L'homme Du XXe Siecle Et Son Esprit

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L'AUBE DE LA PSYCHOLOGIE

Selon une attitude qui relève de la sagesse propre au sens commun, pour
savoir ce qu'un mot veut dire, on s'imagine qu'il suffit de connaître par-
faitement son étymologie. Le terme de psychologie se comprendrait dès
lors simplement par la décomposition rigoureuse de ses composants.

Comme la caractérologie, la graphologie, la méthodologie, elle est tout


d'abord logie, ou logos, c'està-dire science. Mais elle est science d'un
quelque chose de particulier et qui ne se rencontre jamais dans la nature,
au niveau des choses ou même, à celui des plantes. La psychologie est
science de l'Ame, c'est-à-dire de ce je-ne-sais-quoi qui est loin detre un
presque rien mais qui se trouve comme une essence subtile et échappant
à toute mesure, à l'intérieur de l'homme, et pour certains, à des degrés
moindres, à l'intérieur de I'animal.

Tout au moins telle est la définition première de la psychologie, même si,


et nous aurons I'occasion de le voir largement, la psychologie, aujourd'hui
se définit bien autrement, soit à la lumière du comportement ou de
l'action, soit comme science des réactions, soit dans l'étude des activités,
de toutes les activités, de l'être humain.

LE PERE DE LA PSYCHOLOGIE : ARISTOTE

En dehors d'une description de type strictement religieux ou poétique, la


psychologie, en tant que science de l'âme, se trouve définie dans I'histoire
de la pensée occidentale dès l'oeuvre d'Aristote.

Ce philosophe grec, au IVè siècle av. J.-C., a consacré à l’âme, un traité en


trois livres qui rattache le problème psychologique à une conception
générale du monde. Pour lui, la réalité est le résultat d’un mouvement de
la matière vers la forme, c’est l’acte, c’est-à-dire I’être visant à son plein
achèvement, atteignant la réalisation parfaite par opposition à la
puissancequi elle, n’est qu’une possibilité de l’être d’atteindre à la réalité
effective.

Pour Aristote, I'âme serait la forme d'un corps naturel qui possède la vie
en puissance. Elle est enteléchie, c'est-à-dire principe actif d'un corps
naturel organique. Pour le penseur grec, il y a des degrés de l'âme, des
différentes fonctions: la fonction végétative, qui anime les plantes, la
fonction sensitive qui se trouve de surcroît chez les animaux, et enfin, la
fonction intellectuelle qui s'ajoute chez l'homme aux deux autres.

Sans rentrer dans une analyse de détails de l'euvre d'Aristote, il est aisé
de remarquer qu'une telle approche de l'âme renvoie tout de même plus à
une métaphysique fondée sur le problème de l'union de l'âme et du corps
que sur une analyse concrète et objective des comportements humains et
de leurs causes. Cependant, une telle vision métaphysique se perpétuera
jusqu'à l'orée du XIX° siècle.

DESCARTES ET L'ANALYSE DES PASSIONS

Cette vision d'un dualisme fondamental fondé sur la distinction du haut et


du bas, du bien et du mal, du spirituel et du diabolique, de l'âme et du
corps continue à marquer la réflexion de Descartes. Bien entendu de cet
auteur, on a l'habitude de retenir essentiellement avec le Discours de la
Méthode, écrit dans la première moitié du XVIle siècle, la formule du
cogito:

« Je pense donc je suis, mais que suis-je, je suis une chose qui pense ».

Mais Descartes n'est pas seulement un philosophe soucieux de réflexion


métaphysique. Certes il écrit des Méditations Métaphysiques, où il tente
d'accorder raisonnement rationaliste et révélation de la foi. Mais il est
aussi homme d'action, mathématicien et biologiste. De là, un goût
prononcé pour l'observation sinon l'expérimentation. Aussi Descartes dans
son Traité des Passions, publié en 1649 à l'intention de la Princesse
Elisabeth, fille de l'Electeur Palatin Frédéric V, et avec laquelle il
entretenait une active correspondance, approche le problème de la
psychologie en réfléchissant sur la nature et l'existence des passions. Là
encore, cet écrit philosophique ne se comprend que par rapport à une
métaphysique d'ailleurs parfaitement explicite, fondée sur la distinction
de l'âme et du corps et tentant de résoudre le problème des rapports
entre l'âme et le corps. Les passions dont Descartes s'efforce de faire une
classification selon six passions primitives, sont considérées comme un
mécanisme psychophysique. Elles sont des perceptions, des sentiments,
des émotions rapportées à l'âme grâce à cette glande pinéale logée dans
le cerveau et qui sert en quelque sorte de pont entre l'âme et le corps.

