Billets121 Á126
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et d’ailleurs...
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-
africaines-
N° 121. Janvier 2004
Vœux
Laissons-nous aller à un certain optimisme de la volonté, puisque nous savons de plus en plus clairement ce que nous ne
voulons plus. En 2004, Survie a résolu de s’engager tout spécialement contre la perpétuation du soutien français aux
dictatures françafricaines ; contre le système de destruction des biens publics et de toute légalité qui s’exhibe dans les
paradis fiscaux ; contre la négation par la France de sa complicité dans le génocide d’un million de Tutsis au Rwanda, en
1994. Nous espérons bien marquer des points dans ces combats, avec nos lecteurs, nos militants et nos partenaires.
Le refus de la prolongation de dictatures surannées, parfois ubuesques, était l’objet de l’éditorial précédent ( Dictators no
more !). Si nous ne discréditons pas assez radicalement ces dictatures, c’est que nous y sommes accoutumés. En 1790, les
Européens étaient habitués à l’esclavage. Ils trouvaient que George Washington était un grand humaniste, malgré ses 300
esclaves. Cela n’aurait plus été possible en 1850, le regard avait changé. Eh bien, le regard des Français doit changer sur
l’Afrique : ils doivent considérer comme intolérable le quasi-esclavage, tyrannique et ruineux, que nous avons imposé à
quantité de peuples. Le néocolonialisme foccartien, ou plutôt élyséen, n’a jamais été aboli : notre Président continue
d’embrasser plus d’une dizaine de dictateurs africains dont l’argent, la réputation et la sécurité dépendent encore
largement de la France. Nous allons nous employer à rendre inadmissibles ces fréquentations et ces appuis.
S’agissant des paradis fiscaux, nous avons exposé plusieurs fois à quel point ils étaient le point de passage obligé du
pillage et des escroqueries subis par les pays du Sud, mais aussi les lieux d’une sous-enchère perforante de tous les droits
sociaux et environnementaux dans les pays du Nord. Nous parlons des paradis fiscaux, parce que c’est par là que ça se
passe, mais ils ne sont que la mise en scène d’une criminalité tous azimuts, d’un double langage orchestré par les grandes
puissances, leurs banques et leurs multinationales. Chacune a un pied dans le légal, la bienséance des pays dits
“civilisés”, et un pied dans la fraude ou le crime.
Les paradis fiscaux sont ce qui permet cette schizophrénie. Une grande partie de leur finance extra-territoriale est par
exemple pilotée depuis la City londonienne – ce qui permettait aux Britanniques d’exclure le dictateur nigérian Abacha du
Commonwealth tout en planquant son énorme butin. La Françafrique, bien sûr, n’est pas en reste, même si elle est moins
puissante financièrement : elle a Monaco, elle est familière de la Suisse, ses banques sont en flèche dans les montages
frauduleux, ses multinationales sont des as de la corruption.
Les Français, les Européens, les citoyens du monde sont encore trop peu nombreux à avoir perçu l’extrême danger de
cette criminalité extra-territorialisée, exponentielle, qui corrompt tous les décideurs et contrôleurs, rend inopérantes la
démocratie, la loi, la sanction. Il s’agit d’une véritable gangrène, tellement avancée que l’on pourrait raisonnablement
désespérer. D’où l’extrême urgence d’une pédagogie militante. Tout cela n’est pas si difficile à expliquer, et il y a encore à
notre portée quelques vannes de sécurité existantes ou installables. Nous allons pour notre part nous lancer dans ce
travail, en recherchant le plus grand nombre de partenaires.
Au bout des dérèglements criminels, il y a le génocide. Dans celui de 1994, il y a une criminogénèse rwandaise, mais
aussi des permissivités et complicités étrangères. La République française, elle, n’a pas seulement laissé faire : elle a
soutenu militairement, diplomatiquement, financièrement, idéologiquement et médiatiquement le camp des génocideurs.
Nous allons exposer les éléments les plus incontestables de ce soutien incroyable – sans doute le plus grand crime français
du XXe siècle – avant le dixième anniversaire du génocide 1.
Si nous sommes suffisamment convaincants, il faudra réparer ce crime. Nous commencerons par une demande
difficilement réfutable : que notre pays assure l’accès aux soins pour tous les Rwandais atteints du sida, puisque
l’explosion de cette maladie a suivi les centaines de milliers de viols qui ont accompagné le génocide. Si nous y
parvenons, nous n’aurons pas gaspillé notre énergie.
Un vœu encore pour la Côte d’Ivoire, que les passions trop échauffées menacent à nouveau du pire : que se manifestent
assez d’Ivoiriens de cœur et de raison pour enrayer les engrenages de la haine !
1. Voir http://www.enquete-citoyenne-rwanda.org
François-Xavier Verschave
SALVES
Les aiguilles du baromètre socio-politique de la Côte d’ivoire oscillent ces derniers jours à un rythme qui donne le tournis. Le pays
se réveille le matin, bercé par les belles intentions de paix de Gbagbo et de Soro et s’endort le soir, angoissé, après l’annonce d’une
marche imminente des “jeunes patriotes” pour “libérer Bouaké”. En arrière fond de la symphonie des voies officielles des deux camps
chantant l’hymne à la paix, les seconds couteaux sont chargés, en voix off, de l’invective contre l’ennemi (l’exemple de la partition
jouée dans cette optique par Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, est assez éloquente). Mais au-delà
des mots de paix et de guerre, qui se bousculent et se neutralisent dans une cacophonie tragique et rocambolesque à la fois, que
nous révèlent les faits ?
Dans le registre du pire, les exemples sont légion : une vingtaine de morts, une vague d’arrestations dans les quartiers à forte
concentration d’immigrés d’Abidjan, la descente continue de l’économie ivoirienne aux enfers, la foule toujours plus nombreuse des
personnes déplacées fuyant la guerre (dont la reprise est chaque jour annoncée) et les pogroms. Quant aux signes palpables de
paix, on trouve pour l’instant un seul cas significatif : le pré-désarmement des belligérants qui a enfin officiellement commencé, se
poursuit sous les auspices et la vigilance du Groupe de Suivi composé des forces de Licorne, de la CEDEAO, des FANCI et des
Forces Nouvelles. Ce processus reste encore timide voire incertain à en croire une certaine presse 1 qui soupçonne les “ex-rebelles”
de déplacer de leurs “QG des zones assiégées” les armes lourdes vers leurs bases arrières au Mali et au Burkina. Néanmoins, bien
qu’encore fragile, c’est à cette bouée de sauvetage que veulent bien s’accrocher tous ceux qui croient aujourd’hui à une sortie non
violente de cette guerre larvée qui mine toute la sous-région ouest africaine. Les ballets diplomatiques des émissaires internationaux
qui se sont multipliés ces derniers temps sont à saluer, de même que les dynamiques de paix que tentent d’impulser les ONG de
défense des droits humains. Il est à craindre cependant que toutes ces initiatives restent vaines si les premiers concernés, à savoir
les protagonistes ivoiriens, ne s’impliquent pas davantage (au delà des incessantes professions de foi) pour faire pencher la balance
en faveur de la paix. Car pour l’instant, dans chaque camp, force est de constater que ce sont ceux qui ne veulent pas de la paix qui
donnent le la : ils disposent des médias, des moyens divers pour parader, organiser des casses de banque, prendre d’assaut de
lieux publics symboliques, provoquer les forces d’interposition, etc . Tout ceci sous le regard bienveillant, et dans certains cas avec la
complicité, de leurs chefs de file respectifs.
Le pire et le meilleur frappent aux portes de la Côte d’Ivoire. À qui les Ivoiriens ouvriront-ils ? Aux incendiaires d'une certaine Côte
d’Ivoire “d’en haut” ?
Survie, pour sa part, a choisi dès le déclenchement de cette crise, en coalition avec de nombreuses forces citoyennes de
l’Hexagone, de “prévenir le pire” et d’agir pour favoriser l’avènement d’une véritable réconciliation. Nous continuerons, malgré les
nombreuses incertitudes de l’heure, à maintenir ce cap, faisant confiance à celles et ceux qui, en Côte d'Ivoire, parient
quotidiennement sur le meilleur. [SMS]
1. Cf. le journal ivoirien Le Temps, 06/12/2003.
Barril à Brazza
Dans sa livraison du 20 novembre, La Lettre du Continent annonçait le présence du capitaine Paul Barril à Brazzaville, où il allait
« travailler pour le président congolais ». Depuis lors, diverses sources confirment l’information. Le capitaine serait chargé d’assurer
la sécurité du Président. Il a été engagé par Jean-Dominique Okemba, conseiller spécial du chef de l’État, secrétaire général du
Conseil national de Sécurité. Ce dernier, non dépourvu d’ambition semble-t-il, a peut-être aussi besoin de sécurité. Quoi qu’il en soit,
qui dit Barril, dit généralement baril de poudre. L’Afrique en a fait l’expérience. Quand la France cessera-t-elle d’y exporter des
produits toxiques ? [SC]
Re-Barril
Entre Sassou III 1 et son gendre Omar Bongo, il y a le non-dit de la bataille pour le leadership dans la sous-région Afrique centrale.
En effet, Sassou Nguesso a toujours cherché à s’affranchir de la tutelle de son homologue gabonais - contrairement à son
prédécesseur, Pascal Lissouba, qui était “pieds et mains liés” face à Bongo. Ce dernier en est même arrivé à lui déléguer comme
trader du pétrole congolais à Londres son propre conseiller aux hydrocarbures, le très discret bénino-gabonais Samuel Dossou
Aworet. Un coup dur pour la souveraineté du Congo ! Ce qui aurait fait dire à Pascal Lissouba, selon son entourage aujourd’hui en
exil, qu’» en fait Bongo, via Dossou, n’aurait pas eu un comportement très catholique avec les barils de pétrole du Congo ».
S’occupant à l’époque de la sécurité du président Lissouba, Paul Barril aurait été mis au parfum de ces faits par son employeur.
Mais le 15 octobre 1997, Sassou Nguesso, avec l’aide d’armées extérieures et de la France, chasse Lissouba du pouvoir et s’y
installe. Dans l’euphorie de ce retour sanglant au pouvoir, il limoge tous azimuts. Samuel Dossou en fera les frais lui aussi, avec tant
d’autres. « Le Congo commercialisera sa part de brut 2 sans l’aide extérieure », tonne-t-on à Brazzaville. Pour ce faire, la Société
nationale des pétroles du Congo (SNPC) est mise sur pied. Et avec elle vont commencer les nouveaux déboires financiers du pays.
Parallèlement à cela, toujours dans sa volonté d’affranchissement de la tutelle de son gendre Bongo, Sassou III a créé, à l’image
de ce dernier, sa propre loge maçonnique (une excroissance locale de la GLNF) dont il est “le vrai maître à bord”.
Le recrutement du soldat Barril (LdC, 20/11/2003) dans le dispositif de sécurité de Sassou III participerait aussi au souci de
“l’homme fort de Brazzaville” de tenir en respect son homologue gabonais. Selon nos sources, Sassou III profiterait à cet égard d’une
arme détenue par Paul Barril : des informations gênantes sur les marchandages du pétrole congolais que réalisait Bongo via son
conseiller aux hydrocarbures Samuel Dossou.
Ce chantage, s’il en est un, ouvre un énième front pour Omar Bongo. En effet, son régime essuie en ce moment de sérieux revers.
Tenu par un système de corruption à vaste échelle, il voit depuis un moment sa capacité de redistribution prébendière (sa ligne de
stabilité et de survie) s’amenuiser à cause du déclin de sa production pétrolière. Le FMI boude ce régime pour absence de
transparence dans la gestion des deniers publics. L’avenir de ce pays rentier s’assombrit de plus en plus. Du coup, l’influence du
“doyen Omar” est mise à mal. Son épouse, fille aînée de Sassou, rêve d’une carrière politique au pays de papa ( LdC, 04/12/2003).
Mesure de précaution avant le naufrage du navire Gabon ? Le lâchage du soldat Bongo serait-il déjà programmé en Françafrique ?
De nouveaux “émirs pétroliers” de la sous-région, les présidents équato-guinéen et tchadien, Teodoro Obiang et Idriss Déby sont
déjà dans les starking blocks…
Dans tous les cas, le retour de Paul Barril au Congo-B promet des rebondissements. [CL]
1. Denis Sassou Nguesso déguisé en président “démocratiquement élu”, en 2002, après le Sassou dictateur et le Sassou putschiste.
2. Obtenue grâce au contrat de partage de production désormais en vigueur depuis 1994.
En choisissant de badiner sur les droits de l’Homme en Tunisie (cf. p. 3, 8) et de flatter la tyrannie de Ben Ali, qui nourrit si bien
son homme, Jacques Chirac a choqué le monde entier. Se rend-il compte que l’affichage avec un dictateur peut être passé de
mode ? Conseillons lui de méditer sur l’air du temps avant d’accorder de prochaines accolades à certains de ses amis : elles seront
de plus en plus coûteuses pour son image dans l’opinion. Il n’est pas sûr qu’il puisse encore longtemps relever le crédit de ces drôles
de clients en épuisant le sien. [PC]
Chirac veille-t-il bien sur les billets de Biya ?
Dans un écho de la Case à devinettes de La Lettre du continent (04/12/2003), intitulé Un missi dominici camerounais à la valise
pleine, on peut lire : « Quel est l’envoyé spécial camerounais qui s’est fait arrêter fin octobre à Roissy avec 2 milliards de FCFA en
devises et n’a pu être délivré que par le directeur de cabinet civil de la Présidence ? » En bon latin le missus dominicus est « l’envoyé
du maître ». Si on comprend bien, ce seraient donc Biya et sa femme qui feraient partir depuis quelques semaines des valises
énormes de devises notamment vers la France, au rythme de deux fois par mois, soit des montants totaux estimés à 6 milliards de
FCFA (près de 10 millions d’euros), en direction, entre autres, de la BNP-Paribas et du Crédit Lyonnais. Si c’est vrai, on se demande
comment toutes ces espèces peuvent bien ne pas allumer les signaux anti-blanchiment.
Dans le même numéro de La Lettre du Continent, on apprend qu’» entre les annulations de dettes, les redevances du pipe-line
Doba-Kribi et les fonds du sida, le Cameroun ne va bientôt plus savoir quoi faire des tombereaux de millions de dollars qui se
déversent sur sa tête (ou plutôt celle de la nomenklatura) ». Ceci expliquerait donc le regain d’activité du pipe-line à sous Yaoundé-
Paris.
À la suite des malencontreuses déclarations de Chirac à Tunis (cf. p. 8), Alain Duhamel publie, dans la rubrique Rebonds de
Libération (10/12/2003), un article intitulé Chirac, notre Houphouët, où il se livre à une comparaison filée, un tantinet forcée. Il affirme
notamment que « La doctrine Chirac pour l’Afrique, c’est le développement en deux temps, économique d’abord, politique plus
tard. » Si seulement c’était cela ! À la lumière de l’histoire, on peut dire que la doctrine des présidents français depuis cinquante ans
pour l’Afrique est d’une évidence aveuglante, c’est « pas de développement du tout » et « à nous les valises ! ». Comment expliquer
autrement que, après trente ans de rente pétrolière, qui aurait dû les hisser au niveau de vie des habitants de Dubaï, la très grande
majorité des 1 200 000 habitants du Gabon vivent dans la pauvreté ? Comment expliquer la misère publique des États pétroliers du
golfe de Guinée ? Où est passé l’argent ? Mais dans les valises bien sûr ! [OT]
Heureux élus
L’Agence djiboutienne d’information (ADI) nous apprend le 1 décembre que s’ouvre « un séminaire de formation de 4 jours sur le
er
travail législatif à l’intention des parlementaires djiboutiens. Ce séminaire de renforcement des capacités des élus du peuple, qui est
financé par le PNUD à hauteur de 150 000 dollars US, sera dispensé par deux éminents représentants de l’Assemblée Nationale
française : M. Yves Coussain (député) et M. Bruno Bass (administrateur). »
Cent cinquante mille dollars pour huit journées d’intervention, cela fait un joli coussin de billets verts (15 000 euros par jour), et sans
doute de belles commissions, observe le site de l’observatoire de la situation des droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD). Mais il
s’agit, selon l’ADI, « d’aider les parlementaires [djiboutiens] à connaître et utiliser les outils et mécanismes formels et informels du
travail parlementaire ». Va donc pour l’informel, même si cela ne renforcera pas la réputation de ri gueur du Programme des Nations
unies pour le Développement! De toute façon, le Parlement djiboutien 100 % UMP (Union pour la majorité présidentielle, pro-
Guelleh), fruit de la fraude électorale, ne peut que suivre l’exemple présidentiel : mettre le maximum d’argent dans les circuits
“informels”.
Quant au député français Yves Coussain, il voit sans doute récompensé son ralliement de l’UDF à l’UMP ! UMP ici, UMP là-bas,
« France à fric » partout. [FXV]
TF1 a diffusé, lors de l’émission Sept à huit du 30 novembre, un reportage pour le moins tendancieux sur l’affaire Borrel. On a
longuement insisté sur les arguments pour la thèse du suicide, donné très brièvement la parole à Mme Borrel et surtout totalement
omis de mentionner les conclusions de la dernière autopsie, dont la presse venait de se faire l’écho et qui réduisent à néant la thèse
officielle. Le grand public n’a pas dû comprendre pourquoi on faisait tant de foin pour une histoire aussi simple, mais ce n’est pas ce
qu’on lui demande.
Le site de l’observatoire de la situation des droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD) décortique « cette mascarade audiovisuelle »
(www.ardhd.org/affinfo.asp ?articleID=2379). Il suppose que TF1, en l’occurrence, s’est mise gracieusement au service de la politique franco-
africaine. Laquelle voudrait « s’attirer les bonnes grâces du Président mafieux et sanguinaire [Ismail Omar Guelleh], afin de retarder le
moment qui nous semble inéluctable où nos forces pourraient être mises à la porte de Djibouti, au profit des Américains restant seuls
maîtres du terrain et n’ayant aucun état d’âme concernant l’assassinat d’un juge français en mission. ça serait quand même bien
affligeant d’apprendre un jour que nos dirigeants ont sacrifié la mémoire d’un juge pour gagner quelques mois de présence à Djibouti,
en soutenant un dictateur connu pour sa cruauté, son enrichissement personnel et son asservissement du peuple djiboutien. » [OT]
Néocolonialisme à la Martinique
La Martinique fut l’une des premières colonies esclavagistes françaises, il y a plus de trois siècles. C’est aujourd’hui un département
français, où théoriquement tous les citoyens sont libres et égaux en dignité et en droit. Les descendants des esclaves, y compris
métissés, forment l’écrasante majorité de la population. Mais la petite communauté non métissée des descendants des esclavagistes,
les békés (à peine 1 % des 400 000 habitants), contrôle encore la majeure partie de l’économie de l’île, notamment les juteux
secteurs de l’importation, dans une ambiance de néocolonie rentière.
Entendons-nous bien : ces Blancs-là sont aussi égaux en droit, et l’on pourrait oublier les généalogies contraintes dans une société
de toutes les couleurs. Mais c’est impossible si ce petit groupe verrouille sans vergogne d’effarants privilèges économiques.
Car cette suprématie n’est pas qu’une situation de fait : le calvaire socio-judiciaire vécu pendant vingt ans par un entrepreneur de
couleur, Félix Jean-François, illustre à satiété les mille et une manières dont la justice locale se met au service de l’» ordre établi » 1.
Les magistrats békés, ou métropolitains, ou compromis, veillent à ce qu’aucune activité rentable ne reste entre les mains d’un non-
béké : soit il doit la céder à vil prix, soit un béké crée une société similaire et on étouffe par tous les moyens la société initiatrice.
Avec la bénédiction de la majorité des médias locaux, sous influence.
L’affaire Jean-François a atteint un tel degré d’iniquité qu’elle a fini par mobiliser, autour de rares avocats “résistants”, un noyau de
Martiniquais résolus à ne plus laisser se perpétuer ces mécanismes de domination – un système totalement soutenu par la
Chiraquie, qui a là-bas de vieilles attaches. Première victoire : plusieurs procès, où la magistrature locale n’était manifestement pas
impartiale, ont été dépaysés à Paris. Reste à savoir s’il existe encore assez de justice républicaine en France pour contrer les
mœurs bananières de notre outre-mer... [FXV]
1. Cf. Pierre-Henry de la Reydiargues, Institution judiciaire hors-la-loi à la Martinique. L’affaire Jet Aviation Services, ADPA Éditions, 2003.
D’Esnon !
L’inventif Jérôme Grand d’Esnon, emploi fictif, conseiller électoral de Jacques Chirac, multiplicateur de voix fictives en faveur du
général Idriss Déby lors de la parodie d’élection qui sacra « démocratiquement », en 1996, une terrifiante dictature françafricaine, fait
à nouveau parler de lui. Promu directeur des Affaires juridiques au ministère des Finances, il y applique sa conception minimaliste du
droit en sabotant consciencieusement les garde-fous anti-corruption dans les marchés publics.
Et, pour permettre au parti chiraquien UMP de crever sans en avoir l’air le plafond des dépenses électorales, il a inventé les
meetings fictifs : il a « convaincu la direction du parti de tenir à travers la France et d’ici aux régionales une centaine de meetings […]
camouflés en d’innocentes réunions publiques. » (Le Canard enchaîné, 10/12/2003). C’est ainsi en Françafrique : la fiction n’a pas de
limites, et la réalité dépasse la fiction. [FXV]
Savoir se vendre
Le groupe Total a bien des difficultés à nous vendre l’image d’une entreprise qui ne soit pas trop compromise avec la dictature qui a
rebaptisé son pays « Myanmar ». Plus les pratiques sont indéfendables, plus cela coûte de se procurer une brosse à reluire perçue
comme indépendante par l’opinion. Il reste encore quelques personnalités à acheter par les spécialistes ès communication
françafricaine, comme un Fodé Sylla pour valider la “réélection” d’Eyadéma au Togo.
Pour la modique somme de 25 000 euros (selon Le Monde du 12/12/2003), Total s’est payé les services d’une mission
d’observation de quelques jours de BK Conseil, qui a remis son rapport le 29 septembre. “BK”, comme Bernard Kouchner, au
panthéon de la popularité des hommes politiques, aujourd’hui presque unanimement contesté par les associations de défense des
droits de l’Homme 1. Le sabir de son rapport est truffé d’amalgames, de faux débats, de réponses à des accusations qui n’ont jamais
été formulées, etc. Objectif : jeter un nuage de fumée sur des compromissions inadmissibles avec la narcojunte birmane.
Le French Doctor nous fournit une illustration de son “malaise” après une telle énormité en répondant à la question de Laure
Gnagbé (Nouvel Obs.com, 10/12/2003) : « Mais comment expliquez-vous que Total se soit adressé à l’un de ses premiers
détracteurs pour effectuer une telle enquête ? ». La réponse se passe de commentaires : « Mais parce que je ne suis pas mauvais !
Je connais mon travail et suis reconnu pour ça. Avant, j’accusais Total, comme tout le monde, mais je n’étais pas au courant de la
réalité sur le terrain. Et, aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que je me suis trompé. C’est tout. [...] Quant à cette histoire de liens
avec la juge d’instruction chargée du dossier Total, c’est ubuesque. Je n’étais évidemment pas au courant qu’elle travaillait là-
dessus. Une de mes anciennes collaboratrice est juge, ce n’est pas un crime, tout de même ! » [PC]
1. La FIDH a diffusé sur sa liste de courriers électroniques une analyse très complète de ce rapport (15/12/2003). Extraits : « La FIDH a pris connaissance
avec consternation du rapport rédigé par Bernard Kouchner Conseil [...] La méthodologie suivie par BK Conseil ne respecte [... aucune des deux] règles de
base [... indépendance et impartialité]. La FIDH rappelle qu’il est reproché à Total :
– D’avoir occasionné des déplacements de populations et d’avoir forcé à l’exil des centaines de villageois
– D’avoir bénéficié du travail forcé pratiqué par l’armée birmane qui s’est livrée à une militarisation complète de la zone – et d’avoir continué à en bénéficier
même après avoir pris connaissance des exactions commises par l’armée
– De fournir un soutien logistique et militaire à l’armée birmane, en outre de lui apporter une caution morale, politique et financière.
[...] La FIDH estime que, plutôt que de payer régulièrement des consultants à venir en visite guidée sur le site, Total gagnerait en crédibilité si ses dirigeants
autorisaient des enquêteurs effectivement indépendants à se rendre sur le chantier. »
Barbichettes
Le procureur de Pau a avoué « être dans l’incapacité d’indiquer la date d’un éventuel procès » de l’affaire Destrade, dont l’instruction
est bouclée (26 tomes, 48 mis en examen), « car le parquet et le tribunal connaissent des problèmes d’effectifs » (Le Monde,
13/12/2003). Pendant ce temps, la justice française trouve le temps d’annuler pour prescription une bonne partie de l’affaire des
emplois fictifs de la Mairie de Paris – de quoi réjouir, entre autres Michel Roussin et Jacques Chirac. La doctrine est la même :
fermons les yeux sur les dévoiements des ressources humaines et financières en principe affectées au service public, et on n’aura
plus les moyens de ce service. Sauf pour absoudre en catimini les tricheurs. Admirable cercle vicieux.
Il n’échappera pas aux connaisseurs que l’affaire Destrade (du nom d’un ancien député PS), un racket de 135 millions de francs
sur l’implantation de grandes surfaces commerciales, inquiétait surtout la gauche – via Richard Moatti, proche ami de Lionel Jospin, et
un certain Gérard Peybernès, financier du PS, également impliqué dans le partage des rackets milliardaires sur les marchés
parisiens et franciliens. Derrière Michel Roussin. À Paris (et ailleurs), la droite et la gauche se tiennent par la barbichette. L’affaire
Destrade avait été un temps réactivée fin 2001, durant la campagne présidentielle… Mais la paix des barbichettes est tôt revenue,
entre leaders rasés de frais.
Ainsi le PS a attendu le dernier moment, et une pression médiatique insoutenable, pour attaquer Chirac sur la protection de
François Pinault dans l’affaire Executive Life. Or il s’agit d’un dossier particulièrement scandaleux (que nous n’avons cessé
d’évoquer depuis plusieurs mois) : le chef de l’État a longtemps préféré risquer de perdre des milliards d’euros d’argent public plutôt
que de contraindre son ami Pinault à allonger quelques dizaines de millions de dollars d’amendes à la justice californienne.
Pinault a bâti une fortune de plus de dix milliards d’euros à l’ombre des connivences politico-financières chiraquiennes 1 – un
système de renvois d’ascenseurs, avec arrêts privilégiés dans les paradis fiscaux.
Comme de coutume, une certaine gauche n’a pas été délaissée. On a pu observer plusieurs migrations entre l’état-major du
groupe Pinault et l’écurie Fabius. Lequel, ministre de l’Économie en 2001, a accordé une énorme amnistie fiscale à François
Pinault… Gageons que le parti chiraquien et cette gauche si attentive au portefeuille des milliardaires ne chercheront pas de poux
aux activités françafricaines de Pinault, dans la distribution et le bois. Ni chez quelque autre groupe françafricain…
Comme il est signalé par ailleurs, même le plus populaire des représentants de cette gauche “responsable”, Bernard Kouchner, a
éprouvé le besoin de venir redorer la réputation du pétrolier Total. Les vrais clivages ressortent plus nettement : le refus de la
complaisance envers les dictatures et l’argent sale des paradis fiscaux.
Débarqué du Monde, Daniel Schneidermann se fait un plaisir d’expliquer dans Libération (12/12/2003) de quel côté se situe son
ancien patron, Jean-Marie Colombani. Le quotidien du soir a mené la propagande de François Pinault en omettant de rappeler que le
milliardaire contrôlait indirectement une partie de son capital et avait pour éminent conseiller Alain Minc, président du conseil de
surveillance du Monde. Moyennant quoi François Pinault n’était pas coupable de ce dont l’accusaient les magistrats californiens,
mais plutôt victime d’un « racket ».
Chirac le protège-t-il ? « Faisons-lui ce crédit, il protège avant tout les intérêts français », dixit Colombani dans son éditorial sur
RTL. Ce serait bien la première fois qu’il oublierait le reste ! [FXV]
1. Nous restons polis. Libération titre, le 05/12/2003 : Une affaire tout en relations incestueuses.
En partenariat avec Attac et BPEM (Biens publics à l’échelle mondiale), Agir ici mène jusqu’en mars 2004 une campagne intitulée
Trafics en mer : Marins en galère ! Campagne pour en finir avec les pavillons de complaisance. La campagne vise à plus de sécurité
et de droits pour les marins 1, ainsi qu’à prévenir les futurs naufrages, notamment par la ratification des conventions internationales
allant en ce sens ; elle demande également une réforme de l’Organisation maritime internationale (OMI).
Ces associations dénoncent au passage le projet français, adopté par le Sénat le 11 décembre, créant un statut de « véritable
pavillon de complaisance français : le Registre international français (RIF). Cette proposition de loi cherche en effet à remplacer le
pavillon-bis français TAAF (des Kerguelen) par un nouveau système qui balaie en quelques pages toutes les composantes
essentielles du contrat social français.» (communiqué, 10/12/2003). Un sujet si brûlant méritait le court-circuit par le Sénat des
concertations parlementaires auxquelles s’attachent les démocraties : une modification essentielle du texte (article 3) n’a été rendue
publique que la veille du délai de clôture des amendements !
Le tout pour permettre aux armateurs français de nager en toute légalité dans les eaux troubles du non-droit, allant chercher la
main d’œuvre la moins protégée et la moins onéreuse dans le monde. Le seuil de 35% de Français à bord, permis depuis 1987
grâce au “pavillon bis” de Kerguelen, était-il encore si contraignant ? [PC]
1. Le cas extrême des marins abandonnés, sans possibilité de rentrer chez eux, est traité dans le film de Claire Devers Les marins perdus (2001), sorti
récemment au cinéma.
L’épouse d’un homme d’affaires français a expliqué au juge d’instruction Philippe Courroye, qui instruit les gigantesques trafics et
escroqueries de l’Angolagate, que Jean-Charles Marchiani, le superbarbouze pasquaïen, s’était vanté de « pouvoir tout régler » et
qu’il était « intouchable ».
« L’histoire semble lui donner raison », conclut Libération (27/11/2003), puisque la commission juridique du Parlement européen a,
pour la troisième fois, refusé la levée de l’immunité parlementaire de celui qui est présumé avoir « profité » de quelque 5,5 millions
d’euros de « détournements ». C’est du moins la somme des dérives que le juge estime avoir établies, et qui ne portent que sur une
petite partie de l’activité du personnage.
Le rapporteur de la commission, l’eurodéputé démocrate-chrétien allemand Klaus-Heiner Lehne, renverse même l’accusation :
Marchiani serait victime d’un complot de la justice française. Quand on connaît la carrière de l’individu 1, ce retournement à de quoi
sidérer. Jean-Charles Marchiani reconnaît lui-même être sorti des voies légales : de 1993 à 1995, il a bien, avec Charles Pasqua
« mené une diplomatie parallèle pour remédier à l’incurie de ceux qui en étaient alors chargés » (Le Monde, 06/12/2003) – les diplomates
visés n’étant autres qu’Alain Juppé et Dominique de Villepin…
Quant à l’eurodéputé Lehne, il s’est beaucoup investi dans les relations entre l’Europe, la Russie et le Maghreb. Ce n’est pas
exactement le choix de la transparence. [FXV]
1. Cf. F.X. Verschave, Noir Chirac, Les arènes, 2002, p. 143-146.
Bons points
– Torturé quarante jours par les séides de la junte militaire algérienne, Mehdi Mosbah (assisté par M William Bourdon) a portée
plainte contre le général Larbi Belkheir, alors hospitalisé à l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce qui soigne plus souvent les
commanditaires de tortures que leurs victimes. De même, la famille de l’un des sept moines français tués en 1996 à Tibehirine
(assistée par M e Patrick Baudoin) et un religieux de leur ordre ont porté plainte pour assassinat. Cela contribuera peut-être à lever
l’omertà sur la criminalité abominable du régime algérien (voir Lire, n° 120), jusqu’ici couverte par la Françalgérie.
– Pressée par les ONG et les scandales, la Banque mondiale a consenti de demander l’avis d’une commission indépendante (la
Revue des industries extractives) sur l’effet des financements qu’elle consent aux investissements houillers, pétroliers et gaziers.
Nous connaissions depuis longtemps les désastres multiformes engendrés, mais il est bon qu’ils soient portés directement à la
connaissance de la Banque. Le rapport de la Revue est sans appel : « en l’absence de cadres robustes » (c’est le plus souvent le
cas dans les ex-colonies), on assiste à une exacerbation des conflits sociaux et des violations des droits de l’Homme, à la corruption
des élites et la multiplication des atteintes à l’environnement. (Libération, 11/03). Reste à voir si la Banque pourra continuer de faire
semblant de ne pas savoir.
Fausse note
– Pourquoi la Deutsche Bank éprouve-t-elle le besoin de fourguer à un État richissime en or noir, la Guinée équatoriale, un prêt de
400 millions de dollars gagé sur le pétrole futur (LdC, 04/12/2003) ? Le pétrole présent ne suffirait pas ? L’on sait plutôt que ces
préfinancements sont l’occasion de commissions et détournements gigantesques. Et l’on ne s’étonne pas de retrouver, “syndiqués”
derrière la DB les banques françaises Société Générale et Natexis, goulues de ce genre d’aubaines.
(Achevé le 16/12/2003)
Françafrique
« Les souvenirs que je garde du Tchad sont trop nombreux pour que je puisse énumérer tout. [… Parmi les] souvenirs forts [… il y a]
les images de l’ouverture de la vanne du pétrole de Doba, […] également la visite très chaleureuse [… du] président Chirac […] qui a
vraiment été incroyablement utile et fructueuse pour la suite des relations tchado-françaises. […] La France est un partenaire privilégié
du Tchad. [… Les] relations sont très bonnes, plus que bonnes même. […] La visite du président Chirac au Tchad et celle du
président Déby en France, il y quelques semaines, […] sont la consécration de la qualité extrêmement grande des relations entre la
France et le Tchad. Je crois que c’est un point d’orgue. » (Jacques COURBIN, ex-ambassadeur de France à N’Djaména, peu avant son
départ le 23/10/2003. Interview à l’hebdomadaire tchadien Notre Temps du 21/10/2003).
[Les relations sont d’autant meilleures que le Tchad s’enfonce dans une dictature de plus en plus délirante, enivrée par le pétrole.]
« Q. – L’opposition et la société civile ont accusé la France d’avoir cautionné le fraudes massives qui étaient à l’origine de l’élection de Déby [en
2001]. Que répondez-vous ?
[…] La France n’a rien à voir avec ce qui s’est passé dans ces élections. Le rôle de la France, c’est de mettre à la disposition du
processus électoral des avions, d’apporter un appui pour l’acheminement des urnes et des matériels pour le vote. Le reste, ça
concerne les Tchadiens. […] Que quelqu’un explique comment la France sous une forme ou sous une autre a pu avoir une influence
sur ce niveau de fraude quelconque d’une élection au Tchad 1. J’aimerais bien que ceux qui le disent viennent me voir et me disent
que : “Moi j’ai les preuves que vous les Français, vous avez aidé à ce que ces fraudes se produisent ”. » [On notera que l’ambassadeur ne
conteste pas l’existence des fraudes].
1. Pour l’élection présidentielle de 1996, cf. l’abondance de faits exposés dans Agir ici et Survie, Tchad, Niger. Escroqueries à la démocratie, L’Harmattan,
1996.
Q. – Ce que l’opposition et la société civile reprochent à la France, c’est d’avoir mis à la disposition du gouvernement tchadien des moyens
logistiques et matériels pour la tenue de ces élections alors que l’Union européenne par exemple, qui les savait truquées d’avance, avait refusé
de les financer.
[…] C’est la première fois que j’entends ces affirmations selon lesquelles la France se serait rendue complice de fraude parce qu’elle
a aidé le processus électoral. […]
Q. – Excellence, juste après la proclamation des résultats, le président français a salué la « victoire » de Déby pendant que les contestations
fusaient de partout.
[…] Le président de la République n’a fait que respecter les traditions républicaines. […] Des contestations, il y en a tout le temps, en
France également. Après les procédures constitutionnelles prévues, […] après l’épuisement des recours, le président de la
République envoie des lettres de félicitations au président élu. Je ne vois rien d’anormal. » (Jacques COURBIN, ibidem).
[Autrement dit, la France aide, seule, à la réalisation d’une élection dont elle sait, par ses Services, qu’elle va être truquée. Elle ne s’indigne pas en
constatant le truquage. Elle le laisse valider par une Cour constitutionnelle inféodée, désignée en vertu d’une Constitution qu’elle a plus qu’aidé à rédiger. Et
le président de la République française bénit le résultat. C’est effectivement la « tradition » françafricaine, et ça s’appelle « cautionner » l’élection
frauduleuse d’un dictateur – n’en déplaise à Son Excellence Courbin qui, au fil de l’interview, a validé presque toutes les étapes de cette ingérence. – FXV]
« [Une] vaste structure géologique découverte [dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire] pourrait receler des réserves de pétrole
atteignant 2 milliards de barils [300 millions de tonnes], ce qui en ferait l’un des plus grands gisements d’Afrique de l’Ouest. » (Gene VAN
DYKE, PDG de la firme exploratrice Vanco Energy, dans Africa News Report de l’ambassade US à Abidjan. Cité par LdC du 04/12/2003).
[Ce pétrole-là ne va pas contribuer à éteindre les passions. Même la Banque mondiale se voit contrainte de reconnaître la « malédiction des ressources ».]
« Le problème de l’exploitation illégale des ressources naturelles et du trafic d’armes en République démocratique du Congo ( RDC)
continue encore aujourd’hui. […] Chaque partie ou faction impliquée dans le processus de transition au Congo sait qu’il est encore
facile d’inonder le pays d’armes pour faire imploser cette paix difficile et précaire. […] Ce sont essentiellement les multinationales qui
nous ont attaqués […]. Quand nous mettions une société à l’index, elles nous attaquaient. Quand nous leur apportions les preuves,
elles disaient qu’elles étaient fausses. Quand nous démontrions qu’elles étaient vraies, elle n’y croyaient toujours pas. […] Elles
voulaient et veulent démontrer qu’elles ont raison et leurs gouvernements les soutiennent. Plus d’une fois, il nous est arrivé de devoir
nous confronter sur deux fronts. » (Mamoud KASSEM, président du groupe d’experts de l’ONU chargé par le Conseil de Sécurité d’enquêter sur
le pillage des ressources naturelles dans l’ex-Zaïre. Interview à Il Manifesto, 06/12/2003).
[Une fois de plus, il s’avère que le pillage n’est pas qu’économique. Tous ceux qui pillent, multinationales en tête, ont besoin du soutien des gouvernements
de leurs sièges. Ce sont en partie les mêmes gouvernements qui ont mandaté le comité d’experts présidés par Mamoud Kassem, et qui ne se pressent pas
de prendre en compte les résultats de ses travaux. À noter que le Conseil de sécurité a tenu à garder secrète la partie la plus intéressante du rapport des
experts. – FXV]
« Je viens de vivre un cauchemar au Cameroun. Ailleurs en Afrique, nous nous sommes établis sans véritable problème. Depuis 20
ans que ce réseau des universités existe, on n’a pas vu ça. Trop d’atermoiements, trop de procédures et humiliations et finalement une
diffamation qui fait de nous des hors la loi alors que le cadre juridique n’est pas entièrement en place pour les universités privées au
Cameroun. […] Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de quitter le Cameroun. Nous fermons et renonçons au projet que nous
avions de faire du Cameroun un pôle principal pour l’Afrique centrale. » (Fayçal GHISSASSI, président fondateur du groupe HECI – Hautes
études canadiennes et internationales –, le 28/11/2003 à Yaoundé. Cité par le journal camerounais Mutations du 01/12/2003).
[Ces propos illustrent les difficultés rencontrées par les institutions privées d’enseignement supérieur, dont on redoute qu’elles ne deviennent des lieux de
réflexion et de formation indépendants du pouvoir en face d’un secteur public universitaire sinistré, miné par la corruption portant sur le recrutement et les
diplômes. Ajoutons que les rejetons de la classe dirigeante font eux leurs études en France, en Europe ou aux États-Unis. – OT]
« J’ai appris par votre journal que j’aurais bénéficié d’une faveur de l’administration fiscale, ce qu’a formellement démenti le ministre du
Budget. Je n’ai bénéficié d’aucune faveur. J’ai adressé à l’administration mes observations en réplique à ses notifications de
redressement. J’ai fait observer :
1. que je n’avais jamais perçu les commissions ou honoraires qu’elle prétendait réintégrer dans mon revenu ;
2. que des éléments provenant soi-disant de procédures pénales auxquelles j’étais totalement étranger ne pouvaient m’être
opposés ;
3. qu’enfin il ressortait de la convention franco-helvétique d’entraide judiciaire qu’aucune utilisation politique, militaire ou fiscale ne
pouvait être faite des éléments transmis par une juridiction d’instruction à une autre.
Il est donc normal que l’administration fiscale suspende ou annule ces recouvrements totalement injustifiés. » (Jean-Charles
MARCHIANI, lettre au Monde du 13/12/2003).
[Au lecteur de s’accrocher, le genre littéraire du superbarbouze Marchiani n’est pas des plus simples. Je commence par nier que j’aie « bénéficié d’une
faveur » pour finir par admettre que j’ai obtenu une suspension ou annulation des recouvrements demandés par le fisc. Ce n’est pas une faveur parce que
le fisc avait tort. Il avait tort parce que je n’ai jamais rien fait ni rien touché. Ou plutôt, j’ai touché, mais le fisc ne le sait que grâce à des documents transmis
par la justice suisse, documents dont il n’a pas le droit de se servir. Autrement dit, je peux faire pis que pendre, je suis protégé par le secret bancaire et les
paradis fiscaux, sans compter le secret-défense. Dégagez, ya rien à voir !]
« Malgré les accords de “Fomboni 2” [...], les Comores ne disposent toujours pas de Parlement central ou local élu. [...] S’agissant de
l’unité nationale, le gouvernement Azali a abandonné, au lendemain de son coup d’État, l’idée de réconciliation nationale [...]. À telle
enseigne que, lorsque le 27 octobre 2003, les compatriotes vivant à Mayotte ont vu leurs cases incendiées par le maire de Bandrélé,
sous la surveillance bienveillante de la gendarmerie de l’île, ce gouvernement central s’est illustré par son mutisme, même lorsque le
Préfet de Mayotte justifiait cet acte ignoble. Le régime Azali est passé maître dans l’art de réprimer les manifestations revendicatives du
peuple. Déjà, en 2001, il faisait usage de fusils chargés de “balles réelles” [...]. Le mercredi 26 novembre 2003, jour sacré de l’Aïd-el-Fitr,
il faisait à nouveau usage de ses armes chargées de balles réelles, sur des manifestants pacifiques réclamant le respect des Accords
de Réconciliation nationale, faisant plus de 15 blessés dont quatre grièvement. [...] Préoccupée par les graves dérives autocratiques du
régime Azali, son abandon de la défense de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale, la répression sanglante qu’il exerce sur le peuple
comorien, son mépris des libertés collectives et individuelles et l’impunité dont il jouit, la Communauté Comorienne de France :
condamne la fascisation du Gouvernement de l’Union des Comores, exige le respect des “Accords de Réconciliation Nationale”, réclame
avec vigueur le respect des libertés démocratiques, la libération de tous les prisonniers politiques, et une justice équitable. » (La
Communauté comorienne de France, Appel lancé le 06/12/2003 pour une manifestation ayant rassemblé 300 personnes à Marseille).
[Les Comoriens n’ont plus droit de protester qu’à Marseille, puisque la France, et le colonel franco-comorien Azali, leur refusent ce droit sur leur archipel.
En effet, à Mayotte, l’administration française d’occupation a empêché une marche de protestation contre l’incendie d’un village par les employés
municipaux, le 1er novembre à Brandélé ! (Le Quotidien de la Réunion, 05/11/2003, p. 28, et Billets n°120, p. 10). Et dans le reste de l’archipel, c’est le
colonel putschiste qui fait tirer sur les manifestants ! Ce qui n’empêche pas Jean-Jacques Brot, préfet égaré à Mayotte, d’affirmer que l’arrivée d’Anjouanais
sur l’“Hippocampe”(Mayotte) « est dangereuse parce qu’elle remet en cause le suffrage universel et la démocratie française » (QdlR, 10/11/2003, p. 19).
Face à la remarque « les Anjouanais n’ont pas le droit de vote [à Mayotte] ! », il ne se laisse pas démonter : « Dieu merci, [...] imaginez qu’on installe chez
vous une personne qui n’a rien à voir avec vous dans votre maison... Est-ce que vous trouveriez cela normal ? ». C’est beau comme du Marchiani... Il ne
faut pas y chercher une logique : on en viendrait à ne pas trouver normal que des Français (qui “ n’ont rien à voir ” avec les Mahorais, alors que les quatre
îles des Comores dont Mayotte comportent les mêmes brassages ethniques) s’installent à Mayotte. À moins qu’il ne faille y entendre : “ les Français
d’abord, et partout ! ” À Marseille, des colleurs d’affiche du FN ont tué un Comorien. À Mayotte, d’autres crétins incendient leurs maisons... mais ces
derniers représentent l’administration française ! – PC]
Outre-mer
« Ce dimanche, les habitants des Antilles vont être amenés à se prononcer par référendum sur un projet de réorganisation territoriale
qui vise à mettre un terme à la superposition de la région et du département sur le même territoire. [... Je dirais d’abord que] c’est une
réforme très importante ; c’est une réforme à la Corse qui est soutenue par les indépendantistes ainsi que par la plupart des partis
politiques sans que l’Assemblée nationale n’ait été amenée à se prononcer autrement que [...] "pour avis". [... Ensuite,] la Guyane est
exclue. Pourquoi ? [...] Cerise sur le gâteau : François Bayrou ayant fait un déplacement aux Antilles pour participer à ce débat, Madame
Brigitte Girardin, qui est ministre des Dom-Tom, s’est étonnée, s’est déclarée choquée, dans l’édition du Parisien de samedi dernier, que
Monsieur Bayrou soit allé ainsi aux Antilles. Elle a dit : "C’est un peu comme si un Antillais se mêlait des institutions du Béarn". Je ne
croyais pas, de ma vie, pouvoir entendre un ministre dire qu’un élu de la nation n’avait pas le droit de se rendre sur une partie du
territoire de la République pour dire ce qu’il pense de l’organisation d’une Collectivité territoriale de la République. Ça c’est pour moi
entièrement nouveau : qu’on oblige Monsieur Bayrou à se cantonner dans les affaires du Béarn [... qui,] Madame Girardin semble
l’oublier, [...] n’est pas une Collectivité territoriale de la République. [...] Quand on voit tout cela, on a quand même le sentiment qu’il y a
des démissions qui se perdent. » (Jean-Louis BOURLANGES, eurodéputé UDF, sur France Culture, L’esprit public, le 07/12/2003, 11h-12h).
[Martiniquais et Guadeloupéens ont ensuite voté contre cette réorganisation, pour des raisons multiples et variées. Discrédité par cet échec, le
gouvernement ne perd peut-être pas sur tous les tableaux... Le Comité de décolonisation de l’ONU sera bientôt dissous, alors que de nombreux
indépendantistes des Dom envisageaient de tenter d’y faire inscrire leur territoire, pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser.
En interprétant ce projet comme une proposition rejetée de marche vers plus d’autonomie, la métropole confortera son discours sur “l’attachement des
Domiens à la République”. – PC]
GLNF
« Depuis deux ans, nous avons fait le ménage. Et nous continuons. Nous avons coupé les branches mortes ; notre obédience a encore
procédé à trente-sept radiations cette année. » (Jean-Charles F., élu premier Grand Maître de la GLNF à la fin 2001, cité par Le Monde du
09/12/2003).
[Le zèle ménager du Grand Maître n’est pas allé jusqu’à couper les branches Bongo et Sassou, dont la présence rehaussait au contraire les fastes du
convent. Comme dit l’autre : on ne scie pas la branche... – OT]
À FLEUR DE
PRESSE
Françafrique
Le Soir de Bruxelles, Les droits de l’Homme selon Jacques Chirac, 06/12/2003 (Baudouin LOOS) : « La France, dit-on, est la patrie
des droits de l’Homme. Ses habitants s’en vantent. Et ses dirigeants s’enorgueillissent de cette flatteuse réputation. Jacques Chirac,
président de la France, incarne ces valeurs avec zèle et éloquence. Hélas ! il arrive que tout cela ne suffise pas à masquer la sordide
réalité des compromissions. Quelques présidentielles déclarations, sur le sol tunisien, en attestent.
