Diodore de Sicile - Mythologie Des Grecs

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LA ROUE À LIVRES

Collection dirigée
par
Michel Casevitz
Professeur émérite de grec
à l’Université de Paris Ouest

Aude Cohen-Skalli

Chargée de recherche au CNRS


Aix Marseille Université, TDMAM)
DU MÊME AUTEUR

Dans la même collection

Naissance des dieux et des hommes,


Bibliothèque Historique, Livres I et II

Introduction, traduction et notes par Michel Casevitz

Préface de Pierre Vidal-Naquet


Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays.

© 2018, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, bd Raspail, 75006 Paris.
www.lesbelleslettres.com

Première édition 1997

ISBN : 978-2-251-91154-0
ISSN : 1150-4129

avec le soutien du
PRÉFACE

La mythologie
comme prélude à l’histoire

Présentant le parcours de la Bibliothèque historique dans sa


préface au livre I, Diodore précise d’emblée qui il est et d’où il
écrit : « Au point de départ de cette entreprise, nous avons
utilisé (…) l’abondance à Rome de ce qui se rapporte au projet
envisagé. En effet la suprématie de cette cité, dont la
puissance s’étend jusqu’aux confins du monde habité, nous a
fourni les points de départ les plus disponibles et les plus
nombreux, à nous qui y avons résidé assez longtemps. »1
Diodore ajoute qu’il parlait couramment le latin, langue qu’il
avait apprise au contact des Romains établis en Sicile dans la
région d’Agyrion, sa ville natale.
Après cette remarque qui concerne au premier chef les
sources de sa documentation sur les origines et le
développement de l’hégémonie romaine (le thème qui
occupera toute la seconde moitié de son œuvre, les vingt
derniers livres malheureusement perdus), il présente le plan
d’ensemble de son enquête, en insistant sur l’unité des six
premiers livres consacrés « à ce que rapportent les mythes
des Grecs et aussi des Barbares, examinant au plus près du
possible ce que chacun raconte des temps anciens »2 De ces
six livres « mythologiques », seuls les cinq premiers nous
sont parvenus intégralement ; quelques fragments (citations)
subsistant du sixième. Ils traitent des « événements » et des
« mythologies » antérieurs à la guerre de Troie3, remontant à
des époques où la chronologie reste floue, concède Diodore,
faute d’une table de références fiable4. Cet ensemble
cohérent est à son tour divisé en deux sous-groupes de
chacun trois livres concernant, le premier sous-groupe les
Barbares, le second les Grecs. Pourquoi les Barbares avant les
Grecs ? La réponse vient quelques pages plus loin : « Nous
parlerons d’abord des Barbares, non que nous les croyions
plus anciens que les Grecs, comme l’a prétendu Éphore, mais
parce que nous voulons donner au préalable le maximum
d’explications sur eux, afin que, lorsque nous commencerons
le récit qu’on tient chez les Grecs, nous n’intercalions aucun
événement hétérogène dans les récits des faits antiques. »5
On remarquera que sous la plume de Diodore, le contenu des
six premiers livres est désigné tour à tour et indifféremment
comme un ensemble de « mythologèmes », de
« mythologies », de « récits historiques » ou de « récits
d’origine » (archéologies)6. Et c’est dans le souci d’épargner à
l’exposé des traditions grecques classiques d’inévitables
digressions faisant intervenir des données extérieures,
indispensables à leur intelligence, que Diodore commence
par les Barbares. Gela signifie que la mythologie grecque,
selon Diodore, n’est pas étanche, ni pure de toute
communication avec ses voisines qui ne sont pas ses aînées,
sans être pour autant ses cadettes. Bien au contraire, elle ne
prend sens que dans une perspective comparatiste. Nous
verrons que Dionysos et Héraclès, de ce point de vue, sont
des opérateurs particulièrement efficaces, eux que l’on
rencontre aussi bien en Égypte qu’en Libye, en Inde et en
Grèce.
L’entreprise commencera donc chez les Barbares et
Diodore choisit, dans ce cadre, l’Égypte comme point de
départ. Les raisons qu’il donne de ce choix somme toute
traditionnel depuis Hérodote sont révélatrices de son
système : « Puisque les mythes situent les naissances des
dieux en Égypte, puisque l’on rapporte que les plus anciennes
observations astrales ont été découvertes dans ce pays, et
puisque en outre l’histoire y situe de mémorables et
nombreuses actions de grands hommes, nous ferons débuter
notre enquête par ce qui fut accompli en Égypte. »7 L’Égypte
n’est pas privilégiée au nom d’une antériorité de fait, mais
pour des raisons qui relèvent, elles aussi, de l’efficacité du
discours : parce que les récits mythiques y situent les
naissances des dieux, et aussi parce que la technique des
observations astrales (et donc la mesure du temps, condition
de tout récit historique) aurait été inventée là-bas. L’Égypte
enfin est riche en hauts faits accomplis par de grands
hommes, les dieux d’abord qui furent les premiers rois.
L’antériorité de l’Égypte n’est pas d’ordre chronologique,
mais d’ordre rhétorique. On relèvera que l’Égypte, où Diodore
a séjourné peu de temps avant d’entreprendre l’écriture de sa
Bibliothèque historique, constitue un pôle de préoccupation
essentiel de la politique et de l’histoire romaines durant
toute la période de rédaction de cette œuvre, une trentaine
d’années que l’on peut situer entre 56 et 26. Diodore fixe
comme terme de son parcours l’expédition de César en
Bretagne, soit l’an 54 avant notre ère : c’est aussi l’année où
Ptolémée Aulète (le souverain sous le règne duquel Diodore a
voyagé en Égypte, et qu’il mentionne à plusieurs reprises
dans la partie conservée de son œuvre8), après s’être réfugié
à Rome et avoir obtenu l’appui de Pompée, fut rétabli sur le
trône par Gabinius gouverneur de Syrie. Père de la grande
Cléopâtre, Ptolémée Aulète se faisait appeler « nouveau
Dionysos ». En 30, l’Égypte était devenue province romaine.

La narration des « événements transmis à la mémoire »9


commence donc par ce qui se dit en Égypte. Les premiers
hommes, selon les Égyptiens, sont nés du limon nilotique ; ils
« élèvent leur regard sur le monde »10. Cette posture, qui
distingue l’humain (tourné vers le haut) de l’animal, leur
permet de postuler l’existence de deux divinités éternelles et
premières, le Soleil (Osiris) et la Lune (Isis). Parmi les vieux
mythologues grecs, remarque aussitôt Diodore ou sa source
égyptianisante, certains (les orphiques) donnent à cet Osiris-
Soleil les noms de Dionysos ou de Phanès11. Le corps du
monde, dépendant tout entier de ces deux entités (le Soleil et
la Lune), se compose de cinq éléments correspondant à cinq
dieux, dont Diodore nous donne les équivalents grecs : le
souffle (Zeus), le feu (Héphaistos), la terre (Méter, Gé Méter
ou Déméter), l’humide (Océane, une « Mère nourricière »
masculinisée et interprétée comme Océanos par les Grecs),
l’air enfin (Athéna fille de Zeus). Les Égyptiens, qui se disent
plagiés sur ce point par Homère qui visita leur terre et
s’instruisit auprès de leurs prêtres, prétendent que ces dieux
élémentaires et tout puissants peuvent emprunter
l’apparence d’animaux sacrés ou d’êtres humains pour
apparaître aux hommes12.
Eux-mêmes issus du travail de ces puissances
élémentaires, travail désigné par la métaphore du limon
nilotique, les hommes reconnaissent donc, à travers ce qu’ils
désignent comme divin, les principes physiques et immortels
qui ont présidé à leur apparition. Et voici qu’à côté de ces
dieux « physiques », mais toujours en fonction du regard
humain, va surgir une autre catégorie d’entités divines.
Certains mortels, par l’effet de leur intelligence et des
bienfaits de leur philanthropie, vont obtenir une immortalité
d’un autre type que celle des principes élémentaires. Il s’agit
d’êtres exceptionnels, souverains eux-mêmes ou proches du
pouvoir, que la mémoire humaine a divinisés et réunis dans
le cadre généalogique d’un panthéon. Quelques-uns portent
les mêmes noms que certains des dieux élémentaires : c’est
ainsi que Cronos s’unit à Rhéa pour engendrer Zeus et Héra,
qui à leur tour donnèrent naissance à Osiris (Dionysos), Isis
(Déméter), Typhon, Apollon et Aphrodite.
Diodore consacre neuf chapitres aux règnes et à l’action
civilisatrice d’Osiris et d’Isis. C’est pour lui l’occasion de
mettre en place un dispositif typiquement « évhémériste »13,
caractérisé par un ensemble de motifs directement
empruntés à l’idéologie de la monarchie hellénistique :
grands ancêtres royaux et non plus principes élémentaires,
cet Osiris et cette Isis sont désignés comme des bienfaiteurs
(des évergètes), inventeurs des premières techniques
civilisatrices qu’ils diffusent dans l’ensemble du monde
connu, à l’occasion de grandes expéditions militaires
doublées d’une activité de constructeurs et de fondateurs de
cités, avant de se voir divinisés par une mémoire humaine
reconnaissante. Ce dispositif va désormais informer
l’ensemble des livres mythologiques de la Bibliothèque14. Dans
ce sens on peut dire que l’Égypte de Diodore, dont la
mythologie structurée en fonction de Dionysos (Osiris) et de
Déméter (Isis) déborde des limites de la Vallée du Nil, est un
territoire où convergent les interrogations comparatistes qui
vont se répéter d’une étape à l’autre du parcours effectué
dans les six premiers livres.
Le récit attribué aux Égyptiens est d’ailleurs ponctué
d’allusions à des parallèles grecs : l’activité législatrice d’Isis
est à l’origine de l’appellation de Déméter Thesmophore
(« qui établit les lois »)15 ; élevé à Nysa en Arabie Heureuse, et
fils de Zeus (Diós au génitif), Osiris reçut des Grecs le nom de
Dionysos16 et se vit attribuer le lierre17 ; Hermès, vizir
d’Osiris, reçut en Égypte la plupart des pouvoirs qui le
définissent aux yeux des Grecs18. Pan, autre complice, est
particulièrement vénéré en Haute Égypte19. Frère et
compagnon d’armes d’Osiris, Apollon, qui dirige pour la joie
de l’armée civilisatrice un chœur de neuf jeunes filles, celles
que les Grecs nomment Muses, est l’inventeur du plant de
laurier20 ; en Éthiopie, l’armée d’Osiris rencontre le peuple
des Satyres ; Osiris emmène avec lui, dans son expédition
civilisatrice, à la fois Maron (spécialiste de la viticulture tout
droit sorti de l’Odyssée21, qui devient à cette occasion, et à la
suite de la défaite en Thrace du monstrueux Lycurgue22, le
fondateur de Maronée23), Macédon (son fils, un homme à tête
de loup, ancêtre des Macédoniens24), et même Triptolème, un
spécialiste de l’agriculture céréalière, auquel il confie le soin
de l’Attique25. A la veille de l’expédition, une inondation
ravage l’Egypte et particulièrement la région dont Prométhée
(sic) est gouverneur ; incapable de maîtriser le fléau,
Prométhée est sur le point de se suicider quand Héraclès
intervient, réparant les digues détruites par l’inondation :
« C’est pourquoi certains poètes de chez les Grecs ont ramené
cette action à un mythe, selon lequel Héraclès aurait tué
l’aigle qui rongeait le foie de Prométhée » (I, 19, 1-3).
Les Grecs enfin auraient emprunté aux Égyptiens les
mystères de Dionysos, et la référence au mythe du
morcellement d’Osiris expliquerait le rôle du phallos dans ces
mystères26. Les Égyptiens, selon Diodore, affirment que ceux
qui disent qu’Osiris (Dionysos) est né à Thèbes en Béotie, de
Zeus et de Sémélé, sont des faussaires. En réalité Sémélé, à la
suite d’une union inavouable, avait donné naissance à un
enfant mort-né au septième mois, ressemblant à l’image que
les Égyptiens se font d’Osiris. A la suite d’un oracle, Cadmos
crut que cet enfant était une épiphanie d’Osiris ; il le fit
recouvrir d’or et lui adressa les sacrifices qu’on fait à ce dieu.
Il en attribua la paternité à Zeus, à la fois pour respecter
Osiris et pour protéger de la calomnie sa fille pourtant
coupable. Par la suite Orphée, qui avait voyagé en Égypte et
s’était fait initier aux mystères d’Osiris, fut reçu, avec tous les
honneurs inspirés par sa célébrité de maître des initiations,
chez les descendants de Cadmos : « Comme il avait participé
aux recherches religieuses chez les Égyptiens, il transporta la
naissance d’Osiris l’ancien en des temps plus récents et, pour
faire plaisir aux Cadméens, il institua chez eux de nouveaux
rites où on transmet aux initiés que Dionysos est né de
Sémélé et de Zeus. Les hommes, partie abusés par ignorance,
partie s’attachant à de tels récits par le crédit accordé à
Orphée et à sa réputation, et surtout accueillant avec plaisir
l’affirmation que le dieu est tenu pour grec, comme on a dit
plus haut, ont observé les cérémonies d’initiation. Ensuite,
quand les mythographes et les poètes eurent reçu cette
généalogie, les théâtres en furent pleins et la postérité eut en
elle une confiance solide et inébranlable. En général, disent
les Égyptiens, les Grecs s’approprient leurs héros et leurs
dieux les plus illustres ainsi que les colonies qu’ils ont eux-
mêmes (les Égyptiens) envoyées. »27

Les Égyptiens revendiquent de même Héraclès et Persée28.


Et surtout, ils expliquent par l’hypothèse des antiques
colonisations parties de chez eux un ensemble de coutumes
religieuses d’origine soi-disant égyptienne présentes aussi
bien en Babylonie (l’astrologie chaldéenne) que chez les Juifs
(la circoncision), ou les Grecs (les mystères d’Éleusis)29.
Diodore, il faut le souligner, ne croit pas à cette antériorité de
la mémoire égyptienne. Il insiste sur les inévitables
désaccords et la confusion qui règnent dans le domaine de
l’identification des dieux quand on passe d’un peuple à
l’autre (I, 25, 1-2) ; il met en garde son lecteur contre la fierté
nationale des Égyptiens et rejette en bloc les données
tendancieuses de leur « théologie »30, avant de s’étendre,
beaucoup plus longuement, sur la description de leur pays,
l’histoire de leurs premiers rois, la relation de leurs usages et
coutumes. Le premier livre se clôt sur l’évocation des Grecs
célèbres qui ont voyagé en Égypte et en ont rapporté nombre
de connaissances utiles31.
Consacré à l’Asie, le livre II est apparemment beaucoup
moins hellénocentrique. Les allusions explicites à la donnée
grecque y sont presque absentes. À partir des Assyriens le
discours se déplace vers l’Est (Inde), puis vers l’extrême Nord
(Scythes, Amazones et Hyperboréens), et enfin l’extrême Sud
(l’Arabie et une île merveilleuse de l’Océan). Les expéditions
de Sémiramis (fille de la mélusinienne Derceto, fondatrice de
Babylone) en Égypte, en Éthiopie et en Inde, suivies de sa
divinisation32, précèdent dans ce parcours l’étrange destin de
Sardanapale33 ainsi que les récits indiens sur Dionysos
(considéré comme un conquérant civilisateur venu de
l’Ouest, sans autre précision, mort de vieillesse et divinisé en
Inde) et sur Héraclès (un héros local, fondateur de cités) 34.
Ces développements concernent des souverains et sont
construits, à l’exception de la légende de Sardanapale qui
constitue un contre-exemple, sur le modèle des biographies
évhéméristes tributaires de l’idéologie monarchiste déjà
rencontrée avec Osiris et Isis. Font suite, encadrant la
description de l’Arabie, deux récits romanesques mettant en
scène deux variétés d’utopies, représentant chacune un
exercice d’exploration imaginaire sur les confins du possible
culturel : l’un concerne les Amazones du Thermodon35, et
l’autre un fabuleux voyage dans les îles Océanes36.
Le livre III, qui décrit l’Éthiopie et la Libye, constitue le
prolongement de cette plongée dans une altérité radicale. Là
encore, l’enquête de type ethnographique qui ouvre le livre
(en particulier chez les Ichthyophages, et encore chez les
Libyens) est un prétexte à réfléchir sur les limites, inférieures
ou supérieures, de la civilisation. Mais à partir du troisième
tiers du livre, le retour à la référence grecque est frappant.
Les chapitres 52 à 74 résument un recueil de légendes rédigé
au IIe siècle avant notre ère par Denys Scytobrachion. Celui-ci
présentait d’abord une communauté d’Amazones
« libyennes », depuis longtemps disparues et beaucoup plus
anciennes que celles du Thermodon. Le pays de ces
Amazones était une île du lac Tritônis nommée Hespéra,
« l’île du couchant », aux confins de l’Océan, de l’Éthiopie et
de l’Atlas. Ses habitants, qui n’avaient pas encore découvert
la culture du blé, se nourrissaient de fruits, de lait ou de
viande37. Diodore, à la suite de Denys Scytobrachion, raconte
la soumission de ces primitifs aux Amazones, qui fondèrent
une grande cité. Cette ville servit de base à d’importantes
expéditions qu’elles entreprirent contre de nombreuses
populations. Obéissant à la reine Myrina, elles vainquirent les
Atlantes et les Gorgones avant d’être exterminées par
Héraclès, lors de son expédition vers les régions du Couchant.
Héraclès estimait en effet « qu’il serait scandaleux, pour lui
qui avait résolu d’être le bienfaiteur de l’ensemble du genre
humain, de tolérer que certains, parmi les peuples, fussent
gouvernés par des femmes »38. L’impensable gynécocratie est
anéantie par le héros civilisateur. Quant à l’île du lac Tritônis,
elle disparaît à la suite d’un cataclysme comparable à celui de
l’Atlantide platonicienne (ibid.). Mais ces Amazones auraient
laissé des traces bien réelles dans le monde grec, en Éolide et
en Ionie où elles ont fondé, avant de rentrer chez elles, les
villes de Myrina, Kymé, Pitané et Priène. Leur reine Myrina
aurait à cette occasion consacré, à la suite d’une tempête, l’île
de Samothrace à la Mère des dieux (II, 55, 8). La préhistoire
des mystères dont cette île est le siège, mystères liés à la
royauté macédonienne avant d’entrer dans le dossier des
pénates et des origines de Rome, serait donc une affaire
amazonienne.
Ce véritable roman préhistorique entraîne Diodore, à la
suite de Denys Scytobrachion, à pénétrer plus profondément
encore dans la fable, en exposant ce qu’il présente comme la
mythologie des Atlantes, un peuple de Libye dont il souligne
le haut degré de civilisation, et que les Amazones avaient
autrefois soumis. Il s’agit très clairement, à ses yeux, de la
lecture évhémériste d’une théogonie de type hésiodico-
homérique39, et tout se passe comme si Diodore, en résumant
le récit qu’en faisait Denys, voulait donner à son lecteur
l’impression fictive, romanesque, d’aborder la version
originelle d’une histoire dont les Grecs n’auraient conservé
qu’une mémoire poétique et déformée.
Diodore achève l’ensemble de son parcours des traditions
barbares avec des récits relatifs à Dionysos et à Héraclès, ce
qui lui permet de nouer la boucle, puisqu’il revient ainsi aux
figures dominantes (et médiatrices entre les Grecs et les
autres), déjà rencontrées en Égypte, puis en Inde40. Il
consacre, dans ce contexte encore barbare, quatre chapitres
à analyser les traditions grecques relatives à Dionysos,
distinguant trois Dionysos dont il explique les figures
respectives, d’abord dans le cadre d’une interprétation
allégorique-physique, ensuite dans le cadre d’une lecture
évhémériste41. Loin d’être une anticipation, sinon une
interpolation maladroite, cet excursus hellénique lui permet
de présenter, toujours à la suite de Denys Scytobrachion,
l’exposé qu’aurait donné, de la geste de ces trois Dionysos et
aussi d’Héraclès, la mythologie des Libyens transmise par un
chantre d’origine troyenne dont on suppose qu’il rédige en
grec, un grand voyageur, Thymoitès fils de Laomédon42. Ici
encore, la vérité de ce que rapportent les Grecs se trouve
dévoilée, par avance et sous la forme d’une fiction
évhémériste, à l’occasion d’un récit localisé chez les autres
(les Libyens), mais rédigé par un prophète prestigieux,
contemporain d’Orphée.
La présentation systématique des récits grecs relatifs aux
héros et demi-dieux43, qui occupe le livre IV, n’aura pas à se
préoccuper outre mesure de cette lecture évhémériste dont
la vérité, déjà largement postulée dans les livres barbares, ne
sera démontrée qu’en fin de parcours, à propos de l’île de
Panchaïa au livre V, et plus explicitement au livre VI, avec un
compte rendu de la doctrine d’Évhémère (conservé par
Eusèbe44). Ce n’est cependant pas une « théologie », une
mythologie divine, ni a fortiori une théogonie comme on
pourrait peut-être s’y attendre, qui ouvre l’exposé de la
mythologie grecque au livre IV, mais une synthèse des
données traditionnelles concernant un humain devenu dieu.
Ce mortel, auquel l’ensemble de l’humanité sans exception,
selon Diodore45, accorde des honneurs divins, est Dionysos
diffuseur de la vigne, une figure universelle, transculturelle à
l’instar de Déméter dispensatrice du blé. Les récits du livre IV
commencent donc naturellement par lui46. A peu de choses
près, en abordant l’avatar grec de cet inventeur divinisé,
Diodore se contente de transcrire sèchement et fidèlement
un ensemble de données véhiculées par la tradition classique.
Il les présente comme la version grecque des variantes
égyptiennes et indiennes déjà longuement développées47. On
a le sentiment, à les lire, que l’essentiel au niveau de
l’interprétation a déjà été dit dans les livres précédents. Le
long développement dont Héraclès fait l’objet, autre humain
accédant au statut de dieu olympien par l’effet de sa
philanthropie48, nous révèle par contraste la raison de ce
désintérêt relatif : ce qui préoccupe Diodore, parvenu à ce
point de son exposé, ce n’est plus l’Orient des expéditions
très alexandrines d’Osiris, de Dionysos et encore de Pompée,
mais bien l’Occident le plus contemporain, celui de César où
conduisent les travaux d’Héraclès. Le retour de l’expédition
chez Géryon (aux colonnes d’Hercule), est l’occasion
d’introduire au monde celtique49. Héraclès fonde Alésia50,
« foyer et métropole de toute la Gaule », et Diodore ne
manque pas de souligner que cette ville, jusqu’alors
inexpugnable, fut prise par César, un digne émule du héros,
qui, comme celui-ci, sera appelé « dieu » en raison de la
grandeur de ses actions51. De la Gaule transalpine et de la
Ligurie, Héraclès passe à Rome, puis en Italie du Sud et enfin
en Sicile, où les habitants d’Agyrion, la cité de Diodore, furent
les premiers à l’honorer (de son vivant !) d’un culte divin : « Il
y consentit alors pour la première fois, parce que la divinité
lui donnait par avance des signes de son immortalité. »52
Diodore mentionne avec fierté plusieurs coutumes locales,
vivantes de son temps, qui véhiculent à Agyrion le souvenir
de ce passage, et en particulier le culte d’Iolaos compagnon
d’Héraclès53.
A part Dionysos et Héraclès, seul Jason, dans l’exposé
systématique du livre IV, fait l’objet d’une attention
soutenue54, ce que Diodore justifie au nom de la participation
d’Héraclès à cette expédition55. Il faut enfin relever, à la fin
de ce parcours des héros et demi-dieux, d’importantes
allusions à la mythologie sicilienne, qui nous renvoient à
nouveau, comme Héraclès, soit à la politique romaine (avec le
culte de Vénus Erycine56), soit à Agyrion et à sa région (avec
le culte des Mères57).
Le discours grec sur les dieux olympiens, Déméter la
Sicilienne en tête, ne sera présenté qu’au livre V, le « livre
des îles »58. Les lieux d’énonciation théologique les plus
remarquables, à part la Sicile, seront alors la Crète, Rhodes et
Samothrace, sans oublier l’île qui recèle la clé de tout le
système, l’énigmatique Panchaïa visitée par Évhémère.
Tous les livres d’histoires commencent par du mythique,
et le soin des historiens, depuis toujours, est de vouloir
distinguer le mythique de ce qui ne le serait pas. A savoir ce
qu’ils ont l’intention, eux, d’écrire. La ligne de partage des
eaux, le plus souvent située (dans la tradition grecque)
autour des événements qui accompagnent la guerre de Troie,
peut varier d’un auteur à l’autre. Proche de Diodore, Denys
d’Halicarnasse, qui rejette en bloc les récits relatifs aux dieux,
n’hésite pas à remonter jusqu’à une origine prétroyenne,
arcadienne, pour le peuplement du Latium. Tite-Live
abandonne au domaine de la fabula tout ce qui précède
Romulus. Quant à savoir quel est le statut de ce qui suit
(l’époque royale, et les débuts de la République), un doute
plane chez lui, explicité seulement au début du livre VI :
l’histoire fiable, étayée sur une mémoire écrite (documents
publics et privés) ne commence qu’avec la re-création de
Rome, après sa destruction par les Gaulois, soit à partir de
364 avant notre ère.
Chez Diodore, il se trouve que ce réflexe de
l’historiographie antique est précisément et consciemment
absent59. Ce que nous appellerions l’historicisation des
mythes, en particulier l’emploi sous sa plume de la méthode
évhémériste, n’explique qu’en partie cette apparente
désinvolture. En faisant du mythe, y compris du mythe divin,
une matière historique, en réduisant la distance qui sépare
ces deux régimes narratifs, Diodore ne reconnaît pas
simplement, au mythe, un statut événementiel. A la
différence de Denys d’Halicarnasse, chez qui les traditions
mythiques, les migrations successives parties d’Arcadie et de
Grèce, sont évoquées à une fin très précise qui est de
reconstituer les origines grecques du Latium, le mythe chez
Diodore est caractérisé par une certaine polysémie et ne
renvoie pas nécessairement au passé. Devenue modèle
exemplaire, la scène primitive, celle où de grands humains
divinisés accomplissent les exploits civilisateurs, se déploie
dans une temporalité qui échappe à la chronologie ; ce qui
relève du plus ancien s’y trouve fatalement reporté sur le
plus récent, par l’effet d’un brouillage résultant soit d’une
imitation consciente, un nouveau Dionysos ou un nouvel
Héraclès se faisant l’émule des plus anciens60, soit d’un
amalgame, le plus récent se voyant attribuer, dans une
tradition trompée par l’analogie ou l’homonymie, les exploits
des plus anciens61. Privée de repères temporels, dégagée de
l’événementiel, la scène mythologique dans son insularité
revendiquée fonctionne néanmoins comme un paradigme
explicatif du monde contemporain.
Diodore nous le dit parfois de manière explicite. En Égypte
par exemple, le mariage entre frères et sœurs est construit
sur le modèle instauré, dans le mythe, par la déesse Isis veuve
de son frère Osiris, qui reste chaste et conserve la
souveraineté à la mort de celui-ci. Ce mariage fonde, une fois
pour toutes, la primauté de l’épouse égyptienne sur son mari.
Le dispositif mis en place par le destin d’Isis trouverait donc
une expression « actuelle » dans la juridiction matrimoniale
prétendument observée chez les Égyptiens, un peuple que
Diodore suppose bien connaître puisqu’il a lui-même exploré
la Vallée du Nil : « Chez les particuliers la femme est
responsable de l’homme, et dans le contrat effectué au
moment de l’établissement de la dot les époux s’engagent à
respecter en toutes choses la décision de l’épouse. »62
On aurait affaire à un exemple somme toute banal d’usage
du mythe comme instrument étiologique, une démarche fort
répandue à l’époque hellénistique. Le mythe viendrait à la
rescousse de l’historien pour lui procurer la cause (l’aitía)
d’une coutume étrange ou paradoxale. On pourrait arrêter ici
l’analyse, si l’on ne reconnaissait aussitôt que cela suppose de
notre point de vue moderne que le mythe aurait été, d’une
certaine manière, fabriqué pour expliquer une réalité
ethnographique dont il ne serait que la projection. Or tel
n’est pas du tout le cas, nous le savons bien, chez Diodore et
ses sources. Au contraire, le mythe auquel ils s’attardent
préexiste, ils en sont conscients autant que nous, sous
d’autres formes héritées d’une longue tradition littéraire
classique. Contrairement au récit qui en fonde
l’interprétation (les explorations de Thymoitès en Libye, et
surtout le fameux voyage d’Évhémère dans l’île de Panchaia
où il découvre, sur une stèle d’or, l’inscription rédigée par le
scribe Hermès résumant les hauts faits tout humains, on est
tenté de dire les Res Gestae, d’Ouranos, de Cronos et de
Zeus63), le mythe lui-même n’est pas inventé mais se voit
réélaboré, réorienté en fonction de l’histoire que Diodore
entreprend d’écrire. Considérer les dieux comme des
humains exemplaires, des héros civilisateurs, mortels
divinisés par la mémoire, cela revient à renouer, en référence
à des préoccupations très contemporaines parmi lesquelles
l’idéologie monarchique occupe une place privilégiée, avec
de vieux récits transmis depuis longtemps, mais à d’autres
fins, par la tradition littéraire.
De quoi parlent les mythes, que devient leur fonction
réelle, dans une telle perspective ? Et pourquoi les situer, en
bloc, au début de l’enquête, dans les six premiers livres ? Est-
ce parce que, d’évidence, ils parlent de choses plus
fondamentales, sinon plus anciennes, que ce que révèlent les
instruments habituels de l’historien ? Non. Ou plutôt : oui,
bien sûr, mais cela n’explique rien. Diodore, précisément,
n’opte pas pour l’attitude classique qu’on attendrait alors, et
qui consisterait à reléguer ces vénérables reliques, cette
mémoire des temps invérifiables d’avant la guerre de Troie,
dans une courte préface archéologique qui s’en
débarrasserait avec plus ou moins de respect. Pour parvenir à
occuper six livres, sur les quarante de l’œuvre complète, il
fallait bien que ces récits, dans l’optique de Diodore, aient
quelque chose d’utile à transmettre, quelque chose qui
concerne directement les événements qu’ils introduisent et
par rapport auxquels ils constituent d’indispensables
prolégomènes : la matière mythique, chez Diodore, s’impose
comme un préambule nécessaire à la compréhension de tout
ce qui va se passer, dans le monde connu de ses
contemporains, depuis la guerre de Troie jusqu’à l’expédition
de César en Bretagne, terme explicite de son ouvrage ; elle
met en place, de manière transculturelle, à la fois un espace
(une géographie, une orientation), le sentiment d’une
évolution (à travers une réflexion constante sur les origines
et les étapes de la civilisation64), et deux grandes figures de
conquérants civilisateurs destinés à l’immortalisation, l’une
tournée vers le modèle monarchique macédonien (Dionysos
émule d’Alexandre, et encore de Pompée), l’autre vers le
présent romain le plus actuel (Héraclès, émule de César65).
Nous avons vu que l’architecture des livres mythologiques
est étroitement solidaire, dans la Bibliothèque historique, du
poste d’observation occupé par le narrateur, à savoir de
Diodore lui-même. Elle ne se comprend qu’en fonction de
l’évolution qui conduit le monde antique à la situation dont
l’historien est témoin, depuis sa petite ville natale d’Agyrion
en Sicile. Écrivain grec de l’époque de César, Diodore se
révèle, sous cet angle, être un informateur particulièrement
important sur le débat qui oppose le mythique à son ombre, à
son double, à ce que nous appelons histoire. Alors que Denys
d’Halicarnasse, autre Grec dévoué à la cause de l’histoire
romaine, explique la supériorité des Romains, entre autres,
par le rejet de la mythologie divine66, Diodore fait de la
mythologie tout entière, à la fois divine et héroïque, grecque
et barbare, le cadre explicatif d’une histoire qui s’achève sous
les Romains à l’époque de César. Transmettre et réorganiser
ces vieux récits traditionnels constitue ainsi, pour l’écrivain
sicilien, un moyen d’affirmer l’efficacité d’un instrument
d’analyse hérité des provinces et véhiculé en grec, au
moment d’introduire une histoire qui conduit, dans la Rome
tardo-républicaine, à l’invention d’un nouveau style
monarchique. Mais il ne faudrait pas pour autant réduire
l’usage que le vieux Diodore fait du mythe au simple exercice
d’une lucidité comparable à celle qu’on attend de n’importe
quel historien. Promouvoir le mythe au rang d’instrument
d’analyse revient en effet à reconnaître, et à honorer
naïvement, le plaisir d’un enchantement que l’on a ressenti
et que l’on se plaît à communiquer. C’est de là, à n’en pas
douter, qu’est issue la mauvaise réputation de Diodore, la
méfiance qu’il suscite infailliblement chez les partisans
modernes d’une histoire austère de l’Antiquité. C’est là, aussi,
que se situe sa vérité.
Philippe Borgeaud
1. I, 4, 2-3, trad. de Michel Casevitz dans Diodore de Sicile, Naissance des
dieux et des hommes. Bibliothèque historique livres I et II, Paris, Les Belles
Lettres, Collection « La Roue à Livres », 1991 ; on lira avec profit le beau
texte de P. Vidal-Naquet, « Diodore et le Vieillard de Crète », qui ouvre
ce volume.
2. I, 4, 5.
3. I, 4, 6.
4. I, 5, 1 ; Diodore rappellera cette carence dans son dernier livre (40, fr.
8).
5. I, 9, 5 (trad. Casevitz). On se plaira à comparer cette prise de position à
l’attitude d’Hérodote (2, 2) qui se contente de relever que les Égyptiens,
jusqu’à Psammétique, ont cru qu’ils étaient le plus vieux peuple de la
terre ; l’expérimentation effectuée par Psammétique sur deux « enfants
sauvages » les auraient convaincus du « fait » que les Phrygiens ont une
langue plus ancienne que la leur.
6. Muthologoúmena, muthologíai, historoúmena, archaiologíai.
7. I, 9, 6.
8. Cf. I, 44, 1 et 83, 8 ; XVII, 52, 6.
9. I, 9, 1.
10. I, 11, 1.
11. I, 11, 3.
12. Diodore cite l’Odyssée 17, 485-487 : « Car les dieux, sous l’aspect d’un
homme d’autres lieux, prenant toutes les formes, font parfois le tour des
villes pour sonder la violence ou la vertu des hommes. » (Trad. Philippe
Jaccottet.)
13. Renvoyant à l’œuvre d’Évhémère, les Inscriptions sacrées, récit
romanesque d’un voyage d’exploration effectué à la demande du roi
macédonien Cassandre (330-260 avant notre ère) ; débarquant sur l’île
fabuleuse de Panchaïa, Évhémère découvre les inscriptions qui
prouvent que les dieux olympiens sont des humains divinisés par leurs
exploits. On sait que le récit d’Évhémère fut traduit et diffusé, en latin,
par Ennius.
14. Cf. l’étude essentielle de Marco Sartori, « Storia, Utopia e Mito nei
Primi Libri della Bibliotheca Historica di Diodoro Siculo », Athenaeum 62
(1984), p. 492-536.
15. I, 14, 4.
16. I, 15, 7 : Diodore cite à ce propos le Poète (Hymne homérique III à
Dionysos, A 8-9) : « Il existe une certaine Nysa, haute montagne revêtue
de forêt, au-delà de la Phénicie, près du Fleuve d’Égypte. » (Trad. Jean
Humbert, CUF.) Ici encore, les Égyptiens prétendent que leurs traditions
ont influencé Homère.
17. I, 17, 5.
18. La mise au point du langage humain, la découverte des lettres, des
règles sacrificielles, de l’astronomie, de la musique, de la palestre, de la
danse, de la lyre et de l’interprétation (herméneutique) : cf. I, 16.
19. I, 18, 2.
20. I, 18, 4 ; cf. I, 17, 4.
21. Où il donne à Ulysse le vin fameux qui enivre le Cyclope (Odyssée 9,
196-215).
22. Un adversaire de Dionysos connu, lui, par l’Iliade 6, 130-140.
23. I, 18, 2 ; I, 20, 2.
24. I, 18, 1 ; I, 20, 3.
25. I, 20, 3. On sait que Triptolème, héros éleusinien, est chargé, selon la
mythologie athénienne, de diffuser dans le monde la découverte du blé.
26. I, 22, 7.
27. I, 23, 7-8 (trad. Michel Casevitz).
28. I, 24.
29. I, 28-29.
30. I, 29, 6. Par « théologie », il faut entendre les récits mythiques relatifs
aux dieux.
31. I, 96-98. Sur ce thème, cf. François Hartog, « Les Grecs égyptologues »,
Annales E.S.C. 41 (1986), p. 953-967.
32. II, 4-20.
33. II, 23.
34. II, 38-39.
35. II, 44-46.
36. Le roman de Iamboulos : II, 55-60.
37. Cette précision « évolutionniste » se trouve en III, 53, 1-3.
38. Tina tôn ethnôn gunaikokratoúmena (III, 55, 3 ; trad. B. Bommelaer, CUF).
Diodore souligne expressément la proximité de ce récit avec la tradition
39.
classique, en III, 56, 1.
40. Il le dit explicitement pour Dionysos, en III, 62, 1.
41. III, 62-65.
42. III, 66, 4 – 74, 6.
43. « Des héros et des demi-dieux » : telle est l’expression utilisée par
Diodore (IV, 85, 7) pour définir, rétrospectivement, le livre IV.
44. Préparation évangélique 2, p. 59-61.
45. Cf. III, 73, 6.
46. IV, 1-5.
47. En IV, 1, 6-7.
48. IV, 8-39. Pour l’immortalisation, cf. IV, 15, 1.
49. Un monde qui sera présenté, de manière développée, au livre 5, 24 sqq.
à propos des îles occidentales.
50. IV, 19, 1-2.
51. Cf. J. Harmand, « Diodore IV, 19 ; V, 24 : Héraklès, Alésia, César le
Dieu », Latomus 26 (1967), p. 956-986 ; Anna Maria Prestiani
Giallombardo, « Diodoro, Filippo II e Cesare », dans Mito, Storia,
Tradizione. Diodoro Siculo e la Storiografïa Classica, a cura di E. Galvagno e C.
Molè Ventura, Catania, 1991, p. 33-52.
52. Trad. Anahita Bianquis, ici p. 45.
53. IV, 24, 1-6 ; cf. V. Cammarata, « I culti di Agyrion in Diodoro e nella
monetazione agirinense », dans Mito, Storia, Tradizione (recueil cité à la
note 2), p. 227-253.
54. IV, 40-56.
55. IV, 40, 1 : « Sur les Argonautes, puisqu’Héraclès a pris part à leur
expédition, il serait approprié d’exposer en détail ce qui les concerne. »
(Trad. Anahita Bianquis, ici p. 63.)
56. IV, 83, 6.
57. IV, 79, 7-80.
58. Bíblon nesiotikèn (V, 2, 1).
59. Cf. la préface au livre IV, où Diodore compare sur ce point sa
démarche à celles d’Ephore, de Callisthène et de Théopompe.
60. Plutarque reprendra ce motif, en faisant de Thésée l’émule d’Héraclès.
61. Diodore (ou Denys Scytobrachion cité par Diodore) explique ce double
mécanisme en III, 74, 1-5. Cf. aussi IV, 4, 5.
62. I, 27, 2.
63. Livre VI, fr.l ; cf. Eusèbe de Césarée, La Préparation évangélique, 2, 2, 52-
62.
64. W. Spœrri, Späthellenistische Berichte über Welt, Kultur und Götter,
Untersuchungen zu Diodor von Sizilien (Schweizerische Beiträge zur
Altertumswissenschaft 9), Bâle, 1959, rejette la thèse de l’origine
démocritéenne des spéculations de Diodore concernant l’origine de la
civilisation : Diodore est un bon témoin des idées courantes au Ier siècle
avant notre ère. La thèse démocritéenne (initiée par Karl Reinhardt) est
néanmoins encore soutenue par Thomas Cole, Democritus and the Sources
of Greek Anthropology (American Philological Association, Monograph 25),
Western Reserve University, 1967. L’état de la question est résumé par
Sue Blundell, The Origins of Civilization in Greek and Roman Thought,
London and Sydney, 1986 (en particulier, p. 176-177), qui refuse de ne
voir en Diodore qu’un simple compilateur d’idées héritées des
présocratiques. Voir aussi la notice de François Chamoux au livre I de la
Bibliothèque historique, dans la Collection des Universités de France, Paris,
Les Belles Lettres, 1993, p. 5-6, qui définit la position de Diodore comme
« une doctrine composite qui reflète la pensée éclectique du Ier siècle
avant notre ère ».
65. Pour la situation de Diodore, à la charnière entre une perspective
grecque et une perspective romaine, cf. Gerhard Wirth, Diodor und das
Ende des Hellenismus. Mutmassungen zu einem fast unbekannten Historiker
(Sitzungsberichte, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist.
Klasse, bd. 600), Vienne, 1993.
66. Un rejet intentionnel, de la part de ces Grecs d’origine que seraient les
Romains, opéré par le législateur-réformateur Romulus qui se comporte
comme s’il avait lu la République de Platon : cf. Ph. Borgeaud, « Quelques
remarques sur la mythologie divine à Rome, à propos de Denys
d’Halicarnasse Ant. Rom. 2, 18-20 », in Fritz Graf (éd.), Mythos in
mythenloser Gesellschaft. Das Paradigma Roms, Stuttgart und Leipzig,
Teubner 1993, p. 175-187 (Colloquium Rauricum 3). Sur la thèse de Denys
(l’origine grecque des Romains), on lira la préface de François Hartog
(« Le choix de Denys et l’identité des Romains ») dans : Denys
d’Halicarnasse, Les Origines de Rome (Les Antiquités romaines livres I et II),
traduit et commenté par Valérie Fromentin et Jacques Schnäbele, Paris,
Les Belles Lettres (collection « La roue à livres ») 1990, p. VIII-XIX.
INTRODUCTION

Le livre IV : un livre de transition


Diodore est de ceux qu’on utilise abondamment tout en le
critiquant, et il n’a pas même l’honneur d’une rubrique
spécifique dans l’Histoire de la littérature grecque de
Cambridge1. Son entreprise répondait pourtant à une très
consciente volonté encyclopédique, nettement annoncée dès
le premier livre (I, 3, 2-8) ; Diodore admet que cette somme
dépasse toutes les tentatives de même nature entreprises
avant lui, puisque ses prédécesseurs ont ou bien négligé la
chronologie, ou délaissé les Barbares, ou passé sous silence
les temps mythiques, ou encore l’époque tardive des rois
macédoniens. Et il veut s’adresser à un public très large : « les
jeunes gens et les vieillards, les simples particuliers comme
les chefs ». C’est dire si le projet était ambitieux et difficile.
Par-delà l’importance « géographique » du livre IV, à la
charnière du monde des barbares et du monde grec (les trois
premiers livres survolaient l’Égypte, l’Asie et l’Afrique), il
faut remarquer qu’il est aussi un livre de transition, au
niveau chronologique cette fois en ce qui concerne le monde
grec lui-même. Diodore s’achemine petit à petit vers les
temps historiques, que la tradition situe, à son avis, au
moment de la guerre de Troie. Il va lui falloir passer bientôt à
l’Histoire proprement dite, et dérouler cette longue histoire
jusqu’à la guerre des Gaules. S’il veut que le passage soit
agréable pour le lecteur, il faut lui faire quitter « en
douceur » le monde des dieux et des héros, amener l’Histoire
progressivement, sans solution de continuité, sans que la
frontière soit trop visible entre le monde du mythe et celui
de l’histoire des hommes. Gageure littéraire qui va conduire à
dépouiller les mythes de tout l’enrobage merveilleux afin
qu’ils accèdent lentement au statut d’Histoire. Histoire
lointaine, certes, qui remonte aux temps les plus reculés, et
qui pour cela même se sont étrangement obscurcis dans la
mémoire des hommes, d’où les multiples versions d’un même
mythe ; mais Histoire quand même, tant on pense, à l’époque
de Diodore, que Mythe et Histoire ne sont pas
fondamentalement différents, même si on rationalise l’une
pour la mettre au niveau de l’autre. Le mythe est un
précédent de l’Histoire chez Diodore, et nous aurons maintes
occasions de constater dans le livre IV à quel point l’œuvre
des héros (d’Héraclès en particulier) annonce et préfigure
l’œuvre des hommes. D’ailleurs, les buts du mythe et de
l’Histoire sont catégoriquement les mêmes : « diriger les
âmes bien nées vers de belles entreprises par la perspective
d’une gloire immortelle » (XV, 1, 1). Rien d’étonnant donc
qu’on retrouve un Héraclès civilisateur de terres, glorieux
prédécesseur des Grecs fondateurs de colonies. Le mythe
peut facilement être récupéré a posteriori par l’idéologie, le
plus bel exemple étant sans doute l’image de Jules César
soumettant les barbares d’Alésia comme Héraclès l’avait fait
avant lui, lors de son passage en Gaule. Ayant doucement,
naturellement déroulé les mythes jusqu’à la guerre de Troie,
lisant donc la tradition légendaire comme une introduction à
l’Histoire, le lecteur pourra, sans qu’il y ait la moindre faille,
continuer l’histoire des hommes avec ce style « clair et sans
parure, qui convient à merveille à l’histoire » 2 que lui
reconnaît Photius.
Exigence didactique et littéraire, donc, dans ce
dépouillement, si Diodore veut faire œuvre unitaire et
intégrer sans dommage le monde mythique à son histoire
universelle. Influence culturelle aussi : Diodore dépendait en
grande partie des érudits hellénistiques qui avaient déjà
courageusement travaillé sur les mythes anciens. Les uns
compilaient vaille que vaille cette matière luxuriante et
parfois insaisissable3, les autres entendaient rationaliser ce
fonds trop souvent incohérent4, poussés eux-mêmes par
l’évhémérisme5 ambiant qui prétendait dépouiller aussi tout
le merveilleux du discours mythique. C’est dans ce sillage que
Diodore aborde le problème, et il faut en tenir compte, avant
de le juger. Exigence littéraire et exigence culturelle allaient
de pair pour enlever au mythe ce qui, aujourd’hui, nous
fascine. Nous sommes parfois choqués maintenant de ne
trouver dans les exploits des demi-dieux chez Diodore que
des composantes sagement humaines. Héraclès, Thésée,
Jason ne sont plus que des individus plus forts que les autres,
les monstres qui leur étaient opposés dans la tradition sont
devenus parfois singulièrement quotidiens, Médée n’est plus
une magicienne mais une bonne connaisseuse des plantes
médicinales, une spécialiste de médecine douce, en quelque
sorte ; les héros surhumains ne combattent plus en solitaires,
confiants en leurs seuls muscles, mais ils sont aidés par
d’importantes forces armées. Nous sommes frustrés,
maintenant que nous disposons de tout un arsenal de grilles
d’analyse (mythologie structurale, anthropologie, lecture
psychanalytique, etc.) de ne pouvoir appliquer nos recettes
au texte de Diodore6, et les jugements sévères portés contre
lui sont souvent le miroir de cette attente déçue. Mais ne
sortons pas le livre IV de son contexte. Si nous l’isolons, il
deviendra certes un texte quelque peu stérile, coincé entre le
récit mythique et le récit d’histoire pure, ne réussissant
vraiment ni l’un ni l’autre, donc acculé à une impasse. Mais
placé comme il est dans l’œuvre de Diodore, il devient au
contraire un livre étrangement transitoire, en équilibre
fragile entre le respect de la tradition mythique dont l’auteur
ne peut faire fi et l’exigence de la Raison qu’implique tout
son projet historique (voir VIII, 2). C’était aussi le moment ou
jamais, pour Diodore, de rompre avec le monde du
merveilleux : le livre III s’achevait sur les mythes libyens, le
monde des Amazones, des Gorgones, du Dionysos africain,
contrées lointaines à qui l’on concède volontiers le « fatras
fabuleux » 7. Mais il s’agit à présent de quitter les Barbares
pour passer dans le monde grec et introduire peu à peu l’ère
de la guerre de Troie, ses preux et ses héros, ses batailles
épiques. Comment s’étonner dès lors que Jason ait à lutter
contre des armées plus que contre des monstres ?
Cette place délicate pour Diodore qu’occupe le livre IV
exige qu’on garde à l’esprit qu’il s’agit d’un livre de
transition, à lire et à étudier de façon globale. On ne peut
isoler le livre IV des autres ni, à l’intérieur de ce livre, le
mythe de Dionysos, de Jason, d’Héraclès, parce qu’ils se font
écho très souvent. D’abord pour les besoins du mythe :
certains sont ce qu’on appelle des « mythes-carrefours », où
se croisent les chemins de plusieurs héros (l’expédition des
Argonautes voit intervenir à la fois Jason, Orphée, Héraclès et
d’autres). Mais surtout parce que, dans la volonté
d’historicisation de Diodore, les héros se complètent ou
s’opposent comme modèles précurseurs de l’Histoire
grecque : Dionysos a civilisé l’Orient comme Héraclès a
« nettoyé » l’Occident des monstres et de la sauvagerie qui
l’habitaient. Les mythes correspondent et Diodore espère
bien que le lecteur fera le lien entre les deux. Étudier les
exploits de façon séparée dénaturerait leurs fonctions
initiatrices et réduirait le mythe à, c’est vrai, « un squelette
desséché », pour reprendre la formule heureuse et cruelle
d’Alain Moreau.

