Ncae 025 0001
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Ncae 025 0001
2015/6 n° 25 | pages 1 à 12
ISSN 2273-8525
DOI 10.3917/ncae.025.0001
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L
e tissu productif français se caractérise par un petit l’accès à la formation continue et de contrôler réguliè-
nombre de grandes entreprises, le plus souvent des rement sa qualité. Les conditions d’embauche et de sépa-
groupes internationaux, et un très grand nombre de ration devraient être aménagées avec un contrôle juridique
PME voire de très petites entreprises. Il compte moins moins sujet à interprétation du licenciement économique.
de grandes PME et d’entreprises de taille intermédiaire Afin de donner aux PME une plus grande maîtrise de leur
que ses principaux voisins, un handicap potentiel dans la politique salariale, nous suggérons par ailleurs de limiter
concurrence internationale. Cette situation révèle une diffi- les extensions des accords de branches et de favoriser les
culté des entreprises jeunes et innovantes à grandir et à clauses dérogatoires.
concurrencer des entreprises plus anciennes, à les pous-
Pour la réallocation du capital entre entreprises, nous
ser à innover elles aussi ou à disparaître du marché. Elle
préconisons un régime fiscal neutre sur les cessions de
est préjudiciable à la productivité à l’échelle d’un pays :
parts sociales afin que les dirigeants-cédants ne soient
celle-ci augmente de fait principalement par un effet de
pas pénalisés de passer la main avant leur retraite ou de
réallocation des facteurs de production (capital et travail)
choisir un repreneur hors de leur cercle familial. Nous
au profit des entreprises les plus productives et en crois-
recommandons aussi de corriger les défaillances du finan-
sance ; or cet effet ne joue pas pleinement dans notre
cement interentreprises pesant sur les petites entreprises
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Cette note est publiée sous la responsabilité des auteurs et n’engage que ceux-ci.
Organisme(s)
2 Faire prospérer les PME
Le manque d’entreprises de taille intermédiaire et de même année on comptait 137 500 PME hors TPE (entre 10
« grandes PME » est régulièrement pointé du doigt comme un et 249 salariés)3, 5 000 entreprises de taille intermédiaire
handicap majeur du tissu productif français dans la concur- (ETI, entre 250 et 5 000 salariés)5 et 243 grandes entreprises
rence internationale, notamment en comparaison avec le (GE, plus de 5 000 salariés). Par construction, le poids des
Mittelstand allemand. Seulement 1 % des entreprises fran- PME est plus modeste si on le mesure en termes d’emploi
çaises ont 50 employés ou plus (et seulement 0,2 % ont salarié (47 %) ou de valeur ajoutée (44 %), même s’il varie
250 employés ou plus) ; les proportions correspondantes considérablement selon les secteurs4. La contribution des
sont de 3 et 0,5 % respectivement en Allemagne1. Ce phéno- PME en termes d’exportations est encore plus faible (15,5 %).
mène est préoccupant car une plus grande taille est le reflet
d’une plus haute productivité permettant de supporter plus
facilement les coûts d’accès aux marchés étrangers2. Plus petites en France qu’en Allemagne
ou au Royaume-Uni
Toutes les PME n’ont pas vocation à grandir, de même qu’elles
ne sont pas toutes destinées à survivre du fait d’une renta- Par rapport à l’Allemagne et au Royaume-Uni, la France compte
bilité insuffisante. Ces deux phénomènes sont universels. Ce une plus grande proportion de TPE et une plus faible propor-
qui est particulier à la France, c’est la difficulté d’entreprises tion de grandes PME (tableau 1). Les différences de structure
jeunes et innovantes à grandir et à concurrencer des entre- sectorielle peuvent expliquer une part des écarts observés
prises plus anciennes, à les pousser à innover elles aussi ou avec l’Allemagne, mais pas ceux observés avec le Royaume-
à disparaître du marché. Or ce phénomène est la clé de la Uni. Dès lors, la question se pose de savoir si les TPE fran-
croissance de la productivité à l’échelle d’un pays : il ne faut çaises souffrent d’un problème spécifique de croissance.