Pressé, jeudi, de se prononcer sur le respect des droits de l’Homme dans la Tunisie du président Ben Ali à partir du cas de Radhia
Nasraoui, cette avocate tunisoise en grève de la faim depuis 51 jours pour que cesse le harcèlement policier dont elle est victime,
Chirac a lâché : “Le premier des droits de l’Homme c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat” .
Beaucoup, en France et en Tunisie, ont cru avoir la berlue. […] Les faits, eux, sont simples et têtus, édifiants et terrifiants : en
Tunisie, certes, la plupart des gens mangent, sont soignés, vont à l’école et ont un toit ; mais les Tunisiens ne jouissent d’aucune des
libertés qui trahissent l’État de droit, de démocratie : liberté d’expression, liberté de réunion, liberté d’activité politique, liberté de
presse, comme ils ne peuvent compter sur une justice indépendante, eux qui vivent dans un État infiniment policier.
Toutes les organisations compétentes dans la branche des droits de l’Homme sont d’accord à Tunis comme à Paris : le président
français a fait preuve d’un incroyable mépris pour les Tunisiens en estimant qu’en matière de droits humains ils n’avaient qu’à
manger et à se taire. Avec leurs libertés bafouées, les Tunisiens ont maintenant aussi leur dignité piétinée. »
[Parmi les perles présidentielles offertes à la presse à l’issue de la rencontre avec le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali le 3 décembre : « Nous
avons aussi, en France, des personnes qui ont fait la grève de la faim, qui la font, qui la feront. » « La Tunisie, parmi les pays émergents, a une situation
particulièrement brillante ». Radhia Nasraoui a apprécié pour ce qu’ils valent ces consternants manquements à toute décence : « Je ne crois pas que l’on
puisse dire : mangez et taisez-vous ! La liberté et la dignité sont des choses essentielles ». L’offense chiraquienne au peuple tunisien s’explique-t-elle par
l’existence, en Tunisie, d’une classe moyenne solvable ? Notre Président était accompagné par des hommes d’affaires hexagonaux sans doute désireux
de lui fournir leurs produits. À consommer en silence... –SC]
France Culture, 05/12/2003, journal de 12 heures 30 : « Laurent Gbagbo veut se rendre dans le fief des rebelles. Il veut ainsi
marquer avec éclat sa souveraineté sur une région qu’il n’a pourtant pas conquise par les armes. »
[Si on comprend bien il faudrait, comme le veulent d’ailleurs les Jeunes patriotes et l’armée régulière des FANCI, que le président Gbagbo ait recours à la
force pour avoir le droit de se rendre à Bouaké, tandis que les ministres issus de la rébellion peuvent venir siéger au gouvernement à Abidjan, ville qu’ils
n’ont pourtant pas conquise par les armes. Bel encouragement à la réconciliation nationale ivoirienne ! – OT]
Politique africaine
Observatoire de l’Afrique Centrale, Rwanda, le général Paul Rwarakabije, 20/11/2003 (Pierre BIGRAS) : « Le retour au bercail du
général Rwarakabije, […] bientôt suivi par une centaine d’hommes en armes des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda 1], […]
soulève un coin de voile sur les rumeurs persistantes concernant la présence des troupes rwandaises à l’est du Congo-K. Bien que
Kigali ait pris la peine de nier que Kinshasa ait été impliqué de quelque manière que ce soit dans les négociations qui ont conduit au
retour du cœur de l’État-major militaire des FDLR au Rwanda, il est bien évident que cette affirmation ne trompera personne.
L’Obsac avait d’ailleurs soulevé la possibilité d’une telle collaboration entre Kigali et Kinshasa dans un article intitulé La présence et
l’absence 2, publié le 25 octobre 2003. […]
Le général Rwarakabije qui est présenté comme le commandant en chef des forces armées des FDLR, a été accueilli en grande
pompe sur le tarmac de l’aéroport de Kigali par le général James Kabarebe. Les Afande [officiers] de Kigali semblent donc avoir fait
“une offre qu’il ne pouvait refuser” au général rebelle. On ne parle plus ici de poursuites criminelles contre des génocidaires, mais
bien du retour au bercail de l’enfant prodigue. Voilà qui, à l’heure où la tolérance zéro en matière de divisionnisme ethnique est
devenue le credo du régime rwandais, ressemble drôlement à un coup de maître. Il ne fait aucun doute que l’étonnant spectacle d’un
James Kabarebe accueillant un général Rwarakabije en frère d’armes devant les médias rwandais et internationaux, en dit long sur la
maîtrise absolue qu’exerce maintenant le FPR sur la scène politique rwandaise. Quelques jours après son retour au pays, le général
Rwarakabije lançait un appel à la reddition des troupes dont il assumait hier encore le commandement. Cela indique que lui-même et
la centaine de militaires qui sont revenus au Rwanda constituent une faction dissidente et que d’autres militaires des FDLR, encore
nombreux sans doute, ont décidé qu’il leur était impossible ou inacceptable de poser le même geste.
Sans doute qu’eux et leurs maîtres et commanditaires politiques estiment que la conférence internationale sur la région des
Grands Lacs, prévue par les Nations unies en juin 2004 en Tanzanie, offre une nouvelle occasion de modifier le rapport de force
politique avec les Afande de Kigali. Rien n’est moins certain… En attendant le Quai d’Orsay annonçait que la France est “ très
favorable” à la tenue de cette conférence internationale dont elle a fait la promotion depuis des années. »
1. Mouvement politico-militaire opposé au régime de Kigali, opérant à partir de la RDC. Selon Kigali, le général Rwarakabije ne figure pas parmi les
éléments des FDLR qui ont participé au génocide.
2. À lire sur www.obsac.com.
[Il est peu probable, en effet, que la RDC n’ait joué aucun rôle dans ce retour au Rwanda (salué par le Quai d’Orsay) du commandant en chef des (FDLR).
Peut-on pour autant, au lendemain de cet événement inattendu, évoquer la naissance d’une diplomatie régionale, indépendante d’“influences” extérieures
au continent ? L’avenir le dira – et s’il dit oui, ce ne serait pas une mauvaise nouvelle. Ladite région n’ayant guère que des problèmes à régler, qu’elle se
décide à les prendre à bras le corps autrement qu’à la pointe du fusil pourrait changer le cours de son histoire. La France favorise de longue date le projet
de tenir, sous l’égide de l’ONU, une conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Il ne faut pas trop d’imagination pour deviner qu’elle ne sera
pas seule à s’y intéresser. Gageons que les nombreux “interlocuteurs” de la région seront de la partie, chacun à côté de ses “préférés”. Et de ses intérêts.
Ceux de la région ne seront privilégiés que dans la mesure où les dirigeants de celle-ci se décideront à en maîtriser la gestion et le partage. Au bénéfice
des populations…– SC]
Mondialisation
Libération, La banquise fonds. Climat de rébellion chez les Inuits, 15/12/2003 (Carole DUFFRECHOU) : « La Conférence
Circumpolaire des Inuits envisage de déposer un recours juridique devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme. La
raison invoquée : la mise en péril du mode de vie ancestral du peuple Inuit, du fait des changements climatiques provoqués par les
activités humaines... Considérant que leurs droits humains sont violés par les pays qui refusent de signer le protocole de Kyoto
(États-Unis en tête), les Inuits songent à emprunter la voie juridique en invoquant la Déclaration des droits de l’Homme de 1948. »
[Ce serait, semble t-il, une grande première juridique que d’attaquer en justice des pays pour leur laxisme en matière de climat. Le climat pourrait y gagner
ipso facto le statut de bien public mondial. – AB]
geopolitique.com, L’influence des quatre Français de Yukos (19/11/2003) : « En dépit des liens historiques de Mikhaïl Khodorkovski
avec les milieux d’affaires américains, quatre Français émargent au conseil d’administration du groupe pétrolier russe Yukos […].
Bernard Lozé, 57 ans, représentant de fonds d’investissement occidentaux, […] président de Lozé & Associés […]. Jacques Kosciusko-
Morizet, 60 ans, ancien vice-président du Crédit lyonnais […]. Michel Soublin, 58 ans, […] ancien trésorier de Schlumberger […].
François Buclez, 39 ans, passé par HEC, a travaillé au Crédit Agricole Indosuez à Tokyo et à Paris. Arrivé au milieu des années
1990 à Moscou, il a collaboré au Crédit suisse First Boston, la banque d’investissement la plus en pointe dans les privatisations.
Après un passage à Londres, il est rentré chez Menatep, la maison mère de Yukos. Son poste est stratégique : directeur d’une filiale
du groupe (GM Investment & Co), il est chargé des placements financiers. Il est notamment responsable de l’investissement de 50
millions $ réalisé en avril 2002 auprès de Carlyle, le fonds américain proche du Pentagone. En juin 2003, il est devenu
administrateur de Yukos, avec une place de choix au sein du comité exécutif. Le 15 octobre dernier, à la suite du rapprochement des
deux banques du groupe Menatep, François Buclez est élu au conseil de la nouvelle entité, MFO Menatep. »
[Le parcours de François Buclez est on ne peut plus symptomatique des confusions au plus haut niveau entre le militaire, la finance, le pétrole et la mafia.
Rappelons que la Menatep a été le principal instrument de l’accaparement mafieux des richesses de la Russie, avec l’appui de l’ex-KGB. D’un autre côté,
Carlyle est l’instrument d’une prise de contrôle de sociétés étrangères sensibles par l’avant-garde “néoconservatrice” du lobby militaro-industriel américain,
branchée sur la pétrofinance saoudienne. Brouillé avec Eltsine, Khodorkovski a cherché des appuis outre-Atlantique. Mais ça n’a pas suffi… Les lecteurs
de Billets ne seront pas étonnés que Buclez ait commencé sa carrière au Crédit Agricole – en pointe dans les financements douteux des pétrodictatures
françafricaines, et acquéreur du Crédit foncier de Monaco, la banque de la Corsafrique.
Il nous arrive de citer geopolitique.com, bien que cette lettre confidentielle et son fondateur, Guillaume Dasquié, peinent à cacher leur connivence avec
les “services” français – et donc que l’information distillée “serve” une stratégie qui n’est pas la nôtre. Mais tous les éléments d’information ainsi étalés ne
sont pas forcément inutiles à une intelligence citoyenne. – FXV]
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LIRE
Stephen Smith, Négrologie : Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, 2003, 248 pages.
Sous un titre qui est plus qu’un jeu de mots entre négritude et nécrologie, le médecin Smith publie un bulletin de santé catastrophique du malade “Afrique”.
D’entrée de jeu, l’auteur nous dit : « L’Afrique agonise ». La suite est un voyage d’exploration dans la galerie des pathologies : une population trop
nombreuse malgré les hécatombes provoquées par la traite négrière, la répression coloniale et l’épidémie du sida ; un État Phénix au maillage administratif
déstructuré par des guerres civiles et qui ressemble plus à un “grenier” phagocyté par la famille du Président ou une “caverne d’Ali Baba” qui attise les
convoitises, sans légitimité ; un continent dont le sous-sol est très riche mais sur lequel survit une population scandaleusement misérable ; une terre
d’élection des sectes que des bandes d’écorcheurs ont transformée en paradis de la cruauté ; un cap des tempêtes sur lequel ont échoué tous les espoirs.
Sa question est simple : pourquoi ? Sa réponse l’est encore plus : le refus du développement, « des obstacles socioculturels sacralisés comme des gris-
gris identitaires » (p. 49), une mentalité propre à une économie de chasse et de cueillette : les Africains auraient décidé de se suicider.
Il a raison de fustiger l’angélisme qui voudrait imputer aux seuls méchants blancs, marchands d’esclaves et colonisateurs le sous développement du
continent noir. Les Africains ont bien leur part de responsabilité. Au Rwanda, au Liberia et partout ailleurs où d’horribles crimes ont été commis en Afrique
noire, ce sont bien les Africains qui ont massacré d’autres Africains. De la même manière, Elf et les nombreuses autres multinationales ne sont pas seules
à blâmer si, en dépit d’un sous sol bien pourvu en pétrole et en minerais précieux, les populations des deux Congo, du Gabon et de l’Angola n’ont pas
accès à l’éducation, à la santé et au logement décent, comme si ceux qui étaient censés les diriger et défendre leurs intérêts n’avaient été que de
pitoyables pantins entre les mains de “parrains” sans loi ni foi. De ce point de vue, on reconnaîtra à l’auteur le mérite d’avoir secoué le cocotier.
Cependant, son approche pêche gravement par une espèce d’a priori qui le rend aveugle et injuste. Comme l’a démontré le dernier sommet de l’OMC, les
obstacles à l’insertion des producteurs Africains de coton dans les réseaux d’échanges mondiaux ne sont pas le résultat d’un discours de la victimisation
ou d’un autisme identitaire, mais la conséquence de fortes subventions versées à leurs homologues du Sud des États-Unis. L’auteur nous ment lorsqu’il
affirme que l’Afrique est sans intérêt (p. 23) tout en affirmant quelques pages plus loin que, pour les américains au moins, le golfe de Guinée est considéré
comme une zone d’intérêt vital. Certaines de ses considérations sont ouvertement racistes : l’Afrique serait riche si elle n’était pas peuplée d’Africains
(p. 49) ! D’autres relèvent d’une prospective de la délinquance : le pire est à venir ! Enfin, l’essai de Stephen Smith surprend par une étrange fascination du
macabre. La Négrologie est une annonce du décès du continent noir. À croire qu’aujourd’hui l’Afrique inspire l’esthétique par son côté “ massacre ”, sans
doute parce qu’il y a beaucoup de morts et que la nature maintes fois visitée et revisitée ne ressemble plus à celle que Rousseau et ses disciples avaient
imaginée et que les explorateurs du XIXème siècle ont abondamment décrite. L’autre étrangeté est le contraste entre le langage cru de ce spécialiste de
l’Afrique lorsqu’il parle du comportement des noirs d’une part et, d’autre part, son mutisme sur un certain type de relations “incestueuses” entre dirigeants
du Nord et responsables du Sud, telles que celles fortement suggérées par le récent procès du groupe Elf. Depuis la traite des esclaves, l’Afrique chemine
bon gré mal gré aux côtés du reste du monde. De la part d’un homme dont on sait bien qu’il n’en ignore rien, ce silence trahit pour le moins un parti pris
délibéré et fait de son ouvrage un recensement des clichés plus qu’un catalyseur d’une réflexion salvatrice sur l’avenir du continent noir. [MK]
Daniel Dommel, Face à la corruption, Peut-on l’accepter ? Peut-on la prévenir ? Peut-on la combattre ?, Karthala, 2003, 287 pages.
Cet ouvrage de l’ancien président de la section française de Transparency International se veut un document de synthèse sur la corruption et les moyens
d’y faire face. Il revient en filigrane sur le travail de Transparency, qui par la biais notamment de la publication annuelle de son Indice de perception de la
corruption (IPC) a contribué à informer et sensibiliser le public sur ce fléau.
La synthèse des modes de prévention et de répression de la corruption intègre les différents cadres normatifs (national, régional et international) en
dressant le paysage des instruments et structures chargés de lutter contre la corruption à tous les échelons. L’auteur met en perspective le rôle des
différents acteurs : pouvoirs publics, milieux d’affaires, société civile. De cette présentation ressort l’idée que l’harmonisation des cadres normatifs est
essentielle, mais que pour autant le “juridisme” serait un piège. Rien de pire qu’une opinion publique amorphe. L’importance du rôle de la société civile est
ainsi constamment rappelée face au besoin impérieux de susciter un état d’esprit général qui refuse la corruption, seul véritable remède contre un
phénomène qui va jusqu’à miner la démocratie et annihiler le développement.
En France, la corruption est devenue un problème national en même temps qu’elle prenait une dimension nouvelle sur le plan mondial. En quelques
décennies, l’opinion publique est passée de l’indifférence à une certaine indignation. Mais l’ouvrage vient rappeler qu’il y a encore beaucoup d’indulgence
envers la corruption à laquelle des Français se livrent hors nos frontières nationales. Ce n’est qu’en 2000 que la corruption d’un agent public étranger est
devenue un délit en droit français…
Aujourd’hui, il y a un réel changement discursif. Ceux qui, tels la Banque mondiale, refusaient il y a dix ans de s’impliquer dans un domaine jugé “trop
politique” ont désormais intégré la lutte contre la corruption dans leurs programmes. Alors, assiste-t-on simplement à l’émergence d’un nouveau paradigme,
au risque de tomber dans la rhétorique ? La volonté politique de lutter contre la corruption existe-t-elle vraiment ? L’ouvrage ne tranche pas ces questions,
mais se veut un appel à poursuivre la lutte engagée contre la corruption en l’intégrant dans une politique d’ensemble, tant le chemin à accomplir reste
long... [SB]
Pierre CAMINADE
Comores-Mayotte :
une histoire néocoloniale
Dossier noir n° 19 d’Agir ici et Survie
Agone, 2004, 182 p., 11 € franco à Survie
En 1975, lors de la décolonisation du territoire des Comores, la France viole la règle internationale du respect des frontières en arrachant Mayotte à son
archipel. Condamnée plus de vingt fois par l’ONU, cette occupation reste illégale. Ainsi, le rattachement de Mayotte à la France est un facteur de
déstabilisation des Comores qui, à partir de 1997, ont été marquées par une crise politique sans précédent.
Ce dossier noir propose notamment un examen des motivations françaises, dont une présence militaire dans cette région où passe deux tiers du pétrole
exporté du Moyen-Orient. Il analyse ce processus de “domtomisation” et ses conséquences pour le reste de l’archipel, devenu chasse gardée d’une clique
de mercenaires.
Association Survie, 210 rue Saint–Martin, F75003–Paris – Commission paritaire n° 76019 – Dépôt légal : janvier 2004 - ISSN 1155-1666
Imprimé par nos soins – Abonnement : 20€ (Étranger : 25€ ; Faible revenu : 16€)
Tél. (33 ou 0)1 44 61 03 25 - Fax (33 ou 0)1 44 61 03 20 - http://www.survie-france.org - survie@wanadoo.fr
Billets d’Afrique
et d’ailleurs...
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations
franco-africaines
N° 122 - Février 2004
SALVES
Soudan : la paix vraiment ?
Le gouvernement soudanais (GOS) et l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) ont signé un accord de partage des
revenus pétroliers le 7 janvier dernier à Naivasha, au Kenya. La presse internationale fête l’espoir de paix que cet accord pourrait
représenter pour un pays déchiré par plusieurs décennies de guerre.
Cette même presse annonce le retour à Khartoum, dès l’encre de l’accord séchée, des pétroliers états-uniens. Avides d’un or noir
qu’“interdisait” l’épuration ethnique conduite par Khartoum dans le périmètre pétrolier, au sud du pays, voici qu’ils se rendent dans la
capitale soudanaise pleins “d’espoir”. Ils ne sont pas les seuls à se précipiter. Selon une déclaration de la porte-parole adjointe du
Quai d’Orsay : « M. François Loos, ministre délégué au Commerce extérieur, se rendra les 15 et 16 janvier au Soudan où il
participera à l’inauguration de la Foire commerciale de Khartoum […]. Une vingtaine d’entreprises françaises participent à cette
manifestation […]. Le ministre confirmera la disponibilité de la France à participer à la reconstruction du Soudan, dans le contexte
créé par les avancées récentes du processus de paix. » Rappelons que Total détient des concessions pétrolières au Soudan, qu’il
n’exploite pas… dans l’immédiat.
Il est moins souvent question des événements qui ravagent l’ouest de ce pays. En février 2003, un mouvement de rébellion s’est
soulevé dans le Darfur, une des nombreuses régions périphériques laissées pour compte par le pouvoir en place, et naturellement
privées de tout dividende du pactole pétrolier. La répression n’est pas empreinte de tendresse. Des milices qui seraient liées à
Khartoum sont accusées de pillage et d’avoir brûlé des villages, rappelant les “procédures” utilisées dans le sud du pays. Le 12
janvier, les forces gouvernementales ont bombardé la localité de Tiné, menaçant de la raser si la rébellion ne s’en retirait pas. Le
HCR estime à environs 100 000 le nombre de Soudanais qui ont fui au Tchad, à 600 000 les personnes déplacées à l’intérieur de la
région. S’il n’est pas facile d’appréhender tous les tenants et aboutissants de ce conflit (qui a des extensions dans plusieurs pays
voisins, dont le Tchad), on peut affirmer que le moment est mal choisi pour aller tranquillement, dans ses environs, faire du business
as usual. [SC]
Retour ?
François Loos a fait jaser en allant rencontrer le ministre soudanais de l’Industrie à Khartoum mi-janvier ( Sudan Tribune, 21/01).
Après des années sans qu’un ministre français n’aille au Soudan, cette visite annonce-t-elle le retour de Total ? Le groupe, qui en est
parti en 1985, dément une telle intention, tant qu’une paix définitive n’est pas assurée...
Mi-février, ce sera au tour de Dominique de Villepin d’aller visiter le Soudan. « Avant même cette gestuelle politique, Alstom a
remporté le contrat de 250 millions d’euros d’équipements électromécaniques du projet de barrage de Merowe, […] EDF va réaliser
les études d’énergie électrique de la Khartoum Ring et le BRGM a des "trésors" de découvertes à réanimer. » (La Lettre du Continent,
22/01) [PC]
À nos lecteurs
La mobilisation de Survie dans la préparation de la Commission d’enquête citoyenne sur les responsabilités de la France dans le
génocide de 1994 au Rwanda va entraîner un retard dans la livraison des deux prochains numéros de Billets : une semaine pour
le n° 123, une dizaine de jours pour le n° 124, qui sera presque exclusivement consacré à la retranscription des moments les plus
importants de la CEC. Nous espérons votre compréhension.
Françafrique centrafricaine
La Françafrique est en train de déployer ce qu’elle a de moins reluisant auprès du président centrafricain François Bozizé, un
putschiste que l’on avait pu croire un temps converti aux intérêts de son pays. Elle ne se contente pas d’y assurer une gestion
néocoloniale de la sécurité nationale sous la houlette du général Jean-Pierre Perez, avec l’appui des troupes du Gabonais Bongo et
des bandes du Tchadien Déby. Elle pousse, dans le pays des diamants, de l’ivoire, de l’uranium, du bois tropical et bientôt du
pétrole, quelques chevaux de retour peu recommandables.
Jean-François Hénin d’abord, un des spéculateurs-naufrageurs du Crédit Lyonnais, reconverti en aventurier de l’Afrique profonde,
grand amateur d’or vert et noir. Après s’être positionné sur le bois centrafricain, ce proche de l’Opus Dei s’intéresse pieusement aux
prolongements centrafricains des gisements pétroliers tchadiens.
Toute une équipe d’anciens agents des services français et d’ex-super gendarmes du GIGN (à l’instar de Paul Barril) entoure à
Bangui un intermédiaire « richissime et beau parleur », Médard Bemba, porteur des « ambitions de plusieurs groupes pétroliers et de
banques d'affaires ». (La Lettre du Continent, 22/01).
Éminence françafricaine, ancien chef du service Action de la DGSE, le général Pierre Costedoat conseille le groupe LCF Rothschild
et sa filiale néomercenaire Sécurité sans frontières. « On prête l'intention aux dirigeants de LCF Rothschild de venir le mois prochain
à Bangui proposer au général-président [Bozizé] un savant montage financier. Gagé sur des concessions de diamants ? » (idem).
Un autre « conseiller spécial » s’agite auprès de Bozizé, le sulfureux Fabien Singaye (idem et Centrafrique-Presse, 18/01). Il a travaillé
jadis pour le couple présidentiel rwandais Habyarimana, protégé de la Françafrique. Selon La Tribune de Genève (20/08/1994),
Singaye dirigeait depuis l’ambassade du Rwanda à Berne « un réseau d'espionnage contre les opposants de l'ex-régime ». Il est par
ailleurs le beau-fils du principal financier du génocide des Tutsi, Félicien Kabuga, en fuite depuis 1994, qu’il aurait un temps hébergé
à Berne, selon La Tribune.
Aujourd’hui, d’après Centrafrique-Presse, il serait chargé par Bozizé de « trouver des financements contre des permis miniers. Il
partage son temps entre Bangui et Paris. » Paris, où son ex-patronne, Agathe Habyarimana, exhibe son impunité. [FXV]
Le pillage de la succursale de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) à Bouaké, fief de la rébellion en Côte
d’Ivoire, qui opposa, en septembre 2003, des milices rivales, faisant une trentaine de morts, refait parler de lui. Début janvier l’armée
française a révélé l’arrestation en décembre de quatre de ses soldats qui, appelés à intervenir à cette occasion dans le cadre de
l’opération Licorne, se seraient emparés de 37 millions de FCFA (56 406 €).
Vincent Hugeux, qui rend compte de l’affaire dans L’Express du 15 janvier sous le titre Opération Licorne. Fric-frac en Afrique,
qualifie de « larcin », c’est-à-dire, selon le dictionnaire, un « vol de peu d’importance fait adroitement et sans violence », ce vol d’un
montant dont peu de malfrats osent rêver, fait bêtement par des hommes en armes. Il insiste en parlant d’un « pactole dérisoire au
regard du butin total […] 500 fois supérieur », lequel en effet court toujours. Cette indulgence est partagée semble-t-il par l’auteur des
propos cités ensuite : « Ils ont trahi la confiance de leurs chefs et mis en péril une mission délicate , constate un ponte de l’état-major.
Mais depuis le début du déploiement, 15 000 hommes ont servi en Côte d’Ivoire. Et voilà que quatre types pètent les plombs parce
qu’ils trébuchent sur l’équivalent de dix ans de salaire. Qui peut jurer qu’il aurait résisté à la tentation ?»
Selon la version officielle, ils seraient en effet tombés par hasard, lors de leur intervention, sur ce sac qui traînait. On admirera
également les dix ans de salaire, ce qui met la solde mensuelle du soldat en opération à 470 malheureux euros pour quatre. On ne
conseille pas au ponte en question de pantoufler comme comptable, ni comme avocat. Imaginons en effet la tête des juges qui
sévissent chaque jour contre les affreux qui délestent de quelques billets les passants distraits, si on alléguait l’irrésistible tentation
subie par les malheureux détrousseurs et la modestie de leurs gains.
Pourquoi cette volonté de minimiser une affaire dont on devrait plutôt chercher à éclaircir les circonstances bizarres ? L’Afrique
aurait-elle le don de faire perdre tout repère, dans l’échelle des mots et des valeurs, aux acteurs et commentateurs qui s’y
aventurent ? [OT]
Schizophrénie francomorienne
L’opposant franco-comorien Said Larifou a fini par être libéré le 19 janvier, après avoir subi la répression tous azimuts du colonel
putschiste franco-comorien Azali (qui, par ailleurs, refuse toujours de reconnaître les pouvoirs de gendarmerie dévolus aux trois îles
autonomes qui constituent l’Union comorienne). Pendant des mois, diverses associations de défense des droits de l’Homme ont
dénoncé sa détention illégale. Dans une lettre conjointe adressée à Dominique de Villepin le 30 décembre, la FIDH et la LDH
rappelaient que « Me Larifou [...] fait [...] l’objet de poursuites judiciaires à l’initiative des autorités comoriennes. [...] À notre
connaissance, les faits qui lui sont reprochés relèvent d’une démarche plus politique que judiciaire 1. [...] Nous apprenons que ce
dernier a été le soir même hospitalisé et se serait vu refuser l’accès à l’Ambassade de France auprès de laquelle il aurait tenté de se
faire entendre. [...] Si les faits qui nous ont été rapportés sont exacts, il nous paraît surprenant qu’un ressortissant français se voie
interdire l’accès à son ambassade et ne puisse réclamer l’aide des autorités françaises. »
Comme il s’agit d’une affaire “francomoro-française”, notre ministre des Affaires étrangères la considérait peut-être comme une
affaire intérieure... Dans ce cas qu’attendait-il pour transmettre le dossier à Nicolas Sarkozy ?
Pendant ce temps, les nouvelles les plus inquiétantes nous proviennent de Mayotte (île comorienne occupée illégalement par la
France depuis 1975) : exacerbée par les harangues du préfet et des élus locaux, la chasse aux Anjouanais prend des dimensions de
plus en plus criminelles 2. À Tsingoni, en janvier, des milices se sont constituées à plusieurs reprises pour chasser les Comoriens non
Mahorais. « La police, arrivée comme par hasard une fois que c’était fini, n’a pu que constater les dégâts et appeler une
ambulance », affirme un témoin, qui questionne : « Comment pouvons-nous continuer à supporter [...] de voir tous ces actes
immondes impunis et donc implicitement autorisés ? » Notre ministre de l’Intérieur considère peut-être, conformément au droit
international, que Mayotte est comorienne. Qu’attend-il alors pour transmettre le dossier à Dominique de Villepin ?
Le Figaro, qui relaie la propagande contre les “immigrés clandestins” à Mayotte, rappelle que, selon l’INSEE, « environ 38 000
clandestins ne parleraient pas français » (03/01). Le quotidien omet d’ajouter que c’est aussi le cas d’au moins quatre fois plus de
Français nés et vivant sur cette île. Les “clandestins” parlent tout simplement la même langue que les Mahorais “français” qui les
“embauchent” (ou les réduisent en quasi-esclavage).
Notre ministre des Affaires étrangères met autant de soin à examiner les violations du droit international par les États-Unis qu’à
s’aveugler sur celles commises par la France sur l’archipel comorien, où elle nie depuis 1975 toute légitimité aux Nations unies
– lesquelles ont demandé vainement par vingt résolutions la fin de l’occupation de Mayotte. Interviewé par Newsweek, il assène sans
complexes la leçon qu’il oublie de s’appliquer : « Pour être efficace dans les différentes crises internationales, qu’il s’agisse de l’Irak ou
du Proche-Orient, il faut être légitime. Cette légitimité, personne ne l’a davantage que les Nations unies. » (diplomatie.gouv.fr, 01/04) [PC]
1. Lire Billets n°119 p. 2.
2. Lire Billets 120 p. 10, et 121 p. 7.
Comment, d’un coup d’un seul, éteindre les revendications indépendantistes en Polynésie, conforter le potentat Gaston Flosse – et
donc son amitié avec Jacques Chirac – et se consoler des coups durs assénés par les Corses et les Antillais au projet de
décentralisation ?
La solution est frappée au coin du bon sens (par le bulldozer UMP) : un nouveau statut est adopté par le Sénat pour la Polynésie
française. Ce sera désormais un POM : Pays d’outre-mer de la République. Ce statut avait été défini sur papier il y a quelques
années, mais son application a pris du retard...
Le président du gouvernement prend le titre de « président de la Polynésie française ». L’ami de Chirac est ainsi quasiment juché
sur un trône monarchique. Mais il ne faut pas pousser l’autonomie jusqu’aux sujets essentiels : « la gestion des hydrocarbures
liquides et gazeux et la définition des principes fondamentaux des obligations commerciales » restent sous tutelle de la métropole.
Pour que soient rejetés des amendements (n° 181 et 182) présentés par l’opposition et contrariant ce principe, le sénateur rocardien
Jean-Pierre Sueur « a rappelé, à cet égard, qu’il convenait d’être très attentif aux intérêts supérieurs de la Nation. »1 [PC]
1. Séance du 17 décembre www.senat.fr/ commission/loi/lois031219.html#toc4.
Ruineux développement
Dans son allocution de fin d’année le président de la République du Cameroun Paul Biya a mentionné le projet d’une
restructuration de la Cellucam comme action de développement. Le nom de cette entreprise est lourd de toutes les malédictions qui
ont affecté le développement de l’Afrique depuis des décennies.
Le journal Mutations, dans son édition du 7 janvier, en rappelle l’histoire désastreuse mais éloquente. C’est en 1974 que l’État
camerounais, alors présidé par Ahmadou Ahidjo, signe un accord avec l’Autriche pour que l’entreprise d’État de production d’acier
Voest Alpine construise au Cameroun, près d’Edéa, une usine de pâte à papier. L’ambition du projet est de valoriser une matière
première locale, le bois, de supprimer l’importation de papier et même de faire du Cameroun un pays fournisseur. C’est le bon sens
même. Le projet est financé par l’État camerounais, conjointement avec l’Autriche, sous forme de subvention à l’exportation, et par la
Banque islamique de développement (BID), qui regorge de pétrodollars.
L’exécution calamiteuse de ce projet illustre jusqu’à la caricature le mal politique qui mine l’Afrique. Le coût initial de 30 milliards de
FCFA atteint 110 milliards lors de l’achèvement de l’installation le 16 mars 1981, du fait des « commissions fantaisistes et autres
pots-de-vin attribués aux pontes du régime ». Qui pis est jamais l’usine ne pourra fonctionner faute d’une gestion compétente :
personnel pléthorique, pannes, carences dans l’approvisionnement en bois et en produits chimiques, c’est la parfaite gabegie. Le 28
novembre 1982 la chaudière de l’usine explose mettant fin pratiquement à la production, qui cessera définitivement en 1986, date à
laquelle la production totale de papier n’a pas atteint 100 000 tonnes au lieu des 122 000 tonnes annuelles prévues.
La dette du Cameroun envers l’Autriche est estimée en 1999 à 245 milliards de CFA, par le jeu des intérêts et de la dévaluation de
50 % du CFA par rapport au franc et aux autres monnaies européennes. Le Cameroun achète tout son papier aux producteurs
étrangers.
L’usine et ses machines sont là. Il y a une dizaine d’années René Owona, alors ministre du Développement industriel et
commercial, aujourd’hui secrétaire général adjoint à la présidence de la République, avait bien essayé une première “restructuration”
avec des partenaires indonésiens. Le projet, qualifié de « nébuleux » par Mutations, consistait en fait à céder les coûteuses
machines, qui iraient fonctionner enfin en Indonésie, contre des sacs de riz. Même si les Camerounais adorent le riz, la production
vivrière du Cameroun est largement autosuffisante. Cette « opération de pillage » fut stoppée par les protestations de l’opposition.
Les responsabilités de cet échec, que les Camerounais n’ont pas fini de payer, s’imposent : gigantisme du projet, proposé à la
vanité mégalomaniaque de dirigeants incapables, par des fournisseurs et des banquiers intéressés, absence totale de prévision et de
gestion, détournement massif de fonds dans la plus grande impunité. D’autres ruineuses réalisations pourraient être décrites.
Irresponsabilité, incompétence, voracité, voilà apparemment ce qui nous plaît dans nos amis les dirigeants africains.
Il y a des petits pays pauvres qui fabriquent tout leur papier. [OT]
Parrain Bongo
Comment se fait-il qu’Omar Bongo, d’allure si bonhomme, terrifie beaucoup plus ses opposants que les sanguinaires Déby ou
Sassou Nguesso ? Parce qu’il a su pratiquer l’assassinat ciblé, et que chacun le sait capable de frapper de nouveau. Marco
Bokoukou Boussaga avait lancé à Libreville un bimensuel impertinent, L’Autre Journal. Il ne souffrait d’aucune maladie, mais il est
décédé le 15 décembre en rentrant d’un dîner avec les autorités locales. Il a subitement été pris d’hémorragies au nez et aux
oreilles. Terrifiée, la famille s’est refusée à tout commentaire et n’a pas souhaité d’autopsie (Reporters sans frontières, 26/12/2003). On ne
saura donc jamais s’il s’agit d’un assassinat ou d’une mort naturelle. C’est exactement ce qui sied à la réputation du « parrain
régional ». [FXV]
Le 19 janvier, le président de la Francophonie, SE Abdou Diouf, a présenté ses vœux à de nombreux invités priés de le rejoindre
pour cette occasion au Centre Kleber. Parmi ces derniers figurait Mme Agathe Habyarimana (Kanziga pour les intimes), veuve de
l'ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. Est-il vraiment utile de présenter le personnage en ces Billets ?. L'ancienne
première dame d'une “République devenue folle” n'était pas une “figurante” de cette “folie” : le génocide. Elle en était l'un des
principaux personnages, elle a joué à la perfection un rôle prépondérant dans le cercle où s'élaborait le projet et se préparait son
exécution. Le jour viendra où on lui en demandera des comptes.
Il s'agit ici d'en demander à la Francophonie, à son président en particulier. Ou à ceux qui ont éventuellement inspiré une faute
lourde de signification. Comment a-t-on pu décider – car il s'agit bien de cela – que la place d'une suspecte 1 de génocide était dans
un tel rassemblement, où chaque convive représentait quelque chose ? Comment a-t-on pu y convier ce que représente Agathe
Kanziga ? La Francophonie est-elle, à son tour, devenue folle ? [SC]
1. Tout suspect ou accusé est cependant présumé innocent dans l'attente de son jugement.
[Cahier central]
Il y a dix ans au Rwanda (une année de chronique)
Rwanda : la face cassée de la République (VI)
Février 1994 : “Inquiétudes”…
par Sharon Courtoux
Tout au long du mois de février 1994, les avertissements se succèdent, dans les faits et dans les communications
livrées au Conseil de sécurité. Kigali est secouée par des manifestations qui laissent morts et blessés dans leur sillage.
Qu'il s'agisse des services de sécurité ou de la diplomatie belge, de la MINUAR, des organisations de défense des droits
de l'Homme… l'alerte est donnée sans ambiguïté : une «explosion irréversible de la violence» n'est pas loin. La MINUAR
renouvelle son appel à l'urgence de faire cesser la distribution d'armes et l'entraînement des milices extrémistes par les
Forces armées rwandaises (FAR). L'impuissance de la MINUAR à atteindre cet objectif compte tenu des limites de son
mandat est soulignée. L'évidence d'une “action concertée” visant les Tutsi et les membres des partis d'opposition est
également soulignée, comme le sont l'invraisemblance des démentis du Président Habyarimana, les liens de ce dernier
avec ceux qui conduisent cette action, et l'intensité des incitations à la haine diffusées par la revue extrémiste Kangura et
la non moins extrémiste Radio Télévision des Mille Collines (RTLM).
Le 17 février, le Conseil de sécurité exprime, comme à l'accoutumé, ses «inquiétudes». Il s'inquiète du «retard» que
prend l'instauration du Gouvernement de transition à base élargie (GTBE) – pour laquelle une nouvelle date est fixée au
22 février – et il avertit de sa disposition à retirer son soutien à la MINUAR si l'accord de paix d'Arusha n'est pas
rapidement respecté. Le 20 février, Faustin Twagiramungu, Premier ministre du GBTE désigné lors de la signature de
l'accord d'Arusha, échappe à une tentative d'assassinat. Le lendemain, Félicien Gatabazi, ministre des Travaux publics
et dirigeant du Parti social démocrate (PSD) est assassiné par un commando extrémiste. Rappelons que le 3 décembre
1993, de tels assassinats avaient été annoncés. Plusieurs officiers supérieurs des FAR ont alors adressé un courrier au
général Dallaire pour évoquer les massacres de Kirambo, Mutura et Ngenda, pour en annoncer d'autres, et pour prévenir
d'un «plan machiavélique» comprenant le meurtre de Twagiramungu et de Gatabazi, entre autres 1. Le 22 février,
l'instauration du GTBE n'aura pas lieu bien entendu, en raison des “événements” qui s'en mettent en travers.
Durant ce mois de février, et quoique des militaires et des membres des services français sont encore présents au
Rwanda où ils scrutent la situation, on n'entendra guère la France exprimer d'inquiétudes. Des inquiétudes pour un
peuple à qui une explosion irréversible de violence, aiguillonnée par une action concertée, ouvre les bras. La
communauté internationale s'emploie à esquiver ses responsabilités alors que le crime des crimes se prépare. La France
reste résolument proche de son partenaire rwandais qui en est le sponsor. Elle participera ainsi à l'engrenage qui va
entraîner tout un peuple en enfer. Paradoxe ? Ou faute de s'inquiéter pour ses “amis” ? Las !
1. Lettre reproduite dans Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994), André Guichaoua, Karthala, 1995, p. 654.
La France : souteneur de la dictature au Togo.
1ère partie : Les fondements d’un soutien mafieux
par Comi M. Toulabor, Directeur de recherche FNSP (Fondation nationale des sciences politiques)
CEAN-IEP (Centre d’études d’Afrique noire, Institut d’études politiques) de Bordeaux
(article paru sur le site letogolais.com du 15/01/2004)
Il ne s'agit pas ici de refaire l'histoire des relations entre la France et le Togo depuis l'indépendance, mais d'essayer de comprendre
l'attitude pour le moins équivoque des pouvoirs politiques français à l'égard du processus démocratique au Togo, un cas d'école
affligeant. Mais il faut convenir que ce cas d'école s’inscrit dans les eaux glauques et nauséeuses des relations françafricaines […]
d’ordre incestueux, quelque chose de subliminal, dont il est difficile de deviner la rationalité qui les gouverne. Cette France dont nous
parlons est essentiellement limitée à son gouvernement central qui se décline en de multiples centres de pouvoir aux intérêts
contradictoires (l’Élysée et sa cellule africaine, le ministère de la Coopération aujourd’hui intégré à celui des Affaires étrangères, le
Trésor, le ministère de la Défense, les services d’espionnage, etc.) et s’étend, en les absorbant partiellement ou totalement, à des
réseaux situés à sa périphérie qui n’ont rien à voir à l’origine dans la définition de sa politique africaine, si tant est qu’il en existe une.
Ce sont les grandes entreprises publiques et privées, les marchands de canons, les éditeurs de manuels scolaires, les obédiences
maçonniques, les parlementaires, groupes et clubs d’amitié de toutes sortes, le reliquat des milieux coloniaux, le mercenariat et la
barbouzerie, des personnalités influentes intéressées, des universitaires a priori sans scrupule, etc. Tous ces acteurs et milieux se
retrouvent enchevêtrés dans une combinatoire volontaire ou inconsciente, serrée et inextricable avec le pouvoir de la Bande au
Togo, où finalement les intérêts privés se substituent au pouvoir public, comme au bon vieux temps des colonies. Au temps des
colonies, on le sait, les intérêts privés constituaient des lobbies si puissants et si influents qu'ils arrivaient à s'imposer à l'État colonial,
et de ce point de vue, il n'y a fondamentalement rien de nouveau sous les cieux franco-togolais depuis les indépendances.
Comment les élites françafricaines peuvent-elles voir, dire et faire quelque chose sur l’Afrique qui soit différent de ce que produisent
leurs neurones marinés dans la saumure composée de la malédiction de Cham, de l’esclavage et de la colonisation qui perdurent sous
les traits du culturalisme lévy-bruhlien ? Comment peuvent-elles rompre avec leur propre conditionnement ? Surtout qu’au bout du
compte il y a des intérêts palpables faramineux ? Mais Docteur Diafoirus vous dira que vous êtes en train de faire de la
survictimisation (alors que le questionnement est valable dans les deux sens) et vous prescrira l’ordonnance de la sagesse de trois
simiens qu’il faut refuser avec véhémence. Parce que, entre autres, simplement, celui qui hurla un jour d’été 1967 au balcon de
l’Hôtel de ville de Montréal « Vive le Québec libre ! » ne l’a jamais fait pour l’Afrique, surtout en ce 30 janvier 1944 à Brazzaville
lorsque l’occasion lui fut pourtant donnée. En CDI, on n’a pas besoin de liberté et de démocratie, mais de développement pour
manger : n’est-ce pas là le destin du Nègre prescrit par le Blanc depuis la nuit des temps ? Surtout quand le roi nègre, choisi par lui,
adhère superbement et fièrement à cette proposition humiliante contre quelques grains de lentilles ?
***
Image menacée
Bernard Kouchner est l’une des personnalités politiques françaises les plus populaires. Mais par ses actes présents ou le
resurgissement de son passé, cette image sympathique pourrait se dégrader à vive allure.
Cela ne s’arrête pas à la caution du rôle de Total en premier soutien de la dictature birmane. Selon La Lettre du Continent (08/01), il
est allé rencontrer Omar Bongo à Libreville dans le cadre d’un audit du système de santé gabo nais. Il n’est pas vraiment besoin d’aller
à Libreville ni d’y rencontrer Bongo pour savoir ce dont souffre le système de soins gabonais : le siphonnage massif de l’argent public
par l’un des prototypes de la Françafrique ; de ce qui reste dans le budget, 2 % seulement sont affectés à la santé. Bongo, lui, se
soigne à Paris.
Kouchner se serait-il laissé prendre à d’autres jeux de miroir plus redoutables encore – le piège tendu aux personnages trop
soucieux de leur image ? Du 9 au 13 mai 1994, le chef adjoint de l’armée qui encadrait le génocide d’un million de Tutsi au Rwanda
s’est concerté à Paris avec le général Jean-Pierre Huchon (chef de la Mission militaire de Coopération, qui avait été à l’Élysée un
proche collaborateur de François Mitterrand). L’officier rwandais a rédigé un compte-rendu de cette rencontre. Il y est indiqué que le
général Huchon aurait conseillé au régime génocidaire (le « Gouvernement intérimaire rwandais ») d’améliorer son image. La moitié
du « travail » d’extermination était déjà accomplie à cette date…
Bernard Kouchner débarque à Kigali mi-mai, selon le chef des Casques bleus sur place, le général canadien Roméo Dallaire. Ce
dernier le questionne sur le but de son voyage. « La réponse est venue, très simple : sauver un nombre d’orphelins se trouvant dans
des lieux contrôlés par l’Interahamwe [la principale milice génocidaire]. Il voulait leur faire quitter la guerre, les emmener par avion pour
les ramener au Rwanda une fois la situation calmée. Il m’a annoncé que le public français était en état de choc devant l’horreur du
génocide au Rwanda et qu’il exigeait des actions concrètes. Je lui ai exposé ma position : pas question d’exporter des enfants [... et
de] s’en servir comme porte-enseigne pour [...] quelques Français bien-pensants. » Il faut préciser que Dallaire était très remonté
contre les faveurs françaises envers le camp génocidaire.
Une réunion des chefs militaires de ce camp-là, dirigés par le colonel Bagosora, a lieu le lendemain. Dallaire s’y rend avec
Kouchner, accompagné d’une meute de journalistes. Bagosora et ses officiers promettent d’aider l’évacuation des orphelins. « J’ai
détesté l’argument de Kouchner qui estimait que ce genre d’action serait une excellente publicité pour le gouvernement intérimaire »,
commente Dallaire. « Je n’aimais déjà pas l’idée de faire sortir du pays des enfants rwandais, mais se servir de ce geste pour
montrer une meilleure image des extrémistes me donnait la nausée. 1 »
Plus tard, le 17 juin, Kouchner a de nouveau rencontré Dallaire à la demande du pouvoir exécutif français. Il est muni d’une carte
sur laquelle, selon un témoin, aurait figuré une proposition de partition du Rwanda, la partie ouest étant placée sous contrôle
français 2 : un avant-goût de l’opération Turquoise, où l’on verra la France bien plus préoccupée de contenir ses « ennemis tutsi » et
sauver la mise de ses « amis hutu », y compris les génocidaires, que de sauver des vies.
Nous aimerions pouvoir interroger Bernard Kouchner sur les objectifs qu’il poursuivait lors de ses voyages du printemps 1994 au
Rwanda. Épousait-il ou s’éloignait-il de la ligne de conduite des responsables français, dans un des moments les plus sombres de
l'histoire de France ? Un moment d’histoire qui doit être dit. [SC et FXV]
1. Extraits de J’ai serré la main du diable, Libre Expression, 2003, p. 463s.
2. Human Rights Watch et FIDH, Aucun témoin ne doit survivre, Karthala 1999, p.780.
Trou noir
Un “trou” de plus de dix milliards d’euros. La faillite du groupe agro-alimentaire italien Parmalat a « toutes les chances de passer à
la postérité comme l’une des plus grandes escroqueries jamais commises par une entreprise en Europe » (Le Monde, 14/01). Et « on
n’a pas vu le plus beau de l’affaire », selon l’ex-magistrat spécialisé Antonio di Pietro. L’argent est passé par les paradis fiscaux des
Caïmans, du Luxembourg et de Malte. Leur opacité permettait, selon l’ancien administrateur délégué de Parmalat, de faire « des
montages créatifs. Dans les bilans, on passe de l’actif au passif et on s’invente des trucs pour obtenir des subventions
européennes. 1 » Les escroqueries impliquent de très grandes banques (dont la première américaine, Citigroup) et toutes sortes de
“contrôleurs” et intermédiaires.
