Rimbaud Le Révolté

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Arthur Rimbaud

Le révolté

La jeunesse de Rimbaud est, en soi, une révolte, mais elle se traduit dans la satire et les dénonciations,
parfois violentes, qu’expriment plusieurs poèmes des « Cahiers de Douai ».

LA RÉVOLTE RELIGIEUSE

Comme il est de règle à cette époque, et tout particulièrement dans les petites villes de province, la famille
Rimbaud est pratiquante, et le jeune garçon, dont la mère, particulièrement rigoureuse, exige chaque soir la
lecture de la Bible, le « livre du devoir », comme il le nomme, a fréquenté l’église, et fait sa communion. Son
rejet de tout ordre moral s’attaque donc, très naturellement, à la religion qui le soutient.

L'anticléricalisme
Sa première cible est le clergé, représentant terrestre de Dieu, et Rimbaud se souvient très certainement
du Tartuffe de Molière dans son « Châtiment de Tartufe ». Le reproche est l’hypocrisie qu’il met en évidence
en dépeignant son désir amoureux, illustré, de façon répugnante, par « sa peau moite », qui se cache sous sa
« chaste robe noire ». Tout est faux en lui, ce que soulignent l’oxymore, « effroyablement doux », et surtout
l’image : « Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée ». Qui est alors ce « Méchant » qui intervient au cœur du
sonnet, en « arrachant » le vêtement trompeur ? Molière, certes, dont le dernier vers, « nu du haut jusques en
bas », reprend la réplique de Dorine à Tartuffe, mais aussi le jeune poète révolté lui-même, le « méchant »
garçon qui lance son cri de mépris et de dégoût.
Cette attaque s’explique si l’on considère que ce comportement peut venir de l’interdit que l’Église impose à
toute sexualité, à commencer par celle du clergé. Or, pour Rimbaud, laisser s’exprimer les désirs de « la chair »
est dans la nature même de l’homme, et même de l’univers dont, dans « Le Soleil et la chair », il célèbre « le
grand hymne d’amour ».

La religion démasquée
Mais, au-delà du clergé, c’est à la foi religieuse qu’entend transmettre l’Église que s’en prend Rimbaud. Une
première accusation rapide est lancée dans « Le Forgeron » : « Le Chanoine au soleil filait des patenôtres / Sur
des chapelets clairs grenés de pièces d’or. » D’une part, dans le contexte de son long poème, il souligne le
soutien apporté par l’Église au pouvoir monarchique, ici de Louis XVI, monarque « de droit divin ».

D’autre part, il illustre aussi le lien entre l’Église et l’argent, critique développée avec plus de force dans « Le
Mal ». Il y met en parallèle les massacres causés par la guerre, et l’indifférence de Dieu lui-même à cette
souffrance, lui qui ne se plaît que dans le luxe, « qui rit aux nappes damassées / Des autels, à l’encens, aux
grands calices d’or / Qui dans le bercement des hosannah s’endort », pour ne réagir qu’au moment de la
quête, en entendant le bruit du « gros sou » donné par des mères qui ont perdu leur fils. L’Église trahit donc
les textes sacrés qui appellent à imiter le Christ, par la pauvreté, la charité et la compassion avec ceux qui
souffrent.
LA RÉVOLTE POLITIQUE
Les cibles de la critique
Qu’il s’agisse de la monarchie absolue ou du second Empire, des « rois », dont Louis XVI, ou de Napoléon III,
Rimbaud se livre, tantôt à une satire ironique, tantôt à un réquisitoire féroce.
Ainsi, le titre, « L’éclatante victoire de Sarrebrück », est déjà de l’ironie par antiphrase puisque ce combat n’a
été qu’un simple accrochage entre les troupes françaises et prussiennes que l’Empire a voulu faire passer pour
une exceptionnelle « victoire ». Tout le sonnet cherche donc à démythifier l’« apothéose » de l’empereur, en
le ridiculisant : il est « sur son dada », lexique puéril, il « voit tout en rose », dans une illusion de pouvoir, et la
satire se confirme par l’antithèse du vers 4 : « Féroce comme Zeus et doux comme un papa. » Dans la chute du
sonnet, Rimbaud achève la satire en n’hésitant pas à recourir à la grossièreté : au cri « Vive l’Empereur ! » d’un
soldat, « son voisin reste coi », ce qui marque son rejet et, pire encore Boquillon, personnage emblématique
du soldat contestataire, « se dresse, et – présentant ses derrières – : « De quoi ? » Le geste fait sourire, mais
est une véritable insulte.