Comme on le voit, I'oeuvre psychologique de Descartes n'a pu résister au


temps, en ce que son ceuvre, aussi avancée pour son temps soit-elle,
reste prisonnière d'une idéologie religieuse. Mais ça et là dans son ceuvre
et par la même où il fonde ses réflexions sur une expérience, on trouve
des formulations qui seront plus tard considérées comme de géniales
prémonitions. Telle est la remarque faite dans une lettre du 18 mars 1630
au Père Mersenne : « Si on avait bien fouetté un chien cing ou six fois au
son du violon sitôt quil ouïrait une autre fois cette musique, il
commencerait à crier et à s'enfuir ». Ce qui, sans exagération, annonce
avec deux siècles d'avance, la notion de réflexe conditionnel. Ce sera le
mérite de Pavlov et de son école d'inventorier scientifiquement, avec les
moyens dont Descartes lui-même ne pouvait se faire une idée, les
modalités de notrerapport avec le monde.

LE PSYCHOLOGUE ET LES SENSATIONS : CONDILLAC

Progressivement, et notamment sous l'influence de l'Angleterre, partie


depuis longtemps avec sa flotte à la conquête du Monde, la pensée occi-
dentale va s'ouvrir au monde. Au dualisme traditionnel de l'âme et du
corps, va se substituer le couple l'homme et la nature. La clé de
l'explication de l'homme ne se situe plus en lui, mais hors de lui. C'est le
monde extérieur qui nous forme et nous révèle à nous-même.

Aussi, ne doit-on pas s'étonner de voir le XVle siècle français tenter une
approche plus systématique sinon plus concréte de l'origine de nos
sentiments et de nos idées. On doit essentiellement ce mouvement à
l’Abbé Etienne Bonnot de Condillac, tout à la fois theologien, homme de
science et philosophe. C'est son ceuvre, aussi bien l'Essai sur l'Origine des
connaissances humaines (1746) que son Traité des Sensations (1754) qui
fonde systématiquement pour la France l'empirisme philosophique.
S'inspirant du Français François de Fontenelle et de l'Anglais John Locke, il
considère la sensation et la rétlexion comme les deux sources de
l'expérience. La perception sensible des objets constituant l'acte premier
de la connaissance. Le grand mérite de Condillac est d'avoir tenté de
substituer à une approche métaphysique, une approche fondée sur
l'observation, sur l'expérience, sur l'usage d'une méthode propre auX
mathématiques et à la physique.

On trouve dans ses ceuvres, une description de l'histoire probable de


l'humanité. Vraisemblablement, dit Condillac, les hommes s'exprimèrent
d'abord au moyen de gestes et de mouvements du corps jusqu'au
moment où ils imitèrent les bruits de la nature, puis ils firent usage de
sons articulés désignant les objets.

Quant à l'erreur, elle réside dans I'habitude de raisonner sur des choses
dont nous n'avons pas une idée précise. Pour raisonner juste, il faut
reprendre nos idées à leur origine, c'est-à-dire remonter aux sensations
qui sont liées au voir et au sentir.

Un tel point de vue typiquement empiriste, puisqu'il fait à la sensation la


part déterminante dans la formation de nos connaissances, trouvera son
expression achevée dans la fable mythigue du Traité des sensations.

Pour mieux faire comprendre son point de vue et pour tenter d'esquisser
une histoire théorique de la formation de nos sentiments et de nos
connaissances, Condillac imaginera les aventures d'une statue. C'est
grâce a cet artifice que Condillac rendra compte de la manière dont selon
lui, apparaissent nos sentiments, nos passions., nos idées. L'important
dans cette affaire, c'est de tenter d'expliquer la variété de nos réactions
par la combinaison d'un petit nombre d'éléments : le mérite évident,
d'une telle affabulation est, au-delà du recours artificiel à ce mannequin
de pierre, d'avoir compris que la psychologie d'un homme n'était pas
fournie une fois pour toute mais qu'elle faisait l'obiet d'une acquisition
progressive. La psychologie d'un être a son origine dans le monde
extérieur, dans sa manière d'entrer en rapport avec le monde : elle passe
par des étapes que l'on peut déterminer et qui sont les mêmes d’un
individu à l’autre. Si bien que l’on peut voir en Condillac le prophète, sinon
l’ancêtre de la psychologie génétique.

