Bill64 Á72
Bill64 Á72
Bill64 Á72
Du 26 au 28 novembre, Jacques Chirac invite à Paris ses homologues d’outre-Méditerranée pour le “traditionnel” Sommet
franco-africain. Un raout biennal, tantôt en France (..., La Baule, Biarritz), tantôt en Afrique (..., Libreville, Ouagadougou). Cette
fois, le show se tiendra sous la pyramide du Louvre.
On nous promet le spectacle d’une représentation inégalée : une cinquantaine d’Etats. Autour d’un thème accrocheur, et
néanmoins crucial : la sécurité. Il est évident que le besoin de sécurité des personnes, des communautés, des collectivités et des pays
est criant en Afrique. Depuis cinq siècles : la traite, la colonisation, ... Les “indépendances” n’ont pas vraiment arrangé les choses.
La France gaulliste, néo-gaulliste et mitterrandienne a imposé (plutôt que proposé) son protectorat dans son pré-carré. Au-delà,
elle a répandu sa coopération militaire (Congo-Zaïre, Burundi, Rwanda, Guinée équatoriale, ...), ou ses ingérences (Nigeria,
Angola, Liberia, Soudan, Ouganda, Guinée-Bissau, ...), avec un bilan que l’on qualifiera, pour rester poli, de “globalement
négatif” 1 .
Non que les intentions officielles aient toujours été mauvaises. Mais l’autonomie des dispositifs occultes (réseaux, “services”,
mercenaires), l’hostilité réflexe aux Anglo-Saxons et aux anglophones, l’installation de généraux cooptés à la tête de régimes
militaires ont trop souvent induit
la déstabilisation des pays “ennemis”, le renversement des chefs d’Etat indociles et la préservation des tyrans.
Dans la culture géopolitique post-coloniale, le jeu des dominos importe plus que la sécurité des populations - y compris l’accès
aux ressources vitales. Bref, Sécurité au sommet (pour les amis), insécurité à la base, tel est jusqu’ici l’effet dominant du dispositif
de sécurité franco-africain 2. On ne peut améliorer les choses sans admettre cette réalité, et sans chercher à comprendre pourquoi
elle est si rebutante.
Sécurité au Sommet,
insécurité à la base
Remarquables, honorables ou infréquentables, les dirigeants africains vont affluer à Paris. On leur paye une occasion de se
rencontrer ; ils viennent prendre la température d’une moyenne puissance qui, sur leur continent, dépense, deale et s’agite encore. Il
n’est pas sûr que, pour eux, le syndrome “exposition coloniale” ne soit pas plus coûteux que ces menus bénéfices.
Certes, les plus lucides aimeraient en profiter pour parler de la fameuse et si nécessaire sécurité interafricaine. Mais qui, dans le
pré-carré, fut chargé du dossier ? Eyadema - un sergent assassin déguisé en général, un président qui refuse le désaveu des
électeurs. De quoi s’interroger sur les prémisses...
Et puis, comment faire confiance à l’armée française tant qu’elle refuse d’autocritiquer son rôle au Rwanda 3 ? alors qu’elle vient
d’imposer dans le statut de la Cour pénale internationale une exonération de 7 ans de ses éventuels crimes de guerre ? Comment se
retrouver dans le double langage d’un Jacques Chirac, qui promet la fin des ingérences tout en réitérant les opérations clandestines
(Congo-B & K, Guinée-Bissau, ...) ?
Si la France tenait un langage moins duplice, c’est-à-dire si elle énonçait les règles de sa nouvelle relation aux pays du continent,
s’engageait à les observer et acceptait des contrôles crédibles, sa contribution pourrait être très appréciée. Lionel Jospin serait bien
capable de tenir un tel langage. Jusqu’ici, il s’en est abstenu, redoutant la tempête sous les képis, dans les réseaux, ou à la cote des
valeurs pétrolières. Le Sommet du Louvre a toutes chances d’être un nouvel épisode de cette périlleuse esquive - noyé sous le
champagne et le folklore. Mais qui sait ?
. Cf. F.X. Verschave, La Françafrique. Le plus long scandale de la République, Stock, 1998. Dans un ouvrage à paraître (Un génocide sur la conscience, L’esprit
frappeur), Michel Sitbon esquisse le compte, en millions, des victimes de la politique de “sécurité” franco-africaine : au Cameroun, au Biafra, en Angola, au Liberia, au
Rwanda, ...
2. C’est aussi le titre d’une campagne d’interpellation animée par Agir ici et Survie, et d’un nouveau Dossier noir de la politique africaine de la France.
3. Tout en soutenant qu’elle ne s’y est pas comportée autrement qu’ailleurs !
SALVES
Oscillations
Nombre des Etats représentés au Sommet du Louvre sont concernés par l’internationalisation de la guerre “civile“ au Congo-K -
une source majeure d’insécurité en Afrique. Il faudrait, pour enrayer ses très inquiétants développements, des réserves de sagesse
dont, à ce jour, on ne voit pas la couleur. Les Etats-Unis ont tout misé sur la négociation Israël-Palestine, à Wye Plantation, avec un
zeste pour le Kosovo. Aucun Etat africain n’a les moyens de calmer les va-t’en-guerre, aucun Etat européen n’a envie de s’en mêler.
La France volerait volontiers au secours de la victoire. Cette dernière faillit d’abord s’offrir aux anti-Kabila, incités à déclencher
leur offensive-éclair par un message “clair”(-obscur ?) de Paris. Via Bongo et Museveni, et le “facteur” Michel Tshibuabua.
Puis l’Angola et l’Afrique francophone, Tchad en tête, ont rallié Kabila, qui a semblé pouvoir renverser la situation en sa faveur,
au détriment du “camp anglo-saxon”. L’Elysée multiplie alors les signaux favorables, gages d’une prompte initiation en
Françafrique. Chirac dépêche à Kinshasa son conseiller Dupuch. « Kabila se rapproche à vitesse vapeur de la “grande famille”
francophone », écrit La Lettre du continent (24/09/1998). Et surgit un nouveau “médiateur” : André Atundu, qui a tout pour plaire à
Paris. A commencer par sa carrière : second de l’ambassadeur du Zaïre à Paris, Mokolo (pivot de l’affairisme franco-zaïrois) ; patron
des services de renseignement ; PDG de la Gécamines commerciale. Il a gardé de bons contacts avec Alexandre de Marenches, ex-
patron des “services” français. Il fréquente le gratin du négoce international (LdC, 24/09/1998).
Atundu fonde un “Comité des bons offices et de la facilitation du consensus national” qui, selon Jeune Afrique (06/10/1998) , aurait
l’aval des présidents ivoirien, brazzavillois, ougandais et mozambicain (Bédié, Sassou Nguesso, Museveni et Chissano)...
Le colonel libyen Kadhafi est en pleine lune de miel avec Paris (voir A fleur de presse). Eternel ambitieux, flairant la grosse opportunité
en Afrique centrale, il décide de financer l’envoi au Congo de contingents soudanais et tchadiens. Grâce à sa vieille amitié avec
Museveni, il espère également se poser en médiateur.
1
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
L’empressement de Kadhafi a son revers immédiat. L’arrivée du Soudan ternit l’aura toute neuve de Kabila, “vainqueur” de la
bataille de Kinshasa. Elle vient accentuer l’alliance de plus en plus ostensible avec les résurgences du Hutu power... et la guérilla du
fils d’Amin Dada. L’état-major en exil de l’armée d’Habyarimana se trouverait recyclé dans l’opération.
Du coup, lorsque le cours de la guerre oscille à nouveau, la rébellion enchaînant les victoires à l’Est, personne ne proteste
vraiment. L’on s’empresse moins de frayer avec Kabila. Et Charles Josselin douche le flirt élyséen : « A Kinshasa, il faut cesser le
discours ethniciste » (06/10/1998) .
Puisque guerre il y a et qu’il faut la cesser, l'urgence est à la diplomatie. S’il en a, Kabila cache bien son jeu, et il faudrait qu’il le
sorte. S’il n’en a pas, il risque d’entraîner son pays et une partie de l’Afrique dans un cataclysme.
Help !
Dans les cénacles parisiens, on n’imagine pas pouvoir se passer de l’inventeur d’une maxime si admirable : « L'Afrique sans la
France, c'est une voiture sans chauffeur, la France sans l'Afrique, c'est une voiture sans carburant ».
Que serait la Françafrique sans Bongo ? C’est sa mémoire, son factotum, son confident, son manitou. Sans lui, pas d’armes au
Biafra, pas de biscuits pour Bob Denard, de foin pour les écuries politiques, de “caramels” pour Christine Deviers-Joncour. Roland
Dumas irait pieds nus...
Problème : Bongo perdrait l’élection présidentielle de décembre... si elle était honnête. Les candidats d’opposition y croient. Ils
dénoncent les manipulations des listes électorales et la désignation partisane des “arbitres” locaux. Le 10 octobre, ils ont suspendu la
participation de leurs représentants à la Commission nationale électorale (CNE). (L’Union, Libreville, 12/10/1998) .
A signaler un cas assez rare dans la classe politique gabonaise : le candidat anti-corruption Martin Edzodzomo.
Tout cela n’augurant rien de bon, Paris se fait son cinéma : « Il faut sauver le soldat Bongo ! ». Au sens figuré et au sens propre.
Vers la fin septembre, le ministre de la Défense Idriss Ngari a été « très discrètement reçu [à Paris] par des officiers supérieurs. Au
menu : la situation au Congo-K. Une stratégie commune aurait été élaborée ». (LdC, 08/10/1998) .
Partir, revenir
Il y a six mois, la France achevait de fermer ses bases en Centrafrique. Elle vient de renvoyer 80 hommes. Ils s’ajoutent aux 180
soldats restés à Bangui pour assurer le soutien logistique de la Minurca (Mission des Nations unies en République centrafricaine). Le
détachement français représente désormais 20 % de cette Minurca (1 350 hommes), à base de contingents du pré-carré. Il assure
l’essentiel de son fonctionnement (Libération, 23/10/1998) .
Ce renfort intervient à quelques semaines des élections législatives des 22 novembre et 13 décembre. Un scrutin sous influence,
mais en quel genre ? Laissera-t-on les Centrafricains choisir une alternative à Patassé ?
2
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
On comprend mieux par contre l’intérêt des entreprises françafricaines, auxquelles Taylor a fait miroiter l’or, les diamants, le fer,
le bois, le caoutchouc, dont son pays est richement pourvu. Elles en ont été « impressionnées ». Si les financements publics les
accompagnent, elles pourront déployer à grande échelle ce qui, au long de la guerre civile, resta un incessant trafic. (Afrique Express,
08/10/1998) .
1. Cf. F.X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998, p. 202-226. Peut être commandé à Survie (130 F).
Beurre de cacao
Le gouvernement ivoirien annonce avoir vendu la dernière récolte de cacao (environ un million de tonnes) à 904 francs CFA le
kilo. La Banque mondiale et le FMI ont fait leurs propres calculs : respectivement 998 et 1 028 FCFA/kg. (LdC, 24/09/1998). Seuls
quelques initiés savent où est passée la différence, environ 100 milliards de FCFA (1 milliard de FF). Elle ne soulagera pas la misère
du grand nombre, ni ne desserrera la contrainte financière dont se plaignent les dirigeants... pour qu’une aide extérieure ajoute la
crème au beurre.
Le sucre et l’essence
Le Tchad a du pétrole. Le clan Déby en voudrait sa part. Mais il est trop pressé de mater les populations du Sud, sous le sol duquel
gît le pétrole. Il est trop pressé de se sucrer avec les royalties de l’or noir 1.
Résultat : il met du sucre dans l’essence et le moteur s’arrête.
Le clan Déby tient mordicus à transporter le pétrole du petit gisement de Sedigui jusqu’à N’Djaména, et à le raffiner dans la
capitale. Pour construire le pipeline et la mini-raffinerie terminale, il a signé un contrat avec une société française. Coût estimé des
travaux : 160 millions de dollars. Une contre-expertise de la Banque mondiale les chiffre à la moitié : classique surfacturation. La
part surfacturée (440 millions de FF) amputerait d’autant les revenus du Tchad 1.
Le député Ngarléjy Yorongar, sous la circonscription duquel se trouve le principal gisement pétrolier, diffuse ce genre
d’informations, et quelques autres plus gênantes encore. Faisant fi de son immunité parlementaire, on l’a expédié en prison, où sa vie
est menacée.
Mais ce procédé, ajouté aux crimes des soudards du clan Déby, ne fait qu’augmenter la pression d’une coalition internationale
d’ONG sur la Banque mondiale. Cette dernière détient la clef des financements, et ne cesse de différer son agrément.
Ainsi, tel un mirage, la manne pétrolière reste hors d’atteinte. Bouygues et son actionnaire Bolloré attendent impatiemment
l’exécution de fabuleux contrats : la construction du pipeline tchado-camerounais, la logistique du chantier et de l’exploitation
pétrolière.
On comprend dans ces conditions que le ministre Charles Josselin se soit “dédouané” lors de sa visite à N’Djaména : « Certains
avaient cru que Paris pouvait avoir une part de responsabilité dans cette lenteur, ce qui est faux ». La France « a fait ce qu’elle a pu
en direction de la Banque mondiale pour que le dossier puisse aboutir à une décision favorable ».
Elle montre d’ailleurs qu’elle ne tergiverse pas (ou plus). Elle devait livrer des véhicules et moyens de communication à la GNNT
(Garde nationale et nomade du Tchad), qui terrorise le Sud du pays. Elle avait suspendu cette livraison après le massacre du 30
octobre 1997 à Moundou. Les visites successives du chef d’état-major Kelche et de Charles Josselin ont, semble-t-il, débloqué le
dossier. La GNNT pourrait plus rapidement s’épandre.
1. Idriss Déby gère le dossier pétrole avec son frère Daoussa, son neveu Hassane Bakit Haggar, ses oncles Hissein et Tom Erdimi, ses cousins Abakar et Bichara Haggar,
plus quelques autres membres de son clan.
2. Lettre du député Ngarlejy Yorongar au président de la Banque mondiale, 03/10/1998.
Nœud gordien
Au final, explique le journaliste Thomas Vallières (cf. Billets n° 61), on trouve « une bombe dans les soutes de la V e République » - son
« plus énorme scandale ». Sous la bombe, une trappe : l’affaire Dumas 1.
Côté français, l’affaire « Joséphine » se serait soldée en octobre 1993, lors d’une réunion dans une maison de Gordes, dans le
Vaucluse : « l'on serait surpris d'apprendre quels étaient les personnages qui participaient à cette séance de répartition et de
3
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
Cour européenne
Formée à cette éthique, l’ancien Premier ministre de François Mitterrand Edith Cresson estima tout à fait naturel, une fois
nommée commissaire européen, de s’entourer à Bruxelles d’une cour relativement modeste : trois contractuels du bon plaisir, dont
l’auteur de sa biographie.
Quelle n’est pas aujourd’hui sa surprise de découvrir que ces pratiques, si elles existent parfois ailleurs, n’y sont point admises, et
que la majorité des pays de l’Union européenne ne les tolèrent pas.
Et si l’Europe faisait une crise d’allergie à la Françafrique ?
Cour internationale
On en sait un peu plus sur les conditions d’apparition, dans le statut de la Cour pénale internationale (CPI), d’une clause
facultative d’exonération des crimes de guerre, durant 7 ans.
L’état-major français ne voulait pas de la CPI. Il considère qu’il n’a à répondre de ses actes qu’au chef de l’Etat, chef des armées.
Qui d’ailleurs les absout toujours.
La haute hiérarchie est de plus atteinte du “syndrome Janvier”. On a raconté (Billets n° 30 et 36) comment le général Janvier,
commandant les forces de l’ONU en ex-Yougoslavie aurait reçu le 10 juillet 1995 un coup de téléphone de Jacques Chirac lui
demandant de « différer d'une journée des frappes aériennes » sur l’enclave de Srebrenica, assaillie par les troupes du général bosno-
serbe Mladic. Entre-temps, Srebrenica tombait, et Mladic ordonnait un crime contre l’humanité.
Ce refus des frappes aériennes faisait très probablement partie d’un deal négocié au nom de Jacques Chirac par Jean-Charles
Marchiani, en vue de la libération de deux pilotes français (voir A fleur de presse).
Même si le général Janvier ne risque aucune poursuite, on lui a fait porter le chapeau 1. Lui-même et l’armée ne l’ont pas admis.
D’autant qu’apparaît ici clairement une responsabilité politique - de la part d’une autorité constitutionnellement “irresponsable”, le
Président de la République. On conçoit que celui-ci et l’état-major partagent la même phobie de la CPI.
Mais la pression des ONG, celle des autres pays européens et l’obstination d’Elisabeth Guigou ont conduit la France jusqu’à la
conférence de Rome. Il n’était quand même pas possible d’y plaider l’“irresponsabilité”. L’état-major exigeait l’exonération des
crimes contre l’humanité. In extremis, il se contenta de celle des crimes de guerre, pour 7 ans.
1. Comme beaucoup d’officiers français, il était passablement serbophile, et trop confiant en la parole de Mladic.
Garantie décennale
Curieusement, l’analyse de certaines autorités françaises rejoint celle que nous avons plusieurs fois exposée. Il est clair qu’à terme,
disons dix ans, la Françafrique est condamnée à disparaître. Mais elle est encore en pleine activité. Ce qui fait souci, si elle n’est pas
mise sur la touche, ce sont les catastrophes qu’elle peut causer, dans la décennie à venir, de par ses réactions imprévisibles,
incontrôlées, et parfois délirantes. En certains cercles l’on se dit : il faudra au moins 3 ans pour mettre en place la CPI ; plus 7 ans
d’exonération, cela fait 10 années, durant lesquelles on ne viendra pas nous demander des comptes...
C’est sur de telles bases que l’on veut, fin novembre, proposer d’œuvrer à la sécurité de l’Afrique...
Rappelons que la très grande majorité des pays africains, eux, se sont ligués pour obtenir une CPI efficace. Malgré certaines
interventions téléphoniques de Jacques Chirac, ils ont résisté de manière décisive aux tentatives de la vider de son contenu.
Mission(s) Rwanda
Dans ce contexte, les députés qui veulent que la mission d’information parlementaire sur le Rwanda ne s’achève pas en eau de
rose, ou de boudin, ont bien du mérite.
Ceux qui préfèrent la prolongation de l’amnésie des crimes coloniaux et néocoloniaux savent que le rapport final sera attendu sur
un certain nombre de questions précises. Faute de pouvoir y répondre, on aimerait disqualifier ceux qui les poseront.
C’est dans ce contexte que Stephen Smith nous a attaqués frontalement dans Libération (13/10/1998) : « Survie étant un lobby
partisan et son président d’honneur, Jean Carbonare, conseiller à la présidence rwandaise ».
Puisqu’il y a “démonstration” en forme de juxtaposition (!), commençons par préciser que notre ancien président Jean Carbonare
(devenu président d’honneur) a effectué bénévolement une série de missions au Rwanda après le génocide pour y organiser des
chantiers de reconstruction, cofinancés par les agences des Nations unies. Il s’est concentré sur le logement, dont la pénurie est, on le
sait, une source majeure de conflits. Sur les chantiers qu’il a initiés travaillaient côte à côte des veuves rescapées du génocide et des
personnes qui y ont “assisté”. Ce genre de parti pris l’honore, et nous honore.
4
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
Pour que cette action soit autre chose qu’une micro-réalisation, il a forcément rencontré les pouvoirs publics. En ce sens, il les a
« conseillés ». Mais imagine-t-on ce septuagénaire, qui a voué sa vie au développement des plus pauvres à travers l’Afrique, se livrer
à quoi que ce soit de déshonorant ? Pour Stephen Smith, le seul fait d’avoir tenté ou fait quelque chose dans le Rwanda post-
Habyarimana vous classe parmi les suspects.
Quant à Survie, ce sont quatre cents citoyens qui, depuis 15 ans, militent publiquement pour des objectifs publics : que l’aide au
développement serve réellement à lutter contre la misère ; que soit mis un terme aux dérives criminelles de la politique franco-
africaine ; que soient prévenus les dangers de banalisation du génocide. Cette action est portée pour l’essentiel par des bénévoles,
avec l’argent de cotisants. L’ensemble couvre une large palette d’opinions. Oh le vilain lobby !
Mais ce que nous révélons dérange, justement parce que nos propos ne peuvent être réduits à un clivage partisan : dans tous les
partis républicains nous avons rencontré des hommes et des femmes qui ne peuvent plus supporter ce qu’on fait en leur nom ; et
d’autres qui profitent du système.
Dernier point : Survie croit que le politique est plus que jamais nécessaire. Nous prenons le risque de nous prononcer en ce
domaine, y compris dans des régions ou des domaines troublés. Un risque que beaucoup nous abandonnent volontiers...
En contrepoint, nous n’avons jamais refusé à personne de nous montrer que nous nous étions trompés - puisque notre perspective
politique est celle de la capillarisation des contre-pouvoirs.
Sous Total
Présidée par la députée Verte Marie-Hélène Aubert, une mission d’information parlementaire sur le rôle politique, économique,
social et écologique des compagnies pétrolières va commencer ses travaux. C’est Elf qui était visée par la demande initiale d’une
commission d’enquête, mais c’est Total qui, aujourd’hui, se sent la plus gênée. Il faut dire que le ministère américain du Travail
vient de publier un rapport selon lequel la major française (et une firme US, Unocal) paraît avoir utilisé, pour la construction d’un
pipeline en Birmanie, une main d’œuvre soumise au travail forcé. (AFP, 08/10/1998) .
Mélange détonant
Alors que le Nigeria émerge du régime ubuesque d’Abacha (ce dictateur francophile), alors que le Prix Nobel Wole Soyinka peut
enfin rentrer chez lui, le mélange déflagrant du pétrole et de la pauvreté tue encore : la panne économique et la pénurie d’essence
(chez l’un des principaux producteurs de pétrole !) ont fait un millier de victimes, attirées par la fuite “providentielle” d’un
pipeline...
Bons points
* Le 16 octobre en Avignon, des magistrats, des parlementaires et des ministres de la Justice européens ont réclamé d’une seule voix
la suppression des entraves à la coopération judiciaire en Europe. Est particulièrement visée la lutte contre la corruption et l’argent
sale (qui vampirisent l’Afrique). Elisabeth Guigou a admis que l’appel de Genève, initié par le juge Van Ruymbeke et quelques
collègues, avait été une sorte d’électrochoc. Ouvrir les yeux est parfois une torture !
* Symbole du mépris de la politique par les pachas et ayatollahs de l’économie et de la finance, le projet d’ AMI (Accord multilatéral
sur l’investissement) a avorté. Pour une fois, la “société civile” s’était mobilisée à temps, anticipant les conséquences funestes d’une
absence d’engagement : elle a su démontrer la barbarie d’un projet de privatisation de la planète. Profitant de ce travail de sape, le
gouvernement Jospin a donné à ce faux AMI le coup de grâce.
* La mesure des causes et effets réels de la pauvreté, introduite en 1991 par la série des Rapports mondiaux sur le développement
humain du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) ne cesse d’humilier, au sens étymologique, la “pensée
unique” néolibérale. Alouette ? L’un des initiateurs de cette science au service des humbles, l’Indien Amartya Sen, a obtenu le Prix
Nobel d’économie.
Fausses notes
* Censé harmoniser la nouvelle politique française de coopération, le CICID (Comité interministériel de la coopération pour le
développement) ne parvient pas à tenir sa première réunion, sans cesse reportée (LdC, 08/10/1998) . En réalité, la zizanie s’accentue
entre (mauvais) joueurs d’un terrain dont s’est complètement désinvesti l’arbitre Jospin. Tandis que Chirac joue, à fond la caisse, les
prolongations post-foccartiennes.
* Etait-il bien nécessaire de recevoir en grande pompe à l’Assemblée nationale le président sénégalais Abdou Diouf ? Son régime
corrompu reste de fait monopartisan, en raison de la fraude électorale. Il se durcit sous l’emprise du dauphin Tanor Dieng et de
l’armée, engagée dans deux “sales guerres” (en Casamance et Guinée-Bissau).
* Le groupe Bouygues a-t-il besoin de l’aide publique pour accaparer en Afrique les concessions de services publics (eau, électricité,
traitement des déchets, ...) ? Sa filiale Saur-International a eu droit en tout cas à 607 millions de cash, extraits de la trésorerie de
l’entreprise publique EDF. Peu avant le scrutin présidentiel de 1995, où TF1 (groupe Bouygues) soutint Balladur (Le Canard enchaîné,
14/10/1998) .
* Le Centre national de l’enfance et de la famille (CIDEF), fondé voici un demi-siècle par le professeur Robert Debré, est une
fondation d’utilité publique qui faisait référence en plusieurs domaines sanitaires (vaccinations), sociaux et juridiques. Privé de ses
fonctions de ministre de la Coopération, Bernard Debré, fils de Robert, guigna et obtint la présidence du CIDEF. Un bon prétexte
pour multiplier les visites aux “amis” africains, ces Bongo et Eyadema qui prennent tant soin des enfants gabonais et togolais... Par
sa gestion très personnelle de l’“héritage paternel”, Bernard Debré dressa contre lui la grande majorité des 75 salariés. Dissous le 12
octobre, le CIDEF en est mort. Sans que Matignon ait levé le petit doigt pour le sauver.
5
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
* Le régime oustachi d’Ante Pavelic, sorte de nazisme croate, extermina 700 000 Juifs, Serbes, Gitans et dissidents dans le camp de
concentration de Jasenovac. Le cardinal Stepinac, archevêque de Zagreb, lui apporta sa caution spirituelle. Il fut membre du
Parlement oustachi. En 1940, il confia à un hebdomadaire indépendant qu’une victoire de l’Angleterre signifierait « le maintien au
pouvoir des juifs et des maçons, à savoir l’immoralité et la corruption » (Libération, 01 et 05/10/1998) . Après trop d’“indulgences”, sa
béatification confirme malheureusement que la proscription du crime contre l’humanité n’est pas une priorité de la papauté.
Carnet
* Avis de décès de l’APD (Aide publique au développement). Sa signification éthique et politique était si exténuée que toute la
presse a piraté son sigle pour désigner la nouvelle journée d’“Appel de préparation à la défense”... (qui trace aussi une croix sur le
service militaire).
* Du 9 au 12 novembre à 19 h, à Lyon, la CNUCED organise un sommet « Partenaires pour le développement ». Thèmes : Internet
et développement, Profit et développement. A cette occasion, un collectif d’une quinzaine d’ONG (dont Survie), Reprenons
l’initiative, organise 4 débats “in” et 5 “off”. Voir programme ci-dessous.
Tél. (0)4 78 69 79 59 ou (0)6 86 04 25 68.
* Le 25 novembre à 19 h, place de la République à Paris. Rassemblement face au sommet franco-africain, à l’initiative des Verts et
du collectif Elf : France-Afrique, il faut que ça change !
(Achevé le 25/10/1998)
Reprenons l’initiative
A QUI PROFITE LE DÉVELOPPEMENT ?
Lyon, 9-10 novembre 1998
Débats “off”
« Un soutien sérieux [aux Forces nationales de libération burundaises (FNL), branche armée du parti extrémiste hutu Palipehutu] de la part de l’ALIR
[Armée de libération du Rwanda, résurgence militaire du Hutu power] terminerait cette guerre au profit de tous les Bahutu burundais et rwandais.
Cette collaboration entre Burundais et Rwandais est déjà effective, comme en fait foi le protocole d’accord de coopération entre le
FNL et les anciennes FAR [Forces armées rwandaises] [...]. L’exploitation de ce schéma de travail permettra, dans les plus brefs délais, de
résoudre pour toujours le problème séculaire Hutu-Tutsi dans notre sous-région ». (Abbé Athanase-Robert NYANDWI, émissaire de
l’ALIR auprès des FNL. Mémorandum du 20/11/1997 adressé au chef d’état-major de l’ALIR, le lieutenant-colonel Nkundiye. Cité par La Libre Belgique du
26/09/1998).
[Toujours le fantasme de la solution finale... L’ecclésiastique porte la clef de Saint-Pierre ?]
« La torture morale et physique, la misère, j’ai vécu la mort en direct... On y retrouve [dans la prison de Douala] une population
cosmopolite, des gens qui viennent de toutes les couches sociales. Et qui n’ont rien fait : le plus souvent ils sont simplement là pour
avoir refusé de donner de l’argent. Soit par manque d’argent, soit par principe. C’est une lutte permanente que le détenu doit mener
pour survivre ». (Pius NJAWE, journaliste camerounais récemment libéré. Interview du 13/10/1998 à RFI, cité par L’Humanité du 14/10/1998) .
[Jugé sans doute plus gênant en prison que dehors, le directeur du Messager a fini par bénéficier de la “grâce présidentielle”. Mais plusieurs de
ses confrères restent menacés, sont molestés, torturés, emprisonnés.]
« Je suis un honnête homme. Je n’ai jamais pris un sou à personne ». (André GUELFI, intermédiaire en pétrole et droits sportifs. Interview au
Point du 17/10/1998 - Journée mondiale de la misère).
6
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
[Ce milliardaire est un homme à principes : il corrompt énormément, et il reçoit plus encore. Celai se fait certes avec l’agrément des milieux qu’il
fréquente, en ex-URSS, en Amérique latine et en Afrique. L’argent n’est pas pris à une « personne ». Mais le pillage des Etats aggrave la misère
des foules anonymes. Une définition post-moderne de « l’honnête homme » ?]
« Plus de 30 millions de personnes souffrent de faim aiguë et en meurent [...]. 800 millions d’autres sont en état de sous-alimentation
chronique. [...]
Les mouvements armés, les gouvernements affament froidement leur propre population dans le dessein de faire venir l’aide
internationale ou d’obtenir une reconnaissance politique [...]. La faim est devenue une arme de guerre au même titre que les
narcotrafics, une façon de financer l’effort de guerre. Quand le spectacle est bien dramatique, il suffit de convoquer les organisations
humanitaires, en imputant à la guerre ou à quelque cataclysme naturel ce qui est en fait la conséquence d’une stratégie délibérée.»
(Sylvie BRUNEL, conseiller scientifique d’Action contre la faim, coordonnatrice de Géopolitique de la faim (cf. Lire). Interview à Libération, 16/10/1998) .
Reprenons l’initiative
A QUI PROFITE LE DÉVELOPPEMENT ?
Lyon, Palais des Congrès, 9-12 novembre 1998
Session “in”
- 11/11/1998, 10h-13h. Régulation des marchés financiers et Taxe Tobin Avec J.P. Allegret, J.L. Cipière, H. Puel.
A FLEUR DE PRESSE
Le Monde, La France renoue des liens avec le Congo de M. Kabila, 08/10/1998 (Claire TREAN) : « L’une des principales préoccupations
de Lionel Jospin en politique étrangère, lorsqu’il arriva au gouvernement, était l’assainissement des relations avec l’Afrique. Il
s’agissait de rompre avec des méthodes de type post-colonial, d’en finir avec les officines parallèles, avec le soutien plus ou moins
occulte à des régimes peu fréquentables. [...]
Mais cela, apparemment, n’empêche pas les bonnes vieilles habitudes de reprendre le dessus et la politique africaine de l’Elysée de
chercher à nouveau à voler de ses propres ailes.
En témoigne, entre autres, l’accueil, la semaine dernière à l’Elysée, du président du Liberia Charles Taylor, certes élu au suffrage
universel, mais précédemment chef d’une armée sanguinaire, bien connu de M. Dupuch au temps où ce dernier était ambassadeur de
France à Abidjan. En témoigne aussi la lenteur mise par les soldats français à quitter le Congo-Brazzaville de Denis Sassou
N’Guesso, où ils n’avaient en principe été dépêchés, en juin 1997, que pour une brève opération d’évacuation.
L’envoi de M. Dupuch, émissaire très proche de Jacques Chirac auprès de Laurent-Désiré Kabila, paraît s’inscrire dans cette
tendance. [...] Un spécialiste des relations internationales déclarait lundi à l’AFP : “En se rapprochant de M. Kabila, la France se
rapproche des puissances africaines qui l’ont soutenu, notamment de l’Angola, où Paris possède d’importants intérêts pétroliers, et
en ce sens la diplomatie française réalise un beau coup”.
Un “coup” qui renoue avec les traditions ? On a le sentiment en tout cas que c’est l’Elysée plutôt que “la France” qui reprend pied
ces temps-ci en Afrique ».
[Mais la majorité des députés et le gouvernement de “gauche plurielle” élus pour diriger “la France” restent singulièrement inertes... La
préoccupation de l’assainissement des relations avec l’Afrique n’est pas manifestement « l’une des principales » de Lionel Jospin.]
La Lettre du continent, Paris et Tripoli, nouvelle idylle au Congo , 08/10/1998 : « Il n’y a pas de subtile stratégie [...] dans le nouveau
flirt poussé entre le France et la Libye et ses effets induits dans le conflit du Congo-K. Il ne s’agit que de business [...]. Les deux pays
sont passés en quelques mois des relations au niveau des services secrets à une normalisation diplomatique, avec la visite cet été au
Quai d’Orsay du ministre libyen des affaires étrangères. Les chambres de commerce [...] multiplient de discrètes réunions bourrées à
craquer de chefs d’entreprises de plus en plus affairés. Avec l’attribution en août d’un important contrat au groupe Suez-Lyonnaise
des Eaux et, surtout, la visite à Tripoli de son patron Jérôme Monod, un proche du président Jacques Chirac [...].
Premier effet de ces retrouvailles : le nouveau “parrainage” financier libyen des anciens poulains de Paris dans la région. Les
présidents Idriss Déby du Tchad, Ange-Félix Patassé de Centrafrique et Ibrahim Baré Maïnassara du Niger ne connaissent plus
qu’une métropole : Tripoli [...].
Après avoir reçu à plusieurs reprises ces dernières semaines le Congolais Laurent-Désiré Kabila puis le Soudanais Omar el Béchir,
le “Prince du désert” finance aujourd’hui une vaste coalition militaire régionale [...] composée du Tchad [...], du Soudan qui a déjà
engagé des hommes dans les combats [au Congo-K] en appui aux ex-FAR de l’ancien président Habyarimana, du Centrafrique qui a
toujours laissé passer les troupes de Khartoum pour prendre à revers la rébellion soudanaise de John Garang et du Niger qui abrite à
Niamey les anciens généraux mobutistes Baramoto et Nzimbi. C’est “l’union sacrée”... ».
[Voici un an (n° 52), nous signalions l’importance des connexions souterraines franco-libyennes, côté RPR notamment - via, entre autres,
l’homme d’affaires comorien Saïd Hilali. Elles ont joué un rôle majeur dans l’aventure de Bob Denard aux Comores. En 1987, elles signèrent la
condamnation de Thomas Sankara. Si elles décident de s’afficher davantage, on y verra plus clair.]
Mail & Guardian (Johannesbourg), Les chiens de guerre se régalent au Congo-Kinshasa, cité par Courrier International du 01/10/1998 (K.
PECH, W. BOOT et A. EVELETH) : « [La firme mercenaire] Executive Outcomes a organisé fin août un vol à destination de Kinshasa
pour des journalistes. [...] Les responsables d’Executive Outcomes sont en contact avec Kabila depuis plus d’un an. Ils ont
7
Billets d’Afrique N° 64 – Novembre 1998
récemment négocié à Kinshasa un contrat [...] [portant] sur la protection des personnalités, la mise en place de services de
surveillance électronique sophistiqués et un soutien aérien.
L’appui d’Executive Outcomes à Kabila est étroitement lié au déploiement des forces angolaises dans le sud-ouest du Congo. Des
officiers affiliés à Executive Outcomes auraient obtenu du gouvernement angolais des contrats [...] [pour] la livraison d’hélicoptères
et d’avions, ainsi que l’assistance de leurs pilotes.
Un [...] consortium d’entreprises [sud-africaines] a signé des contrats portant sur l’apport d’un soutien militaire à Kabila . [...] Selon un
témoin, à la fin du mois d’août, des dizaines de Sud-Africains ont débarqué à Lubumbashi, le fief de Kabila, accompagnés d’une
centaine de soldats blancs francophones. Ils auraient été engagés pour défendre des points stratégiques aux alentours de ce grand
centre minier contre une éventuelle offensive rebelle ».
[A quelle branche françafricaine est reliée cette centaine de mercenaires francophones ? A moins qu’il ne s’agisse d’une histoire belge...]
Vigilance Soudan, L’idée “géniale” de Paris, 10/1998 : « Le train qui relie Khartoum à Wau, capitale du Bahr-el-Ghazal et
deuxième ville du Sud[-Soudan], ne peut fonctionner actuellement que trois à quatre fois par an, ce qui est insuffisant : Wau a
récemment failli tomber aux mains des rebelles. Le passage du train est protégé par des milices qui en profitent pour piller, brûler
les villages et emmener en esclavage enfants, adolescents et jeunes femmes (un millier en avril selon l’agence Fides).
La réhabilitation de la voie ferrée que se propose d’offrir la France selon La Lettre de l’Océan indien, relayée par d’autres sources,
serait d’abord une aide militaire importante au régime soudanais. [...] [Elle] rendrait [...] les autorités françaises complices des crimes
d’enlèvement et de mise en esclavage ».
[Mais elles sont elles-mêmes doublement esclaves : des séductions déployées par le francophile Tourabi, et du syndrome de Fachoda, qui veut que
tout ennemi des “Anglo-Saxons” soit naturellement notre ami.
Ajoutons qu’une partie des armes obtenues par le régime soudanais approvisionnent le Hutu power par le nord du Kenya (cf. article précédent).]
JUSTICE INTERNATIONALE
Le Canard enchaîné, Comédie américaine au Kosovo, 21/10/1998 (Claude ANGELI) : « [En Bosnie], où 7 500 militaires américains sont
présents, une vieille querelle les oppose aux Français. Voilà deux mois, une note de leurs services de renseignement (référence A-
273) a été transmise à l’état-major de la Forpronu et au parquet du Tribunal international de La Haye.
A plusieurs occasions, y est-il précisé, les soldats français ont pu, dans la zone qu’ils contrôlent, arrêter Karadzic, Mladic et
quelques autres criminels de guerre. Et la note américaine d’indiquer : “Nous portons à votre connaissance le motif de ce manque
d’efficacité. Le préfet Jean-Charles Marchiani s’est engagé (lors de sa négociation pour la libération, en décembre 1995, des pilotes
français prisonniers des Serbes) à ce que Karadzic, Mladic et un colonel ne soient pas capturés”. La note des barbouzes américaines
ne précise pas que Marchiani était à l’époque l’émissaire de Chirac auprès des chefs militaires serbes ».
LIRE
Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold, Belfond, 1998, 440 p.
Ainsi le bon roi d’un peuple pieux a commis, pour se tailler au cœur de l’Afrique l’immense empire congolais, des atrocités inimaginables, d’une
ampleur incroyable (5 à 10 millions de victimes ?). Il agissait via un réseau personnel, lié par la cupidité, où s’illustrèrent des aventuriers comme
le Gallois John Rowlands - plus connu sous le pseudonyme de Stanley. Durant un quart de siècle, le Congo resta le “domaine réservé”, terrorisé,
de Léopold II. Jusqu’à ce que le scandale international de cette entreprise criminelle, soulevé par quelques Belges rares mais obstinés, n’oblige
l’Etat bruxellois à reprendre les choses en main. Relatif progrès...
Action contre la faim, Géopolitique de la faim, PUF, 1998, 300 p.
8
Quand des humanitaires démontrent longuement que la faim est un problème essentiellement politique, nous qui depuis 15 ans sommes mobilisés
par cette conviction ne pouvons qu’applaudir. En un langage souvent décapant, le livre scrute les politiques de la faim et de la famine dans une
série de pays, dont la plupart ont eu à souffrir de la corruption, du cynisme et des pratiques occultes qui décrédibilisent durablement les relations
extérieures de la France. Il suffit d’évoquer le Sierra Leone, le Liberia, le Rwanda, le Soudan, le Niger, le Tchad, la Birmanie. De quoi creuser la
faim de justice.
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019 DÉPÔT
LEGAL : NOVEMBRE 1998 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 80 F (ETRANGER : 100 F)
9
BILLETS D’AFRIQUE N° 65 - DECEMBRE 1998
Billets effeuillés
Ces Billets de décembre, achevés avant le Sommet franco-africain du Louvre, ont un format allégé. Avec Agir ici, Survie s’est
mobilisée pour donner à voir, à lire, à entendre autre chose que l’apparat et les discours officiels, étouffants. Les deux associations
proposent à la presse la rencontre d’autres voix africaines que celles de dirigeants souvent peu légitimes. Par une campagne de cartes
postales, elles suscitent une interpellation des autorités françaises, sur le thème Sécurité au Sommet, insécurité à la base (cf. notre
éditorial du n° 64).
Enfin, elles ont rédigé et publient sous cet intitulé, le 26 novembre chez L’Harmattan, un douzième Dossier noir de la politique
africaine de la France. Le plus étoffé : 255 pages ! (cf. p.4). Ceux qui seraient “en manque” de lecture ont donc de quoi se rassasier.
Et pas seulement ceux-là : à tous ceux que cela intéresse, l’ouvrage expose comment la Françafrique entretient un système militaro-
barbouzard de contrainte et d’ingérence, échappant à tout contrôle. Un facteur majeur d’insécurité pour l’Afrique.
SALVES
Chirac-Eyadema
Tout le monde l’admet (Union européenne en tête), et même Jacques Chirac n’a pas le culot de le démentir : lors du scrutin
présidentiel de juin 1998, le général Eyadema a été rejeté par les électeurs togolais. Ils lui ont préféré Gilchrist Olympio, le fils du
président assassiné 35 ans plus tôt par Eyadema (cf. Billets n° 60).
En invitant le général Eyadema au Sommet du Louvre, Jacques Chirac illustre parfaitement le respect qu’il porte aux peuples
d’Afrique. Et à la démocratie dès lors qu’il se croit en zone d’impunité.
Car, malheureusement, ce qui depuis un quart de siècle lie Jacques Chirac à la dictature pillarde d’Eyadema est beaucoup plus
pesant que ce qui les divise.
Essentiel
On le répète : en Afrique, Lionel Jospin est coincé dans le triangle des trois E : Élysée, Elf, État-major ; Faute de mobiliser
l’énergie nécessaire pour en sortir, il s’y installe, fût-ce à contrecœur. Et le Parti socialiste se met à jouer les vestales de cette
position de repli.
Le 25 novembre, les Verts organisent une manifestation contre les présupposés du Sommet du Louvre. Chargé des relations
internationales au PS, Pierre Guidoni leur écrit : « En toute hypothèse, manifester aujourd’hui contre le sommet franco-africain
prend un sens, qui n’échappera à personne, de désaveu de l’action du gouvernement sur une question essentielle ».
Si le gouvernement s’attaque si peu aux déficiences criminogènes de la relation franco-africaine, c’était, croyait-on, parce que pour
lui la question n’est pas « essentielle ». Mais si le sommet franco-africain - un show néocolonial imaginé par Giscard, enflé par
Mitterrand et Chirac - exprime le « sens » de « l’action du gouvernement sur une question essentielle », il faudrait diagnostiquer une
contamination précoce de ce gouvernement par le syndrome françafricain. Pierre Guidoni, ancien chevènementiste, reflète-t-il
vraiment le point de vue de Matignon ?
On reste abasourdi, en effet, par le triomphe que le Mouvement des citoyens (les amis de Jean-Pierre Chevènement) a réservé à
Charles Pasqua le 18 novembre. Certes, c’est le héraut anti-maastrichtien qui fut ovationné, et sa diatribe contre un nouvel
« abandon de souveraineté » de la France. Mais c’est le même personnage qui, par les ingérences de son réseau, ne cesse de bafouer
la souveraineté des peuples africains. La fierté républicaine, chère aux chevènementistes, ne serait plus valable outre-Méditerranée ?
L’exigence de justice et de réciprocité apparaissait comme une valeur essentielle de la majorité plurielle, commune à toutes ses
composantes et massivement souscrite par son électorat. La « question essentielle » de la conservation du pouvoir, jusque dans la
solidarité avec un passé indéfendable, prendrait-elle déjà le pas sur cette valeur ?
Bon sens
Cent ans après l’affaire Dreyfus, Lionel Jospin montre qu’il peut aussi affronter un certain intégrisme militaire, et civiliser la
conception de l’honneur. Réintégrer dans la mémoire de la nation les fusillés de 1917, las d’une boucherie stupide commandée par
un général incompétent, n’est pas seulement une œuvre de justice. C’est aussi un bon calcul électoral : une générosité incontestable
dévalue, “ringardise” les tenants d’un ordre impitoyable.
En contraste, la crispation du même Jospin sur l’affaire des sans-papiers s’avère, quoi qu’il en pense, un mauvais calcul électoral. Il
ne lui est pas demandé d’ouvrir les frontières, mais d’ordonner à l’administration un traitement humain des dossiers de quelques
milliers de personnes, présentes en France depuis plusieurs années, qui veulent y rester et qui, de toute façon, y resteront. Même
Pasqua l’a compris. Se faire piquer des voix par lui sur ce terrain-là, est-ce bien raisonnable ?
nationale. Entre-temps, la mise en place d’un couloir humanitaire devrait permettre de secourir 350 000 personnes déplacées, très
démunies.
Cette paix s’est conclue sous les auspices du Nigeria, heureusement débarrassé de son dictateur Sani Abacha. Survivra-t-elle aux
ambitions des militaires sénégalais, qui veulent prendre en étau les indépendantistes casamançais 2, et aux calculs de leurs
“conseillers” français ?
1. Cf. Agir ici et Survie, Sécurité au Sommet, insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 113-120.
2. Province méridionale du Sénégal, la Casamance marque la frontière nord de la Guinée-Bissau.
Communicante
Paul Quilès a pris toutes les précautions nécessaires pour “vendre” le rapport de la mission d’information parlementaire sur le
Rwanda, qu’il préside. Au cas où le contenu ne serait pas en lui-même totalement convaincant...
Il a recruté une attachée de presse, Catherine Laroque, aux remarquables références. Elle a, au préalable, “vendu” les idées de
Bernard Tapie et de Michel Charasse, ex-conseiller spécial de François Mitterrand (La Lettre du Continent, 24/09/1998). Deux hommes qui ,
comme chacun sait, ont beaucoup sacrifié à la vérité.
Mineur de fond(s)
Président de l’entreprise de construction SAE International, Michel Roussin a un curriculum vitæ en béton armé : ancien ponte de
la DGSE, directeur de cabinet et grand argentier de Jacques Chirac en son fief de la mairie de Paris, ministre de la Coopération
branché, président du Comité Afrique du patronat français, accessoirement affilié à la Grande loge nationale de France (GLNF)
comme une partie du village franco-africain.
Il était donc prédestiné à devenir administrateur de la Comilog, avec la perspective d’y remplacer le président Claude Villain, ami
de 30 ans de Jacques Chirac (La Lettre du Continent, 24/09/1998). L’objet affiché de la Comilog est en soi déjà très riche : l’exploitation des
mines gabonaises de manganèse. Elle est aussi au cœur du réacteur franco-gabonais, saturé de secrets d’État : c’est cette société que,
curieusement, l’on chargea d’élargir son savoir-faire sécuritaire à l’uranium de Franceville. Quitte à y “perdre” beaucoup d’argent 1 :
un “trou” inexpliqué de 400 millions de FF a été constaté en 1995. Au détriment de la Caisse française de développement, et donc du
contribuable français. En tant qu’ancien ministre tuteur de cette Caisse (1993-94), Michel Roussin est sans doute “au parfum” de
cette aide précieuse au développement du Gabon.
1. Cf. François-Xavier Verschave, La Françafrique, Stock, 1998, p. 135 ; La note du manganèse, in La Lettre du Continent du 08/06/1995 ; Les milliards perdus du
banquier de l'Afrique, in Capital, 11/1997.
Allergies
Comment se fait-il que le Gabon reste allergique à tant de sollicitude ? En termes de santé publique, il est plus mal classé que
certains des pays les plus pauvres de la planète : on n’y compte que 19 médecins pour 100 000 habitants, l’espérance de vie n’est que
de 54 ans, seulement 54 % des enfants sont vaccinés contre la tuberculose et 38 % contre la rougeole (au lieu de 90 % et 79 % en
moyenne dans les pays en développement) 1. Cette couverture vaccinale compte parmi les plus faibles du monde. Un enfant sur sept
meurt avant l’âge de cinq ans. Quant à la politique d’éducation, elle a laissé analphabètes plus d’un tiers des adultes. Le classement
du Gabon à l’Indicateur du développement humain (IDH) le fait reculer de 26 places par rapport à un classement seulement basé sur
le revenu par habitant 2.
Tiens ? Les Gabonais semblent de plus en plus allergiques à Bongo. Celui-ci est désormais assuré de perdre le scrutin présidentiel
du 6 décembre, sauf à le “corriger” massivement (avec l’aide d’experts français, comme d'habitude ?). Deux dinosaures “corrigés”
par les urnes (Eyadema et Bongo) ? De quoi déclencher une panique des hiérarques à Françafric Park !
1. Dernières statistiques connues (Rapport mondial sur le développement humain 1998 du PNUD).
2. Le président Bongo, comme toute la Françafrique dont l’IDH mesure la gestion ruineuse, déteste cet indice établi depuis 1991 par le Programme des Nations Unies
pour le développement. En 1995, dans son discours d’ouverture au Sommet francophone de Cotonou, il a suggéré que la Francophonie fabrique son propre indice du
développement (La Lettre du Continent, 14/12/1995). Outre le PIB par habitant, l'IDH intègre l'effort d'éducation et l'espérance de vie - qui ne sont pas vraiment des
priorités des gouvernements “aidés” et protégés par la France.
Si l'on agrégeait dans un Indice de jouissance françafricaine (IJF) une mesure de l'évasion des capitaux, la concentration des lieux de naissance des membres de la
garde présidentielle, et l'inverse du taux d'imposition réel des plus grosses fortunes, nul doute que le Gabon ou le Togo prendraient la tête du peloton.
Une (modeste) contribution de Billets à l’ordre du jour du Sommet du Louvre.
Truquage (suite)
De Bangui (Centrafrique) nous parviennent des informations sur le vaste truquage en préparation des élections législatives du 22
novembre 1. Comme d’habitude, l’armée française est aux premières loges de la logistique du scrutin. La “Grande muette” se taira-t-
elle, comme d’habitude, sur le déni de démocratie que son action aura permis, au nom du peuple français ?
1. Cf. aussi Des élections “minées”, in La Lettre du continent du 05/11/1998.
Rumeurs de paix
La guerre fait rage au Congo-Kinshasa. Comme nous le pressentions, Kabila n’a pas profité d’une éclaircie de popularité,
chèrement acquise (une propagande xénophobe), pour élargir la base de son pouvoir. Il a écarté au contraire l’un des ministres les
plus respectés, le Docteur Sondji, qui déplorait que le projet de Constitution n’ait pas été soumis au Conseil des ministres. Lequel n’a
plus été réuni depuis quatre mois (Le Soir, 18/11/1998) .
Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle guerre du Congo, civile et étrangère, ne mène qu’à des situations intenables. Maintenant que
les forces ont pu se mesurer, établissant un relatif équilibre, les “faiseurs de paix”, Mandela en tête, ont pu reprendre leurs
médiations. Il se murmure même que la France en serait. Si elle réussissait, nous applaudirions bien volontiers au miracle !
Libérez Yorongar !
11
Billets d’Afrique N° 65 – Décembre 1998
L’intrépide député qui osa révéler les dessous du contrat pétrolier “promis” à son pays, le Tchad, et surtout au président Déby,
croupit depuis 5 mois en prison. « Bien fait ! », pensent nombre de décideurs français, horripilés par ce gêneur. Mais, catalysant le
soutien d’ONG du monde entier, il finit par être plus gênant interné que libre. Aussi se cherche-t-il un scénario de confirmation de sa
peine, puis de grâce présidentielle, qui permettrait au pouvoir tchadien de sauver la face. Au lendemain du Sommet du Louvre ?
Le président de l’Assemblée nationale Laurent Fabius, réunit à Paris un “sommet” parallèle des délégations parlementaires
africaines, en forme de colloque sur « La nouvelle politique africaine de la France ». Lui aussi mériterait nos applaudissements s'il
parvenait à s’entremettre efficacement en faveur de son collègue persécuté - privé de son immunité pour un “délit d'opinion”.
Réforme (suite)
Les moqueries ont-elles eu quelque effet ? Près d’un an après le lancement de la “grande réforme” de la coopération française, le
ministre Charles Josselin espère parvenir à tenir en décembre la première réunion de son comité de pilotage, le CICID.
Parmi les idées-force du ministre, il y a le renforcement de la coopération non- gouvernementale. Signe de cette priorité : au budget
1999, le financement public des Organisations de solidarité internationale (OSI, ex-ONG) reste inchangé en francs constants, à 262
millions de FF. Il plafonne à 7 pour mille de l’aide publique au développement (La Lettre de SUD, 11/1998). Renforcer les OSI ? Non
Bercy !
« Partisan » ?
Nous préférerions ne pas donner l’impression de régler des comptes, mais le journaliste de Libération qui a traité Survie de « lobby
partisan » (13/10/1998, cf. Billets n° 64) a vraiment fait très fort en un mois.
Dans un article-choc Sud-Soudan cimetière de l’humanitaire (28/10/1998) , il réussit à imputer entièrement la responsabilité de la
famine en cette contrée aux rebelles sud-soudanais et à leurs alliés américains sans dire un mot de la guerre d’épouvante, fanatique,
menée par le régime de Khartoum contre les populations du Sud. Sans mentionner non plus l’organisation de la famine dont ce
régime s’est une fois de plus rendu coupable en bloquant tout ravitaillement aérien en février-mars 1998.
Certes, certains warlords sud-soudanais instrumentalisent aussi la famine. Mais est-ce que l’alliance renouvelée de la France avec
la dictature militaro-islamiste du Soudan justifie qu’on occulte totalement les méfaits de cette dernière ?
Le 4 novembre, un rapport de l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) conclut à l’écrasante responsabilité du
régime de Denis Sassou Nguesso (DSN) dans le retour du Congo-Brazza « vers le chaos et la barbarie » 1. L’article Congo-
Brazzaville : escalade de la violence (16/11/1998) parvient à intégrer ce document dans un acte d’accusation, presque à sens unique 2,
de l’opposition politique et militaire - qui représente une large majorité de l’électorat. Rappelons que l’actuel “président” est un
dictateur chassé du pouvoir par une révolution démocratique, revenu par la guerre civile.
Certes, les adversaires de Sassou ne sont pas des anges. Certes, le nouvel accaparement du pouvoir par DSN, son clan et ses milices
induit des violences réciproques. Mais l’appartenance de Sassou Nguesso au premier cercle françafricain, son amitié avec Jacques
Chirac et la sympathie de l’état-major parisien 3 suffisent-elles à expliquer le parti pris de Libération ?
À propos de Blaise Compaoré, enfin. Celui qui assassina Thomas Sankara, avec le feu vert de Jacques Foccart, se fait confirmer sur
son trône de président à vie du Burkina par une élection escamotée. Cela méritait-il de répéter l’habituel couplet de propagande des
officines françafricaines, fustigeant « une opposition aussi divisée que dépourvue d’idées sur la conduite du pays » (16/11/1998) ? Si
seul le chef a des idées, on se demande bien pourquoi, la coopération française continue de financer des scrutins aussi inutiles que
périlleux...
1. La consécration de la terreur et de l’injustice.
2. Les accusations de l’OCDH contre le régime DSN et ses milices sont mises au conditionnel. Contre les adversaires de DSN, l’artillerie accusatrice bombarde à
l’indicatif présent.
3. Cf. Agir ici et Survie, Sécurité au Sommet, insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 81-102.
Lettre de Pointe-Noire
L’OCDH (cf. ci-dessus) nous écrit :
« [...] La région du Pool, fief de l’ancien 1 er Ministre Bernard Kolelas, connaît une rébellion des ex-ninjas, milice du Mouvement
Congolais pour la Démocratie et le développement intégral (MCDDI).
À cette occasion, et dans le but de neutraliser ces jeunes gens qui ont repris les armes à cause des exécutions sommaires dont ils
font l’objet de la part du pouvoir actuel, l’armée régulière, composée essentiellement de jeunes recrues ex-cobra et militaires
angolais, se rend responsable de plusieurs violations des droits de l’homme dont les exécutions sommaires, les arrestations et
détentions arbitraires et illégales, la torture, le harcèlement, le viol au sein des populations civiles.
Aujourd’hui, ces populations ne savent plus à qui faire recours car les autorités devant les protéger se comportent sur le terrain en
bourreaux [...] ».
Le régime Sassou sait, lui, qu’il peut avoir recours à la coopération de la France, civile (officielle) et militaire (clandestine).
Édifiant
En fort peu de temps, François Pinault est “devenu” la deuxième fortune de France. Son intimité avec Jacques Chirac et un poste
d’administrateur du Crédit Lyonnais sont totalement étrangers à cette bonne fortune. Elle est uniquement due à un labeur incessant,
doublé d’une chance exceptionnelle : Pinault continue de toucher du bois (il débuta dans le négoce de ce matériau).
Tout ce qu’il touche, d’ailleurs, se transforme en or. Ainsi les comptoirs néocoloniaux CFAO et Scoa. Le Crédit Lyonnais a acheté
en 1990 le siège parisien de la CFAO ; il espère fin 1998 retirer 350 millions de FF d’une opération qui lui aura coûté près de 2
milliards. Ce double milliard, c’est aussi le chiffre d’affaires que réalise la Scoa en Afrique ; elle a été achetée au franc symbolique
par la CFAO.
Celle-ci détient aussi la moitié de la brasserie qui dessert le Congo-Brazza, abreuve ses miliciens et arrose le paysage.
12
Billets d’Afrique N° 65 – Décembre 1998
Deux journalistes, Caroline Monnot et Pierre-Angel Gay, ont trouvé judicieux de raconter aux Français cette success story
édifiante. Calmann-Lévy a rompu leur contrat, et les autres éditeurs se défilent. Car François Pinault possède aussi l’hebdomadaire
Le Point, et surtout les librairies FNAC (Le Canard enchaîné, 29/07/1998).
Amour-propre
L’interprétation vivante de la Constitution de la France est aujourd’hui placée sous l’autorité de Roland Dumas. À s’en tenir aux
faits incontestés, ce personnage s’est, pour le moins, trouvé au carrefour d’un système de corruption généralisée 1. Il mit aussi ses
talent d'avocat au service du pillage de l'Afrique (via ses clients Bongo et consorts). Qu’une majorité de la classe politique et de
l’opinion publique tolèrent cette situation 2 montre que les Français ont un respect limité de la charte de leur “vivre ensemble” et de
la dignité de leur collectivité nationale.
On risque d’en avoir une confirmation plus flagrante encore. Au programme de la révision constitutionnelle du printemps prochain
ne figurait pas, mi-novembre, la modification indispensable à la ratification du traité instituant la Cour pénale internationale. Si ce
“lapsus” persistait, la ratification serait renvoyée aux calendes grecques. Et il apparaîtrait que le soi-disant “pays des droits de
l’homme” ne considère toujours pas comme une valeur constitutive la sanction des crimes de génocide et contre l’humanité.
1. Alfred Sirven, pivot de l’affaire Elf, avait deux interlocuteurs privilégiés : Roland Dumas et Charles Pasqua. Selon Le Canard enchaîné du 18/11/1998, il pilotait 300
comptes en Suisse, sur lesquels auraient transité quelque 4 milliards de FF. Le banquier Jean-Pierre François, ami de François Mitterrand, a estimé sur Europe 1
(04/11/1998) qu’il ne serait pas anormal que Sirven « ait disparu complètement, y compris du monde des vivants ».
Les comptes d’Omar Bongo sont l’autre versant du trésor de corruption créé par Elf. Le juge suisse Perraudin enquête sur l’un d’entre eux. Selon un avocat, le juge
« est persuadé que le chef de l’État gabonais n’était pas le principal bénéficiaire de certains de ces fonds, et que ce compte a été utilisé par ses amis français pour
blanchir beaucoup d’argent ». (Le Canard enchaîné, 18/11/1998) .
2. Quelques députés, comme le socialiste Arnaud Montebourg, commencent à entrer en résistance contre ce consensus mou.
Bons points
* L’annulation rapide des créances publiques françaises sur les pays d’Amérique centrale victimes de l’ouragan Mitch est une
décision d’honneur et de raison.
* La Banque mondiale réinvente heureusement l’eau chaude. Avec des pincettes. Au terme d’une étude de près de trois ans, elle a
hésité à publier un rapport “révolutionnaire”, Assessing Aid (« Évaluer l’aide »). Il démontre ceci : l’aide publique au développement
contribue à faire reculer la pauvreté dans les pays bien gouvernés ; elle est inutile, voire nocive, dans les autres (Libération, 11/11/1998) .
Les lecteurs de Billets l’avaient deviné.
Si tel devient aussi le discours de l’institution qui concocte le discours économique dominant, qui va vouloir encore aider les
pauvres Bongo, Eyadema, et autres Sassou ?
Carnet
* Le président comorien Mohamed Taki est décédé le 6 novembre. Paix à son âme ! Et paix aux Comores, qu’il approcha un peu
plus de l’effondrement, avec la persévérante complicité de l’ami Denard.
* Survie a été agréée comme membre fondateur d’ATTAC, l’association qui mi-lite pour l’institution d’une “taxe Tobin” sur les
mouvements de capitaux. Pour ATTAC, une telle taxe permettrait de freiner la constitution de “bulles spéculatives”, aux
conséquences ravageuses, de lutter contre la criminalité financière, et de lever des fonds contre l’intolérable pauvreté qui étreint plus
d’un milliard d’êtres humains.
Survie a également été élue au Bureau de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, qui regroupe 22 associations.
La Coalition vient elle-même de se constituer en association, pour mieux poursuivre un combat qui, on l’a vu, est encore loin d’être
gagné.
Courrier
Notre « Fausse note » sur la béatification du cardinal croate Stepinac nous a valu plusieurs lettres de protestation. Elles font valoir,
pour l’essentiel, que le cardinal, après avoir cautionné par certains de ses propos et attitudes le régime oustachi pro-nazi, a pris
publiquement des positions contraires. Jacques Monnot nous rappelle que le 24 octobre 1942, le cardinal déclara en chaire : « Tous
les hommes de toutes les races sont les enfants de Dieu ; tous sans distinction, qu’ils soient tziganes, noirs, européens, civilisés, juifs
ou fiers aryens [...] On ne peut exterminer les tziganes et les juifs parce qu’on considère qu’ils sont une race inférieure ».
C’est évidemment tout à l’honneur du prélat d’avoir changé d’attitude, puis d’avoir personnellement contribué à sauver des juifs.
Cela concourt à son salut personnel, mais n’efface pas l’effet politique de son attitude initiale. Aussi peut-on estimer pour le moins
inopportune la béatification de ce dignitaire, au moment même où sévit à Zagreb un régime qui se pose en héritier des Oustachis.
Lequel régime n’a pas manqué, évidemment, d’utiliser l’événement pour sa propagande nationaliste.
(Achevé le 22/11/1998)
ILS ONT DIT
13
« Je le confirme, [Kabila viendra à Paris] à l’invitation de Jacques Chirac. Sans m’immiscer dans les affaires françaises, j’ai l’impression
que le président de la République a quelque peu damé le pion à Lionel Jospin. Kabila n’est pas renversé, il a désormais le soutien de
la plupart des pays africains, Jacques Chirac a compris que la situation changeait, mais apparemment pas la gauche. À elle de réagir,
il n’est pas trop tard ! ». (Abdoulaye YERODIA, directeur de cabinet de Kabila. Interview à L’Événement du Jeudi du 29/10/1998) .