En réalité, on ne contrôle plus rien, admet un autre magistrat spécialisé, Renaud Van Ruymbeke : le passage par les paradis
fiscaux est devenu « un outil de gestion banal » pour « frauder le fisc », « détourner des fonds », « financer des tentatives de
corruption », couvrir les « coups tordus des États ». « Nous n’avons accès qu’à un très petit nombre de dossiers. Peut-être un sur
mille ou un sur un million, c’est impossible à savoir. » 2
Ainsi dans des pays dotés de nombreux juges, policiers et agents du fisc va-t-on vers l’impunité la plus totale du vol sous toutes
ses formes, y compris celui de l’argent public. Et il ne se passe plus de jour sans que l’on explique que l’on ne peut plus financer les
retraites, la santé, la recherche, la culture, etc. On imagine à quel point les mêmes mécanismes peuvent ruiner des pays pauvres, où
les administrations publiques déjà très faibles sont dans le collimateur de la Banque mondiale… On devine ce qui reste dans les
Trésors publics de N’Djaména, Brazzaville, Lomé, etc.
Ce qui frappe, c’est l’espèce d’insolence ludique engendrée par l’excès d’impunité de la criminalité financière. Pour Parmalat,
Citigroup a créé dans un paradis fiscal une société-écran appelée « Trou noir » (Bucconero). Situées dans les îles Caïmans, deux
autres pièces maîtresses de l’escroquerie s’appelaient « Bon lait » (Bonlat) et Epicurum, « un fonds mutuel » de 500 millions de
dollars. Enfin, le holding familial de Parmalat s’appelait « La Coloniale »… 3 Cela évoque le grand œuvre de l’un des ancêtres les plus
féconds de la multiplication des « trous noirs » financiers, l’influentissime Américano-Luxembourgeois Henry Leir : La Grande
Compagnie de Colonisation (1937) 4.
Vision pessimiste : Orwell dirrettissimo. Version optimiste : trop d’arrogance indique que l’entreprise en question, en dépit ou à
cause de ses soubresauts frénétiques, est moribonde. Selon la formule éprouvée, il convient de marcher sur deux jambes : le
pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Il est prématuré de Bombay le torse. [FXV]
1. Citations par Libération du 15/01.
2. Interview au Monde du 01/01.
3. Cf. Le Monde des 23 et 31/12/2003, et 01/01/2004.
4. Cf. Denis Robert et Ernest Backes, Révélation$, Les arènes, 2001. Le successeur de Leir est Nadhmi Auchi, grand correspondant du réseau Pasqua.
Bons points
– Même si l’institution est perfectible, la mise en place de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples marque « une
étape historique dans la lutte contre l’impunité sur le continent », se félicite la FIDH. Il fallait 15 ratifications d’un protocole additionnel
à la Charte de l’Union africaine : la 15e a été le fait de l’Union des Comores, le 26 décembre 2003. Ainsi se poursuit le paradoxe déjà
constaté à propos de la Cour pénale internationale : en Afrique, il n’y a pas que les démocraties qui promeuvent les instruments d’un
État de droit supranational. À peine un tiers des 15 premiers pays signataires ont un pouvoir légitimé par une élection authentique.
– Au nord-est du Congo-Kinshasa, l’Ituri était encore il y a un an dans une situation atroce et désespérée. On est encore très loin
du paradis, mais ce qui s’y passe aujourd’hui pourrait montrer qu’il n’est pas forcément vain de faire appel à la « communauté
internationale » et que celle-ci, pourvu qu’elle se dote d’un minimum de moyens, peut faire évoluer les choses dans le bon sens.
Ainsi vient d’être rouverte une route vitale entre la capitale de ce territoire, Bunia, et Kasenyi sur le lac Albert, frontalier avec
l’Ouganda : cela va permettre la reprise des échanges et de l’approvisionnement, et rendre plus difficile les massacres dans cette
zone prometteuse en hydrocarbures.
Il a fallu pour cette tâche une ONG allemande, Agro-action, une compagnie népalaise de Génie civil et ses collègues de l’Uruguay
et d’Indonésie. Un laboratoire du bien public mondial, au cœur de la mondialisation mafieuse qui assaillait la région ?
Fausses notes
– Selon La Lettre du Continent (22/01/2004), l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, Secrétaire général de l’Élysée
au temps du génocide des Tutsi et apologiste-fleuve de la politique étrangère de François Mitterrand, travaille aujourd’hui comme
avocat pétrolier pour le compte du régime congolais de Denis Sassou Nguesso, un criminel contre l’humanité. C’est ce qui s’appelle
avoir de la suite dans les idées.
– Chaussant les bottes de Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy promeut la coopération policière française avec la pétrodictature de
l’Angola. Son cabinet projette, via le SCTIP (Service de coopération technique internationale de la police) d’y renforcer et équiper
des brigades anti-émeutes (La Lettre du Continent, 22/01/2004). Pour mieux réprimer les aspirations démocratiques. Et entretenir la
réputation barbouzarde du SCTIP.
– Guantanamo, deux plombes. Deux années que les États-Unis bafouent ouvertement les droits de la guerre et de la défense en
« châtiant » de manière totalement arbitraire ceux qui ne sont que des suspects, coupables de s’être trouvés là où il ne fallait pas, ou
d’avoir combattu du côté maudit de l’Axe du Bien et du Mal. Peut-être y a-t-il parmi eux des terroristes, mais pourquoi cacher au
regard de l’opinion internationale les crimes qui pourraient “expliquer” l’extrême rigueur de la ri poste américaine ? Et le déni des droits
des prisonniers par l’hyperpuissance risque fort de faire école. On peut enfin s’étonner de la quasi-absence de réaction de l’exécutif
français, alors qu’au moins six de nos concitoyens sont concernés par ce déni.
Erratum
Dans notre numéro 121, la première salve était signée “SMS”.
(Achevé le 25/01/2004)
ILS ONT DIT
Françafrique
« Vous êtes ici en France, c’est la France qui vous bloque. » (Un ministre nigérien, recevant le 05/12/2003 une mission des associations
françaises CRII-RAD et Sherpa venues enquêter sur l’extraction de l’uranium au Niger par deux filiales du groupe français Areva, et confrontées à de
nombreux obstacles. Compte-rendu du 19/12/2003, www.criirad.com/criirad/actualites/Communiques/NIGER).
[Difficile d’avoir un aveu plus direct du vécu néocolonial du Niger et de la persistance d’une Françafrique prétendument évanouie. Une Françafrique où
l’ambassadeur français à Niamey cède le pas à Areva et sa filiale Cogema. Selon la mission, Son Excellence reconnaît que « si les compagnies minières
et Cogema ne souhaitent pas notre venue, il ne pourra rien faire pour nous. » Sur cette mission édifiante et l’absence de protection des populations locales
contre la radioactivité, on peut consulter aussi le compte-rendu de Sherpa et les communiqués des deux associations sur le site indiqué ci-dessus. – FXV]
« Nous plaçons l’année 2004 sous le signe de l’espoir mais surtout du travail avec la gestion des revenus pétroliers. Puissent les flux
générés par l’exploitation de notre pétrole contribuer dès l’année prochaine au progrès économique et social de notre pays, pour
notre bonheur et l’amélioration des conditions de vie de nos populations. » (Idriss DÉBY, Président tchadien, message de fin d’année à la
Nation tchadienne le 31/12/2003, cité par l’AFP du jour).
[Idriss Déby est à peu près aussi crédible quand il parle de travail et de progrès que Jacques Chirac quand il parle de mettre fin à l’impunité. Il y a aussi un
problème de langage : « nos populations » désignant manifestement un pluriel de majesté, celui du Souverain, on en déduit que « notre bonheur » renvoie
exclusivement à celui du dictateur. Comme la rente pétrolière. – FXV]
« [Je suis partisan] d’une lutte implacable contre les actes de brigandage […] par l’application sans complaisance de nos lois, y compris
celle relative à la peine capitale. » (Idem).
[Non seulement ce n’est pas bien, M. Déby, de recommander l’usage de la peine capitale, mais la recommander « pour les actes de brigandage » quand on
ne fait que ça depuis 13 ans, c’est ce qui s’appelle tenter le diable.]
« Les autorités françaises et libyennes se réjouissent de l’accord [… sur l’indemnisation des victimes du vol UTA 772 Brazzaville-Paris, victime
en 1989 d’un attentat imputé entre autres à la Libye] . Les deux pays [...] favoriseront [...] la coopération à destination des populations du
continent africain entre les organisations non gouvernementales françaises et libyennes intéressées. [...] La France, qui a des
relations anciennes et profondes avec la Libye, est prête à l’accompagner dans cet effort qui permettra à la Libye de tirer tout le
profit souhaitable de son insertion dans la communauté internationale à la place qui lui revient. Les deux pays sont d’accord pour
étudier des projets dans ce sens dans les meilleurs délais. » (Dominique de VILLEPIN et Abdulrahman CHAGHAM, ministres
français et libyen des Affaires étrangères. Déclaration conjointe du 09/01/2004).
[Les deux dernières phrases cachent mal l’impatience des milieux françafricains du pétrole et du BTP : à nous les milliards de dollars de l’or noir ! Ou du
moins pas seulement aux Anglo-Saxons... « Tout le profit souhaitable » qu’obtiendra la Libye ne concernera comme d’habitude qu’une infime minorité. On
ne savait pas, par ailleurs, qu’il y avait des organisations « non gouvernementales » libyennes. Par contre, les ONG para-étatiques sont sûrement
« intéressées ». Et les ONG françaises qui vont s’y coller ? Notons enfin que cet intéressant communiqué a été ôté du site officiel du Quai d’Orsay. – FXV]
Le président de la République a souhaité la création d’une chaîne internationale d’information, d’une CNN à la française [… pour]
concurrencer l’information “made in USA”. Alors que l’Assemblée nationale avait créé un groupe de travail pour étudier la faisabilité
d’une telle chaîne, l’Élysée, de son côté, missionnait un député de l’UMP, Bernard Brochand, maire de Cannes et ancien publicitaire.
Aujourd’hui, les raisons de ce choix élyséen éclatent au grand jour : la CII ne sera pas une chaîne publique. Elle sera confiée à une
structure privée associant TF1 et France Télévision, et échappant à la tutelle du CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel]. […] Elle ne sera
pas visible en France pour ne pas concurrencer LCI. Son budget étant modeste (et irréaliste), M. Brochand propose de créer un club
de partenaires, gros annonceurs, ayant accès au conseil d’administration, et disposant donc un droit de regard sur les destinées
d’une chaîne au contenu éditorial sensible. Enfin, pour dégager des crédits, le rapport du député de la majorité préconise
curieusement l’arrêt des structures propres d’information de TV5 et d’Arte pour les mettre à la disposition de la CII. […]
M. Le Lay, le président de TF1, claironne sans retenue qu’il ne mettra pas d’argent dans la CII, mais qu’il en maîtrisera la direction
éditoriale. Comment peut-on laisser une filiale du groupe Bouygues, lié par contrat à de (trop) nombreux gouvernements
antidémocratiques, contrôler l’information internationale à la “ française ” ?
En outre, le montage préconisé par le rapport Brochand est choquant : peut-on imaginer une chaîne payée par le contribuable
français mais invisible sur le territoire national ? L’aide apportée par les pouvoirs publics au secteur audiovisuel du groupe Bouygues
pose un véritable problème de démocratie. L’audience de TF1 connaissant une érosion constante, le groupe cherche des solutions
pour asseoir son développement et assurer sa pérennité. […] Le gouvernement français lui vient en aide en lui offrant une chaîne lui
donnant une dimension internationale. Pour l’Observatoire français des médias (OFM), la CII ne peut être qu’une chaîne publique,
associant toutes les composantes de l’audiovisuel public (télévision et radio) et de l’AFP, dont les potentiels sont sans équivalent
dans le monde. Le gouvernement doit abandonner le rapport Brochand et étudier les solutions préconisées par l’Assemblée
nationale et par les personnels du service public.
[Il nous a paru nécessaire de citer largement ce communiqué. Avec Bouygues et Le Lay aux commandes, on aura une chaîne de la Françafrique et de
la GLNF fusionnées (Patrick Le Lay ayant le plus haut grade de cette obédience).]
Mondialisation
« Il ne se passait pas grand chose ici. Le plus gros des activités est vraiment en Europe. » (Sam BULGIN, ministre de la Justice des îles
Caïmans. Cité par La Croix du 08/01/2004).
« S’il y a eu malversation, c’est évident que cela s’est passé en Italie. » (Andrew JONES, chargé de Parmalat dans un cabinet d’avocats
des Caïmans. Ibidem).
[Le doigt montre les paradis fiscaux, et les hommes de paille des paradis montrent le doigt. L’escroquerie et le crime ne sont pas exotiques, ils sont chez
nous, à la City, à New York, à Milan, à Paris… Les paradis fiscaux ressemblent à des malles de prestidigitateur. Ou encore à une gigantesque partie de
bonneteau, destinée à plumer jusqu’à l’os 99 % des habitants de la planète. – FXV]
« On ne saurait [… via le fichage numérique des données biologiques imposé aux étrangers dans les aéroports US] dépasser certains seuils dans
le contrôle et dans la manipulation des corps sans pénétrer dans une nouvelle ère biopolitique, sans franchir un pas de plus dans ce
que Michel Foucault appelait une animalisation progressive de l'Homme mise en œuvre à travers les techniques les plus
sophistiquées.
Le fichage électronique des empreintes digitales et de la rétine, le tatouage sous-cutané ainsi que d'autres pratiques du même genre
sont des éléments qui contribuent à définir ce seuil. Les raisons de sécurité qui sont invoquées pour les justifier ne doivent pas nous
impressionner : elles ne font rien à l'affaire. L'histoire nous apprend combien les pratiques qui ont d'abord été réservées aux étrangers
se trouvent ensuite appliquées à l'ensemble des citoyens.
Ce qui est en jeu ici n'est rien de moins que la nouvelle relation biopolitique " normale " entre les citoyens et l'État. Cette relation
n'a plus rien à voir avec la participation libre et active à la sphère publique, mais concerne l'inscription et le fichage de l'élément le
plus privé et le plus incommunicable de la subjectivité : je veux parler de la vie biologique des corps.
Aux dispositifs médiatiques qui contrôlent et manipulent la parole publique correspondent donc les dispositifs technologiques qui
inscrivent et identifient la vie nue : entre ces deux extrêmes d'une parole sans corps et d'un corps sans parole, l'espace de ce que
nous appelions autrefois la politique est toujours plus réduit et plus exigu. » (Giorgio AGAMBEN, Point de vue in Le Monde du 11/04).
[On voit bien, en effet, le terme de ce double mouvement qui tend à prendre en étau les habitants de la planète et à faire disparaître la possibilité même du
politique : la dictature sous Prozac, TF1 et Loft story. Avec de temps en temps un nettoyage ethnique.]
À FLEUR DE
PRESSE
Françafrique
La Lettre du Continent, Pierre Aïm. Glencore, 22/01/2004 : « L'ancien patron de Saga qui a depuis 2002 quelques soucis avec la
justice […] est de retour au business en Afrique, en particulier pour Glencore. Sur la côte ouest-africaine, Pierre Aïm a toujours
assisté ce groupe auprès des présidences où il avait ses entrées, en particulier au Congo-Brazzaville. Pour le compte de Glencore,
Pierre Aïm travaille avec l'intermédiaire libanais, Ely Khalil. »
[La confirmation du lien de collaboration entre deux pivots financiers de la dictatorophilie françafricaine et le groupe suisse Glencore – dont le fondateur
Marc Rich a fait le numéro 1 mondial de la prédation des matières premières –, méritait de figurer dans ces Billets.]
Le Canard enchaîné, Chirac multiplie les intouchables, 21/01/2004 : « La décision de Chirac de nommer conseiller d’État “en service
extraordinaire” son ancien directeur de cabinet à la mairie de Paris Michel Roussin n’est pas passée inaperçue au Palais de Justice.
Roussin accumule en effet les mises en examen dans les affaires liées au financement du RPR. »
[On savait que Michel Roussin exigeait une protection en béton (sans jeu de mots) contre les nuisances de la Justice. On constate que ses mérites sont
reconnus par cette promotion. Il paraît que cette fonction serait cumulable avec celle de vice-président du MEDEF, chargé des relations avec l’Afrique,
ainsi qu’avec celle de dirigeant de Bolloré-Afrique et autres participations à des clubs d’investisseurs, notamment dans le bois. Que demander de plus !
– OT]
Angolagate
Le Soir de Bruxelles, Mandat d’arrêt contre Pierre Falcone, 16/01/2004 (Le Soir avec AFP) : « Le juge Philippe Courroye a délivré
mercredi un mandat d’arrêt international visant l’homme d’affaires français Pierre Falcone, également ministre conseiller au sein de la
délégation permanente de l’Angola à l’Unesco.
Le magistrat, qui instruit une affaire de vente d’armes présumée illégale à l’Angola dans laquelle M. Falcone est mis en examen,
justifierait la délivrance de ce mandat d’arrêt par le fait que l’homme d’affaires a violé le contrôle judiciaire qui lui était imposé. M.
Falcone a notamment refusé de déférer à deux convocations du juge et a quitté le territoire français, ce que son contrôle judiciaire lui
interdisait.
Avant de délivrer ce mandat d’arrêt, le juge Courroye avait sollicité à deux reprises les réquisitions – c’est à dire l’avis – du parquet
de Paris sur ce mandat, sans obtenir de réponse.
[…] M. Falcone est mis en examen pour “trafic d’influence, commerce illicite d’armes sans autorisation, abus de bien sociaux et
abus de confiance” »
[N’est-il pas étrange que le parquet de Paris n’ait pas d’avis sur la question ? Pour élucider le mystère : avis de recherche. L’article du Soir souligne par
ailleurs que la nomination à l’Unesco de M. Falcone “lui permet de jouir d’une immunité diplomatique dont l’étendue est controversée”. Est-ce la controverse
ou le cas Falcone qui va occuper la scène ? – SC]
Mondialisation
Diario della Settimana (Milan), Lombardi, l’homme qui dessinait les réseaux, cité par Courrier international du 24/12/2003 (Enrico
DEAGLIO) : « Né en 1951 à Syracuse dans l’État de New York, Mark Lombardi se consacre initialement à la peinture abstraite avant
de se lancer, un peu par hasard au début des années 90, dans ce qui va devenir sa marque de fabrique : les diagrammes politiques.
À partir des informations recoupées dans la presse ou rendues publiques par des banques après leur faillite, Lombardi reconstruit
des schémas appelés “structures narratives” pour expliquer les liens politico-financiers qui sous-tendent certains scandales, célèbres
ou pas. […] Le 22 mars 2000, Lombardi est retrouvé pendu sous le toit de son loft new-yorkais. Certains de ses amis ne croient pas
au suicide et dénoncent un complot contre ce “peintre d’investigation”. […]
Le 17 octobre 2001, cinq semaines après les attentats contre les tours jumelles […], le FBI demanda à voir un tableau et à
l’interroger [… ainsi que son auteur]. La conservatrice du Whitney Museum de New York […] répondit qu’il ne lui était pas possible [… de
rencontrer celui qui s’était] suicidé un an auparavant, quelques jours après le vernissage qui l’avait consacré comme l’un des grands de
la peinture américaine contemporaine. […] On ne sait combien d’heures de travail le FBI a consacrées au tableau, mais on peut
aujourd’hui comprendre ce qui intéressait les enquêteurs : un réseau de noms, de banques, d’institutions, qui liait, dans une petite
partie de la vaste fresque, les noms de la famille Bush à ceux de la famille saoudienne des Ben Laden.
Tous les membres de cette famille – des dizaines de personnes, habitant dans diverses villes – furent réunis dans un aéroport du
Kansas et de là évacués par les services secrets américains, quarante-huit heures après les attentats. L’avion qui transporta le vaste
clan familial vers Riyad fut le seul vol autorisé ce jour-là à voler dans le ciel des États-Unis. […]
L’agent du FBI s’intéressait tout particulièrement à un nom sur cette vaste toile d’araignée : celui de James R. Bath. […] C’est un
homme d’affaires texan, dont une des entreprises, la Skyway Leasing, qui a son siège aux îles Caïmans, a été l’un des centres
financiers utilisés par le colonel Oliver North pour approvisionner en argent tout le réseau chargé de fournir des armes aux Contras
(les antisandinistes du Nicaragua) et en même temps d’armer les ayatollahs de Téhéran à la fin des années 80. Financier, agent du
cheikh Salim Ben Laden (fils aîné et héritier du cheikh Mohammed Ben Laden, le père du célèbre Oussama), James Bath travaillait
comme médiateur (à 5 %) pour les investissements saoudiens aux États-Unis et était associé à un autre saoudien, le cheikh Khalid
Ben Mafouz, qui fut compromis dans la faillite de la BCCI. Dans sa jeunesse, James R. Bath avait été avec George W. Bush dans la
garde nationale du Texas (un bon moyen pour ne pas être envoyé au Vietnam) et ensemble ils avaient été arrêtés pour possession
de cocaïne. George Bush père était intervenu.
Mark Lombardi voulait représenter [… entre autres] le poids croissant de la finance dite propre dans le recyclage de l’argent de la
mafia, de la drogue, du trafic d’armes. Il aimait par-dessus tout les banques. […] Il voulait dominer le paysage, […] le raconter comme
un flux narratif, comme un génome qui révèle sa carte. Mais c’est le paysage qui a cartographié l’artiste. »
[Les diagrammes de Lombardi sont tout à fait prodigieux, tant dans l’invention formelle que dans la richesse d’informations sur les liens quasi-neuronaux
qui relient entre eux les principaux acteurs physiques et moraux de la criminalité politico-financière. On rêve de pareils diagrammes pour Maugein et
Chirac, Auchi et Pasqua, etc. On se dit aussi que si un non-spécialiste isolé a réussi un tel travail, des réseaux de citoyens résolus devraient pouvoir aller
plus loin. Et cartographier le génome de la mondialisation mafieuse. Un “complot public”, pour desserrer l’étreinte qui étouffe le bien public à l’échelle
mondiale. On peut suicider un Lombardi. Mais des milliers de Lombardi ?– FXV]
VOIR
Semifilms, Borry Bana ou le destin fatal de Norbert Zongo 1, 2003.
« Norbert Zongo vit parmi nous, grâce à vous, grâce à nous tous ». Ces mots d’un des leaders burkinabé du mouvement contre l’impunité et pour la
démocratie résument en une phrase la portée politique et historique de cette œuvre filmique alliant générosité et professionnalisme.
Borry Bana est un film documentaire qui raconte comment l’assassinat d’un journaliste d’investigation est devenu une affaire d’État au Burkina Faso. Tour
à tour alternent témoignages et extraits de discours des principaux protagonistes de l’affaire Norbert Zongo. On y découvre une mère, Augustine Zongo,
révoltée mais sereine, déterminée, et par-dessus tout, généreuse et profondément humaine ; des proches de Norbert qui le font revivre au travers de leurs
souvenirs ; des militants et leaders du Collectif contre l’impunité convaincus de la noblesse et de la justesse de leur combat et prêts à le mener jusqu’au
bout ; et aussi des voix de l’Hexagone qui se font l’écho, au plan international, de ce sursaut citoyen venu du « pays des hommes intègres ».
Au delà de l’assassinat du journaliste et de la colère citoyenne qu’il continue de susciter cinq ans après ce crime odieux, le film montre comment se
comporte un régime “chouchou” la Françafrique. Un régime qui a accumulé ces deux dernières décennies des dizaines de crimes économiques et de sang
au Burkina et dans d’autres contrées africaines et qui se trouve aujourd’hui au centre d’une vaste entreprise de déstabilisation de toute la région ouest - .
Bravo à la jeune équipe de Semifilms qui a produit ce documentaire, avec les soutiens de Reporters Sans Frontières, Amnesty International et l’Institut
Panos Afrique de l’Ouest. [SMS]
1 Pour co-organiser dans l’Hexagone des projections-débats, contacter le Cofanzo : 06 80 98 29 86 ou 06 63 97 46 90. Pour toute commande du film, contacter
Semifilms à Ouagadougou, tél : 00 226 63 30 65.
Pierre CAMINADE
Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale
Dossier noir n° 19 d’Agir ici et Survie
Agone, 2004, 182 p., 11 € franco à Survie
En 1975, lors de la décolonisation du territoire des Comores, la France viole le droit international en arrachant Mayotte à son archipel. Le rattachement
de Mayotte à la France est un facteur de déstabilisation des Comores qui, à partir de 1997, ont subi une crise politique sans précédent.
Ce dossier noir propose notamment un examen des motivations françaises, dont une présence militaire dans cette région où passe deux tiers du pétrole
exporté du Moyen-Orient. Il analyse ce processus de “domtomisation” et ses conséquences pour le reste de l’archipel, devenu chasse gardée d'une clique
de mercenaires.
Association Survie, 210 rue Saint–Martin, F75003–Paris – Commission paritaire n° 76019 – Dépôt légal : Février 2004 - ISSN 1155-1666
Imprimé par nos soins – Abonnement : 20€ (Étranger : 25€ ; Faible revenu : 16€)
Tél. (33 ou 0)1 44 61 03 25 - Fax (33 ou 0)1 44 61 03 20 - http://www.survie-france.org - survie@wanadoo.fr
Billets d’Afrique
et d’ailleurs...
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-
africaines-
N° 123. Mars 2004
Engagements de printemps
L’habituelle palette de nos Salves contre les dictatures françafricaines s’adosse à un démontage en règle des réseaux de
soutien à Gnassingbé Eyadéma : le politologue Comi Toulabor poursuit dans ce numéro son analyse de la tyrannie
togolaise. Une entreprise salubre et courageuse, qui gagnera à trouver des émules pour d’autres «États bandits»
néocoloniaux.
Quant à Survie, elle est tout entière vouée, d’ici Pâques, au respect de la mémoire du million de Tutsi exterminés au
Rwanda lors du printemps 1994. Ce respect est aussi un combat contre les multiples formes de négationnisme et de
révisionnisme, de relégation aux oubliettes de l’Histoire et de nos consciences. Un combat qui nous concerne tous, parce
que le génocide est le pire des crimes contre l’humanité et que celui de 1994 a constitué l’infraction la plus flagrante (avec
le million de victimes de Pol Pot) au « Plus jamais ça ! » qu’appelait la Shoah.
Alors que s’accumulent, tels des charbons ardents, les présomptions de la complicité de la France dans le génocide de
1994, notre pays continue de jouer un rôle clef dans le camp révisionniste. Sa propagande officielle et celle de ses officines
s’étaient déjà employées en 1994 à masquer ou inverser la réalité des massacres. Elles sont toujours à l’œuvre, avec de
nouvelles ruses et rhétoriques et réussiraient presque, parfois, à nous engluer dans leur mélasse.
Du 22 au 26 mars, la Commission d’enquête citoyenne (CEC, que nous organisons avec l’association Aircrige, la Cimade
et l’Observatoire des transferts d’armements) va en revenir aux faits. Elle va scruter les présomptions de collaboration
française avec les responsables et auteurs du génocide et entendre des témoins 1. Nous avons quelques raisons d’espérer
un appel d’air, une aspiration à la vérité qui pourrait empêcher de refermer le couvercle négateur, et peut-être mieux si la
conjoncture s’y prête.
Nos lecteurs devront se contenter de suivre sur Internet 2 ces cinq journées intenses, la salle où se tiendra la CEC ne
permettant guère d’accueillir que la Commission, les témoins, les journalistes et une équipe de techniciens de
l’audiovisuel. Car les travaux de la CEC seront intégralement enregistrés, ce qui permettra de les restituer sous diverses
formes - écrit, son et image. Le prochain numéro de Billets leur sera presque entièrement consacré, et vous parviendra
donc avec quelque retard.
Le 27 mars, un colloque à l’Assemblée nationale (Rwanda 1994 : la République française et le génocide) posera la
question : comment a-t-on a pu en arriver là ? Il sera ouvert au public, mais les places sont peu nombreuses : il est
impératif de s’inscrire à l’avance 3 et d’avoir confirmation.
Avant et après cette semaine, nous organisons ou participerons à de multiples débats et manifestations, en province et en
région parisienne. Le 7 avril en particulier, 10 e anniversaire du début du génocide, nous participerons aux cérémonies
prévues par les associations de rescapés et de parents des victimes.
1. Il n’est pas trop tard pour nous proposer des documents ou des témoignages.
2. http://www.enquete-citoyenne-rwanda.org
3. survie@wanadoo.fr ; ou par fax : (0)1 44 61 03 20.
François-Xavier Verschave
SALVES
Côte d’Ivoire : la paix pour bientôt ?
La récente actualité liée au séjour parisien du président Laurent Gbagbo a été commentée par bon nombre d’analystes. Elle
recèlerait selon eux de nombreux signes et faits attestant que les choses évoluent dans le bon sens : le Président “comblé” s’est
réconcilié, dans un même mouvement, avec l’ensemble de la Chiraquie, avec ceux des dirigeants socialistes qu’agaçait l’appui
inconditionnel (trop ostentatoire et visible !) de Guy Labertit et quelques autres camarades à un régime accusé d’avoir fait le lit de
l’ivoirité, et surtout avec les magnats français qui reprennent la haute main sur l’économie ivoirienne. Laurent Gbagbo, qui
pourfendait à juste titre la Françafrique, a donné tous les gages possibles aux entreprises françafricaines 1. Pour mieux différer les
enjeux de citoyenneté ?
On aurait aimé partager le bel optimisme, quasi unanime, des commentateurs de cette visite présidentielle. Le réalisme invite
toutefois à “ouvrir les yeux” pour constater que de gros nuages s’amoncellent dans le ciel ivoirien : “la fracture politique”, à présent
publique, entre les factions rivales des Forces nouvelles pourrait présager un retour à une situation d’hostilités généralisées. Les
récents propos d’une des tendances des ex-rebelles font en effet peser une lourde hypothèque sur le processus de désarmement,
difficilement obtenu et mis en œuvre.
Face à cette évolution inquiétante, les principaux animateurs de la classe politique ivoirienne ne semblent préoccupés que par
l’élection présidentielle de 2005, comme en témoignent les annonces de candidatures des uns et les combats fratricides intra-
partidaires des autres. Cette échéance électorale est devenue le point de cristallisation du débat politique dans un contexte où les
conditions pour le bon déroulement de ce scrutin restent encore à bâtir.
Dans ce contexte, on peut se demander si la tournée de « remerciements au peuple ivoirien » de Laurent Gbagbo est une initiative
politique en faveur de la paix ou si ce n’est rien d’autre que le lancement par le camp présidentiel de la campagne pour l’élection de
2005, en exploitant à fond (c’est de bonne guerre !) les dissensions qui minent ses protagonistes.
Dans une situation normalisée, on ne devrait rien trouver à redire à un acte politique, somme toute ordinaire, d’un chef d’État dans
l’exercice de ses fonctions. L’ambiance encore tendue dans le pays amène à se questionner sur l’opportunité de cette « tournée
présidentielle ». D’où cette interrogation qui vient spontanément à l’esprit : Gbagbo veut-il se rendre à Bouaké pour signifier que
Bouaké doit se rendre à Gbagbo ? Telle est la question de l’heure. Une question qui interpelle tous ceux dont la nationalité est mise
en cause, et tous les partisans de la paix en Côte d’Ivoire ! [SMS]
1. « L’exploitation du terminal à conteneurs dans le port d’Abidjan a été récemment confiée au groupe Bolloré, les concessions délivrées à Bouygues pour
la distribution de l’eau et de l’électricité ont été reconduites. Le “roi du béton” serait même en passe de récupérer le marché de construction d’un troisième
pont à Abidjan, qui semblait pourtant promis à une firme chinoise. Quant à Vinci, l’autre grande entreprise française de BTP, elle hérite, entre autres, de la
construction du palais présidentiel à Yamoussoukro. » (Jeune Afrique/L’Intelligent, 08/02). Même la Banque mondiale s’est offusquée de l’absence d’appels
d’offres…
Que d’humanitaire !
Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s’est rendu au Tchad le 19 février, puis au Soudan dès le
lendemain. Selon le Quai d’Orsay (déclaration du 17/02), il « s’entretiendra avec le président tchadien Idriss Déby de la situation au
Darfour » (région à l’ouest du Soudan en rébellion contre le pouvoir de Khartoum), « fera le point de la situation humanitaire » (de
quelque 100 000 Soudanais ayant fui le conflit vers le Tchad) et « saluera le rôle de facilitateur [du Président Déby] dans la sortie de
crise et les efforts de médiation qu’il a menés depuis [son] origine ».
Quelques jours avant le départ du ministre, l’Agence française de développement (AFD) a signé avec le Tchad une convention
destinée au financement du secteur tchadien de l’énergie à hauteur de quatre millions d’euros. « Cette nouvelle convention témoigne
du soutien que la France apporte au gouvernement tchadien dans la mise en œuvre de son programme de redressement
économique et financier qui allie mesure d’assainissement des finances publiques, réformes structurelles, lutte contre la pauvreté et
bonne gouvernance », communique l’AFD 1.
Selon nos informations, la Société tchadienne d’eau et électricité est un trou sans fond de détournements et d’impayés de l’État.
Ce ne sont pas des ragots, Monsieur de Villepin, nous ne buvons pas à n’importe quelle source. Seriez-vous influencé par la Banque
mondiale, dont le vice-président, Callisto Madavo, a salué les excellentes relations que la Banque entretient avec le Tchad (voir : Ils
ont dit) ? Nous vous avons déjà conseillé de prendre langue avec les associations tchadiennes de défense des droits de l’Homme
pour une mise à niveau de vos connaissances concernant la réalité de la situation (incontestablement exécrable) de ce pays et de sa
population. Mais vous ne voulez rien entendre.
Au Soudan, le ministre fera également le point sur la situation humanitaire au Darfour, puis il visitera « un quartier défavorisé
peuplé de personnes déplacées, sur les lieux d’un projet d’adduction d’eau financé par la France ». Que d’humanitaire ! Sur fond de
concurrence des firmes pétrolières américaines et française, impatientes de s’engager dans la bagarre pour les barils que des
régimes totalitaires handicapent de leurs trop voyantes exactions 2.
P.S. : Sauf erreur de notre part, Monsieur de Villepin ne s’est pas entretenu avec le président Déby des graves exactions commises
sur la personne de Vatankhah Tchanguis, directeur de la radio privée Brakos (émettant à Moissala, situé dans le Moyen Chari à 600
km au sud de la capitale), pour avoir interviewé un homme politique de l’opposition. L’association Journalistes en Danger (JED), qui a
dénoncé cette agression, pourrait aussi informer le ministre sur le fait que l’Afrique est au moins aussi mûre que lui pour la
démocratie. Elle attend d’abord des pays comme le nôtre qu’ils cessent de « faire le point sur des situations humanitaires » avec des
énergumènes qui l’empêchent de la construire, à leur façon. [SC]
1. AFP, 16/02
2. Sur cette question, voir l’excellent article de Monique Mas, Diplomatie pétrolière, www.rfi.fr 19/02.
À nos lecteurs
La mobilisation de Survie dans la préparation de la Commission d’enquête citoyenne sur les responsabilités de la France dans le
génocide de 1994 au Rwanda va entraîner un retard d’une dizaine de jours dans la livraison du prochain numéro de Billets,
outre celui-ci. Il sera presque exclusivement consacré à la retranscription des moments les plus importants de la CEC. Nous
espérons votre compréhension.
Amère patrie
Il y a des actes qui sont plus éloquents que bien des discours. Il faut commémorer celui d’un jeune Camerounais inconnu. Le jeudi
22 janvier, son rêve de quitter le Cameroun, par tous les moyens, n’a duré que l’instant du décollage de l’avion qui devait le conduire
de “l’autre côté”. Juste au bout de la piste d’atterrissage de l’aéroport, quelques instants seulement après le décollage d’un appareil
en partance pour Djeddah en Arabie Saoudite, il a été retrouvé mort, fracassé. Ce n’était qu’un petit garçon, une douzaine d’années
a-t-on dit, mais à sa façon, radicale, il a dit non à la vie misérable qu’il menait dans son pays. De toute façon, eût-il réussi son
évasion du bagne, que Michel Rocard l’eût attendu à l’arrivée : « Mon cher, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde !
Réjouissez-vous plutôt d’avoir un Président aussi efficace et intelligent ! »… [OT]
Wade en reculade
Nous signalions dans notre numéro précédent que le président sénégalais Wade avait porté plainte à Paris contre l’un des
premiers membres de la rédaction de Billets, Almamy Mamadou Wane, et son livre Le Sénégal entre deux naufrages ?
(L’Harmattan, 2003).
C’est du moins ce qu’affirmait l’agence PANA le 17 janvier, une nouvelle largement reprise par les médias sénégalais et jamais
démentie… avant le 5 février. Il a fallu 19 jours de réflexion au porte-parole du Président pour démentir formellement ce dépôt de
plainte. Un démenti devenu inutile puisque l’action en diffamation serait intervenue bien au-delà du trimestre de prescription légale.
Formé dans les mêmes vases communiquants que Jean-Pierre Raffarin, l’ultralibéral Wade est un spécialiste de l’effet d’annonce
et du ballon d’essai. Il a pu mesurer, jusque dans Billets, que l’accusé n’était pas sans témoins, ni appuis, ni défenseur : Me Antoine
Comte. Le nom de ce dernier a dû lui rappeler la désastreuse opération de communication judiciaire de ses confrères Bongo, Déby
et Sassou Nguesso, en 2001-2002. Wade a donc préféré reculer. Un moindre mal, de son point de vue.
Subsiste cependant la plainte contre Almamy Wane du ministre d’État sénégalais Cheikh Tidiane Sy, ancien conseiller de Mobutu,
sur des passages qui ont trait aux financements françafricains de Wade. Toujours à Paris. Si le ministre ne retire pas sa plainte, le
débat public sur les antécédents du wadisme aura bien lieu. [FXV]
Corruption trop ordinaire : les pots-de-vin de Saddam Hussein ont-ils acheté de hauts responsables français ?
La publication dimanche 25 janvier par le journal irakien Al Mada d’une liste de 270 bénéficiaires de cadeaux pétroliers de Saddam Hussein, dont 11
Français, n’est sans doute pas innocente : elle peut servir les intérêts américains. Mais elle correspond à des pratiques trop éprouvées, en Afrique et
ailleurs, pour que l’on ne considère pas ces allégations. D’autant que, selon Le Parisien de ce jour, deux personnes confirmeraient ces pratiques.
Patrick Maugein, intime de Jacques Chirac et grand intermédiaire dans le commerce des matières premières, a-t-il, via sa société Traficor, reçu un
permis de vente de 25 millions de barils, permettant de dégager une commission de 1 à 2 cents le baril, soit entre 250 000 et 500 000 dollars ? Charles
Pasqua dément de son côté avoir bénéficié d’une dotation de 1,7 million de barils (entre 17 000 et 34 000 dollars de commission), mais son démenti est
affaibli lorsqu’il prétend ne s’être jamais mêlé de commerce pétrolier. L’ambassadeur Jean-Bernard Mérimée, qui représenta la France à l’ONU au moment
du génocide de 1994 au Rwanda, a-t-il reçu un permis de vente de 3 millions de barils, soit entre 30 000 et 60 000 dollars de commission ?
Ces allégations sont suffisamment graves pour ne pas être laissées dans l’ombre. Les y laisser serait accréditer la thèse d’une corruption ordinaire d’une
partie des décideurs français. Il serait inconcevable que la justice française n’ouvre pas une enquête.
Le 7 avril 2004 verra la célébration du dixième anniversaire du génocide des Tutsi du Rwanda – plus d’un million de
civils de tous âges massacrés en 100 jours dans des conditions d’une horreur inouïe, pour le simple fait d’être né Tutsi,
ou pour ne pas avoir voulu collaborer au plan d’extermination.
Plusieurs rapports d’organisations internationales et de nombreux ouvrages ont montré que parmi les complicités
extérieures, celle de la France a été de loin la plus active. En 1998, une première mobilisation citoyenne a suscité la
création, par l’Assemblée nationale, d’une « Mission d’information parlementaire ». Cette approche délibérément
« prudente » était déjà une déception : il était demandé une « Commission d’enquête », dotée de moyens nettement plus
importants, traduisant une volonté d’aller à la vérité.
Il est très vite apparu que l’initiateur et président de cette Mission, l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès,
entendait en limiter les résultats. Les témoins souhaitant énoncer des faits précis impliquant une complicité des autorités
politiques et militaires françaises ont été écartés des auditions publiques. Certains acteurs de premier plan de cette
tragédie, notamment l’ex-capitaine Paul Barril ou les responsables des officines françaises de ventes d’armes, qui n’ont
cessé d’alimenter l’armée génocidaire, n’ont pas été auditionnés. Des témoins, visiblement de mauvaise foi n’ont pas été
confrontés avec d’autres acteurs du drame qui pouvaient contredire leurs déclarations, ni amenés à témoigner de
nouveau devant une mission mieux informée.
Pourtant, une minorité de députés au sein de la Mission voulait la vérité. Cette minorité a fait en sorte que le Rapport
de la Mission contienne une mine d’enseignements. La fin des annexes est d’ailleurs à elle seule, implicitement, un
véritable réquisitoire. Mais le 15 décembre 1998, court-circuitant les rapporteurs, le président Quilès assume devant les
télévisions la conclusion de la Mission : la France n’est « nullement impliquée » dans le déchaînement de violence au
Rwanda. Il s’en tient à cette phrase-clef du Rapport : « La France n’a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou
soutenu ceux qui ont orchestré le génocide. »
Tel est pour le moment le dernier mot de la France. Rappelons que la Belgique, les États-Unis et l’ONU ont demandé
pardon au peuple rwandais, contrairement à notre pays, pourtant le plus concerné. Évidemment, la France se refuse
officiellement à la moindre réparation envers les rescapés et les familles des victimes.
Nous disposons de nombreux éléments donnant à penser que notre pays a continué d’apporter, alors que l’exécution
d’un génocide ne faisait plus aucun doute, un soutien diplomatique, militaire, financier et de propagande à l’appareil
génocidaire (le gouvernement intérimaire, l’armée, les milices, reconnus responsables du génocide par le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda). Puisque notre Assemblée nationale s’est autocensurée, il faut donc prendre le relais.
Nous, citoyens français, n’acceptons pas cette forme de négationnisme, de manque de contrôle et d’impunité dans
notre appareil d’État. Puisque les actes et décisions des autorités françaises sont mis en œuvre en notre nom, nous
avons le droit, plus encore le devoir, de veiller à ce qu’ils ne soient pas en contradiction avec les principes fondateurs de
la République.
C’est pourquoi nos associations, et un certain nombre de personnalités et de citoyens français, ont décidé de constituer
une Commission d’enquête citoyenne, qui examinera du 22 au 26 mars 2004 l’ensemble des éléments à sa disposition
faisant peser sur la France le soupçon d’une complicité multiforme avec l’un des plus graves crimes du XX ème siècle.
Cette Commission, composée de personnalités associatives et qualifiées, disposera évidemment de beaucoup moins
de moyens que le Parlement ou la Justice – à laquelle elle n’entend en aucune façon se substituer. Mais la modicité des
moyens a pour contrepartie l’indépendance, elle est compensée par une volonté inébranlable – qui chez nos députés
semble avoir abdiqué devant la « raison d’État ». La Commission s’engage à examiner avec le maximum d’honnêteté et
d’objectivité les documents qui seront portés à sa connaissance, à entendre et interroger impartialement les témoins qui
accepteront de venir s’exprimer devant elle. Ses travaux seront intégralement enregistrés et publiés.
Elle espère ainsi faire sauter le verrou historique, médiatique, juridique et judiciaire sur la question de la complicité
présumée de notre pays. Les conséquences de ce déblocage sont assez évidentes – à la mesure de l’énergie incroyable
mise dans le verrouillage. Au-delà de l’indispensable réparation, il s’agit pour nous de comprendre les mécanismes qui
ont permis cette complicité, de manière à empêcher des récidives.
Si le négationnisme pourrit l’Histoire et l’Humain, l’indifférence en fait le lit. Et si à l’indifférence s’ajoute l’indifférence,
alors jusqu’où ira l’indifférence ?
Parmi les intervenants confirmés : Odile Biyidi, Jean-Pierre Chrétien, Catherine Coquio, Jean-François Dupaquier, Sœuf El Badawi, Olivier Le Cour
Grandmaison, Véronique Nahoum-Grappe, Gabriel Périès, Patrick de Saint-Exupéry, Yves Ternon, Comi Toulabor, François-Xavier Verschave.
Inscriptions par e-mail ou par fax : survie@wanadoo.fr ; (0)1 44 61 03 20. Elles seront confirmées en fonction de leur ordre d’arrivée, compte tenu du (petit)
nombre de places disponibles.
2.1 - Chirac-Eyadéma : deux hommes, une même idée de gouvernance affligeante pour l’Afrique
À quand remonte la première rencontre entre Jacques Chirac et le chef de Bande togolais ? Dans les Aurès lors de la guerre
d’Algérie à laquelle ils ont participé ? Ou lorsque le premier devint collaborateur de Georges Pompidou à partir de 1962 ? Était-il dans
la délégation présidentielle lorsque Pompidou visita le Togo en novembre 1972 ? Ce qui est certain c’est que Chirac s’est affirmé
depuis la mort de ce dernier comme le patron de la Françafrique. Il a certainement rencontré à plusieurs reprises le chef de Bande
togolais lorsqu’il était maire de Paris, et en sa qualité de président de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), il
a été reçu comme un chef d’État à Lomé et à Kara à plusieurs reprises. L’AIMF regroupe des maires et responsables des capitales
et métropoles partiellement ou entièrement francophones, c’est-à-dire, pour ce qui concerne le Togo, des bureaucrates corrompus
nommés par le chef de Bande qui se moque éperdument de démocratie et d’autonomie locales. Chirac connaissait donc Eyadéma
avant de devenir président de la République française et partageait avec lui à peu près la même vision de l’Afrique.
Bons points
– Le premier Parlement panafricain « verra le jour le 18 mars » selon Alpha Oumar Konaré, président de l’Union africaine. Le début
de la concrétisation d’un vieux rêve.
– Au Forum social mondial de Mumbai, le 19 janvier, Joseph Stiglitz, ex-économiste en chef de la Banque mondiale, a insisté sur la
préservation du caractère public de la sécurité sociale, plutôt que de laisser « à la merci de la Bourse » des personnes dont « la
libéralisation du marché de travail » accroît l’insécurité sociale (L’Humanité, 20/01). Parole d’expert !
Fausse note
– » Des experts de l’Union européenne (UE), du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ainsi que certains
partenaires bilatéraux sont arrivés [… le 9 février] à Lomé pour élaborer un projet de décentralisation au Togo. » (AFP, 10/02) Comme si
on pouvait décentraliser, c’est-à-dire déléguer de vrais pouvoirs au niveau territorial, dans une dictature aussi caricaturale que la
togolaise ! Il ne peut donc s’agir que de se partager la manne de l’aide publique au développement. Ces Messieurs de l’UE et du
PNUD ont trop goûté, à Lomé, N’Djaména ou Brazzaville, à la « politique du ventre » françafricaine.
– Reçu en audience par le dictateur Idriss Déby, le vice-président de la Banque mondiale Callisto Madavo a qualifié d’» excellentes »
les relations entre le Tchad et son institution. « Les différentes parties ont réaffirmé leur engagement [… au] principe d’assurer
l’utilisation de ces revenus [du projet pétrolier de Doba] pour la réduction de la pauvreté et pour l’amélioration du bien-être des
populations tchadiennes. » (AFP, 10/02)
Cette sommité financière réussit l’exploit, en deux phrases, d’aller à l’encontre de deux études majeures de sa Banque. L’une
(Assessing Aid, 1998) concluait que l’aide aux dictatures aboutissait à empirer la situation des pays « aidés ». L’autre (Extractive
Industries Review, voir À fleur de presse) vient de constater que l’aide de la Banque aux projets pétroliers a le plus souvent des
effets néfastes. Alors, l’aide aux pétro-dictatures…
– Pour avoir distribué des tracts dénonçant l’un de ses supérieurs en Guyane comme un « as de la matraque » (cf. Billets n° 118), le
gendarme Olivier Renaud a été mis à pied pendant 3 ans pour « faute contre l’honneur » (Libération, 11/02). Une lourde peine et un
grand mot. Tous les cogneurs qui exercent en Guyane, cette sous-République bananière, auront compris le message : impunité !