pas attendre que toutes les entreprises fassent des gains de
productivité ; la recherche a montré que la productivité d’un
pays augmente principalement par un effet de réallocation 1. Comparaison France, Allemagne et Royaume-Uni
de la structure par taille des unités, 2012, en %
des facteurs de production (capital et travail) au profit des
entreprises les plus productives. Plusieurs études montrent France Allemagne Roy.-Uni
également qu’en termes dynamiques, ce sont moins les petites
et moyennes entreprises (PME) que les jeunes entreprises qui Part dans le total des PME
• 1 à 9 salariés 95 83 89
créent des emplois (voir infra). Dès lors, les objectifs de pro- • 10 à 19 salariés 3 10 6
ductivité et d’emploi sont alignés : c’est en aidant les jeunes • 20 à 49 salariés 2 5 3
• 50 à 249 salariés 1 3 2
PME à grandir (ou, plus modestement, en éliminant les obs-
tacles à leur croissance) que l’on créera richesse et emploi ; Part de l'emploi dans l'emploi total des PME
• 1 à 9 salariés 46 30 33
non en protégeant les entreprises en place pour éviter qu’elles • 10 à 19 salariés 13 18 16
ne disparaissent sous l’effet des nouvelles concurrences. • 20 à 49 salariés 17 19 21
• 50 à 249 salariés 24 33 31
Les auteurs remercient Jean Beuve, Clément Carbonnier, Aurélien Eyquem et Hélène Paris qui ont assuré le suivi de ce travail au sein de l’équipe permanente
du CAE.
1
Données Eurostat, 2011 pour la France et 2012 pour l’Allemagne.
2
Voir, par exemple, Mayer T. et G. Ottaviano (2007) : « The Happy Few: The Internationalisation of European Firms », Bruegel Blueprint, n° 3.
3
Outre son nombre de salariés (moins de 250), la PME se définit par un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ou un bilan inférieur à 43 millions.
4
L’emploi dans les secteurs de la construction, des services aux particuliers, de l’artisanat commercial et des activités scientifiques et techniques est très
concentré dans les PME. A contrario, les secteurs finance-assurance, industrie et information-communication emploient surtout des salariés dans des ETI ou GE.
5
Selon la définition de l’entreprise et sa catégorie de la loi de modernisation de l’économie (LME), l’entreprise est plus proche conceptuellement du groupe que de
l’unité légale. Ainsi, les petites entreprises filiales d’un groupe, auparavant comptées comme PME, sont maintenant incorporées aux « grandes entreprises » si le
groupe est de grande taille. Données INSEE (ÉSANE : Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises et LIFI : Enquête dur les liaisons financières entre sociétés).
6
Le projet DynEmp, porté par l’OCDE, fournit une base de données permettant de décrire les évolutions d’emploi pour différents groupes d’entreprises
classées par âge, taille et secteur d’activité sur 10 ans et dans 18 pays.
20
Suède Pays-Bas tion d’emploi : entre 1995 et 2009, les entreprises de moins
Autriche
15
Autriche de 5 ans ont créé 173 000 emplois par an en moyenne,
États-Unis
États-Unis Royaume-Uni
contre une destruction moyenne annuelle de 129 000 pour
10 Portug al France les entreprises de plus de 5 ans9.
Espagne Pays-Bas
Suède Italie
Portugal
Royaume-Uni
Toutes les entreprises ne sont pas destinées à croître.
5
Certaines entreprises n’ont pas de perspective de croissance
Italie
Espagne car elles s’adressent à un marché très localisé. D’autres
peuvent se satisfaire d’atteindre une rentabilité jugée suf-
45°
3 fisante, sans chercher à développer leurs activités. Mais il
1 3 5 10 15 20 25 importe que des entreprises innovantes, avec un véritable
Taille des unités de 0 à 2 ans potentiel de croissance, parviennent à franchir les différents
Lecture : Échelles logarithmiques. stades de développement, soit en devenant elles-mêmes
Source : OCDE (2014) : Projet DynEmp, disponible sur www.oecd.org/ de grandes entreprises, soit en étant intégrées au sein d’un
fr/sti/dynemp.htm
groupe. Ce potentiel d’expansion des PME est un enjeu
majeur pour la croissance de l’économie dans son ensemble.