L’attaque est plus violente dans plusieurs autres poèmes, par exemple dans « Le Mal », où le poète dénonce
le cynisme du « Roi » qui « raille » le massacre qui se déroule sous ses yeux. Rimbaud avait d’abord écrit « le
chef », accusation plus directe, en changeant de mot, il contourne la censure puisque le pays est alors dirigé
par un empereur et non pas « un roi ». De même, le titre au pluriel « Rages de Césars », dépasse la personne
de Napoléon III : ce sont tous ceux qui veulent « souffler la Liberté » que Rimbaud englobe dans sa
dénonciation. Mais il ne masque pas, pour autant, avec l’exclamation et le lexique méprisant, sa critique de
Napoléon III, à présent prisonnier au château de Wilhelmstrohe : « l’Empereur est soûl de ses vingt ans
d’orgie ! »

La dénonciation de la guerre
Deux images s’opposent dans les « Cahiers ».
D’un côté, Rimbaud admet qu’il puisse y avoir des guerres légitimes, celles qui se font au nom de la
liberté, d’où l’éloge aux « [m]orts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize », qui ont combattu pour
empêcher le retour de la monarchie. Dans le panégyrique qu’il leur adresse, le ton du poète se fait oratoire
célébrer la noblesse de ceux « dont le sang lavait toute grandeur salie », jusqu’à leur donner la dimension de
martyrs venus sauver l’humanité en en faisant un « million de Christs ».
Mais, d’un autre côté, il y a les guerres injustes, celles qui ne visent qu’à soutenir un pouvoir
corrompu, dont celle de 1870 donne un parfait exemple. C’est ce que souligne le dernier tercet du sonnet
dédié aux « morts de Quatre-vingt douze », qui oppose le pronom « Vous », qui les célèbre, au « Nous » pour
renvoyer à ceux qui, sous le pouvoir despotique de l’empereur Napoléon III, masqué sous le pluriel « courbés
sous les rois comme sous une trique », se soumettent. L’allusion est nette à travers la dédicace à « Paul de
Cassagnac », réuni à son père dans la chute finale, qui signale que la critique vise bien ceux qui appuient le
second empire et la guerre de 1870.
« Pauvres morts ! » s’exclame le poète dans « Le Mal », en montrant le terrible massacre qui « fait de
cent millions d’hommes un tas fumant », et cette même compassion se retrouve dans le portrait du
« Dormeur du val ». La construction du sonnet met peu à peu en place la triste vérité qui éclate dans la
brutalité du dernier vers : « Il a deux trous rouges au côté droit. »
L’IMAGE DU PEUPLE
La misère du peuple
Dans plusieurs poèmes, Rimbaud introduit des détails qui, tous, convergent pour illustrer la pauvreté, depuis
les soldats de Valmy en « sabots » et en « haillons », jusqu’aux vieilles mères « pleurant sous leurs vieux
bonnets noirs » la mort de leur fils, en passant par les « effarés » : « À genoux, cinq petits, – misère ! – /
Regardent le boulanger faire / Le lourd pain blond… » Les points de suspension semblent résumer leur envie,
leur faim, le froid qui les fait trembler, car ils n’ont que « ce trou chaud » pour se réchauffer.