– La France a trouvé de bon goût d’honorer par la Légion d’honneur, le 27 janvier, Anatoli Kvachnine qui conduit la guerre en
Tchétchénie à la tête de l’armée russe depuis quatre ans, « pour sa "contribution importante à la coopération militaire" franco-russe,
notamment "au Kosovo" et "en Asie centrale" » (Le Monde, 12/02). « Kvachnine est celui qui a mis au point les méthodes russes
employées en Tchétchénie qui ont mené à tant de violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire et font tant de victimes
innocentes », observe Sacha Petrov, de Human Rights Watch à Moscou (idem).
– Au moment où nous préparons la Commission d’enquête citoyenne (CEC) sur les responsabilités de la France dans le génocide au
Rwanda, la cassation d’un jugement (6 ans après les faits) remet en cause le succès judiciaire de Jean-Paul Gouteux et des Éditions
Sociales contre Le Monde, Jacques Isnard et Jean-Marie Colombani. Dans le livre Un génocide secret d’État, ces deux derniers
avaient été qualifiés d’» honorables correspondants de la DGSE ». Ils avaient été déboutés de leur plainte en diffamation, en
première instance et en appel. Cette cassation inattendue sera sans doute mise à profit pour jeter, sinon le discrédit, au moins le
doute sur le travail de dénonciation de la désinformation opérée par certains médias français pendant le génocide.
– Trois des plus grandes banques françaises (BNP-Paribas, Société Générale et Natexis Banques populaires) sont dans le peloton
de tête d’une « compétition sévère » : participer à un prêt gagé de 450 millions de dollars à la Guinée équatoriale (La Lettre du
Continent, 19/02), une pétrodictature ubuesque. Ce genre de prêt est le plus souvent l’occasion de vastes détournements. Nos
banques sont plus sensibles à l’odeur des pétrodollars qu’à celle des geôles infâmes du régime.
– La dictature djiboutienne voudrait-elle se faire absoudre par la justice parisienne ? Jean-Loup Schaal, président de l'ARDHD
(Association pour le respect des droits de l'Homme à Djibouti) et directeur du site Internet www.ardhd.org, a été mis en examen le
16 février dans le cadre de trois plaintes pour diffamation et injures publiques déposées devant la justice française par le général
Ibrahim Zakaria, chef d' État-Major de l'armée djiboutienne. Ces plaintes ont un lien avec la dénonciation par l'ARDHD de la
condamnation du journaliste Daher Ahmed Farah et l'interdiction de parution du dernier journal d'opposition à Djibouti Le Renouveau.
Si la procédure va jusqu’au bout, il n’est pas sûr que la réputation mafieuse du régime d’Ismaïl Omar Guelleh en sorte blanchie.
(Achevé le 26/02/04)
« Lorsque nous allons en poste ou en mission en Afrique, nous retrouvons souvent d’anciens camarades. J’étais dans la même
promotion que le chef d’état-major ivoirien et à l’École de Guerre avec le président du Tchad. Ça permet d’aplanir quelques
difficultés… » (Général Emmanuel de RICHOUFFTZ de MANIN , de retour de Côte d’Ivoire où il était chef adjoint de Licorne. Cité in Libération
du 17/02).
[Ça aide à quoi d’être le promotionnaire d’un assassin invétéré et criminel contre l’humanité comme le président tchadien Idriss Déby ? Ça a « aplani
quelles difficultés », pour la haute hiérarchie militaire française, de faire esprit de corps, en 1994, avec le premier officier rwandais admis à l’École de
Guerre, le colonel Théoneste Bagosora, planificateur présumé du génocide ? Avis de recherche : la liste de la promotion de Bagosora.
Le général de Richoufftz fait figure de penseur dans l’armée française. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : chez Albin Michel, Décembre 1997 : les
Russes arrivent, 1987, et Encore une guerre de retard. Enfin un officier d’active ose parler, 1992 (sous la gauche) ; chez L’œil/F.X. de Guibert, Pour qui
meurt-on ?, 2000. Bonne question, que se posent aussi bon nombre de victimes de la Françafrique. - FXV]
« Sur le plan de l’économie [...] : pour garantir le redémarrage du pays, il faut assurer une bonne gouvernance et un contrôle
souverain et transparent de l’État sur l’exploitation des ressources naturelles. Elles doivent être mises au service de la
reconstruction. Si un contrôle approprié est établi, nous pourrons aller vers une levée des sanctions sur les exportations de diamants
et de bois.
La France prend toute sa part à la reconstruction du Liberia. » (Dominique DE VILLEPIN, à la Conférence internationale pour la
reconstruction du Liberia, www.diplomatie.gouv.fr, New York le 06/02).
[Après avoir pris toute sa part à la destruction du Liberia pendant 14 ans, la France se montre pressée de renouer avec les exportations qui ont alimenté
toutes sortes de trafics (d’armes notamment)... Restons vigilants quant au « contrôle souverain et transparent ». - PC]
« J’avais simplement des relations avec Tarek Aziz, le vice-premier ministre, que je voyais souvent à Paris, et les ministres
successifs du pétrole. Je connais bien l’Irak, j’ai toujours été dans le pétrole là-bas. Et ce n’est pas dans leurs habitudes d’offrir des
cargaisons. Les Irakiens, contrairement aux Africains, ne laissaient aucune marge sur la table. » (Patrick MAUGEIN, évoquant la liste
des bénéficiaires des largesses de Saddam Hussein, qu’il affirme en outre n’avoir jamais rencontré, Le Monde, 28/01)
[Noter le sel de ce « contrairement aux Africains », avec tout ce qu’il suppose de mépris dans l’aveu cynique. Pourquoi se gêner avec des gens aussi
accommodants ? Les Bongo, Sassou, Biya, Déby sont décidément des êtres irremplaçables. - OT]
Racisme
« [L’engagement des Noirs africains dans le conflit de l’usine Talbot à Poissy, de 1982 à 1984] s’explique par un orgueil naturel et naïf les incitant
à défendre une liberté que nul n’a jamais songé à leur enlever et dont ils ne possèdent pas le mode d’emploi. » (Note de la direction
de l’usine Talbot , citée par Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld, Les sept vies de Poissy, Éditions techniques pour l’automobile et l’industrie).
« Dans l’encadrement, il y avait beaucoup de pieds-noirs. Ils nous parlaient comme à des chiens. Ils nous attendaient à la sortie. Ils
disaient : “Ratons, bougnoules. La politique, c’est pas pour les Arabes.” Une fois, deux nervis de la CFT [le syndicat maison] m’ont
cassé une bouteille sur la tête. Ils l’ont fait devant tout le monde, exprès, pour intimider les autres. » (Driss LAFDIL, Français d’origine
marocaine, ouvrier à Talbot-Poissy, licencié en 1984, cité par Libération du 11/02).
« Tous les jours, je prends ce chemin pour prendre le RER. Il y a des jeunes maghrébins qui passent. Ils sont étudiants. Les policiers
les connaissent, les policiers les arrêtent. C’est pour cela que ma vie en France m’a déçu. Nous et nos enfants restons immigrés
partout. » (Idem)
[En raccourci, un quart de siècle de racisme postcolonial.]
« L’histoire de la République démocratique du Congo, c’est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs qui
crurent au rêve ru Roi Léopold II de bâtir, an centre de l’Afrique, un État. Nous voulons, à cet instant précis, rendre hommage à la
mémoire de tous ces pionniers ». (Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo, extrait du discours prononcé le 11/02
devant le Sénat Belge).
[Patrice Lumumba doit se retourner dans sa tombe ! Le père de la Nation congolaise, Premier ministre avant d’être emporté par le néocolonialisme
combattant, s’était exprimé autrement au mois de juin 1960 lors des cérémonies de l’indépendance de l’ex-Congo belge : il avait souligné sa « lutte de tous
les jours, une lutte de larmes, de feu, de sang pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé ». Il serait utile d’envoyer un exemplaire de Les
fantômes du Roi Léopold au Président congolais. On se demande quels intérêts ont amené ce dernier à insulter ainsi son peuple et son histoire. – SC]
Mémoire
« Pour l’heure, je joue les Japonais. Je souris donc à tout le monde en observant la plus grande neutralité. Mais face à la guerre
entre Hutu de la place Beauvau (les sarkozystes) et les Tutsi de la rue de la Boétie (les juppéistes), il y a risque de génocide. Il va
donc falloir nommer des casques bleus. Je suis prêt à en être… » (Alain MADELIN, ancien ministre de l’Économie et des Finances, qui se
dit atterré par les divisions qui minent la droite. Cité par Le Parisien du 13/02).
[Atterrés par cette démonstration de la plus inimaginable ignorance, ou du plus outrageant cynisme, nous suggérons à l’auteur de ces propos de lire Aucun
témoin de doit survivre, de Human Rights Watch et FIDH (Karthala, 1999), Une saison de machettes, de Jean Hatzfeld, (Seuil, 2003). – SC]
Mondialisation
« 2005 […] sera une année décisive, révolutionnaire ou apocalyptique, pour le siècle à venir. Soit les dirigeants du monde
comprennent qu’il faut enfin se donner les moyens de lutter contre les inégalités et accélérer l’inclusion des plus démunis, soit ils
abdiquent et optent pour le laisser-faire, ouvrant la voie à la déstabilisation globale et à une forme de néoterrorisme.
[… Le nouveau credo] des partenariats public-privé [… repose sur une] logique de rentabilité [… qui] ne peut servir d’alibi politique. »
(Mark Malloch BROWN, administrateur du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). Interview à Libération du 16/02).
[Le patron du PNUD laisse au vestiaire son flegme britannique pour jouer les Cassandre. À juste titre. Il va même jusqu’à soumettre l’envahissante
« logique de rentabilité » à celle d’un bien public mondial, la lutte contre les inégalités, qui relève d’une volonté « politique ». – FXV]
« Un document interne à la Banque mondiale (BM), [...] confirme que [s]es responsables [...] rejettent les conclusions principales
d’une évaluation indépendante sur ses interventions dans les secteurs du pétrole, du charbon et des mines. La Revue des Industries
Extractives (RIE) répond à la demande faite par le président John Wolfensohn lors de l’assemblée générale de la BM à Prague, en
2000, d’évaluer la contribution des projets extractifs à la lutte contre la pauvreté.
Le rapport entérine de nombreuses revendications portées par les communautés locales et les ONG auprès de la BM depuis plus
de vingt ans. Des agences de développement, syndicats et associations de défense de l’environnement et des droits de l’Homme ont
salué les recommandations du rapport.
Selon le rapport, la BM, afin de remplir son mandat de lutte contre la pauvreté, devrait s’abstenir de soutenir les industries
extractives tant que l’ensemble des conditionnalités retenues ne sera pas respecté. [...] Parmi les recommandations faites par la RIE
et que la Banque refuse d’accepter figurent :
– Obtenir le consentement préalable des communautés locales affectées par les projets d’industries extractives ;
– Cesser immédiatement tout financement pour le charbon, et en 2008 pour le pétrole, et concentrer ses ressources limitées pour le
développement des énergies renouvelables ;
– Demander que la liberté d’association soit intégrée dans les projets financés par la Banque en tant qu’exigence minimale en
matière de droits humains et de liberté syndicale ;
– Protéger la biodiversité en établissant les régions naturelles sensibles en tant que zones dans lesquelles toute activité extractive
est exclue ;
– Garantir que le transport du pétrole offshore se fasse avec des navires sûrs et modernes.
“Nier les conclusions de cette évaluation et refuser ses recommandations signifierait que l’objectif premier de la BM n’est bel et
bien pas la lutte contre la pauvreté” [commente Susanne Breitkopf, des Amis de la Terre]. La RIE sera à l’ordre du jour du Bureau exécutif
de la BM le 25 février. » (Les Amis de la Terre, La Banque mondiale à la botte des géants du pétrole ? communiqué du 04/02).
[D’ici là, des pressions peuvent venir de sources inattendues : le ministre sud-africain des mines et de l’énergie, Phumzile Mlambo-Ngcuka, plaide pour que
la BM ne se laisse pas influencer par les « green lobbyists » (IRIN, 10/02, South Africa : Concern over World Bank’s position on funding mining projects).
Dans la foulée du soutien militaire à Aristide en Haïti, l’Afrique du Sud perd tout repère !
En face, 6 Prix Nobel de la paix (Jody Williams, Desmond Tutu, Rigoberta Menchu Tum, Joseph Rotblat, Betty Williams, Mairead Maguire) et 300 ONG
soutiennent la réforme de la BM suivant les recommandations de la RIE. – PC
Les préoccupations abordées dans la Revue des industries extractives rejoignent les nôtres, comme celles de tous les militants de la solidarité
internationale, de l’écologie de la planète et du bien commun de l’humanité. Car l’exploitation désordonnée de l’énergie fossile ne fait pas que maltraiter les
pays d’extraction, elle aura épuisé vers 2010 la moitié des réserves de la planète. Ce qui reste devrait être géré avec une extrême parcimonie, alors qu’il
attirera au contraire des surenchères belligènes.
Côté Banque mondiale, le paradoxe est assez hallucinant : elle qui a bâti son fonds de commerce sur l’exaltation de son expertise s’apprête à renvoyer
au panier l’intelligence qu’elle a elle-même convoquée ! - AB]
À FLEUR DE
PRESSE
Mondialisation
IRIN, Congo : la multiplication des délestages d’électricité à Brazzaville pénalise les habitants, 10/02 : « Beaucoup de quartiers ne
sont […] approvisionnés en électricité que deux ou trois fois par semaine. [...] Dans les hôpitaux, les conséquences de ces délestages
sont [...] catastrophiques. "Vous n’imaginez pas le nombre de décès qu’engendre cette situation dans les hôpitaux de la place. Autant
des personnes décèdent chaque jour parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter des produits, autant ils meurent à cause des
coupures d’électricité dans les salles d’opération et de réanimation" a affirmé un médecin du Centre hospitalier universitaire (Chu) de
Brazzaville.
La ville de Brazzaville, avec plus d’un million d’habitants, a besoin de 75 mégawatts (MW). La centrale électrique du Djoué au sud
de Brazzaville n’a cependant qu’une puissance de 15 MW et ne fonctionne qu’avec une turbine de 6 MW. Brazzaville est ainsi obligé
d’importer son électricité du barrage hydroélectrique d’Inga, en République démocratique du Congo (RDC). Selon la société nationale
d’électricité (Sne), Inga fournit quotidiennement 50 MW. [...] Selon un cadre de la Sne, la réduction des livraisons d’énergie pourrait
également s’expliquer par la dette que le Congo a en RDC en matière de paiement d’énergie. Celle-ci s’élève en effet à 35 millions
de dollars.
Pour assurer son indépendance énergétique, le gouvernement congolais a décidé l’année dernière de construire à Imboulou, à 120
km au nord de Brazzaville, un barrage d’une puissance de 120 MW. Les travaux n’ont cependant pas encore démarré, faute de
financement. »
[Non seulement le Congo de Sassou Nguesso est incapable d’échanger du pétrole contre des biens profitant à sa population, mais il ne sait même pas
assurer son indépendance énergétique !
L’exemple illustre la nécessité de réformer la Banque mondiale pour qu’elle cesse d’encourager l’endettement de pays dotés de tels régimes : le pétrole
est gagé sur plus de 6 ans, et cette manne n’a même pas servi à assurer l’autosuffisance énergétique. Les recommandations de la RIE en faveur de
l’énergie renouvelable (cf. Ils ont dit) sont donc une nécessité pragmatique liée à l’échelle des infrastructures. Un régime autocrate est rarement capable de
construire et d’assurer le fonctionnement d’un «éléphant blanc» énergétique ; tout juste peut-il voter les décisions sans qu’aucun budget ne suive ; ou
quand le budget arrive, il se volatilise. Tandis que la production d’énergie renouvelable s’organise à l’échelle d’un village, d’un quartier, voire d’un domicile.
Seule cette échelle permet de garantir l’élaboration d’un bien viable chez les Sassou, Eyadéma, Biya, Bongo, Déby et consorts. – PC]
Françafrique
Jeune Afrique/L’intelligent, Nouveau départ pour le Congo-Océan, 23/02 (Pascal AIRAULT) : « Trois candidats ont présenté
leur dossier [pour la reprise du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO)] aux membres du Comité de privatisation. [...] Le plus sérieux, sur le
papier, semble être le regroupement constitué par les entreprises Bolloré Investissements, Comazar, Maersk et SNCF International.
[...]
Sur le plan de la sécurité, les candidats à la reprise sont repartis de Brazzaville à peu près rassurés. Le trafic passagers a
redémarré le 25 janvier. Après une tournée dans le Pool, en début d'année, les responsables de la société semblent avoir conclu un
accord avec le mouvement rebelle dirigé par le pasteur Frédéric Bitsangou, alias Ntoumi. De source bien informée, celui-ci se serait
engagé à ne pas perturber le trafic en échange d'une appréciable compensation financière. Quoi qu'il en soit, les trains sont
désormais escortés conjointement par des gendarmes et par des miliciens rebelles. »
[Alors que le régime putschiste de Sassou Nguesso commettait une litanie de crimes contre l’humanité en 1999, on apprenait par La lettre du Continent que
Bolloré se serait intéressé à l’opération militaro-mercenariale Hadès pour la « sécurisation du CFCO » (cf. Dossier noir n°15 : Bolloré : monopoles,
services compris, L’Harmattan 2000, ch. 3).
Il négocierait maintenant cette même “sécurisation” avec le chef de guerre Ntoumi, dont l’hypercriminalité sert de prétexte parfait aux “contre-attaque
préventives” des Cobras de Sassou, qui poursuivent le nettoyage ethnique des populations “susceptibles” de soutenir les rebelle. Le tout conjointement aux
gendarmes répondant à Sassou. Cette curieuse collaboration conforte au passage ceux qui, comme nous, soupçonnent un téléguidage de Ntoumi par le
régime de Brazzaville. – PC]
La Lettre de l’Océan Indien, La boulimie du groupe Tiko (07/02) : « Conduisant ses sociétés et les affaires de l’État avec le même
dynamisme, le président Marc Ravalomanana a beaucoup diversifié les activités de son groupe Tiko depuis qu’il a accédé à la
magistrature suprême. Son volontarisme a parfois contribué à créer un dangereux mélange des genres, accentué par le fait qu’en
province les locaux de Magro, société du groupe Tiko, servent de quartier général au parti présidentiel TIM et que plusieurs anciens
dirigeants de ce groupe et amis du chef de l’État occupent maintenant des postes de responsabilité dans l’appareil d’État. Il en est
ainsi du président du conseil d’administration (PCA) d’Air Madagascar, Heriniaina Razafimahefa ; du maire d’Antananarivo et PCA
de la Jirama (énergie), Patrick Ramiaramanana ; du directeur général de l’Omnis et PCA de la Secren (construction navale), le
général Andrianafidisoa […].
Au nom de l’efficacité gouvernementale, le président Ravalomanana n’a pas hésité à se servir de ses propres sociétés. Ainsi,
l’avion présidentiel Boeing 737-300 a été immatriculé sous les références 5R-MRM au nom de la société Tiko Air dirigée par Nirina
Andriamanerisoa. La société Asa Lalana Malagasy (Alma), du groupe Tiko, bénéfice de liens privilégiés avec la communauté urbaine
d’Antananarivo et dispose d’une sorte de monopole du bitumage dans la capitale. Elle a également obtenu un contrat de
réhabilitation de routes à Tulear et a travaillé en sous-traitance pour la société française Sogea. […]
Via la Madagascar Broadcasting System (MBS) gérée par la fille du chef de l’État, Sarah, le groupe Tiko est également présent
dans les médias audiovisuels et a lancé il y a quelques mois un journal Le Quotidien. […] Le groupe Tiko a une véritable boulimie de
diversification. Des membres de la famille de Ravalomanana se sont associés au Sud-africain Shoprite pour acheter en 2002 les
supermarchés du Français Cyril Juge […]. Les "murs" du Hilton Madagascar ont été vendus par le groupe Fraise au groupe Tiko qui
a pris une participation de 40 % dans l’hôtel restaurant Le Colbert. En novembre 2003, Tiko a passé un accord avec le ministère de
l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, et la société belge VDS Crustocean de Benoît Hillion, sur la mise en place d’une usine de
fabrication d’aliments pour crevettes d’élevage. […]
Les produits pétroliers pourraient devenir un autre secteur de diversification de ce groupe, de même que l’aviation. L’an dernier, le
président Ravalomanana a annoncé la libéralisation du stockage des carburants. Depuis lors, des proches du chef de l’État, […] se
sont penchés sur un projet de création de Tiko Petroleum. Des contacts exploratoires auraient été pris avec un pays producteur de
pétrole en Amérique latine, ce qui expliquerait partiellement l’intérêt nouveau de la diplomatie malgache pour ce sous continent. »
[L’efficacité ne peut tout justifier. En son nom, Marc Ravalomana suit une pente de berlusconisation accélérée. Là où le magnat italien cumule pouvoirs
économique, médiatique, politique et sportif (son Milan AC est en tête du Calcio !), le Président malgache ne va bientôt en différer que par la préférence
accordée à la religion sur le sport (il est vice-président de l’une des deux fédérations protestantes). Si l’on ajoute qu’une forte délégation de son parti, le
TIM, est venue le 8 février à Paris au congrès de l’UMP (le parti de Jacques Chirac, Président de la Françafrique) pour préparer un « accord-cadre » entre
« deux partis frères », on se dit qu’il est temps que la société civile malgache réactive ses contre-pouvoirs. Elle a montré en 2002 qu’ils n’étaient pas
négligeables. - FXV]
Libération, Moines de Tibehirine : la justice antiterroriste saisie, 11/02 (José GARÇON) : « Huit ans après l’enlèvement et
l’assassinat en Algérie des sept moines français de Tibehirine, la première enquête judiciaire sur l’une des affaires les plus
dramatiques - et les plus troubles - entre Paris et Alger va être diligentée. Le parquet de Paris a ouvert hier une information pour
«enlèvements, séquestrations et assassinats en relation avec une entreprise terroriste», a annoncé M e Patrick Baudouin, l’avocat de
l’une des familles des moines qui, en décembre, a porté plainte contre X. […]
C’est l’accumulation de révélations qui avait convaincu la famille de Christophe Lebreton, l’un des moines exécutés, de «tenter
quelque chose pour enfin connaître la vérité». En effet, alors que, dès le début de l’affaire, Alger a accusé les GIA (Groupes
islamistes armés), les témoignages d’anciens gradés attestant la manipulation de ce mouvement par les services de sécurité
algériens se sont multipliés ces dernières années. Et, en décembre 2002, Abdelkader Tigha, un cadre de ces services, avait mis en
cause directement et avec moult détails la SM, la Sécurité militaire (Libération du 23/12/2002). […]
La nomination annoncée d’un juge antiterroriste, sans doute Jean-Louis Bruguière, semble indiquer que, faute de pouvoir étouffer
la plainte d’une famille, la chancellerie (où l’affaire est remontée) n’entend pas aujourd’hui envisager d’autre piste que celle du
terrorisme. «J’espère que le choix de la justice antiterroriste ne traduit pas une orientation de départ tendant à accréditer la version
jusqu’à présent officiellement assenée qui n’est pas crédible», déclarait hier [10/02] Me Patrick Baudouin. […]
Le refus obstiné de la France d’entendre Abdelkader Tigha n’incite pas à l’optimisme. Après un périple qui l’a conduit à Bangkok et
Amman, ce dernier est aujourd’hui incarcéré à Amsterdam en attendant que les Pays-Bas statuent sur sa demande d’asile. Paris -
qui a fait part à plusieurs reprises à la Fédération internationale des droits de l’Homme de son refus de l’accueillir - n’ignore pas les
menaces qui pèsent sur Tigha. »
[Paris n’a aucune envie de faire la vérité dans cette affaire Borrel à la puissance 8 : cela exposerait le tissu de complaisances, connivences et complicités
de tous ordres qui soude la Françalgérie. Les généraux algériens tiennent l’exécutif français par le chantage à la terreur et aux scandales financiers.
Moyennant quoi Paris soutient l’un des pires systèmes tortionnaires d’Afrique. - FXV]
Mémoire
Le Monde, Génocide au Rwanda : le général Dallaire accuse, 18/02 (Stephen SMITH) : « À quelques semaines de la
commémoration, le 7 avril, du dixième anniversaire du début du génocide au Rwanda, l’ancien commandant des casques bleus à
Kigali, le général Roméo Dallaire, a violemment critiqué la communauté internationale pour sa non-assistance, en 1994, à la minorité
Tutsi menacée d’extermination.
"Le monde ne voulait rien savoir du Rwanda, a-t-il déclaré, lundi 16 février, lors d’une conférence de presse à Paris. Les Rwandais
ne comptent pas dans les enceintes où les grands de ce monde prennent les décisions. Chacun se souvient de la centaine de morts,
victimes d’un bombardement, sur le marché de Sarajevo. Mais les 800 000 morts Tutsi sont presque oubliés aujourd’hui. […] Il y a
ceux qui comptent - les Yougoslaves blancs, européens - et ceux qui ne comptent pas - les Noirs en plein cœur de l’Afrique ."
Est-ce le motif de son séjour à Paris, la promotion de son livre-témoignage qui vient de paraître en France 1, qui explique la
virulence du propos ? Le fait est que l’ancien chef des 2 500 casques bleus qui ont assisté, l’arme au pied, au début du génocide a
émis des jugements sans appel, à la limite de la décence. "Je suis sûr, a-t-il ainsi affirmé, qu’il y aurait plus de réactions de la
communauté internationale si quelqu’un voulait exterminer les quelque 300 gorilles de montagne qui restent au Rwanda que si l’on
voulait éliminer la population de ce pays."
C’est un homme profondément blessé qui parle. À la tête d’un contingent militaire qui n’avait pas le mandat d’employer la force
pour protéger les civils, le général Dallaire a assisté, impuissant, à un meurtre de masse. "Pour l’ONU, le Rwanda était une mission
de basse priorité", explique-t-il, en exonérant les Nations unies d’une responsabilité qui, selon lui, revenait au Conseil de sécurité et,
surtout, à ses cinq membres permanents. L’indifférence initiale se fit "de plus en plus obstruction" après le début des massacres,
quand il eût fallu intervenir de toute urgence. […] Roméo Dallaire dit avoir vainement plaidé pour l’instauration de multiples " sites
protégés". Or, pour cela, il lui aurait fallu un mandat coercitif et des troupes. En lieu et place, après le retrait du contingent belge, il a
été abandonné à la tête d’une force croupion de 270 soldats de la paix.
Le double jeu des puissances occidentales nourrit les pires suspicions. Le général canadien indique ainsi avoir, au moins en deux
occasions, aperçu des "Blancs" portant l’uniforme des Forces armées rwandaises (FAR). S’agissait-il de coopérants militaires ou de
mercenaires, qui auraient également été employés par le mouvement rebelle Tutsi, aujourd’hui au pouvoir à Kigali ? "Je me permets
d’avoir un doute", conclut le général Dallaire pour la période du génocide. En revanche, avant le début des massacres, il est
affirmatif : il y avait "des coopérants dans les entrailles des unités les plus extrémistes, dont la Garde présidentielle".
L’homme qui affirme avoir vu venir le génocide, et qui l’a vécu pendant cent jours sans possibilité d’intervenir, n’avait-il jamais
songé, en 1994, à démissionner avec éclat, à mettre la communauté internationale face à sa volonté défaillante, en plein génocide ?
"En plusieurs occasions, je me suis posé la question", reconnaît Roméo Dallaire, "mais un général canadien qui abandonne une
mission de l’ONU en difficulté, cela n’aurait valu que 15 secondes sur les réseaux mondiaux d’information ". L’outrance, dans le
défaitisme anticipateur comme dans les accusations a posteriori, révèle un militaire qui était aux ordres, loyal jusque dans l’absurdité
meurtrière de sa mission impossible. »
1. J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda, Éditions Libre Expression. Cf. Billets n° 122.
[Nos lecteurs ont compris depuis longtemps où se situe Stephen Smith. Lui qui vient de commettre un livre, Négrologie (Calmann-Lévy, 2003), dont le titre
et le contenu flirtent avec le racisme et le révisionnisme néocolonial, accuse les autres de ne dénoncer les tortures imposées à l’Afrique que pour cultiver
« leur fonds de commerce ». C’est ce reproche qu’il assène implicitement à Dallaire, accusé par ailleurs d’outrance, d’indécence, de défaitisme. Survie a
elle aussi assisté à la conférence de presse du général Dallaire, un homme effectivement « profondément blessé » (on le serait à moins), mais tout à fait
lucide et d’une humanité poignante. Ses propos ont été d’une haute tenue. Même ceux qu’a sélectionnés Stephen Smith – croyant discréditer le témoin –
tiennent beaucoup mieux la route que leur commentaire. - FXV]
Le Monde, Khieu Samphan plaide le génocide par ignorance, 24/01 : « [L’ancien chef de l’État khmer rouge répète] comme un leitmotiv
son argumentation centrale : [… il a] “avalé beaucoup de couleuvres”, mais il l’a fait par “nationalisme”, parce que l’intégrité territoriale
du Cambodge [dont le chef khmer rouge Pol Pot se posait en héros] l’emportait, à ses yeux, sur tout le reste. »
[On est au cœur de la question de la répétition du génocide. Celui conçu par Pol Pot a rompu le « Plus jamais ça ! » trois décennies après la Shoah, avant
la récidive de 1994 au Rwanda. Il y a encore infiniment trop de gens qui pensent que le génocide fait partie de « tout le reste », et qu’il y a des choses plus
importantes au monde que de le refuser. Pour un François Mitterrand, « un génocide dans ces pays-là, ce n’est pas trop important ». Pour l’ancien
directeur de la DST Philippe Parant, le succès technique de l’exfiltration de Carlos importait beaucoup plus que le nettoyage ethnique du Sud-Soudan :
dans ces cas-là, assurait-il, « on met le génocide entre parenthèses »... (cf. Billets n° 70). Le génocide des Tutsi au Rwanda n’était perçu que comme une
« parenthèse » ou une « couleuvre » par rapport aux mille et une raisons qu’avait la France de rester l’alliée du Hutu Power et de s’agripper au Rwanda.
Signalons, par ailleurs, que Khieu Samphan va être jugé et qu’il a pris pour avocat… Jacques Vergès. L’avocat des criminels françafricains et du nazi
Klaus Barbie, récupéré par la CIA, « entend détourner le procès de son vieil ami pour faire celui de l’impérialisme américain »… (Le Journal du Dimanche,
08/02). – FXV]
LIRE
L’Histoire trouée : négation et témoignage. Textes réunis par Catherine Coquio, L’Atalante (15 rue des Vieilles Douves, 44000 Nantes, éditions L’Atalante),
2004.
Quelles sont les procédures par lesquelles une catastrophe historique se trouve niée ou déniée, effacée ou normalisée ? Comment un événement
destructeur essentiel pour un groupe humain peut-il disparaître du champ de vision d'autres groupes, à une époque qui propose la perspective d'une
connaissance immédiate et universelle de tout ce qui a lieu ? Y a-t-il une évolution ou révolution possible des regards à ce sujet ?
Qu'est-ce qui, dans un tel événement, le rend d'abord invisible, inintelligible, incompréhensible ? Comment peut-il être pensé, transmis, sinon surmonté ?
Quel rôle peuvent y jouer l'histoire, le droit, la politique, l'art, la psychanalyse, la philosophie ?
Le développement des discours de négation et le prix croissant donné au genre du témoignage peuvent-ils être pris comme phénomènes de civilisation,
dus aux formes de la violence politique moderne, en particulier génocidaire ? Y aurait-il une "ère de la négation" comme on a dit qu'on entrait dans une "ère
du témoin" ? Par quels processus (idéologiques, culturels, politiques) se forment les "communautés de déni" ? Quelle part y prennent les institutions, les
conflits d'interprétation, la confusion des discours, l'inertie mentale ? Quel rôle y jouent les pratiques culturelles et scientifiques, les modes
d'intellectualisation et d'esthétisation à l'œuvre jusque dans le travail de mémoire ?
Y a-t-il un mode de négation ou déni propre au discours politique, d'État et de militance ? Quel est le statut de la victime dans les discours des pouvoirs et
des "contre-pouvoirs", y compris humanitaires ?
Voilà quelques-unes des très nombreuses questions abordées dans ce livre collectif, issu d’un colloque international qui a réuni, en septembre 2002 à la
Sorbonne, plus de quarante historiens, philosophes, critiques de la littérature, psychanalystes, témoins et écrivains. Des questions qui sont eu cœur des
perspectives de Survie.
La France au Rwanda
Des soldats français ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XXe siècle. Nous leur avons donné une doctrine, des armes, un blanc-
seing ; nous les avons soutenus, protégés et, le jour venu, exfiltrés. C’est cette histoire que raconte un témoin du génocide, Patrick de Saint-Exupéry,
journaliste au Figaro, lauréat du prix Albert Londres, du prix Bayeux des correspondants de guerre et du prix Mumm. Il fut témoin du génocide Tutsi. et
déposa devant le Tribunal pénal international d’Arusha.
Une lecture indispensable à l’appui à la Commission d’enquête citoyenne…
Association Survie, 210 rue Saint–Martin, F75003–Paris – Commission paritaire n° 76019 – Dépôt légal : mars 2004 - ISSN 1155-1666
Imprimé par nos soins – Abonnement : 20€ (Étranger : 25€ ; Faible revenu : 16€)
Tél. (33 ou 0)1 44 61 03 25 - Fax (33 ou 0)1 44 61 03 20 - http://www.survie-france.org - survie@wanadoo.fr
Billets d'Afrique
et d'ailleurs...
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-
africaines-
N° 124. Avril 2004
1. Nous tenons à remercier tous ceux qui se sont engagés, sans compter leur temps, dans cette bataille : la somme de leurs engagements gratuits à plus
que compensé l’extrême modicité des moyens financiers à notre disposition.
2. http ://www.enquete-citoyenne-rwanda.org
3. L’inavouable, Les arènes, mars 2004. À lire au plus tôt.
Salves
Côte d’Ivoire : Les faux problèmes et les vraies questions de la paix
La répression violente de la manifestation du 25 mars dernier à Abidjan remet une fois encore au devant de l’actualité
internationale la question de la paix dans ce pays, en proie depuis plus d’un an à la plus grave crise de son histoire.
Malheureusement, une fois encore, au lieu que ces événements tragiques constituent le déclic pour enfin engager à l’échelle de
toute la nation un débat de fond sur les conditions d’une réelle sortie de crise, on s’ingénie dans chacun des camps en conflit à
vouloir tirer de ce nouveau contexte le maximum de bénéfice politique.
C’est ainsi qu’on assiste à de vaines et stériles polémiques autour du décompte macabre du nombre de morts survenues lors du
« jeudi noir » à Abidjan et des rafles qui ont suivi. Le camp présidentiel tente de minimiser sa gaffe politique dans la gestion de cette
affaire en s’en tenant mordicus à trente-sept morts, malgré l’évidence des faits rapportés par des organismes nationaux et
internationaux indépendants. Le camp des forces politiques ayant appelé (malgré son interdiction) à cette manifestation du 25 mars,
abusivement appelé par certains médias « le camp des pro-marcoussistes », semble s’être engagé dans une surenchère en
déclarant tout de go « détenir les preuves » qu’il y a eu cinq cent morts.
Au-delà de cette guerre des chiffres, chacun peut observer que le vrai problème ne réside pas dans le décompte des morts. Car,
même si le 25 mars il n’y avait eu qu’un seul mort (de quelque camp qu’il soit), ce serait un mort de trop. Le camp présidentiel, et
Laurent Gbagbo plus que tout autre, sait ou devrait savoir que, dans un État de droit digne de ce nom, on ne tire pas sur des
manifestants du simple fait qu’ils ont transgressé un décret présidentiel interdisant toute manifestation. De même, les leaders
politiques ayant appelé leurs militants à sortir dans la rue malgré l’interdiction de manifester, savaient ou devraient savoir les risques
encourus, surtout dans le contexte actuel de tension et de confusion générale.
Notre propos n’est pas tant dans cette circonstance douloureuse de renvoyer dos à dos les protagonistes ivoiriens et de rendre
chaque camp responsable de la brusque montée de tension, mais plutôt d’essayer de montrer la responsabilité primordiale qui
s’impose à chaque homme et femme politique de ce pays, s’il est vrai que chacun aspire vraiment à la paix. L’attitude du président
Laurent Gbagbo qui consiste à dire qu’il est « le seul à appliquer Marcoussis » conduit dans une voie sans issue. De même que le
refrain du ministre Guillaume Soro qui fait du président Gbabgo « un homme disqualifié pour diriger le pays » s’est avéré jusque là
inopérant. En d’autres termes, aucun camp ne peut appliquer Marcoussis contre l’autre. Ce serait, du reste, un non-sens politique.
Les accords de Marcoussis, définissant les principes de la citoyenneté et du choix démocratique en Côte d’Ivoire, ne seront
appliqués qu’ensemble, en tenant compte des intérêts de chaque camp et surtout de ceux du pays tout entier. Accepter Marcoussis
(comme le clament sur tous les tons et quasi quotidiennement les protagonistes ivoiriens) ne suppose-t-il pas et n’implique-t-il pas
qu’on commence par accepter l’autre, tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit ?
Chacun conviendra que cette démarche d’acceptation mutuelle entre les protagonistes ivoiriens est une des conditions
primordiales pour aller vers la paix. Mais elle n’est pas la seule. Deux autres conditions semblent tout autant indispensables pour
asseoir une paix véritable en Côte d’Ivoire et plus globalement dans la sous-région ouest-africaine : l’une dépend du pouvoir politique
français (qui fut le principal artisan des accords de Marcoussis, après avoir joué avec le feu) et l’autre de l’opinion démocratique
internationale (notamment française).
Le pouvoir politique français, notamment le locataire de l’Élysée Jacques Chirac, devrait clarifier une fois pour toute son objectif
immédiat dans ce pays : veut-il seulement la stabilité pour continuer d’y garantir (malgré tout) les intérêts hexagonaux, ou veut-il la
paix véritable ? Cette question en appelle deux autres : est-ce vraiment contribuer à ramener la paix que d’organiser et avaliser la
mainmise quasi exclusive des entreprises françaises sur l’économie ivoirienne ? S’il est louable de condamner avec force les dérives
en cours et d’en appeler à l’arbitrage de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU pour faire la lumière sur les récents
massacres, le temps n’est-il pas également venu de faire la lumière sur l’ingérence française dans la vie économique de ce pays ?
C’est bien connu, l’opinion internationale peut grandement contribuer à calmer les esprits en Côte d’Ivoire, en assumant son rôle
de vigie et de sentinelle de la paix. En France, l’appel de Survie lancé au tout début de la crise ivoirienne avait recueilli un large
soutien auprès de nombreux acteurs de l’opinion démocratique. Cet élan initial ne demande-t-il pas à être ravivé et maintenu dans la
durée, au regard d’une situation redevenue très périlleuse ? [SMS]
Le naufrage d’Azali
Après que notre ami Almamy Wane ait traité le naufrage du Joola comme une métaphore de l’échec du régime de Wade ( Le
Sénégal entre deux naufrages, le Joola et l’alternance, L’Harmattan 2003), nous ne pouvons qu’être frappés par la débâcle
électorale du régime du colonel Azali aux Comores. Les autorités ont été gravement mises en cause pour avoir laissé partir le ferry
Le Samson (sous pavillon comorien) en état de surcharge alors qu’un cyclone était annoncé. Son naufrage prévisible dans la nuit du
7 au 8 mars au large de Madagascar aura sans doute contribué au rejet d’un pouvoir qui, bien que n’ayant jamais acquis de légitimité
démocratique (le putschiste Azali a conservé la présidence de l’Union des Comores par des élections truquées), est toujours à la tête
de l’État. Mais l’illustre “sanction” qu’il vient de recevoir aux élections locales le place de facto en situation de quasi cohabitation.
Toute ressemblance, coïncidence, etc. [PC]
Introduction
« [Ceci est] une “Commission d’enquête citoyenne” parce que nous n’avons aucun mandat particulier. Nous sommes de simples
citoyens dans une démocratie, et nous avons constaté – tout le monde a d’ailleurs pu constater – qu’on ne nous avait pas dit toute la
vérité. Non pas tellement sur ce génocide, mais sur le comportement des autorités qui nous gouvernent et qui nous représentent. Il y
a fortes présomptions de complicités – à la fois politiques, diplomatiques, militaires –, et nous considérons qu’en tant que citoyens
nous devons mettre à la disposition de nos concitoyens, qui ont les même responsabilités démocratiques que nous, une information
qui leur a été refusée, au moins en partie, jusqu’à présent. Par conséquent, nous devons entendre des témoignages et recueillir des
éléments d’information, à destination de gens qui en feront un usage essentiellement politique. Ils porteront un jugement, comme
nous seront amenés à le faire, qui sera fondamentalement moral et politique, même s’il y a des dimensions spécifiquement juridiques
dans les événements que nous allons examiner. Il s’agit en effet fondamentalement d’un génocide. Un génocide, ça n’est pas
n’importe quel “gros massacre”. Et si nous nous permettons de dire qu’il y a eu génocide au Rwanda, ça n’est pas simplement parce
que ça crève les yeux, au vu des informations qu’on a pu réunir, mais c’est aussi parce que les instances compétentes pour en
décider l’ont, si j’ose dire, “diagnostiquer”. Il y a une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies [...] qui institue un Tribunal
international devant lequel comparaissent des personnes qui sont inculpées de complicité de génocide [...]. Nous ne sommes pas un
tribunal : nous ne faisons comparaître aucun suspect, nous n’entendons pas prononcer de peine, ni attribuer des dommages et
intérêts. [...] Cela dit, les faits que nous aurons réunis auront à peu près inévitablement une signification judiciaire et pourront être, le
cas échéant, utilisés dans le cadre de procédures. Maintenant, il appartient aux victimes de saisir les tribunaux compétents et il
appartient aussi aux Parquets de faire leur devoir, ce qu’ils ne se bousculent pas pour faire jusqu’à nouvel ordre. [...]
La Commission s’est aussi penchée sur la coopération continuée de l’armée française avec l’armée qui encadrait le génocide,
pendant et après le génocide. Elle a rapproché cela des doctrines militaires de contrôle des populations enseignées depuis un
demi-siècle à l’École de Guerre française, où ont été formés nombre de hauts gradés des régimes tortionnaires latino-américains,
puis l’orchestrateur présumé du génocide rwandais, le colonel Théoneste Bagosora.
En fin de journée, deux témoignages filmés, d’un survivant des collines de Bisesero et d’un milicien, ont fourni des indications
concordantes (d’une gravité sans précédent, et dont la vérification est incontournable) sur l’implication de militaires français de
l’opération Turquoise dans le massacre d’une partie des survivants. Dans le délai de trois jours entre la découverte de plusieurs
milliers de rescapés sur ces collines et le sauvetage de 800 survivants, sous la pression de journalistes, des soldats français et leurs
hélicoptères auraient piégé une partie des survivants en leur promettant de l’aide puis en laissant les miliciens venir les achever.
Ces témoignages font partie d’un ensemble, projeté à chaque fin de journée de la Commission d’enquête citoyenne (CEC). Ils
méritent une vérification et des enquêtes complémentaires de la part de la justice et des médias.
La CEC n’a pas fait qu’entendre des témoignages parfois bouleversants. Elle a aussi examiné et discuté méthodiquement les
pièces d’un abondant dossier et entendu plusieurs experts (Jean-Pierre Chrétien, Alison Des Forges et Gabriel Périès).
La CEC a considéré le vaste dossier des fournitures d’armes, presque entièrement délaissé par le rapport de la Mission
d’information parlementaire de 1998 (sauf quelques documents en annexe, que lui a fournis Patrick de Saint-Exupéry).
Le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé avait admis devant une délégation de Médecins sans frontières n’avoir donné que
fin mai l’ordre d’interrompre les livraisons d’armes au camp du génocide - presque huit semaines après son déclenchement et près
de deux semaines après le vote d’un embargo par l’ONU. Fin mai, le génocide avait fait plus de 80 % de ses victimes. Et Alain Juppé
suggérait à ses interlocuteurs la possibilité que l’Élysée continue d’organiser des livraisons officieuses… D’autres aveux ont été faits
de ces fournitures d’armes organisées par la France pendant le génocide : par un conseiller du ministre de la Coopération, Philippe
Jehanne, par le consul de France à Goma, Jean-Claude Urbano. François Mitterrand lui-même le laissa entendre à son médecin
Bernard Debré.
Ces livraisons fréquentes à Goma, à la frontière du Rwanda, ont eu lieu pendant toute la durée du génocide. Elles se sont
poursuivies durant l’été 1994, et même au-delà, à ceux qui venaient d’exterminer un million de personnes. L’examen des
fournisseurs, intermédiaires et acheteurs pointe la France ou ses réseaux françafricains - en Afrique du Sud et en Égypte
notamment. Le principal acheteur d’armes, le lieutenant-colonel Cyprien Kayumba, a séjourné à Paris et était en contact fréquent
avec le pivot de la relation militaire franco-rwandaise, le général Jean-Pierre Huchon.
Surtout, ces armes passaient par l’aéroport de Goma, directement contrôlé par l’armée française entre fin juin et mi-août, ou par
des forces zaïroises alliées et supervisées par des militaires français. Dans le premier cas, ces livraisons étaient impossibles sans le
consentement français : c’est ce qu’a affirmé le journaliste Franck Johannès, qui avait enquêté sur place à l’époque et qui est venu
en témoigner devant la CEC.
La Commission s’est aussi longuement penchée sur le cas du capitaine Paul Barril : la Mission parlementaire a négligé de
l’entendre, alors qu’il revendique un engagement multiforme dans le camp génocidaire, et que deux spécialistes (Alison Des Forges
et Patrick de Saint-Exupéry) font part d’un contrat de 1 200 000 dollars, appelé « Insecticide », pour la formation de commandos
dans l’armée du génocide. Or les Tutsi étaient surnommés les « cafards »… La CEC s’est aussi étonnée du rôle considérable en
Afrique centrale de ce paramilitaire pseudo-privé, et de son impunité arrogante.
La Commission a constaté la doctrine ethniste d’un certain nombre d’officiers ayant joué un rôle majeur dans l’engagement de la
France au Rwanda. Elle a visionné un nouveau témoignage rwandais décrivant la complicité de militaires français avec les miliciens
avant et pendant le génocide. La CEC n’accrédite pas a priori ces propos. Cependant, elle estime que l’ensemble des témoignages
de rescapés et de miliciens repentis qu’elle a recueillis en mars 2004 au Rwanda et qu’elle projette chaque jour à 15h30 mérite une
vérification et des enquêtes complémentaires. La France doit faire la lumière sur ces accusations.
La Commission d’enquête citoyenne a examiné des documents recueillis à Kigali par le sénateur belge Pierre Galand, qu’elle a
longuement auditionné.
La Banque nationale du Rwanda, trésor de guerre des organisateurs du génocide, a pu tirer des sommes importantes sur la
Banque de France (2 737 119,65 FF en six prélèvements du 30 juin au 1 er août 1994) et sur la BNP Paris (30 488 140,35 FF en sept
prélèvements du 14 au 23 juin). La Commission se demande comment la Banque de France a pu procurer des moyens financiers
(dont 1 500 000 FF le 1 er août, alors que le Gouvernement responsable du génocide et sa banque avaient quitté le Rwanda depuis un
mois) aux auteurs d’un génocide commencé le 7 avril ; comment l’autorité de tutelle de la place financière de Paris a pu ne pas
demander de couper les liens financiers avec les autorités génocidaires ; comment la BNP a pu ignorer la portée de ces
prélèvements.
La journaliste Colette Braeckman a confirmé dans ses travaux que, selon une source sûre, le Gouvernement intérimaire rwandais
(GIR), composé de représentants des factions politiques extrémistes et qui allait aussitôt superviser le génocide, aurait été constitué
au sein de l’ambassade de France à Kigali, sous la houlette de l’ambassadeur Marlaud.
La France va continuer de reconnaître et d’aider le GIR (qui sera jugé responsable du génocide par le Tribunal pénal international
d’Arusha) durant tout le génocide et même jusque mi-juillet 1994 environ, après avoir protégé sa fuite. Le 27 avril 1994, 20 jours
après le début du génocide, elle a accueilli à l’Élysée, au Quai d’Orsay et, semble-t-il, à Matignon, le ministre des Affaires étrangères
du GIR Jérôme Bicamumpaka, accompagné d’un leader réputé pour son fanatisme - ce malgré les avertissements d’importantes
organisations des droits de l’Homme, qui ont mis en garde l’exécutif français contre la caution ainsi apportée aux autorités en train
d’administrer le génocide. Ceci a été confirmé par l’avocat et militant des droits de l’Homme bruxellois, Eric Gillet.