D’une part, les grandes entreprises sont plus productives
sont pas plus grandes. Ceci suggère qu’il existe, d’une part, que les petites grâce à des rendements d’échelle, notam-
des barrières à l’entrée nécessitant d’atteindre d’emblée une ment grâce à une production à forte intensité capitalistique :
taille critique, et d’autre part, des obstacles important à l’ex- élever la taille moyenne des entreprises permet donc d’élever
pansion de ces entreprises. la productivité. D’autre part, les gains de productivité dans
une économie sont dus pour une bonne part au différentiel
Constat 1. En France, les TPE sont sur- de croissance entre différents types d’entreprises. Ce qui
représentées par rapport à ce que l’on compte, ce n’est pas que toutes les entreprises fassent des
observe en Allemagne ou au Royaume-Uni. gains de productivité, mais plutôt que celles qui en font gros-
Cette surreprésentation des petites unités sissent plus vite que les autres (voir plus bas).
révèle un problème de capacité à croître.
La surreprésentation des entreprises de petite taille en
France, et leur difficulté à croître, est donc une mauvaise
Les inconvénients de cette situation nouvelle pour la productivité. Comme pour l’emploi cepen-
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7
Commission européenne (2012) : Do SMEs Create More and Better Jobs?, Memo/12/11, 16 janvier.
8
Haltiwanger J., R. Jarmin et J. Miranda (2013) : « Who Creates Jobs? Small vs Large vs Young », Review of Economics and Statistics, vol. 95, n° 2, pp. 347-361.
9
Accardo J. et C. Cordellier (2013) : « Les entreprises indépendantes d’un groupe : un renouvellement continu et important », INSEE Première, n° 1438, mars.
Cette relation négative entre âge et croissance de l’emploi est confirmée sur données internationales par Ayyagari M., A. Demirguc-Kunt et V. Maksimovic
(2011) : « Small vs Young Firms across the World: Contribution to Employment, Job Creation, and Growth », World Bank Policy Research Paper, n° 5631, avril.
10
Picart C. (2008) : « Les PME françaises : rentables mais peu dynamiques ? », Document de Travail de l’INSEE, n° G 2008/01.
www.cae-eco.fr
4 Faire prospérer les PME
En % de la PGF moyenne
(1 à 9 salariés, 10 à 49 et 50 à 249) et leur âge (moins de 500 >= 5 ans
ans
5 ans et 5 ans et plus). L’échantillon se compose au total de
400
141 000 entreprises, dont 24 000 « jeunes » et 117 000
« âgées ». On mesure alors la PGF la plus fréquente (le 300
mode de la distribution) sur les différents sous-échantillons
et on la compare à la PGF moyenne de l’ensemble de 200
l’échantillon, cette dernière étant normée à 100. Un indice 100
de 100 représente une productivité majoritairement
proche de la moyenne de l’ensemble des entreprises de 0
l’échantillon, tandis qu’un indice supérieur (ou inférieur) Ensemble
1 1-9
2 10-49
3 50-249
4
indique une meilleure (ou moins bonne) productivité. Lecture : Mode de chaque sous-échantillon rapporté à la moyenne
sur toutes les entreprises.
Le graphique montre clairement que les PME de plus de
Source : Calculs CAE sur données Amadeus pour 2014.
5 ans sont moins productives que celles de moins de
5 ans, sauf lorsqu’elles ont atteint 50 salariés ou plus. majorité des plus de 5 ans. On voit néanmoins qu’il y
La population des jeunes entreprises de 10 à 49 sala- a un enjeu en termes de productivité à faire passer les
riés est particulièrement hétérogène, un grand nombre jeunes entreprises vers la catégorie des « grandes » PME
d’entre elles étant en réalité moins productives que la (de plus de 49 salariés) en quelques années.
a
Le calcul des PGF X se fait à partir de la valeur ajoutée totale Y, de l’actif immobilisé K et de l’effectif salarié N. Les entreprises reportant des
valeurs négatives ou nulles sont écartées de l’échantillon. Les variables Y et K sont exprimées en valeur, pour l’année 2014. La relation estimée
est log(Yi ) = Ak * log(Ki ) + An * log(Ni ) + Xi pour les i entreprises de l’échantillon. Les coefficients Ak et An sont estimés sur l’ensemble de l’échan-
tillon par la méthode des moments généralisés. Les indices reportés sont issus des distributions de PGF sur des sous-ensembles de l’échantillon.
b
Base de données comprenant 21 millions d’entreprises en Europe.