C’est cette même misère qu’explique le « forgeron » au roi Louis Seize. Un long passage dans la deuxième
strophe rappelle les abus du « Seigneur », le dur travail et les destructions subies : « Et quand nous avions mis
le pays en sillons, / Quand nous avions laissé dans cette terre noire / Un peu de notre chair… nous avions un
pourboire : / On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit ». Bien sûr, le temps des rois est terminé… mais
Rimbaud montre que, pour autant, le peuple n’est pas sorti de la misère, « – Mais voilà, c’est toujours la
même vieille histoire ! », et que toujours il est exploité pour servir le luxe des puissants : « […] les pauvres à
genoux ! / Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous ! »

L'arrogance de la bourgeoisie
Face à ces « gueux » qui « ne mangent pas », comme les nomme « le forgeron », il y a les « rentiers à
lorgnons » et, « Épatant sur son banc la rondeur de ses reins », le gros bourgeois à la « bedaine flamande ». Le
contraste est flagrant entre la pauvreté des uns et la richesse de ceux qui, sous l’Empire, prospèrent. « Il
reste des mouchards et des accapareurs », s’écrie le « forgeron », c’est-à-dire des gens pour soutenir l’injustice
sociale, et ce sont eux que dénonce Rimbaud. Ce sont les « richards » qu’agresse le peuple dans « Le
Forgeron », tous ceux aussi qui ont part à la loi, les « hommes noirs, qui prennent nos requêtes / Pour se les
renvoyer comme sur des raquettes », les avocats qui se rangent du côté des puissants. Enfin, ce sont ceux qui
vont « mitonner les lois », fixer « quelques tailles », c’est-à-dire des impôts, les députés que Rimbaud désigne
avec ironie : « Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux ! »

La révolte
À plusieurs reprises, Rimbaud a mentionné son enthousiasme pour la Commune, moment révolutionnaire où
le peuple a tenté de prendre le pouvoir, comme si sa propre révolte ne pouvait que conduire à l’approbation
de la colère populaire. Mais cette volonté de conquérir la liberté par une lutte du peuple est déjà exprimée
dans ses poèmes de jeunesse, avec un évident souvenir des poèmes de Victor Hugo. C’est ainsi que sont
dépeints les soldats « de Quatre-vingt douze », « pâles du baiser fort de la liberté », et ce qui explique le cri
lancé dans « Rages de Césars » : « La Liberté revit ! »

Mais c’est dans « Le Forgeron » qu’il dépeint le mieux cette rage révolutionnaire, celle de 1789 : « Oh ! Le
Peuple n’est plus une putain. Trois pas / Et, tous, nous avons mis la Bastille en poussière ! » Il multiplie les
visions d’une foule exaltée, avec des métaphores épiques qui soulignent sa puissance : « […] se lève la foule /
La foule épouvantable avec des bruits de houle, / Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, /
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer ». Toute la fin de ce long poème amplifie cette marche vers la liberté,
et, derrière le pronom « nous » employé par le forgeron (« Nous sommes libres, nous ! ») et son injonction
insistante répétée, « Regarde donc le ciel ! », se cache l’adolescent qui lui aussi aspire à cette « vengeance » et
refuse la médiocrité de sa vie provinciale : « C’est trop petit pour nous, / Nous crèverions de chaud, nous
serions à genoux ! »
CONCLUSION
Rimbaud retrouve les accents de Victor Hugo pour s’attaquer, parfois directement, parfois par le biais d’autres
chefs d’État, les « rois », « Louis Seize », à toute tyrannie, et, à plusieurs reprises, pour lancer un hymne à la
liberté, trop oubliée depuis la grande Révolution de 1789. Mais les tyrans sont nombreux, dans le monde
politique, mais aussi cachés sous la soutane. Et même, dans son propre foyer, se subit-il pas l’oppression d’une
mère excessivement rigoureuse ?

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