L’Élysée, qui disposait d’une grande influence sur le GIR, ne s’en est guère servi pour l’inciter à cesser les massacres. Le
président de la République, selon Patrick de Saint-Exupéry, et son Monsieur Afrique Bruno Delaye, selon Alison Des Forges,
auraient tenu des propos marquant une indifférence quasi totale devant le fait qu’un génocide était en train de se commettre en
Afrique, comme s’il s’agissait de quelque chose de banal.
Selon Alison Des Forges, la représentation française à l’ONU, en bons termes avec celle du GIR, aurait mobilisé son influence et
ses relations au siège des Nations unies pour infléchir l’information du Conseil de sécurité, favorisant la perception d’un conflit armé
plutôt que celle du génocide en cours. Une telle présentation a été celle proposée pendant plusieurs semaines par le Secrétariat
général. Elle a concouru à limiter et à retarder les réactions internationales contre le génocide.
La Commission d’enquête citoyenne a examiné l’attitude de la presse française durant le génocide, les influences qu’elle a subies
ou contre lesquelles elle a résisté. Annie Faure, médecin au Rwanda en 1994, et Yves Ternon, historien, ont scruté l’intégralité des
articles du Figaro, du Monde, de La Croix d’avril à juin 1994, la plupart des articles de Libération et de larges extraits de L’Humanité.
Ils ont aussi effectué des sondages plus ou moins importants dans les autres quotidiens et un certain nombre d’hebdomadaires.
Ils ont constaté que la plupart des envoyés spéciaux, saisis par la dimension des massacres, ont après un délai d’adaptation plus
ou moins bref tenu à informer librement de ce qu’ils voyaient et entendaient, faisant preuve de courage et de lucidité. Mais assez
souvent, la qualité de leurs articles s’est trouvée en porte-à-faux avec les éditoriaux, les encarts, le titrage. Les principaux quotidiens
n’ont pas échappé, même pendant l’opération Turquoise, à la contagion du discours ethniste - souvent dans sa version la plus
absurde, nilotique et hamite -, alors que, dans les mêmes colonnes, une explication scientifique de la fabrication de l’ethnisme avait
parfois été donnée par l’un ou l’autre spécialiste.
S’agissant de l’emploi décisif du mot « génocide », il y a un grand écart entre son apparition le 11 avril dans Libération (quatre
jours seulement après le début des massacres) et le 8 juin seulement dans Le Monde (où, selon un témoignage, le terme était
auparavant censuré). La Commission a salué le travail du premier de ces deux quotidiens, mais aussi de L’Humanité et du Nouvel
Observateur.
Avec l’historien Jean-Pierre Chrétien, la CEC a repéré le développement, dès 1993 et jusque après le génocide, des thèmes de
propagande distillés par les Services français. Il s’agissait notamment de diaboliser le FPR, ennemi de la France puis du camp
génocidaire : ce mouvement était qualifié de « Khmers noirs », muni du plan de conquête d’un « empire hima-tutsi », etc. La CEC a
observé la préparation et la résurgence de la thèse du « double génocide ».
L’attitude de la presse belge a été évoquée avec Colette Braeckman. Elle a aussi confirmé plusieurs points, dont la constitution à
l’ambassade de France du gouvernement intérimaire qui allait superviser le génocide (un sujet examiné la veille), et le mépris affiché
par les officiers français envers leurs homologues rwandais voulant se désolidariser de l’armée génocidaire. Sur la question de
l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana, la journaliste belge, spécialiste du sujet, n’exclut aucune hypothèse
mais estime que de forts indices subsistent en faveur d’un coup d’État commandité accompli par le camp des extrémistes Hutu.
Jean-Christophe Rufin, qui était conseiller du ministre de la Défense François Léotard, a apporté son témoignage sur la
conception de l’opération Turquoise (à examiner vendredi). Il a insisté sur le fait que, pour une partie de l’exécutif, elle comportait une
dimension réellement humanitaire, sans exclure que cette dimension ait été englobée dans d’autres objectifs dont il n’était pas
informé.
En fin de journée, deux témoignages de rescapés filmés au Rwanda ont, une fois encore, porté de très graves accusations : il
s’agit cette fois du camp de rescapés de Nyarushishi, où les soldats français de Turquoise se seraient rendus auteurs ou complices
de viols ou de sévices sur la personne de survivants, en connivence avec des miliciens auxquels ils auraient livré régulièrement des
victimes. La veille, un ancien chef milicien avait apporté un témoignage concordant.
La Commission d’enquête citoyenne a examiné vendredi matin l’opération Turquoise. Les documents rassemblés, les témoignages
de Colette Braeckman et Alison Des Forges, les récits des journalistes, dont Patrick de Saint-Exupéry, et les témoignages des
rescapés dessinent de cette opération un visage aux antipodes de l’humanitaire officiel : la logique de guerre était dominante, et
quand elle a échoué, l’armée française a favorisé, sinon coorganisé, le repli de ses alliés génocidaires vers l’est du Zaïre sous le
couvert d’un bouclier humain, la foule conduite et installée dans les camps du Kivu - futur vivier d’une guerre de reconquête. Seul le
camp de Kibeho, alimenté en miliciens, a été laissé tel un abcès de fixation en territoire « ennemi ». Un médecin militaire qui
entendait exercer son métier s’est fait rabrouer par un officier de Turquoise : « Tu n’as pas encore compris que ce que nous faisions
n’avait rien d’humanitaire ? »
De même, l’examen détaillé du « sauvetage » des survivants de Bisesero montre que ceux-ci ont été en fait abandonnés aux
assauts des miliciens durant trois jours. Un assaut dont un certain nombre de témoins affirment qu’il aurait été favorisé par les
manœuvres de militaires français.
Examinant les responsabilités officielles dans la « mise entre parenthèses du génocide », sa subordination à la guerre et aux
schémas ethnistes, la Commission a relevé les responsabilités officielles et réelles du président Mitterrand, du chef d’État-major
l’amiral Lanxade, des généraux Quesnot et Huchon. Mais elle s’est aussi interrogée sur le rôle des généraux Jeannou Lacaze et
Jean Heinrich, anciens chefs du service Action de la DGSE : le premier se trouvait apparemment au côté du général Huchon à la
Mission militaire de la Coopération ; le second, Directeur du Renseignement militaire, aurait fait plus que du renseignement selon un
document inédit.
Il a aussi été question du rôle de Jean-Christophe Mitterrand. Un témoin, le journaliste Gaëtan Sebudandi, a expliqué comment il
avait découvert des liens d’affaires entre le fils de François Mitterrand, le fils du président Habyarimana, Jean-Pierre, et l’homme
d’affaires Félicien Kabuga - qui sera la « trésorier » présumé du génocide -, dans une grande propriété agricole près de la frontière
ougandaise. Plusieurs autres implications ont été évoquées, mais elles doivent, comme la précédente, être vérifiées à partir des
précisions fournies.
La Commission a achevé ses travaux avec la révélation par le journaliste Mehdi Ba de l’existence d’une série de documents
accablants. Un seul exemple : le 1er septembre 1994, un semestre après le début du génocide, une note interne au ministère de la
Coopération s’interrogeait sur l’éventuelle fourniture de visas à une liste de 16 personnes, dont certains des hauts responsables du
génocide, pour « préparer l’avenir »…
Un nouveau témoignage du Rwanda, celui d’une rescapée du camp de Nyarushishi, a été projeté : elle a accusé des militaires de
l’opération Turquoise chargés de la garde du camp, de multiples viols et d’avoir livré d’autres rescapés aux miliciens. La Commission
a entendu toute la semaine trop de témoignages accablants : la vérité doit être faite à leur sujet.
La Commission d’enquête citoyenne a clôturé sa semaine de travaux en présentant à la presse ses conclusions provisoires.
La Commission n’entend pas en rester là. Ses travaux seront diffusés sous diverses formes (écrit, son, image), ils feront l’objet
d’un rapport, et pourront donner lieu à des « compléments d’information ».
La Commission d’enquête citoyenne a été organisée par plusieurs associations (Aircrige, la Cimade, l’Observatoire des transferts
d’armements et Survie). Elle a été présidée par le juriste Géraud de la Pradelle. Y ont également participé le docteur Annie Faure,
l’avocat Bernard Jouanneau, la juriste Rafaëlle Maison et l’historien Yves Ternon.
Documents inédits
Voici deux des documents confidentiels que le journaliste Mehdi Ba a pu examiner et recopier et dont il a lu le contenu devant la Commission d’enquête
citoyenne le 26 mars :
Le Général de Division Huchon
Chef de la MMC
Ministère de la Coopération
Le Chargé de mission défense
Notre commentaire : Très impliqué dans la fourniture d’armes au camp du génocide, le cabinet du ministre de la Coopération Michel Roussin lui retransmet
sans sourciller une demande de visas émanant du gouvernement qui a administré le génocide (le Gouvernement intérimaire rwandais, GIR). Celui qui écrit
la note ne peut pas ne pas savoir qu’il y a dans la liste annexée certains des membres du noyau dur du Hutu Power génocidaire, tels Jérôme
Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du GIR, Mathieu Ngirumpatse, secrétaire général du parti d’Habyarimana, Augustin Bizimungu, chef de
l’armée qui encadrait le génocide et ses adjoints Gratien Kabiligi et Aloys Ntabakuze, etc. Ces cinq personnes, plus le ministre Édouard Karemera ont été
ou vont être jugés par le Tribunal pénal international d’Arusha.
Gabriel Périès : « Je suis enseignant-chercheur à l’université d’Évry et j’ai réalisé une thèse de doctorat sur cette fameuse doctrine
dite de la “guerre révolutionnaire”, qui a émergé au sein de l’armée française. Je m’y suis intéressé parce que je suis latino-
américaniste et ce sont surtout les doctrines latino-américaines qui ont été fortement influencées par l’armée française. Disons que je
le croyais, jusqu’au moment où je me suis intéressé au cas rwandais.
Les hasards de l’existence m’ont amené à discuter avec Patrick de Saint-Exupéry au moment où il revenait d’Argentine, après être
passé par le Rwanda. Il était bouleversé. Lorsqu’il m’a expliqué ce qu’il avait vu au sein de l’opération Turquoise, j’ai été fortement
surpris de ce que j’entendais. […] Lorsque j’ai commencé à regarder de près l’État rwandais, de son origine en 1959 jusqu’à la
première attitude génocidaire de 1964, cela correspondait à l’application de la doctrine militaire en question en Argentine, la première
application de la doctrine de la guerre révolutionnaire à l’étranger, sur le territoire latino-américain. […] Il y avait des analogies, […] un
point commun : l’État se structurait d’une certaine façon. […] Sur la période 1959-1964, […] l’État rwandais moderne […] - disons le
début de la Première République - […] présentait comme caractéristique d’avoir été chapeauté par un officier parachutiste belge [… le
colonel Logiest]. Or les Belges participaient aux travaux de l’École de Guerre de Paris pendant la période d’élaboration de cette
doctrine. […] Ils côtoyaient d’ailleurs des officiers de toutes provenances, israéliens, latino-américains, yougoslaves, grecs,
espagnols. Disons que la professionnalité militaire était à l’œuvre. […]
Toute une série d’officiers […] argentins ont été formés à l’École de Guerre française. Ils ont travaillé ensuite à l’École militaire
argentine avec des officiers français directement intégrés aux états-majors argentins. L’État-major argentin, sous la conduite des
officiers français, a organisé à partir de 1959 la territorialisation de l’armée argentine. C’est-à-dire l’organisation de l’armée argentine
en zones de compétences purement militaires où le militaire en situation d’urgence se substitue à l’autorité civile - dans une
organisation très complexe de hiérarchie parallèle, avec des officiers qui se mettent en parallèle des structures civiles. Finalement,
en situation, ils éliminent les structures civiles et s’occupent de l’ensemble du territoire : justice, organisation de l’armée, milice
d’autodéfense, […] ce qu’on revoit au Rwanda.
Le processus fondationnel de l’État rwandais suit cet éclatement territorialiste, cette territorialisation des forces armées, à un degré
nettement supérieur que celui que vous trouvez en Argentine […]. On va se retrouver, et c’est le politiste qui parle, devant des
structures très similaires, bien sûr sur une surface très limitée au Rwanda, ce qui à mon avis va donner, quand le processus se met
en marche, un effet de déflagration assez important.
L’établissement de cette doctrine passe essentiellement par deux axes. Le premier, c’est la théorie de la hiérarchie parallèle du
colonel Lacheroy. Il écrit un article dès 1952-1953 en Indochine sur le fait que le Viêt-minh possède une arme : l’organisation. Ce
n’est pas une arme lourde, mais c’est une arme totale, qui comporte des réseaux de jeunesse et l’organisation des enfants. Comme
dit Lacheroy lui-même, “De la naissance à la tombe (et pour les spécialistes du Rwanda, cela évoque pas mal de choses), le jeune
Vietnamien est pris dans ce maillage d’organisations organisant une hiérarchie parallèle ”. Jeunesse, femmes, enfants, mobilisation
pour le travail, campagnes d’organisation de ce travail… tout cela est organisé par une structure clandestine et Lacheroy finit par
dire : “Il s’agit donc d’une arme qui établit une dictature pure, dure et cruelle.” Ce modèle de hiérarchie parallèle, avec
territorialisation, contrôle en surface, etc. va être appliqué en Algérie avec les effets qu’on a connus, auxquels vont s’ajouter les
hiérarchies des forces armées elles-mêmes et […] tout un ensemble […] de structures de contrôle de la population.
Ce contrôle des populations, de façon forte, ce n’est pas l’œuvre de Lacheroy, mais de Trinquier. [Le colonel] Trinquier pense qu’il
faut établir un quadrillage très puissant au niveau urbain et que ce quadrillage implique un contrôle chiffré de chaque zone
opérationnelle, allant pratiquement jusqu’à la maison. J’ai été très surpris de voir qu’au Rwanda on retrouve cette hiérarchie dans le
rapport d’Alison Des Forges, […] jusqu’au pâté de maisons. Cette organisation […] en damier, ressemble beaucoup aux hameaux
stratégiques que la France avait commencé à établir [pendant la guerre d’Algérie] en déplaçant les populations lors des plans Challe […]
pour les isoler du FLN-ALN. À partir de ce moment-là, on pouvait contrôler les populations dans trois types de camps différents, qui
allaient jusqu’à des camps d’interrogatoires très poussés et même d’extermination. […]
Au Rwanda, [… vont se rajouter à] ce modèle […] de contrôle des populations et d’embrigadement […] en damier […] par les structures
de l’État […] les structures du parti unique, évidemment, avec ses propres systèmes de renseignement et de diffusion, plus ou moins
contrôlés en hiérarchie parallèle […] par des anciens de l’armée, puis par des formateurs français qui vont apporter leur doctrine […].
Des officiers rwandais […] sont venus à Paris en 1975 pour réactiver la coopération militaire avec Valéry Giscard d’Estaing. 1974-
1975, c’est le retour des officiers français en Argentine. Giscard d’Estaing a été formé par le colonel Lacheroy lorsqu’il était officier de
réserve à l’École de Guerre. Avec Michel Poniatowski… [entre autres]. Il sait très bien ce que toute une génération d’officiers a reçu
comme formation à l’époque. […] Bien sûr, le général de Gaulle avait écarté ces officiers. L’on sait le rôle un peu trouble qu’avait joué
Giscard au sein des gouvernements gaullistes, comme une sorte de sonnette de l’OAS […]. C’est pour ça que […] je ne pense pas
que ce soit purement Mitterrand le factotum de cette histoire […].
Il y a une tradition dans l’État français. Cette tradition subit une éclipse importante à partir de la dissuasion nucléaire, on se
débarrasse sur le territoire national de ces grands officiers qui ont fait toutes les guerres [depuis 1939], on les envoie un peu à droite et
à gauche : en Afrique, en Amérique latine, aux États-Unis, en Asie du Sud-Est, là où on en a besoin. Ils ont du savoir-faire. Ça se
paye bien et puis c’est quelque chose qui est rentable d’un point de vue géopolitique. En Afrique, je crois qu’il y a tout un axe
Rwanda, Burundi, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, que l’on voit aujourd’hui assez malmené, avec un processus de fabrication des
élites locales militaires qui continue à exister. Et comme c’est le seule doctrine que possède l’armée française, […] eh bien c’est ce
que [les enseignants militaires français] enseignent. […]
Il semblerait quand même qu’au Rwanda il n’y ait pas eu besoin [… comme en Algérie de] ces structures qui faisaient disparaître les
gens pour avoir du renseignement. […] Le maillage, le quadrillage est tellement serré. [… Pour] Lacheroy, ce maillage et la hiérarchie
parallèle fonctionnent “en double comptabilité”. Dès qu’un élément étranger apparaît, immédiatement on sait où il est, on le situe,
parce qu’il y a une structure sur place qui va prévenir la structure du renseignement de la présence de ce corps étranger. Et d’après
ce que j’ai lu de ce qui s’est passé au moment du génocide, il y avait cette structure là au Rwanda : on pouvait […] faire fonctionner
l’ennemi Tutsi comme le corps étranger dans le cadre d’une comptabilité en partie double. […] Je ne pense pas que ça soit forcément
Mitterrand [le responsable du regain de ces doctrines militaires] . Je pense que déjà sous le Giscardisme et ses affaires africaines, il y avait
une relance de ces doctrines. […] Bien que M. de Villepin ait dit que les officiers français n’étaient pas […] impliqués dans les
dictatures latino-américaines, surtout les dernières, j’ai le nom des officiers français qui étaient directement intégrés à l’État-major
argentin et à l’École de Guerre argentine. La diplomatie essaie encore une fois de minimiser les effets un peu pervers de ces
coopérations. […] »
François-Xavier Verschave : « Vous avez travaillé sur des textes, notamment sur ce qui était enseigné à Arzew pendant la guerre
d’Algérie - la doctrine en question - et vous citez un passage qui m’a paru tout à fait éclairant dans cet enseignement courant de
l’armée française, c’était l’usage de la peur, voire de la panique pour le contrôle des populations. Est-ce que vous pouvez nous en
dire un peu plus ? »
GP : « C’est l’école du colonel Lacheroy. Il va y avoir deux écoles de la lutte anti-guérilla et de l’organisation de ce qui va devenir le
pouvoir de facto des officiers supérieurs français en Algérie, surtout dans la période Salan. Ce dernier est un colonial, un
“Indochinois” comme on dit. Il a remporté des batailles importantes pendant la guerre d’Indochine et il a un lien très étroit […] avec le
général de Lattre et le colonel Beaufre. Lacheroy [se situe dans cette mouvance prestigieuse et] on lui donne la possibilité d’organiser une
école, le CIPCG d’Arzew, Centre d’instruction pacification et de contre guérilla. Là, dans une base amphibie […] on donne des cours
à des officiers, des capitaines, des commandants, c’est-à-dire ceux qui seront colonels plus tard [… et formeront à leur tour des officiers]
pour le Rwanda.
Il s’agit de cours d’action psychologique (de la simple propagande où on s’adresse aux populations amies et neutres), et de cours
de guerre psychologique, où l’on s’adresse aux neutres en voie de basculement et à l’ennemi, où l’on provoque des situations
particulières pour favoriser l’adhésion des populations aux projets politiques. Un de ces instruments de guerre psychologique, c’est la
terreur de masse qui est répertoriée comme moyen. On appelle ça “erreur sociologique”, et ce sera appliqué en Argentine. On cible
par profession, par zone géographique, par représentant, on cible et on crée un choc, en règle générale par la disparition, par des
corps mutilés retrouvés, par des manipulations complexes, un choc dans la population, qui est tétanisée. Parce que, comme ces
cours le laissent dire, la peur fait fuir, la peur paralyse et maintient en place ; et comme le dit Lacheroy, lorsque l’on tient un récipient,
on peut verser ce que l’on veut dedans. C’est la métaphore de l’homme récipient : lorsqu’il est saisi par la peur, on le tient bien dans
le cadre d’une hiérarchie parallèle, on induit de la terreur dedans, la personne se vide et on peut verser le message qu’on veut à
l’intérieur. La Radio des Mille collines ressemble beaucoup à cela.
Par ailleurs, l’image du cancrelat reprend celle qui avait été diffusée par les 5 èmes Bureaux, une hiérarchies intégrée à l’État-major
qui va organiser la propagande et ce genre de manipulations. Cela consiste à montrer un fellagha sous la figure d’un cancrelat, d’une
sauterelle bizarre en disant : “Voilà, c’est un monstre, il faut l’écraser.” C’est un criquet, un cancrelat, des mouches aussi qui sont
collées sur du sang séché, ou des loups. Je ne sais pas si la métaphore a été employée au Rwanda, en tous cas celle du cancrelat,
de l’insecte, c’est clair. Dès lors, tout est permis.
Ces pratiques renvoient au discours du général de Lattre et du colonel Beaufre au moment où on a inauguré l’École de Guerre en
France. C’est un discours de 1946-1947. Nous sommes encore sous l’ébriété de la résistance et de la joie de la liberté découverte,
redécouverte. Les officiers supérieurs de Lattre et Beaufre, principalement, disent qu’ils ont perdu la guerre parce qu’il n’y avait
aucune doctrine, que l’on doit recomposer l’armée - un peu délégitimée comme structure d’État du fait de la collaboration d’une partie
importante de ses membres - […] et qu’on va chercher une nouvelle doctrine. La nouvelle doctrine qu’on propose à la réflexion, c’est
la doctrine de la “guerre totale” de Ludendorf. Une doctrine qui a comme particularité d’être violemment antisémite, évidemment, et
de mener à la catastrophe, à la destruction de l’État du fait qu’elle développe un niveau de violence énorme en traquant “l’ennemi de
l’intérieur” : les communistes, les socialistes, les anarchistes, etc. tout le monde y passe, mais en même temps les catholiques, bref
tout ce qui n’est pas pur, purement allemand.
Sa base, sa cohérence, c’est éviter que l’ennemi n’attaque le front intérieur. Pour cela, il faut créer une cohésion animique du
peuple avec son chef, qui est le chef de guerre. Or l’instrument qui va créer cette cohésion animique, c’est la terreur de masse. C’est
par la terreur que l’on crée la cohésion de l’État - [… avec parfois des] périodes de latence entre les phases de déclenchement de la
violence d’État totale, où il faut remettre les choses en place pour après repartir de plus belle. Et recommencer la cohésion animique
du chef avec son peuple. […]
La doctrine dite de la guerre révolutionnaire […] concerne essentiellement la cohésion du front intérieur face à une agression
extérieure. Mais en même temps, c’est un moyen de créer un État nouveau, de créer une structure de domination nouvelle,
“révolutionnaire” justement (mais avec des guillemets), de relancer la cohésion de la société en cas de guerre civile. […]
Le Rwanda, c’est une citadelle avancée du dispositif du pré-carré français dans la région. Il a une fonction stratégique : la preuve
c’est que, quand ça a claqué, tout l’axe français et belge a explosé, c’est-à-dire qu’il y a eu un jeu de dominos, du fait que les
structures d’État ont toutes fonctionné sous ce système-là. J’ai été surpris au Zaïre de voir que M. Mobutu disait que le Parti doit
organiser la vie du citoyen congolais, zaïrois, depuis la naissance jusqu’à sa mort. C’est la phrase de Lacheroy ! […] »
FXV : « […] Je signale simplement au passage que Jeannou Lacaze était un personnage central de la guerre d’Algérie et qu’il était le
conseiller de Mobutu […]. Une deuxième question : dans vos recherches, vous montrez que la transmission de cette doctrine se situe
dans un cadre tout à fait amoral ; il s’agit de professionnels, ces professionnels veulent avoir la meilleure doctrine de guerre possible
pour faire face à certaines situations. Ils sont dans une positon de concurrence/complicité/rivalité avec les théoriciens des autres
armées du monde, ils n’hésitent pas à emprunter à l’ennemi, que ce soit Ho-Chi-Minh, Goebbels ou d’autres, ses meilleures
“armes” ; avec tout cela, ils constituent une espèce de package, un ensemble doctrinal que, par la suite, ils peuvent avoir envie
d’exporter. De même qu’on exporte le hardware de la dissuasion nucléaire, on peut aussi vouloir se situer comme les meilleurs dans
l’exportation d’un savoir-faire à la pointe des mécanismes de la guerre moderne, où l’objectif est de contrôler une population. Est-ce
que vous pouvez nous en dire plus sur ce processus, qu’on pourrait dire cynique, mais qui n’est pas perçu comme tel du point de
vue de ceux qui l’enseignent (il s’agit simplement pour eux d’être les meilleurs dans leur domaine) ? »
GP : « Je crois que c’est là la grande difficulté, il faut suspendre son jugement comme on dit, être prudent sur les anathèmes. Ce
serait trop facile de faire le jeu des Victoriens de Foucault par rapport à la sexualité, de se voiler la face. On paie nos impôts aussi,
donc on est tous un peu responsables de ce qu’on fait. Ces doctrines militaires sont des technologies, qui passent par le savoir-faire
organisationnel, par la connaissance - le savoir-faire colonial, la connaissance des populations, de leur fonctionnement, de leurs
croyances. Toute une flopée de sociologues ou d’anthropologues coloniaux ont un savoir-faire énorme : un homme comme Servier,
sera le créateur des harka en Algérie, il est un superbe directeur du CNRS. Il faut bien se rendre compte qu’on a à faire à des savoir-
faire, avec un marché international. Les Britanniques, par exemple, ont une doctrine similaire qui s’appelle le DWEC (District War
Executive Council), une structure semi-clandestine qui va à un moment s’appliquer sur la partie défaillante d’un État, en général
l’exécutif, évidemment. Ils vont l’appliquer en Malaisie, par exemple, et cela va fortement influencer tous les officiers français qui ont
été leurs élèves, comme Aussaresses […].
Les Français ont leur propre théorie, c’est l’École dite de la “guerre révolutionnaire”, […] qui produit ses systèmes de dictature à la
clé, si vous voulez, des structures politico-militaires qui induisent des comportements très violents face à un certain niveau de
violence, à un ennemi déjà fortement armé, capable de créer des mouvements et de mobiliser des armements lourds comme c’était
le cas du FPR. Ce genre de situation déclenche ces appareils-là.
Les Américains ont une autre doctrine, transmise à l’armée turque par exemple […] : on va taper par exemple à coup de canons
sciés dans une population qui est en train de défiler. Les Français ne font pas ça, les Français réagissent à un niveau supérieur,
lorsque la violence est déjà organisée de l’autre côté, lorsqu’il y a des mouvements de troupes, déjà des groupes armés. […] Patrick
de Saint Exupéry a tout à fait raison de mettre l’accent sur ce fait que le FPR représente un risque politico-militaire pour l’État
rwandais dans la logique qui est la sienne. La partie obscure de cet État va s’organiser d’un coup, dans une période très brève : […]
là on a affaire à une organisation qui est vraiment une organisation clés en mains. […] »
Emmanuel Cattier : « Cette technologie est “vendue” clés en mains, et l’on a vu à quel point la France est liée à ce qui se passe au
Rwanda. Est-ce que le génocide est le fruit induit par cette technologie - comme dirait Gandhi, “ la fin est dans les moyens comme
l’arbre est dans la semence” - ou est-ce qu’il y a volonté dans cette technologie d’accomplir un génocide ? »
GP : « C’est une question très importante. Les Argentins ont parlé pour leur propre histoire de “génocide”. Ils ont la sensation d’avoir
été “génocidés”. C’est-à-dire qu’on a sciemment calibré un type d’ennemi auquel on n’a laissé aucun répit existentiel : la victoire
militaire et politico-militaire passe par la destruction existentielle de l’ennemi, il n’y a pas de prisonniers là dedans. On est dans la
“guerre totale”, qui est sans doute une des doctrines les plus terribles du XX ème siècle, qui sera à l’origine de l’opération Barbarossa
de Hitler contre l’URSS, toutes ces horreurs que l’Occident a créées. En 1941, ce sont les Allemands, et nous on va reprendre ça
dès 1946. Cela pose un problème.
D’un autre côté, est-ce que ce genre de doctrine contient à l’intérieur un processus génocidaire ? Ça contient une destruction de
l’État, un éclatement des structures de l’État. Le système de hiérarchie parallèle va se superposer, dans un climat de telle violence
que ça ne peut que détruire toutes les structures, y compris les structures administratives, y compris l’organisation de la santé. Tout
le monde y participe, tout le monde est impliqué. Après, il n’y a plus de légitimité possible, parce qu’à un moment cette doctrine-là
détruit l’État. On a à faire à un vide, et ensuite il est très dur de restructurer. Je pense que les Rwandais le ressentent. Voyez
actuellement ce qui se passe au Congo ex-Zaïre. […] Regardez l’état de déliquescence progressive de l’État de Côte d’Ivoire, où il y
a une partition de fait, où une espèce d’anarchie s’installe à la tête de l’État.
On a parlé d’anarchie militaire, parfois, pour l’application de cette doctrine-là. […] Le système gère une telle violence que l’appareil
de légitimation disparaît, il n’y a plus de légitimité, le seul moyen c’est de maintenir la pression tout le temps. Et là des tendances se
créent : il y a ceux qui veulent aller jusqu’au bout, d’autres qui commencent à se dire “on va terminer devant un nouveau tribunal
pénal international. Il faut faire attention, il faut préparer une sortie politique ”. De nouveau, on peut avoir des processus de guerre
civile entre les tendances. Cela peut de nouveau restructurer l’État, l’État déjà en guerre totale. Sauf qu’à un moment les populations
ne tiennent plus le choc. […] J’ai lu quelques articles sur l’état psychologique des Rwandais, des femmes, des enfants. Ils sont brisés.
Il y en a au moins pour deux ou trois générations pour restructurer une société plus ou moins heureuse.
Est-ce que réellement, à l’intérieur de cette doctrine, il y a cette volonté de génocide ? Je ne crois pas que ce soit une volonté de
génocide stricto sensu ; je crois qu’il y a volonté d’élimination, d’éradication de l’ennemi. Mais l’énergie humaine peut être tellement
forte dans ces moments là… Dans la période 1958-1959, les militaires posent dans leurs revues la question : “Poignard ou bombe
atomique ?”. Le résultat est le même, disent certains. C’est-à-dire que l’on peut, à travers le terrorisme, la terreur de masse,
l’utilisation de la machette, éliminer plus de gens qu’à Hiroshima. Le Rwanda est encore une fois exemplaire. Terriblement
exemplaire. C’est effrayant, cette capacité d’organiser un génocide en trois ou quatre mois, c’est incroyable. »
FXV : « L’expression “ennemi intérieur”, qui sera employée dans les premières consignes à l’origine du génocide au Rwanda, figure-
t-elle dans les travaux de la doctrine française ? »
GP : « Oui, tout à fait. »
Sharon Courtoux : « Quelles sont les traces indélébiles de la transmission de tout ce matériel inappréciable entre la France et le
Rwanda ? »
GP : « C’est l’organisation parcellaire de l’État. C’est-à-dire la territorialisation des forces de répression. »
SC : « Parce qu’il se peut très bien qu’on réponde : “Mais ils sont assez grands pour l’inventer tout seuls”. »
GP : « […] N’importe qui peut faire son territoire. Mais créer un territoire avec plusieurs systèmes répressifs, organisés, répertoriés
avec entrées et sorties contrôlées en quadrillage… […] La base de cette doctrine là, c’est ce qu’on appelle la territorialisation des
forces armées et de tout ce qui tourne autour. C’est-à-dire de ces hiérarchies parallèles, de contrôle, de mise sous tutelle de tel
endroit, de la population, ce sont les villages de regroupement, des villages spécialement affectés à telles ou telles personnes, aux
Tutsi, etc. Un système où, à l’échelon le plus bas, un chef va contrôler dix maisons, un système [… où] tout est contrôlé. Si vous
donnez un cure-dent à quelqu’un, il vous crèvera l’œil si on en donne l’ordre. C’est ce qui s’est passé. »
FXV : « Comment ces doctrines militaires qui se sont élaborées fortement dans les années 1950, se sont-elles transmises,
perpétuées au sein de l’armée française, au point de devenir, comme le dit Saint-Exupéry, la pierre philosophale, et d’être appliquées
jusqu’à l’extrême au Rwanda ? »
GP : « Lorsque je faisais mes recherches, j’ai pris contact avec des officiers qui partaient pour l’école militaire de Bouaké en Côte
d’Ivoire. Eh bien, ils partaient avec les cours de Lacheroy sous le bras. D’époque. […] Donc il y a une perpétuation. C’est une
tradition. C’est un savoir-faire qu’on va retrouver jusqu’en 1983 en Argentine, qu’on va retrouver ailleurs. Le problème, c’est de savoir
ce que peut offrir l’armée française avec son savoir-faire, ses traditions, si on ne lui dit pas un jour : “Ça il ne faut pas le faire”. »
Notre commentaire : Ce qui a motivé l’audition de Gabriel Périès par la Commission d’enquête citoyenne, c’est la correspondance entre ses travaux et les
confidences d’officiers français recueillies par Patrick de Saint-Exupéry. Seule la multiplication de tels aveux permettra de comprendre comment
d’anciennes techniques de manipulation ont viré au cauchemar.
La thèse de doctorat de Gabriel Périès devrait prochainement devenir un livre. Inutile d’insister sur l’importance des relations entre guerre et génocide (les
génocides ont lieu souvent dans un contexte de guerre), ainsi qu’entre doctrines de guerre et génocide (il y a des méthodes radicales de “neutraliser”
l’ennemi). Si une propagande sophistiquée parvient à diaboliser ou animaliser un ennemi ciblé, il lui reste peu de chances.
L’intérêt de ces considérations déborde le seul cas rwandais, puisque l’instrumentalisation de l’ethnicité est l’une des “armes” favorites des troupes
coloniales, devenues régiments d’infanterie de marine, qui ont transmis leur savoir-faire dans toute l’Afrique francophone et y sont encore présentes. Il
serait temps aussi que les militants des droits de l’Homme s’intéressent aux contenus des enseignements de l’École de Guerre…
Avertissement : au nom de la Commission d’enquête citoyenne, le cinéaste Georges Kapler est allé au Rwanda de mi-février à mi-
mars 1994 enregistrer plus d’une dizaine de témoignages de rescapés et de miliciens ayant avoué leurs crimes. Ceux-ci allèguent
d’une sorte de partage des tâches concerté dans le Sud-Ouest du Rwanda, lors de l’opération Turquoise, entre certains militaires
français et des miliciens. Pris isolément, les témoignages de ces derniers nécessitent une grande prudence. Même le récit des
rescapés n’est pas a priori paroles d’évangile. Il faut se souvenir cependant qu’ils disaient déjà ce genre de choses dès l’été 1994,
mais que peu de monde s’intéressait alors à ce qu’ils racontaient. La convergence des récits des miliciens et des rescapés est si
forte, les accusations sont si graves, que des enquêtes approfondies sont devenues inévitables, de la part des médias et de la
justice.
Conclusions provisoires
Fausses notes
– Sans doute par souci de redorer son image de vivier d’extrême droite, l’Université Lyon 3 va honorer Blaise Compaoré du titre de
docteur Honoris Causa. Tant d’honorables causes seront à remémorer depuis l’assassinat de Thomas Sankara : prise de pouvoir
illégitime, prolongée de deux élections frauduleuses ; installation d’une instabilité en Afrique de l’Ouest en aidant les guerres
hypercriminelles de Charles Taylor au Liberia puis en Sierra Leone ; répression interne et assassinats, tels celui du journaliste
Norbert Zongo...
La cérémonie aura lieu le 23 avril à partir de 17 heures, sous les huées d’une manifestation à laquelle nous appelons (15 quai
Claude Bernard).
– Idriss Déby envisage, après les succès de Sassou, Bongo etc., de faire modifier la Constitution pour pouvoir se présenter une fois
de plus aux prochaines “élections” présidentielles. Résultat garanti.
– Avec Le Figaro et L’Express, mais aussi de nombreux quotidiens régionaux, départementaux, et autres hebdomadaires locaux,
l’emprise chiraquo-médiatique de Serge Dassault, après le rachat de la Socpresse, doit nous alerter sur l’état de notre...
démocratie ( ?)
– Le parquet de Grenoble a refusé de rouvrir l’instruction de l’enquête sur l’Ordre du Temple solaire (OTS). « La justice française
n’a fait que combattre la pertinence des parties civiles au lieu de les soutenir dans la recherche de la vérité » ont déclaré des familles
de membres de l’OTS victimes d’un massacre dans le Vercors en décembre 1995, avec leur avocat (Libération, 25/03). Cette affaire
est classée comme « suicide collectif ». L’OTS est soupçonnée de relations avec certains réseaux mis en place pour mener la guerre
froide, comme le Gladio (Stay behind)... et la Françafrique pasquaïenne.
(Achevé le 04/04/04)
[Non content de sa complicité avec un régime responsable de génocide, notre pays se rend complice de celui du Congo Brazzaville, responsable de
crimes contre l’humanité. Nous partageons la stupéfaction et l’indignation profonde exprimées dans le communiqué ci-après, que nous reproduisons in
extenso. En notre nom, le crime continue. Il est plus que temps de trouver les voies et les moyens pour y mettre fin.]
« La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen
(LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) expriment leur plus vive stupéfaction et leur indignation profonde
au regard de la mesure prise au milieu de la nuit dernière de remettre en liberté Jean-François Ndengue, directeur de la police
nationale du Congo Brazzaville.
Après avoir été placé en garde à vue le 1 er avril, Jean-François Ndengue a été mis en examen pour crimes contre l’humanité par
un Juge d’Instruction de Meaux puis placé en détention provisoire par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) hier soir. Cette
décision a été prise nonobstant les pressions particulièrement fortes exercées par les plus hautes autorités de l’État français et
relayées par le Parquet et ce, en violation flagrante du principe fondamental de la séparation des pouvoirs.
Alors que la thèse officielle avancée par le Quai d’Orsay pour justifier la libération de Ndengue est que ce dernier “avait un
passeport diplomatique en cours de validité et était en visite officielle”, la FIDH, la LDH et l’OCDH contestent et réfutent totalement
ces arguments. Or, Ndengue ne pouvait justifier ni d’un passeport diplomatique, ne serait-ce que compte-tenu de la nature de ses
fonctions, et tous les éléments de faits démontrent qu’il était en séjour privé et non en mission officielle, étant précisé que :
1. La Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, accorde aux agents de missions diplomatiques
permanentes une immunité de juridiction pénale complète (art. 31) et les protège contre toute forme d’arrestation et de détention
(art.29). Cependant, elle est inapplicable dans notre affaire puisque Jean François Ndengue n’appartient pas à une mission
diplomatique permanente en France et n’est donc pas un “agent diplomatique” au sens de la Convention.
2. La Convention de New York des 8 et 16 décembre 1969 sur les missions spéciales, accorde aux représentants d’États en
mission spéciale à l’étranger une immunité de juridiction absolue le temps du voyage officiel (art. 31 et les protège contre toute forme
d’arrestation et de détention durant la mission spéciale. Cependant, la France n’a pas ratifié cette Convention qui n’est donc pas
applicable. En tout état de cause, la Convention ne prévoit aucune immunité pénale en cas de visite privée à l’étranger. Elle ne peut
donc pas non plus trouver application pour exempter Jean François Ndengue de sa responsabilité pénale individuelle puisque ce
dernier se trouve en France depuis le 19 mars dernier à des fins purement personnelles.
3. Le droit international coutumier ne confère pas non plus d’immunité pénale à une personnalité étrangère en visite privée en
France. Cette position a été officiellement adoptée en 2003 par le gouvernement français lui-même devant la Cour internationale de
Justice dans la même affaire (République du Congo c. France). Le Conseil du gouvernement français lors de l’audience publique du
28 avril 2003 a indiqué sans ambiguïté : “Il paraît, prima facie, très évident qu’aucune des trois dernières personnalités que j’ai
mentionnées [le général Pierre Oba, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique et de l’administration du territoire, le général Norbert Dabira, inspecteur
général des forces armées congolaises et le général Blaise Adoua, commandant de la garde présidentielle] ne bénéficie de quelque immunité
internationale que ce soit à raison de ses fonctions”. A fortiori, évidemment, le même raisonnement est applicable s’agissant du
directeur de la police nationale du Congo Brazzaville.
En conclusion, Jean François Ndengue, venu en France en visite privée, ne bénéficie d’aucune immunité diplomatique en vertu du
droit international conventionnel ni du droit international coutumier.
C’est semble-t-il par la seule diligence extrême du Parquet qui a fait appel de la décision de placement en détention provisoire
qu’un haut magistrat, agissant en qualité de président de la Chambre de l’Instruction de Paris, convoqué en urgence en plein milieu
de la nuit, a statué en faveur d’une mise en liberté.
Il apparaît en outre que l’avocat lui-même de Jean François Ndengue, n’était pas informé de cette démarche ayant pour sa part fait
une demande de référé liberté qui devait être examinée mercredi prochain par la Chambre de l’Instruction.
Pour le Président de la FIDH Sidiki Kaba, “quand la raison d’État prévaut, l’État perd la raison au plus grand mépris des victimes de
crimes particulièrement odieux. De façon scandaleuse, la démonstration est hélas une nouvelle fois faite que les amitiés entre États
priment sur le droit des victimes à un recours effectif devant des tribunaux indépendants”.
La FIDH, la LDH et l’OCDH condamnent le respect apparent d’une légalité formelle qui ne fait en réalité que confirmer le sentiment
que l’exécutif français en couvrant de tels “amis”, entretient en réalité sa complicité avec des criminels contre l’humanité. Les
organisations rappellent enfin que Jean-François Ndengue est toujours mis en examen, en dépit de sa libération.
Rappel des faits et de la procédure (pour un état complet voir le dossier sur http ://www.fidh.org/afriq/dossiers/sassou/sassou.htm).
De passage dans la capitale française, Jean François Ndengue a été arrêté par les forces de police sur le fondement d’une plainte
avec constitution de partie civile déposée en décembre 2001 aux côtés de victimes congolaises par la FIDH, la Ligue française des
droits de l’Homme et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH au Congo, pour crimes contre
l’humanité, disparitions forcées et torture.
M. Ndengue était en mai 1999 en charge de la sécurité au Port fluvial du Beach de Brazzaville où plusieurs centaines de réfugiés
congolais de retour dans leur pays profitant d’un couloir humanitaire placé sous les auspices du Haut Commissariat aux réfugiés
(HCR) furent enlevés par des éléments de la garde présidentielle et exécuté dans l’enceinte même du Palais du président Sassou
Nguesso. De sources concordantes, plus de trois cent cinquante cas de disparitions auraient été recensées au cours de ce retour
d’exil. Pour la seule journée du 14 mai 1999, plus de 200 personnes auraient ainsi disparu. Il était à ce titre en contact permanent
avec les éléments de la Garde présidentielle qui patrouillaient au Beach, il recevait et exécutait les instructions officielles quant à la
conduite à tenir au moment des massacres et était présent lors des arrestations et enlèvement des futures victimes congolaises.
M. Ndengue est la deuxième personne gardée à vue dans cette affaire. Ce fut également le cas le 23 mai 2002 de M. Dabira,
Inspecteur général des Armées au moment des faits. Nos organisations rappellent à cet effet que M. Dabira s’était par la suite
dérobé à une convocation du juge en septembre 2002, sur insistance des autorités congolaises. Il se trouve depuis à Brazzaville
malgré une mise en examen en France et un mandat d’arrêt international délivré contre lui. » (FIDH, communiqué Libération de Jean
François Ndengue. Paris, complice de crimes contre l’humanité ? Un coup de force politico-judiciaire, 03/04).
« Parce que nous ne pouvons pas accepter le maintien au pouvoir de dictatures souvent sanguinaires, nous demandons [...] la création
d’un corps des droits de l’Homme qui [...] informera la communauté internationale et lui permettra d’agir en connaissance de cause. »
(Dominique DE VILLEPIN, interviewé par RFI, reproduit sur diplomatie.gouv, le 18/03).
[Un poisson d’avril, sans doute. – PC]
« [Les multinationales pétrolières génèrent chaque année] 1 500 milliards de dollars de surplus. » (Jean-Marie CHEVALIER, professeur à
l’université Paris-Dauphine, à l’occasion de la sortie du dernier rapport de Global Witness, L’heure est à la transparence,
http ://www.globalwitness.org/reports/show.php/en.00049.html. Cité par Libération du 25/03).
[Ce surplus est la différence entre le chiffre d’affaires mondial de l’industrie pétrolière et le coût global de l’extraction. C’est l’équivalent du PIB de la France,
plus de 15 fois le coût estimé par le PNUD pour proposer aux plus pauvres de la planète l’accès aux biens publics basiques, 150 fois le coût d’un
programme mondial efficace de lutte contre le sida… Le rapport de Global Witness montre qu’en fait cet argent exacerbe presque toujours les inégalités
entre les immenses fortunes de quelques-uns et la misère des peuples du Sud propriétaires du pétrole, entraînant une répression et des conflits armés
eux-mêmes financés par une partie de ce surplus. – FXV]
Mémoire
« Ce livret [un Guide rédigé par l’Éducation nationale pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme à l’école] est bien difficile à lire. […] Et je vous
suggère d’y insérer des textes sur l’esclavage. Celui d’hier comme celui d’aujourd’hui » (Jacques CHIRAC à Luc Ferry en Conseil des
ministres le 10 mars, cité par Le Canard enchaîné du 17/03).
[Jacques Chirac feint-il d’ignorer que l’oppression-prédation que ses amis les tyrans françafricains font subir à leurs peuples est une forme d’esclavage
moderne ?]
A fleur de presse
Mondialisation
Libération, Le grand capital fait pression à l’ONU, 20/03 (Christian LOSSON) : « Les débats sont vifs depuis le 13 août 2003. Ce
jour-là, la sous-commission des droits de l’Homme des Nations unies avait adopté des “normes” sur “les responsabilités des
entreprises transnationales”. Un “événement” salué par les ONG. “Un premier pas vers la fin de l’impunité des grands acteurs privés
économiques”, confiait récemment Irène Khan, présidente d’Amnesty international. C’est que “ après quatre ans de travaux, la sous-
commission avait rédigé un texte international qui reconnaît enfin la responsabilité des entreprises et pas uniquement celle des
États”, note Marie Guiraud, de la Fédération internationale des droits de l’Homme. “Une première”. La nouveauté, ajoute CEO
(Corporate Europe Observatory), un centre d’études basé à Amsterdam, c’est que “les normes proposées vont au-delà du pur
volontarisme et incluent potentiellement des mécanismes de dédommagement”.
Le problème est que, pour faire avancer les choses lors de la 60 ème réunion annuelle de la Commission des droits de l’Homme, il
faut qu’un État se décide à inscrire à l’ordre du jour lesdites normes. Or, à ce jour, aucun gouvernement ne semble décidé à en faire
la promotion... Les “pressions amicales” d’organisations patronales nationales ( “On n’est pas contre les principes de la sous-
commission, mais contre leur application”, a pu dire un représentant du Medef), pèsent sans doute. »
Lire
Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable. La France au Rwanda, les Arènes, 2004.
Lecture obligatoire : on l’aura compris à travers ces Billets.
Sous une forme très littéraire, Patrick de Saint-Exupéry prend pour accompagnateur imaginaire Dominique de Villepin. Il nous emmène avec lui au
Rwanda, au tribunal d’Arusha (Tanzanie), et sur les chemins du questionnement en France : nous assistons à la mission d’information parlementaire, à ses
rencontres avec des militaires français (tous anonymes) qui sont allés au Rwanda.
Certaines de ses révélations effroyables sont déjà évoquées dans ce numéro. La préparation, et en partie l’exécution, du génocide était encadrée par des
unités d’élite françaises dans le cadre de la stratégie de « guerre totale » qu’elles considéraient “devoir” appliquer. Comme le résume Monique Mas (RFI,
24/03, Le pavé dans la mare d’un journaliste du Figaro) : « En filigrane, témoignages à l’appui, se dessine la règle d’un jeu mis en œuvre jadis par l’armée
française en Indochine et en Algérie : “La guerre révolutionnaire”. Suggérée au Rwanda par une “élite” militaire coloniale en mal d’empire, la doctrine et les
moyens qu’elle suppose auraient séduit un chef d’État fasciné par la théorie des complots, François Mitterrand ».