Un essai de composition rationnelle


… « D’une manière générale, tous ceux qui ont trouvé ou institué
quelque chose d’utile à la vie de tous », ce sont ces héros que
Diodore va vouloir chanter. Il ne peut certes pas être
exhaustif et parler de toute la mythologie non-insulaire
grecque en un livre. Une sélection s’impose : seuls les
bienfaiteurs viendront préparer la longue histoire des
hommes, et parmi eux, Dionysos et Héraclès seront sans
conteste les plus importants, ceux qui justement se
retrouvent au centre de ces mythes-carrefours qui
regroupent tant de demi-dieux (1, 4) 8.
1) Dionysos amène à parler de Priape, de son fils
Hermaphrodite, né « d’une manière presque similaire », et
des Muses, intégrées dans la geste de Dionysos.
2) Héraclès occupe à lui seul trente chapitres du livre (sur
85), cinquante si l’on tient compte de l’histoire de ses fils, ce
qui est énorme et en fait le héros par excellence. Dionysos
conquérant de l’Orient, Héraclès bienfaiteur de l’Occident, les
deux personnages maîtrisent à eux seuls toute l’oikoumène, et
tout gravite autour d’eux. La vie d’Héraclès impose (ou est
prétexte à) quelques digressions sur Orphée (XXV, 2), les
Hespérides, Atlas (XXVII), les Amazones, Méléagre (XXXIV).
Et « puisqu’Héraclès a pris part à leur expédition (XL, 1) », le
mythe des Argonautes va s’insérer quasi naturellement, avec
tous les participants et bien sûr Jason, Orphée encore, les
Dioscures, Médée, Pélias.
3) Thésée succède à Héraclès, d’une façon encore aisée :
Héraclès était l’idole du jeune Athénien. Avec Thésée défilent
Phèdre, Égée, le Minotaure, Hélène et Pirithoüs.
4) Comment parler mythologie sans parler des légendes
thébaines ? Œdipe et les Labdacides permettent de quitter
Athènes et de mentionner un autre grand lieu culturel :
Thèbes.
5) Et puis, comme Diodore est conscient que le mythe doit
l’amener petit à petit jusqu’aux temps historiques de la
guerre de Troie, il convient de préparer le terrain ; Héraclès
avait déjà posé quelques jalons (XXXII) ; et à la fin du cycle
thébain, alors qu’il parle des Épigones, Diodore mentionne
Éolie, prétexte évidemment à parler d’Éole et ses
descendants, qui, comme par hasard, donneront les Béotiens
et la lignée de Nestor. C’est ainsi qu’apparaissent les premiers
personnages censés appartenir à l’histoire. Peu après
apparaît Agamemnon, grâce au même genre de stratagème :
Asclépios n’est guère mentionné que parce que ses fils ont
aidé le roi de Mycènes, sur le champ de bataille. Idem pour
Asôpos, ancêtre d’Ajax et Oinomaos. Puis tout se mêle,
Oinomaos l’amène à parler de Pélops et donc de sa sœur,
Niobée, de son père, Tantale, et dans la mesure où Tantale fut
chassé par Ilos, c’est toute l’histoire des rois troyens qui se
déroule, mais sans abandonner totalement les temps
mythiques puisque Diodore revient sur Thésée, les Lapithes
et les Centaures… Mythe et Histoire cohabitent en toute
logique.
6) Une autre transition est délicate : il faut amener les
mythes insulaires du livre V. Héraclès a amorcé le virage en
civilisant l’Occident, il reste à insister sur la Sicile, chère au
cœur (et à la culture) de l’historien. C’est Dédale, Athénien
d’origine mais hôte en Sicile du roi Côcalos, qui permettra de
reparler du mythe crétois, puis des « vrais » Crétois installés
en Sicile et des cultes qu’ils ont instaurés aux Déesses Mères.
Aristée, son fils Actépn, et les deux grandes figures
proprement siciliennes Éryx et Daphnis précèdent Orion, qui
y réalisa de grands travaux. Le livre IV peut ainsi se clore,
mais le pont est jeté pour que le livre V commence par l’île
bien-aimée, faisant de cette « colonie » un pôle culturel à la
hauteur d’Athènes et de Thèbes, ni plus ni moins…
Belle organisation spatiale (triangle Athènes-Thèbes-
Sicile), et heureuse évolution vers l’Histoire proprement
dite : entre Dionysos qui reliait Barbares et Grecs entre les
livres III et IV, et la Sicile qui s’étire entre les livres IV et V
sont déjà intervenus les héros de la guerre de Troie, grâce à
un savant jeu de miroir entre le mythe et l’Histoire.
Cette belle construction connaît des défaillances. Mais
comment l’éviter quand il faut conjuguer toutes ces
différentes versions ? Comment ne pas se répéter quand on
raconte l’histoire individuelle d’un héros dont on sait qu’il
interviendra aussi dans l’histoire d’un autre héros ? C’est tout
le problème de ces mythes-carrefours : on doit s’attendre à
des redites puisque tous ces personnages se rencontrent, se
séparent, se croisent et s’associent. Les maladresses sont
souvent soulignées et tendent à démontrer la « médiocrité »
de Diodore : comment se fait-il, par exemple, qu’Héraclès
fonde deux fois les Jeux Olympiques, de deux façons
différentes (XIV, 1 et LUI, 4) ? Que Thésée et Pirithoüs soient
tous deux libérés des Enfers (XXVI, 1) et que plus loin, seul
Thésée connaisse ce privilège (LXIII, 4) ? Dans le
foisonnement d’aventures que brasse l’historien, ce sont à
nos yeux broutilles vénielles.
Une défaillance bien plus grave serait d’ennuyer le lecteur
par de trop longues digressions, le récit de toutes les
variantes, la surcharge bien tentante devant une telle masse
de renseignements. Or Diodore est passé maître dans l’art de
trier, de ne garder que l’essentiel, de sauvegarder la juste
mesure et ce style clair que Photius lui reconnaît. Il souligne
très souvent cette volonté de ne garder que l’essentiel (V, 4 ;
VI, 5 ; VII, 4, etc.), et se donne le droit d’éclairer plus
largement un héros qui lui semble plus important que les
autres (Héraclès), mais sans agir de même avec les héros
secondaires. Héraclès et sa geste ont en eux une telle charge
idéologique que résumer serait lui enlever de l’épaisseur.
Mais en ce qui concerne les autres, il faut privilégier un
langage clair, expliquer sans compliquer si l’on ne veut pas
perdre le lecteur. Cette sobriété enlève, il est vrai, de la
richesse au mythe, mais nous avons eu l’occasion de
remarquer, et nous y reviendrons, que le mythe perd avec
Diodore sa charge symbolique soumise à toutes nos
interprétations modernes, pour servir d’antécédent pur et
simple à l’Histoire. Et de même que l’Histoire s’écrit de façon
nette et efficace, il faut que le mythe progresse également
dans l’aisance et la sobriété.
Ce qui ne l’empêche pas d’apprécier le « paradoxon »
quand il se présente. Diodore connaît les thèmes sophistiques
et souligne combien il est étonnant qu’une belle-mère veuille
sauver son ennemi alors que sa propre mère veut sa mort (cf.
Héra et Alcmène face au bébé Héraclès, IX, 6-7). Très étrange
aussi qu’un serpent puisse servir à la fois à inventer la scie et
à trahir le crime de Dédale sur son inventeur (LXXIV, 6), que
le fils d’Aristée meure déchiré par des chiens et qu’il délivre
grâce à cette même constellation du Chien les hommes d’un
fléau (LXXXII, 3). Les paradoxa sont un des moteurs de
l’Histoire, et Diodore se garde bien de les dédaigner.
Il ne néglige pas non plus les effets de style quand ils
viennent alléger le récit : l’Amazone Alcippé « s’était fait le
serment de rester toujours vierge ; elle le tint, c’est la vie
qu’elle ne conserva pas ! » (XVI, 3). Formule heureuse et
pleine d’humour, surtout qu’elle vient après une longue
énumération d’Amazones défaites, toutes mortes sous les
coups du héros. L’humour vient désamorcer ce que cette
série de meurtres pourrait avoir de fastidieux et de
dramatique. C’est l’éloquence, la « force du discours » (hè
logou dunamis) qui ne nuit en rien à la clarté que Diodore met
au-dessus de tout, mais qui vient apporter au mythe cette
poésie qui lui va si bien. C’est ainsi également qu’il faut
interpréter son charmant parti pris pour la Sicile, et en
particulier pour le lieu de sa naissance, car Héraclès admire
« la beauté de la région » (XXIV, 1). Diodore est d’Agyrion et
le fait plaisamment sentir au lecteur. La Sicile devient chez
lui un Paradis digne des pays les plus fabuleux ; tous les topoi
chers à la description des terres lointaines et merveilleuses
sont là : sources et arbres en abondance, fruits plus gros
qu’ailleurs, vigne qui pousse spontanément. Rien d’étonnant
si la Sicile put un jour rassasier des dizaines de milliers de
Carthaginois morts de faim (LXXXIV). Hésiode ne renierait
pas ces restes d’Âge d’Or. Une façon comme une autre pour
Diodore de se faire l’héritier des Anciens qui lui ont si bien
transmis cet héritage mythique : clin d’œil aux poètes
prestigieux du passé, aux historiens-géographes et à tous les
logographes qui l’ont aidé à rédiger sa Bibliothèque.
Un dernier exemple soulignera les heureuses trouvailles
de l’écrivain. Quand il parle des juments de Diomède et de
leur redoutable régime carnivore, il joue de la concision :
deux phrases de présentation suffisent à les mettre en scène.
Mais l’une d’elles est un admirable zeugma : « elles avaient
pour nourriture le malheur des pauvres » (XV, 3). Voilà qui
dessine à merveille la monstruosité de ces juments, mieux
que ne l’aurait fait une longue et lourde prose.
Son style n’est donc pas aussi pâle qu’on a voulu le dire,
même s’il manque de panache parfois. Mais cette œuvre s’y
prêtait-elle ? Avec plus d’images et de fougue, ne serait-il pas
tombé dans le piège de ces « récits merveilleux » (teratologia)
qu’il cherchait tant à éviter ? Ne trahirait-il pas alors le
dessein « scientifique » qu’il s’est donné ? Il a sans doute les
défauts de ses qualités, une volonté de rigueur qui l’empêche
de donner à son récit une couleur trop vive, d’où une
trahison, du moins à nos yeux, du message originel. Sa
conviction que le mythe précède l’Histoire l’amène
constamment à niveler le mythe, à l’assagir, le domestiquer,
l’« historiciser », afin que le lecteur ne sente aucun hiatus en
passant de l’un à l’autre. Cette idée explique en grande partie
son style…

L’utilisation du mythe
Nous avons déjà remarqué à quel point Diodore est un bon
représentant de la tendance rationalisante dans ses exposés
mythologiques. Lorsqu’un épisode est trop irréductible, il se
cache derrière un prudent « les mythographes disent que… ».
Mais dans la plupart des cas, fidèle aux influences du roman
d’Évhémère, il reconnaît dans tous les mythes un fonds
d’historicité ; il va même plus avant dans l’historicisation du
mythe quand il voit en lui le précédent d’un événement
historique (c’est le cas mentionné ci-dessus de la prise
d’Alésia par Héraclès, qui sera imité par un Jules César lui
aussi divinisé). Notre monde porte d’ailleurs souvent des
traces tangibles du passé mythique, et ces traces sont autant
de preuves pour Diodore de l’historicité du mythe : les
monumenta éparpillés indistinctement par des dieux, des
héros et des personnages historiques en Sicile, dont on peut
voir encore des pierres de nos jours, plaident bien pour leur
réel passage dans cette île. Dieux, héros et hommes se
rejoignent, et le livre IV est sans doute celui où la symbiose
des demi-dieux et des simples humains est la plus radicale :
figures mythiques et personnages historiques se côtoyent, et
Héraclès traversant le pays ligure peut croiser une jeune
ligurienne accouchant en plein travail dans les champs9 : le
temps du mythe et le temps de Diodore se recouvrent. Les
divinités côtoyent leurs descendants historiques, guerriers
de la guerre de Troie. D’ailleurs tous les guerriers se
ressemblent : ceux de la guerre de Troie ne sont pas
différents de ces guerriers qui aident les héros Héraclès ou
Jason dans leurs exploits. Car on ne peut être rationnel sans
souligner ce point : ces héros ne pouvaient triompher seuls
de tous leurs ennemis. Il leur a fallu déployer d’énormes
forces armées, une façon comme une autre de relier Héraclès,
Nestor et Jules César, tous trois de la même trempe, des
individus « exceptionnels », tous « bienfaiteurs de
l’humanité » et exemples à suivre. Si Héraclès est un héros,
César a des traits héroïques et sera bien sûr divinisé.
Quels sont donc les traits d’un héros, mythique ou
historique ? Les êtres héroïques dépassent leurs
contemporains dans un ou plusieurs domaines. Dans le
meilleur des cas, ils excellent physiquement et moralement,
dans leur force physique et leur intelligence, harmonie
parfaite du corps et de l’esprit. Héraclès et Jason sont tous les
deux dès leur jeune âge supérieurs aux autres jeunes gens
par leurs qualités intellectuelles et physiques. Hommes
d’action et hommes de réflexion, ces héros correspondent
parfaitement à l’idéal hellénistique, puis romain, du chef, de
l’homme d’élite. C’est celui qu’admire Pausanias quand il
décrit les chefs de guerre assez braves pour affronter le
danger, mais assez prudents pour ne pas risquer indûment la
vie de leurs hommes10. Qu’Héraclès soit fort, ça n’a jamais fait
l’ombre d’un doute. Mais on n’a pas toujours souligné ses
qualités de ruse et d’intelligence comme Diodore le fait
quand il décrit sa tactique face au sanglier d’Érymanthe (XII,
1) ou à la biche aux cornes d’or (XIII, 1), sa modération aussi
quand il sauve Alcyône, pourtant la sœur de son ennemi
Eurysthée (XII, 7). Et dans la mesure où l’on a affaire à des
héros devenus très familiers, qui vivent peu ou prou comme
le commun des mortels, on voit Héraclès s’entraîner au
gymnase (X, 2), Dionysos éduqué par son précepteur Silène
(IV, 3) : leurs qualités d’exception ne sont pas innées. Qu’on
soit dieu, héros ou simple mortel, l’éducation est importante
et ne doit pas être négligée. Voilà une leçon très humaine
adressée au lecteur. D’autant plus humaine que les héros ont
leurs faiblesses : Héraclès sombre dans un profond
découragement à la mort de ses enfants, reste prostré, fuit le
contact des autres hommes (XI, 2). Les héros peuvent être
fatigués, et un simple humain peut devenir héroïque.
Les exploits des dieux et des héros ont donc valeur
d’exempla. Que ceux qui veulent devenir des êtres d’exception
prennent le relais, soignent leur éducation et dépassent leurs
collègues ; leurs hauts faits leur vaudront l’immortalité, ne
serait-ce que dans la mémoire collective, comme ces Ligures
farouches, si braves au milieu de leurs conditions de vie
déplorables, dont la rigueur et le courage forcent
l’admiration et restent dans les souvenirs (XX, 1-2).
Cet amour pour les êtres d’exception est évidemment tout
élitiste : il faut un chef aux expéditions, un roi aux peuples.
Les Argonautes, quoique tous exceptionnels, se choisissent
un chef, les Crétois débarqués en Sicile « se querellèrent
après la mort de Minos en raison de l’absence de chef (LXXIX,
5) ». D’où l’importance d’élire un bon dirigeant, un roi
vertueux, pieux, car beaucoup usurpent ce titre en ne le
méritant pas. On voit alors les héros se transformer en
libérateurs, en tueurs de mauvais rois : c’est Héraclès, tout
jeune, libérant le peuple thébain (X), premier exemple d’une
longue série de purges qui le voient libérer les hommes de
souverains indignes et impies. Pourfendeurs de tyrans, les
héros rétablissent l’ordre et la justice. Rois barbares (Busiris,
Phylas, Hippocôon, Phinée, Augias, etc.), pirates et criminels
(Antée, Diomède), monstres sanguinaires (Minotaure, truie
de Crommyon), ce sont de « justes crimes » qu’accomplissent
les héros dans leur croisade pour la civilisation. Bien
évidemment, ils en arrivent aussi à doter le monde
d’inventions bénéfiques : Dionysos donne aux hommes la
vigne, Aristée l’olivier, à chacun de trouver dans quel
domaine il peut se rendre utile à l’humanité. Il y a du travail
pour tous : terres à défricher et à livrer à l’agriculture, fauves
à chasser pour garantir la sécurité des habitants, routes à
tracer, cultes à instaurer, cités à fonder, c’est un véritable
almanach à l’usage du colon que rédige Héraclès dans sa
geste en Occident. Rien d’étonnant qu’on ait vu dans ses
exploits une récupération idéologique du mythe, une
justification a posteriori de la colonisation grecque en Grande
Grèce, colonisation qui n’est pas sans violence parfois
(massacre des Sicanes), mais le chaos n’est pas facilement
vaincu et la violence est parfois juste11.
Ces héros évergètes s’inscrivent tout naturellement dans
l’Histoire, ils servent de modèles aux princes évergètes de
l’époque hellénistique, aux rois bienfaiteurs, sauveurs de leur
peuple ; et le livre IV, lu ainsi, gagne en cohérence. Finis les
invraisemblances, le fantastique, l’irrationnel, dieux et
hommes peuvent se rejoindre dans une même excellence,
pour peu qu’on le veuille, pour peu que le roi soit bon, pour
peu que le simple citoyen ait la volonté d’égaler les plus
grands.
C’est une lecture du mythe, tout aussi légitime que les
autres. Et si le symbole y perd, l’Histoire y gagne. Qu’on le
regrette ou non, Diodore s’en est très honorablement sorti,
sans inconséquence majeure, fidèle serviteur des valeurs
morales et politiques de son époque.
Contenu du livre IV

Prologue sur les récits mythologiques chez les


historiens.
Sur Dionysos, Priape, Hermaphrodite et les Muses.
Sur Héraclès, ses douze travaux et ses autres exploits
jusqu’à son apothéose.
Sur les Argonautes, Médée et les filles de Pélias.
Sur les descendants d’Héraclès.
Sur Thésée et ses exploits.
Sur les Sept contre Thèbes.
Sur les descendants des Sept contre Thèbes.
Sur Nélée et ses descendants.
Sur les Lapithes et les Centaures.
Sur Asclépios et ses descendants.
Sur les filles d’Asôpos et les fils nés à Ajax.
Sur Pélops, Tantale, Oinomaos et Niobé.
Sur Dardanos et ses descendants jusqu’à Priam.
Sur Dédale, le Minotaure et l’expédition de Minos contre
le roi Cocalos.
Sur Aristée, Daphnis, Éryx et aussi Orion.
LIVRE IV

I. 1. Je n’ignore pas que ceux qui composent les récits de


mythologies antiques sont souvent dénigrés. En effet,
l’ancienneté des faits exposés, qui rend difficile leur
établissement, met les auteurs dans un grand embarras.
D’autre part, la chronologie, parce qu’elle échappe à un très
scrupuleux examen, fait que les lecteurs méprisent
l’histoire1. En outre, la diversité et l’abondance des
généalogies des héros, des demi-dieux et des autres
personnages rendent la narration difficile. Mais le plus grave,
et le plus étrange de tout, c’est qu’il arrive à ceux qui ont
exposé ces exploits et ces récits mythologiques très anciens
d’être en désaccord entre eux. 2. Ainsi, parmi les historiens
qui se sont succédé, les plus réputés ont renoncé à la
mythologie ancienne vu sa difficulté et ils ont, au contraire,
entrepris de relater des faits plus récents. 3. Éphore de Cymé,
par exemple, disciple d’Isocrate, ayant entrepris d’écrire une
histoire universelle, négligea les mythologies antiques et,
après avoir fixé le retour des Héraclides, le prit comme point
de départ de son récit. Pareillement à lui, Callisthène et
Théopompe, qui vivaient à la même époque, se sont tenus à
l’écart des mythes antiques2.
4. Quant à nous, nous faisons un choix opposé au leur et,
assumant la difficulté de ce récit, nous avons mis tout notre
soin à l’étude de l’Antiquité. En effet, de très grands et très
nombreux exploits ont été réalisés par les héros, les demi-
dieux et beaucoup d’autres hommes de mérite. En tant que
bienfaiteurs publics, certains d’entre eux ont été honorés,
par la postérité, de cultes héroïques, d’autres de cultes divins,
et tous, la voix de l’Histoire les a célébrés pour la suite des
âges par des louanges à leur mesure3. 5. Dans les trois livres
précédant celui-ci, nous avons donc exposé les exploits
mythologiques des autres peuples et les récits sur les dieux
que l’on fait chez eux ; de plus, la topographie de chacun de
ces pays, leur faune sauvage, les autres animaux et, en
somme, tous les exploits dignes de mémoire et les faits
extraordinaires ont été rapportés4. Dans ce livre-ci, nous
exposerons ce que racontaient les Grecs dans les temps les
plus anciens à propos des héros et des demi-dieux les plus
illustres, et, d’une manière générale, de tous ceux qui ont
accompli un acte remarquable en temps de guerre, de même
que sur ceux qui ont trouvé ou institué, en temps de paix,
quelque chose d’utile à la vie de tous. 6. Nous commencerons
par Dionysos parce qu’il est tout à fait ancien et qu’il a rendu
de très grands services au genre humain. Nous avons
mentionné, dans les livres précédemment cités, que certains
des peuples barbares se disputent l’origine de ce dieu. Les
Égyptiens, en effet, affirment que le dieu nommé chez eux
Osiris est celui qui est appelé chez les Grecs, Dionysos. 7. Ils
racontent aussi qu’il a parcouru toute la terre habitée, qu’il a
enseigné aux hommes, après avoir inventé le vin, à planter la
vigne, et que c’est pour ce bienfait que l’immortalité lui a été
accordée. De la même façon, on dit que les Indiens affirment
que c’est chez eux que ce dieu s’est révélé et qu’après avoir
trouvé ingénieusement la culture de la vigne, il a
communiqué l’usage du vin aux hommes de la terre habitée.
Mais après avoir rapporté en détail ce qu’ils en disent, nous
allons exposer maintenant ce qui est raconté sur ce dieu chez
les Grecs5.
II. 1. Ils disent, en effet, que Cadmos, fils d’Agénor, fut
envoyé par le roi hors de Phénicie pour rechercher Europe,
en recevant pour instruction soit de ramener la jeune fille,
soit de ne plus revenir en Phénicie. Après avoir parcouru de
nombreux pays sans avoir pu la retrouver, il renonça à
rentrer chez lui. Arrivé en Béotie, suivant l’oracle qui lui
avait été rendu, il fonda Thèbes. Une fois installé là, il épousa
Harmonie, fille d’Aphrodite, et d’elle, il engendra Sémélè,
Inô, Autonoé, Agavé et aussi Polydora. 2. Zeus s’unit à Sémélè
pour sa beauté, mais comme il lui rendait visite en secret, elle
crut que Zeus la méprisait. C’est pourquoi elle réclama qu’il
rendît leurs enlacements semblables à ceux, assidus, qu’il
avait pour Héra6. 3. Zeus survint donc avec une magnificence
divine, au milieu de tonnerres et d’éclairs et il donna de
l’éclat à leur union. Mais, comme Sémélè était grosse et
qu’elle ne supportait pas l’importance de son état, elle mit
l’enfant au monde avant terme et mourut elle-même sous
l’effet des flammes. Lorsque Zeus eut recueilli l’enfant7, il le
remit à Hermès, lui ordonna de l’emmener près de la grotte
de Nysa8, située entre la Phénicie et le Nil, et de le confier aux
Nymphes pour l’élever et prendre, avec beaucoup de zèle, le
plus grand soin de lui. 4. Et c’est pour avoir été élevé à Nysa
que Dionysos reçut ce nom, d’après Zeus et Nysa. Homère
d’ailleurs en témoigne dans ses hymnes, dans lesquels il dit :
« Il existe une Nysa, haute montagne, revêtue de forêt,
loin de la Phénicie, près des courants de l’Égyptos. » 9
5. Après avoir été élevé par les Nymphes à Nysa, il devint,
dit-on, l’inventeur du vin et enseigna aux hommes la
plantation de la vigne. Tout en parcourant la quasi-totalité de
la terre habitée, il en civilisa un vaste territoire, et c’est pour
cela qu’il obtint chez tous de très grands honneurs10. C’est lui
qui inventa aussi la boisson préparée à base d’orge, qui est
appelée par certains « zythos11 », et qui, pour son parfum, ne
le cède pas de beaucoup au vin. Il l’enseigna à ceux qui
possédaient des terres qui ne pouvaient pas accueillir la
culture de la vigne. 6. Il était, en outre, entouré d’une armée
non seulement d’hommes mais aussi de femmes et il
punissait les hommes injustes et impies12. En particulier en
Béotie, pour rendre grâces à sa patrie, il libéra toutes les
villes et fonda une ville qu’il appela Éleuthère (« Libre »), au
nom de l’autonomie qu’il y établissait13.
III. 1. Il mena campagne en Inde et regagna la Béotie dans
la troisième année, rapportant une considérable masse de
butin ; il fut le premier de tous à conduire un triomphe juché
sur un éléphant indien. 2. Les Béotiens, tous les autres Grecs
et les Thraces gardant le souvenir de cette expédition en
Inde, ont institué des sacrifices triennaux à Dionysos, et ils
pensent que le dieu, à ces moments-là, se manifeste auprès
des hommes14. 3. C’est pourquoi, dans beaucoup de villes
grecques, tous les trois ans, des troupes bacchiques de
femmes s’assemblent, et il est d’usage pour les vierges de
porter le thyrse et d’entrer en transes en poussant des cris et
en rendant hommage au dieu ; les femmes, en groupe, offrent
des sacrifices au dieu, célèbrent les mystères bacchiques, et,
en somme, louent par un chant la présence de Dionysos, en
mimant les compagnes en délire qui jadis, raconte-t-on,
entouraient le dieu15. 4. Il infligea des châtiments, à travers
toute la terre habitée, à beaucoup d’autres hommes qui
semblaient être impies ; les plus illustres sont Penthée et
Lycurgue. Comme l’invention et le don du vin avaient
extrêmement plu aux hommes, en raison du plaisir qui naît
de cette boisson, et parce que ceux qui boivent du vin
deviennent physiquement plus vigoureux, pendant le repas,
dit-on, quand est offert du vin pur, on ajoute une invocation
au Bon Génie16 ; mais quand, après le repas, on sert du vin
mélangé à de l’eau, c’est à Zeus Sôter17 qu’ils s’adressent. Car
boire du vin pur amène à un état de transes, tandis que,
quand il est mélangé à la pluie de Zeus, le plaisir et la
jouissance demeurent, mais la gêne que constituent la transe
et le relâchement est corrigée. 5. De façon générale, les
mythes racontent que parmi les dieux, ceux qui trouvent la
plus grande considération auprès des hommes sont ceux qui
l’ont emporté par leurs bienfaits en inventant des biens,
Dionysos et Déméter : lui, pour avoir été l’inventeur de la
boisson la plus agréable, elle, pour avoir transmis au genre
humain la plus importante des denrées sèches18.
IV. 1. Cependant, certains racontent qu’il y a eu aussi un
second Dionysos, qui, chronologiquement, devance celui-là
de beaucoup. Ils disent, en effet, qu’un Dionysos est né de
Zeus et de Perséphone, qui est appelé par certains Sabazios19
et dont la naissance, les sacrifices et les honneurs sont
célébrés de nuit et en secret à cause du déshonneur qui
accompagnait cette union20. 2. Ils racontent qu’il se distingua
des autres par sa perspicacité, qu’il fut le premier à
entreprendre d’atteler des bœufs sous le joug, grâce auxquels
il put semer des graines ; et c’est justement pour cela qu’ils le
représentent cornu. Mais celui né de Sémélè dans des temps
plus récents était, disent-ils, physiquement efféminé et tout à
fait délicat, il l’emportait largement sur les autres par sa belle
apparence et fut très enclin aux plaisirs amoureux durant ses
expéditions, il était toujours entouré d’une foule de femmes
armées de fers de lances en forme de thyrse21. 3. Les Muses
aussi, disent-ils, voyageaient avec lui. C’étaient des jeunes
filles parfaitement éduquées : elles charmaient le dieu par
leur chant, leurs danses et aussi par les autres talents qu’elles
avaient acquis au cours de leur éducation. Ils disent aussi que
l’accompagnait toujours dans ses expéditions un pédagogue
et précepteur, Silène, qui était son guide et lui enseignait les
occupations les plus louables ; il fut pour beaucoup dans le
comportement vertueux et la renommée de Dionysos. 4. Pour
les batailles, en temps de guerre, il était revêtu d’armes de
combat et de peaux de panthères, mais, pour les grandes
réunions et fêtes religieuses, en temps de paix, il portait des
vêtements brodés et efféminés qui convenaient à sa mollesse.
Contre les maux de tête causés par l’abus du vin, qui
surviennent chez ceux qui boivent, il a ceint sa tête,
rapportent-ils, d’une mitra (bandeau) et c’est pour cette
raison qu’il est aussi appelé « Mitraphore ». C’est par cette
mitra, d’ailleurs, disent-ils, que, plus tard, l’exemple fut
donné aux rois de porter le diadème. 5. Il fut aussi appelé
« celui qui a deux mères » (« Dimétor »)22, rapportent-ils,
parce que les deux Dionysos étaient nés d’un seul et même
père mais de deux mères. Le plus récent des deux Dionysos a
hérité aussi des actions du plus ancien ; c’est pourquoi les
hommes nés bien plus tard, ignorant la vérité et trompés par
l’homonymie, ont cru qu’il n’y avait eu qu’un seul Dionysos.
6. Ils lui attribuent la baguette de férule pour les raisons
suivantes : à l’origine, lorsque le vin fut découvert, on le
buvait pur parce qu’on n’avait pas encore eu l’idée de le
mélanger avec de l’eau ; mais, quand avaient lieu des
réunions d’amis et des banquets, les convives, après s’être
gorgés sans mesure de vin pur, entraient en transes et se
frappaient mutuellement en se servant de leurs bâtons de
bois. 7. Comme certains étaient blessés et que d’autres
périssaient même à la suite de blessures mortelles, Dionysos,
heurté par de tels événements, s’abstint, en raison du plaisir
procuré par la boisson, de les empêcher de boire du vin pur
sans mesure, mais leur enseigna à se servir de baguettes de
férules et non plus de bâtons de bois.
V. 1. Les hommes lui attribuèrent de nombreux surnoms
qui avaient pour origine les occupations qui lui sont
associées. Ainsi, il fut appelé « Bakkheios » à cause des
Bacchantes qui le suivaient, « le dieu du pressoir » (Lenaios)
parce que l’on foulait au pied les grappes de raisin mûr dans
le pressoir et « le Tonnant » (Bromos) en raison du tonnerre
qui accompagna sa naissance ; c’est pour la même raison qu’il
fut également appelé « né du feu » (Pyrigénos)23. 2. On l’a aussi
appelé « Triomphe » (Thriambos), disent-ils, parce qu’il fut le
premier de ceux qu’on mentionne, qui eût remporté un
triomphe dans sa patrie après une expédition militaire, à son
retour d’Inde avec un gros butin. Et c’est un peu de la même
manière que lui a aussi été attribué le reste de ses surnoms
épithétiques, mais il serait long d’en parler et cela
s’accorderait mal avec le principe de l’histoire que nous
projetons. On pensait qu’il avait deux formes parce qu’il a
donc existé deux Dionysos : le plus ancien, qui portait une
longue barbe parce que tous les hommes des temps anciens
se laissaient pousser la barbe, et le plus récent, qui était
gracieux, délicat et jeune, ainsi qu’il l’a déjà été indiqué. 3.
Mais quelques-uns disent que c’est parce que les hommes
ivres ont deux dispositions d’esprit différentes — certains
deviennent enjoués, les autres irascibles — que l’on a appelé
ce dieu « biforme ». Les Satyres aussi l’entouraient, disent-ils,
et donnaient au dieu beaucoup de joie et de plaisir par leurs
danses et leurs chants du bouc. 4. En somme, les Muses, qui
l’assistaient et le charmaient par les talents qu’elles avaient
acquis, et les Satyres, avec leurs occupations propres à faire
rire, procuraient à Dionysos une vie heureuse et agréable. Ils
disent, d’une façon générale, qu’il fut l’inventeur des
concours scéniques, qu’il a institué des lieux de spectacle et
qu’il a organisé des auditions artistiques. En outre, il exempta
de charges civiles ceux aussi qui s’adonnaient, pendant ses
expéditions, à quelque domaine de l’art. C’est pourquoi la
postérité a constitué des associations des artistes de Dionysos
et ont exempté d’impôts ceux qui s’occupent à de telles
activités24. Concernant Dionysos et ce que les mythes en
racontent, nous nous en tiendrons à ce qui a été dit, puisque
nous visons à la juste mesure.
VI 1. Nous allons à présent parler de Priape et exposer ce
que les mythes relatent à son sujet, puisque son histoire est
apparentée, nous l’avons vu, aux récits concernant
Dionysos25. Les Anciens racontent donc dans leurs mythes
que Priape était le fils de Dionysos et d’Aphrodite, et donnent
une explication plausible à cette naissance : les hommes ivres
se trouvent tendus, naturellement, vers les plaisirs de
l’Amour. 2. Certains racontent, d’ailleurs, que chaque fois que
les Anciens voulaient désigner, en recourant aux mythes, le
sexe des hommes, ils l’ont appelé « Priape ». Quelques-uns
disent cependant que l’organe sexuel, parce qu’il est le
principe de la naissance du genre humain et de sa pérennité
pour toute la suite des âges, a reçu une considération
immortelle. 3. Sur Priape, les Égyptiens racontent dans leurs
mythes que, jadis, les Titans26 conspirèrent contre Osiris, le
tuèrent, se partagèrent son corps en parties égales, les
prirent, et les emportèrent secrètement hors de la maison ; il
n’y a que le sexe qu’ils lancèrent dans le fleuve car personne
ne voulait l’emporter. Mais Isis chercha le meurtrier de son
mari et fit périr les Titans, elle modela les parties du corps à
l’apparence d’un homme, puis elle les donna aux prêtres
pour leur faire des obsèques et ordonna d’honorer Osiris
comme un dieu. Quant à l’organe sexuel, seule partie qu’elle
n’avait pas pu trouver, elle leur prescrivit de l’honorer
comme un dieu et de le placer tendu dans leur temple. Voilà
donc ce que les mythes racontent chez les Egyptiens
d’autrefois sur la naissance de Priape et sur son culte27. 4.
Certains appellent aussi ce dieu « Ithyphallos » (phallus en
érection), d’autres « Tychôn » (dieu du hasard). Ils lui
accordent les honneurs, non seulement en ville mais aussi à
travers les campagnes, où ils le désignent comme gardien de
leurs vignobles et de leurs jardins, et le représentent aussi
comme celui qui châtie ceux qui jettent un sort sur l’un de
leurs biens. Et lors des cérémonies initiatiques, non
seulement celles des Dionysies, mais aussi presque toutes les
autres, ce dieu reçoit une marque d’honneur en étant
introduit dans les sacrifices par des rires et des jeux. 5.
Certains mythes racontent que c’est d’une manière presque
similaire à Priape qu’est né celui que l’on nomme
Hermaphrodite et qui, parce qu’il est né d’Hermès et
d’Aphrodite, a reçu son nom de la combinaison de celui de
ses deux parents. Les uns disent que c’est un dieu, qu’il se
manifeste aux hommes à certains moments et qu’il est né
avec une anatomie mixte, tenant de l’homme et de la femme.
Il avait la belle apparence et la grande douceur de corps qui
le faisaient quelque peu ressembler à une femme, mais il
avait le côté viril et l’énergie d’un homme. D’autres,
cependant, déclarent que ces sortes de créatures sont, par
leur nature même, monstrueuses, et qu’elles sont, parce
qu’elles ne viennent au monde que rarement, le présage
d’événements tantôt malheureux, tantôt heureux. Mais qu’il
en soit assez pour nous sur de tels sujets28.
VII. 1. Maintenant qu’elles ont justement été mentionnées
à propos des actions de Dionysos, il serait approprié
d’exposer rapidement ce qui concerne les Muses. La plupart
des mythographes, et surtout ceux qui jouissent d’un certain
prestige, les disent, en effet, filles de Zeus et de Mnémosyne.
Mais un petit nombre de poètes, parmi lesquels se trouve
même Alcman29, les déclarent filles d’Ouranos et de Gaia. 2. Il
y a désaccord, de la même façon, quant au nombre, car les
uns disent qu’elles sont trois, les autres neuf ; mais le nombre
de neuf l’a emporté parce que c’est celui qu’attestent les
hommes les plus célèbres, c’est-à-dire Homère, Hésiode et
d’autres aussi grands. Homère dit en effet :
« Toutes les neuf Muses ensemble se répondant de
leur belle voix ; »
Et Hésiode donne même leurs noms, lorsqu’il dit :

« Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène,


Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie,
Et Calliope, qui les surpasse toutes. » 30

