La Campanographie Francaise

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Eric Sutter

Président de la SFC

La campanographie française

Mars 2006

© Eric Sutter et SFC, 2006 Page 1 sur 6


A l'occasion du 80e anniversaire de la mort de Joseph Berthelé, décédé en mai 1926, et du 20e
anniversaire de la mort d'Henry Pouzargue, décédé en mai 1986, il nous a semblé opportun
de dresser un rapide panorama des travaux campanographiques menés en France jusqu'à
présent.

Que recouvre la campanographie ?


La campanographie est l'étude descriptive des cloches dans leur contexte géographique et
historique. L'étude descriptive peut être menée par le biais d'une observation in situ de la
cloche, elle peut s'appuyer et être complétée par une étude historique par le biais d'une
exploitation des documents ou textes d'archives. On parle d'exploration campanaire,
d'enquêtes campanaires, d'études campanaires…
Joseph Berthelé, l'un des pères fondateurs de la campanographie scientifique, estimait, dans
l'introduction du premier tome d'Ephemeris Campanographica, paru en 1910, qu'il convenait
de mener de front la campanographie ancienne et la campanographie moderne. "La première
relève de l'archéologie, la seconde appartient, au même titre que la campanographie
ancienne, à l'histoire des arts industriels et à l'histoire locale". Il y précisait que "La
campanographie ne comporte pas que des investigations épigraphiques. A l'épigraphie
proprement dite, à la paléographie des inscriptions, à l'étude des formules, etc. elle joint la
préoccupation de l'histoire industrielle et de l'histoire commerciale ; elle ne néglige pas la
petite chronique locale, non plus la biographie des ouvriers d'art".

Des auteurs de traités aux premiers campanographes


Des auteurs romains évoquent le rôle des cloches et plusieurs moines abordent l'usage
religieux des cloches dans les manuscrits du Moyen Age ou les incunables, mais les premières
études se rapportant aux cloches, à leur fabrication ou à leur usage, et ayant donné lieu à la
publication de monographies spécialisées, datent pour la majorité d'entre elles, du XVIIe
siècle.
Citons quelques unes de ces monographies : De Tintinnabulis, de Hyeronymus Magnus en
1608, De Campanis commentarius, de Angelo Rocca en 1612, De campanis (4e livre de
Harmonicorum libri,) de F.M. Mersenne, en 1636 ; Dissertatio historica de campanorum
materia et forma, de Bierstaedt en 1685 ; De tintinabulo Nolano, de Percichellius en 1693 ; il
y eut bien d'autres ouvrages ou "traités" publiés par la suite et ce, jusqu'à nos jours.
Néanmoins, il s'agit plus de "campanologie" que de campanographie au sens que nous lui
avons donné ci-dessus. Les descriptions d'ensembles campanaires localisés sous forme de
relevé systématique (de la date, des inscriptions, des décors, des dimensions…) apparaissent
essentiellement au XIXe siècle, dans la mouvance des études archéologiques concernant les
monuments et les objets ainsi que des premières préoccupations patrimoniales.
Citons ici quelques auteurs qui se sont plus particulièrement intéressés à l'objet campanaire :
- F. de Guilhermy publia une série de tomes (entre 1873 et 1883) consacrés aux
"inscriptions de la France du Ve au XVIIIe siècle" dont le tome III est plus
particulièrement consacré à l'épigraphie campanaire ;
- Baron Edmond de Rivières (1835-1909) a publié plus de cinquante articles d'études, de
glanures ou d'archéologies campanaires (entre 1861 et 1905) [1] ; il est considéré par
Joseph Berthelé comme "le doyen des campanographes français de la génération actuelle"
; il a plutôt travaillé sur les départements du sud de la France ;