L’auteur révèle la mystification autour du débarquement militaire français, en 1990 : le FPR était loin de Kigali, contrairement à la justification officielle de
l’envoi des troupes. Tirer des coups de feu en l’air, raconter le soir aux journalistes dans les bars des combats qui n’ont jamais eu lieu : tel était le volet
ultra-secret de l’opération Noroît. On comprend mieux le nom donné à une autre opération militaire française au Rwanda : Chimère. « Nous sommes là
pour 10 ans », aurait alors assuré le lieutenant-colonel Canovas. « Hors hiérarchie », il était « régulièrement reçu à Paris par le chef d’État-major des
armées » (p. 244, 246). Quelle est donc la lutte contre une rébellion armée qui peut être prévue pour 10 ans ?
Les massacres anti-Tutsi ont dès lors pris des allures de plus en plus génocidaires, pendant que la France démultipliait les livraisons d’armes et les
envois de troupes... La machine à tuer était en marche... [PC]
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ÉDITO Élargir
Incontestablement, bien des brèches ont été ouvertes en avril dans la négation de la complicité française avec les auteurs
du génocide de 1994 au Rwanda. Dans nombre de médias et une partie de l’opinion publique française. Certaines brèches
bien visibles, d’autres minuscules. Il faut maintenant nous employer à les élargir, à ne pas laisser refermer ce scandale,
telle une plaie suppurante.
Survie va s’y employer, au sein de la « Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des
Tutsi au Rwanda en 1994 » (CEC), qui va se prolonger et progressivement s’élargir. Nous recevons régulièrement de
nouveaux témoignages, dont certains peuvent s’avérer décisifs. Tout cela demande des vérifications pour lesquelles nous
avons commencé de nous associer diverses compétences.
Avec des juristes, nous nous efforçons aussi d’élargir au domaine judiciaire le refus de la négation et de l’impunité, en
examinant précisément les possibilités de plaintes contre des complices français. Un mémorandum est en préparation sur
le sujet, en parallèle à la mise en forme du rapport de la CEC et celle des actes du colloque du 27 mars à l’Assemblée
nationale. Trois ouvrages en chantier, dont le premier devrait être publié assez rapidement. L’élargissement de nos champs
de travail requiert de nouvelles énergies compétentes. Avis aux intéressés !
L’inavouable et inouïe complicité française au Rwanda est le sommet d’une criminalité françafricaine proliférante,
surabondante en pillages, escroqueries, tortures, massacres, crimes contre l’humanité. Rendre incontournable l’aveu de
cette complicité permettra d’ouvrir le regard des Français à la perpétuation de cette criminalité – le plus long scandale de la
République.
Au cœur de la récurrence criminelle, il y a le soutien banalisé à des dictatures néocoloniales. Il s’agit maintenant d’aider
à élargir les peuples africains de l’emprisonnement, la sorte d’esclavage en quoi les réduisent ces tyrannies. C’est le sens
de la campagne que nous lançons en ce mois de mai, une campagne qui durera jusqu’à la chute de la dernière
“démocrature” (dictature “légitimée” par un scrutin truqué) soutenue par Paris dans ses anciennes colonies. Nous ne
prétendons pas imposer à ces pays une forme de gouvernement, nous nous rallions à cette grande majorité d’Africains qui
réclament le droit de pouvoir choisir librement leurs dirigeants, en tournant la page des régimes installés ou prolongés par
l’étranger.
Et nous préparons pour le 24 juin une relance de notre refus des « mondes sans loi », les paradis fiscaux. Un autre axe
central de nos revendications citoyennes. Concluons en forme de raffarinade : les voies de l’action sont larges, il suffit de
les emprunter.
François-Xavier Verschave
SALVES
Vous avez dit « droits de l’Homme » ?
L’organisation de défense des droits de l’Homme américaine Human Rights Watch (HRW) l’a constaté sur place : les troupes
gouvernementales soudanaises agissent de concert avec les milices arabes Janjawids, qui jouissent d’une impunité totale pour les
crimes massifs qu’elles commettent. « Les opérations menées par les Janjawids bénéficient souvent de l’appui aérien du
gouvernement du Soudan, à la fois des bombardements aériens avant des opérations et une reconnaissance par hélicoptère par la
suite afin de s’assurer que la zone est vide. Dans beaucoup de villages, les troupes régulières et les forces Janjawid établissent une
présence commune – souvent le poste de police locale – avant d’aller incendier et piller. » Ces attaques contre la population africaine
au Darfur, ces massacres, ce « nettoyage ethnique », sont des crimes contre l’humanité de grande envergure. Un rapport de l’ONU
confirme : attaques contre les populations civiles, viols, destruction des habitations, des cultures, du cheptel, des puits,
déplacements forcés, disparitions, persécutions à caractère racial et ethnique.
Et que fait la Commission des droits de l’Homme des Nations unies ? Condamne-t-elle sans ambages ces monstruosités et ceux
qui les produisent ? Nenni ! Elle évite les horribles détails et exprime sa solidarité avec le Soudan pour maîtriser la situation.
De plus, le rapport de l’ONU (qui circulait quand même dans la presse et les ONG) n’a pas été remis à la Commission avant que
celle-ci n’ait adopté sa déclaration à l’eau de rose.
Il faudrait au moins changer l’intitulé de la Commission de l’ONU. On pourrait l’appeler la Commission contre la tendance des droits
de l’Homme à jouer dans la cour des grands. [SC]
DOCUMENTS INÉDITS
fournis par Mehdi Ba concernant le rôle de la France au Rwanda
Voici quatre autres des documents confidentiels que le journaliste Mehdi Ba a pu examiner et recopier et dont il a lu le contenu
devant la Commission d’enquête citoyenne le 26 mars :
MCA ADMINISTRATION
NMR/2404/DEF/EMAT/BOI/COAT/SIT/21/DR DU 10 AVRIL 94
OBJ/RAPATRIEMENT DE PERSONNEL VERS LA MÉTROPOLE
REF/FAX MINCOOP DU 9 AVRIL 1994
TXT
PRIMO :
VOUS DEMANDE ANNONCER DÉCÈS PÈRE DU PARACHUTISTE MOTTI OLIVIER, DANS UN ACCIDENT AVION PRÉSIDENTIEL
RWANDAIS, LE 6 AVRIL 1994, À 21H15 LOCALES, ALORS QU’IL SE PRÉSENTAIT À L’ATTERRISSAGE SUR L’AÉROPORT DE
KIGALI.
SECUNDO :
VOUS DEMANDE, APRÈS FORMALITÉS D’USAGE, MISE EN ROUTE AU PLUS TÔT PAR VAM OU PAR VAC, PARACHUTISTE
MOTTI OLIVIER, À DESTINATION MÉTROPOLE POUR OBSÈQUES.
TERTIO :
IMPUTATION BUDGÉTAIRE À CHARGE MINCOOP
[Inscription manuscrite :]
Pour M. Jehanne. Je prends en charge le voyage du jeune MOTTI (bien que je n’ai aucune raison administrative de faire ce geste).
Notre commentaire : À notre connaissance, personne n’avait parlé jusqu’ici de la présence, dans l’avion présidentiel abattu le 6 avril
1994, d’un Français (un militaire ? lui aussi appelé Motti ?), père du parachutiste Olivier Motti, en plus des trois membres français de
l’équipage. Ce texte pose une série de questions. Quelle était la fonction de ce Français méconnu ? Comment sa présence n’a-t-elle
pas été remarquée à l’embarquement par les journalistes présents au départ de l’avion ? N’aurait-on pas utilisé cet attentat connu
pour cacher un décès survenu en réalité dans d’autres circonstances ? En tout cas, le conseiller ministériel et DGSE Philippe
Jehanne, si prodigue en armes pour le camp génocidaire, rechigne quelque peu à effectuer la dépense demandée par l’état-major de
l’armée de Terre (EMAT).
M.G.
Notre commentaire : Michel Gadoullet fait carrière à l’Union européenne, en tant que spécialiste du développement rural et familier
de l’ex-Zaïre. Il se comporte ici en « correspondant » de l’un des plus fameux agents traitants de la DGSE, Philippe Jehanne. S’il
juge important d’informer la DGSE et le patron de Jehanne, Michel Roussin (longtemps bras droit de Jacques Chirac, devenu
balladurien) des faits et gestes de Paul Barril, c’est peut-être qu’à cette époque le supergendarme – qui avait accepté un contrat de
formation « Insecticide » au profit du camp génocidaire – ne les informe pas de tous ses faits et gestes. Mais sans doute l’Élysée. Ou
une hiérarchie parallèle ?
Ministère de la Défense
DIRECTION DU RENSEIGNEMENT
MILITAIRE
Paris, le 15 avril 1994
N°1234/DEF/DRM/SITU/CD
Rédacteur : Colonel VAGANAY
Fiche
À l’attention du général Heinrich
Sur sa demande, j’ai rencontré ce matin 15 avril à 11h00 le colonel Ntahobari, attaché militaire et de l’air du Rwanda à Paris. Après m’avoir fait
un exposé de la situation militaire (voir fiche particulière), le colonel Ntahobari m’a chargé de transmettre « au gouvernement français » les
requêtes suivantes, qui ont été formulées par l’état-major rwandais, toujours en place et en état de fonctionner à Kigali.
1. MINUAR
L’état-major rwandais demande à la France de prendre au sein de la MINUAR la place laissée vacante par le retrait prévisible du bataillon belge.
2. Demande de munitions
L’état-major rwandais a un besoin urgent de munitions, dont la liste est donnée en annexe.
L’urgence absolue concerne :
– les munitions de 7,62 pour Fal ;
– les munitions de 5,56 pour R4 ;
– les obus de mortier de 60 mm.
3. Demande d’assistance Transport
Le Rwanda ne peut obtenir la livraison par les compagnies de transport aérien d’armements achetés et payés en Israël et en Pologne. L’état-
major demande si la France pourrait (faire) transporter à son profit jusqu’à Goma au Zaïre :
– depuis Tel Aviv, 5000 obus de mortier de 60mm. Poids estimé: 13 T!
– depuis Varsovie d’autres munitions (grenades) moins urgentes. Détails pouvant être obtenus auprès du fournisseur, M. Lemonnier, tel :
16.50.52.49.48
4. Sécurité des diplomates rwandais
L’ambassadeur du Rwanda s’inquiète pour sa sécurité (alerte à la bombe à l’ambassade le 13 à 18h30, voiture suspecte roulant autour de sa
résidence) et souhaite savoir si la police française a songé à renforcer la sécurité de la représentation rwandaise à Paris !
[Cette note a été faxée le 15/04/1994 par la DRM à M. Jehanne. Accompagnée d’un mot manuscrit de Jean Heinrich, sur son papier à en tête
personnel :]
Général Jean HEINRICH
DIRECTEUR DU RENSEIGNEMENT MILITAIRE
Mon cher Philippe,
Cette note vous est adressée pour attribution pour ce qui concerne les paragraphes 2 et 3 (à toutes fins utiles).
Avec toutes mes amitiés.
J.H.
#
Notre commentaire : En résumé, le très influent Directeur du Renseignement militaire, Jean Heinrich, demande au correspondant
des Services au ministère de la Coopération, son cher Philippe Jehanne, de se débrouiller pour fournir et livrer via l’aéroport zaïrois
de Goma des munitions au camp génocidaire. Cela le 15 avril 2004, alors que le génocide est commencé depuis 8 jours et que le
général Heinrich est peut-être le mieux informé au monde sur ce qui se passe réellement au Rwanda. Ces livraisons ont eu lieu, la
Commission d’enquête citoyenne l’a abondamment documenté. Jusqu’au 18 juillet. Interrogé à ce sujet par un journaliste de TF1, le
général a fait comprendre que ce n’était pas lui qui commandait. Qui donc, alors ?
Accessoirement, le camp du génocide demande déjà à l’armée française de trouver un habillage onusien pour revenir sur le terrain
(ce sera, deux mois plus tard, l’opération Turquoise – lorsque la partie la plus ostensible du génocide aura été achevée) et de
protéger sa représentation diplomatique à Paris.
Rencontre officieuse entre un émissaire de la Coopération (chargé de mission Défense) et J. Bicamumpaka, le 24/08/1994.
« Les avoirs emportés par l’ex-gouvernement à Goma et placés à la BCZ sont bloqués par Bruxelles où la SG de Belgique, actionnaire de la
Banque Zaïroise, a reçu des ordres en ce sens. »
Notre commentaire : Quatre mois et demi après le début du génocide, un responsable militaire du ministère de la Coopération se
concerte en cachette avec l’un des dirigeants du génocide. Les deux hommes son gênés par le fait que la Belgique bloque l’argent
du génocide, ce que la France n’a pas fait (au contraire). Ils sont gênés parce que la guerre des génocidaires contre le FPR installé à
Kigali continue alors depuis le Zaïre, avec le soutien militaire de la France.
Risque de banalisation
Une partie des défenseurs des droits de l’Homme s’est réjouie de ce que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(TPIY), à La Haye, ait condamné « pour génocide » le général bosno-serbe Krstic, l’un des responsables du massacre des quelque
7 000 hommes (mais non les femmes et les enfants) de l’enclave de Srebrenica, en juillet 1995.
Tel n’est pas notre cas. Il s’agit clairement d’un crime contre l’humanité. Les statuts de la Cour pénale internationale (CPI) auraient
pu conduire à utiliser l’expression « acte de génocide ». Mais aller au-delà, parler de « génocide » tout court, paraît un précédent
dangereux. Les centaines de guerres du XX e siècle ont entraîné des milliers de crimes contre l’humanité dont beaucoup, selon la
nouvelle jurisprudence du TPIY, pourraient être qualifiés de « génocides ». Si cette jurisprudence était confirmée, on aboutirait à un
divorce rapide entre les définitions historique et juridique du génocide. Surtout, en légitimant la banalisation du mot « génocide », on
ouvrirait un boulevard à tous les négationnistes ou révisionnistes. Dépassant les rhétoriques du « double génocide » (1 génocide
partout, match nul), ils bâtiraient des scores de 3 à 3, 10 à 9, etc. L’abomination de la Shoah, par exemple, se retrouverait noyée
dans des dizaines de « génocides » staliniens et quelques « génocides » américains (Hiroshima et Nagasaki), entre autres.
La longue histoire des crimes coloniaux et néocoloniaux français au siècle passé deviendrait elle aussi celle d’une litanie de
« génocides ». Il n’est pas sûr que cela contribuerait à faire savoir et mieux éclairer ses atrocités. [FXV]
périlenladmeure.com ?
Coïncidant avec les cérémonies du 7 avril – dans la nuit du 8 au 9 pour être précis –, la branche armée 1 des Forces
démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) a fait une incursion, à partir du Nord-Kivu, dans la province de Gisenyi au nord-
ouest du Rwanda. Au nombre d’une petite dizaine de mille selon l’ONU. Composées pour partie d’anciens militaires des ex-Forces
armées rwandaises (FAR) et de miliciens Interahamwe, ces forces seraient-elles «encouragées» à entretenir une tension
destructrice de tout espoir de paix dans la région ? C’est ce que pensent de cette situation explosive quelques observateurs avisés,
ajoutant que des « mentors » viseraient une « revanche » sur le FPR… Qu’en est-il ?
Depuis le 8 avril, la tension s’accroît. Le Rwanda concentre des troupes sur ses frontières avec la RDC et le Burundi pour prévenir
toute attaque des FDLR. Puis, selon l’ONU, des troupes rwandaises 2 sont entrées au Congo dans le secteur de Bunagana (Nord-
Kivu) 3. Le 22 avril, dans le Sud-Kivu, des affrontements semblent avoir opposé l’armée congolaise et « des rebelles hutu rwandais
opposés au régime de Kigali » : « L’armée congolaise a lancé une vaste offensive contre les FDLR », a déclaré à l’AFP, sous couvert
d’anonymat, un diplomate européen en poste à Kigali. Le gouverneur du Sud-Kivu a confirmé les combats, qui auraient eu lieu à la
suite d’attaques de membres des ex-FAR et miliciens Interahamwe. Selon l’AFP, un responsable des forces de l’ONU (la Monuc) au
Sud-Kivu aurait fait remarquer (sous couvert d’anonymat) : « Reste à savoir si ce n’est qu’un spectacle pour rassurer Kigali ». Que
d’anonymat.
Le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la RDC (Congo-Kinshasa), William Lacy Swing, s’est rendu
dans l’est de la RDC pour « faire le point sur ce qui se passe dans les Kivus ». Vaste besogne. Le représentant spécial a adressé
des courriers aux ministres des Affaires étrangères du Rwanda et de la RDC pour demander à ces deux pays qu’ils évitent « toute
escalade de la tension ». Dans un communiqué, la Monuc invite les deux gouvernements à entrer en contact pour coordonner leurs
opérations. Le porte-parole de l’armée rwandaise a réagi en affirmant qu’en effet, tout le monde devait coopérer, « pas seulement le
Rwanda et la RDC ». C’est à dire ?
Selon le journal Le Soft de Kinshasa (09/04/2004), le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères Renaud Muselier, furieux
de la dénonciation du rôle de la France dans le génocide de 1994 lors de la cérémonie du 7 avril, par le président Kagame en
personne, aurait promis « des plaies et des bosses » au ministre rwandais des Affaires étrangères rwandais Charles Murigande :
« Ce que vous avez fait est inacceptable. Vous avez mélangé la commémoration et la polémique ! On va régler ça en un autre lieu. »
Lequel ?
Par ailleurs, y aurait-il, comme l’affirment d’autres sources encore, des «conseillers» français dans le Sud-Kivu ? Si oui, pour
conseiller qui, en quoi ?
Que de questions. Baril de poudre.com. [SC]
1. Les FOCA, Forces combattantes abacunguzi [ceux qui sauvent], sont maintenant présentées comme telle.
2. Forces de défense rwandaises (FDR)
3. D’autres sources que l’ONU l’affirment, nonobstant les dénégations de Kigali.
son espoir que « la décision de l’Union européenne quant à l’éventuelle reprise partielle ou entière de l’aide économique ou la
reconduction de la suspension sera effectivement fondée sur l’examen complet de la situation des droits de l’Homme au Togo et
l’obtention de gages solides de la part des autorités quant à son amélioration et non uniquement sur des déclarations d’intention,
jusque-là restées lettres mortes ».
Dans un communiqué de presse du 14 avril, le Conseil de l’Union européenne dresse la liste des engagements (autrement dit des
déclarations d’intention, 22 au total) pris par la partie togolaise au cours de la réunion d’ouverture de ces consultations 3. Si ces
engagements étaient respectés par la dictature togolaise, ce serait un miracle dont nous pourrions nous réjouir avec le peuple
togolais. Avec tout le respect que l’on doit à ceux qui croient aux miracles de cette nature, nous nous permettons d’exprimer nos
doutes – qu’une longue expérience des pratiques du dictateur Eyadéma nous inspire.
Le Conseil de l’Union européenne invite le Togo à opérer ce miracle, en s’engageant à suivre de très près l’évolution du
phénomène : « C’est de l’ampleur et de la matérialisation des engagements pris par les autorités togolaises que dépendront, de
façon critique, la nature et l’étendue des mesures appropriées qui seront, le cas échéant, adoptées ». L’UE aura-t-elle le courage
d’examiner la dite « matérialisation » de près et d’agir en conséquence ? Faute du premier miracle, peut-on espérer en celui-là ? S’il
advenait, l’UE serait contrainte d’examiner de près comment d’autres dictatures de par le monde sévissent en toute impunité, et en
toute amitié avec des pays de l’Union. Ce serait bien, non ? [SC]
1. En vue d’une éventuelle reprise de l’aide économique suspendue depuis 1993.
2. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France), Agir ensemble pour les droits de l’Homme, Amnesty International, Fédération
internationale des ACAT (FIACAT), Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Franciscans International, Organisation mondiale
contre la torture (OMCT), Secours catholique-Caritas France, Survie.
3. http://ue.eu.int
Biya vole !
Le président du Cameroun vient d’acquérir un Boeing 767-216/ER pour ses déplacements personnels qui sont très nombreux, et la
plupart du temps privés. Il passe en effet une grande partie de son temps à l’étranger dans ses différentes résidences et
villégiatures, en Allemagne, en Suisse, en France... L’appareil est en cours d’aménagement à Atlanta (USA). Son prix d’achat est
estimé à 60 milliards de francs CFA. Ce prix sera amorti en leasing, paraît-il. L’aménagement luxueux coûtera autant. Voilà qui fera
le bonheur des fournisseurs américains.
Pendant ce temps, au Cameroun, le scandale de la faillite de la Caisse d’épargne postale perdure. La masse des petits épargnants
ne reverra probablement jamais ses sous. Le crédit de l’institution est totalement ruiné. Toute velléité de manifestation de
protestation se heurte à la dissuasion policière. Mais l’impopularité n’a jamais empêché les réélections de Biya. Ses vrais électeurs
ne sont pas camerounais. [OT]
Dans l’archipel comorien, le roi est nu. Les élections à l’Assemblée fédérale des 18 et 25 avril n’ont laissé que 6 sièges au camp de
l’Union des Comores, le clan du colonel Azali, sur les 18 pourvus au suffrage universel. 15 autres sièges seront désignés par les
Assemblées des trois îles, où l’opposition à Azali (le « camp des îles ») est majoritaire, après leurs élections en mars. Tout un
ensemble de subterfuges ont été mis en œuvre pour minimiser la perte de pouvoir d’Azali (putschiste en 1999, prolongé par une
élection fraudée en 2002).
Subterfuge institutionnel : Azali a tenté de bloquer le processus de mise en place des institutions sur Ngazidja (Grande Comore).
En empêchant l’adoption du règlement intérieur de l’Assemblée îlienne (au prétexte de la non-existence de la Cour constitutionnelle
qui doit le valider 1), il espérait anéantir les revendications décentralisatrices. Son parti étant minoritaire, la manœuvre a échoué.
Au niveau de l’Union de même, le verrou ne peut fonctionner : « le camp du colonel Azali ne peut espérer atteindre la minorité de
blocage de douze députés qui permet au chef de l’État d’empêcher l’adoption d’une loi organique à l’Assemblée fédérale. » (AFP
Moroni, 28/04/2004).
Question propagande, le clan Azali a matraqué l’argument du risque de blocage des institutions et de déclenchement d’une
nouvelle crise séparatiste si les “îliens” prenaient le dessus, amalgamant la Fédération et le pouvoir d’Azali. En France, l’épouvantail
du risque de cohabitation brandi en 2002 nous vaut une Assemblée nationale largement bleue, mais cette rhétorique est tombée en
panne en moins de deux ans : on connaît les conséquences sur les régions. Le colonel Azali n’a pas eu la chance d’un tel “état de
grâce” : chaque consultation est une disqualification. Espérons maintenant que le « camp des îles » se montre à la hauteur des
espérances, et que le cercle vertueux des élections honnêtes va atteindre son centre : les Comoriens attendent depuis près de
trente ans un pouvoir affranchi de la Françafrique et soucieux de leurs préoccupations. [PC]
1. On peut résumer le mécano constitutionnel par le schéma suivant (cf. www.clicanoo.com, 15/04/2004, Premier accrochage entre Azali et l’assemblée de
Ngazidja) :
Défausses
Alors que s’est effondrée la thèse du suicide du juge Bernard Borrel en octobre 1995, alors que le camouflage de son assassinat
est immédiatement imputable aux pouvoirs français (la Françafrique chiraquienne) et djiboutien (le chef policier et homme fort du
régime, Ismaïl Omar Guelleh, IOG, devenu depuis Président) de l’époque et d’aujourd’hui, une instructive partie de défausse s’est
engagée depuis.
La pression d’une magistrature assez largement solidaire de deux de ses membres, le juge assassiné et sa veuve Élisabeth, le
forcing des avocats de la famille Borrel s’appuyant sur des expertises médico-légales accablantes, ont obtenu que l’exécutif
chiraquien déclassifie certains documents réclamés par la partie civile. Tout progrès de l’enquête ne peut que mettre en difficulté
IOG, mais la déclaration conjointe des ministères français de la Défense et des Affaires étrangères (20/04/2004) affirme sans
vergogne le contraire : « Dans le cadre de l’enquête en cours sur le décès du Juge BORREL, des documents classifiés «Secret
Défense» ont récemment fait l’objet d’une décision de déclassification. Cette mesure avait été demandée par les autorités de Djibouti
elles-mêmes. Elle a permis de verser ces documents au dossier d’instruction. Contrairement aux affirmations avancées par divers
organes de presse, rien dans ces documents ne permet de conclure à la mise en cause des autorités djiboutiennes. Toute autre
déclaration n’est pas conforme à la réalité. »
Comme le souligne l’ARDHD dans son Observatoire de la situation des Droits de l’Homme à Djibouti (22/04/2004), c’est l’indéfini
de l’article « des » qui est important : la France a « accepté de déclasser certains documents «Secret Défense» qui ont été
finalement transmis (avec du mal !) au juge d’Instruction, Mme Sophie Clément, en charge de l’affaire Borrel. Mais nous savons
aussi que la France ne les a pas tous déclassés. Il y en a d’autres qui sont toujours protégés par le Secret Défense. D’autre part,
Guelleh ne cesse de répéter que c’est lui qui a demandé à ce que les documents «Secret Défense» français, soient déclassés, […]
tous les documents. […] Il provoque, car il sait que la France est mal à l’aise.
Si la France n’en a déclassé qu’une partie, c’est qu’elle n’a pas intérêt à déclasser les autres. Qu’y a-t-il donc dans les documents
non déclassés ? Quelque chose qui pourrait bien arranger Guelleh et déranger simultanément la France, à ne point en douter, […]
quelque chose qui dérangerait la France et ses activités (ou celles de ses fonctionnaires) à Djibouti. » Et l’ARDHD de prolonger
jusqu’au bout un raisonnement qui correspond malheureusement à trop de nœuds d’étranglement françafricains : Guelleh lance à la
France le défi de déclassifier tous les documents, « sachant que la France ne pourra pas le faire, sauf à se dévoiler... La France ne
le fait que partiellement […]. Mais elle sait que Guelleh sait. Contrainte alors à céder à son chantage, elle n’a plus d’autre choix que
le soutenir diplomatiquement […]. CQFD. » [FXV]
Avertissements
Un quatuor de choc, proche du président nigérian Obasanjo, est venu à Paris prévenir le MEDEF que la corruption systématique
des décideurs nigérians pourrait bien devenir pénalisant et pénalisée : une conseillère spéciale du président Obasanjo, ancienne
présidente de Transparency International Nigeria (Oby Ezekwesili), la ministre des Finances, Ngozi Okonjo Iweala, le responsable du
district fédéral et le président de la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers, l’ancien policier Nuhu Ribadu.
La conseillère a manié la carotte, tentant de persuader les patrons du MEDEF qu’ils pouvaient désormais faire des affaires sans
pots-de-vin. L’ancien policier, « mince, affûté comme une lame », a brandi le bâton : « il a mis en garde les entreprises françaises sur
le «anciennes pratiques» » (La Lettre du Continent, 29/04/2004). C’est comme pour les radars et les chauffards : il y a diverses
raisons pour que le contrevenant ne soit pas chaque fois sanctionné, y compris les «faiblesses» policières, mais si un patron français
trop confiant dans sa capacité de tout acheter se retrouve quelques jours en prison, il ne pourra pas dire qu’il n’aura pas été prévenu.
Pour le bien des malades et des écoliers nigérians, on ne peut que se féliciter de l’émergence d’une certaine peur du gendarme.
On notera au passage que de telles mœurs ne sont même pas encore envisageables dans un environnement françafricain : une
femme ministre des Finances, un discours anticorruption à l’adresse des grandes entreprises françaises… [FXV]
Le procès de l’ancien président du Rwanda, Pasteur Bizimungu, jugé pour « atteinte à la sûreté de l’État et association de
malfaiteurs », a débuté à l’automne 2002. Ajourné à plusieurs reprises, son déroulement à été troublé, le 21 avril, par l’arrestation de
l’avocat de l’accusé (M e Jean-Bosco Kazungu) pour outrage à magistrat. Selon des témoins cités par l’Agence France Presse,
Kazungu serait intervenu au cours d’une audition de témoins à charge pour demander aux juges que son client puisse contre-
interroger ces derniers. Essuyant un refus, l’avocat aurait élevé une protestation, accusant les juges de partialité. Il a été placé aux
arrêts pour 48 heures pour s’être « mal comporté devant les juges », selon le procureur général du Rwanda Jean de Dieu Mucyo.
La Cour d’appel, saisie par l’avocat, a cassé la décision des juges et relâché Kazungu dès le lendemain. Le 24 avril, le barreau de
Kigali a dénoncé l’arrestation de Kazungu, déplorant « l’attitude de certains juges à l’égard de ses membres », ajoutant que « les
droits de la défense doivent être respectés, quels que soient les prévenus ou les cas traités ».
La question reste à élucider : la loi rwandaise permet-elle à des juges d’arrêter un avocat qui proteste, même énergiquement, ou
d’autres sanctions sont-elle prévues pour de tels écarts ?
Fausses notes
– L’indécrottable Banque mondiale (BM) refuse toujours l’évaluation de la Revue des industries extractives (IER) qu’elle avait
pourtant commanditée pour mesurer l'impact sur la réduction de la pauvreté de ses financements dans les secteurs des énergies
fossiles et des mines. Son administration préserve toutefois le crédit (si l’on ose dire) de son président James Wolfensohn en
l’autorisant, à l’occasion de l'Assemblée générale de la BM, à soutenir dans son discours « le respect du consentement préalable et
informé des communautés locales dans les projets de la Banque » (communiqué de presse des Amis de la Terre, Washington D.C.,
26/04/2004). Face aux profits colossaux des transnationales extractives, on paie de mots les peuples. « Au bout de 60 ans, la
Banque est toujours incapable de définir ce qu’est la pauvreté. Elle a trop longtemps dépensé l’argent public au profit des
multinationales et aux dépens des populations pauvres et de l’environnement. » (AdlT, idem)
– Après Maurice Papon, André Tarallo et Loïk Le Floch-Prigent ont été trouvés trop malades pour continuer de purger leurs peines
de prison. L’action d’Elf en Afrique ayant maintes fois relevé de la complicité de crime contre l’humanité, il faut croire que la
participation à ce délit est particulièrement propice à une forme de grâce médicale particulièrement sélective. Car les illustres
détenus ainsi élargis sont beaucoup plus en forme que de nombreux autres qui mourront en prison.
Cette libération au mérite donne de sérieuses inquiétudes dans l’application de l’accord conclu entre la France et l’ONU « concernant
l’exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ». Il y est précisé que la loi française
s’appliquera aux détenus condamnés par le TPIR que la France hébergerait dans ses prisons. Gageons que des médecins réputés
trouveront vite la détention incompatible avec la bonne santé de ces condamnés pour génocide – un crime dont la France fut au
moins la première complice. Il suffira que le TPIR, avisé, ne s’oppose pas à la mesure de liberté. On comprend que les accusés ne
dénoncent pas le pays où ils pourraient être graciés.
La loi autorisant cet accord devait être définitivement adoptée par le Sénat le 6 avril 2004 – jour du dixième anniversaire de la
tragédie rwandaise selon les adeptes de la thèse du double génocide (les rescapés s’en tiennent au 7 avril). Quelqu’un a finalement
jugé bon de retirer ce texte de l’ordre du jour et de reporter son vote à plus tard, loin des polémiques.
(Achevé le 30/04/2004)
ILS ONT DIT...
Rwanda
« [Les] expéditions [… militaires françaises en Afrique] de plus grande envergure et de longue durée […] n’ont eu en principe que deux
objectifs : appuyer à sa demande un allié agressé par un pays tiers ou se porter au secours de civils en passe d’être massacrés. […]
Ainsi, le Rwanda a-t-il été le théâtre d’une intervention «militaro-humanitaire» quand les troupes françaises, qui avaient déjà
répondu, de 1990 à 1993, à l’appel du président Habyarimana impuissant à faire cesser les troubles ethniques, sont revenues en
nombre pour «sécuriser», au profit des Hutus, un sanctuaire dans le cadre de l’opération Turquoise. L’assassinat du président
rwandais, en avril 1994, avait en effet provoqué d’épouvantables tueries dans la population tutsie. La vengeance de cette dernière
sur l’ethnie rivale accusée de génocide, rendue possible grâce à l’appui de l’armée ougandaise, menaçait, une fois de plus, des
centaines de milliers d’innocents, femmes et enfants. Avec l’aval de l’ONU et le soutien d’une opinion publique mondiale pour qui «un
massacre, si horrible soit-il, n’en justifie pas un autre«, la France réussit alors à sauvegarder, au profit des Hutus, une zone
humanitaire sûre (ZHS)… » (Général Étienne COPEL, ancien chef d’état-major adjoint de l’armée de l’Air, extrait d’un article de La revue de
l’Intelligent, 01/2004).
[Ce propos d’une éminence stratégique, dans un article honoré d’un long interview du chef d’état-major des Armées, Henri Bentegeat, contient un aveu de
taille au milieu d’une rhétorique rodée : l’objectif de Turquoise n’était pas de sauver les rescapés tutsi, comme cela avait été annoncé pour obtenir le feu
vert de l’ONU, mais, seulement, de « «sécuriser», au profit des Hutus, un sanctuaire ». La « zone humanitaire sûre » était sûre, elle aussi, « au profit des
Hutus » (bis). Merci de confirmer que le sauvetage des survivants tutsi n’était pas au programme. Le général est tellement sûr de son bon droit qu’il démolit
en deux phrases, telles des bombes à guidage laser, tout le discours officiel sur l’opération Turquoise !
La logique françafricaine de l’époque continue cependant d’être vaillamment assumée : le général Habyarimana était « impuissant à faire cesser les
troubles ethniques » (alors qu’il aiguisait le clivage «ethnique» et organisait les massacres pré-génocidaires par son «Réseau zéro», avec la bienveillance
de ses conseillers militaires français) ; le printemps 1994 a connu des « tueries », un « massacre », et seule « l’ethnie rivale » accuse les Hutus de
« génocide » – un terme que le général et ses semblables n’arrivent pas à prononcer ; ce sont les « centaines de milliers d’innocents » hutus qui étaient
menacés, « une fois de plus », et qu’il fallait sauver d’un complot étranger. Un million de Tutsis n’avaient pas seulement été menacés par les alliés
perpétuels de la France, on les exterminait jusqu’au dernier, « femmes et enfants », mais leur génocide reste placé entre parenthèses : après tout, il ne
s’agissait pas « d’innocents », mais d’une « ethnie » dont le portrait se résume à sa soif de « vengeance ».
Il y a dans ce propos un tel himalaya de mépris, des faits et des victimes, que le général paraît totalement incapable d’en prendre conscience. Et ce sont
ces gens-là qui forment nos futurs officiers, qui inspirent les doctrines militaires de notre pays… – FXV]
« Les Belges et les Français avaient des instructeurs et des conseillers techniques au sein même du quartier général des forces
gouvernementales, ainsi que dans les unités d’élite qui sont devenues les unités les plus extrémistes durant le génocide. […] Il est
impossible, selon moi, que ces pays qui connaissent bien l’Afrique n’aient pas disposé de données sur ce qui était en train de se
passer. Ils avaient des attachés militaires, l’ambassade recevait quantité de visiteurs. Et les liens étroits avec le président
Habyarimana, et avec le fils du Président ? De quoi avaient-ils besoin de plus pour savoir ce qui se tramait ? […] Des officiers
français étaient intégrés au sein de la garde présidentielle, qui, depuis des mois, semait la zizanie et empêchait que les modérés
puissent former un gouvernement de réconciliation nationale. » (Général Roméo DALLAIRE, commandant la mission des Nations unies
(MINUAR). Interview à Libération du 07/04/2004).
« L’implication française est beaucoup plus terrible […] puisqu’elle a été un soutien logistique à l’armée du génocide. Il semble que
même après le début du génocide, l’armée française – ou au moins une partie parce que ce n’est pas sûr que cela ait été décidé en
haut lieu – ait continué à fournir des armes aux tueurs.
L’armée française a également installé la «zone Turquoise» […] dans la région ouest du pays pour permettre pendant deux mois,
de mi-juin jusqu’à mi-août, à la communauté hutue de s’échapper et donc de protéger en son sein – toute la communauté n’était pas
meurtrière – des génocidaires qui s’y cachaient. » (Jean HATZFELD, auteur de Dans le nu de la vie et Une saison de machettes (Seuil 2000 et
2003), interviewé par Nouvel Obs.com le 05/04/2004).
[Cette prise de position, certes encore prudente, est d’autant plus remarquable que le journaliste, qui a recueilli deux séries exceptionnelles de
témoignages de victimes et de bourreaux, s’était jusqu’alors abstenu d’évoquer publiquement les responsabilités de son pays. – FXV]
« Nous apportions des éléments précis sur la complicité de la France, de ses militaires notamment, avec les génocidaires. Ainsi,
Yvonne [mon épouse] voulait expliquer aux députés [de la Mission d’information parlementaire de 1998] que dès février 1993, elle subissait
régulièrement des contrôles d’identités "ethniques" effectués par des patrouilles mixtes composées de militaires rwandais et français.
Dans son témoignage, elle donne également des détails sur les instructeurs français en fonction dans les camps d’entraînement des
miliciens du MRND, le parti des extrémistes hutus. Il y a aussi ces viols de femmes tutsies commis en toute impunité par des soldats
français ivres de bière.
[… Ces éléments] ont été censurés. […] Nos témoignages auraient dû figurer dans les annexes du rapport final comme ceux de tous
les témoins entendus par la mission d’enquête. Paul Quilès, son président, s’y est opposé. […] Nous sommes cités comme témoins
dans un passage du rapport, mais notre témoignage est introuvable ! » (Pierre GALINIER, coopérant français au Rwanda en 1994.
Interviewé par France-Soir du 06/04/2004)
[Yvonne, la compagne et future épouse de Pierre Galinier, travaillait pour la Coopération française, mais l’opération Amaryllis d’évacuation des
ressortissants européens entendait l’abandonner aux machettes, ne voulant rapatrier que son compagnon (cf. Billets n°66 bis). Celui-ci a refusé de partir
seul. Tous deux ont été sauvés grâce à des casques bleus belges qui ont accepté de cacher Yvonne dans un de leurs derniers convois vers l’aéroport,
composé principalement de religieux et de commerçants qui avaient dans un premier temps refusé d’être évacués vers l’Europe. France Soir produit le fac
similé de la convocation d’Yvonne Galinier par Bernard Cazeneuve, rapporteur de la Mission parlementaire. – FXV]
« Nous appliquons en fait ce que nos anciens faisaient dans les djebels durant la guerre d’Algérie. » (Un officier français décrivant
l’action des 200 à 250 hommes du Commandement des opérations spéciales (COS) engagés en Afghanistan aux côtés des Américains, sans que
le Parlement en ait été avisé. Cité par Libération du 13/04/2004).
[C’est en Algérie, dans la capitale puis dans les djebels, que les théoriciens de l’armée française ont mis au point la « guerre totale », « révolutionnaire »,
« moderne », « psychologique » qu’ils exporteront ensuite sur d’autres continents avant de la porter à incandescence au Rwanda. Qui a décidé qu’au nom
du peuple français les commandos de ces guerres spéciales iraient combattre en Afghanistan ? – FXV]
« Aujourd’hui, les témoignages se multiplient, montrant par exemple qu’au printemps 1991, donc bien avant le génocide, des militaires français participaient
aux barrages filtrants, aux barrages ethniques où on sortait un Tutsi des voitures, on le livrait aux miliciens et ces miliciens l’exécutaient. Donc des
Français ont assisté à des crimes de guerre, sans rien dire, des militaires français ont conseillé de haut en bas de la hiérarchie toute la chaîne militaire
rwandaise. Comment qualifier toutes ces actions ? » (David Servenay, sur RFI le 08/04/2004).
« Je ne peux pas les qualifier parce que je ne suis pas un juge. Je n’ai ni la mentalité ni le rôle d’un juge, je ne sais pas dans quel
contexte ça s’est passé. » (Hubert VÉDRINE, ancien ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de l’Élysée au moment des faits).
« Alain Juppé parle de soldats perdus… »
« Oui, c’est possible. Il peut y avoir l’hypothèse de soldats perdus, il peut y avoir l’hypothèse de mercenaires, il peut y avoir
l’hypothèse d’une mission qui a été définie de façon un peu généreuse et abstraite et qui a été inapplicable dans ce contexte, je n’en
sais rien, moi. Je ne veux pas répondre à leur place et je n’ai pas été dans la chaîne de commandement militaire. Vous ne pouvez
pas imaginer les responsables français, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui consentent en quoi que ce soit à des connivences
de ce type. Mais ça ne justifie pas qu’on ne rappelle jamais ce qu’était l’objectif de la politique française, qui a clairement hélas
échoué, mais qui avait pour objectif, précisément, d’enrayer le retour de ces massacres. Et d’essayer de surmonter cette question
Tutsi/Hutu. Qui évidemment n’est toujours pas réglée aujourd’hui. »
[Certains ont essayé de la «solutionner» en 1994… Ils étaient les alliés de l’Élysée, dont Hubert Védrine était le majordome. Ce dernier commence à perdre
son sang-froid. Car s’il commence à traiter de « soldats perdus » non seulement ceux qui remettaient des Tutsi aux miliciens découpeurs mais ceux qui
« ont conseillé de haut en bas de la hiérarchie toute la chaîne militaire rwandaise », il s’expose à ce que les officiers impliqués renvoient aux donneurs
d’ordres, les responsables politiques. Déjà, le général Heinrich a ouvert le parapluie quand on l’a questionné sur les livraisons d’armes pendant le
génocide…
Il est intéressant de mettre en parallèle les propos du ministre, apologiste de Mitterrand, et ceux de l’apologiste de l’innocence française au Rwanda,
Stephen Smith, dans Le Monde du 18/04/2004 : si « la France a été "complice" du génocide, […] on ne comprend pas comment la classe politique
française, incriminée dans son ensemble, survivrait à un scandale qui réduit l’attentat contre le Rainbow Warrior ou l’affaire Ben Barka à de simples faits
divers. […] En tant que France unie, pendant quinze ans, gauche et droite confondues dans une même ignominie ? » Stephen Smith comme Hubert
Védrine misent sur l’incrédulité de l’opinion publique : la classe politique française ne pourrait pas avoir couvert des horreurs en Afrique. Malheureusement,
il s’avère qu’elle n’a fait que ça depuis Jules Ferry, dans sa très grande majorité, « gauche et droite confondues ».
Puis Stephen Smith distille une de ces phrases alambiquées dont il a le secret : « En fin de compte, le paradoxe de l’implication et de l’abandon [par la
communauté internationale], tous deux responsables de l’avènement du génocide, se résout dans une évidence : l’engagement de la France auprès de
l’ancien régime ne pouvait éviter le bain de sang qu’à condition que d’autres puissances exercent sur la partie adverse, le FPR et son allié ougandais, le
même type d’"amicales" pressions. À défaut, c’est précisément le caractère amical de cet engagement auprès d’un pouvoir "ethniste" […] qui accable
d’opprobre la France. »
Autrement dit, « l’engagement amical » de la France auprès d’un régime et d’une armée en pleine dérive génocidaire visait à « éviter le bain de sang »
(« enrayer les massacres » selon Hubert Védrine), mais les planificateurs du génocide ont mis leur projet à exécution parce que leurs adversaires n’étaient
pas assez conciliants. Cette curieuse stratégie française de prévention du génocide était jugée si pertinente que l’on a continué à aider amicalement les
auteurs du génocide pendant et après ce dernier. L’on avoue maintenant que cette stratégie a « clairement hélas échoué », tout en trouvant injuste que
cette amitié perpétuée avec le camp du génocide conduise la France à être accablée « d’opprobre ».
Il faut vraiment que l’on veuille user Stephen Smith jusqu’à la corde dans son rôle de vestale de l’inavouable (un peu comme Chirac se sert de Raffarin)
pour l’amener à tester dans Le Monde pareille figure de rhétorique. Le quotidien chef de file de la désinformation sur le génocide en 1994 s’enfonce avec
son négrologue dans une récidive de grand style. FXV]
« [Concernant l’attentat du 6 avril 1994,] je ne peux pas me prononcer sur qui a tiré sur l’avion, moi je dis simplement qu’il n’y a pas eu
d’enquête internationale neutre, impartiale sur l’attentat contre l’avion. Le juge Bruguière, on le sait, a enquêté à la demande des amis
de l’équipage, et depuis le premier jour, il a dit qu’il enquêtait pour démontrer la responsabilité du FPR. Donc il a instruit à charge. Moi je
voudrais un juge d’instruction qui instruise à charge et à décharge, qui explore toutes les pistes. Car il y a la piste qui incrimine le FPR,
mais moi j’ai fait aussi ma modeste enquête, et d’autres pistes s’ouvrent, qui mènent vers les extrémistes hutu. Et on aurait intérêt à
interroger des témoins. Moi j’ai des témoins, qui sont prêts à parler, qui m’ont parlé, mais qui n’ont jamais été interrogés par un juge
d’instruction. Une enquête crédible doit aller dans les deux sens.
[XD : Je constate dans l’article du Monde que ces accusations n’ont rien de nouveau. Il y a quatre ans qu’on les connaît. ] Le seul élément neuf, c’est
qu’un témoin, M. Abdul Ruzibeza, qui dit, “je fais partie du commando, qui a abattu l’avion.” Or j’ai rencontré ce monsieur Ruzibeza moi
même en mai de l’année passée à Kampala, j’ai parlé avec lui, et il ne m’a pas paru crédible. Il martelait des informations qui étaient
contradictoires avec d’autres choses que je savais, c’était un peu embrouillé dans les détails matériels, dans les informations concrètes.
Après, j’ai appris que ce sont les services français, la DGSE, qui l’avaient emmené à Paris, et présenté au juge Bruguière. Donc, il a été
pour le moins orienté. Après, je me suis renseignée pour savoir qui il était exactement, on me dit que c’était un sous-officier, mais il avait
une formation d’infirmier. Et je vois mal que quelqu’un qui a une formation d’infirmier puisse faire partie d’un commando qui abat un
avion avec des missiles, ce qui est un job quand même très spécial. Enfin, il a été condamné au Rwanda pour escroquerie, il a fait
quatre ans de prison, et après ces quatre années de prison, il s’est retrouvé en Ouganda, où il a commencé à dire qu’il faisait partie du
commando qui a abattu l’avion. Donc, au minimum, c’est un témoin douteux. » (Colette Braeckman, interviewée par Xavier Deutchoua,
Mutations (Yaoundé), le 19/04/2004).
[Notre point de vue est très proche de celui de la journaliste belge, spécialiste reconnue de l’Afrique des Grands Lacs : dans l’affaire de l’attentat contre
l’avion d’Habyarimana, l’instruction doit être impartiale, ne doit a priori fermer aucune piste, ne négliger aucun témoin. Ajoutons que nous ne considérons
pas que l’impartialité soit la qualité première du juge français Bruguière... Pour consulter le témoignage de Ruzibeza :
http://www.mdrw.org/amakururw.htm]
« Si six millions d’Israéliens pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens à peine plus
nombreux, le Tibesti fleurirait et une Mésopotamie africaine naîtrait sur les terres fertiles entre le Logone et le Chari. Qu’est-ce à
dire ? Que «les» Africains sont des incapables pauvres d’esprit, des êtres inférieurs ? Sûrement pas. Seulement, leur civilisation
matérielle, leur organisation sociale et leur culture politique constituent des freins au développement […] » (Stephen SMITH dans
Négrologie)
[C’est une des perles trouvées dans un ouvrage qui vient de recevoir le « Prix de l’essai » de France-Télévision. Il faut quand même être bigrement tordu
pour imaginer un échange standard démographique. Voilà une idée qui ne vient pas à n’importe qui. Le raisonnement par hypothèse devient facilement le
plus inepte des raisonnements : avec des « si » on mettrait Paris en bouteille, dit le bon sens populaire. Par exemple « si ma tante avait des roues, ce
serait un autobus ». Admirez également la thèse raciste et sa courageuse dénégation immédiate. « Moi raciste ? Vous rêvez ? » dirait Le Pen. C’est leur
culture qui est inférieure. Ah bon ! Ça, c’est la thèse coloniale. Elle fait toujours aussi mal.