[La gauche, heureusement, ne s’est pas précipitée pour soutenir un pouvoir désormais ouvertement allié au Hutu power. Ainsi, le 28 septembre, le
gratin militaire des ex-Forces armées rwandaises - les colonels Serubuga, Rwabukumba et Kabiligi - a débarqué sur la base congolaise de
Kamina (La Lettre du continent, 08/10/1998) . Mais Jacques Chirac continue, avec les corps expéditionnaires tchadien et soudanais, le kriegspiel
monarchique de ses prédécesseurs, « damant le pion » du Premier ministre. Ni la Constitution, ni le rapport de forces politique n’obligent ce
dernier à se laisser faire].
« La campagne de presse mettant en accusation la France [à propos de son rôle au Rwanda] est en réalité une grossière manipulation
organisée, via quelques idiots utiles, par des intérêts étrangers et peut-être, avec la complicité de quelques personnes qui veulent
régler des comptes personnels. [...] Jacques Myard s’est engagé à analyser, avec la plus grande objectivité, les éléments versés au
dossier. [...] Il poursuivra sa recherche dans ce sens, en souhaitant que l’hystérie médiatique cesse ». (Jacques MYARD, député RPR,
membre de la mission d’information sur le Rwanda. In La lettre de votre député Jacques Myard, 10/1998).
[Le diplomate-député persiste et signe. Il pousse, jusqu’à la caricature, les préjugés obsidionaux d’une majorité des membres de la mission. « La
plus grande objectivité » restera donc relative. Les « idiots utiles », les valets des « intérêts étrangers » et les journalistes hystériques risquent de
ne pas s’en contenter. Le seul fait de ne pas avoir interrogé Paul Barril, omniprésent sur le terrain au printemps 1994, montre que certains
éléments essentiels n’ont pas été « versés au dossier »].
« L’un des faits les plus remarquables de la terrible histoire de la faim, c’est qu’il n’y a jamais eu de famine grave dans aucun pays
doté d’une forme démocratique de gouvernement et possédant une presse relativement libre ». (Amartya SEN, Prix Nobel d’économie.
Cité par Le Monde diplomatique, 11/1998, d’après El Pais du 16/10/1998) .
LIRE
Pius Njawe, Bloc-notes du bagnard, Mille et une nuits, 1998, 96 p.
Les lecteurs de Billets ont suivi les péripéties ubuesques de l’emprisonnement de Pius Njawe, l’un des journalistes les plus estimés du continent
africain. Son journal, Le Messager, avait osé parler d’un malaise du président Biya. Au gnouf ! Pour près de 10 mois. Pour mieux survivre dans le
contexte infect de la prison New Bell, à Douala, Pius Njawe n’a cessé d’écrire. Il a envoyé régulièrement au Messager les chroniques de l’univers
carcéral - une société où se condensent les misères infligées au Cameroun par une pétrodictature françafricaine. Ce court bloc-notes, édité dans la
collection Petits libres (à 10F), est un témoignage cher payé, lourd d’humanité.
Au sommaire (explicite) :
- Gabon et compagnie(s)
- Liaisons dangereuses au Tchad
- Djibouti l’inaboutie
- Les Comores à l’encan
- Et Elf créa Biya
- Main basse sur Brazzaville
- Eyadema notre amour
- L’assaut de la Guinée-Bissau
- Rechutes dans les Grands Lacs
- Le “cas” Barril
- Services secrets
- “Privés” et mercenaires
- Trafics d’armes par la bande
- Une présence contrainte
- L’état-major contre la Cour
Agir ici et Survie, L'Harmattan, 255 p. Disponible à Survie (60 F, port inclus. Prix de souscription).
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019 DÉPÔT
LEGAL : DECEMBRE 1998 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 80 F (ETRANGER : 100 F)
14
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
BILLETS D’AFRIQUE N° 66 - JANVIER 1999
ACTUALITÉ
L’actualité franco-africaine est, depuis un mois, surchargée - du Sommet du Louvre à la publication du rapport de la Mission
Rwanda, en passant par les farces électorales en Guinée et au Gabon, la reprise de la guerre civile à Brazzaville et à Djibouti, etc.,
etc.
Sans compter quelques heureuses nouvelles “périphériques”, comme les ennuis judiciaires de Pinochet (une première, même si elle
est disputée), ou la promesse arrachée à Jacques Chirac d’une ratification rapide du statut de la Cour pénale internationale.
Il faudra nous excuser si nous peinons à suivre le rythme. La critique de fond du Sommet du Louvre fait l’objet, rappelons-le, d’un
épais “Dossier noir” : Sécurité au Sommet, insécurité à la base (L’Harmattan).
C’est notre autre publication, Afrique Info (n° 13), qui rend compte du “contre-sommet” organisé le 27 novembre par Agir ici et
Survie. Neuf représentants de la société civile ou des oppositions aux dictatures africaines y ont exposé une autre vision de la
« sécurité » et de l’avenir de l’Afrique.
La publication du rapport de la Mission parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise, fait l’objet d’un Billets spécial, n° 66
bis. On y commente et illustre le divorce entre l’innocence proclamée par le président de la Mission, Paul Quilès, et le millier de
pages qui, malgré certaines esquives, accable le système de décision franco-africain. A suivre.
Le système tangue. A propos du scrutin gabonais, Le Monde dénonce dans un éditorial la persistance de « la Françafrique ». Peu à
peu, ce magma occulte de criminalité politique et financière échappe à la dénégation, est identifié et dénoncé comme tel.
Il reste aux peuples africains, dont les indépendances ont été trop souvent confisquées ou fourvoyées, à parler et construire leurs
propres légitimités politiques. Ce fut une sorte de leitmotiv dans les propos des participants au “contre-sommet”.
SALVES
Un Sommet pour la gloire
Record battu : 49 pays africains sur 53 ont accepté de se rendre au Sommet du Louvre, dont 34 représentés par leur Président. Les
40 millions de francs dépensés auront satisfait certain amour-propre : c’est « une revanche éclatante sur ceux qui avaient déjà
enterré [la] politique africaine [de la France] au profit de l’arrivée triomphale des Américains » exulte un diplomate (L’Humanité,
27/11/1998) .
La persistance de ce séculaire “syndrome de Fachoda” devrait tempérer l’optimisme de ceux qui voient déjà venus « un
bouleversement majeur » ou « des changements radicaux » (La Croix et Le Monde, 28/11/1998) dans les relations franco-africaines.
Le vrai bouleversement serait le remplacement des shows France-Afrique - cette sorte de foire médiatique de légitimation mutuelle,
dans une ambiance de paternalisme nostalgique - par des Sommets Europe-Afrique. Ce dont, dit-on, Lionel Jospin serait partisan.
Mais le seul fait d’énoncer cette perspective, quasi utopique, montre le chemin qui reste à parcourir avant le début du changement.
Sassou échoue
Nous le signalons depuis plusieurs mois : Sassou Nguesso a été incapable de mettre un contenu derrière l’image rassembleuse que
lui a fabriquée tout un orchestre de communicants. Son discours de réconciliation nationale achoppe sur la politique du ventre, et sur
la répression des populations du Sud par des forces étrangères, souvent peu recommandables.
L’arrestation de trois membres du Conseil constitutionnel pour « complicité de génocide » achève de discréditer ce discours.
Ce n’est pas de conférer à l’hôtel Bristol (26/11/1998) avec les “huiles” du Parti socialiste, ni de se faire conseiller par Jacques Attali
& Associés (La Lettre du Continent, 03/12/1998) qui pourra remédier à cette faillite...
Hors quelques barbouzes ou mercenaires français, le principal soutien militaire de Sassou venait d’un corps expéditionnaire
angolais. La rapide dégradation de la situation en Angola (cf. A fleur de presse) conduit à l’amenuisement de cet appui.
Du coup, l’arc des opposants à la restauration du général-dictateur monte en tension. Une partie du pays et de Brazzaville échappe
désormais au contrôle du régime. Seule alternative à une nouvelle et sanglante guerre civile : réinventer la Conférence nationale
souveraine.
Rectificatif : Nous avons évoqué dans Billets n° 64 le meurtre au Congo-Brazza du commerçant Serge Normal. Il s’agit en fait de Sébastien
Baunga, surnommé Sergent Normal.
Image contestée
Depuis qu’en 1987 Blaise Compaoré a “rectifié” son ami et camarade Thomas Sankara, le pouvoir burkinabé a changé de visage.
La nouvelle Constitution de 1991, la liberté de la presse et le programme d’ajustement structurel font aujourd’hui de son
“Excellence” Blaise Compaoré l’un des meilleurs élèves des préceptes de La Baule et Bretton Woods réunis.
Ses excellentes relations avec Jacques Chirac, Charles Pasqua et la Françafrique, ainsi que les difficultés de l’opposition, lui
permettent d’espérer la longévité politique d’un Bongo ou d’un Eyadema. D’autant qu’il vient d’être réélu le 15 novembre,
apparemment “dans un fauteuil” : 87,5 % des voix - les principaux challengers ayant boycotté un scrutin inéquitable.
On en oublierait la face sombre du personnage : la disparition des gêneurs, l’alliance avec le “seigneur de la guerre” libérien
Taylor, et les profits subséquents.
Le dimanche 14 décembre, Norbert Zongo, directeur du journal L’Indépendant - qui méritait bien de son titre - est retrouvé mort
carbonisé dans sa voiture avec deux de ses collaborateurs. Ses positions antigouvernementales, les rumeurs de complot à son égard
ainsi que les traces de balles retrouvées dans la porte arrière jettent le trouble sur les circonstances de sa mort.
Le 17 mars, dans un éditorial Au-delà de la Mort, il avait dénoncé « les assassins de l’ombre » : « depuis 1983, c’est de la
Présidence que l’on tue. C’est à la Présidence que l’on a toujours regroupé des hommes louches. A certains, on a distribué des
armes lors des grèves, parce qu’on veut régner éternellement ».
Le lendemain de la mort de Zongo, à Ouagadougou, des manifestations étudiantes dégénèrent. Un bus du parti présidentiel est
saccagé. L’Université est fermée.
Le surlendemain, les troubles gagnent Koudougou, troisième ville du pays. Celui qui, quinze jours plus tôt à Paris, posait déjà en
sage de l’Afrique, est à un tournant.
Fortune contestée
Les excès prédateurs et claniques du régime mauritanien accroissent la marginalisation d’une majorité de la population. Une
opposition multiforme commence à demander des comptes au président Ould Taya, et plus précisément sur sa fortune à l’étranger.
Sacrilège ! Quatre impudents ont été embastillés.
Bonnes fortunes
Exit le couple Bolloré-Bouygues, virtuel pachyderme en Françafrique (transports, tabac, plantations,... d’un côté ; béton, eau,
électricité, téléphone, médias... de l’autre). Bolloré a lâché prise. Mais ce n’est pas forcément mieux pour les pays d’accueil. Grand
ami de Jacques Chirac, rapidement devenu l’homme le plus riche de France (derrière une femme, Liliane Bettencourt), François
Pinault a repris la participation de Bolloré dans le groupe Bouygues. Or, Pinault, c’est aussi le négoce du bois, et deux comptoirs de
distribution en Afrique, la CFAO et la SCOA...
Pendant ce temps, avec l’argent reçu de Pinault, Vincent Bolloré a pris 20 % du groupe Pathé, qui contrôle entre autres le quotidien
Libération. Le « petit prince » françafricain, très investi auprès du président congolais Sassou Nguesso, recherche-t-il une façade
médiatique ?
Lubrifiant
La mission d’information parlementaire sur les activités des compagnies pétrolières a commencé ses travaux à l’Assemblée
nationale. Total s’inquiète des accusations émises à propos de son engagement en Birmanie, une narcodictature qui ne répugne pas
au travail forcé. Un fâcheux précédent pour un groupe qui va se retrouver fortement investi en Angola, après le rachat du groupe
belge Pétrofina.
Au même moment, l’on apprend que le directeur de la communication de Total, Jo Daniel, quitte ses fonctions pour rejoindre le
cabinet du président de l’Assemblée nationale Laurent Fabius (Réseau Voltaire, 4/11/1998) .
Pipe-line
L’écrivain Mongo Béti et le journaliste Aimé-Mathurin Moussy, tous deux camerounais, ont créé le 13 novembre à Yaoundé
17
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
l’association SOS Libertés et Nature contre les dégâts écologiques et politiques causés par les multinationales qui exploitent les
matières premières africaines - principalement le pétrole.
Elles lancent une première campagne, No freedom, No pipe-line, sur le principe du donnant donnant : la livraison du pétrole contre
la fin des dictatures liberticides. Un superbe troc.
Racisme ordinaire
Selon le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), section Aéroports de Paris (ADP), « à Roissy,
tous les jours, des étrangers interpellés, expulsés et reconduits à la frontière sont maltraités et se heurtent à un racisme chronique
parfois très violent ».
Un médecin, chef de service, a été mis en examen le 6 août 1998, sur plainte d’un Guyanais. Il aurait enfoncé trois fois son doigt,
puis sa main entière dans l’anus de ce “basané”. L’un de ses collègues de Roissy affirme avoir vu ce médecin, lorsqu’il était
étudiant, « débrancher des malades en réanimation puis entonner des chants nazis ». Un autre témoin, invité il y a quelques années
par le même personnage, assure s’être retrouvé au milieu d’anciens nazis belges. Agapes et libations se seraient poursuivies par une
“commémoration” à l’emplacement de l’ancien camp de déportation de Drancy.
Pourtant, ce médecin-chef suit depuis des années les séminaires de l’IHESI (Institut des Hautes études en sécurité intérieure). Il
semble être au mieux avec le “gratin” d’ADP. Selon un cadre, on croirait à certains moments qu’il « est le patron de Roissy ».
Il se vante d’être l’ami de longue date de membres du parquet de Bobigny. L’un d’eux aurait annoncé à un journaliste qu’il
comptait prendre prochainement une réquisition de non-lieu. Selon un policier, l’inculpé « est devenu une pièce maîtresse dans la
théorie des dominos chère à certains services. Il menace d’entraîner d’autres personnes dans sa chute, car d’autres “cadavres sont
dans le placard” du service médical d’urgence ».
Chaud et froid
Tous les démocrates, toutes les victimes des dictatures s’étaient mises à aimer les Lords britanniques, qui rattrapaient par son passé
le sinistre Pinochet. Ce n’est pas à la vie du vieux criminel qu’on en veut, mais à sa morgue - et à celle de ses semblables. La voir
atteinte est déjà jubilatoire.
Mais les avocats en tout genre de cette “victime expiatoire” ont tôt fait de nous rappeler que la lutte pour une justice
transfrontalière n’en est qu’au commencement.
Bons points
* Bravo aux 500 élus qui ont appelé le gouvernement à « reprendre le dialogue », à « sortir de cette impasse » que constitue le rejet
dans la clandestinité de 60 000 sans-papiers déboutés de la régularisation.
* Après une année de discussions discrètes, Amnesty International et Pax Christi ont amené Shell et d’autres grandes entreprises
néerlandaises à signer un document où elles reconnaissent « l’obligation de promouvoir le respect » des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (Libération, 10/12/1998) . Un début. A quand Elf et Total ?
(Achevé le 20/12/1998)
« Nous maintenons avec une totale clarté les liens qui nous attachent de longue date à des pays amis, pour autant que ceux-ci le
souhaitent. Je parle des accords de défense contre les menaces extérieures, mais je parle aussi de nos forces prépositionnées dans
différents pays africains ». (Jacques CHIRAC, discours du 27/11/1998 au Sommet du Louvre).
[Un décodeur s’impose. La « totale clarté » est celle de la nuit noire. Les « pays » amis sont plutôt leurs dirigeants. Les menaces « extérieures »
sont presque toujours intérieures. Et quand les pays « amis », très clairement, « souhaitent » virer le garde-chiourme imposé par Paris - Eyadema
au Togo par exemple - on s’assoit sur leur volonté. Bref, la « défense » en question est celle de l’éléphant. Comme dit la comptine, « ça trompe
énormément »].
« Jamais l’insécurité du fait de la guerre et de la pauvreté n’a autant affligé l’Afrique qu’à l’heure où nous nous réunissons ici ».
(Kofi ANNAN, Secrétaire général de l’ONU, discours au Sommet du Louvre).
[De quoi gâcher l’autosatisfaction de quatre décennies postcoloniales].
« Est-ce une rencontre pour buveurs de champagne ? Ils parlent de “sécurité”, mais dans la société camerounaise, celle-ci débute par
le droit à la vie, non ? Or celui-ci ne cesse d’être bafoué : il y a l’insécurité alimentaire pour une large partie du peuple ; l’insécurité
de l’éducation (et son corollaire : la clochardisation de l’enseignement) ; l’insécurité physique, les agressions étant devenues le lot
quotidien des Camerounais, au terme d’une dérive qui fait que ceux qui sont censés assurer notre sécurité sont les mêmes qui arment
les tueurs ». (Pius NJAWE, directeur du Messager (Douala), le 27/11/1998 au ”contre-sommet”. Cité par L’Humanité du 30/11/1998) .
« Bonsoir Papa.
18
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
[...] J’ai réuni vendredi l’équipe de magistrats et d’avocats qui, dès le 2 décembre, sera sur place à Libreville. Je vous adresse copie
de la lettre que j’envoie ce jour à l’ambassadeur de France à Libreville. Est-il utile de vous dire combien vous manquez à ce sommet
France-Afrique. ? [...]
Je suis sûr [...] que Jacques Chirac, en jetant un regard circulaire lors des réunions et des réceptions, doit se dire : “Mais est-il
possible qu’Omar ne soit pas là, que nous puissions nous réunir sans lui... ?”
Allez Papa, vous nous reviendrez, et vous lui reviendrez à Paris en triomphateur des élections du 6-12-98 [...] ».
(Robert BOURGI, avocat d’Omar Bongo et de feu Mobutu, ex-homme de confiance de Foccart. Lettre à Bongo du 28/11/1998, publiée par Le Monde du
09/12/1998) .
[Bref, une histoire de revenu. Et de familiarité].
« Il est indispensable, compte tenu de la vocation africaine de la France, incontestable et incontestée, que le président de la
République dispose d'une cellule africaine étoffée [...].
La légitimité de cette cellule réside dans les liens étroits et historiques existant entre la France et les pays africains et dans leur
caractère stratégique face à l'ingérence américaine et à l'actuelle cohabitation, qui nuit à la cohérence de la politique africaine de la
France ». (Maurice ROBERT, in Le Figaro du 27/11/1998) .
[Fondateur du Sdece (l’ancêtre de la DGSE) en Afrique, ancien patron du service secret d’Elf puis ambassadeur au Gabon, Maurice Robert
préside le Comité d’orientation (en arrière, toute !) du Club 89 - la vieille garde du RPR. L'avocat Robert Bourgi est un pivot de ce Club].
« - Un reporter de Capital (sur M6, 29/11/1998) : C’est quand même malheureux qu’ils [les Brazzavillois] se soient massacrés avec notre
argent !
- Un conseiller d’Elf : Dans ce cas, oui, c’est un gâchis. Mais nous ne sommes pas des sentimentaux ! Nous sommes des gens
réalistes, qui gagnons de l’argent : avec qui, ça nous est égal ».
« Je suis fier de prêter mes bons offices [...] aux présidents Eyadema du Togo, Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, ou Bédié de
Côte d’Ivoire. [...] Je suis une sorte d’intercesseur entre eux et les médias. [...] Si je travaille avec le président Eyadema, par exemple,
c’est pour seconder à ma manière un homme d’Etat que je respecte. Et aider, à travers lui, la population du Togo ». (François
BLANCHARD, “communicant” - tendance RPR - de la société Image et Stratégie de Thierry Saussez. In Le Figaro du 09/12/1998) .
[Le problème, c’est qu’Eyadema n’est pas très transparent, et qu’en passant « à travers lui » l’aide à la population se réduit à néant].
« J’ai jadis vendu des assiettes et des tissus. Aujourd’hui, je vends des chefs d’Etat. Ce qui compte, c’est l’emballage ». (Le même,
sur RFI, le 30/11/1998) .
[Les journalistes qu’emmène Blanchard chez ses amis chefs d’Etat sont d’ailleurs « emballés » : caviar, langouste, champagne rosé. Pour la
partie avouable (Le Canard enchaîné, 02/12/1998) ].
« Bien sûr, il n’est pas question de passer un contrat [de communication pour Laurent-Désiré Kabila] sans l’accord implicite de l’Elysée : la
situation au Congo est trop particulière ». (Le même, qui s’est mis sur les rangs. Cité par Le Monde du 28/11/1998) .
[Le contrat vaudrait cher. D'autant que Kabila ne cesse d'en rajouter dans les stéréotypes racistes. A l'hôtel Intercontinental, devant ses
compatriotes, il s'est “lâché” : « Les Tutsis sont traditionnellement sanguinaires. [...] Beaucoup d'hommes ont été tués [à Kinshasa] parce qu'on leur
prenait leurs femmes. Comme vous le savez, il y a trop de belles femmes chez nous, et ils n'en ont pas chez eux ! [...] Ils ont amené 1 500 soldats
séropositifs pour violer les femmes congolaises » (Cité par Le Figaro du 30/11/1998) ].
« Les tarifs [des “communicants” en Afrique] sont deux à trois fois plus élevés qu’en France. Un contrat de conseil en communication
comprenant, sur un an, deux voyages de presse d’une vingtaine de journalistes français, cinq notes de synthèse et la publication
d’une tribune dans un journal français coûtera à l’Etat africain 3 à 4 millions de francs ». (Un spécialiste, cité par Le Monde du
28/11/1998) .
« Je n’ai jamais laissé un costume chez elle [Christine Deviers-Joncour], ni une paire de chaussures [sic]. Elle était une maîtresse, c’est
tout ». (Roland DUMAS, président du Conseil constitutionnel, cité par Le Nouvel Observateur - repris par Le Monde du 28/11/1998) .
[La réputation d’élégance de ce haut personnage est un peu surfaite. La femme aux 60 millions l’attirait cependant beaucoup : il l’a fréquemment
rencontrée et lui a beaucoup téléphoné jusqu’en octobre 1997 - date de péremption du pot de confiture].
« Je voyais bien qu’elle [la même Christine] avait des facilités, mais je ne lui ai pas posé la question [de leur origine]. C’était délicat ». (Le
même, aux juges d’instruction. Cité par Le Monde du 28/11/1998) .
[Selon un témoin, il est pourtant venu, avant la transaction, dans la cour de l’hôtel particulier où Christine Deviers-Joncour a acheté, avec
l’argent d’Elf, un somptueux appartement de 17 millions].
JUSTICE ET DÉMOCRATIE
« On a souvent coutume de dire que l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie. Je m’interroge : a-t-elle jamais été prête pour la
dictature ? » (Wole SOYINKA, Prix Nobel nigérian, in Libération, 7/12/1998) .
« Trop de nos leaders ne connaissent que la loi du plus fort. Ils sont égoïstes, instrumentalisent notre diversité ethnique et religieuse
pour semer la haine ». (Kofi ANNAN, le 27/12/1998 au Sommet du Louvre. Cité par Libération du 28/12/1998) .
« Quand je serai chez moi à Qunu, aussi vieux que les collines des alentours, je continuerai de nourrir l’espoir qu’une nouvelle race
de dirigeants est apparue dans mon pays, sur mon continent et dans le monde, qui ne permettra pas que l’on prive quiconque de la
liberté, comme nous en avons été privés si longtemps ; qui ne fasse de personne un réfugié, [...] [un être] condamné à la famine [...]
[ou] privé de sa dignité humaine, comme nous l’avons été ». (Nelson MANDELA, discours à l’ONU, 21/09/1998. In L’Humanité du 10/12/1998) .
19
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
[On n’est pas contre un tel eugénisme politique].
« Je souhaite que la Convention de Rome [instituant une Cour pénale internationale] puisse être rapidement ratifiée par tous les Etats et
d’abord bien sûr par la France » (Jacques CHIRAC, discours pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, 07/12/1998) .
[Vos souhaits sont des ordres, Monsieur le Président. D’autant que le Premier ministre, Lionel Jospin, indiquait dès le lendemain : « dans les
meilleurs délais, le Conseil constitutionnel sera saisi conjointement pour avis par le Président de la République et par moi-même »].
« La France est une république bananière. Une campagne législative coûte au minimum 5 millions de francs. Pas un homme
politique sur cinquante ne les possède... » (Jean-Pierre FRANÇOIS, ami de Roland Dumas depuis 1940, ancien vendeur d’armes et consul
honoraire de Panama, banquier en Suisse. In Libération du 03/12/1998) .
[Roland Dumas devant justifier auprès des juges d’une somme de 500 000 F, le banquier a témoigné la lui avoir prêtée. Une broutille].
A FLEUR DE PRESSE
FRANÇAFRIQUE
La Croix, Le sommet de la revanche de Paris en Afrique, 27/11/1998, (Julia FICATIER) : « Les troupes et l’armement de l’Angola - qui
a changé de camp - mais aussi du Zimbabwe et de la Namibie, ont permis à Laurent-Désiré Kabila de garder Kinshasa. Une aubaine
transformée en belle revanche par les autorités françaises.
La France se retrouve à nouveau de plain-pied sur le continent grâce à “ cette même Afrique des Grands Lacs qui l’avait mise à
l’écart sur l’air de « Paris, c’est fini »”, souligne tout réjoui un proche du président Jacques Chirac. [...]
La réconciliation entre la France et la RD Congo [est] ressentie par les autorité françaises comme un véritable pied-de-nez à
Washington. Les commentaires vont bon train : “Ah, les Américains avaient annoncé la fin de l’influence française en Afrique. Ils se
sont bien trompés ! Voyez, toute l’Afrique accourt à Paris pour parler de ‘la sécurité en Afrique’. Quel beau succès pour ce que les
Américains appellent le paternalisme à la française” ».
[Dans ce contexte narcissique, le forcing diplomatique de Paris pour un accord de paix au Congo-K ne pouvait déboucher que sur un « oui » de
politesse - le pourboire au serveur de champagne].
La Lettre du Continent, Cherche hélicos d’urgence..., 03/12/1998 : « Si Eduardo Dos Santos n’a pas participé au sommet Afrique-
France, c’est que la situation politique de son régime est en état d’urgence. De plus en plus contestés [pour leur corruption effrénée], [...]
ses proches [...] sont en position délicate. Sur le terrain militaire, l’Unita poursuit inexorablement sa stratégie d’encerclement. [...]
Luanda a demandé d’urgence à la France de lui fournir des hélicoptères, dans le cadre d’un accord de coopération militaire. [...]
Paris, dont le groupe Elf vient d’obtenir le rôle d’opérateur sur le bloc 32 [...] tandis que Total sera associé sur d’autres blocs très
intéressants en eaux profondes, est un peu gêné aux entournures ».
[La France prendra-t-elle parti dans une guerre civile où les deux camps ont multiplié les massacres de populations ? S’ils sont livrés, il y a
toutes chances que les hélicos français y concourent. Avec, comme au Rwanda, des “instructeurs” à côté du pilote-mitrailleur ?].
Le Monde, La France pourrait conclure un accord de défense avec le Tchad, 03/12/1998 (Jacques ISNARD) : « En 1998, à la suite du
retrait de ses forces du Centrafrique, la France a constitué au Tchad un contingent de quelque 980 hommes issus de l'armée de terre
et de l'armée de l'air, soit un des plus importants [...] en Afrique. [...]
“La situation intérieure, a estimé le ministre [de la Défense Alain Richard], s'est améliorée, même si éclatent encore ponctuellement des
conflits intérieurs d'ampleur limitée, attestant de malaises communautaires et politiques”
M. Richard en tire la conclusion que le moment est proche où il faudra admettre que “ les forces françaises au Tchad ont vocation
à avoir le statut de forces prépositionnées dans le cadre d'un accord de défense”. [...]
Aujourd'hui, a fait savoir M. Richard aux députés [de la commission de la Défense], “il ne serait pas raisonnable que la France se place
en situation de demandeur, mais il semble ressortir des entretiens entre Français et Tchadiens que ceux-ci pourraient demander eux-
mêmes la négociation d'un accord de défense” ».
[On ne s'attardera pas sur l'optimisme du ministre de la Défense quant à l'amélioration de la situation intérieure du Tchad : la France militaire
manque totalement d'objectivité par rapport à ce pays.
Pour elle, est-ce d'ailleurs un Etat indépendant - puisque le ministre Richard décrète d'autorité que le Tchad a « vocation » à recevoir des forces
françaises prépositionnées et à “bénéficier” d'un accord de défense. Quant aux Tchadiens qui pourraient « demander eux-mêmes » un tel accord,
on peut se poser de sérieuses questions sur leur représentativité.
Survie estime qu'il est inconcevable que la France signe un accord de défense avec un dictateur, responsable de surcroît d'une série de
massacres ethniques (avant et après son arrivée au pouvoir)].
Le Monde, Soupçons sur les observateurs des élections gabonaises, 09/12/1998, (Hervé GATTEGNO) : « Au début de l’été, un familier
des dossiers africains avait été interpellé par les douaniers à son retour de Libreville, à l’aéroport de Roissy. Porteur d’une mallette
contenant une très importante somme en argent liquide, il avait expliqué que ces fonds provenaient de la “présidence du Gabon” et
qu’ils étaient destinés au Club 89 [tendance archéo-RPR]. Confirmée par plusieurs sources, cette information a été démentie par
l’intéressé [sic] lorsque celui-ci a été interrogé par Le Monde. A la suite d’un accord intervenu au sommet de l’Etat, cette
interpellation n’a entraîné l’ouverture d’aucune enquête ».
[Qui a écrit que les lobbies étaient désormais débranchés du « sommet de l’Etat » ? Comme Maurice Robert (cf. Ils ont dit), Robert Bourgi est un
membre éminent du Club 89, instance para-RPR présidée par Jacques Toubon. L’épisode relaté ci-dessus démontre que le financement occulte des
activités politiques reste cautionné par l’Elysée].
Le Canard enchaîné, Le patron d’une radio d’Etat sauvé des eaux, 02/12/1998 : « Le jeudi 26 novembre au matin, [...] le pédégé sortant
20
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
[de RFI], Jean-Paul Cluzel, n’a plus qu’à faire ses valises : le gouvernement vient de décider de le remplacer par l’ex-patron de
France-Culture, Jean-Marie Borzeix.
Vendredi 27 : le sommet franco-africain s’ouvre à Paris, mais déjà des dîners et rendez-vous “informels” ont eu lieu la veille.
Parmi les sujets évoqués : la présidence de RFI, [...] radio très écoutée en Afrique. Une grande partie de quatre coins diplomatique
s’engage alors entre l’Elysée, qui veut que Cluzel reste en place, Matignon, plusieurs chefs d’Etat africains [...] et Hervé Bourges,
président du CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel], grand copain de certains chefs d’Etat africains.
Le samedi, Cluzel est remis en selle ».
[L’audiovisuel franco-africain restera bien orienté. Ce dont se réjouira par exemple le président camerounais Paul Biya, grand ami d’Hervé
Bourges].
GUERRE DU CONGO-K
Info-Congo/Kinshasa (Montréal), Réarmement des soldats hutus en RDC, 30/11/1998 : « [Le] rapport de la Commission internationale
d'enquête des Nations unies sur le trafic d'armes illégales dans la région des Grands Lacs, concerne le réarmement et le financement,
en partie grâce au commerce de la drogue, des soldats des ex-FAR [Forces armées rwandaises] et Interahamwe hutus, réfugiés sur le
territoire de la RDC [République démocratique du Congo]. De célèbres ex-FAR et Interahamwe seraient engagés dans ce commerce à
Mombasa et à Dar Es-Salaam. [...]
Le rapport estime qu'il y aurait entre 5 et 8 000 ex-FAR et Interahamwe dans le nord de la RDC et 10 000 dans le sud, nombre qui
serait continuellement en hausse, puisque de nombreux rebelles hutus convergent vers la RDC de divers pays où ils étaient
dispersés : du Congo-Brazzaville, du Soudan, de la République centrafricaine, de l'Angola, du Burundi, du Rwanda, de la Tanzanie,
de l'Ouganda et de la Zambie. Et ils recevraient un soutien considérable de la part de certains gouvernements de la région.
En conclusion, le rapport estime que la région des Grands Lacs se dirige vers “ une catastrophe avec des conséquences
incalculables qui demandent des mesures urgentes, globales et décisives” de la part de la communauté internationale. Les ex-FAR et
Interahamwe seraient devenus “un élément important” pour lutter contre le RCD [Rassemblement congolais pour la démocratie, la rébellion anti-
Kabila] et ses alliés, le Rwanda et l'Ouganda. A cause de la guerre actuelle, ils ont acquis “une sorte de légitimité” ».
[Et c'est bien la principale catastrophe : les forces coupables du génocide, et qui n'ont pas abdiqué leur idéologie, n'ont jamais été vraiment
délégitimées. Du coup, un Kabila peut les utiliser, et être reçu par le Pape et Jacques Chirac].
La Lettre du Continent, Robert Mugabe le francophile, 19/11/1998 : « Avec plus de 7 000 hommes au front, les officiers zimbabwéens
sont venus ces dernières semaines faire moult emplettes dans les offices français d'armement ».
[La guerre du Congo-Kinshasa ne fait pas que des pertes... ].
“JUSTICE”
Libération, Filles piégées dans les soirées tarifées de la haute, 24/11/1998 (Patricia TOURANCHEAU) : « Selon des témoins, Paul
Barril, patron de la société de sécurité privée Secret, a “arrangé l’entrée de filles marocaines en France” et les a réceptionnées à
l’aéroport de Marignane, l’été 1995, pour l’émir du Qatar, à sa villa Al Rayan à Cannes. Mouna, qui y a passé deux mois en 1993, a
affirmé que, “deux fois, Paul Barril lui avait remis l’argent dans les bureaux de sa société avenue de la Grande-Armée à Paris”.
Soumaya a rapporté que le capitaine Barril lui a proposé en 1992 au bar Le Churchill, avenue d’Iéna, de “travailler pour lui et
d’obtenir des informations sur l’oreiller, contre 50 000 F par mois. Il devait me présenter des personnalités françaises et étrangères.
Il m’a dit que c’était risqué. J’ai refusé”. Alors qu’il était en garde à vue à la brigade de répression du proxénétisme, Paul Barril
avait juré qu’en “douze ans, il n’a jamais vu de prostituées présentées à l’émir et n’a jamais été sollicité pour en trouver ”. Comme le
juge Frédéric N’Guyen n’a jamais reçu l’autorisation du parquet d’explorer les arrivages de Marocaines imputés au capitaine les étés
1995 et 1996, Barril n’a pas été inquiété ».
[Comme on l’expose amplement dans le n° 66 bis sur le Rwanda, Paul Barril semble bénéficier d’une immunité universelle et généralisée. Il peut
apparemment tout se permettre. Pourquoi ?].
Libération, Ce beau linge blanchi à la banque de l’ombre, 10/12/1998 (Renaud LECADRE) : « Jean-Louis Chanas, ancien responsable
du service Action de la DGSE, a poussé l’amitié jusqu’à devenir administrateur du Fondo [sociale di cooperazione europea, FSCE 1]. Chanas
est, dit-on, l’un des anciens de la Piscine [la DGSE] qui a le mieux réussi. Comprendre : qui s’est le plus enrichi dans le privé. Il est à
la tête de sociétés spécialisées, entre autres, dans la surveillance de champs pétroliers. Elles ont laissé une ardoise au Fondo ».
1. « Une banque de l’ombre », avec « un sigle trompeur, un statut hybride (entre Milan et Paris), une remarquable capacité à jongler entre les différents paradis
fiscaux ». Fondée par le franco-yéménite Charlie Chaker, elle a aguiché un monde fou, notamment dans la franc-maçonnerie droitière (GLNF, loge P2) et les anciens des
“services” (DGSE, DST). Elle a “prêté” de l’argent au Parti républicain, ce qui vaut à François Léotard d’être mis en examen. Cf. Billets n° 61.
[Nous nous sommes fixé comme objectifs à moyen terme le contrôle parlementaire des services secrets, l’interdiction du recrutement de
mercenaires, et la fin de ces asiles de la criminalité financière que constituent les paradis fiscaux européens. Avec son passé professionnel, ses
sociétés privées de sécurité et son branchement sur le FSCE, Jean-Louis Chanas est comme un symbole de ce dangereux triangle de l’impunité.
Osons poser une question naïve : comment un homme « enrichi » à l’or noir peut-il laisser une « ardoise » ? De Dakar à Brazzaville, en passant
par Paris ou Yaoundé, la Françafrique connaît depuis longtemps la réponse].
Le Canard enchaîné, La réforme manquée de la justice financière, 25/11/1998 (Nicolas BEAU) : « Soucieux de renforcer le rôle des
magistrats chargés des affaires financières, le ministère de la Justice a vu grand. Huit “pôles” devraient être créés à travers toute la
France [...] [Des] spécialistes, détachés de l’administration fiscale et des douanes, [...] assisteront les magistrats. [...] [Mais] pas
question [...] de toucher aux procédures longues et compliquées des commissions rogatoires internationales, qui sont le principal frein
aujourd’hui au travail des magistrats financiers. Ou d’élargir les bases du délit de corruption [...].
En septembre, une note du ministère de la Justice expliquait au parquet qu’il ne fallait surtout rien changer. Sur le thème : de
21
Billets d’Afrique N° 66 – Janvier
1999
nouvelles conventions internationales vont permettre de mettre en cause des sociétés françaises pour corruption de fonctionnaires
étrangers. Il ne serait donc pas “opportun” de faciliter ces poursuites. Cela pourrait compromettre la santé de nos pauvres
entreprises ».
[Le juge van Ruymbeke explique qu’il faut dix ans à un magistrat français pour examiner un mouvement de fonds passant par quatre paradis
fiscaux européens successifs, effectué en 24 heures par le délinquant. Selon la note du ministère, il reste “d’ordre public” de corrompre les
responsables politiques et les fonctionnaires à travers le monde. Comment, alors, empêchera-t-on les entreprises étrangères d’agir de même en
France ? Est-ce bien cette corruption généralisée, télématisée, que souhaite Elisabeth Guigou ?].
Le Monde, Une ambiance de plus en plus délétère règne au Conseil constitutionnel, 28/11/1998 (Thierry BREHIER) : « Aujourd’hui, le
bureau du président du Conseil constitutionnel est le QG de la campagne que mène Roland Dumas [...]. C’est de là qu’il réactive tous
ses réseaux, qu’il met en branle tous les obligés qu’il s’est attachés au cours d’une longue carrière aux facettes multiples. De là qu’il
dirige l’Institut François-Mitterrand, dont la vocation de bastion de la mémoire permet de s’inviter dans des débats politiques. De là
qu’il fait jouer ses relations africaines en usant, notamment, de l’Association qu’il a créée des cours constitutionnelles ayant en
partage l’usage du français [...].
[Dans] la salle à manger du Conseil, les déjeuners [se] succèdent. On y a même vu, récemment, arriver Charles Pasqua ».
[« Avec Charles Pasqua, Roland Dumas entretient depuis des lustres des relations fortes. Les deux hommes connaissent aussi bien l'un que l'autre
les milieux des cercles de jeux et des machines à sous. Franc-maçon, au Grand-Orient, comme Roland Dumas, Alfred Sirven [l’ex-grand manitou
d’Elf] est lié aux deux hommes. C'est loin d'être leur seul ami commun. Roland Dumas fait partie, comme Charles Pasqua, du groupe des 21, une
association d'hommes politiques des deux bords qui déjeunent ensemble régulièrement ». (Valérie Lecasble et Airy Routier, Forages en eau profonde,
Grasset, 1998, p. 393). La partie immergée de l’iceberg ne ressemble pas au paysage de sa part émergée...
Restons naïfs : est-il normal que Roland Dumas orchestre une telle campagne avec des moyens qui, pour l’essentiel, procèdent de financements
publics ?].
Marianne, Sirven en Suisse, 07/12/1998 : « A 71 ans, Alfred Sirven a beau être officiellement recherché par Interpol, il réside en
Suisse. [Il y] a obtenu un permis de long séjour. [...] Alfred Sirven s’est rendu en France au début de l’été dernier. A Paris, il a déjeuné
à la terrasse d’une brasserie du XVI e arrondissement et a fait un saut en Touraine, où il possède une propriété. Selon la DST, il a
passé et repassé sans difficulté la frontière près d’Annemasse, à bord d’une voiture immatriculée en France.
LIRE
Observatoire permanent de la Coopération française, Rapport 1998, Karthala, 1998, 232 p.
Outre le traditionnel examen de l’aide publique au développement et un premier survol de la réforme de la coopération, la livraison 1998 de
l’OPCF comporte trois solides dossiers : développement rural, immigration et coopération, coopération en matière de santé. Sur ces sujets
rarement explorés, on trouvera des perspectives et avis inédits, argumentés, parfois décapants.
Observatoire permanent de la Coopération française, La politique africaine au Parlement français, Karthala, 1998, 185 p.
Voici enfin publiés les actes de la journée-débat organisée à l’Assemblée nationale par l’OPCF, le 30 septembre 1997, sur la politique africaine de
la France. Tous les sujets, ou presque, y ont été abordés et disputés : l’histoire, les réseaux, la coopération militaire, l’“aide”, le franc CFA,
l’Afrique centrale, etc. Puis des parlementaires sont intervenus, toute une série de propositions ont été émises, et débattues. Un bol d’oxygène.
Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Le Seuil, 1998, 358 p.
Le roman est transparent : c’est l’histoire du général Eyadema, présenté comme un illustre héritier de la confrérie des “chasseurs” (dont l’auteur
lui-même est issu). Il présente un double intérêt : il donne à comprendre, “de l’intérieur”, les ressorts d’une politique à la fois clanique et
magique ; puis il nous fait visiter une galerie de despotes néocoloniaux (Houphouët, Bokassa, Mobutu, Hassan II, Sékou Touré), auprès desquels
le sergent togolais ou son principal conseiller vont prendre d’édifiantes leçons de “gouvernance”.
Mais le livre ne se déprend pas de l’ambiguïté de l’« authenticité » africaine. Les “chasseurs” furent à la fois les résistants les plus acharnés à la
colonisation, puis ses meilleurs “tirailleurs”. En transposant sans médiation au niveau de l’Etat post-colonial une tradition politique profondément
anti-étatique, un Eyadema a porté à la caricature la gestion de cet Etat. Kourouma ne cache pas la cruauté de son héros. Mais il finit par adopter
son parti quand il discrédite totalement la revendication des démocrates togolais, réduits à des « descendants des affranchis brésiliens », « des
personnes extrinsèques aux hommes et aux mœurs du pays et de l’Afrique ». On n’est pas loin d’un certain intégrisme, comme on le trouve dans
certaines mouvances flamandes ou bretonnantes qui s’allièrent jadis au nazisme.
Nous sommes pour notre part convaincus que la légitimité du pouvoir en Afrique ne pourra s’établir que sur la base des valeurs de civilisation de
ce continent. Mais à trop vouloir les protéger du vent du large, on obtient l’inverse du but recherché : une aliénation plus grande encore, interne et
externe. Le faucon Eyadema ou le léopard Mobutu sont de tristes totems.
22
Groupe Justice et Libération (Kisangani), Rapport du 23 novembre 1998 sur la guerre du Congo et les violations des droits de l’homme, 35 p.
Dans la veine du premier rapport établi par ce groupe congolais de défense des droits de l’homme (cf. Billets n° 62), on ne peut que recommander la
suite, plus étoffée. Un examen sans concession des effets de la guerre, une analyse qui tranche par son honnêteté.
Denis Robert, Tout va bien puisque nous sommes en vie, Stock, 1998, 263 p.
Encore un vrai-faux roman. Celui-ci est fondé sur la longue confession de Chantal Pacary - épouse délaissée par son entremetteur de mari, Michel,
l’un des champions hexagonaux de la valise à billets (avec Jean-Claude Méry).
La lecture du “roman” gagne beaucoup en intérêt quand on peut mettre un nom sous les pseudonymes. Il suffit de relire la presse de l’époque (Le
Monde des 24/11/1995, 26/10/1998 et 21/11/1996, Libération des 27/01/1996 et 17/02/1997, etc.) : elle nous parle d’Alain Carignon, Jean-François Mancel,
Olivier Mitterrand, Jack Lang,... ; du RPR, de l’UDF et du PS, de l’entreprise de BTP Dumez, etc. Le grand pourvoyeur d’argent noir, « Cheval »,
a tout l’air d’Edouard Laskier, une barbouze de la haute finance - en fuite, comme Alfred Sirven.
Pacary, alias « le Rouquin », a de quoi faire chanter un grand pan de la classe politique française. Le juge Edith Boizette a fini par le libérer.
Selon Chantal Pacary, “ingénieur financier” de la société de son mari (Rhoddlams), le juge « lui aurait confié que des pressions énormes auraient
été exercées sur lui. Le juge nie. Les flics confirment » (p. 234). Depuis, le Rouquin multiplie les pieds-de-nez. Il roule en Rolls, et a reconstitué au
Luxembourg sa société d’intermédiation - sous le nom de... Rholls.
Mais ce qui nous intéresse le plus, ce sont les excursions africaines de Pacary. Déjà, tout l’arsenal de chantage aux partouzes, dans le château de
Chabrol près de Tours, nous rapproche des mœurs françafricaines. Citons la confessante : « Quand mon mari était au Gabon, pour le joindre je
téléphonais directement à la Présidence de la République. Au Congo, il a financé les campagnes électorales des trois prétendants, il était sûr de
gagner. Il n’était jamais mandaté officiellement, mais, là-bas, chacun savait qu’il représentait la France et que sa parole valait une signature » (p.
58). Peu avant la guerre civile de 1993, Michel Pacary aurait envoyé une cargaison d’armes à l’une des factions, sous couvert de... ballons de
football. Il aurait aussi officié au Cap Vert, en Guinée, au Zaïre et au Sénégal. A la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit ?
Un seul reproche à l’auteur : vouloir nous faire partager son désespoir. Affûter une arme, ce témoignage, et, découragé, renoncer à s’en servir. La
pétition qui suit est d'ailleurs un moyen de réagir.
Au sommaire (explicite) :
- Gabon et compagnie(s) - Rechutes dans les Grands Lacs
- Liaisons dangereuses au Tchad - Le “cas” Barril
- Djibouti l’inaboutie - Services secrets
- Les Comores à l’encan - “Privés” et mercenaires
- Et Elf créa Biya - Trafics d’armes par la bande
- Main basse sur Brazzaville - Une présence contrainte
- Eyadema notre amour - L’état-major contre la Cour
- L’assaut de la Guinée-Bissau
Agir ici et Survie, L'Harmattan, 255 p. Disponible à Survie (100 F, port inclus).
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019 DÉPÔT
LEGAL : JANVIER 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 80 F (ETRANGER : 100 F)
23
BILLETS D’AFRIQUE N° 66 BIS - SPÉCIAL RAPPORT RWANDA, 21/12/1998
CONTRADICTION
La publication du rapport de la Mission parlementaire d’information sur le Rwanda a donné lieu à un grand écart entre le discours
de son président (l’ancien ministre de la Défense de François Mitterrand Paul Quilès), axé sur la disculpation de la France, et le
contenu même du rapport : celui-ci étale au contraire les responsabilités majeures de la France dans la tragédie rwandaise.
Le rapport signale ainsi que la France a reconnu officiellement la légitimité du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) jusqu’au
20 juin 1994 au moins - c’est-à-dire pratiquement jusqu’à la fin du génocide. Durant le mois de juillet, Paris refusait encore de s’en
démarquer. Alors que, dès le 15 mai, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé admettait précisément et publiquement que,
sous ce gouvernement, se commettait un « génocide ».
La France savait - et pourtant elle soutenait ce GIR de tout son poids diplomatique. Sans parler des livraisons d’armes qui se
tramaient à Paris - au moins jusque mi-juillet, par des canaux parfaitement connus des services français.
La France savait. Le directeur des Renseignements militaires Jean Heinrich déclare qu’elle était parmi les mieux informées sur le
Rwanda.
La Mission parlementaire plaide « l’erreur », tout en admettant que les procédures de décision suivies, politiques et militaires, ne
furent guère différentes de celles en usage pour d’autres pays africains. Mais si, sachant tout, la France n’a rien compris, si elle a
pu commettre une erreur aussi énorme malgré l’abondance des avertissements, malgré l’évidence des massacres, n’y a-t-il pas de
vrais et grands coupables : tous ceux qui, par vanité ou intérêt, ont perpétué un système franco-africain obsolète et incontrôlé - sorte
de Tchernobyl gaulois ?
Le plus étonnant, c’est qu’il se trouve encore des “responsables” politiques (y compris parmi les membres de la Mission) pour
protéger cette vache sacrée.
Le président Quilès, lui, voudrait bien la réformer - à condition de nier la responsabilité française. Une fois de plus : depuis 1945,
tous les crimes coloniaux et postcoloniaux ont été placés sous le signe de l’impunité.
Ce n’est pas seulement une offense au devoir de mémoire : cela décrédibilise la France. Et, en l’occurrence, son Parlement.
Personne à l’étranger ne croit en l’innocence de la France au Rwanda. Même la presse hexagonale n’y croit plus.
Pourtant, le travail des rapporteurs n’est pas vain. En certains chapitres, il est même excellent. Le millier de pages d’analyses,
d’auditions et de documents fournit quantité d’outils pour l’exploration plus approfondie d’un système pervers, qui auto-intoxique
ses propres “décideurs”.
Bien qu’inachevée, cette investigation inédite au Parlement mériterait donc un satisfecit... si elle ne sous-estimait pas
systématiquement les circuits occultes d’action et de décision ; si elle ne niait pas, trop souvent, ce qui n’est pas (encore) prouvé ;
si elle n’avait, sciemment, esquivé ou censuré des témoins-clefs.
Rien que le cas du capitaine Barril montre la nécessité d’une commission d’enquête (et non plus seulement d’une mission
d’information) sur les aspects cachés de l’implication de la France au Rwanda. Pour l’honneur, nous la réclamons.
SALVES
Non coupable
Nous le pressentions (Billets n° 65) : aidé de l’ancienne attachée de presse de Bernard Tapie et Michel Charasse (ces paraboles du
mitterrandisme), le président de la Mission d’information Paul Quilès a transformé la publication du rapport final, Enquête sur la
tragédie rwandaise, en un show absolutoire. Court-circuitant les rapporteurs, il s’est répandu sur les ondes et dans les agences de
presse : la France n’est « nullement impliquée » dans le déchaînement de violence au Rwanda, le rapport « rejette les accusations
inacceptables » suscitées par les puissances et les médias étrangers, des journalistes stipendiés ou des lobbies partisans.
On l’a compris : comme au temps de l’affaire Dreyfus, la question n’est pas de savoir si ces accusations sont vraies ou fausses, elles
sont par principe « inacceptables ».
Cela dit, le rapport confirme entièrement ce propos de Gérard Prunier : « la France assurait la sanctuarisation militaire d’un
régime dictatorial et d’une dictature raciste ». Et le rapporteur Pierre Brana dresse dans Le Figaro (16/12/1998) un « constat »
impitoyable :
« La France a été présente militairement dans un conflit, officiellement pour éviter tout déséquilibre des forces, en réalité pour
empêcher la victoire de la rébellion. Cette coopération militaire avec une armée monoethnique l’a poussé à instruire des troupes, à
participer à l’élaboration des plans de bataille, à faire des contrôles d’identité, et, dans quelques cas officiellement reconnus, à être
présente à des interrogatoires. [...] Quelles que soient les motivations, cela rappelle que l’armée française apportait son soutien à
une armée rwandaise qui ne faisait pas de quartier.
[...] Pendant le génocide, la France [...] a des liens avec un gouvernement intérimaire [le GIR] [...] dont des membres sont
responsables du génocide ».
Pierre Brana, il est vrai, est de ceux qui estiment que « la vérité sur la tragédie rwandaise relève de l'intérêt de la France. La
France, si elle a été impliquée dans cette tragédie et si elle le reconnaît, en sortira grandie » (La Croix, 09/04/1999).
Paul Quilès tomberait plutôt sous l’avertissement du juge belge Damien Vandermeersch : « Après un génocide, on ne peut pas
tourner la page, les victimes et les parties civiles ne désarment jamais. Le procès Papon a eu lieu cinquante ans après. Si un pouvoir
ne fait rien, il a ces crimes sur les bras cinquante ans après, des crimes imprescriptibles... » (Le Monde, 10/07/1998).
Bons comptes
La disculpation de la France n’a peut-être pas qu’un objectif moral. Jean-Bernard Mérimée, ex-ambassadeur de France à l’ONU, en
est sûr : le Front patriotique rwandais veut « rejeter la responsabilité du génocide sur la France » pour faire « couler une manne
interrompue de crédits français ». Ceux qui réclament la « vérité sur le Rwanda » toucheraient un pourcentage ? (Audition du
23/06/1998).
24
Billets d’Afrique N° 66 bis –
21/12/1998
Sophismes
Trop souvent, le rapport use de figures rhétoriques douteuses : est faux, ce qui n’est pas prouvé (même si c’est probable à 99 %... ) ;
de même, ce qui est contredit par des témoignages officiels.
Ainsi de l’exfiltration vers le Kivu des autorités responsables du génocide, aujourd’hui niée par l’ensemble des responsables
politiques et militaires français. Manque de chance, Patrick de Saint-Exupéry a trouvé dans le journal de la Légion Képi blanc
(10/1994) un aveu candide. Il le décoche dans Le Figaro, le lendemain même de la publication du rapport parlementaire : « L’état-
major tactique (EMT) [de l’opération Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement de transition rwandais vers le
Zaïre », le 17 juillet 1994...
L’intraitable journaliste titre son article : Les “trous noirs” d’une enquête. Il rappelle que 10 jours plus tôt (le 7 juillet),
l’ambassadeur Yannick Gérard, représentant la France à Goma, réclamait des instructions fermes : « Il me paraît urgent de rompre
publiquement avec les autorités de Gisenyi ». Son conseil n'a pas été suivi. Les faits ont répondu.
Sans nom
Il est écrit dans les Annexes du rapport (p. 360) : « La Mission a reçu des témoignages très émouvants qu’il ne lui est pas possible de
publier ici en totalité. Elle a donc choisi, plutôt que de procéder à une sélection, de n’en présenter qu’un seul au nom de toutes les
victimes du génocide ». Le témoignage qui suit, de Jeanne Uwimbabazi, est effectivement très émouvant. Mais la pieuse dédicace
cache la censure des témoignages d’une autre rescapée, Yvonne Mutimura, et de son mari Pierre Galinier.
Cette censure n’est pas un hasard. Paul Quilès en personne a vivement apostrophé Yvonne Galinier, pour la dissuader de
témoigner. Cette ancienne employée de la coopération française, sauvée in extremis par un convoi de l’ONU, a en effet vu et vécu
des choses gênantes :
- elle a assisté à des contrôles d’identité ethniques effectués par des soldats français ;
- elle a vu des militaires français qui violaient des filles sur la route ;
- elle affirme que des militaires français entraînaient des miliciens Interahamwe - accusation que balaie la Mission ;
- son compagnon coopérant, devenu son mari, explique comment les autorités françaises ont plusieurs fois refusé de sauver
Yvonne, leur employée tutsi ; il a trouvé un colonel belge moins insensible ; mais sa femme donne le nom de quatre autres
Rwandais, travaillant pour la France, qui ont été abandonnés aux tueurs avec leur famille.
On “comprend” que la Mission n’ait pas voulu publier ce double témoignage (encore que cela met en doute l’honnêteté de son
travail). Fallait-il habiller cette esquive de la mémoire des victimes ?
Déni de justice
Yvonne Galinier n’a pas de chance avec les institutions françaises. Elle avait porté plainte en juillet 1995 contre l’abbé Wenceslas
Munyeshyaka, un prêtre rwandais réfugié en France. Elle l’accusait d’avoir livré aux miliciens l’une de ses parentes. Mais la
chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes a déclaré le juge d’instruction incompétent : le forfait dont est accusé le père
Wenceslas serait, s’il était prouvé, un crime de génocide contre lequel, à l’époque, la France ne disposait d’aucun instrument
juridique.
En 1996, le Parlement a adapté la loi française au Tribunal pénal international pour le Rwanda. La Cour de cassation a donc
ordonné la reprise de l’instruction. En vain.
C’est au contraire Yvonne Galinier qui, après avoir perdu la quasi-totalité de sa famille lors du génocide, se retrouve accusée.
Vigoureusement soutenu par un lobby catholique, le père Wenceslas lui réclame 200 000 francs de dommages et intérêts pour
violation de la présomption d’innocence : elle a eu le “tort” d’évoquer à la télévision ses accusations contre le prêtre. Elle devrait en
effet indéfiniment se taire, puisque le procureur général Benmakhlouf, proche de Jacques Chirac, a décidé jusqu’ici de s’asseoir sur
ce dossier sensible.
On remarquera que ce procureur fait partie de la très droitière APM (Association professionnelle des magistrats) dont le bulletin
s’est signalé récemment par des propos racistes. Et dont le président Georges Fenech est allé conforter la farce électorale gabonaise.
Lassés, Yvonne Galinier et ses avocats ont décidé de saisir le ministre de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature contre
Alexandre Benmakhlouf. Pour « manquement professionnel ».
Encore Barril
Nous avons plusieurs fois mentionné le rôle très important joué par Paul Barril dans l’environnement du Hutu power 1, cette faction
raciste suscitée par l’akazu (le clan d’Agathe Habyarimana, femme de l’ex-président rwandais).
Croisant Barril à tous les carrefours, la Mission ne pouvait plus donner l’impression d’esquiver son audition. Un député ingénu
avait avoué qu’il fallait obtenir une autorisation de l’Elysée, sans doute difficile à obtenir. Et Paul Quilès déclarait, à qui voulait
l’entendre, que ce monsieur n’était pas sérieux. (On se demande pourquoi, en ce cas, la République le laisse assurer la sécurité de
l’hôtel Crillon, où ne cessent de défiler les chefs d’Etat étrangers... ).
Bref, la Mission l’a convoqué pour le 9 décembre (moins d’une semaine avant le rendu du rapport). Le capitaine a eu beau jeu de se
défausser. Il a prétexté d’une information judiciaire, ouverte à son instigation par le juge Bruguière juste après la création de la
Mission parlementaire. Paul Barril affirme avoir « réussi à convaincre » un membre de l’équipage de l’avion du président
Habyarimana de porter plainte, quatre ans après l’attentat... Et il réserve ses propos à la justice... (Le Monde, 17/12/1998) .
Mais les rapporteurs ne l’ont pas loupé. Ils closent leurs tomes d’annexes par une série de documents qui montrent Barril en avocat
du Hutu power, en bisbille avec le trafiquant d’armes français Dominique Lemonnier, subitement décédé depuis lors. N’ayant pas
respecté un contrat de livraison d’armes à l’armée génocidaire, Lemonnier aurait, selon Barril, « mis les autorités gouvernementales
[du GIR] dans l’impossibilité de répondre aux besoins humanitaires de ses populations et d’atténuer les souffrances qu’elles ont
endurées » (Lettre du 13/08/1994). Par voie de justice, le capitaine réclamait au nom du GIR 10 millions de FF de pretium doloris.
25
Billets d’Afrique N° 66 bis –
21/12/1998
Les services français n’ignoraient rien, évidemment, des activités de Lemonnier. Ni de celles du colonel Cyprien Kayumba,
fournisseur d’armes du Hutu power. Or celui-ci a opéré depuis Paris durant tout le printemps du génocide. Le 18 juillet 1994 encore,
il faisait livrer pour 753 645 dollars d’armes à Goma.
Alors, quand le texte du rapport se cantonne aux livraisons d’armes officielles de la France, on rit pour ne pas pleurer : sur cette
autoroute-là, il est clair que la ligne jaune du génocide et de l’embargo n’a pas été franchie (ou si peu).
Mais la France ne saurait s’exonérer si aisément des livraisons clandestines qu’elle a couvertes ou organisées durant tout le
printemps 1994. Et jusqu’en été, sur l’aéroport de Goma. Contrôlé par les forces de l’opération Turquoise...
Au total 240 tonnes de munitions, ont été fournies par une société, Mil-Tec, basée dans le paradis fiscal de l’île de Man. La Mission
(félicitons-la !) publie à ce sujet des documents explosifs.
Qui se cache derrière Mil-Tec ? Cela ne devrait pas laisser indifférent la justice française. Ou le tribunal d’Arusha...
1. Nous avons développé ce rôle dans un chapitre du Dossier noir n° 12, Sécurité au Sommet, insécurité à la base, L’Harmattan, 1998.
Absents
Paul Barril n’est pas le seul grand absent de la liste des personnes auditionnées. Dans une toute autre perspective, il n’a pas été
possible d’obtenir du président Quilès l’audition de témoins importants, tels Jean-François Bayart, Thérèse Pujolle ou Rakiya Omaar.
Et l’on remarquera que sur quatre Rwandais auditionnés, trois sont d’anciens ministres ou ambassadeur du général Habyarimana.
A propos
Le 15 décembre, Libération publie un article annonçant la sortie du rapport de la Mission. Le quotidien l’accompagne d’une
interview exclusive d’Agathe Habyarimana, en veuve éplorée. Nul commentaire ne permet de relativiser un chapelet d’affirmations
pour le moins suspectes.
Lors de son audition, l’historien Gérard Prunier a déclaré que le « clan de Madame » a été « au cœur de l’organisation du
génocide ». Le même n’arrive pas à comprendre pourquoi Jean-Christophe Mitterrand nie ses relations avec Jean-Pierre
Habyarimana, le fils défunt d’Agathe, « alors qu’il y a des témoins oculaires » et « qu’on peut donner les dates où ils ont été vus
ensemble au Rwanda ».
Sa mère affirme que Jean-Pierre « a vu Jean-Christophe Mitterrand une seule fois dans sa vie », et demande : « Qui peut croire que
mes parents dirigeaient le pays ? ». La quasi-totalité des spécialistes de la région, à notre connaissance.
Résumé
Lors de son audition, Gérard Prunier a bien résumé le fourvoiement (assumé) de la France.
Il est dans le bureau élyséen de Jean-Christophe Mitterrand le 5 octobre 1990 quand le général Habyarimana appelle au secours,
lors de la première offensive du FPR. Après avoir raccroché le téléphone, Papamadit déclare à son vis-à-vis : « On va lui envoyer
quelques bidasses, au petit père Habyarimana, et dans un mois, tout sera fini ».
Commentaire de Prunier : « La familiarité de ce type de remarque est bien plus révélatrice de l’état d’esprit qui préside aux
rapports que la France entretient avec l’Afrique que le libellé même des notes officielles ».
La France avait « dès le départ, de fausses grilles de raisonnement », une « pensée de type apartheid » 1.
Habyarimana était « un homme de Realpolitik, [...] sensible à des méchancetés gentiment dites ». « La France a disposé de leviers,
dont elle n’a pas joué à plein ». C’est que, « dans l’esprit des responsables de cette politique, il y avait un certain accord avec la
position rwandaise, notamment sur le caractère exogène de la menace [un FPR “ougandais”] [...]. Pour la France, derrière le FPR, il y
avait le diable anglo-saxon ».
Les pressions de la France en faveur d’une démocratisation du régime Habyarimana « existaient peut-être sous la forme de notes,
mais une sous-conversation exprimait exactement le contraire ». « Il s’est creusé un écart considérable entre la position officielle de
la France et la perception par la population rwandaise de la présence française aux côtés du régime ». C’est tout le problème des
faces émergée et immergée de l’iceberg françafricain...
« La France n’a pas compris le Rwanda. Lorsque l’on ne comprend pas, il ne faut pas agir ». Mais l’on était bien trop
présomptueux pour cela. Selon le général Jean Heinrich, ex-patron de la DRM (Direction du Renseignement militaire), « les services
de renseignement français étaient parmi les mieux, voire les mieux informés de la situation du Rwanda, leurs renseignements étaient
nettement supérieurs à ceux que pouvaient avoir les Américains ou les Allemands ».