Ce qui vaut que l’on s’arrête un instant à cette statue organisée


intérieurement comme nous, animée certes d’un esprit mais privée à
l’origine de toute idée. L’auteur s’accorde le droit de n’ouvrir que
progressivement aux différentes sensations l’insensible revêtement de
marbre. Ne donnant tout d’abord à la statue que le sens de l’odorat, et
plaçant devant elle une rose, la statue sera envahie par cette seule
sensation, elle sera toute entière odeur de rose. Ainsi naît l’attention. Mais
retirons la rose, il restera dans cette statue comme un écho de l’odeur
perçue. Cette trace, c’est déjà la mémoire. Qu’on lui présente maintenant
une violette, ou de l’assas-foetida, cette gomme résine d’une odeur
désagréable, la statue comparera ces sensations, elles les comparera à
celles que la mémoire lui rappelle trouvant les unes agréables, les autres
désagréables. Dès lors, les premières seront désirées, les secondes
repoussées. Voilà que l’aversion, la haine, la crainte, mais aussi la
sympathie, l’affection, I’espérance seront présentes en cette statue.

Pour Condillac, les passions naissent des sensations et de leur


comparaison, le je-veux ne renvoie pas à quelques facultés nouvelles qui
s’ajoutent à la sensibilité, le je-veux signifie je désire. Le vouloir n’est
qu’une transformation de la sensation, devenu désir et tendance, après
avoir été attention, mémoire, comparaison, désir et déplaisir. De cette
possibilité acquise maintenant par la statue de comparer naissent le
jugement, la réflexion, l’abstraction, en un mot l’intelligence. Peu à peu
Condillac ouvrira tous les sens à la statue, en lui donnant en dernier, celui
qui est le plus essentiel, à savoir le toucher.

Bien entendu, il ne s’agit ici que d’une histoire imaginaire : les statues
restent de pierre et ce n’est que dans I’imagination des hommes qu’elles
s’animent parfois; mais pour la première fois dans l’histoire des idées, les
facultés les plus complexes comme la volonté ou la pensée sont
expliquées à partir d’une pratique humaine et non point considérées
comme des facultés innées que les dieux auraient mises, on ne sait
pourquoi, en semence dans notre esprit. C’est la première fois aussi qu’un
ouvrage consacre l’essentiel de ses propos à une description affinée. Des
sentiments humains, qu’un ouvrage de philosophie, et non plus un roman
soit consacré à la psychologie de l’homme, d’un hommne abstrait certes,
mais qui sent, qui veut et qui pense.

L’AME ET SON MIROIR

Au XIX° siècle, et jusqu’à ce qui’une véritable démarche scientifique


s’instaure environ vers 1880, la psychologie se conçoit essentiellement
par référence à l’âme. Son objet restera l’âme non pas sans doute l’âme
substantielle de la psychologie rationnelle du temps de Kant mais une
âme désubstantialisée, ravalée au rang d’un phénomène,
progressivement affinée et atténuée au point de n’être plus que pureté
diaphane, formedésincarnée du moi transcendantal.

Mais I’âme malgré ses transformations, reste une entité immatérielle qui
n’est pas une chose dans I’espace et qui ne peut donc s’enregistrer ni se
mesurer. Seul, le psychologue, grâce à une expérience intimne peut en
son for intérieur s’en assurer l’approche ineffable. Les romans, les
journaux intimes, les confessions sont le lien littéraire de sa révélation;
l’examen de soi est la cérémonie de sa contemplation ; l’introspection est
le moyen privilégié mis au point pour s’en emparer.

L’introspection est mise au point par les psychologues de ce temps pour


accéder à la description de la vie intérieure.

Tout ceci renvoie, dans cette préhistoire de la psychologie, à ce qu’il est


convenu d’appeler la psychologie première personne représentee par le
philosophe américain William James ; celui-ci définit la psychologie comme
« la description et l’explication des états de conscience en tant qu’états
de conscience ». Dès lors pour lui le fait psychique n’a qu un seul témoin,
nous-mêmes et la seule méthode qui permet vraiment de l’observer est
l’introspection.