La productivité mal récompensée productives vers les entreprises les plus productives, et que
cette difficulté s’est accentuée depuis le début des années
Ainsi, ce sont les jeunes entreprises qui portent la productivité, 2000 (encadré 2).
non les PME en général. La question dès lors est de
savoir si la France compte suffisamment de jeunes Constat 3. La réallocation des facteurs
entreprises. Si l’on met de côté le régime des auto- de production (travail et capital) des
entrepreneurs11, le taux de création d’entreprise en France entreprises les moins productives vers les
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6 Faire prospérer les PME
18
Voir Cahuc P. et C. Prost (2015) : « Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi », Note du CAE, n° 24, septembre.
19
DARES (2015) : « Les emplois vacants : la moitié se situe dans les petites entreprises », DARES Indicateurs, n° 059, août.
20
Voir, par exemple, Argouarc’h J., V. Cottet, É. Debauche et A. Smyk (2010) : « Les petites entreprises ont été les premières à baisser leurs effectifs pendant
la crise », Note de Conjoncture de l’INSEE, Dossier ‘Le cycle de l’emploi’, mars.
21
Voir l’article 266 de la loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (juillet 2015), ultérieurement censuré par le Conseil constitutionnel.
22
DARES (2012) : « Salaires conventionnels et salaires effectifs : une corrélation variable selon la catégorie socio-professionnelle et la taille de l’entreprise »,
DARES Analyses, n° 093, décembre.
adopter une politique salariale plus dynamique. Cependant Recommandation 3. Limiter les extensions
plusieurs études empiriques ont montré que des contraintes des accords de branches. Favoriser les clauses
de salaires conventionnels fortes, ne tenant pas compte des dérogatoires dans les conventions étendues.
évolutions de productivité des jeunes entreprises, peuvent
être préjudiciables à leur développement pendant les toutes
premières années23. Dans le cas particulier de l’Allemagne,
des économistes ont pu mettre aussi en avant le rôle cen- Lever les barrières aux réallocations
tral joué par une forte décentralisation des négociations sala- du facteur capital
riales au milieu des années 1990, bien plus que les réformes
Hartz postérieures souvent citées en exemple, pour expli- La réallocation du capital entre entreprises peut se faire au
quer les gains de productivité et de compétitivité réalisés en moment des transmissions ou cessions, ou bien à l’occa-
Allemagne dans les années 200024. sion des mises en redressement judiciaire. Les PME sont les
premières concernées quantitativement par ces opérations,
Ceci plaide pour une approche très sélective des exten- tandis qu’elles souffrent de financer structurellement la tréso-
sions d’accords de branche, notamment lorsque les dispo- rerie des grandes entreprises.
sitions peuvent être un obstacle sérieux au développement
de certains acteurs, en favorisant de fait certaines entre-
prises de la branche. Parallèlement, et dans l’esprit du rap- Fiscalité sur les transmissions/cessions
port Combrexelle25, partenaires sociaux et État pourraient d’entreprises
inciter au développement de clauses dérogatoires dans les
conventions étendues, en donnant la priorité à l’accord col- Un récent rapport remis au ministre de l’Économie26 pointe les
lectif d’entreprise. Les dérogations pourraient aussi béné- blocages psychologiques et informationnels à la transmission des
ficier, dans certaines branches, aux nouvelles entreprises PME, et souligne aussi le rôle de la fiscalité. Le régime fiscal actuel
pendant leurs premières années d’activité. (encadré 3) soulève plusieurs questions. D’abord, le principe de
23
Voir, par exemple, Henrekson M. (2014) : « How Labor Market Institutions Affect Job Creation and Productivity Growth », IZA World of Labor, n° 38, mai, ou encore,
Magruder J. (2012) : « High Unemployment Yet Few Small Firms: The Role of Centralized Bargaining in South Africa », American Economic Journal, vol. 4, n° 3.