1. Elle a d’ailleurs été l’un des meilleurs alliés et fournisseurs du régime sud-africain d’apartheid. Y compris, sans doute, via l’aéroport de Kigali.
26
On n’avait pas dû apprécier non plus qu’il chipote sur la coopération gendarmesque. Il s’était aperçu que les gendarmes formés par
la France se servaient de leur nouveau savoir-faire pour pourchasser les Tutsis...
27
Billets d’Afrique N° 66 bis –
21/12/1998
Bons points
* Dans le rapport de la Mission, il faut saluer l’excellente première partie, consacrée à l’histoire. Et un bon chapitre sur le génocide.
Loin des schémas dominants, ces pages font un sort à la grille de lecture ethniste et aux penchants révisionnistes.
* Sur la question de l’attentat contre le Falcon 50 du général Habyarimana, les rapporteurs ont beaucoup travaillé. Ils ont fait
progresser le dossier, en démontant notamment une manipulation des services français - qui proposaient une preuve truquée de la
culpabilité du FPR. Mais ils se sont comme arrêtés au bord de la vérité. Est-elle si difficile à accepter ?
* Vice-président de la Mission, le député communiste Jean-Claude Lefort a abattu un travail considérable. Retenu hors de Paris lors
du vote du rapport, il a fait savoir qu’il voulait s’abstenir, car « des points majeurs ne sont pas éclaircis ». Il songe sans doute aux
responsabilités politiques, aux livraisons d’armes, à l’avion d’Habyarimana...
Fausse note
Les députés de l’opposition ont rejeté les conclusions du rapport (nettement moins frileuses que le rapport lui-même, sauf sur la
question des bases militaires). Ils estiment qu’elles mettent en cause le rôle de la France (« Notre pays peut et doit être fier de
l’action qu’il a conduite dans ce malheureux pays ») et que les propositions de réforme émises portent atteinte au “domaine réservé”
de l’Elysée. Garde à vous !
A FLEUR DE PRESSE
Le Monde, Rwanda : comment la France s’est trompée, 17/12/1998 : « Le récit méticuleux des événements [...] souligne l’échec
manifeste de la France au Rwanda, la nocivité de sa politique africaine et son aveuglement face aux signaux annonciateurs du
carnage ».
Libération, Ellipses, 16/12/1998 (Jacques AMALRIC) : « Même s’il exonère la France de l’accusation de complicité de génocide, le
rapport [...] [contient des] critiques [...] accablantes [...]. La France a choisi de sous-estimer des risques de génocide qu’elle connaissait.
[...] “La France a accepté elle-même de se laisser piéger”.
[...].L’art de l’ellipse dont font preuve les rapporteurs [...] [produit des] efforts [...] un peu vains [...], tant le rapport établit le calendrier
d’une dérive qui n’a pu être voulue qu’en haut lieu ».
[Une dérive « voulue » est une complicité. Le « haut lieu » - l’Elysée, le lobby militaire, les réseaux branchés jusqu’au sommet de l’Etat - ne
serait plus « la France » ? Comme dirait Tartufe : « Cachez cette France que je ne saurais voir »].
Le Figaro, Une étape sur le chemin de la vérité, 16/12/1998 (Patrick de SAINT-EXUPERY) : « Pendant des années, une politique
obscure s’appuyant sur des schémas dépassés a pu être menée en toute impunité et sans le moindre contrôle ».
Des militaires français suspectés, 09/12/1998 (P.S.-E) : « Selon un mémo interne de l’ONU daté du 17 février 1994, deux mois avant le
génocide [...] “des militaires français sont suspectés d’entraîner de jeunes Zaïrois [au nombre de 3 500] dans la forêt de Gishwati”.
Autrement dit : des militaires français auraient pu activement participer à la formation des milices »
EXTRAITS
« En 1991, les dépenses militaires augmentent fortement. [...] La France pourtant verse [...] 70 millions de francs au titre de l’aide à la balance des
paiements ». (p. 11).
« M. Gérard Prunier a tenu les propos suivants [...] : “Le colonel Théoneste Bagosora [...] représentait l’ultime point de résistance de Madame
[Habyarimana] et ses frères. Tant qu’il demeurait secrétaire administratif du ministère de la Défense, eux et leur groupe gardaient, sur ce ministère,
un accès qu’ils estimaient absolument vital, non seulement pour le contrôle de l’armée, mais aussi parce que l’anse du panier dansait
énormément. [...] Le décuplement, en trois ans, de l’effectif de l’armée, [...] en accroissant de façon considérable le budget de la Défense, avait
ouvert de façon tout aussi considérable les possibilités de détournement de fonds, d’abord pour financer les milices [...] mais aussi dans un but
d’enrichissement personnel et politique” ». (p. 89-90).
[Sans rétro-commissions en France ?]
« Le colonel René Galinié [chef de la Mission d’assistance militaire au Rwanda, écrit] le 10 octobre 1990 : “Il est à craindre que ce conflit finisse par
dégénérer en guerre ethnique”. Le 15 octobre 1990 : “certains Tutsis [...] pensent enfin qu’il convient de craindre un génocide” » (p. 122).
« Le général Jean Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération [...] [jusqu’en] avril 1993 a indiqué comment, lors de son arrivée au
Rwanda, le colonel Rwagafilita lui avait expliqué la question tutsie : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider” » (p. 263).
« Dans son rapport du 11 août 1993, le rapporteur spécial [de l’ONU] indiquait très clairement : “[...] Les FAR ont également joué un rôle actif et
bien planifié, au plus haut niveau, dans certains cas de massacres de Tutsis par la population” ». (p. 260-261).
« Les personnels DAMI [les “instructeurs” français] vivaient en dehors de la capitale, dans des camps militaires d’instruction, avec leurs élèves, dont
ils assuraient la formation. [...] L’instruction s’effectue dans les camps suivants : les camps de base à Mukamira [...] ; le centre commando de
Bigogwe [...] ». (p. 127-129).
[L’on torturait à Bigogwe...].
« [Conseiller des Forces armées rwandaises (FAR)] , le colonel Gilbert Canovas [...] propose, pour remédier à l’insécurité de ces populations vivant au
sud du Parc des Volcans [au nord-est du Rwanda], “la mise en place de petits éléments en civil, déguisés en paysans, dans les zones sensibles, de
manière à neutraliser les rebelles généralement isolés” ». (p. 136).
[Ce dispositif de « neutralisation » a été parfaitement assimilé. Il continue d’être utilisé aujourd’hui, dans la même région, par la guérilla du Hutu power].
« Le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin, [...] chargé [mi-avril 1992] de conseiller le chef d’état-major de l’armée rwandaise [le colonel Serubuga],
rencontre [celui-ci] tous les jours. [...] Le fait [...] d’accompagner le colonel Serubuga dans ses déplacements et de participer à la définition des
28
opérations tactiques montre [l’étendue de sa mission] ». (p. 138-139).
« Après l’offensive généralisée du FPR le 8 février [1993], l’armée rwandaise, totalement démoralisée, ne contrôle plus la situation. [...] [On
observe] l’arrivée à Kigali, le 22 février, du colonel Didier Tauzin, accompagné d’une vingtaine d’officiers et spécialistes du RPIMa, [un régiment]
connu sous le nom de Chimère [et fournisseur de commandos de la DGSE] . [...] L’objectif était d’encadrer indirectement une armée de 20 000 hommes
et de la commander indirectement. [...]
La présence militaire française sur le terrain, prolongée après les dernières évacuations des ressortissants français en 1991, [est devenue]
déterminante sur l’issue des combats [...], à la limite de l’engagement direct [...] - [bien] que l’agression ne puisse être véritablement caractérisée
comme une agression extérieure, que le pays qui la subit soit lui-même auteur ou complice d’exactions graves sur ses propres populations ». (p.
143-148).
« L’ordre d’opération n° 3 du 2 mars 1993 [...] [précise] les règles de comportement [des soldats français] sur les “check-points” [...] : la remise de
tout suspect [...] à la disposition de la Gendarmerie rwandaise ». (p. 152-153).
[La suspicion se fondait essentiellement sur la carte d’identité ethnique].
« [Sur les livraisons d’armes], la Mission n’entend pas [...] épuiser la totalité du sujet et notamment elle ne prétend pas, s’agissant du trafic d’armes,
élucider tous les cas évoqués à travers différents articles et ouvrages, de marchés parallèles ou de livraisons effectués au moment des massacres,
en avril 1994, ou après la déclaration d’embargo des Nations unies le 17 mai 1994 ». (p. 155).
[N’ayant en fait rien élucidé du tout (dans le texte du rapport, du moins, à la différence des Annexes), la Mission conclut sommairement : « la violation de l’embargo et
les exportations illégales d’armements, qui auraient été connues des autorités françaises et qu’elles auraient laissé se produire n’ont pas été démontrées » (p. 164). Un
lourd grief à la trappe ! Mais si les autorités n’ont rien su, il faut fermer d’urgence la DGSE].
« [Pour] l’entourage présidentiel, l’akazu, [...] la préparation du génocide était la seule voie envisagée pour se maintenir au pouvoir ». (p. 198).
[Or cet entourage n’a cessé d’être choyé par la France. Ainsi, « la spécificité de l’opération d’évacuation Amaryllis tient dans la demande d’évacuation “ en avant-
première” d’une soixantaine de personnes », dont douze parents du général Habyarimana et Ferdinand Nahimana, le responsable de la Radio des Mille Collines (p. 240
et 255). « Il semble bien [...] que le traitement accordé à l’entourage de la famille Habyarimana ait été beaucoup plus favorable que celui réservé aux employés tutsis[...]
de la représentation française » (p. 256).
Paris a aussi exfiltré 34 inconnus avec les enfants de l’orphelinat Sainte-Agathe. Manifestement, la Mission n’a pas eu envie d’en savoir plus (p. 256)].
« [Selon] Gérard Prunier [...], “on peut supposer que Paul Barril connaît les hommes qui ont abattu l’avion et leurs commanditaires”. [...]
On remarque la concordance entre la thèse véhiculée par les FAR en exil [...], et celle issue des éléments communiqués à la Mission [via la
Direction du renseignement militaire] visant à désigner sommairement le FPR et l’Ouganda comme auteurs possibles de l’attentat. [...] Cette hypothèse
a été avancée à certains responsables gouvernementaux, sans davantage de précautions, comme en témoignent les auditions de MM. Bernard
Debré [...] ou François Léotard ». (p. 207 et 220).
[La Mission n’a pu ou vraiment voulu auditionner Barril. Et elle ne parvient pas à conclure sur la question de l’attentat, où elle a pourtant beaucoup investi].
« Il était demandé aux forces de Turquoise [...] [de] “faire cesser les massacres sur l’ensemble de la zone contrôlée par les forces armées
rwandaise, en les incitant à rétablir leur autorité” ».
[Alors que l’on savait depuis longtemps que les FAR participaient au génocide ! Jusqu’au 17 juillet au moins, les officiers de Turquoise ont collaboré avec les autorités
établies, administratrices du génocide - tel le préfet de Kibuye Clément Kayishema (p. 301)].
« Il semble bien que l’activité des milices et des FAR n’a pas été totalement maîtrisée en ZHS [Zone humanitaire sûre] ». (p. 315).
[Doux euphémisme. Au PC des forces spéciales de Gikongoro, seules ont été récupérés une centaine d’armes de guerre vétustes et de vieux fusils (p. 315)].
« La France n’a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l’ont déclenché dans les jours qui ont
suivi l’attentat ». (p. 335).
[Reconnaître leur gouvernement, approvisionner clandestinement leur armée, n’est ce pas « encourager, aider, soutenir » ? Pour les besoins de la disculpation, la
Mission s’est soigneusement gardée d’explorer ce que Gérard Prunier appelle la « sous-conversation », le parti pris souterrain - écartant à ce sujet les enquêtes et
témoins à charge. Enfin, l’ex-ministre de la Défense de François Mitterrand Paul Quilès se fait quasiment muet sur les responsabilités de l’ancien Président et de son
fils].
« Les propositions de la Mission :
1 - Accroître la transparence et la cohérence de nos mécanismes de gestion des crises internationales. [...] Mise en place d’un système adapté
d’association du Parlement aux activités de renseignement. [...]
2 - Améliorer le contrôle du Parlement sur les opérations militaires conduites en dehors du territoire national. [...] Modification de la Constitution,
qui prévoirait d’une part les modalités d’autorisation par le Parlement des opérations extérieures et, d’autre part, l’extension aux accords de
défense du régime d’approbation parlementaire des conventions internationales. [...]
3 - Approfondir la réforme de notre coopération avec les pays africains.
4 - Contribuer efficacement à la sécurité africaine. [...] Encadrement rigoureux des opérations africaines de maintien de la paix par un mandat du
Conseil de sécurité des Nations unies. [...] Faire la transparence la plus grande possible sur notre politique africaine. [...]
5 - Améliorer l’efficacité des opérations de maintien et de rétablissement de la paix de l’ONU ». (p. 347-363).
[Un programme intéressant, même si le détail des propositions 3 et 4 est assez superficiel].
29
BILLETS D’AFRIQUE N° 67 - FÉVRIER 1999
Naufrage à Brazzaville
L’extrême complexité de certaines crises africaines, dans l’ex-Zaïre ou au Sierra Leone par exemple, renforce une tendance
majoritaire dans l’opinion et chez les responsables politiques européens : nous n’avons rien à voir avec ces guerres, rien à faire des
massacres qui les ponctuent.
La France ne peut pas dire cela de l’horreur qui se déroule depuis mi-décembre au sud du Congo-Brazzaville et de sa capitale.
Parce qu’Elf a joué un rôle majeur dans ce pays pétrolier. Jusque dans des tentatives de putsch et le financement d’achats d’armes.
Parce que des instigateurs de la méga-corruption, tels Michel Pacary, ont puissamment aidé à y ruiner l’État. Lequel, incapable de
payer les “forces de l’ordre”, les invite au pillage. Or Pacary était au cœur du système politique français.
Parce que, dans la guerre civile de 1997, le tout-Paris françafricain a œuvré à la restauration d’une dictature rejetée par une large
majorité de la population : celle du général Denis Sassou Nguesso (DSN).
Parce qu’au contraire de ses partenaires européens, Paris a soutenu à fond le nouveau régime. Diplomatiquement.
Politiciennement, avec l’envoi de spécialistes en “démocrature” - jusqu’à la préparation de scrutins truqués. Médiatiquement, avec
une bordée de “faiseurs d’image”. Et surtout militairement, en mobilisant les ressources du sanctuaire gabonais, les soudards
tchadiens d’Idriss Déby, les ambitions angolaises. Sans compter les “instructeurs” de la DGSE et de la gendarmerie.
Face aux milliers de victimes civiles du ratissage des quartiers sud de Brazzaville et de la région du Pool, entre autres (un
responsable d’ONG a avancé le chiffre de 25 000 morts), les décideurs français ne peuvent pas dire : nous ne savions pas. Face à
des massacres ethniques (d’ores et déjà crimes contre l’humanité, sinon prémices d’un génocide, comme il y en eut au Rwanda en
1992), la France ne peut se laver les mains. Elle a une responsabilité éminente. Comme le lui rappelle la publication concomitante
du rapport parlementaire sur son rôle au Rwanda.
Mais la-France-qui-sait commence par nous boucher les yeux et les oreilles. Pendant un mois, les massacres du Congo-Brazzaville
(et plus encore la responsabilité écrasante de l’ami DSN) ont été étouffés sous le silence étourdissant de l’exécutif français et des
médias sous influence. Un silence de mort, nullement innocent. Les fêtes de fin d’année ne peuvent tout excuser.
Elles ne peuvent excuser la poursuite d’une politique françafricaine caricaturale et scandaleuse, que Jacques Chirac continue
d’initier ou de couvrir, et Lionel Jospin de tolérer. Le pillage du Congo-Brazzaville (et de quelques autres pays) n’est plus tolérable.
Ce n’est pas cet État exsangue qui doit de l’argent à la France, mais l’inverse. Beaucoup d’argent, si l’on veut faire les comptes.
De même, les envahisseurs tchadiens et angolais sont envoyés par des régimes fortement connectés avec les réseaux et lobbies
parisiens. L’argent du pétrole angolais, et des trafics d’armes qui nourrissent en Angola la relance d’une guerre civile sans merci,
irrigue probablement les campagnes d’une ou plusieurs têtes de liste aux élections européennes.
Certes, la situation créée par cette politique indigne est, pour un temps, irrémédiable. Elle a poussé le Congo-B sur la voie d’une
somalisation, ou d’une libérianisation. On n’effacera pas d’un trait de plume ou d’un tour de table les milices, leurs trafics, les
séquelles d’une polarisation ethniste. Mais ce qui reste d’une France attachée aux valeurs qu’elle proclame est mis au défi : rompre
le silence, monter au créneau du scandale, exiger le débat, et des initiatives à la hauteur du drame en cours (car les ratissages se
poursuivent, et les réfugiés sont affamés).
Avec ses partenaires européens (pour tempérer la couleur néocoloniale d’une thérapie d’urgence), la France peut et doit susciter
un traitement politique de ce combat de “chefs” pour une part (amaigrie) de la rente pétrolière. Elle doit promettre l’argent d’une
coopération exemplaire avec un État redevenu représentatif. Avec l’Europe encore, elle doit organiser les secours humanitaires qui
s’imposent.
Mais il est évident que sans un virage politique de fond, ce dernier acte paraîtrait comme un alibi. Or, la barque des alibis est
proche de couler.
SALVES
Déchaînement
« Sassou échoue », titrions-nous le 20 décembre (n° 66) à propos du projet de reconstruction de l’État congolais “prêté” à DSN par
ses parrains français. C’est plus vrai que nous ne le pensions. « Une partie du pays et de Brazzaville échappe désormais au contrôle
du régime », indiquions-nous, informés d’un embrasement de la région du Pool (qui borde la capitale) 1 et de l’étrange “abandon” de
deux quartiers de Brazza, Bacongo et Makélékélé.
Nous avions mal interprété cet abandon. Certes, DSN a définitivement perdu, dans son pays, la bataille de l’opinion. Certes, il est
très loin de contrôler les initiatives de ses miliciens Cobras, divisés, et de ses “alliés” - Angolais et Tchadiens, entre autres. Certains
assurent même que, sans un coup de main de la France le 18 décembre, il perdait le contrôle de l’aéroport. Mais le retour de bâton
littéralement terrifiant.
Le déroulement exact des faits demeure incertain, le pays restant très peu ouvert aux journalistes. Trois éléments ont pesé :
- La faillite financière : les recettes du pétrole sont déjà gagées pour plusieurs années (une fuite en avant commencée par DSN, puis
amplifiée par son successeur Lissouba), le prix du baril est très bas, de nouvelles explorations (avec “bonus” à la signature) sont peu
probables. Faute d’argent pour payer soldats et miliciens, il est tentant de les envoyer ou les laisser piller.
- Les divisions du groupe au pouvoir, reflet de vieilles inimitiés au sein de l’ex-parti unique. Elles sont attisées par le problème de
l’intégration des milices dans l’armée (une partie des Cobras en seront écartés) et la lutte pour les places. Comme en Somalie, on ne
peut raisonner seulement en terme de clan : il faut descendre aux sous-clans, aux factions. Il y a plusieurs variétés de Cobras.
- Le goût ancien de DSN, ex-stagiaire de la Stasi est-allemande, pour les coups tordus, ou masqués.
Il apparaît que très peu de Ninjas (les miliciens proches de l’ancien Premier ministre et maire de Brazzaville, Bernard Kolelas) ont
pénétré vers le 15 décembre dans les quartiers sud de la capitale, à dominante lari. Un témoin 2 soutient même qu’il s’agirait de faux-
Ninjas, grimés.
30
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
Quoiqu’il en soit, piège ou mascarade, la réaction a été totalement disproportionnée. Des troupes et milices du camp présidentiel,
obéissant ou non à DSN, se sont déchaînées sur cette zone de 200 000 habitants - partiellement évacuée. Avec un double objectif : un
pillage exhaustif, et l’élimination de tous les Ninjas virtuels, hommes et adolescents. Maison par maison. Plus les viols, mutilations
et massacres que stimule ce genre d’expédition homicide 3. Nombre d’habitants sont poussés dans le fleuve Congo.
La terrible répression s’étend à tout le sud du pays. Selon le même scénario : pillage, viols, assassinat systématique des mâles - en
pays lari comme chez les partisans de l’ex-président Lissouba (région du Nibolek). Un détail a frappé un observateur : on vole même
les planches à manioc, sans guère de valeur marchande. C’est le signe que l’on veut attenter à la vie même de toute une population.
Et c’est ce qui fait craindre un génocide 4, après les crimes contre l’humanité.
Les Mig angolais bombardent les localités du Sud. Une partie des populations agressées erre affamée dans la forêt. À Brazzaville,
les réfugiés privés de tout se sont multipliés. On va, comme on dit, vers un “désastre humanitaire”.
Petit détail : les déplacements des forces de DSN sont facilités par les 71 véhicules militaires que vient de leur livrer Paris.
1. Né d’une querelle entre milices pour le contrôle de la filière du cannabis, violemment tranchée par les “Cobras” de DSN. Cf. L’embrasement du Pool, Comité Europe
pour la Paix et la démocratie au Congo, 6 p., 06/01/1999. Tél. 02 38 88 93 62.
2. Albert Siassia, lors d’une conférence de presse de Noël Mamère à l’Assemblée nationale, le 18/01/1999. Cf. aussi son interview dans Libération du 12/01/1999.
3. « J’ai vu des gens qui s’enfuyaient avec un matelas mousse auxquels les militaires ont mis le feu pour les transformer en torches vivantes ». Annie Siassia, épouse
française d’Albert (Libération, 12/01/1999) .
4. Dans son communiqué du 08/01/1999, la FIACAT (Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture) parle de « premiers actes de
génocide ».
Silence
Comme quelques autres (dont l’ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, puis Amnesty et la Cimade), nous avons
déclenché l’alarme par un communiqué aux autorités et aux médias français dès le 23 décembre. Sans beaucoup de réactions.
L’Élysée et Matignon restent quasi muets. Les télés soignent leur Audimat. L’ambassadeur de France à Brazza mouline sa langue de
bois au micro de RFI.
Seule une partie de la presse écrite se bouge, à commencer par L’Humanité (comme en 1994). Le Monde et Libération (qui rectifie
heureusement sa ligne pro-Sassou) sortent un article entre Noël et le Nouvel an. Témoignage chrétien publie une longue et
remarquable enquête.
Tout cela ne suffit pas, ou plus. Que sommes-nous prêts, encore, à accepter ?
Démission
En se retirant quasi totalement de l’Angola, abandonnant ce pays à un nouvel épisode de son interminable guerre civile, les Nations
unies, ou plutôt le Conseil de sécurité, font preuve d’une lâcheté inadmissible. Car les pétroliers, eux, vont rester dans ce qui est pour
eux un pays de cocagne. En toute sécurité, ou presque.
Ils sont majoritairement américains et français. Ces deux pays portent la principale responsabilité de l’échec de la paix. Ils ont eu
trop envie du pétrole, des dollars, voire des troupes du régime Dos Santos, pour s’opposer à sa corruption galopante et sa criminalité
politique effrénée. Celles-ci ont miné le processus de réconciliation.
Certes, le leader de l’Unita Jonas Savimbi est un autocrate incurable, impitoyable. Mais ce n’est pas en rivalisant avec lui dans la
cruauté et la prédation (pétrolière ou diamantifère) que l’on ralliera la population rurale, harassée, écœurée.
Complice des dérives du régime Dos Santos, Washington fut un exécrable parrain des accords de paix. Les deux autres parrains,
Pretoria et Moscou, sont englués par leurs problèmes internes. Luanda, par ailleurs, traite l’Afrique du Sud comme l’héritière mal
lavée du régime d’apartheid. La Russie, branchée sur les réseaux françafricains, s’est surtout intéressée aux gigantesques contrats
d’armements déclenchés par les généraux angolais. Paris, enfin, n’avait pas eu droit au parrainage diplomatique officiel. Elle s'est
raccrochée au sens officieux et argotique du mot “parrain”.
Ainsi, les dollars du pétrole n’ont pas pourri seulement l’État angolais, mais la capacité même du Conseil de sécurité d’empêcher
une nouvelle hécatombe.
Paix au Congo-K ?
On ne peut que souhaiter longue vie à l’accord conclu le 18 janvier, en Namibie, par les représentants de 5 pays s’affrontant dans
l’ex-Zaïre : l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe aux côtés de Kabila ; l’Ouganda et le Rwanda du côté des rebelles. L’accord
prévoit un cessez-le-feu et demande le déploiement d’une force d’interposition de l’ONU. Celle-ci serait bien avisée d’accepter, vu
la montée des massacres qui se profile de part et d’autres : à Makobola (Kivu) fin décembre, chez les rebelles ; près de Zongo
(Équateur), pour les alliés tchadiens et soudanais de Kabila - absents du rendez-vous namibien.
L’ONU devrait aussi, comme en Bosnie, actualiser la menace d’un tribunal international.
Réunie à Anvers, la “société civile” congolaise venait de présenter des « voies d’issue » raisonnables 1. Un peu de raison est bien
nécessaire quand s’accentuent, dans ce conflit, des logiques souterraines fort peu recommandables :
- par alliés interposés, on en revient à l’affrontement franco-américain, aux motivations insensées et aux dégâts immenses ;
- dans les deux camps, généraux et “seigneurs de la guerre” suivent une pente prédatrice, sinon mafieuse ; un rapport de
l’association congolaise Asadho dresse la liste impressionnante des crimes économiques qu’ils ont déjà commis, pillant et aliénant
les ressources de l’ex-Zaïre 2.
Bref, il est plus que temps d’enrayer « la guerre que toute l’Afrique blâme 3 ». Et qui, de surcroît, remet en selle et légitime les
forces qui commirent le génocide rwandais (cf. Ils ont dit).
1. Société civile et crise congolaise, 3 p. 18/01/1999.
2. Guerre en RDC : Crimes économiques sur le sang des populations. 01/1999. Cf. aussi Frédéric Chambon, Affairisme, diamants, cobalt, comment M. Kabila paie ses
soutiens étrangers, et Marc Roche, Le nouvel homme fort de la Gécamines est désormais un Zimbabwéen, in Le Monde du 13/01/1999. On y apprend que Victor
M’Poyo, ministre d’État et intermédiaire de Kabila, « a longtemps travaillé pour Elf ».
3. Titre d’un article de C. Braeckman, Le Soir, 23/12/1998.
Freetown
31
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
En ce mois de janvier, le nom de la capitale sierra-léonaise - une Libreville anglophone, sans le pétrole - s’est répandu comme un
sarcasme. Il y a eu peut-être moins de morts qu’à Brazzaville, mais tous les grands médias ont évoqué les tueries qui ont
accompagné la prise de Freetown par les rebelles du RUF, puis la reprise de la ville par une force interafricaine (l’ Ecomog, à
dominante nigériane) : les journalistes anglo-saxons seraient-ils moins (auto-)censurés ?
Certes, la situation politique de la Sierra Leone n’est pas simple. On peut quand même rappeler que le gouvernement menacé par le
RUF a été normalement élu. Que le RUF est une filiale de la milice de Charles Taylor, devenu président du Liberia voisin après une
longue guerre civile et une litanie d’atrocités. Avec le constant soutien de la Françafrique, par Burkina, Libye et Côte d’Ivoire
interposés.
Taylor demeure “l’ami de la France”. Il continue d’armer le RUF. Lequel, selon l’ONU, a sommairement exécuté ou mutilé plus de
4 000 personnes depuis avril 1997. Sans compter le carnage à Freetown, « où les scènes sont souvent insoutenables » (Le
Monde, 19/01/1999) .
Serial fraud
La démocratie “progresse” en Afrique francophone, au rythme des coups de force électoraux. Quels que soient les aléas du
scrutin, présidentiel ou législatif, les chefs d’État ou les majorités sortants se voient “confirmés” par la proclamation des résultats, ou
les magouilles postérieures : au Togo, au Gabon, en Centrafrique (cf. À fleur de presse), en Guinée. Si l’on excepte le cas gabonais
(troublé par une polémique hexagonale autour d’une association de magistrats, l’APM), ces forfaitures passent dans les médias
français comme une lettre à la poste. Dans la continuité des fraudes tchadiennes, nigériennes, camerounaises, ...
Pourtant, la France investit de l’argent, son image (la coopération à « la construction d’un État de droit ») et parfois ses militaires
dans l’organisation de ces scrutins. Son silence quasi systématique sur leur dévoiement apparaît de plus en plus comme une stratégie,
celle de la « démocratie apaisée ». Une expression qui fait florès, jusque dans la bouche de nos ambassadeurs, et que le journaliste
camerounais Pius Njawe a fort bien décryptée.
L’on dit aux présidents en place : organisez le scrutin, gagnez-le par n’importe quel moyen, y compris des truquages éhontés 1,
laissez monter (un peu) la contestation, puis proposez le “dialogue” à l’opposition : conviez-la à la table du pouvoir, où vous lui
laisserez des miettes, et quelques strapontins à des élections secondaires.
La mise en scène de cette concertation confortera en fait votre légitimité. La promotion de la « démocratie apaisée » renouvellera
votre popularité. Et tout le monde, sauf quelques aigris, oubliera les conditions de votre réélection.
Si nécessaire, nous pouvons vous fournir des conseillers politiques et juridiques expérimentés, qui accompagneront les différentes
étapes du processus.
Mais la duperie instituée multiplie les aigreurs. Obstruer le chemin des urnes, n'est-ce pas tracer celui des armes ?
1. L’on ne cesse par exemple de ressortir le coup de l’encre faussement indélébile. On radie les “mauvais” électeurs, on multiplie les “bons”. Surtout, on trafique sur
ordinateur les chiffres issus des bureaux de vote.
Domaine
Il n’y a pas qu’au Togo qu’un dictateur retrouve sur sa route le parent d’un prédécesseur évincé. Le Mauritanien Ould Taya a en
face de lui Ahmed Ould Daddah, secrétaire général du principal parti d’opposition, l’UFD - et frère de Mokhtar, un président trop
indépendant au goût de Foccart.
En décembre, les leaders de l’opposition démocratique ont réclamé deux enquêtes : l’une relative aux captations de financements
extérieurs par le chef de l’État mauritanien et son entourage (Billets, n° 66) ; l’autre à d’éventuels accords secrets autorisant
l’enfouissement de déchets nucléaires israéliens.
Depuis lors, Ahmed Ould Daddah et deux autres dirigeants de l’UFD sont soumis à l’isolement carcéral - pour ne pas dire
“internés”, vu la “folie” de leurs propos. Des rassemblements de solidarité avec les familles des victimes ont été brutalement
dispersés, avec de nombreux blessés.
Quelle idée d’agresser le “domaine réservé” présidentiel, en prise directe avec le domaine réservé élyséen de l’ami Chirac !
Routine
On ne traitera guère du Tchad, parce que les éléments d’un tableau plutôt sombre n’y évoluent guère. « Menacés de
clochardisation », les militaires tchadiens s’installent « dans une culture de violence et d’impunité » : pillage des villages, exécutions
extra-judiciaires (Lettre du mois d’Agir ensemble pour les droits de l’homme, 01/1999). Certains de leurs collègues ont été expédiés dans les deux
Congos, comme mercenaires de la Françafrique (alliée au Libyen Kadhafi). Une nouvelle rébellion s’est déclarée au Tibesti. Le
projet pétrolier patine - la baisse du baril s’ajoutant aux aléas politiques. Le député Yorongar reste en prison (même si son sort donne
lieu à d’actives tractations).
La mission d’information parlementaire sur les groupes pétroliers, présidée par la députée Marie-Hélène Aubert, a l’intention de se
rendre prochainement au Tchad. Elle n’y sera pas forcément bien reçue. Mais cet intérêt du Parlement pour des sujets fâcheux est en
soi une bonne nouvelle.
Chaînes de commandement
Fragilisé par une gestion clanique et un apartheid anti-afar, le régime djiboutien prend dangereusement parti dans le conflit entre
l’Érythrée et l’Éthiopie. Pour cette dernière. La France vient d’accorder une aide exceptionnelle de 65 millions de FF à ce régime.
Liée par un accord de défense, elle pourrait se trouver embarquée dans une guerre contre l’Érythrée.
La frégate Cassard croise dans les parages (Libération, 22/01/1999) 1, soumise aux événements et aux lubies françafricaines de l’Élysée.
Gare aux récifs !
1. L’article, assez long, réussit l’exploit de ne pas dire un mot de la nature ethniste et corrompue du régime d’Hassan Gouled. Ni de la guerre civile qui mine le pays et
est à l’origine des tensions avec l’Érythrée. Cf. Agir ici et Survie, La sécurité au Sommet, l’insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 53-58.
Pourparlers
32
Étrangement, pendant ce temps, le Burundi poursuit son processus de paix à Arusha (Tanzanie). Une importante faction militaire
“hutue”, le CNDD-FDD, a rejoint les négociations, accroissant encore leur crédibilité. Autre signe positif : la nomination d’un
Procureur général hutu appartenant au parti Frodebu - celui du président assassiné Melchior Ndadaye.
Première reconnaissance de taille : la levée de l'embargo international, obtenue à Arusha le 23 janvier.
(O)mission
Enjeu d’un âpre combat politique, le rapport de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda a été contraint à un certain
nombre de biais et d’esquives. Ainsi les témoignages sont-ils rapportés en style indirect, ce qui empêche de prendre les témoins au
mot.
Cela a permis de corriger légèrement la position d’un personnage-clef 1, le général Christian Quesnot (chef d’état-major particulier
de François Mitterrand de 1991 à 1995), sur la question des boîtes noires de l’avion de Juvénal Habyarimana. Il a dit qu’il n’y en
avait pas. Dans le rapport, cette dénégation est entièrement imputée à la société Dassault (qui n’avait peut-être pas fourni cet
équipement en sortie de chaîne).
Or le général Rannou, ancien chef du cabinet militaire au ministère de la Défense, a écrit à la mission pour confirmer la présence
de deux boîtes noires. L’un des deux généraux se trompe, ou nous trompe. Dans son rapport, la mission omet d’évoquer cette
contradiction majeure.
Si l’on suppose en effet que le général Rannou dit vrai (il a moins de choses à cacher), cela voudrait dire que l’on a fait disparaître
les boîtes noires, et que le général Quesnot cache cet escamotage. Pourquoi ? La réponse à cette question fournirait peut-être un
élément essentiel pour la compréhension de la tragédie rwandaise.
1. Figure charismatique d'un lobby militaire, issu de la “coloniale”, qui poussa les feux de l’engagement français au Rwanda, le théorisa, et le promut auprès des
politiques - en parfaite connivence, faut-il ajouter, avec le président Mitterrand.
Liaisons dangereuses
En 1993-94, l’ancien capitaine de “la coloniale” Bernard Courcelle était chargé de la sécurité du musée d’Orsay, et donc de sa
conservatrice Anne Pingeot, en lien étroit avec le responsable de la sécurité élyséenne Christian Prouteau. Il affirme : « Je
m’occupais de préparer les visites souvent impromptues de François Mitterrand à Anne Pingeot ». On suppose que le Président,
gourmand d’écoutes et de renseignement, en savait beaucoup sur un tel homme.
Jean-Marie Le Pen cherche alors un bon professionnel pour diriger la milice du Front national, le DPS (Département protection et
sécurité). Son ami l’ex-commissaire Charles Pellegrini - un ancien de la cellule élyséenne, mêlé à ses écoutes officieuses - lui
recommande Bernard Courcelle. Lequel est aussitôt promu patron des paramilitaires du Front national (entre 1 700 et 3 000 hommes)
(Réseau Voltaire, 30/12/1998) . On suppose que Le Pen n’a pas recruté un adversaire idéologique.
« Si ces informations sont vraies, alors cela voudrait dire que le président de la République ne s’est pas contenté d’instrumentaliser
le FN, mais qu’il a eu des relations plus qu’équivoques avec lui », déclare le député Vert Noël Mamère au Parisien (11/01/1999) .
Ajoutons que c’est auprès de la société de Nicolas Courcelle, frère de Bernard, qu’ont été recrutés en 1996 les mercenaires
d’extrême-droite envoyés au secours de Mobutu. En lien cette fois avec la cellule africaine de Jacques Chirac.
Ajoutons encore que Bernard Courcelle a fréquenté Bob Denard et Paul Barril, détenteurs (surtout le second) de secrets explosifs.
On devine alors pourquoi la constitution d’une commission d’enquête parlementaire « sur l’organisation, le fonctionnement, les
objectifs » du DPS « et les soutiens dont il bénéficie » a suscité tant d’obstructions.
Qu’elle ait finalement été créée, le 15 décembre, est une victoire républicaine. Mais Noël Mamère a été évincé de la présidence,
qui lui avait été promise. Et le rapporteur Bernard Grasset a promis à ses collègues qu’on ne parlerait pas de la « cellule élyséenne ».
Pourtant, la succession des plats empoisonnés qui s’y sont mijotés devrait conduire un Parlement qui se respecte à enquêter
prioritairement « sur l’organisation, le fonctionnement, les objectifs » des officines péri-élyséennes. Leurs mœurs monarchiques
finissent, on le voit, par flirter avec un Le Pen, son idéologie et ses sbires.
Bons points
* Non seulement la justice belge a condamné pour corruption passive plusieurs personnalités politiques éminentes du Royaume, mais
elle a aussi condamné le corrupteur, Serge Dassault. La justice française devrait s’inspirer de cette audace. Les hauts bénéficiaires
hexagonaux des rétrocommissions sur contrats d’armements s’inquiéteraient peut-être. Mais les dettes du Maroc ou du Pérou, par
exemple, pourraient s’en trouver allégées.
* La France et la Grande-Bretagne prennent une initiative conjointe de lutte contre la tuberculose en Afrique de l’Ouest. Elles vont y
affecter chacune 1 300 000 FF/an sur 3 ans. Un projet intéressant, y compris au niveau symbolique - et qui a donc valu un
communiqué de la Coopération. Mais il ne mobilise que 0,004 % de l’APD.
* Pour le première fois, des soldats français ont tenté d’arrêter en Bosnie un criminel de guerre présumé, Dragan Gagovic.
Fausses notes
* Il y a 25 ans, la France signait la convention du Conseil de l’Europe sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des
crimes de guerre. Le chef du Service des affaires politiques et juridiques du Conseil tient à signaler qu’elle ne l’a toujours pas
ratifiée. Un oubli ?
* La ratification “promise” des statuts de la Cour pénale internationale (CPI) devrait pallier cette omission. Mais l’exécutif français
demande toujours, officiellement, à bénéficier de l’option prévue à l’article 124 : l’exonération septennale des crimes de guerre. Il
prétexte des accusations tendancieuses qui pourraient viser la France. Objection fallacieuse : soumise au principe de subsidiarité, la
CPI ne peut intervenir qu’après avoir démontré l’inaction ou la partialité de la justice française.
33
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
Il suffit donc que celle-ci agisse, impartialement comme elle le doit. Le problème, c’est qu’on ne se souvient pas avoir vu juger en
France, depuis 1945, l’un des nombreux crimes de guerre commis par des Français dans les colonies et néocolonies...
(Achevé le 24/01/1999)
« J’aimerais bien savoir qui a armé ces miliciens hutus qui se battent désormais pour Kabila. Ils sont en train de former une véritable
armée. J’en ai parlé à Mme Ogata [Haut-Commissaire de l’ONU aux réfugiés], elle s’en arrache les cheveux ». (Érik DERYCKE, ministre belge
des Affaires étrangères. Interview au Standaard du 26/12/1998) .
« [...] La Commission [internationale d’enquête des Nations unies sur les livraisons illicites d’armes dans la région des Grands Lacs] a été informée de
différentes sources qu’entre 5 000 et 8 000 éléments des ex-FAR [Forces armées rwandaises] avaient été localisés dans le sud du Soudan
et qu’ils étaient à l’entraînement dans des camps à Juba, Yambio, Amadi et Ngangala [...] ainsi que dans la capitale, Khartoum. La
Commission a aussi été informée de plusieurs sources que le Gouvernement soudanais avait transporté des fournitures, y compris des
armes et du matériel connexe, pour livraison aux ex-FAR et Interahamwe dans la République démocratique du Congo [RDC]. Selon
de nombreuses informations, le Gouvernement soudanais [y] aurait transporté [...] des ex-FAR parmi d’autres groupes rebelles et
peut-être quelques mercenaires pour venir en aide au Président Kabila. [...]
Selon les estimations des sources de la Commission, il y [...] aurait déjà [11/1998] environ 5 000 à 8 000 [ex-FAR et Interahamwe] dans le
nord-est de la RDC et 10 000 dans le sud. [...] De nouvelles recrues sont arrivées, venant principalement de la République
centrafricaine, du Congo[-B] et du Soudan. [...]
Des membres du Tribunal [d’Arusha ont fait savoir à la Commission] que le général Bizimungu [ancien chef d’état-major des FAR durant le génocide]
et un certain nombre des officiers sous ses ordres faisaient actuellement partie de l’état-major de l’armée de la RDC.
[...] La région des Grands Lacs est de plus en plus menacée par une catastrophe aux conséquences incalculables. [...] Les ex-FAR et
les Interahamwe se sont maintenant effectivement associés au Gouvernement de la RDC et à ses alliés, les Gouvernements angolais,
namibien, tchadien et zimbabwéen. Cette relation nouvelle [leur] a conféré une certaine légitimité [...]. Un tel état de choses est
profondément révoltant [...] ». (Commission internationale d’enquête de l’ONU , présidée par l’Égyptien Mhamoud Kassem. Rapport final du
18/11/1998. Version française).
[On notera les deux derniers mots, assez rares dans un rapport de l’ONU. Ajoutons que les quatre gouvernements alliés de la RDC sont ou sont
devenus des alliés de la France. Elle leur fournit des armes - officiellement, ou par des officines établies à Paris. Traduit en français, le rapport
de la Commission (25 p.) est une lecture indispensable].
FRANÇAFRIQUE
« Les problèmes du Congo relèvent de la seule responsabilité des Congolais ». (Serge TELLE, conseiller de Lionel Jospin. Courrier du
29/06/1998 à une association de Congolais[-B] en France, l’AIDDC).
[C’est nouveau. Il faudrait alors considérer les expatriés d’Elf comme des “sans-papiers”...].
« Nous savions depuis plusieurs mois que les anciennes milices de M. Kolelas s’y livraient à un certain nombre d’actions, à ce point
que les Angolais étaient venus en appui des troupes régulières congolaises pour essayer d’y mettre bon ordre ». (Charles
JOSSELIN, ministre de la Coopération. Déclaration du 19/12/1998, AFP).
[Le 19 décembre, le ministre “voyait” encore le « bon ordre » du côté de Sassou Nguesso et ses alliés... en plein “travail”].
« Je ne verrais, pour ma part, que des avantages à ce que l’AFP et Radio-France internationale disposent en Guinée d’un autre
correspondant [...] [que Mouktar Bah, auteur d’informations] systématiquement fantaisistes [et] malveillantes ». (Christophe PHILIBERT,
ambassadeur de France à Conakry, lettre du 22/12/1998 au ministre guinéen de la Communication. Citée par Le Canard enchaîné du 20/01/1999) .
[Mouktar Bah a eu le tort d’enfreindre les consignes de silence, fortement relayées par l’ambassadeur, sur le coup de force électoral du président
Lansana Conté et le sort du candidat d’opposition Alpha Condé, détenu au secret dans un camp militaire (cf. Billets n° 66)].
« Il faut une intervention des Français blancs, pas des noirs... Ce sont des Français de souche que nous voulons. Des vrais Français,
des blancs ». (Abdallah IBRAHIM, “Président” de l’État sécessionniste d’Anjouan. Interview au Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien du 17/12/1998.
Cité par Démocratie Info, 12/1998).
[Les milieux d’extrême-droite française sont très influents chez les séparatistes anjouanais. Ils leur ont fait un cinéma en noir et blanc].
FAMINE
« Se dépenser uniquement pour [l’]aide [humanitaire] revient à engraisser un bœuf avant de le mener à l’abattoir. Il faut s’attaquer aux
racines du mal [...].
Des civils innocents [...] essaient de refaire leur vie. Ils bâtissent des écoles [...]. Ils cultivent la terre car ils désirent manger à leur
faim. Mais les bombes diaboliques qui tombent du ciel réduisent constamment leurs modestes ambitions à néant. Les avions de
Khartoum reviennent presque tous les jours. [...] Au cœur du problème, se trouve un groupe de musulmans qui préfèrent utiliser
l’Islam comme idéologie de pouvoir et de domination. Le peuple du Soudan attend des voix qui parleraient de la guerre civile, des
massacres, des réfugiés et des déplacés, de l’oppression des femmes, du Sida qui se répand, de la présence persistante de
34
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
l’esclavage ». (Mgr TABAN, évêque sud-soudanais. Déclaration à Harare, 05/12/1998. Citée par Vigilance Soudan, 01/1999).
[Selon Sudan Democratic Gazette (01/1999), « la famine de 1999 sera pire pour beaucoup de raisons. Les politiques du Front national islamique ont
terriblement accru le nombre de personnes déplacées dans le Sud, privées de tout logement ; les gens sont affaiblis par des années de famine
successives, et par les attaques des milices arabes du régime ; les pluies ont manqué en 1998 et il n’est pas question de récolte ; les gens n’ont pas
de semences si de bonnes pluies survenaient en 1999 ».
Même si elle a des côtés néfastes, l’aide est indispensable à la survie de millions de personnes. Ce qui implique un cessez-le-feu. Il vient
heureusement d’être prolongé pour 3 mois (15/01/1999) . Mais ce que Mgr Taban appelle « les racines du mal » suscite bien peu d’intérêt en
France, où le lobby pro-Khartoum est très influent].
JUSTICE INTERNATIONALE
« Je suis aujourd’hui convaincue que tous les inculpés [du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, y compris Mladic et Karadzic] vont
subir leur procès [...]. [Les chefs d’État de la région ne sont pas intouchables.] Personne n’est hors d’atteinte. J’irai jusqu’au bout. On attend de
ce tribunal qu’il cible non pas le menu fretin, mais le plus haut niveau ». (Louise ARBOUR, procureur du TPIY. Interview au Journal du
Dimanche du 17/01/1999) .
« [Il faut juger les Khmers rouges. Mais si on créait] un tribunal de plus, sans ressources appropriées, on ne rendrait pas justice à ce pays. Mais
[...] s’il existait un consensus pour la mise en place d’un tribunal international, si la communauté internationale jugeait qu’il est plus
approprié de le jumeler avec les tribunaux ad hoc existants [pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda], sous la gouverne du même procureur ou
d’un procureur associé, alors, bien sûr, j’offrirais ma pleine coopération ». (Idem. Interview à Libération du 18/01/1999) .
[La détermination du procureur est encourageante pour les citoyens. Mais elle risque de dissuader les États de lui confier la charge de procureur
d’un tribunal ad hoc sur le Cambodge...].
À FLEUR DE PRESSE
FRANCE-RWANDA
Le Monde, Les leçons d’un rapport, 17/12/1998 : « Comme ce sont toutes les institutions qui gèrent la politique de la France en
Afrique qui se sont révélées défaillantes, on mesure, à la lecture du rapport [Rwanda], sa responsabilité dans les drames d’un
continent.
[...] Modifier la Constitution [...] est une nécessité pour en finir avec ce secret présidentiel, digne de pratiques monarchiques, qui
entoure depuis trop longtemps [...] la politique française dans le pré-carré africain ».
[Nous le répétons depuis 6 ans, et certains nous reprochent de rabâcher, ou pamphlétiser. Il n’est pas désagréable que Le Monde s’y mette]
Sud-Ouest, Balladur, le « Hutu blanc », 14/12/1998 (Dominique DE LAAGE) : « Depuis le génocide, ce n’est pas toujours facile d’être
un Français au Rwanda. L’avocat marmandais [Philippe Reulet, parti comme “avocat sans frontières”] en a fait l’expérience [...].
[Certains prévenus], le sachant français, se sont laissés aller à des confidences [...] : “On aurait dû finir le boulot, voilà l’erreur”.
[...] Il y eut pire. Ayant à défendre deux miliciens, un instituteur et un bourgmestre, non pas OS mais VIP du génocide, qui avaient
assassiné environ 700 personnes à la tête d’un groupe d’“assaillants”, Philippe Reulet a dû déclarer forfait.
“Jamais je n’aurais imaginé caler ainsi dans l’exercice de mon métier ! Mais là, c’était trop. Me voyant français, ces deux types
ont tout de suite pensé que j’étais envoyé par des Hutus de France pour les sortir de là. Ils étaient dans une logique de défense
procédurale, cherchant à gagner du temps dans l’espoir d’un revirement politique. ‘ Qu’est-ce qu’on nous reproche ? Tous ces gens
enfermés dans le dispensaire, on les a finis à la grenade et au fusil-mitrailleur. Ils peuvent nous être reconnaissants de ne pas les
avoir anéantis à la machette !’. [...]
Ils n’arrêtaient pas de me faire des compliments sur Mitterrand et Balladur, qu’ils qualifiaient de ‘ Hutu blanc’ ! Je me suis
engueulé avec eux et je suis parti. Je ne pouvais plus supporter qu’ils m’associent dans leurs crimes parce que j’étais français ».
[Il en sera ainsi tant que, par peur de la vérité, les Français supporteront d’être englobés dans une responsabilité seulement collective].
FRANÇAFRIQUE
L’Indépendant (Ouagadougou), Injurieuse parenté, 15/12/1998 (Dernier Éditorial de Norbert ZONGO) : « “Papa...”, c’est ainsi que le
juge français [en fait, l’avocat Robert Bourgi, cf. Billets n° 66] appelle naturellement Bongo, candidat-président-à-vie du Gabon.
Le fils a sans doute reçu des bonbons au chocolat de son père [...]. On n’est pas un papa pour rien, il y a un prix à payer.
Parfois on se demande s’il faut en rire ou en pleurer en pensant à ces “ relations familiales” entre les Africains d’Afrique et les
Français d’Afrique vivant en France et vice-versa. [...]
Bongo, papa ! [...] Ce qui fait mal dans cette flagornerie, c’est son caractère méprisant. Oui, il y a un relent de racisme dans la
sublimation des chefs d’État africains. [...] Dieu seul sait ce qu’on dit de nos rois à l’Élysée ou à Matignon en leur absence. Mais ils
n’en ont cure, pourvu qu’on les flatte avec des mots et des décorations, comme les esclavagistes ont donné des morceaux de miroirs
pour avoir des nègres. [...]
Il appartient aux Africains de se débarrasser des papas des Français qui nous dirigent. Il y a des parentés qu’il vaut mieux ne jamais
avoir. Elles insultent la conscience. Quelles injurieuses parentés ! ».
[Toute sa vie, Norbert Zongo s’est battu pour la dignité. La sienne, en tant que journaliste et en tant qu’homme, amoureux de la nature. Celle de
ses concitoyens, du Burkina et au-delà. C’est pourquoi son assassinat le 13 décembre (2 jours avant la parution de cet éditorial) a suscité une
immense émotion. On voit à ce texte qu’il visait juste et loin. Trop, sans doute, pour les pouvoirs en place. Mais il est déjà entré dans l’histoire de
l’Afrique.
35
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
La cause immédiate de son assassinat semble liée à son exigence obstinée de la justice. Le chauffeur du frère du président Compaoré a été
torturé à mort fin 1997, pour une banale affaire de vol. Norbert Zongo ne cessait de protester contre l’absence d’enquête sérieuse - de même qu’il
ne cessait de lutter contre tout privilège. Manifestement, cette obstination dérangeait un clan habitué à l’impunité.
La mort de Norbert Zongo a ébranlé le régime Compaoré, pourtant en plein triomphe après un scrutin présidentiel sur mesures et une prestation
au Sommet du Louvre encensée par la presse française. À un peuple révolté, le président a dû concéder une commission d’enquête élargie. Une
première amorce de contre-pouvoir].
L’Humanité, Centrafrique : la violence menace à Bangui, 14/01/1999 (Jean CHATAIN) : « Les tonneaux de poudre s’accumulent en
Centrafrique. Le gouvernement Patassé ne se fait pas à l’idée qu’il a perdu les législatives. Le 29 décembre, les résultats étaient
proclamés : 55 députés d’opposition sur 109. Le même jour, coup de théâtre : [...] la “coalition” [dirigée par le parti de Patassé, le MPLC, est
annoncée comme] [...] majoritaire grâce à la défection de Dieudonné Koudoufoura, élu sous l’étiquette PSD [un parti d’opposition]. [...]
[L’opposant] Abel Goumba indique [...] qu’un élu de son parti s’est vu proposer 15 millions de francs CFA pour rejoindre le camp
présidentiel. [...]
[Selon un autre parti d’opposition, l’UFAP] , un détachement de l’armée congolaise (RDC) serait venu à Bangui “avec le concours personnel
de M. Patassé”. Un détachement de 350 personnes “chargé d’attaquer les forces rebelles congolaises à partir du territoire
centrafricain”. Composé non de Congolais mais d’Angolais. Avec ce risque : “la transformation du territoire national en champ de
bataille”. Le communiqué [de l’UFAP] parle de deux soldats centrafricains abattus par des “militaires congolais” et de huit autres
abattus lors d’un affrontement avec des militaires tchadiens “mis en échec dans la région de Gbadolite, au [...] Congo” ».
[L’utilisation du territoire centrafricain par la coalition pro-Kabila est confirmée. Elle connote le “choix” du camp vainqueur aux législatives.
Une victoire obtenue selon des méthodes tellement rodées au Togo qu’il est difficile de ne pas y voir la “patte” de la Françafrique].
Démocratie Info (Bulletin de SOS Démocratie aux Comores), Aide humanitaire française ou ingérence politique, 11/1998 : « Après les
affrontements entre les milices séparatistes anjouanaises déclenchés le 5 décembre 1998, [...] les civils anjouanais souhaitent
l’intervention des forces de maintien de la paix. Le gouvernement comorien [...] a fait appel à l’OUA.
Au même moment, le ministère français des Affaires étrangères a envoyé à Anjouan deux “ émissaires humanitaires” avec 3,5
tonnes de “kits médicaux et lait pour bébé”. Ces émissaires sont Jean-Louis Machuron, responsable de “l’association Humanis” et
Jean-Jacques Amblard, médecin du Quai d’Orsay. Ces personnes avaient installé Humanis à Anjouan [...] [en] septembre 1997. Cette
soi-disant association humanitaire représentait les autorités françaises à Anjouan. Ces représentants donnaient des laissez-passer aux
Anjouanais pour se rendre à Mayotte. [...]
Deux membres de [...] Médecins du Monde [...] ont été interdits, par le préfet de Mayotte, d’aller à Anjouan au lendemain des
massacres, le 9 décembre. Cette décision doit permettre aux “émissaires” (J.L. Machuron et J.J. Amblard) d’effectuer leurs
manœuvres politiques. Dès qu’ils sont arrivés à Anjouan, le 12 décembre, ils ont pris contact avec les chefs des milices pour leur
transmettre des messages politiques. Ces émissaires ont indiqué que leur objectif est d’éviter une intervention militaire de l’OUA.
Pire, ils ont déclaré aux responsables séparatistes : “la communauté internationale vous regarde, il serait dommage que ce que vous
avez acquis en un an [de sécession] se perde en une semaine”. [...]
Selon certains agents hospitaliers anjouanais, les caisses d’“envois humanitaires” ne contenaient pas que des médicaments ».
[Les Comores demeurent l’objet de toutes sortes de manipulations françafricaines. On sait qu’il existe une “escale” libyenne, grâce à l’homme
d’affaires Saïd Hilali (cf. F.X. Verschave, La Françafrique, p. 220). Apparemment, il existe aussi une “escale” algérienne : le richissime homme
d’affaires franco-algérien(nes) Kamel Zouai est conseiller de la présidence comorienne avec statut diplomatique. Le juge Halphen l’a coincé pour
un trafic de visas. Lors du procès, un policier complice a déclaré qu’invité au restaurant par Zouai, il s’était retrouvé « à table avec un général
algérien et un ministre comorien » (Libération, 19/01/1999) ].
JUSTICE...
Le Canard enchaîné, Alfred Sirven, Méphisto d’escompte, 20/01/1999 (Nicolas BEAU) : « Alfred Sirven était unanimement apprécié.
À gauche comme à droite. Avec les 2 à 3 milliards de commissions qu’il a distribués durant les quatre années où Le Floch-Prigent
présidait le groupe Elf, cet ancien sergent-chef en Indochine avait pu en effet se faire quelques amis dans la jungle des commissions.
Trois cents comptes en Suisse. [...] Ces prochaines semaines, les noms des cent quinze bénéficiaires devraient être transmis par la
justice suisse (dont des proches de Charles Pasqua et de François Léotard). “J’ai de quoi faire sauter toute la classe politique
française, de gauche comme de droite” se targuait[-il] régulièrement auprès de ses proches.
Or, bizarrement, personne n’est pressé de revoir l’ami “Fred”. Pas plus ses relations d’hier que la justice française. Le mandat
d’arrêt international n’a été diffusé dans les 177 pays d’Interpol que le 5 janvier - soit trente mois après sa première convocation. [...]
Ses amis d’hier [...] aiment Sirven, et même mieux mort que vivant. [...] Largement diffusé dans les rédactions, un tract anonyme
résumait [...] l’ultime espoir de beaucoup des acteurs de cette opérette pétrolière : “Personne ne pourra aujourd’hui questionner
Sirven, puisque les Corses l’ont liquidé, son silence permettant de le diaboliser...”. [...]
Les multiples relations qu’il noue au sein des services secrets, de la classe politique et d’autres groupes industriels comme
Thomson témoignent d’un vrai talent. [...] Rien ne l’effraie : [...] porter une valise ou encore fomenter un coup d’État en Afrique ou
en Asie centrale, le passe-temps favori de ce baroudeur ».
Libération, Un invité corrézien de dernière minute, 25/12/1998 (Renaud LECADRE) : « Un proche de Jacques Chirac vient de faire son
entrée dans l’interminable dossier Elf, [...] Patrick Maugein, Corrézien d’origine. [...] [Selon un témoin, il] mettait parfois son coucou [un
Falcon 20] à la disposition de Roland Dumas et Christine Deviers-Joncour. [...] Il aurait joué les intermédiaires entre la tour Elf, à la
Défense, et la mairie de Paris [au temps de Jacques Chirac]...
Son chiraquisme s’exprime un peu plus au grand jour dans l’affaire du BRGM (Bureau de recherche géologique et minière). En
1994, cet établissement avait vendu une prometteuse mine d’or au Pérou à un industriel australien, dans des conditions très étranges :
simulacre d’appel d’offres, prix sacrifié. L’État français risque d’y laisser quelques milliards de francs. [...] Maugein a longtemps fait
croire qu’il représentait les intérêts de l’État français. [...] En fait, Maugein travaillait en coulisse pour le repreneur australien
36
(Normandy). [...] Le juge Jean-Paul Valat [...] dispose de relevés téléphoniques prouvant que Maugein a eu [en 1995] des contacts
quasi quotidiens avec l’Élysée ».
[Quelques milliards perdus par l’État français (ou gabonais, ou brazzavillois), cela ne fait jamais que quelques milliers de « caramels », pour
parler comme Christine DJ. Les campagnes présidentielles et le standing françafricain coûtent si cher... Roland, qui fut le confident de François à
l’Élysée, ne se lasse pas de rappeler à Jacques ces vérités consolantes - et qui transcendent bien des querelles partisanes].
Le Canard enchaîné, Bien chers Frères..., 06/01/1999 (Jean-Luc PORQUET) : « Pourquoi s’acharne-t-on sur ces deux paisibles
vieillards ? Khieu Samphan et Nuon Cha n’aspirent qu’à une retraite tranquille. [...] En plus, ils parlent français. Khieu Samphan,
alias Frère numéro deux, a usé ses fonds de pantalon à la Sorbonne : c’est comme s’il faisait partie de la famille. Boutros-Ghali a
donc bien eu raison, au nom de l’Organisation internationale de la francophonie, de voler à leur secours. De leur rendre, le 30
décembre, une visite de courtoisie. Et de clamer à la face du monde que leur faire un procès constituerait “une ingérence dans les
affaires intérieures cambodgiennes”. Tous les francophones ont ressenti une onde de fierté. La francophonie est un combat ».
37
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
Spécial rapport Tavernier
« La coopération française au développement - bilatérale et multilatérale. Bilan, analyses, perspectives ». (Décembre 1998)
Au top de la “réforme”
En juin 1998, le député socialiste Yves Tavernier a reçu du Premier ministre Lionel Jospin une vaste mission : procéder à un bilan
global de l’aide publique au développement (APD) française, tant multilatérale que bilatérale, analyser son « efficacité », proposer
des perspectives, bref éclairer politiquement une “réforme” annoncée en début d’année et qui semblait réduite à un lifting
institutionnel.
Le député a eu les moyens de sa mission : fonctionnaires détachés, déplacements en Afrique, Amérique et Asie, rencontres avec
tout le gratin français de l’APD. C’est dire que Matignon souhaitait un travail sérieux, “responsable”.
Manifestement, Yves Tavernier l’a entendu de cette oreille. Son rapport, paru en décembre 1998, a tous les traits d’un texte
officieux. Très documenté, couvrant tous les domaines de l’APD, il apparaîtra, dans la longue série des rapports sur la coopération,
comme un travail de référence. Ce que l’on peut écrire de plus “sensé” quand l’on reste dans une certaine logique.
Et l’on y reste forcément quand, sur environ 170 personnes consultées, la quasi totalité sont des dispensateurs ou des relais de
l’“aide” : aucune ne représente les “bénéficiaires” potentiels, ceux dont, théoriquement, la pauvreté devrait se trouver allégée. De
même, Yves Tavernier n’a rencontré aucun représentant des citoyens français mobilisés dans les Organisations de solidarité
internationale (OSI, ou ONG). Ni aucun des universitaires et experts qui, depuis des années, scrutent en profondeur les
fonctionnements de l’APD 1 : la société civile n’existe pas (ou on a peur qu’elle pose des questions). Et le rapporteur de se plaindre
d’un manque de motivation de l’opinion en faveur de l’APD, ou de l’insuffisant rayonnement de la pensée française sur le
développement !
Comme souvent, on hésite entre pleurer et rire à la lecture de ce chef d’œuvre technocratique. On peut s’affliger d’un texte qui,
reflétant le summum de l’ambition réformatrice de l’exécutif actuel, impose une évidence : après la “réforme” comme avant, l’APD
n’est décidément pas faite pour lutter contre la pauvreté, ni réduire le fossé entre pays riches et pays pauvres.
On sourira par contre des aveux, volontaires ou inconscients, qui mitent un peu plus le mythe d’une “générosité” française envers
les peuples démunis.
1. Au sein, par exemple, de l’Observatoire permanent de la Coopération française (OPCF), auteur de 4 rapports sur le sujet.
Chute libre
Du seul point de vue financier, d’ailleurs, cette “générosité” fond à vue d’œil. Si l’on déduit de l’APD l’aide aux départements et
territoires français d’Outre-mer (DOM-TOM), qui n’a rien à voir avec la solidarité internationale, le total officiel passe de 42
milliards de FF en 1994 à moins de 30 en 1998, soit de 0,57 à 0,41 % du PIB.
Si l’on ôte encore les coûts administratifs et l’argent du « traitement de la dette » (4 250 millions en 1998) - simple jeu d’écritures
entre institutions financières parisiennes -, l’argent frais destiné en principe aux pays du Sud tombe à 25 milliards, dont 9 milliards
d’aide multilatérale. Ainsi, l’APD bilatérale nette est en chute libre : de 24 milliards en 1994 à 16 en 1998.