MAINE DE BIRAN OU LA THEORIE DE L’EFFORT

On sait que pour Maine de Biran, l’observation des faits de conscience


renvoie essentiellement à l’introspection. Ce que Maine de Biran appelle
l’expérience, ce n’est nullement la confrontation avec la réalité extérieure,
c’est le fait intérieur, le donné de la conscience intime.

On sait que pour Maine de Biran, cette expérience intime nous montre
Que la prise de conscience de soi ne s’opère que dans le sentiment de
l’effort musculaire. C’est cet effort qui selon lui, est le fait primitif par
excellence. Le moi dit-il – ne se pose qu’en s’opposant, il ne prend
conscience de soi que contre une résistance qui est la résistance de

Son corps propre, éprouvée dans l’expérience spécifique de l’effort. Car


dans l’effort, je suis plus que le corps, je suis une volonté supérieure au
corps, une volonté hyperorganique qui poursuit son effort malgré tout,
malgré la lassitude ou la douleur. L’expérience de l’effort est donc pour
Maine de Biran une expérience métaphysique qui permet de me prouver

À moi-même l’existence de ma liberté conçue comme une transcendance,


contre la résistance et l’épaisseur de mon propre corps. Maine de Biran
substitue à la formule de Descartes : « Je pense donc je suis », la formule :
« Je fais effort donc je suis ».

WILLIAM JAMES

W. James, bien connu également pour sa théorie périphérique de


l’émotion, ainsi qu’un certain nombre d’essais sur l’expérience religieuse,
s’est efforcé de vérifier dans son laboratoire de Harvard, les expériences
que les psychologues allemands entreprenaient à la même époque avec
Wilhelm Wundt. Ce dernier, ne l’oublions pas, estimait lui-même, que «
toute psychologie commence avec 1introspection ».

C’est donc avec cette méthode qu’il aborde malgré certains efforts
tendant à une véritable démarche scientifique, tout à la fois le courant de
penser, la conscience de Soi, le Moi spirituel, les niveaux de la
personnalité, l’attention, la volonté, le raisonnement. «L’observation
introspective est ce sur quoi nous avons à compter, d’abord, surtout et
toujours… ». Il considère cette croyance comme le plus fondamental de
tous les postulats de la psychologie.

HENRI BERGSON

On sait aussi que ce courant philosophique privilégiant l’introspection


trouve son expression chez le philosophe français Henri Bergson.
S’opposant à la philosophie matérialiste qui se constituait en France, avec
les travaux de Théodule Ribot, Henri Bergson donnera la primauté à
l’intuition sur l’intelligence.

Si l’intelligence, puissance analytique, découpant le monde en ses


éléments, est la faculté propre à la science, I’intuition en ce qu’elle nous
permet de communiquer avec ce que les choses ont d’unique et
d’inexprimable est la méthode par excellence de la philosophie. L’intuition
bergsonienne se rattache à la méthode subtile de l’introspection, elle nous
permet de saisir d’emblée, en coïncidence même avec la durée, le courant
d’énergie spirituelle qui animant le monde peut trouver son expression
dans l’âme humaine. C’est dès Les données immédiates de la conscience
(1889) que Bergson, tentant de réfuter les argument des déterministes
fait appel à l’expérience intérieure, à l’intuition.

Il faut, selon lui, nous remettre en état d’innocence psychologique car


c’est en proportion de notre naiveté que nous nous rapprochons de la
réalité mentale et que nous saisirons la différence essentielle qui la sépare
radicalement de la réalité matérielle. I| faut coïncider à nouveau avec soi
et en quelque sorte adhérer à notre expérience.

C’est pour Bergson, une erreur dangereuse, héritée d’une confiance trop
spontanée en l’intelligence, que d’imaginer la vie psychique comme
constituée d’une succession d’états de conscience multiples et distincts
se substituant mécaniquement les uns aux autres. La vie mentale est
changement continuel, hétérogénéïté pure, en un mot durée.

C’est d’une même orientation typiquement psychologique que procédé


également le second ouvrage de Bergson publié en 1897 : Matière et
Mémoire. Là encore, contre la psychologie associationiste, contre
l’atomisme mental de Taine. Bergson soutient qu’il n’y a pas d’atome dans
la conscience, qu’en aucune façon il ne saurait y avoir en elle des choses.
Aussi faut-il nous détourner du monde externe de l’espace pour écouter,
en nous, la mélodie continue de la vie intérieure. Qui dit esprit, dit avant
tout conscience, et conscience signifie d’abord mémoire. C’est pourquoi
Matière et Mémoire peut apparaitre comme l’ouvrage de psychologie le
plus caractéristique de la philosophie intuitionniste française recourant
non à l’observation objective et à la mesure mais à l’observation
subjective.