3. A chacune d’entre elles, on attribue une aptitude propre


dans un domaine artistique, comme la poésie, le chant, les
danses et les chœurs, l’astronomie et les autres domaines. La
plupart des mythographes les disent vierges parce que l’on
considère que les qualités acquises par l’éducation sont
inaccessibles à la corruption31. 4. On les a nommées, dit-on,
« Muses » parce qu’elles initient (mueîn) les hommes, c’est-à-
dire parce qu’elles enseignent ce qui est beau, utile et ignoré
des hommes sans éducation32. On attribue, disent-ils, au nom
de chacune une raison particulière : Clio est appelée ainsi
parce que l’éloge des vertus célébrées dans la poésie assure
une grande gloire (kléos) à qui est loué ; Euterpe parce qu’elle
charme (terpein) les auditeurs grâce aux talents qu’elle tire de
son instruction ; Thalie parce que ceux qui sont célébrés dans
les poèmes restent pour longtemps florissants (thalleîn) ;
Melpomène à cause de son chant lyrique (mélodia), qui séduit
ceux qui l’écoutent ; Terpsichore parce qu’elle charme les
auditeurs par les talents qu’elle a reçus de son éducation ;
Érato parce qu’elle rend les hommes qu’elle a instruits
désirables et dignes d’être aimés (éperastos) ; Polymnie parce
qu’elle rend illustres, en les grandissant de ses hymnes (pollé
humnéseos), ceux qu’immortalise la gloire de leur œuvre ;
Uranie parce que ceux qu’elle a instruits sont élevés aux
cieux (ouranos) : grâce à leur renommée et à leur noblesse,
leurs âmes sont élevées, en effet, au sommet des cieux.
Calliope parce qu’elle « lance une jolie voix » (kalè opa), c’est-
à-dire qu’en se distinguant par l’éloquence, elle gagne
l’approbation de ceux qui l’écoutent. Mais, puisque nous
avons suffisamment parlé de ce sujet, nous allons orienter
notre récit sur les exploits d’Héraclès.
VIII. 1. Je n’ignore pas que ceux qui rapportent les mythes
anciens rencontrent de nombreuses difficultés, et surtout
pour le récit des mythes qui concernent Héraclès. Par
l’importance, en effet, de ce qu’il a accompli, on considère
unanimement qu’il a surpassé tous les héros qui, depuis le
début des temps, ont été légués à la mémoire. Il est donc
difficile de rendre compte de chacun de ses exploits selon
leur mérite et d’écrire un récit à la hauteur de ses si hauts
faits, dont l’importance lui a valu, pour récompense,
l’immortalité. 2. De plus, comme ce qui est raconté a eu lieu
dans des temps très reculés et semble extraordinaire,
beaucoup n’accordent pas foi aux récits de ces mythes : on
est donc forcé soit d’omettre la plus grande partie des faits et
de détruire ainsi un peu de la renommée de ce dieu, soit de
tout exposer, et d’écrire alors une histoire à laquelle on
n’accorde pas foi. 3. Certains lecteurs, en effet, portent un
jugement qui n’est pas juste et recherchent la même
exactitude dans les mythes des temps anciens que dans les
événements de notre époque. Ils conjecturent, d’après leur
propre vie, sur les faits dont la grandeur incite à douter, et ils
jugent la puissance d’Héraclès à l’aune de la faiblesse des
hommes d’aujourd’hui, de sorte que la grandeur
exceptionnelle de ses travaux rend incroyable le récit. 4.
D’une façon générale, en effet, il ne faut pas rechercher très
précisément et à tout prix la vérité dans les récits
mythologiques : au théâtre aussi, bien que nous soyons
persuadés qu’il n’a pas existé de Centaures d’une nature
double, issus de parents différents de corps, ni de Géryoné à
trois corps, nous admettons cependant de telles mythologies
et, par nos approbations, nous augmentons l’honneur rendu
au dieu33. 5. Il est étrange, en effet, qu’Héraclès, lorsqu’il était
encore chez les hommes, ait civilisé, par ses propres travaux,
la terre habitée et que les hommes, eux, aient oublié ce
service rendu à tous et calomnient l’honneur que lui ont valu
ses merveilleux travaux ; étrange aussi le fait que nos
ancêtres, parce qu’ils reconnaissaient justement le caractère
exceptionnel de son courage, lui aient accordé l’immortalité,
et que nous, nous n’observions pas même envers ce dieu la
piété transmise de père en fils. Mais nous allons abandonner
ce genre de considérations pour exposer ses actions depuis le
début avec l’aide, d’une manière générale, des poètes et des
mythographes les plus anciens34.
IX. 1. Voici donc ce qu’ils disent : de Danaé, la fille
d’Acrisios, et de Zeus est né Persée. Unie à lui, Andomède, la
fille de Céphée, enfanta Électryon. Eurydice, fille de Pélops,
épousa par la suite Électryon et donna naissance à Alcmène, à
qui Zeus s’unit par une ruse, et engendra Héraclès. 2. On dit
donc que toute la lignée remonte, par les deux parents à la
fois, comme nous venons de le montrer, au plus puissant des
dieux. Et ce n’est donc pas seulement en jugeant ses actes que
l’on a considéré la vertu qui lui est attachée mais, avant sa
naissance déjà, on la lui avait reconnue ; puisque, lorsque
Zeus s’unissait à Alcmène, il tripla la durée de la nuit et, par
l’ampleur du temps qu’il prit à la conception, il présagea
l’exceptionnelle force de celui qui allait naître. 3. En somme,
il n’eut pas cette relation pour satisfaire un désir érotique,
comme ce fut le cas pour les autres femmes, mais plutôt pour
le plaisir de la conception. Puisqu’il voulait que cette union
fût reconnue, il n’était pas dans son intention d’user de
violence, mais il ne s’attendait nullement à la persuader, tant
elle était sage ; il jugea donc préférable la ruse pour tromper
Alcmène : il prit à la perfection l’apparence d’Amphitryon. 4.
Quand le temps naturel de la grossesse se fut écoulé, Zeus,
dont les pensées étaient fixées sur la naissance d’Héraclès,
proclama, en présence de tous les dieux, qu’il ferait roi celui
des Perséides qui allait naître ce jour-là. Mais Héra, jalouse,
avec la complicité de sa fille Eileithya, suspendit les douleurs
d’Alcmène en couches et fit venir au monde Eurysthée avant
terme35. 5. Zeus, vaincu par cette ruse, voulut à la fois tenir sa
promesse et pourvoir à la gloire d’Héraclès. C’est pourquoi,
disent-ils, il persuada Héra de permettre qu’Eurysthée fût roi,
comme il l’avait promis lui-même, mais aussi qu’Héraclès,
sous les ordres d’Eurysthée, accomplît douze travaux qu’il lui
ordonnerait, et qu’une fois cela fait, il reçût l’immortalité. 6.
Alcmène accoucha et, craignant la jalousie d’Héra, exposa le
bébé en un lieu qui, à présent, lui doit son nom de « plaine
d’Héraclès ». Au même instant, Athéna, qui s’approchait de ce
lieu en compagnie d’Héra, s’émerveilla de la bonne nature de
l’enfant et persuada Héra de le porter à son sein. Mais comme
l’enfant attira à lui le sein avec une force bien supérieure à
son âge, Héra eut si mal qu’elle laissa tomber le bébé. Athéna
le rapporta auprès de sa mère et lui ordonna de l’élever36. 7.
N’importe qui serait, avec raison, étonné de la singularité de
cette péripétie car la mère, alors qu’elle devait chérir son
propre fils, cherchait à le tuer, et la marâtre, alors qu’elle le
tenait en haine, cherchait, par ignorance, à sauver son
ennemi naturel.
X. 1. Après cela, Héra envoya deux serpents pour tuer le
bébé, mais l’enfant, loin d’être effrayé, leur serra très fort le
cou, chacun d’une main, et étouffa ainsi les serpents. C’est
justement pour cette raison que les Argiens, lorsqu’ils
apprirent l’incident, donnèrent à l’enfant le nom d’Héraclès :
c’est grâce à Héra qu’il avait acquis sa gloire (Kléos). Il
s’appelait, auparavant, Alcaios. Aux autres enfants, ainsi,
leurs parents donnent un nom, mais à lui seul ce fut sa valeur
qui le lui attribua. 2. Par la suite, Amphitryon fut banni de
Tirynthe et partit s’installer à Thèbes. Héraclès, après avoir
été élevé, formé, et surtout après avoir pratiqué avec grand
soin la gymnastique, devint, par sa force physique, bien
supérieur à tous les autres et célèbre par l’éclat de son esprit.
C’est lui qui, encore à l’âge d’éphèbe, fut le premier à libérer
Thèbes37, lui témoignant ainsi une gratitude aussi grande que
si elle eût été sa patrie : 3. les Thébains avaient été soumis à
Erginos, le roi des Minyens et payaient pour chaque année un
tribut fixé. Mais Héraclès, que n’effraya pas la multitude des
hommes que celui-ci avait réduite en esclavage, eut le
courage d’accomplir un fait qui le rendit célèbre : lorsque les
alliés des Minyens venaient réclamer, avec beaucoup
d’insistance et d’insolence, les tributs, il les rejeta hors de la
ville après leur avoir coupé les extrémités des membres. 4.
Erginos réclama le coupable et Créon, roi des Thébains,
effrayé par le poids de sa puissance, était prêt à livrer celui
qui s’était rendu coupable de ces griefs. Mais Héraclès
persuada ses compagnons d’âge de libérer leur patrie : ils
tirèrent les armures complètes clouées aux murs des temples,
dépouilles d’ennemis tués que leurs ancêtres avaient
consacrées à leurs dieux — car on ne pouvait pas trouver
dans la ville d’arme qui appartînt à un simple citoyen puisque
la ville avait été désarmée par les Minyens afin que les
ennemis de Thèbes ne pussent concevoir aucune pensée de
révolte. 5. Mais quand Héraclès sut qu’Erginos, le roi des
Minyens, s’approchait de la cité avec ses soldats, il avança à
sa rencontre dans un défilé et rendit inutilisable le gros de la
force ennemie. Il tua Erginos lui-même et fit périr presque
tous ceux qui l’accompagnaient. Il tomba par surprise sur la
ville des Orchoméniens et, après s’être glissé furtivement à
l’intérieur des portes, il incendia le palais des Minyens et
détruisit de fond en comble la ville38. 6. Ce fait fut connu à
travers la Grèce tout entière et tous en admiraient la
singularité. Le roi Créon, qui admira la valeur de ce jeune
homme, lui donna sa fille Mégara en mariage et, tout comme
s’il était son fils légitime, lui confia les affaires publiques.
Mais Eurysthée, qui régnait sur Argos, se méfia de
l’accroissement de la puissance d’Héraclès, l’envoya chercher
et lui ordonna d’accomplir des travaux. 7. Cependant, comme
Héraclès n’obéissait pas, Zeus lui ordonna de se mettre au
service d’Eurysthée. Héraclès se rendit à Delphes et après
avoir interrogé le dieu sur ce point, il reçut de l’oracle une
réponse qui lui fit savoir qu’il avait été décidé par les dieux
qu’il devait accomplir douze travaux ordonnés par Eurysthée
et que, cela fait, il obtiendrait l’immortalité39.
XI. 1. A la suite de ces événements, Héraclès sombra dans
un découragement peu commun. Il jugeait, en effet, qu’être
esclave d’un homme inférieur à lui n’était d’aucune façon
digne de sa propre valeur, et en même temps désobéir à Zeus,
donc à son père, lui paraissait préjudiciable et impossible.
Alors qu’il était donc plongé dans un grand embarras, Héra
fit naître en lui la fureur : il s’irrita en son âme et la folie
l’envahit. Le mal grandissant le fit sortir de son bon sens et il
se jeta à la poursuite d’Iolaos pour le tuer. Celui-ci s’enfuit,
mais comme les enfants qu’il avait eus de Mégara étaient
près de là, il les perça de traits comme s’ils avaient été des
ennemis. 2. Avec peine, il fut délivré de son accès de folie et
reconnut alors la faute qu’il avait commise sans le savoir. Il
était profondément affligé par la grandeur de son malheur.
Même si tous compatirent à sa peine et s’affligèrent avec lui,
il resta longtemps chez lui, sans bouger, évitant de
fréquenter ou de rencontrer les autres hommes. A la fin
cependant, le temps apaisa sa douleur et, décidant
d’affronter les dangers, il se présenta devant Eurysthée. 3. La
première tâche qu’il reçut fut de tuer le lion de Némée40.
Celui-ci était d’une taille prodigieuse et comme il ne pouvait
être blessé ni par le fer, ni par le bronze, ni par la pierre, il
fallait nécessairement recourir à la force des bras. Il passait la
plus grande partie de son temps entre Mycènes et Némée,
dans les environs d’une montagne appelée d’après sa
caractéristique : Tréton (« Percée »). Elle avait en effet, à sa
base, un long tunnel dans lequel la bête avait l’habitude de se
tapir. 4. Héraclès, parvenu à cet endroit, s’élança derrière la
bête, jusqu’à ce qu’elle s’enfuît dans le tunnel, et l’y suivit.
Puis, après avoir bouché l’autre ouverture, il l’attaqua et
l’étouffa, en étreignant très fortement de ses bras le cou de la
bête41. Il se vêtit de la peau du lion et, comme elle était
grande, il en enveloppa son corps tout entier, ce qui lui
procura une protection contre les dangers qui suivirent. 5. La
deuxième tâche qu’il reçut l’ordre d’accomplir fut de tuer
l’hydre de Lerne. Cent cous surmontés de têtes de serpents
sortaient de son corps unique. Si l’on détruisait l’un de ces
cous, il surgissait, à l’endroit où il avait été coupé, deux têtes.
C’est pour cette raison que l’on avait considéré, et c’était
logique, qu’elle était invincible — puisque la partie d’elle
qu’on avait domptée recevait une double assistance. 6. Mais
contre cette difficulté, Héraclès eut une idée ingénieuse : il
ordonna à Iolaos de brûler, avec une torche enflammée, la
surface de la partie coupée pour contenir l’écoulement de
sang. De cette manière, il dompta donc l’animal, puis il
plongea les pointes de ses javelots dans le venin, afin que
chaque javelot lancé provoque, par sa pointe, une blessure
incurable.
XII. 1. Le troisième ordre qu’il reçut fut de ramener vivant
le sanglier d’Érymanthe, qui séjournait à Lampéia en Arcadie.
Cet ordre-là semblait, être d’une grande difficulté : il fallait,
en effet, à qui combattait une semblable bête, une supériorité
telle qu’au cœur de l’affrontement, il conjecture avec
précision le moment décisif. En effet, dès lors qu’il laisserait
libre cours à la puissance de l’animal, il se retrouverait
menacé par ses dents, et inversement, en l’attaquant plus
qu’il ne fallait, il le tuerait, de sorte que la tâche serait
inaccomplie. 2. Cependant, lors de l’affrontement, Héraclès
sut appliquer exactement la juste proportion et il rapporta le
sanglier vivant à Eurysthée. Le roi, voyant qu’il portait
l’animal sur ses épaules, prit peur et se cacha dans un
tonneau de bronze. 3. Au moment où cela avait lieu, il
affronta ceux que l’on appelle les Centaures, pour les raisons
suivantes : Pholos était un Centaure d’où le nom de
« Pholoé » donné à la montagne voisine. Alors qu’il recevait
Héraclès avec des présents de bienvenue, il ouvrit une jarre
de vin qui avait été enterrée ; on raconte, en effet, que ce
tonneau avait été remis, autrefois, par Dionysos à un
Centaure, en lui ordonnant de l’ouvrir seulement le jour où
Héraclès se présenterait. C’est pourquoi, quatre générations
plus tard, alors qu’Héraclès avait reçu son hospitalité, Pholos
se souvint de la recommandation de Dionysos. 4. Il ouvrit
donc le tonneau et comme la bonne odeur de ce vin, due à
son très grand âge et à sa force, se répandit jusqu’aux
Centaures qui habitaient au voisinage, il arriva qu’ils furent
saisis de transports furieux. Par suite, ils se jetèrent tous
ensemble sur la demeure de Pholos et ils entreprirent, d’une
manière effrayante, de la piller. 5. Apeuré, Pholos se cacha,
mais Héraclès s’attaqua à ces forcenés d’une manière
étonnante puisqu’il lui fallait lutter contre des adversaires
qui, par leur mère, étaient des dieux, qui avaient la rapidité
de chevaux, la force de bêtes sauvages à deux corps, plus
l’expérience et la connaissance des hommes. Certains des
Centaures l’attaquèrent munis de troncs de pins avec leurs
racines, d’autres munis de gros blocs de roche, quelques-uns
de flambeaux allumés, d’autres de haches qu’utilisent les
sacrificateurs de bœufs42. 6. Mais il résista sans s’émouvoir et
engagea un combat digne de ceux qu’il avait déjà menés. Leur
mère, Néphélé, leur vint en aide en répandant une forte pluie
qui ne gênait pas ceux qui avaient quatre pattes, mais qui lui
rendit, à lui qui se tenait sur deux jambes, la marche
glissante. Héraclès, cependant, remporta la victoire, d’une
manière étonnante, sur ceux qui avaient en plus de tels
avantages : il tua la plus grande partie d’entre eux et
contraignit les survivants à fuir. 7. Parmi les Centaures tués,
les plus connus étaient Daphnis, Argéios et Amphion, ainsi
que Hippotion, Oreios, Isoplès et Melanchaitès, en plus de
Thérée, Doupon et Phrixos. Par la suite, chacun de ceux qui
avaient fui le danger mérita un châtiment. Omados, par
exemple, fut tué en Arcadie, alors qu’il violentait Alcyône, la
sœur d’Eurysthée. Pour cet acte, il arriva qu’Héraclès fut
particulièrement admiré : il détestait personnellement son
ennemi, mais, parce qu’il avait pitié de la femme qu’on
outrageait, il prit la décision de surpasser les hommes en
modération43. 8. Il arriva aussi quelque chose de singulier à
l’ami d’Héraclès qui se nommait Pholos : celui-ci entreprit
d’enterrer, parce qu’ils étaient ses parents, les Centaures qui
avaient péri. Mais, alors qu’il était en train d’extraire de l’un
d’eux une flèche, il fut blessé par la pointe et, la blessure
étant incurable, il mourut. Héraclès lui fit de magnifiques
funérailles et le plaça sous la montagne, qui servit plus
qu’une stèle à sa gloire : puisqu’elle est appelée Pholoé, c’est
par son nom, et non par une inscription, qu’elle indique celui
qui est enterré. Pareillement, Héraclès tua involontairement,
par une flèche lancée, Chiron qui était admiré pour son art de
guérir. A propos des Centaures, ce que nous avons dit doit
suffire.
XIII. 1. L’ordre qu’il reçut ensuite fut de ramener une
biche à cornes d’or d’une rapidité supérieure. Pour réussir
cette épreuve-là, son intelligence lui fut moins inutile que sa
force physique. Les uns disent, en effet, qu’il l’a prise au
piège, d’autres qu’en la suivant à la piste, il réussit à la
maîtriser alors qu’elle dormait, d’autres encore disent que,
par une poursuite ininterrompue, il réussit à l’épuiser. En
tout cas, c’est sans user de force ni courir de danger, mais par
la perspicacité de son esprit qu’il accomplit cette épreuve. 2.
Puis Héraclès reçut l’ordre de chasser les oiseaux du lac
Stymphale et accomplit cette épreuve facilement, avec
habileté et intelligence. En effet, une foule innombrable
d’oiseaux y pullulait, semble-t-il, et détruisait les fruits de la
campagne environnante44. Comme il était donc impossible,
en raison de leur nombre exceptionnel, de dominer ces
animaux par la force, l’affaire nécessita une intelligence
industrieuse. C’est pourquoi il construisit une cliquette de
bronze grâce à laquelle il produisait un vacarme
extraordinaire, effrayant ainsi les animaux. A la fin, après
avoir mis le siège, par la persistance du vacarme, il les
réduisit facilement et nettoya ainsi le lac. 3. Après avoir
réussi cette épreuve-là aussi, il reçut d’Eurysthée l’ordre de
nettoyer, sans l’aide de personne, la cour d’Augias. Il y avait,
dans cette cour, une quantité énorme de fumier amassé
depuis longtemps et c’était pour lui faire injure qu’Eurysthée
lui ordonnait de la nettoyer. Mais Héraclès, jugeant que
c’était indigne de lui, refusa de porter sur ses épaules ce
fumier et esquiva la honte de cette injure : il amena vers la
cour le fleuve nommé Alphée et la nettoya à fond grâce au
courant de l’eau45. Ainsi, sans subir d’injure, il accomplit
cette épreuve en un seul jour. En cela aussi, on pourrait
admirer son ingéniosité puisque, malgré ce que cet ordre
avait de méprisant, il l’a exécuté sans subir de honte, ni
supporter quoi que ce fût qui l’empêchât d’être digne de
l’immortalité. 4. L’épreuve suivante fut de ramener le
taureau de Crète, qui fut aimé, dit-on, par Pasiphaé. Il
navigua jusqu’à l’île, se fit aider du roi Minos et ramena le
taureau dans le Péloponnèse, en le transportant sur un
navire à travers la mer si large.
XIV. 1. Après avoir réussi cette épreuve, Héraclès institua
les Jeux Olympiques46. Il choisit, pour une fête d’une telle
importance, le plus beau des lieux : la plaine le long du fleuve
Alphée, où il dédia ces jeux à Zeus son père. Il décida que le
prix de ce concours serait une couronne, parce que lui-même
avait agi pour le bien du genre humain sans recevoir aucun
salaire. 2. C’est lui-même qui remporta sans conteste tous les
combats car personne n’eut le courage de se mesurer à lui à
cause de son exceptionnelle valeur, même s’il y avait des
combats très différents les uns des autres : le lutteur habitué
au pugilat ou le lutteur exercé au pancrace pouvait
difficilement surpasser le coureur de stade ; et, à son tour,
celui qui emportait la première place dans les combats légers
observait la même difficulté à vaincre ceux qui excellaient
dans les combats lourds. C’est pour cela qu’il sembla naturel
que, de tous les jeux, ceux-ci soient les plus honorés : ils
avaient commencé à l’initiative d’un brave. 3. Il vaut la peine
de ne pas négliger non plus les dons qu’offrirent les dieux à
Héraclès en raison de sa grande valeur. Quand, revenu de
guerre, il se tourna vers le repos, les fêtes solennelles, ou
encore les banquets et les concours, chacun des dieux
l’honora, en effet, de cadeaux qui lui sont propres : Athéna
d’un vêtement, Héphaïstos d’une massue et d’une armure47.
Ces dieux cités plus haut rivalisèrent entre eux, dans la
mesure de leur moyens : elle, par le plaisir et la jouissance
des époques de paix, lui par la sécurité contre les dangers
courus en temps de guerre. Parmi les autres, Poséidon lui fit
don de chevaux, Hermès d’un poignard, Apollon d’un arc et il
lui apprit à viser. Déméter, en l’honneur d’Héraclès, institua
les petits mystères afin de le purifier du meurtre des
Centaures. 4. Il se passa aussi quelque chose de singulier lors
de la naissance de ce dieu, car la première femme mortelle à
laquelle s’unit Zeus fut Niobé, fille de Phoronée, et la
dernière fut Alcmène. Or, les mythographes qui ont établi sa
généalogie disent qu’elle appartient à la seizième génération
descendant de Niobé. De sorte que, le fait que Zeus engendre
des êtres humains a commencé avec les ancêtres d’Alcmène
et c’est avec elle qu’il a cessé : avec elle, en effet, il a mis fin à
ses unions avec une mortelle et, parce qu’il n’espérait pas
engendrer plus tard un descendant de la valeur de ceux déjà
nés, il ne voulut pas créer des êtres inférieurs après ces êtres
supérieurs.
XV. 1. Plus tard, comme les Géants avaient choisi, pour la
Pallène, de faire la guerre aux Immortels, Héraclès combattit
aux côtés des dieux et fit périr un grand nombre des fils de
Gaia ; il reçut pour cela la faveur la plus grande. Zeus, en
effet, donna le nom d’« olympiens » aux seuls dieux qui
avaient combattu à ses côtés, afin que, par la faveur d’un tel
nom, le brave soit honoré avec un nom différent de l’infâme.
Et, parmi les hommes nés d’une femme mortelle, Dionysos et
Héraclès lui semblèrent dignes de ce nom, non seulement
parce qu’ils étaient les fils de Zeus, mais aussi parce qu’ils
avaient le même but : ils agirent pour le plus grand bien de la
vie des humains48. 2. Quand Prométhée donna le feu aux
hommes, Zeus le mit dans les fers et installa à ses côtés un
aigle qui lui dévorait le foie. Mais Héraclès, quand il vit quel
châtiment Prométhée recevait pour son service rendu aux
hommes, tua l’aigle d’une flèche et persuada Zeus de calmer
sa colère, sauvant ainsi le bienfaiteur de tous. 3. Il reçut
ensuite la tâche d’amener de Thrace49 les juments de
Diomède. Elles avaient des étables de bronze, en raison de
leur grande férocité, et étaient emprisonnées dans des
chaînes de fer, en raison de leur force. Comme nourriture,
elles prenaient non pas ce que produit la terre, mais les
membres des étrangers qu’elles déchiquetaient ; elles avaient
ainsi pour nourriture le malheur des pauvres. Voulant les
dominer, Héraclès prit leur maître Diomède et lorsque, par la
chair de celui qui leur enseignait leurs méfaits, il eut assouvi
l’appétit de ces bêtes, elles furent dociles. 4. Quand les
juments furent conduites devant Eurysthée, il les fit
consacrer à Héra, et il advint que leur progéniture resta ainsi
consacrée jusqu’au règne d’Alexandre de Macédoine. Après
avoir accompli cette épreuve, il s’embarqua avec Jason vers la
Colchide afin de participer à l’expédition pour la Toison d’or.
Mais ces faits, nous les exposerons en détail à propos de
l’expédition des Argonautes.
XVI. 1. Ayant reçu l’ordre de rapporter la ceinture
d’Hippolyte l’Amazone, Héraclès entreprit une expédition
contre les Amazones50. Il fit donc voile vers le Pont — qui fut
appelé, à cause de lui, Euxin (« hospitalier ») — continua
jusqu’à l’embouchure du fleuve Thermodon et prit position
dans les environs de la ville de Themiscyra, dans laquelle
était située la demeure royale des Amazones. 2. Il leur
demanda d’abord la ceinture qu’on lui avait ordonné de
rapporter ; mais comme elles n’y consentaient pas, il engagea
un combat contre elles. Le gros de leur nombre s’opposa aux
nombreux hommes d’Héraclès, mais les Amazones les plus
valeureuses se placèrent en face d’Héraclès et entreprirent
un combat acharné. Ainsi la première qui engagea le combat
avec lui fut Aella (« tempête ») — c’est en raison de sa
rapidité qu’elle avait reçu ce nom — mais elle rencontra un
adversaire plus vif qu’elle-même. La deuxième fut Philippis :
elle fut atteinte dès le premier affrontement d’une blessure
mortelle et périt. Ensuite, il engagea le combat avec Prothoè
qui, dit-on, dans sept combats auxquels elle avait été défiée,
avait emporté la victoire sur son adversaire. Quand celle-ci
aussi fut tombée, la quatrième qu’il eut à soumettre fut
l’Amazone nommée Eribœa. Grâce à son courage dans les
combats guerriers, elle se vantait de n’avoir besoin d’aucune
aide, mais elle sut que sa prétention était fausse quand elle
tomba sous les coups de plus fort qu’elle. 3. Après elles, ce
furent Célainô, Eurybia et Phoibé, qui étaient les compagnes
de chasse d’Artémis et lançaient leur javelot toujours droit au
but : elles ne blessèrent pas leur unique cible, mais elles qui
unissaient leurs boucliers furent tuées toutes ensemble.
Après elles, il soumit Déjanire, Astéria et Marpè, puis
Tecmessa et Alcippé. Cette dernière s’était fait le serment de
rester toujours vierge ; elle le tint, c’est la vie qu’elle ne
conserva pas. Et celle qui avait le commandement des
Amazones, Mélanippé, et qu’on admirait surtout pour son
courage, perdit son commandement. 4. Après avoir fait périr
les plus illustres des Amazones, Héraclès contraignit le reste
de leur groupe à fuir et en tua la plus grande partie afin que
leur race soit détruite. Parmi les captives, il offrit Antiope à
Thésée et délivra Mélanippé contre la ceinture en rançon.
XVII 1. Eurysthée lui ordonna, comme dixième épreuve,
d’amener les vaches de Géryon, qui se trouvaient paître dans
des terres de l’Ibérie situées près de l’océan51. Considérant
que ce travail-là demandait une grande préparation et
promettait beaucoup de peines, il mit en place un
remarquable équipement et une masse de soldats en
proportion de cette expédition52. 2. Il était, en effet, connu de
toute la terre habitée que Chrysaor (« au glaive d’or ») — qui
tirait son nom de sa richesse — gouvernait toute l’Ibérie et
avait trois fils comme défenseurs, qui se distinguaient à la
fois par leur force physique et par leur courage lors des
combats guerriers53. Il était connu, en outre, que chacun des
fils avait réuni de grosses troupes recrutées parmi des
peuplades belliqueuses. C’est pour ces raisons qu’Eurysthée,
considérant qu’une expédition contre eux était difficile à
réussir, avait ordonné l’épreuve décrite plus haut. 3. Mais
Héraclès, de la même façon que lors de ses exploits passés,
affronta résolument les dangers. Il rassembla ses forces en
Crète, après avoir décidé qu’il en ferait sa base. Cette île était,
en effet, très avantageusement située pour des expéditions
contre toute la terre habitée. Avant de reprendre le large, il
fut magnifiquement honoré par les indigènes et, désireux de
témoigner sa reconnaissance aux Crétois, il nettoya l’île de
ses bêtes sauvages54. C’est pourquoi, dans les époques
postérieures, nul animal sauvage, ours, loup, serpent ou tout
autre animal de cette sorte, ne s’est plus trouvé dans cette île.
Il fit cela pour sanctifier cette île, dans laquelle, racontent les
mythes, Zeus est né et a été élevé. 4. Après avoir donc repris
la mer depuis la Crète, il débarqua en Libye. Tout d’abord, il
provoqua au combat Antée qui était connu pour sa force
physique, son expérience de la palestre et aussi pour avoir
tué tous les étrangers qu’il avait vaincus à la lutte ; il
l’attaqua et le tua. A la suite de cela, il civilisa la Libye, qui
était infestée de bêtes féroces, et soumit une grande partie de
la faune des terres désertiques, afin que le pays soit couvert
de terres cultivées et de plantations de toute sorte
produisant des fruits : beaucoup de terres furent plantées de
vignes, beaucoup d’autres d’oliveraies. De façon générale, la
Libye était auparavant inhabitable en raison du grand
nombre de bêtes sauvages qui infestaient le pays. En la
civilisant, il la rendit égale à tout autre pays en prospérité. 5.
Pareillement, il fit périr des hommes qui agissaient contre la
loi ou des dirigeants criminels et rendit les villes prospères.
Les mythes racontent qu’il haïssait et combattait l’espèce des
bêtes féroces et des hommes criminels parce que, dans son
enfance, alors qu’il était nourrisson, il était arrivé que les
serpents s’attaquent à lui, et qu’en outre, devenu homme, il
était tombé sous le pouvoir d’un souverain criminel et injuste
qui lui ordonnait ces travaux55.
XVIII. 1. Après la mort d’Antée, il passa en Égypte et fit
périr le roi Busiris qui tuait les hôtes étrangers qui
abordaient dans le pays. Il traversa ensuite les terres sèches
de la Libye, et arriva par hasard sur une terre arrosée et
féconde. Il y fonda une ville d’une grandeur extraordinaire,
appelée Hécatompylos (« Aux-Cent-Portes ») — nom qui lui
vient de la multitude de ses portes. Cette ville est restée
prospère jusqu’à des temps assez récents, où les Carthaginois,
après avoir lancé contre elle une expédition comptant des
forces considérables et d’excellents généraux, y ont institué
des souverains. 2. Héraclès parcourut une grande partie de la
Libye, arriva à l’océan, près de Gadeira et dressa des colonnes
sur l’un et l’autre des deux continents. Naviguant avec son
armée, il fit la traversée jusqu’à l’Ibérie, et rencontra les fils
de Chrysaor qui avaient établi un camp avec trois grosses
troupes, à quelque distance les uns des autres. Il provoqua les
chefs en combat singulier, les tua tous et, après avoir ainsi
soumis l’Ibérie, il poussa devant lui le troupeau de vaches
devenu célèbre56. 3. Il parcourut tout le territoire des Ibères
et fut honoré par l’un des rois indigènes : un homme qui se
distinguait par son respect des dieux et son sentiment de
justice57. Il laissa une partie des vaches en cadeau à ce roi.
Celui-ci les accepta mais les dédia toutes à Héraclès, et
chaque année, suite à cet épisode, il lui sacrifiait la plus belle
des vaches. Il advint ainsi que le troupeau de vaches garda,
en Ibérie, son caractère sacré et cela continua jusqu’à nos
jours58. 4. Mais puisque nous avons mentionné les colonnes
d’Héraclès, nous considérons qu’il est approprié d’exposer en
détail ce qui les concerne. Lorsqu’Héraclès arriva, en effet,
aux extrémités des continents, celle de la Libye et celle de
l’Europe qui se trouvent le long de l’océan, il décida
d’installer des colonnes rappelant cette expédition. Comme il
voulait réaliser à cet endroit un ouvrage éternellement
mémorable, il entassa aux extrémités, disent-ils, des
alluvions sur une grande surface : 5. de ce fait, alors que les
promontoires étaient auparavant séparés l’un de l’autre par
une longue distance, il a resserré le passage jusqu’à en faire
un détroit, afin que, en le rendant étroit et peu profond, il
puisse empêcher les monstres aquatiques de s’échapper de
l’océan pour venir dans la mer intérieure, et qu’en même
temps, par l’importance de son œuvre, la célébrité de ce qu’il
a construit demeure aussi éternellement mémorable.
Cependant, selon ce que disent certains, les deux continents
étaient, au contraire, très étroitement liés, et lui a creusé une
ouverture entre eux, et par l’ouverture de ce passage, il a fait
que l’océan se mêle à notre mer. Mais sur ce sujet, chacun
peut en juger selon sa propre conviction59. 6. Il avait déjà fait
auparavant presque la même chose en Grèce : dans la région
nommée Tempé, en pays de plaines, marécageuse en
beaucoup d’endroits, il avait creusé l’emplacement contigu,
et en recueillant dans son fossé absolument toute l’eau du
marais, il avait fait apparaître les plaines de Thessalie, le long
du fleuve Pénée60. 7. A l’inverse, en Béotie, il barra le petit
fleuve près de la ville des Minyens, Orchoménos, et rendit
ainsi la région marécageuse et la ruina complètement.
Cependant, ce qu’il fit en Thessalie, il le fit pour rendre
service aux Grecs ; alors que ce qu’il fit en Béotie, il le fit pour
tirer vengeance de ceux qui habitaient le territoire des
Minyens, pour avoir asservi les Thébains61.
XIX. 1. Héraclès confia la royauté des Ibères aux plus
nobles des indigènes, puis il prit avec lui son armée, parvint
en pays celtique et en parcourant la totalité du territoire, il
mit fin aux actes criminels et aux meurtres d’étrangers qui
étaient en usage. Comme une grande masse d’hommes de
toutes les tribus avait fait campagne volontairement avec lui,
il fonda une ville très grande qui fut appelée, en raison de la
« course errante » (alê) de cette expédition, Alésia62. 2. Il mêla
aussi aux habitants de cette ville beaucoup d’indigènes : ils
l’emportèrent par leur grand nombre et il en résulta que tous
les habitants devinrent barbares63. Les Celtes, jusqu’à nos
jours, tiennent en honneur cette ville comme le cœur et la
métropole de toute la Celtique. Cette ville est restée, depuis
Héraclès, tout le temps libre et inexpugnable jusqu’à notre
époque ; mais, finalement, elle a été prise de force par Caius
César — qui a reçu le nom de « divin » en raison de
l’importance de ses actions — et elle fut contrainte, en même
temps que toutes les autres villes celtes, à obéir aux
Romains64. 3. Héraclès fit route depuis la Celtique vers l’Italie.
Alors qu’il traversait la région montagneuse des Alpes, il se
fraya une nouvelle route, différente de celle très âpre et
difficile d’accès qui existait, de façon à être accessible à ses
troupes et au chargement des bêtes de somme. 4. Les
Barbares qui habitaient cette montagne avaient l’habitude de
dépouiller et de piller dans les passages difficiles les armées
qui faisaient la traversée ; mais il les soumit tous, tua les
responsables de cette pratique criminelle et rendit ainsi le
parcours sûr pour les générations suivantes. Après avoir
traversé les Alpes et avoir parcouru la plaine de la région que
l’on nomme maintenant la Gaule, il fit route à travers la
Ligurie.
XX. 1. Les Ligures qui habitent cette contrée exploitent un
sol rocailleux et tout à fait pauvre. A force de travaux et de
peines terribles des indigènes, elle porte quelques maigres
fruits. C’est pourquoi les hommes sont d’une taille réduite et
restent vigoureux, grâce à cet exercice constant : ils sont, en
effet, tenus très loin de l’existence facile et de sa mollesse,
leur mobilité extrême les rend agiles, et ils se distinguent par
leur force lors des combats guerriers. 2. En général, les
habitants des régions voisines ont été exercés à supporter ces
fatigues de façon constante, et puisque cette terre exige un
gros travail, ils ont pris l’habitude de faire participer leurs
femmes aux souffrances qu’infligent ces travaux. Comme les
hommes et les femmes, moyennant salaire, travaillent côte à
côte, il arriva, de nos jours, un incident singulier et étonnant
qui toucha une femme en particulier : 3. elle était enceinte et
travaillait, moyennant salaire, avec les hommes ; au moment
où elle fut touchée par les douleurs de l’enfantement, elle se
rendit tranquillement vers quelques arbustes. Là, elle
accoucha, et enveloppant l’enfant dans des feuillages, elle le
cacha ; puis elle retourna aux travaux qu’elle avait entrepris
et supporta ses peines, sans rien laisser paraître de ce qui
s’était passé. Mais quand le nouveau-né se mit à pleurer et
que l’événement fut ainsi découvert, le surveillant ne put en
aucune façon la persuader de cesser de travailler : elle ne se
libéra de ses souffrances que lorsque son employeur prit pitié
d’elle, et après lui avoir donné son salaire, la libéra de ses
travaux65.
XXI 1. Après avoir traversé le pays des Ligures et celui des
Tyrrhéniens, Héraclès arriva au Tibre et établit son camp là
où se trouve à présent Rome. Mais cette cité fut fondée, bien
des générations plus tard, par Romulus, fils d’Arès ; à
l’époque dont nous parlons, certains indigènes habitaient à
l’endroit que l’on nomme maintenant le Palatin et habitaient
donc une toute petite cité. 2. Dans cette cité, les hommes en
vue étaient Cacius et Pinarius qui reçurent Héraclès avec une
remarquable hospitalité et l’honorèrent par des présents de
bienvenue. Le souvenir de ces hommes est même resté à
Rome jusqu’à notre époque : parmi les hommes de bonne
naissance, la gens des hommes qui portent le nom de Pinarii,
qu’on dit très ancienne, existe de nos jours encore chez les
Romains. Quant à Cacius, il y a une descente dans le Palatin,
avec un escalier de pierre, que l’on appelle, à cause de lui,
« Cacia », et qui se trouve près de l’ancienne maison de
Cacius. 3. Héraclès accepta donc le dévouement des habitants
du Palatin et leur prédit qu’après qu’il serait parti pour
rejoindre les dieux, ceux qui feraient vœu d’offrir à Héraclès
le dixième de leur fortune auraient une vie plus heureuse. Et
il advint que cette pratique demeura dans les époques
postérieures jusqu’à nos jours : 4. beaucoup de Romains, non
seulement ceux qui ont acquis une fortune modérée, mais
aussi quelques-uns parmi les hommes très riches, ont fait
vœu d’offrir la dîme à Héraclès, et par la suite, sont devenus
heureux, alors qu’ils avaient donné le dixième de leur
fortune qui était de quatre mille talents. Lucullus, par
exemple, qui était presque le plus riche des Romains de son
époque, fit évaluer sa propre richesse et en offrit, sur l’autel
de ce dieu, toute la dixième partie, en organisant des festins
continuels et coûteux. Les Romains ont aussi construit pour
ce dieu un temple considérable au bord du Tibre, dans lequel
ils ont coutume d’accomplir les sacrifices constitués par la
dîme66. 5. Héraclès leva donc son camp des bords du Tibre et
arriva, alors qu’il parcourait la côte de ce que l’on nomme à
présent l’Italie, à la plaine de Cymé où se trouvaient,
racontent les mythes, des hommes extrêmement forts et
devenus célèbres pour leurs méfaits, que l’on appelait Géants.
On a donné aussi à cette plaine le nom de Phlègra
(« Flambante ») à cause d’une colline qui, autrefois, a fait
jaillir un feu terrible, presque comme l’Etna en Sicile. Elle
s’appelle maintenant « le mont Vésuve » et il reste beaucoup
de signes du fait qu’elle a brûlé dans des temps anciens. 6.
Quand les Géants apprirent l’arrivée d’Héraclès, ils se
réunirent tous et se rangèrent en ordre de bataille face à
celui-ci. Il y eut un combat étonnant, à la mesure de la force
et de la vigueur des Géants. Héraclès, dit-on, remporta le
combat, parce qu’il avait les dieux à ses côtés, il fit périr la
plus grande partie des Géants et civilisa ainsi la contrée67. 7.
Les mythes racontent que les Géants étaient Fils de Gaia, en
raison de leur taille extraordinaire. Sur les Géants tués dans
la plaine de Phlègra, voilà ce que racontent certains
mythographes, suivis en particulier par l’historien Timée.
XXII. 1. Héraclès descendit vers la mer, quittant la plaine
phlègrienne, et accomplit des ouvrages près du lac appelé
Aornos, que l’on tient pour consacré à Perséphone. Ce lac se
trouve donc entre Misène et Dicæarcheia, près des sources
chaudes ; il a une circonférence d’environ cinq stades et une
profondeur incroyable. Comme son eau est extrêmement
pure, il apparaît à la surface d’un bleu très sombre en raison
de son exceptionnelle profondeur. 2. Les mythes racontent
qu’il y avait près de ce lac un lieu où anciennement on
évoquait les morts et qui, disent-ils, a été détruit par la suite.
Ce lac a eu une ouverture vers la mer, mais Héraclès, dit-on, a
comblé avec de la terre ce débouché, et a construit la route
qui aujourd’hui longe la mer et qui est appelée, à cause de lui,
« la voie Héracléienne « 68. 3. Voilà donc ce qu’il a fait dans
ces régions-là. Après avoir levé le camp, il arriva dans la
région de Poseidônia, près d’un rocher où les mythes
racontent qu’il se passa quelque chose de singulier et
d’étrange : un chasseur parmi les indigènes s’était rendu
célèbre par des actes courageux à la chasse, dans des époques
antérieures où il était en usage de consacrer à Artémis la tête
et les pieds des bêtes sauvages prises et de les clouer aux
arbres ; or, un jour où il avait donc capturé un sanglier d’une
taille prodigieuse, il dit, parce qu’il méprisait la déesse, qu’il
se consacrait à lui-même la tête de la bête, et accompagnant
ses propos, il suspendit la tête à un arbre. Puis, comme à midi
l’atmosphère devenait brûlante, il sombra dans le sommeil.
Pendant ce temps, le lien se délia de lui-même et la tête
tomba sur le chasseur assoupi et le tua. 4. Mais, en fait,
personne ne devrait s’étonner de cet incident : beaucoup de
circonstances autour de nous rappellent le châtiment infligé
aux impies par cette déesse. Cependant, c’est tout le
contraire qui advint à Héraclès, en raison de sa piété. 5.
Lorsqu’il arriva, en effet, près de la frontière entre la région
de Rhégium et celle de Locride, et qu’il voulut se reposer à
cause de la fatigue du voyage, on raconte que, comme il était
gêné par les cigales, il pria les dieux de faire disparaître les
bêtes qui le gênaient. Et c’est pourquoi, puisque les dieux ont
réalisé son vœu, les cigales ont disparu, non seulement pour
l’occasion, mais dans la suite des temps, aucune cigale n’a été
même aperçue dans cette région. 6. Lorsqu’Héraclès arriva au
détroit où la mer est la plus étroite, il transporta le troupeau
de vaches jusqu’en Sicile et lui, après avoir saisi la corne d’un
taureau, traversa le passage qui avait une longueur de treize
stades, selon ce que dit Timée.
XXIII. 1. Par la suite, il voulut visiter tout le tour de la
Sicile et fit route du cap Pélore vers Éryx69. Alors qu’il
parcourait la côte de l’île, les mythes racontent que les
Nymphes firent jaillir des bains d’eau chaude pour qu’il se
repose des souffrances que lui causait son voyage. Il en existe
deux qui sont appelées l’une Himérienne, et l’autre Égestaine,
qui doivent leurs noms aux lieux de ces bains. 2. Héraclès
approcha des régions aux environs d’Éryx et fut provoqué à
la lutte par Éryx, le fils d’Aphrodite et de Boutés70, qui était
alors le roi de ces régions. Ce combat singulier comportait un
enjeu supplémentaire : Éryx livrait son pays et Héraclès les
vaches. D’abord, Éryx s’indigna parce que les vaches,
comparées au pays, avaient une valeur bien inférieure. Face à
cela, Héraclès déclara que si on les lui prenait, il serait privé
de son immortalité. Éryx fut satisfait par l’arrangement et il
lutta contre lui. Il fut vaincu et perdit son pays71. 3. Héraclès
remit le pays aux indigènes et accepta qu’ils en reçoivent les
fruits jusqu’au moment où l’un de ses descendants
surviendrait et le réclamerait ; et c’est précisément ce qui eut
lieu : bien des générations plus tard, Dorieus de Lacédémone
est arrivé en Sicile, a repris le pays et a fondé la ville
d’Héraclée72. Comme elle a grandi rapidement, les
Carthaginois, qui à la fois l’enviaient et redoutaient qu’un
jour, devenue plus forte que Carthage, elle ne dépouille les
Phéniciens de leur hégémonie, réunirent contre elle de
grosses troupes et, après l’avoir prise de force, ils la
détruisirent entièrement. Mais, sur cet événement, nous
exposerons les détails en temps approprié. 4. Alors
qu’Héraclès faisait le tour de la Sicile, il arriva un jour à la
ville qui est maintenant Syracuse et, comme il connaissait ce
que les mythes racontent sur le rapt de Coré, il offrit des
sacrifices magnifiques aux déesses et, après avoir consacré
près de la fontaine Cyané le plus beau des taureaux, il
enseigna aux indigènes à faire des sacrifices chaque année à
Coré et à célébrer avec éclat une fête solennelle et un
sacrifice, à côté de la fontaine de Cyané73. 5. Quant à lui, avec
le troupeau, il traversa les terres du centre et, alors que les
indigènes Sicanes74 lui opposaient de grosses troupes, il
remporta la victoire en une célèbre bataille et en tua
beaucoup, parmi lesquels certains mythes racontent qu’il y
eut même des généraux qui se sont rendus célèbres et qui
reçoivent aujourd’hui encore les honneurs des héros75 :
Leucaspis, Pediacratès, Bouphonas, Glychatas, et enfin
Butaias et Crytidas76.
XXIV. 1. Par la suite, il parcourut la plaine de Léontins,
admira la beauté de cette région et, voulant traiter
convenablement ceux qui l’avaient honoré, il laissa chez eux
les marques impérissables de sa présence. Il se passa quelque
chose de singulier près de la ville des Agyriens, car dans cette
ville, il fut honoré à l’égal des dieux olympiens par des fêtes
solennelles et des sacrifices splendides77. Bien que, dans les
époques antérieures, il n’acceptât aucun sacrifice en son
honneur, il y consentit alors pour la première fois, parce que
la divinité lui donnait par avance des signes de son
immortalité : 2. il y avait une route, en effet, non loin de la
ville, faite de pierres ; or, le troupeau laissa des traces comme
dans un objet de cire. Cela arriva de la même façon à Héraclès
aussi et, comme il terminait la dixième épreuve, il pensa qu’il
recevait déjà une part de son immortalité et consentit donc à
ce que des sacrifices lui soient offerts chaque année par les
indigènes. 3. C’est précisément pourquoi, afin de démontrer
sa reconnaissance à ceux qui le contentaient, avant de
construire la ville, il construisit un lac, d’une circonférence
de quatre stades, et ordonna qu’il fût appelé de son nom. Il
donna également son nom aux traces formées par les vaches
et établit un domaine sacré dédié au héros Géryon, qui est
aujourd’hui encore honoré par les indigènes78. 4. Iolaos aussi,
son neveu, qui faisait campagne avec lui, créa un domaine
sacré considérable et indiqua des honneurs et des sacrifices à
lui offrir chaque année, qui sont observés aujourd’hui
encore : tous les habitants de cette ville laissent croître leurs
cheveux en l’honneur d’Iolaos, dès la naissance et jusqu’à ce
que, par des sacrifices magnifiques, se soient produits des
présages favorables et qu’ils aient rendu le dieu propice79. 5.
En outre, il subsiste une telle pureté et majesté autour du
domaine sacré que les enfants qui ne s’acquittent pas des
sacrifices habituels deviennent aphones et ressemblent à des
hommes morts. Mais ils disent que, quand l’un d’eux fait vœu
d’accomplir le sacrifice et offre au dieu un gage de ce
sacrifice, ceux qui étaient possédés par le mal décrit plus
haut se rétablissent sur-le-champ. 6. En conséquence, les
indigènes ont donc donné le nom d’Héracléenne à la porte
près de laquelle ils ont rencontré Héraclès et établi les
sacrifices en son honneur. Et chaque année, ils font, avec la
plus grande ardeur, des concours gymniques et équestres. Le
dieu rencontre la faveur du peuple entier, hommes libres et
esclaves ; ils enseignent à leurs domestiques, en les prenant à
part, à honorer le dieu80. Ils forment des thiases et, après
s’être rassemblés, ils font des banquets et accomplissent des
sacrifices pour ce dieu. 7. Héraclès passa avec le troupeau en
Italie. Alors qu’il faisait chemin le long des côtes, il tua
Lacinios qui essayait de lui voler des bêtes, et il fit périr aussi,
involontairement, Croton à qui il rendit de magnifiques
honneurs funèbres et construisit un tombeau. Il prédit même
aux indigènes que, dans des temps futurs, il existerait aussi
une ville importante du même nom que le mort81.
XXV. 1. Quand il eut fait le tour de l’Adriatique et
contourné par voie de terre le golfe déjà cité, il arriva en
Épire, d’où il se rendit dans le Péloponnèse. Comme il avait
achevé sa dixième épreuve, il reçut l’ordre d’Eurysthée
d’amener Cerbère de l’Hadès à la lumière. Pensant que ce
serait utile pour lui, afin de réussir cette épreuve, il vint à
Athènes et prit part aux Mystères d’Eleusis — cérémonie
alors présidée par Musée, le fils d’Orphée. 2. Puisque nous
avons mentionné Orphée, il n’est pas inapproprié de faire
une petite digression et d’exposer brièvement ce qui le
concerne : il était le fils d’Œagre et Thrace de naissance ; par
son instruction, son chant et sa poésie, il l’emportait de
beaucoup sur ceux dont on a gardé le souvenir. Il composa,
en effet, un poème qui était admirable et, par l’harmonie de
sa mélodie, remarquable. Sa gloire atteignit un point tel qu’il
passait pour charmer par son chant les animaux sauvages et
les arbres. 3. Après s’être consacré à son instruction et avoir
appris ce que relatent les mythes sur la connaissance des
dieux, il voyagea en Égypte et, comme là-bas il avait encore
beaucoup augmenté sa connaissance, il devint, parmi les
Grecs, celui qui connaissait le mieux les dieux, les rites
initiatiques, les poèmes et les chants. 4. Il prit aussi part à
l’expédition des Argonautes et il osa, en raison de l’amour
qu’il éprouvait pour sa femme, l’extraordinaire descente
dans l’Hadès. Après avoir séduit Perséphone par l’harmonie
de son chant, il la persuada de l’aider à réaliser ses désirs et
d’accepter qu’il fasse remonter de l’Hadès sa femme morte,
un peu à la façon de Dionysos — les mythes racontent, en
effet, que celui-ci fit remonter de l’Hadès sa mère Sémélè, lui
donna une part de son immortalité et l’appela d’un nouveau
nom : Thyoné. Mais puisque nous avons exposé ce qui
concerne Orphée, nous allons revenir à Héraclès.
XXVI. 1. Celui-ci, en effet, selon les mythes qui nous ont
été transmis, est descendu dans le domaine d’Hadès et a été
reçu par Perséphone comme le serait un frère. Il fit
remonter, délivrés de leurs liens, Thésée et Pirithoos82. Grâce
à la faveur de Coré, il reçut ensuite le chien enchaîné et le
présenta à la vue des hommes. 2. La dernière épreuve qu’il
reçut fut de rapporter les pommes d’or des Hespérides, il fit
donc voile de nouveau vers la Libye. Sur ces pommes, les
mythographes sont en désaccord : certains disent qu’il y
avait en Libye, dans quelques jardins des Hespérides, des
pommes d’or, surveillées sans relâche par un dragon
extrêmement redoutable ; et d’autres disent que les
Hespérides possédaient des troupeaux de moutons d’une
beauté exceptionnelle, qui, en raison de cette beauté, ont été
surnommés poétiquement « pommes d’or », de la même
façon qu’Aphrodite aussi est appelée « dorée » pour sa belle
apparence. 3. Mais quelques-uns disent que c’est parce que
les moutons avaient une couleur d’une nature particulière et
presque semblable à l’or que ce surnom leur avait échu, ils
disent aussi que Dracon était chargé de prendre soin des
moutons et qu’il se distinguait par sa force physique et sa
puissance : il veillait sur les moutons et tuait ceux qui osaient
les voler. Mais, sur ce sujet, chacun peut trancher selon ce
qu’il veut bien croire. 4. En tout cas, Héraclès tua le gardien
des « pommes », ramena les pommes à Eurysthée, et,
puisqu’il avait achevé ses travaux, il espérait obtenir
l’immortalité, comme le lui avait prédit Apollon.
XXVII. 1. Nous ne pouvons omettre ce que les mythes
racontent sur Atlas et la race des Hespérides. A propos donc
du pays appelé l’Hespérie, ils disent qu’il existait deux frères,
Hespéros et Atlas, que la renommée avait rendus célèbres. Ils
avaient acheté des moutons qui se distinguaient par leur
beauté : ils avaient une couleur jaune et une apparence
dorée. C’est parce que les poètes appellent les moutons
« mêla » qu’on leur a donné le nom de « pommes » d’or83. 2.
Hespéros engendra une fille qui reçut le nom d’Hespéris et
qu’il maria à son propre frère. C’est à elle que le pays doit son
nom d’Hespérie. Atlas engendra d’elle sept filles, qui doivent
à leur père leur nom d’Atlantides, et à leur mère le nom
d’Hespérides. Comme ces Atlantides se distinguaient en
beauté et en sagesse, Busiris, le roi des Egyptiens, désira,
disent-ils, devenir maître des jeunes vierges. C’est pourquoi il
donna l’ordre à des pirates, qu’il envoya par mer, d’enlever
les jeunes filles et de les lui ramener. 3. C’est à cette occasion
qu’Héraclès, alors qu’il réalisait sa dernière tâche, tua en
Libye Antée, qui contraignait les étrangers à lutter avec lui
jusqu’au bout ; et en Egypte, il infligea à Busiris, qui sacrifiait
à Zeus les étrangers qui séjournaient dans son pays, le juste
châtiment qu’il avait mérité. Ensuite, après avoir navigué
jusqu’à l’Ethiopie en remontant le Nil, il tua Émathion, le roi
des Ethiopiens, qui le premier avait engagé le combat ; plus
tard, il retourna à nouveau à sa tâche. 4. Les pirates
enlevèrent les jeunes filles qui jouaient dans un jardin,
prirent vite la fuite jusqu’aux navires et gagnèrent le large.
Héraclès survint pendant qu’ils prenaient leur repas sur une
côte : après avoir appris des jeunes vierges ce qui s’était
passé, il tua tous les pirates et ramena les jeunes filles à leur
père Atlas84. Pour cela, Atlas, désireux de lui montrer sa
reconnaissance pour ce service, non seulement lui donna
avec empressement ce qui était nécessaire à la réalisation de
sa tâche, mais l’instruisit aussi généreusement en astrologie.
5. Atlas avait, en effet, réussi à force de travail à être le plus
grand savant en astrologie et il avait découvert avec
ingéniosité la nature sphérique des étoiles, ce qui fit
supposer qu’il portait tout l’univers sur ses épaules.
Semblablement, quand Héraclès eut à son tour rapporté aux
Grecs la théorie des sphères, il acquit une grande réputation
pour avoir reçu en héritage l’univers des mains d’Atlas, alors
que ce qu’il en était en réalité de l’univers restait
énigmatique aux hommes.
XXVIII. 1. Alors qu’Héraclès en était là, les Amazones qui
avaient survécu dans les environs du fleuve Thermodon,
s’étaient rassemblées en masse85, disent-ils, et désiraient
ardemment punir les Grecs pour ce qu’Héraclès avait fait
subir à leur armée. Elles portaient plus particulièrement
leurs efforts sur les Athéniens parce que Thésée avait réduit
en esclavage celle qui avait le commandement des Amazones,
Antiope ou, comme d’autres l’écrivent, Hippolyte. 2. Les
Scythes joignirent leur armée à celle des Amazones : une
force considérable fut ainsi rassemblée, avec laquelle celles
qui se trouvaient à la tête des Amazones traversèrent le
Bosphore cimmérien et s’avançèrent à travers la Thrace.
Finalement, après avoir traversé une bonne partie de
l’Europe, elles arrivèrent en Attique et installèrent leur camp
à l’endroit qui leur doit d’être maintenant appelé « le
sanctuaire des Amazones ». 3. Quand Thésée eut appris
l’approche des Amazones, il vint au secours des forces
composées de ses citoyens, en prenant avec lui l’Amazone
Antiope, dont il avait engendré un fils, Hippolyte. Il engagea
le combat avec les Amazones, et comme les Athéniens se
montraient les plus courageux, ceux qui combattaient au
côté de Thésée remportèrent la victoire, et parmi les
Amazones qui résistaient, ils en tuèrent certaines et
repoussèrent les autres hors de l’Attique. 4. Antiope elle-
même combattit aux côtés de son mari Thésée : elle fut la
plus brave dans ce combat et termina sa vie héroïquement.
Les Amazones qui survécurent renoncèrent au genre de vie
de leurs ancêtres, retournèrent avec les Scythes en Scythie et
s’installèrent avec eux. Mais nous avons suffisamment
parcouru ce sujet, revenons à nouveau aux exploits
d’Héraclès.
XXIX. 1. Après avoir donc achevé ses travaux, le dieu lui
fit savoir par un oracle qu’il serait bien qu’avant sa
métamorphose pour rejoindre les dieux, il envoie aussi une
colonie en Sardaigne, et qu’il fasse des fils qui lui étaient nés
des filles de Thespios, les gouverneurs de cette colonie, mais
il décida d’envoyer Iolaos avec ses enfants, parce qu’ils
étaient vraiment jeunes86. 2. Il nous semble cependant
indispensable de parler d’abord de la naissance de ces
enfants, afin qu’il nous soit possible d’exposer en détail un
récit plus clair de l’envoi de cette colonie. Thespios était
parmi les Athéniens un homme d’une noble naissance, fils
d’Érechthée. Il régnait sur le pays du même nom et avait
engendré de ses nombreuses femmes cinquante filles. 3.
Alors qu’Héraclès était encore par son âge un jeune garçon,
mais qu’il avait déjà une force physique prodigieuse,
Thespios désira ardemment que ses filles aient de lui des
enfants. C’est pourquoi il l’invita à un sacrifice et lui offrit un
repas somptueux, puis lui envoya une par une ses filles.
Héraclès s’unit à toutes, les rendit grosses et devint ainsi père
de cinquante fils. Ils reçurent tous le même nom, qui leur
venait des Thespiades, et quand ils furent adultes, Héraclès
décida de les envoyer coloniser la Sardaigne, conformément
à l’oracle. 4. Iolaos prit le commandement de toute la troupe
et, puisqu’il avait participé à presque toutes ses expéditions,
Héraclès s’en remit à lui pour prendre soin des Thespiades et
de la colonie. Parmi les cinquante jeunes garçons, deux
restèrent à Thèbes, dont les descendants, raconte-t-on, sont
aujourd’hui encore honorés ; sept restèrent à Thespies : ils
sont appelés « démouchoi » 87, et leurs descendants ont aussi
gouverné la ville, raconte-t-on, jusqu’à une époque récente.
5. Iolaos prit avec lui tout le reste des Thespiades et beaucoup
d’autres hommes qui voulaient habiter cette colonie ; ils
firent voile vers la Sardaigne. Après s’être rendu maître des
indigènes par un combat, il s’attribua par la voie du sort la
partie la plus belle de l’île et surtout la région de plaine, qui
est appelée aujourd’hui encore Iolaeion. 6. Il civilisa cette
terre en la cultivant, planta des arbres fruitiers et rendit ainsi
le pays convoité. L’île devint, en effet, si célèbre pour
l’abondance de ses produits que les Carthaginois, quelque
temps plus tard, devenus plus puissants, voulurent prendre
cette île et il leur fallut endurer beaucoup de combats et de
dangers pour elle. Mais nous exposerons cela au moment
approprié.
XXX. 1. Iolaos fit alors les installations nécessaires à la
colonie, et envoya chercher Dédale en Sicile : il construisit de
nombreux grands ouvrages, qui ont été conservés jusqu’à
l’époque actuelle, et qui doivent à celui qui les a construits
d’être appelés « Dédaleia ». Il construisit aussi de grands et
somptueux gymnases, constitua des tribunaux et les autres
institutions qui contribuent à la prospérité de la cité. 2. De
plus, il a donné aux habitants le nom d’Ioléens. C’est d’après
son propre nom qu’il a institué ce nom, avec l’accord des
Thespiades et parce qu’ils lui accordaient cette marque
d’honneur comme à un père. En raison, en effet, de son
dévouement pour eux, ils furent amenés à une telle gratitude
qu’ils lui attribuèrent, comme second nom, le titre de
géniteur. C’est pourquoi, dans les époques postérieures, ceux
qui offraient des sacrifices à ce dieu l’appelaient « Père
Iolaos », comme les Perses s’adressent à Cyrus. 3. Ensuite,
Iolaos entreprit de retourner en Grèce et, comme il naviguait
par la Sicile, il séjourna un long moment sur cette île. A cette
époque, certains de ceux qui voyageaient avec lui restèrent
en Sicile en raison de la beauté de cette terre ; et se mêlant
aux Siciliens, ils s’installèrent dans cette île où ils furent
particulièrement honorés des indigènes. Iolaos jouissait aussi
d’une grande considération, et comme il rendait service à
bon nombre de gens, il fut honoré dans de nombreuses villes
par des domaines sacrés et des cultes héroïques. 4. Il arriva
qu’un événement singulier et étonnant eut lieu en rapport
avec cette colonie : le dieu leur fit savoir par un oracle que
tous ceux qui avaient pris part à cette colonisation et leurs
descendants continueraient, pour toute la suite des temps, à
demeurer libres et cet état de fait est resté conforme à
l’oracle jusqu’à notre époque. 5. Avec le temps, les habitants
devinrent barbares, parce que les barbares qui avaient pris
part à cette colonisation étaient en plus grand nombre : ils se
transportèrent dans la région montagneuse et habitèrent des
terres difficiles à cultiver. En prenant l’habitude de se nourrir
de lait et de viande et en élevant beaucoup de troupeaux, ils
ne manquaient pas de nourriture. Ils se construisirent des
habitations souterraines, et passer leur vie dans ces galeries
souterraines les fit échapper aux dangers qu’engendrent les
guerres. 6. C’est pourquoi, d’abord les Carthaginois, puis par
la suite les Romains, bien qu’ils eussent souvent guerroyé
contre eux, échouèrent dans leur dessein. Sur Iolaos et les
Thespiades, ainsi que sur ce que fut cette colonie envoyée en
Sardaigne, nous nous contenterons de ce qui a été dit, et sur
Héraclès, nous allons ajouter la suite des récits déjà
entrepris88.
XXXI. 1. Après avoir, en effet, accompli ses travaux,
Héraclès donna en mariage à Iolaos sa propre femme Mégara,
parce qu’il redoutait, à cause du malheur survenu à ses
enfants, d’engendrer à nouveau d’elle des enfants, et il se mit
à la recherche d’une autre femme qui puisse sans crainte
donner naissance à des enfants. C’est justement pourquoi il
chercha à épouser Iolé, la fille d’Eurytos qui gouvernait
Oichalia. 2. Vu l’infortune de Mégara, Eurytos prit ses
précautions et répondit qu’il voulait réfléchir à ce mariage.
Comme sa demande en mariage n’avait pas été retenue,
Héraclès, pour se venger de cette offense, chassa les juments
d’Eurytos. 3. Iphitos, le fils d’Eurytos, qui ne se doutait pas de
ce qui s’était passé, vint à Tirynthe pour aider à la recherche
des juments. Héraclès le fit monter sur une tour élevée et lui
demanda de regarder au loin si les chevaux ne se trouvaient
pas quelque part : comme Iphitos ne parvenait pas à les voir,
Héraclès lui dit, hypocritement, qu’il l’accusait du vol et le
précipita du haut de la tour. 4. En raison de la mort d’Iphitos,
Héraclès fut atteint d’un mal ; il se rendit auprès de Nélée, à
Pylos, et le pria de le purifier de son crime. Nélée délibéra
donc avec ses fils et il les trouva tous, sauf Nestor le plus
jeune d’entre eux, du même avis89 : qu’il n’entreprenne pas le
rite de purification. 5. Héraclès se rendit alors près de
Déiphobe, le fils d’Hippolyte ; il le persuada et reçut le rite de
purification. Mais, incapable de se débarrasser du mal, il
interrogea l’oracle d’Apollon sur le traitement à suivre. Celui-
ci lui fit savoir par un oracle qu’il se délivrerait plus
facilement de ce mal, s’il se vendait lui-même et qu’il
attribuait, avec justice, le prix de sa personne aux enfants
d’Iphitos. Forcé donc d’obéir à l’oracle, il navigua avec
quelques amis vers l’Asie. Là, il fut de son plein gré vendu par
l’un de ses amis et devint l’esclave d’une jeune vierge, fille
d’Iardonos, Omphale, qui gouvernait alors les Méoniens que
l’on appelle maintenant les Lydiens90. 6. Celui qui avait vendu
Héraclès rendit son prix aux enfants d’Iphitos,
conformément à l’oracle. Héraclès se rétablit et, pendant
qu’il était l’esclave d’Omphale, il châtia ceux qui pillaient le
pays91. 7. Ceux que l’on nomme les Cercopès, par exemple,
volaient et commettaient de nombreux crimes : il en tua
certains, fit les autres prisonniers et les remit enchaînés à
Omphale ; quant à Syleus, qui capturait les étrangers de
passage et les forçait à biner ses vignes, Héraclès le frappa
avec sa bêche et le tua ; aux Itoniens enfin, qui pillaient une
grande partie du pays d’Omphale, il leur enleva leur butin et
il saccagea la ville qui leur servait de base d’opérations ; il en
asservit les habitants et la détruisit de fond en comble. 8.
Omphale reconnut le courage d’Héraclès et, quand elle eut
appris qui il était et qui étaient ses parents, elle admira sa
valeur ; elle l’affranchit, s’unit à lui et enfanta Lamos92.
Auparavant, pendant son asservissement, Héraclès avait déjà
eu d’une esclave un fils, Cléodaios.
XXXII. 1. Il retourna ensuite dans le Péloponnèse,
guerroya contre Ilion, parce qu’il avait à se plaindre du roi
Laomédon : alors qu’Héraclès faisait campagne avec Jason
pour la toison d’or et qu’il avait tué le monstre marin,
Laomédon l’avait privé des chevaux qui lui étaient promis —
mais de cela nous reparlerons en détail un peu plus tard,
quand le moment sera venu de faire le récit des Argonautes.
2. Comme Héraclès était alors occupé par l’expédition qu’il
menait avec Jason, il ne trouva que plus tard l’occasion de
faire campagne contre Troie avec dix-huit navires de guerre,
selon ce que disent certains, avec six en tout, selon ce qu’a
écrit Homère dans ce passage où il représente Tlépolémos, le
fils d’Héraclès, disant :
« Mais quel homme, dit-on, était le puissant Héraclès,
mon intrépide père au cœur de lion ! Il vint un jour ici
réclamer les chevaux de Laomédon, avec six nefs
seulement et très peu d’hommes, il saccagea la ville
d’Ilion et vida ses rues. » 93
3. Après avoir donc abordé à Troie, Héraclès, accompagné
des meilleurs guerriers, s’avança vers la ville et confia le
commandement des navires au fils d’Amphiaraos, Oiclès.
Comme la présence des ennemis était inattendue, Laomédon
n’eut pas la possibilité de rassembler une force considérable
en raison de la grande rapidité des faits, mais il rassembla le
plus d’hommes qu’il put. Et avec eux, il marcha contre les
navires en espérant que s’il les incendiait, il mettrait fin à
cette guerre. Oiclès alla à sa rencontre : le général Oiclès
tomba et les autres parvinrent à prendre la fuite jusqu’aux
navires et à les repousser loin des côtes. 4. Laomédon repartit
alors et affronta les hommes d’Héraclès tout près de la ville :
il tomba, ainsi que la plupart de ceux qui combattaient à ses
côtés. Héraclès prit la ville par la force et égorgea de ses
mains beaucoup d’habitants. Il confia la royauté des Troyens
à Priam en raison de son sens de la justice : 5. il était en effet
le seul des fils de Laomédon qui se fût opposé à son père et
qui lui eût conseillé de remettre à Héraclès les chevaux, ainsi
qu’il en avait fait la promesse. Héraclès récompensa Télamon
pour sa bravoure, en lui donnant la fille de Laomédon,
Hésioné : lors du siège, il avait fondu le premier sur la ville,
en force, alors qu’Héraclès attaquait l’acropole par la partie la
plus solide des remparts.
XXXIII. 1. Héraclès retourna ensuite dans le Péloponnèse
et fit campagne contre Augias parce qu’il l’avait privé de sa
récompense. Il y eut un combat entre lui et les Éléens, mais il
repartit, cette fois-ci sans avoir remporté de succès, pour
Olénos auprès de Dexaménos. La fille de ce dernier,
Hippolyte, épousait Azan ; Héraclès prenait part au repas, et
ayant observé que, pendant les noces, le centaure Eurytion
lançait des insultes à Hippolyte et la violentait, il le tua. 2.
Quand il fut de retour à Tirynthe, Eurysthée l’accusa de
comploter contre la royauté et lui ordonna de quitter
Tirynthe avec Alcmène, Iphiclès et Iolaos. C’est pourquoi il
fut obligé de s’exiler avec ces derniers et s’installa en Arcadie,
à Phénéos. 3. C’est de là qu’il lançait ses attaques et, comme il
avait appris qu’une procession consacrée à Poséidon était
envoyée d’Élis à l’isthme de Corinthe et qu’elle était menée
par Eurytos, le fils d’Augias, il attaqua à l’improviste Eurytos
et le tua près de Cleonas, là où est à présent le sanctuaire
d’Héraclès. 4. Il mena ensuite campagne contre Élis, tua le roi
Augias et, après avoir pris par la force la ville, envoya
chercher Phylée, le fils d’Augias, et lui confia la royauté.
Celui-ci avait été, en effet, banni par son père au moment où,
alors qu’il servait de juge à son père et Héraclès au sujet de la
récompense, il avait donné raison à Héraclès. 5. Ensuite,
Hippocoon exila de Sparte son frère Tyndare, et les enfants
d’Hippocoon, au nombre de vingt, tuèrent Oiônos, fils de
Licymnios et ami d’Héraclès. Furieux de ces événements,
Héraclès leur fit la guerre. Il remporta la victoire en un grand
combat et les tua tous. Il prit Sparte par la force, ramena dans
son royaume Tyndare, le père des Dioscures, et lui confia la
royauté puisqu’il l’avait gagnée à la pointe de l’épée, en lui
ordonnant de la conserver pour ses propres descendants. 6.
Très peu de ceux qui avaient combattu aux côtés d’Héraclès
étaient tombés dans la bataille, parmi eux les hommes les
plus illustres étaient Iphiclos, Céphée et, parmi ses enfants,
dix-sept en tout — trois seulement sur les vingt, en effet, s’en
étaient tirés sains et saufs. Parmi les opposants, Hippocoon
lui-même et avec lui dix de ses enfants, ainsi que tous les
autres Spartiates. 7. En rentrant de cette expédition vers
l’Arcadie, il séjourna chez le roi Aléos, s’unit secrètement à sa
fille, l’engrossa puis partit à nouveau vers Stymphale. 8. Aléos
ignorait ce qui avait eu lieu, mais, comme le gonflement du
ventre de sa fille signalait le crime, il demanda qui était le
corrupteur. Quand Augé révéla qu’Héraclès lui avait fait
violence, il n’accorda pas foi à ses dires : il la remit à un ami,
Nauplios, avec l’ordre de la jeter à la mer. 9. Augé était
emmenée vers Nauplie et se trouvait près de la montagne du
Parthénion, quand elle fut accablée par les douleurs de
l’enfantement : elle se rendit dans un bois des environs sous
prétexte d’un besoin pressant. Elle accoucha d’un enfant
mâle, et après avoir recouvert le nouveau-né, elle
l’abandonna dans des taillis. Augé s’éloigna ensuite avec
Nauplios, et quand elle fut arrivée en Argolis, au port de
Nauplie, elle trouva un salut inattendu. 10. Nauplios, en effet,
décida de ne pas la jeter à la mer, comme il en avait reçu
l’ordre, mais de l’offrir en présent à des Cariens, étrangers
qui se rendaient en Asie : une fois parvenus en Asie, ils
donnèrent Augé à Teuthras, roi de Mysie. 11. Quant au
nouveau-né abandonné sur le Parthénion par Augé, des
bouviers du roi Corythos le trouvèrent sous une biche, en
train de se nourrir à sa mamelle et ils en firent cadeau à leur
maître. Corythos reçut l’enfant avec joie et l’éleva comme
son propre fils. Il le nomma Télèphe en raison de la biche
(élaphos) qui l’avait nourri. Télèphe atteint l’âge d’homme, et
comme il cherchait ardemment à savoir qui était sa mère, il
se rendit à Delphes où l’oracle lui répondit de naviguer
jusqu’en Mysie, chez le roi Teuthras : 12. il trouva sa mère, et
ayant appris qui était son père, il trouva la plus grande
considération. Comme Teuthras était sans enfant mâle, il unit
sa fille Argiopé à Télèphe et le déclara successeur de son
royaume94.
XXXIV. 1. Quatre ans après son installation à Phénéos,
supportant difficilement la disparition d’Oiônos, le fils de
Licymnios et d’Iphiclès son frère, Héraclès quitta
volontairement l’Arcadie et l’ensemble du Péloponnèse. Avec
lui, beaucoup quittèrent l’Arcadie ; il partit pour Calydon, en
Étolie, où il s’installa. Comme il n’avait ni enfant légitime, ni
épouse, il épousa Déjanire, la fille d’Oineus, puisque Méléagre
avait alors déjà disparu. Il ne nous semble pas inapproprié de
faire une brève digression pour rapporter l’infortune qui
toucha Méléagre : 2. comme Oineus avait eu une récolte de
blé très abondante, il fit des sacrifices à tous les autres dieux,
mais négligea la seule Artémis. C’est pour cette raison que la
déesse éprouva du ressentiment envers lui et fit apparaître le
célèbre sanglier de Calydon, d’une taille prodigieuse. 3. Il
ravageait la contrée alentour et endommageait les
propriétés. C’est pourquoi Méléagre, le fils d’Oineus, qui était
alors dans toute la fleur de l’âge et se distinguait par sa force
et son courage, prit avec lui un grand nombre des plus braves
pour chasser cet animal. Méléagre, ayant le premier frappé la
bête de son javelot, se vit accorder unanimement le premier
prix, qui était constitué de la peau de l’animal. 4. Mais
Atalante, la fille de Schoineus, prenait part à cette chasse, et
comme Méléagre s’était épris d’elle, il renonça en sa faveur à
la peau de l’animal et à l’éloge que sa bravoure devait lui
valoir. Les enfants de Thestios, qui avaient participé à la
chasse, s’indignèrent de ces faits, parce qu’il avait plus rendu
honneur à une femme étrangère qu’à eux, bafouant ainsi le
lien de parenté. C’est pourquoi, ne tenant aucun compte du
présent offert par Méléagre, ils tendirent une embuscade à
Atalante et, tandis qu’elle rentrait en Arcadie, ils
l’attaquèrent et lui prirent la peau de l’animal. 5. Mais, en
raison de son amour pour Atalante et parce qu’il était furieux
de cet affront, Méléagre se porta au secours d’Atalante. Tout
d’abord, il ordonna aux voleurs de rendre à cette femme la
récompense du plus brave, mais comme ils n’obéissaient pas,
il les tua, bien qu’ils fussent les frères d’Althaia. C’est
pourquoi Althaia, profondement affligée par la disparition de
ceux qui avaient le même sang, prononça des imprécations
par lesquelles elle demandait la mort de Méléagre ; les
immortels l’écoutèrent, dit-on, et mirent un terme à la vie de
Méléagre. 6. Mais certains mythes content qu’à la naissance
de Méléagre, les Moires étaient survenues auprès d’Althaia
pendant son sommeil et lui avaient dit que Méléagre, son fils,
trouverait la mort le jour où le tison serait entièrement
consumé. C’est pourquoi, quand elle eut enfanté, croyant que
le salut de l’enfant reposait dans la préservation du tison, elle
veilla avec soin sur ce tison. 7. Plus tard, irritée par le
meurtre de ses frères, elle brûla entièrement le tison et ce fut
la cause de la mort de Méléagre. Mais, sans cesse plus
chagrinée de ce qui s’était produit, elle mit finalement un
terme à sa vie par la pendaison.
XXXV. 1. Pendant que ces événements avaient lieu,
Hipponoos, à Olénos, désapprouvant sa fille Périboia, disent-
ils, parce qu’elle affirmait qu’Arès l’avait rendue grosse,
l’envoya en Étolie, auprès d’Oineus, et lui donna l’ordre de la
faire disparaître au plus vite. 2. Mais comme Oineus avait
perdu récemment son fils et sa femme, il renonça à tuer
Périboia : il la prit pour épouse et engendra un fils Tydée.
Voilà donc l’issue des mythes qui ont trait à Méléagre,
Althaia, ainsi qu’à Oineus. 3. Voulant faire plaisir aux
Calydoniens, Héraclès détourna le fleuve Achéloos et, par
l’aménagement d’un autre lit, il rendit très fertile une large
bande de terre qui est encore arrosée par le cours d’eau que
je viens de mentionner. 4. Aussi certains poètes ont-ils même
rendu mythique, dit-on, ce fait95 : ils ont représenté Héraclès
engageant le combat avec Achéloos, alors que ce fleuve avait
pris l’apparence d’un taureau. Pendant la lutte, Héraclès brisa
l’une des cornes et en fit don aux Étoliens ; elle reçut le nom
de « corne d’Amalthée ». Dans cette corne, ils imaginent que
se trouve une grande quantité de tous les fruits de la fin de
l’été : grappes de raisins, pommes, et tous les autres fruits de
ce genre. Mais les poètes parlent à mots couverts : une corne
d’Achéloos représente le cours d’eau qui coule par le fossé ;
les pommes, les grenades et les grappes représentent la
contrée fertile qui est arrosée par le fleuve et l’abondance des
végétaux qui portent des fruits. De plus, c’est la corne
« d’Amalthée », c’est-à-dire d’une sorte de « non mollesse »
(amalkistia) ; ce qui indique la vigueur de celui qui a réalisé
cet ouvrage96.
XXXVI. 1. Héraclès fit campagne avec les Calydoniens
contre les Thesprotes, il prit la ville d’Éphyra de vive force et
tua le roi des Thesprotes, Phylée. Il fit prisonnière la fille de
Phylée, s’unit à elle et engendra Tlépolémos. 2. Trois ans
après avoir épousé Déjanire, il était en train de dîner chez
Oenée, quand Eurynomos, le fils d’Architélès, qui faisait le
service, encore à l’âge d’un jeune garçon, fit une erreur en
servant : Héraclès le frappa d’un coup de poing et le coup fut
si lourd qu’il tua involontairement le jeune garçon. 3.
Profondément affligé de cet accident, il s’exila de nouveau
volontairement de Calydon, avec sa femme Déjanire et
Hyllos, l’enfant qu’il avait eu d’elle et qui avait encore l’âge
d’un jeune garçon. Tandis qu’il voyageait, il arriva près du
fleuve Evénos, et trouva le Centaure Nessos qui faisait passer
le fleuve moyennant salaire. 4. Celui-ci fit passer Déjanire la
première, et s’étant épris d’elle pour sa beauté, il entreprit de
la violenter. Comme elle appelait son mari à son secours,
Héraclès décocha une flèche sur le Centaure, mais entre-
temps, Nessos cherchait à s’unir à elle et, alors qu’il agonisait
à cause de la profondeur de la plaie, il dit à Déjanire qu’il lui
donnerait un philtre grâce auquel Héraclès n’aurait envie
d’approcher aucune autre femme. 5. Il lui commanda donc de
recueillir la semence génitale qu’il avait émise, de la
mélanger à de l’huile et au sang qui s’épanchait goutte à
goutte de la pointe du javelot, et d’en enduire la tunique
d’Héraclès. Après avoir donné ce conseil à Déjanire, il expira
sur-le-champ. Suivant l’instruction donnée par Nessos,
Déjanire recueillit la semence génitale dans un vase, y
plongea la pointe du javelot, et le conserva à l’insu
d’Héraclès. Celui-ci, après avoir passé le fleuve, arriva chez
Cèyx, le roi de Trachis, et s’installa avec lui, avec tous ceux
des Arcadiens qui l’accompagnaient dans ses campagnes.
XXXVII. 1. Par la suite, comme Phylas, le roi des Dryopes,
s’était montré irrespectueux envers le temple de Delphes,
Héraclès mena une campagne avec les Méliens, tua le roi des
Dryopes et jeta les autres hors du pays, puis il remit le pays
aux Méliens. Il fit prisonnière la fille de Phylas, s’unit à elle et
engendra un fils, Antiochos. Il lui naquit aussi de Déjanire
deux fils plus jeunes qu’Hyllos : Gléneus et Hoditès. 2. Parmi
les Dryopes qui avaient été chassés, certains arrivèrent en
Eubée et y fondèrent une ville, Carystos ; d’autres firent voile
jusqu’à l’île de Chypre et, après s’être mêlés aux indigènes, ils
s’y installèrent ; le reste des Dryopes chercha refuge chez
Eurysthée et ils reçurent son soutien en raison de la haine
qu’il portait à Héraclès : il les aida à bâtir trois villes dans le
Péloponnèse — Asiné, Hermioné, ainsi qu’Éïon. 3. Après le
soulèvement des Dryopes, une guerre s’engagea entre les
Doriens qui habitaient la contrée appelée Hestiaôtide, dont
Aigimios était roi, et les Lapithes établis dans les environs de
l’Olympe, que dirigeait Corônos, fils de Caineus. Comme les
Lapithes étaient de loin supérieurs en forces, les Doriens
cherchèrent refuge auprès d’Héraclès et ils lui demandèrent
de combattre à leur côté en échange du tiers de la Doride et
de sa royauté. Quand ils l’eurent persuadé, ils firent ensemble
campagne contre les Lapithes. Héraclès avait toujours les
Arcadiens qui avaient combattu avec lui, et avec eux il
domina les Lapithes ; il tua leur roi Corônos, tailla la majorité
des autres en pièces et les contraignit à se retirer du
territoire contesté. 4. Après avoir fait cela, il confia à
Aigimios le tiers du territoire qu’il avait obtenu et lui donna
ordre de le conserver pour ses descendants. Faisant retour
vers Trachis, il fut aussi provoqué par Cycnos, le fils d’Arès ; il
le tua, puis il quitta Itonos et, traversant la Pélasgiotide, il
unit ses forces au roi Orménios, dont il demanda en mariage
la fille, Astydaméia. Comme Orménios la lui refusait parce
qu’il avait Déjanire, la fille d’Oenée, comme épouse légitime,
Héraclès mena campagne contre lui, prit sa ville et tua ce roi
qui ne lui obéissait pas. Il fit prisonnière Astydaméia et
s’étant uni à elle, il engendra un fils, Ctésippos. 5. Une fois
cela achevé, il mena campagne à Oichalia, contre les enfants
d’Eurytos, parce qu’il n’avait pas obtenu Iolé qu’il demandait.
Comme les Arcadiens luttaient à ses côtés, il prit la ville et
tua les enfants d’Eurytos, Toxée, Molion et Clytios. Il fit aussi
prisonnière Iolé et quitta l’Eubée pour le promontoire du
nom de Kénaion97.
XXXVIII. 1. Là, désireux de faire un sacrifice, Héraclès
envoya Lichas, son serviteur, à Trachis, auprès de sa femme
Déjanire : il lui avait donné ordre de demander à celle-ci une
tunique et un manteau qu’il avait l’habitude d’utiliser pour
les sacrifices. Mais comme elle avait appris de Lichas la vive
affection d’Héraclès pour Iolé et qu’elle voulait être chérie
elle-même plus que l’autre, Déjanire enduisit la tunique du
philtre donné par le Centaure dans l’intention de faire périr.
2. Lichas, ignorant ces faits, rapporta donc le vêtement pour
le sacrifice : Héraclès revêtit la tunique enduite, et le pouvoir
de putréfaction du poison faisant son effet progressivement,
il connut la souffrance la plus grande. La pointe du javelot, en
effet, avait été recouverte de venin de vipère et c’est pour
cela que, comme la tunique, avec la chaleur, attaquait la chair
de son corps98, Héraclès éprouva une grande douleur et tua
Lichas qui l’avait servi ; il licencia son armée et retourna à
Trachis. 3. Comme il était toujours de plus en plus accablé par
le mal, il envoya Licymnios et Iolaos à Delphes demander à
Apollon ce qu’il fallait faire contre ce mal99. La gravité de la
souffrance d’Héraclès avait frappé de stupeur Déjanire, et
ayant pris conscience de l’erreur qu’elle avait commise, elle
mit un terme à sa vie en se pendant. Le dieu répondit
d’emmener Héraclès sur l’Œta, avec son équipement de
guerre, et de construire près de là un bûcher d’une grandeur
considérable ; du reste, dit-il, Zeus s’occuperait. 4. Les
compagnons d’Iolaos firent ce qui avait été ordonné et
prirent un peu de distance pour observer ce qui allait arriver.
Héraclès, qui avait désespéré de son propre salut et s’était
approché du bûcher, pria tous ceux qui s’avançaient
d’enflammer le bûcher. Personne n’osa lui obéir, seul
Philoctète se laissa persuader : en remerciement de son
assistance, il reçut en cadeau d’Héraclès ses arcs et mit le feu
au bûcher. Aussitôt des éclairs tombèrent aussi de tout le ciel,
et le bûcher tout entier se consuma. 5. Par la suite, les
compagnons d’Iolaos allèrent recueillir les os, mais, comme
pas un seul os ne fut retrouvé, ils pensèrent qu’Héraclès,
conformément aux oracles, avait quitté les hommes pour
rejoindre les dieux100.
XXXIX. 1. C’est pourquoi ils lui rendirent des sacrifices
funéraires comme à un héros, lui construisirent un tombeau
et retournèrent à Trachis. Après eux, Ménoitios, fils d’Actor
et ami d’Héraclès, commanda qu’on lui sacrifie comme à un
héros chaque année à Oponte un sanglier, un taureau et un
bélier, et qu’on honore Héraclès comme un héros. Les
Thébains aussi firent à peu près de même, mais les Athéniens
furent les premiers de tous à honorer Héraclès par des
sacrifices comme on honore un dieu101, et ils donnèrent en
exemple aux autres hommes leur propre piété envers ce
dieu : ils exhortèrent d’abord tous les Grecs et même, par la
suite, tous les hommes de la terre habitée, à honorer Héraclès
comme un dieu. 2. Il nous faut ajouter aux récits déjà faits
qu’après son apothéose, Zeus persuada Héra d’adopter
comme fils Héraclès et de lui montrer une affection
maternelle pour la suite de tous les temps ; cette adoption se
fit, disent-ils, ainsi : Héra, montée sur un lit, prit contre son
corps Héraclès, et à travers ses vêtements, le laissa tomber
sur le sol, mimant la naissance réelle. C’est ce que font de nos
jours les barbares, quand ils veulent adopter un fils. 3. Après
cette adoption, Héra, content les mythes, maria Héraclès à
Hébé, que le poète représente aussi dans la « Nékyia « 102 :