L’affectation de ces fonds, détaillée par Yves Tavernier, montre des objectifs fort éloignés des priorités du développement
humain : la promotion des entreprises et de l’audiovisuel français, l’influence française à Bruxelles et à New York, le prestige de la
francophonie - et même, dans les pays du “pré carré”, le coût de la scolarisation des élèves français...
Cette pluralité d’objectifs, ouvertement déconnectés du but affiché (le développement), illustre un aveu du rapporteur : l’absence
d’« approche stratégique ». Qui donc, alors, peut encore croire à l’APD bilatérale ? Qui, dans ce contexte, s’opposera à sa
dégringolade ? Et si le rapport Tavernier n’était que l’habillage d’un message subliminal : l’acte de décès d’un projet trop galvaudé,
la “coopération” ?
Ficelle
Le désenchantement n’est pas incompatible avec le sens des affaires. Puisqu’on ne peut (ou ne veut) plus mettre au pot de l’aide
bilatérale, ne pourrait-on récupérer, pour la cuisine françafricaine, les meilleurs morceaux de l’aide multilatérale ? Au nom du
principe de la subsidiarité, Yves Tavernier propose que, dans chaque pays bénéficiaire de l’aide européenne, celle-ci soit gérée par
l’État européen qui y est le plus investi. La France récupérerait ainsi, dans le “pré-carré” francophone, la gestion des contributions
allemande, néerlandaise, britannique ou nordiques à l’APD européenne.
En voilà une idée qu’elle est bonne ! Les Bédié, Biya, Bolloré, Bongo, Bouygues, Eyadema et consorts en restent bouche bée,
grand’ouverte.
EXTRAITS
« L’absence d’approche globale et homogène ne favorise pas la mise en œuvre d’une politique étrangère cohérente et efficace à l’égard des pays
les plus pauvres ou en voie de développement. [...] Notre zone d’influence [...] a constitué pendant longtemps un “pré carré” utile et efficace. Ainsi,
à travers notamment la zone franc, ont pu être maintenus et renforcés nos intérêts politiques et financiers ». (p. 7).
[Cet aveu de la fonction de la zone franc reste assez rare. Certes, pour les “bénéficiaires”, la politique n’était ni « cohérente », ni « efficace ».
Mais elle était « utile et efficace » pour « nos intérêts » (ceux de la Françafrique). En dépit, ou à cause, de son apparente incohérence].
« La France déploie actuellement environ 3 000 coopérants [techniques]. Ces coopérants sont pour la plupart des agents de nos propres
administrations détachés pour une période limitée afin de mener à bien une mission précise pour le compte des États qui nous ont demandé leur
concours ». (p. 11).
[L’ennui, c’est que le développement est le dernier souci de la plupart des chefs d’État de l’Afrique francophone. Leur demande de coopérants est
donc fortement biaisée].
38
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
« [Les] bailleurs de fonds multilatéraux [...] sont d’autant plus mal fondés à critiquer le coût de cette forme d’aide [la coopération technique] (environ
5 milliards/an actuellement) que ces équipes d’“intérimaires du développement” sont assez souvent et très directement les inspiratrices de leurs
propres programmes et sont des bons vecteurs de notre conception de la société et du développement ». (p. 11-12).
[Le problème, quand on parle de « notre conception », c’est qu’on ne sait jamais si c’est celle de la Françafrique, méprisante, frauduleuse et
prédatrice, ou celle des Schœlcher, Lebret, Dumont, des combattants anonymes de la lutte anti-sida, de la sécurité vivrière, de la défense des
langues vernaculaires, etc.].
« La France a signé avec la plupart des États des accords de coopération culturelle [comptée en APD]. Ces accords [...] développent un espace de
liberté et d’échanges mutuellement profitables qui fonde l’universalité de la présence de nos idées, de nos arts et de nos convictions. [...] L’axe
central de ce réseau de relations est normalement la francophonie ». (p. 19-20)
[Une francophonie dont le Secrétaire général, Boutros Ghali, est allé saluer comme si de rien n’était les n° 2 et 3 du génocide cambodgien.
« L’axe central » est passablement tordu, et « nos convictions » auraient besoin de passer chez le garagiste - à en juger par tout ce que, sans frein
ni tableau de bord, elles ont laissé faire en Afrique].
« La réforme [de la coopération] a conduit à créer deux instruments de partenariat économique destinés à promouvoir l’offre française, en particulier
dans les pays émergents :
La réserve pays émergents permet de soutenir les entreprises françaises, projet par projet, [...] sur quelques pays stratégiques. [...]
Pour permettre aux entreprises de se placer suffisamment en amont des projets et de bénéficier d’un avantage d’antériorité lors de l’octroi des
financements, le Fonds d’aide au secteur privé (FASEP) a été créé ». (p. 22)
[On voit mal ce que la promotion des projets et produits français dans des pays comme la Chine, la Malaisie ou le Brésil a à voir avec l’APD].
« La France consacre 9,5 % de son aide aux institutions multilatérales [hors Union européenne]. Par ses contributions, la France peut [...] attirer les
fonds multilatéraux vers l’Afrique subsaharienne, et bénéficier d’un effet de levier, comme c’est le cas avec l’AID [Agence internationale de
développement] et le FAD [Fonds africain de développement] ». (p. 23).
[Un « effet de levier » au profit des chefs d’État ou des groupes françafricains (Elf, Bolloré, Bouygues), comme dans l’affaire du pipeline tchado-
camerounais. Cet effet de levier ne jouant à plein qu’à travers les institutions financières multilatérales, le rapport constate qu’entre-temps les
contributions françaises aux agences du système des Nations Unies, telles le PNUD ou l’UNICEF, ont considérablement baissé].
« [À] la Banque mondiale, [...] l’influence de la France est significative lorsqu’il s’agit des questions africaines [...]. La France a, par exemple,
obtenu en 1997 l’éligibilité de la Côte d’Ivoire à l’initiative sur la dette des pays pauvres très endettés ». (p. 50).
[La Côte d’Ivoire n’était pas prioritaire, car elle ne figure pas parmi les pays les plus pauvres. Mais elle croule sous un endettement colossal,
aspiré par les pompes et les œuvres du “village” parisiano-ivoirien : Houphouët-Boigny, son clan (dont l’actuel président Konan Bédié), et leurs
fortunes mobutuesques ; les grands monopoles du “pré-carré”, Bouygues en particulier ; les réseaux politico-affairistes français, avec une forte
prime aux néogaullistes. On comprend que l’hôte actuel de l’Élysée ait voulu faire une fleur à l’ami Bédié. Et ainsi réamorcer la pompe, en toute
impunité - au grand dam de la majorité des Ivoiriens].
« Le taux de retour commercial des financements multilatéraux au profit des opérateurs français nous est favorable. [...] Sur le FED [Fonds
européen de développement] : 108 %. [...] À la Banque mondiale, notre part de marché (8,7 %) est très supérieure à notre part de capital (4,7 %). [...]
Dans les institutions des Nations unies, la situation est favorable pour les fonds de développement, [...] avec des parts de marché d’autant plus
satisfaisantes au PNUD (9 %) et à l’UNICEF (26 %) que notre contribution [...] a diminué depuis 1996 ». (p. 38-39).
« La bonne gestion économique et la lutte contre la corruption, l’ouverture démocratique... sont des valeurs que les institutions multilatérales
défendent parfois mieux à notre place auprès des pays en développement ». (p.47). [Ah ?].
« S’il n’est pas illégitime que la Banque [mondiale] et le Fonds [le FMI] cherchent à permettre aux producteurs [de coton béninois] (200 à 300 000
agriculteurs) de profiter davantage de la valeur de leur production qu’actuellement [...], cette évolution implique la remise en cause de situations
acquises au niveau du négoce, pour les ventes d’intrants, et sur les rentes perçues, par les sociétés réalisant la première transformation. [...] Il y a
[...] sur ce sujet un dialogue difficile où les institutions de Bretton Woods apparaissent comme peu capables de saisir les nuances d’une situation
locale ». (p.58-59).
[La coopération française, par contre, comprend d’autant mieux les « nuances » du partage de la rente, sur le dos des agriculteurs et au détriment
des recettes fiscales, que les réseaux, groupes et intermédiaires français sont profondément impliqués dans ce partage].
« Les Banques régionales de développement se démarquent de la Banque mondiale par leur plus grande proximité avec les emprunteurs. [De ce fait,
elles] ont plus de difficulté à refuser des prêts, même s’ils soulèvent des doutes ». (p.51-52). [Encore un
euphémisme].
« [Le] Rapport de M. J.R. BERNARD [inspecteur général des finances] “L’évaluation de l’efficacité de l’Aide publique au Développement”, 1996, [...]
propose d’importantes modifications de méthodes [dans la présentation des chiffres de l’APD] : présentation par pays, par ensembles de pays, par
secteurs plutôt que par instruments budgétaires. Logiquement, il observe que ces données dans ce type d’agrégation seront indispensables de toute
façon, si l’on jugeait un jour utile et important de faire de l’APD le sujet d’un débat parlementaire de caractère politique ». (p. 32).
[Ce jour-là ne viendra-t-il pas trop tard ? Reconnaissons à Yves Tavernier le mérite de proposer un tel débat, et la création à l’Assemblée d’une
« Commission de développement ou de la coopération » (p. 85)].
« [Les] rapporteurs [ont pu] [...] constater que nous prenions du retard en matière de capitalisation des expériences et de mise à jour des outils d’aide
à la décision ». (p. 33).
[Pour cette majorité des décideurs politiques de la V e République qui n’ont considéré l’APD que comme la solde des roitelets néocoloniaux, le
tiroir-caisse de leurs campagnes électorales, de leurs caprices ou de leurs frasques, il n’est point besoin d’« aide à la décision ». Et la
« capitalisation » sous-jacente n’est pas celle des expériences... ].
39
Billets d’Afrique N° 67 – Février
1999
« [La] réforme [...] du 4 février 1998 [...] a l’immense mérite de faire reposer la responsabilité de la politique d’Aide au Développement sur deux
pôles, celui des Affaires étrangères [...] et celui de l’Économie et des Finances [...].
Dans deux des trois pays partenaires où la mission [Tavernier] s’est rendue [en Allemagne et en Grande-Bretagne], la coopération relevait d’un seul
Ministère, distinct du Ministère des Affaires étrangères et de celui des Finances, ce qui donne au pouvoir exécutif les moyens d’un dialogue clair
avec le Parlement. [...]
[Dans] notre dispositif, [...] le Parlement n’est pas associé. [...] Il vote de manière dispersée les crédits. [...] Chaque intervenant sur place
reflète les orientations reçues de l’autorité parisienne dont il dépend. [...] La France ne définit pas explicitement les priorités de son aide à
un pays donné. [...] L’approche stratégique semble absente ». (p. 43-47).
[C’est le rapporteur lui-même qui souligne cette série d’invalidités. Elles sont soigneusement entretenues par un système où la pluralité des
leviers de commande protège l’irresponsabilité. Elles ne sont pas près de s’arranger, puisque la réforme de 1998 a eu « l’immense mérite » de ne
pas choisir un pilote : elle en maintient deux (sans compter l’Élysée). Le Quai d’Orsay et Bercy n’ont jamais su travailler ensemble, et leur
culture est totalement étrangère aux affres de la misère].
« Au Bénin, [...] la mission a constaté que ses interlocuteurs se disaient inquiets de voir l’aide au développement gaspillée. [...] [L’] argent [...] allait
trop souvent à la sur-rémunération des fonctionnaires locaux que la Banque mondiale et les organismes des Nations unies recrutaient volontiers :
le mécanisme des “Per diem” a été condamné de nombreuses fois comme l’une des plaies profondes du système actuel de coopération. [...] Tous
les moyens sont bons pour transformer l’APD en avantages personnels : [...] les frais de mission [...] [les] dotations en véhicules 4x4, [...] créer une
ONG ». (p. 56-57).
[Et il s’agissait d’interlocuteurs institutionnels !].
« L’aide aux initiatives productives de base (AIPB), qui s’adressait aux très petites entreprises, a dû être abandonnée il y a trois ans en raison de la
faiblesse des retours ». (p. 75).
[Le rapport admet que l’émergence des petites et moyennes est un enjeu majeur. L’AIPB, dans son principe, était une innovation très intéressante
(même si la Caisse française de développement, qui en avait la charge, n’était pas l’opérateur adéquat). Mais l’intérêt potentiel pour le pays
destinataire n’a pas compensé l’insuffisance du « taux de retour » financier. Un aveu emblématique : ce qui prime dans l’APD, c’est l’intérêt à
court terme de la France, ou plutôt certains intérêts français, plutôt que les fruits à long terme d’une relation rééquilibrée].
« [Les temps du] détournement des aides publiques au profit de Chefs d’État alliés parce qu’achetés, [...] sont heureusement révolus ». (p. 80).
[En effet, un certain nombre d’« achetés » sont devenus acheteurs d’hommes politiques français aux gros besoins financiers. Directement ou par
l’intermédiaire des entreprises françafricaines].
« La mise en œuvre de l’aide communautaire [européenne] devrait être déléguée aux opérateurs de celui des États Membres dont l’aide au
pays bénéficiaire est la plus importante ». (p. 87).
[Les autres États membres feront-ils confiance à un pays, la France, qui de l’aveu même du rapporteur n’a, en matière d’aide, ni stratégie
présentable, ni pilotage cohérent, ni évaluation fiable ?].
« La Zone de solidarité prioritaire [...] devrait inclure de toute évidence toute l’Afrique francophone ». (p. 94).
[Et donc aussi le Gabon - dont le seul problème est celui de son gouvernement, chéri par la France].
« La France est le pays du monde qui fait le plus pour réduire la pauvreté dans le monde ». (p. 100).
[Et dire que les Camerounais, les Togolais, les Brazzavillois ou les Dakarois ne s’en aperçoivent pas ! Vite, mandatons Jacques Séguéla ou
Thierry Saussez pour le leur expliquer].
40
BILLETS D’AFRIQUE N° 68 - MARS 1999
GUERRE ET PAIX
La guerre si meurtrière et périlleuse qui ensanglante l’ex-Zaïre tend aussi - pas seulement - à devenir un nouveau terrain
d’affrontement franco-américain. C’est une si vieille habitude qu’on y retombe même sans le vouloir.
Le camp des rebelles est soutenu par le tandem ougando-rwandais allié de Washington - qui ne peut que le renforcer pour ne pas le
laisser perdre. Les alliés de Kabila sont très proches (Tchad) ou proches de la Françafrique (Soudan et Angola) - ou encore s’en
rapprochent à grands pas (Libye et Zimbabwe). Les réseaux françafricains, viscéralement anti-yankees, ne peuvent que suivre leurs
alliés... ou les “accompagner”.
On ne discutera pas ici du “sens” de cette guerre. Plus elle va, plus les propagandes voudraient l’en surcharger, plus elle se révèle
profondément destructrice. Les Américains ont donc tort de laisser leurs alliés s’enfoncer dans l’option militaire. Mais il serait
illusoire de croire qu’à les combattre par procuration sur le sol congolais, la France pourrait servir une juste cause. Il suffit
d’observer les régimes qu’elle a jusqu’ici installés, choyés ou confortés : ceux des Eyadema, Biya, Déby, Bongo, el Tourabi,
Mobutu...
Dans cette affaire, il faut - enfin - de la politique, des négociations plutôt que des canons. Chacun le sait. Chacun sait aussi que la
logique d’un affrontement franco-américain inavoué est celle d’une escalade logistique et stratégique, ou d’un conflit sans fin.
De la rencontre à Washington entre Jacques Chirac et Bill Clinton, on n’a vu que des risettes. Il faut les contraindre à parler de ce
qui les oppose réellement - sur le dos des Africains. Et qui contribue à paralyser toute initiative du Conseil de sécurité.
Certes, les vraies solutions appartiennent aux Congolais et à leurs voisins. Mais elles sont suffisamment délicates pour qu’on n’y
mêle pas un fort peu comique complexe d’Astérix.
SALVES
Les alliés cachés : les USA
L’Ouganda et le Rwanda ne se cachent plus de soutenir massivement le combat des rebelles du RCD (Rassemblement congolais
pour la démocratie) - un « rassemblement » très disparate. Leurs offensives à l’Est et au Nord du Congo-K engagent des armes de
plus en plus lourdes et sophistiquées. Aucun des deux pays, très endettés 1, n’a les moyens d’acheter tout cela sur son budget officiel -
d’ailleurs surveillé par les institutions financières internationales. La prédation des richesses congolaises n’y suffit sans doute pas
non plus.
Alors, qui fournit « les grandes quantités [...] de fournitures expédiées par avion-cargo depuis Kigali vers les positions rebelles »
(Reuters, 17/02/1999) ? « Les avions sans immatriculation qui s’envolent vers l’ouest ne sont [...] pas payés par Kigali », observe Colette
Braeckman (Le Soir, 03/02/1999). Elle ne dit pas qui paye, mais on devine la réponse : Washington, directement ou indirectement.
De même les Américains ont-ils fourni - et fournissent probablement encore - des matériels de télécommunication, des conseils
stratégiques et des prestations d’entraînement.
Le régime angolais s’étant allié à celui de Kabila, son ennemi intérieur l’Unita se trouve poussée dans les bras de la coalition RCD-
Ouganda-Rwanda. C’est loin d’être un mouvement inconnu de Washington, qui l’a soutenu plus de 15 ans avant de se rapprocher de
Luanda.
Kampala, semble-t-il, a commencé de renforcer les moyens de l’Unita. Il va de soi que celle-ci sera aidée à empêcher une franche
victoire de la coalition pro-Kabila, dont Luanda est l’élément majeur.
Les Angolais ne sont pas plus ravis que les Congolais de cet enchaînement logique.
1. On ne s’étonnera pas que Paris, le plus grand créancier bilatéral de Kigali, « se révèle [aussi] le plus intransigeant » (Le Soir, 03/02/1999). Cette créance vaut pourtant
son pesant de machettes.
41
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
Reste la volonté. Il faut que les alliés cachés cessent de jouer (ou laisser jouer leurs réseaux incontrôlés) contre la paix. Il faut, au
contraire, qu’ils mobilisent en sa faveur leurs énergies conscientes.
1. Via l’ambassadeur de France au Zimbabwe. Comme d’habitude, Le Monde publie le démenti sans vraiment présenter la thèse infirmée (12/01/1999) .
Z
Dix semaines après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (cf. Billets n° 66 et 67), la tension politique reste vive au Burkina.
D’innombrables hommages ont été rendus à celui qui est devenu une sorte de héros national. Mais le plus grand de ces hommages a
été la mobilisation sans précédent de la société civile et de l’opposition démocratique, autour du président du Mouvement burkinabé
des droits de l’homme, Halidou Ouedraogo. Une mobilisation attisée par la répression.
Avec une revendication aiguë : l’État de droit, contre les privilèges du clan au pouvoir. « Trop, c’est trop » est le slogan fondateur.
On n’avait pas le droit de tuer un journaliste qui demandait seulement que le « petit président » (François, frère de Blaise Compaoré)
n’échappe pas à la justice après le meurtre suspect de son chauffeur. Même l’armée se démarque du club des sécurocrates gérant la
face sombre du régime, et ses « tueurs masqués ».
Le président du Burkina saura-t-il entendre la leçon, ce refus unanime « de l’avènement définitif d’un État policier » ? Puisqu’il est
aussi président en exercice de l’OUA, cette leçon-là vaut bien pour toute l’Afrique. Et pour la Françafrique, qui dressa un peu tôt sa
statue.
Alpha
Restons encore un moment dans l’alphabet de la politique, les fondements de la construction civique. L’opposant guinéen Alpha
Condé est victime de la vindicte d’un “président”, Lansana Conté, fort mal “réélu” et de plus en plus ubuesque : l’Organisation
guinéenne des droits de l’homme (OGDH) fait état du sadisme exercé par des geôliers tortionnaires, comme aux pires heures de
Sékou Touré.
Candidat à la présidentielle, Alpha Condé a été emprisonné “préventivement”, pour ne pouvoir en contester les résultats.
Phénomène rare, une sorte de mouvement interafricain s’est levé en sa faveur : 36 députés sénégalais, un collectif d’avocats, des
comités de soutien dans toute l’Afrique de l’Ouest. En quelque sorte, une revendication transfrontalière pour les droits de l’homme...
politique (Afrique Express, 28/01/1999 ; Le Figaro, 16/02/1999).
Que Jacques Chirac ait félicité son “homologue” guinéen deux minutes après l’annonce de sa réélection truquée, on ne s’en
étonnera pas : la « démocratie apaisée » françafricaine (cf. Billets n° 67) avance telle un char d’assaut. Qu’un syndicat de huit chefs
d’État africains 1 soit venu assister à la cérémonie d’investiture du triste sire de Conakry (Afrique Express, 18/02/1999), montre toute la
distance entre la solidarité civique africaine émergente et la tour d’ivoire des monarques-présidents.
1. Les présidents Abubakar Abdusalami (Nigeria), Baré Maïnassara (Niger), Kabbah (Sierra Leone), Rawlings (Ghana), Vieira (Guinée-Bissau), Diouf (Sénégal), Bédié
(Côte d’Ivoire) et Konaré (Mali).
Vote subversif
Les Nigériens sont des incurables du bulletin de vote. Malgré plusieurs scrutins brutalement avortés par leur président-dictateur-
général Ibrahim Baré Maïnassara (IBM) 1, ils se sont saisis des élections locales du 7 février pour aller témoigner en masse de leur
42
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
attachement très majoritaire aux partis traditionnels.
La bonne tenue de ces élections faisait partie d’un deal conclu avec la France et les autres bailleurs de fonds. IBM avait dû
consentir à une CENI (Commission nationale électorale indépendante). Après tout, il ne s’agissait que d’enjeux locaux...
L’ennui, c’est qu’il est beaucoup plus difficile de fausser une centaine de décomptes locaux qu’un décompte national. D’autant que,
partout, les délégués des partis veillaient au grain. Et que le président de la CENI se montrait digne de sa fonction, c’est-à-dire
impartial.
Submergé par une avalanche de bulletins hostiles, le parti (ou plutôt la clique) au pouvoir (le RDP) a subi une déroute quasi
générale... sauf dans les zones désertiques ! Et il a très violemment réagi. Car les élections communales, départementales et
régionales, ce sont autant de petits et moyens pouvoirs en balance.
Alors, dans nombre de bureaux de vote, les commandos du RDP, souvent armés, parfois commandés par un sous-préfet, sont allés
tout casser. Ils ont confisqué ou brûlé les urnes et les documents électoraux, multipliant les exactions.
Ils n’ont pu cependant éviter le naufrage du système IBM dans la majorité des communes : il y avait trop de voies d’eau. Comme
les divergences entre les observateurs de complaisance (voir ci-après) et la délégation de l’Union européenne, emmenée par une forte
personnalité danoise, ont tourné à l’avantage de la seconde, IBM n’a pu vraiment exploiter les coups de force de ses partisans. Il
essaie de se rattraper dans la bataille juridique... où il se heurte au président de la CENI.
Après l’éclatante victoire de Gilchrist Olympio dans les urnes togolaises, ce nouveau désaveu d’un despote françafricain (avec le
soutien d’une presse nigérienne épatante) montre que la démocratie n’a pas dit son dernier mot.
1. Cf. notamment Agir ici et Survie, Tchad, Niger : escroqueries à la démocratie, L’Harmattan, 1996.
Lumières noires
Philippe de Pracans et son magazine Lumières noires, “l’officieux de la Françafrique”, sont de vieilles connaissances de Billets (n° 5,
6, 44).
Rappelons que ce bulletin cire-pompes a été lancé par Ernest Bennett, beau-père de Baby Doc Duvalier - l’ex-dictateur haïtien,
patron des “tontons macoutes”.
Philippe de Pracans a créé une ONG, l’Observatoire international des libertés et médias. En son nom, il est allé “observer” les
élections locales nigériennes et dire le plus grand bien de leur déroulement - comme quelques autres “invités permanents” des
scrutins francophones. En même temps, il « exhibait fièrement » le dernier numéro de son magazine, « bourré de publicités » des
principales sociétés nationales nigériennes (La Tribune du peuple et Le Citoyen, Niamey, 15/02/1999 et 16/02/1999). Qui a parlé de “lumières” ?
Économie
Si ce n’est pas de l’intox, c’est une mauvaise nouvelle pour l’intendance du régime Déby, et pour les firmes concernées par la
construction de l’oléoduc tchado-camerounais (Bouygues et Bolloré, notamment). Selon La Lettre du Continent (04/02/1999), les
membres du consortium pétrolier tchadien murmurent qu’en raison de la baisse actuelle du baril, le projet pétrolier « ne passe plus
le seuil de rentabilité ». Il devrait donc attendre des jours meilleurs.
À moyen terme, les précieuses réserves ont toutes chances de mieux profiter à l’ensemble des Tchadiens, dans le contexte d’un
inéluctable renchérissement. Et d’un autre mode de gouvernement.
Boomerang ?
Christine Deviers-Joncour (CDJ), rendue célèbre par son rôle dans l’affaire Elf - est l’un des rares bénéficiaires du pactole pétrolier
à être resté longuement en prison (préventive). Son ami Roland Dumas a pris ses distances...
Il arrive à CDJ de dire ce qu’elle a sur le cœur, ou d’énoncer ce qui lui semble des évidences. Ainsi cet échange sur France 2, le 30
janvier, avec Thierry Ardisson (TA) :
CDJ - « Elf a été créée par l’État pour l’État. En fait, c’est une annexe du pouvoir politique... ».
TA - « Cela sert de caisse noire à l’État depuis 1958 ».
CDJ - « ...Depuis toujours ».
L’ex-PDG d’Elf lui-même, Loïk Le Floch-Prigent, en a dit bien davantage, et plus précisément, dans sa “confession” publiée par
L’Express (12/12/1996, cf. Billets n° 42).
Pourtant, l’actuel PDG Philippe Jaffré a décidé de poursuivre CDJ (et TA) en diffamation ! Il risque un grand déballage...
Les juges évoquent « un système de détournement de fonds organisé totalisant plus de 3,5 milliards de francs » et quelque 300
connexions bancaires (Libération, 04 et 12/02/1999). Le richissime intermédiaire André Guelfi explique au Parisien (18/02/1999) : « Si la
justice devait mettre en prison tous ceux qui ont touché de l’argent d’Elf, il n’y aurait pas grand monde en France pour former un
gouvernement ! Elf arrosait tous azimuts. Tous les partis ont touché, le PS, le RPR, tout le monde ».
CDJ, qui déclare en avoir assez de payer seule, dispose d’une liste de 44 bénéficiaires d’emplois fictifs. Elle évoque les comptes
suisses « Minéral » et « Végétal » par lesquels le manitou Alfred Sirven, son employeur chez Elf, aurait redistribué « plusieurs
milliards de francs à plusieurs centaines de personnalités françaises (élus, hauts fonctionnaires, journalistes) ». À l’appui de ses
dires, elle veut citer comme témoin le magistrat suisse Paul Perraudin (France-Soir, 22/02/1999).
Il lui arrive aussi de dénoncer, en privé, le dirigeant d’une autre grande entreprise qui, selon elle, tirerait les ficelles d'Elf.
Elle se plaint de menaces. « S’il m’arrive quelque chose, c’est qu’on m’aura suicidée » (Le Journal du Dimanche, 21/02/1999).
Des systèmes criminels de cette envergure n’ont jamais cédé que par la grâce de “repentis”. Sous une forme ou sous une autre, la
République devrait accorder ce “statut” à la belle Christine.
Au plus grand bénéfice de tous les Africains qui continuent de subir la loi d’Elf, par corrompus interposés.
Tentante Birmanie
43
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
Une partie des réseaux et entreprises françafricains ont trouvé en Asie un pays digne de leurs intérêts : la Birmanie, écrasée sous la
botte d’une junte militaire bien cruelle et corrompue, regorgeant d’hydrocarbures et de narcodollars. Car ce pays est de loin le
premier producteur d’opium, et les barons de la drogue sont au mieux avec la junte.
La France est le pays occidental le plus “investi” dans ce pays de cocagne. Total, qui y turbine à plein gaz, est accusée de profiter
d’une main d’œuvre “réquisitionnée” par le régime, comme au beau temps de la construction des chemins de fer camerounais ou
congolais. Les mercenaires français en Afrique se rodent en “sécurisant” les installations birmanes du groupe pétrolier. Comme en
Afrique, Michel Roussin pilote habilement des missions d’hommes d’affaires.
Mais, comme en Afrique, cette France-là a un problème d’image avec ses meilleurs alliés. Certains ont cru trouver la parade. Usant
de leur influence sur Interpol - dont le siège est à Lyon -, ils ont poussé cette institution à tenir à Rangoon la quatrième conférence
internationale sur l’héroïne, du 23 au 26 février. Comme si l’ONU organisait à Kaboul une conférence sur le droit des femmes,
susurrent de mauvais esprits.
Ils ont été entendus. Un mouvement de boycott de la conférence s’est dessiné des deux côtés de l’Atlantique. Même le Quai
d’Orsay a dû s’y rallier. La conférence est sabotée, et l’effet d’image, inversé. (Le Monde du Renseignement, 11/2 ; Libération, 16/2).
Accommodements
Le 9 décembre, dans un éditorial retentissant (Françafrique, rien ne change), Le Monde dénonçait les soutiens français à la
réélection frauduleuse d’Omar Bongo, une « injure faite aux Africains » (cf. Billets n° 66). Moins de deux mois plus tard, on apprend (La
Lettre du Continent, 04/02/1999) que ce quotidien prépare un “spécial pays” publicitaire sur le Gabon...
Questions
L’agence de publicité Euro-RSCG, fondée par Jacques Séguéla, a chèrement animé les campagnes présidentielles des dictateurs
togolais et gabonais Eyadema et Bongo. Elle n’a pas, loin de là, convaincu les électeurs - mais la machine à frauder françafricaine
n’a plus besoin d’eux, rompue qu’elle est à l’inversion des plus mauvais scores.
Pour propulser sa liste aux élections européennes, c’est Euro-RSCG que le Parti socialiste a choisi (L’Express, 18/02/1999 ; Le Canard
enchaîné, 24/02/1999). Il n’a pas craint, visiblement, le rapprochement avec les figures ou les bilans d’Eyadema et de Bongo, les
présumant inconnus de son électorat. Conscients ou inconscients, les auteurs d’un tel choix ne pourront cependant empêcher les
mauvais esprits - parmi lesquels ils nous classent volontiers - de leur poser quelques questions :
- La communication politique est-elle désormais exclusive de toute déontologie ? Si oui, il serait intéressant d’expliquer au public
ce bond en avant. Si non, peut-on alternativement vendre un despote et un parti démocratique, se moquer du résultat des urnes et
l’honorer ?
- Il fut un temps où les caisses de quelques grands courants du PS communiquaient avec celles d’Eyadema et surtout de Bongo. Le
partage d’une même agence de communication est-il le meilleur gage de la rupture de ces circuits ?
Penchant
L’arbre tombe toujours du côté où il penche. On s’étonnait des insolentes facilités financières accordées par l’entreprise publique
EDF aux aventures africaines du groupe Bouygues (cf. Billets n° 64). L’ex-directeur général d’EDF Pierre Daurès passait pour le
facilitateur en chef. Il vient d’entrer chez Bouygues... (Libération, 24/02/1999).
Dette
La campagne pour l’annulation en l’an 2 000 de la dette des pays les plus endettés 1 est évidemment bienvenue. Même l’“impie”
Salman Rushdie salue dans Le Monde (12/01/1999) cette « idée chrétienne pour le millénaire ». Le ministre français des Finances
Dominique Strauss-Kahn a proposé d’annuler le service de la dette (les intérêts) pour une génération (trente ans). Autant aller
jusqu’au bout, et supprimer la dette en capital, ainsi repoussée aux calendes grecques. Économiquement et politiquement, elle est
d’ailleurs impayable.
Mais on n’aurait pas gagné grand’chose si cette annulation valait amnistie du détournement massif de l’argent de la dette, et
encouragement à un nouveau round de pillage des deniers publics, du Nord et du Sud. L’annulation doit aller de pair avec un
contrôle de la circulation des capitaux et la mise à l’index des paradis fiscaux - ces “trous noirs” de la dette.
1. Annulons la dette, c/o CCFD, 4 rue Jean Lantier, 75001-Paris. Tél. 01 44 82 81 19. La campagne est animée par Agir ici. Survie y est associée.
Rétro
Le 18 février, sur proposition de la députée socialiste guyanaise Christiane Taubira -Delannon, l’Assemblée nationale a qualifié de
« crimes contre l’humanité » la traite négrière et l’esclavage.
On s’en féliciterait sans réserve si, sur un sujet moins ancien, un vote similaire n’était bafoué. En mai 1998, l’Assemblée a
unanimement reconnu le génocide arménien. Au grand déplaisir de la Turquie, et du pouvoir exécutif qui apprécie en ce pays son
appétit d’armements français.
Le gouvernement se venge assez mesquinement en refusant d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat le texte de l’Assemblée (Le Canard
enchaîné, 17/02/1999). Qui demeure donc lettre morte. Entre la sanction (seulement morale) d’un génocide et la vente archi-
commissionnée d'armes lourdes (accessoirement destinées à écraser les Kurdes, à défaut d’Arméniens), la “raison d’État” n’hésite
pas. Quitte à piétiner la conscience des députés et des citoyens.
Quand donc nos Realpoliticiens se rendront-ils compte que la sanction du génocide fait désormais partie de la “raison” d’un État
de droit ? Sans attendre, comme pour la traite négrière, que les derniers coupables et victimes se soient éteints depuis un siècle...
Contamination
Le procès du sang contaminé n’est pas si étranger aux sujets abordés par ces Billets.
Tout d’abord, c’est encore une affaire Elf : la firme Diagnostics Pasteur, qui a mené avec les cabinets ministériels une stratégie
retardatrice du dépistage systématique des dons de sang, est une sous-filiale d’Elf. Le profit à tout prix ne fait pas que des victimes
africaines.
Le dépistage fut généralisé dans les centres de don durant l’été 1985. Dès cette époque, les experts alertèrent le gouvernement sur
la nécessité d’inscrire les tests à la nomenclature des actes médicaux remboursés par la Sécurité sociale : sinon, un grand nombre de
personnes “à risque” viendraient donner leur sang pour bénéficier d’un test gratuit. Une pratique très dangereuse en raison de la
“fenêtre de séroconversion” (la période où le rétrovirus du Sida, déjà présent dans le sang et contaminant, n’est pas encore testable).
Cette pratique a prospéré durant plus de trois ans - le temps de l’inscription des tests à la nomenclature. Selon l’acte d’accusation,
« le cabinet de Georgina Dufoix s’y est opposé pour des raisons financières, de même que celui du Premier ministre, à titre de
mesure de rétorsion contre les fabricants de tests américains ». Le syndrome de Fachoda a fait aussi des victimes françaises...
Bons points
* Le député tchadien Yorongar, symbole du droit des parlementaires à... parler (il avait été condamné à trois ans de prison pour
diffamation 1), a fini par être libéré.
1. À la suite d’une accusation assez vraisemblable contre les deux finalistes de l’élection présidentielle truquée de 1996 (les généraux Déby et Kamougué) : leurs
campagnes auraient été financées par Elf.
* Le prêtre rwandais Wenceslas Munyeshyaka, poursuivi pour actes de « génocide et tortures », a perdu le procès pour « atteinte à la
présomption d’innocence » qu’il avait intenté contre la rescapée Yvonne Galinier-Mutimura (Billets n° 66 bis).
* L’armée de terre française vient de se doter d’un nouveau code moral, diffusé à 10 000 exemplaires, qui place « l’exercice du
métier des armes » sous la « prééminence incontestable » de « la Déclaration universelle des droits de l’homme ». Les militaires
doivent refuser d’« accomplir des actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales »
(Libération, 20/02/1999). Parfait ! Est-il encore nécessaire que la France demande que ses ressortissants soient exonérés de toute
accusation de crimes de guerre, durant 7 ans, par la future Cour pénale internationale ?
Fausses notes
45
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
* La force interafricaine de « maintien de la paix » dépêchée en Guinée-Bissau comprend des contingents de 4 pays : Togo, Bénin,
Niger et Gambie. Elle est dirigée sur place par un officier togolais, sous le contrôle opérationnel de l’état-major français au Sénégal
(Libération, 29/01/1999) . Quel avenir pour cette force d’interposition, aux ordres d’un fidèle d’Eyadema et totalement dépendante d’un
pays, la France, qui a clairement milité, sinon combattu, en faveur de l’une des deux parties en conflit (le camp du président
Vieira) 1 ?
1. Cf. Agir ici et Survie, Sécurité au Sommet, insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 113-120.
* La procédure de ratification du statut de la Cour pénale internationale a eu un premier “résultat”. Répondant à une question qui ne
lui était pas posée, le Conseil constitutionnel a élargi démesurément... l’impunité du Président de la République. Il est vrai que celui-
ci veille à prolonger l’impunité du président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas. Ils se sont connus chez Elf ?
Carnet
* Le 29 mars à 13 h 30, à la 17 ème chambre correctionnelle de Paris (Palais de Justice), est prévu le procès de Charles Pasqua contre
François-Xavier Verschave, président de Survie. L’ancien ministre estime diffamatoire ce passage de La Françafrique : « Charles
Pasqua a résolu d'échanger le terroriste amorti Carlos contre un appui aux opérations de “nettoyage ethnique” du régime
soudanais. Soit dit en passant, que le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua puisse mener, à l'aide de ses propres réseaux, sa propre
politique africaine, arabe, maghrébine et musulmane, en dit long sur le démembrement de la politique franco-africaine ».
Témoins de la défense : Jean-François Bayart, Nicolas Beau, Éric Fottorino, Simon Malley, Gérard Prunier, Yves Ternon. Cités par
Charles Pasqua : ses trois ex-collègues Edmond Alphandéry, Michel Roussin et Nicolas Sarkozy, ainsi que l’ex-directeur de la DST
Philippe Parant.
Rectificatif
Dans nos Billets précédents, nous annoncions qu’une importante faction militaire “hutue” burundaise, le CNDD-FDD, avait rejoint
les négociations de paix d’Arusha. Nous avions en fait mal interprété une dépêche des Nations unies : les FDD n’ont pas « rejoint les
négociations », mais envisageaient de le faire après la mi-janvier. Cette perspective n’a pas (encore) abouti.
(Achevé le 28/02/1999)
« Depuis des décennies, la France arme des dictateurs et des généraux, qui retournent leurs fusils contre la démocratie. L’Afrique
noire francophone a été le champ privilégié des réseaux, qui, à droite comme à gauche, ont trouvé là des sources de financement, des
alliés, des terrains d’expérimentation où ils ont pu concrétiser à grande échelle depuis les années 60, leurs soifs de conquêtes et leurs
délires d’empires au nom de la grandeur de la France. Si, aujourd’hui, les réseaux mutent et se modernisent, l’objectif demeure.
L’Afrique doit rester un coffre-fort pour nos entreprises, un moyen de financement pour nos joutes politiques, une poubelle pour nos
déchets, un terrain de chasse et de loisirs pour nos dirigeants, un champ de manœuvres pour notre armée, une base arrière pour nos
mafieux ». (Noël MAMERE, député Vert. Contribution à Témoignage chrétien du 18/02/1999, à propos de la guerre au Congo-Brazza).
[Le plus incroyable, c’est que le propos n’a rien d’exagéré. Pour le côté « délires », voir ci-après (Lire) le livre de Jean-Paul Cruse].
« La moralisation de la vie publique en Afrique passe désormais par celle des élections. [...]. La France [...], en refusant de s’associer
à la réserve de la Communauté européenne sur l’évolution démocratique au Togo, [...] continue de gérer le court terme. [...]
La France a du mal à sortir de la logique du faire-croire sur le plan démocratique en Afrique, pour assumer résolument avec les
vieilles démocraties européennes une autre logique, celle qui donne force au droit et aux règles du jeu démocratique. Or, il n’y a que
cela pour lui épargner un phénomène de rejet dont elle ne mesure pas encore la portée au niveau de la jeunesse. Quand elle
comprendra, l’Afrique francophone lui aura déjà échappé ». (Alphonse QUENUM, enseignant à l’Institut catholique d’Abidjan, in La Croix du
26/01/1999) .
« Mon cœur est rempli de fierté en contemplant ma nation réconciliée, sa mémoire reconstruite et son histoire libérée de ses
ressentiments ». (Hassan GOULED APTIDON, président de Djibouti depuis l’“indépendance” (1976) de ce protectorat militaire français. Discours devant
le congrès extraordinaire de son parti, où il a annoncé sa retraite. Cité par Afrique Express du 18/02/1999).
[À 83 ans, le dictateur usé donne l’impression de croire en ce tableau idyllique. La réalité est proche de l’exact opposé (cf. Agir ici et Survie, Sécurité
au Sommet, insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 53-58).
Gouled est remplacé par son confident depuis 22 ans, Ismaël Omar Guelleh. Ce pivot de la dictature dirigea aussi les services de renseignement
et la police... De quoi rassurer l’armée française, inquiète des effets du conflit érythréo-éthiopien. Mais pas les opposants djiboutiens !]
GÉNOCIDE RWANDAIS
« - Pensez-vous qu’un pays comme la Belgique pourrait demander qu’une enquête soit organisée à propos du rôle de l’ONU au Rwanda ? Y êtes-
vous favorable ? (Colette BRAECKMAN, Le Soir du 28/01/1999) .
- Certainement. D’ailleurs, dès mon retour à New York, je vais soumettre cette proposition au Conseil de sécurité. J’ai bien
l’intention de discuter moi-même de ce point avec les membres du Conseil de sécurité ». (Kofi ANNAN, Secrétaire général de l’ONU).
46
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
[Kofi Annan a été mis personnellement en cause : il dirigeait les opérations militaires de l’ONU en 1994, avant et pendant le génocide, et il
n’aurait pas assez réagi aux signaux d’alerte extrême. À première vue, sa rapide acceptation d’une commission d’enquête est un bon signe. Mais
il convient de rappeler l’axe de sa défense : l’absence de volonté politique des membres du Conseil de sécurité. À cet égard, les comptes-rendus
des réunions secrètes et informelles du Conseil sont accablants (cf. The Guardian, 07/12/1998). Quand Kofi Annan affirme vouloir discuter de cette
demande d’enquête « avec les membres du Conseil », il sait bien que ceux-ci la prendront avec des pincettes.]
COOPÉRATION
« L’Union européenne [...] apporte une contribution majeure au développement [...]. Il est dans l’intérêt de tous de rechercher, de
manière systématique, les moyens d’accroître l’efficacité de notre aide. [...] Nous souhaitons, en tant que ministres britannique,
allemand et français en charge de la coopération au développement, converger vers ces objectifs. [...] Les défis globaux tels que la
lutte contre la pauvreté, la protection du climat et la prévention des conflits devraient être placés au centre de notre vision. [...]
Cet objectif fondamental trouverait une traduction concrète par la prise en compte accrue, dans l’allocation des ressources, des
besoins des pays et des populations les plus pauvres. [...] Nous proposons que la Commission prépare un rapport annuel mettant en
lumière les progrès accomplis. [...] Il est essentiel de poursuivre l’effort d’évaluation. La présidence allemande en a fait l’une de ses
priorités ». (Clare SHORT, Heidemarie WIECZOREK-ZEUL et Charles JOSSELIN, contribution commune, Libération, 26/02/1999).
[Il est significatif d’observer que la concertation européenne oblige le ministre français de la Coopération à ne plus esquiver le défaut le plus
flagrant de la réforme hexagonale : l’absence d’un objectif précis pour “l’aide au développement”. Les Parlements et les opinions publiques
allemands et anglais ont su exiger une telle précision - renforcée par un exercice continu d’évaluation. On notera aussi une modestie
rafraîchissante : les « défis globaux » à relever ne sont pas « au centre de notre vision », ils « devraient » l’être... ]
À FLEUR DE PRESSE
Croissance, Retour sur un rapport, 02/1999 (Stephen SMITH) : « Cette cécité [de la France au Rwanda] a été coupable mais pas
criminelle. Le travail rigoureux des parlementaires fait un sort aux fantasmes conspiratoires qui, par naïveté ou engagement partisan,
avaient tenu lieu d’enquête sérieuse. Rien ne subsiste de la coupable amitié qu’auraient entretenue, sinon leurs pères présidentiels,
Jean-Pierre Habyarimana et Jean-Christophe Mitterrand. Rien ne subsiste de la “cannabis connexion” ou du trafic d’armes dont le
Rwanda aurait été la plaque tournante. Nulle trace non plus des soldats antillais de l’armée française qui, le 6 avril 1994, auraient
abattu l’avion du président Habyarimana et qui se seraient trahis par le port du béret “du mauvais côté”.
La France n’a pas violé l’embargo sur des livraisons d’armes décrété par les Nation unies, contrairement aux affirmations de
Human Rights Watch qui n’a pas cherché à défendre ses accusations. Enfin, rien n’est venu accréditer l’entraînement des milices
hutues par des instructeurs français ».
[Stephen Smith livre ici l’un des plus beaux comprimés de sa “déontologie”. Le rapport parlementaire ne peut « faire un sort » à toutes ces
accusations d’importance et de qualité variables (ici savamment amalgamées ou déformées), puisque les rapporteurs avouent n’avoir pas pu ou
voulu enquêter sur la plupart de ces sujets. En particulier sur les livraisons d’armes officieuses.
Par ailleurs, le président Paul Quilès a tout fait pour éviter le témoignage public d’une rescapée, Yvonne Mutimura, affirmant avoir vu un
Français entraîner des miliciens. Ses propos, cependant, ont été publiés dans Libération - où écrit habituellement Stephen Smith... Non contredit,
son témoignage écrit et celui de son mari français ont été escamotés du rapport parlementaire.
C’est Colette Braeckman qui, sur la base de témoignages, a évoqué la possible présence d’Antillais au point de départ des missiles. Elle précise
bien que ce ne seraient pas eux, mais des Européens blancs qui auraient abattu l’avion d’Habyarimana. Une hypothèse que n’écarte pas le
rapport...
Stephen Smith se contredit lui-même. Il a déclaré au rapporteur de la mission parlementaire que Jean-Christophe Mitterrand ne connaissait
quasiment pas Jean-Pierre Habyarimana. Or, dans L'Afrique sans Africains (Stock, 1994), il affirmait (p. 117) : « Jean-Christophe Mitterrand était
l'homme des réseaux familiaux : l'ami des enfants des autres chefs d'État, Ali Bongo au Gabon, Jean-Pierre Habyarimana au Rwanda... ».
Dans Libération du 4 juin 1994, il écrivait : « Toutes les sources sur place - y compris les expatriés bien placés - expriment leur “ certitude” que
ces livraisons d'armes [aux forces du génocide] ont été “payées par la France” ». Certes, ces livraisons n’étaient pas officielles, mais le payeur
effectif (la France) violait bien l’embargo.
Stephen Smith décroche le pompon avec son bout de phrase sur Human Rights Watch (HRW) - dont il avait disqualifié l’enquête et discrédité
l’enquêtrice (Libération, 31/07/1995). HRW s’était défendue en adressant à Libération un droit de réponse. Mais Stephen Smith a tout fait pour que
le texte ne soit pas publié...
Ici, il jette tout son poids pour tenter d’accréditer ce qu’il sait lui-même être des contre-vérités. Pourquoi ?].
Libération, Amères équipées pour les soldats du “Vieux”, 04/02/1999 (Didier FRANÇOIS) : « Bob Denard sera sollicité pour fournir
l’un des contingents envoyés soutenir un maréchal Mobutu chancelant [...]. L’équipe du “Vieux” [Bob Denard] pioche dans le
Département protection et sécurité (DPS), service d’ordre du Front national. Co-dirigeants d’une officine frontiste, le Cercle de
défense de l’industrie d’armement et de l’armée française, Emmanuel Pochet et François-Xavier Sidos sont aux premières loges. [...]
Ancien aspirant au 1er RCP, Emmanuel Pochet a gagné ses barrettes de “capitaine Morin” dans la Garde présidentielle comorienne
[...]. François-Xavier Sidos, “lieutenant Aifix” aux Comores où il a tenu pendant quatre ans la 2 e compagnie de la GP [...] [est un]
“conseiller” de Jean-Marie Le Pen récemment rallié à Bruno Mégret. Les deux amis savaient pouvoir compter sur la bienveillance
bougonne de Bernard Courcelle, patron du DPS. Cet ancien capitaine, arabisant, s’était spécialisé dans les trafics d’armes et les
soldats de fortune pour le compte de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), l’ancienne Sécurité
militaire (SM), qui, à l’instar du Bureau de sécurité de la Légion étrangère (BSLE), suit avec attention le milieu mercenaire.
[...] Au début de l’hiver 1997, une trentaine de gros bras aux aptitudes diverses seront acheminés vers le Zaïre. Au nombre des
recrues, l’un des chauffeurs de Le Pen. [...] L’aventure tourne à la débandade. [...] La cohorte salariée ne doit son salut qu’à
l’intervention audacieuse d’une petite colonne de “réservistes” français expérimentés. [...]
Quelques mois plus tard [...] Denis Sassou Nguesso a entrepris la reconquête du pouvoir. Son beau-père, le président gabonais
Omar Bongo, décide de lui prêter main forte et fait appel à ses anciennes amitiés dans les réseaux parallèles où évolue Bob Denard.
Cette fois le commandement de la troupe sera confié à un fidèle parmi les fidèles, Jean-Marie Dessales, le “capitaine Jean-Pierre”,
47
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
pilier de la GP comorienne. [...]
[Côté Lissouba, le] recrutement d’une “équipe de reconnaissance” est confié au groupe Octogone. Cette société 1 regroupe de jeunes
mercenaires qui rêvent [...] d’en découdre avec leurs anciens frères d’armes. L’entrée de l’Angola dans la bataille rend illusoire toute
option mercenaire. Le conflit est gelé, l’affrontement fratricide est évité. [...] [Selon] un observateur averti, [...] “Patrick Ollivier, qui
tourne depuis la Rhodésie, a recruté pour monter une GP [Garde présidentielle] au Congo[-Brazza]. On verra le résultat”. [...]
Emmanuel Pochet [reconnaît : ] “Si pour le Zaïre, j’ai eu recours à d’anciens militaires proches du FN [...], c’est parce qu’il me
fallait faire vite. Et que j’avais décidé d’écarter les psychopathes. Des cannibales, nostalgiques de la SS ”. [...] Une charge qui met en
rage la petite troupe des proscrits. “Le coup du fasciste par un admirateur de Faurisson, c’est l’hôpital qui se moque de la charité ”,
gronde l’un d’eux. [...] “Nationaliste-révolutionnaire, je pensais trouver un idéal, une fraternité dans le combat. [...] J’ai été trahi.
Cela rend haineux” ».
1. Selon Jean-Paul Cruse (Un corbeau au cœur de l’État, Éd. du Rocher, 1998), Octogone serait une sous-filiale de Vivendi, via la société Techni du pasquaïen Henri
Antona. Elle aurait été mêlée à l’affaire dite du “corbeau” (voir Lire).
[Ce panorama, et les passerelles qui le traversent (entre armée, “services”, chapelles de l’extrême-droite et mercenaires), n’est pas sans intérêt.
Il est publié dans un contexte de dévalorisation du mercenariat français (pour camoufler ses résurgences plus “modernes” ?).
Plus loin, parlant de Bob Denard, Didier François le qualifie de « parasite symbiotique coriace des services officiels », dont la carrière s’est
effectuée « à l’ombre des réseaux officieux, dirigés depuis l’Élysée par Jacques Foccart ». Bref, un vrai-faux mercenaire.]
Le Monde, Les mercenaires font leur retour en force dans les conflits africains, 24/01/1999 (Jacques ISNARD) : « En Angola comme en
Sierra Leone, on repère des mercenaires de l’EO [Executive Outcomes, firme sud-africaine (cf. Billets n° 43)] dans les deux camps adverses. En
Angola, [...] ce sont probablement des mercenaires de l’EO qui pilotent les avions Mig-23, les Sukhoï, les hélicoptères Mi-24 ou Mi-
17 gouvernementaux ; eux qui entraînent l’armée et qui s’essaient au renseignement.
Ce sont d’autres mercenaires de la même “maison” qui servent, au profit de l’Unita, les blindés, les pièces d’artillerie, les systèmes
de transmissions du mouvement rebelle, et jusqu’à ses missiles anti-aériens SAM-14 et SAM-16 [...] [qui] auraient permis d’abattre
[...] pas moins de trois Mig-23 [...] et un hélicoptère Mi-24 des forces angolaises ».
[On ne discréditera jamais assez le mercenariat en général et Executive Outcomes en particulier. Si nous citons cet article de Jacques Isnard
dans le rubrique Françafrique, en complément du précédent, c’est pour observer qu’il n’y est question, sous son titre général, que de mercenaires
et sociétés de sécurité “anglo-saxons” (EO, la britannique Sandline et l’américaine MPRI)... ].
Le Canard enchaîné, Ruiné par Bercy, promu par le Quai, 03/02/1999 : « Une nomination à la tête d’un organisme public nourrit
depuis six mois une discrète mais féroce guérilla entre ministères. [...] Sujet du conflit : un certain Francis Blamont, homme
d’affaires nommé à la fin de novembre à la tête d’Édufrance, organisme chargé de promouvoir et de commercialiser nos filières
universitaires à l’étranger. Édufrance, qui vient de voir le jour, doit gérer un budget d’une centaine de millions de francs, constitué
en grande partie de fonds publics. [...]
Naguère, Blamont dirigeait une société d’ingénierie médicale, Sopha Développement, objet de deux rapports de l’Inspection des
finances en 1996. Entre autres accusations : frais et charges exagérés, salaires trop confortables et, surtout, commissions occultes
versées à des intermédiaires. Le pédégé [...] conteste la plupart de ces vilenies. [...] Le Trésor, qui subventionnait largement Sopha, a
coupé les vivres et l’entreprise a sombré.
Védrine et Allègre ont néanmoins repêché cet homme de gauche et de réseaux “ après enquête” sur son cas. Comme quoi des
“enquêtes” de Bercy et du Quai peuvent aboutir à des résultats contraires ».
[Le 28 janvier, lors de l’installation du tout nouveau Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), le
Premier ministre Lionel Jospin a présenté la création d’Édufrance comme l’un des symboles forts de la réforme de la coopération. On risque
apparemment de refaire les mêmes soupes dans les mêmes casseroles, dont on aura seulement changé les étiquettes. Car, de 1981 à 1997, on n’a
pas vraiment remarqué ce qui distinguait les « réseaux » « de gauche » des réseaux de droite, dans le partage des rentes tropicales et de l’aide au
développement. Attention au prochain Carrefour !].
Le Canard enchaîné, La guerre France-USA sur le front du bakchich, 27/01/1999 (Brigitte ROSSIGNEUX) : « Les engagements pris par
l’ensemble des pays occidentaux pour lutter contre la corruption dans le commerce international [...], qui ont fait en France l’objet
d’une loi, entreront en vigueur courant 1999. [...] Surfant sur la vague du “politiquement correct”, une organisation non
gouvernementale, Transparency (financée par les grandes entreprises US sous l’œil bienveillant de la CIA), a pris la direction des
opérations, menant campagne pour des “îlots d’intégrité”. Au même moment - ça tombe à pic -, Serge Dassault est condamné pour
corruption. [...]
“Seulement voilà, explique un marchand d’armes bien de chez nous, Transparency n’est que le cheval de Troie des Ricains”.
Lesquels ne sont pas pour autant devenus des prix de vertu. [...] Imités par les Britanniques, ils ont trouvé la faille : passer par le
relais de filiales domiciliées dans des paradis fiscaux [...].
La solution [pour les exportateurs français] serait, à l’image des Américains, de multiplier les filiales à l’ombre des cocotiers des îles
Caïman, Moustique ou Curaçao. [...] Il y a [...] urgence à fédérer ces différentes sociétés offshore pour qu’au bon moment, quand le
besoin s’en fera sentir, les industriels puissent sortir des millions de francs d’un seul coup. [...]
Comme le prédit un contrôleur général des armées, “quand le gouvernement aura vu trois beaux contrats s’envoler outre-
Atlantique, il saura regarder ailleurs. Et on pourra, nous aussi, aller se planquer sous les cocotiers” ».
[Cet article est ahurissant à plus d’un titre. Il est d’abord stupéfiant de voir Le Canard enchaîné faire en quelque sorte l’apologie de la
délinquance financière, alors que la grande majorité de la presse française se félicite du premier pas que représente la convention de l’OCDE
contre la corruption des fonctionnaires étrangers. Même certains exportateurs se réjouissent du frein mis à des commissions qui « avaient atteint
des montants exorbitants » (Libération, 15/02/1999).
Il est curieux de retrouver dans Le Canard l’écho des calomnies du monde de l’armement contre une ONG parfaitement honorable, Transparency
International, fondée par un Allemand, Peter Eigen. Au conseil d’administration de la section française, figurent plusieurs PDG ou anciens PDG
de grands groupes exportateurs français. Ceux-là savent bien que la tricherie a des limites, que la corruption généralisée ruine la clientèle et
48
mine le commerce.
Il est incroyable enfin d’entendre un haut fonctionnaire du ministère de la Défense plaider pour le soudoiement de ses confrères. On imagine son
indulgence pour les rétro-commissions qui arrosent les fonctionnaires et hommes politiques français.
Brisons-là avec ce mode de défense des intérêts ou de la grandeur de la France. C’est faire insulte à notre pays que de croire qu’il a besoin du
crime pour vivre et s’exprimer. Rappelons en effet, pour ceux qui en plaisantent, que la corruption est un crime majeur : elle a plongé dans la
misère et/ou la guerre civile les deux Congo, le Nigeria, la majorité des Africains, de vastes pans du Tiers-monde et des ex-pays de l’Est. La
plupart des Pakistanais, des Marocains ou des Péruviens ne considèrent sans doute pas Serge Dassault comme un grand Français.]
LIRE
Publié l’automne dernier, Un corbeau... est une enquête très “renseignée” sur un curieux chantage qui a défrayé la chronique des deux premières
années du septennat de Jacques Chirac (cf. Billets n° 46 et 57). Le “corbeau” est un informateur anonyme qui, de juin 1995 à septembre 1997, a
adressé au juge Assonion, de Bourg-en-Bresse, puis surtout au juge Halphen, une longue série de copies de “notes blanches” des Renseignements
généraux (RG), décortiquant les circuits de financement occulte des principaux leaders et courants politiques français. Ces notes ont été établies
par le commissaire Brigitte Henri, adjointe du patron des RG Yves Bertrand. Concluant son enquête, Jean-Paul Cruse écrit :
« Le “corbeau” n’est pas un homme seul. C’est un groupe d’officiers de renseignements français, disposant de “correspondants” au sein des
Renseignements généraux, de la magistrature, de la PJ et de la presse, et de très gros moyens. Ils connaissent absolument tout du financement
illégal de la vie politique française, jusque dans les moindres détails. Ils [...] ont joué un rôle, aussi , dans l’affaire des “écoutes de l’Élysée”,
dans les divers ennuis de François Léotard, et dans l’enchaînement de circonstances qui a entraîné la mort tragique de François de
Grossouvre ».
Selon Jean-Paul Cruse, ce groupe d’officiers est idéologiquement proche de Charles Pasqua, et très voisin de Paul Barril (rappelons que le
premier a plusieurs fois parrainé les initiatives africaines du second).
« Leur but était [...] de semer la panique et de faire savoir que, disposant d’informations, pour certains dommageables, ils pouvaient en
acquérir d’autres, par les mêmes moyens, [...] et étaient disposés à les utiliser [...] si certaines conditions n’étaient pas remplies. Leur chantage,
car c’en est un, et il est énorme, se développe [...] après l’élection de Jacques Chirac, et la nomination d’Alain Juppé, dont ils suspectent les
intentions dans des domaines précis, qui les touchent de très près. Leur but est de protéger certains d’entre eux, qui ont pris de très grands
risques sur plusieurs théâtres d’opérations, dans une guerre mondiale du renseignement qui bat son plein, et atteint un niveau d’intensité et de
violence qu’on n’imagine pas. Les “coups tordus” concernent la lutte pour d’importants contrats d’armement, mais aussi d’aviation civile, de
communication, de travaux publics, et même d’agroalimentaire ou de mécanique. Pressions, espionnage, chantages, attentats, meurtres -
partout, la guerre économique court à la guerre tout court. Mais les conflits les plus violents se situent, évidemment, sur les lignes de fracture
de conflits armés ouverts, ou à demi-ouverts : dans les Balkans, au Proche-Orient, et au centre de l’Afrique.
L’action de militaires français des forces spéciales, et d’officiers de renseignements, dans le secteur de l’Afrique des Grands Lacs, et au-delà,
des confins du Soudan aux immenses provinces de l’ancien Zaïre, en passant par le Rwanda, le Burundi, et l’Ouganda, avec une extension vers
le Congo et l’Angola, est au centre du problème. Les enjeux sont énormes. Inspirée, au départ, [...] par la volonté de déstabiliser le Soudan
musulman de Hassan Tourabi, puissance potentiellement considérable, [...] la politique de l’administration américaine dans cette région du
monde s’est appuyée très vite sur l’Ouganda. Ils ont alors joué, comme dans les Balkans et au Proche-Orient, la carte inadmissible des
manipulations ethniques, flattant une minorité mue par un fort appétit de domination régionale, issu d’une longue tradition féodale, les Tutsi
[...]. Il est certain donc, qu’en 1995, le gouvernement Juppé, influencé par le conformisme ambiant sur les “Droits de l’homme”, est tombé dans
le piège de la “diabolisation” des Hutus du Rwanda, comme si l’on pouvait extraire le “génocide” [les guillemets, ici, ne sont pas un point de détail]
de 1994 de l’effroyable enchaînement de tueries et de coups d’État qui l’a précédé. La tentation a été grande, alors, d’ouvrir certains dossiers,
au risque de compromettre des officiers de très grande valeur, qui ont fait leur devoir dans des circonstances d’une guerre civile hors
normes, notamment après la signature des inadmissibles accords d’Arusha, imposés par la communauté financière internationale [c’est
nous qui soulignons] - et de les livrer en pâture à l’hypocrisie médiatico-judiciaire du Tribunal pénal international ».
Ce texte projette une lumière lugubre. Si l’enjeu, c’est la guerre économique des grands contrats archi-commissionnés, à mener à n’importe quel
prix contre les États-Unis, alors tout est permis : s’allier avec le régime anti-américain de Khartoum, fût-il l’un des plus criminels de la planète ;
soutenir envers et contre tout le Hutu power et son idéologie génocidaire ; saboter en 1993 la paix d’Arusha, dernier rempart avant le génocide ;
pratiquer les pires “coups tordus” au printemps 1994 (au cœur d’un génocide, ou de ce que Jean-Paul Cruse préfère appeler une « guerre civile
hors normes », au défi de toutes les lois de l’humanité) ; entraver par tous moyens l’action du Tribunal pénal international ; et, accessoirement,
balader la justice française avec de sulfureuses “notes blanches” des RG.
Accessoirement encore, ce groupe d’officiers a fort bien pu supprimer François de Grossouvre : « S’il a été tué, ce qui reste, aujourd’hui, on le
sait, la conviction de sa famille, il n’a pu l’être que par des proches, connaissant parfaitement le système de sécurité de l’Élysée, notamment les
voies d’accès par les égouts, et les faiblesses du vieux soldat, et qui ont dû l’abattre, à ce moment, dans l’urgence, et la mort dans l’âme, pour
éviter qu’il ne parle... ».
Jean-Paul Cruse est un dévot de Charles Pasqua (méfiez-vous de vos admirateurs !). Au terme d’un panégyrique de 17 pages, qui porte aux nues
le « petit-fils de berger corse », il résume ainsi la philosophie politique de l’ex-ministre de l’Intérieur :
« La République, la vraie [...], contre les coups de poignard dans le dos des traîtres et des “vendus” de toute espèce, [...] doit compter sur des
partisans soudés, résolus et organisés, capables d’actions légales au grand jour, et d’opérations secrètes bien ordonnées et calculées, aussi
49
Billets d’Afrique N° 68 – Mars
1999
cruelles soient-elles, prêts à tout pour sauver l’essentiel - et loin, donc, de tout respect fétichiste pour les normes convenues de la démocratie
molle... ».