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- G. Vallier, a compilé les inscriptions campanaires des cloches civiles et religieuses du
département de l'Isère (publié en 1886) ;
- Léon Germain de Maidy (1853-1927) [2], a publié de nombreux articles consacrés
principalement aux anciennes cloches lorraines et alsaciennes, mais aussi aux cloches de
plusieurs autres régions (entre 1885 et 1902 ;
- Henri Jadart, a publié plusieurs articles sur les cloches ardennoises (entre 1884 et 1903) ;
- Roger Rodiere, a travaillé essentiellement sur les cloches de Picardie et d'Artois (entre
1883 et 1934) ;
- Le docteur Billon (1812-1864), a travaillé sur les cloches normandes (publications parues
entre 1860 et 1867) ;
- Dieudonné Dergny, a travaillé sur les cloches du pays de Bray (publication d'un ouvrage
en deux tomes en 1863) ;
Citons aussi les contemporains de Joseph Berthelé (mais qui se sont en général focalisés sur
un territoire plus restreint) :
- Léon Planquart a travaillé sur la région de Pontoise et sur le Vexin (entre 1896 et 1922) ;
- L'abbé André Leclerc, a publié de nombreuses études campanaires concernant le diocèse
de Limoges (entre 1900 et 1927) ;
- C. Porée s'est surtout focalisé sur les cloches de l'Yonne (entre 1911 et 1917) ;
- A. Boquet a travaillé sur les cloches de Paris (entre 1917 et 1919) ;
- L'abbé Nanglard a travaillé sur les cloches du diocèse d'Angoulême (entre 1913 et
1922);
- L.-B. Riomet a publié de nombreux articles sur les cloches de l'Aisne et de la Thiérache
(entre 1895 et 1938).

Joseph Berthelé et son oeuvre


Une place particulière revient en effet à cet archiviste du fait de l'ampleur de la collecte de
données concernant les cloches anciennes et modernes de plusieurs régions françaises et de
l'ampleur des publications.
Joseph Berthelé [3], après avoir achevé ses études à l'Ecole des Chartes, fut nommé en 1881
archiviste du département des Deux-Sèvres. Sa parfaite connaissance des richesses
archéologiques et monumentales du Poitou l'amena, entre autres, à s'intéresser à l'objet
campanaire. La seconde partie d'un ouvrage très remarqué à l'époque, publié en 1890 sous le
titre "Recherches pour servir à l'histoire des arts en Poitou" est entièrement consacré aux
cloches et aux fondeurs qui ont exercé leur industrie dans la région. En 1891, il fut nommé
archiviste du département de l'Hérault. Il y mena une activité débordante, publia de nombreux
répertoires et articles, enseigna la paléographie et la diplomatique à la faculté des Lettres de
Montpellier, participa aux réunions de nombreuses sociétés savantes. Sa curiosité le ramenait
souvent vers la campanographie. Selon Emile Bonnet, "Les problèmes épigraphiques et
historiques que beaucoup de cloches soulevaient, les particularités de leur décoration et de
leur technique, les très curieux contrats auxquels elles avaient donné lieu, les circonstances
de leur fonte, la vie nomade de leurs artisans l'incitèrent à réunir les éléments d'une étude
approfondie de l'histoire de l'art campanaire. Il conçut le projet d'écrire un traité dogmatique
sur la matière. Il ne put réaliser ses intentions mais grâce à ses laborieuses enquêtes et à ses

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pérégrinations à travers toute la France, il était parvenu à constituer une documentation
considérable dont il a fait généreusement bénéficier le monde de l'érudition". Il publia
successivement : Enquêtes campanaires (1903), Mélanges (1906), l'Exploration campanaire
du Périgord (1907), les Archives campanaires de Picardie (1911), Anciens textes campanaire
de l'Hérault (1914) et des dizaines d'articles… Mais son œuvre la plus considérable fut la
création en 1910 de la revue Ephemeris Campanographica. Il en fut le créateur, l'éditeur et le
seul rédacteur. Sa publication fut interrompue comme celle de tant d'autres ouvrages par la
guerre de 1914, guerre qui le frappa de prés en lui enlevant un fils aimé. Il décéda à
Montpellier le 12 mai 1926.

