Boris Barraud, La République Révolutionnaire
Boris Barraud, La République Révolutionnaire
Boris Barraud, La République Révolutionnaire
manuscrit de l’auteur
La présente étude est une analyse juridique, apolitique, objective et critique des deux
premières Constitutions républicaines à avoir succédé à la Révolution française et à
l’abolition, en 1792, de la monarchie. À l’aune des enseignements permis par plus de deux
siècles d’histoire constitutionnelle, sont soulignés les moments de lucidité et d’égarement
institutionnels qui ont marqué ces textes ainsi que leurs contextes, leurs esprits et leurs
réalités. Chacun apparaît, sous certains aspects, moderne, mais aussi, sous de nombreux
autres, archaïque, que ce soit dans sa lettre ou dans sa pratique. Cela ne retire évidemment
rien au fait que la décennie 1790 est le moment le plus fondateur (en ce qu’il est premier)
de l’histoire moderne du droit public, donc le plus infiniment digne d’intérêt.
Révolution française ; Première République ; Constitution de l’an I ; Constitution de
l’an III ; démocratie ; séparation des pouvoirs
1
J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, 2006, p. 3.
1
Constitution de 1791, Constitution de 1793, Constitution de l’an III ou du Directoire, Constitution de l’an
VIII ou du Consulat décennal, Constitution de l’an X ou du Consulat à vie, Constitution de l’an XII ou de
l’Empire, Constitution sénatoriale de 1814, Charte de 1814, Acte additionnel aux Constitutions de
l’Empire, Charte de 1830, Constitution de 1848, Constitution de 1852, lois constitutionnelles de 1875,
Constitution de 1946 ou de la IVe République, Constitution de 1958 ou de la Ve République. Certains de
ces textes n’ont jamais été appliqués (Constitution de 1793 ou Constitution de 1814), mais, dans le même
temps, plusieurs régimes politique ont fonctionné sans Constitution. Le Comité de Salut public en est le
meilleur exemple, avec le gouvernement de Défense nationale de 1870.
2
M. Duverger, Les Constitutions de la France, Paris, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2004, 15e éd., p. 34.
3
Le contrexemple parfait est évidemment celui des États-Unis dont la Constitution date de 1787.
1
Cité par J.-M. Pontier, La République en France, Paris, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1998,
p. 89.
2
À l’époque, c’était le fait qu’il soit masculin qui ne se discutait pas.
3
Sur ce point, il semble d’ailleurs que la guerre d’indépendance américaine ait été à l’origine de ces
évènements non pas tant en propageant un idéal de droit et de démocratie qu’en asséchant les finances de
l’État. L’intervention française en Amérique (1779-1783) aurait coûté trois fois le budget de l’époque
d’après l’estimation donnée par A. Leca, Les Métamorphoses du droit français. Histoire d’un système
juridique des origines au XXIe siècle, Paris, Lexis Nexis, 2011, p. 238.
4
Rousseau en écrit ainsi une pour la Corse (1768) puis pour la Pologne (1771).
5
Voir A. Cabanis, M. Martin, Histoire constitutionnelle de la France de la Révolution à nos jours, Paris,
LGDJ, coll. « Systèmes », 2000, pp. 38 sq.
6
E.-J. Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ?, Paris, 1789.
1
Voir Cons. const., déc. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7
de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.
2
Voir M. Duverger, Les Constitutions de la France, op. cit., pp. 38-39.
1
Après de longues discussions, le bicamérisme, défendu notamment par Mirabeau, a été rejeté, sans doute
par crainte d’une reconstitution des privilèges au profit des membres de la Chambre haute. Voir L. Jaume,
M. Troper (dir.), 1789 et l’invention de la Constitution, Paris, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1994,
p. 29.
2
Seuls ont le droit de vote les citoyens actifs, c’est-à-dire payant une contribution égale à la valeur de trois
journées de travail. Ils se réunissent au chef-lieu de canton pour désigner les électeurs de second degré,
lesquels doivent être propriétaires, locataires ou fermiers d’un bien dont le revenu dépasse cent journées
de travail. Puis, ces derniers désignent les députés.
3
L. Jaume, M. Troper (dir.), 1789 et l’invention de la Constitution, op. cit., p. 29.
4
Ce veto n’est que suspensif. Il vaut pour la durée de deux législatures, soient quatre ans. Mais cette durée
reste exorbitante.
5
Sur ce point, Maurice Duverger écrit : « C’est là une loi commune à toutes les monarchies limitées :
l’équilibre qu’elles se flattent d’établir, entre une tradition monarchique qui s’estompe et une poussée
démocratique qui s’accroît, est vite rompu au profit de cette dernière. Le monarque a le choix entre la
perte de son pouvoir ou la disparition de sa personne ». Les Constitutions de la France, op. cit., p. 34.
1
Il est permis de penser que cette date occupe, avec d’autres (les 17 et 20 juin 1789 par exemple), une
place plus importante dans l’histoire de France que le 14 juillet 1789, pourtant devenu fête nationale.
2
En 1806, Napoléon Ier rétablira le calendrier grégorien.