Ainsi, un certain activisme militaroïde, genre “armée secrète”, peut se moquer des droits de l’homme et du droit tout court. Il peut ne reculer
devant aucune cruauté. Il flirte, finalement, avec les idéologies nationales-révolutionnaires qui ont ensanglanté le XX ème siècle et plusieurs fois
conduit au génocide. Adversaire de la « démocratie molle », il est, en Afrique, l’ami des pires dictatures.
On croise, dans le livre de Jean-Paul Cruse, bien d’autres personnages connus des lecteurs de Billets, tels Jean-Christophe Mitterrand, Jean-
Charles Marchiani et le « cardinal » Vergès. On note d’intéressants rapprochements entre Vivendi, Elf et Thomson, ou entre Michel Charasse et le
bras droit de Charles Pasqua, Daniel Leandri.
Lorsque Alain Juppé accède à Matignon, ce dernier avait été « muté dans un petit bureau perdu, rue Nélaton, privé de chauffeur et de
secrétaire. [...] Il attendra pour retrouver, rue Cambacérès, statut, honneurs, bureau et secrétaire - et regard sur les affaires policières mais aussi
corses ou africaines - le remplacement de Jean-Louis Debré par... Jean-Pierre Chevènement ».
[Et l’on s’étonne après cela de la lenteur ou de la “maladresse” des enquêtes diligentées en Corse par le ministère de l’Intérieur - au grand dam
des conseillers de Matignon et du préfet Bernard Bonnet. Celui-ci bute sur le réseau Pasqua, tandis que la police l’évite...
Une récente Note d’information du réseau Voltaire (28/01/1999) épice un peu plus cette cuisine : dans le Nord, un groupe de 9 membres du Parti
communautaire national-européen (PCN) a adhéré au Mouvement des citoyens (MDC), le parti chevènementiste. Le PCN est un parti national-
bolchévique, classé à l’extrême-droite, qui se réfère au fascisme des années quarante. Son anti-américanisme viscéral le rapproche de la Corée du
Nord, de l’Irak et de la Libye. Interrogés sur ce ralliement, les dirigeants locaux du MDC font valoir la proximité de pensée entre le PCN et leur
formation. Entre État de droit et culte de l’État-nation, ils poussent peut-être à l'extrême le curseur idéologique. On espère que leur mentor
rappellera à ces “citoyens” que le clivage gauche-droite n’est pas soluble dans le rouge-brun].
Mongo BÉTI, Trop de soleil tue l’amour, Julliard, 1999, 239 p.
Un vrai roman - de cette littérature qui, souvent, rend mieux compte de la réalité qu’un essai. Ici, c’est d’un Cameroun pourri par la corruption
qu’il s’agit - un Cameroun moulu par la dictature insidieuse de Paul Biya, perpétuée grâce à ses mandants parisiens. Même la vérité - que cherche
encore le héros, journaliste à Yaoundé - et l’amour sont empoissés par cette atmosphère de corruption. Délibérément, l’auteur ne cherche pas à
s’en extraire. Mais il suggère des îlots d’humanité, des germes de résistance.
On ne peut décrire ici les personnages et les péripéties de ce roman noir. On se contentera de citer les propos de l’ambassadeur de France lorsque
les “services”, plutôt honnêtes, viennent lui rapporter une énorme affaire de trafic de déchets chimiques, puis sans doute nucléaires : « Nous
étouffons tout, cela va sans dire [...]. Au lieu de nous demander [...] : qui serait éclaboussé en cas de scandale ? il vaut mieux [...] poser cette
question : qui ne serait pas éclaboussé ? ».
Au sommaire (explicite) :
- Gabon et compagnie(s)
- Liaisons dangereuses au Tchad
- Djibouti l’inaboutie
- Les Comores à l’encan
- Et Elf créa Biya
- Main basse sur Brazzaville
- Eyadema notre amour
- L’assaut de la Guinée-Bissau
- Rechutes dans les Grands Lacs
- Le “cas” Barril
- Services secrets
- “Privés” et mercenaires
- Trafics d’armes par la bande
- Une présence contrainte
- L’état-major contre la Cour
Agir ici et Survie, L'Harmattan, 255 p. Disponible à Survie (100 F, port inclus).
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019
DÉPÔT LEGAL : MARS 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 95 F (ETRANGER : 120 F)
50
BILLETS D’AFRIQUE N° 69 - AVRIL 1999
Il est des hommes (ou des femmes, comme Aung San Suu Kyi) qui, focalisant la hargne d’une tyrannie, deviennent des symboles de
la résistance à l’arbitraire. Ces symboles sont décisifs pour la construction d’une dignité politique.
C’est pourquoi Mandela restera dans l’histoire de l’Afrique. C’est pourquoi il importe de soutenir ceux qui, à leur manière, défient
la dictature par leur existence même, incarnant l’inaliénabilité d’un droit : le droit à informer, pour le journaliste Pius Njawe, le
droit à parler pour le parlementaire tchadien Ngarléjy Yorongar - tous deux récemment libérés après une mobilisation exemplaire.
Aujourd’hui, deux hommes au moins dans le système françafricain incarnent une telle résistance : l’avocat djiboutien Aref
Mohamed Aref et l’opposant guinéen Alpha Condé. Tous deux ont été embastillés dans des conditions intolérables, accusés ou jugés
de façon ubuesque.
En réalité, on reproche au premier d’avoir maintenu un zeste de parole à l’opposition broyée en assurant la défense de ses
militants (les avocats étrangers, y compris M e Montebourg, président du groupe d’amitié parlementaire France-Djibouti, sont
refoulés). Au second, le dictateur de Conakry Lansana Conté (qui vieillit aussi mal que Sékou Touré) ne pardonne pas d’avoir été un
concurrent sérieux lors du dernier scrutin présidentiel. La réélection de Conté est une farce, mais il est interdit de rire.
Même indociles, les régimes djiboutien et guinéen sont les enfants très dépendants du néocolonialisme parisien. Il s’agit de savoir
si, sous cet empire, on a le droit de plaider et de s’opposer. Alors, faisons libérer Me Aref et Alpha Condé. Pour que d’autres, plus
nombreux, prennent leurs pas.
SALVES
Sassou hors des clous
Malgré ses alliés régionaux, son armée de communicants, et l’ampleur initiale de ses soutiens françafricains, le général congolais
Sassou Nguesso est en train, comme son collègue et allié tchadien le général Idriss Déby, de perdre la main. Comme s’il ne suffisait
plus, aujourd’hui en Afrique, d’être un militaire bien en cour à Paris et d’une cruauté sans bornes. La politique du massacre a des
limites, surtout quand le projet politique se borne à la prédation.
L’Élysée et le Quai d’Orsay, en pleines grandes manœuvres européennes, tout comme Elf coté en Bourse, supportent mal les
boucheries trop visibles. Du coup, les opposants que l’on croyait matés retrouvent des oreilles attentives, et même un peu plus - à
observer leurs nouveaux moyens, militaires et médiatiques.
« Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute », pourrait-on lancer aux postulants-dictateurs (en détournant La Fontaine), afin de
tempérer leurs pulsions meurtrières. Histoire d’épargner de futures Brazzaville.
51
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
Le général s'accroche : les Norvégiens ont trouvé des indices de pétrole et de gaz au large de Lomé ! (La Lettre du Continent, 18/02/1999).
De Sankara à Zongo
L’émotion suscitée par le meurtre du journaliste burkinabé Norbert Zongo ne faiblit pas. La commission d’enquête poursuit son
travail. Parallèlement, un groupe d’officiers en rupture de clan a diffusé les noms de ceux qui, selon lui, composaient le
commando des tueurs : trois sous-officiers et un soldat qui participèrent déjà, il y a 11 ans à l’assassinat du président Thomas
Sankara.
Le tombeur de Sankara, Blaise Compaoré, héberge cette bande de comparses au Conseil de l’Entente, à Ouagadougou. Elle s’y
tient au service du clan présidentiel : Chantal et François Compaoré (épouse et frère de Blaise), Alizeta Gando, Salif Diallo, Mélégué
Traoré, Dienguineba Barro, et le richissime entrepreneur Oumarou Kanazoe. Celui-ci avait directement menacé Norbert Zongo.
C’est le même clan, rappelons-le, qui a encouragé l’entreprise guerrière de Charles Taylor au Liberia, en a largement profité 1, et
récidive au Sierra Leone (en liaison avec la Libye).
Selon Le Monde (20/03/1999), l’entourage présidentiel hésite entre deux attitudes : la conciliation et la manière dure. Le pouvoir est
accusé par l’opposition et la presse d’avoir distribué des armes à certains de ses militants...
1. Cf. F.X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998, p. 202-226. Voir aussi À fleur de presse.
Ambiguïtés comoriennes
Les Comores sont un archipel compliqué. L’amputation de Mayotte, puis la longue intrusion mercenaire de Bob Denard, ont fait
bien des dégâts - jusqu’à la récente sécession d’Anjouan 1. Il ne sera pas facile de recoller les morceaux - pas plus qu’en Nouvelle-
Calédonie, en 1988, après le massacre d’Ouvéa.
Bien conseillé, Michel Rocard s’illustra dans cette œuvre de paix. L’hémisphère sud lui réussissant plutôt bien, il voudrait
s’entremettre aux Comores. Mais quelle idée de s’associer en l’affaire avec des proches du RPR - ceux-là qui, jadis, arrimèrent
l’archipel au régime sud-africain d’apartheid, et le branchèrent sur les trafics de contournement de l’embargo ?
Ainsi Saïd Hilali. Homme d’affaires comorien vivant en France, très introduit à Tripoli, il est le grand ami du vibrionnant Jean-
Yves Ollivier 2. Ce dernier, lié autrefois à Pretoria, est aujourd’hui à Brazzaville le poisson-pilote de Denis Sassou Nguesso : une
référence ! Au bon temps de Bob Denard et de l’apartheid, Saïd et Jean-Yves relayaient l’Afrique du Sud aux Comores. Ils y
amenèrent le luxueux hôtel Galawa Sun, haut lieu du “business” et du renseignement.
Les présidents comoriens (tré)passent, mais les réseaux prospèrent. Leur fortune s’accroît avec la ruine du pays. Est-ce sur cette
arithmétique que compte Michel Rocard pour sauver l’archipel ?
1. Cf. Agir ici et Survie, La sécurité au Sommet, l’insécurité à la base, L’Harmattan, 1998, p. 59-68.
2. Cf. La Françafrique, déjà cité, p. 219-220.
Messie
Début mai, Jacques Chirac devrait se rendre en visite officielle au Cameroun - en tête du hit parade des pays les plus corrompus. Il
y « est attendu comme le messie » (La Lettre du Continent, 04/03/1999) par le chef des corrompus, le président Biya - qui verrait cautionner
son régime frauduleux. Ce n’est donc pas une “bonne nouvelle” pour la majorité des Camerounais.
Dans le même temps, le groupe Bolloré accroît son emprise régionale sur l’huile de palme, via la privatisation de la Socapalm. Et il
a obtenu une concession forestière dans une réserve protégée (cf. Ils ont dit). Mais Vincent Bolloré, c’est juré, ne fait pas de politique.
Prison djiboutienne
Comme nous l’indiquons dans notre éditorial, l’avocat djiboutien Aref Mohamed Aref dérange le pouvoir dictatorial de ce
protectorat de l’armée française. Accusé d’« escroquerie », bien qu’aucune plainte n’ait été déposée contre lui, il a d’abord été
enfermé dans un WC à la turque de moins d’un m², non protégé du soleil. Sa vie y était très menacée. Il a ensuite été transféré dans
le quartier des « individus dangereux et des déments » de la prison de Gabode (Le Nouvel Observateur, 11/03/1999).
Le régime en place considère sans doute que l’avocat de ses opposants ne peut être que dangereux ou dément. Surtout si lui aussi
dénonce les méfaits de la dictature. M e Aref a été condamné le 15 février à 2 ans de prison, dont 6 mois ferme. Le pouvoir, qui
accueille si volontiers les militaires venus de France, a refusé que des avocats de ce pays viennent défendre leur confrère, bafouant
ainsi la convention d’entraide judiciaire franco-djiboutienne.
L’une des raisons de ce procès inique est sans doute de faire taire la voix très écoutée de M e Aref, au moment où le successeur du
vieux président Hassan Gouled Aptidon, son éminence grise et son Fouché Ismaël Omar Guelleh, devrait être “investi
démocratiquement” : l’élection présidentielle est programmée le 9 avril. Un scrutin à la chicotte. Le remplacement d’un vieux tyran
par un plus jeune n’a rien d’enthousiasmant.
Tandis que des démocrates de divers pays se mobilisent, heureusement, pour M e Aref, on apprend qu’un autre opposant, Abdi
Houfaneh Liban, a péri le 12 mars dans sa cellule. Souffrant de malaises répétés, il réclamait en vain de voir un médecin. Cela fait
bien longtemps que les organisations de défense des droits de l’homme signalent les conditions de détention désastreuses des
opposants emprisonnés à Gabode.
En novembre 1998, le ministre de la Coopération Charles Josselin avait déclaré à l’Assemblée qu’il n’hésiterait pas à « réviser [ses]
projets de coopération si les droits de l’homme et l’État de droit ne sont pas respectés ». La très militarisée Djibouti doit échapper à
sa compétence, et c’est sans doute “à l’insu de son plein gré” qu’il a accordé en janvier une aide exceptionnelle de 65 millions de FF
au tandem Gouled-Guelleh.
Le groupe d’amitié France-Djibouti de l’Assemblée nationale, présidé par Me Arnaud Montebourg (socialiste), a vivement protesté
contre ce cadeau incongru. Il a demandé que soit suspendue « sans délai » l’exécution des conventions signées en janvier (Afrique-
Express, 11/03/1999). Un bon test.
52
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
Faillite gabonaise
La réélection arrangée d’Omar Bongo ne lui aura peut-être autorisé qu’un bref répit. Le Gabon est en « cessation de paiement ».
« C’est l’alerte rouge au FMI et au Trésor français (qui a rédigé à ce sujet une note carabinée) » (Lettre du Continent, 18/02/1999). Cette
note parle de « prédation » : quelle soudaine audace ! On évoque des dépenses déraisonnables - des achats d’avions, par exemple.
Bref, les Gabonais non abonnés au clan Bongo vont devoir un peu plus se serrer la ceinture.
Les pompiers de Bercy ont raison de se réveiller, mais qui a mis en place la pomp’Afric gabonaise et son concierge, si ce n’est la
Vème République ? Qui les fait garder comme des bijoux de famille, par barbouzes et compagnies, si ce n’est l’Élysée ? Qui
chapeaute le Trésor gabonais, si ce n’est son homologue français ?
« Adieu à Fachoda » ?
Le syndrome de Fachoda (la paranoïa anti-anglo-saxonne en Afrique), c’est le côté “vache folle” de la Françafrique. On ne peut le
guérir d’un coup. En particulier vis-à-vis des Américains, contre lesquels la guerre se poursuit en Afrique centrale, par alliés
interposés (cf. Billets n° 68).
Mais il n’est pas vain de tenter de se rabibocher avec les Anglais. À cet égard, la rencontre entre les ambassadeurs français et
britanniques en Afrique, organisée le 11 mars au Ghana par les ministres des Affaires étrangères Hubert Védrine et Robin Cook, est
hautement symbolique.
Leurs Excellences ont été priées de travailler ensemble. Cook a lancé : « Adieu à Fachoda ! ». Il faudra du temps pour que la
consigne atteigne les bas étages du cerveau. « On vient de tellement loin entre Français et Britanniques, a concédé Védrine. Ce que
nous faisons aujourd’hui n’est ni un gadget, ni une révolution. C’est le début d’une évolution, quand même très souhaitable au regard
du passé ». (Le Figaro, 13/03/1999 ; Libération, 12/03/1999).
Certes ! On pourrait faire des travaux pratiques en Sierra Leone, où les francophiles Taylor et Compaoré continuent de s’ingérer (cf.
Ils ont dit et À fleur de presse).
En Ouganda, par contre, on n’a pas évité le 1 er mars une tragédie “ethnique”. Les guérilleros du Hutu power y ont capturé 31
touristes. Ils ont libéré les Français et tué 8 “Anglo-Saxons” (Britanniques, Américains, Néo-Zélandais). Ancrés dans le racisme
manichéen qui les mena au génocide, ils ont transmis ce message : tous les Anglo-Saxons, amis de tous les Tutsis, sont les ennemis
de tous les Hutus. Tandis que les Français...
Certes, ceux-ci ne sont pas a priori responsables de la folie ethnique du Hutu power. Sauf qu’ils l’ont longtemps encouragée et
armée. Et que, visiblement, elle leur en sait toujours gré.
Le plus gênant est qu’une diplomate française présente parmi les touristes (Anne Peltier, numéro deux de l’ambassade de France à
Kampala) ait été chargée de porter le message. Et qu’on n’ait guère entendu Hubert Védrine dénoncer cette odieuse
instrumentalisation.
Asile togolais
L’imprimeur Bruno Pelletier a dirigé durant plusieurs années l’imprimerie Efic, filiale de la MNEF (Mutuelle nationale des
étudiants de France) : via des fausses facturations, elle fonctionnait un peu comme une planche à billets du financement des écuries
politiques - de gauche, mais aussi de droite.
Inquiété par la justice, et porteur de secrets dérangeants, il s’est retrouvé, dit-il, « envoyé au Togo, “à l’insu de mon plein gré” ».
« On a cherché à me mettre à l’abri à Lomé ». « Tout avait été organisé par Éric Turcon, l’avocat de la MNEF ». Pelletier se
retrouve directeur général de Radio-Nostalgie Lomé, et recommence à faire la noce. Avant d’être arrêté le 9 janvier suite à un
mandat d’arrêt international (Le Parisien, 16/03/1999).
Cet épisode est doublement instructif : c’est chez Eyadema, orfèvre en la matière, que l’on expédie les faiseurs d’argent noir
politiquement gênants ; mais même Eyadema n’arrive plus à faire obstacle aux mandats d’arrêt internationaux.
Le plus étonnant aurait été, en d’autres temps, que ces mandats soient émis par des juges français. Il ne faut pas exclure une
heureuse conjugaison : la montée des juges indépendants ; et une escalade droite-gauche dans la distillation des dossiers
compromettants (l’affaire MNEF répondant aux enquêtes sur la Mairie de Paris). Avec parfois des effets-boomerang.
En attendant, Bruno Pelletier insiste lourdement : « Je crois qu’à Paris ni la gauche ni la droite ne veulent me voir revenir en
France. [...] Dans la boîte [Efic] il y avait deux personnes, l’une qui avait des contacts à gauche et l’autre à droite. [...] Je ne
balancerai pas pour l’instant ».
Exception menacée
53
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
L’impunité dont jouissent les dirigeants politiques français ayant abusé des deniers publics stupéfie la plupart de nos partenaires
européens. (Accessoirement, elle est l’une des principales leçons prodiguées par la coopération française aux dirigeants africains).
Mais cette exception française est menacée. Formée à l’arrogant laxisme mitterrandien, l’ex-Premier ministre et commissaire
européen Édith Cresson a été fort étonnée qu’on lui reproche un emploi fictif à Bruxelles. Elle crie au « complot allemand » (une
variante de Fachoda ?).
Jacques Chirac, ex-grossiste en emplois fictifs, a montré sa solidarité transpartisane en la défendant au-delà du raisonnable. Faute
de démissions individuelles, la Commission a été contrainte à la démission collective. Édith Cresson a sablé le champagne (Canard
enchaîné, 17/03/1999).
C'est une victoire à la Pyrrhus. Car le rapport des experts indépendants qui a déclenché ce cataclysme politique se conclut sur une
nouvelle “norme européenne” : « La tentation de vider la notion de responsabilité de tout contenu effectif est dangereuse. Cette
notion constitue la manifestation ultime de la démocratie ».
Pendant ce temps, la “repentie” Christine Deviers-Joncour, lâchée plutôt que protégée par son ex-amant Roland Dumas, “balance”
à tout va. Ses souvenirs ne sont pas toujours très précis, mais la trame générale semble difficilement contestable. Dumas peut bien
invoquer « la manipulation ou la mythomanie », il s’enferre dans ses contradictions.
Il ne pouvait pas ne pas savoir que les somptueux cadeaux faits par sa maîtresse, telles les fameuses statuettes grecques, étaient
payés avec l’argent d’une entreprise publique, Elf. Il n’est plus très crédible quand il dit avoir cru que le « nid d’amour » de la rue de
Lille (coût : 17,5 millions de FF) était le « logement de fonction » de son amie, et qu'elle l'aurait gardé, après sa démission d’Elf,
grâce à la « loi de 1948 » qui protège les locataires démunis ! (Le Monde, 20/03/1999).
En tout cas, le beau Roland goûtait allègrement et fréquemment à ce don du ciel. Il a admis, par ailleurs, y avoir reçu à dîner son
ami Charles Pasqua (Christine parle de plusieurs repas) (Libération, 19/03/1999). Après tout, les deux compères - « interlocuteurs
privilégiés », l’un à gauche, l’autre à droite, du distributeur de prébendes pétrolières Alfred Sirven (Le Canard enchaîné, 11/03/1998) -
étaient chez eux chez Elf.
Cependant, « l’énorme caisse noire piochée dans les comptes du pétrolier [Elf], [...] est le cœur véritable du scandale, qui reste pour
l’essentiel à éclaircir » (Libération, 19/03/1999). Selon son avocat, Christine Deviers-Joncour « a servi de leurre pour dissimuler quelque
chose de beaucoup plus important ». « Dans n’importe quel autre grand pays démocratique, observe Le Journal du Dimanche
(07/03/1999), [...] la classe politique et [...] l’opposition auraient, parallèlement aux juges, exigé la constitution d’une commission
d’enquête parlementaire. Nul, ici, n’y a pensé 1».
Et Roland Dumas, « inapte à l’exercice actuel de sa magistrature constitutionnelle » (Libération, 19/3), persiste à l’exercer. Lui aussi
est défendu par Jacques Chirac. Lequel a été récompensé par un récent avis de totale impunité (sauf haute trahison), émis par le
Conseil constitutionnel... - alors que resurgit l’un des multiples épisodes de « la razzia 2» opérée par le clan de l’ex-maire de Paris
sur les ressources de la capitale et de sa région.
Cresson, Dumas, Chirac : l’exception française ne fait plus florès. Il n’y a guère que le Camerounais Biya ou le Libérien Taylor (cf.
Ils ont dit) pour être encore ravis d’entendre nos leçons de “gouvernance”.
Quant à Elf, elle a été boutée hors du Venezuela pour avoir corrompu l’ancien gouvernement...
1. Si : les Verts.
2. Titre d’un ouvrage d’Alain Guédé et Hervé Liffran, Stock, 1995. Selon un responsable RPR cité par Libération (19/03/1999), « quand on connaît le fonctionnement de
Jacques Chirac, c’est miraculeux qu’il n’ait pas été accroché plus tôt ».
Pasqualand
La Chambre régionale des comptes fait de désagréables observations à notre ami Pasqua sur la gestion du département des Hauts-
de-Seine (92), qu’il préside.
Elle a dans son collimateur la Société d’économie mixte “SEM 92” qui, comme par hasard, a fait de grosses affaires avec quelques
mammouths françafricains.
C’est Bouygues qui a obtenu la construction du pôle universitaire Léonard de Vinci, alors qu’il n’était pas le moins-disant. Le
marché a été complété par de précieux avenants.
Un intermédiaire a acheté un terrain à Elf pour 200 millions de FF. Cinq jours plus tard, il le revendait 295 millions à la SEM 92.
La Chambre s’interroge sur cette plus-value subite... (Libération, 11/03/1999).
Elle s'étonne aussi des coûteux chantiers de coopération au Gabon. Lequel, comme on sait, est un pays sans ressources, ni caisse
noire, ni compte en Suisse: c’est pure bonté que de s’y investir.
54
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
Le problème, c’est que les nombreux crimes de guerre, voire contre l’humanité, commis depuis 1945 par lesdits personnels dans les
colonies ou néocolonies, n’ont quasiment jamais été jugés. Il ne s’agit donc pas de se soumettre à la CPI mais, là encore, de renoncer
à l’impunité - considérée par une partie des militaires professionnels comme une sorte d’“avantage acquis” 1. Jacques Chirac redoute
en quelque sorte la fronde (ou la grève !) de la frange la plus activiste de l’armée, au nom de laquelle il a fait insérer l’article 124
lors de la conférence de Rome sur la CPI, en juillet 1998.
Refusant ce “permis de massacrer”, qui en fait disqualifierait l’armée française, Survie lance une campagne urgente, La France ne
peut parrainer les crimes de guerre, à destination du Président, de la ministre de la Justice, et des députés 2.
Autre mauvaise nouvelle : lors de la commission préparatoire chargée de rédiger les règlements de procédure et de preuve, fin
février à New York, les États-Unis (qui pourtant n’adhérent pas au traité) ont fait le forcing pour réduire « l’efficacité de la Cour et
l’indépendance des juges » et mené « une stratégie de sabotage et d’obstruction caractérisée » (William Bourdon, représentant de la Coalition
française pour la CPI).
Nous aimerions que la France s’indigne de cette attitude scandaleuse, trouvant là une occasion de déployer un antiyankisme
justifié. Malheureusement, il semble que les restrictions voulues par les États-Unis satisferaient tout à fait l’Élysée et l’État-major
français... L’antiaméricanisme est trop utile aux mauvaises causes pour servir les bonnes.
1. La Cour européenne des droits de l’homme est en train de mettre un terme à un “avantage acquis” similaire, côté police. Elle s’apprête à condamner la France pour un
cas de torture dans un commissariat (la victime a perdu un œil et a été violée par une matraque). Avant que la Cour ne s’intéresse à ce cas, aucune sanction disciplinaire
n’avait été prise contre les coupables. Pour tenter d’échapper à une condamnation, la France a fini par les mettre en examen - six ans après les faits ( Libération,
19/03/1999).
2. Informations : Nadège Mathevet, 01 43 27 03 25.
Heureuse surenchère
L’an 2000 ne recèle peut-être pas que de mauvaises surprises (le bug, par exemple, auquel nombre de pays d’Afrique ne sont pas du
tout préparés). Il a comme un effet magique sur les grands argentiers, d’habitude beaucoup plus durs à la détente : la campagne
Jubilee 2000 pour l’annulation de la dette des pays les plus pauvres a suscité en ce mois de mars une étonnante concurrence entre
pays du G7. À commencer par le ministre français des Finances Dominique Strauss-Kahn.
Il a multiplié les déclarations à la presse et réuni à Bercy, le 12 mars, les ONG françaises engagées dans cette campagne. Il promet
d’accroître nettement l’effort français d’annulation des dettes. Il veut associer les ONG aux mesures d’accompagnement des
annulations, visant à prévenir leurs effets pervers : accaparement du bénéfice de l’opération par des groupes prédateurs, relance d’un
endettement sans cause (cf. Ils ont dit).
À Dakar, la ministre allemande de la Coopération a proposé de passer de 80 à 100 % le taux d’annulation des dettes des pays les
plus pauvres. La Grande-Bretagne suggère 50 milliards d’annulations en l’an 2000. Le 16 mars, Bill Clinton a proposé 70 milliards.
C’est encore très insuffisant, mais le mouvement est lancé. Plus de 100 000 personnes sont attendues à Cologne, en juin, pour
euphoriser le G7.
Bons points
* La France soutient la réforme de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), désormais dirigée par une femme remarquable,
l’ancien Premier ministre norvégien Gro Harlem Bruntland. Paris veut mener avec l’OMS des actions conjointes, notamment contre
le paludisme - une maladie beaucoup trop négligée par les groupes pharmaceutiques privés.
* Bravo à l’Union interparlementaire, basée à Genève, qui s’est efficacement battue en faveur du député tchadien Yorongar.
Et un bon point à l'Assemblée nationale française, qui a hébergé le député libéré, venu se soigner à Paris.
* Haro sur les trafics d’armes dites “légères” (d’un calibre inférieur à 100 mm) ! Ces pistolets, fusils, kalachnikovs, mortiers, etc. (au
moins 500 millions à travers le monde) causent plus de 80 % des victimes des conflits, en majorité des femmes et des enfants.
Une campagne internationale se dessine pour réglementer, enfin, leur vente et leur transport. Elle vise une conférence des Nations
unies en 2001 - comme celle d’Ottawa, qui adopta le Traité sur les mines antipersonnel (Libération, 03/03/1999). Les ONG britanniques
et norvégiennes se montrent particulièrement actives 1.
La place de Paris étant un pôle non négligeable de ces trafics, spécialement en direction de l’Afrique, Agir ici et Survie avaient fait
de leur contrôle l’un des quatre thèmes de leur campagne Sécurité au Sommet, insécurité à la base, menée à l’occasion du Sommet
franco-africain du Louvre. Un essai à transformer, pour que la société civile française rattrape ses homologues du nord de l’Europe.
1. Cf. BASIC, NISAT, Saferworld, Controlling the gun-runners, Briefing, 02/1999.
* Le baromètre annuel du CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement) nous apprend que seulement 3 % des
Français veulent diminuer l’aide aux pays les plus pauvres. 64 % veulent l’augmenter. Mais 81 % insistent pour que cette aide soit
mieux utilisée. Autrement dit, notre proposition d’une Haute autorité de certification de l’aide publique au développement serait
plébiscitée.
* Cela tombe bien : François Nicoullaud, patron du nouveau dispositif de coopération regroupé aux Affaires étrangères, est précédé
d’une réputation de rigueur. Il doit une bonne part de sa carrière à l’ex-ministre Pierre Joxe, discret et efficace président de la Cour
des comptes (La Lettre du Continent, 18/02/1999 et 04/03/1999) - aux antipodes d’un Roland Dumas.
Fausses notes
* Tandis que la guerre civile au Soudan poursuit ses ravages, par les fléaux des milices et de la faim, « Paris fait les yeux doux » à
Khartoum, où il est question d’installer RFI, « entre autres actions “avouables” » (La Lettre du Continent, 04/03/1999). Le syndrome de
Fachoda interférera-t-il dans les négociations de paix intersoudanaises, prévues en avril au Kenya ?
* La guerre érythréo-éthiopienne a tourné au carnage fin février, lors de la bataille de Badme. Il semble pour une fois quasi
impossible de trouver une responsabilité occidentale dans ce conflit. Autrement dit, ce n’est pas parce que des pays libérés
55
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
redeviennent acteurs de leur propre histoire qu’ils sont de bons acteurs.
* Ami de la France, le Premier ministre cambodgien Hun Sen ne veut pas entendre parler d’un procès des chefs khmers rouges,
génocidaires de leur propre peuple. Certes, le “boucher” Ta Mok a été arrêté. Mais ses pairs ne sont pas inquiétés.
Un mouvement international d’opinion se dessine pour mettre, là aussi, fin à l’impunité. Il ne faut pas compter sur les ténors de la
Francophonie, de Boutros Boutros-Ghali à Roland Dumas en passant par Jacques Chirac, pour anticiper ce mouvement.
Carnet
* Michel Pacary est décédé le 3 mars à l’hôpital parisien Léopold Bellan. C’était un virtuose des financements politiques
hexagonaux et françafricains - notamment dans “l’ingénierie de la dette” - et un grand-maître du chantage. Ceux qui ont lu le
“roman” de Denis Robert Tout va très bien puisque nous sommes en vie, dont nous avons longuement rendu compte (Billets n° 66),
devineront combien ce décès est opportun. Après celui de sa femme Chantal, dont la longue confession a inspiré Denis Robert.
* Mercredi 31 mars, à Lille, à 19h30, salle de la MEP, place G. Lyon, Survie-Nord et le CRDTM organisent une conférence Le
pétrole contre les peuples, avec Marie-Hélène Aubert, présidente de la mission parlementaire d'information sur les compagnies
pétrolières, Ghazi Hidouci, ancien ministre algérien, Ngarléjy Yorongar, député tchadien, et Annick Jeantet, Agir ici.
Contact : Anne Merckaert, 03 20 36 60 22
* Les 9 et 10 avril à Strasbourg, à la Maison des Associations, place des Orphelins, Survie-Alsace organise deux journées de
réflexion dans le cadre de la commémoration du 5ème anniversaire du génocide rwandais. Plusieurs invités africains et européens
interviendront sur les perspectives au Rwanda et les suites du rapport Quilès. Renseignements : 03 88 44 50 85
* Rappel : Le lundi 29 mars à 13 h 30, à la 17 ème chambre correctionnelle de Paris (Palais de Justice), procès de Charles Pasqua contre
François-Xavier Verschave, président de Survie.
L’ancien ministre estime diffamatoire un seul des treize propos tenus à son encontre dans La Françafrique (Stock, 1998). Nous citons
de nouveau l’objet de ce procès, le texte diffusé dans notre précédent numéro, extrait d’une version provisoire de l’ouvrage, étant
légèrement différent du texte publié, que l’auteur défendra le 29 mars : « Le ministre de l'Intérieur [Charles Pasqua] n'a pas hésité à
“couvrir” l'échange du terroriste amorti Carlos, établi à Khartoum, contre un appui aux opérations de “nettoyage ethnique” du
régime soudanais. Qu'un ministre de l'Intérieur ait pu mener, à l'aide de ses réseaux personnels, sa propre politique africaine et
arabe, nous en disait long sur le démembrement de la politique franco-africaine ».
La justice tranchera.
Un résumé des arguments de la défense peut être obtenu à Survie; dès le 30 mars.
(Achevé le 21/03/1999)
Erratum: Dans certains numéros, p. 1, lire Norbert Zongo et non Albert.
« C’est un particulier honneur d’être aujourd’hui au Tchad pour remettre à Son Excellence le Président Idriss Déby le diplôme
Honoris causa de l’École des Hautes études internationales [EHEI] [...] [créé pour] récompenser les hommes ayant œuvré pour la paix.
[...] Car vous avez mis fin à trente années de conflictualité dans ce pays. Vous avez réconcilié le Tchad avec lui-même et les
Tchadiens avec eux-mêmes [...].
Au moment où l’état sombre de l’afro-pessimisme règne en maîtresse, l’afro-optimisme doit également prévaloir et [...] vous en
êtes une démonstration. [...] Distinguer un homme tel que vous, c’est distinguer quelqu’un qui a la double légitimité des armes et des
urnes et qui a su faire passer son pays de l’usage des premières au fonctionnement des secondes. [...]
Une poignée d’hommes au 20ème siècle a écrit l’histoire militaire pour ensuite écrire l’histoire tout court de De Gaulle à
Eisenhower. Et Monsieur le président, c’est ce que vous avez fait. [...] La paix étant instaurée, vous avez fabriqué un État de Droit.
[...] Les élections de 1996 donnent à une quinzaine de candidats la possibilité d’être vos rivaux. Et c’est démocratiquement que vous
les battrez. [...] Vous comprendrez que cela suscite une admiration [...].
Le général De Gaulle [...] a écrit qu’un instant privilégié de l’existence est celui où l’on distingue plus grand que soi. C’est le
moment que je ressens à cet instant, Monsieur le président [...] ». (Pascal CHAIGNEAU, administrateur général de l’EHEI, le 22/02/1999).
[Un morceau d’anthologie, un incroyable mélange de flagornerie et de travestissement de l’histoire : la réconciliation des Tchadiens, « l’État de
droit » (cf. les incessants massacres commis par la Garde républicaine, où les mésaventures d’un Yorongar, minutieusement analysées par
l’Union interparlementaire), la « légitimité des urnes » (cf. Agir ici et Survie, Tchad, Niger : Escroqueries à la démocratie, L’Harmattan, 1996). Le niveau du
propos est peut-être fourni par la dernière phrase.
Pascal Chaigneau est un habitué de Billets. Dans la délégation qui l’escortait pour cette cérémonie, on trouve : l’ambassadeur Raymond
Césaire, qui “accompagna” la reprise du pouvoir par Denis Sassou Nguesso à Brazzaville ; Daniel Noël, président du Centre national des
Barreaux français (bonjour aux victimes du régime) ; et Philippe Cosnard, chef de cabinet du Secrétaire général du Gouvernement... ]
« M. André Berthol dit le plaisir et l’honneur du groupe d’amitié [France-Congo] de recevoir l’ambassadeur et la délégation
parlementaire dans les moments difficiles due travers le Congo [-B]. Il souhaite faire part des impressions qu’il a retirées de sa
56
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
mission à Brazzaville en décembre [1998] [...]. Il a tout d’abord constaté une réelle volonté de conduire le processus de reconstruction
politique du pays à son terme. (Compte-rendu de la réunion du groupe d’amitié France-Congo, 10/02/1999).
[Cette constatation est faite en décembre, juste avant les massacres à Brazzaville, et exposée sans repentir deux mois plus tard... ].
« M. Henri Lopes [ambassadeur du Congo] indique que des troupes angolaises interviennent dans le cadre d’une politique régionale [...].
Quant aux Tchadiens présents, ce sont quasiment des Congolais de souche ». (Ibidem). [Il suffisait d’oser cette “annexion”.]
« Ma participation à ce sommet [franco-africain du Louvre] [...] est effectivement une consécration. J’ai échangé des points de vue avec
[...] des hommes d’État de la stature de Jacques Chirac [...]. La France a constamment été à l’avant-garde de la lutte pour la liberté et
les droits de l’homme. [...] La France a fait preuve [...] d’une compréhension plus équitable des problèmes de notre continent. [...] La
France nous tend la main pour nous aider ». (Charles TAYLOR, ex-entrepreneur de guerre devenu président du Liberia. Entretien à Politique
internationale, hiver 1998-99).
[Il est des hommages meurtriers... ].
« Les hommes d’affaires français [...] ont pris des risques [lorsque je combattais dans le maquis] . Ce qui explique qu’ils aient aujourd’hui [au
Liberia] une longueur d’avance ». (Charles TAYLOR, ibidem).
[Un aveu des soutiens français à l’entreprise de guerre Taylor et Cie].
« [J’appelle de mes vœux une] coopération, à la place de ce que j’appellerais une rivalité rampante dans le passé ». (Olusegun
OBASANJO, nouveau président nigérian, en visite à Paris. In Libération, 19/03/1999).
[Cette rivalité joua malheureusement à plein au Liberia et en Sierra Leone - malgré beaucoup d’amitié pour le dictateur kleptomane Sani Abacha,
prédécesseur d’Obasanjo. Entendra-t-on l’appel de ce dernier?]
« [Au Cameroun,] l’attribution récente de nombreuses concessions et de ventes de coupes a été faite en violation de la réglementation et
en contradiction avec les projets financés par les bailleurs de fonds. La concession accordée à la Forestière de Campo/HFC, filiale du
Groupe Bolloré Technologies dans la réserve de Campo, gérée par le Fonds pour l’environnement mondial (GEF) et l’aide bilatérale
néerlandaise, en est un exemple. [...]
La coopération française [l’Agence française de développement, AFD] semble faire du dumping environnemental par rapport aux autres
agences de développement qui se sont interdit, par exemple, de financer des projets dans des forêts primaires ». ( Les Amis de la
Terre. Lettre du 05/03/1999 aux ministres de l’Environnement et de la Coopération à propos du Sommet de Yaoundé sur les forêts d’Afrique équatoriale, cosignée par
13 associations françaises, dont Survie).
[Aux confins du Cameroun, du Centrafrique, du Congo-Brazza et du Gabon subsiste l’une des forêts équatoriales les plus précieuses, un
écosystème unique par sa biodiversité. Des communautés locales en vivent. La région doit en principe être protégée d’une exploitation
indiscriminée (au Cameroun, cela relève plutôt du saccage). Visiblement, le groupe Bolloré a obtenu un passe-droit].
« [On assiste en Afrique] à une extension et une banalisation de la criminalité politique, [...] [ainsi qu’au] dédoublement de systèmes
sociaux entre un “pays légal” et un “pays réel” [...]. L’Afrique est reliée au reste du monde par une toile complexe de relations
marchandes informelles, souvent frauduleuses, qui ont généralement une forte connotation ethnique, confrérique ou “communaliste”.
Et, contrairement à ce qui se passe dans le reste du monde, les énormes profits des trafics ne sont pas réinvestis en Afrique. [...]
La criminalisation de l’Afrique menace la France et l’Europe. [...] Différents marchés de matières premières peuvent [...] permettre
de convertir en toute quiétude de l’argent liquide d’origine douteuse en actifs licites : les hôtels (Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée
Équatoriale), les casinos (Gabon, Cameroun, Côte d’Ivoire), le PMU et la loterie (différents pays de la zone franc), les pêcheries
(Guinée), les bureaux de change (Nigeria), les banques commerciales (Nigeria, Liberia, Bénin) et le commerce d’import-export [...]
remplissent cette fonction quasiment de notoriété publique [...]. L’image de la zone, comme celle de la France en Afrique, a souffert
de ces pratiques au cours de ces dernières années ». (Éric DANON, directeur de cabinet du ministre de la Coopération. Intervention au CHEAM. Citée
par La Lettre du Continent du 18/02/1999).
[Ainsi, ces propos ne sont pas extraits d’un texte de Survie - ou de Jean-François Bayart, qui produisit en 1995 un rapport mémorable sur le sujet.
Ils ont été tenus par le nouveau bras droit de Charles Josselin. Ils ne sont pas très diplomatiques à l’égard des pays cités, dont les régimes font
plus que tolérer ces dérives. Mais enfin, ils cessent de voiler la réalité - sans cependant s’attarder sur les correspondants français de cette
criminalité croissante et banalisée. Et si le ministère de la Coopération faisait du refus de cette banalisation un axe stratégique ?].
« [Ce qui se passe dans l’ex-Zaïre] me rappelle le partage de la Pologne en 1792. [...] Une perspective que l’on peut qualifier de
“carnivore”. [...] Il est évident que les alliés de Kabila, comme ses ennemis, se paient sur la bête. [...]
Les Africains perdent peu à peu leurs parlers traditionnels et s’habillent vaguement de jeans et de chemises. Quant à la religion, il
est clair que le christianisme et l’islam balaient les cultes tribaux. Du coup, que voit-on apparaître ? Des néo-ethnies comme les
Ninjas, les Cobras ou les Cocoyes, ces milices rivales, surgies lors de la guerre civile du Congo-Brazzaville ; ou encore les maï-maï
du Kivu. Faute de clivages de classes, inopérants au sein des économies paysannes marchandes, émergents des groupes aux noms
pittoresques, souvent empruntés à la pop-culture occidentale, à la télévision, aux films d’action américains, et dotés de leurs rituels
d’appartenance et d’exclusion. Ainsi les luttes prétendument ancestrales ont été transformées de fond en comble par une
modernisation mal digérée. [...]
Les Hutu peuvent exterminer les Tutsi : le contraire est impossible. [...] Or la tentative même d’éliminer un groupe dans sa totalité
a un impact psychologique massif sur le groupe en question. [...] Les Hutu ont probablement perdu 300 000 des leurs depuis 1994,
sans pour autant souffrir du complexe de génocidé car ils savent qu’ils ne disparaîtront jamais. Les Tutsi, eux, ont peur du néant. [...]
Psychologiquement, ce harcèlement [la persistance des incursions de rebelles hutu] relève de la continuation du génocide, au ralenti. [...] La
guérilla tue systématiquement tous les civils tutsi qu’elle croise. [...] Les Tutsis ne peuvent pas baisser la garde : ils savent que ceux
d’en face n’ont pas renoncé à les éliminer jusqu’au dernier. [...]
57
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
L’aide humanitaire [...] est aveugle parce qu’elle refuse la politique. [...] On fait du chiffre. Dans le cas du Rwanda, le dérapage fut
monstrueux : on a installé à quelques centaines de mètres de la frontière d’un pays gouverné par les rescapés du génocide, les
responsables dudit génocide entretenus à hauteur d’un million de dollars par jour... Un homme porte une lourde responsabilité dans
cette dérive : [...] Boutros Boutros-Ghali. [...]
Les bisbilles entre Français et Américains sur l’Afrique s’apparentent à des disputes de voyous dans une arrière-cour. Ce sont de
petites histoires, dont les acteurs sont de petites gens. [...] On peut parler, de part et d’autre, de dérives africaines, avec des initiatives
prises à des niveaux de responsabilité très bas, pour la bonne et simple raison que les supérieurs hiérarchiques ne s’intéressent pas à
la question. [...].
Tout un secteur de l’économie française, fort de ses appuis politiques tant au RPR qu’au PS, persiste à produire des éléphants
blancs [...]. Les Français étant perçus comme les derniers défenseurs des vieux dictateurs africains, on sent une montée de haine anti-
française dans l’univers francophone [...].
[Le] travail [de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda] s’est trouvé englué dans une série [...] de combats d’arrière-garde menés
par des gens qui, au Rwanda, se sont mouillés au-delà de l’imaginable et qui relèvent des tribunaux ordinaires. [...] Le pouvoir a
poursuivi des intérêts en partie fantasmatiques, en partie privés, et a involontairement amené la France à être complice du
génocide ». (Gérard PRUNIER, chercheur au CNRS. Entretien à Politique internationale, hiver 1998-99).
[Une série de propos peu contournés, qui ont le mérite d’ouvrir le jeu, comme on dit au rugby].
REMISE DE LA DETTE
« Proposer l’annulation totale de la dette extérieure n’a pas de sens. Au contraire, en vertu de critères éthiques et de justice, une
partie de la dette peut et doit être payée. Ceci afin de mieux défendre l’argument selon lequel l’autre partie de la dette est illégitime
et injuste. [...]
Comment identifier la part de la dette pouvant être considéré comme “injuste”, et comment garantir que les sommes libérées par
l’annulation de la dette soient utilisées à des fins sociales ?
Plusieurs propositions peuvent être faites :
- Appuyer la création d’une “commission internationale de vérité”, qui aiderait à exposer les responsabilités, tant des créanciers
que des débiteurs, par rapport à l’endettement.
- La mise en place de mécanismes internationaux de banqueroute qui garantissent un arbitrage indépendant des demandes des
débiteurs aux créanciers. [...]
- Des pressions sur les centres de pouvoir nationaux et transnationaux pour rendre transparents les processus d’endettement et de
négociation d’emprunts et de financements, gérés en relation avec les parlements et la société civile ». (Marcos ARRUDA, président
de l’Institut des politiques alternatives pour le cône sud, conseiller de la Conférence nationale des évêques du Brésil. Contribution à La Croix du 13/03/1999).
[La première phrase de cet extrait surprend d’autant plus qu’elle vient d’un supporteur de la campagne d’origine chrétienne Jubilee 2000. En fait,
celle-ci vise d’abord le cas des pays les plus pauvres, dont le Brésil ne fait pas partie. Si nous sommes très en accord avec les propositions
d’Arruda, notamment celle d’une « commission internationale de vérité » qui combattrait vraiment les ressorts infernaux de l’endettement, il faut
sans doute admettre pragmatiquement - suivant un raisonnement analogue à celui développé plus haut par Michel Sitbon - que dans les cas
extrêmes (les pays très pauvres et très endettés), on n’a pas le temps de mettre en place de bonnes solutions. Il faut alors choisir entre une
mauvaise solution (l’annulation, avec ses évidents effets pervers lorsque le pouvoir en place est fauteur d’endettement à son profit) et une pire
(l’explosion ou l’implosion).
Cela n’en rend que plus nécessaire la mise en place d’un dispositif d’arbitrage (même si à son propos il faudra peut-être diplomatiquement
éviter le terme de « banqueroute ».]
« Madame, Monsieur,
Vous êtes signataire de l’appel paru dans Le Figaro, le 10 mars. [...] Toutes les estimations convergent aujourd’hui pour dire que la
famine nord-coréenne [...] a fait au moins deux millions [de morts]. Les enquêtes réalisées auprès de réfugiés à la frontière chinoise
permettent en fait de conclure que ce sont entre trois et cinq millions de personnes qui sont mortes.
Dans ces conditions, [...] on peut considérer que l’ensemble de la Corée du Nord aujourd’hui est un vaste camp de concentration où
de vastes pans de la population deviennent des “musulmans”, ainsi qu’on appelait les déportés les plus affaiblis à Auschwitz.
Quant aux véritables camps de concentration dont vous vous indignez à juste titre [...], il est à craindre qu’il n’y reste plus grand
monde de vivant : voilà plus de deux ans que le régime avait annoncé qu’il ne “servirait” plus les rations alimentaires de ces camps.
[...]
[Les] catastrophes naturelles se sont ajoutées à une autre catastrophe : la fin de l’aide qu’apportaient à ce pays socialiste d’autres
pays socialistes, en particulier l’URSS et la Chine. C’est en fait depuis que ce dernier pays a cessé de pratiquer le troc socialiste au
bénéfice de la Corée du Nord, réclamant des devises en échange des marchandises à partir de 1993, que rien ne va plus dans ce pays.
[...] Si les immenses fermes collectives sont devenues une catastrophe, [...] [c’est] parce que l’essence manque pour faire tourner les
58
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
tracteurs. [...]
L’oppression [...] que vous dénoncez [...] est indiscutable. [...]
Vous appelez à la tenue d’une conférence internationale sur le sort du peuple nord-coréen, et votre initiative mérite d’être saluée,
mais vous proposez simultanément [...] qu’elle consiste à définir les “conditions” de ce que vous appelez “une aide efficace”.
Préjugeant des conclusions auxquelles pourrait aboutir une telle conférence, vous suggérez quelles devraient être, selon vous, ces
“conditions”. [...] Votre initiative n’a pas de précédent historique. Depuis que la solidarité alimentaire est un principe fondateur de la
communauté des nations, jamais jusqu’à présent personne n’avait osé poser des conditions idéologiques ou militaires à l’octroi de
l’aide internationale. [...]
Dans le cas de la Corée du Nord, après avoir [...] nié la famine, voilà trois ans que la communauté internationale, exactement
comme vous le faites, pose des conditions à l’octroi d’une aide complète. [...] Si les gens meurent de faim aujourd’hui en Corée du
Nord, [c’est] en raison de l’insuffisance de l’aide internationale [...], mégotée, livrée au goutte-à-goutte [...] pour des motifs
idéologiques et militaires. [...]
Le Programme alimentaire mondial (PAM) [...] réclamait [en 1998] 600 000 tonnes [de céréales] et seulement 393 000 tonnes ont été
livrées. Or, [...] la récolte ayant été spécialement mauvaise, il y avait besoin de 2 millions de tonnes ! [...] Pour l’année 1999, [...] on
estime qu’il faudrait acheminer au minimum 1,05 million de tonnes [...]. Le PAM a lancé un appel pour 500 000 tonnes, moins de la
moitié. C’est tout. C’est absurde, mais cela a l’avantage de la clarté. [...]
Lorsque vous proposez qu’un régime renonce à ses fondements - au socialisme, à la dictature et à la coercition policière -, vous
avancez des objectifs certes souhaitables. Mais si ce que vous proposez est de conditionner l’aide alimentaire à cette évolution,
j’espère que vous avez bien conscience que votre proposition consiste à condamner à mort des millions de Nord-Coréens qui
n’auront pas à manger tant que leur régime ne conviendra pas aux idéologues du Pentagone et de Saint-Germain-des-Prés.
Excusez la vivacité de mon propos, mais il y a quelque chose de terriblement affligeant à voir comment le monde prospère est
capable de laisser mourir des gens par millions sous des prétextes pseudo-stratégiques simplement stupides. Quant au débat
idéologique, il est certes intéressant, mais pour le moins déplacé. La vraie question posée par la famine en Corée du Nord est
d’analyser pourquoi et comment l’ensemble de la communauté internationale et les multiples organismes humanitaires qui ont eu à
s’intéresser à ce dossier ont pu se soumettre comme un seul homme à ces présupposés idéologiques et stratégiques [...], [quels]
moyens de manipulation [...] [ont pu] aboutir à ce que tout un chacun mette en veilleuse les sentiments humains les plus élémentaires
[...].
Votre appel [...] intervient au moment où, finalement, après trois ans d’un négationnisme acharné, la communauté internationale ne
peut plus nier que l’on meurt en Corée du Nord. Dans le contexte des mécanismes idéologiques pervers qui fabriquent cette famine,
vous ne faites que proposer de prolonger le calvaire des Nord-Coréens. [...]
Le régime de monsieur Kim-Jong-il n’est pas de nature à se réformer par la grâce d’une sainte apparition. [...] Pour aller au bout de
votre logique, [...] [il faudrait donc qu’] une conférence internationale [...] opte pour une intervention militaire. [...] Il y a deux
interventions possibles : l’une américaine, [...] l’autre [...] chinoise [chacune déclenchant probablement le veto de l’autre partie]. [...]
Ne rêvons pas : sauf miracle, il faut faire avec le régime de Corée du Nord tel qu’il existe aujourd’hui, quels que soient nos
réticences et notre dégoût à collaborer avec un tel État. Car je crains qu’il ne faille pas non plus attendre une révolution en Corée du
Nord. [...] La famine [...] n’est pas un moteur de subversion. [...] Les gens, [...] affaiblis jusqu’à la plus extrême limite, n’ont les
forces que de chercher à manger. [...]
Kim-Jong-il l’a déclaré publiquement [...] : les deux-tiers de la population peuvent mourir, le socialisme n’en souffrira pas. [...] La
situation lui convient très bien. [...]
Si l’on voulait voir ce pays évoluer, comme vous le réclamez, il faudrait [...] apporter sans condition toute l’aide nécessaire. Pas
moins. Et un peu plus ne serait pas mal venu pour aider à la reconstruction de ce pays en lambeaux. Ainsi peut-être pourrait-on
imaginer que la Corée du Nord évolue - le ventre plein. [...] ». (Michel SITBON, Observatoire de la famine en Corée du Nord, lettre aux
signataires ci-dessus).
[Si nous avons publié de longs extraits de ce débat, c’est d’abord parce qu’il touche à un drame d’une ampleur inouïe, et incroyablement
minimisé jusqu’ici. (Avisés déjà par Michel Sitbon, nous avions pour notre part titré Alerte en Corée du Nord en février 1998 (n° 58), et tenté sans
succès de motiver le monde humanitaire). Il est probable que la faim en Corée du Nord, et son cortège d’horreurs, ont déjà fait plus de victimes
que les Khmers rouges.
Ensuite, il s’agit ici de questions vraiment fondamentales. Le régime nord-coréen est parfaitement haïssable : Michel Sitbon en convient autant
que les signataires du Figaro. Mais la question est celle du sauvetage de millions de Nord-Coréens. Elle serait certes facilitée par la chute du
régime. Mais celle-ci peut prendre encore quelques années, et Michel Sitbon affirme que le coût humain d’une aide réduite et conditionnée serait
insupportable. Nous sommes d’accord avec lui. D’autant que les signataires ne nous montrent pas comment leurs propositions pourraient
rapidement aboutir à la chute ou la transformation de la dictature honnie, et que des Nord-Coréens mieux nourris y contribueraient sans doute
davantage]
Appel pour faire toute la lumière sur les interventions françaises au Rwanda
Dès le mois d'avril 1998, le Comité Vérité sur le Rwanda avait appelé à la création d'une Commission d'enquête
chargée de faire toute la lumière sur l'implication de l'État et de ses représentants dans les événements ayant conduit au
génocide de 1994. La création d'une Mission d'information parlementaire et le travail effectué par celle-ci ne constituent
que la première étape pour répondre à cette exigence.
Aujourd'hui, s'impose plus que jamais la création d'une commission d'enquête parlementaire. Elle doit
poursuivre les travaux de la mission d'information sur tous les points non éclaircis. En particulier, elle doit faire
59
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
toute la lumière sur les réseaux non institutionnels qui ont joué un rôle essentiel dans la politique de la France au
Rwanda.
Un mois après la publication du rapport de la Mission d'information parlementaire, le Comité Vérité sur le Rwanda
prend acte d'avancées réelles sur le chemin de la vérité. La Mission a identifié les acteurs officiels et pour la première fois,
ceux-ci se sont publiquement et longuement exprimés sur la tragédie rwandaise. La masse considérable de documents
qu'elle a exposée constitue une indéniable contribution à la recherche de la vérité dans la mesure où elle permet de poser
de pertinentes questions.
Malgré les moyens limités d'investigation d'une “mission d'information”, malgré les embûches dressées de toutes parts,
les auteurs du rapport ont réalisé un travail important. Il répond en partie au malaise de l'opinion publique, consciente des
dysfonctionnements de l'appareil d'État français qui ont abouti à l'implication de notre pays dans les préparatifs du
génocide de 1994.
Cependant, les auteurs du rapport reconnaissent eux-mêmes que de nombreuses questions restent en suspens. Certains
acteurs de premier plan de cette tragédie, notamment l'ex-capitaine Paul Barril, n'ont pas été auditionnés. La Mission
d'information n'a pas enquêté sur les réseaux non gouvernementaux de ventes d'armes animés par des Français et qui ont,
de notoriété publique, violé l'embargo décidé par les Nations unies. Des témoins de mauvaise foi n'ont pas été confrontés
avec d'autres acteurs du drame qui pouvaient contredire leurs déclarations, ni amenés à témoigner de nouveau devant une
mission mieux informée. Les parlementaires français se sont refusé à interroger d'autres témoins essentiels, rescapés ou
représentants d'ONG spécialisées dans l'analyse du génocide. Plusieurs moments clefs du drame rwandais sont éludés :
printemps 1991, décision de l'Élysée d'appuyer sans réserve le régime Habyarimana ; septembre 1992, caution élyséenne
aux leaders de la CDR ; printemps 1993, expression publique de l'appui à la ligne du “front hutu” (c'est à dire le Hutu
Power), notamment lors de la mission Debarge à Kigali ; avril à juillet 1994, poursuite des liens avec le gouvernement
Kambanda jusqu'à son exfiltration de Gisenyi, en passant par la réception à Paris de ses représentants.
Divers réseaux agissant au Rwanda et pourtant facilement accessibles, comme celui du Conseil général du Loiret, n'ont
même pas été mentionnés et encore moins explorés. Enfin la mission n'est pas parvenue à identifier les auteurs de l'attentat
du 6 avril 1994, qui a notamment coûté la vie à trois agents français. Elle reconnaît elle même s'être heurtée à des
manœuvres de désinformation qui exigeraient une enquête plus approfondie.
Vérité sur le Rwanda vous invite à signer cet appel afin d'obtenir qu'une Commission d'enquête parlementaire,
dotée de prérogatives judiciaires, puisse mener la tâche à son terme.
Le Comité demande également la publication in extenso de toutes les auditions tenues à huis clos, et des
transcriptions des enregistrements de toutes les auditions, publiques ou à huis clos.
Premiers signataires : Cédétim, CRIDEV, Commission Afrique MRAP, Frères des Hommes, Médecins du Monde,
Survie, Vigilance-Rwanda/Vigilance-Afrique
Noble Akam, Marinette Allibaert, Hélène d’Almeida-Topor, Marie-Catherine Andreani, Christiane Andren, Daniel Bach,
Jean-Yves Barrère, Béatrice Barthélémy, Hermine Bayramian, Miguel Bensayag, Philippe Biget, Marta Biecher, Antoine
Billaud, Jacqueline Bitti, Pierre-Marie Bosc, Christian Bourdel, Hélène Bourdeloie, Michel Cahen, Jean Carbonare,
Christine Cazenave, Monique Chastanet, Chantal Chaussy, Jean-Pierre Chrétien, Catherine Coquio, Christian Coulon,
Sharon Courtoux, Jean-Olivier David, Élisabeth Diaz-Batt, Michel Dulcire, Jean-François Dupaquier, Benoît Dupin,
Annie Faure, François-Xavier Fauvelle, Dominique Franche, Mabel Franzone, Dominique Gentil, Anne Hugon, Marcel
Kabanda, José Kagabo, Elsa Laguzzi, Paul Laguzzi, Émile Le Bris, Maurice Lemoine, Étienne Le Roy, Michel Levallois,
Line Mac Kie, Gustave Massiah, Pasteur Jacques Maury, Jean-François Médard, Denise Mendez, Annie Moncade, Marie-
France Palueau, Sandrine Perrot, Michel Pescay, Mireille Pierlas, Ester Praino, Patrick Quantin, Alain Ricard, Daniel
Roussière, Denis Sautier, Élinore Shaffer, Sadek Sellam, Jeanne Servent, Francis Simonnet, Sophie Thonon, Comi
Toulabor, François-Xavier Verschave, Jacqueline Viviès, Irving Wohlfarth, Julie Wornan, Jean-Michel Yung...
Afrique Express, Le double jeu français, 04/03/1999 : « Deux journaux sierra-léonais, The Democrat (gouvernemental) et For di
people (indépendant) ont récemment accusé la France d’agir “par procuration dans la guerre contre la Sierra Leone”.
60
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
“Les intérêts commerciaux et impérialistes français sont les véritables instigateurs cachés de l’attaque contre Freetown et des
guerres menées par les rebelles au Liberia et en Sierra Leone”, écrivit For di people. [...] Pour The Democrat [...], “il est clair que la
déstabilisation de la sous-région sert les intérêts français, et il ne fait pas de doute que nous en aurons un jour la preuve évidente ”.
[...]
Un responsable politique sierra-léonais a récemment estimé que “le Burkina Faso n’est pas assez riche pour supporter à lui tout
seul l’insurrection en Sierra Leone. Et quand le RUF demande que Compaoré soit impliqué dans des pourparlers de paix, c’est un
peu énorme ! La France apparaît clairement derrière” [...].
L’insistance du général Eyadema, le président togolais, à vouloir jouer les “médiateurs” dans les conflits sous-régionaux, outre que
cela lui permet de faire “oublier” son élection contestée, peut paraître quelque peu suspecte, tant il est difficile d’imaginer que les
initiatives diplomatiques du président Eyadema ne soient pas en phase avec les intérêts français ».
Notes d’information du réseau Voltaire, La DPSD, 01/03/1999 : « La Direction de la protection et de la sécurité de la Défense
(DPSD) a été créée par décret le 20 novembre 1981. Elle remplace la Direction de la sécurité militaire. [...] Elle emploie environ
1 600 hommes, principalement recrutés parmi les sous-officiers et officiers de marine. Il s’agit du service le plus secret et le plus
puissant de l’appareil d’État, puisqu’il dispose de pouvoirs d’investigation illimités.
Parmi ses attributions, la DPSD est maître des habilitations “Défense”, et à ce titre, peut mettre instantanément un terme aux
carrières civiles et militaires liées à la Défense. Elle est également en charge du signalement des trafics d’armes et des recrutements
de mercenaires ».
[S’agissant de ces trafics et recrutements, très répandus en Françafrique, de deux choses l’une : soit la DPSD ne voit rien, utilisant bien mal (ou à
autre chose) ses « pouvoirs d’investigation illimités » ; soit elle signale, mais le pouvoir exécutif, cautionnant ces pratiques, ne veut rien voir.
Parmi les professionnels vulnérables à un retrait instantané de l’habilitation “Défense”, il y a les journalistes spécialisés dans la “chose”
militaire. Ce qui relativise leur liberté d’expression.
On est assez inquiet d’apprendre, du Réseau Voltaire, les noms de deux anciens (?) officiers de cette « sécurité militaire » fort peu connue et
contrôlée : le bras droit de Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnish, qui fut secrétaire général des Centres d’études et de recherches de la Défense ; et
Bernard Courcelle (BC), fondateur de la milice du Front national, le... DPS (Département protection sécurité).
Cet ancien officier de la “coloniale” (au 6 ème RPIMa) fut de 1990 à 1993 le responsable de la sécurité du musée d’Orsay, où travaillait la
compagne de François Mitterrand, Anne Pingeot.