Prenons le risque de poursuivre l’hypothèse tordue du négrologue. Des colons israéliens au Tchad, ça ferait peut-être fleurir le désert. Mais peut-être
aussi que leurs stratèges concluraient à la nécessité de construire un mur pour séparer le Sahara, de détruire les cases et d’arracher les palmiers des
Africains rétifs à cette nécessité stratégique supérieure, jusqu’à les voir devenir fous, leurs enfants lançant des pierres et tombant sous les balles, leurs
jeunes gens transformés en bombes. Le paradis quoi ! Après l’impasse de la raciologie, les tenants de l’inégalité des cultures (négrologues, islamophobes
et autres “civilisateurs”) seront inévitablement amenés à revoir leurs présupposés. – OT]
Démocratie
Premiers signataires : Comi Toulabor (directeur d’études, CEAN, FNSP), Almamy Mamadou Wane (écrivain)
À FLEUR DE PRESSE
Rwanda
Libération, Le silence coupable de la France, 07/04/2004 (Christophe AYAD) : « D’un commun accord, la classe politique française
a décidé de clore le dossier rwandais. Il restera clos, sauf développements judiciaires : des rescapés pourraient poursuivre Agathe
Habyarimana, veuve du Président, qui a joué un rôle essentiel dans la préparation du génocide. Elle vit à Paris, après avoir été
évacuée de Kigali avec ses frères et ses enfants dès le 7 avril 1994 par l’armée française... avant même les ressortissants
français. »
[La voie judiciaire est en effet probablement la seule possible pour rompre la clôture définitive de ce cercle politico-vicieux. Mais Agathe n’est pas la seule
coupable ou complice résidant en France, et il n’y a pas que des Rwandais… ]
www.rfi.fr, Paroles de génocidaires, 07/04/2004 (Monique MAS) : « Dans sa tenue rose de prisonnier, le caporal Jean-Bosco se
souvient que les instructeurs militaires français de l’opération Noroît dispensaient aussi des cours d’histoire du Rwanda pour
compléter leur enseignement : tactique militaire et maniement des nouvelles armes lourdes qu’ils avaient apportées avec eux. C’était
au Centre d’entraînement commando de Bigogwe, au nord du pays, en 1991. « […] Dans les premiers mois de 1991, j’ai dû
participer au massacre des Bagogwe », une communauté très pauvre installée dans la région de Bigogwe et apparentée aux Tutsi.
[…]
Officiellement, une quinzaine d’officiers français seraient restés au Rwanda, le temps de fermer les bureaux de l’opération Noroît,
en décembre 1993. À la prison de Cyangugu, l’ancien caporal des FAR [Forces armées rwandaises] assure que des officiers et des
hommes du rang sont restés. Pour sa part, il ne croit pas que le 6 avril 1994, le FPR ait pu s’infiltrer dans le quartier de Masaka d’où
a été tiré le missile qui a abattu l’avion du président Habyarimana, au-dessus de la zone militaire aéroportuaire de Kanombe abritant
la résidence présidentielle. « […] Masaka était une position gouvernementale. […] Dans une cour de Masaka, il y avait un camp
d’entraînement interhahamwe. Il y avait aussi une position française bien connue ». […] Le caporal a également trouvé étonnant que,
sitôt l’avion tombé, « les GP [Garde Présidentielle] et les Français se sont précipités à Kanombe au lieu d’aller voir ce qui se passait à
Masaka ». […]
Le chauffeur Abed servait le responsable local des Interahamwe, le farouche «Tarek Aziz». D’après lui, ce dernier aurait reçu un
paquet de grenades offert par les militaires français de l’opération Turquoise, accueillis par les FAR au passage de la rivière Ruzizi,
entre Zaïre et Rwanda. Selon le caporal Jean-Bosco, ce sont les soldats français de l’opération Turquoise qui ont suggéré aux FAR
de se replier au Zaïre pour préparer la revanche, avec leur aide. Ils les auraient aidés à vider la région pour que le FPR n’y trouve
rien. Selon ses dires, ils leur auraient aussi appris «à ouvrir le ventre des cadavres pour les empêcher de remonter à la surface de
l’eau où on les jetait». »
www.rfi.fr, De Muhazi à Cyangugu, en passant par Kibuye, 06/04/2004 (Monique MAS) : « A Bisesero, «les soldats français ont dit
aux survivants qu’ils ne pouvaient laisser personne pour assurer leur sécurité. Le Tutsi Eric leur avait expliqué qu’ils étaient environ
400 dans les trous environnants, mais qu’il y en avait beaucoup plus encore cachés dans la forêt. Le chef français qui était
accompagné d’un soldat français noir lui a dit de rassembler tout le monde avant leur retour et il est parti voir le bourgmestre »,
raconte un détenu de la prison de Cyangugu (au sud du lac Kivu). Il assure avoir assisté lui-même à cette rencontre. Un autre,
ancien milicien Interahamwe, se déclare prêt à rapporter devant la justice ce qu’il sait du soutien en conseils, en grenades et en fusils
apportés par des militaires français aux nervis du génocide. Un secret de Polichinelle, selon un ex-caporal des FAR qui décrit par le
menu, égrenant un chapelet de dates, l’engagement militaire français aux côtés de l’armée du général Habyarimana puis des troupes
des ordonnateurs du génocide. «Ce que je dis est sûr», s’agace le caporal qui affirme pouvoir témoigner d’une présence militaire
française active après le départ des soldats de l’opération Noroît, fin 1993, mais aussi après le 6 avril 1994, à Kigali, dans la zone
Turquoise et jusqu’au Zaïre, après le 17 juillet. »
[Ces reportages de Monique Mas viennent confirmer ceux recueillis par le cinéaste Georges Kapler pour la Commission d’enquête citoyenne. Le caporal se
dit prêt à répéter ses propos devant la justice : il ne reste plus qu’à la mettre en branle ! Si elle peut être confortée, l’affirmation d’une présence militaire
française à Kigali au-delà du 6 avril 1994, pendant le génocide, est particulièrement instructive. La plupart des spécialistes se demandent en effet comment
les FAR, en déroute l’année précédente avant d’être reprises en main par les Français, ont pu tenir seules près de trois mois une partie de la capitale face
aux attaques des soldats du FPR, dont on était en train de massacrer les familles. – FXV]
Le Canard enchaîné, Chirac se met en quatre pour un policier congolais, 07/04/2004 (Jérôme CANARD) : « Un tribunal siégeant en
pleine nuit, deux chefs d’État pendus au téléphone, trois ministres sur le pied de guerre, ce sont quelques-unes des péripéties qui ont
entouré l’arrestation en France, le 1 er avril, d’un flic congolais de haut rang.
Ce jour-là, Jean-François Ndenguet, directeur de la police nationale de la République du Congo (Brazzaville), en visite privée dans
l’Hexagone, est arrêté à Paris et placé en garde à vue. Motif : il est directement impliqué dans les tortures et le massacre de 353
réfugiés, en mai 1999, à l’intérieur du port de Brazzaville. [Cf. communiqué de la FIDH, Billets n° 124] […]
Le juge de Meaux Jean Gervillié […] tient bon : aucune immunité diplomatique ne peut être invoquée. [… Malgré un document en sens
contraire envoyé par le Quai d’Orsay, il] expédie l’«immunisé» à la Santé, après l’avoir mis en examen pour crime contre l’humanité. C’est
la crise : dans la soirée, Denis Sassou Nguesso, président du Congo, téléphone à Chirac puis à Villepin. […] Sassou en appelle à
l’amitié de son collègue Chirac. […] Puis viennent les menaces : que dirait-on, grince, en substance, le président africain, si je faisais
arrêter l’attaché militaire de l’ambassade de France ? Ou si je menaçais les intérêts de Total et ses dirigeants sur place ? Ce
chantage […] emporte-t-il la décision ? Toujours est-il que Chirac, avant de s’envoler pour Moscou, demande à Villepin de régler la
question. Résultat : le 3 avril, à 2 heures du matin, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, réunie en catastrophe,
décide – sans motiver son jugement – de libérer le captif. À 4 heures, Ndenguet quitte la Santé.
Bilan : des droits de l’Homme bafoués dans l’indifférence, une parodie de justice, des relents pétroliers, des connivences
présidentielles et l’impunité pour tous. Encore une belle parabole sur les liens si étroits qui nous unissent à certaines «démocraties»
africaines. »
[Ou bien le chantage a eu lieu, ou l’Élysée l’a inventé comme une excuse : dans les deux cas, ce n’est pas très glorieux, et ça va donner de mauvaises
pensées à beaucoup.]
La Tribune, Optimisation fiscale tous azimuts, 26/03/2004 (Jean-Philippe LACOUR) : « En 2003, la Société Générale a intégré dans
ses comptes une nouvelle société financière répondant au doux nom de «Turquoise», immatriculée aux îles Caïmans. BNP Paribas
en a fait de même pour sept entités […].
La banque indique qu’il s’agit de special purpose vehicles (entités ad hoc) proposant à une clientèle d’investisseurs institutionnels
des contrats sur actions à capital garanti. [… Selon René Ricol, président de la Fédération internationale des experts-comptables, ce sont les
entreprises qui sont demandeuses,] «[…] La vraie raison est que cela leur permet de faire de l’optimisation fiscale». […]
Quant aux grands réseaux d’audit, ils ont installé des plates-formes dans de nombreuses places offshore. Un indice qui laisse
penser que les multinationales s’y impliquent fortement. »
[Ce même 26 mars, notre Commission d’enquête citoyenne examinait l’opération Turquoise, un voile jeté sur la complicité française dans le génocide d’un
million de Tutsi en 1994 au Rwanda... L’aspect financier de cette complicité, passant notamment par la Banque de France et la BNP, a eu évidemment
recours aux paradis fiscaux, dont la Suisse. Ces paradis ne servent pas seulement à étrangler la prestation de biens publics (« l’optimisation fiscale »), ils
peuvent aussi permettre de financer l’inavouable.
Dans cette même page de La Tribune, on apprend que la Commission européenne, alertée par le scandale Parmalat, prépare une directive de
modification des normes comptables pour obliger les entreprises à déclarer les risques encourus dans les paradis fiscaux. Un début de réaction très
modeste contre l’essor de ces mondes sans loi : selon le journaliste J.-P. Lacour, « aucun gouvernement des pays développés ne veut prendre des actions
vigoureuses à leur encontre ». Et pourquoi donc ? – FXV]
Françafrique
Le Nouvel Observateur, Côte d’Ivoire Le pays de la peur, 29/04/2004 (Robert MARMOZ) : «A Abidjan, Guy-André Kieffer était
devenu la bête noire du pouvoir. Journaliste bien introduit dans les cercles dirigeants, il connaissait de l’intérieur les dérives de
l’entourage du président Gbagbo. Sa disparition depuis le 16 avril alourdit encore le climat qui règne dans le pays. […]
Guy-André est inquiet. Nous sommes quelques jours après le 25 mars. Ce jeudi noir qui a vu les «forces de l’ordre» réprimer dans
le sang la «marche pacifique» des opposants au président Gbagbo. […] La position pour le moins très modérée de la France, qui
partage la responsabilité des tueries entre les manifestants qui ont maintenu leur marche et le pouvoir qui l’a réprimée avec
sauvagerie, indigne Guy-André. Imprégné de convictions tiers-mondistes, cet ancien gauchiste franco-canadien, ingénieur
agronome-journaliste pendant dix-huit ans à La Tribune à Paris, […] était venu, au début des années 2000, mettre ses compétences
au service d’un pays dirigé par Laurent Gbagbo, un socialiste qui sortait de trente ans passés dans l’opposition. Mais le journaliste va
perdre très vite ses illusions.
De l’intérieur du régime, il assiste à la rapide dégradation des principes dont se targue l’équipe dirigeante, à commencer par les
proches du président : «Tout se passe comme si la plupart d’entre eux savaient qu’ils n’allaient pas rester très longtemps aux
affaires. Alors ils siphonnent tout l’argent public qu’ils peuvent, remplissent leurs comptes en banque personnels. Pour gagner du
temps, ils financent des milices de prétendus "jeunes patriotes", des gamins désœuvrés, excités par les discours xénophobes, prêts
à tout pour un peu d’argent.» Idéaliste, toujours fauché, Guy-André Kieffer n’a jamais cessé d’enquêter pour la Lettre du Continent,
ou de dénoncer sous pseudonyme dans la presse locale les malversations les plus graves. Et à table, ce soir-là, il précise ses
craintes : «Si la communauté internationale n’agit pas après ce massacre, le clan présidentiel sera assuré de son impunité et
continuera de faire régner la peur. Et il faudra que je fasse attention : ici, on peut encore critiquer la politique des hommes du
pouvoir. Mais dès qu’on s’intéresse à leurs affaires, à l’argent, attention, il peuvent devenir très méchants. » Quelques jours après
cette rencontre, [… le] vendredi 16 avril, il «disparaît». Un journaliste le croise sur le parking d’un centre commercial, aux environs de
13 heures. Guy-André lui dit qu’il a rendez-vous avec un de ses contacts : on apprendra qu’il s’agit d’un familier de la présidence et
du ministre de l’Économie. Et puis. plus rien. […]
Il semblerait acquis que le journaliste a été enlevé, puis longuement torturé avant qu’il ne décède. Sur l’identité du ou des
commanditaires, les avis sont partagés. Mais ils convergent tous vers des proches de la présidence. Et en particulier vers ceux du
ministre de l’Économie, Bohoun Bouabré, dont l’enrichissement vertigineux avait depuis longtemps éveillé la curiosité de Guy-André.
[…] La réaction française n’a pas été aussi rapide et ferme qu’en octobre dernier, lors de l’assassinat de Jean Hélène, le
correspondant de RFI, par un policier qui a depuis été condamné. Cet atermoiement a sans doute des raisons politiques : la mise en
cause de proches de Laurent Gbagbo pourrait contrarier une diplomatie qui considère toujours le président ivoirien comme le garant
des institutions. Cette disparition n’a pas contribué à rassurer les correspondants de la presse occidentale encore en poste à
Abidjan. Ils ne sont d’ailleurs plus très nombreux. [… Ils sont souvent menacés.] Ce climat d’insécurité permanente et ces menaces
finissent par porter leurs fruits : les projecteurs de l’information s’éteignent peu à peu […].
Si bien que la suite de la crise ivoirienne – certains observateurs évoquent même le risque d’un scénario tragique « à la
rwandaise » – pourrait se jouer hors du regard de la « presse internationale », vilipendée par les partisans de Laurent Gbagbo. Ce
fut déjà le cas lors de la marche du 25 mars et de la répression qui a suivi pendant trois jours et trois nuits. Impossible alors pour un
journaliste «blanc» de couvrir les événements. Quant aux journalistes de la presse d’opposition, les «corps habillés» leur ont réservé
le même traitement qu’aux manifestants : coups, humiliations, déshabillage forcé, confiscation d’argent et de tout matériel, menaces
de viols pour les femmes. Le samedi suivant la marche, l’équipe de France 2 et celle de l’AFP ont été contraintes de battre en
retraite alors qu’elles accompagnaient des représentants de l’ONU à la recherche d’un éventuel charnier. Pour réaliser l’étendue et la
sauvagerie de la répression, il faudra accompagner, quelques jours plus tard, les rares défenseurs des droits de l’Homme dans les
quartiers populaires d’Abobo, Anyama, Adjamé ou Yopougon. Des quartiers où se concentre la population d’ethnie dioula, originaire
du nord du pays et suspectée de soutenir les «rebelles». […] On prend vite conscience de l’ampleur de la répression. Il suffit de
pénétrer dans une de ces cours où s’entassent cinquante personnes, de pousser la porte d’une de ces habitations étouffantes
constituées d’une pièce unique pour découvrir un blessé. Ils n’osent même pas se faire soigner à l’hôpital. […] Leur terreur est là :
les milices, ces mouvements de «jeunes patriotes» […] composées de voisins des quartiers proches.
La jambe tailladée par des coups de machette, la tête recouverte d’un pansement, Sidiki est l’un de ces nombreux blessés. Il a la
fièvre, la septicémie le guette malgré les remèdes «traditionnels». Il raconte, nerveusement : «[…] Dans la rue, j’ai croisé un groupe
de voisins, des jeunes Bétés. Je les ai reconnus même s’ils s’étaient passé du kaolin sur le visage. Ils m’ont demandé mes papiers,
puis, sans attendre, ils m’ont frappé à coups de bois et de machettes.» Une voisine l’a découvert, en sang, presque mort. Sidiki
survivra. Il a eu plus de chances que ces manifestants d’Abobo qui ont tenté de se regrouper vers 9 heures, sur le rond-point en face
de la mairie. Sirah, une jeune femme, était là : «Nous commencions à être nombreux. […] Un camion militaire est arrivé, ses
occupants étaient en uniformes. Ils ont commencé à tirer à balles réelles, nous levions nos mains nues. Les corps tombaient. On les
emmenait sur des charrettes à l’hôpital. Là, les gendarmes sont arrivés : ils cherchaient des blessés pour les achever. Je me suis
jetée au sol, allongée à côté de trois cadavres. Ils ne m’ont pas trouvée. » […] Partout, les récits s’enchaînent, similaires. Impossible
d’établir une comptabilité des morts, l’accès aux morgues est refusé aux journalistes. Selon le Mouvement ivoirien des Droits de
l’Homme (MIDH), un des indicateurs les plus fiables – donc souvent menacé – il y aurait eu environ 200 victimes. […] Mais tous les
témoignages disent la même chose : le fossé qui se creuse entre les gens du Nord et les supporters de Gbagbo, l’incompréhension
et la peur. L’incompréhension devant la passivité des militaires de la communauté internationale, Français et Africains de l’Ouest.
[…]
La communauté internationale ne peut plus ignorer désormais les extrémités auxquelles sont résolus les partisans du président
Gbagbo pour conserver le pouvoir. La brutalité du régime a pour conséquence d’accélérer l’alliance des opposants qui se déchiraient
jusqu’ici. […] La réconciliation nationale sous-tendue par les accords de Marcoussis paraît donc très mal en point. Et l’élection
présidentielle prévue à son terme, en 2005, semble pour le moment une douce chimère. Or la France s’accroche toujours à un
processus qui implique le soutien aux autorités élues. «Si on enlève Marcoussis, on met quoi à la place ?, s’interroge un diplomate
français. En dépit des épisodes éruptifs de cette crise rampante, nous avons quand même jusqu’à présent pu éviter le chaos et le
scénario rwandais.» Pour combien de temps ? »
Libération, Neuf pays au chevet du fleuve Niger, 27/04/2004 (Christophe AYAD) : « Les présidents du Niger, du Bénin, du Burkina
Faso, du Cameroun, du Mali, du Nigeria, du Tchad, le Premier ministre de Guinée et un ministre d’État de Côte-d’Ivoire ont signé la
«Déclaration de Paris» qui fixe des principes de «bonne gouvernance pour un développement durable et partagé du bassin du
Niger» et appelle à la mobilisation pour sauver le fleuve. «Le Niger est une richesse essentielle pour cette région de l’Afrique. On doit
la traiter avec précaution, sagesse et respect», a déclaré le président français, qui n’aime rien tant que ces grands raouts où
personne ne vient lui contester son leadership de vieux sage et de «père de famille» (africaine). »
[Faut-il que les chefs d’État africains soient «distraits» des aspirations de leurs peuples pour venir conforter dans son « leadership » escroqué de sagesse
et de bienveillance celui qui depuis trois décennies contribue à l’oppression et la ruine des peuples en question. Un exemple parmi tant d’autres : le fleuve
Niger est effectivement en danger, la Françafrique a pillé la région de son coton, son uranium, son cacao, son bois, son pétrole… pour des dizaines de
milliards d’euros. Au nom de la France, Chirac offre pour contribuer à sauver le fleuve Niger 10 millions d’euros, soit 40 secondes de la production
française, ou 2 400 euros par kilomètre…
La creuse « Déclaration de Paris » sur le bassin du Niger est destinée aussi à faire oublier celle, beaucoup plus dérangeante, contre la grande corruption.
Outre l’image de Jacques Chirac, les principaux bénéficiaires de ce raout sont les dictateurs camerounais, tchadien et burkinabè, qui viennent conforter la
reconduction sans vagues de leurs démocratures lors des prochains scrutins présidentiels. Il est temps qu’une nuée de griots africains trouvent le moyen
de faire sombrer dans le ridicule ces odes ventriotes à la « bonne gouvernance ». – FXV]
Le Nouvel Observateur, Docteur Dominique et Mister Villepin, 08/04/2004 (Hervé ALGALARRONDO) : « Chirac a enfin accédé au
vœu le plus cher de Villepin, à son seul et unique désir, devenir ministre de l’Intérieur. Il en rêvait déjà en 2002, ce rêve est devenu
réalité en 2004. Car il y a deux Villepin. Le premier est un grand oiseau au verbe gaullien […]. Ce Villepin-là a largement séduit
depuis 2002, y compris à gauche, par sa prestance. Mais il y a un second Villepin : un prédateur obsédé par les affaires de basse
police, un bureaucrate qui accumule les dossiers sur les rivaux et les adversaires de Chirac. Le poète diplomate cache un flic très
prosaïque : le nouveau ministre de l’Intérieur n’a cure des phénomènes liés à l’insécurité. D’une manière générale, il se soucie
comme d’une guigne des problèmes des Français «d’en bas». Seul l’intéresse le renseignement sur les Français «d’en haut», ceux
qui menacent le pouvoir de son clan. Rien n’est plus éclairant à cet égard que le portrait – très complaisant – qu’il trace de Fouché, le
ministre de la Police de Napoléon, dans [… le livre qu’il a publié en 2002 chez Perrin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice]. Pour en revenir à
des références gaullistes, Villepin n’est pas le Couve de Murville de Chirac, c’est son Foccart.
[…] Son vrai ressort : connaître les failles des hommes, afin d’avoir barre sur eux. Son expression favorite à propos de ceux qui se
mettent en travers de la route de Chirac : «Tous ces petits messieurs ont le cul sale.» »
[Cela confirme que le chantage prend de plus en plus de place dans notre «République». « Le cul sale », c’est par exemple des comptes bien garnis dans
les paradis fiscaux. Les fortunes mal acquises de certains de nos leaders politiques, notamment ceux qui sont branchés sur les circuits françafricains,
échappent à l’information du citoyen, pas à celle des services de renseignement, sur lesquels DDV est plus branché que jamais. – FXV]
LIRE
François-Xavier Verschave et Philippe Hauser
Association Survie, 210 rue Saint–Martin, F75003–Paris – Commission paritaire n° 76019 – Dépôt légal : mai 2004 - ISSN 1155-1666
Imprimé par nos soins – Abonnement : 20€ (Étranger : 25€ ; Faible revenu : 16€)
Tél. (33 ou 0)1 44 61 03 25 - Fax (33 ou 0)1 44 61 03 20 - http://www.survie-france.org - survie@wanadoo.fr
BILLETS D'AFRIQUE
et d'ailleurs...
126 - juin 2004
Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines
La fin des empires ne vient pas seulement de la révolte des peuples assujettis, elle surgit aussi, chez les dominants, d’un
mélange détonant de paresse intellectuelle et d’orgueil démesuré – une outrance (l’ hubris des Grecs) qui elle-même
stimule la révolte. Nous, Français, observons et comprenons aisément, quotidiennement, cet engrenage dialectique qui, en
Irak, va réduire en cendres les ambitions des néo-impérialistes américains. On les appelle aussi « néo-conservateurs », ou
« néo-cons », et cela dit assez bien la débilité de leur effort d’intelligence du monde, lesté de trop de suffisance.
L’hyperpuissance américaine n’en sortira pas indemne.
Jacques Chirac et Dominique de Villepin jubilent : ils l’avaient bien dit. Et les Français, ma foi, en tirent une certaine
vanité. Ce sentiment pourrait être très passager. Il nous est beaucoup plus facile de voir la paille dans l’œil des Yankees
que la poutre dans le nôtre. D’autant que, sur les sujets qui fâchent vraiment – la mise en cause du noyau militaro-politico-
industriel –, les médias américains ont, depuis 1945, sorti beaucoup plus de choses que les nôtres. Nos médias ne nous
ont encore pratiquement rien décrit de la gravissime complicité française dans le génocide d’un million de Tutsi au
Rwanda, en 1994 – ils commencent seulement à l’évoquer, en termes très généraux. Ils n’ont rien exposé, ou si peu, des
crimes et désastres générés par quatre décennies de dictatures et de prédation françafricaines.
Il n’y a pas que l’impérialisme américain, il y a le nôtre, subalterne mais réel. N’en déplaise aux souverainistes, il est tout
aussi malfaisant, condamnable et condamné. Plus notre suffisance historique en retardera la conscience, plus le réveil sera
brutal. Il pourrait être infligé en Côte d’Ivoire.
Ce pays a été le cœur de la Françafrique, comme Houphouët était au cœur du réseau Foccart. Tout cela se donnait une
allure plutôt bonhomme, mais les opposants, parmi lesquels a longtemps figuré Laurent Gbagbo, ont connu la répression,
l’emprisonnement, le massacre (exceptionnel, il est vrai). Pour prolonger son règne, Houphouët a aiguisé les antagonismes
entre ses successeurs potentiels. Et il leur a laissé des finances en ruines. Gbagbo, son irréductible opposant, incarnait
une dynamique anti-impérialiste qui dépassait les clivages régionaux. Il l’a troquée en 1992 pour une mobilisation
identitaire, l’ivoirité, et a laissé une frange de ses partisans dériver vers une sorte de « national-socialisme ». La doctrine
originale avait prospéré, elle aussi, dans un pays malade.
Gbagbo se serait accommodé de la Françafrique si elle l’avait laissé tranquille. Mais Chirac, Sarkozy, Bouygues et tutti
quanti pensaient paresseusement que la Côte d’Ivoire devait rester leur propriété. Ils ont profité des excès de certains fans
de Gbagbo pour favoriser une guerre civile.
Puis les apprentis-sorciers ont constaté les dégâts : un pays rendu ingouvernable, une équation politique quasi-
impossible. Le jusqu’au-boutisme des uns et des autres aidant, et leur irresponsabilité, la reprise de la guerre devient de
plus en plus menaçante. Une guerre qui pourrait, de proche en proche, embraser toute la région.
Gbagbo ne veut pas renoncer à une stratégie discriminatoire en contradiction avec les convictions panafricaines des
pères de l’indépendance (et en cela il chausse les bottes d’Houphouët). Mais en même temps il a compris que la rhétorique
anti-françafricaine répondait à une aspiration profonde. Comme souvent dans l’histoire, une revendication souhaitable est
portée par des leaders peu recommandables. C’est comme ça : la Françafrique a cassé ou assassiné les meilleurs.
Dès lors, la position de l’armée et des ressortissants français pourrait devenir rapidement intenable. On en est à un stade
de tension où tout peut s’enclencher sans même que quelqu’un l’ait vraiment décidé : accrochages, embuscades, bavures,
attentats, pogroms, « fureur populaire »… Les mèches et les explosifs surabondent, de part et d’autre. Le scénario irakien
peut se rejouer très bientôt en Côte d’Ivoire, avec les Français dans le rôle des Américains. L’Élysée l’a si bien compris
qu’il envoie à la tête des 4 000 hommes de l’opération Licorne le patron du Commandement des opérations spéciales
(COS), le général Poncet, qui dirigea la sinistre opération Amaryllis au Rwanda en avril 1994 : l’« évacuation de nos
ressortissants »… dans la déroute et le déshonneur.
Le souvenir est cruel, car si la Françafrique a été défaite au Rwanda, les Rwandais ont payé très cher le manque de
détermination africaine à enrayer le génocide – il vaut mieux ne pas trop compter sur la réactivité de l’ONU. Cette fois, les
Africains sont prévenus : ils pourraient avoir à faire face rapidement à une crise majeure. La France pourrait se voir
contrainte de cesser sa tutelle militaire, ce qu’elle aurait dû faire dès 1962. Ceux qui militent pour l’émancipation de
l’Afrique ne peuvent envisager ce résultat, qu’ils souhaitaient, sans anticiper les responsabilités qui s’en suivront. La
plupart de ces militants ne sont pas au pouvoir, mais leur influence sur l’opinion pourrait, le moment venu, obliger leurs
gouvernements à ne pas se contenter de compter les victimes.
François-Xavier Verschave
SALVES
Coup d’État ou coup de bluff ?
Dans la nuit du 16 au 17 mai, une insurrection aurait éclaté dans la capitale tchadienne N’Djaména, menée par des officiers des
corps de la Garde républicaine, de la garde rapprochée du président Déby et de la Garde nomade et nationale tchadienne (GNNT).
Affirmant en un premier temps qu’il s’agissait d’une manifestation de mécontentement due à des sanctions réprimant des
malversations financières au sein de l’Armée nationale tchadienne (ANT), le gouvernement tchadien a fini par concéder que la
situation n’avait rien de si anodin. Le 19 mai, le président Déby a déclaré que l’objectif des insurgés était de l’assassiner, attribuant
cette intention à des officiers « fanatiques et manipulés ».
Depuis lors, la majorité des observateurs s’accordent pour identifier les insurgés dans l’entourage immédiat d’Idriss Déby. Il
s’agirait de militaires de la tribu tchado-soudanaise des Zaghawa, à laquelle est apparenté le clan Bideyat du Président. Selon
certaines sources, même des Bideyat feraient partie du noyau central de l’insurrection. Pour le site tchadien Alwihda 1, « tous les
indices montrent que le président tchadien se trouve désormais abandonné par les siens. » Toujours selon Alwihda, toutes les
compagnies de l’ANT sauf la 4 ème se sont insurgées et soutiennent le départ du Président ; les militaires brièvement mis en état
d’arrestation auraient tous été relâchés, les négociations entre belligérants se déroulant à l’intérieur du clan.
Selon le journaliste Pierre Prier 2, les putschistes veulent « que le président s’implique sans ambiguïté dans la crise du Darfour. [...]
Le clan du président, mené par l’un de ses frères, lui reproche depuis le début du conflit sa position d’arbitre. Les forces tchadiennes
auraient d’ailleurs déjà commencé à aider les rebelles Zaghawas soudanais en leur ouvrant leurs magasins d’armes. Avec ou sans
l’aval du président ? Toujours est-il qu’hier, les putschistes exigeaient l’envoi d’une force tchadienne au Darfour, pour voler au
secours des villages zaghawas ravagés par les milices gouvernementales soudanaises. »
Pour sa part, l’International Crisis Group (ICG) 3 met en question « le rôle du Tchad dans les négociations au cours du dernier
trimestre de 2003 entre Khartoum » et la rébellion. Ce rôle « a été erroné et contre-productif, car le Tchad a continuellement
manipulé le processus afin de satisfaire la demande de Khartoum d’aborder la crise en tant que problème de sécurité intérieure, sans
signification politique. »
Le journaliste Christophe Ayad 4 écrit : « À la demande de Paris, le président tchadien s’est beaucoup impliqué dans une tentative
de médiation au Darfour. » Est-ce à dire que la France aurait donné des conseils « erronés et contre-productifs » ? Pour ménager un
accès au pétrole soudanais ? Christophe Ayad en reste à la version géopolitique traditionnelle : « Le ministre de la Coopération,
Xavier Darcos, qui se rendra à N’Djaména la semaine prochaine, est chargé de l’assurer du soutien indéfectible de Paris… et
d’essayer par la même occasion de juger de la solidité du pion tchadien dans une zone instable, en proie à l’islamisme et à tous les
trafics. »
Des associations de défense des droits de l’Homme, jointes à N’Djaména le 17 mai, estimaient que le projet du président Déby de
modifier la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat allait ouvrir une crise sanglante au Tchad. Ces associations
doutaient de la réalité de l’insurrection, soupçonnant une mise en scène destinée à justifier la répression de toute forme de
contestation des populations. Le 20 mai, leur collectif (le CADH) a publié un communiqué 5 explicite : « Une fois de plus, des
manœuvres orchestrées de toutes pièces sont mises en place pour endormir l’opinion et occulter les graves problèmes auxquels le
pays est confronté. [...] Au moment où le peuple tchadien attend le vote de principe de la révision de la Constitution pour instituer une
présidence à vie d’Idriss Déby, le pouvoir et ses courtisans mettent en place des scénarios pour détourner l’opinion, intimider les
populations. »
Quant à «l’indéfectible soutien» que Paris manifeste à l’égard d’un dictateur abhorré, ces associations seraient fort aise qu’il y soit
mis fin. Une source bien informée affirme que des éléments de la garde présidentielle sont omniprésents dans la capitale tchadienne,
où des chars circulent sans arrêt. Il en serait de même à Moundou, dans le Sud du pays.
Pendant ce temps, il y a au moins une certitude : la purification ethnique au Darfur poursuit son cours. [SC]
1. www.alwihdainfo.com
2. Le Figaro, 19/05/2004, Tchad : le président Déby en difficulté.
3. Témoignage de John Pendergast devant le comité des relations internationales de la Chambre des représentants américaine, 06/05/2004 : Nettoyage
ethnique au Darfur, un nouveau front s’ouvre dans la guerre sanglante au Soudan. Traduction de l’anglais par nos soins.
4. Libération, 19/05/2004, Tentative de coup d’État maîtrisée au Tchad.
5. AFP 20/05/2004 : Un collectif d’associations s’interroge sur la réalité de la crise.
Bis repetita ?
Nettement mieux armées que par le passé, les forces combattantes rwandaises liées à la mouvance responsable du génocide des
Tutsi semblent adopter des postures de plus en plus menaçantes, notamment dans le Nord-Kivu. Selon des sources à Goma, le
nombre de ces forces encore en activité dans la République Démocratique du Congo (RDC) serait le double des estimations
avancées par l’ONU : soit plus près de 20 000 que de 10 000. Elles seraient observées par les forces de l’ONU (la MONUC), mais
guère empêchées. Selon ces mêmes sources, les récents affrontements entre certaines de ces forces et des militaires de l’armée de
la RDC dans les environs de Goma (Nord-Kivu) ne seraient pas de nature à les décourager. Bref, du côté de Goma, règne
l’inquiétude.
De son côté, le Rwanda ne fait pas mystère de ses intentions : ou la RDC et la MONUC interviennent pour « empêcher les forces
extrémistes d’attaquer », ou il s’en occupera lui même. Bis repetita ? Installé dans le Kivu en 1994 par une communauté
internationale insensée – l’opération Turquoise en tête d’affiche –, ce conflit en extension de la guerre civile au Rwanda et du
génocide a eu un coût astronomique. Comment se fait-il que ce «problème» reste en suspens, comme s’il n’était pas un élément
majeur dans l’inextricable maquis régional ? Ne serait-ce pas une priorité de couper ses protagonistes de leurs moyens de nuire, et
d’identifier ceux qui les leur fournissent ? [SC]
1994, alliance franco-rwandaise
Le colonel de gendarmerie Bernard Cussac, l’un des pivots de l’alliance de la France avec le Hutu Power rwandais depuis mi-
juillet 1991 en tant que « chef de la mission d’assistance militaire à la République du Rwanda, attaché de défense auprès de
l’ambassade de France à Kigali », est censé ne plus avoir été là pendant le génocide commencé le 7 avril 1994. Comme l’ensemble
de l’armée française : elle prétend être partie fin 1993, sauf quelques dizaines de militaires rembarqués à la fin de l’opération
Amaryllis (14 avril 1994), venue évacuer « les ressortissants français ».
Or, le 26 juillet 1996, le colonel Cussac a gagné en Conseil d’État (arrêt n° 165521) une requête contre l’État français. Celui-ci a
été condamné à lui verser (plus les intérêts) « une somme de 900 000 F correspondant à la différence entre l’indemnité de résidence
qu’il a perçue lorsqu’il était attaché de défense au Rwanda du 15 juillet 1991 au 12 juillet 1994 et celle qu’il aurait dû percevoir en
cette qualité ». Que faisait-il, en « résidence » au Rwanda, dûment constatée et facturée par le Conseil d’État, pendant toute la
durée du génocide ? Mieux, il a prouvé, à l’appui de sa requête, « qu’il a exercé ces fonctions » de chef de la mission d’assistance
militaire et attaché de défense jusqu’au « 9 octobre 1994 ». La mission d’information parlementaire s’est bien gardée de l’interroger
sur ces fonctions prolongées… [FXV]
Justice bâillonnée
Nous avons déjà évoqué (n° 124 et 125) la scandaleuse exfiltration d’un présumé criminel contre l’humanité brazzavillois, le patron
de la police congolaise Jean-François Ndenguet, avec la complicité d’une haute magistrate requise en pleine nuit. La Lettre du
Continent du 20 mai apporte quelques précisions édifiantes. Elle confirme le chantage : Denis Sassou Nguesso « menaçait de s’en
prendre à l’attaché militaire de l’ambassade de France ainsi qu’aux intérêts de Total ! Juste au moment où la compagnie pétrolière
française venait de s’allier à Maurel & Prom (Jean-François Hénin) pour exploiter un nouveau champ onshore (Mboundi) jugé très
"prometteur". »
Le dossier a été traité en direct « par le tout nouveau ministre de l’intérieur Dominique de Villepin, qui venait à peine de quitter le
Quai d’Orsay. À son habitude, il l’avait géré à grands coups de gueule. Tout le monde en avait pris pour son grade, y compris Patrick
Hubert, le directeur de cabinet du ministre de la Justice, Dominique Perben qui avait été remplacé par Laurent Le Mesle, auparavant
conseiller à la justice de l’Élysée. » Disons plutôt le conseiller à l’injustice, étant donné que sa principale occupation était d’éviter que
la justice ne sévisse contre les innombrables crimes et délits de la Chiraquie et de la Françafrique, intimement liées. Ou de faire
libérer au plus tôt les complices quand on n’a pu éviter leur procès.
Villepin et Sassou, cependant, n’entendent pas en rester là. Ils veulent «purger» définitivement l’affaire des 353 «disparus» du
Beach (nettement plus nombreux, en réalité, à avoir été abattus en 1999 au bord du Palais présidentiel). D’un côté, Sassou
organiserait « avant la fin de l’année un "mbongui", genre de réunion solennelle avec toutes les composantes de la société civile "afin
de solder une fois pour toutes les méfaits de la guerre civile et promouvoir une véritable réconciliation ". » En attendant, il « a nommé
le 23 avril dernier – en remplacement de Patrice Nzouala (décédé en novembre 2003), un nouveau doyen des juges d’instruction –
Benjamin Stéphane Ngombé, qui devra "nationaliser" ce procès et désigner quelques coupables. »
« En contrepartie, il a demandé aux "amis" à Paris de suspendre toutes les poursuites judiciaires en France contre ses barons
concernés par "l’affaire". Aussitôt dit, aussitôt fait. L’instruction ouverte en 2001 par le tribunal de Meaux a été suspendue début mai
sur ordre du procureur de la République, et le dossier est actuellement en attente au tribunal de Paris qui doit statuer sur cette
requête, ce qui peut durer de longs mois… Le juge de Meaux Jean Gervillié a par ailleurs été dessaisi du dossier et affecté à la
chambre d’instruction de Bobigny (nord de Paris). Son successeur tarde à être nommé… » Il n’est pas sûr que tout le monde
accepte cette surenchère dans l’ignominie entre les justices française et congolaise. [FXV]
L’agenda d’Eyadema
Par communiqué de presse du 14 avril 2004 (8232/04), le Conseil de l’Union Européenne conditionne son aide au Togo : elle
pose un certain nombre de dates butoirs pour que la « République » togolaise donne des gages de “démocratie apaisée”, dans le
contexte des élections législatives. Ainsi, après avoir cautionné le maintien d’Eyadema dans tous ses pouvoirs, la France lui rédige et
lui fait admettre un bréviaire de la démocratie et de l’État de droit qui satisfait en apparence les revendications en la matière. Et tout
le monde de s’extasier, alors qu’en réalité le dictateur garde tous les pouvoirs de ne pas l’appliquer – ou d’intimider ceux qui voudront
l’appliquer. Mais entre-temps l’UE aura réamorcé la pompe à fric.
Celles et ceux qui écoutent ces promesses s’engagent donc à croire, par exemple, que le Togo est soumis à l’échéancier suivant
(non exhaustif) :
– depuis mi-avril, « engagement de garantir, sans délai, aux média, ONG et représentants de la société civile l’absence de tout
harcèlement, censure ou intimidation [... et] à tous les acteurs politiques et de la société civile et à tout citoyen le droit à la libre
expression, à participer aux réunions et aux manifestations pacifiques, en public et sur tout le territoire national, en l’absence de tout
harcèlement, censure ou intimidation. »
– pour fin mai 2004, « engagement de libérer l’ensemble des prisonniers politiques, clairement détenus en raison de leur
opposition politique »
– pour mi-juillet 2004, « engagement de transmettre au parquet tous les dossiers de personnes qui sont en détention préventive ou
en liberté provisoire en vue d’une clarification de leurs cas en conformité avec la législation en vigueur »
– pour mi-octobre 2004, « engagement de procéder [...] à une révision du cadre électoral » et « engagement de revoir le code de la
presse et de la communication pour l’amener à un niveau conforme aux standards internationaux »
– pour mi-janvier 2005, « engagement de revoir le mandat et le statut de la Commission des droits de l’Homme, en vue de garantir
son indépendance effective par rapport aux autorités administratives »
– pour mi-avril 2005, « engagement de mettre en place les conditions nécessaires pour que les Assemblées municipales,
démocratiquement élues, disposent du mandat et des ressources nécessaires pour assurer une administration locale efficace et
démocratiquement légitimée »...
Au moins, les problèmes sont listés et officiellement reconnus. On oublie juste de les appeler par leur nom : Eyadema. [PC]
Biya volé
Le mois dernier (Billets n° 125), on avait intitulé Biya vole une salve sur l’acquisition d’un gros avion par le chef de l’État
camerounais. Il s’agissait d’une allusion à un jeu d’enfant, autrefois bien connu, intitulé « pigeon vole ». On ne croyait pas si bien
dire. On vient de découvrir en effet que Biya s’est fait proprement «pigeonner» dans l’achat de cet engin. Le Cameroun a dépensé
des sommes folles pour aménager somptueusement un vieux coucou bon pour la ferraille, refilé à prix d’or à un parvenu godiche.
Le voyage inaugural qui devait emmener le chef et sa smala à Paris pour la réunion organisée par Chirac à propos du fleuve Niger
(cf. Billets n° 125, p.12) s’est mal passé : train d’atterrissage capricieux, tournoiements au-dessus de Douala. L’avion a fini par se
poser sur un aéroport parisien, mais il n’a ramené au Cameroun, quelques jours plus tard, que quelques sous-fifres intrépides. Un
autre avion de la flotte présidentielle est venu du Cameroun récupérer le plus précieux de la cargaison. Rien que des économies
pour le budget du Cameroun. Il semblerait que l’acquisition de ce «rossignol» ait fait quelques heureux au passage, pas seulement le
vendeur, mais aussi quelques intermédiaires. Quand on gouverne par la corruption, il faut s’attendre à ce genre de désagrément
parfois. Ce qu’on appelle « l’arroseur arrosé ». [OT]
Le Sahara, nouveau terrain de jeu des USA ?
On sait comment les généraux algériens ont instrumentalisé depuis 1988 le terrorisme islamique afin d’asseoir leur pouvoir au
travers de politiciens fantoches, devant le regard indifférent de la France, voire avec sa complicité 1. Comme souvent lorsque l’on
joue avec le feu, le monstre a échappé à ses créateurs, et c’est plus de 100 000 personnes qui ont trouvé la mort entre 1992 et
2000. La lutte antiterroriste servit également de prétexte et de paravent au pouvoir algérien pour perpétuer ses exactions
(disparitions et tortures) et continuer ainsi de régner par la terreur 2.
Cette situation concernait uniquement le nord de l’Algérie, le sud étant jusque là épargné. Depuis l’offensive américaine en
Afghanistan, les choses changent. Une large bande saharienne englobant le sud algérien, le nord du Mali, le nord du Niger et le nord
du Tchad a vu affluer des combattants islamistes fuyant leur base afghane. Cette partie du désert, très vaste, peu fréquentée, peu
contrôlée, a des frontières perméables qui n’existent que sur le papier. Elle offre d’innombrables refuges pour des groupes terroristes
très mobiles. Le GSPC 3, jusque là dirigé par Mokhtar Belmokhtar, a été repris en main par Abderrezak El-Para 4, ancien parachutiste
des forces spéciales de l’armée algérienne. En février 2003, le GSPC a capturé en Algérie, dans la région d’Illizi, 32 touristes de
nationalité allemande, suisse, autrichienne et hollandaise. 31 seront libérés 5 mois plus tard au nord du Mali après un périple de plus
de 1 100 km à travers le Sahara, un otage étant décédé durant sa détention, vraisemblablement à cause de la chaleur. Bien que
Berlin s’en défende, le gouvernement allemand aurait versé une rançon de 5 millions d’euros afin que les otages soient libérés sans
dommage. Voici donc le GSPC riche, avec le moyen d’acheter des armes et de recruter, ce qui n’est pas très difficile dans ces
régions pauvres au passé tourmenté.
Une personne en déplacement en février 2004 dans l’Adrar des Ifoghas (région de Kidal au nord du Mali) confirme avoir vu des
hommes enturbannés (de type afghan ou pakistanais, et non avec le chèche traditionnellement porté dans cette région) diffusant par
haut-parleur des extraits du Coran, au plus grand agacement de la population locale. À son retour à l’aéroport de Paris, elle a été
entendue par la DST qui lui a demandé de reconnaître des personnes sur des photos. Elle en aurait reconnues.
Cette situation ne pouvait qu’attirer les USA, lancés dans leur « lutte contre le terrorisme » à l’échelle planétaire. D’autant que
l’Algérie est riche en pétrole et en gaz.
On assiste depuis 2002 à un rapprochement spectaculaire entre les USA et l’Algérie. Le général Mohamed Lamari, chef d’état
major de l’ANP (l’armée algérienne) a été reçu trois fois en deux ans à Stuttgart, au QG des forces américaines en Europe, et le
général Charles F. Wald, commandant adjoint des forces américaines en Europe, a été reçu à Alger en septembre 2003.
Des instructeurs (on avance le chiffre de 200), des unités des forces spéciales américaines et des troupes militarisées de la CIA
seraient actuellement présents dans le Sahara. Ils forment des unités des armées malienne et algérienne à la lutte antiterroriste. De
plus, le Pentagone a fourni des renseignements, des images satellite et du matériel de vision nocturne qui ont permis à l’ANP de
réussir plusieurs coups de filet entre janvier et avril 2004. Des hommes du GSPC ont été tués, d’autres capturés, et de nombreuses
armes saisies.
Afin de renforcer leur contrôle sur la région, une base d’écoute et un aéroport militaire américains sont en construction au nord du
Mali, dans la région de Tessalit. Une station d’écoute de la NSA ( National Security Agency) est déjà implantée au sud de l’Algérie,
dans la région de Tamanrasset. D’après l’hebdomadaire français Le Point, la société américaine Brown and Roots Condor s’est
associée à une entreprise algérienne pour allonger la piste de l’aéroport de Tamanrasset afin qu’elle puisse accueillir des avions gros
porteurs...
Aux dernières nouvelles, l’émir du GSPC Abderrezak El-Para serait prisonnier du MDJT 5 dans le Tibesti (nord du Tchad) après
avoir été donné pour mort, alors que son bras droit et fournisseur d’armes Hacène Allane, alias Cheikh Hacène, auraient été tué mi-
avril durant des accrochages avec l’armée nigérienne dans la région de Tessara (nord du Niger).
La France voit d’un très mauvais œil l’intrusion des Américains dans ce qui était jusque là sa chasse gardée. D’autant que l’Algérie,
qui a pris conscience de l’enjeu stratégique que constitue la libéralisation de son économie, navigue entre ses relations passionnelles
avec l’ancienne puissance coloniale et le pragmatisme des propositions américaines.
Lors d’une brève visite à Alger le 13 mai, le sous-secrétaire d’État US chargé du Proche-Orient, William J. Burns, a réaffirmé
« l’importance » qu’attachent les États-Unis à leurs « relations exceptionnelles » avec l’Algérie. Selon ce haut diplomate, l’Algérie et
les États-Unis « ont un partenariat fort » dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, partenariat qui « va être renforcé à
l’avenir ».
Afin de conforter cette nouvelle alliance, l’ANP, qui se fournissait jusque là presque exclusivement en matériel militaire russe, est
en train de changer son fusil d’épaule (si l’on ose dire). Les USA s’apprêtent à lever leur embargo (très relatif) sur les ventes d’armes
de guerre à destination de l’Algérie. Selon le journal algérien El Watan, l’achat porterait sur des hélicoptères AH-64 Apache, des
missiles Hellfire ainsi que du matériel électronique de vision nocturne.
D’après le New York Times (11/05/2004), le programme du Pentagone pour cette région, appelé Pan Sahel Initiative (PSI), a
démarré avec un budget de 7 millions de $. Il concerne principalement le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Il peut être étendu
à l’Algérie, au Maroc, à la Tunisie, voire au Sénégal. Le commandement des forces américaines en Europe a réclamé à cet effet un
budget de 125 millions de $ sur 5 ans.