24
Dustmann C., B. Fitzenberger, U. Schönberg et A. Spitz-Oener (2014) : « From Sick Man of Europe to Economic Superstar: Germany’s Resurgent Economy »,
Journal of Economic Perspectives, vol. 28, n° 1, pp. 167-188.
25
Combrexelle J-D. (2015) : La négociation collective, le travail et l’emploi, Rapport au Premier ministre, septembre.
26
Dombre-Coste F. (2015) : Favoriser la transmission d’entreprise en France : diagnostic et propositions, Rapport au Premier ministre, 7 juillet.
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8 Faire prospérer les PME
a
Dans le domaine du droit des entreprises en difficulté, la France Haddadj S. et A. d’Andria (1998) : « Transmissions internes et
transmissions externes dans les PME françaises : existe-t-il des
se distingue par des performances médiocres en termes de taux
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27
Pour une même plus-value annuelle, une détention sur dix ans engendre, avec des taux marginaux croissants, un impôt sur le revenu plus élevé que dix
plus-values annuelles. Le système d’abattement tente de corriger cette distorsion.
28
Le taux de recouvrement français est de 77,2 % (respectivement 80,4 et 83,5 % aux États-Unis et en Allemagne), tandis que les indices synthétiques de
participation des créanciers et de pertinence du cadre juridique sont respectivement de 1/4 et 11/16 (3/4 et 15/16 aux États-Unis comme en Allemagne).
Voir Banque mondiale (2013) : Doing Business 2014 : Comprendre les réglementations pour les petites et moyennes entreprises, Groupe Banque mondiale, 11e éd.
29
Voir La Porta R., F. Lopez-de-Silanes, A. Shleifer et R. W. Vishny (1998) : « Law and Finance », Journal of Political Economy, vol. 106 n° 6, pp. 1113-1150.
30
Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, en vigueur
depuis le 1er juillet 2014 (le projet de loi de ratification est en cours d’examen au Sénat).
31
Plantin G., D. Thesmar et J. Tirole (2013) : « Les enjeux économiques du droit des faillites », Note du CAE, n° 7, juin.
Les défaillances du financement inter-entreprises Les règles des marchés publics pourraient par exemple com-
porter l’obligation, pour les entreprises dont les volumes de
Alors même qu’elles éprouvent parfois des difficultés à se finan- dettes fournisseurs dépassent une taille critique, de fournir
cer, les PME françaises souffrent de devoir de facto financer les des données détaillées sur leurs délais de paiement vis-à-vis
grandes entreprises au travers des délais de paiement32. Les des sous-traitants lors des exercices récents, ou bien de pré-
mesures législatives de 2008 ne sont pas parvenues à amélio- senter une solution d’affacturage inversé pour l’exécution du
rer durablement la situation33. Or, les délais de paiement des marché.
fournisseurs sont inversement proportionnels à la taille des
entreprises : alors que près de quatre micro-entreprises sur dix
payent leur fournisseur à la date prévue, elles sont moins d’une
sur dix au-delà de 250 salariés34. Le fait que certains grands Assurer une concurrence équitable
donneurs d’ordre réduisent ainsi leur besoin de fonds de roule- entre PME et grandes entreprises
ment aux dépens de leurs petits fournisseurs résulte d’un pro-
blème classique d’asymétrie de taille entre les deux agents, le Au-delà des barrières aux réallocations de facteurs de pro-
(petit) fournisseur perdant tout pouvoir de négociation une fois duction, qui pèsent particulièrement pour les PME, il est
que l’équilibre de son activité dépend d’une relation commer- également nécessaire de s’attaquer à des distorsions de
ciale spécifique avec un (grand) donneur d’ordre. Les retards concurrence qui peuvent jouer au détriment des petites
de paiements seraient à l’origine d’un quart des faillites de PME entreprises : la fiscalité, les règles administratives et les
en France35. Il apparaît ainsi nécessaire de veiller avec rigueur marchés publics. D’une manière générale, il est préférable
à l’application de la loi LME, d’autant plus que les micro-entre- de penser les politiques selon des principes généraux, en
prises et petites entreprises sont généralement réticentes ciblant éventuellement des dispositifs qui seraient particu-
à demander le règlement des pénalités de retard de peur de lièrement bénéfiques aux entreprises en croissance, sans
perdre leurs plus gros clients. S’agissant des donneurs d’ordre pour autant constituer des dérogations pour les petites
publics, si l’État a globalement réduit ses délais de paiement, entreprises dont celles-ci perdraient le bénéfice en crois-
ceux des collectivités locales se sont allongés depuis 2011. sant. A contrario, il serait utile de modifier les dispositifs
généraux qui sont actuellement défavorables aux PME ou
Le recours par le donneur d’ordre à l’affacturage inversé est plus précisément aux PME en forte croissance.