« Ombre, mais lui, parmi les dieux immortels, séjourne


dans la joie des festins et il a Hébé aux belles
chevilles. »
4. Ils disent qu’Héraclès était même inscrit par Zeus au
nombre des douze dieux, mais qu’il n’accepta pas cet
honneur, car il était impossible qu’il fût inscrit sans
qu’auparavant l’un des douze dieux ne fût chassé. Il lui
semblait donc absurde d’accepter un honneur qui mènerait
un autre dieu à en être privé. Concernant donc Héraclès,
même si nous nous sommes trop longuement étendu, nous
n’avons, du moins, rien omis de ce que les mythes content
sur lui.
XL. 1. Sur les Argonautes, puisqu’Héraclès a pris part à
leur expédition103, il serait approprié d’exposer en détail ce
qui les concerne. Voici ce qu’ils disent : Jason était le fils
d’Aison et le neveu de Pélias, roi des Thessaliens104. Comme il
était supérieur à ceux de son âge par sa force physique et le
brillant de son esprit, il eut le désir d’accomplir quelque
chose qui soit digne de mémoire. 2. Voyant que parmi ceux
qui l’avaient précédé, Persée et quelques autres, grâce à leurs
expéditions au-dehors et à l’audace de leurs tâches, avaient
reçu une gloire éternellement mémorable, il chercha à égaler
leurs projets. Ainsi, il fit part de son intention au roi et reçut
aussitôt son approbation : non que Pélias cherchât avec
ardeur à promouvoir ainsi le renom du jeune homme, mais
parce qu’il espérait qu’il trouverait la mort dans ces
expéditions audacieuses. 3. En effet, comme lui-même avait
été privé par la nature d’enfants mâles, il prenait ses
précautions pour que jamais son frère, avec son fils pour
l’aider, n’aspire à tenir la royauté. Cachant ce soupçon et
faisant même la promesse de fournir l’équipement nécessaire
à l’expédition, il lui ordonna de réaliser comme tâche une
expédition maritime en Colchide pour chercher la célèbre
peau de bélier à la Toison d’or. 4. Le Pont, habité en ces
temps-là par des peuples barbares et entièrement sauvages,
était appelé « Inhospitalier » 105 (Axénos), parce que les
indigènes tuaient les étrangers qui abordaient sur leurs
côtes. 5. Aspirant à la gloire et jugeant que la tâche était
difficile à réaliser, mais point du tout impossible, Jason,
imaginant qu’il en serait même encore plus célèbre, prépara
l’équipement nécessaire à son entreprise106.
XLI. 1. En premier lieu, il construisit, près du mont Pélion,
un vaisseau bien supérieur par sa dimension et par
l’ensemble de sa construction à ce qui était alors habituel,
puisque les hommes d’alors naviguaient dans de petites
embarcations et des tout petits navires légers. Ainsi, ceux qui
le virent alors furent frappés de stupeur et quand la rumeur
se répandit à travers la Grèce de cette entreprise et du projet
de construction de ce navire, un grand nombre de jeunes
gens parmi les meilleurs eurent le désir de participer à cette
expédition. 2. Après avoir mis à flot le vaisseau et l’avoir
équipé avec éclat de tout ce qui pouvait frapper l’esprit, Jason
choisit, parmi ceux qui aspiraient à réaliser le même projet,
les chefs les plus renommés, de sorte que, lui compris, ils
étaient tous ensemble cinquante-quatre. Parmi eux, les plus
célèbres étaient Castor et Pollux, ainsi qu’Héraclès et
Télamon, et en plus d’eux : Orphée, Atalante, la fille de
Schoineus, ainsi que les enfants de Thespios et celui-là même
qui menait l’expédition maritime en Colchide. 3. Selon
certains mythographes, le fait que ce vaisseau ait reçu le nom
d’Argo tient à l’architecte du vaisseau, Argos, qui voyagea
même avec eux pour réparer chaque fois les parties du
vaisseau qui fatiguaient. Mais quelques-uns disent que son
nom lui vient de son exceptionnelle vitesse — sans doute
parce que les anciens appelaient ce qui est rapide « argos »
107.Une fois ces chefs rassemblés, ils se choisirent pour
général Héraclès, à qui ils donnèrent la préférence pour son
courage108.
XLII. 1. Après avoir gagné le large au départ d’Iolcos, et
avoir dépassé l’Athos et Samothrace, une tempête s’abattit et
ils furent portés en Troade, à Sigéion109. Là, ils débarquèrent
et trouvèrent, disent les mythes, une jeune fille enchaînée au
rivage pour les raisons suivantes : 2. Poséidon, dit-on,
éprouva de la colère contre le roi Laomédon à cause de la
construction des remparts de Troie que relatent les mythes,
et fit jaillir des flots vers la terre un monstre marin. Tous
ceux qui habitaient le rivage et qui cultivaient le littoral
furent enlevés par lui d’une manière étonnante. En outre, un
fléau s’abattit sur la population et les récoltes furent
entièrement détruites, de sorte qu’ils furent tous frappés de
stupeur par la gravité de la situation. 3. C’est pourquoi,
comme la foule s’était réunie en assemblée et cherchait un
moyen de se libérer de ces malheurs, le roi envoya, dit-on,
des hommes auprès d’Apollon pour le questionner sur ce qui
leur était arrivé. La réponse de l’oracle tomba donc : c’était la
colère de Poséidon, et elle cesserait le jour où les Troyens
remettraient de leur plein gré, au monstre marin, l’un de
leurs enfants désigné par le sort, comme nourriture. Tous,
disent les mythes, s’engagèrent dans le tirage au sort, et le
sort se porta sur Hèsioné, la fille du roi. 4. C’est ainsi que
Laomédon fut contraint de remettre la jeune vierge et de
l’abandonner sur le rivage, maintenue par des fers. 5. Quand
Héraclès, accompagné des Argonautes, eut débarqué là et
qu’il fut mis au courant par la jeune fille de son infortune, il
brisa les liens qui enserraient son corps, monta jusqu’à la
ville et promit au roi de tuer le monstre. 6. Laomédon accepta
la proposition et promit de donner en récompense ses
juments invincibles. Héraclès tua le monstre, disent-ils, et la
liberté fut donnée à Hésioné soit, si elle le voulait, de partir
avec son sauveur, soit de rester avec ses parents dans sa
patrie. La jeune fille choisit donc de vivre avec l’étranger,
non seulement parce qu’elle donnait sa préférence au service
rendu plutôt qu’au lien de parenté, mais aussi parce qu’elle
avait peur que le monstre marin ne fit à nouveau son
apparition et qu’elle ne fût exposée par les citoyens au même
châtiment. 7. Héraclès fut splendidement honoré par des
cadeaux et par les témoignages d’hospitalité qui
conviennent, il confia Hésioné et les juments à Laomédon,
étant entendu qu’à son retour de Colchide, il les récupérerait,
et il reprit le large en compagnie des Argonautes, pour
retourner avec ardeur à la tâche qu’ils s’étaient fixée110.
XLIII. 1. Mais il survint une forte tempête, et les chefs
désespéraient de leur salut quand Orphée, disent-ils, seul des
navigateurs qui eût pris part à une cérémonie initiatique, fit
des prières aux déesses de Samothrace pour leur salut. 2.
Aussitôt, le vent fléchit et deux étoiles tombèrent sur la tête
des Dioscures111 ; tous furent stupéfiés par cet incident
merveilleux et pensèrent qu’ils avaient été délivrés des
dangers par la providence de dieux. Comme le souvenir de
cette péripétie s’est transmis aux générations suivantes,
chaque fois que des marins traversent une tempête, ils font
des prières aux divinités de Samothrace, et la présence des
deux étoiles remonte, dit-on, au jour où elles apparurent sur
la tête des Dioscures112. 3. Toujours est-il qu’à ce moment-là,
la tempête cessa et les chefs abordèrent en Thrace, dans la
contrée sur laquelle régnait Phinée113. Ils rencontrèrent par
hasard deux jeunes gens qui avaient été jetés par punition
dans un trou et recevaient sans trêve des coups de fouet.
C’étaient les fils de Phinée et de Cléopâtra qui était née,
disent-ils, d’Orithye, la fille d’Érechthée, et de Borée. A cause
de la hardiesse de leur belle-mère et de ses accusations
mensongères, ils recevaient injustement de leur père le
châtiment que nous avons décrit. 4. En effet, Phinée avait
épousé Idaea, la fille de Dardanos, roi des Scythes, et désirant
combler tous ses désirs par amour pour elle, il accorda foi à
ce qu’elle prétendait : les fils qu’il avait eus d’un premier
mariage avaient employé la force pour outrager leur belle-
mère, pour faire plaisir à leur mère. 5. Quand apparurent, à
l’improviste, Héraclès et sa troupe, les jeunes gens qui se
trouvaient dans cette situation extrême adressèrent des
supplications à ces chefs comme à des dieux, leur indiquèrent
les raisons de la conduite contraire à tout usage de leur père
et leur demandèrent de les délivrer de leurs infortunes.
XLIV. 1. Phinée vint à la rencontre des étrangers avec des
mots durs et leur ordonna de ne pas s’occuper
indiscrètement de ses affaires personnelles ; car aucun père
n’impose volontairement un châtiment à ses enfants, à moins
que, par la gravité de leurs crimes, ils n’aient outrepassé la
vive affection naturelle des parents pour leurs enfants. 2. A
cet instant, des jeunes gens parmi les compagnons
d’Héraclès, ceux que l’on nommait les Boréades et qui étaient
frères de Cléopâtra, se lancèrent les premiers au secours des
deux fils, dit-on, en raison de leur lien de parenté, ils
brisèrent les liens qui enserraient les jeunes hommes et
tuèrent les barbares qui s’opposaient à eux. 3. Phinée
engagea la bataille et les Thraces accoururent ensemble en
grande masse. Héraclès, disent-ils, lutta le plus
énergiquement de tous, il tua Phinée, un grand nombre
d’autres, et après s’être finalement rendu maître du palais, il
fit sortir Cléopâtra de sa prison et restitua les fils de Phinée
dans la fonction que leurs ancêtres leur réservaient. Mais,
comme ils voulaient faire mourir leur belle-mère en la
torturant, il les persuada de renoncer à un tel châtiment et
de l’envoyer plutôt chez son père, en Scythie, en lui
ordonnant de la punir des fautes criminelles qu’elle avait
commises envers eux. 4. C’est ce qui eut lieu : le Scythe
condamna à mort sa fille, et les fils de Cléopâtra acquirent,
auprès des Thraces, la réputation d’être équitables. Je
n’ignore pas que certains des mythographes disent que les
fils de Phinée avaient été rendus aveugles par leur père, et
que Phinée connut par la volonté de Borée la même
souffrance114. 5. De la même façon, certains ont aussi
transmis qu’Héraclès, alors qu’il était sorti pour puiser de
l’eau sur la côte asiatique, fut laissé dans cette contrée par les
Argonautes115. Mais, d’une manière générale, il s’est trouvé
que les mythes anciens ne donnent pas un récit unique ni
unanime. 6. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que,
chaque fois que nous combinons certains des récits qui
traitent de l’Antiquité, nous ne nous trouvons pas en accord
avec tous les poètes et historiens. Néanmoins, on dit aussi
que les fils de Phinée confièrent la royauté à leur mère
Cléopâtra et accompagnèrent les chefs dans leur expédition.
7. Après avoir quitté les côtes thraces et s’être dirigés vers le
Pont, ils abordèrent en Tauride, ignorant la grande cruauté
des indigènes116. En effet, il était de règle pour les barbares
qui habitaient cette contrée d’offrir en sacrifice à Artémis
Tauropolê (« honorée en Tauride ») les étrangers qui
débarquaient sur ces côtes. C’est chez eux, dit-on,
qu’Iphigénie, dans des temps postérieurs, fut instituée
prêtresse de la déesse mentionnée et sacrifiait ceux qu’on
capturait.
XLV. 1. Comme l’histoire recherche les raisons du meurtre
des étrangers, il nous faut les exposer brièvement, d’autant
plus que cette digression sera apparentée aux exploits des
Argonautes. Hélios, disent-ils, eut deux enfants, Aiétès et
Persée : Aiétès devint roi de Colchide, Persée roi de la
Tauride, et tous deux se distinguaient par leur cruauté. 2.
Persée engendra une fille, Hécaté : elle surpassait son père en
hardiesse impudente et en méfaits. Elle aimait la chasse, mais
quand elle échouait, elle perçait de traits des hommes à la
place de bêtes. Comme elle était très habile à la compositon
de simples fatals, elle découvrit ce que l’on nomme l’aconit,
et elle expérimenta la puissance de chacun en les mêlant à la
nourriture donnée aux étrangers. Comme elle avait acquis
une grande expérience en la matière, elle tua par l’effet d’un
simple son père en premier et elle lui succéda à la royauté,
puis elle construisit un temple à Artémis, et comme elle
enseigna que soient consacrés à cette déesse les étrangers qui
débarquaient sur les côtes, elle devint célèbre pour sa
cruauté. 3. Par la suite, elle épousa Aiétès et mit au monde
deux filles, Circé et Médée, ainsi qu’un fils, Aigialeus. Circé
aussi se tourna vers la conception de simples de toutes sortes
et découvrit à certaines racines des propriétés diverses et des
pouvoirs incroyables : instruite par sa mère, Hécaté, d’un
grand nombre de simples, elle en découvrit par sa recherche
personnelle un bien plus grand nombre et elle ne laissa
aucune autre femme la surpasser en conception de simples.
4. Elle fut donnée en mariage au roi des Sarmates, que
certains appellent Scythes. Tout d’abord, elle tua son mari
par l’effet de simples, et par la suite, lui ayant succédé à la
royauté, elle commit de nombreux actes cruels et violents
envers ses sujets. 5. C’est pourquoi elle fut démise de sa
royauté et, selon certains mythographes, elle prit la fuite sur
l’océan, s’arrêta sur une île déserte et s’y établit avec les
femmes qui l’avaient accompagnée dans sa fuite. Mais selon
certains historiens, elle quitta le Pont et alla s’installer sur un
promontoire de l’Italie, qui lui doit d’être appelé aujourd’hui
encore Circaion117.
XLVI. 1. Quant à Médée, l’histoire raconte qu’elle apprit
de sa mère et de sa sœur tous les pouvoirs des simples, mais
qu’elle les utilisait dans un but opposé au leur ; elle passait
son temps, en effet, à soustraire aux dangers les étrangers
qui débarquaient sur ces côtes : tantôt elle demandait à son
père, par des prières et des cajoleries, que fussent sauvés
ceux qui devaient mourir, tantôt elle les faisait sortir de leur
prison et veillait à ce que ces infortunés fussent en sécurité.
Car Aiétès, en partie à cause de sa grande cruauté
personnelle, en partie parce qu’il obéissait à sa femme, avait
admis la coutume de tuer les étrangers. 2. Mais comme
Médée s’opposait toujours plus au plan de ses parents, Aiétès
se mit à soupçonner sa fille de comploter et la mit en liberté
surveillée118. Cependant, Médée prit la fuite et trouva refuge
dans un domaine consacré à Hélios, situé le long de la mer. 3.
C’est à ce moment-là que les Argonautes, arrivant de la
Tauride, abordèrent de nuit, en Colchide, dans le domaine
consacré déjà mentionné. Là, ils trouvèrent Médée errant le
long du rivage. Quand elle les eut instruits de la coutume de
tuer les étrangers, ils approuvèrent la grande civilité de la
jeune fille, lui dévoilèrent leur propre projet, et ils apprirent
d’elle, en retour, le danger dans lequel elle se trouvait par la
volonté de son père, en raison de sa dévotion pour les
étrangers. 4. Comme leur intérêt leur parut commun, Médée
promit de coopérer avec eux jusqu’à ce qu’ils eussent réalisé
la tâche qu’ils s’étaient fixée, et Jason s’engagea sous serment
à faire d’elle sa compagne durant toute sa vie119. 5. Ensuite
les Argonautes abandonnèrent la garde du vaisseau et
s’élancèrent de nuit avec Médée à la recherche de la Toison
d’or, sur laquelle il serait, sans doute, approprié d’exposer les
détails, afin que rien de ce qui appartient à l’histoire que
nous nous sommes proposé d’écrire ne soit ignoré.
XLVII. 1. Phrixos, le fils d’Athamas, content certains
mythes, en raison des intentions hostiles de sa belle-mère
prit avec lui sa sœur Hellé et s’enfuit hors de Grèce. Ils
passèrent d’Europe en Asie, aidés par une providence divine,
sur le dos d’un bélier à la Toison d’or. Mais la jeune fille
tomba dans la mer qui reçut d’elle son nom : Hellespont.
Phrixos voyagea jusqu’au Pont, puis se rendit en Colchide,
obéit à un oracle en offrant en sacrifice le bélier et suspendit
la Toison dans le temple d’Arès. 2. Par la suite, alors qu’Aiétès
régnait sur la Colchide, un oracle révéla que sa vie prendrait
fin le jour où des étrangers aborderaient et emporteraient la
Toison d’or. C’est pour ces motifs, et en raison de sa grande
cruauté personnelle, qu’il avait ordonné que fussent sacrifiés
les étrangers : afin que, quand le bruit de la grande
sauvagerie de la Colchide se serait répandu en tout lieu,
aucun n’étranger n’osât poser pied dans cette contrée. Il
entoura aussi le domaine consacré de remparts et y plaça de
nombreux gardes, choisis parmi les habitants de Tauride, et
c’est à cause de cela que des mythes monstrueux ont été
forgés par les Grecs : 3. on avait répandu que se trouvaient
autour de ce domaine sacré des taureaux qui soufflaient du
feu, et un dragon qui surveillait la Toison. On a employé
métaphoriquement la similitude de nom entre les habitants
de Tauride et les troupeaux de taureaux en raison de leur
force et, partant de leur grande cruauté puisqu’ils tuaient les
étrangers, on a construit le mythe des taureaux souffleurs de
feu. De la même façon, celui qui surveillait le domaine
consacré et qui se nommait Dracon (« Dragon »), les poètes
l’ont transposé métaphoriquement dans le monstrueux et
effrayant animal120. 4. Ce qui est raconté sur Phrixos tient du
même genre de récit fabuleux. Certains disent, en effet, qu’il
navigua sur un navire qui avait sur la proue une figure de
bélier, qu’Hellé souffrait du mal de mer et, qu’à cause de cela,
elle se pencha par-dessus le bastingage du navire et tomba à
la mer121. Mais quelques-uns disent que le roi des Scythes,
qui était parent par alliance d’Aiétès, séjournait en Colchide
au moment où fut capturé Phrixos avec son précepteur : il
tomba amoureux de l’enfant, le reçut en cadeau de la part
d’Aiétès, le chérit comme un fils légitime et lui laissa la
royauté. Le précepteur, qui se nommait Crios (« bélier »), fut
sacrifié aux dieux : ils l’écorchèrent et clouèrent sa peau au
temple, selon une certaine coutume. 6. Par la suite, comme
un oracle avait été rendu à Aiétès, par lequel il était révélé
qu’il mourrait le jour où des étrangers aborderaient et
emporteraient la peau de Crios, le roi, disent-ils, entoura de
remparts le domaine consacré, y établit une garnison et, en
plus, recouvrit d’or la peau, afin que, grâce à son apparence,
elle méritât la surveillance la plus attentive des soldats. Il
sera donc permis aux lecteurs déjuger de ces propos en
fonction du choix propre à chacun122.
XLVIII. 1. Médée, racontent-ils, montra le chemin aux
Argonautes jusqu’au domaine consacré à Arès, séparé de
soixante-dix stades de la ville qui était appelée Sybaris et
comprenait le palais royal de Colchide. Elle s’approcha des
portes fermées de nuit, et elle adressa la parole aux gardes en
langue de Tauride. 2. Quand les soldats eurent ouvert les
portes avec empressement comme il se doit pour une fille de
roi, les Argonautes, disent-ils, entrèrent l’épée tirée,
assassinèrent de nombreux barbares, repoussèrent les autres,
complètement stupéfaits sous l’effet de la surprise, hors du
domaine consacré, prirent la Toison et s’élançèrent en hâte
en direction du navire. 3. Comme eux, Médée aussi entra
dans l’enceinte et tua sous l’effet de simples le dragon
fabuleux qui jamais ne dormait et s’enroulait toujours autour
de la Toison ; puis, avec Jason, elle descendit en direction de
la mer. 4. Lorsque les soldats taures qui avaient fui
annoncèrent au roi l’attaque qui avait eu lieu, Aiétès, avec les
soldats qui l’entouraient se lança à la poursuite des Grecs et
les rencontra près de la mer. Dès l’abord, la bataille s’engagea
et il tua un des Argonautes, Iphitos, le frère d’Eurysthée qui
avait ordonné ses travaux à Héraclès. Mais quand il eut
entouré le reste des Argonautes de la multitude de ceux qui
luttaient à ses côtés et qu’il poursuivait la bataille plus
violemment encore, il fut tué par Méléagre123. 5. A ce
moment, après la mort du roi et vu l’enthousiasme des Grecs,
les hommes de Colchide prirent la fuite et la plupart d’entre
eux furent tués dans la poursuite. Ceux qui furent blessés
parmi les chefs sont : Jason, Laërte, Atalante et ceux que l’on
nomme les Thespiades. Cependant, disent-ils, ils furent
guéris par Médée en peu de jours grâce à certaines racines et
herbes. Les Argonautes s’approvisionnèrent, prirent le large,
et ils étaient déjà au milieu de la mer du Pont, lorsqu’ils
rencontrèrent une tempête tout à fait redoutable. 6. Orphée,
comme précédemment, adressa des prières, disent-ils, aux
divinités de Samothrace124 : il calma les vents, et près du
navire, apparut le dieu marin qu’on appelle Glaucos125.
Pendant deux nuits et deux jours, sans interruption, il
voyagea avec le navire, il prédit à Héraclès ses travaux et son
immortalité, et aux Tyndarides qu’ils devaient être appelés
Dioscures, et qu’ils seraient honorés à l’égal des dieux chez
tous les hommes. 7. D’une façon générale, il s’adressa à tous
les Argonautes nommément et leur dit que, grâce aux prières
d’Orphée, il leur était apparu par la providence des dieux
pour leur annoncer ce qui devait arriver. Il leur conseilla
donc, dès qu’ils auraient touché terre, d’adresser des prières
aux dieux auxquels par deux fois déjà, ils avaient dû leur
salut.
XLIX. 1. Puis Glaucos plongea à nouveau au cœur des flots.
Les Argonautes naviguèrent vers la terre en suivant l’estuaire
du Pont. Cette contrée était alors dirigée par Byzas auquel la
ville des Byzantins doit son nom. 2. Là, ils élevèrent des
autels et adressèrent des prières aux dieux ; ils consacrèrent
le lieu qui est aujourd’hui encore honoré par ceux qui
naviguent le long de ces côtes. 3. Par la suite, ils prirent le
large, traversèrent à la voile la Propontide et l’Hellespont et
se rendirent en Troade. Là, Héraclès envoya dans la cité
Iphiclos, son frère, et Télamon pour réclamer les chevaux et
Hèsioné. Laomédon, dit-on, mit en prison les émissaires et
quant aux autres Argonautes, il songea à les tuer dans une
embuscade. Il avait ses fils pour l’assister dans cette affaire,
tous excepté Priam qui s’y opposait. Celui-ci, en effet,
affirmait qu’il fallait adopter un comportement juste envers
les étrangers et rendre ensemble sa sœur et les chevaux qui
avaient été promis. 4. Mais comme personne ne lui prêtait
attention, disent-ils, il apporta secrètement deux épées dans
la prison, les donna aux compagnons de Télamon, et en leur
exposant en détail le projet de son père, il fut l’instrument de
leur salut. 5. De fait, dès que les compagnons de Télamon
eurent tué les gardes qui leur résistaient, ils s’enfuirent
jusqu’à la mer et rapportèrent tout en détail aux Argonautes.
Ainsi, ils furent prêts à se battre et s’élancèrent à la
rencontre de ceux qui étaient sortis en foule de la ville aux
côtés du roi. 6. La bataille fut violente, et les chefs
l’emportèrent par leur vaillance. Héraclès, content les
mythes, lutta avec la plus grande énergie : c’est lui, en effet,
qui tua Laomédon, prit la ville dès le premier assaut, châtia
ceux qui avaient pris part avec le roi au complot, et remit la
royauté à Priam pour avoir fait preuve de justice. Après avoir
scellé un traité d’amitié avec lui, il gagna le large avec les
Argonautes. 7. Certains poètes antiques transmettent que ce
n’est pas avec les Argonautes mais seul, avec six navires,
qu’Héraclès mena campagne contre Troie et reprit les
chevaux. Même Homère témoigne de cette version lorsqu’il
dit :
« Mais quel homme, dit-on, était le puissant Héraclès,
mon intrépide père au cœur de lion ! Il vint un jour ici
réclamer les chevaux de Laomédon, avec six nefs
seulement et très peu d’hommes, il saccagea la ville
d’Ilion et vida ses rues. » 126
8. Les Argonautes, disent-ils, quittèrent Troie, se
transportèrent à Samothrace, adressèrent à nouveau leurs
prières aux grands dieux, et déposèrent dans le domaine
consacré les vases qui aujourd’hui encore y subsistent127.
L. 1. Comme le retour des chefs n’était pas encore connu
en Thessalie, la rumeur circula que tous ceux qui avaient
mené campagne aux côtés de Jason avaient péri dans la
région du Pont. C’est pourquoi Pélias crut que l’occasion était
venue de faire disparaitre tous ceux, sans exception, qui
aspiraient à la royauté : il força le père de Jason à boire le
sang d’un taureau128, et assassina son frère Promachos qui
était encore enfant. 2. Mais sa mère Amphinomé, alors qu’elle
allait être assassinée, réalisa, disent-ils, un exploit courageux
et qui mérite d’être rapporté : elle se réfugia auprès du foyer
royal, lança des imprécations pour que Pélias subisse le
châtiment qu’il avait mérité par ses actes impies et se
frappant elle-même la poitrine d’une épée, elle mit fin à sa
vie héroïquement. 3. Quand Pélias eut fait disparaître ainsi
toute la parenté de Jason sans exception, il reçut bien vite un
châtiment à la mesure de ses actes impies. Jason, en effet,
débarqua de nuit en Thessalie, dans une rade située non loin
d’Iolcos et qui n’était pas visible des habitants de la cité. Il
apprit d’un homme de la région les infortunes qu’avaient
subies ses proches. 4. Tous les chefs étaient prêts à venir en
aide à Jason et à affronter tous les dangers, mais une dispute
éclata entre eux au sujet de l’assaut : certains proposaient
d’entrer de force et sur-le-champ dans la ville et d’attaquer le
roi à l’improviste, d’autres déclaraient qu’il fallait que chacun
rassemble des soldats de sa propre patrie avant d’engager
une guerre générale. Il était en effet impossible que
cinquante-trois hommes triomphent d’un roi qui possédait
une armée et des villes considérables. 5. Alors qu’ils se
trouvaient dans ces embarras, Médée, disent-ils, promit
qu’elle tuerait elle-même Pélias par ruse et qu’elle remettrait
la royauté aux chefs, sans qu’ils courent de dangers. 6. Tous
s’étonnèrent aussitôt de ses propositions, et cherchèrent à
savoir quel genre de plan elle avait : elle leur dit qu’elle avait
apporté avec elle de nombreux simples aux pouvoirs
étonnants qu’elle avait découverts par sa mère Hécaté et sa
sœur Circé. Elle ne les avait encore jamais utilisés auparavant
pour tuer des hommes, mais à présent, c’est avec eux qu’elle
allait facilement punir ceux qui méritaient d’être châtiés. 7.
Après avoir annoncé aux chefs ses intentions en détail, elle
leur promit de leur faire signe depuis les demeures royales :
de jour, par une fumée ; de nuit, par un feu, en direction de la
guette située au-dessus de la mer129.
LI. 1. Médée façonna une image d’Artémis, vide à
l’intérieur, dans laquelle elle cacha des simples de natures
diverses, puis en les enduisant de certaines potions, elle
rendit ses propres cheveux gris, son visage et son corps
couverts de rides, de telle sorte que ceux qui la voyaient
pussent penser qu’elle était une toute vieille femme. Enfin,
prenant avec elle la déesse qu’elle avait arrangée de manière
à provoquer la crainte révérentielle, elle entra dans la cité à
l’aube. 2. Comme elle avait l’air inspirée des dieux et que la
foule accourait le long des rues, elle leur ordonnait à tous de
recevoir la déesse avec piété puisqu’elle venait à eux de chez
les Hyperboréens pour apporter le bon génie à toute cette
cité et à son roi. 3. Alors que tous se prosternaient,
honoraient la déesse de sacrifices et que la cité entière dans
son ensemble, à l’instar de Médée, agissait comme inspirée
des dieux, Médée entra dans le palais royal : elle mit Pélias en
état de crainte révérentielle et provoqua chez ses filles une
telle stupeur par ses étranges pratiques qu’elles crurent que
la déesse était là en personne pour rendre un sort heureux à
la maison du roi. 4. Médée déclara, en effet, qu’Artémis,
portée par des dragons, avait survolé par les airs une large
part de la terre habitée, et qu’elle avait choisi, pour s’établir
et pour instaurer les honneurs qu’elle recevrait
éternellement, le plus pieux des rois. La déesse lui avait aussi
ordonné de délivrer Pélias de la vieillesse au moyen de
certains pouvoirs qu’elle avait, de lui rendre un corps
parfaitement jeune et de lui offrir de nombreux autres
présents afin qu’il ait une vie de bienheureux et qu’il soit
chéri des dieux. 5. Comme le roi était stupéfait de ces
surprenants propos, Médée promit de fournir à l’instant
même sur son propre corps la preuve de ce qu’elle avançait :
elle dit à l’une des filles de Pélias de lui apporter de l’eau pure
et, dès que la jeune fille eut tout de suite amené ce qui avait
été demandé, Médée s’enferma elle-même dans une petite
chambre, disent-ils, se lava bien tout le corps et effaça les
effets des simples130. Ainsi revenue à son état antérieur, elle
apparut au roi ; ceux qui la voyaient furent frappés de
stupeur et pensèrent que c’était par une providence divine
que sa vieillesse s’était transformée en une grande jeunesse
virginale et en une beauté attrayante. 6. Toujours au moyen
de certains simples, elle fit apparaître, par l’effet d’une
illusion, l’image des dragons par lesquels, avait-elle affirmé,
la déesse avait été transportée à travers les airs de chez les
Hyperboréens pour recevoir l’hospitalité de Pélias. Comme
ces opérations semblaient être de nature surhumaine, le roi
jugea Médée digne d’une grande considération et, au total, il
crut qu’elle disait la vérité. Dans un entretien privé avec
Pélias, elle l’enjoignit, disent-ils, d’ordonner à ses filles de
l’assister et de faire ce qu’elle leur commanderait car il
convenait que ce fussent non pas des mains serviles mais
celles de ses enfants, qui prissent soin du corps du roi pour
qu’il reçoive le bienfait que les dieux lui avaient accordé. 7.
C’est pourquoi Pélias dit à ses filles en termes clairs de faire
tout ce que leur commanderait Médée concernant le corps de
leur père, et les jeunes filles furent prêtes à obéir à son
commandement.
LII. 1. Quand la nuit fut tombée et que Pélias eut sombré
dans le sommeil, Médée dit qu’il fallait faire cuire le corps de
Pélias dans un chaudron. Comme les jeunes filles recevaient
cette proposition avec une certaine hostilité, elle imagina un
autre procédé pour accréditer ce qu’elle disait : comme ils
élevaient dans cette maison un bélier très âgé, elle annonça
aux jeunes filles qu’elle le ferait cuire, lui d’abord, et qu’elle
le rendrait à nouveau jeune agneau. 2. Quand elles eurent
donné leur assentiment, Médée divisa le corps du bélier
membre par membre, content les mythes131, le fit cuire et,
trompant les jeunes filles au moyen de certains simples, fit
sortir du chaudron l’apparence d’un jeune agneau. A ce
moment-là, les jeunes filles furent frappées de stupeur, et
comme elles pensèrent que Médée leur avait donné les
preuves accréditant sa promesse, elles obéirent à ses ordres.
Et toutes frappèrent à mort leur père, seule Alceste, en raison
de son exceptionnelle piété, s’abstint de frapper celui qui
l’avait engendrée. 3. Ensuite, Médée se garda, disent-ils, de
découper le corps ou de le faire cuire, mais prétexta qu’il
fallait d’abord adresser une prière à la lune132. Les jeunes
filles montèrent donc avec des flambeaux dans la salle la plus
élevée des demeures royales, tandis que Médée prenait son
temps pour dire en détail une longue prière en langue
colchidienne, donnant ainsi un délai à ceux qui allaient
attaquer. 4. Ainsi, les Argonautes aperçurent depuis leur
guette le feu et jugèrent que le meurtre du roi était
accompli : ils s’élançèrent en courant vers la cité, entrèrent à
l’intérieur des remparts, parvinrent, l’épée tirée, au palais
royal et tuèrent les gardes qui s’opposaient. Les filles de
Pélias, qui venaient juste de descendre de la salle pour
entreprendre la cuisson, lorsqu’elles virent, à leur surprise,
Jason et les chefs dans les demeures royales, furent très
affligées par leur malheur, car il n’était pas en leur pouvoir
de punir Médée, ni de corriger l’acte abominable qu’elles
avaient commis par tromperie. 5. C’est pourquoi elles se
préparaient, dit-on, à mettre fin à leur vie, mais Jason eut
pitié de leurs souffrances : il les retint et les exhorta à être
courageuses en leur montrant que ce n’était pas par malice
qu’elles avaient failli, mais que c’était involontairement et
par tromperie qu’elles n’avaient pas réussi133.
LIII. 1. Après avoir ordonné à tous ses proches en général
de se comporter avec modération et magnanimité, Jason
convoqua le peuple en assemblée. Il se justifia de ce qu’il
avait fait et montra qu’il avait puni ceux qui, avant lui,
avaient mal agi mais qu’ils avaient reçu un châtiment
moindre que ceux qu’il avait lui-même subis, puis il confia à
Acastos, le fils de Pélias, le royaume de ses ancêtres, et jugea
juste de prendre soin des filles du roi. 2. Et il tint finalement
entièrement sa promesse, disent-ils, puisqu’il les maria
toutes, après quelque temps, à des hommes très illustres :
Alceste, l’aînée, fut donnée en mariage à Admète de
Thessalie, le fils de Phérès ; Amphinomé à Andraimon, le
frère de Léontée ; et Evadné à Canès, le fils de Céphalos et qui
était alors roi des Phocidiens. Mais c’est plus tard qu’il
organisa ces mariages ; au moment dont nous parlons, Jason,
accompagné des chefs, fit voile vers l’isthme du Péloponnèse,
fit un sacrifice à Poséidon et dédia Argo à ce dieu. 3. Comme
Créon, le roi des Corinthiens, lui accordait une grande
estime, il prit part à la vie des citoyens et s’installa pour le
reste de ses jours à Corinthe. 4. Alors que les Argonautes
étaient sur le point de se séparer pour retourner dans leur
patrie, Héraclès conseilla aux chefs, disent-ils, pour lutter
contre les caprices du sort, d’échanger mutuellement le
serment de faire alliance ensemble si l’un d’eux avait besoin
d’aide. Il leur conseilla aussi de choisir le lieu le plus illustre
en Grèce pour instituer des concours et une fête publique, et
de dédier ce concours au plus grand des dieux, Zeus
Olympien. 5. Après s’être associés sous la foi du serment dans
cette alliance, les chefs confièrent à Héraclès l’organisation
de ces concours : pour le lieu de cette fête, il donna sa
préférence, disent-ils, aux bords de l’Alphée, dans le pays des
Éléens. Aussi consacra-t-il au plus grand des dieux la rive du
fleuve, qui doit à ce dieu d’avoir été appelée Olympia. Il
établit un concours équestre et gymnique, régla ces épreuves
et envoya annoncer dans les cités le spectacle de ces
concours. 6. En raison de la considération qu’il s’était acquise
chez les Argonautes durant l’expédition, Héraclès avait
trouvé une renommée sans mesure ; à quoi s’ajouta la gloire
d’avoir fondé cette fête olympique, de sorte qu’il était le plus
illustre de tous les Grecs ; et comme il était connu dans la
plupart des cités, beaucoup d’hommes, pleins d’ardeur à
partager avec lui n’importe quel danger, désiraient son
amitié134. 7. Et vite admiré pour son courage et ses qualités
de chef, il constitua une armée très puissante et parcourut
l’ensemble de la terre habitée en prodiguant ses bienfaits au
genre humain ; pour prix il a reçu, d’un accord unanime,
l’immortalité. Mais les poètes, à travers le récit merveilleux
qui est d’usage, racontent dans leurs mythes que c’est seul et
dénué d’armes qu’Héraclès réalisa les travaux qui sont sur
toutes les lèvres135.
LIV. 1. Mais nous avons exposé en détail tout ce que les
mythes racontent concernant ce dieu, et il nous faut à
présent ajouter aussi ce qu’il reste à dire de Jason. Installé à
Corinthe, il vécut avec Médée durant dix ans, disent-ils en
effet, et engendra d’elle des enfants136 : les deux aînés étaient
jumeaux, Thessalos et Alcimènès, et le troisième, beaucoup
plus jeune qu’eux, Tisandre. 2. Pendant cette période donc,
Médée fut jugée estimable par son mari, non seulement parce
qu’elle se distinguait par sa beauté, mais aussi parce qu’elle
était parée de sagesse et des autres vertus. Par la suite,
cependant, comme le temps lui ravissait toujours plus sa
prestance naturelle, Jason s’éprit, dit-on, de Glaucé, la fille de
Créon, et demanda la jeune fille en mariage. 3. Le père ayant
donné son assentiment et fixé le jour des noces, Jason tenta
d’abord, disent-ils, de persuader Médée de renoncer de son
plein gré à la vie commune ; en effet, lui dit-il, ce n’est pas
parce qu’il rejetait comme indigne de lui sa relation avec elle
qu’il désirait épouser cette jeune fille, mais parce qu’il
s’efforçait de créer ainsi une parenté entre ses enfants et la
maison du roi. 4. Mais, disent-ils, comme sa femme
s’emportait et qu’elle prenait à témoin les dieux qui avaient
présidé à leurs serments, Jason méprisa ses serments et
épousa la fille du roi. 5. Médée était bannie de la cité et Créon
lui donna un jour pour préparer son exil : elle entra dans la
demeure royale de nuit, après avoir changé par des simples
son aspect extérieur, enflamma la maison et ajouta une petite
racine découverte par sa sœur Circé et qui avait pour vertu
d’être, une fois enflammée, difficile à éteindre. Dès que le
palais fut en flammes, Jason bondit aussitôt à l’extérieur,
mais Glaucé et Créon périrent encerclés par le feu. 6. Certains
historiens disent que les fils de Médée apportèrent à la jeune
mariée des cadeaux qui avaient été enduits de poisons, et que
quand Glaucé les prit et les porta contre son corps, il lui
arriva malheur ; de même son père, lorsqu’il voulut lui venir
en aide et qu’il toucha son corps, mourut137. 7. Bien qu’elle
eût réussi ses premières offensives, Médée ne renonça pas à
se venger de Jason. Elle était arrivée, en effet, à un tel degré
de colère et de jalousie à la fois, et même de grande cruauté,
qu’elle décida, puisqu’il avait échappé au danger qu’avait
connu la mariée, de le jeter dans le comble du malheur en
égorgeant les enfants qu’ils avaient eus ensemble : elle
égorgea, en effet, tous ses fils, sauf un qui s’échappa, puis,
avec ses servantes les plus fidèles, au milieu de la nuit, elle
s’enfuit de Corinthe vers Thèbes, auprès d’Héraclès, car
quand il avait servi de médiateur à leurs accords en Colchide,
il avait promis de lui venir en aide si elle se trouvait trahie au
mépris de la foi jurée.
LV. 1. Dans une affaire de cette importance, il sembla à
tous que Jason, privé de ses enfants et de sa femme, eut un
juste traitement ; aussi, incapable de supporter une si grande
douleur, mit-il fin à sa vie138. Les Corinthiens furent frappés
par le caractère effrayant de cette péripétie et se trouvèrent
particulièrement dans l’embarras quant aux obsèques des
enfants. Aussi envoyèrent-ils des messagers à Pythô
demander au dieu ce qu’il fallait faire du corps des enfants :
la Pythie ordonna de les ensevelir dans le sanctuaire d’Héra
et de les honorer par des cultes héroïques. 2. Les Corinthiens
obéirent à l’ordre, et Thessalos, le fils qui avait échappé au
crime de sa mère, grandit à Corinthe puis retourna ensuite à
Iolcos, qui était la patrie de Jason. Arrivé là, comme Acastos,
le fils de Pélias, venait de décéder, il reçut la royauté qui lui
revenait de droit par sa naissance et donna à ceux qu’il
gouvernait son propre nom : Thessaliens. 3. Je n’ignore pas
qu’à propos du nom des Thessaliens, ce n’est pas la seule
explication, mais il se trouve que les autres explications qui
nous ont été transmises sont particulièrement discordantes ;
nous en ferons mention en temps plus appropriés. 4. Médée
arriva à Thèbes, dit-on, alors qu’Héraclès se trouvait sous
l’emprise d’un mal qui troublait sa raison et qu’il avait tué ses
fils ; elle le soigna à l’aide de simples. Mais comme Eurysthée
le pressait par ses commandements, Médée, désespérant de
recevoir son aide dans la situation où il se trouvait, se réfugia
à Athènes, auprès d’Égée, le fils de Pandion. 5. Certains disent
que là, elle épousa Égée et enfanta de lui Mêdos, qui fut plus
tard roi des Mèdes ; d’autres rapportent qu’elle fut réclamée
par Hippotès, le fils de Créon, qu’elle fut jugée et absoute des
griefs. 6. Par la suite, quand Thésée revint de Trézène à
Athènes, elle fut accusée d’empoisonnement et bannie de la
cité ; Égée lui donna une escorte pour l’accompagner dans la
contrée de son choix et elle se rendit en Phénicie139. 7. De là,
elle remonta dans les régions intérieures de l’Asie, épousa un
des illustres rois dont elle eut un fils, Mêdos ; et c’est ce fils
qui, ayant reçu par succession le trône après la mort de son
père, fut admiré pour son courage et nomma son peuple
Mèdes, de son propre nom.
LVI. 1. De façon générale, c’est en raison des récits
extraordinaires que donnent les poètes tragiques, qu’une
histoire de Médée se présente multiple et diverse140. Et
certains, désireux de plaire aux Athéniens, disent qu’elle prit
avec elle son fils Mêdos, né d’Égée, et trouva son salut en
Colchide. A ce moment-là, Aiétès avait été déchu de la
royauté de force par son frère Persée, et il recouvra le
pouvoir lorsque Mêdos, le fils de Médée, eut tué Persée. Par la
suite, Mêdos, devenu maître d’une armée, parcourut une
large part de l’Asie au-delà du Pont et occupa la Médie, qui
reçut de lui son nom. 2. Mais, puisque nous jugeons que
rapporter toutes les versions des mythes qui concernent
Médée n’est pas nécessaire et serait en même temps long,
nous allons seulement ajouter ce que nous avons omis dans le
récit des Argonautes. 3. Un grand nombre des historiens
anciens ou plus récents, parmi lesquels se trouve en
particulier Timée, disent que les Argonautes, après s’être
emparés de la Toison, ayant appris que l’embouchure du Pont
était déjà occupée par les navires d’Aiétès, accomplirent un
exploit étonnant et digne de mémoire : ils remontèrent le
fleuve Tanaïs jusqu’à ses sources puis, à un certain endroit,
ils tirèrent le navire à travers les terres, suivirent à nouveau
un autre fleuve dont le cours se jetait dans l’océan,
descendirent à la voile jusqu’à la mer, avancèrent du nord au
couchant en longeant la terre sur leur gauche et, arrivés aux
environs de Cadix, ils entrèrent à la voile dans notre mer. 4.
Les historiens en apportent des preuves en montrant que les
Celtes qui habitent le long de l’océan vénèrent surtout, parmi
les dieux, les Dioscures. Chez eux, en effet, se transmet,
depuis des temps anciens, le souvenir de la présence parmi
eux de ces dieux qui étaient arrivés de l’océan. En outre, la
bande littorale de l’océan porte de nombreux noms tirés des
Argonautes et des Dioscures. 5. Le continent situé au-delà de
Cadix contient semblablement des signes manifestes du
retour des Argonautes. Comme ils ont débarqué, par
exemple, dans les environs de la Tyrrhénie, sur une île
appelée Aithaléia, ils nommèrent son port, parce qu’il était le
plus beau de tous ceux qu’il y avait en ces lieux, « Argôon »,
d’après le nom de leur navire, et jusqu’à nos jours, ce nom lui
est resté. 6. Semblablement à ce que nous venons de dire, en
Tyrrhénie, ils nommèrent un port, situé à huit cents stades
de Rome, « Télamon » et ils nommèrent « Aiétès » le port de
Formia en Italie qui s’appelle aujourd’hui « Caiétès ». En
outre, lorsqu’ils furent jetés par des vents vers les Syrtes, ils
apprirent de Triton, qui régnait alors sur la Libye, la
particularité de cette mer, et pour avoir échappé au danger,
ils lui firent don d’un trépied de bronze gravé en caractères
anciens, qui est resté jusqu’à des temps récents chez les
Évespérides141. 7. Nous ne pouvons pas omettre de réfuter le
récit de ceux qui affirment que les Argonautes ont navigué
en remontant l’Ister jusqu’à ses sources puis, en prenant un
cours qui coulait en sens inverse, sont descendus jusqu’au
golfe adriatique. 8. En effet, le temps a réfuté ceux qui
croyaient que l’Ister, qui se jette dans la mer du Pont en de
nombreux bras, prenait sa source au même endroit que l’Ister
qui se jette dans l’Adriatique. Car, quand les Romains eurent
vaincu à la guerre le peuple des Istriens, on découvrit que le
fleuve prenait ses sources à quarante stades de la mer142.
Mais, de fait, pour les historiens, c’est l’homonymie des
fleuves qui fut, disent-ils, la cause de leur erreur.
LVII. 1. Après avoir mené suffisamment à terme le récit
portant sur les Argonautes et sur ce que fit Héraclès, il serait
sans doute approprié d’exposer, comme nous l’avons promis,
les faits de ses fils. 2. Après l’apothéose d’Héraclès donc, ses
enfants habitaient à Trachis, auprès du roi Cèyx. Puis, quand
Hyllos et certains autres eurent atteint l’âge d’homme,
Eurysthée décida — parce qu’il craignait, lorsque tous
seraient adultes, d’être renversé du trône de Mycènes — de
bannir les Héraclides de la Grèce tout entière. 3. Aussi donna-
t-il ordre au roi Cèyx de chasser les Héraclides et les enfants
de Licymnios, ainsi que Iolaos et la troupe des Arcadiens qui
avaient combattu aux côtés d’Héraclès ; il devrait, sinon,
affronter une guerre. 4. Les Héraclides et ceux qui les
entouraient, jugeant qu’ils n’étaient pas de taille à guerroyer
contre Eurysthée, décidèrent de s’exiler de leur plein gré de
Trachis. Tandis qu’ils traversaient les cités les plus
importantes, ils demandaient à être reçus comme citoyens à
part entière : aucune n’avait le courage de les accueillir ;
seuls parmi tous, les Athéniens, en raison de leur sens infus
de l’équité, reçurent les Héraclides. Ils les installèrent, eux et
ceux qui les avaient accompagnés dans leur fuite, dans la cité
de Tricorythos, l’une des cités qui forment ce que l’on
nomme la tétrapole. 5. Quelque temps après, comme tous les
enfants d’Héraclès avaient atteint l’âge d’homme, et qu’un
sentiment de fierté était né en ces jeunes gens parce qu’ils
avaient la gloire de descendre d’Héraclès, Eurysthée,
redoutant que leur force ne s’accrût, mena une expédition
contre eux avec une grande armée. 6. Les Héraclides, aidés
des Athéniens, mirent à leur tête Iolaos, le neveu d’Héraclès,
lui confièrent le commandement, ainsi qu’à Thésée et à
Hyllos, et ils remportèrent en une bataille rangée la victoire
sur Eurysthée. Pendant la bataille, la plupart de ceux qui
combattaient aux côtés d’Eurysthée furent tués, et Eurysthée
lui-même, comme son attelage s’était brisé alors qu’il
s’enfuyait, fut tué par Hyllos, le fils d’Héraclès. Et tous les fils
d’Eurysthée, pareillement, périrent durant la bataille.
LVIII. 1. Par la suite, comme ils avaient vaincu Eurysthée
dans une bataille devenue célèbre, et que cette victoire leur
valait des alliés en abondance, tous les Héraclides partirent
en expédition contre le Péloponnèse sous le commandement
d’Hyllos. 2. Après la mort d’Eurysthée, Atrée s’empara de la
royauté de Mycènes, prit avec lui comme alliés les Tégéates
et certains autres, et s’avança à la rencontre des Héraclides.
3. Quand les armées furent rassemblées à l’isthme de
Corinthe, Hyllos, le fils d’Héraclès, provoqua en combat
singulier quiconque parmi les ennemis voudrait se mesurer à
lui, en proposant les accords suivants : si Hyllos remportait la
victoire sur son opposant, les Héraclides recevraient le
royaume d’Eurysthée ; si, au contraire, Hyllos était vaincu, les
Héraclides ne reviendraient pas avant cinquante ans dans le
Péloponnèse. 4. Echémos, le roi de Tégée, accepta le défi et,
dans le combat singulier, Hyllos fut tué et les Héraclides,
conformément aux accords, renonçèrent à rentrer chez eux
et prirent le chemin du retour vers Tricorythos. 5. Après
quelque temps, comme les Argiens les avaient admis parmi
eux de leur plein gré, Licymnios, accompagné de ses enfants,
et de Tlépolémos, le fils d’Héraclès, s’installèrent à Argos.
Mais tous les autres, installés à Tricorythos, retournèrent
dans le Péloponnèse quand la période de cinquante ans se fut
écoulée. Nous rapporterons leurs faits quand nous en serons
arrivé à cette époque-là. 6. Alcmène arriva à Thèbes et quand,
par la suite, elle eut disparu, elle reçut de la part des
Thébains des honneurs à l’égal des dieux. Et les autres
Héraclides se rendirent, disent-ils, auprès d’Aigimios, le fils
de Doros, lui réclamèrent le pays confié à sa garde par leur
père et s’installèrent au milieu des Doriens. 7. Tlépolémos, le
fils d’Héraclès, alors qu’il habitait Argos, tua Licymnios, le fils
d’Électryon, avec qui il s’était querellé pour certains motifs,
et exilé d’Argos en raison de ce meurtre, alla s’installer à
Rhodes. Cette île était alors habitée par des Grecs qui avaient
été établis comme colons par Triopas, le fils de Phorbas. 8. En
commun avec les indigènes, Tlépolémos partagea donc
Rhodes en trois parties et y fonda trois villes, Lindon, Ialysos
et Cameiros. Il régna sur tous les Rhodiens en raison de la
renommée de son père Héraclès, et, plus tard, il combattit
contre Troie avec Agamemnon.
LIX. 1. Mais puisque nous avons exposé en détail ce qui
concerne Héraclès et ses descendants, il serait sans doute
approprié de parler de Thésée, puisqu’il aspira à imiter les
travaux d’Héraclès143. Thésée donc, était né d’Aithra, la fille
de Pitthée, et de Poséidon ; il grandit à Trézène, auprès de
Pitthée, son grand-père maternel, et après avoir emporté les
signes de reconnaissance dont parlent les mythes144, qui
avaient été placés sous un rocher par Égée, il se rendit à
Athènes145. Mais alors qu’il parcourait le littoral, selon ce qui
est dit, et qu’il aspirait à imiter la vaillance d’Héraclès, il
entreprit d’accomplir des travaux qui lui apporteraient
considération et renommée146. 2. En premier, donc, il tua
celui qu’on appelait Corynètès (« l’homme à la massue ») 147,
parce qu’il se servait de ce qu’on nomme coryné (« massue »),
qui était son arme de défense et avec laquelle il tuait ceux qui
passaient près de là. En deuxième, il tua Sinis, qui habitait
dans l’isthme de Corinthe. 3. Lui fléchissait deux pins,
attachait un bras à chaque pin puis, d’un coup, les lâchait : en
conséquence, le corps violemment déchiré par la force des
pins, ses malheureuses victimes mouraient dans un grand
supplice. 4. En troisième, il tua la truie sauvage de
Crommyon148 : elle se distinguait par sa force et sa taille et
tuait beaucoup d’hommes. Il châtia aussi Sciron qui habitait
en Mégaride les roches qu’on nomme, à cause de lui,
scironiennes. Il avait pour habitude de contraindre ceux qui
passaient près de là à se laver au-dessus d’un lieu escarpé et,