En 1983, il a travaillé pour le Groupe 11, la “société de sécurité” fondée par son frère Nicolas - mêlée, en 1996, au recrutement de mercenaires
français d’extrême-droite pour Mobutu. En visite à Paris fin février, le ministre de l’Intérieur de Sassou Nguesso s’est vu proposer les services de
ce même Groupe 11 (La Lettre du Continent, 04/03/1999).
BC a été aussi mêlé aux affaires comoriennes. Sa sœur aurait travaillé à l’hôtel Galawa Sun (voir Salves) et son beau-frère pour la Garde
présidentielle montée par Bob Denard. En Tchétchénie, selon un témoin, BC a déclaré au général Doudaïev : « Nous avons tout : l’“expertise”,
des amis pilotes prêts à se dévouer pour votre cause moyennant des prix modiques. Et, en Croatie, on trouve des armes pour trois fois rien ».
De quoi Bernard Courcelle était-il officiellement chargé à la DPSD ? « De la surveillance des trafics d’armes et des mercenaires »... Et
officieusement ? De créer Front sans Frontières ?
Un rapport parlementaire, rédigé par le député socialiste Bernard Grasset, s’inquiète des « tentations extrémistes » au sein de l’armée et
dénonce le « risque de voir un esprit malsain s’emparer » des lycées militaires et des classes préparatoires aux écoles d’officiers. Le rapport est
pris très au sérieux au ministère de la Défense (L’Événement, 04/03/1999)]
Le Canard enchaîné, Le feuilleton Elf-Joncour-Dumas peut encore réserver des surprises, 10/03/1999 : « Avec inquiétude ou
gourmandise, c’est selon, l’Élysée et Matignon guettent l’arrivée chez les juges parisiennes d’une liste de 300 comptes suisses
numérotés et des quelque 100 bénéficiaires des largesses d’Elf qui y ont émargé.
À l’Élysée, on espère que des lieutenants de Pasqua et des mitterrandiens en prendront ainsi pour leur grade. À Matignon, on se
rassure en pensant que des proches de Juppé et des amis africains de Chirac vont aussi être mouillés ».
DE LAGOS A KINSHASA
Le Nouvel Observateur , Nigeria : la révolte des sans-pétrole, 11/03/1999 (Laurent BIJARD) : « Pour les généraux nordistes qui se sont
succédé au pouvoir [...], les populations du delta sont toujours apparues comme des trouble-fête du business, et même comme des
“terroristes” à éliminer. [...] Sur cette fabuleuse éponge à pétrole que représentent les 20 000 kilomètres carrés du delta du Niger, la
révolte gronde. La région donne au Nigeria 80 % de son PNB et 95 % de ses recettes d’exportation. Mais les ethnies qui peuplent le
delta ne supportent plus de vivre dans une misère absolue, sans eau potable, sans électricité, et réclament leur part du gâteau
pétrolier. [...] La pollution fait d’effrayants ravages parmi la population. Le vaste réseau de pipelines installé il y a vingt ans se
fissure. La multiplication des torchères, des stations de pompage, mais aussi des mouvements de tankers met en péril les zones
fermières et les eaux traditionnelles de pêche. [...]
Après avoir déclaré certaines compagnies pétrolières “indésirables” dans le delta, les combattants ijaw sont passés à la guérilla.
[...] Dans les états-majors des compagnies, l’heure est à la réflexion [...]. C’est que le temps presse. [...] La production a baissé de
400 000 barils par jour. [...] Le matériel de forage - souvent loué à prix d’or - est abandonné dans les marais. Enfin, l’exploitation
nouvelle du gaz liquéfié exige un minimum de sécurité. Elf se voit ainsi forcée de négocier avec l’ethnie Egi son énorme projet
d’Obite ».
[On comprend après cela les réticences des populations du Sud tchadien concernées par le projet pétrolier de Doba. Le projet gazier d’Elf à Obite
est très bénéfique pour l’environnement (il évite de brûler les gaz à la torchère). Mais qu’Elf apprenne à négocier avec les populations locales,
voilà qui est encore plus bénéfique].
Le Monde, M. Kabila forme un nouveau gouvernement en République démocratique du Congo, 16/03/1999 (Frédéric FRITSCHER) : « Les
partisans les plus fidèles du chef de l’État se plaignent du “manque de lisibilité de la politique” menée par M. Kabila et de
61
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
“l’incohérence des décisions” prises à grand renfort de décrets-lois, qui “nuisent à la crédibilité du régime”. [...]
Au sein même des cabinets ministériels et des organismes publics, des conseillers et des hauts fonctionnaires expérimentés peinent
à faire fonctionner la machine Congo. Ils commencent à parler, à faire connaître leur mécontentement, ils ont joué le jeu jusqu’à
présent, avec honnêteté. Mais ils aspirent tous maintenant à un changement rapide et radical. Et ils sont unanimes : aucun d’entre
eux n’imagine l’avenir du pays avec Laurent-Désiré Kabila ».
Info-Congo/Kinshasa (Montréal), Conférence de Montréal pour la paix en RDC, 28/02/1999 : « Les 29 et 30 janvier s’est tenue à
Montréal une Conférence pour la paix durable et le développement démocratique en République démocratique du Congo [...]. Une
centaine de personnes ont pris part aux travaux : des représentants de la société civile congolaise, de plusieurs partis et organisations
politiques congolais, des Églises (dont Mgr Monsengwo), ainsi que des observateurs représentant le gouvernement et des ONG
canadiens, et des personnalités indépendantes.
L’aspect le plus frappant de cette conférence a sans douté été la prise de conscience du fait que la plupart des forces de la RDC
étaient parvenues à un consensus, qui s’est exprimé par les recommandations suivantes :
Inclusion à la table de négociation des forces démocratiques non armées et de la société civile, incluant le gouvernement et le
RCD [la rébellion].
Libération des prisonniers politiques et d’opinion et libéralisation non restrictive des activités des partis politiques.
Convocation sous les auspices internationaux d’un Forum de dialogue interne ou Table ronde.
Fin rapide de la guerre.
Déploiement d’une force internationale d’interposition et de maintien de la paix et mise en place d’une mission internationale
d’observation pour superviser le retrait des troupes étrangères et accompagner le processus de mise en place d’une armée nationale et
des institutions démocratiques.
Utilisation d’un cadre juridique appelé Constitution transitoire.
Établissement par le Forum d’une commission constitutionnelle chargée d’adapter le projet de constitution de la CNS [Conférence
nationale souveraine, réunie en 1990].
Implication de la population dans le processus de recherche de la paix et de la relance du processus de développement
démocratique à travers les états généraux au niveau des communes.
Il faut ajouter que les participants ont unanimement refusé la partition du pays, exigé la démobilisation des enfants-soldats et
proclamé illégale et illégitime la prise de pouvoir par la force et les armes ».
[Ce “consensus” traduit un mouvement de fond de la société congolaise. L’avoir ignoré est sans doute la cause principale de l’échec de Kabila].
LIRE
Djillali HADJADJ, Corruption et démocratie en Algérie, La Dispute, 1999, 305 p.
Il s’agit à notre connaissance du premier vrai travail sur un sujet à haut risque : la corruption en Algérie. Car l’autre volet du titre, la
« démocratie », reste proscrit - même si, pour l’auteur, c’est la seule issue. Si une bonne partie des élites et des cadres intermédiaires ont adhéré au
“self-service public”, privant de nourriture et de soins leurs compatriotes, d’autres (journalistes, magistrats, fonctionnaires) continuent de résister.
Parfois au prix de leur vie. La population aussi, à sa manière. Elle s’était reconnue dans le combat, avorté, du président Boudiaf - assassiné pour
s’être attaqué au “syndicat du crime”.
Cette première exploration - par un médecin-journaliste, ancien d’ El Watan - est donc irremplaçable. D’autant qu’elle se double d’une mise en
perspective historique. Les aperçus sur les mafias de la santé et de l’agroalimentaire sont saisissants.
L’Algérie paie ses médicaments (près de 3 milliards de FF par an) jusqu’à vingt à cent fois plus cher que ce que pourrait lui proposer l’Unicef.
La différence est partagée entre les réseaux importateurs, formés de proches parents des généraux, et par les groupes pharmaceutiques ainsi
introduits. À commencer par Sanofi (filiale d’Elf) et Mérieux. Avec plus d’un milliard de FF engloutis dans une usine-fantôme, la production
locale est soigneusement sabotée, et ses adeptes menacés, voire assassinés. « L’Algérie est le seul pays au monde qui ne négocie pas le prix des
produits pharmaceutiques à l’importation ». Les textes réglementaires à ce sujet relèvent de l’« anthologie mafieuse ».
Même “régime” dans l’importation des denrées alimentaires - parfois avariées. Une pharmacienne qui avait décelé des streptocoques fécaux dans
du lait infantile a été écartée du laboratoire de contrôle. La production algérienne de concentré de tomate est découragée. Les circuits
d’approvisionnement en semoule ou en pâtes sont verrouillés. En ce paradis des bonnes “affaires”, la Françafrique reste en pole position, grâce au
lubrifiant de “l’aide au développement”. Mais les Américains ne sont pas loin, ni même les mafias russe et italienne.
Beaucoup, en Europe, manifestent une sollicitude sincère envers l’Algérie. Ils devraient lire ce livre, puis participer à une tâche prioritaire : la
dénonciation des liens de complicité avec les saigneurs de ce pays. Qui, bien évidemment, tiennent sous haute surveillance le scrutin présidentiel
du 15 avril.
Conscience et résistance, Népotisme et potentiels de désordre en Mauritanie. De l’architecture de la spoliation aux espaces de violence ,
Nouakchott-Paris-Bruxelles, 02/1999, 16 p.
Ce groupe d’opposants mauritaniens (« cellule de liaison et de prospective pour une transition radicale ») produit là un document époustouflant de
précision sur la dictature prédatrice du colonel Ould Tayah - ses réseaux claniques de répression et de pillage. Tout l’organigramme du pouvoir
réel est fourni. Est exposé le rôle des membres de la famille du Président, et de puissants personnages tels que les hommes d’affaires Mohamed
Abdallahi Ould Abdallahi (« la Mauritanie, c’est moi ! ») et Abdallahi Ould Noueigued. Sont démontés les rouages de la corruption dans la pêche,
les transports, les banques, les assurances, l’importation. Sont situés les trafics d’armes, de devises. La mise en coupe est quasi totale, l’appareil
de répression impitoyable.
Ce qui n’empêche pas l’aide publique française par habitant d’être l’une des plus importantes en Afrique ; ni les tortionnaires du régime de faire
de fréquents séjours en France.
Au fil des notes, d’ailleurs, défilent les relations du clan à Paris : Jean-Christophe Mitterrand, Charles Pasqua, Vivendi, Bolloré, l’AFD (Agence
française de développement), ...
62
Billets d’Afrique N° 69 – Avril
1999
- Le “cas” Barril
- Services secrets
- “Privés” et mercenaires
- Trafics d’armes via la France
- Une présence militaire imposée
- Indésirable Cour pénale internationale
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019
DÉPÔT LEGAL : AVRIL 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 95 F (ETRANGER : 120 F)
63
BILLETS D’AFRIQUE N° 70 - MAI 1999
BRÛLURES
Il est des mois où l’actualité brûle, dans tous les sens du terme. Trop d’événements, de morts, de bombes, de feu, inciteraient
l’éditorialiste à passer son tour plutôt que se livrer au prétentieux exercice du sens. Quelques brèves remarques cependant.
Le Kosovo n’est pas si loin de l’Afrique, comme l’observe Wole Soyinka (Ils ont dit).
Le coup d’État au Niger n’était pas au programme. Il perturbe l’alignement des généraux-dictateurs dans les ex-colonies
françaises.
Pour tenter de sauver le pire d’entre eux, Denis Sassou Nguesso, on a vu monter au créneau, avec Bernard Courcelle (ancien chef
de la “garde présidentielle” de Jean-Marie Le Pen), l’extrême-droite barbouzarde.
À Djibouti, ce sont les généraux français qui gouvernent quasi en direct. À force d’être maltraités, les opposants ont recours à
l’arme ultime, la grève de la faim. Là-bas et ici. Survie lance une campagne de cartes postales urgente pour les soutenir (ci-joint).
Cinq ans après, le génocide rwandais est rappelé à notre souvenir par un livre-monument, Aucun témoin ne doit survivre. Nous en
rendons compte longuement. On n’a pas fini d’apprendre de cette tragédie.
Pour ceux qui aimeraient prendre un peu de recul face à cette actualité ardente, Survie propose le 8 mai une série de débats sur
l’avenir politique de l’Afrique, avec dix acteurs africains plus “civils” (voir “Carnet”).
SALVES
Djibouti sous la botte
Avant même de remplacer le vieux président Hassan Gouled Aptidon, Ismaël Oumar Guelleh était l’homme fort du régime clanique
djiboutien. Son élection frauduleuse, début avril, a été célébrée par la Françafrique militaire et civile (Jacques Chirac en tête). Elle
vient verrouiller un système d’oppression et d’apartheid - décrit dans le document annexé à ce numéro de Billets.
Désespérés par les conditions de détention inhumaines qu’ils subissent, 44 prisonniers politiques ont engagé depuis le 29 mars une
grève de la faim, imités à Bruxelles et Paris par 25 de leurs parents et amis en exil.
On ne peut le cacher : Djibouti est aujourd’hui un protectorat militaire tricolore. La responsabilité de Paris est directement engagée
dans le mépris des droits de l’homme qui y sévit. Même s’il faut questionner la présence d’une base militaire de plus de 3 000 soldats
français, ce qu’ils cautionnent là-bas n’est pas tolérable. Au point que le Parti socialiste a tenu à exprimer « sa vive préoccupation »
(20/04/1999). Tandis qu’André Soulier, président de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, réclamait des
« procès justes et équitables, ainsi que l’accès aux soins médicaux ».
En solidarité avec les grévistes de la faim, déjà très affaiblis après un mois de jeûne, Survie propose d'adresser d'urgence aux
responsables politiques français les cartes postales jointes à ce numéro de Billets.
Ambassadeurs à contresens
Un certain nombre d’ambassadeurs de France dans les ex-colonies françaises se comportent clairement, en fait, comme les
propagandistes des régimes auprès desquels ils sont envoyés, et leurs avocats à Paris (quitte à enjoliver les réalités locales).
Ainsi, l’ambassadeur à Djibouti a fait la campagne du candidat Guelleh. Son confrère à N’Djamena s’est fait l’auxiliaire du régime
Déby. Celui de Brazzaville voudrait ignorer les massacres à sa porte. Celui de Conakry fustige les journalistes critiques du régime
Conté (Billets n° 66).
Ils ont eu, de 1990 à 1994, de glorieux prédécesseurs à Kigali...
« Accident » à Niamey
Le 9 avril, le président nigérien Ibrahim Baré Maïnassara, surnommé IBM, est assassiné par sa garde sur l’aéroport de Niamey. Il
venait de subir à nouveau un désaveu massif des électeurs, mais refusait de quitter le pouvoir. Après de longues tractations, le chef
de la garde, le commandant Daouda Mallam Wanké, est nommé à la tête d’un Conseil de réconciliation nationale. Une concertation
s’établit avec les partis politiques. Des élections sont annoncées sous 9 mois. Le premier ministre, reconduit, parle d’un
« malencontreux accident » (!).
Prurit d’intervention
Trois ans plus tôt, le général Baré, poulain de Jacques Foccart, “frère” de Jacques Godfrain et de Michel Roussin, avait renversé la
démocratie nigérienne. Son putsch bénéficiait d’évidentes complicités françaises. La coopération franco-nigérienne, brièvement
suspendue (5 semaines), reprit en fanfare. La coopération constitutionnelle et électorale, surtout. Elle permit au putschiste de se faire
sacrer Président, au terme d’une parodie de scrutin presque sans précédent en Françafrique (où la fraude est de règle), tant fut
brutalisé le suffrage populaire 1.
Les partis politiques opposés à ce Président auto-élu conservaient cependant la confiance de plus des trois-quarts de l’électorat.
Jusque dans les dernières élections locales : ils y auraient largement triomphé sans une série de réactions violentes du camp IBM (cf.
Billets n° 68), puis l’annulation de nombre de leurs succès par la Cour suprême. Mais la France officielle et officieuse continuait, contre
les Nigériens, de considérer qu'IBM était le meilleur Président possible pour le Niger.
On ne peut se réjouir que l’ex-putschiste ait été tué lors du putsch du 9 avril. On est cependant très étonné par la différence des
réactions à Paris et à Niamey. Les virulentes condamnations françaises signifient surtout que le coup d’État, plutôt bien accueilli par
l’ensemble des partis que brimait IBM, n’est pas le fait de militaires protégés ou autorisés par Paris.
1. Cf. Agir ici et Survie, Tchad, Niger : Escroqueries à la démocratie, L’Harmattan, 1996.
64
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
La France dénonce le coup d’arrêt au « processus de démocratisation en voie d’achèvement » - un processus qui piétinait le vote de
80 % des citoyens nigériens. Elle promet une diète sévère des crédits de coopération. Et elle s’inquiète de voir le Niger livré à des
officiers « jeunes et inexpérimentés ». Comme si se fourbissait un contrecoup avec des officiers « mûrs et expérimentés », bien en
cour à l’Élysée et à l’État-major parisien.
Ces hauts lieux de la démocratie par procuration (on y saurait mieux que les Africains ce qui est bon pour eux) sortiraient
volontiers de leur manche l’équivalent d’un Sassou Nguesso - ce général dont on sait à quel point il fait le bonheur du Congo-Brazza.
Pour parfaire la mobilisation françafricaine, on répand que le putsch serait inspiré par les Américains...
Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour ou contre le pouvoir qui s’est installé à Niamey. Nous observons seulement qu’il bénéficie,
chez les démocrates nigériens, d’une attitude d’expectative non hostile. Ils sont sensibles, en particulier, à la réputation d’intégrité du
commandant Wanké - alors que le clan IBM sombrait dans l’affairisme. Dans ces conditions, une agressivité excessive de la France
serait tout à fait suspecte - et ne pourrait que susciter de vives tensions avec les Nigériens.
Même si à Paris l’on brûle d’intervenir, par officiers amis interposés, c’est le moment ou jamais pour le gouvernement de s'en tenir
au principe fondateur de la « nouvelle politique africaine de la France » : pas d’ingérence.
Yvette, les réfugiés, les Toubous
La crise nigérienne nous donne l’occasion de saluer une femme d’exception, Yvette Pierpaoli. Elle avait voué sa vie aux réfugiés,
aux victimes de toutes les tragédies. Représentante européenne de Refugees International, elle est morte “au travail”, mi-avril, à la
frontière albano-kosovare.
Elle venait de nous alerter par téléphone et de nous adresser un dossier sur le massacre de plus d’une centaine d’ex-combattants
toubous, rentrés du Nigeria avec leurs familles après un accord de cessez-le-feu : 151 disparus, fin 1998 ; 69 cadavres déjà retrouvés
dans un charnier près de Boultoungour, au sud-est du Niger. Attachés pour le plupart. Exécutés. Sûrement par l’armée nigérienne,
qui contrôlait le camp de réfugiés. Veuves et orphelins sont dans le plus grand dénuement.
Après les avoir entendus, Yvette Pierpaoli avait contribué à faire connaître ce massacre - qui fit scandale au Niger, en mars.
Nuançant notre trop bref portrait d’IBM, il faut dire qu’il avait voulu la paix avec les Touaregs et les Toubous - contre une partie de
l’armée, mue par un ressentiment ethniste. Yvette Pierpaoli avait cru comprendre qu’il était affligé de ce massacre, et qu’il
favoriserait une enquête... Il n’est pas impossible que cela ait joué dans la préparation du coup d’État. Il faudra voir quelle suite le
nouveau pouvoir donne à ce crime.
La question toubou est d’autant plus “sensible” qu’une rébellion toubou, menée par Youssouf Togoïmi, se poursuit au Tchad,
contre un Déby usé (cf. Billets n° 69). Avec l’aval de milieux militaires français. Lesquels auraient demandé à IBM de faciliter l’appui
des Toubous nigériens à leurs frères tchadiens...
Jacques et le pétrole tchadien
Rencontrant en mars à Washington le président de la Banque mondiale James Wolfensohn, Jacques Chirac a longuement et
lourdement insisté pour que la Banque finance le projet d’oléoduc tchado-camerounais.
Pour sa part, le député tchadien Yorongar envisage d’utiliser les procédures de recours prévues par la Banque. Il dénonce le
surcoût faramineux provoqué par le tracé “francophone” de cet oléoduc : au lieu d’aller au plus court vers Limbe, via le Cameroun
anglophone, il fait un long détour pour aboutir à Kribi, plus au sud. Loïk Le Floch-Prigent a écrit dans ses “confessions” que ce
détour correspondait à un diktat géopolitique de la France. Yorongar estime que ce n’est pas aux Tchadiens de payer ce caprice, par
une ponction supplémentaire sur la vente de leur pétrole.
« Lien d’amitié »
Tous les observateurs sérieux, à commencer par ceux de l’Union européenne, savent que le général Eyadema a été battu au dernier
scrutin présidentiel par Gilchrist Olympio. Le dictateur s’accroche cependant au pouvoir, continuant d’opprimer et piller le Togo,
comme il le fait depuis bientôt quatre décennies.
L’opposition a refusé de se prêter aux élections législatives du 21 mars, qui n’auraient servi qu’à avaliser le coup de force du
président délégitimé. C’est le moment que choisit Michel Rocard pour s’afficher au côté de ce dernier : « Nous sommes liés
d’amitié. [...] On ne peut reporter la date d’une élection sans qu’il y ait une fragilité constitutionnelle. Ça représente un risque
devant lequel le président de la République hésite » (Togo-Presse, 18/03/1999).
Ainsi, non seulement l’ancien Premier ministre, président de la commission Développement du Parlement européen, vient
témoigner son amitié à un tyrannosaure de la Françafrique, mais il désavoue la stratégie de l’opposition (majoritaire). Au nom d’une
Constitution qu’Eyadema ne cesse de bafouer - bien qu’elle ait été taillée à sa mesure.
On ne peut que se poser des questions... ou plutôt on ne s’en pose plus. On savait que Rocard entretenait d’excellentes relations
avec Omar Bongo - via son émissaire Michel Dubois. On s’inquiétait de ses relations comoriennes (Billets n° 69). On apprenait ses
sympathies pour le groupe Bolloré. La déclaration pro-Eyadema signe un basculement sans doute définitif.
Radicalité et indépendance
Rocard n’était pas le seul représentant de la “gauche plurielle” à réconforter le régime togolais. L’ancien député européen Jean-
Paul Benoît, secrétaire national du Parti radical de gauche, est venu regretter le boycott du scrutin législatif et célébrer « la liberté
totale de vote et d’accès aux bureaux de vote » (Togo-Presse, 23/03/1999). Sauf que les Togolais en ont assez que l’on transmute la
couleur de leurs bulletins. Et qu’ils ont du mal à croire en la naïveté de Jean-Paul Benoît.
On ne mentionnera que pour mémoire l’habituelle caravane de l’“Observatoire international de la démocratie” : le nom de cet
organisme est en soi une escroquerie. Créé par Charles Debbasch et le fan-club d'Eyadema, il envoie en vacances dans les fiefs
dictatoriaux de la Françafrique des juristes français qui n’observent rien d’important, et cautionnent par leur présence des scrutins
truqués - au mépris de la démocratie.
Sassou-Bolloré
65
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Le régime congolais ne se contente pas d’avoir déclenché un “nettoyage ethnique” digne de Milosevic, avec l’appui des troupes
angolaises (selon une mission de l’ONU, il ne restait plus début avril dans les villes de Dolisie et Nkayi, peuplées à elles deux de
120 000 habitants, que 3 500 personnes). Il continue de faire du charme à certains milieux français.
Côté finances, d’abord. Exemple. Par les arrêtés n° 98-11 et 12, l’État congolais s’est arrangé pour concéder à la Société congolaise
de transport maritime (SCTM), une société privée dirigée par un certain Willy Nguesso, 40 % des droits du trafic maritime.
Étant donné le fort tonnage d’enlèvements pétroliers, cela représente environ 100 000 dollars par jour. Une manne ! Qui pourrait
être l’un des canaux de financement parallèle du clan au pouvoir.
Selon la lettre Congo News (30/03/1999), c’est Pierre Aïm, voltigeur de Bolloré au Congo-B., qui aurait initié ce montage. Ce qui est
sûr, en tout cas, c’est qu’à travers la société RAIL qu’il préside, Aïm a acquis pour Bolloré le quasi-monopole de l’infrastructure
congolaise en matière de transport et de stockage. Sassou voulait faire plaisir à Aïm, et réciproquement : le don et le contre-don,
comme disent les anthropologues...
RAIL est de droit luxembourgeois. En France, suite à une faillite personnelle, Pierre Aïm est déchu pour 5 ans du droit de diriger
toute entreprise commerciale. Mais en Françafrique, a fortiori dans un contexte de guerre civile, la gestion, c’est un peu spécial.
Finances toujours : Paribas vient d’avancer 30 millions de dollars au régime congolais (La Lettre du Continent, 01/04/1999). La banque a
raison d’en profiter : la Cour pénale internationale n’est pas encore instituée.
Sassou-FN
C’est un lieu commun : nombre de conseillers militaires français officieux, semi-privés, mi-mercenaires ou mi-barbouzes, sont dans
l’orbite de l’extrême-droite. Que cela plaise ou non aux chefs d'État bénéficiaires. À Sassou Nguesso, ça plaît.
Venu demander des renforts à Paris, son ministre de l’Intérieur Pierre Oba a rencontré le gratin du ministère homologue, place
Beauvau : DST, SCTIP, etc. Il a rencontré aussi des officines privées. Tel le Groupe 11. Cette société, aux affinités d’extrême-
droite, est dirigée par Nicolas Courcelle - le frère de Bernard, ancien chef de la milice du Front national (le DPS).
Résultat de ce marché : Bernard Courcelle, ex-officier de la Sécurité militaire, est parti pour Brazzaville avec une fine équipe d’une
dizaine d’instructeurs et consultants - dont un certain nombre d’anciens (?) policiers. Il a été nommé commandant de la Garde
présidentielle. Avant de rentrer précipitamment deux semaines plus tard (Réseau Voltaire, 15/04/1999).
L’histoire ne dit pas quel niveau d’agrément ou de désagrément cette opération brun foncé a reçu chez les divers services français
concernés, à l’Intérieur et à la Défense. Et chez les ministres de tutelle.
Quadrature
Du conflit au Congo-Kinshasa, de plus en plus complexe, il faudrait parler longuement, ou pas du tout. Même si, dans les deux
camps, certains acteurs de la guerre semblent épuisés, ou divisés, de violentes batailles se succèdent, espacées. Le front bouge, avec
pour la rébellion un objectif majeur : la ville diamantifère de Mbuji-Mayi.
Tueries et exactions se poursuivent, surtout dans les deux Kivu - où les haines ethniques sont chauffées à blanc. Les rebelles y
affrontent des guérillas. Ils sont régulièrement accusés, et en certains cas sûrement coupables, de massacres de civils. On dénonce
aussi des viols systématiques (cf. Lire).
Les tentatives de paix n’aboutissent pas, faute de rassembler toutes les parties au conflit. La communauté italienne Sant'Egidio, qui
résolut la quadrature du cercle au Mozambique, va s’y mettre fin avril...
Fermeture
Toujours ébranlé par l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (cf. Billets n° 66 à 69), le régime de Blaise Compaoré - longtemps vitrine
de l’Afrique francophone - va jusqu’à détruire ses plus beaux trophées.
Ouagadougou était le siège de l’Union interafricaine des droits de l’homme (UIDH), présidée par Halidou Ouedraogo. Mais cette
personnalité burkinabé milite aussi dans son pays, et elle a pris la tête de la protestation contre le meurtre du journaliste. Du coup, le
régime a décidé de dénoncer l’accord de siège le liant à l’UIDH (Afrique-Express, 01/04/1999). Ce qui s’appelle marquer un but contre son
camp.
Pasqua vs Verschave
Le 29 mars s’est tenu le procès en diffamation de Charles Pasqua contre François-Xavier Verschave, président de Survie et auteur de
La Françafrique (Stock, 1998). Rappelons (cf. Billets n° 69) que l’ex-ministre de l’Intérieur n’a attaqué qu’un seul des treize passages qui,
dans cet ouvrage, dénoncent ses activités africaines - craignant sans doute d’avoir à subir la démonstration des autres. Le propos
litigieux critiquait la “couverture” par Charles Pasqua de « l'échange du terroriste amorti Carlos, [...] contre un appui aux opérations
de “nettoyage ethnique” du régime soudanais. Qu'un ministre de l'Intérieur ait pu mener, à l'aide de ses réseaux personnels, sa
propre politique africaine et arabe, nous en disait long sur le démembrement de la politique franco-africaine ».
Parmi les témoins de la défense, Jean-François Bayart et Éric Fottorino ont souligné les effets négatifs de “l’amitié“ de Charles
Pasqua envers nombre de dictateurs africains, dont certains (Mobutu, Eyadema) n’ont pas reculé devant la manipulation et le meurtre
ethniques.
Gérard Prunier et Yves Ternon ont confirmé la nature criminelle du régime de Khartoum, coutumier des crimes contre l’humanité
(qualifiables pour certains d’actes de génocide). Simon Malley, qui n’avait pu se déplacer, a rappelé par écrit que l’un de ses amis
avait voyagé avec le leader soudanais Hassan el Tourabi, venu rencontrer Charles Pasqua juste avant la récupération de Carlos.
Ancien préfet et président de l’ORSTOM, Michel Levallois a souligné à quel point le travail de l’auteur relevait de la salubrité
publique.
Charles Pasqua n’a pu produire que deux témoins. L’ancien ministre des Finances Edmond Alphandéry n’a rien remarqué de
spécial, en tout cas pas un soutien financier français à l’État criminel de Khartoum.
66
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Manque de chance, l’accusé a produit un extrait d’un mensuel gouvernemental soudanais, Sudanow (3/1998) 1 : « En pleine éclosion,
la relation [de la France] avec le Soudan fut illustrée par la “capture” d’Ilich Ramirez (Carlos) [...] le 14 août 1994. En suite de quoi,
Paris aida à empêcher que le Soudan ne soit expulsé du FMI ». Un sursis vital, s’ajoutant à bien d’autres cadeaux de fiançailles,
militaires et policiers.
Quant à l’ancien patron de la DST Philippe Parant, il a nié tout échange... mais admis que le régime soudanais avait beaucoup à
gagner en crédit international. L’affaire se résume, pour lui, à une opération secrète parfaitement réussie. Un succès technique de son
service. Dans ces cas-là, « on met le génocide entre parenthèses »... On l’a vu au Rwanda, ce genre de parenthèses, ou d’œillères
politiques, est une digue bien fragile 2.
Citons pour mémoire ce passage d’un article du très renseigné Jacques Isnard (Le Monde, 30/09/1994) : « Au Soudan, pendant la traque
organisée pour “loger” puis “exfiltrer” Carlos, la DGSE a été écartée des opérations au profit d’un réseau quasiment privé
d’intervenants directement animés par le ministre de l’Intérieur ».
Avec sa délicatesse habituelle, Charles Pasqua a réclamé 5 millions de FF de dommages et intérêts. En caricaturant à peine, on
pourrait résumer ainsi le raisonnement tenu par son avocat : François Léotard a obtenu 1 million ; une offense qui m’est faite vaut
bien 5 fois plus cher.
Pour la défense, Me Antoine Comte a rappelé les nombreux rapports et documents produits par l’auteur à l’appui de ses dires. Et il
s’est étonné de cette soudaine susceptibilité de l’ex-ministre : l’accusé avait publié les mêmes propos en novembre 1994 dans
Complicité de génocide ? (La Découverte) ; ce qui, à l’époque, n’avait pu échapper aux Renseignements généraux - cette police
politique au service du ministre de l’Intérieur.
L’avocat observe que la sortie de La Françafrique, au printemps 1998, coïncide avec la création de la mission d’information
parlementaire sur le Rwanda. Le couvercle d’une cuisine nauséabonde commençait d’être soulevé. On voudrait le refermer en faisant
peser sur ceux qui posent des questions gênantes la menace de sanctions ruineuses. Car évidemment la rencontre Tourabi-Pasqua n’a
pas été filmée... Jugement le 17 mai.
1. Déniché par l’un de nos lecteurs, Jacques Monnot, président de Solidarité Sud-Soudan.
2. À l’occasion de la sortie de son film sur Eichmann, Un spécialiste, Rony Brauman rappelle que, selon l’historien Robert Paxton, « 90 % des hommes qui ont appliqué
cette politique [d’extermination des juifs] n’avaient qu’un point de vue technique. Ils refusaient de réfléchir aux conséquences humaines ou politiques de leur action »
(Libération, 31/03/1999).
Article 124
La pression maintenue par les associations de la Coalition pour la Cour pénale internationale (CPI) contribue à maintenir le
rythme de la procédure de ratification. Le Congrès de révision constitutionnelle est toujours prévu fin mai, malgré les obstacles un
moment opposés par le Sénat. L’Assemblée a voté quasi unanimement le projet de loi de révision.
Au sein de la Coalition, Survie a mené une campagne de cartes postales contre le recours de la France à l’article 124 (exonération
pour 7 ans des crimes de guerre). Alertés, les députés ont été nombreux à s’inquiéter de cette “exception française”. Les réponses
ministérielles contournées d’Élisabeth Guigou et Pierre Moscovici n’ont guère convaincu (cf. Ils ont dit).
Le débat peut encore avoir lieu lors du vote du traité. Il reste donc quelques mois avant l’option définitive - pour ou contre un feu
vert français aux crimes de guerre.
Bons points
er
* Le président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale, Paul Quilès, a déposé le 1 avril une proposition de loi
« tendant à la création d’une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement ». La France a, dans leur contrôle, un
retard considérable (Réseau Voltaire, 15/4).
* Nous parlons peu du Bénin : c’est que les règles du jeu de la démocratie y sont grosso modo respectées, ce qui a permis à
l’opposition de remporter les élections législatives du 30 mars. Les Togolais envient les Béninois. Le général Kérékou finit mieux
que son collègue Eyadema.
* Maurice Papon a été débouté de son attaque en diffamation contre Jean-Luc Einaudi. L’historien avait dénoncé la responsabilité de
Papon, alors Préfet de police de Paris, dans le massacre d’Algériens du 17 octobre 1961.
Fausses notes
* Il se confirme que la prochaine tournée africaine de Jacques Chirac, fin mai, devrait honorer deux “lauréats” de la légitimité et du
bien commun : Lansana Conté, en voie d’ubuïsation, et Paul Biya, qui a hissé son pays au sommet de la corruption. Jacques Chirac
voudrait faire savoir, annonce-t-on, que l’économie camerounaise est désormais « bien gérée » (La Lettre du Continent, 01/04/1999).
Comme les ressources humaines et financières de la mairie de Paris ? À en croire le juge d’instruction Desmure, le Président
français risquait d’être assez rapidement “interdit de gestion publique”, s’il n’était protégé par une sorte d’immunité régalienne.
* Les représentants de 44 pays ont débattu à Bruxelles, le 12 mars, de la prolifération des armes légères. Elle multiplie les
possibilités de guerres civiles, et leurs dégâts humains. Un minimum de réglementation est plus que souhaitable.
Le Canada et la Norvège sont en pointe dans ce combat. Tandis que « la France et certains pays de l’ex-URSS demeurent
fermement opposés à un accroissement des mesures de transparence » en la matière (Basic Reports, 29/03/1999).
Carnet
* L’Afrique vue d’Afrique. Sous ce titre, Survie propose le 8 mai 1999, veille de son Assemblée générale, une série de débats à
Sevran (de 14h à 19h, Centre Marcel Paul, 17 rue Charles Conrad, RER B Sevran-Beaudottes) . Avec cinq duos :
67
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
- Héléna Sitta, universitaire du Congo-B., et Fidelia Ibekwe (Nigeria), rédactrice en chef d’Afrique-Info ;
- Oumar Diagne, coordonnateur des associations de défense des droits de l’homme en Mauritanie, et Almamy Mamadou Wane
(Sénégal) ;
- Saïd Charif Saïd, chercheur et militant associatif comorien, et Mariam Hassan Ali, syndicaliste djiboutienne ;
- Marcel Kabanda, historien rwandais, et Bruce Clarke, artiste sud-africain, membre du RENAPAS .
- Ngarléjy Yorongar, député tchadien, et Patrice Yengo (Congo-B.), directeur de publication de la revue Rupture.
(Achevé le 25/04/1999)
« Il était nécessaire [par la suspension de la coopération française avec le Niger] de marquer une position de principe. L’assassinat et la prise de
pouvoir par les armes ne sont plus des modes de gestion politique. Ce principe, on va le tenir, aussi pour confirmer la nouvelle
politique africaine de la France ». (Guy LABERTIT, délégué national à l’Afrique du Parti socialiste. Interview à Libération du 16/04/1999).
[L’assassinat, ce n’est pas bien. Mais le général Baré, une fois de plus désavoué par les urnes, venait de refuser une demande de démission
présentée par l’un des futurs putschistes. Quelle liberté « la nouvelle politique africaine » de la France laisse-t-elle aux Africains quand elle
soutient des régimes installés par les armes et qui persistent dans leur mépris des urnes ? On croyait, depuis 1789, que la volonté du peuple était
le premier des principes républicains. Apparemment, il passe après le principe conservateur qui interdit de faire le moindre mal aux dictatures en
place].
CORRUPTION, ELF
« Si demain on décidait d’amnistier les agissements délictueux [des politiques], les Français le prendraient très mal, sauf s’il s’agit
d’une amnistie générale pour un certain nombre de délits [excès de vitesse, amendes fiscales, etc.] ». (Charles PASQUA, cité par Le Canard
enchaîné du 24/03/1999).
« Il faut profiter de la célébration de l’an 2 000 pour voter une grande loi d’amnistie concernant l’ensemble des affaires du XX e
siècle. Jacques Chirac devrait prendre une telle initiative, c’est de son ressort ». (Un ministre français, cité par Le Canard enchaîné, 24/3)
« [La magistrature] est une nouvelle caste qui se croit au-dessus de tout. Ces privilégiés [...] rêvent de régler leurs comptes avec les
politiques. [...] Qui sait si, un jour, un juge ne va pas s’en prendre directement au président de la République ? ». (Jacques CHIRAC,
ibidem).
« Il y a entre les deux têtes de l’exécutif une sorte de pacte de bonne conduite. Et cela pour deux raisons : toutes ces affaires nuisent
à l’image de la France ; et chacun sait qu’il peut être demain à son tour l’objet de nouvelles attaques et qu’il aura besoin de la
neutralité, sinon de la solidarité de l’autre ». (Dominique de VILLEPIN, Secrétaire général de l’Élysée, ibidem).
« Guigou ne veut pas, pour le moment, braquer les magistrats et l’opinion publique. Mais à la première ouverture, et avec plus de
vice, on verra revenir l’affaire de la prescription de l’abus de biens sociaux [qui, décalée, empêche actuellement l’étouffement des “affaires”] . Entre
nous, on en parle ouvertement, et à la Chancellerie on réfléchit à haute voix. Je suis même prêt à prendre le pari que cela ira vite si
l’enquête sur la Mnef progresse ». (Un député PS, ibidem).
[Une solidarité touchante, et un dédain unanime du contre-pouvoir judiciaire. La plus grosse affaire (n’est-ce pas, Charles Pasqua ?) est aussi la
plus menacée d’étouffement : l’affaire Elf - l’une des brèches dans la forteresse françafricaine.
Les affaires Elf et Mnef sont transpartisanes, mais l’une porte plutôt à droite, et l’autre à gauche. Elles ont un personnage commun : Me Éric
Turcon. C'est l'avocat aussi bien d’Alfred Sirven (le manitou d’Elf) que de Bruno Pelletier (le “distributeur” de la Mnef, réfugié au Togo, cf.
Billets n° 69). Ancien inspecteur des impôts, M e Turcon aurait aussi joué le rôle de “conseil” « dans d’autres détournements de fonds, commis au
préjudice du peintre Victor Vasarely par le professeur de droit Charles Debbasch » (Libération, 01/04/1999) - un familier de Billets, conseiller
“constitutionnel” grassement rémunéré du général-président Eyadema.
Il est quand même surprenant que l’Ordre des avocats ait attaqué si violemment les juges Joly et Vichnievsky à propos de la perquisition menée
chez ce Turcon - un confrère atypique. À moins que l'Ordre n’ait voulu voler au secours de l’ordre établi, touché au plexus Elf-Mnef ?
Symbole du mélange des genres et des couleurs à ce niveau : le parcours d’Éric Berardengo, second de Bruno Pelletier. Étudiant en droit à Aix
(la faculté du doyen Debbasch), il y milita à l’extrême-droite (Occident et Ordre nouveau) et y noua des contacts, civils et militaires, qui firent de
lui successivement un mercenaire en Rhodésie et au Tchad (au service d’Hissène Habré, sur mandat de la DGSE), puis un faux-facturier de la très
socialiste Mnef (Libération, 16/04/1999).
C’est par ce genre de pratiques et de personnages, au carrefour de la barbouzerie et de la corruption, que s’attachent les barbichettes des gens
au pouvoir, que se tissent ces maillages occultes qui aimeraient tant capturer les juges et la justice. Le “chasseur” Eyadema, le “frère” Bongo ou
le rosicrucien Biya sont de plain-pied dans cet univers - où règne souvent un mysticisme dévoyé.
L’Evénement (01/04/1999) est cependant plus optimiste sur la marge de manœuvre de Lionel Jospin - moins “tenu” que d’autres : « dans
l’entourage du Premier ministre, [...] on sait [...] que l’affaire Elf, si elle débouche sur la mise au jour de la véritable histoire du groupe pétrolier,
par delà Roland Dumas, ébranlera l’édifice gaulliste. C’est pour ces raisons que le feu vert [de l’expédition des juges en Afrique du Sud, à la recherche
d’Alfred Sirven] a été donné »].
68
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
« Alfred Sirven n’aimait pas la gauche. En faisant nommer Le Floch, il tirait les ficelles et Le Floch saurait satisfaire les exigences
de la gauche en préservant les réseaux de la droite ». (Christine DEVIERS-JONCOUR, aux juges Joly et Vichnievsky. Cité par Libération,
24/03/1999).
[Si l’on en croit cette personne bien placée, l’ancien PDG d’Elf était donc contrôlé par un marionnettiste. Elle dit la même chose de l’actuel
PDG. Le tireur de ficelles serait le PDG d’une grande entreprise mêlée à l’affaire Elf-Dumas, un empereur de la rétro-commission].
« Roland Dumas, c’est un gars Bien. [Les cadeaux de Deviers-Joncour,] c’est comme si M. Roland Dumas était un chômeur et qu’à cause
d’elle il se retrouve avec des pantalons, des chemises, des chaussures ». (Omar BONGO, inoxydable président du Gabon. Sur France-Inter, le
23/04/1999).
[Un tiercé vestimentaire qui devait être parfois dans le désordre. Bien des chômeurs auraient aimé le toucher. Ça facilite une certaine forme
d’élégance, payée avec l’argent public gabonais et français. Mais on ne peut pas dire que les affaires Bongo-Smalto ou Dumas-Deviers soient
toujours restées au top de l’élégance morale.
Une vraie satisfaction toutefois, dont nous n’avions pas encore connaissance lors du bouclage de notre précédent numéro : Roland Dumas n’est
plus le gardien de la Constitution française].
« Il faut parler à présent, au Kosovo, non seulement de déportation mais de génocide en marche. S’il est vrai que le mot “génocide”
doit être préservé de son instrumentation étatique et de toute banalisation, il se justifie ici par la convergence de sept faits :
- tris, massacres et tortures, destinés à éliminer les hommes en âge de combattre et à faire fuir le reste de la population ;
- viols ethniques, selon une centaine de témoignages [...] ;
- déportation de la population [...] sachant que les pays voisins ne pourront les accueillir qu’au prix de famines et d’épidémies, ou
de tensions explosives
- poursuite acharnée de cette politique [...] ;
- destruction méthodique des marques d’inscription sociale et symbolique des Albanais [...] ;
- fermeture des frontières macédoniennes et albanaises [...] [qui] suppose des fins sinistres : bouclier humain, massacres sur le
modèle de Srebrenica, agonie certaine de 700 000 personnes sans abri, ni soins, ni nourriture ;
- déni et négation [...].
La Convention de 1948 ne se contente pas de définir le crime de génocide, elle oblige à le prévenir. [...] Doit-on exiger pour
“preuves” l’extermination accomplie, ou son ordre écrit, généralement introuvable ? [...]
Les puissances en guerre ne se sont pas plus souciées de protéger les Kosovars qu’elles n’avaient empêché les Arméniens de
mourir en masse ni bombardé les chemins de fer menant à Auschwitz ». (Catherine COQUIO, Marc NICHANIAN et Sadek
SELLAM, in Le Monde du 17/04/1999).
[Catherine Coquio est l’un des piliers de l’Association internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides (Aircrige). À
ce titre, elle sait précisément de quoi elle parle. Comme elle, nous refusons la banalisation du mot “génocide”. S'agissant du Kosovo, il peut être
sûrement employé dans son acception juridique, sinon dans son acception historique. On sait qu’ont été dépêchés des commandos paramilitaires,
fiers de leur réputation de « nettoyeurs ethniques ». On sait que ce « nettoyage » est planifié, programmé. Des sources sérieuses mentionnent déjà
des massacres répétés, une situation pire que Srebrenica, des tortures épouvantables.
Comme au Rwanda, la “communauté internationale” risque de ne se réveiller qu’une fois l’horreur accomplie, menant une action dont,
manifestement, la prévention du génocide n’est pas le but premier.
L’on nous dit que, comme la diplomatie américaine en 1994, le Quai d ’Orsay insisterait pour qu’à l’ONU on n’emploie pas le mot “génocide” -
afin de ne pas avoir à prendre les mesures adéquates. Si c'est vrai, c’est un indice supplémentaire de la gravité des faits. Mais ceux qui
mèneraient cette bataille sémantique porteraient une lourde responsabilité].
« La France s’est toujours prononcée pour que le statut [de la Cour pénale internationale, CPI] contienne des dispositions évitant que les
personnels des pays qui, comme le nôtre, sont fortement engagés dans des opérations humanitaires de maintien de la paix sur des
théâtres extérieurs, ne puissent faire l’objet de plaintes abusives, motivées par des arrière-pensées politiques [...].
69
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Si des agents français devaient commettre des crimes de guerre, ils seraient jugés devant les tribunaux français, et non devant la
Cour pénale internationale. Le fait que la France décide de se prévaloir de l’article 124 ne change rien à cela. En effet, je rappelle
que la Cour pénale internationale est complémentaire des systèmes judiciaires nationaux. Elle est compétente uniquement lorsque les
tribunaux nationaux sont incapables d’agir, en raison de l’effondrement du système judiciaire interne, ou se refusent à poursuivre les
responsables. Ces dernières hypothèses ne s’appliquent pas en pratique à la France, qui est un État de droit ». (Pierre MOSCOVICI,
ministre des Affaires européennes. Courrier à Geneviève Charlionet, membre de la Coalition pour la CPI).
[L’argumentation du ministre développe celle d’Élisabeth Guigou devant les députés. Résumons : le recours à l’article 124 « ne change rien »
puisque, la France étant un État de droit, les éventuels criminels de guerre y seraient forcément jugés. Ne pouvant démontrer que la justice
française ne peut ou ne veut agir, la CPI ne pourrait d'aucune façon traiter une plainte quelconque.
Pourquoi, alors, faire jouer une clause qui ne sert à rien ? Parce que chacun sait, à commencer par les ministres, qu'en France l'État de droit a
des points aveugles : les crimes de guerre jugés et sanctionnés depuis 1946 sont infiniment moins nombreux que ceux impunis ou amnistiés. Ni
l’exécutif, ni l’armée, ne souhaitent que la CPI en fasse la démonstration. On voit bien l’émotion que produit la Cour européenne des droits de
l’homme quand, épinglant des policiers français soupçonnés de torture, elle oblige la justice française à se bouger. « Cette affaire ramène la
police française au rang de la police turque », se plaint un syndicaliste policier (Libération, 20/03/1999). On veut éviter à nos militaires ce genre de
constat désobligeant].
ETC.
« Il y a un triangle Védrine-Villepin-Chirac qui fonctionne parfaitement et qui a tendance à nous marginaliser. On a la désagréable
impression que Chirac veut se réserver la grande politique étrangère ». (Un conseiller de Lionel JOSPIN, cité par Le Canard enchaîné du
07/04/1999).
[Nous écrivions déjà que Jospin était, en matière de politique africaine, coincé dans le triangle des trois E (Élysée, État-major, Elf). Il faut y
ajouter un Q, comme Quai d’Orsay ? Lionel Jospin ne devait pourtant pas se faire d’illusion sur les “convictions” du disciple et apologiste de
François Mitterrand... ].
À FLEUR DE PRESSE
FRANÇAFRIQUE
La Lettre du Continent, L’Afrique “pauvre” enrichit la France, 01/04/1999 : « Vive le pré carré ! L’excédent commercial de la France
en Afrique a encore bondi l’année dernière : 26 milliards FF contre 14 en 1997. Et les plus pauvres, ceux à qui on vend beaucoup en
achetant peu, ont bien aidé : le Mali et le Bénin (1,1 milliard FF dans chacun de ces pays), le Burkina (1 milliard), le Sénégal (2,1
milliards)... ».
Le Canard enchaîné, Abdelaziz Bouteflika. L’homme des casernes, 14/04/1999 (Nicolas BEAU) : « Un général algérien [...] [s’est employé]
à vendre à Paris la candidature Bouteflika. Il s’agit du général Larbi Belkheir., l’homme-clé de la présidence algérienne sous Chadli.
Au mieux avec les proches de Charles Pasqua, comme avec l’entourage de Mitterrand, notamment Hubert Védrine et Jack Lang,
Belkheir peut aussi compter à Paris sur l’aide de quelques hommes d’affaires algériens.
Le plus proche, Abdelkader Koudjeti, [...] francophone séduisant, qui a conservé de nombreuses relations chez Thomson et chez
Total, n’a pas son pareil pour vanter l’amitié franco-algérienne autour d’un alcool fort dans son hôtel particulier du XVI e
arrondissement ».
[Le résultat des “élections” algériennes ne s’écrit ni en arabe, ni en français. C’est : « Business as usual »].
AFFAIRE ELF
L’Express, Cet homme en savait trop, 18/03/1999 (Gilles GAETNER et Jean-Marie PONTAUT) : « Après une jeunesse mouvementée,
Sirven [...] entre chez Mobil Oil. [...] C’est là qu’il s’initie à la franc-maçonnerie, pour rejoindre le Grand Orient de France. [...]
En 1989, [...] Le Floch [...] [est] nommé président d’Elf. [...] Sirven, dans son sillage, devient son éminence grise [...] et, surtout, le
généreux distributeur des commissions. [...] Désormais [...], il gagne 200 000 francs par mois payés en Suisse. [...]
Frappé d’une mégalomanie galopante [...], il quitte [...] la tour Elf et s’installe sur son territoire : les locaux de la fondation Elf, rue
Christophe Colomb, à Paris. [...] Il se met à voyager. Énormément. Il rencontre, notamment, le président Bongo au Gabon, le
président Lissouba au Congo, et le président de la République du Cameroun, Paul Biya... Astucieux, pour s’offrir leurs bonnes
grâces, il aide - financièrement - leurs proches. Édith Sassou Nguesso, épouse d’Omar Bongo, en sait quelque chose : Sirven lui
alloue une rente mensuelle de 30 000 francs. Le n° 2 du régime gabonais, Georges Rawiri, [...] reçoit, lui, 60 000 francs par mois...
[...]
Un levier extraordinaire [...] lui permet de jongler avec des dizaines et des dizaines de millions d’Elf : la filiale suisse de
l’entreprise, installée à Genève - Elf Aquitaine International (EAI) - dont il est le président. [...] Pour brouiller les pistes, Sirven
multiplie les mouvements sur ses 300 comptes. Selon le juge genevois Paul Perraudin, 3 milliards de francs y auraient transité. Le
magistrat aurait désormais en sa possession une liste de 166 bénéficiaires. [...]
[Mi-1993, après le limogeage de Le Floch], Sirven quitte le groupe Elf pour fonder, à Genève, une société de conseil, Interénergie. [...] [Il a]
accumulé pour lui-même un trésor considérable (600 millions de francs environ). [...] [En fuite depuis l’automne 1997] certains jurent
l’avoir aperçu, en octobre ou novembre 1998, dans un hôtel de Johannesbourg, où il aurait été pris en main par les services secrets
israéliens [...]. Une seule certitude : à part les juges Joly et Vichnievsky, beaucoup souhaitent ne jamais le revoir. Pour tout ce qu’il
sait, Alfred Sirven fait peur. ».
Le Nouvel Observateur , Roland Dumas. Comment l’affaire a basculé, 25/03/1999 (Sarah DANIEL et Airy ROUTIER) : « Le bordereau
de vente [des statuettes données par Deviers-Joncour à Dumas] publié dans “Match” se révèle un faux grossier. D’où vient cette manipulation,
qui s’ajoute à beaucoup d’autres ? De services policiers parallèles, qui sont déjà intervenus, notamment lors du vol de document au
70
cœur même des locaux de la Brigade financière ? Des services secrets, dont on sait qu’ils protègent Alfred Sirven, le grand
organisateur des turpitudes d’Elf sous la présidence de Loïk Le Floch ? Ou bien d’Alfred Sirven lui-même, qui bénéficie de
protections invraisemblables au cœur même de l’appareil d’État ? [...]
Les demandes pressantes de démission du président du Conseil constitutionnel [...] ne sont pas passées inaperçues. En particulier,
celle de Charles Pasqua, cité à plusieurs reprises dans le dossier, qui voyageait sur des avions affrétés par Elf sous le pseudonyme de
Fernandel et qui rencontrait en secret Roland Dumas dans le fameux appartement de la rue de Lille.
Élément troublant : Christine Deviers-Joncour et Véronique Robert [la journaliste qui apporta à Match le dossier des statuettes] ont le même
garde du corps, un certain Didier Sicot. [...] C’était le garde du corps de Loïk Le Floch lorsque celui-ci était président d’Elf.
Il lui avait été fourni par les services spécialisés de la compagnie avec l’accord d’Alfred Sirven. Il accompagnait partout Le Floch
et sa femme du moment, Fatima Belaïd, présidente de la fondation Elf. Rien ne lui échappait... Au moment de la séparation de Le
Floch et de Fatima Belaïd, en août 1991, Didier Sicot avait même fait irruption dans le bureau présidentiel en menaçant
publiquement l’homme qu’il était censé protéger. [...] Le Floch, plus tard, se dira convaincu qu’il avait été mis là par plus puissant
que lui - on a parlé des services secrets d’Elf noyautés par certains réseaux corses puissants en Afrique - pour l’espionner... [...]
Christine Deviers-Joncour [CDJ], [...] étant entrée en 1990 à la tour Elf dans le bureau d’Alfred Sirven, [...] avait surpris ce dernier
[...] donnant des ordres au téléphone comme un véritable chef de guerre : “Il faut garder des réserves, surprendre à tel endroit,
attaquer à tel autre... ”. “Je me suis aussitôt précipité au Quai d’Orsay [raconte CDJ] et j’ai mis Roland en garde : ‘Fred est en train de
monter un coup d’État au Congo’. Mais Roland a pris cela à la rigolade : ‘Ne t’en occupe pas’, m’a-t-il dit. J’ai alors compris qu’il
était parfaitement au courant, et que Sirven agissait avec son plein accord, si ce n’est à son initiative ”. [...]
Roland Dumas nous l’a confirmé en tout point : “C’est vrai que Christine est venue me raconter cela et que je lui ai dit de ne pas
s’en occuper. C’était Omar Bongo qui voulait écarter Pascal Lissouba [en fait, André Milongo, Lissouba n’étant pas encore élu] pour remettre
son gendre Sassou-Nguesso en selle. Vous vous souvenez ? Les armes transitaient par le Gabon” ».
[Scènes de la vie quotidienne en Françafrique. Avec, ci-après, une suite matrimoniale].
Libération, Le Floch-Prigent, un divorce généreux payé par Elf, 23/04/1999 (Karl LASKE) : « La justice suisse vient de découvrir
qu’elle [Fatima Belaïd] avait reçu [...] une somme de 18 millions de francs en 1996. [...] L’essentiel lui est versé avant sa première
déposition devant la juge Éva Joly, en mars 1996. Fatima est donc payée au moment où elle va s’exprimer. [...]
[En sus,] outre la pension de 30 000 F versée durant quatre ans, Fatima obtient [...] un appartement à Londres d’une valeur de 5
millions [...] . Fatima Belaïd a notamment affirmé aux juges [le 13/04/1999] que l’immeuble de la rue de la Faisanderie, acheté pour 45
millions sur les fonds d’Elf, était destiné à son ex-mari, et non à une personnalité africaine comme on le croyait jusqu’à présent ».
- Le “cas” Barril
- Services secrets
- “Privés” et mercenaires
- Trafics d’armes via la France
- Une présence militaire imposée
- Indésirable Cour pénale internationale
71
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda.
Rapport d’Human Rights Watch et de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), Karthala, 1999, 918 p.
Une étude historique dans tous les sens du terme. L’énorme travail mené sous la houlette d’Alison Des Forges établit définitivement le caractère
planifié du génocide rwandais - écartant le rideau de fumée de la « colère populaire ». Il montre au contraire le lien étroit entre le foyer
génocidaire (en cercles concentriques autour du colonel Bagosora), son idéologie exterminatrice et l’intense travail de propagande qui a multiplié
de tels artifices - grâce, entre autres, à la trop fameuse Radio des Mille Collines. Les partisans du génocide, assez peu nombreux au départ, ont
gagné à eux une fraction notable des Hutus rwandais - par la persuasion, l’intérêt, la ruse et la force. L’un des nombreux atouts du livre est
d’articuler cette perspective globale avec deux vastes enquêtes locales, dans les préfectures de Gikongoro et Butare.
La description du génocide au quotidien a ceci de fascinant qu’elle distille l’accoutumance. L’on voit ainsi comment la plus grande partie de
l’élite hutue - militaire, administrative, religieuse, intellectuelle - est amenée, bon gré, mal gré, à participer à la machine génocidaire, ou à la
cautionner. Terrifiant. Tellement “ordinaire”, “respectable”, que la “communauté internationale”, dans pratiquement toutes ses composantes, a été
elle aussi prise au piège de la “tolérance”, comme hypnotisée.
Ce rôle permissif ou facilitateur de l’étranger est longuement analysé. Mais un pays a fait bien pire, la France, en ce qu’il a soutenu le pouvoir
génocidaire pendant et après le génocide. Elle avait « choisi le camp du génocide » - comme nous l’écrivons depuis 1994 - et elle ne s’est pas
départie de ce choix. Ce camp, c’est le pouvoir civil, le Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), totalement impliqué. Mais ce sont surtout les
militaires (la Garde présidentielle, les Forces armées rwandaises, la gendarmerie), dont l’étude confirme qu’ils constituèrent le noyau dur et le
bras armé du génocide - bien plus que leurs acolytes miliciens. Or l’armée française, ses services secrets (notamment la Direction du
renseignement militaire, DRM) et ses vrais-faux mercenaires (genre Barril), vivaient depuis quatre ans en osmose avec ces soldats-là.
De tout cela, et de quelques autres sujets traités par cette étude monumentale, il fallait que nous donnions un avant-goût à nos lecteurs. Extraits.
L’Organisation
« Le mouvement connu sous le nom de “Hutu power” [...], une coalition qui devait permettre le génocide, se construisit sur le cadavre de
Ndadaye », le président burundais assassiné par des militaires tutsis le 21 octobre 1993. Froduald Karamira [leader de la fraction “Power” du MDR] en
fut le chantre, au meeting fondateur du 23 octobre à Kigali (p. 164).
« Le bras armé du Hutu power devait être l’“armée populaire de jeunes gens robustes” qui avait été ébauchée par l’AMASASU [un cercle clandestin
d’officiers] et par Bagosora [éminence de l’AMASASU] en janvier 1993. [...] Une semaine seulement après la manifestation du Hutu power, une
commission des FAR [Forces armées rwandaises] se réunissait pour planifier son organisation. [...] “L’ossature” du plan d’autodéfense populaire
serait constituée par “les militaires qui logent à l’extérieur des camps” [...], assistés [...] par d’anciens soldats. [...] Le système n’était peut-être pas
tout à fait opérationnel le 7 avril, mais ce qui existait déjà répondait de manière très efficace à l’objectif recherché » (p. 166-167).
Le colonel Théoneste Bagosora s’installe aux commandes dès l’assassinat d’Habyarimana, grâce à son réseau de militaires, d’anciens militaires, et
de politiciens extrémistes (p. 219). Mais jusqu’au 12 avril il rencontre des oppositions assez vives au sein de l’armée. Il pouvait compter sur 2 000
soldats d’élite (p. 228). « Les tueurs qui répondirent aux premiers appels au massacre ne furent probablement pas plus de 6 000 ou 7 000 dans tout
le pays » (p. 235).
« Ceux qui déclenchèrent le génocide et le massacre des adversaires du Hutu Power étaient peu nombreux. Parmi les initiateurs figuraient
apparemment des officiers de l’armée, tels Bagosora [...], le major Protais Mpiranya, [...] François-Xavier Nzuwonemeye [...], le major Aloys
Ntabakuze [...], le lieutenant-colonel Léonard Nkundiye [...], le capitaine Gaspard Hategekimana [...], le colonel Anatole Nsengiyumva, [...] le
colonel Tharcisse Renzaho [...]. Robert Kabuga et George Rutaganda, [...] ainsi que Mathieu Ngirumpatse et Jean-Bosco Barayagziwa, [...]
ordonnèrent probablement aux miliciens de sortir. Ngirumpatse et d’autres hommes politiques, parmi lesquels Froduald Karamira, Joseph
Nzirorera, Édouard Karemera, Justin Mugenzi et Donat Murego, avaient participé à la formation du gouvernement intérimaire à la demande de
Bagosora, ils étaient donc responsables de la composition du groupe qui mit l’État au service du génocide [...].
D’autres membres de l’akazu semblent avoir joué un rôle important, [...] Madame Habyarimana, [...] Michel Bagaragaza, [...] le colonel
Rwagafilita » (p. 233-234).
« Les militaires jouèrent un rôle décisif en déclenchant le massacre et en l’orchestrant. [...] La participation systématique et à grande échelle des
militaires pendant toute la durée du génocide, démontre que leur rôle fut dicté ou approuvé par les plus hautes autorités à l’échelon national »
(p. 262-263).
« Les responsables politiques à tous les niveaux encouragèrent le génocide, se lançant dans la campagne de tueries pour accroître leur influence,
ou évincer des rivaux » (p. 266-267).
Témoignage devant le Tribunal d’Arusha du général Roméo Dallaire, chef de la MINUAR (les forces de l’ONU sur place) : « Les milices et ceux
qui les contrôlaient semblaient suivre les instructions données par le colonel Bagosora » (p. 269). Déclaration de Froduald Karamira sur Radio-
Rwanda le 12/04/1994 : les milices « suivaient l’armée ». « Les chefs des milices déplaçaient leurs hommes d’une région à l’autre. Ces transferts
temporaires de miliciens démontrent à quel point le génocide était centralisé » (p. 270).
« Il fallait mobiliser des centaines de milliers de gens [...] [pour] tuer, [...] s’occuper de la tenue des barrières et de la traque des survivants. [...]