LA PSYCHOLOGIE DES TEMPS MODERNE

LE REJET DE L’INTROSPECTION

C’est aux Etats-Unis, avec John Broad Watson, que va naitre la


psychologie scientifique. Elle commence par une critique radicale de
l’introspection comme méthode de la psychologie. On sait qu’à cette
époque, aux Etats-Unis, il existe deux ěcoles de psychologie, celle de
Titchener, qui exporte la tradition psychologique allemande de Wundt et
qui s’attache à décomposer les processus conscients en leurs éléments de
base. L’autre école est celle de John Dewey et de William James, qui
s’intéresse à la signification et à la fonction des processus conscients.
Mais qu’elle soit structurale, comme la psychologie de Titchener, ou
fonctionnaliste comme la psychologie de James, cette psychologie reste
marquée par l’utilisation de l’introspection. Dès lors, elle ne peut être que
pseudo-scientifique, même si les faits psychiques sont décrits en termes
physiologiques, même si, comme W. James le fera, la psychologie est
définie comme « science de la vie mentale ».

Car est anti-scientifique toute explication du monde dualiste, toute


démarche ne rompant pas avec les présupposés religieux ou
métaphysiques de l’âme et du corps, toute réflexion qui s’assigne pour
objet une réalité immatérielle, qu’elle s’appelle âme ou esprit ou
conscience.

On ne peut en effet que dresser un acte d’accusation contre une


psychologie se définissant comme science de l’âme, et ceci tant au niveau
de son objet : la conscience, qu’au niveau de sa méthode : l’introspection.

Si dans les sciences, le progrès est rendu possible par la critique possible
des méthodes employées, également par l’affinement des techniques
d’observation, par la mise en place des nouveaux instruments de mesure,
au contraire, dans la psychologie traditionnelle, telle qu’elle était alors
représentée auX Etats-Unis, aucun progrès de ce genre n’est possible,
puisque ce qui est privilégié c’est le sujet qui observe. En science, il y a
controverse, il y a contrôle possible des observations mais dans la
psychologie traditionnelle, je suis seul juge de mes découvertes, il n’y a
que moi qui puisse trancher. En un mot, pour le behaviorisme qui formule
toutes ces critiques, la psychologie introspective, aussi prétentieuse soit-
elle est stérile, aussi raffinée qu’elle soit dans sa description des courants
de concience n’est que bavardage.

Elle ne réalise en aucun cas les conditions d’une bonne observation. Car,
pour qu’une observation soit scientifique, il est strictement nécessaire que
le sujet qui observe, et l’objet à observer, soient distincts. C’est, d’ailleurs
le philosophe du positivisme français Auguste Comte, qui avait fait depuis
longtemps cette remarque de bon sens : l’individu pensant ne saurait se
partager en deux, dont l’un raisonnerait tandis que l’autre regarderait
raisonner. C’est le même Auguste Comte d’ailleurs qui soutenait que la
psychologie introspective n’a pas de raison d’être puisque les faits dont
elle prétend traiter, appartiennent en réalité soit à la biologie, soit à la
sociologie. L’homme n’est pas « dans » une entité métaphysique, appelée
comme on voudra homme ou esprit, l’homme est « dans» son organisme
et, il est « dans » son histoire.

Enfin, le reproche essentiel que l’on puisse adresser à l’introspection c’est


qu’elle est expressément reliée à une position métaphysique, qu’elle ne
se conçoit comme méthode possible que parce que d’abord elle renvoie à
des théories métaphysiques. Le je-fais-effort donc je suis, de Maine de
Biran, I’intuition bergsonienne, dont nous avons précédemment parlée,
n’étant que les justificatifs ou les paravents d’une philosophie idéaliste
tentant de se constituer un système pour faire barrage à la montée de la
science, qui même, si elle reste délibérément mécaniste à la fin du XIXe
siècle, ne peut que rejeter dans le domaine désuet de l’histoire des idées,
les persistances métaphysiques héritées de l’époque où la philosophie se
reconnaissait elle-même comme la servante de la théologie.