soudain, les frappant d’un coup de talon, il les faisait rouler
jusqu’au bas du précipice, dans la mer, à un endroit appelé
Chéloné (« tortue »). 5. Il tua aussi, près d’Eleusis, Cercyon
qui affrontait à la lutte ceux qui passaient près de là et tuait
celui qu’il avait vaincu. Par la suite, Thésée tua celui qu’on
appelait Procuste, qui habitait le dème dit Corydallos en
Attique. Celui-ci contraignait les voyageurs qui passaient
près de là à se coucher sur un lit : quand les personnes
étaient trop grandes, il coupait les parties du corps qui
dépassaient et quand elles étaient trop petites, il leur
martelait les jambes pour les allonger (prokrouein) ; c’est
justement pour cela qu’il fut appelé Procuste149. 6. Quand il
eut réussi ces faits mentionnés plus haut, Thésée arriva à
Athènes et se fit reconnaître d’Égée grâce aux signes150. Par
la suite, il s’attaqua au taureau de Marathon qu’Héraclès,
lorsqu’il accomplissait une épreuve, avait ramené de la Crète
dans le Péloponnèse, se rendit maître de l’animal et le
ramena à Athènes : Égée reçut le taureau et le sacrifia à
Apollon151.
LX. 1. Il nous reste à parler du Minotaure qui fut tué par
Thésée, pour parachever le récit des faits de Thésée152. Mais
il nous faut remonter le cours des temps et exposer les faits
rattachés à cet épisode, afin que le récit narratif dans son
ensemble soit clair. 2. Tectamos, fils de Doros, fils d’Hellen,
fils de Deucalion, fit voile vers la Crète avec des Éoliens et des
Pélasges, puis il devint roi de l’île, épousa la fille de Crètheus
et engendra Astérios. Alors qu’il régnait sur la Crète, Zeus,
qui avait enlevé Europe de Phénicie et l’avait transportée en
Crète sur un taureau, selon ce qui est dit, s’unit à elle et
engendra trois fils, Minos, Radamanthe et Sarpédon. 3.
Ensuite, Astérios, roi de Crète, épousa Europe et adopta,
parce qu’il était sans enfant, les enfants de Zeus puis leur
légua le royaume par voie de succession. Parmi eux,
Radamanthe donna leurs lois aux Crétois et Minos prit la
succession au trône ; il épousa Itonê, la fille de Lyctios et
engendra Lycastos, qui lui succéda au pouvoir et épousa Ida,
la fille de Corybas, avant d’engendrer Minos-le-second, que
certains historiens disent fils de Zeus. Celui-ci le premier
domina les Grecs sur mer, après avoir rassemblé une flotte
navale considérable. 4. Il épousa Pasiphaé, la fille d’Hélios et
de Crété, engendra Deucalion, Catreus, Androgée et Ariane ; il
eut aussi d’autres enfants, illégitimes, en plus grand nombre.
Parmi les fils de Minos, Androgée se rendit à Athènes lors de
la célébration des Panathénées, alors qu’Égée régnait sur
Athènes. A ces jeux, il remporta la victoire sur tous les
athlètes et se lia d’amitié avec les enfants de Pallas. 5. A ce
moment-là, Égée se méfia de cette amitié avec Androgée,
craignant que peut-être Minos, avec l’aide des fils de Pallas,
ne lui enlève le pouvoir, et il complota contre Androgée.
Alors que celui-ci faisait route vers Thèbes pour conduire une
théorie, il le fit assassiner par des indigènes, près d’Oinoé en
Attique153.
LXI. 1. Lorsque Minos apprit le malheur arrivé à son fils, il
vint à Athènes réclamer vengeance pour le meurtre
d’Androgée. Comme personne ne lui prêtait attention, il
déclara la guerre aux Athéniens, et lança des imprécations
demandant à Zeus que surviennent, dans la cité des
Athéniens, sécheresse et famine. Et puisque rapidement
survinrent sécheresses et destructions des récoltes en
Attique et en Grèce, les chefs des cités allèrent ensemble
demander au dieu comment ils pourraient être délivrés de
ces fléaux. Il leur répondit par un oracle de se rendre auprès
d’Éaque, le fils de Zeus et d’Égine, la fille d’Asôpos, et de lui
demander de faire des prières en leurs noms. 2. Ils firent ce
qui avait été ordonné, Éaque offrit les prières et la sécheresse
cessa pour tout le reste des Grecs ; pour les Athé niens seuls,
elle persista. Les Athéniens furent contraints, pour cette
raison, d’interroger le dieu sur le moyen de se délivrer de ces
fléaux. Là-dessus, le dieu répondit que cela cesserait s’ils
donnaient satisfaction à Minos pour venger le meurtre
d’Androgée. 3. Les Athéniens obéirent au dieu et Minos leur
commanda de donner en nourriture au Minotaure, tous les
neuf ans, sept jeunes filles et autant de jeunes gens, aussi
longtemps que vivrait la bête154. Quand ils les eurent donnés,
les habitants de l’Attique furent délivrés de ces fléaux et
Minos cessa la guerre contre Athènes. Lorsque neuf années se
furent écoulées, Minos revint en Attique, accompagné d’une
grande armée et reçut les quatorze jeunes gens qu’il avait
réclamés155. 4. Mais comme Thésée se trouvait parmi ceux
qui devaient s’embarquer, Égée passa un accord avec le pilote
du navire : si Thésée réussissait à vaincre le Minotaure, il les
ramènerait par mer avec les voiles blanches hissées, et s’il
mourait, avec les voiles noires — ainsi qu’auparavant déjà il
en avait eu l’habitude156. Lorsqu’ils eurent débarqué en
Crète157, Ariane, la fille de Minos, s’éprit de Thésée qui se
distinguait par sa belle apparence, et Thésée, après s’être
entretrenu avec elle et avoir reçu son assistance, tua le
Minotaure puis, ayant appris d’elle comment sortir du
labyrinthe, il sortit sain et sauf158. 5. En retournant dans sa
patrie, il enleva Ariane, gagna le large de nuit sans être vu, et
aborda sur une île qui était alors appelée Dia, et qui
aujourd’hui est appelée Naxos. Au même moment, relatent
les mythes, Dionysos apparut, et en raison de la beauté
d’Ariane, il ravit à Thésée la jeune fille et la prit pour épouse
légitime parce qu’il en était particulièrement épris159. Tout
du moins, il la jugea digne, après sa mort, en raison de sa vive
affection pour elle, d’honneurs immortels et il plaça parmi
les astres dans le ciel, la « couronne d’Ariane « 160. 6. Mais à
ce qu’on dit, Thésée et ceux qui l’accompagnaient,
profondément attristés par l’enlèvement de la jeune fille161,
oublièrent en raison de leur peine la promesse faite à Égée et
abordèrent les côtes de l’Attique avec les voiles noires. 7.
Égée, qui avait observé le retour du navire et qui pensait son
fils mort, accomplit un fait à la fois héroïque et malheureux :
il monta à l’acropole et, ayant perdu le goût de vivre du fait
de son extrême douleur, il se précipita dans le vide162. 8.
Après la mort d’Égée, Thésée lui succéda au trône, gouverna
la population en respectant les lois et fit beaucoup pour la
prospérité de sa patrie163. Ce qu’il fit de plus illustre fut de
rattacher à Athènes les dèmes, petits en taille, mais
nombreux. 9. Depuis ce temps-là, en effet, les Athéniens
furent remplis de fierté par le poids de leur cité et aspirèrent
à l’hégémonie sur la Grèce. Mais nous avons suffisamment
exposé en détail ce qui concerne les Athéniens, nous allons
rapporter ce qu’il reste à dire des événements qui concernent
Thésée.
LXII. 1. Deucalion, l’aîné des enfants de Minos, alors qu’il
exerçait le pouvoir sur la Crète et qu’il avait fait alliance avec
Athènes, donna en mariage à Thésée sa propre sœur Phèdre.
Après le mariage, Thésée envoya Hippolyte, le fils qu’il avait
eu de l’Amazone, à Trézène pour être élevé chez les frères
d’Aithra164 ; de Phèdre, il engendra Acamas et Démophôn. 2.
Un peu plus tard, quand Hippolyte revint à Athènes pour
célébrer des mystères, Phèdre s’éprit de lui en raison de sa
beauté, et alors qu’il était retourné à Trézène, elle érigea un
temple d’Aphrodite auprès de l’acropole d’où on pouvait
observer Trézène. Plus tard, alors qu’elle était descendue
chez Pitthée avec Thésée, elle demanda à Hippolyte de s’unir
à elle. Celui-ci refusa et Phèdre, disent-ils, s’irrita : de retour
à Athènes, elle dit à Thésée qu’Hippolyte avait tenté de s’unir
à elle. 3. Comme Thésée avait des doutes sur l’accusation, il
envoya chercher Hippolyte afin qu’il la confonde, mais
Phèdre redouta l’enquête et se pendit. Quant à Hippolyte, il
était en train de conduire un char lorsqu’il apprit ce dont on
l’accusait, et en eut l’esprit bouleversé : les chevaux, troublés,
tirèrent sur les rênes et le char fut brisé, le jeune homme,
pris dans les courroies, fut traîné et mourut165. 4. Hippolyte,
dont la vie avait pris donc fin en raison de sa chasteté, reçut
des Trézéniens des honneurs à l’égal des dieux ; par la suite,
Thésée fut renversé, banni de sa patrie et mourut sur une
terre étrangère. Les Athéniens, cependant, se repentirent : ils
rapportèrent ses ossements, le célébrèrent par des honneurs
à l’égal des dieux et lui firent à Athènes un sanctuaire
inviolable qui a été appelé d’après son nom, « Théséion » 166.
LXIII. 1. Puisque nous avons fini de rendre le récit
concernant Thésée, nous allons raconter tour à tour l’histoire
du rapt d’Hélène et de la demande en mariage de Perséphone
par Pirithoos, car ces faits sont en rapport avec Thésée.
Lorsque sa femme Hippodamie fut morte167, en laissant
derrière elle un fils Polypoitès, Pirithoos, le fils d’Ixion, vint à
Athènes auprès de Thésée. 2. Ayant appris que la femme de
Thésée, Phèdre, était morte, il persuada Thésée d’enlever
Hélène, la fille de Léda et de Zeus, qui n’était âgée que de dix
ans mais se distinguait déjà de toutes par sa belle
apparence168. Ils arrivèrent à Lacédémone, accompagnés d’un
grand nombre d’hommes, puis, saisissant une occasion
propice, ils enlevèrent tous ensemble Hélène et la
ramenèrent à Athènes. 3. Sur ce, ils passèrent un accord
mutuel pour procéder à un tirage au sort : celui que le sort
désignerait épouserait Hélène mais aiderait l’autre à se
trouver une autre femme, affrontant tout danger pour cela.
Lorsqu’ils se furent donné un serment réciproque, ils tirèrent
au sort, et il advint que le sort désigna Thésée. Il devint donc,
de cette façon, maître de la jeune fille ; mais comme les
Athéniens s’indignaient de ce qui avait eu lieu, Thésée prit
peur et transporta Hélène en lieu sûr, à Aphidna, l’une des
cités de l’Attique. Il plaça auprès d’elle sa mère Aithra et les
plus braves de ses amis comme gardiens de la jeune fille. 4.
Pirithoos décida de courtiser Perséphone et demanda à
Thésée de faire le voyage avec lui. Thésée s’efforça d’abord de
le dissuader et de le détourner de cette entreprise en raison
de l’acte impie qu’elle représentait, mais comme Pirithoos
persistait avec force, Thésée fut contraint, à cause des
serments, de prendre part à cette entreprise. Et, quand ils
furent finalement descendus dans la demeure d’Hadès, il
advint qu’en raison de cet acte impie, ils furent enchaînés
tous deux. Thésée fut libéré, plus tard, grâce à Héraclès, mais
Pirithoos, en raison de cette impiété, demeura dans l’Hadès,
en recevant un châtiment éternel. Certains mythographes
disent qu’aucun des deux n’en revint169. 5. Pendant ce temps-
là, dit-on, les frères d’Hélène, les Dioscures, lancèrent une
expédition, disent-ils, contre Aphidna, prirent la ville et la
saccagèrent, puis ramenèrent Hélène, qui était encore une
jeune fille, à Lacédémone, et ramenèrent avec elle la mère de
Thésée, Aithra, comme servante170.
LXIV. 1. Mais, puisque nous avons suffisamment parlé de
cela, nous allons rapporter l’histoire des Sept contre Thèbes,
en remontant aux causes initiales de cette guerre171. Laios,
roi de Thèbes, avait épousé Jocaste, la fille de Créon, et,
comme il se trouvait sans enfant, après un temps
considérable, il interrogea le dieu sur une éventuelle
conception d’enfants. La Pythie lui répondit par un oracle
qu’il ne serait pas dans son intérêt d’engendrer des enfants
(car l’enfant qui naîtrait de lui serait parricide et remplirait
toute la maison de grands malheurs). Mais il oublia l’oracle,
et ayant engendré un fils, il exposa le nourrisson après lui
avoir attaché les chevilles par des liens de fer — c’est pour
cette raison qu’il reçut, plus tard, le nom d’Œdipe (« aux
pieds enflés »). 2. Mais les serviteurs qui prirent l’enfant se
refusèrent à l’exposer et en firent présent à la femme de
Polybos, qui ne pouvait avoir d’enfant. Par la suite, quand
l’enfant eut atteint l’âge d’homme, Laios décida d’interroger
le dieu à propos du nourrisson qui avait été exposé, et Œdipe
lui, après avoir appris par quelqu’un la supposition d’enfant
dont il avait été victime, entreprit d’interroger la Pythie sur
ses vrais parents. A Phocis, ils se rencontrèrent et comme
Laios lui ordonnait avec arrogance de lui céder la place sur la
route, Œdipe se mit en colère et tua Laios, sans savoir que
c’était son père. 3. Au même moment, disent les mythes,
alors qu’elle se trouvait à Thèbes, la sphinge, animal biforme,
proposait une énigme à qui se pensait capable de la résoudre
et beaucoup étaient tués par elle faute de ne pouvoir
répondre. Bien que soit accordée à celui qui aurait résolu
l’énigme la récompense généreuse d’épouser Jocaste et de
régner sur Thèbes, personne n’avait pu comprendre l’énigme
posée, seul Œdipe la résolut. Voici la question qui était posée
par la sphinge : qu’est-ce qui est, à la fois, bipède, tripède et
quadrupède ? 4. Alors que les autres restaient perplexes,
Œdipe déclara que c’est l’homme qui était suggéré par
l’énigme : car, quand il est petit enfant, il est quadrupède ;
quand il a grandi, il est bipède et, devenu vieux, il est tripède
puisqu’il se sert d’un bâton en raison de sa faiblesse. A cet
instant, la sphinge, conformément à un oracle que relatent
les mythes, se précipita dans le vide. Et Œdipe, après avoir
épousé celle qu’il ne savait pas être sa mère, engendra deux
fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.
LXV. 1. Quand les fils eurent atteint l’âge d’homme et que
les impiétés de la famille furent connues, Œdipe fut contraint
par ses fils à rester à l’intérieur de la maison en raison du
déshonneur172 ; les jeunes hommes prirent le pouvoir et
passèrent un accord entre eux pour gouverner un an en
alternance. Comme Étéocle était l’aîné, ce fut lui qui
gouverna le premier, mais lorsque le temps fut écoulé, il ne
voulut pas remettre le trône. 2. Polynice, conformément à
leur accord, réclama le pouvoir, mais comme son frère n’y
consentait pas, il s’exila à Argos auprès du roi Adraste. Au
même moment, disent-ils, Tydée, le fils d’Oineus, pour avoir
tué à Calydon ses cousins, Alcathoos et Lycôpée, s’enfuit
d’Étolie, vers Argos. 3. Adraste les reçut tous deux avec
bienveillance et les maria, conformément à un oracle, à ses
filles : Argeia à Polynice, Déïpylé à Tydée. Comme les jeunes
hommes étaient appréciés et tenus en haute estime par le roi,
Adraste leur promit, pour leur complaire, de les réintégrer
tous deux dans leur patrie. 4. Ayant décidé de ramener
Polynice en premier, il envoya Tydée en messager à Thèbes,
auprès d’Étéocle, pour négocier son retour. Là-dessus, disent-
ils, Tydée tomba, chemin faisant, sur une embuscade de
cinquante hommes tendue par Étéocle : il les tua tous et
revint contre toute attente sain et sauf à Argos. Quand
Adraste apprit ce qui s’était passé, il entreprit les préparatifs
pour mener campagne et persuada Capanée, Hippomédon et
Parthénopée, fils d’Atalante fille de Schoineus, de prendre
part à la guerre. 5. Polynice et ses compagnons tentèrent de
persuader le devin Amphiaraos de combattre à leurs côtés
contre Thèbes. Mais comme Amphiaraos avait la prémonition
qu’il mourrait, s’il combattait à leurs côtés et que, pour cette
raison, il refusa, Polynice donna à la femme d’Amphiaraos la
chaîne en or qu’avait offerte, racontent certains mythes,
Aphrodite à Harmonie, afin qu’elle persuadât son mari de
combattre à leurs côtés. 6. Au même moment, parce
qu’Amphiaraos était en rivalité avec Adraste pour le trône173,
ils passèrent un accord mutuel selon lequel ils s’en
remettaient au jugement d’Ériphyle sur leur litige —
puisqu’elle était en même temps la femme d’Amphiaraos et la
sœur d’Adraste. Comme elle avait donné raison à Adraste et
qu’au sujet de la campagne contre Thèbes, elle avait déclaré
qu’il fallait faire campagne, Amphiaraos, qui pensa avoir été
trahi par sa femme, consentit donc à combattre à leurs côtés,
mais donna à son fils Alcméon l’ordre de tuer, après sa mort à
lui, Ériphyle. 7. Plus tard, Alcméon, suivant l’ordre de son
père, tua donc sa mère et, conscient de l’abominable crime
qu’il avait commis, fut pris de folie. Adraste, Polynice, Tydée
et leurs compagnons prirent avec eux quatre chefs —
Amphiaraos, Capanée et Hippomédon, ainsi que Parthénopée,
fils d’Atalante fille de Schoineus — et firent campagne contre
Thèbes avec une armée considérable. 8. Ensuite, Étéocle et
Polynice se tuèrent l’un l’autre ; Capanée mourut tandis qu’il
attaquait de force et montait sur le rempart avec une
échelle ; et, alors que la terre s’était entrouverte, Amphiaraos
tomba dans le gouffre et disparut avec son char. 9.
Semblablement, à l’exception d’Adraste, les autres chefs
moururent et beaucoup de soldats tombèrent. Les Thébains
ne consentirent pas à la collecte des cadavres et Adraste
rentra à Argos après avoir abandonné les morts sans
sépulture. Les corps des hommes tombés au pied de la
Cadmée174 restèrent sans sépulture et personne n’osait les
enterrer. Ce furent les Athéniens, surpassant tous les autres
par leur grande noblesse d’âme, qui enterrèrent tous ceux
qui étaient tombés au pied de la Cadmée.
LXVI. 1. C’est donc ainsi que les Sept contre Thèbes
trouvèrent leur fin. Mais leurs enfants, que l’on nomme
« Épigones » (« descendants »), décidèrent, pour venger la
mort de leurs pères, de mener une campagne commune
contre Thèbes après avoir reçu un oracle d’Apollon leur
commandant de guerroyer contre ladite cité, avec Alcméon,
le fils d’Amphiaraos, comme chef. 2. Alcméon, une fois qu’ils
l’eurent choisi comme chef, interrogea le dieu sur cette
expédition contre Thèbes et sur le châtiment de sa mère
Ériphyle. 3. Apollon répondit par un oracle d’accomplir l’une
et l’autre, car sa mère n’avait pas seulement accepté la chaîne
d’or contre la perte de son père, elle avait aussi reçu une
tunique en vue de la mort de son fils. Aphrodite, en effet,
selon ce qui est dit, avait fait don autrefois à Harmonie, la
fille de Cadmos, de la chaîne et d’une tunique et Ériphyle
accepta les deux : elle avait reçu de Polynice la chaîne, et de
Thersandros, le fils de Polynice, la tunique pour qu’elle
persuade son fils de mener campagne contre Thèbes.
Alcméon rassembla donc des soldats venus non seulement
d’Argos, mais aussi des cités voisines, et mena campagne
contre Thèbes avec une armée considérable. 4. Mais les
Thébains s’alignèrent face à lui et ce fut une bataille violente,
à l’issue de laquelle Alcméon et les siens remportèrent la
victoire. Les Thébains, vaincus dans cette bataille et
comptant beaucoup de pertes parmi leurs concitoyens, virent
se briser leurs espoirs. N’étant pas en nombre suffisant pour
combattre, ils consultèrent le devin Tirésias qui leur ordonna
de fuir la cité : c’est ainsi seulement qu’ils trouveraient leur
salut. 5. Obéissant au conseil du devin, les Cadméens
abandonnèrent donc la cité et, de nuit, se réfugièrent
ensemble dans un lieu de Béotie appelé Tilphôssion. Les
Épigones prirent la cité et la pillèrent ; comme ils avaient fait
prisonnière Daphné, la fille de Tirésias, ils la consacrèrent au
dieu, conformément à un vœu, comme prémices du butin, à
Delphes. 6. Elle ne connaissait pas moins que son père l’art
divinatoire, et en demeurant à Delphes, elle accrut bien plus
encore son art. Pourvue d’un don naturel extraordinaire, elle
mit par écrit des oracles de toutes sortes qui excellaient par
leurs compositions. Même le poète Homère, disent-ils,
s’appropria nombre de ses vers à elle pour orner sa propre
poésie. Comme elle était souvent inspirée des dieux et qu’elle
délivrait des oracles, elle fut surnommée, disent-ils,
« Sibylle » : dans sa langue, en effet, le fait d’être inspiré des
dieux se dit sibyllainein175.
LXVII. 1. Après avoir fait cette brillante campagne, les
Épigones revinrent dans leur patrie, avec un gros butin.
Parmi les Cadméens qui s’étaient enfuis ensemble à
Tilphôssion, Tirésias mourut : les Cadméens lui rendirent de
somptueux honneurs funèbres et l’honorèrent de cultes à
l’égal des dieux. Eux-mêmes, bannis de cette cité, menèrent
campagne contre les Doriens et gagnèrent la bataille : ils
chassèrent les indigènes hors de leurs terres d’origine et s’y
installèrent eux-mêmes un certain temps ; les uns y
demeurèrent, les autres retournèrent à Thèbes alors qu’y
régnait Créon, le fils de Ménécée. Les indigènes chassés de
leurs terres d’origine revinrent, quelque temps plus tard, en
Doride et s’installèrent à Érinéos, Kytinion et Boion. 2.
Antérieurement à ces événements-là, Boiotos, le fils d’Arné et
de Poséidon, arriva dans ce qui était alors appelé l’Éolie et qui
est maintenant la Thessalie et donna à ceux qui
l’accompagnaient le nom de Béotiens. Mais concernant ces
Éoliens, il nous faut remonter le cours des temps et exposer
un récit détaillé. 3. Dans les temps reculés, les fils d’Éole, lui-
même fils d’Hellèn, fils de Deucalion, s’étaient installés tous
dans les régions que j’ai déjà mentionnées, sauf Mimas qui
resta et régna sur Éolie. Hippotès, né de Mimas, avait
engendré de Mélanippé Éole. Et Arné, qui était la fille d’Éole,
enfanta Boiotos de Poséidon. 4. Mais Éole, ignorant qu’elle
s’était unie à Poséidon et lui reprochant son déshonneur,
remit Arné à un étranger de Métaponte176 qui à ce moment-
là séjournait en Éolie, et lui donna ordre de l’emmener à
Métaponte. Une fois qu’il eut fait ce qui avait été ordonné,
Arné, alors qu’elle vivait à Métaponte, enfanta Éole et
Boiotos, qu’un Métapontien, qui était sans enfant, adopta,
obéissant ainsi à un oracle177. 5. Lorsqu’ils eurent atteint l’âge
d’homme, il y eut à Métaponte une crise politique et ils
prirent le trône par la force. Plus tard, une querelle opposa
Arné à Autolytê, la femme du Métapontien : ils vinrent au
secours de leur mère et tuèrent Autolytê. Mais comme le
Métapontien acceptait difficilement ce qui était arrivé, ils
équipèrent des navires, prirent avec eux Arné et gagnèrent le
large en compagnie de nombreux amis. 6. Éole occupa donc
les îles Éoliennes de la mer Tyrrhénienne qui tirent leur nom
de lui, et fonda la ville appelée Lipara. Boiotos rejoint à la
voile Éole, le père d’Arné, et après avoir été adopté par lui,
reçut le trône d’Éolie. Il donna au pays le nom d’« Arné », tiré
du nom de sa mère, et au peuple, le nom de « Béotiens », tiré
de son propre nom. 7. Itonos, né de Boiotos, engendra quatre
fils, Hippalcimos, Électryon, ainsi qu’Archilycos et Alégènôr.
Parmi eux, Hippalchimos engendra Pénéléôs, Électryon
Leïtos, Alégènôr Clonios, Archilycos Prothoènôr et Arcésilas,
qui furent les chefs de tous les Béotiens dans l’expédition
contre Troie.
LXVIII. 1. Après avoir examiné ces faits en détail, nous
allons nous efforcer d’exposer ce qui concerne Salmonée,
Tyro et leurs descendants jusqu’à Nestor qui prit part à
l’expédition contre Troie. Salmonée était le fils d’Éole, fils
d’Hellen, fils de Deucalion178. Après avoir quitté l’Éolie en
compagnie d’un grand nombre d’Éoliens, il fonda une cité en
Élide, au bord du fleuve Alphée, et l’appela de son propre
nom Salmoné. Il épousa Alcidikê, la fille d’Aléos, et engendra
une fille qui reçut le nom de Tyro et qui se distinguait par sa
beauté. 2. Après la mort de sa femme Alcidikê, il prit comme
seconde épouse une femme du nom de Sidéro (« femme-de-
fer ») : elle traita durement Tyro, comme l’aurait fait une
marâtre. Par la suite, impudent et impie, Salmonée fut haï de
ses sujets et foudroyé par Zeus pour son impiété179. 3.
Poséidon s’unit à Tyro, qui était en ces temps-là une jeune
vierge, et engendra des enfants : Pélias et Nélée. Tyro se
maria à Créthée et enfanta Amythaôn, Phérès et Aison. A la
mort de Créthée, Nélée et Pélias s’affrontèrent pour le trône.
Pélias devint roi d’Iolcos et des contrées environnantes, et
Nélée prit avec lui Mélampous et Bias, les fils d’Amythaôn et
d’Aglaïa, et quelques autres Achéens de Phtiotide et quelques
Éoliens, et mena campagne dans le Péloponnèse. 4.
Mélampous180, qui était devin, soigna les femmes d’Argos que
Dionysos, par courroux, avait rendues folles. Pour ce service
rendu, il reçut comme témoignage de reconnaissance de la
part d’Anaxagoras, roi d’Argos qui était fils de Mégapenthès,
les deux tiers du royaume. Installé à Argos, il partagea le
trône avec son frère Bias. 5. Après avoir épousé Iphianeira, la
fille de Mégapenthès181, il engendra Antiphatès, Manto, Bias
et Pronoè. D’Antiphatès et de Zeuxippé, la fille d’Hippocoon,
vinrent au monde Oiclès et Amphalkès. D’Oiclès et
d’Hypermnestra, la fille de Thespios, naquirent Iphianeira,
Polyboia et Amphiaraos. 6. Mélampous, Bias et leurs
descendants se partagèrent donc ainsi le royaume d’Argos.
Nélée, avec ses compagnons, arriva en Messénie et fonda une
cité, Pylos, sur un territoire que les indigènes lui avaient
donné. Alors qu’il régnait sur cette cité et qu’il avait pour
épouse Chlôris, la fille d’Amphiôn de Thèbes, il engendra
douze enfants, dont l’aîné était Périclyménos et le cadet,
Nestor, qui prit part à l’expédition contre Troie. En ce qui
concerne donc les ancêtres de Nestor, nous nous en
tiendrons à ce qui a été dit, puisque nous visons à la juste
mesure182.
LXIX. 1. Nous allons exposer en détail ce qui concerne les
Lapithes et les Centaures. Océan et Téthys, selon les mythes,
eurent de nombreux enfants, qui donnèrent leur nom à des
fleuves ; parmi eux se trouvait, en particulier, Pénée, duquel
le fleuve Pénée, en Thessalie, tire son nom. Après s’être uni à
la nymphe appelée Créüse, Pénée engendra Hypsée et Stilbé à
laquelle Apollon s’unit et de laquelle il engendra Lapithès et
Centauros. 2. Le premier d’entre eux, Lapithès, qui était
installé près du fleuve Pénée, régna sur ces régions, épousa
Orsinomé, la fille d’Eurynomos, et engendra deux fils,
Phorbas et Périphas. Ils y furent aussi rois, et tous les peuples
furent appelés, en raison de Lapithès, « Lapithes ». Parmi les
deux fils de Lapithès, Phorbas se rendit à Olénos. Là, Alector,
le roi d’Élis, le fit venir, lui demandant son aide, parce qu’il
était effrayé par la puissance de Pélops, et lui donna une part
du royaume d’Élide. 3. De Phorbas naquirent deux fils, Égée
et Actor, qui reçurent la royauté d’Élide. Le second des
enfants de Lapithès, Périphas, épousa Astyaguia, la fille
d’Hypsée, et engendra huit enfants dont l’aîné était Antiôn
qui, uni à Périméla, la fille d’Amythaôn, engendra Ixion183.
Celui-ci, selon ce qui est dit, après avoir promis à Eïonée qu’il
lui donnerait de nombreux présents contre la main de sa fille,
épousa Dia, la fille d’Eïonée, et engendra d’elle Pirithoos. 4.
Mais ensuite, Ixion ne remit pas les présents promis pour la
main de sa femme, et Eïonée prit ses chevaux en gage. Ixion
fit mander Eïonée, en lui promettant de céder à toutes ses
demandes, et quand Eïonée arriva, Ixion le poussa dans une
fosse pleine de flammes. En raison de la gravité de ce crime
contre tout usage, personne ne voulut le laver de ce
meurtre184. Finalement, selon les mythes, ce fut par Zeus
qu’il fut purifié, mais il s’éprit d’Héra et osa lui faire des
avances. 5. Alors, Zeus lui envoya une image d’Héra qu’il
avait façonnée dans un nuage (néphélê) : Ixion s’unit au nuage
et engendra les êtres de nature humaine appelés Centaures.
Finalement, content les mythes, en raison de la gravité de ses
fautes, Ixion fut attaché à une roue par Zeus, et, à sa mort, il
reçut un châtiment éternel185.
LXX. 1. Les Centaures, disent certains, furent élevés par
des Nymphes, dans le Pélion ; devenus hommes, ils s’unirent
à des cavales et engendrèrent des êtres à double nature,
appelés Hippocentaures. Mais d’autres disent que les
Centaures, nés de Néphélé et d’Ixion, reçurent le nom
d’Hippocentaures parce qu’ils furent les premiers à
entreprendre de monter à cheval, et pour en faire une figure
mythique, on les rangea parmi les êtres à double nature186. 2.
Parce qu’ils étaient de ses parents187, ils demandèrent à
Pirithoos, disent-ils, leur part du royaume paternel :
Pirithoos ne le leur ayant pas remis, ils engagèrent une
guerre contre lui et les Lapithes. 3. Plus tard, après leur avoir
donné satisfaction, Pirithoos épousa Hippodamie, la fille de
Boutès et invita à ses noces Thésée et les Centaures. Mais, dit-
on, les Centaures, alors qu’ils étaient ivres, se jetèrent sur les
femmes invitées et s’unirent à elles par la force : irrités par ce
crime contre tout usage, Thésée et les Lapithes en tuèrent un
grand nombre et rejetèrent le reste hors de la cité188. 4. C’est
pour cette raison que les Centaures menèrent massivement
campagne contre les Lapithes et en tuèrent beaucoup ; les
Lapithes qui survécurent se réfugièrent à Pholoé, en Arcadie,
et finalement, ayant échoué à Maléa, ils s’y installèrent. Les
Centaures, exaltés par leurs victoires et ayant fait de Pholoé
leur base, pillaient les Grecs qui passaient et tuaient nombre
d’habitants du voisinage189.
LXXI. 1. Après avoir examiné ces faits en détail, nous
allons nous efforcer d’exposer ce qui concerne Asclépios et
ses descendants. Asclépios était, donc, le fils d’Apollon, selon
ce que content les mythes, et de Corônis ; remarquable par
ses dispositions naturelles et sa perspicacité, il se consacra à
la science médicale et fit de nombreuses découvertes qui
contribuèrent à la santé des hommes. Il arriva à un tel point
de renom qu’il guérissait, contre toute attente, nombre de
malades désespérés et c’est pourquoi il parut rendre la vie à
bien des hommes déjà morts190. 2. Aussi, Hadès porta-t-il
plainte contre Asclépios, content les mythes, et l’accusa-t-il
devant Zeus de réduire son pouvoir, car il y avait de moins en
moins de morts, puisqu’ils étaient soignés par Asclépios. 3.
Irrité, Zeus tua de sa foudre Asclépios, mais Apollon, irrité
par la perte d’Asclépios, assassina les Cyclopes qui pour Zeus
avaient forgé la foudre. Mais Zeus, irrité de leur mort, donna
ordre à Apollon de se mettre au service d’un homme, et ce fut
le châtiment qu’il reçut de Zeus pour ses crimes. 4.
D’Asclépios, dit-on, étaient nés des fils, Machaon et Podalirios
qui, après avoir acquis à force de travail leur art,
participèrent à la campagne contre Troie aux côtés
d’Agamemnon et de ses compagnons191. Pendant la guerre,
ils rendirent de grands services aux Grecs en soignant les
blessés avec une extrême habileté, et pour ces bienfaits, ils
reçurent des Grecs une grande considération ; ils furent
exemptés des dangers du combat et des autres obligations
publiques en raison du service particulièrement avantageux
qu’ils offraient par leurs soins. Concernant Asclépios et ses
fils, nous nous contenterons donc de ce qui a été dit.
LXXII. 1. Nous allons à présent exposer ce qui concerne
les filles d’Asôpos et les fils nés d’Ajax. Selon les mythes, de
nombreux enfants naquirent d’Océan et de Téthys, qui
donnèrent leur nom à des fleuves ; parmi eux se trouvaient
Asôpos et Pénée. Après s’être installé dans ce qui est à
présent la Thessalie, Pénée donna son propre nom au fleuve
cité plus haut. Asôpos, lui, s’installa à Phlionte, épousa
Métopé, la fille de Ladôn, et eut d’elle deux fils, Pélasgos et
Ismènos, et douze filles : Corcyra et Salamis, ainsi qu’Égine,
Piréné, et Cléônê, en plus d’elles, Thébè, Tanagra, Thespia,
Asopis et Sinopé, et enfin, Ornia et Chalcis. 2. Parmi ses fils,
Ismènos se rendit en Béotie et s’installa près du fleuve qui
reçut son nom de lui. Parmi ses filles, Sinopé, enlevée par
Apollon, fut transportée à l’endroit où se trouve à présent la
cité qui lui doit d’être appelée du même nom, Sinopé. Apollon
eut d’elle un fils, Syros, qui fut roi de ceux qui lui doivent
d’être appelés Syriens. 3. Corcyra fut emportée par Poséidon
dans une île qui lui doit d’être appelée Corcyre. Poséidon eut
d’elle Phéax : c’est de lui que reçurent leur nom les
Phéniciens. 4. De Phéax naquit Alcinoos qui ramena Ulysse à
Ithaque192. Salamis, enlevée par Poséidon, fut transportée
dans l’île qui tire d’elle son nom, Salamine. S’étant unie à
Poséidon, elle enfanta Cychrée, qui régna sur cette île et
devint célèbre pour avoir tué un serpent d’une taille
prodigieuse qui menaçait les indigènes. 5. Égine, enlevée de
Phlionte par Zeus, fut transportée dans une île qui lui doit
d’être appelée Égine et sur laquelle, s’étant unie à Zeus, elle
enfanta Éaque, qui régna sur l’île. 6. De lui naquirent des fils,
Pélée et Télamon. Pélée tua involontairement en lançant un
disque Phocos, son frère né du même père, mais d’une mère
différente. Banni par son père pour ce meurtre, Pélée se
réfugia à Phtia, partie de ce qui est à présent appelé la
Thessalie ; il fut purifié par le roi Actor et lui succéda sur le
trône parce qu’Actor était sans enfant. Né de Pélée et de
Thétis, Achille mena campagne avec Agamemnon à Troie. 7.
Télamon, fuyant hors d’Égine, arriva à Salamine et après
avoir épousé Glaucé, la fille de Cychrée, le roi de Salamine, il
régna sur cette île. Après la mort de sa femme Glaucé, il
épousa Ériboée d’Athènes, la fille d’Alcathos, de laquelle il
engendra Ajax, qui prit part à l’expédition contre Troie.
LXXIII. 1. Après avoir examiné ces faits en détail, nous
allons nous efforcer d’exposer ce qui concerne Pélops,
Tantale et Oinomaos. Mais il faut que nous remontions le
cours des temps pour tout exposer depuis le début dans le
détail. Dans le Péloponnèse, dans la cité de Pisa, Arès, après
s’être uni à Harpinê, la fille d’Asôpos, engendra Oinomaos. 2.
Celui-ci engendra une fille unique et l’appela Hippodamie.
Comme il consultait un oracle au sujet de sa mort, le dieu
répondit qu’il mourrait lorsque sa fille Hippodamie se
marierait193. Prenant donc ses précautions à propos du
mariage de sa fille, il décida de veiller à la garder vierge,
pensant que c’était uniquement ainsi qu’il échapperait au
danger. 3. Aussi, comme beaucoup demandaient en mariage
la jeune fille, il imposait à ceux qui voulaient l’épouser une
épreuve de cette sorte : le vaincu devait mourir et le
vainqueur épousait la jeune fille. Il posa comme épreuve une
course de chars de Pisa jusqu’à l’isthme de Corinthe, près de
l’autel de Poséidon, et organisa le départ des chevaux de la
façon suivante : tandis qu’Oinomaos sacrifiait un bélier à
Zeus, le prétendant s’élançait en conduisant un quadrige ;
une fois les offrandes sacrifiées, Oinomaos s’engageait alors
dans la course et poursuivait le prétendant, avec une lance et
Myrtilos comme cocher ; s’il arrivait à atteindre le char qu’il
poursuivait, il frappait de sa lance le prétendant et le tuait.
Par ce moyen, comme il rattrapait tous les prétendants parce
que ses chevaux étaient les plus rapides, il en tuait
beaucoup. 5. Une fois arrivé à Pisa, Pélops, le fils de Tantale,
contempla Hippodamie et désira l’épouser. Il corrompit
Myrtilos, le cocher d’Oinomaos, et grâce à l’aide qu’il en reçut
pour vaincre, il arriva le premier à l’isthme, près de l’autel de
Poséidon. 6. Oinomaos, pensant que l’oracle s’était accompli
et découragé en raison de sa peine, mit lui-même fin à sa
vie194. Par ce moyen, après avoir épousé Hippodamie, Pélops
recueillit le trône de Pisa, et comme son pouvoir était
toujours plus grand en raison de son courage et de son
intelligence, il se concilia la majorité des habitants du
Péloponnèse195, et c’est de lui que le Péloponnèse tire son
nom.
LXXIV. 1. Après avoir mentionné Pélops, il nous faut
exposer aussi ce qui concerne son père Tantale, pour ne rien
omettre de ce qui mérite d’être entendu. Tantale était fils de
Zeus ; d’une richesse et d’une renommée hors du commun, il
habitait en Asie, dans la région qu’on nomme à présent
Paphlagonie. En raison de sa noble origine par son père Zeus,
selon ce qui est dit, il fut particulièrement aimé des dieux. 2.
Par la suite, cependant, il ne se comporta pas face à son
heureux sort comme le devrait un être humain : comme il
prenait part à la table commune des dieux et aux propos
qu’ils échangeaient en toute liberté, il rapportait aux
hommes les secrètes paroles des dieux. C’est pour cette
raison qu’il fut puni de son vivant et, qu’une fois mort, il fut
jugé digne, selon les mythes, d’un châtiment éternel, après
avoir été mis au nombre des impies196. 3. De lui naquirent un
fils, Pélops, et une fille, Niobé. Celle-ci mit au monde sept fils
et un nombre égal de filles. Elle se vantait souvent, avec
grande arrogance, du grand nombre d’enfants qu’elle avait
engendrés et déclarait qu’elle était plus comblée en enfants
que Létô197. Ensuite, Létô se mit en colère et, selon les
mythes, ordonna à Apollon de percer d’un trait les fils de
Niobé et à Artémis ses filles. Lorsque ceux-ci obéirent à leur
mère et qu’au même moment, ils percèrent de traits les
enfants de Niobé, il en résulta que cette dernière fut, en un
seul instant, à la fois heureuse en enfant et sans enfants. 4.
Mais puisque Tantale, haï des dieux, fut chassé de
Paphlagonie par Ilos, le fils de Tros, il nous faut exposer aussi
ce qui concerne Ilos et ses ancêtres198.
LXXV. 1. Le premier qui régna sur le pays de Troie fut
Teucer, le fils du fleuve Scamandre et de la nymphe du mont
Ida ; c’était un homme illustre et le peuple reçut de lui le nom
de Teucrien. Teucer eut une fille, Batéia : Dardanos, le fils de
Zeus, l’épousa et lui succéda sur le trône ; il appela le peuple
de son propre nom, Dardanien, et comme il avait fondé une
cité, au bord de la mer, il l’appela aussi de son propre nom,
Dardanos. 2. De lui naquit un fils, Érechthonios, qui se
distingua particulièrement par sa bonne fortune et sa
richesse ; et sur lequel le poète Homère dit :
« C’est lui qui devint le plus riche de tous les hommes
mortels :
Trois mille cavales lui appartenant étaient au
pacage. » 199
3. D’Érechthonios naquit un fils, Tros, qui appela le peuple
de son nom, Troyens. De lui naquirent trois fils, Ilos,
Assaracos, Ganymède. Ilos fonda donc, en plaine, une cité, qui
fut la plus célèbre de Troade, et lui attribua son propre nom,
Ilion. 4. D’Ilos naquit un fils, Laomédon, qui engendra
Tithonos et Priam : Tithonos mena campagne contre la partie
de l’Asie située au levant (Éôs), poursuivit jusqu’à l’Éthiopie,
content les mythes, et engendra d’Éos (l’Aurore) Memnon,
qui vint au secours des Troyens et fut tué par Achille. Priam,
après avoir épousé Hécube, engendra, outre de nombreux
autres enfants, Hector, celui qu’on remarqua le plus dans la
guerre de Troie. 5. Assaracos, qui fut roi des Dardaniens,
engendra Capys, duquel naquit Anchise, qui engendra
d’Aphrodite Énée, le plus célèbre des Troyens. Ganymède qui
surpassait tous les autres hommes par sa belle apparence, fut
enlevé au ciel par les dieux pour être l’échanson de Zeus. 6.
Mais après avoir examiné ces faits en détail, nous allons nous
efforcer d’exposer ce qui concerne Dédale, le Minotaure et
l’expédition de Minos en Sicile, contre le roi Cocalos200.
LXXVI. 1. Dédale était Athénien d’origine, désigné comme
l’un des descendants d’Érechthée. Il était, en effet, le fils de
Mentiôn, le fils d’Eupalamos, fils d’Érechthée. Comme il
surpassait de beaucoup tous les autres hommes par ses
dispositions naturelles, il s’adonna avec ardeur à l’art de la
charpenterie, à la construction de statues et au travail de la
pierre. Il fit de nombreuses inventions qui aidèrent au
développement de cet art et exécuta, en de nombreux
endroits de la terre habitée, des œuvres admirées. 2. Il
surpassa tellement tous les autres hommes par la sculpture
de ses statues, que ses contemporains racontèrent le mythe
que les statues qu’il avait sculptées étaient extrêmement
ressemblantes aux vivants : elles marchaient, elles voyaient,
et, de façon générale, elles gardaient la disposition du corps
tout entier, de telle sorte que l’objet sculpté paraissait un
être animé201. 3. C’est avec raison qu’il fut admiré des
hommes, puisqu’il sculpta le premier des yeux et fit ses
statues les jambes écartées, et en plus les mains tendues. Les
artistes qui l’avaient précédé sculptaient, en effet, leurs
statues avec les yeux clos, les bras ballants et collés aux
flancs. 4. Alors qu’il était donc admiré pour son habileté,
Dédale s’enfuit hors de sa patrie, condamné pour meurtre
pour les raisons suivantes : la sœur de Dédale eut un fils,
Talos, qui fut instruit chez Dédale, alors qu’il était encore
enfant. 5. Comme il avait d’encore plus heureuses
dispositions que son maître, il inventa le tour du potier ; de
plus, ayant trouvé par hasard une mâchoire de serpent, il
s’en servit pour scier de part en part un petit morceau de
bois et imita le tranchant des dents : ainsi, quand il eut
construit une scie en fer, grâce à laquelle il sciait le matériau
en bois dont il se servait dans ses travaux, on jugea qu’il avait
inventé l’outil réellement le plus utile à l’art de la
charpenterie. De la même façon, en inventant aussi le tour et
quelques autres mécanismes industrieux, il connut une
grande renommée. 6. Dédale devint jaloux de l’enfant, et
jugeant qu’il surpassait largement son maître par sa
renommée, il assassina l’enfant traîtreusement202. Mais il fut
surpris alors qu’il l’enterrait : on lui demanda qui il enterrait
et il dit qu’il ensevelissait un serpent. On pourrait s’étonner
du fait étrange que c’est grâce à l’animal par lequel on eut
l’idée de l’invention de la scie, que l’on parvint aussi à
éclaircir le meurtre. 7. Accusé et condamné pour meurtre par
les membres de l’Aréopage, il se réfugia d’abord dans l’un des
dèmes de l’Attique, dans lequel les habitants lui doivent
d’être appelés Dédalides.
LXXVII. 1. Par la suite, il s’échappa en Crète et, parce qu’il
était admiré pour la renommée de son art, devint l’ami du roi
Minos. Selon le mythe qui nous a été transmis, comme
Pasiphaé, la femme de Minos s’était éprise d’un taureau, il
inventa un mécanisme qui la rendait semblable à une vache
et aida ainsi Pasiphaé à assouvir son désir. 2. Dans les
époques antérieures, content les mythes, Minos avait en effet
pour coutume de consacrer chaque année à Poséidon le plus
beau des taureaux qui étaient nés et de le sacrifier à ce dieu.
Mais il naquit un jour un taureau qui excellait en beauté et
Minos sacrifia un autre parmi les taureaux moins beaux :
Poséidon, en colère contre Minos, fit que sa femme Pasiphaé
s’éprît du taureau203. 3. Grâce à l’habileté de Dédale, Pasiphaé
s’unit au taureau et mit au monde le Minotaure dont parlent
les mythes. Il était, dit-on, d’une double nature : la partie
supérieure du corps jusqu’aux épaules tenait d’un taureau, le
reste d’un homme. 4. Pour la survie de ce monstre, Dédale
construisit, dit-on, un labyrinthe — avec des issues
tortueuses et où ceux qui n’en connaissaient pas l’issue
trouvaient difficilement leur chemin — dans lequel le
Minotaure se nourrissait des sept jeunes filles et jeunes
hommes qui étaient envoyés par les Athéniens pour être
dévorés, nous en avons déjà parlé. 5. Quand Dédale apprit
donc la menace proférée contre lui par Minos parce qu’il
avait construit la vache, il redouta, dit-on, la colère du roi et
fit voile hors de Crète, avec l’aide de Pasiphaé qui lui donna
un bateau pour qu’il s’embarquât. 6. Son fils Icare prit la fuite
avec lui et ils furent portés vers une île en pleine mer ; mais,
comme Icare débarquait sur cette île sans prudence, il tomba
à la mer et mourut : c’est de lui que la mer d’Icare reçut son
nom et l’île lui doit d’être appelée Icaros. Dédale quitta cette
île et fut porté en Sicile, vers une contrée dont Cocalos était
le roi : celui-ci accueillit Dédale et en fit en plus, en raison de
son talent et de sa renommée, un ami. 7. Selon ce que content
cependant certains mythographes, c’est quand Dédale était
encore en Crète, caché par Pasiphaé, que le roi Minos,
voulant le châtier mais ne parvenant pas à le trouver, le fit
rechercher par tous les bateaux de l’île et promit de donner
une grande quantité d’argent à qui le trouverait. 8. Dédale
renonça alors à la fuite en bateau et construisit, contre toute
attente, des ailes ingénieusement exécutées en cire et
merveilleusement agencées. Après les avoir appliquées au
corps de son fils et à son propre corps, ils déployèrent, contre
toute attente, ces ailes et prirent la fuite sur la mer qui
entoure l’île de Crète204. 9. En raison de sa grande
inexpérience, Icare vola haut et tomba dans les flots quand la
cire qui tenait ensemble les ailes eut fondu sous l’effet du
soleil. Dédale, au contraire, vola près de la mer et, mouillant
très souvent ses ailes, arriva, de façon extraordinaire, sain et
sauf en Sicile. Même si le mythe qui rapporte ces faits est un
conte extraordinaire, nous avons cependant choisi de ne pas
l’omettre205.
LXXVIII. 1. Dédale séjourna un assez long moment chez
Cocalos206 et parmi les Sicaniens qui l’admiraient pour son
exceptionnelle habileté. Il bâtit sur cette île certains
ouvrages qui sont conservés aujourd’hui encore. Près de la
Mégaride, par exemple, il construisit avec art ce qu’on
nomme une Colymbêthra207 d’où un grand fleuve, appelé
Alabon, se jette dans la mer voisine. 2. Sur l’emplacement de
l’actuelle Agrigente, sur le fleuve appelé Cárnicos, il bâtit une
ville sur des rochers, qui fut la plus fortifiée de toutes et tout
à fait inexpugnable par la force : comme il avait habilement
rendu étroite et tortueuse la montée qui permettait d’y
accéder, elle pouvait être gardée par trois ou quatre hommes.
C’est pourquoi Cocalos y fît son palais royal et déposa ses
trésors dans cette ville rendue inexpugnable par
l’intelligence de son technicien. 3. En troisième lieu, il
construisit une grotte sur le territoire de Sélinonte, dans
laquelle il utilisa si adroitement la vapeur causée par le feu
qui y brûlait, que ceux qui s’y trouvaient transpiraient de
façon imperceptible et progressive, en raison de l’extrême
douceur de cette chaleur, et ils avaient plaisir à soigner leur
corps sans être gênés par la chaleur. 4. A Éryx, un rocher
était escarpé et d’une hauteur extraordinaire et l’espace
réservé au temple d’Aphrodite était étroit : il fut obligé de
bâtir l’édifice sur le sommet abrupt du rocher ; il construisit
un mur sur cet abîme et prolongea ainsi, de façon
extraordinaire, l’espace situé au-dessus de l’abîme. 5. De plus,
il façonna avec art, pour l’Aphrodite Érycine (« du mont
Éryx »), un bélier d’or remarquablement travaillé, disent-ils,
et incontestablement semblable à un bélier réel. Il fit avec art
beaucoup d’autres choses en Sicile, disent-ils, qui furent
détruites avec le temps208.
LXXIX. 1. Quand il eut appris la fuite de Dédale en Sicile,
le roi de Crète, Minos, maître des mers en ces temps-là,
décida de mener campagne contre la Sicile. Il équipa une
flotte navale considérable, quitta la Crète et aborda sur une
plage du territoire d’Agrigente qui tire de lui son nom,
Minôa. Il fit débarquer son armée et envoya des messagers
auprès du roi Cocalos pour lui réclamer Dédale afin de le
punir. 2. Le roi Cocalos l’invita à une rencontre et, après lui
avoir promis de consentir à toutes ses demandes, il reçut
Minos pour les rites d’hospitalité. Mais alors que Minos se
baignait, Cocalos le retint trop longtemps dans la vapeur
chaude et fit ainsi périr Minos209. Il montra le corps aux
Crétois et expliqua sa mort ainsi : il avait glissé dans la salle
des bains et, tombé dans le bassin d’eau chaude, il avait
trouvé la mort. 3. Par la suite, ceux qui avaient entrepris la
campagne à ses côtés rendirent de magnifiques honneurs
funèbres au corps du roi et, après avoir construit une tombe
à deux étages, ils placèrent les ossements dans un lieu caché
et firent, à l’endroit qui restait découvert, un temple
d’Aphrodite. Il fut honoré par de nombreuses générations,
parce que les indigènes offraient des sacrifices, en croyant
que c’était un temple d’Aphrodite : 4. c’est dans des temps
plus récents, après la fondation de la cité d’Agrigente, quand
on eut découvert le dépôt d’ossements, que la tombe fut
détruite et les ossements rendus aux Crétois, quand Théron
était maître d’Agrigente210. 5. Cependant, les Crétois qui se
trouvaient en Sicile se querellèrent après la mort de Minos en
raison de l’absence de chef, et comme leurs navires avaient
été incendiés par les Sicaniens de Cocalos, ils renoncèrent à
rentrer dans leur patrie et décidèrent de s’installer en Sicile :
les uns bâtirent là une cité qu’ils appelèrent Minôa en raison
de leur roi, les autres errèrent à l’intérieur des terres et
s’emparèrent d’un lieu naturellement fortifié où ils fondèrent
une cité qu’ils appelèrent Engyon en raison de la source qui y
coulait. 6. Plus tard, après la prise de Troie, quand Mèrionès
le Crétois fut porté vers la Sicile, ils accueillirent, en raison de
leur lien de parenté, ces Crétois qui débarquaient et
partagèrent avec eux leur citoyenneté : ayant pour base une
cité fortifiée, ils vainquirent à la guerre certains peuples des
alentours et s’acquirent ainsi un territoire convenable. 7.
Comme ils prospéraient toujours plus, ils construisirent aussi
un temple aux Déesses Mères et offraient à ces déesses des
honneurs exceptionnels, ornant leur temple de nombreuses
offrandes votives. Ils ont emprunté le culte de ces déesses à la
Crète, disent-ils, puisque chez les Crétois aussi ces déesses
sont particulièrement honorées211.
LXXX. 1. Ces déesses élevèrent autrefois Zeus, content
certains mythes, à l’insu de son père Cronos ; Zeus, en retour,
les fit monter au ciel et les plaça parmi les astres, après leur
avoir donné le nom d’« Ourses ». 2. Sur cela, Aratos aussi se
montre d’accord avec ces faits, quand il indique dans son
poème sur les astres :
« Elles sont tournées dos à dos par l’épaule ; s’il est
vrai que, depuis la Crète où elles se trouvaient, elles
sont montées au ciel, par la volonté du puissant Zeus,
[qu’elles placèrent dans une grotte, alors qu’il était
tout jeune, dans le Diktè aux odeurs agréables, près du
mont Idéen, et qu’elles nourrirent un an durant],
lorsque les Curètes du mont Diktè trompèrent Cronos.
212