Comme l’avait déclaré Karamira dans un discours radiodiffusé le 12 avril, cette “guerre” devait devenir la responsabilité de tous. Le
gouvernement intérimaire ordonna à l’administration d’effectuer cette mobilisation. [...] Si les préfets transmettaient les ordres et supervisaient les
résultats, les bourgmestres et leurs subordonnés furent ceux qui mobilisèrent véritablement la population. [...] [Ils] amenaient les gens sur les lieux
des massacres, où des militaires, ou encore d’anciens soldats, prenaient généralement la direction de la suite des opérations. [...] Les bourgmestres
eurent la responsabilité d’assurer la poursuite du génocide sur une période de plusieurs semaines » (p. 272).
Les organisateurs du génocide « avaient l’intention de bâtir une responsabilité collective pour le génocide. Les gens étaient encouragés à se livrer
ensemble aux tueries. “Aucune personne seule n’a tué une autre personne”, déclara un des participants » (p. 892).
72
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Des “encadreurs de la jeunesse”, recrutés par les communes à partir de l’automne 1993, semblent avoir joué un rôle important dans cette
mobilisation (p. 155).
De janvier 1993 à février 1994, 581 tonnes de machettes (d’environ 1 kg) ont été importées au Rwanda. À peu près le double des années
précédentes. Parmi les commanditaires : Félicien Kabuga, homme d’affaires de Byumba, ami d’Habyarimana. Autres acheteurs : Eugène
Mbarushimana, gendre de Kabuga et secrétaire général des Interahamwe ; François Burasa, frère aîné de Barayagziwa, chef de la CDR (p. 152-
153).
« Bon nombre de clergés locaux, catholiques comme protestants, donnèrent leur accord tacite au génocide en participant aux comités de sécurité »
mis en place par Bagosora pour administrer le génocide à l’échelon local (p. 291).
« Les autorités militaires, administratives et politiques se lancèrent dans une entreprise de supercherie avec trois objectifs en tête : tromper les
étrangers [...], leurrer les Tutsi pour les tuer plus facilement et manipuler les Hutu. [...] L’entreprise de mystification était parfaitement cohérente.
[...] Les organisateurs utilisèrent le génocide pour faire la guerre et se servirent de la guerre pour dissimuler le génocide » (p. 297).
Thème : l’assassinat d’Habyarimana aurait suscité une interminable « colère spontanée » et poussé la population à s’organiser partout en
« autodéfense » contre les Inyenzi (les « cafards », surnom donné au FPR) et leurs complices. Avec l’éternel refrain : tuer avant d’être tué.
Cette propagande fait un usage intensif des « accusations en miroir » (on accuse l’autre de ce qu’on fait soi-même).
« Les meneurs de la campagne de tueries [...] tuèrent ou limogèrent des militaires et des fonctionnaires dissidents et en menacèrent d’autres pour
les contraindre à obéir » (p. 309).
« Le siège du bureau d’“autodéfense civile” était dans le bureau de Bagosora au ministère de la Défense » (p. 328-329).
« Les massacres les plus horribles étaient terminés à la fin avril » (p.331).
L’ONU
Les Accords d’Arusha prévoyaient l’arrivée d’une force de maintien de la paix des Nations unies dans les trente-sept jours suivant leur signature,
le 4 août 1993. Il fallut huit mois pour voter le budget de la MINUAR... le 4 avril 1994.
Les Accords prévoyaient que les Casques bleus devraient « participer à la recherche des caches d’armes et à la neutralisation des groupes
armés ». Les diplomates de New York supprimèrent totalement ces dispositions (p. 157-159).
Les règles d’engagement acceptées par le siège de l’ONU prévoyaient explicitement que « la MINUAR prendra l’action nécessaire pour empêcher
tout crime contre l’humanité »... (p. 160).
Quelques heures après l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, le général Dallaire, chef de la MINUAR, alerta l’ONU à New York. Ses supérieurs
au Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) répondirent « que personne à New York ne s’intéressait à ça » (p. 701).
Les Américains et les Anglais s’opposent à l’élargissement du mandat de la MINUAR (p. 708). Les Américains interprètent le problème rwandais
à travers le prisme de la Somalie. Le Black Caucus (le lobby des parlementaires noirs) ne manifeste pas d’intérêt (p. 729-730).
Kofi Annan, chef du DOMP, s’oppose au renforcement de la MINUAR. Il propose même qu’elle quitte le Rwanda avec les forces d’évacuation
française et belge (p. 709-710).
En combinant la MINUAR, ces forces d’évacuation, et les forces occidentales prépositionnées dans la région, on disposait de plus de 3 000 soldats
compétents. Selon le général français Quesnot, il aurait suffi de 2 000 « hommes décidés » pour arrêter les massacres (900 selon le FPR).
« Ordres de New York [au général Dallaire] : pas de locaux ». (pas d’évacuation des employés locaux de l’ONU) (p. 715).
Pendant le trimestre du génocide, au Conseil de sécurité de l’ONU, le représentant du Gouvernement intérimaire rwandais « travaillait étroitement
avec la France, puis avec Djibouti et Oman » (p. 731).
Le Secrétaire général Boutros-Ghali « bénéficiait [...] habituellement d’un soutien appuyé de la France ». Son représentant à Kigali, le
Camerounais Roger Booh-Booh, envoie des informations lénifiantes, s’attardant peu sur les massacres et gommant leur dimension organisée -
contrairement à Dallaire.
« Le personnel du secrétariat [...] privilégiait l’interprétation de Booh-Booh ». Au Conseil de sécurité, « le vocabulaire utilisé par le Secrétaire
général semble [...] refléter le point de vue du gouvernement intérimaire [rwandais], renforcé sans nul doute par la France » (p. 731-734).
Ce vocabulaire reprend la « description délibérément inexacte des tueries qui était diffusée par certains représentants de la France et par le
gouvernement intérimaire lui-même » : « des militaires incontrôlés » et « des groupes de civils armés », cédant à « des inimitiés ethniques
profondément ancrées » (p. 744).
Le Nigeria est l’un des rares membres du Conseil à réagir - sans succès. Mais il y a un blocage général sur le mot « génocide ». Même du
Nigeria (à cause des Ogonis ?).
« La France ne cessa pas d’apporter [son soutien] au gouvernement intérimaire. Certains responsables politiques français, menés par
Mitterrand, étaient déterminés à empêcher une victoire du FPR, même si cela devait signifier de continuer de collaborer avec des tueurs
en train de commettre un génocide » (p. 742). [C’est nous qui soulignons]
La Chine, Djibouti et la Grande Bretagne, membres du Conseil de sécurité, y ont également des attitudes lamentables (p. 745).
73
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Le 16 mai, le ministre des Affaires étrangères rwandais Bicamumpaka est autorisé à s’exprimer devant le Conseil de sécurité. Il « tenta de justifier
le génocide » (p. 750).
La France
Le soutien français à Habyarimana. Il provient d’un « raisonnement qui exhale les passions coloniales du siècle dernier » (p. 142).
En février 1993, les Français livrèrent aux FAR jusqu’à 20 tonnes d’armes par jour (p. 145).
« Le 21 février 1993, Le Monde, journal réputé sérieux, publia le récit d’un massacre de plusieurs centaines de civils par le FPR, qui n’avait en
réalité jamais eu lieu » (p. 146).
« Le général Christian Quesnot, chef de l’état-major particulier du Président, et le général Jean-Pierre Huchon [...] partagèrent et orientèrent aussi
l’analyse de Mitterrand sur la situation rwandaise ». « Après la reprise des affrontements [simultanément, donc, avec la commission du génocide] ,
certains militaires français haut gradés défendirent avec encore plus de fermeté l’idée que les combattants du FPR étaient les “Khmers noirs” ».
L’un d’eux a déclaré à un chercheur : « Arusha, c’est Munich », grosso modo le langage du colonel Bagosora. « Les militaires [français] utilisaient
des expressions comme “Tutsiland” et ”pays Hutu” dans leur correspondance privée et même dans leurs ordres officiels » (p. 762-763).
Dès le 7 avril matin, « quatre soldats français montaient la garde devant le domicile de Habyarimana ». Pourquoi ? Les troupes et conseillers
français étaient censés avoir quitté le pays après les accords d’Arusha, en décembre 1993...
« Il n’y a eu aucun récit sur le rôle joué par ces conseillers français [de l’état-major de l’armée, de la gendarmerie, etc., soit au moins 40 militaires] dans
les premiers jours de la crise, alors que les officiers qu’ils avaient entraînés, ordonnaient à leurs soldats de massacrer les civils » (p. 764).
« La France accorda au gouvernement intérimaire un soutien politique discret mais vital » (p. 765). [C’est nous qui soulignons]
« Lorsque quatre ans après les événements, un haut responsable français connaissant bien le dossier rwandais, était interrogé pour préciser si les
pressions venant de Paris avaient apporté des changements significatifs dans la politique du gouvernement génocidaire, il rétorqua : “Quelles
pressions ? Il n’y avait pas de pressions” » (p. 768).
« Pendant le génocide, le lieutenant-colonel Cyprien Kayumba passa vingt-sept jours à Paris, pour tenter d’accélérer les fournitures d’armes et de
munitions à l’armée rwandaise. [...] Il rencontrait fréquemment [...] le général Jean-Pierre Huchon » (p. 770).
Pendant le génocide, Paul Barril est « engagé par le ministère rwandais de la Défense pour diriger un programme de formation de 30 à 60 hommes
[...] au tir et aux techniques d’infiltration, une unité d’élite. [...] L’opération avait reçu le nom de code d’“opération insecticide”, signifiant que
l’opération se destinait à exterminer les inyenzi ou les “cafards” ». Barril reçut à cet effet 1 200 000 dollars (p. 774-775).
De nombreux témoignages mentionnent la présence de soldats blancs francophones durant le génocide. Un officier français a répondu à Patrick de
Saint-Exupéry qu’il s’agissait probablement de mercenaires (p. 775-776).
« L’opération Turquoise avait en fait un objectif parallèle à celui de sauver des vies : empêcher une victoire du FPR » (p. 777).
« Aux Nations unies, les diplomates français qui essayaient d’obtenir un soutien pour l’opération Turquoise, montrèrent pour commencer une carte
qui proposait une zone sous contrôle de la France, devant englober tout le territoire situé à l’ouest d’une ligne qui partait de Ruhengeri au nord,
puis qui descendait en direction du sud-est, vers Kigali, et finissait sa course, dans une direction sud-ouest, à Butare. Cette zone aurait compris
Gisenyi, là où le gouvernement intérimaire s’était réfugié, [...] d’où Habyarimana était originaire, comme beaucoup d’officiers de haut rang [...], où
les forces du gouvernement avaient concentré le gros des troupes et du ravitaillement [...], le site idéal pour lancer une contre-offensive » (p. 779).
Un détachement français de 200 soldats d’élite est entré à Gisenyi dès le début de Turquoise [24 juin], prêt à « protéger la ville qui abritait le
gouvernement génocidaire ». Cet épisode paraît si gênant qu’il ne figure pas dans le rapport de la mission parlementaire d’information (p.784).
Que cache-t-il ?
Mi-juillet 1994, les principaux responsables du gouvernement intérimaire « étaient à Cyangugu [en zone Turquoise] et [...] reconstituaient leur
gouvernement ». L’ambassadeur de France Yannick Gérard proposa à Paris qu’ils soient arrêtés. Bruno Delaye, le « Monsieur Afrique » de
Mitterrand, s’y opposa. En suite de quoi, le 17 juillet, l’état-major tactique de l’armée française a « provoqué et organisé » l’évacuation de ce
gouvernement vers le Zaïre (p. 795-796).
Le journaliste Sam Kiley (A French Hand in Genocide, The Times, 09/04/1998) a accusé les soldats français d’avoir évacué le colonel Bagosora par
avion, le 2 juillet. Il tient cette information d’un officier français de haut rang, qui connaissait bien Bagosora. « Les soldats français ravitaillèrent
même en carburant, avant leur départ pour le Zaïre, les camions de l’armée rwandaise chargés du butin pillé dans des maisons et des magasins. Au
Zaïre, des soldats français promenaient leurs collègues rwandais dans des véhicules officiels » (p. 798).
« Les Français pouvaient sauver des vies et le firent quand cela servait leurs intérêts » (p. 799).
Le rapport de la mission parlementaire française d’information sur le Rwanda est « bien loin d’établir la responsabilité des divers décideurs
politiques et militaires » (p. 890). [C’est nous qui soulignons]
Le FPR
Les 39 pages sur les exactions du FPR (p. 805, 808 et 817-853) ont été présentées comme « la » révélation du livre (Libération, 31/03/1999 1).
Refusant l’impunité, les auteurs ont pris, avec raison, le parti de ne pas les cacher. Ils commencent ainsi le chapitre traitant de la question : « Le
Front patriotique rwandais mit fin au génocide de 1994 en infligeant une défaite aux autorités civiles et militaires responsables des tueries. [...]
Dans la poursuite d’une victoire militaire et de l’arrêt du génocide, le FPR tua des milliers de gens, aussi bien des non combattants que des troupes
gouvernementales et des miliciens. En cherchant à établir leur contrôle sur la population locale, ils tuèrent aussi des civils par de nombreuses
74
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
exécutions sommaires et des massacres. Il semble qu’ils aient tué des dizaines de milliers de gens durant les quatre mois de combat, entre avril et
juillet. Les tueries diminuèrent en août et se réduisirent nettement après la mi-septembre ». (p. 805)
Ils constatent plus loin : « Les pressions exercées par Annan, ainsi que par les États-Unis, et peut-être par d’autres en coulisse, [...] renforcèrent
au sein du gouvernement la position des modérés qui voulaient mettre fin aux attaques visant les civils » (p. 850).
Commentaire d’un dirigeant américain, en septembre 1994 : « Trois choix s’offraient à nous : soutenir le gouvernement génocidaire, ce qui était
impossible ; soutenir le FPR, ce qui était possible ; ne soutenir aucun des deux ce qui était inacceptable, car les génocidaires auraient alors pu
revenir et gagner ». (p. 849).
Bien qu’il soit très difficile d’établir le nombre approximatif de personnes tuées par le FPR, l’ouvrage avance, sur la base « d’indications partielles
et non confirmées, [...] un nombre de victimes compris au minimum entre 25 000 et 30 000 [...]. Il est impossible de dire combien de ces victimes
avaient participé activement au génocide, ou combien étaient engagées dans des opérations militaires contre le FPR, au moment où elles furent
tuées » (p. 852).
Il est en tout cas certain qu’en plusieurs endroits il s’agissait de civils non combattants, y compris des enfants (comme à Mukingi ou Gatenzi). Il y
eut aussi beaucoup d’exécutions sommaires et arbitraires.
Selon un témoin, ancien soldat du FPR, considéré comme crédible et convaincant, des milliers de prisonniers civils, attachés, ont été tués à coups
de marteau ou d’instruments contondants, puis leurs corps brûlés, au quartier général du service des renseignements militaires à Masaka, ou au
camp de l’armée de Gabiro, dans le parc national d’Akagera (p. 837-838).
« Certains types d’exactions étaient perpétrées avec une telle fréquence et d’une manière tellement similaire, qu'elles devaient être dirigées par
des officiers qui les commandaient en haut lieu. Il est probable que ces types d’abus étaient connus et tolérés par les plus hautes autorités du
FPR » (p. 808).
Quelques officiers ont été condamnés, trop rares, et plus souvent des soldats (p. 850-851). Patron en 1994 des renseignements militaires, et donc
du QG de Masaka, le colonel Kayumba a été nommé chef d’état-major en 1998 (p. 853).
La trop faible réprobation de la communauté internationale a pu laisser croire que « les tueries de civils, si elles étaient perpétrées à la suite d’un
génocide, étaient compréhensibles et pouvaient être tolérées. De cette façon, la porte était ouverte aux massacres futurs » (p. 853).
[Cette réprobation nécessaire est d’autant plus forte et efficace qu’elle est portée par des milieux non complaisants avec l’idéologie génocidaire
du Hutu power, et ses corollaires négationnistes (l’indulgence pour la « colère populaire »). C’est manifestement le cas avec cet ouvrage. À en
juger par les auditions de la mission d’information parlementaire française, par les clichés d’une partie de la presse et par la tranquillité laissée
aux suspects de génocide réfugiés dans l’Hexagone, ce n’est pas encore vraiment le cas en France. Ni au Vatican, en Flandre, et quelques autres
contrées influentes au Rwanda.
Il est clair, avec ce livre, qu’on y a encouragé une mécanique génocidaire ou réconforté ses mécaniciens. Regarder en face de telles complicités
et y devenir intolérant permet d’être crédible quand on exige de Kigali l’intolérance aux crimes commis par certains de ses officiers. Les auteurs
de cet ouvrage le sont dans leur dénonciation. Et nous partageons leur avis sur le grave danger qu’il y a à laisser ces officiers-là, impunis, suivre
ou mener d’autres guerres dans l’Afrique des Grands Lacs. L’incontestable travail de reconstruction civile entrepris depuis cinq ans au Rwanda
risque fort d’en être moralement ruiné].
1. Un article brandi au Tribunal d’Arusha, par un “expert” burundais, à l’appui de la thèse du “double génocide” (Ubutabera , 12/04/1999).
LIRE
Charles ONANA, Bokassa. Ascension et chute d’un empereur. 1921-1996, Éditions Duboirris, 1998, 271 p.
Ce livre d’enquête apporte beaucoup de précisions et de documents. Il voudrait aussi dédiaboliser la personnalité de Bokassa. La partie la plus
touchante est celle qui raconte le drame de son enfance, dans un contexte de travail forcé et de brutalité coloniale, parfois oublié (malgré André
Gide, Albert Londres, ou Mongo Béti).
Quand les hommes n’étaient pas astreints à récolter, loin de leur village, une quantité excessive de caoutchouc, ils étaient réquisitionnés pour la
construction des voies ferrées - une hécatombe. Les récalcitrants étaient battus (parfois à mort), mutilés ou emprisonnés. Chef coutumier, le père de
Bokassa avait fait libérer certains d’entre eux. Pour ce crime impardonnable, il fut exécuté, sous les yeux de sa femme et de leur fils de 6 ans,
Jean. La veuve mourut de chagrin une semaine plus tard. La tante de Jean, Sirilié, périt peu après sous les coups de fouet des sbires de la
Compagnie forestière Sanga-Oubangui (CFSO), qui avait le monopole du caoutchouc dans la région : c’était la mère de Barthélémy Boganda, le
futur grand leader centrafricain.
Par la suite, engagé dans les troupes africaines de la “France libre”, Jean l’orphelin allait gravir tous les échelons de l’armée française sous la
figure paternelle de De Gaulle. Une bonne part des bizarreries du comportement de Bokassa s’explique sans doute par cette double filiation
paradoxale, difficilement gérable. L’auteur signale une étrange coïncidence” : la CFSO, qui obtint l’exécution du père de Bokassa et assassina sa
tante, était la filiale d’une société coloniale, la SFFC, dirigée à l’époque par Edmond Giscard d’Estaing - le père du futur Président, Valéry.
Celui-ci allait s’acoquiner avec Jean Bokassa en d’innombrables parties de chasse, ou autres. Il en recevra des diamants, se laissera appeler son
“parent”, avant de le renverser en 1979 par l’expédition Barracuda - qui permit aussi à la DGSE de récupérer un stock d’archives compromettantes.
Car, avec la complicité de Bokassa, le Centrafrique était devenu le paradis des trafics de diamants et d’ivoire. Au bénéfice de quantité de
personnalités politiques, de militaires et de fonctionnaires français.
On a exagéré la cruauté de Bokassa, pour mieux le “débarquer”. Mais il était quand même cruel. Et corrompu. Il considérait le Centrafrique
comme son domaine-caserne, et le pillait à la façon d’un Mobutu (toutes proportions gardées). En nous éclairant sur la psychologie complexe du
personnage, l’auteur parvient à l’humaniser. Mais on ne le suit pas quand il est proche de l’excuser : même si Bokassa n’était pas un monstre, ce fut
un exécrable gouvernant. Certes, il n’a pas été le seul, en Afrique et ailleurs, à atteindre son degré d’incompétence le plus élevé. C’est une maigre
consolation pour les victimes centrafricaines de son mal-être.
Quant aux complicités françaises d’une escroquerie achevée en fiasco, l’auteur ne fait que lever le coin du voile. Et pour cause : l’occultation fut
soigneusement maintenue, y compris par François Mitterrand.
Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), Le pouvoir à tout prix, Rapport annuel 1998, 42 p.
75
Billets d’Afrique N° 70 – Mai
1999
Un document courageux et instructif, qui ne ménage aucun des deux camps en guerre dans l’ex-Zaïre. L’un des passages les plus inquiétants
concerne « le viol des femmes et des jeunes filles comme stratégie de guerre et de domination », souvent au domicile de la victime, en présence
d’enfants ou d’autres personnes. Si vraiment cette stratégie est pratiquée systématiquement par les rebelles dans le Kivu, elle donne une piètre idée
de ceux qui la commandent. De la graine de Mladic.
International Crisis Group (ICG), Cinq ans après le génocide au Rwanda. La justice en question, 07/04/1999, 40 p.
Cet examen du travail de la justice au Rwanda et à Arusha conduit finalement à un avis beaucoup moins pessimiste qu’on ne pourrait l’attendre.
Avec le temps, et compte tenu du niveau de départ, on s’aperçoit que beaucoup a été fait, bien des leçons assimilées. Les défis seront peut-être
relevés : transformer en justice internationale crédible le tribunal babélien d’Arusha, et faire un sort point trop injuste à une partie des centaines de
milliers de personnes qui ont commis le génocide rwandais. De quoi donner à réfléchir aux criminels contre l’humanité de tous bords. L’impunité
ne va plus de soi, la justice ne s’arrêtera pas là.
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019
DÉPÔT LEGAL : MAI 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 95 F (ÉTRANGER : 120 F)
76
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
BILLETS D’AFRIQUE N° 71 - JUIN 1999
ILLÉGALITÉ, LÉGITIMITÉ
Selon un sondage publié début mai, deux Français sur trois estiment que Jacques Chirac est « le président de tous les Français » et
jugent son bilan « dans l’ensemble plutôt positif ». Il est donc incontestablement légitime.
Pourtant, il reste la principale tête de réseau de la Françafrique, dont les ingérences ont fait le drame du Congo-Brazza, ont
concouru à la tragédie de la région des Grands Lacs et en attisent les conflits - comme au Sierra Leone et en Angola. Une
Françafrique qui continue de coloniser le Gabon, le Tchad, les Comores, Djibouti.
Ce même Jacques Chirac veut faire croire à la légitimité de la dictature togolaise. Il se prépare à aller au Cameroun relégitimer le
régime autocratique et prédateur de Paul Biya 1.
On l’a vu au long du procès de Bob Denard : la France ne considère pas ses ex-colonies d’Afrique subsaharienne comme des États
vraiment indépendants, ce sont pour elle des zones de non-droit, hors la loi. Elle considère légitime d’y intervenir, à tort et à travers,
par mercenaires, barbouzes, ou Elf interposés.
Il n’est pas facile pour des ressortissants d’un pays démocratique, considérant la légitimité du pouvoir élu, de s’opposer sans
faiblir à une politique illégale, dangereuse et souvent criminelle, commise ou permise en notre nom avec l’assentiment tacite d’une
majorité de l’opinion.
C’est le cap suivi par ces Billets. C’est le choix réaffirmé par l’association qui l’édite, Survie, lors de son assemblée générale du 9
mai.
1. En juillet - et non en mai, comme annoncé dans notre n° 70. Un report dû à la guerre du Kosovo.
SALVES
To go home !
Dans un rapport publié le 5 mai (Togo, État de terreur), Amnesty International indique que, selon ses enquêteurs, des centaines de
personnes, dont des militaires, ont été exécutées de manière extrajudiciaire en juin 1998 par le régime du général Eyadema. Les
corps ont été vus en haute mer par des pêcheurs, après beaucoup de mouvements inhabituels d’avions et d’hélicoptères. Ces aéronefs
sont entretenus grâce à la coopération militaire française.
Les faits sont vivement contestés par le régime togolais, qui entend porter plainte contre Amnesty 1. Celle-ci nous a confirmé le très
grand sérieux de son enquête. Elle en maintient les résultats, malgré la polémique (voir Ils ont dit). Les victimes en uniforme se sont
probablement dressées contre la dictature 2 lors du scrutin présidentiel escamoté de l’an dernier.
L’affaire nous renvoie vingt ans en arrière : elle évoque les crimes de la junte argentine, de sinistre mémoire, jetant d’avion dans la
mer les corps de ses opposants torturés. Sauf qu’il s’agit ici d’un régime totalement dépendant de la France pour la logistique de son
armée, et partiellement pour son encadrement.
Amnesty signale aussi qu’un haut responsable de la gendarmerie togolaise, accusé d’avoir ordonné des tortures, a été décoré en
avril 1998, par la France, de l’Ordre national du mérite, et qu’un capitaine de gendarmerie, également accusé de torture, était en
formation en France.
On ne comprendrait pas comment, dans ce contexte, Paris pourrait poursuivre sa (trop) longue coopération militaire avec la
dictature togolaise. Mais on entend d’ici les hurlements de la Françafrique directement mise en cause en l’un de ses donjons. Par
Amnesty. Encore un coup des Anglo-Saxons !
1. Et arrête des militants des droits de l’homme, tels Nestor Tengue.
2. Pour Michel Rocard, son ami Eyadema n’est pas un dictateur. Voir Ils ont dit.
Langue d’oil
Le projet d’exploitation pétrolière au Tchad et de pipe-line associé est “dans les tuyaux”, mais ça bouchonne encore. Une décision
de la Banque mondiale est attendue pour juillet ou septembre. Son feu vert est indispensable. Courtier d’Elf et du tandem Bouygues-
Bolloré (fortement intéressé à la construction de l’oléoduc), Jacques Chirac a mis la pression sur le président de la Banque, James
Wolfensohn.
Réunie à Bebedjia du 7 au 11 avril, la société civile tchadienne reste très réservée sur les conditions d’indemnisation des personnes
expropriées et sur le Plan de développement régional censé bénéficier à la population de la région pétrolifère. Elle demande une
reprise et un approfondissement de la concertation.
En réalité, personne ne croit qu'Idriss Déby, seigneur de la guerre et saigneur du Trésor public, va laisser de l’argent pour
développer le Sud du pays. Ni que le consortium pétrolier se soucie vraiment de l’écologie régionale et du bien-être local 1.
Le 19 mai, le “député des 300 puits” Ngarléjy Yorongar a tenu une vidéoconférence avec l’équipe de la Banque mondiale en
charge du dossier. L’homme politique tchadien a surclassé les technocrates. Incapables de masquer les nombreuses failles du projet,
ils ont été réduits à la langue de bois, ou à une argumentation pathétique : « Nous appliquons les mêmes standards au sud du Tchad
que dans les pays du Nord. [...] Aux États-Unis, des gens ont des puits dans leurs jardins et ils continuent d’y vivre sans aucun
problème ». Au sud du Nigeria, que pensent les Ogonis de ces « standards » ?
1. Agir ici et Survie publieront mi-juin un nouveau Dossier noir sur le sujet, qui pourrait s’intituler Les fonds, le brut et les truands.
École de putsch
Du Rwanda aux Comores, les brevetés africains de l'École de guerre se révèlent des “pros” du coup d'État.
Quoi de commun entre Idriss Déby au Tchad, Théoneste Bagosora au Rwanda, Ibrahim Baré Maïnassara (IBM) au Niger et Azali
Assoumani aux Comores ? Ces colonels ou généraux sont passés par l'École de guerre, à Paris, avant de fomenter un coup d'État,
soutenu par des réseaux françafricains. À croire que l'amitié corporatiste de leurs maîtres et condisciples français leur a facilité les
choses. Et à se demander ce qu'on leur enseigne.
Le cas du colonel Bagosora, cerveau présumé du génocide rwandais, est le plus affligeant. Mais la série se poursuit. Aux Comores,
sinistrées par le long passage de Bob Denard (1975-1989, et 1995), un officier frais émoulu de l'École de guerre s’est interposé dans
les évolutions politiques en cours, tant au plan des institutions que des rapports inter-îles 1.
Prétexte du putsch du 29 avril : des manifestations anti-anjouanaises à Moroni (Grande Comore), que l’armée a bien pris soin de
laisser s’exacerber (si elle ne les a pas encouragées).
La claire condamnation émise par des représentants de la nombreuse communauté comorienne en France concorde avec celles de
l'ONU et de l'OUA. Veut-on, à Paris, rejouer le scénario (perdant) de Niamey 1996-99 - la France s’obstinant durant 3 ans à soutenir
un général putschiste, IBM, rejeté par les urnes ?
1. Accords d’Antananarivo, le 23 avril, entre les délégations d’Anjouan, Mohéli et la Grande Comore.
Bombardements et parachutages
Nous parlons peu du conflit au Congo-Brazzaville car nous manquons désespérément d’informations recoupées. Ce black out n’est
pas un hasard. Par tous les bouts (ses alliés angolais et tchadien, des barbouzes et mercenaires, des hommes d’affaires douteux, des
financements en tous genres) la Françafrique est omniprésente dans cette sale guerre.
Le camp Sassou mobilise des moyens de plus en plus lourds : chars, trains blindés, hélicoptères de guerre, aviation. Des villes et
villages sont bombardés. Brazzaville est le siège de nouveaux combats.
L’“ami de la France” reçoit aussi de nouveaux parachutés, aux diverses spécialités. Après Jean-Yves Ollivier, Jacques Attali,
Pierre Aïm - et peut-être Alfred Sirven -, après Bernard Courcelle, ancien patron de la garde présidentielle de Jean-Marie Le Pen (le
DPS), pour un bref passage à la tête de la garde de Sassou (cf. Billets n° 70 et À fleur de presse), voici le Montesquieu des constitutions
françafricaines, le professeur Charles Debbasch (pourtant fort pris à Lomé).
Sur un autre registre, on annonce le “Mozart de la finance”, Jean-François Hénin, ancien président d’une filiale du Crédit
Lyonnais, Altus Finance. Ce virtuose (dont les audaces n’ont pas fini d’allonger l’ardoise du contribuable français, appelé à combler
le trou du Lyonnais) se serait porté acquéreur, au Congo-B, de plusieurs milliers de km² de concessions forestières et de quelques
puits de pétrole (La Lettre du Continent, 06/05/1999). Un droit d’entrée a-t-il été versé au trésor de guerre de Sassou Nguesso ? Et qui paiera
la casse probable de cette nouvelle voltige ?
Nourrir le feu
78
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
Voici huit mois, nous posions la question : « Kabila françafricain ? » (n° 62). « La tentation est grande, ajoutions-nous, de jouer un
épisode supplémentaire de la guéguerre franco-américaine en Afrique. [...] Si l’on y succombe, il faudra une dizaine de missions
d’information parlementaires pour s’auto-absoudre de tout le sang versé ».
La France au secours de Kabila, titre début mai La Lettre du Continent (06/05/1999), avant de poursuivre : « La France aide
Laurent-Désiré Kabila dans sa lutte sans merci avec ses voisins ». « Sans illusion sur le personnage, mais par respect pour le droit
international », tente de se justifier un haut responsable parisien. Un respect tout neuf !
L’aide diplomatique est désormais patente, à New York (ONU) et à Bruxelles (UE). Est-elle oui ou non relayée par une aide sur le
terrain, dont nous avons déjà fourni de premiers indices (n° 68) ?
Il n’y aurait rien de pire, pour prolonger cette guerre insensée, saturée de haines, de pillages et d’exactions, que d’y installer la
rivalité mimétique entre Français et Yankees. On nourrirait un conflit dont il faut surtout couper les vivres. Si on estime à Paris que
Washington aide trop la rébellion, on y dispose d’assez de moyens de renseignement pour “balancer” des informations gênantes.
Ce serait quand même moins nuisible que de fourbir la guerre - au moment où, d’une manière ou d’une autre, la plupart des
protagonistes sont dans l’impasse. Au moment donc où les esquisses de paix se multiplient, et où il devient possible d’organiser la
pression sur les jusqu’au-boutistes, à Kigali, Harare et Kinshasa.
Une paix, d’ailleurs, qui risque ensuite d’être aussi difficile à ancrer qu’au Proche-Orient (une région où la politique extérieure
française est quand même plus raisonnée). Car il faudra raccommoder et reconstruire l’ex-Zaïre en voie de partition, désarmer les ex-
FAR et Interahamwe disséminés dans la région, réconcilier les habitants du Kivu...
Mobutistes
Le gratin des mobutistes s’est à peu près également partagé entre les deux camps en guerre dans l’ex-Zaïre (la République
démocratique du Congo, RDC). À Kinshasa, le griot Dominique Sakombi a été très tôt de la partie. Il fait partie du triumvirat
dirigeant les Comités de pouvoir populaire, « créateurs de l’ordre nouveau en RDC », « venus mettre fin à la politisation que connaît
notre société civile » - dixit Kabila (Info-Congo/Kinshasa, 07/05/1999). Il y a aussi, au ministère de l’Économie, l’homme d’affaires Bemba
Saolona.
Son fils Jean-Pierre dirige une branche nord-ouest de la rébellion. À l'Est (Goma), les mobutistes ont très tôt compté dans le RCD
(Rassemblement congolais pour la démocratie). Des conflits ne cessent d'agiter ce mouvement erratique. Son président Wamba dia
Wamba, un antimobutiste, a été poussé vers la sortie... avant d'être remplacé par un autre antimobutiste, Émile Ilunga. À suivre
(péniblement)...
Courageux Burkina
Le 7 mai, la commission d’enquête indépendante chargée d’élucider les conditions de la mort du journaliste Norbert Zongo a
rendu son rapport. Il confirme l’assassinat. Il désigne comme « sérieux suspects » six membres de la Garde présidentielle, qui
avaient torturé à mort le chauffeur de François Compaoré - frère du président burkinabé. Zongo enquêtait sur ce meurtre.
Dès la publication du document, la pression de la rue remonte. Le 14 mai, le gouvernement n’a plus d’autre issue (hors un coup de
force aux conséquences imprévisibles) que de transmettre le rapport à la justice. C’est ainsi qu’une extraordinaire mobilisation de la
société civile reconquiert l’État de droit. Un exemple pour toute l’Afrique.
Corsaire populaire
Le 19 mai, la Cour d’assises de Paris a acquitté Bob Denard et son collègue en mercenariat, Dominique Malacrino dit Marques, de
toute complicité dans l’assassinat du président comorien Ahmed Abdallah, en 1989. Le principal accusé, leur ami Guerrier dit Siam,
était en fuite.
Très schématiquement, on peut résumer ainsi le meurtre à huis clos. En accord avec les sponsors de Denard (la Françafrique et le
régime sud-africain d’apartheid), Abdallah voulait limoger le groupe des mercenaires français encadrant sa Garde présidentielle et
régentant de fait le pays. Cinq hommes se retrouvent dans le palais d’Abdallah : le président, son garde du corps Jaffar, et le trio
79
mercenaire emmené par Denard. Seul le trio en sort vivant, l’enquête est brouillée, les indices se volatilisent.
La Cour n’a plus guère que la parole des deux mercenaires présents, qui plaident un acte de légitime défense de Guerrier face à
Jaffar. Alambiquée, leur version des faits ne convainc guère - surtout pas les Comoriens présents dans la salle -, mais le procureur
peine, et pour cause, à décrire ce meurtre sans tiers témoins. Denard et Malacrino sont acquittés au bénéfice du doute.
Durant près de 40 ans, Bob Denard a été l’instrument du piétinement des indépendances africaines, d’une série d’ingérences qui
causèrent d’innombrables victimes. Certes, il l’a fait en parfaite intelligence avec la France officieuse des Foccart et Cie, ce qui lui
permet de poser au « corsaire ». Certes, ce n’est pas sur ce lourd bilan qu’il était jugé. Mais son acquittement a scandalisé les
Comoriens, comme beaucoup d’Africains.
Finalement, Bob Denard a obtenu le beurre et l’argent du beurre : d’un côté il a joui de la liberté de manœuvre et des rétributions
d’un “privé”, appointé par Houphouët, Bongo, Eyadema, Hassan II, Botha, Foccart, etc. ; de l’autre, il a acquis une triple
consécration, officielle, média- tique et judiciaire.
Son nouveau procès lui a valu une brassée de louanges des anciens responsables des services secrets : le général Jeannou Lacaze,
le colonel Maurice Robert (« il a toujours été d’une discipline et d’une discrétion totales ») et Michel Roussin (« un collaborateur
extérieur fiable et honnête ») - tous trois très versés dans les affaires africaines.
Chouchou des médias, un rien sentimental, l'oncle Bob avait déjà charmé les téléspectateurs en leur contant ses aventures
exotiques, au service du drapeau tricolore. Oubliés tous ces crimes d’agression contre les peuples africains, du Congo-Zaïre aux
Comores en passant par le Nigeria et le Bénin. Occultés le recrutement et la fréquentation de compagnons racistes dont l’un,
probablement, est venu à Paris assassiner la militante anti-apartheid Dulcie September 1. « L’apartheid, ça ne vous dérangeait
pas ? », demande le président de la Cour. « Je ne fais pas de politique »
(cité par Libération du 10/05/1999).
Bob Denard a joué la légende vivante. Son paternalisme patriote flattait certaines nostalgies hexagonales. Il était peu probable
qu’un jury populaire français se montre sévère à son endroit.
Mais était-ce l’instance adéquate ? La justice française peut-elle vraiment juger celui qui se présente comme « un soldat » de la
République, livrant une série de guerres non déclarées ? Vivement une vraie justice pénale internationale !
1. Cf. F.X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998, p. 199.
80
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
“Les peuples” vs Elf
Du 19 au 21 mai, à l’initiative du Cédétim et à l’invitation des députés Verts, le Tribunal permanent des peuples (TPP, ex-Tribunal
Russell) a tenu une session dans les locaux de l’Assemblée nationale. Il a examiné la plainte déposée par le Collectif Elf ne doit pas
faire la loi en Afrique 1 contre l’entreprise Elf-Aquitaine.
Furieuse, celle-ci avait protesté auprès du président de l’Assemblée Laurent Fabius (Figaro, 12/05/1999). En vain (un bon point !).
Dépourvu bien sûr de pouvoir coercitif, le TPP tient à pallier un vide juridique : même après l’instauration d’une Cour pénale
internationale, le respect des droits fondamentaux des peuples n’est pas garanti - en particulier contre les manœuvres dolosives des
multinationales, souvent beaucoup plus riches que les États.
Ce fut le cas des Ogonis au Nigeria, des peuples de l’Angola, du Cameroun, du Congo-B. Ce pourrait l’être bientôt pour ceux du
Tchad. À cet égard, et malgré les faibles moyens du TPP, sa sentence (cf. Ils ont dit) est riche d’un droit en gestation.
1. Ce collectif comprend 48 associations, syndicats et partis, français et africains (cf. Billets n° 57). 21 ter rue Voltaire 75011-Paris. Tél. 01 43 71 62 12.
Dettes passées
Pendant ce temps se poursuit la campagne pour une remise de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), animée par le CCFD
et Agir ici 1. On l’a dit (Billets n° 68), le ministre de l’Économie et des Finances Dominique Strauss-Kahn y a réservé un premier accueil
favorable. Il a constitué un groupe de travail avec les ONG.
Les réunions sont instructives. Sur 41 PPTE, 10 sont déjà retenus par la Banque mondiale (Bolivie, Burkina, Côte d’Ivoire, Éthiopie,
Guinée-Bissau, Guyana, Mali, Mauritanie, Mozambique, Ouganda), 18 sont encore exclus du processus (Angola, Bénin, Cameroun,
Centrafrique, Congo-B, Ghana, Guinée, Guinée équatoriale, Honduras, Kenya, Laos, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Tchad, Togo,
Viet Nam, Yémen) et 13 sont potentiellement éligibles (Birmanie, Burundi, Congo-K, Liberia, Madagascar, Nicaragua, Niger,
Rwanda, Sao Tome, Somalie, Soudan, Tanzanie, Zambie).
Au 15 avril, Bercy considérait qu’au Niger (où s’était déroulé un coup d’État non autorisé par Paris), une situation politique sans
visibilité empêche l’aboutissement du processus. Pourtant, les forces politiques se sont vite accordées sur un échéancier électoral très
proche.
Aucun problème apparent, par contre, pour le narco-État birman et le régime massacreur soudanais... deux grands “amis de la
France”.
On relève aussi le considérable montant des créances françaises sur le Nigeria (23,4 milliards de FF), le Congo-Zaïre (8,2
milliards), le Congo-Brazza et la Côte d’Ivoire (8,4 milliards chacun), et le Cameroun (4,4 milliards) 2. Sachant le fonctionnement de
ces pays, à la fois très riches en matières premières et très corrompus, on serait curieux de connaître quelle part de cet argent a été
investie sur place...
1. Annulons la dette, c/o CCFD, 4 rue Jean Lantier, 75001-Paris. Tél. 01 44 82 81 19.
2. Montants arrêtés au 31/12/1995.
Dette future
Filiale de l’Agence française de développement (AFD), la Proparco vient de prêter 200 millions de FF pour deux projets Bouygues,
un pont à péage et l’exploitation de gaz, en Côte d’Ivoire (La Lettre du Continent, 06/05/1999). Un pays où Bouygues est décidément hors
concours.
Dette présente
Ces 200 millions sont à comparer aux 12,5 millions/an investis dans ce dont la France a fait une “priorité”, le Fonds de solidarité
thérapeutique international pour les malades du sida. Deux millions d’Africains sont morts du sida en 1998, mais infiniment moins
dans les pays riches (Le Canard enchaîné, 19/05/1999). La généralisation des trithérapies est une dette d’honneur, qui devrait figurer en tête
de l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du 17 au 25 mai.
Mais il faudrait que les grands groupes pharmaceutiques consentent des sacrifices, ce à quoi ils s’opposent. On trouve donc inscrite
à cet ordre du jour cette question incroyable : « Comment les gouvernements peuvent-ils [...] freiner la demande en thérapeutiques
antirétrovirales ? ». Act Up a publié un communiqué scandalisé. Il y a de quoi. On attend autre chose de la nouvelle patronne de
l’OMS, l’ex-Premier ministre norvégien Gro Harlem Bruntland.
Bons points
* Le gouvernement français coopère davantage avec le procureur du Tribunal pénal international de La Haye (TPI), Louise Arbour.
Il lui a fourni le 6 mai des documents confidentiels sur l’action des forces serbes au Kosovo.
Le procureur nuance cependant : « Le TPI ne peut pas se targuer d’avoir un effet dissuasif quand [...], [en Bosnie], des personnes
inculpées depuis trois ou quatre ans n’ont jamais été arrêtées alors que, sur place, il y a 30 000 soldats dans les troupes
internationales » (Libération, 07/05/1999). Ces inculpés préfèrent encore, pour le moment, la proximité des troupes françaises.
81
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
* La justice militaire suisse a condamné à la prison à vie pour génocide l’ex-bourgmestre rwandais Fulgence Niyonteze. L’auditeur
militaire Claude Nicati souligne que, « pour la première fois, un État autre que le Rwanda est parvenu à mener jusqu’au bout la
poursuite contre une personne impliquée dans le génocide de 1994 ». Le président de la section suisse d’Ibuka-Mémoire et Justice
s’est félicité : « La Suisse ne sera plus une terre d’asile pour ceux qui ont organisé le génocide ». La France peut en prendre de la
graine.
* Par ailleurs, le Tribunal fédéral helvétique a pris sans bruit une décision que l’on peut qualifier d’historique. Il a considéré que
pour jouir de l’immunité pénale sur ses biens, un chef d’État devait déposer son argent « dans une société de droit public » de son
pays (et non dans un paradis fiscal) (La Lettre du Continent, 15/04/1999). S'il devait se généraliser, ce principe révolutionnerait les budgets
africains !
* L’ONU a accepté d’enquêter sur son propre rôle dans le génocide rwandais. Le choix de l’ex-Premier ministre suédois Ingvar
Carlsson pour diriger cette enquête est plutôt de bon augure.
* À Arusha, le Tribunal pénal international sur le Rwanda progresse dans son œuvre de justice. Il vient de condamner à la prison à vie
(la peine maximale) un responsable majeur, le préfet-médecin-bourreau de Kibuye Clément Kayishema.
* Nous nous inquiétions de certaines dérives du Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement. Par exemple le
recrutement et la promotion, en janvier 1999, de Yann Wannepain, cadre du Parti communautaire national européen (PCN) - un
mouvement “national-bolchevique” - et huit de ses amis (Billets n° 68). Nous sommes heureux d’apprendre son exclusion (Réseau Voltaire,
01/05/1999).
On est de même ravi d’apprendre, au détour des affaires corses, que Jean-Pierre Chevènement ne bénéficie plus des conseils du
préfet pasquaïen Jean-François Étienne des Rosaies. Celui-ci est soupçonné d’avoir forcé une porte des salles des archives du
ministère de l’Intérieur pour fouiller dans les dossiers des préfets Érignac ou Bonnet. Il avait fait du renseignement auprès des
présidences camerounaise et gabonaise, avant de s’intéresser « aux dossiers algériens et proche-orientaux » (La Lettre du Continent,
06/05/1999 ; Libération, 01/05/1999). Un itinéraire trop limpide.
Carnet
* L’ancien préfet du Var Jean-Charles Marchiani, l’un des émissaires préférés de Pasqua, figure en neuvième position sur la liste
européenne de ce dernier. Il sera très probablement député européen. Avec une immunité à la clef. À tout hasard...
* Nous l’avons déjà signalé, la Grande loge nationale de France ( GLNF) attire à la fois les ministres de la Coopération et les
autocrates africains : Michel Roussin, Jacques Godfrain, Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby, feu IBM,... Elle viendrait de rallier le
rosicrucien Paul Biya. Quant à Omar Bongo, il a jumelé son “Grand rite équatorial de Libreville” avec une loge du Grand Orient de
France (GOF), au nom prédestiné : “Europe-Afrique et Parfait silence” (La Lettre du Continent, 06/05/1999).
* La mort de l’abbé Modeste Mungwareba, rescapé du génocide et secrétaire de la conférence épiscopale du Rwanda, est une lourde
perte pour ce pays.
* Le film du cinéaste mauritanien Med Hondo, Watani, un monde sans mal, conte entre autres l’insinuation et les exactions de
l’extrême-droite dans une banlieue française. Sorti en mars 1998, il a vite été retiré de l’affiche, victime de l’aveuglement de la
Commission de classification des œuvres cinématographiques. Malgré l’absence de violence visuelle, celle-ci avait trouvé des scènes
« de nature à troubler la sensibilité du jeune public ». Cet avis restrictif a été annulé par le Centre national de la cinématographie, et
le film commence une seconde carrière le 2 juin.
(Achevé le 24/05/1999)
« En Afrique, [...] les villas d’Elf sont somptueuses. [...] [Le comportement de M. et Mme Le Floch ?] C’est comme s’ils avaient gagné au
Loto. [...] Fatima [Le Floch], [...] à la tête de la Fondation [Elf], [...] était comme dans un magasin de jouets. Elle a installé des copains à
elle partout. [...] Au printemps 1991, Fatima a voulu acheter un hôtel particulier rue de la Faisanderie [...]. Un palace. [...]
Alfred Sirven, selon moi, était le vrai patron [d’Elf].
La direction d’Elf, c’était quasiment la direction d’un État. Ils étaient prêts à beaucoup de choses pour obtenir un contrat. Tout ce
que j’ai vu n’est pas racontable, notamment en Afrique. [...]
Tarallo était intouchable. Comme Sirven, par exemple. Il était très proche de Charles Pasqua ». (Didier SICOT, garde du corps de l’ex-
PDG d’Elf Loïk Le Floch-Prigent. Interview au Parisien du 14/05/1999).
[Certes, Didier Sicot n’est pas un enfant de chœur. Mais ce qu’il dit là est largement confirmé par ailleurs. Certains, pendant ce temps, nous
reprochent de ne pas nous contenter de la version officielle des relations franco-africaines. « Beaucoup de choses », en l’espèce, ne sont guère
racontables. Et si peu racontées].
« L’histoire de l’exploitation pétrolière par les compagnies SNPA-ERAP [...] puis Elf [...] dans le Golfe de Guinée et le delta du
Niger, illustre l’existence d’un système de gestion de l’économie pétrolière qui possède sa propre cohérence.
Ce système a une apparence : l’ordre institutionnel français, une entreprise publique autonome appliquant le droit commercial
commun et des États africains souverains. Il a une réalité : la gestion des affaires pétrolières par un réseau parallèle et opaque de
choix et de décisions mettant en relation des dirigeants politiques français, les gestionnaires de l’entreprise et des dirigeant politiques
africains. Ils s’appuient d’autre part sur la confidentialité des services de l’État protégés par le secret. Dans ce système, Elf joue dans
82
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
tous les consortiums d’entreprises où elle est présente en Afrique, le rôle d’un actionnaire qui possède des relations privilégiées avec
les pouvoirs politiques, lui permettant d’inscrire son activité dans le cadre de règlements spécifiques discrétionnaires autorisant la
maximisation des prélèvements [...] financiers. [...]
La dégradation des revenus pétroliers va pousser [...] les compagnies pétrolières à accroître leurs pressions sur des États fragilisés
et dépendants [...]. Elles poussent les États pétroliers à s’endetter lourdement, voire à gager les recettes futures par des pratiques de
financement souvent frauduleuses [...]. Elles multiplient [...] les alliances stratégiques et les regroupements afin de réduire les
possibilités de concurrence, d’encercler les États et de leur ôter toute marge de manœuvre [...]. [Elles sont incitées] à s’impliquer [...]
dans les missions de police des États, alimentant les risques de guerre civile et de guerres entre les États. C’est ainsi que la région est
devenue un champ de bataille permanent. [...]
[Dans] le cas du Tchad [...], l’exploitation et le transport du pétrole [...] annoncent un pillage colossal : secret sur les réserves,
bradages et confiscation des revenus fiscaux ; [...] dégradation annoncée de l’immense nappe phréatique [...]. Au plan politique, [...]
on peut parler [...] d’une terreur extrême [...].
[Dans] le cas du Cameroun, [...] pendant vingt ans les revenus pétroliers ont échappé [...] à toute visibilité [...]. Ces pratiques ont [...]
été autorisées par l’arbitraire politique et [...] l’absence de tout règlement d’application des lois [...].
Entre ces deux situations, citons seulement [...] la variété des comportements de prédation et de violence allant de la guerre civile
congolaise [...] à la paix dans la misère du riche Gabon qui joue [...] le rôle de base de la conduite d’Elf dans la région. [...]
Elf et l’État français ont systématiquement nié les droits des peuples à la souveraineté [...], sont responsables de violations
caractérisées et répétées des droits civils et politiques [exemples au Gabon, au Nigeria et au Cameroun] , [...] des droits démocratiques [exemples
au Cameroun, au Gabon et au Tchad]. [...] Les États sont affaiblis, privatisés, pervertis.
Elf et l’État français sont responsables de violations caractérisées et répétées des droits à l’environnement [exemples au Tchad], [...] des
droits au développement [exemples au Cameroun et au Tchad] , [...] des droits des peuples à la paix [exemples en Angola et au Congo-B] [...]. Ils ont
financé les interventions des troupes tchadiennes [...] au Congo-Brazzaville. [...]
La défense des intérêts nationaux de la France ne peut pas annuler les droits fondamentaux des peuples africains. [...]
Le Tribunal permanent des peuples :
- Appelle les actionnaires de la société Elf-Aquitaine à s’informer sur les agissements de la société dans les pays africains où elle
opère et à lui demander des comptes.
- Demande à l’Assemblée nationale française de constituer une commission d’enquête sur les relations entre le gouvernement
français, la société Elf-Aquitaine et les gouvernements des pays africains où elle opère.
- Demande à l’Union européenne d’inscrire à l’ordre du jour de la négociation sur le renouvellement des accords de Lomé la
question des rapports entre les compagnies multinationales pétrolières et les pays de la zone ACP, particulièrement les pays
africains.
- Recommande à la Sous-commission de lutte contre les discriminations et pour la protection des minorités à la Commission des
droits de l’homme des Nations unies de se saisir de la question des violations des droits de l’homme et des peuples causées par les
relations entre les compagnies multinationales pétrolières et certains États. ». (Extraits de la sentence prononcée le 21/05/1999 par le Tribunal
permanent des peuples).
« [Brûler une paillote], en territoire français, ce sont des actes illégaux, donc inadmissibles. Mais dans d’autres régions du monde, avec
un contexte particulier, je n’y suis pas opposé ». (Philippe LEGORJUS, ancien commandant des “supergendarmes” du GIGN. Interview à
Libération du 07/05/1999).
[Une conception très denardienne, et malheureusement très répandue : il est autorisé de commettre des actes illégaux chez les autres, en
particulier dans toute une série de pays que l’on ne considère pas comme vraiment indépendants].
TOGO
« Des élections législatives viennent de se dérouler au Togo le 21 mars dernier. [...] L’opposition [...] les a totalement boycottées.
Cette situation traduit une régression de la démocratie.
[Lors de] l’élection présidentielle de 1998, [...] les pressions exercées sur la Commission Nationale Electorale sont très largement le
fait des militants de M. Olympio et de son parti. [...] L’histoire récente, la structuration du monde rural et l’implantation, notamment
ethnique, des candidats, semblaient ne laisser aucun doute sur la réélection vraisemblable de M. Eyadema au 2 ème tour [...].
En dehors de M. Olympio, les autres membres de l’opposition se disaient prêts à entreprendre et conclure une négociation qui ne
mette pas en cause le mandat du Président. [...]
Amnesty International, à sa manière qui est unilatérale [...], vient d’établir un rapport secret qui a de quoi inquiéter. [...]
Le Président [se heurte à] une opposition [...] excessivement intransigeante. [...] Les élections législatives [sans candidats de l’opposition]
se sont déroulées sans incidents le dimanche 21 mars 1999. Les observateurs internationaux ont relevé un bon déroulement du scrutin.
[...] La chambre élue est totalement monocolore [...].
Le Président est loin d’être le seul ni même peut-être le plus gravement responsable de cette situation. [...] L’opposition a
globalement fait preuve d’un radicalisme qui dépassait de loin à la fois l’état réel de ses forces et la conscience des exigences
minimales d’un processus de discussions politiques et constitutionnelles avec un pouvoir internationalement reconnu ». (Michel
ROCARD, président de la Commission Développement du Parlement européen, rapport du 01/04/1999 aux instances de l’UE).
[L’ancien Premier ministre s’est mué en porte-parole de la dernière trouvaille politique de la Françafrique, la « démocratie apaisée » (cf. Billets n°
67). Une expression qui fait florès, jusque dans la bouche de nos ambassadeurs, et que le journaliste camerounais Pius Njawe a fort bien
décryptée.
L’on dit aux présidents en place : organisez le scrutin présidentiel, gagnez-le par n’importe quel moyen, y compris des truquages éhontés,
laissez monter (un peu) la contestation, puis proposez le “dialogue” à l’opposition. Conviez-la à la table du pouvoir, où vous lui laisserez des
miettes, et quelques strapontins à des élections secondaires. La mise en scène de cette concertation confortera en fait votre légitimité. Tout le
monde, sauf quelques aigris, oubliera les conditions de votre réélection.
83
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
Mais au Togo, le scénario a mal tourné. En juin 1998, un raz-de-marée de bulletins a désigné Gilchrist Olympio, contre le dictateur en place.
Seule la Françafrique veut encore faire croire à la victoire d’Eyadema. Pour la majorité des Togolais, malgré Michel Rocard, le tyran est
désormais définitivement illégitime. Et ce ne sont pas quelques touristes françafricains de l’« Observatoire international de la démocratie » (cf.
Billets n° 70) qui arrangeront le coup, au scrutin législatif.
Dès lors que l’opposition, forte d’un rejet massif du dictateur dans les urnes, refuse de tomber dans le piège de la “démocratie apaisée”, elle
serait « excessivement intransigeante » et radicale. Elle serait plutôt indigne des suffrages reçus si elle avalisait le coup de force du dictateur. Sa
fermeté est un progrès et non une « régression de la démocratie ». D’ailleurs, depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio par le sergent Eyadema, en
1963, le Togo n’est jamais sorti de l’autocratie.
François Mitterrand n’aimait pas Sylvanus, ce président élu qu’il jugeait trop favorable aux “Anglo-Saxons”. Il est surprenant qu’au sujet de
son fils Gilchrist, Michel Rocard retrouve l’éthique (les tics) de son défunt adversaire].
« Toutes les affirmations [du rapport d’Amnesty sur le Togo] n’ont pas été vérifiées avec soin. [...] En l’absence de listes nominatives et de
preuves tangibles, comment croire que des “centaines” de Togolais ont été exécutés entre juin et août 1998, sans que leurs parents
n’aient rien dit ou fait savoir à l’étranger. [...] En 1998, la restauration autoritaire aurait été si parfaite qu’aucun témoin - même pas
le représentant de l’Union européenne, d’une ONG ou un simple résident expatrié - n’ait appris l’hécatombe ? Sans parler des
journalistes, envoyés spéciaux et correspondants basés dans la région. Si c’est vrai, nous devrons tous rendre notre tablier, pour faute
professionnelle grave. [...]
Le Togo réel [...] est en si piteux état parce que la main armée d’Eyadema l’agrippe mais, aussi, parce que l’opposition n’est pas
porteuse de démocratisation ». (Stephen SMITH, “Rebond” à Libération du 19/05/1999).
[Nous citons S. Smith dans cette rubrique Ils ont dit, car il s’agit ici d’une opinion et non d’un article du quotidien où il écrit. On attend avec une
certaine impatience l’issue de la querelle déontologique faite à Amnesty. L’élimination de militaires du Nord basés au Sud peut se faire sans
beaucoup de fuites. Mais la DGSE serait forcément au courant.
On n’arrive pas bien à comprendre comment une opposition portée par un très vif désir d’alternance « n’est pas porteuse de démocratisation ».
Le match nul ainsi décrété entre Eyadema et cette opposition est-il une invite au statu quo ? au schéma de la “démocratie apaisée” ?]
À FLEUR DE PRESSE
FRANÇAFRIQUE
Afrique-Express, Niger. Vu de loin, vu de près, 29/04/1999 (Roger-Jacques LIQUE) : « L’hypocrisie semble être à son comble à propos
du coup d’État au Niger, à entendre le flot d’inepties déversées depuis que le général Baré a été tué. [...] Le président sénégalais
Abdou Diouf y a vu un “coup dur à l’image de l’Afrique”. De quelle image de l’Afrique [...] ? De celle qui n’est pas loin de sa
fenêtre, pourtant, en Sierra Leone, où l’on mutile encore quotidiennement des enfants, des femmes ou des vieillards, à la machette,
dans une guerre horrible où les protagonistes apparaissent de plus en plus comme les pions d’un jeu sordide mené de l’extérieur ? À
notre connaissance, l’antenne du Haut commissariat aux réfugiés basée à Conakry a recensé une multitude de témoignages sur ce qui
s’apparente de toute évidence à des crimes contre l’humanité. Et à notre connaissance encore, personne ne lui en a encore demandé
lecture pour d’éventuels procès devant une cour internationale de justice. [...]
Plus franc, Omar Bongo, le président gabonais, a trouvé “inimaginable que les gens puissent au grand jour abattre un chef d’État”.
C’est sûr, et surtout inquiétant pour les chefs d’État. [...] Faut-il rappeler au président Bongo que le coup d’État mené par le général
Baré ne s’était pas fait sans effusion de sang, contrairement à ce qu’on laisse entendre ? Certes, ce n’était pas du sang de chef d’État,
qualité supérieure. Seulement celui de subalternes, soldats anonymes, dont la mort ne compte pas, ou encore celui du simple
chauffeur du président civil de l’époque, abattu en train de faire sa prière [...] ?
Passons vite sur la France qui a condamné avec “fermeté” ce coup d’État “qui constitue un recul pour la démocratie au Niger”. [...]
Le Conseil permanent de la Francophonie, réuni sous la présidence de Boutros Boutros-Ghali, [a déploré] “la rupture brutale du
processus démocratique au Niger, contraire à toutes les valeurs fondamentales de la Francophonie”. [...]
À Niamey [...] Massaoudou Hasoumi [...], ancien ministre de la Communication [...], a bien gardé en mémoire la simulation
d’exécution que lui a fait subir le défunt président Baré. Pas sûr qu’à ce moment-là, Massaoudou Hasoumi ait cru reconnaître les
valeurs fondamentales de la Francophonie. Il faut se rendre à Niamey pour comprendre un peu plus ce que ressentent les Nigériens.
S’il n’y a eu aucune effusion de joie à l’annonce du coup d’État, c’est que personne ne s’est réjoui de la mort de Baré. Mais le calme
et la sérénité ambiante donnent aussi la mesure d’un certain soulagement, comme si une mauvaise parenthèse s’était refermée. [...]
Devant le siège du RDP, le parti créé par le président Baré, ses fidèles continuaient à porter des tee shirts à son effigie, sans être
nullement inquiétés [...].
Aussi, quand le Mali et d’autres pays réclament à cor et à cri une commission d’enquête sur l’assassinat de Baré, l’on peut tout
simplement souhaiter que cette commission [...] mène aussi ses investigations sur ce qui s’est passé au Niger, avant le 9 avril 1999
[...]. [Elle] aura alors bien du travail car il est difficile de ne pas rencontrer un opposant au président Baré, c’est-à-dire les trois-quarts
de la population, qui n’ait été arrêté au moins une fois depuis 1996, la plupart du temps sans procès ni jugement ».
Libération, Afrique : feu sur la démocratie, 10/05/1999 (Stephen SMITH) : « Trois coups d’État en l’espace d’un mois - les 9 et 30
avril au Niger et aux Comores, vendredi dernier [7 mai] en Guinée Bissau [...]. Le général-président Ibrahim Baré Maïnassara, [...]
“IBM”, [...]a été “mal élu”, grâce à un hold-up sur les urnes. Mais c’est là une tare assez démocratiquement partagée par nombre de
présidents africains, militaires et civils [...]. Pourquoi dès lors, le coup d’État au Niger marque-t-il un tournant ? Non seulement
parce qu’il a été ourdi par une faction dissidente de l’armée avec la connivence d’une opposition “démocratique”, qui a trahi son âme.
Mais surtout, parce que l’“alternance” est à nouveau au bout du fusil. [...] L’assassinat [d’IBM] sur le tarmac de Niamey a la même
signification que, pour la génération du “soleil des indépendances”, celle du premier président du Togo, Sylvanus Olympio [...].
Le coup d’État aux Comores prétend laver la honte d’une indépendance remise en question. [...] L’armée est [...] intervenue. [...]
Son objectif est la restauration de l’unité nationale.
84
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
Quand les mutins bissau-guinéens ont sonné la curée du président Joao Bernardo Vieira, [...] nul ne pouvait être surpris [...]. Dakar
avait envoyé 2 000 soldats la fleur au fusil, officiellement pour “défendre la légalité institutionnelle”, en réalité pour couper la base
arrière aux indépendantistes en Casamance [...]. Quand l’expédition [...] a tourné au désastre, c’est la France, soucieuse de stabilité
dans son ex-colonie, qui a négocié une porte de sortie honorable pour le contingent sénégalais. Sans grande illusion, elle a équipé et
transporté une force ouest-africaine d’interposition. Celle-ci a fait acte de présence pendant trois mois, le délai de décence minimal
avant que ne se déroule, comme prévu, l’acte final »
[Sur les trois coups d’État en question, deux, le premier et le troisième, se sont fait contre la Françafrique, tandis que le second avait son aval.
C’est le seul qui est présenté ici positivement. Stephen Smith regrette tous ces coups d’État - mais il dénigre systématiquement les oppositions
démocratiques... qui font ce qu’elles peuvent avec fort peu de moyens. On lui laisse la comparaison entre Sylvanus Olympio et IBM.