UNE NOUVELLE METHODE, UN NOUVEL OBJET

Mais le behaviorisme ne se définit pas seulement par la critique des


systèmes psychologiques qui l’ont précédé, il se définit aussi positivement
comme science du comportement, en se caractérissant d’ailleurs

Plus comme une conception de la psychologie que comme une science


psychologique.

Le behaviorisrne pose que la psychologie pour être une science


incontestable et incontestée, comme l’était dès cette époque la physique
ou la physiologie ne peut et ne doit avoir d’autre objet que l’étude du
comportement de l’homme et de l’animal. Ce nouveau système se
comprend donc tout à la fois comme une négation et comme une
affirmation il ot

À la fois destructif et constructif. I| évince de la psychologie, dans la


mesure où celle-ci prétend à la dignité scientifique l’objet que l’étymologie
et la tradition lui avaient assigné et qui Sest, au cours des temps, déguisé
sous les noms variés d’âme, de conscience, d’esprit, de phénomènes
psychiques, de vie intérieure. Et cet objet, il le remplace par le
comportement, seul susceptible d’être la matière permanente d’une étude
scientifique, d’observation, de mesure, d’expérimentation.

C’est donc essentiellement dans cette substitution d’objet que consiste

La révolution behavioriste et non, comme on le croit parfois, dans le


simple apport à la psychologie d’une méthode nouvelle plus scientifique,
plus sûre, plus précise s’ajoutant aux méthodes existantes pour I’étude
d’un objet qui n’aurait pas changé.

Dire que la psychologie c’est la science du comportement, c’est affirmer


que, comme le précisera lui-même Watson, dans l’article paru en 1913
dans la revue américaine « The psychological review »: la psychologie
comme
Le behavioriste, la voit ; l’observation extérieure des réactions d’un
organisme, de son comportement, suffit à établir des lois qui permettent
de prévoir quelles seront ses réactions à telle ou telle variation du milieu.

La psychologie ne pourra, par exemple, affirmer que le rat distingue le


bleu du vert, que s’il parvient à réussir un dressage à l’issue duquel le rat
ne pouvant se repérer que sur la couleur, va régulièrement chercher sa
nourriture dans la couleur bleue d’un labyrinthe expérimental. Il est
évident que dans un tel cas, on n’a pas besoin précisément de s’interroger
sur ce que pense le rat à propos de la couleur.

Dès lors on conçoit le rôle joué par la psychologie animale dans la


constitution d’une psychologie scientifique, puisque dans le cadre de la
psychologie animale, les réflexions sur les états de conscience de l’animal
sont rendues vraiment impossibles, compte tenu de l’absence de langage
chez l’animal et de l’impossibilité, pour l’observateur, de communiquer
avec les pensées supposées de l’animal observé.

L’ANIMAL, CLE DE LA PSYCHOLOGIE

C’est en ce sens que la zoopsychologie, par exemple avec les travaux de


Jacques Loeb, de Yerkes et de Thornoike, a permis à la psychologie
humaine de se constituer comme science, en lui montrant comme
possible un changement dans la méthode et même dans I’objet de la
psychologie traditionnelle qui faisait jusqu’alors de la pensée une sorte de
« citadelle intérieure » accessible uniquement par l’introspection. « Si le
tropisme et le réflexe, dira Watson, constitue l’unité dernière à laquelle
aboutit l’analyse du comportement dans les vertébrés inférieurs, il
conserve le même rôle dans les organismes supérieurs, y compris
l’homme. Point n’est besoin de nouveau principe pour passer des
réponses de l’organisme unicellulaire à l’homme .

C’est d’ailleurs à cette époque que se fonde également en France, avec


les travaux d’Henri Pieron, une psychologie scientifique.

Le texte de sa leçon d’ouverture à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, en


1907, sur l’évolution du psychisme, définit le projet des recherches
nécessaires à une psychologie scientifique. S’ill est possible d’ignorer la
conscience dans les recherches évolutives sur le psychisme des
organismes, il convient d’orienter au contraire ces recherches sur l’activité
des êtres et leur rapport sensorimoteur avec le milieu, sur ce que les
Américains appellent le « behavior » et les Allemands « das Verhaltens »,
et sur ce que nous sommes en droit, dit H. Pieron, d’appeler « le
comportement des organismes ».

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