3. Il vaut la peine de ne pas omettre de mentionner la


sanctification de ces déesses et leur apparition auprès des
hommes. Non seulement les habitants de cette cité les
honorent, mais certains des peuples voisins rendent aussi
gloire à ces déesses par des sacrifices magnifiques et toutes
autres sortes d’honneurs. 4. Des oracles, prononcés par la
Pythie, ont ordonné aussi à quelques cités d’honorer ces
déesses : c’est par de telles pratiques, a-t-elle dit en effet, que
chacun aura une vie heureuse et que les cités seront
florissantes. Finalement, la renommée de ces déesses
s’étendit tant que les indigènes ont continué à les honorer
par des offrandes votives en argent et en or, jusqu’à l’époque
où sont rédigés ces récits historiques. 5. Ils construisirent
pour elles, par exemple, un temple qui est non seulement
exceptionnel par sa taille, mais aussi étonnant par son coût
de construction : en effet, puisqu’ils n’avaient pas, dans leur
propre contrée, une pierre assez remarquable, ils
l’amenèrent de la cité voisine, Agyrion, bien que ces cités
soient distantes de cent stades et que la route qu’il leur fallait
utiliser pour transporter les pierres soit raboteuse et
réellement peu praticable. C’est pour cette raison qu’ils
construisirent des chariots à quatre roues et qu’ils firent
transporter la pierre par cent paires de bœufs. 6. Comme ils
ne se trouvaient pas, en effet, dans la gêne, en raison de la
quantité de richesses que recelait leur temple, ils ne tinrent
aucun compte des dépenses, grâce à cette abondante aisance.
Peu de temps avant nous, en effet, les déesses possédaient
trois mille vaches consacrées et assez de terres pour en tirer
des revenus élevés.
LXXXI. 1. Mais nous nous sommes suffisamment étendu
sur ces déesses, nous allons entreprendre d’écrire ce qui
concerne Aristée : il était le fils d’Apollon et de Cyrène, fille
d’Hypsée, fils de Pénée. A propos de sa naissance, certains
mythographes content ceci : près du mont Pélion était élevée
une jeune fille du nom de Cyrène d’une remarquable beauté ;
Apollon s’éprit de la jeune vierge et la transporta en Libye,
sur une terre où il fonda, quelque temps plus tard, une cité
qui reçut d’elle son nom, Cyrène. 2. Sur cette terre, Apollon
engendra donc de Cyrène ce fils Aristée qui était nourrisson
lorsqu’il le confia aux Nymphes afin qu’elles l’élèvent. Elles
attribuèrent à l’enfant trois noms : elles l’appelèrent Nomios
(« protecteur des troupeaux »), Aristée (« le plus noble ») et
Agrée (« chasseur »). Des Nymphes, il apprit à faire coaguler
le lait, à construire des ruches, ainsi qu’à cultiver les oliviers
et, le premier, enseigna cela aux hommes213. 3. Et en raison
des profits qu’ils tirèrent de ces découvertes, les hommes à
qui il avait rendu de grands services honorèrent Aristée par
des cultes divins, comme l’avait aussi été Dionysos. Par la
suite, il se rendit en Béotie, disent-ils, il y épousa, parmi les
filles de Cadmos, Autonoé, de qui il engendra Actéon qui fut
déchiqueté, nous disent les mythes, par ses propres chiens. 4.
Les uns donnent à ce malheur la cause suivante : il avait
projeté, dans le temple d’Artémis, pour le prix des prémices
de ses chasses qu’il lui avait offertes, que soit célébré son
mariage avec Artémis. Les autres disent qu’il se déclara
meilleur qu’Artémis à la chasse214. 5. Il n’est pas
invraisemblable que ce soit pour ces deux motifs que la
déesse fut irritée contre lui. Soit qu’il ait, en effet, abusé des
prises de chasses offertes pour satisfaire son propre désir et
contraindre la déesse qui ne voulait pas prendre part aux
noces, soit qu’il ait eu l’audace de dire qu’il était un chasseur
meilleur qu’elle, alors que même des dieux ont renoncé à
rivaliser à la chasse avec elle : la déesse conçut contre lui une
colère qu’on peut reconnaître juste. En somme, il est
vraisemblable qu’elle métamorphosa Actéon qui prit l’aspect
des bêtes sauvages prises et fut tué par ses chiens qui
prenaient pour proies toutes les bêtes sauvages.
LXXXII. 1. Après la mort d’Actéon, Aristée se rendit,
disent-ils, à l’oracle de son père et Apollon lui prédit son
émigration pour l’île de Kéos et les honneurs qu’il recevrait
des habitants de Kéos. 2. Il fit voile jusqu’à cette île, et,
comme un fléau s’était abattu sur la Grèce, il fit un sacrifice
pour le salut de tous les Grecs. Comme ce sacrifice eut lieu
pendant que se levait l’astre brûlant215, au moment où les
vents étésiens216 se mettaient à souffler, les maladies
pestilentielles prirent fin. 3. Quelqu’un qui reconsidérerait
cet événement s’étonnerait à bon droit de la singularité de
cette péripétie : alors que son fils est mort, tué par ses
propres chiens, c’est lui qui, grâce à l’astre qui, parmi les
astres du ciel, portait le même nom217 et qui était considéré
comme destructeur, délivra les hommes, et fut responsable
du salut des autres218. 4. Aristée laissa, disent-ils, des
descendants à Kéos et, par la suite, retourna en Libye, d’où il
reprit le large, grâce à sa mère, une nymphe (ou Nympha), et
aborda dans l’île de Sardaigne. Il s’y installa et, s’étant pris
d’affection pour cette île en raison de sa beauté, il la couvrit
de plantations et civilisa cette terre auparavant sauvage. Sur
cette île, il engendra deux enfants, Charmos et Callicarpos. 5.
Par la suite, il parcourut d’autres îles et passa un certain
temps en Sicile : en raison de l’abondance des fruits qu’on
trouvait dans cette île et de la quantité de troupeaux qui s’y
repaissaient, il mit tous ses efforts à prodiguer aux indigènes
les bienfaits qui lui étaient propres. C’est pourquoi, disent-ils,
Aristée fut particulièrement honoré de la part des habitants
de Sicile, comme un dieu, et surtout par ceux qui récoltaient
le fruit des oliviers219. 6. Finalement, content les mythes, il
aborda en Thrace, prit part aux mystères en présence de
Dionysos, passa du temps auprès du dieu et apprit de lui
nombre de connaissances utiles. Il séjourna un certain temps
près du mont appelé Haimos ; disparut et reçut des honneurs
immortels, non seulement de la part des barbares qui
vivaient là, mais aussi de la part des Grecs.
LXXXIII. 1. A propos d’Aristée, nous nous contenterons de
ce qui a été dit, et nous allons nous efforcer d’exposer ce qui
concerne Daphnis et Eryx220. D’Aphrodite et de Boutés, un roi
indigène particulièrement renommé221, naquit, disent-ils, un
fils, Éryx : il fut admiré par les indigènes en raison de sa
noble naissance par sa mère et régna sur une partie de l’île.
De plus, il fonda une cité considérable qui portait son nom et
qui se trouvait située sur un lieu élevé. Sur les hauteurs, à
l’intérieur de la cité, il construisit un sanctuaire dédié à sa
mère et l’orna d’un temple et d’une multitude d’offrandes
votives. 2. En raison de la piété des indigènes envers elle et
en raison de l’honneur que lui accordait le fils qu’elle avait
enfanté, la déesse fut très profondément attachée à cette cité.
Aussi fut-elle appelée Aphrodite Érycine. Qui examinerait la
renommée qu’eut ce temple, s’étonnerait à bon droit : les
autres sanctuaires, en effet, ont connu leurs heures de gloire,
puis souvent, à la suite de certains événements, leur renom a
diminué ; ce temple est le seul, fondé de tout temps, qui
jamais ne cessa d’être honoré, mais qui, au contraire, connut
même continuellement une prospérité allant toujours
croissant. 4. Ces honneurs reçus par Éryx, ce fut plus tard
Énée, le fils d’Aphrodite, qui, naviguant vers l’Italie, aborda
dans cette île et orna ce temple de nombreuses offrandes
votives, puisque c’était le temple de sa propre mère. Après
lui, pendant de nombreuses générations, les Sicaniens
honorèrent la déesse et ornèrent continuellement le temple
par des sacrifices magnifiques et des offrandes. Par la suite,
les Carthaginois, après s’être rendus maîtres d’une partie de
la Sicile, continuèrent à rendre des honneurs particuliers à la
déesse. Et enfin, les Romains, après avoir pris possession de
toute la Sicile, surpassèrent tous ceux qui les avaient
précédés par les honneurs qu’ils lui rendirent. 5. Et ils le
faisaient avec raison, puisqu’ils font remonter leur origine à
cette déesse, et c’est pour cette raison qu’ils sont heureux
dans ce qu’ils entreprennent ; ils lui rendaient donc,
puisqu’elle était la raison de leur accroissement, les
témoignages de gratitude et les honneurs qui convenaient. 6.
Les consuls et les prêteurs, par exemple, qui abordent dans
cette île, ainsi que tous ceux qui y séjournent, en exerçant
une charge, chaque fois qu’ils arrivent au mont Éryx, ornent
le « téménos » de sacrifices et d’honneurs magnifiques. De
plus, ils abandonnent l’austérité qu’impose leur charge et se
tournent vers les jeux et les réunions entre femmes avec un
très grand enjouement : c’est seulement ainsi, pensent-ils,
qu’ils rendront leur présence agréable à la déesse. 7. Le sénat
romain mit tant d’ardeur à vouloir honorer la déesse, qu’il
décréta que les dix-sept cités de Sicile les plus fidèles à Rome
paieraient à Aphrodite des tributs en or et que deux cents
soldats surveilleraient le temple. Concernant Éryx, même si
nous nous sommes trop longuement étendu, nous avons
néanmoins rapporté le récit qui touche à cette déesse de
façon appropriée.
LXXXIV. 1. Nous allons à présent nous efforcer d’exposer
ce que les mythes racontent sur Daphnis. En Sicile, se
trouvent les monts d’Héra, qui sont, disent-ils, bien pourvus
par la nature pour le repos et la jouissance de la saison
estivale, grâce à la beauté, à la nature et au caractère
particulier des lieux. On y trouve, en effet, de nombreuses
sources remarquables par la douce saveur de leurs eaux et
ses monts sont couverts d’arbres de toutes sortes. Il y a aussi
une multitude de grands chênes qui portent des glands qui
diffèrent des autres par leur taille puisqu’ils sont le double de
ceux qui poussent dans les autres régions. On y trouve
pareillement des fruits cultivés qui ont poussé d’eux-mêmes,
de la vigne qui y pousse en profusion, et une quantité
indicible d’arbres fruitiers222. 2. C’est ainsi qu’un jour, une
armée de Carthaginois, accablée par la famine, y fut
pleinement nourrie : ces montagnes fournirent à des dizaines
de milliers d’hommes des moyens de subsistances qui ne
faisaient jamais défaut. C’est dans cette région, là où se
trouve une vallée couverte d’arbres, digne d’un dieu, et un
bois consacré aux Nymphes, content les mythes, que naquit
celui que l’on appelle Daphnis, le fils d’Hermès et d’une
Nymphe ; son nom, Daphnis, lui vint du laurier (daphné) qui
poussait là en grande quantité et très concentré. 3. Il fut
élevé par des Nymphes, et possédait d’immenses troupeaux
de bœufs dont il en prenait grand soin. C’est pour cette
raison qu’il fut aussi appelé Bouvier (Boucolos). Pourvu d’un
remarquable don naturel pour le chant harmonieux, il
inventa le poème et chant bucolique qui continue à être
aujourd’hui encore apprécié en Sicile. 4. Daphnis, qui
accompagnait Artémis dans ses chasses, servait, content les
mythes, la déesse d’une agréable manière, et la charmait tout
particulièrement par sa flûte de Pan et des chansons
pastorales. L’une des Nymphes, racontent-ils, s’était éprise de
lui, elle prédit que, s’il s’unissait intimement à une autre
femme, il serait privé du sens de la vue : rendu ivre par une
fille de roi, il s’unit intimement avec elle et fut privé du sens
de la vue, conformément à la prédiction faite par la Nymphe.
Concernant Daphnis, que suffise ce que nous avons dit223.
LXXXV. 1. Nous allons à présent parcourir ce que les
mythes racontent sur Orion224. Celui-ci, en effet, surpassait
de beaucoup, dit-on, par sa taille et par sa puissance, tous les
héros dont nous avons gardé le souvenir ; il affectionnait la
chasse et réalisa de grandes œuvres, en raison de sa force et
de son amour de la gloire. En Sicile, par exemple, il
construisit certaines œuvres pour Zanklos, qui régnait alors
sur la cité qui tirait de lui son nom, Zanklè, et qui est à
présent appelée Messène ; il construisit, en particulier, le
port, en formant des atterrissements, et fit ce que l’on
appelait l’Aktê (« promontoire »). 2. Mais puisque nous vons
mentionné Messène (Messine), il ne nous semble pas
inapproprié d’ajouter à ce qui a déjà été dit les récits qui
touchent à son détroit. 3. Les mythographes anciens disent,
en effet, que la Sicile était auparavant une presqu’île et
qu’elle devint plus tard une île pour les raisons suivantes :
comme la mer brisait ses flots contre les deux côtés de
l’isthme, il se rompit (anarrhègnumi) à l’endroit le plus étroit ;
c’est pourquoi ce lieu fut appelé « Rhégium », et la cité qui,
bien des années plus tard, y fut fondée reçut le même nom. 4.
Certains disent cependant, que le bras de terre qui la reliait
au continent se rompit lors de forts tremblements de terre et
qu’ainsi apparut ce détroit, puisque la mer sépara le
continent de l’île. 5. Mais le poète Hésiode dit le contraire :
une fois que la mer se fut étendue entre l’île et le continent,
Orion forma par des digues le promontoire où se trouve le
cap Pelôron, y construisit le sanctuaire de Poséidon,
particulièrement honoré par les indigènes. Après avoir
achevé ce travail, il émigra à Euboia et s’y installa. En raison
de sa renommée, il fut mis au nombre des étoiles du ciel et
son souvenir se trouva ainsi immortalisé225. 6. Le poète
Homère, également, fait mention de lui dans la « Nékyia »,
lorsqu’il dit :
« Après lui, j’aperçus le géant Orion qui chassait dans
le pré d’Asphodèle, les bêtes sauvages tout ensemble
qu’il avait tuées dans les monts solitaires ; il avait dans
les mains une massue toute de bronze, que rien n’avait
pu briser. » 226
7. De la même façon, afin de montrer clairement comme il
était grand, tandis qu’il avait parlé auparavant des fils
d’Alôeus, en expliquant qu’ils étaient, à neuf ans, larges de
neuf coudées et longs du même nombre de brasses, il ajoute :
« C’étaient bien les plus grands que la terre féconde ait
nourris et de loin les plus beaux aussi, après le célèbre
Orion. » 227
Pour notre part, puisque nous nous sommes suffisamment
étendu, conformément à notre projet initial, sur les héros et
les demi-dieux, nous allons mettre un terme à ce livre-ci.
NOTES

Introduction
1. Soulignons pourtant les rubriques qui lui rendent justice dans La
littérature grecque d’Alexandre à Justinien, S. Saïd, Que sais-je ? n° 2523,
1990, et dans La littérature gréco-romaine, Anthologie historique, J.-Cl.
Carrière, J. Gaillard, R. Martin, O. Mortier-Waldschmidt, Paris, 1994,
p. 470-471. Et les articles qui tendent à le réhabiliter, comme celui
de Fr. Chamoux, « Un historien mal-aimé : Diodore de Sicile », BAGB,
1990, p. 243-252.

2. Bibliothèque, cod. 70, éd. R. Henry, Les Belles Lettres, t. l, p. 103.


Tel Callimaque dans ses Aitia.
3.
En III, 52, 3 et 66, 5, Diodore mentionne expressément l’un d’entre
4. eux, Dionysios Skytobrachion de Mytilène, Denys « Bras-de-cuir »,
qui, au IIe siècle, « a rassemblé ce qu’on sait des Argonautes et de
Dionysos, et bien d’autres histoires remontant aux époques les plus
reculées ».

5. Évhémère de Messène prétendait au IVe siècle finissant que « tous


ceux qui reçoivent un culte à titre de dieux furent des hommes et
les premiers et les plus grands d’entre eux furent des rois ; (…) ils
furent gratifiés d’honneurs divins après leur mort ». (Lactance, De la
colère divine, II, 7, 8.)

6. Voir les jugements sévères de A. Moreau, Le mythe de Jason et Médée,


Paris, Les Belles Lettres, 1994. Dans un ouvrage par ailleurs
passionnant, l’auteur qualifie le traitement rationaliste de Diodore
de « résultat désastreux » : « … réduction et appauvrissement des
mythes, ramenés à un squelette desséché » (p. 232).

7. Expression de Fr. Chamoux, « Diodore de Sicile et la Libye », QAL,


XII, 1987, p. 57-65.

8. « En tant que bienfaiteurs publics, certains d’entre eux ont été


honorés, (…) et la voix de l’Histoire les a tous célébrés pour la suite
de l’âge par des louanges à leur mesure. »

9. 20, 1-3.
10. Voir les chefs messéniens tant vantés par Pausanias au livre IV,
Aristoménès ou Aristodémos, qui savent allier courage et prudence.

11. Les notes sur la mission civilisatrice d’Héraclès en Occident


s’inspireront abondamment du livre de C. Jourdain-Annequin,
Héraclès aux portes du soir, Paris, 1989.

Livre IV
1. Résignation prémonitoire quand on sait la piteuse réputation de
Diodore, à peine mentionné dans les diverses Histoires de la
littérature.

2. C’est effectivement ce qui fait la grande originalité de Diodore par


rapport à Ephore : Ephore a beau être le premier auteur d’une
Histoire Universelle, il se cantonnait à l’histoire (après la guerre de
Troie), alors que Diodore remonte aux origines, s’ouvrant non
seulement à la mythologie, mais aussi, dans ce livre IV, à la
Cosmogonie, entreprise suffisamment rare pour qu’hommage lui
soit rendu.