Pour la Guinée-Bissau, il oublie de préciser que la France n’est pas intervenue après l’expédition sénégalaise, mais pendant : elle a transporté
et guidé les envahisseurs (cf. Billets n° 61). Voulant sauver la mise à un dictateur impopulaire et corrompu, mais “ami”, Paris a largement
contribué à l’agression étrangère qui a presque détruit le pays].
Libération, Djibouti : fin de la grève de la faim, 04/05/1999 (Stephen SMITH) : « Pour les besoins de leur cause, les opposants
djiboutiens ont eux-mêmes manipulé les faits pour susciter l’émotion en France. [...] Vendredi [30 avril], le gouvernement djiboutien a
accepté que trois médecins choisis par l’ambassade de France, un Djiboutien et deux Français, se rendent à la prison pour y
examiner, hors de la présence des gardes, tout prisonnier qui en exprimerait le souhait. Sur plus de 500 détenus, de droit commun ou
pour mobile politique, seuls six se sont alors présentés et, de l’avis unanime des médecins, aucun ne nécessitait une hospitalisation.
Quant à Ali Ahwa, le tuberculeux à l’article de la mort, il serait soigné depuis plusieurs mois et hors danger ».
[Stephen Smith a beaucoup écrit en mai sur les oppositions aux régimes françafricains. Comment peut-il croire en la liberté d’action de médecins
choisis par l’ambassadeur de France - propagandiste ostensible du régime ? Ces médecins sont venus dans la prison accompagnés de magistrats,
d’avocats et... d’une équipe de la télévision gouvernementale. Ils ont déclaré avoir été réquisitionnés pour constater la grève de la faim, et voir la
santé de quelques grévistes. Les représentants des prisonniers leur ont demandé d'examiner les malades et blessés dont la privation de soins avait
provoqué la grève de la faim. Les médecins ont refusé : ils n'en avaient pas le mandat. Du coup, les grévistes de la faim ont refusé de venir dans la
cour de la prison, devant les caméras...
Cette question des soins est un constant bras de fer, qui donne lieu à des contorsions diagnostiques. Comme en matière judiciaire ou dans
l’enseignement, les coopérants médecins français sont pris dans un système oppressant. Quant à l’opposition, prise en étau, elle résiste le dos au
mur. La question n’est pas de savoir si les prisonniers étaient sur le point de mourir de la grève de la faim, elle était, en France, de vérifier
l’authenticité de l’engagement de ceux qui l’avaient à leur tour entreprise, depuis le 29 mars. De cela nous pouvons témoigner. Et c’est ce qui a
ébranlé l’axe Paris-Djibouti].
Le Parisien, Du service d’ordre du FN au Congo, 09/04/1999 (Éric GIACOMETTI) : « Bernard Courcelle, l’ex-patron du service d’ordre
de Jean-Marie Le Pen, le DPS, [...] réapparaît là où on ne l’attendait pas : en Afrique, [...] promu [...] chef de la garde personnelle du
président du Congo, Denis Sassou Nguesso. [...] [Son] arrivée [...] à Brazzaville intervient au moment où la commission d’enquête
parlementaire française sur le DPS poursuit, à huis clos, ses auditions. [...] Selon une lettre d’information politique, Le Pli, Bernard
Courcelle a été auditionné avant son départ en Afrique et il aurait fait une “excellente impression aux députés”. [...]
La France garde un œil vigilant sur un pays qui demeure le quatrième producteur de pétrole d’Afrique, avec Elf comme principal
partenaire. La présence de professionnels français dans le secteur est en somme plutôt rassurante ».
[Nous citons cet article un peu ancien (Bernard Courcelle n’est pas resté longtemps à Brazzaville) comme une pièce au dossier du Tribunal
permanent des peuples. La conclusion est en effet d’une “franchise” ahurissante. Si en plus les députés sont ravis... ].
MÉMOIRE
Libération, Massacre oublié, 07/05/1999 (Philippe LANÇON) : « Sétif. Le 8 mai 1945 [...]. Un policier français tire [dans une
manifestation]. C’est l’émeute. [...] La répression, menée par l’armée, fait sans doute, on ne sait exactement, des dizaines de milliers de
morts. On dénonce, on exécute. Les pieds-noirs s’organisent en milices et tirent les musulmans comme des lapins. L’un se vante
d’avoir tué jusqu’à “83 merles”. [...]
Le sergent Lounès Hamouze rentre au pays. Il a combattu cinq ans pour la France libre. Il est heureux de retrouver les siens.
Quand il arrive à Sétif, il apprend que son père et ses trois frères ont disparu. On retrouve leurs cadavres, un mois plus tard, dans une
gorge voisine. Cinquante ans après, assis contre sa cheminée, [...] le vieil homme massif raconte comment, en 1946, un ministre
vient “pardonner au nom de la France généreuse”. Il fait revivre la scène avec humour et blessures : sa stupeur, sa dignité enragée,
la naïveté brutale du ministre. “Nous rentrons de la guerre, lui dit-il. Nous trouvons nos parents tués. Et vous nous pardonnez ? Mais
qui doit pardonner à qui ?”. L’homme politique bafouille, nuance, et lui demande paisiblement d’oublier. Le sergent Hamouze n’a
pas oublié, et son témoignage vaut bien quelques manuels d’histoire ».
[Ici commenté, le documentaire de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois diffusé le 5 mai sur Arte est effectivement remarquable - très touchant et
plein d’enseignements. Il montre aussi la réaction embarrassée des hommes de troupe auxquels on ordonne des massacres.
Lors de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda, on a encore entendu beaucoup de fiers discours sur l’action impeccable et
salvatrice « de la France généreuse »... ].
LIRE
Benjamin SEHENE, Le piège ethnique, Dagorno, 1999, 222 p.
Le génocide rwandais revisité par un exilé. Retrouvant sa civilisation traumatisée, après de nombreuses années d’éloignement, le jeune auteur est à
juste distance pour nous faire partager ses étonnements et ses déchirements - avec ça et là de vraies trouvailles d’écriture.
Alain LAVILLE, Un crime politique en Corse. Claude Érignac, le préfet assassiné, Le cherche midi, 1999, 305 p.
85
Billets d’Afrique N° 71 – Juin
1999
Publiée juste avant la révélation de la dérive pyromane du préfet de Corse Bernard Bonnet, et quelques semaines avant l’arrestation de quatre des
assassins de son prédécesseur Claude Érignac, cette minutieuse enquête reste hautement instructive. Elle nous intéresse surtout par ce qui y est
écrit du rôle-pivot tenu dans l’île par la Corsafrique, les « “réseaux Pasqua” [...] qui en Corse, [...] sont partout » (p. 297). Ils y réinvestissent une
partie des gains pêchés dans le Golfe de Guinée - dans le pétrole, les jeux, et la vente en tous genres.
On ne présente plus à nos lecteurs la figure la plus connue, l’empereur des paris et casinos françafricains Robert Feliciaggi. C’est le « grand ami
de Jean-Jérôme Colonna » (p. 115), « dit Jean-Jé, le “parrain” de l’île », « fiché au grand banditisme » - à la tête de la “bande du Valinco” (p. 113
et 116). Robert Feliciaggi est une « relation privilégiée » de Noël Pantalacci, « ex-conseiller de plusieurs chefs d’État africains », surnommé « le
premier des Africains de Pasqua ». Pantalacci a beaucoup fréquenté le Congo-Brazzaville. Avec la bénédiction d’André Tarallo (le manitou
africain d’Elf) et en association avec Toussaint Luciani, il a obtenu la location-gérance d’Elf-Corse (environ 600 millions de FF de chiffre
d’affaires), cédée ensuite... aux frères Feliciaggi.
Noël Pantalacci fut un « ennemi intime » du préfet Érignac (p. 115) - qui « s’intéresse peut-être d’un peu trop près » aux “réseaux Pasqua” (p.
154). Il a présidé la Cadec (Caisse de développement de la Corse), célèbre pour l’ampleur de ses prêts “inconsidérés” et irremboursables. Y
compris à “Jean-Jé” (12 millions). Il défendit contre le préfet l’installation de 40 machines à sous au casino d’Ajaccio - doublant le premier lot de
“bandits manchots” autorisé en 1993 par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. “Jean-Jé” a « des intérêts » dans ce casino (p. 117).
Rapidement, l’enquête a ciblé un groupuscule nationaliste, composé notamment de leaders agricoles. Depuis 6 mois, le préfet Bonnet avait
communiqué à la justice les noms des assassins et les moyens employés. Ne seraient-ils, comme le suggère l’ancien leader d’ A Cuncolta François
Santoni, que « les instruments de commanditaires dont les préoccupations sont bien éloignées de l’agriculture » (p. 300) ?
Un « proche de l’enquête » s’étonne : « Nous ne nous sommes jamais aventurés dans les méandres de certains réseaux parisiens, toujours bien
informés et rassemblant de longue date des intérêts politiques et financiers jusque dans l’île... Pourquoi ? ». Pourquoi aussi l’épais “journal” du
préfet assassiné, où se trouvait probablement consignée une somme d’informations ultrasensibles, a-t-il disparu ?
Signalons que l’on retrouve parmi les “suspects” un ex-légionnaire qui a « œuvré pour des groupes paramilitaires en Afrique » (p. 292).
Autrement dit ce milieu mercenaire dont Bob Denard fut l’un des pôles et les Comores l’une des bases - déjà impliqué dans l’assassinat à Paris de
Dulcie September (la représentante de l’ANC de Mandela), en 1988.
86
BILLETS D’AFRIQUE N° 72 - JUILLET-AOUT 1999
PRÉCAUTION
Dans les discussions sur l’“aide”, nous rappelons souvent le premier principe d’Hippocrate : « D’abord ne pas nuire ».
Le siècle finissant aurait dû nous apprendre à modérer nos élans impériaux, totalitaires ou “progressistes”. La nature humaine
n’étant pas vaccinée contre la folie, il est irresponsable de faire de la politique sans se soucier des contre-pouvoirs, de prôner la
croissance en négligeant le principe de précaution - une forme de respect, de la Terre et de ses habitants.
En sens inverse, le culte capitaliste de la quantité mobilise volontiers les illusions scientistes et les pulsions nationalistes dans sa
fuite en avant : on produit avant de réfléchir, sous-estimant les conséquences à long terme des manipulations génétiques, du
bouleversement des chaînes alimentaires, de l’effet de serre ou de la dissémination des déchets nucléaires.
Les hérauts de ce camp-là, qui seraient à la fois plus savants et plus audacieux que les autres, se donnent des allures progressistes.
Ils sont au contraire profondément conservateurs - et souvent machistes. S’ils prétendent honorer le “peuple”, ils songent à des
masses industrielles d’individus. Ils détestent les contre-pouvoirs. Ils s’allient volontiers avec les dictatures, comme avec les trusts de
l’énergie, du béton ou des médias. Ils abusent de la corruption et du “renseignement”.
En France, la défense de ce camp commence à polariser les recompositions idéologiques et politiques.
C’est la même mouvance qui, aux forceps, veut asservir le sud du Tchad à l’exploitation pétrolière, le quadriller de tuyaux,
derricks et torchères. Au nom du développement ! Alors que le dictateur Déby n’a rien à faire du sort de ses sujets. Alors que,
partout ailleurs en Afrique, l’arrivée du pétrole a multiplié l’injustice et la violence.
Le principe de précaution et l’ingénierie des contre-pouvoirs civiques ne sont peut-être pas très héroïques. Ils deviennent pourtant
des critères et des leviers déterminants du développement humain.
SALVES
Dés pipés sur le pipe-line
Sans nous étendre, rappelons quelques enjeux du projet pétrolier tchadien et du pipe-line chargé de l’écouler vers la côte
camerounaise 1. Il s’agit d’exploiter des réserves officiellement chiffrées à 150 millions de tonnes, avec une production de l’ordre de
10 millions de t/an. Le coût global du projet, y compris l’oléoduc de 1 046 km, est de 20 milliards de FF. Sur cette somme, une part
non négligeable est attribuée aux groupes Bouygues et Bolloré (construction du pipe-line et logistique).
Le consortium exploitant est composé d’Esso, Shell et Elf. L’entrée d’Elf y a été imposée par la France, qui considère le Tchad
comme sa chasse gardée. En raison des risques politiques, les opérateurs veulent obtenir la garantie de l’assurance publique du
commerce extérieur (la Coface, pour la partie française). Celle-ci n’intervient que si la Banque mondiale est partie prenante au tour
de table financier.
D’où la formidable pression exercée sur cette institution. La Banque affiche comme priorité la lutte contre la pauvreté, par le
développement durable. Elle exige donc des études d’impact sur l’environnement et des dispositions garantissant le bon usage des
royalties. Elle est talonnée sur ces points par une coalition mondiale d’ONG, africaines, européennes et américaines. Et par le
sourcilleux député tchadien Ngarléjy Yorongar - dont le long emprisonnement a popularisé les objections, proches de celles des
ONG.
Elles sont de taille. Par différents biais, le consortium et ses sous-traitants pompent l’essentiel de la rente pétrolière. La dictature
tchadienne s’est positionnée pour absorber presque tout le reste - ce qui renforcera sa capacité de répression contre les populations du
Sud pétrolifère. Yorongar et les ONG, appuyés par 24 membres du Congrès américain, ont imposé dans le débat la question des
droits de l’homme. Par ailleurs, les risques écologiques sont énormes pour la “cuvette” tchadienne.
Les réponses apportées par le consortium et la Banque mondiale sont peu convaincantes. Les études d’impact sont insuffisantes, et
en partie bâclées. Certes, une loi a été votée pour l’affectation des revenus pétroliers, mais personne ne croit qu’elle sera
convenablement appliquée par un régime qui, depuis son arrivée en 1990, a élevé le pillage au rang d’institution 2. Tandis qu’un
système milicien perpétue les exactions. Tant sur ce plan qu’en matière de gestion des deniers publics, Idriss Déby paraît
inamendable.
De plus, il semble bien y avoir un agenda caché. La discussion sur le projet, les études d’impact et la loi d’affectation des royalties
ne traitent que du gisement pétrolier de Doba. Or, il se prolonge vers l'est par deux autres gisements. Lorsque le pipe-line et les
infrastructures les plus coûteuses auront été financés, assurés et construits, le consortium pourra ouvrir ces autres champs de pétrole
sans plus passer par la Banque mondiale et ses conditionnalités. Tout le sud du Tchad pourrait, sans vergogne, être exploité et pollué.
Et le régime camerounais ami de Paul Biya verrait ses droits de péage multipliés.
Ce scénario est d’autant moins improbable que la très forte pression exercée sur la Banque mondiale par le consortium et par
Jacques Chirac paraît disproportionnée au regard des réserves annoncées (150 Mt).
La décision de la Banque semble imminente. Son encadrement milite à fond pour le projet. Il accuse les ONG d’être manipulées. Il
déclare que « le peuple tchadien ne peut plus attendre d’avoir accès à l’argent du pétrole. On ne peut non plus faire davantage
attendre le secteur privé » 3.
Le président de la Banque, James Wolfensohn, est apparu plus hésitant - du moins plus conscient des risques pour l’image de son
institution : si, après tant de discussions et d’atermoiements, le sud du Tchad devait connaître le sort du pays Ogoni au Nigeria, toute
l’argumentation de la Banque serait discréditée. À suivre.
1. Cf. le nouveau Dossier noir d’Agir ici et Survie, Projet pétrolier Tchad-Cameroun. Dés pipés sur le pipe-line, L’Harmattan, 06/1999. Disponible à Survie.
2. Ainsi, selon La Lettre du Continent (20/05/1999), il aurait récemment mis au frais dans une banque américaine les 48 millions de $ de l’aide-projet de Taiwan pour le
fonds routier.
87
Billets d’Afrique N° 72 – Juillet-Août 1999
Jeu d’échecs
Avec ce type de comportement, Paris se fait un ennemi d’un régime qui a un fort soutien populaire. Ledit régime sera tenté d’aider
la rébellion casamançaise, au sud du Sénégal. Ce qui justifiera davantage, aux yeux de la France, qu’on lui mette des bâtons dans les
roues...
Comme la guerre civile en Casamance a permis l’installation de multiples trafics, dont profitent les féodalités militaires au sein de
l’armée sénégalaise (chaperonnée par son homologue française), la paix pourrait encore s’éloigner de la sous-région 1. Ce qui risque
de compromettre l’exploitation du pétrole... On le vérifie une fois de plus, la géopolitique françafricaine n’inspire que des conduites
d’échec.
1. Cf. Agir ici et Survie, France-Sénégal. La vitrine craquelée, L'Harmattan, 1997 ; Thomas Sotinel, Dakar doit de nouveau faire face à des combats en Casamance, in
Le Monde du 15/06/1999.
Souffle démocratique
Au Burkina, la formidable surrection civique consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo continue de bousculer le fait
du prince. Le président Compaoré a dû concéder la mise en place d’un “collège des sages”, chargé d’enquêter sur tous les crimes
impunis depuis l’indépendance (1960).
Le trop bref délai qui lui est laissé (45 jours) risque cependant de ne pas permettre la pleine élucidation du meurtre de Thomas
Sankara, ni la claire désignation de ses commanditaires français et libyen.
Vents portants
La France n’y est pas pour grand chose, mais deux pays africains majeurs connaissent des évolutions étonnamment positives.
89
Billets d’Afrique N° 72 – Juillet-Août 1999
Dans la rubrique N’oublions pas les trains qui arrivent à l’heure !, saluons d’abord l’arrivée ponctuelle et paisible d’un convoi
considérable : la succession de Nelson Mandela par Thabo Mbeki.
Au Nigeria, on aurait pu croire que le président élu Olusegun Obasanjo serait excessivement bridé par le parrain du clan des
généraux, le très tortueux et corrompu Babangida. Obasanjo ne cesse cependant de se démarquer de la dictature précédente : il a
suspendu tous les contrats, licences et accords conclus in extremis par la junte militaire ; donné un coup de balai dans le service des
Douanes ; relevé le pourcentage de royalties attribué aux régions pétrolières ; créé une commission d’enquête sur les violations des
droits de l’homme de 1994 à 1999. Même si les défis politiques et économiques restent immenses, le changement est sensible.
On observe du coup avec grand intérêt le rapprochement entre le Nigeria et l’Afrique du Sud - manifesté mi-juin lors de
l’investiture de Thabo Mbeki - en vue d’une coopération dans le règlement des conflits qui affectent le continent.
Stop !
Le principal de ces conflits déchire l’ex-Zaïre. À son propos, on risque de se répéter - mais ce n’est pas sûr : d’un côté les enjeux
de pouvoir et de prédation, avec l’exacerbation de l’ethnisme, poussent à une guerre interminable, agrémentée d’une succession de
négociations mort-nées ; de l’autre, les pressions internationales et les difficultés majeures de certaines parties au conflit mûriraient
une solution, plus ou moins satisfaisante et durable.
Parmi ces difficultés, il y a la reprise de la guerre civile en Angola et au Tchad, la crise financière au Zimbabwe, les divisions
profondes dans le camp de la rébellion et de ses alliés - l’Ouganda et le Rwanda. Mais la proximité apparente d’une capture de la
capitale du diamant, Mbuji-Mayi, peut pousser le Rwanda à jouer les prolongations.
Surtout si, côté Kabila, on mise trop sur le “temps long” - comme de 1960 à 1997... L’échec apparent des pourparlers de Lusaka
inclinerait au pessimisme. Il faut encore presser, tarir, gripper.
Occultation
Un long rapport d’Human Rights Watch (HRW), Rester impunis malgré des meurtres, des mutilations et des viols, décrit l’horreur
quotidienne infligée aux habitants du Sierra Leone par la guérilla du RUF. Celle-ci a presque surpassé son maître et parrain libérien
Charles Taylor dans la dispensation de la terreur, jusqu’aux loteries de mutilation.
En face, aux côtés du gouvernement du président Tejan Kabbah, régulièrement élu en 1996, le Nigeria dirige une force
interafricaine, l’Ecomog. Elle est accusée aussi de bon nombre d’exactions (sans comparaison avec la « terreur totale » programmée
par le RUF).
Libération, qui rend bien compte du rapport HRW, souligne que « ces accusations prennent d’autant plus de poids que les États-
Unis et la Grande-Bretagne contribuent au financement de l’Ecomog » (24/06/1999). L’article omet seulement de dire que, depuis
1991, le RUF est soutenu à fond par la Françafrique, via l’ami libérien Charles Taylor, la Côte d’Ivoire, et surtout le Burkina de
Blaise Compaoré 1. Et qu’en conséquence, les responsables parisiens qui encouragent ce kriegspiel anti-“Anglo-Saxons” sont
complices de crimes contre l’humanité.
1. Cf. F.X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998, p. 202-226. Et Billets n° 69, À fleur de presse.
Milliardaires algériens
Au même moment, la revue Challenges (04/1999) publiait les premiers résultats des courses à l’enrichissement organisées par ce
régime archi-corrompu :
- Mustapha Aïd Adjedjou, PDG des Laboratoires pharmaceutiques algériens (LPA) (cf. Billets n° 69) : 30 milliards de FF ;
- Slim Othmani, PDG des Nouvelles conserves algériennes : 10 milliards de FF ;
- Brahim Hadjas, PDG d’Union Bank, proche du général Betchine : 5 à 10 milliards de FF ;
90
Billets d’Afrique N° 72 – Juillet-Août 1999
- Djilali Mehri, qui opère avec la Libye et les réseaux islamistes proche-orientaux, et possède des galeries d’art en France :
plusieurs milliards de FF.
On ne parle pas de la fortune de leurs correspondants français...
Quant à la loi d’amnistie envisagée par le président Bouteflika, il faudra regarder si elle ne vise pas (d’abord) à occulter
l’incroyable litanie des crimes politiques et économiques des détenteurs réels, militaires et affairistes, du pouvoir en Algérie.
La Saga Bolloré-Roussin
Depuis deux ans, le très ambitieux Vincent Bolloré ne cesse d’élargir ses positions de rente ou de monopole en Afrique
francophone ou “latine” (Angola).
Convergence ou coïncidence ? Durant le même temps, l’ex-ministre de la Coopération Michel Roussin, ancien manitou financier
de la Chiraquie et haut retraité des “services”, n’a cessé de s’investir davantage dans le groupe Bolloré. Il en supervise désormais
toutes les activités africaines : transports, tabac, transit, matières premières,... (La Lettre du Continent, 20/05/1999). Et la sulfureuse filiale
Saga, gravement compromise auprès du Milosevic de Brazzaville, Denis Sassou Nguesso.
Le Monde débouté
Auteur d’Un génocide secret d’État (Éd. Sociales, 1998), Jean-Paul Gouteux y qualifiait le directeur et un journaliste du Monde, Jean-
Marie Colombani et Jacques Isnard, d’“honorables correspondants” de la DGSE. Il se fondait notamment sur les propos de l’ex-
patron de ce “service”, Claude Silberzahn. Et il stigmatisait la partialité du très réputé quotidien durant le génocide de 1994 au
Rwanda (au cours duquel a péri la quasi-totalité de sa belle-famille).
Le Monde et ses deux honorables journalistes ont naturellement attaqué en diffamation l’impertinent auteur - défendu par M e
William Bourdon, par ailleurs secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Ils ont été déboutés
sur toute la ligne.
Les attendus du jugement (rendu le 10 mai) démontent la ligne rédactionnelle ethniste et antitutsie du Monde d’alors. « Le
rapprochement entre cette façon d’appréhender les événements et la thèse défendue par les services secrets français n’est pas fortuit
mais repose sur des éléments sérieux, développés dans le livre ». Il ne reste plus au quotidien qu’à faire amende honorable...
Surmortalité
Avoir porté trop de valises à billets franco-africaines et/ou franco-françaises n’est pas gage de longue vie. Sous Mitterrand, Patrice
Pelat en sut quelque chose.
1999 solde d’autres très gros comptes avec deux disparitions rapprochées : celle de Michel Pacary, pionnier des négociations
financières archi-commissionnées et de la ruine hypothécaire du Congo-Brazza (cf. Billets n° 66, 67 et 69) ; puis, début juin, celle de Jean-
Claude Méry (alias “Méry de Paris”), dont le réseau se branchait sur la Côte d’Ivoire 1. La justice est soulagée de quelques lourdes
procédures. Elle n’est pas la seule.
1. Via l’ex-colonel, barbouze et mercenaire Yanni Soizeau, lui aussi tôt disparu. Cf. Agir ici et Survie, Dossiers noirs n° 1 à 5, L’Harmattan, 1996, p. 122-123.
Intolérance constitutive ?
91
En estimant que la Constitution française interdit la ratification de la Charte européenne des langues régionales, pourtant peu
exigeante, le Conseil constitutionnel a entériné une confusion intolérante de la langue et de la nation. Il est désormais présidé, il est
vrai, par Yves Guéna - un proche du souverainiste Pasqua. Le souverainisme fait bon marché de la souveraineté des États africains
(au nom des “intérêts de la France”), il combat ou méprise les autres langues que celle du souverain.
En refusant d’amender la Constitution dans un sens moins rigide, Jacques Chirac avalise cette conception intolérante. Cet épisode
apparemment insignifiant des joutes politiciennes hexagonales résonne en fait comme un aveu d’incompétence.
Dans la plupart des ex-colonies françaises, les Constitutions ont été rédigées par des spécialistes français. Et Paris investit de plus
en plus dans la Francophonie. On sait à quel point la question du respect des différences et des minorités est cruciale en Afrique.
Qu’a donc à offrir dans ce contexte la tradition juridique jacobine, encore dominante, et un idiome incapable de penser la
coexistence ?
Paradis ciblés
Avis de tempête sur les paradis fiscaux ? Il conviendrait plutôt de les appeler “havres de criminalité financière”. Bercy et l’Élysée
font mine de le découvrir : l’impunité totale dont bénéficient ces “trous noirs” de la fraude, du pillage et du recel leur confère un
formidable pouvoir d’attraction.
Jacques Chirac s’en est ému. Le gouvernement français a saisi le groupe de travail du G7 sur la criminalité financière. Lionel
Jospin a mobilisé le Chancelier allemand. Le ministre des Finances, Dominique Strauss-Kahn, menace d’interdire les « transactions
financières avec ces territoires qui bafouent les règles internationales ». Il cite des édens anglo-saxons : « Antigua et Barbuda, les
îles Caïmans, les îles Marshall » (Libération, 16 et 24/06/1999).
L’omission de Monaco, d’Andorre ou du tout proche Luxembourg n’est pas un hasard. Pas plus que la soudaine offensive française
n’est dénuée d’arrière-pensées. C’est une réplique à l’offensive des “Anglo-Saxons” contre la corruption internationale, perçue à Paris
comme de la concurrence déloyale : les “Anglo-Saxons” pourraient continuer de corrompre à l’abri de leurs îlots exotiques, reliés à
leurs centres financiers sophistiqués (cf. Billets n° 68).
Mais qu’importe ! Les citoyens du monde entier, du Nord comme du Sud, ont tout à gagner à ce concours de vertu.
Plus positif encore, signalons la création d’une mission d’information sur la délinquance financière et les paradis fiscaux en Europe.
Les députés initiateurs (Vincent Peillon, André Vallini, Arnaud Montebourg) font partie du groupe de douze élus socialistes qui, en
septembre 1998, avait invité les magistrats signataires de l’Appel de Genève.
Dettes annulées
Le verre de l’annulation des dettes des pays les plus pauvres est fort loin d’être plein : les grands argentiers du G7 ont plus d’un
tour dans leur musette. Et, comme l'a reconnu le chancelier allemand, les 65 milliards de dollars annulés au Sommet de Cologne (19-
20 juin) sont « de l’argent que nous avions perdu depuis longtemps » (Libération, 21/06/1999).
Mais, là encore, il faut un début. La mobilisation internationale (11 millions de signatures, dont 505 000 en France) a payé.
Pour aller plus loin, maintenant, il faut entrer plus avant dans la compréhension et la critique des mécanismes d’endettement.
Comme l’a fait le Tribunal brésilien de la Dette extérieure (cf. Ils ont dit). Ou, en ce début d’été à Paris, le rassemblement international
de l’association ATTAC.
La France, elle, a surtout annulé les dettes bilatérales impayables de ses États clients. Elle n’aimerait pas que l’on regarde de trop
près le passé, qui causa ces dettes. Mais on observe avec intérêt la perche tendue par le ministre des Finances Strauss-Kahn aux ONG
françaises, pour qu’elles concourent à la non-reproduction de l’endettement. Chiche !
Bons points
* Ancien officier belge, éleveur de chevaux dans le Cher, Jacques Monsieur a été mis en examen pour « commerce illégal d’armes ».
Particulièrement prolixe envers le Congo-B, il avait approvisionné Lissouba avant de devenir le principal fournisseur de Sassou
Nguesso (La Lettre du Continent, 03/06/1999). L’indice d’un retournement politique, ou la fin d’un laisser-faire ?
* Le 10 juin, l’Assemblée nationale a reconnu qu’entre 1954 et 1962, les « événements » d’Algérie, jusqu’ici qualifiés d’« opérations
de maintien de l’ordre », étaient en fait une vraie « guerre ». Un pas vers la levée de l’autocensure coloniale.
* La notoriété du directeur du Messager Pius Njawe, longuement embastillé par le président Biya, a révélé la condition sordide des
prisonniers camerounais. Comme Jacques Chirac s’apprête à visiter ce pays - qualifié par Pius Njawe d’immense prison à ciel ouvert
-, le Fonds d’aide et de coopération (FAC) a accordé une subvention de 7 millions de FF à la rénovation des geôles camerounaises.
Fausses notes
* Les ressortissants français ayant travaillé en Afrique ont parfois du mal à recevoir leurs retraites. Le ministre des Affaires
étrangères Hubert Védrine fait étudier la possibilité « de lier la résolution du contentieux et les aides budgétaires françaises » aux
États africains négligents. Autrement dit, de payer les retraites en question sur les crédits de l’aide publique au développement (La
Lettre du Continent, 03/06/1999). Elle aura tout vu.
* La Françafrique n’aime guère le Programme des Nations unies pour le développement : l’Indice de développement humain promu
par le PNUD désigne trop clairement sa faillite. Paris négocie pourtant un rapprochement avec cet organisme... en échange du poste
de directeur-adjoint pour l’Afrique de l’Ouest. Histoire de moduler un peu plus l’aide des Nations unies au gré des “intérêts” français
dans cette région sous influence.
92
Billets d’Afrique N° 72 – Juillet-Août 1999
* La Commission d’enquête parlementaire sur le DPS (Département Protection Sécurité), “service d’ordre” du Front national, a
rendu son rapport. Elle n’y préconise pas la dissolution de cette milice - au prétexte que « les éléments les plus durs » ont rejoint le
DPA (Département Protection Assistance) du Mouvement national de Bruno Mégret (Libération, 27/05/1999). Mais pourquoi, alors, ne
pas demander la dissolution du DPA ? Est-on gêné par la trop grande présence en ses rangs d’anciens militaires ou agents des
services secrets ? Veut-on conserver un réservoir de mercenaires, comme la France en a usé et en use dans les deux Congos ?
Carnet
* C’est un pétro-ambassadeur que Paris vient de nommer auprès de la dictature militaire birmane (avec laquelle Total s’est fortement
compromise, pour l’amour du gaz) : Bernard Amaudric du Chaffaut. Au Quai d’Orsay, il avait accédé à un poste “sensible” :
directeur-adjoint des Affaires africaines. Mais il fut surtout, de 1985 à 1993, le directeur des relations internationales d’Elf (La Lettre
du Continent, 3/06/1999). Il “couvrit” la grande période Sirven-Le Floch : le soutien modulé à la rébellion angolaise (l’Unita), l'appui
enthousiaste à Bongo, Biya et Sassou, le boom de la diplomatie-bakchich, etc. Sûrement un allié pour les démocrates birmans...
(Achevé le 27/06/1999)
À FLEUR DE PRESSE
FRANÇAFRIQUE
Le Canard enchaîné, L’odeur du pétrole d’Elf flotte aussi autour des amis de Pasqua, 02/06/1999 (Nicolas BEAU) : « En 1992, le patron
du Cameroun [Paul Biya] est de nouveau candidat à l’élection présidentielle. Il lui faut donc un peu de trésorerie pour financer sa
campagne. Tout naturellement, Paul Biya se tourne vers Elf [...]. Le groupe pétrolier a l’habitude de prêter à ses amis africains des
fonds gagés sur leurs futures recettes. Pour ce type de montage, Elf travaille souvent avec la banque IHAG Handelsbank de Zurich,
vieil établissement familial fondé par la famille de Ditter Bürhle, qui fut le plus important marchand d’armes de Suisse.
Un prêt de 45 millions de dollars [...] est alors consenti à la Société nationale des hydrocarbures du Cameroun. [...] Or la justice
suisse a constaté qu’un tiers de ce prêt [...] a été en toute discrétion détourné vers la société Faraday, une off-shore située dans les îles
Vierges. [...] Ces fonds ont atterri, après ce bref séjour exotique, sur des comptes dont plusieurs titulaires ont été identifiés. À savoir
des proches de Charles Pasqua. Daniel Leandri [...] ; un homme d’affaires [...] associé du fils Pasqua ; ou enfin André Guelfi [...].
Leandri [...] est déjà apparu dans la liste des 44 vrais-faux salariés d’Elf International, mais de façon discrète sous son deuxième
prénom, Paul. Et avec une rémunération mensuelle, moins discrète, de 83 000 F. “C’est vrai, déclare au Canard Daniel Leandri, je
faisais beaucoup de missions en Afrique dans l’intérêt du groupe Elf et de la France”.
Le propre fils de Daniel Leandri, Marc, qui a longtemps assuré la garde rapprochée de Charles Pasqua, figurait également sur cette
liste. Mais ses appointements, plus modestes, étaient de l’ordre de 25 000 F par mois.
Autre bénéficiaire de la commission camerounaise, un proche du RPR a été longtemps un associé de Pierre Pasqua, au sein de
Moncey Investissement, une société anonyme ayant pour objet, sans compter la vente d’armes, d’“ étudier et mettre en œuvre [...]
93
Billets d’Afrique N° 72 – Juillet-Août 1999
toutes opérations financières [...]”. [...] [Cela] a conduit cet homme d’affaires et le fils Pasqua [...] à s’intéresser de près [...] à un projet
de zone franche à Sao Tomé [...].
Nombreux auront été les proches de Pasqua à bénéficier de la manne pétrolière. Elf International avait fourni un peu d’argent de
poche à Bénédicte de Kerprigent, ancienne épouse de William Abitbol, éminence grise de Pasqua, ou Laurence Perrier, femme d’un
de ses collaborateurs ; [...] l’ex-policier François Antona, spécialiste de missions en Afrique, notamment au Cameroun ».
[Tout cela est-il vraiment « l’intérêt du groupe Elf et de la France », comme l’affirme Leandri ? Le débat est ouvert].
RACISME
Los Angeles Times, 21/05/1999, cité par Le Canard enchaîné (26/05/1999) : « L’alimentation d’un réfugié africain coûte 11 cents [0,66
FF] par jour. Dans les Balkans, la somme est onze fois plus élevée [...]. En Afrique, certains camps ont un médecin pour 100 000
réfugiés. En Macédoine, il faut un médecin pour 700 réfugiés [...]. Certains camps africains accueillent jusqu’à 500 000 personnes.
Les gens y meurent de faim et d’épidémies de choléra. Le plus grand camp de Macédoine accueille 33 000 personnes. À ce jour,
personne n’y est décédé à cause d’un problème de santé, de famine ou d’épidémie. [...] “La principale différence, explique le docteur
Andrew Ross, c’est qu’ici les gens sont blancs” ».
LIRE
Jacques FOCCART, Dans les bottes du Général. Journal de l’Élysée - III, 1969-1971, Fayard/Jeune Afrique, 1999, 788 p.
Dans son Journal, Foccart écrivait “pour l’Histoire”. L’ouvrage oscille donc entre l’autosatisfaction (parfois dégoulinante) et la litote. Au-delà des
règlements de comptes avec le personnel politique de l’époque, on observe la façon dont cet homme-protée tissait sa toile, comment, à force de
“serviabilité” efficace, il se rendait indispensable aux puissants - et donc incontournable. Pompidou n’y a pas échappé, malgré la velléité initiale
d’une certaine défoccartisation des services secrets. Même les chefs d’État qui l’auraient voulu, le Mauritanien Moktar Ould Daddah ou le
Nigérien Hamani Diori, n’ont pu se dépêtrer du “réseau”.
Foccart parle abondamment de ses conversations avec Pompidou. Mais il ne dit rien du contenu des innombrables rencontres, citées pour
mémoire, avec l’équipe du Service d’action civique (SAC), animée par Pierre Debizet, et avec l’homme des “coups tordus” en Afrique, Jean
Mauricheau-Beaupré. Ils sont toujours là. Foccart n’explique pas pourquoi - alors qu’il fait vingt lignes du moindre détail protocolaire. Mais
quand quelque gaulliste ingrat veut toucher à son SAC, le Raminagrobis sort aussitôt ses griffes. Manifestement, il tenait une part importante de
son pouvoir de cette milice truffée de voyous protégés, de syndicalistes jaunes et de policiers peu scrupuleux - ses « braves types ». Un fichier
d’au moins dix mille noms. Le tout abondé par les crédits du ministre de l’Intérieur Roger Frey.
L’engagement acharné de Foccart dans la guerre secrète du Biafra (aux côtés d' Houphouët et Bongo), ressort mieux que jamais. De même que sa
haine des indépendantistes camerounais, qu’il aura fait éliminer jusqu’au dernier. Il veille à ce que Pompidou (au nom du « respect de
l’indépendance des États » !) ne demande pas la grâce de l’ultime leader Ernest Ouandié, condamné à mort par Ahidjo. Le soir même, il s’affiche
au cocktail de l’ambassade du Cameroun.
Durant tout ce temps, Foccart n’a pas abandonné son négoce (la Safiex) avec l’ex-Empire français. Et il ne ménage pas son attention aux affaires
de Guillaumat (Elf), Fabre (les compagnies de transport UTA et Chargeurs), des comptoirs CFAO ou SCOA, de la CFDT (pas le syndicat, mais la
société cotonnière... ), des frères Willot, des exploitants du nickel calédonien. On baigne dans la culture de la rente, bien arrosée par une “aide” qui
échappe à tous les plans de rigueur : Foccart y veille personnellement.
Jacques DEROGY et Frédéric PLOQUIN, Ils ont tué Ben Barka, Fayard, 1999, 453 p.
94
Ce livre réunit une enquête ancienne, mais inédite et acérée, du célèbre journaliste d’investigation Jacques Derogy, et une série de suppléments
d’enquête diligentés par l’un de ses successeurs, Frédéric Ploquin. Bien qu’il ne lève pas toutes les parts d’ombre, cet ouvrage composite constitue
comme tel une mine d’informations sur le rapt en France, puis l’élimination, en France ou au Maroc, de l’un des plus grands leaders des
indépendances africaines. L’instruction judiciaire est toujours en cours... grâce à l’insistance du frère de la victime.
Il semble bien que le général Oufkir, tout-puissant ministre de l’Intérieur du Maroc, ait été au cœur de la décision d’assassiner Ben Barka : cet
ancien officier de l’armée française gérait un système policier et barbouzard franco-marocain que dénonçait trop vivement le leader politique. Un
mois avant les faits, le ministre de l’Intérieur Roger Frey a passé une semaine de vacances au Maroc, dans la propriété d’Oufkir. Frey était aussi le
ministre du SAC (Service d’action civique, cf. ci-dessus).
Ce qui nous intéresse surtout, donc, ce sont les connexions avec le “milieu” qui a permis l’enlèvement en France. C’est une partie du réseau
Foccart : le député-avocat-barbouze Pierre Lemarchand, le caïd, proxénète et ex-collaborateur de la Gestapo Georges Boucheseiche, les truands
Dubail et Le Ny, soit un échantillon du SAC. Sous la couverture du patron des Renseignements généraux parisiens, Jean Caille, et du Préfet de
police Maurice Papon.
Pour un ancien responsable des services secrets (le Sdece, ancêtre de la DGSE), Jean-Pierre Lenoir, « l’affaire Ben Barka, ce sont des créatures
du gaullisme qui échappent à leurs créateurs. Quand les membres du gouvernement se sont aperçus que les leurs étaient mêlés à l’enlèvement, ils
ont pris la décision d’aider les coupables à disparaître ». Et Frédéric Ploquin de commenter : « Voilà pointé le degré minimal de la responsabilité
française : [...] le gouvernement couvre la disparition des criminels » (p. 336). - qui sont ses “amis”.
Conséquence de l’impunité : on en est au même stade un tiers de siècle plus tard. Comme le dit Gérard Prunier (cf. Billets n° 69), on retrouve sur la
scène africaine « des disputes de voyous dans une arrière-cour. Ce sont de petites histoires, dont les acteurs sont de petites gens ». « Des gens qui,
au Rwanda, se sont mouillés au-delà de l’imaginable et qui relèvent des tribunaux ordinaires » - mais dont la délinquance peut aller jusqu’à
tremper dans un génocide.
Les enjeux politiques, économiques et écologiques d’un projet pétrolier d’ampleur considérable. Tel qu’il est conduit actuellement,
ce projet ne peut que conduire au renforcement des dictatures, au saccage des ressources du sous-sol et de l’environnement. La Banque
mondiale le sait, et c’est pourquoi elle a tant hésité à apporter son indispensable caution financière. L’issue est proche. Ce nouveau
Dossier permet de mieux comprendre le sens d’un combat qui mobilise de nombreuses ONG à travers le monde.
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019
DÉPÔT LEGAL : JUILLET 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 95 F (ETRANGER : 120 F)
95
SUPPLÉMENT AU N° 72 - JUILLET-AOUT 1999
Le numéro spécial de Billets d’Afrique (n° 66 bis du 21/12/1998) consacré au rapport de la Mission parlementaire d’information
sur le Rwanda est un classique de ces Billets. Nous en tirons un abrégé des méthodes dont cette publication fait un usage courant,
méthodes que nous désapprouvons.
1
. Le 15 décembre 1998, dans sa présentation publique du rapport de la mission d’information sur le Rwanda, Paul Quilès, président de la mission, abordant le premier
des grands thèmes traités par le rapport (« Le génocide rwandais, échec de la communauté internationale ») déclare dans un communiqué distribué à la presse : « Il
convient tout d’abord de rappeler une évidence. Ce sont bien des Rwandais qui, pendant plusieurs semaines, ont tué d’autres Rwandais, dans les conditions d’atrocité
que l’on sait. Au moment où il se produit [souligné par nous], la France n’est nullement impliquée dans ce déchaînement de violence. Trois mois auparavant, la présence
militaire française a été ramenée à 24 assistants militaires techniques. [...] C’est l’ONU et la force de surveillance des accords qui ont été incapables d’enrayer la montée
des violences et de mettre fin aux massacres ».
96
Billets d’Afrique Supplément au n° 72 – Juillet-Août
1999
Exemple. Le Billet décerne un « bon point » à la Mission pour la qualité de son travail sur l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana. Mais il ajoute aussitôt que, puisque la Mission a choisi de ne pas conclure, c’est qu’elle aurait découvert un secret
(l’identité du commanditaire de l’attentat) et le fait qu’elle ne le révèle pas prouve qu’il ne peut être que compromettant pour la
France. Quant au rédacteur (nous entendons le ou les auteurs du texte), il laisse croire qu’il a, pour sa part, des soupçons précis sur le
contenu de ces découvertes restées secrètes :
« [les rapporteurs] ont fait progresser le dossier [...]. Mais ils se sont comme arrêtés au bord de la vérité. Est-elle si difficile à
accepter ? ».
Ce genre d’annonce invérifiable n’est bien sûr pas propre à Billet. Le 16 décembre 1998, sur RFI, Faustin Twagiramungu se disait
« déçu » par le dossier de l’attentat et déclarait : « Les rapporteurs n’ont pas mentionné le nom des auteurs de l’attentat alors qu’ils le
connaissent. » L’ex-Premier ministre du Rwanda « sait », mais, comme le Billet, il ne dit pas ce qu’il sait ni ce que les rapporteurs
sont censés savoir, c’est-à-dire l’identité du commanditaire. Si le Billet et Twagiramungu dévoilaient cette identité, serait-elle la
même ? Probablement pas.
Nous avons choisi le Billet 66 bis parce qu’il traite du Rapport de la Mission parlementaire sur le Rwanda et que celui-ci est
accessible à tous. Chacun peut en prendre connaissance et se faire son propre jugement.
Il reste que les procédés que nous venons de décrire ne sont pas le fait du seul numéro 66bis, tout lecteur des Billets pourra les
retrouver dans d’autres numéros. Les lecteurs pourraient aussi considérer la façon dont sont recomposés et exploités les matériaux de
presse qui constituent la principale source informative des Billets (sélection de citations qui renforcent la thèse, insinuations sur
l’intégrité de certains journalistes), etc.
Les Billets d’Afrique sont une publication militante, mais cela ne légitime pas les procédés employés. Nous critiquons l’attitude
politique que réalisent et révèlent ces procédés.
Le rédacteur des Billets privilégie la part occulte du politique. C’est aller au devant du sentiment très partagé que la véritable
politique se déroule en coulisse, qu’« on nous cache tout ». C’est profiter de ce sentiment pour s’attribuer la position de celui qui sait
et se construire un rôle public sur la divulgation de ce prétendu savoir.
En outre, ce rôle a pour corollaire un appel systématique à la recherche de coupables. De fait, le rédacteur des Billets criminalise
en permanence la responsabilité politique et s’arroge la position de juge-procureur.
De tels procédés se substituent à la critique politique, ils la subordonnent au parti-pris de privilégier l’interprétation par les coups
tordus et d’en appeler aux critères pénaux. Nous estimons qu’on ne peut faire crédit aux Billets d’Afrique de vraiment expliciter et
mettre à jour ce que sont les réalités politiques des relations entre les États africains et l’État français. Nous ne défendons ni la
naïveté, ni la transparence absolue, mais nous estimons que le débat public sera d’autant plus politique qu’il ne fera pas appel aux
types d’arguments utilisés par les Billets.
2. Le point 4 a disparu du texte diffusé [ndlr].
Réponse au texte diffusé par Marc Le Pape et Claudine Vidal, Les très contestables méthodes de Billets d’Afrique, adressée aux
membres de l’Observatoire permanent de la Coopération française
À l’occasion de la préparation du Rapport 1999 de l’Observatoire permanent de la coopération française (OPCF), Marc Le Pape et
Claudine Vidal (désignés ci-après par “les experts”) ont produit et diffusé une dissection du n° 66 bis de Billets d’Afrique (numéro
spécial consacré au Rapport de la Mission parlementaire d’information sur le Rwanda). Ils en tirent « un abrégé des méthodes dont
cette publication fait un usage courant, méthodes que nous désapprouvons ». Et ils extrapolent de cet exposé une dénonciation
générale des « procédés » de Billets : « tout lecteur pourra les retrouver dans d’autres numéros ». Déjà cette extrapolation n’est pas
très scientifique, et il serait préférable, si “les experts” ont d’autres reproches à faire sur d’autres numéros, qu’ils les explicitent -
pour laisser à ceux qui font l’objet d’une accusation aussi générale la possibilité de se défendre.
L’accusation n’est pas mince : dans une lettre d’accompagnement au président de l’OPCF, “les experts” déduisent de leur lecture
de Billets une « radicale hétérogénéité entre les analyses que nous menons, les méthodes que nous souhaitons appliquer, le style du
débat public qui nous semble devoir être engagé et les démarches que F.-X. Verschave et Survie adoptent dans les Billets
d’Afrique ». Cette radicale hétérogénéité les conduit naturellement à vouloir exclure les accusés de ce débat public, et à retirer du
Rapport 1999 un texte qui aurait pu voisiner une contribution de F.X. Verschave (directeur de publication de Billets). Comme si les
analyses proposées étaient tellement indignes qu’il fallait à tout prix les éloigner d’un débat “civilisé”. À l’appui de ce bannissement,
“les experts” proposent donc un décorticage du n° 66 bis de Billets, censé disqualifier définitivement ses auteurs. Bigre ! Voyons ce
qu’il en est.
97
Billets d’Afrique Supplément au n° 72 – Juillet-Août
1999
Le sujet n’est pas neutre. Il s’agit d’un examen du message livré par la Mission parlementaire d’information sur le Rwanda, au
terme de son travail. Billets est fort critique. “Les experts”, qui se sont fortement impliqués dans le suivi de cette Mission, tiennent à
faire valoir une opinion plus positive. Jusque là, rien qui nécessite un procès en sorcellerie.
Mais il y a eu un génocide au Rwanda. Beaucoup plus nettement que le Rapport de la Mission, le président de cette Mission Paul
Quilès a fait passer le message : la France n’est pas coupable, elle n’a commis que des « erreurs ». C’est ainsi en tout cas que le
message a été reçu par les médias. Une majorité de la presse écrite française l’a d’ailleurs trouvé un peu court. Pour accréditer sa
thèse, Paul Quilès a procédé à un double mouvement, que démonte le n° spécial de Billets :
- Il est indéniable (le Rapport l’admet et l’explicite) que la France a soutenu le régime Habyarimana avant le génocide. Ce fut au
moins une erreur. Ce n’est pas obligatoirement un crime, dans la mesure où certains pourraient n’avoir pas eu une parfaite
conscience des effets de ce soutien. Par contre, les appuis français au camp qui commettait le génocide, pendant et après celui-ci,
relèvent forcément d’une complicité criminelle. Le Rapport s’ingénie donc à couper ou ignorer presque tous les fils et les pistes qui
conduisent à cette complicité pendant et après le génocide 2 (livraisons d’armes officieuses, présence d’agents des services secrets
et/ou de mercenaires français, rôle de Paul Barril, autres modes d’encouragement).
- Il va de soi que les soutiens français pendant et après le génocide ont été aussi peu officiels que possible, essentiellement
parallèles et clandestins. Pour les escamoter, toute une campagne a été déployée, tendant à nier ou minimiser la part des activités
parallèles et clandestines dans l’intervention française au Rwanda, et plus généralement en Afrique. Cette campagne procède de deux
manières : ceux qui évoquent ces activités, suggère-t-elle, ne sont pas très sérieux, ils manquent de preuves (ils en ont moins
évidemment que pour les activités officielles) ; quand ils prennent en flagrant délit tel ou tel ressortissant français, voleur, barbouze
ou trafiquant d’armes, celui-ci est présenté comme un marginal, un « électron libre », qui n’aurait rien à voir avec la République.
C’est pourquoi le cas Barril est exemplaire 3 - car il n’échappe à personne que le capitaine est “couvert” par les plus hautes
autorités de l’État, comme l’était Bob Denard. De même, l’on ne peut faire croire que les trafiquants d’armes basés à Paris agissent
sans un feu orange des pouvoirs publics.
Nous partageons l’avis exprimé par Rémi Ourdan, dans le Monde 4, à la fin des auditions de la Mission : « Le voile n'a pas été levé.
[...] Les auditions furent décevantes, voire pathétiques. [...] Un militaire a avoué en souriant être “surpris par le peu de curiosité de
ces enquêteurs”. [...] Bien des aspects relèvent des services spéciaux, d'officines plus ou moins connues, d'agents d'influence, de
réseaux politiques ou financiers. Il est difficile d'arriver à des conclusions sérieuses sans plonger dans cet univers du secret. Or les
députés s'y sont refusé. Le monde de la “Françafrique” n'a pas été sondé. Un homme comme Barril [...] n'a pas été auditionné ».
Nous arrivons là au cœur de notre différend avec Marc Le Pape et Claudine Vidal. Ceux-ci nous accusent de « privilégier une
version conspiratoire et policière de l’histoire ». Nous n’aimons pas non plus cette version, mais c’est tout le problème. Notre
diagnostic est le suivant (un diagnostic politique dont nous sommes prêts à débattre avec quiconque) :
De Gaulle et Foccart ont mis en place en 1958 un dispositif de confiscation des indépendances des ex-colonies françaises au sud du
Sahara. À la tête de quasi-États, on a placé des “amis” - éliminant la plupart des “indépendantistes”. Ces quasi-États sont tenus par
la présence des militaires et des “services” français, par l’“aide”, la monnaie et les relations interpersonnelles. La relation
interétatique est presque entièrement court-circuitée par des pratiques extra-légales : la plupart des décideurs français ont pris
l’habitude de se considérer “chez eux” dans ces “États” étrangers, et de ne pas s’embarrasser de formes. Le comportement de Bob
Denard aux Comores est certes une caricature, mais elle est éclairante. Celui d’un colonel Mantion ou d’un Paul Barril en Afrique
centrale, d’Elf ou du réseau Pasqua dans le golfe de Guinée, sont plus déterminants. Bref, la relation franco-africaine est comme un
iceberg, où la partie émergée, officielle, représente une part minoritaire de la réalité - avec de considérables dégâts, jusqu’à
aujourd’hui au Congo-Brazzaville (sans parler du Tchad, du Togo, du Cameroun, de Djibouti, etc.).
Nous-mêmes avons mis longtemps à “accepter” la crudité de ce diagnostic, tant il heurte notre conception de la République, tant il
blesse notre attachement à la France. Mais il nous a bien fallu nous rendre à l’évidence. Pendant dix ans, Survie a fait la preuve de sa
capacité à s’insérer dans un débat “consensuel”, s’abstenant pratiquement de toute dénonciation. Nous avons constaté mi-1994 que
ce n’était plus possible, dans le cas spécifique, totalement anormal, des relations franco-africaines. Ce que Jacques Julliard a appelé
« le plus long scandale de la République ».
Nous avons décidé de ne plus accepter ce scandale commis en notre nom. En tant que citoyens français, il nous agresse dans notre
dignité. Nous ne dénonçons pas tout et systématiquement, partout dans le monde, nous dénonçons la perpétuation du scandale
franco-africain - mais ne manquons pas d’indiquer les signes, encore trop faibles et trop rares, d’une prise de conscience ou d’un
changement. Ce n’est pas agréable de dénoncer. Mais nous estimons que les comportements en question sont trop dangereux pour
n’en rien dire.
Ce fonctionnement hors-la-loi des relations franco-africaines, nous l’avons résumé en un concept, la « Françafrique ». On peut
discuter de ce concept. La question est : oui ou non, dans les rapports entre la France et ses ex-colonies, l’extra-légalité est-elle
déterminante ? Si oui, le reproche final des “experts” (« on ne peut faire crédit aux Billets d’Afrique de vraiment expliciter et mettre
à jour ce que sont les réalités politiques des relations entre les États africains et l’État français ») n’est pas pertinent : le
fonctionnement franco-africain postule le contournement des États africains - et des organes de contrôle démocratique de l’État
français.
Le sujet est grave. En France et à l’étranger, trop de gens “sérieux” et incontestablement démocrates partagent ce diagnostic pour
que l’on puisse l’évacuer du débat politique. Dans une période marquée par la montée de la dérégulation, de la criminalité financière,
des armées et milices privées, le rapport entre l’officiel et le parallèle n’est-il pas au contraire au cœur de ce débat ? Comment empêcher
le débordement par l’extra-légal si on veut l’ignorer ? Pour que tout soit clair, nous rappelons notre préférence résolue pour les
fonctionnements légaux - ce que confirme notre constant engagement en faveur de la Cour pénale internationale.
2
. Pas toutes les pistes, car il y a eu des tensions au sein de la Mission, y compris au sein de son équipe dirigeante, et cela a laissé des traces. D’importants indices
subsistent dans les Annexes du Rapport.
3
. Cf. Agir ici et Survie, Trafics, barbouzes et compagnies, L’Harmattan, 1999, p. 13-30.
4
. Le Parlement peine à éclaircir le rôle de la France au Rwanda, 10/07/1998.
98
Billets d’Afrique Supplément au n° 72 – Juillet-Août
1999
Nous n'avons jamais adhéré à une quelconque théorie du complot : il existe certes de petits groupes de comploteurs ou de
manipulateurs, héritiers du capitaine Léger (l’inventeur de la “bleuite” durant la guerre d’Algérie), mais la majorité des intervenants
de la Françafrique ne complotent pas vraiment, ils se fondent naturellement dans un système exorbitant du droit commun. Et ils
s’étonnent, tel Bob Denard aux Assises, quand on vient à le leur reprocher.
Cela ne nous intéresse pas de dénoncer les personnes, même si nous exposons les excès d’impudence des pouvoirs. Peu importe à
la limite qu’un tel ou un tel ait eu une responsabilité au Rwanda ou ailleurs. Ce que nous dénonçons, c’est qu’il soit encouragé à
recommencer par l’impunité ; ce sont les “responsables” politiques qui ont conçu et entretiennent l’irresponsabilité généralisée des
intervenants français en Afrique ; c’est aussi la désinformation entretenue dans certains médias, sous l’effet des pressions
multiformes qui défendent le pré-carré.
Sur ces points-là (2. et 5. de l’analyse des “experts”, nous reprochant de privilégier l’observation des fonctionnements souterrains, et
de dénoncer leur emprise excessive), nous considérons que la discussion relève d’un débat de fond. Un débat que voudrait
esquiver l’exclusive finale prononcée par “les experts” : « Nous estimons que le débat public sera d’autant plus politique qu’il ne
fera pas appel aux types d’arguments diffusés par les Billets ». Comme si le politique pouvait exclure un pan majeur de la réalité
franco-africaine - constamment confirmé, par exemple, par les analyses d'un Jean-François Bayart. La démocratie se nourrit de
complémentarités : il n’est ni nécessaire ni souhaitable que tout le monde fasse le travail que nous faisons. On ne se bouscule pas
pour cette tâche ingrate, le portage de cette vérité désagréable : notre pays a le plus grand mal à rompre avec son passé colonial.
Cette part de vérité a sa place. Survie s'honore de l'assumer. Le discours serait plus lisse et les institutions moins irritées si on mettait
cette vérité-là entre parenthèses, mais le débat, aseptisé, en serait d’autant moins politique.
Comme les reproches de fond risquaient de ne pas suffire, “les experts” ont commencé par mettre en doute notre honnêteté
intellectuelle. Ils nous reprochent d’avoir tronqué la citation d’un communiqué de Paul Quilès : « Au moment où il se produit, la
France n’est nullement impliquée dans ce déchaînement de violence ». Nous aurions volontairement fait sauter le premier membre
de phrase. Or la rédaction de Billets n’a pas reçu ce communiqué, seulement transmis aux grands médias et à quelques proches de la
Mission. Nous avons repris une dépêche d’Associated Press où seule figurait l’expression « nullement impliquée » 5.
Si nous avions connu le premier membre de phrase, nous l’aurions reproduit d’autant plus volontiers qu’il illustre ce que nous
exposions plus haut : Paul Quilès affirme que la France n’est nullement impliquée pendant le génocide. Or la Mission elle-même
avait à sa disposition nombre d’éléments qui prouvent le contraire. Comment prétendre faire la vérité quand on censure cet aspect
majeur ?
On nous reproche d’indiquer que Paul Quilès avait choisi pour attachée de presse quelqu’un qui exerça les mêmes talents auprès de
Michel Charasse et Bernard Tapie. Le choix d'une attachée de presse est au cœur d'une stratégie de communication. Pour nous qui
croyons que la communication d’un homme politique a un lien avec sa conception même de la politique, le choix de Paul Quilès
évoque un certain rapport mitterrandien à la vérité. Nous n’aurions peut-être pas relevé ce fait si nous n’avions auparavant été
choqués par la violence verbale avec laquelle Paul Quilès a agressé une rescapée du génocide, Yvonne Galinier, qui lui demandait de
témoigner. Elle avait à dire un certain nombre de choses dont Paul Quilès voulait justement qu’elles ne figurent pas dans le Rapport.
Il lui a longuement crié, au téléphone, qu’elle ne savait pas ce qu’elle disait. Puis il a concédé un témoignage écrit - qui a été écarté
du Rapport final. En contraste, les sommités civiles et militaires auditionnées ont eu droit, pour la plupart, à un traitement
obséquieux - même quand elles mentaient effrontément Cela suffit, pour nous, à juger d’un rapport à la vérité. Libre aux “experts”
de le préférer au nôtre.
Ce qu’Yvonne Galinier avait à dire mettait en cause des militaires français. Paul Quilès est président de la commission de la
Défense à l’Assemblée. Nous persistons à penser que, comme au temps de l’affaire Dreyfus, une partie de la classe politique
française (et de l’opinion publique) préfère l’honneur de l’armée (ou la paix des casernes) à la vérité. Quant aux tensions au sein de
la Mission, sur cet aspect-là notamment, elles nous ont été confirmées de plusieurs sources.
Enfin, tout un pan de l’acte d’accusation dressé par “les experts” (point 3, le point 4 a disparu) est bâti autour de quinze mots de
Billets : sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, les rapporteurs « se sont comme arrêtés au bord de la vérité. Est-elle si difficile
à accepter ? ». “Les experts” y décryptent un procédé littéraire pervers, « insinuer [...] l’aveu involontaire de l’inavouable ». C’est
surestimer notre capacité de sophistication. Le texte veut dire seulement ce qui est écrit, éclairé par le contexte. Les déclarations de
certains témoins (comme Gérard Prunier) et les contradictions entre certains autres (les généraux Quesnot et Rannou) confirment
qu’un cercle de militaires français en sait beaucoup plus sur cet attentat qu’il ne veut bien le dire. La Mission avoue même avoir été
l’objet d’une tentative de manipulation en provenance de ce milieu. Au lieu de rebondir sur cet affront, et sur ces contradictions, elle
décide de ne pas chercher à en savoir plus. Elle s’arrête, sans demander de commission d’enquête. Sur ce sujet, où elle s’est
beaucoup investie, elle laisse l’opinion publique française dans le même état d’incertitude qu’auparavant. Nous-mêmes sommes dans
cette incertitude. Mais nous suggérons effectivement ce que nous pensons : des militaires français savent la vérité depuis longtemps ;
si elle n’est pas révélée, c’est qu’elle recèle sans doute quelque chose d’inacceptable. Nous n'en savons pas plus. Notre question
exprime l'exigence civique d'en savoir plus.
Nous ne voyons pas en quoi ce genre de formulation concourrait à notre “excommunication”. Aurions-nous commis quelque autre
sacrilège, foulé quelque colline sacrée ?
. Tous les articles à notre disposition, d’ailleurs, n’ont retenu des propos de Paul Quilès que cette disculpation. Sont-ils tous l’œuvre de journalistes intellectuellement
5
malhonnêtes ? Paul Quilès est-il un si mauvais communicant qu’il fait passer le contraire de ce qu’il veut ?
99
Billets d’Afrique Supplément au n° 72 – Juillet-Août
1999
Post-scriptum :
- “Les experts” acceptent que l’on accuse l’État français pour son rôle au Rwanda, mais non les dirigeants et agents, officiels ou
officieux, de cet État. C’est noyer les responsabilités personnelles dans une vague responsabilité collective. L’esprit du droit s’y
refuse, tout comme une conception de l’histoire qui laisse à ses acteurs quelque liberté de choix.
- Billets a bien d’autres sources informatives que « les matériaux de presse », et de plus en plus. Outre une bibliographie et un fonds
documentaire croissants, nos informations ou affirmations se réfèrent aux études et témoignages d’un vaste réseau international de
spécialistes, militants associatifs, et citoyens africains. Ces derniers ont vite mesuré l’intérêt d’un média, même modeste, qui explore
mois après mois cette histoire non officielle, extra-légale, dont le trop-plein depuis quatre décennies étouffe l’indépendance des ex-
colonies françaises et empêche l’établissement d’une relation assainie avec l’ex-métropole. Ce sont les informations de ce réseau qui
nous permettent d’utiliser les matériaux de presse avec le recul critique approprié.
SURVIE, 57 AVENUE DU MAINE, 75014-PARIS - TÉL.: (0)1 43 27 03 25 ; FAX: (0)1 43 20 55 58 - IMPRIME PAR NOS SOINS - COMMISSION PARITAIRE N° 76019
DÉPÔT LEGAL : JUILLET 1999 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 95 F (ETRANGER : 120 F)
100