Les campanographes contemporains


De nombreux érudits, archéologues, historiens, architectes, prêtres, passionnés… ont
poursuivi l'œuvre entrepris par leurs aînés, couvrant de nouveaux territoires ou actualisant les
études antérieures, du fait de nouvelles explorations ou des bouleversements apportés par les
guerres. Il n'existe pas de "campanographes" professionnels permanents. C'est une activité
essentiellement bénévole (hormis les commandes de l'Etat limitées dans le temps ou l'activité
campanologique des techniciens-conseils) même si elle occupe parfois une bonne partie de la
vie. Parmi ceux qui ont fait un travail suivi et d'une certaine ampleur territoriale, il nous faut
citer, sans être exhaustif, :
- R.S. Bour a fait un travail important sur les cloches de la Moselle (édité en deux gros
volumes entre 1947 et 1951
- Paul Barrau de Lorde a travaillé sur les cloches du Comminges, des alentours de
Toulouse (entre 1928 et 1956) ;
- Pierre Noël a inventorié les cloches, canton par canton, de la majeure partie du territoire
de la Seine-et-Marne (travaux publiés entre 1936 et 1976) ;
- Louis Janvier (1934-1984) a dressé un inventaire des cloches antérieures à la Révolution
encore existantes dans le département du Var (publié en 1980), aidé par Serge Porre.
- Bien que son travail n'ait pas donné lieu à publication car inachevé au moment de son
décès, il nous faut citer Henry Pouzargue (1930-1986) ; c'est lui qui a véritablement
relancer dans les années 80 la campanographie française, en complément de l'Inventaire
général des richesses artistiques et culturelles de la France mené par le ministère de la
Culture, en tentant de coordonner les initiatives individuelles et d'apporter une
méthodologie cohérente d'inventaire, prenant en compte la dimension musicale de la
cloche. C'est lui qui a créé la Société française pour la protection du patrimoine
campanaire (SFPPC), devenue en 1987 la SFC.
- L’Abbé Joseph GIRY, qui a publié en 1982 « Les cloches de l’Hérault ante 1792 »
- Lionel Ollivon a parcouru les clochers du département des Yvelines pour inventorier les
cloches d'églises actuellement en place (résultats publié en 1993) ;
- Le chanoine Bernard Craplet a répertorié les cloches du département du Puy-de-Dôme
(publié en 1995) ;
- La Société d'Histoire et d'archéologie de Lorraine a publié en 2004 un volumineux recueil
campanographique couvrant l'arrondissement de Sarrebourg ;
- Régis Singer a commencé par répertorier de façon systématique et quasi exhaustive les
cloches civiles et religieuses de Paris intra muros (liste publiée en 1993) puis a initié un

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travail similaire pour le département des Hauts-de-Seine (repris et achevé par Jean-Pierre
Franc en 2003) et d'autres départements ; il œuvre aussi sur le patrimoine campanaire des
cathédrales. Un travail d'étude campanographique, bien que non publié, est également fait
au fil des dossiers de restauration de cloches classées ou en vue du classement de cloches
anciennes, par Eric Brottier, technicien-conseil auprès du ministère. Il en est de même de
la part de quelques campanistes et professionnels de l'installation campanaire qui ont pu
mettre au propre leurs "notes de travail" (par exemples, les relevés de Jean Simon, liste
publiée en 2003) ;
- Du côté des services du ministère de la Culture, le "programme d'inventaire national des
cloches et ensembles campanaires" s'est concrétisé par des résultats limités, faute de
financement, à trois régions et, parfois, aux seuls grands ensembles campanaires : Rhône-
Alpes en 1994, Nord-Pas de Calais en 1997, Languedoc-Roussillon en 2000.
Nous ne retenons ici que les travaux ayant une certaine ampleur géographique (un ou
plusieurs diocèses ou départements) ; à côté de cela, il existe de nombreux auteurs d'études
locales se limitant à un édifice, une ville (Lille, Nantes…), un canton ou un arrondissement.
Citons toutefois l inventaire des carillons de France réalisé par Henri Garnier et publiée 1985.
Mention, enfin, doit être faite du travail de compilation effectué par la SFC à travers son
fonds documentaire et la constitution d'une base de données campanographiques,
malheureusement pas encore accessible en ligne.

Les travaux sur les fondeurs de cloches


Le travail d'étude campanographique d'une cloche conduit le campanographe à s'intéresser à
l'artisan fabricant, au fondeur de cloches. Certains s'impliquent dans l'étude généalogique ou
itinérante, voire migratoire, des fondeurs de cloches et sont amenés à publier des
monographies sur les fondeurs de cloches ayant exercé au cours d'une période donnée ou sur
un territoire donné. Citons les travaux de Louis Ausseil sur les fondeurs ayant exercé leur art
en Roussillon, Roger Douche, qui a publié plusieurs études généalogiques sur les fondeurs de
cloches originaires du Bassigny, les travaux de l'abbé Jean Salmon également sur les fondeurs
du Bassigny et l'imposant dictionnaire des fondeurs de cloches d'Henry Ronot, publié en 2001
et dont l'œuvre continue d'être enrichie par Maurice Thouvenin. Il faut mentionner aussi le
développement par la SFC de la base de données biographiques qui permet notamment
l'édition d'un répertoire des fondeurs de cloches ayant exercé en France depuis le Moyen-Age.