3. Apparaissent en filigrane les conceptions d’Évhémère qui ont tant


influencé les auteurs hellénistiques.

4. Le livre précédent (III) était consacré aux peuples de l’Afrique,


Éthiopiens et Libyens, après avoir parcouru l’Orient asiatique (II) et
l’Égypte (I). Voir le volume paru dans la CUF, où Diodore est traduit
par B. Bommclær.

5. Dionysos : Diodore en a déjà parlé dans ses livres précédents (I, 15,
6 ; 19, 7). Et dans le livre III, il a déjà consacré de longs passages à ce
dieu ; à ces dieux plutôt, puisqu’il y en a plusieurs, qu’il a d’ailleurs
énumérés d’après les mythographes et les poètes (§ 62 à 66). Et c’est
sur l’image du Dionysos libyen que s’achève le livre III. C’est donc
tout naturellement que le livre IV commence avec le Dionysos grec.

6. C’est parce qu’elle est tombée dans le piège de la jalousie d’Héra et


parce que ses sœurs, incrédules, se moquaient d’elle que Sémélè
demanda présomptueusement de la lumière.

7. Dionysos arriva à terme dans la cuisse de son père, comme Athéna


issue de sa tête dans le mythe hésiodique. On remarque que Diodore
gomme le merveilleux, ce qu’il ne cessera de faire tout au long de
son récit, avec beaucoup d’embarras parfois.

8. Nysa a été placée un peu partout du Caucase à l’Inde et de l’Arabie


jusqu’aux Canaries (voir III, 68 où Diodore parle de la grotte de Nysa
près du fleuve Triton). Diodore ne dit rien de son éducation « de
jeune fille » aux bons soins d’Ino et Athamas.
9. Cf Hymnes Homériques, I, vers 8-9.
La terminologie est la même que celle qui sera employée pour
10.
Héraclès : Dionysos a posé à l’est les limites de l’oikoumène, Héraclès
fera de même à l’ouest.

11. Diodore en a déjà parlé (I, 20, 4), à propos d’Osiris : « Dans les
régions où le sol ne permettait pas la culture de la vigne, il enseigna
la préparation d’une boisson tirée de l’orge, qui n’était guère
inférieure au vin par son arôme et sa force ». A l’époque grecque, il
semble que c’était la boisson du peuple en Égypte ; Srabon témoigne
qu’à son époque, à Alexandrie, seule la masse populaire en boit.

12. C’est un Dionysos très humain, justicier et libérateur, que Diodore


va peindre dans ces passages, sans omettre cependant son cortège
féminin traditionnel.

13. C’est de l’actualité politique que Diodore introduit ici dans le mythe.
H. Jeanmaire (Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, 1978, p. 366-
367) montre que l’époque hellénistique a vu les cités grecques
revendiquer à nouveau leur indépendance, ce qu’exploitaient
parfois à leur profit certains princes comme Démétrius.

14. Le souvenir d’Alexandre est très prégnant, avec ce spectacle du


triomphateur chargé de butin juché sur son éléphant. Le voyage
civilisateur de Dionysos en Inde tel qu’il était raconté au Ve siècle
est devenu une campagne militaire avec escadrons de satyres et de
ménades.

15. Ce texte est précieux car il est le seul à parler de ces fêtes triétérides
peu connues par ailleurs. Mais les mystères demeurent : on ne sait si
ces rassemblements avaient lieu la nuit ou le jour, en plein air dans
la montagne ou dans un sanctuaire. Diodore ne précise ni le lieu ni
le temps, soulignant seulement que ces fêtes sont communes à
« beaucoup de villes grecques ». Il n’en reste pas moins que le texte
de Diodore montre un traitement différent des jeunes filles et des
femmes, au cours de ces fêtes, comme s’il s’agissait de rites
initiatiques à degrés différents selon l’âge des femmes, initiation
complète chez les matrones, initiation de débutantes chez les
jeunes filles. Voir à ce sujet H. Jeanmaire, op. cit., Paris, 1978, p.171-
174.

16. Pour Dionysos Agathodémon, voir aussi Athénée X, 675. Le bon


génie est une sorte de « principe de vie ». On voit que le mélange
vin-eau est censé corriger la mania qui se trouve dans le vin pur.

17. Zeus Sôter (« Zeus sauveur ») : Dans les banquets, on remplissait


trois cratères ; la libation du premier se faisait, semble-t-il, en
l’honneur de l’Olympien, l’autre en l’honneur des héros, et la
troisième en l’honneur de Zeus sauveur (parce que moins nocif,
puisque mêlé à de l’eau). On trouve même plusieurs fois dans Platon
une locution proverbiale empruntée à cette coutume : « Le
troisième coup est le bon. »

18. La notion de bienfait est omniprésente chez Diodore, qui tient à


offrir des exempla aux lecteurs : dieux, héros, hommes sont tous
capables de servir l’humanité. Les dieux sont bien sûr des modèles
d’excellence.

19. Sabazios : dieu phrygien rattaché au monde grec par son culte à
mystères, qui trouva une large adhésion sous l’Empire romain.
Dionysos-Sabazios et Dionysos-Zagreus, le « serpent cornu », sont
assimilés. Le dieu phrygien bénéficiait d’un culte orgiastique dont
les excès correspondaient parfaitement à ceux de Dionysos Zagreus,
culte marginal qu’on rejetait volontiers dans le camp des barbares.

20. Cette version ignore Sémélè la Thébaine et reprend le mythe


d’origine du dieu issu de la Terre fécondée par le feu céleste.
Perséphone est la déesse chthonienne par excellence. La tradition
sur Dionysos était si foisonnante qu’il a fallu créer des oppositions
comme celle-ci, avec plusieurs Dionsysos qui se seraient imités les
uns les autres. Le plus ancien est fils de Perséphone, dieu chthonien,
dieu cornu inventeur de l’agriculture et de l’attelage. Son culte était
nocturne, pour cacher la honte que suscitaient ses rites primitifs. Le
culte du jeune et beau dieu fils de Sémélè a prévalu à partir du IVe
siècle. A tous ces Dionysos s’ajoutent les divinités revendiquées par
les autres nations, le Dionysos-Osiris égyptien, le Dionysos indien, le
Dionysos libyen, etc. C’est un dieu que la loi cyclique de l’Histoire
ramène régulièrement sous diverses formes.

21. Diodore n’insiste guère sur les débordements amoureux du dieu. Il


en parle de façon évasive : les rites honteux de Dionysos « aîné », ses
« plaisirs amoureux »…

22. En III, 62, 5, Diodore donne une autre explication de ce nom.


Cette épithète s’insère dans une longue série associant Dionysos au
23.
feu, aux flammes, à la lumière, « puroès » (Nonnos, Dion. 21, 222,
etc.), « puripais » (Oppien, Gynég., 4, 287), « lamptèr », tout en étant
par ailleurs « chthonien », divinité souterraine à figure sombre.
Personnage constamment double tel que Diodore le décrit peu
après.

24. Diodore ajoute là aux données mythiques un détail bien de son


temps : c’est justement à son époque que se développent les
associations d’artistes de théâtre, groupées en véritable fédération,
réunies périodiquement en congrès. Ces artistes « dionysiaques »
organisent de grands spectacles et processions, comme celle,
magistrale, qui eut lieu à Alexandrie sous Ptolémée II Philopator
désireux de diviniser Ptolémée I, le « Sauveur ».

25. Diodore progresse souvent par associations d’idées : il passera de la


même façon de Priape aux Muses, liées elles aussi à Dionysos (VII, 1-
4).

26. Les Titans sont les fils d’Ouranos et de Gaia.


On voit ici à quel point Dionysos et Priape sont liés, tous deux
27.
assimilés au dieu Osiris (voir IV, I, 6). L’ithyphallisme leur est
commun, ils sont tous les deux protecteurs des jardins.

28. Le syncrétisme Osiris-Dionysos avait été voulu par les Lagides, et


son influence dans le monde romain sera bien mise en valeur par
Plutarque (Isis et Osiris) et Apulée (Les Métamorphoses).
L’hermaphrodite est traditionnellement le résultat de l’union
éternelle entre Hermaphrodite et une nymphe, qui ne formèrent
plus qu’une seule personne à double nature.

29. Alcman : poète lydien du VIIe siècle avant notre ère qui écrivit des
hymnes pour des marches ou des danses en l’honneur de dieux. Ils
étaient chantés par un chœur de jeunes filles ou d’hommes avec
accompagnement de cithare et de flûte.

30. Cf Théogonie, vers 77 à 79. Homère (surtout) et Hésiode représentent


pour Diodore l’essentiel de la grande poésie épique et généalogique.
Ils sont parfois associés comme ici, parfois cités séparément
(Hésiode en IV, 85, 5 ; V, 66, 6 ; Homère en III, 2, 3 ; 56, 2 ; IV, 32, 2 ;
39, 3 ; 49, 7, etc.). Homère est « le poète » par excellence (IV, 39, 3),
les autres sont très rarement mentionnés (Alcman en IV, 7, 1), cités
en général pour la fiction dont ils ornent les mythes (par exemple
les tragiques en IV, 56, 1). Homère et les mythographes (qui restent
le plus souvent anonymes) sont ses sources privilégiées avec bien
sûr, pour d’autres sections, les historiens eux-mêmes. Il est à
remarquer d’ailleurs qu’à propos d’Héraclès, il cite à plusieurs
reprises les mythographes, Homère une fois (IV, 32, 2) et un
historien, Timée en l’occurrence, deux fois (IV, 21, 7 et 22, 6). Timée
est là pour apporter sa caution d’historien aux dires des
mythologues (21, 7).

31. On leur prête néanmoins des aventures amoureuses puisque


Calliope est mère d’Orphée, Clio mère de Hyacinthos, etc.

32. Pour l’étymologie du mot, voir le DELG de P. Chantraine, sv. mousa.


On sent bien là le relatif embarras de Diodore face aux mythologies
33.
et à l’impasse dans laquelle il se trouve quand il cherche à concilier
l’inconciliable : respecter à la fois le foisonnement mythique et la
rigueur historique. Cette mise en garde est révélatrice de l’attitude
d’un Grec cultivé d’époque romaine, face à la tradition. La difficulté
est proportionnelle à la grandeur du héros, qui rend la
rationalisation bien difficile dans le cas d’Héraclès : lecture critique
du mythe tempérée par le respect dû aux ancêtres, c’est la
« coexistence non pacifique de deux programmes de vérité, dont
l’un était critique et le second respectueux » (P. Veyne, Les Grecs ont-
ils cru à leurs mythes, p. 59).

34. Mais dans la mesure où Héraclès a été un bienfaiteur de l’humanité,


mythe et histoire se rejoignent et l’historien doit transmettre cette
tradition qui est là pour guider l’homme moderne (I, 1, 1-5). La
vérité du mythe n’est pas pour lui à lire au premier degré : elle est à
interpréter, comme Évhémère le disait déjà, comme Pausanias le
répétera (VIII, 8, 3 : « Les sages de la Grèce nous ont caché
d’importantes vérités sous des énigmes »). Les héros sont ainsi des
modèles, qui doivent « disposer les caractères à l’excellence »,
« former les mœurs en vue du beau et du bien » (I, 2, 2), et dont les
actions « restent dans la mémoire toute l’éternité, célébrées par la
bouche toute divine de l’histoire » (I, 2, 3). Le mythe y gagne un
surcroît de sens (pour l’historien, car le mythologue y perd
beaucoup !). Le lecteur qui veut retrouver dans la geste d’Héraclès
un résumé du mythe archaïque a tout intérêt à interroger plutôt la
Bibliothèque d’Apollodore. L’historien trouvera chez Diodore
l’évolution que les enquêtes historiques ont petit à petit imposée au
mythe (voir P. Veyne, op. cit., p. 57).

35. C’est une véritable biographie du héros qu’entame Diodore ici,


depuis sa naissance jusqu’à son apothéose et son mariage avec
Hébé, fille d’Héra. Le dodecathlos en formera la plus grande partie.

36. Diodore est ici fidèle à la tradition homérique puisque c’est dès
avant sa naissance qu’Héra se montre jalouse, l’éloignant du
pouvoir par une ruse. L’allaitement du bébé par Héra est un signe
avant-coureur de l’adoption future d’Héraclès par les dieux. Comme
dans les poèmes homériques, on perçoit les querelles, les rivalités
entre les dieux (ici, Héra jalouse des enfants de son époux volage).
L’enfant sera finalement adopté par Héra en 39, 3.

37. Héraclès est en tous points un être humain comme les autres :
formation intellectuelle et sportive, éphébie rituelle, il prouve que
l’éducation est déterminante pour l’avenir d’un individu et que
tous, peu ou prou, peuvent atteindre à une forme d’héroïsme.

38. Encore une fois, c’est avec des forces armées colossales que la lutte
pour la justice triomphe. Cette guerre est complètement inhumaine
et n’a rien d’héroïque : armures, dépouilles d’ennemis, ville mise à
sac, puis mariage politique (traité d’alliance) et gestion des affaires
publiques.

39. Comme chez Apollodore (II, 4, 12), c’est l’oracle d’Apollon qui lui
impose le dodecathlos. Sophocle évoquait « les prédictions de
l’antique oracle » (Trach. 824). Pour la constitution du dodecathlos
dans l’art et la littérature, voir F. Brommer, Herakles, die zwölf Taten
des Helden in antiker Kunst und Literatur, Münster-Köln, 1953.

40. Curieusement, les épreuves du lion de Némée, de l’hydre de Lerne,


du sanglier d’Érymanthe et de la biche aux cornes d’or (13, 1) sont
très sommairement rapportées, de même que la poursuite des
oiseaux du lac Stymphale (13, 2) et l’épreuve des écuries d’Augias
(13, 3). En revanche, au milieu de ces épreuves consacrées par la
tradition et néanmoins négligées, est développé le combat chez
Pholos contre les Centaures (12, 3), épisode à part entière qui
semble jouir d’une grande popularité dans l’Occident grec.

41. Ce lion n’est plus le « fléau des humains » d’Hésiode (Théog. 328-
330), ni le « fléau des bouviers » de Sophocle (Trach. 1092). Même
remarque concernant la biche, « fléau pour les paysans » chez
Euripide (Héraclès 377), le sanglier et l’hydre qui chez Apollodore
ruinent et ravagent le pays : est-ce pour éviter de peindre un pays
grec resté trop sauvage ? Diodore insistera surtout sur la mission
civilisatrice des pays en marge, des pays barbares, et restera très
allusif sur le passé inculte du continent grec.

42. Leurs armes (tronc d’arbre, rocher, hache) sont typiques de leur
symbolique : les Centaures représentent la barbarie qu’Héraclès se
doit d’éradiquer. Voir E. Janssens, « Le Pélion, le Centaure et la
sagesse archaïque », Hommages à Claire Préaux, Bruxelles, 1975,
p. 325-337. On rejoint les « monstres de la montagne » dont parlait
Homère (Il. I, 468).

43. Héraclès est le redresseur de torts, « le plus juste des assassins »,


comme l’appelait Pisandre de Rhodes (fr. 10 Kinkel).

44. Pausanias est plus catégorique : ces oiseaux mangeaient la chair


humaine (VIII, 22, 4). Diodore veut-il atténuer la barbarie de
l’antique pays grec ?

45. Tâche dégradante. Diodore insiste sur le caractère humiliant de


l’épreuve et passe très vite sur l’épisode.

46. Après avoir purgé la terre de ses monstres, Héraclès devient


fondateur de cultes. Diodore insiste sur sa vocation désintéressée de
bienfaiteur de l’humanité.
47. Après les bienfaits, les récompenses. Que les hommes retiennent la
leçon : leurs belles actions leur vaudront des avantages.

48. Véritable leitmotiv qui aide à introduire la rencontre avec


Prométhée, autre bienfaiteur de l’humanité.

49. Les épisodes suivants seront plus développés que les épreuves
purement grecques : plus Héraclès s’éloigne du territoire grec,
censé être depuis longtemps civilisé, plus sa mission civilisatrice est
importante et justifiée.

50. Belle mission civilisatrice dans la mesure où les Amazones


s’opposent à la normalité grecque de la femme effacée et
silencieuse, chère à Sophocle ou Thucydide.

51. L’épisode des vaches de Géryon, épuré du merveilleux mais


fortement enrichi (voir notes suivantes), occupe à peu près la
moitié du récit des travaux d’Héraclès.

52. Encore une fois, Héraclès n’est pas un héros solitaire et invincible,
mais un être humain très bien secondé, entouré d’importantes
forces militaires.

53. Le monstre triple de la tradition (Apollodore II, 106, et déjà le


tricéphale d’Hésiode, Théog. 287) s’est transformé en trois guerriers
qui commandent trois armées séparées, fils du roi d’Ibérie Chrysaor.
Héraclès devient un chef de guerre civilisant, acculturant les
barbares. Au-delà de la lecture initiatique (G. Dumézil a retrouvé
partout dans les mythes indo-européens ce démon tricéphale, voir
Horace et les Curiares, Paris, 1942), on saisit chez Diodore la
récupération politique du héros, qu’il va mettre en œuvre jusqu’au
bout de sa logique.

54. Cette purge des bêtes sauvages est la première d’une longue série où
Héraclès va se montrer le champion de la civilisation : il triomphe
soit d’une nature qu’il doit discipliner (Crète, Libye), soit d’êtres
barbares qui ont perdu chez Diodore leur filiation autochtone et
divine (Antée et autres « dirigeants criminels » en 17, 6, Busiris en
18, 1, les Celtes en 19, 1-4), et qui ont tous la mauvaise habitude de
tuer les étrangers. Ce qui est simplement allusif chez d’autres
(Apollodore par exemple) devient ici lourd d’idéologie et de
moralisation : la nature doit faire place à la culture, le barbare doit
s’incliner devant la société policée.

55. Effort un peu fastidieux de rationalisation, mais que Freud ne


renierait pas !

56. L’histoire des vaches de Géryon est très différente de celle de la


tradition : les monstres descendant de Phorkys (Hésiode) ne sont
même pas mentionnés, aucune traversée magique comme chez
Stésichore dans le dépas du soleil. Mais toute une série d’exploits
« humains ».

57. Ce « bon roi » s’oppose parfaitement dans sa définition (pieux et


juste) aux mauvais exemples qu’Héraclès se charge d’éliminer.

58. Si Diodore néglige quelque peu le destin de ce troupeau (il


abandonnera ce qui reste du troupeau « sur la route du
Péloponnèse »), les bêtes lui servent néanmoins à fonder des cultes
tout au long de son trajet : en Sicile également, le plus beau des
taureaux sera sacrifié près de la source Cyanè (23, 4), et les sacrifices
dédiés à Géryon et Iolaos (24, 3-4) le sont peut-être à même le
troupeau. Ces bovins sont les ancêtres de ces bêtes vouées au
sacrifice dans les sanctuaires grecs. Héraclès rejoint Hermès (Hymne
à Hermès), autre pourvoyeur de sacrifices.

59. C’est encore une preuve de sa volonté d’organiser, d’agencer le


monde : outre un souvenir de ses exploits, la présence de ce détroit
a une fin utilitaire, empêcher les monstres marins d’entrer en
Méditerranée, ou bien ouvrir, élargir les limites du monde civilisé.
Tout comme il avait purgé les terres des animaux féroces, Héraclès
nettoie la mer de sa sauvagerie. A un autre niveau, on peut voir
dans ces colonnes le signe d’une collusion entre Héraclès et le
Tyrien Melqart, dont les temples (en Orient et en Occident) étaient
traditionnellement flanqués de ce genre de structure.

60. Cette cluse du Tempé pouvait avoir été, d’après d’autres versions,
l’œuvre de Zeus, au temps du Déluge (version reprise par
Apollodore, Bibl. I, 47, 2). Voir aussi les scholies de l’Iliade (A 126
Dindorf) et du Timée de Platon (22a, p. 283 Greene). En faire une
œuvre d’Héraclès insiste sur le côté systématique de son action
civilisatrice, dans tous les domaines.

61. Punition des méchants : méchants animaux, méchants barbares et


méchants peuples, Héraclès est un justicier avant tout. Et en tant
que fondateur de cités et de cultes, il harmonise le monde des
hommes (Grecs/Barbares) et les relations entre les hommes et les
dieux.

62. Héraclès « ktistês » a donc fondé Hécatompyle en Libye, Alésia, plus


loin Crotone (24, 7) ; d’autres fondations lui sont ailleurs attribuées
(Sagonte et Bauli, voir Silius Italicus, I, 273 et XII, 156 ; Herculanum,
voir Denys d’Halicarnasse I, 44…)

63. Diodore ne croit guère aux bienfaits du métissage. Les indigènes


n’ont que le droit de s’acculturer, de se « civiliser » au contact des
Grecs et des Romains. Sinon ils mettent en danger toute la
communauté.
64. C’est ainsi que le mythe rejoint l’histoire puisque Jules César est
présenté ici comme un nouvel Héraclès : le mythe a bien joué son
rôle de modèle pour les générations futures, et Jules César est
divinisé pour ses exploits comme Héraclès l’avait été. Jules César a
triomphé de cette ville redevenue « barbare » avec le temps comme
Héraclès triompha des barbares Busiris, Antée et autres Celtes.

65. L’égalité dans le travail entre hommes et femmes est un topos qui
touche d’une façon générale tous les peuples qui vivent en pays
celte. Topos non dénué de fondement d’ailleurs quand on songe à la
place de la femme celte dans cette société. Cette parenthèse sur les
Ligures illustre bien la volonté de Diodore de faire d’Héraclès un
héros de l’Histoire tout autant que du Mythe : Héraclès intervient
dans un contexte tout à fait contemporain de Diodore, ce sont les
Ligures de Jules César, rudes comme leur pays.

66. Voilà une parenthèse à la gloire de Rome, qui « récupère » ainsi le


héros civilisateur. On a la preuve ici que Diodore, comme il l’a dit au
tout début de son œuvre (I, 4, 4), a abondamment puisé dans la
documentation romaine. Il n’est aucunement question du vol du
troupeau par Cacus, comme chez Virgile ou Properce (Énéide, 8, 193 ;
Élégies, IV, 9). Pour l’Hercule romain, voir l’ouvrage de J. Bayet, Les
Origines de l’Hercule romain, Paris, 1926. Il est amusant de constater la
façon dont il encourage les généreux donateurs.

67. Cette gigantomachie est encore une occasion pour Héraclès de


civiliser la contrée, dans la lignée des exploits précédents : animaux,
rois barbares et Géants participent tous de cette sauvagerie qu’il
s’agit d’éradiquer. Timée, historien sérieux pour Diodore, vient ici
apporter sa caution aux mythographes. On peut avoir une lecture
« coloniale » du mythe d’Héraclès en Occident, et suivre par
exemple N. Valenza Mele, « Eracle euboico a Cuma, la
gigantomachia e la via heraclea », Recherches sur les cultes grecs et
l’Occident, I, Cahiers du Centre jean Bérard, V, Naples, 1979, p. 19-51 et,
après elle, C. Jourdain-Annequin, op.cit., p. 274. La gigantomachie
située en Chalcidique (Phlègres) et en Campanie (Champs
phlégréens) renvoie à l’image de la civilisation eubéenne semant la
civilisation sur son passage. Les exploits d’Héraclès apporteraient
ainsi leur justification à la colonisation grecque de l’époque
historique.

68. Cette voie répondait à des exigences stratégiques et favorisait aussi


l’exploitation des sulfatares et des mines de Leucogées. Ce passage
témoigne, comme la gigantomachie, de l’importance de la cité de
Cumes pendant l’époque coloniale.
69. Les aventures occidentales d’Héraclès ont chez l’auteur sicilien plus
de relief que ses exploits grecs et orientaux. Outre son origine, il
faut rappeler que sa documentation est largement romaine, d’où
son insistance sur cette partie ouest de la Méditerranée (I, 4, 4 :
« Disposant d’une grande expérience de la langue romaine […], nous
avons recueilli avec précision tous les faits de cet empire dans les
documents qu’ils ont conservés chez eux depuis longtemps. »)

70. Boutés est à l’origine un bouvier sicilien, amant d’Aphrodite


Erycine. Voir en IV, 83, 1.

71. La lutte contre Éryx et le culte qui lui est rendu sont repris en IV, 83.
Culte rendu par les Sicanes, puis par les Carthaginois, les Romains…
Enée prendra la suite d’Éryx (tous deux fils d’Aphrodite). Culte très
complexe puisque, trouvé sans doute à leur arrivée par les colons
grecs, il fut sans cesse récupéré, réinterprété politiquement dans le
sens d’une activité dominatrice des nouveaux arrivés sur les
indigènes.

72. C’est encore l’occasion de relier un épisode mythique (la lutte


d’Héraclès contre Éryx) et un épisode de colonisation historique
(fondation d’une colonie par Dorieus, qui est donné d’ailleurs pour
le descendant d’Héraclès). Soit que le mythe ait donné l’idée aux
hommes de réitérer l’exploit, soit qu’il vienne justifier l’expédition a
posteriori, il y a de toute façon volonté évidente de relier les deux
étapes, de lier les aventures d’Héraclès en Occident et celle des
Grecs au même endroit.

73. Toute l’aventure sicilienne est marquée par la volonté, une fois
encore, de montrer comment Héraclès a dû lutter contre une nature
hostile et des héros barbares, dans un grand dessein civilisateur.
Pour une comparaison entre les différentes versions de l’épisode
des bœufs de Géryon (Homère, Hésiode, Apollodore, Diodore), voir
C. Jourdain-Annequin, op. cit., p. 258-273, qui s’appuie sur les
travaux de Propp et de Greimas pour étudier la structure des récits
et leur sens.

74. Il y avait véritablement, lors de l’installation des Grecs en Sicile,


deux cultures bien localisées : les Sicanes dans le Centre et le Sud,
les Sicules dans l’Est. Voir L. Bernabó Brea, La Sicilia prima dei Greci,
Milano, 1958.

75. Sur les chefs cités par Diodore, voir E. Siöqvist, « Heracles in Sicily »,
ORom., IV, 1962, p. 117-123, et la mise au point de C. Jourdain-
Annequin, op. cit., p. 285-290. En étudiant les noms de ces chefs, on
se rend compte qu’Héraclès réussit à vaincre toute une société et
que ce combat a une cohérence parfaite à l’intérieur du mythe,
même si les interprétations divergent.
76. Même remarque ici que précédemment : Héraclès prépare la
colonisation de « la ville qui est maintenant Syracuse », en parfait
héros remplaçant la nature par la culture. Pour l’importance de ce
sanctuaire (la fontaine de Cyané) situé en dehors de la cité, lieu de
convergence des citoyens et des visiteurs (autres Grecs et
indigènes), voir M. Giangiulio, « Greci e non greci in Sicilia alla luce
dei culti e delle leggende di Eracle », Modes de contact et processus de
transformation dans les sociétés anciennes, Colloque de Cortona, Pise-
Rome, 1983, p. 813. Syracuse garde des traces du culte à Héraclès :
voir S. Calderone et L. Agnello, « Fondo di skyphos con dedica ad
Heracles (Siracusa) », Epigraphia, X, 1948, p. 143-145. Voir aussi
Plutarque, Vie de Nicias, 1, 2 et 25, 1. Pour les réserves à l’égard de
cette lecture « coloniale », voir C. Jourdain-Annequin, op. cit., p. 276-
278.

77. Diodore est originaire d’Agyrion, il est donc amusant de lire


qu’Héraclès « admira la beauté de cette région », et d’apprendre que
les habitants sont les premiers à lui avoir accordé les honneurs
divins (alors que ce sont les Athéniens en 39, 1).

78. Création d’un culte ou récupération d’un culte préexistant ? C’est


tout le problème des rapports entre les colons grecs arrivés en Sicile
et les indigènes. Voir J. Bérard, La colonisation grecque de ritalie
méridionale et de la Sicile, Paris, 1957, p. 414 ; G. Vallet, « La
colonisation chalcidienne et l’hellénisation de la Sicile orientale »,
Kokalos, VIII, 1962, p. 30-51 ; L. Bernabó Brea, « Leggenda e
archeologia nella protostoia siciliana », Kokalos, X-XI, 1964-65, p. 1-
34, tous cités par C. Jourdain-Annequin, op. cit., p. 282-283.

79. Les liens entre Héraclès et les rites d’initiation sont bien connus. Les
rites décrits ici, même s’ils apparaissent un peu confus, sont des
rites de passage, avec mort fictive plus ou moins bien comprise à
l’époque de Diodore. Héraclès et Iolaos sont liés dans le culte, trace
de l’homosexualité initiatique qui les unissait sans doute dans le
mythe. Voir B. Sergent, L’homosexualité dans la mythologie, Paris,
1984, p. 90 sq.

80. Héraclès est parfois associé, dans son culte, à la libération des
esclaves, à l’accueil des étrangers dans la cité (voir A. Calderini, La
manomissione e la condizione dei liberti in Grecia, Milan, 1908), mais
l’ouverture des fêtes aux esclaves n’est nulle part aussi radicale
qu’en Sicile.

81. Ces deux épisodes, meurtres de Lacinios et, involontaire celui-là, de


Crotôn, sont importants pour Diodore parce que fondateurs
respectivement du culte d’Héra Lacinienne et de la future cité-
colonie de Crotone.
82. Héraclès vainqueur de la mort est une dimension très importante
du héros à laquelle Diodore ne s’arrête guère ; Géryon, Cerbère sont
autant d’« Enfants de la Nuit » qu’il réussit à vaincre, mais on a déjà
noté sa volonté d’historiciser les exploits d’Héraclès. Soulignons
l’enchaînement réussi qui lui a permis, ici, de glisser une parenthèse
sur Orphée.

83. Ces deux versions du mythe des Hespérides illustrent toutes les
deux la volonté rationalisante de Diodore. De plus en plus
rationalisantes d’ailleurs, puisque, après avoir rapidement parlé de
pommes d’or, il n’est plus question que de troupeaux de moutons,
sans aucun destinataire divin. Le jeu de mots « pommes/brehis »
repose sur le double sens du mot grec « mêla » : moutons et
pommes. La quête des pommes d’or est un épisode introduit plus
tardivement que la lutte contre Géryon dans la littérature et l’art
(Sophocle, Euripide, Panyasis, Phérécyde), même si l’art semble
l’avoir intégré plus tôt (le coffre de Cypselos décrit par Pausanias
semble être archaïque, voir H. Stuart Jones, Pausanias, Description of
Greece, Londres, 1918). Il n’en reste pas moins que cette quête est,
pour Diodore, la dernière des épreuves imposées à Héraclès, celle
qui lui donne directement l’immortalité.

84. Diodore reprend ici le thème du héros justicier qui élimine les
barbares, despotes et autres brigands grâce à ses forces armées.
C’est une façon de le sortir complètement du mythe pour l’intégrer
dans l’Histoire des hommes, et de l’intégrer sans heurt dans son
projet global d’Histoire universelle.

85. L’expression est fréquente : il s’agit toujours d’énormes forces


armées, qu’on soit dans le camp d’Héraclès ou dans celui de ses
ennemis.

86. La colonisation de la Sardaigne est, dans la mission civilisatrice


d’Héraclès, exemplaire ; tous les éléments sont là : autochtones
soumis dans un combat, île défrichée et rendue très fertile,
constructions de monuments (30, 1) indispensables à une colonie.
En V, 15, 2, Diodore parle de « villes considérables » fondées par
Iolaos. Héraclès agrandit l’oikoumène pour les Grecs, et
accessoirement pour les Romains puisque Diodore écrit sous Jules
César.

87. Du nom grec o dèmouchos : protecteur du pays (« démos ») en parlant


de divinités.

88. Les colons adoptent ainsi les mœurs barbares, comme cela avait été
le cas pour Alésia (19, 2). C’est une façon encore de justifier l’action
de Jules César, obligé de conquérir, en deuxième Héraclès, des
régions redevenues barbares. Diodore prend le parti de la
domination romaine. Denys d’Halicarnasse fait de même (voir Ant.
Rom. I, 34 à 44).

89. Pour la première fois, un héros « historique » apparaît dans le récit.


« Encore jeune », Nestor permet le passage progressif du Mythe à
l’Histoire.

90. L’esclavage d’Héraclès est déjà attesté chez Eschyle, Hérodote


(Agam. 1040 ; Hist. I, 7). Le récit de Diodore est assez proche de celui
d’Apollodore (II, 127-133), sinon dans sa fin, plus heureuse chez
Diodore qui fait d’Héraclès un vrai héros séducteur et géniteur.

91. C’est le meurtre d’Iphitos qui entraîne une nouvelle intervention de


l’oracle d’Apollon (la première lors de sa naissance). Cette fois
l’épreuve d’Héraclès est monnayée (contrairement au dodecathlos) :
vendu comme esclave, il dédommage grâce à cette somme la famille
de la victime.

92. Les amours d’Héraclès et Omphale ont lieu seulement après son
affranchissement, et un premier enfant lui est né d’une autre
femme, esclave. C’est pourtant ce thème de l’esclave amoureux que
reprendront à l’envi Properce, Sénèque, Apulée, etc. Si Diodore
n’abonde pas dans ce sens, il néglige tout autant ce que d’autres
avaient souligné avant lui, la notion d’esclavage temporaire (pour
dette), qui renvoie sans doute à un lointain passé achéen. La version
de Diodore est intermédiaire : Héraclès n’est plus le héros
homérique ou tragique qui se lamentait et se révoltait devant ses
épreuves humiliantes, il devient celui qui assume volontairement et
orgueilleusement ses efforts, garants de la justice et de son
immortalité.

93. Iliade, V, 638-642 ; c’est la deuxième allusion (après l’apparition de


Nestor) à la guerre de Troie, qui envahira de plus en plus le livre IV
pour permettre à l’Histoire de succéder au Mythe.

94. Topos bien connu que celui de l’enfant abandonné promis à un


brillant avenir : d’Œdipe à Romulus, de Sémiramis à Moïse, ils sont
souvent nourris par des animaux, trouvés par des bergers, et
deviennent chefs ou rois et reines.

95. Alors que Diodore « historicise » le mythe, il affirme que les autres
poètes « rendent mythique » l’histoire, deux conceptions bien
différentes de la tradition.

96. Cf B.H. livre III, § 68 : Diodore donne une autre explication de ce


nom.

97. Astydaméia, Iolé : Diodore mentionne rapidement ces deux amours


qui vont justifier la fureur de Déjanire.
98. La magie disparaît au profit d’un poison bien naturel ; Déjanire et,
plus loin, Médée, ne sont plus les magiciennes d’antan.

99. Troisième intervention de l’oracle d’Apollon dans la vie d’Héraclès


(après sa naissance et sa servitude chez Omphale). Cette tradition de
la mort d’Héraclès sur le bûcher de l’Œta sera abondamment reprise
par les Romains (Sénèque, Hercule sur l’Œta). C’est sans doute
Sophocle (Les Trachiniennes) qui en avait fixé les étapes. Pour les
témoignages archéologiques, voir C. Jourdain-Annequin, op. cit.,
p. 508-513, et ses notes bibliographiques.

100. Même s’il ne le précise pas, Diodore s’inspire largement, dans cette
version du mythe, de Denys « Bras-de-cuir », Denys Skytobrachion,
de Mytilène qui, au IIe siècle, « a rassemblé ce qu’on sait des
Argonautes et de Dionysos, et bien d’autres histoires remontant aux
époques les plus reculées ». Son Cycle était une véritable
encyclopédie mythologique rédigée grâce à la bibliothèque
d’Alexandrie. Il l’a nommé dans deux passages du livre III (52, 3 et
66, 5). Voir P. Ghiron-Bistagne, « Les avatars de la légende de Médée
dans la tragédie posteuripidéenne et à l’époque gallo-romaine »,
Medeia, GITA, 2, 1986, p. 121-139. Jacoby regroupe d’ailleurs avec les
fragments de Skytobrachion (32 F 14) le récit de Diodore (IV, 40-55).

101. Cette primauté revenait à Argyrion en IV, 24, 1.


Nékyia : « descente aux enfers ». Titre donné au chant XI de
102.
l’Odyssée (voir XI, 602-603).

103. C’est encore par association d’idées que Diodore passe d’Héraclès
aux Argonautes. Certaines liaisons sont moins heureuses. La
légende des Argonautes remonte aux plus anciens temps de la
Grèce, elle est peut-être même antérieure à Homère. Il est vrai
qu’Homère connaît la légende puisque Jason est cité dans l’Iliade (H
467-471 ; X 230 ; F 40 ; Y 745-747) et dans l’Odyssée (1 235-259) ; mais
on va même jusqu’à dire que le périple d’Ulysse s’est inspiré de celui
de Jason (voir H. Erbse, Beiträge zum Verständnis der Odyssee, 1972,
p. 25-26). Rien n’est sûr et cette idée ne convainc pas tout le monde,
mais tout prouve que le mythe est très ancien. Hésiode connaît bien
Jason, Pélias, Aiétès et Médée (Théogonie, 956-962 ; 992-1002), et les
autres poèmes dits hésiodiques (Catalogues, Grandes Éhées)
mentionnent aussi des détails de cette aventure. Et les siècles
suivants vont continuer à reprendre le cours du voyage, avec de
multiples variantes bien sûr. Les Corinthiaca d’Eumélos, les
Naupactica qui seront reprises au Ve siècle par Hérodoros
d’Héraclée, et Pindare évidemment, dans sa superbe IVe Pythique,
qui vient renouveler le mythe en une fabuleuse synthèse poétique.
Au Ve siècle, Simonide (fr. 544-548 ; 558 ; 564, 568, 576 Page) apporte
sa contribution lyrique, mais les plus attirés par la légende sont à
cette époque les Tragiques. La plus grande partie des œuvres a
malheureusement sombré dans l’oubli, et il ne reste guère que la
Médée d’Euripide que nous puissions lire dans son intégralité, mais
Eschyle (Phinée, et une tétralogie : Argô, les Lemniens, Hypsipylé et les
Cabires), Sophocle (Athamas, Phrixos, les Lemniennes, Amycos, Phinée,
les Tympanistai, les Colchidiennes, les Femmes Scythes, Dédale, les
Rhizotomoi faisaient intervenir peu ou prou les héros du grand
voyage), Euripide (Médée, Hypsipylé, Phrixos et les Péliades) et bon
nombre d’auteurs mineurs ont contribué à l’héritage argonautique.
Les auteurs de comédie ont puisé aussi dans ces thèmes (Antiphon
avec Jason, Achaios avec Phrixos, Chérémon avec les Myniennes). Plus
tard, le IIIe siècle continue à honorer la mémoire des héros, avec
bien sûr Apollonios de Rhodes, le chef de la bibliothèque
d’Alexandrie, le grand rival de Callimaque, qui consacra toutes ses
Argonautiques à la glorieuse expédition. En même temps que lui,
Callimaque lui-même et Théocrite ne dédaignaient pas d’y faire
allusion (Hylas de Théocrite et les Aitia de Callimaque). Inutile de
dire que les géographes-historiens ont également beaucoup
apprécié ces navigations lointaines : Hécatée de Milet, Hérodote,
Timée et d’autres comme Phérécyde et Timonax ont essayé de
joindre la tradition poétique et les connaissances de leur temps
(voir É. Delage, La Géographie dans les Argonautiques dAppolonios de
Rhodes, Bordeaux-Paris, 1930, p. 60-67). C’est donc toute une réserve
mythologique que Diodore avait à sa disposition et qu’il se devait
d’utiliser, avec la nécessité de trier, choisir une version, en mixer
plusieurs et rendre compatible ce qui ne l’est pas, le Mythe et
l’Histoire.

104. Diodore évite ainsi le problème de la mère de Jason, Polymèla


(Hésiode) ou Alcimédè (Phérécyde).

105. Autre nom : Pont Euxin (« hospitalier »). Voir Chantraine DELG s.v.
xenos ». C’est peut-être plutôt à cause des tempêtes que la mer dite
aujourd’hui « mer Noire », était appelée Inhospitalière ou, par
euphémisme et intention apotropaïque, Hospitalière (Euxin).

106. Aucune allusion au rôle joué par Héra comme dans d’autres versions
du mythe, par exemple celle d’Apollonios, et déjà, avant lui, celles
d’Homère (Od. XII, 62-72) et Pindare (Pyth. IV, 184…). Elle est
pourtant traditionnellement la protectrice des Argonautes, qui
délègue ses pouvoirs à Médée lorsque celle-ci apparaît. Encore une
volonté d’épurer l’irrationnel ? Diodore ne garde guère que les topoi,
comme celui du peuple tueur d’étrangers (cf. Busiris en Égypte).
107. Le navire est exceptionnellement rapide mais n’a rien de magique ;
nulle mention de la « poutre parlante » prélevée par Athéna dans la
forêt de Dodone comme dans les Argonautiques d’Apollonios. Il est
simplement plus grand que toutes les embarcations construites
avant lui.

108. Héraclès est mentionné sans que soient précisés ses exploits déjà
accomplis au moment de l’expédition. En outre il est nommé ici
chef, alors que la tradition l’évinçait pour laisser le premier rang à
Jason (Apollonios, Argon., vers 328-350).

109. Cet épisode qui fait cette fois de larges concessions au merveilleux
respecte la tradition. Mais comme par hasard Diodore multiplie les
incises prudentes : cinq en quelques lignes (« disent les mythes »,
« dit-on », etc.).

110. Diodore passe sous silence le fameux épisode de Lemnos, pourtant


déjà lié au cycle des Argonautes dans l’Iliade, repris par Pindare et
les Tragiques, sans oublier, bien sûr, Apollonios (Argon., vers 609-
910).

111. Dioscures : « les deux jeunes fils de Zeus », Castor et Pollux. Zeus
apparut à leur mère Léda (femme mortelle) sous l’aspect d’un
cygne.

112. Ces divinités sont les Cabires, aux Mystères desquelles les Dioscures,
Castor et Pollux, avaient été initiés. Il n’est pas question de chants
magiques, comme la tradition le voulait quand il s’agit d’Orphée,
mais de prières. C’était pourtant son chant et sa cithare qui, chez
Apollonios, sauvent les Argonautes des Sirènes (IV, 907-909).

113. Phinée apparaît déjà chez Hésiode (Catalogue, fr. 150-157 ; Grandes
Éhées, fr. 254), et chez Apollonios (op. cit., II, 176-530). Mais l’histoire
y était très différente : Phinée y était un devin aveugle poursuivi et
persécuté par les Harpyes. Ce sont effectivement les Boréades, mais
ailées, qui interviennent dans la tradition pour le délivrer des
monstres, et Phinée les remercie en conseillant les Argonautes dans
leur futur voyage. L’épisode devient ici une aventure très humaine,
où une belle-mère digne de Phèdre calomnie ses beaux-fils devant
leur père aussi crédule qu’avait pu l’être Thésée.

114. C’est donc bien volontairement que Diodore s’éloigne des mythes
pour essayer de donner une version plus rationnelle et humaine de
l’épisode. Ce qui s’oppose un peu aux affirmations de Fr. Bizière
(« Comment travaillait Diodore de Sicile », REG, 87, 1974, p. 374).

115. L’« abandon » d’Héraclès a connu de multiples variantes, la plus


célèbre étant celle d’Apollonios (I, 1153-1363) où l’on voit la
disparition du jeune Hylas provoquer le désespoir du héros qui
restera sur la plage, sans participer plus avant à l’expédition des
Argonautes, voué à poursuivre les travaux imposés par Eurysthée. A
la même époque Théocrite avait composé son Idylle Hylas où
Héraclès, le héros « au cœur d’airain », s’était fait déserteur par
amour pour le jeune homme. Diodore ignore sans doute
volontairement cette histoire sentimentale et réduit la belle
histoire à une simple étourderie où des Argonautes stupides
oublient Héraclès parti chercher de l’eau. Diodore n’aime pas les
histoires d’amour et considère le sentiment amoureux comme une
maladie dont tout homme digne doit se protéger. A fortiori un héros.
Voir M. Casevitz, « La femme dans l’œuvre de Diodore de Sicile »,
TMO. 10, 1985, p. 113-137.

116. Diodore escamote plusieurs épisodes qui interviennent, chez les


mythographes, après l’épisode de Phinée, comme celui des deux
rochers mouvants (Plégades, Symplégades, Cyanées, Syndromades
ou Planctes, selon les versions) qui écrasent en se rapprochant les
bateaux qui se faufilent entre eux (Pindare, Pyth. IV, 207-211 ;
Apollonios, II ; Euripide, Iph. en Tauride 422 ; Théocrite, Idylles XIII,
Hylas 22). Dédain aussi de la rencontre avec les Amazones et de
l’escale sur l’île d’Arès qu’Apollonios soulignait.

117. La généalogie proposée par Diodore est celle de la tradition


mythique : d’Hélios à Persée roi de Tauride, Hécaté, Circé et Médée.
Mais plus qu’une famille divine, il s’agit ici d’une famille très
humaine, où les individus se distinguent par leur cruauté, où les
femmes connaissent les simples et les utilisent à leur profit.

118. Cette famille, qui n’a plus rien de divin, est réduite à mettre en
scène un affrontement entre deux filles qui sont les antithèses l’une
de l’autre, Circé la monstrueuse, Médée la bonne âme seule contre
tous.

119. Il n’y a donc pas d’allusion à l’amour de Médée pour Jason, et donc
au rôle d’Héra et de Cypris comme chez Apollonios. Jason donne
simplement à Médée la possibilité de quitter un pays où elle vit en
rupture par rapport à sa famille. Rien sur les flèches envoyées par
Éros, le fils d’Aphrodite, et contre lesquelles Médée ne peut rien : sa
passion avait chez Apollonios une importance que Diodore
abandonne. Mais on a déjà remarqué que Diodore passe sous silence
les histoires d’amour. Le lien envisagé par Jason fait ici penser à un
contrat qui sauvera la vie de Médée sans qu’il soit jamais question
de serments passionnés. Remarquons cependant que Diodore
rejoint ainsi Sophocle, s’il faut en croire le fragment 339 (Pearson =
Radt) où Médée proposait clairement un marché à Jason, rendant
service pour service, à la façon des Lemniennes d’Eschyle : elle
aidera Jason s’il l’épouse. Cette version, plus mercantile, sera
adoptée par les mythographes (Apollodore, I, 9, 23 ; Zénobios 4, 92
Leutsch-Schneidewin). Diodore n’est donc pas le seul à la préférer.

120. Interprétation on ne peut plus évhémériste que ce Dracon, gardien


de la Toison.

121. Volonté encore de rationaliser le mythe par le renvoi à ces motifs


ornementaux, animaux souvent, que les Grecs plaçaient en poupe
comme présence propitiatoire. Diodore respecte souvent les mythes
et les rapporte conformément à la tradition, mais c’est pour les
« démythifier » ensuite et rompre ainsi le charme qu’ils pouvaient
encore exercer.

122. La deuxième rationalisation est certes plus difficile à accepter que la


précédente, mais elle est assez traditionnelle : transformer le nom
de l’animal en nom propre est une solution qui peut s’appliquer
dans presque tous les cas. On sent Diodore très prudent quand il
s’agit du merveilleux : après s’être justifié de raconter l’histoire de
cette toison 46, 5 : « afin que rien… ne soit ignoré », il laisse
prudemment le lecteur choisir sa version.

123. L’épisode est résumé à l’extrême, transformant le récit (qui pouvait


être épique) en simple razzia victorieuse ; Diodore abandonne les
fameuses épreuves de Jason (les taureaux d’airain, les fils de la Terre
nés des dents du dragon tué par Cadmos). Et l’affrontement entre
les Argonautes et les Colques est un combat résolument humain,
avec morts et blessés des deux côtés. Même les remèdes prescrits
par Médée deviennent vraisemblables, faits d’herbes et de racines
que la médecine antique (et moderne !) reconnaît tout à fait.

124. Voir note 112 ; Diodore renonce encore à invoquer les chants
d’Orphée et leurs effets magiques.

125. Il est étonnant de voir Diodore respecter l’existence de ce dieu


marin, alors que Palaphaitos en faisait un plongeur habile et
Héraclite un simple être humain renseignant les voyageurs sur les
conditions météorologiques.

126. Cf Iliade, Chant V, vers 638 à 642. Diodore a déjà cité ce passage en
32, 2.

127. Diodore préfère les exploits guerriers aux récits merveilleux


proposés par la tradition : Charybde et Scylla, les Planctes et autres
épisodes disparaissent. Sont mis en valeur au contraire les récits de
batailles où les Argonautes triomphent de l’injustice et rétablissent
l’ordre.

128. Cf. Aristote, Histoires des animaux (III, 19) : « Le sang de taureau est,
entre tous, le sang animal qui se coagule le plus vite. » C’est sans
doute pour cette raison qu’il était parfois utilisé dans l’Antiquité
comme poison : en se coagulant quasi instantanément, il bouchait
les artères principales.

129. C’est encore un problème très humain qui se pose aux Argonautes :
comment triompher quand on est si inférieur en nombre face à
l’ennemi ? Médée propose encore son aide, mais sans parler de
magie : ce sont des plantes, là encore, « étonnantes » certes, mais
bien naturelles, qui châtieront l’iniquité et le crime. Diodore insiste
encore sur la justice à rétablir face à un contrat qui ne fut pas
respecté.

130. Rien de magique donc. Maquillage habile seulement, tel que les
comédiens en usent quotidiennement. Médée joue sur la crédulité
de l’assistance et, plus qu’une magicienne, elle se montre surtout
une talentueuse illusionniste. Palaphaitos donnait déjà une
interprétation toute rationnelle.

131. Prudence caractéristique de Diodore dès qu’il s’aventure du côté du


merveilleux.

132. C’est donc par une série de tromperies et de mensonges, et non par
procédés magiques, que Médée arrive à ses fins. Diodore s’efforce
encore de gommer tout le merveilleux possible.

133. Jason a d’autant plus tendance à être magnanime qu’il est lui-même
le témoin étonné des actions de Médée. Tout se fait sans lui, les
hommes n’arrivent que pour cueillir le fruit du travail de Médée. Un
anti-héros comme lui ne peut guère se laisser aller à la sévérité.

134. Héraclès est encore décrit ici comme un être humain, seulement
plus fort et plus courageux que les autres.

135. Même caractéristique que dans les exploits de Jason : les exploits
guerriers sont collectifs et non plus héroïques, individuels. Jason et
Héraclès doivent autant à leur entourage, à leurs alliés, qu’à leurs
qualités personnelles.

