rôles alors que d’autres parlent un langage d’une
des régions cérébrales. Nous avons récemment perfection syntaxique inégalable et ne font
utilisé la méta-analyse quantitative ALE pour aucune faute d’orthographe. Dans les cas typi-
vérifier l’hypothèse d’une perception exacer- ques, les autistes ne parlent pas ou peu jusqu’à
bée dans l’autisme. Cette analyse regroupe l’âge de quatre ans, puis développent un lan-
26 études de neuro-imagerie où l’on présen- gage fait de répétitions plus ou moins reliées
tait des informations visuelles à 357 individus au contexte, et finissent par parler tard, de façon
autistes et 370 individus non autistes. Cette correcte, mais particulière, ou en présentant
approche permet de quantifier la probabilité des anomalies de langage (voir la figure 2).
que différentes régions cérébrales soient acti- Soulignons un autre fait étonnant : cer-
vées par telle ou telle tâche et d’identifier le tains des autistes les plus marqués, pendant
réseau cérébral associé à une tâche particulière. la période où ils ne peuvent communiquer
par le langage, présentent souvent une hyper-
Les aires de la perception lexie, c’est-à-dire une avance de plusieurs
années sur les autres enfants pour le déchif-
visuelle plus actives frage et la lecture. Cette capacité est associée
Nous avons trouvé une augmentation de à une recherche assidue de matériel écrit,
l’activité des zones du cerveau responsables alors que ces enfants ne communiquent pas
de la perception visuelle, et plus spécifique-
ment du gyrus fusiforme, essentiel à la recon-
naissance des visages et des objets. Ce résul- Langage acquis
tat permet d’expliquer plusieurs aspects du Enfant non autiste
Enfant autiste
mode de fonctionnement perceptif des autis- acquérant
Phrases à un,
tes, qui attribue de multiples aspects de l’au- puis deux mots un langage oral
tisme à une augmentation de l’efficacité et du Enfant autiste
rôle du traitement perceptif du monde (animé sans langage oral
et inanimé). Selon ce modèle, l’autisme n’est
pas un « désordre », mais une forme d’orga-
Raphael Queruel

nisation différente. En effet, le cerveau autiste


se caractérise par une activité supérieure dans
certaines régions cérébrales lors de la recon-
naissance des visages, des objets et des mots
(voir la figure 1). Cette spécialisation est effi- Un an Quatre ans Six ans
cace : sur les 26 études, les autistes présentaient 2. Le langage oral est acquis dès le début de la deuxième année par un
des résultats inférieurs au groupe contrôle enfant non autiste qui prononce quelques mots isolés.Vers trois ans, il forme
dans moins d’un quart des tests seulement. des phrases grammaticalement correctes. Au contraire, l’enfant autiste ne
Pour les autres études, ils se révélaient le plus parle pas avant trois ou quatre ans. Certains ne parlent jamais, d’autres
souvent égaux aux sujets contrôles et parfois finissent par rattraper leur retard.