De la campanographie à la campanologie
L'approche campanographique est essentiellement descriptive : description dimensionnelle,
description épigraphique et décorative, contextualisation historique de la commande, de la
fabrication et de l'installation de la cloche, voire la répartition géographique de la production
des fondeurs. Elle restreint quelque peu la cloche à sa dimension patrimoniale : elle est
antiquité et objet d'art, objet métallique statique et isolé de son environnement technique et
musical. Elle est principalement le domaine des archéologues, des historiens, des archivistes.
La campanologie élargit le champ d'étude et prend en considération la dimension acoustique
et musicale de la cloche, les considérations techniques d'installation et architecturales, son
rôle social et les usages, les règles, le langage et la dimension ethnographique, la symbolique
de la cloche et sa représentation dans l'imaginaire, les études comparatives. La territorialité
n'est plus dominante et les instruments d'étude vont au-delà de l'objet observé de l'extérieur ou
de la lecture du texte. Le matériel technique d'analyse et la science sont mobilisées, comme

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les connaissances musicologiques et ethnographiques. L'esthétique et le paysage sonore sont
évoqués. L'approche devient multiforme et pluridisciplinaire, parfois transverse, ce qui rend
difficile le positionnement de la campanologie dans le découpage académique traditionnel.
L'étude campanologique prend donc en compte l'objet patrimonial et ses caractéristiques
campanographiques mais aussi son contexte technique et musical, elle s'intéresse à l'objet
dynamique et sonore, au joug et aux accessoires de suspension, de frappe ou de mise en
mouvement, aux incidences vibratoires sur le beffroi et l'architecture, à la qualité acoustique
de la cloche, à la consonance entre les cloches d'un même ensemble ou avec des ensembles
campanaires proches géographiquement, inscrivant la cloche dans le paysage sonore de la
cité, prenant en considération les usages et le langage associés à la sonnerie. L'art campanaire
n'est plus seulement technique, mais aussi musical. Le campanologue est musicologue.
L'objet quitte en quelque sorte le musée pour retrouver son rôle d'instrument de
communication ou de concert. Ceci s'est concrétisé à la fin des années 1980 par un
changement d'affectation de la Commission des Affaires culturelles chargée d'examiner le
classement des cloches anciennes ou remarquables. Plus récemment, la campanologie a fait
son entrée à l'université.
On doit beaucoup au chanoine Jean Ringue, de Strasbourg, dans le développement de la
campanologie française moderne puis à Eric Brottier, initiateur des premières journées
nationales de campanologie de Chalons-en-Champagne en 1989. Citons également le travail
d'Alain Jouffray sur la symbolique et l'approche transverse et universelle de l'art campanaire.
Il faudrait situer tous ces travaux français par rapport à ce qui a été fait dans d'autres pays
comme l'Allemagne, les Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas, l'Angleterre… pour ne citer que
quelques exemples de pays qui ont été précurseurs en matière d'inventaires
campanographiques (nous pensons aux volumineux atlas campanaires publiés en Allemagne
mais aussi en Angleterre) ou de campanologie (études ou ouvrages de Percival Price, de Kurt
Kramer, d'André Lehr…). Ce sera l'objet d'une autre étude.

(manuscrit reçu en mars 2006)


Références :
(1) Le baron de Rivières. Biographie et bibliographie/ Joseph Berthelé in Ephemeris
Campanographica, fasc IV 1911, p 297-315
(2) Bibliographie de Léon Germain de Maidy, précédée d’une notice biographique./
Chenut des Roberts.- Ed. port, 1929
(3) Joseph Berthelè (1858-1926). Notice nécrologique./ Emile Bonnet, 1928 . Cette
notice couvre les travaux de Berthelé qui intéressent Montpellier et le Languedoc. La
nomenclature des œuvres de Berthelé relatives au Poitou, à la Saintonge et à la
Champagne a été publiée par Alphonse Farault dans Bulletin de la Société historique
et scientifique des Deux-Sèvres (tome IV, 1922-1925, pp 460-481)

(article paru dans Patrimoine Campanaire. Revue francophone de campanologie, n° 52, mai-
août 2006)

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