Nul doute que le peuple algérien, déjà profondément meurtri par 132 ans de colonisation française, la confiscation de son
indépendance par les militaires puis des années de terrorisme et d’antiterrorisme sanglants, sera le grand perdant de cette
confrontation. Quand on a en tête la manière dont les Américains ont l’habitude de gérer ce type d’affaires, les populations locales,
notamment touarègues, déjà malmenées par la rébellion des années 90, ne sortiront par indemnes de ce jeu malsain. [AL]
1. Lire Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie, La Découverte, 2004.
2. Cf. le site d’Algeria Watch, www.algeria-watch.de/fr/mrv/mrvtort/machine_mort/machine_mort.htm, et Habib Souaïdia, La sale guerre, La Découverte,
2001.
3. Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, créé en 1998.
4. De son vrai nom Amari Saïfi.
5. Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad, rébellion armée du Nord tchadien hostile au président en place Idriss Déby.
Sans Cimade ?
Depuis de nombreuses années, la présence assidue de l’ONG protestante la Cimade dans les centres de rétention d’étrangers en
attente d’expulsion contribuait à maintenir au profit de ces étrangers un minimum d’État de droit et de contacts avec l’extérieur. Les
ministres de l’Intérieur successifs préfèrent un État à leur mesure, un État ou la police a le dernier mot.
Ils rêvent donc d’ôter ce caillou dans leur chaussure, ce frein à l’expulsion expéditive – la Cimade. Il s’agit de « faire du chiffre »
dans le refoulement des étrangers. Nicolas Sarkozy a fait préparer un décret laissant à l’administration le soin de se contrôler elle-
même, sans faire appel à un tiers associatif (Le Monde, 11/05/2004). Dominique de Villepin confirmera-t-il l’éviction de l’interlocuteur des
expulsables ? [FXV]
Sauterelles
On ne redira jamais assez combien l’aide publique versée à une dictature ne sert qu’à l’engraisser. Même si le caractère vital des
finalités affichées de cette aide devrait, dans l’esprit des contribuables donateurs, la préserver du pillage. En voici deux exemples, qui
ont évidemment beaucoup d’équivalents en Françafrique.
Comme bien d’autres pays africains, le Burkina doit faire face à la pandémie du sida. Il compte plus de 500 000 séropositifs.
Même trop frileux et inadaptés, les moyens financiers de la lutte anti-sida commencent à grossir. Dans cette lutte, le régime se pose
en combattant modèle. Et il installe naturellement à la pointe du combat des officiers de santé très proches du clan Compaoré. Le
Conseil national de lutte contre le sida (CNLS) est présidé par le Président en personne ; son secrétaire général est un médecin
militaire, ancien ministre des Sports, dont la gestion à ce poste a été récemment mise en cause. Le CNLS arrose de véhicules
flambant neufs et de postes TV des associations montées de toutes pièces.
Ce qui reste pour la prise en charge des malades par les associations et services de santé efficaces (il y en a) est dérisoire… Mais
cela n’empêche pas le gouvernement d’annoncer, contre toute évidence, une baisse du taux de prévalence du VIH : il faut montrer
aux bailleurs de fonds la performance du modèle burkinabè.
Pendant ce temps, les multinationales françafricaines regroupées au sein de l’association Sida-Entreprises soignent leur personnel
local en même temps que leur image. Total, Bolloré, Pinault (CFAO), etc. espèrent ainsi masquer leur longue complicité avec des
dictatures dévoreuses de l’argent et de la santé publics.
L’on sait que les nuées d’acridiens (criquets, sauterelles) peuvent dévaster des récoltes et provoquer des famines. La prévention
anti-acridienne, grâce à des épandages par avion, s’avère donc cruciale. L’ancien dictateur malgache Didier Ratsiraka n’a pas
délaissé ce créneau de pillage (il n’en a négligé aucun). Il a rattaché directement à la présidence le Centre national de lutte anti-
acridienne (CNLA) ; il a installé à la tête du dispositif un de ses conseillers, le général Victor Rahamatra, et son propre fils Xavier.
Non seulement une partie de l’argent de l’aide internationale a été «privatisé», mais le fiston s’est accaparé le marché juteux de
l’épandage en créant sa propre société d’aviation, la SONAVAM. Celle-ci aurait absorbé les avions de l’adjudicataire précédent, la
compagnie aérienne TAM, acculée à la faillite par des impayés, ainsi que les aéronefs et les voitures du CNLA. Comme disent les
sauterelles affamées : « Tout ce qui rentre fait ventre ». [FXV]
Laboratoires et doctrine
Le général US Geoffrey Miller a commandé durant 18 mois le camp de Guantanamo, avant de devenir fin mars le patron des
prisons américaines en Irak. Juste avant de quitter le célèbre camp, il l’a fait visiter fièrement à des journalistes : « Guantanamo est
un laboratoire. Il est expérimental dans la manière dont nous avons entraîné des analystes et des experts ». Des «experts» expédiés
ensuite en Irak, munis de « vingt techniques d’interrogatoire » (Le Canard enchaîné, 12/05/2004).
Voici deux ans (Billets n° 100), nous avions dénoncé très fermement « un nouveau concept : celui de «prison offshore». Tous ceux
[...] qui s’intéressent à la gangrène proliférante que constitue le système des paradis fiscaux, bancaires, financiers, etc. [...]
comprendront ce que cela signifie. L’endroit choisi (la base US de Guantanamo, à Cuba), est à dessein un lieu où ni les lois
américaines ni les conventions internationales ne s’appliquent. Le précédent, venant d’un pays qui veut imposer sa morale au monde
mais contourne ouvertement la sienne propre et les lois du monde, est d’une gravité extrême. À quand les camps de concentration
en Antarctique ou aux îles Kerguelen ? Les traitements dont s’est déjà fait écho la presse [...] augurent d’une «non-justice sans
limites» – aux antipodes du but de guerre affiché par les Américains. [...] Le principe même de «prisons sans lois» [...] introduit une
faille mortelle dans le système des droits humains que le monde s’efforce de se fabriquer depuis un demi-siècle. [...] Le principe des
«mondes sans lois», qu’a initié la finance internationale, trouve ici une de ses applications ultimes. »
C’était en février 2002. On le voit mieux aujourd’hui : l’humiliation et la déstructuration des prisonniers sont à la base des nouvelles
techniques expérimentées à Guantanamo et transférées en Irak. Elles sont clairement contraires aux conventions de Genève, dont
les responsables américains ont dit à plusieurs reprises le peu de cas qu’ils faisaient. Mal leur en a pris : le non-respect de ces
conventions se confirme comme l’un des meilleurs moyens de perdre politiquement une guerre provisoirement gagnée par la
supériorité des moyens militaires. Mondialement ressentie et réprouvée, l’humiliation démoralise les coalitions guerrières.
Les Lacheroy, Trinquier et Aussaresses avaient eux aussi, il y a près d’un demi-siècle, gagné la bataille d’Alger puis celle des
djebels. Ils ont perdu leur guerre d’Algérie, mais enseignèrent néanmoins leur doctrine de terreur à la CIA et aux forces spéciales
US, pour application au Vietnam et dans les centres de torture latino-américains. Les héritiers français de cette doctrine ont, selon
Patrick de Saint-Exupéry, « fourni la méthodologie » du génocide de 1994 au Rwanda – un pays dont ils ont fait leur « laboratoire ».
Eux encore ont perdu leur guerre… À quel prix !
Commandant en chef pour le Proche-Orient et l’Asie centrale et méridionale, le général John Abizaid a été auditionné par le Sénat
américain. Il a parlé, à plusieurs reprises, de « problèmes systémiques ». « Notre système est cassé », a-t-il affirmé, en expliquant
qu’il s’agit d’un « problème de doctrine ». Toute la politique de détention et d’interrogatoire serait à revoir (Le Monde, 21/05/2004).
Problème : comment changer un système « cassé » sans avouer qu’il a été enseigné et ordonné, donc avalisé par les plus hautes
autorités militaires et civiles ? Peut-on revoir une « politique » si par ailleurs le ministre de la Défense crée une unité secrète
d’interrogateurs hors-la-loi, le SAP (The New Yorker, 15/05/2004) ? Les États-Unis ont ce problème : leur Parlement et leur presse l’ont
ouvert, ils ne l’ont pas encore laissé étouffer.
Officiellement, la France n’a pas ce genre de problème. Les parlementaires et les médias hexagonaux, à de très rares exceptions
près, n’ont eu de cesse de refermer, aussitôt qu’il pointe le bout de l’oreille, le problème des méthodes des forces spéciales
françaises (voir À fleur de presse, Le Casoar) et de la doctrine de contrôle des populations dans les dictatures néocoloniales. Le résultat
est désastreux moralement. Il le sera aussi politiquement. [FXV]
VGE à la manœuvre
Le projet de "constitution" européenne (en fait un super-traité interétatique) a été supervisé par Valéry Giscard d’Estaing, grand
ami de feu Bokassa. On ne s’étonnera pas dès lors qu’il prévoie de graver dans le marbre l’ultralibéralisme, fermant la porte à tout
débat public sur le type de société que veulent les Européens. Il comporte aussi deux articles peu évoqués lors des débats publics
sur le sujet. L’article 40 indique en son § 3 : « Les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités
militaires ». « La Constitution tranche ainsi le débat mené dans les principaux pays, sous la pression du lobby militaro-industriel, en
faveur de l’augmentation des budgets militaires », commente Yves Salesse (Copernic Flash n° 5, 09/2003). Et l’article III-63 soumet
l’adoption de mesures de lutte contre la fraude de l’impôt sur les sociétés à une double condition : l’unanimité, et leur nécessité
« pour assurer le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence ». Vive les paradis fiscaux ! On imagine
mal le Luxembourg ou même la City de Londres se tirer au cœur une balle antifraude. [VS]
Déroutes
Grande nation maritime, la Suisse a gagné l’America Cup. Éden de l’argent sale, elle a finement barré ses négociations fiscales
avec l’Union européenne (UE) : non seulement elle a préservé le secret bancaire de ses dépôts étrangers (des milliers de milliards
d’euros à l’abri de toute « coopération fiscale »), mais elle a en quelque sorte noué son statut d’asile fiscal à celui du Luxembourg,
rendant très difficile toute amélioration future de la lutte contre la fraude dans l’Union (à cause de la règle de l’unanimité). C’est
George W. Bush qui doit être content, tout comme ses idéologues et ses stratèges : l’Europe sera en manque d’argent public. Mais
les dirigeants européens qui ont fait cette fleur à la Suisse et au Luxembourg savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Lequel n’y a
pas un compte ?
La majorité des Européens ne veulent pas des OGM tant que la pression des multinationales breveteuses l’emportera sur le
principe de précaution. Certains gouvernements font mine de partager cette opinion. Mais ils se sont abrités derrière la commission
de Bruxelles pour mettre fin au moratoire sur la mise en culture et la commercialisation des plantes génétiquement modifiées. C’est
l’Amérique pour le lobby agro-industriel qui a financé Bush ! Et “converti” la plupart des décideurs de l’Union.
Le Parlement européen avait voté contre la brevetabilité des logiciels, avec l’appui des entreprises européennes du secteur. C’est
comme si l’on voulait breveter des cours de faculté : de quoi geler l’innovation et favoriser les monopoles. Le lobby US de la propriété
intellectuelle, qui inclut ceux de la semence et du médicament, a convaincu la Commission européenne de passer outre l’avis du
Parlement – avec le discret soutien des gouvernements de l’UE. C’est étonnant, tous ces buts que ces derniers marquent contre leur
camp. Il a fallu moins que ça en Italie pour chercher et trouver une série de matches truqués dans le Calcio.
Il va sans dire que toute cette floraison de taxations sur la propriété intellectuelle sera payée cash par les pays du Sud. [FXV]
Bon point
– Pour la première fois, le régime de Brazzaville déclenche notre stupéfaction dans un sens positif : il a ratifié les statuts de la Cour
pénale internationale. Ce qui signifie qu’un responsable de futurs crimes contre l’humanité dans ce pays martyrisé pourra être jugé
par cette Cour sans qu’elle ne soit sollicitée par le très politique Conseil de sécurité de l’Onu (qui a le pouvoir de faire juger ceux
commis depuis juillet 2002). Denis Sassou Nguesso perd ainsi la protection de Jacques Chirac pour les massacres qu’il serait encore
tenté de faire commettre. Mais il a signé avec George W Bush un accord lui permettant de ne pas être livré par les États-Unis à la
CPI. Devra-t-il un jour s’exiler outre-Atlantique ?
Campagne 1
LES DICTATEURS AMIS DE LA FRANCE ?!
Comme promis dans notre numéro 125 (p. 8-9), nous vous informons de la liste des signataires de la lettre adressée à Jacques
Chirac, président de la République : Comi M. Toulabor (directeur d'études, CEAN, FNSP), Tiken Jah Fakoly (chanteur), Almamy
Mamadou Wane (écrivain), Pius Njawé (journaliste), Benjamin Moutsila, Ardiouma Sirima (président du COFANZO, Collectif France
Affaire Norbert Zongo), Benjamin Toungamani, Mary-Albert Colelat (membre du bureau de la Fédération des Congolais de la
Diaspora), Sœuf Elbadawi (journaliste)...
1. Contact : Fabrice Tarrit, Coordonnateur des activités militantes ; tél: 01 44 61 03 25 ; fax: 01 44 61 03 20 ; mail : fabrice.survie@wanadoo.fr
(Achevé le 24/05/2004)
On avait eu naguère un ballon d’essai dans l’hebdomadaire Marianne (21/07/2003), sous la plume d’un certain Patrick
Girard et sous le titre L’Afrique à la dérive. On a eu ensuite le morceau de résistance avec la parution début 2004 du livre
de Stephen Smith vicieusement intitulé Négrologie. Chez l’un et chez l’autre on trouve les mêmes thèses racistes – il faut
appeler un chat un chat –, inspirant la même idéologie fumeuse et le même discours confusionniste pour les vulgariser.
Et ça marche. L’«essai» de Smith, vague salmigondis de chiffres, de pourcentages, de citations, invérifiables faute de
références précises, a obtenu le Prix de l’essai de France Télévision. Il faut dire qu’il caresse dans le sens du poil le
raciste qui sommeille dans le juré franchouillard, fleur de l’establishment médiatique parisien.
Dans un premier temps on se dit : qu’est-ce que c’est qu’un fourre-tout aussi nul ? Et puis on y regarde de plus près
pour discerner ce qui est véhiculé dans ce magma. Il y a d’abord une vision apocalyptique de l’Afrique subsaharienne :
horreur des guerres, ravages de la corruption, progrès de la misère. Le tableau est facile, l’évidence est indiscutable.
D’ailleurs Smith, dans les débats, ne cesse de marteler le caractère « factuel » (sic) de son exposé. Mais il n’y a pas que
cela. L’ambition de l’auteur est de dénoncer les causes d’un tel état de fait. L’explication est d’une simplicité tautologique
confondante : c’est comme ça parce qu’on est en Afrique et qu’il y a des Noirs. Toute l’Histoire s’éclaire alors
miraculeusement aux yeux des naïfs qui n’y comprenaient rien. La guerre de cent ans ? C’est parce qu’on était au
Moyen-Âge. On peut jouer à l’infini. La guerre 14-18, c’est parce qu’il y avait des Allemands et des Français. La Shoah ?
C’est parce qu’il y avait des Juifs et des Allemands, etc. etc. L’embêtant avec ce genre de causalité, c’est que c’est
difficile de trouver le remède, et sinon à quoi bon cette redondance ? On comprend bien que l’Afrique rêvée de Smith
serait sans Noirs, mais cela relève quand même de l’utopie, quoique…
Encensé sur les plateaux de télé peuplés de compères de tout poil – le compère idéal étant un Noir, consentant ou
piégé –, Smith est soumis à rude épreuve quand il affronte un public non trié d’Africains indignés. C’est ce qui s’est passé
le 2 mai au Salon du livre, à Genève. Il lui arrive alors de montrer le bout de l’oreille en conseillant à ces métèques de
retourner chez eux s’occuper de leurs pays. Le Pen ne dit pas autre chose. On ne voit pas pourquoi on snobe celui-là
dans l’intelligentsia française : il en est le fleuron le plus méconnu. Si on allègue, comme cause du désastre africain, le
pillage subi à grande échelle, et qui n’a jamais cessé, Smith là aussi a une réponse très simple : « Il ne faut pas être
faible ». Le culte de la force, il n’y a que cela de vrai. Cette phrase est réaliste quand c’est un authentique défenseur des
faibles qui la prononce, tel Fanon, partisan de la lutte contre l’oppression. Smith peut le citer, il n’a rien à voir, ni de près,
ni de loin, avec Fanon. La phrase chez lui est seulement cynique, puisqu’il n’est jamais personnellement entré en lice
pour les opprimés et qu’il se contente de marquer les points. On ne voit pas, professant un tel catéchisme, qui ou quoi il
peut blâmer, à part les faibles et les vaincus.
Là où son livre est une pure escroquerie c’est qu’il prétend y donner des conseils aux Africains, qui devraient être
honnêtes, travailleurs, tolérants, désintéressés. On connaît la chanson depuis qu’il y a des missionnaires. Smith se garde
bien, lui qui dit parler vrai et sans ménagement pour quiconque, d’expliquer pourquoi à chaque fois qu’un Africain fort
s’est dressé, les amis de l’Afrique l’ont tué, pourquoi ils ont mis et maintenu au pouvoir par la force les plus couards, les
plus dociles, les ont armés contre leur peuple. Et ensuite il a le culot de venir faire honte aux Africains des chefs qu’ils
ont.
Un thème de ce livre, commun également à Girard, laisse perplexe : c’est une charge bizarre contre la négritude, qui
serait responsable de tous les maux. On sait en effet à quel point cette notion a été surexploitée de façon caricaturale par
la francophonie avec Senghor, culturellement et politiquement inféodé à la France. Depuis que Senghor n’est plus
utilisable, on n’en entend plus guère parler. Pourquoi l’exhumer pour la pourfendre ? Si on comprend bien le galimatias
de Smith, il désignerait sous ce nom non la vieille lune senghorienne mais une sorte de « Black consciousness » qui
l’irrite au plus haut point. Il faudrait, selon lui, que les Noirs oublient qu’ils sont Noirs.
En soi ce serait d’abord une sorte de décervelage, niant la réalité. Si la notion d’identité noire était au contraire de plus
en plus forte, elle permettrait de lutter contre les guerres fratricides, attisées et instrumentalisées par des intérêts
étrangers à l’Afrique, et qui y sont le principal fléau à l’heure actuelle. Il est surprenant en effet que Smith donne ce
conseil au moment où, après avoir été une malédiction, l’identité noire devient un orgueil, et où les Noirs commencent à
s’approprier leur Histoire. Le sort qu’il fait à l’affaire du site de Gorée, contestant son authenticité, est à cet égard
éloquent. Il y a au moins trois lieux en France qui prétendent être l’Alésia de Vercingétorix. Au moins deux et peut-être
même les trois sont faux. Tout le monde, à part une poignée d’archéologues, s’en fout. Quand on va sur l’un de ces sites
c’est pour communier avec la révolte gauloise. Il y a une méchante stupidité à vouloir priver les Noirs d’un lieu de
mémoire et ridiculiser leur prétention à célébrer leur Histoire
Il est clair que le but allégué du livre, rendre service à l’Afrique et aux Africains, est d’une pitoyable hypocrisie. Le but réel
est de dénigrer le monde noir et la malhonnêteté consiste à utiliser pour cela tous les maux qui ont été apportés à
l’Afrique par le monde blanc, la course à l’enrichissement par tous les moyens, le gangstérisme, les trafics d’armes. De
quoi les gens dont Smith est le porte-voix ont-ils peur ? Non pas que l’Afrique meure, mais seulement que « leur »
Afrique meure. En tous cas en se faisant l’idéologue d’une aussi mauvaise cause, Smith a achevé de se discréditer
comme journaliste.
« [...] La France et le Royaume-Uni ont présenté à Paris un projet destiné à apporter aux pays du Sud les 50 milliards de dollars qui
manquent toujours pour financer les «objectifs de développement du millénaire» (succinctement, réduire la pauvreté de moitié entre
2000 et 2015). [...] En quelques mots, l’idée de ce projet consiste pour les pays dits «en développement» à emprunter sur les marchés
financiers à des taux d’intérêt réduits grâce à une garantie de la part des pays riches. Ainsi, la dette du tiers-monde continuera sa
course folle et les remboursements exigés s’accroîtront encore ! Mais surtout c’est la quadrature du cercle : pour tenter de réduire la
misère, on fait appel aux rentiers et aux spéculateurs financiers, dont la seule motivation est le profit à court terme et dont l’action
aggrave les inégalités, donc accroît la misère. [...]
On nous dit que l’aide publique au développement (APD) est de 57 milliards de dollars et qu’il faudrait la doubler. Certes. Mais que
compte-t-on dans cette APD qui est censée prouver la générosité des gouvernements du Nord ? Tout d’abord, seuls 32 milliards de
dollars sont des dons, le reste est sous forme de prêts, qui seront eux aussi remboursés. La mariée est déjà moins belle ! De plus, on
compte dans ces montants des dépenses qui ne profitent pas directement aux populations du tiers-monde. Quand un pays du Nord
décide d’envoyer un avion de vivres et de médicaments à un pays en détresse, l’affrètement de l’avion, l’achat des vivres et des
médicaments, le salaire de ceux qui préparent ou effectuent le voyage sont comptés dans le montant de l’aide délivrée, mais les
sommes correspondantes restent au Nord, seul le produit transporté arrive sur place et cela représente une bien maigre part des
sommes annoncées. De même pour des missions d’experts envoyés dans les pays du tiers-monde pour évaluer le plus souvent les
possibilités d’investissement d’entrepreneurs du Nord. Les intérêts du pays créancier sont donc souvent plus déterminants que les
besoins réels des populations.
Pourtant, il est possible de consacrer des fonds à lutter contre la pauvreté au Sud. En effet, une vraie aide au développement de 80
milliards de dollars existe déjà, uniquement sous forme de dons, et ces sommes sont utilisées avec une bien plus grande sagesse que
l’APD actuelle [...] : selon la Banque mondiale, les migrants originaires des pays en développement envoient chaque année 80 milliards
de dollars à leurs proches restés au pays. La montée des égoïsmes dans les pays les plus industrialisés et les politiques répressives à
l’encontre des migrants en sont d’autant plus insupportables. [...]
Même si la France de M. Raffarin aime claironner qu’elle augmente son APD, il faut savoir qu’il s’agit d’une illusion d’optique. En 2003,
près de 30 % de l’APD française proviennent des allégements de dette que la France accorde aux pays les plus pauvres. En fait, les
pays pauvres remboursent la France qui leur reverse l’argent et le comptabilise dans l’APD ! [...]
[Le] Sud crée des richesses considérables, très vite aspirées vers les riches créanciers (banques, marchés financiers, etc.) au Nord
grâce au mécanisme de la dette. Ainsi, en 2002, l’ensemble des pays en développement a remboursé un total de 343 milliards de
dollars au titre du service de la dette (6 fois l’APD !), soit 95 milliards de dollars de plus que les nouveaux prêts qu’ils ont reçus. Si on
annule véritablement la dette du tiers-monde, on libère au Sud des sommes considérables qui rendent enfin possible une véritable lutte
contre la pauvreté. Mais M. Sarkozy aura-t-il la volonté d’abandonner ce puissant outil de domination qu’est la dette ? » (Damien
MILLET et Éric TOUSSAINT, rubrique Rebonds, Libération, le 26/04/2004).
[Voilà de quoi remettre les pendules à l’heure.]
A FLEUR DE PRESSE
Françafrique
La Lettre du Continent, Honoré Gbanda, 20/05/2004 : « Conseiller à la sécurité à la présidence ivoirienne, l’ancienne éminence
grise du Maréchal Mobutu est actuellement très actif dans le secteur du renseignement dans l’entourage du président Laurent
Gbagbo (son nom de code est "Joseph"). Avec l’appui du Pasteur Moïse Koré, devenu l’homme le plus puissant de la Côte d’Ivoire
– ce dernier est le conseiller spirituel autant de "Laurent" que de "Simone" Gbagbo – Honoré Gbanda ambitionne d’être candidat à la
magistrature suprême au Congo démocratique. [...] Honoré Gbanda compte également sur Laurent Gbagbo et Moïse Koré, qui ont
tous deux rencontré la semaine dernière à Praia le président angolais José Eduardo dos Santos, pour bénéficier d’un appui de
Luanda pour son "retour triomphal" à Kinshasa. »
[Voir opérer à Abidjan l’âme damnée de Mobutu, ce n’est déjà pas rassurant. La voir ambitionner de diriger l’ex-Zaïre exsangue, avec l’appui d’un dos
Santos qui a donné la mesure de son savoir-faire au Congo-Brazzaville et à Cabinda, il y a de quoi désespérer les Congolais des deux rives. FXV]
AFP, La Société nationale des pétroles du Congo veut lutter contre la pauvreté, 14/05/2004 : « La Société nationale des pétroles du
Congo (SNPC) a créé samedi [15 mai] à Brazzaville une Fondation dont l’objet est d’intervenir dans la réalisation d’œuvres d’intérêt
social, a annoncé son président directeur général Bruno Jean-Richard Itoua. […] M. Itoua a indiqué que la SNPC s’était engagée
dans des actions sociales pour lutter contre la pauvreté qui touche 70 % des 3 millions de Congolais. »
[La Françafrique adore cet exercice : plus c’est gros, mieux ça passe. Rappelons que la SNPC est l’un des instruments privilégiés de pillage de l’or noir
congolais par la dictature criminelle de Denis Sassou Nguesso – dont Bruno Itoua est le neveu. Ce régime népotique, au sens littéral, est le principal
responsable de la misère d’une grande majorité des Congolais. L’argent du pétrole n’est pas pour eux, mais ils héritent par contre de l’incroyable
surendettement de leur pays, dominé depuis bientôt trois décennies par le trio Elf-Chirac-Sassou. Jean-Richard, le trop bien nommé, se moque vraiment
des gens pauvres. Mais il soigne son image. – FXV]
Inter-Press Service (IPS), Recherché en Afrique, demandé en Iraq. Les forces de la Coalition trouvent une nouvelle utilité pour un
trafiquant d’armes indexé comme criminel en Afrique, 20/05/2004 (Julio GODOY) : « Le trafiquant d’armes Viktor Bout, véritable
marchand de mort qui armait les conflits en Afrique, était recherché... jusqu’à ce que la guerre d’Irak n’éclate. Aujourd’hui, les États-
Unis et la Grande Bretagne font largement appel à ses services de mercenaire en Irak. La condamnation pour son rôle dans les
guerres du diamant et autres conflits en Afrique subsaharienne durant ces dix dernières années a été silencieusement effacée.
Originaire du Tadjikistan, Bout constitue un allié bien embarrassant à reconnaître publiquement. Mais les membres de la coalition
lui font des faveurs tout à fait exceptionnelles au vu des tâches qu’il accomplit pour eux.
En mars dernier, le Conseil de sécurité des Nations-unies a élaboré une résolution visant à geler les avoirs des mercenaires et
marchands d’armes qui avaient soutenu Charles Taylor, le dictateur déchu du Liberia. Selon des sources diplomatiques françaises,
Bout devait figurer en tête de liste. Pourtant, selon des diplomates et certaines sources à l’ONU, les États-Unis ont tout fait pour
mettre Bout hors de cette liste.
Selon les sources d’IPS, les responsables américains expliquent, de façon non-officielle, que c’est parce que Bout est utile en Irak.
Ainsi, selon des diplomates français bien placés, une des nombreuses compagnies de Bout fournit un soutien logistique aux forces
américaines en Irak. Ils indiquent également que sa compagnie privée, British Gulf, assure le ravitaillement des forces d’occupation.
Et de conclure qu’en reconnaissance pour ses services, les Américains comme les Britanniques se sont opposés aux efforts des
Français visant à inclure Bout dans la liste onusienne des mercenaires.
« Nous sommes écœurés de voir que Bout ne fait pas partie de cette liste alors qu’il est le principal fournisseur d’armes », révèle
un diplomate impliqué dans les négociations de la résolution de l’ONU. « Si nous voulons la paix dans cette région (l’Afrique de
l’Ouest), il semble évident que Bout doit figurer sur cette liste. »
Selon les Français, le gouvernement britannique avait bien inscrit Bout sur sa liste de mercenaires, dans un premier temps. Avant
de le retirer sous la pression des États-Unis. En 2000, Peter Hain, alors responsable pour l’Afrique du ministère britannique des
Affaires étrangères, décrivait Bout comme « le chef des violateurs d’embargo, et… un marchand de mort possédant des compagnies
aériennes qui acheminent des armes pour les rebelles d’Angola et de Sierra Leone ».
Aujourd’hui, l’Irak est un nouveau terrain d’affaires pour Bout, sans véritables risques, malgré les efforts des Nations-unies pour le
coincer, selon des sources diplomatiques françaises. Bien sûr, Bout n’a laissé que peu de traces de ses activités en Irak. Les officiels
français disent que la compagnie British Gulf va bientôt changer de nom maintenant qu’elle est identifiée comme la sienne. [...]
Les Nations unies savent, de par ses activités en Afrique, de quoi Bout est capable. [… Après avoir] a démarré sa carrière de
marchand d’armes en Afghanistan [...], il était parvenu à établir des relations privilégiées avec des chefs d’État et des chefs rebelles
tels que le défunt Jonas Savimbi d’Angola, l’ancien président libérien Charles Taylor, l’ancien président zaïrois Mobutu Sese Seko et
le libyen Mouhamar Kadhafi. « Il avait accès à ce que les seigneurs de la guerre désiraient » explique André Velrooy, un journaliste
norvégien qui a enquêté sur les activités de Bout pour le compte du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
« La fin de la guerre froide a déversé sur les marchés privés d’immenses stocks d’armes et de pièces détachées souvent cédées à
très bas prix. »
Bout avait la capacité, selon Verlooy, non seulement de fournir des armes légères, mais aussi des armements militaires lourds, et
de les livrer pratiquement n’importe où dans le monde. « Et ses associés – d’anciens membres des forces armées américaines, des
officiels russes, des chefs d’État africains ou même de grandes figures du crime organisé – lui ont permis de se confectionner un
carnet d’adresses très fourni d’acheteurs et de fournisseurs avec qui traiter. »
Bout était le plus gros opérateur sur le marché des armes en Afrique. Il dirigeait une myriade de sociétés employant, selon les
estimations, environ 300 personnes. Ces compagnies utilisaient entre 40 et 60 avions, constituant notamment la plus grosse flotte
privée de gros-porteurs russes Antonov, selon les investigations de ICIJ.
Bout est parvenu à rendre ses activités pratiquement impossibles à retracer. Il louait ses avions à des particuliers ou des sociétés
de façon à ne jamais être directement lié à des activités illégales. « Bout nie catégoriquement toute implication dans le trafic
d’armes », explique Verlooy, « affirmant n’être rien d’autre qu’un transporteur aérien de marchandises tout à fait légal. » [...]
Les États-Unis et la Grande Bretagne utilisent donc – et protègent – un trafiquant à qui l’on attribue également des relations
d’affaires avec les Talibans. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel rapportait, en 2002, que Vadim Rabinovitch, un Israélien d’origine
ukrainienne, a effectué, avec la complicité de l’ancien chef des services secrets ukrainiens, une livraison aux Talibans d’un lot de 150
à 200 chars d’assaut T-55 et T-62. On pense que les chars ont été transportés par l’une des compagnies de fret aérien de Bout,
grâce à un accord passé avec les services secrets pakistanais. Ce marché fut découvert par le bureau de Kaboul du Service de
renseignement extérieur russe, le SVR, selon Der Spiegel.
En 2001, les Nations-unies ont lancé un mandat d’arrêt international contre Bout. Mais Bout, qui jouit de soutiens haut placés,
vivait confortablement installé à Moscou. « Le problème avec Viktor B. », explique le quotidien français Le Monde citant un expert
des services secrets, « c’est qu’il a servi tellement de monde qu’il y a toujours quelqu’un de puissant pour le protéger ». [Traduit de
l’anglais par Jérôme Gérard]
[Le Monde implique, mais n’explicite évidemment pas, que Bout a longuement approvisionné en armes des alliés de la Françafrique comme Jonas Savimbi,
Charles Taylor ou la rébellion sierra-léonaise du RUF. Des alliés fort peu recommandables ! Ce qui est nouveau, c’est que la France, ses diplomates et ses
médias se portent aujourd’hui à la pointe de la chasse au Bout… émissaire. Décidément, la guerre en Irak a rompu certains deals et omertàs. Mais on
attendra un peu avant de décerner à la Françafrique un brevet anti-mercenaires et anti-trafic d’armes. – FXV]
Project Syndicate, Le pillage de l’Afrique par les Français, 01/2004 (Sanou MBAYE) : « La domination politique, économique et
militaire incontestée de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique Noire est enracinée dans une devise, le franc CFA. Créée en
1948 pour permettre à la France de contrôler le destin de ses colonies, quatorze pays (le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le
Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la Guinée
Bissau et le Tchad) ont maintenu la zone franc même après qu’ils aient obtenu leur indépendance des décennies auparavant.
En échange de la garantie française de la convertibilité du franc CFA, ces pays ont consenti à déposer 65 % de leurs réserves de
devises étrangères sur un compte spécial du ministère des Finances français et ont accordé à la France un droit de veto sur la
politique monétaire de la zone franc chaque fois que ce compte spécial serait trop à découvert. Ces décisions ont eu des
conséquences dévastatrices pendant quarante ans.
La majeure partie de la réserve de francs CFA provient du commerce entre la France et ses alliés africains. Par conséquent, la
zone franc a toujours eu peu d’argent à sa disposition et des taux d’intérêt élevés. D’un autre côté, conformément aux programmes
d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, une discipline budgétaire rigoureuse a permis de conserver une inflation
faible, comme si se serrer davantage la ceinture au nom de la stabilité des prix constituait la priorité à adopter en matière de politique
dans des pays désespérément pauvres touchés par des décennies d’une demande en baisse.
Résultat, une combinaison redoutable de convertibilité des devises, de taux d’intérêt qui grimpent en flèche, d’inflation faible et de
mouvement des capitaux sans entraves, qui ne fait qu’alimenter la spéculation et la fuite des capitaux. Les spéculateurs transfèrent
des sommes d’argent énormes de la France vers des comptes de dépôts locaux portant des intérêts élevés, collectent leurs gains
exonérés d’impôt tous les trois mois et font de nouveau un plongeon sans risque.
Les banques commerciales sont inondées de ces fonds de spéculation à court terme instables qu’elles prêtent aux gouvernements
selon les conditions les plus draconiennes possibles. Les banques et les spéculateurs récoltent une coquette somme, les
gouvernements sont criblés de dettes commerciales insoutenables, le secteur national de production est privé de financement sur le
moyen et le long terme, et la majorité des individus restent empêtrés dans une pauvreté écœurante.
Entre-temps, le transfert libre des profits, le remboursement des dettes et la propension de l’élite à expatrier leurs biens entraîne
une fuite des capitaux. Cette hémorragie massive de la devise étrangère est dirigée exclusivement vers la France grâce au contrôle
des capitaux qu’elle a mis en place en 1993. Par conséquent, certains des pays les plus pauvres du monde financent une partie du
déficit budgétaire français.
La seule raison logique de l’existence du franc CFA est la connivence qui existe entre la France et les élites qui gouvernent ses
anciennes colonies dans le but de piller les États de la zone franc. Même les effets bénéfiques de la devise commune sur le
commerce entre les pays membres ont été neutralisés par la décision paradoxale prise par les anciennes colonies françaises
d’Afrique noire de démanteler la structure gouvernementale fédérale et le marché unique de l’époque coloniale et d’édifier des
barrières commerciales à la place. [...] La France et ses alliés se sont opposés au concept d’un gouvernement continental prôné à la
fin des années 1950 et au début des années 1960 par des individus comme Nasser et Nkrumah. Ils ont contribué à faire obstruction
au projet et à fonder le club africain notoirement inefficace composé de chefs d’État, l’Organisation de l’unité africaine (OUA),
ramenant ainsi l’intégration africaine des décennies en arrière. [...]
Pour que l’Afrique française puisse se développer, la zone franc doit être démantelée. La naissance de l’euro a offert à ces
anciennes colonies une chance de se libérer de l’étreinte étouffante de la France. Ils ne l’ont pas saisie. Au lieu de cela, ils ont fixé
leur devise sur l’euro et non plus sur le franc CFA, tout en gardant les mêmes règles, les mêmes institutions et le même mode de
fonctionnement. Cette décision aura certainement des conséquences tragiques pour les citoyens de l’Afrique francophone. »
[Cet ancien économiste à la Banque africaine de Développement n’y a pas appris la langue de bois… ]
Doctrines de guerre
Le Casoar (revue des Saint-Cyriens, citée par Le Canard enchaîné du 19/05/2004), 05/2004 (Officier anonyme) : « Un interrogatoire sévère [...]
ne devrait être employé que de façon exceptionnelle en cas de légitime défense avérée, quand tous les autres moyens possibles ont
échoué face à une menace connue, actuelle et terrible. [...] L’interrogatoire sévère devrait être employé seulement contre des
terroristes qui cherchent à provoquer des attentats d’un niveau inacceptable. [...] Il utilise des moyens durs, mais strictement
nécessaires, limités, sans séquelles irréversibles. [...] L’interrogatoire sévère devrait se pratiquer seulement dans des États légitimes
dans le cadre d’une loi d’exception, pratiqué contre des terroristes par des agents des forces de l’ordre. […Il ne peut s’effectuer que] sur
ordre, à contrecœur, sûrement avec remords. [… Toutefois,] l’immoralité d’un interrogatoire sévère semble atténuée par son but et les
circonstances. »
[À part le souhait d’une « absence de séquelles irréversibles » et la mention d’un très probable « remords », ce long article de doctrine militaire pourrait être
signé par le général Aussaresses. Le rédacteur anonyme laisse aux futurs diplômés de Saint-Cyr le soin d’interpréter le qualificatif « irréversible ».
L’humiliation, le viol simulé ou réel méritent-ils ce qualificatif ?
L’adjectif « légitime », lui, est mentionné deux fois. L’ennui, avec les doctrines fondées sur l’emploi de la terreur – comme celle enseignée depuis la guerre
d’Algérie à nos forces spéciales –, c’est qu’assez vite on ne sait plus bien qui est le terroriste et qui conserve une légitimité. Il n’y en pas hors l’État de droit,
que suspend la « loi d’exception » et que contournent les hiérarchies parallèles, chères à nos doctrinaires. Il serait intéressant de savoir si nos officiers
suivent le débat autour de la torture des prisonniers irakiens, et si tous se sentent parfaitement à l’aise avec la doctrine exprimée dans Le Casoar. – FXV]
Mondialisation
La Libre Belgique, Nauru, de l’opulence à la banqueroute, 19/04/2004 : « L’île de Nauru dans le Pacifique Sud, plus petite
République du monde, est sur le point de se déclarer en faillite, après avoir bénéficié du plus haut revenu par habitant au monde
dans les années 70. Des administrateurs judiciaires ont pris le contrôle samedi des actifs de l’île en Australie, dont plusieurs hôtels et
centres commerciaux à Sydney et Melbourne, face à l’incapacité de Nauru d’honorer ses dettes.
[...] Durant la Seconde Guerre mondiale, les Japonais occupent l’île, réduisant en esclavage 1 200 de ses deux milliers d’habitants.
Au sortir de la guerre, l’île passe aux mains du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Les trois nations vont exploiter
à outrance les mines de phosphate et, en 1968 [année de l’indépendance], les deux tiers de Nauru sont transformés en gruyère. Mais le
premier président de l’île, Hammer de Robert, poursuit l’exploitation. L’argent facile allait abonder des investissements extravagants
comme [...] la création de compagnies aérienne et maritime qui allaient surtout servir à acheminer des produits alimentaires
occidentaux, provoquant diabète et maladies cardiaques à l’origine d’un important recul de l’espérance de vie.
Désespéré, Nauru a tout fait pour tenter de sauver son économie, jusqu’à servir de lessiveuse pour la mafia russe. L’île a
récemment été accusée d’avoir ainsi blanchi 70 milliards de dollars au travers de ses quelque 400 banques offshore.
Et il y a trois ans, Nauru a accepté de devenir un centre de détention pour les immigrés clandestins demandant refuge en
Australie. »
[Après la rente des phosphates exportés pour enrichir des engrais (à peu près épuisée depuis quelques années), puis celle des finances occultes, Nauru
n’est plus aujourd’hui qu’une île ravagée, d’aspect lunaire sur 90 % de son sol jadis luxuriant, aujourd’hui rocheux. D’après le Centre International de
Recherche Scientifique, c’est « le pays détenant le plus important taux de diabétiques et d’hypertendus au monde », à cause des produits alimentaires
importés, l’agriculture locale n’étant plus possible (www.cirs-tm.org/Pays/paysFR.php ?nom=nauru). « La dernière source de revenus de Nauru, son centre
financier, avait été mis à l’index par l’OCDE et les États-Unis. En mars dernier, le Parlement de Nauru a voté l’abolition des législations existantes,
permettant à des sociétés fiduciaires de s’établir dans cet État insulaire. » (Flash d’Océanie, 29/04/2004).
En août 2001, le Tampa, un cargo norvégien qui venait de sauver des eaux plus de 400 réfugiés asiatiques rescapés du naufrage d’un ferry indonésien, a
été refoulé par l’Australie. La Nouvelle-Zélande et Nauru ont accueilli les rescapés. Après ce scandale, Canberra a ouvert à Nauru le centre de rétention qui
héberge notamment les réfugiés des guerres d’Afghanistan et d’Irak auxquelles l’Australie participe. Mais la rémunération correspondante ne suffit pas à
endiguer la descente aux enfers de ce micro-État au bord de la vente aux enchères... La mise en demeure par la société américaine General Electrics
Capital Corporation, suite à une dette colossale de 150 millions d’euros inspire des propositions radicales : « une universitaire australienne, Helen Hughes,
a suggéré [... de] mettre Nauru en vente, y compris ses eaux territoriales, pour éponger une fois pour toutes la dette nationale" (Flash d’Océanie,
14/05/2004). Quantité négligeable, les 12 500 habitants d’une île qui n’est plus très utile à un monde sans lois ? – PC]
Mémoire
Libération, Prix Albert Londres à Christophe Ayad, 11/05/2004 (Serge JULY) : « La remise du prix a eu lieu à l’ambassade de
France à Pékin, les jurés ayant décidé de parcourir chaque année une étape de la carrière d’Albert Londres. Son dernier reportage
avait eu lieu à Shanghai. Il n’est jamais paru, le navire à bord duquel le journaliste se trouvait ayant fait naufrage. »
[On s’étonne que Serge July ait une telle ignorance des circonstances de la mort d’Albert Londres. Le navire qui le ramenait d’Indochine ne fit pas naufrage
– ça se saurait. Albert Londres mourut intoxiqué par un feu qui se déclara dans sa cabine. Il y a de fortes présomptions pour que ce feu n’ait pas été
accidentel. Le reportage qu’il rapportait d’Extrême-Orient, et plus particulièrement d’Indochine – ce que Serge July gomme également en parlant seulement
de Shanghai – risquait d’être encore plus explosif que celui sur les exactions coloniales françaises en Afrique Noire , Terre d’ébène, révélant les
innombrables victimes de l’exploitation des forêts en Côte d’Ivoire et de la construction du chemin de fer Congo-Océan.
Quant à Christophe Ayad, lauréat du prix Albert Londres, il s’est signalé naguère en publiant dans Libération (9 mars 2001), un article particulièrement
malveillant pour l’accusé Verschave lors du procès intenté par les dictateurs Bongo, Sassou et Déby. Christophe Ayad y reprenait à son compte les
arguments méprisants de la partie civile. Il se réclamait alors de son prédécesseur, Stephen Smith, promu au Monde, et honoré récemment du prix France
Télévision. Convenons qu’il s’en est éloigné depuis, renonçant à suivre le fer de lance médiatique de la guerre Paris-Kigali et ses dérives négrologiques. -
OT]
LIRE
_
Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie : crimes et mensonges d’États, La Découverte, 2004.
Le titre lui-même dit assez combien ce livre monumental (665 pages) s’inspire de notre approche et comble une lacune : si, traitant de la Françafrique, les
ouvrages publiés par Survie ont si chichement parlé des relations franco-algériennes, ce n’est pas que les mécanismes de criminalité économique et
politique y soient différents, c’est qu’ils sont mieux cachés. L’enquête est d’autant plus courageuse qu’elle n’est pas sans danger, quand on sait ce dont
sont capables les Services algériens.
Il y a dans ce livre tous les ingrédients pour intéresser nos lecteurs : le rappel des crimes trop méconnus de la colonisation, la récupération de la lutte
pour l’indépendance et la confiscation progressive du pouvoir par un petit groupe de généraux formés aux écoles militaires françaises, l’installation d’un
fonctionnement mafieux en connivence avec les réseaux françafricains, ravis, l’instrumentalisation de la menace islamiste, l’infiltration de certains maquis,
un contre-terrorisme fondé sur la terreur. Et une désinformation globale avec la complicité d’une bonne partie des médias français. Ceux qui ont suivi dans
nos publications le sort du Congo-Brazzaville ne seront pas dépaysés.
Les amateurs de précision ne seront pas déçus : le livre, très construit, est suivi d’un appareil de notes et d’un index qui en font un véritable instrument
de travail. Les amateurs de scoops ou d’investigations approfondies n’en sont pas non plus privés, s’agissant en particulier de la collaboration entre
Services algériens et français. On ne s’étonnera pas de voir s’imposer dans ce contexte la mouvance pasquaïenne, Marchiani et la DST. Mais les autres
mouvances ont laissé faire et se sont tues, y compris la jospinienne.
Bref, l’Algérie aussi vit sous une dictature soigneusement protégée par la France. Les auteurs réclament que cesse ce scandale. Nous aussi : la junte
algérienne est visée dans notre campagne contre les dictatures françafricaines, démarrée en mai. Nous aurons donc maintes occasions, jusque dans ces
Billets, de faire écho à cet ouvrage indispensable. [FXV]
Guillaume Olivier
La mondialisation s’accélère et l’on peut aujourd’hui constater que les mécanismes économiques et financiers ont laissé sur la
touche des populations entières. L’aide publique au développement ne semble pas avoir rempli ses missions et n’a pas permis
d’atténuer les déséquilibres Nord/Sud. En s’appuyant sur l’analyse approfondie des chiffres et de ce qui existe en matière d’aide
publique au développement, Guillaume Olivier, acteur de terrain et spécialiste, en dresse un bilan parfois inquiétant mais jamais
pessimiste. Le constat de l’insuffisance et de l’inadaptation de l’aide publique au développement débouche sur une série de
propositions : respect des droits élémentaires inscrits dans les chartes internationales – à la vie, aux soins, à l’éducation,
organisation de l’accès de tous à ces biens, construction d’une nouvelle solidarité internationale… autant de nouvelles priorités pour
l’aide publique au développement.
Pierre Caminade
Comores-Mayotte :
une histoire néocoloniale
Dossier noir n° 19 d’Agir ici et Survie
Agone, 2004, 182 p., 11 € franco à Survie
En 1975, lors de la décolonisation du territoire des Comores, la France viole la règle internationale du respect des frontières en
arrachant Mayotte à son archipel. Condamnée plus de vingt fois par l’ONU, cette occupation reste illégale. Ainsi, le rattachement de
Mayotte à la France est un facteur de déstabilisation des Comores qui, à partir de 1997, ont été marquées par une crise politique
_
sans précédent.
Ce dossier noir propose notamment un examen des motivations françaises, dont une présence militaire dans cette région où
passe deux tiers du pétrole exporté du Moyen-Orient. Il analyse ce processus de “domtomisation” et ses conséquences pour le reste
de l’archipel, devenu chasse gardée d’une clique de mercenaires.
Abonnez-vous :
France : 20 € Étranger : 25 €
Soutien : à partir de 24 €
(chèque bancaire ou postal à l’ordre de Survie)
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Je souhaite recevoir une plaquette de présentation de l’association Survie.
Association Survie, 210 rue Saint–Martin, F75003–Paris – Commission paritaire n° 76019 – Dépôt légal : juin 2004 - ISSN 1155-1666
Imprimé par nos soins –
Abonnement : 20€ (Étranger : 25€ ; Faible revenu : 16€)
Tél. (33 ou 0)1 44 61 03 25 - Fax (33 ou 0)1 44 61 03 20 - http ://www.survie-france.org - survie@wanadoo.fr