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Bibliographie par le langage et ne comprennent pas ce qu’ils phie véridique orienterait spontanément les
lisent. Toutefois, ces mêmes enfants finiront autistes vers ce qui est structuré, par exem-
L. Mottron,
Changing perceptions : le plus souvent par parler correctement et ple l’écriture ou la musique plutôt que vers
The power of autism, comprendre ce qu’ils lisent. le langage oral, permettrait de mémoriser des
in Nature, Ainsi, les autistes acquièrent le langage correspondances terme à terme entre des
vol. 479 (7371), d’une façon singulière, mais qui peut être effi- structures et favoriserait l’activité scientifi-
pp. 33-35, 2011.
cace, et qui défie les lois du développement. que et le réalisme dans l’art.
F. Samson et al.,
Enhanced visual
C’est pourquoi nous recommandons, dans la
functioning in autism : prise en charge des enfants autistes, de suivre La société et la science
an ALE meta-analysis, leurs modes d’apprentissage particuliers (par
in Human Brain exemple, les exposer précocement à l’écrit)
face à la différence
Mapping, 2011.
plutôt que de leur faire suivre un parcours On tend souvent à associer différence (par
M. Dawson et al., développemental normal, ce qui est à la fois exemple, les signes d’autisme) et déficit, alors
Learning in autism,
in J. H. Byrne & douloureux pour eux, peu efficace et n’amé- que, selon notre collègue Michelle Dawson,
H. Roediger (Ed.), liore pas leur qualité de vie. être « plus autiste » ne signifie pas forcément
Learning and memory : Afin de mieux comprendre comment les être moins adapté. On mesure la réussite
A comprehensive autistes traitent l’information et le dialogue, d’une technique d’intervention à sa capacité
reference, Cognitive
Psychology, une étude a été réalisée sur plus de 1 000 d’en- à faire disparaître des signes d’autisme, et non
pp. 759-772, tre eux, de tous âges et de tous niveaux. Cette à sa capacité de faire progresser l’adaptation,
Elsevier, 2008. étude nous a convaincus que leur univers ce qui est à mon sens une grande erreur. En
L. Mottron et al., mental est profondément différent de celui conséquence, les techniques d’intervention
Enhanced perception des personnes typiques (si tant est qu’on précoce les plus élaborées ont une action à
in savant syndrome :
puisse faire de ce dernier groupe un ensem- peu près nulle sur l’adaptation. Mesurerait-
Patterns, structure and
creativity, in Philos. ble homogène). Ainsi, la place de l’imagina- t-on un programme éducatif pour les enfants
Trans. R. Soc. Lond B, tion semble fondamentalement différente. atteints d’un syndrome de Down à sa capa-
vol. 364(1522), L’univers mental des autistes paraît donner cité de rendre l’enfant « moins mongolien » ?
pp. 1 385-1 391, une importance plus grande au maniement Bien sûr que non. Et pourtant, on continue à
2009.
de matériel où le sujet est absent, alors que le faire pour l’autisme. Alors que l’on accepte
l’imagination typique tend à mettre en scène la différence pour le syndrome de Down ou
l’individu dans une sorte de « film dont on est la surdité non appareillable, il persiste pour
le héros ». De même, les attentes, les émotions l’autisme l’illusion que nous pouvons – et
et le langage paraissent moins déformer la per- surtout devons – réduire cette différence.
Les sociétés avancées ont une faible tolé-
rance à l’égard de la différence. Le harcèlement
On ne cherche pas à éduquer un enfant scolaire reste ainsi la difficulté majeure des
atteint d’un syndrome de Down pour autistes intégrés dans le système scolaire régu-
lier. Quant au monde du travail, il ne s’est pas
qu’il devienne « moins mongolien ». adapté à leur particularité. La demande de
Pourquoi vouloir réduire s’adapter à un monde majoritaire, fondée sur
une logique du plus grand nombre (vous
les spécificités des enfants autistes ? devez vous adapter à notre monde parce que
nous sommes les plus nombreux), est une
ception de la réalité, qui serait ainsi perçue logique guerrière, ou électoraliste. Elle ne
et mémorisée de manière plus véridique. devrait pas concerner les différences neuro-
Pourtant, il existe bel et bien une créati- biologiques qui existent dans la famille
vité autistique, qui s’exerce dans les arts aussi humaine. Une société ouverte devrait se
bien que dans la science. Nous avons émis reconnaître à ce que le plus grand nombre ne
l’hypothèse qu’un principe dit de cartogra- dicte pas ses priorités au moins nombreux, et
phie véridique joue un rôle important dans limite ce qui est exigé de ses membres pour
la créativité des autistes, aussi bien que dans les intégrer de plein droit, quels qu’ils soient.
certaines de leurs capacités exceptionnelles, Comprendre l’autisme, et rendre un autiste
telles que la mémorisation du jour associé à heureux, ayant accompli ses potentialités et
une date ou l’oreille absolue (la reconnais- contribué à la société ne consiste pas à réduire
sance des notes sans référence). La cartogra- sa différence, mais à lui trouver sa place. I

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