3
C’est à ce moment que l’opposition entre girondins et montagnards atteint son paroxysme, que se forme
une coalition quasi européenne contre la France, que le général Dumouriez trahit la patrie, que les troupes
françaises évacuent la Belgique et, surtout, que la Vendée se soulève.
1
Et la Deuxième République ne sera qu’une brève parenthèse ; elle ne durera que quatre ans, quand le
Second Empire lui succèdera pour près de vingt années.
1
D. Berthiau, Histoire du droit et des institutions, Paris, Hachette, coll. « Les fondamentaux », 2011, p.
121.
2
« Droits » avec un « D » majuscule, mais « homme » sans « H » majuscule. De là à imaginer que les
femmes sont exclues de ces prérogatives, il n’y a qu’un pas.
1
J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 75.
1
Sur ce point, sans doute le vote obligatoire (l’abstention constituant alors une infraction) que connaissent
certains pays parmi les plus démocratiques est certainement source d’aberrations électorales dès lors que
la voix du citoyen éclairé pèse autant que la voix du « citoyen » qui vote au hasard ou qui s’est mis
d’accord avec d’autres « citoyens », sur un réseau social, pour influencer le résultat du scrutin dans un
sens surprenant.
1
La démocratie perce jusqu’au cœur de la justice. Ainsi, les juges de paix et les arbitres publics sont élus
par les citoyens tous les ans (art. 88 et 95). À noter également que la Constitution prévoit l’ancêtre direct
de l’actuelle Cour de cassation : « il y a pour toute la République un Tribunal de cassation [qui] ne
connaît point du fond des affaires. Il prononce sur la violation des formes et sur les contraventions
expresses à la loi » (art. 98 et 99). Concernant le pouvoir judiciaire, il faut relever cette dernière
disposition qui, en 1793 – temps où la loi du talion n’a pas totalement disparu –, n’est pas anodine : « Le
code des lois civiles et criminelles est uniforme pour toute la République » (art. 85).
2
Voir A. Mathiez, « La Constitution de 1793 », Annales historiques de la Révolution française, 1928, t. 5,
p. 497.
1
Voir R. Dupuy, Nouvelle histoire de la France contemporaine. La République jacobine : Terreur, guerre
et gouvernement révolutionnaire. 1792-1794, t. 2, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 2005, p. 178.
2
Le Comité de salut public est normalement dépendant de la Convention, car ses membres sont élus par
elle pour un mois ; mais, en pratique, les députés réélisent chaque mois les mêmes et entérinent toutes
leurs décisions. Voir R. R. Palmer, Le Gouvernement de la Terreur : l’année du gouvernement de salut
public, Paris, Armand Colin, 1989.
1
Voir O. Le Cour Grandmaison, Les constitutions françaises, Paris, La Découverte, coll. « Repères »,
1996, pp. 36-37.
2
Voir la contestation, in fine de cette étude, du fait que le Consulat puisse être qualifié de régime
républicain, malgré son caractère officiellement républicain.
1
Ce qui va tout de même aboutir à la nomination, le 3 avril 1795, d’une commission « chargée de la
confection des lois organiques qui doivent mettre en activité la constitution démocratique de 1793 ». Mais
les membres de cette commission démissionnent deux semaines plus tard.
2
Voir M. De Guillenchmidt, Histoire constitutionnelle de la France depuis 1789, Paris, Economica, 2000,
p. 21.
3
J. Brasseul, Histoire des faits économiques et sociaux. De la Révolution industrielle à la Première Guerre
mondiale, t. 2, Paris, Armand Colin, 2004, 2e éd., p. 23. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il existe un
lien de causalité entre ces deux chiffres.
1
M. Duverger, Les Constitutions de la France, op. cit., p. 47.
1
Et, en vertu de l’article 364, nulle association ne peut présenter de pétition aux autorités publiques.
2
Toutefois, l’article 52, qui prohibe le mandat impératif, en appelle à la nation : « Les membres du Corps
législatif ne sont pas représentants du département qui les a nommés, mais de la Nation entière ».
3
De plus, il n’est plus question de droit de vote ou d’accès à la citoyenneté des étrangers.
4
Cité par J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 95.
5
Cité par J. Godechot, Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 96.
1
Cité par M. Duverger, Les Constitutions de la France, op. cit., p. 49.
1
Concernant le pouvoir judiciaire, la Constitution prévoit pareillement que « l’ascendant et le descendant
en ligne directe, les frères, l’oncle et le neveu, les cousins au premier degré et les alliés à ces divers degrés
ne peuvent être simultanément membres du même tribunal » (art. 207).
2
De même, est prévu que « les fonctions de président et de secrétaire ne peuvent excéder la durée d’un
mois, ni dans le Conseil des Anciens, ni dans celui des Cinq-Cents » (art. 61).
3
Sans encore être exhaustif, il peut également être ajouté que si le Directoire dispose de la force armée,
« en aucun cas le Directoire collectivement, ni aucun de ses membres ne peut la commander, ni pendant
le temps de ses fonctions, ni pendant les deux années qui suivent immédiatement l’expiration de ces
mêmes fonctions » (art. 144) ; ou que si le Directoire nomme les généraux en chef, « il ne peut les choisir
parmi les parents ou alliés de ses membres » (art. 146).