136. Rien n’a été dit sur le meurtre d’Aspyrtos, frère de Médée, le
mariage de Jason et Médée et la fin du voyage en Libye, avec le
portage d’Argo.

137. « Certains historiens disent que… ». Il s’agit pourtant là de la


version la plus courante. Diodore la rapporte en fin de récit, après
avoir donné la priorité à la thèse de l’incendie, qui fait moins appel
au merveilleux.

138. On a plusieurs versions de la mort de Jason : brûlé avec Créon et sa


fille dans l’incendie provoqué par Médée (Hygin, Fab. 25), suicide
(version de Denys Skytobrachion reprise ici par Diodore, Neophron
[fra. Nauck 2 = 3 Snell ; les scholies d’Euripide, Médée 1387 précisent
qu’il se pendit]), ou écrasé par la poupe (ou un débris) du navire
Argo (Euripide, Médée 1386-88). Rappelons que d’autres versions
proposent au contraire la réconciliation de Jason et Médée, ou la
participation de Jason à la chasse au sanglier de Calydon (mais ces
versions sont tardives : voir Apollodore I, 8, 2 ; Ovide, Métam. VIII,
302 ; Hygin, Fab. 173).

139. C’est la version de Denys Skytobrachion (F. Jacoby, 32 F 14). Mais la


majorité des sources pensent que Médée s’est enfuie directement à
Athènes, sans passer par Thèbes. Le séjour dans la maison d’Égée est
la conséquence attendue de l’entrevue qu’elle a eue avec lui dans la
Médée d’Euripide. Mais Diodore ne dit rien, ou très peu, de ses
tentatives pour se débarrasser de son beau-fils Thésée revenu
victorieux de sa chasse au taureau de Marathon (voir Plutarque,
Thésée 12, 2-6, Apoll. I, 5-6). Certes ces sources sont tardives, mais
ces épisodes semblent avoir été connus depuis longtemps (voir
fragments des pièces Égée de Sophocle et Euripide). Denys
Skytobrachion présente les deux versions concernant le fils de
Médée : Mêdos est soit le fils d’un roi oriental, soit, pour plaire aux
Athéniens sans doute, le fils d’Égée.

140. Dans sa volonté de rationalisation, Diodore est le digne héritier de


tous les savants de l’époque hellénistique qui veulent traiter
« scientifiquement » les mythes anciens, les épurer de tout
enrobage religieux, voire littéraire. On retrouve à travers Diodore
les Palaphaitos et Denys de Mytilène.

141. Hérodote prétend que Triton l’avait exigé comme salaire, et que ce
trépied avait été embarqué en Thessalie pour être consacré à
Delphes. Diodore ne dit rien sur le portage d’Argo, développé par
Pindare (Pyth. IV) et Apollonios.

142. C’est le Pseudo-Scylax qui situait en Istrie l’estuaire occidental de


l’Istros. C’est une petite rivière homonyme de bistros pontique ; cf.
Pline, H.N., 3, 127.

143. Le passage d’Héraclès à Thésée s’effectue comme celui d’Héraclès à


Jason, par la même association d’idées, chacun essayant d’imiter les
hauts faits du grand héros.

144. C’est Aithra qui a révélé à Thésée l’existence des symbola, épée et
sandales, cachés sous un rocher. Signes de la légitimité paternelle
que Thésée n’a aucun mal à récupérer.

145. L’ascendance de Thésée n’est pas simple : fils d’Égée, roi d’Athènes,
et d’Aithra fille de Pitthée, roi de Trézène. Naissance royale mais
bâtarde puisque conçue hors mariage lors d’un rapide passage
d’Égée à Trézène. Naissance divine aussi si l’on conçoit que
Poséidon, dieu des mers, était l’amant d’Aithra et que la jeune
vierge s’unit à lui sur une île au large de Trézène. C’est cette leçon
que Diodore retient, Égée n’étant que celui qui dissimule les symbola
sous un rocher.

146. Thésée va être confronté à des monstres sauvages d’une cruauté


démesurée ; c’est là que son célèbre cousin joue le rôle de
prédécesseur, héros civilisateur et pourfendeur de monstres.

147. Il s’appelle, dans d’autres traditions, Périphétès.


Cette truie s’appelle ailleurs Phaïa, femme-laie cruelle et débauchée.
148.
Diodore n’a pas précisé que Thésée châtie tous ces monstres en leur
149. faisant subir ce qu’ils infligeaient eux-mêmes aux voyageurs. Ces
monstres apparaissent déjà dans un dithyrambe de Bacchylide et
Sophocle (Fr. 730 c, 16 Radt), ainsi que dans l’art (F. Brommer, op.
cit.)

150. Le mythe n’est pas si simple : reconnaissance de la légitimité


paternelle, reconnaissance de l’héritage politique, Thésée eut à
opérer cette double conquête et dut lutter contre les Pallantides, les
cinquante fils de Pallas.

151. Diodore passe sur les relations entre Médée et Thésée, alors que
c’est en rentrant à Athènes qu’il fit la connaissance de la nouvelle
épouse d’Égée.

152. Les exploits de Thésée sont très abrégés ; le héros a sans doute
perdu à son époque son statut de héros athénien, bienfaiteur de la
cité. C’est en tout cas une dimension que Diodore ne cherche pas à
valoriser.

153. Diodore combine là plusieurs versions. Il refuse la version selon


laquelle Égée envoie Androgée lutter contre le taureau de Marathon
qui le tue. Il refuse aussi celle qui voit Androgée assassiné par des
concurrents jaloux de sa victoire. Ici, l’assassinat est politique,
perpétré par Égée qui craint que le pouvoir lui soit disputé par
Androgée et les Pallantides. C’est un acte d’adikia, un complot, une
fourberie qui entraînera une guerre. Pour les différentes versions,
voir Apollodore, III, 15 ; Sch. Platon, Minos, 321 a, Servius, Lactance,
Hygin, Fab. 4l

154. Hellanicos de Lesbos (F. Jacoby 4 F164) a dû inspirer ici Diodore.


C’est en tout cas chez lui qu’on voit Minos venir en personne à
Athènes chercher les jeunes gens.

155. Le tribut imposé aux Athéniens par les Crétois est un apport tardif
du mythe ; voir Apollodore, III, 15, 7.
156. La voile noire symbolisait bien sûr la mort des jeunes victimes, la
voile blanche laisse entendre une victoire possible. Simonide la
disait pourpre (fr. 550 a Page ; voir Plutarque, Thésée 17, 4-5). C’est
avec le pilote, et non avec Thésée, qu’Égée passe ce contrat. Mais
Diodore ne précise pas, comme Simonide ou Philochore, que Thésée
se voit attribuer un pilote et un timonier.

157. Il n’y a rien sur les interventions divines au cours de la traversée


(celle de Borée qui pousse la nef, celle de Poséidon et de Thétis [voir
Hygin] ou Amphitrite [Bacch. 17]).

158. Il est étonnant que Diodore ne mentionne pas la fameuse pelote de


fil qu’Ariane donna au héros, détail pourtant bien rationnel de
l’histoire.

159. La fuite d’Ariane avec Thésée est déjà mentionnée dans l’Odyssée (11,
322), et elle connut aussi des variations, surtout en ce qui concerne
le séjour à Naxos. Voir Cl. Calame, Thésée et l’imaginaire athénien,
p. 106-116, « Les neuf versions ».

160. Diodore ne mentionne pas l’abandon d’Ariane sur l’île de Naxos, en


accord en cela avec la plupart des mythographes de la fin de la
période hellénistique. Apollodore parle des enfants qu’Ariane eut de
Dionysos, après un mariage déjà mentionné par Hésiode (Théog.
947).

161. Là aussi, nombreuses variantes : il oublie car il est tout joyeux de


son retour à Athènes (Plutarque, Thésée 22, 1), triste d’avoir perdu
Ariane (Diodore, Apollodore I, 10 ; Pausanias, I, 22, 5), ou par la
volonté de Zeus vengeur d’Ariane (Ovide, Lucien Pharsale 610).

162. Ce meurtre du père par le fils répond à tous les assassinats de fils
précédents (Androgée, les jeunes Athéniens, le Minotaure).

163. Diodore est très discret sur cet aspect du mythe qui fut largement
récupéré par les Athéniens (Clisthène).

164. L’Amazone Antiope aurait, d’après la Théséide (poème du VIe siècle)


déclaré une guerre à Thésée à cause de ce mariage, et serait morte
tuée par Héraclès. Mais d’autres traditions voient Thésée épouser
Phèdre après la mort d’Antiope (Plutarque, Vie de Thésée, 28, 1-3).

165. On se souvient que la version la plus connue rend le dieu Poséidon


responsable de la mort d’Hippolyte ; c’est lui qui provoque une
énorme vague qui effraie les chevaux du jeune homme.

166. On sait que le bâtiment fut exigé aux Grecs par un oracle delphique,
après la bataille de Marathon, parce que Thésée leur était apparu,
immense, à la tête de leurs troupes. Son tombeau devint le refuge
des esclaves fugitifs et des pauvres gens opprimés, en raison du
personnage très « démocratique » qu’avait été Thésée.

167. En 70, 2-3, Diodore raconte les noces de Pirithoos et Hippodamie et


le combat des Lapithes et des Centaures.

168. Thésée a alors cinquante ans.


Il est étonnant que Diodore n’ait pas adopté ici la version
169.
« évhémériste » (Pausanias) qui voulait qu’en Épire ait vécu
Aïdôneus (ou Hædonée, nom proche de celui d’Hadès), roi des
Molosses, qui avait appelé sa femme Perséphone, sa fille Corè et son
chien Cerbère. C’est cette reine que Thésée et Pirithoos enlevèrent,
selon Plutarque, Vie de Thésée, 31, 4.

170. C’est la « guerre des Tyndarides ». De Lacédémone, Aïthra et Hélène


sont emmenées à Troie (Iliade, III, 144).

171. Aucune association d’idées, cette fois, entre ce thème et les


précédents.

172. On sait que Sophocle ne choisit pas cette version : Œdipe devient un
aveugle errant, guidé par sa fille Antigone et chassé de partout,
jusqu’au moment où Colone lui apporte la sérénité du trépas. Au
stade épique de la légende, Œdipe ne cessait pas de régner et
mourait seulement dans une guerre contre des voisins.

173. Adraste avait eu maille à partir avec Amphiaraos, qui avait tué son
père Talaos. Malgré leur réconciliation, Adraste attendait le
moment de se venger, et c’est sa sœur Ériphyle, devenue femme
d’Amphiaraos, qui sera l’instrument de cette vengeance.

174. Nom de l’acropole de Thèbes.


Diodore entremêle plusieurs mythes. Tirésias eut bien une fille, la
175.
devineresse Mantô, mère du futur devin Mopsos. Daphné, elle, est
traditionnellement une nymphe poursuivie par Apollon et
transformée par son père en laurier, plante aimée du dieu. Quant à
la Sibylle (ou les Sibylles), elle était dite fille de Dardanos le Troyen,
ou bien fille de Zeus et de Lamia, ou encore fille d’une nymphe de
Troade. On parle de la Sibylle d’Érythræ, en Lydie, de celle de Cumes
en Campanie. Les « oracles » dont parle Diodore doivent être ces
recueils achetés par Tarquin le Superbe et conservés précieusement
depuis dans le temple de Jupiter Capitolin. Jusqu’aux temps
d’Auguste, les « livres sibyllins » furent pieusement entretenus et
fréquemment interrogés. Diodore est au carrefour ici de toutes ces
traditions.

176. Il y a d’autres versions de cette légende. Métapontos est parfois roi


d’Icarie (Hygin, Fab. 157 et 186) et adopte les deux jumeaux qui
auront à combattre leurs deux demi-frères. A souligner qu’Éole, fils
de Poséidon, est parfois assimilé au Maître des Vents. Mais Diodore
n’en fait pas mention, désireux seulement d’expliquer la généalogie
des Eoliens et des Béotiens, futurs participants de la guerre de Troie.

177. Il y a donc deux personnages mythiques nommés Éole. Le premier


est fils d’Hellen, ancêtre des Éoliens ; le second est son petit-fils (par
sa fille Arné), fils de Poséidon.

178. Il était donc descendant direct de Deucalion et Pyrrha.


Salmonée essayait d’imiter Zeus en créant avec les moyens du bord
179.
le tonnerre (des chaînes tirées par un char de fer sur une voie de
bronze) et les éclairs (torches enflammées).

180. Depuis son enfance Mélampous était devin et médecin ; prêtre


capable de purifier les malades, il leur rendait ainsi la santé. Il
guérit les filles de Proitos qui erraient à travers le Péloponnèse et
qui pensaient être des vaches. Mélampous avait d’abord demandé
un tiers du royaume en récompense. Face au refus du roi, il aggrava
leur maladie. Le roi lui donna donc un tiers, et un tiers encore pour
son frère Bias. Mélampous purifia les jeunes filles et les guérit.

181. « L’Homme aux Pieds Noirs » (sa mère l’avait placé à l’ombre, en
laissant sans le vouloir ses pieds au soleil) a selon Diodore épousé
Iphianire. Les autres sources le marient à l’une des filles de Proitos,
guérie par ses soins de sa folie.

182. Nestor est le plus jeune des fils de Nélée et de Chloris, le seul
survivant aussi du massacre qui vit périr tous ses frères sous les
coups d’Héraclès, parce que Nélée avait refusé de le purifier du
meurtre d’Iphitos. Diodore n’a pas fait mention dans la geste
d’Héraclès du meurtre d’Iphitos, rien d’étonnant donc qu’il passe
sous silence ce qui en fut la conséquence. On sent aussi qu’il lui
tarde de quitter la mythologie pour entrer dans l’Histoire, avec les
héros de la guerre de Troie.

183. Plus souvent, Ixion est rattaché à une autre famille lapithe, celle de
Phlégyas.

184. Non seulement Ixion était parjure, mais il était aussi meurtrier d’un
membre de sa famille ; accumuler meurtre et sacrilège justifie le
refus de purification. Il fut même frappé de folie, cette folie qui
l’amena peut-être à faire violence à Héra…

185. En le purifiant, par pitié, Zeus lui avait fait boire l’ambroisie qui
rend immortel. Faveur qui se changea en châtiment puisque, du
coup, son châtiment devint immortel.

186. Explication rationalisante que Diodore ne pouvait laisser passer !


187. Ixion est à la fois le père des Centaures et de Pirithoos.
C’est le Centaure Eurytion qui se jeta sur la fiancée Hippodamie. Ce
188.
thème devint vite exploité par les Grecs dans le sens d’une
opposition entre civilisation et barbarie, d’où sa reprise fréquente
sur les frontons des temples.

189. Encore une fois, ces créatures mythiques deviennent pour Diodore
des barbares appartenant à l’Histoire, de ces peuples sans foi ni loi
que les héros civilisés se doivent de supprimer : c’est l’œuvre
d’Héraclès, de Thésée et Pirithoos.

190. Prudence de Diodore : « il parut rendre la vie ». Le mythe est plus


explicite ; Asclépios est bien celui qui ressuscite les morts, comme il
a ressuscité par exemple Hippolyte tué par la malédiction de son
père. Asclépios avait appris la médecine de Chiron, le « bon »
Centaure.

191. Par exemple dans l’Iliade, II, 729. Machaon était un chirurgien,
Podalirios plutôt un praticien. Diodore précise qu’on les tenait à
l’écart du danger ; en réalité, on trouve Machaon parmi les
guerriers enfermés dans le cheval de Troie, ce qui ne l’épargnait
guère (Virgile, Enéide, II, 263). Il faut voir sans doute dans cette
remarque une allusion historique contemporaine, on protégeait au
temps de Diodore les médecins des dangers du champ de bataille.

192. Diodore déroule très rapidement les généalogies qui lui permettent
d’introduire les héros « historiques ». Il ne s’appesantit pas sur les
épisodes intermédiaires ; il lui suffit de montrer que tous ces
événements sont de la même veine : un dieu (Zeus, Poséidon) enlève
une nymphe, l’installe dans une région qui prend souvent son nom
et engendre une lignée dont sont issus les héros de la guerre de
Troie. Petit à petit ces héros envahissent le récit et permettent de
quitter la vieille époque mythique, les pions se mettent en place sur
l’échiquier de l’Histoire.

193. Certains mythes prétendent qu’il en était amoureux, d’autres que


son gendre le tuerait : Diodore évite habilement de choisir.

194. Plus souvent Oinomaos est piétiné par ses chevaux, ou même tué
par Pélops. Diodore est un des rares à parler de suicide.

195. Ce nom signifie littéralement « île de Pélops ».


Là n’est pas la seule version du crime de Tantale, déjà mentionné
196.
dans la « Descente aux Enfers » de l’Odyssée. Coupable d’orgueil
(c’est la version choisie ici), voleur du nectar et de l’ambroisie des
dieux, ou encore meurtrier de son propre fils Pélops, qu’il aurait
servi à la table des dieux. Mais Pélops fut reconstitué et ressuscité
par les dieux scandalisés par ce geste. Dans la mesure où Diodore est
très « sceptique face aux diverses « résurrections » (il refuse cet art
à Asclépios…), il n’est pas étonnant qu’il passe sous silence ce crime
très peu rationnel. Un Tantale présomptueux et bavard est
beaucoup plus vraisemblable et en accord avec son style de récit.

197. Létô est la mère d’Apollon et d’Artémis.


Il s’agit d’une version qui voit Ilos, le fondateur d’Ilion (Troie)
198.
combattre Tantale et Pélops, responsables du rapt de son fils
Ganymède. Il les aurait effectivement bannis. Mais on voit bien le
côté un peu artificiel de cette liaison : Diodore n’utilise ce mythe,
sans l’expliciter, que pour passer à la suite sans trop de rupture de
ton.

199. Cf. Iliade, XX, v. 220-221.


Même remarque que précédemment : Diodore passe vite sur les
200.
généalogies car il lui tarde d’arriver aux héros « historiques ».

201. Dédale est devenu le prototype de l’artiste universel, à la fois


architecte, mécanicien, sculpteur ; Platon (Ménon, 97, 2) parle de ces
statues « animées ». Il est vrai qu’on lui attribuait les œuvres d’art
archaïques…

202. Il le précipita du haut de l’Acropole.


Variante : Minos avait demandé aux dieux un signe légitimant son
203.
trône. Poséidon lui envoie un taureau sorti de la mer, que Minos
doit sacrifier. Devant son refus, Poséidon rend le taureau furieux,
puis inspire à Pasiphaé un amour monstrueux.

204. La version la plus courante dit que Dédale et Icare furent enfermés
dans le labyrinthe que Dédale avait lui-même construit.

205. Toujours cette même gêne, devant un épisode impossible à


rationaliser.

206. Cocalos est roi de Camicos, la future Agrigente.


Ce qui signifie : « baignoire, réservoir, bassin ».
207.
C’est pour remercier Cocalos que Dédale construit tous ces
208. monuments ; on sent néanmoins notre historien sicilien très
« concerné » par ces épisodes.

209. Diodore ne dit mot de la ruse qui permit à Minos de retrouver


Dédale chez Cocalos (l’énigme de l’escargot et du fil que seul un
Dédale pouvait résoudre ; sa solution convainquit Minos que Dédale
était dans les parages). Est-ce pour minimiser le rôle de Minos et la
sottise de Cocalos et Dédale qui n’auraient pas dû s’y laisser
prendre ?
210. La « tombe de Minos » était à Héracléa Minoa, dans un monument
pourvu de deux salles : les cendres de Minos étaient dans la salle
intérieure, et le sanctuaire de la deuxième salle était consacré à
Aphrodite. Le tombeau fut rasé par Théron lors de la fondation
d’Agrigente et les cendres envoyées en Crète.

211. On pense aux fameuses « déesses aux serpents » découvertes en


Crète.

212. Cf. Aratos, Phaenomena, 30-35.


Aristée fut élevé par le Centaure Chiron et par les Muses. Les
213.
Nymphes lui ayant enseigné l’art de la laiterie, l’apiculture et la
viticulture, il en fit don aux hommes.

214. On dit aussi qu’Actéon avait vu Artémis se baignant nue dans une
source, d’où sa colère. Artémis le transforma en cerf et excita ses
chiens contre lui, lesquels, dégrisés, regrettèrent bien leur geste…

215. L’étoile Sirius (« brûlant ») : le soleil. Ici, le lever du soleil ne désigne


pas une aurore mais le début de la période de canicule.

216. Vents étésiens : vents périodiques qui soufflent du nord (ou nord-
est) sur la mer Égée pendant quarante jours, durant la canicule. Cf.
Hérodote 6, 140 / 7, 168 et Strabon 144.

217. L’étoile Sirius portait aussi un autre nom : le Chien (d’Orion).


Sous-entendu : « des autres (que son fils) ». Il ne put sauver son fils,
218.
tué par les chiens, mais il sauva tous les autres, grâce au Chien.

219. Diodore privilégie la version « sicilienne » des aventures d’Aristée,


qui en eut pourtant bien d’autres, en Inde aux côtés de Dionysos, ou
en Grèce même (Virgile, Géorgiques, IV, 317 et suivants).

220. Petit à petit Diodore introduit la Sicile et ses héros spécifiques qui
introduisent les mythes « insulaires » du livre V.

221. D’après d’autres mythologues, Boutès était un Argonaute enlevé par


Aphrodite pour le délivrer des Sirènes. Diodore a déjà parlé de lui et
du rôle qu’Éryx joua dans la geste d’Héraclès (§ 23).

222. Vision de l’Age d’Or hésiodique où tout pousse « spontanément »


(autophuès) ; c’est un topos caractéristique des pays fabuleux.

223. Diodore tient à préserver la beauté de l’histoire et ne raconte pas la


fin de Daphnis, tué par la nymphe jalouse, ou enlevé par son père
Hermès, ou encore mort par suicide, s’étant précipité du haut d’un
rocher. Diodore ne veut pas rompre le charme idyllique de sa
narration.

224. Là encore, seul l’Orion « sicilien » l’intéresse, alors que ses


aventures l’ont conduit bien ailleurs, à Chios, à Délos, etc.
225. Mais le mythe traditionnel est plus ambigu. Orion voulut violer
Artémis et fut piqué par un scorpion envoyé par la déesse. Pour sa
récompense, le scorpion fut transformé en constellation, et Orion le
suivit dans le ciel. C’est pourquoi la constellation Orion est vouée à
fuir éternellement devant le Scorpion…

226. Odyssée XI, 572-5.


Ibid., 309-10.
227.
Bibliographie 1

I — Éditions des œuvres de Diodore de Sicile :

— Édition princeps : Diodori Siculi Bibliothecae Historicae libri


quindecim de quadraginta, H. Estienne, Genève, 1569.
— Diodori Siculi Bibliothecce Historicæ Libri XV de X, L.
Rhodoman, Hanovre, 1603.
— Diodori Siculi Bibliothecae Historicae libri qui supersunt, L.
Rhodoman — P. Wesseling, Amsterdam, 2 voi., 1746.
— Diodori Siculi Bibliotheca Historica, L. Dindorf, Leipzig, 4
voi., 1828.
— Diodori Siculi Bibliothecae historicae qui supersunt, avec
traduction latine de L. Dindorf, 2 volumes, parue à Paris
en 1842-1844 (collection A. Firmin-Didot) ; 2e édition à
Leipzig en 5 volumes (1866-1868).
— Diodori Siculi Bibliotheca Historica, 1ère éd. I. Bekker, 2e éd.
L. Dindorf, puis C. T. Fischer et F. Vogel, Leipzig, 5
volumes, 1888-1906 (rééd. Stuttgart, 1964).
Avec traduction en anglais :
— Diodorus of Sicily, trad. de C. H. Oldfather, London-
Cambridge (coll. Loeb), 12 vol., 1933-1946.
— The Bibliotheca historica of Diodorus Siculus, trad. de J.
Skelton, London (Oxford University Press), 2 voi.,
1956-1957.
— Bibliotheca historica, Book 1, trad.de E. Murphy,
Jefferson, N. C. McFarland, 1985.
Avec traduction en italien :
— Diodoro Siculo, Biblioteca storica, libri I-V, intro.
Canfora L., tr. Gianotti G.F., Corcella A., Labriola I,
Orsi D.P., Palermo, 2e éd. 1988.
La dernière traduction française a été procurée par F.
Hoefer en 1865, chez Hachette à Paris.

II — Lexique :

— Lexicon in Diodorum Siculum, J. I. Mac Dougall, Hildesheim-


New York, 1983.

III – Travaux portant sur l’œuvre de Diodore de Sicile et sur


la mythologie :

— Actes du colloque international Catania/Agira, 7-8


décembre 1984, éd. E. Galvagno, Mito, Storia, tradizione :
Diodoro Siculo e la storiografia classica, coll. Mole Ventura,
Catane, 1991.
— Anderson J. K., « Stymphalien and other birds », JHS,
XCVI, 1976, p. 146.
— Bertrac P., « La tradition manuscrite de Diodore de
Sicile », R.E.G., 106, 1993, p. 195-213.
— Biffi N., « Un equivoco di Diodoro in 4, 22, 5 », Invigilata
Lucernis, V-VI, 1983-1984, p. 77-85.
— Bizière F., « Comment travaillait Diodore de Sicile »,
R.E.G., 87, 1974.
— Bonnefoy Y., Dictionnaire des mythologies et des religions des
sociétés traditionnelles et du monde antique, 2 vol., Paris,
Flammarion, 1981.
— Bottin C., « Les sources de Diodore de Sicile », Revue Belge
de Philosophie et d’Histoire, VII, 1928, p. 1307-1327.
— Calarne C., Thésée et l’imaginaire athénien, Lausanne, 1990.
— Casevitz M., « La femme dans l’œuvre de Diodore de
Sicile », La Femme dans le Monde Méditerranéen, T.M.O. 10,
Lyon, 1985, p. 113-130.
— Casevitz C., « Le vocabulaire politique de Diodore de
Sicile : politeia, politeuma et leur famille », Ktema, 15,
1990.
— Chamoux F., “Un historien mal-aimé : Diodore de Sicile”,
B.A.G.B., 1990, p. 243-252.
— Daraki M., Dionysos, Paris, 1985.
– Detienne M. & Vernant J.-P., Les rases de l’intelligence : la
mètis des Grecs, Paris, 1974.
— Drews R., « Diodorus and his sources », A.J.P.H., 83, 4,
1962, p. 383-392.
— Jeanmaire H., Dionysos, histoire du culte de bacchus, Paris,
1978.
— Jourdain-Annequin C., Héraclès aux portes du soir,
Besançon-Paris, 1989.
— Jourdain-Annequin C., « Héraclès en Occident », Héraclès,
d’une rive à l’autre de la méditerranée…, Actes de la Table
Ronde de Rome, Academia Belgica-École Française de
Rome, Bonnet C. et Jourdain-Annequin C. (éd.),
Bruxelles-Rome, 1992, p.263-291.
— Kadar Z., « On some problems concerning the scientific
authenticity of classical authors on Libyan fauna. Libyan
animals in the work of Diodorus of Sicily », ACD, XIII,
1977, p. 41-44.
— Loraux N., « Gloire du Même, prestige de l’Autre,
variations grecques sur l’origine », Cahiers de l’Ecole des
sciences philosophiques et religieuses, 2, Bruxelles, 1987,
p. 69-94.
— Meister K., Die sizilische Geschichte bei Diodor von den
Anfängen bis zum Tod des Agathokles
(Quellenuntersuchungen zu Buch IV-XXI), Diss. Ludwig-
Maximilians-Universität, München, 1967.
— Moreau A., Le mythe de Jason et de Médée, Paris, 1994.
— Palm J., « Über Sprache und Stil des Diodoros von
Sizilien », CWK, Lund, 1952.
— Piérart M., « L’historien ancien face aux mythes et aux
légendes », Les Études Classiques, 51, 1983, p. 47-62 et 105-
115.
— Rubincam C.I.R., « Cross-references in the Bibliotheke
historike of Diodoros », Phoenix, XLIII, 1989, p. 39-61.
— Saïd S., « 6 Usages de Femmes et sauvagerie dans
l’ethnographie grecque d’Hérodote à Diodore et
Strabon », La Femme dans le Monde Méditerranéen, T.M.O.
10, Lyon, 1985, p. 137-150.
— Sartori M., « Storia, Utopia e mito nei primi libri della
bibliotheca Historica di Diodoro Siculo », Athenaeum,
LXII, 1984, p. 492-536.
— Schmidt M., « Medea und Herakles, zwei tragische
Kindermörder », Festschrift. K. Schauenburg, p. 169-174.
— Strogeckij V. M., « Diodore de Sicile et sa Bibliothèque
historique vus par les historiens modernes », Vestnik
Drevnej Istorii. Revue d’histoire ancienne, 166, 1983, p. 176-
186.
— Vian F., « La fonction guerrière dans la mythologie », in
Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, éd. J.-P. Vernant,
Paris-La Haye, 1968, p. 53-68.
Ajoutons aussi les éditions d’autres mythographes anciens
précieux pour comparer les différentes versions d’un
mythe :
Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, texte établi par
Vian F., trad. de Delage E., 3 tomes, éd. Les Belles Lettres
(coll. C.U.F.), 1976-1980 et 1981.
Les Dionysiaques de Nonnos de Pannopolis, dir. Vian F., 9
tomes parus, éd. Les Belles Lettres (coll. C.U.F.), 1976-.
1. Les abréviations de titres de périodiques utilisées
pour cette bibliographie correspondent à celles de
l’Année Philologique.
INDEX DES NOMS ET DES LIEUX

Acamas : 90
Acastos : 78, 81
Achéens : 98
Achéloos : 58
Achille : 102, 104
Acrisios : 25
Actéon : 111
Actor : 62, 99, 102
Admète : 78
Adraste : 93
Adriatique : 46, 83
Aella : 35
Agamemnon : 85, 101, 102
Agavé : 17
Agénor : 16
Aglaïa : 98
Agrée : 111
Agrigente : 108, 109
Agyriens : 44
Agyrion : 110
Aiétès : 68, 69, 70, 71, 72, 82
Aigialeus : 69
Aigimios : 60, 85
Aison (Éson) : 63, 97
Aithaléia : 83
Aithra : 86, 90, 91
Ajax : 13, 102
Aktê : 116
Alabon : 108
Alcaios : 27
Alcathoos : 93
Alcathos : 102
Alceste : 77, 78
Alcidikê : 97
Alcimènès : 79
Alcinoos : 101
Alcippé : 35
Alcman : 23
Alcmène : 25
Alcmène : 25, 26, 33, 55
Alcmène : 85
Alcméon : 94, 95
Alcyône : 31
Alector : 99
Alégènôr : 97
Aléos : 56, 97
Alésia : 39
Alexandre de Macédoine : 34
Alôeus : 117
Alpes : 39
Alphée : 32, 79, 97
Althaia : 58
Amalthée : 59
Amazone : 35, 90
Amazones : 35, 36, 49
Amphalkès : 98
Amphiaraos : 54, 93, 98
Amphinomé : 74, 78
Amphion : 31
Amphiôn de Thèbes : 98
Amphitryon : 26, 27
Amythaôn : 97, 98, 99
Anaxagoras : 98
Anchise : 105
Andomède : 25
Andraimon : 78
Androgée : 87, 88
Antée : 36, 37, 48
Antigone : 93
Antiochos : 60
Antiôn : 99
Antiope : 36, 49
Antiphatès : 98
Aornos : 42
Aphidna : 91
Aphrodite : 17, 21, 22, 43, 47, 90, 93, 95, 105, 108, 109, 113
Aphrodite Érycine : 108, 113
Apollon : 33
Apollon. : 47
Apollon : 53, 61, 65, 87, 94, 98, 100, 101, 104, 111
Apollon : 112
Aratos : 110
Arcadie : 29, 31, 55, 56, 57, 100
Arcadiens : 60, 84
Arcésilas : 97
Archilycos : 97
Architélès : 59
Aréopage : 106
Arès : 40, 58, 61, 71, 102
Argeia : 93
Argéios : 31
Argiens : 27, 85
Argiopé : 57
Argo : 64, 78
Argolis : 56
Argonautes : 13, 34, 46, 54, 63, 65, 67, 68, 69, 71, 73, 77, 78,
82, 83
Argôon : 83
Argos : 28, 64, 85, 93, 98
Ariane : 87, 89
Aristée : 13, 111, 112, 113
Arné : 96
Artémis : 35, 42, 57, 68, 75, 104, 111, 115
Artémis Tauropolê : 68
Asclépios : 13, 100
Asie : 53, 56, 70, 82, 103, 104
Asiné : 60
Asopis : 101
Asôpos : 13, 88, 101, 102
Asphodèle : 116
Assaracos : 104
Astéria : 35
Astérios : 87
Astyaguia : 99
Astydaméia : 61
Atalante : 57, 64, 72, 93
Athamas : 70
Athéna : 26, 33
Athènes : 46, 81, 86, 87, 88, 90
Athéniens : 49, 50, 62, 88, 89, 90, 94, 107
Athos : 65
Atlantides : 48
Atlas : 47, 48
Atrée : 85
Attique : 49, 86, 88, 91, 106
Augé : 56
Augias : 32, 55
Autolytê : 97
Autonoé : 17, 111
Azan : 55

Bacchantes : 20
Bakkheios : 20
Batéia : 104
Béotie : 17, 18, 38, 95, 101
Béotiens : 18, 96, 97
Bias : 98
Boion : 96
Boiotos : 96, 97
Boréades : 67
Borée : 66, 67
Bosphore cimmérien : 49
Boucolos : 115
Bouphonas : 44
Boutès : 43, 100, 113
Bromos : 20
Busiris : 37, 48
Butaias : 44
Byzantins : 73
Byzas : 73

Cacia : 41
Cacius : 41
Cadix : 82
Cadmée : 94
Cadméens : 96
Cadmos : 16, 95, 111
Caineus : 60
Caius César : 39
Callicarpos : 112
Calliope : 23
Calliope : 24
Callisthène : 15
Calydon : 57, 93
Calydoniens : 58, 59
Cameiros : 85
Camicos : 108
Canès : 78
Capanée : 93
Capys : 104
Cariens : 56
Carthaginois : 37, 44, 51, 52, 114, 115
Carystos : 60
Castor : 64
Catreus : 87
Célainô : 35
Celtes : 39, 82
Centaure : 30, 61
Centaures : 13, 25, 30, 31, 33, 98, 99, 100
Centauros : 98
Céphalos : 78
Céphée : 25, 56
Cerbère : 46
Cercopès : 53
Cercyon : 86
Cèyx : 60, 83
Chalcis : 101
Charmos : 112
Chéloné : 86
Chiron : 31
Chlôris : 98
Chrysaor : 36, 37
Chypre : 60
Circaion : 69
Circé : 68, 75, 80
Cléodaios : 53
Cleonas : 55
Cléônê : 101
Cléopâtra : 66, 67
Clio : 23
Clonios : 97
Clytios : 61
Cocalos : 13, 105, 107, 108
Colchide : 34, 64, 68, 69, 70, 71, 80, 82
Corcyra : 101
Corcyre : 101
Coré : 44
Corinthe : 55, 78, 79, 86
Corinthiens : 78, 81
Corônis : 100
Corônos : 60
Corybas : 87
Corydallos : 86
Corynètès : 86
Corythos : 56
Créon : 27, 28, 78, 80, 81, 92, 96
Crète : 32, 36, 87, 89, 106, 108, 110
Crété : 87
Crétheus : 87, 97
Crétois : 36, 109-110
Créüse : 98
Crios : 71
Crommyon : 86
Cronos : 110
Croton : 46
Crytidas : 44
Ctésippos : 61
Curètes : 110
Cyané : 44
Cychrée : 101, 102
Cyclopes : 100
Cycnos : 61
Cymé : 41
Cyrène : 111
Cyrus : 51

Danaé : 25
Daphné : 95
Daphnis : 13, 31, 113, 114, 115
Dardanien : 104
Dardanos : 13, 66, 104
Dédale : 13, 51, 105, 106, 107, 108
Dédalides : 106
Déesses Mères : 109
Déiphobe : 53
Déïpylé : 93
Déjanire : 35, 57, 59, 60, 61
Delphes : 28, 56, 60, 61, 95
Déméter : 19, 33
Démophôn : 90
Deucalion : 87, 89, 96, 97
Dexaménos : 55
Dia : 89, 99
Dicæarcheia : 42
Diktè : 110
Dimétor : 20
Diomède : 34
Dionysies : 22
Dionysos : 13, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 30, 34, 47, 89, 98,
111, 113
Dioscures : 55, 66, 72, 82, 91
Doride : 60, 96
Doriens : 60, 85, 96
Dorieus de Lacédémone : 44
Doros : 85, 87
Doupon : 31
Dracon : 47, 71
Dryopes : 60

Éaque : 88, 102


Echémos : 85
Égée : 81, 86, 87, 88, 99
Égestaine : 43
Égine : 88, 101
Égypte : 37, 46, 48
Égyptiens : 16, 22, 48
Égyptos : 17
Eileithya : 26
Éïon : 60
Eïonée : 99
Électryon : 25, 85, 97
Éléens : 55, 79
Éleusis : 46, 86
Éleuthère : 18
Élide : 97, 99
Élis : 55, 99
Émathion : 48
Énée : 105, 113
Éole : 96, 97
Éolie : 96
Éoliens : 87, 97, 98
Éos : 104
Éphore de Cymé : 15
Éphyra : 59
Épigones : 96
Épire : 46
Érato : 23, 24
Érechthée : 50, 66, 105
Érechthonios : 104
Erginos : 27, 28
Eribœa : 35
Ériboée d’Athènes : 102
Érinéos : 96
Ériphylé : 94
Érymanthe : 29
Éryx : 13, 43, 108, 113, 114
Étéocle : 93
Éthiopie : 48, 104
Éthiopiens : 48
Etna : 41
Étolie : 57, 58, 93
Étoliens : 58
Eubée : 60
Euboia : 116
Eupalamos : 105
Europe : 17, 38, 49, 70, 87
Eurybia : 35
Eurydice : 25
Eurynomos : 59, 98
Eurysthée : 26, 28, 30, 31, 32, 34, 36, 46, 47, 55, 60, 72, 81,
84, 85
Eurytion : 55
Eurytos : 52, 55, 61
Euterpe : 23, 24
Euxin : 35
Evadné : 78
Événos : 59
Évespérides : 83

Formia : 83

Gadeira : 37
Gaia : 23, 34, 42
Ganymède : 104
Gaule : 40
Géants : 34, 41, 42
Géryon : 36, 45
Géryoné : 25
Glaucé : 80, 102
Glaucos : 72, 73
Gléneus : 60
Glychatas : 44
Grèce : 28, 38, 51, 64, 70, 84, 112
Grecs : 16, 18, 46, 49, 62, 72, 79, 85, 87, 100, 101, 113

Hadès : 46, 47, 91, 100


Haimos : 113
Harmonie : 17, 93, 95
Harpinê : 102
Hébé : 63
Hécaté : 68, 75
Hécatompylos : 37
Hector : 104
Hécube : 104
Hélène : 90, 91
Hélios : 68, 69, 87
Hellé : 70
Hellen : 87, 97
Hellespont : 70, 73
Héphaïstos : 33
Héra : 17, 26, 27, 28, 34, 62, 99, 114
Héraclée : 44
Héracléenne : 45
Héraclès : 13, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
36, 37, 39, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53,
54, 55, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 64, 65, 72, 73, 78, 80, 83,
85, 91
Héraclides : 15, 84, 85
Hermaphrodite : 13, 22
Hermès : 17, 22, 33, 115
Hermioné : 60
Hésiode : 23, 116
Hésioné : 55, 65, 66, 73
Hespérides : 47, 48
Hespérie : 48
Hespéris : 48
Hespéros : 48
Hestiaôtide : 60
Himérienne : 43
Hippalcimos : 97
Hippocentaures : 99
Hippocoon : 55, 98
Hippodamie : 90, 100, 102
Hippolyte : 35, 49, 53, 55, 90
Hippomédon : 93
Hipponoos : 58
Hippotès : 81, 96
Hippotion : 31
Hoditès : 60
Homère : 17, 23, 54, 74, 95, 116
Hyllos : 59, 60, 84, 85
Hyperboréens : 75, 76
Hypermnestra : 98
Hypsée : 98, 99, 111

Ialysos : 85
Iardonos : 53
Ibérie : 36, 37, 38
Icare : 107
Icaros : 107
Ida : 87, 104
Idaea : 66
Idéen : 110
Ilion : 53, 74, 104
Ilos : 104
Inde : 18
Inô : 17
Iolaeion : 50
Iolaos : 28, 29, 45, 50, 51, 52, 55, 61, 84
Iolcos : 65, 74, 81, 97
Iolé : 52, 61
Ioléens : 51
Iphianeira : 98
Iphiclès : 55, 57
Iphiclos : 56, 73
Iphigénie : 68
Iphitos : 52, 53, 72
Isis : 22
Ismène : 93
Ismènos : 101
Isocrate : 15
Isoplès : 31
Ister : 83
Isthme de Corinthe : 85, 102
Istriens : 83
Italie : 46, 69, 83, 113
Ithaque : 101
Ithyphallos : 22
Itonê : 87
Itoniens : 53
Itonos : 61, 97
Ixion : 90, 99

Jason : 34, 54, 63, 70, 72, 74, 78, 79, 81


Jeux olympiques : 32
Jocaste : 92

Kénaion : 61
Kéos : 112
Kytinion : 96

Lacédémone : 91
Lacinios : 46
Ladôn : 101
Laërte : 72
Laios : 92
Lamos : 53
Lampéia : 29
Laomédon : 53, 54, 65, 73, 104
Lapithes : 13, 60, 98, 100
Lapithès : 98
Léda : 91
Leïtos : 97
Lenaios : 20
Léontée : 78
Léontins : 44
Lerne : 29
Létô : 103
Leucaspis : 44
Libye : 36, 37, 38, 47, 48, 83, 111, 112
Lichas : 61
Licymnios : 55, 57, 61, 84, 85
Ligurie : 40
Lindon : 85
Lipara : 97
Locride : 43
Lucullus : 41
Lycastos : 87
Lycôpée : 93
Lyctios : 87
Lycurgue : 18
Lydiens : 53

Machaon : 100
Maléa : 100
Manto : 98
Marathon : 87
Marpè : 35
Médée : 13, 68, 69, 70, 71, 75, 77, 79, 81
Mèdes : 81
Médie : 82
Mêdos : 81
Mégapenthès : 98
Mégara : 28, 52
Mégaride : 86, 108
Mélampous : 98
Melanchaitès : 31
Mélanippé : 35, 36, 96
Méléagre : 57, 58, 72
Méliens : 60
Melpomène : 23, 24
Memnon : 104
Ménécée : 96
Ménoitios : 62
Mentiôn : 105
Méoniens : 53
Messène : 116
Messénie : 98
Métaponte : 96
Métopé : 101
Mimas : 96
Minôa : 108, 109
Minos : 13, 32, 87, 88, 89, 105, 106, 108
Minos-le-second : 87
Minotaure : 13, 87, 88, 105, 106
Minyens : 27, 28, 38
Misène : 42
Mitraphore : 20
Mnémosyne : 23
Moires : 58
Molion : 61
Mont Éryx : 114
Musée : 46
Muses : 13, 19, 21, 23
Mycènes : 29, 84, 85
Myrtilos : 103
Mysie : 56
Mystères : 90

Nauplie : 56
Nauplios : 56
Naxos : 89
Nélée : 13, 53, 97, 98
Némée : 29
Néphélé : 30, 99
Nessos : 59
Nestor : 53, 97, 98
Nil : 17, 48
Niobé : 13, 33, 103
Nomios : 111
Nymphes : 17, 43, 99, 111, 115
Nysa : 17

Océan : 98, 101


Œagre : 46
Œdipe : 92, 93
Oinomaos : 13, 102, 103
Oichalia : 52, 61
Oiclès : 54
Oiclès (autre) : 98
Oineus : 57, 58, 59, 61, 93
Oinoé : 88
Oiônos : 55, 57
Olénos : 55, 58, 99
Olympe : 60
Olympia : 79
Omados : 31
Omphale : 53
Oponte : 62
Orchoméniens : 28
Orchoménos : 39
Oreios : 31
Orion : 13, 115, 117
Orithye : 66
Orménios : 61
Ornia : 101
Orphée : 46, 47, 64, 66, 72
Orsinomé : 98
Osiris : 16, 22
Ouranos : 23

Palatin : 40
Pallas : 88
Pallène : 34
Pan : 115
Panathénées : 87
Pandion : 81
Paphlagonie : 103
Parthénion : 56
Parthénopée : 93
Pasiphaé : 32, 87, 106
Pediacratès : 44
Pélasges : 87
Pélasgiotide : 61
Pélasgos : 101
Pélée : 102
Pélias : 13, 63, 74, 75, 76, 77, 78, 81, 97
Pélion : 64, 111
Péloponnèse : 32, 46, 53, 55, 57, 60, 78, 84, 85, 87, 98, 102,
103
Pélops : 13, 25, 99, 102, 103
Pélore : 43
Pelôron : 116
Pénée : 38, 98, 101, 111
Pénéléôs : 97
Penthée : 18
Périboia : 58
Périclyménos : 98
Périméla : 99
Périphas : 98
Persée : 25, 63, 68, 82
Perséides : 26
Perséphone : 19, 42, 46, 47, 90
Perses : 51
Phéax : 101
Phèdre : 90
Phénéos : 55, 57
Phénicie : 16, 17, 82, 87
Phéniciens : 44, 101
Phérès : 78, 97
Philippis : 35
Philoctète : 62
Phinée : 66, 67
Phlègra : 41
Phlionte : 101
Phocidiens : 78
Phocis : 92
Phocos : 102
Phoibé : 35
Pholoé : 30, 31, 100
Pholos : 30
Pholos : 31
Phorbas : 85, 98
Phoronée : 33
Phrixos : 31, 70
Phtia : 102
Phtiotide : 98
Phylas : 60
Phylée : 55, 59
Pinarius : 41
Piréné : 101
Pirithoos : 47, 90, 91, 99
Pisa : 102
Pitthée : 86, 90
Podalirios : 101
Pollux : 64
Polyboia : 98
Polybos : 92
Polydora : 17
Polymnie : 23, 24
Polynice : 93, 95
Polypoitès : 90
Pont : 64, 68, 70, 72, 73, 74, 82, 83
Poséidon : 33, 55, 65, 78, 86, 96, 97, 101, 102, 106, 116
Poseidônia : 42
Priam : 13, 54, 73, 104
Priape : 13, 21, 22
Procuste : 86
Promachos : 74
Prométhée : 34
Pronoè : 98
Propontide : 73
Prothoè : 35
Prothoènôr : 97
Pylos : 53, 98
Pyrigénos : 20
Pythie : 81, 92, 110
Pythô : 81

Radamanthe : 87
Rhégium : 43
Rhodes : 85
Rhodiens : 85
Romains : 39, 41, 52, 83, 114
Rome : 40, 83, 114
Romulus : 40
Sabazios : 19
Salamine : 101
Salamis : 101
Salmoné : 97
Salmonée : 97
Samothrace : 65, 66, 72, 74
Sardaigne : 50, 52, 112
Sarmates : 69
Sarpédon : 87
Satyres : 21
Scamandre : 104
Schoineus : 57, 64, 93
Sciron : 86
Scythes : 49, 66, 69, 71
Scythie : 49, 67
Sélinonte : 108
Sémélè : 17, 47
Sept contre Thèbes : 13, 91, 94
Sicaniens : 107, 109, 114
Sicile : 41, 43, 44, 51, 107, 108, 109, 112, 114, 116
Sidéro : 97
Sigéion : 65
Silène : 19
Sinis : 86
Sinopé : 101
Sparte : 55
Stilbé : 98
Stymphale : 32, 56
Sybaris : 71
Syleus : 53
Syracuse : 44
Syriens : 101
Syros : 101
Syrtes : 83

Talos : 105
Tanagra : 101
Tanaïs : 82
Tantale : 13, 102, 103
Tauride : 68, 69, 71
Tecmessa : 35
Tectamos : 87
Tégéates : 85
Tégée : 85
Télamon : 54, 64, 73, 102
Télèphe : 56
Tempé : 38
Terpsichore : 23, 24
Téthys : 98, 101
Teucer : 104
Teucrien : 104
Teuthras : 56
Thalie : 23, 24
Thébains : 27, 39, 62
Thébè : 101
Thèbes : 17, 27, 50, 80, 81, 85, 92, 93, 94, 96
Themiscyra : 35
Théopompe : 15
Thérée : 31
Thermodon : 35, 49
Théron : 109
Thersandros : 95
Thésée : 13, 36, 47, 49, 81, 84, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 100
Thespia : 101
Thespiades : 50, 51, 52, 72
Thespies : 50
Thespios : 50, 64, 98
Thesprotes : 59
Thessalie : 38, 74, 78, 96, 98, 101, 102
Thessaliens : 63, 81
Thessalos : 79, 81
Thestios : 57
Thétis : 102
Thrace : 34, 46, 49, 66, 113
Thraces : 18, 67
Thriambos : 20
Thyoné : 47
Tibre : 40, 41
Tilphôssion : 95, 96
Timée : 42, 43
Tirésias : 95, 96
Tirynthe : 27, 52, 55
Tisandre : 79
Titans : 22
Tithonos : 104
Tlépolémos : 54, 59, 85
Toison d’or : 34, 64, 70
Toxée : 61
Trachis : 60, 61, 62, 83
Tréton : 29
Trézène : 81, 86, 90
Tricorythos : 84, 85
Triopas : 85
Triton : 83
Troade : 65, 73, 104
Troie : 54, 65, 74, 85, 97, 98, 100, 102, 104
Tros : 104
Troyens : 104
Tychôn : 22
Tydée : 58, 93
Tyndare : 55
Tyndarides : 72
Tyro : 97
Tyrrhénie : 83
Tyrrhéniens : 40

Uranie : 23
Uranie : 24

Vésuve : 41

Zanklè : 116
Zanklos : 116
Zeus : 17, 18, 19, 23, 25, 26, 28, 32, 33, 34, 36, 48, 62, 87, 88,
91, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 110
Zeus Olympien : 79
Zeus Sôter : 18
Zeuxippé : 98
Cette édition électronique du livre
Mythologie des Grecs de Diodore de Sicile
a été réalisée le 13 septembre 2019
Flexedo
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-33929-0).

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