4
La Haute Cour de justice se réunit seulement lorsque le Conseil des Cinq-Cents en proclame la formation.
Elle est formée de cinq juges du Tribunal de cassation choisis selon une procédure complexe, et de hauts-
jurés élus par les assemblées électorales départementales. C’est ici l’occasion de préciser, dans ses
grandes lignes, quel est le sort réservé au pouvoir judiciaire dans la Constitution de 1795. Afin qu’il soit
entièrement indépendant, les juges demeurent élus directement par les citoyens. Au sommet de l’ordre
juridictionnel, le Tribunal de cassation est donc maintenu. Il ressemble de plus en plus à l’actuelle Cour
de cassation, en tout cas en ce qui concerne son rôle. Ainsi, l’article 255 de disposer : « Le Tribunal de
cassation ne peut jamais connaître du fond des affaires ; mais il casse les jugements rendus sur des
procédures dans lesquelles les formes ont été violées, ou qui contiennent quelque contravention expresse
à la loi ». En revanche, n’est prévu aucun organe chargé de juger de la constitutionnalité des lois.
1
Notamment, l’article 328 de la Constitution dispose qu’ « en cas d’hostilités imminentes ou commencées,
de menaces ou de préparatifs de guerre contre la République française, le Directoire exécutif est tenu
d’employer, pour la défense de l’État, les moyens mis à sa disposition ».
1
Si le lecteur en a le temps, il pourra encore méditer cette dernière disposition qui se propose de rendre
certains nationaux apatrides du jour au lendemain : « Tout citoyen qui aura résidé sept années
consécutives hors du territoire de la République, sans mission ou autorisation donnée au nom de la nation,
est réputé étranger » (art. 15).
1
Voir G. Lefebvre, Le Directoire, Paris, Armand Colin, 1971, passim.
2
On trouve ainsi Carnot à la guerre, Barras à la police, Letourneur à la marine, La Revellière à l’instruction
publique et Rewbel à la justice, aux finances et aux affaires étrangères.
3
Voir M. Duverger, Les Constitutions de la France, op. cit., p. 49.
4
Expression empruntée évidemment au titre de l’essai de François Mitterrand, publié en 1964 aux éditions
Plon.
5
Pourtant, la même situation se retrouvera avec la Constitution de 1848 et la IIe République. Elle conduira
directement au coup d’État du futur Napoléon III. Voir D. Berthiau, Histoire du droit…, op. cit., p. 123.
1
Le premier (18 Fructidor an V) est provoqué par ces élections réactionnaires de 1797. Le Directoire prend
l’initiative des opérations en faisant occuper les palais des Conseils par les troupes de Bonaparte. Les
Conseils annulent les élections de 49 départements, tandis que deux directeurs trop modérés, Carnot et
Barthélémy, sont décrétés de déportation aux côtés de 63 députés. L’année suivante, les jacobins
remportent les élections ; le Directoire obtient alors des membres non renouvelés des Conseils une
résolution annulant 150 élections (22 Floréal an VI). Ces deux atteintes successives à la souveraineté
nationale – ou citoyenne – valent aux directeurs une écrasante impopularité. Les élections de 1799 se font
contre eux, et les membres non rééligibles des Conseils ne les annulent point. Cette fois, ce sont les
Conseils renouvelés qui prennent l’initiative du coup d’État et le Directoire qui en subit les
conséquences : les députés attaquent pour inconstitutionnalité l’élection de Treilhard comme directeur de
l’année précédente et forcent deux autres directeurs (Merlin de Douai et La Révellière-Lépeaux) à
démissionner (30 Prairial an VII).
*
* *
1
Est néanmoins prévu que le texte serait « offert de suite à l’acceptation du peuple français » (art. 95).
Mais, sans attendre ce « plébiscite », elle est mise en application. Le scrutin se déroulera par inscription
sur registres et non par vote à bulletins secrets, ce qui marque un recul démocratique et augure des
évènements à venir durant les premières années du XIXe siècle.
2
D. Berthiau, Histoire du droit…, op. cit., p. 117.
1
Voir J.-M. Pontier, La République en France, op. cit., pp. 8-12.
2
Voir A. Leca, Les Métamorphoses du droit…, op. cit., p. 235.
3
Évidemment, observée depuis l’an 2013, la Première République peut prêter à sourire. Toutefois, loin de
l’auteur de ces lignes l’idée qu’il aurait, en 1793 ou 1795, proposé un bicamérisme et un bicéphalisme
semblable à celui de la future Ve République. À cette époque, il aurait été monarchiste, jacobin ou
girondin, mais sûrement pas gaulliste, giscardien ou mitterrandiste. La critique n’a de sens qu’à condition
de se vouloir constructive et de ne pas exister que pour elle-même.
4
J.-M. Pontier, La République en France, op. cit., p. 2.
5
Ibid., p. 139.