une solution pour corriger cette défaillance de marché36. Il
permet au donneur d’ordre de s’engager de manière crédible
à ne pas utiliser son pouvoir de marché vis-à-vis de ses four- Un impôt plus équitable
nisseurs. Celui-ci s’est développé rapidement aux États-Unis
depuis 2008 et est à l’heure actuelle nettement moins utilisé Le Conseil des prélèvements obligatoires, puis la Direction
en France que dans d’autres pays de la zone euro. La mission générale du Trésor l’ont montré : les taux implicites d’impôts
confiée à la Médiation inter-entreprises en juin 2015 pour sur les sociétés diffèrent entre entreprises selon leur taille,
faire un état des lieux de l’affacturage inversé en France et les PME étant les entreprises les plus taxées37. En effet, les
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32
Cailloux J., A. Landier et G. Plantin (2014) : « Crédits aux PME : des mesures ciblées pour des difficultés ciblées », Note du CAE, n° 18, décembre.
33
La loi de modernisation de l’économie (LME) a introduit des plafonds pour les délais de paiement des fournisseurs (60 ou 45 jours) et des pénalités en
cas de non-respect de ces plafonds. La loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (2015) stipule que le délai de paiement ne peut
dépasser soixante jours à compter de la date d’émission de la facture, par dérogation quarante-cinq jours, et renforce le respect des délais de paiement des
pouvoirs adjudicateurs qui sont des entreprises publiques.
34
Altares (2014) : Comportement de paiement des entreprises en France et en Europe, analyse 1er semestre 2014.
35
Altares (2014) op. cit.
36
L’affacturage est une opération financière par laquelle une entreprise transfère ses créances commerciales à une institution financière (l’affactureur) contre
règlement par anticipation des créances. Dans le cas de l’affacturage inversé, le client de l’affactureur est le donneur d’ordres et non le fournisseur : l’entreprise
cliente transmet à la société d’affacturage les factures des fournisseurs qui ont autorisé leur transfert, ainsi que les informations nécessaires au suivi des risques.
37
Voir Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) (2009) : Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée, rapport du CPO et
Direction générale du Trésor (2012) : Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, Annexe au projet de loi de finances pour 2013.
38
Ce taux réduit s’applique aux 38 120 premiers euros de bénéfice des entreprises faisant moins de 7 630 000 euros de chiffre d’affaires annuel détenues
à au moins 75 % par des personnes physiques.
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10 Faire prospérer les PME
la pratique des dettes intra-groupes39. Les prix de transferts fice imposable. Plus généralement, ce dispositif pourrait être
permettent également un transfert de bénéfices imposables utile si effectivement il pouvait y avoir une corrélation tem-
entre pays aux fiscalités différentes. En particulier, Davies et porelle entre bénéfices et besoins d’investissements dans le
al. (2014)40 montrent que l’optimisation via les prix de trans- cycle de vie des entreprises, ce qui n’est pas toujours le cas
fert est très concentrée sur un petit nombre de grosses entre- (investissements réalisés en grappes).
prises. Enfin, le jeu de localisations des droits de propriétés
sur les immatériels (pour lesquels il n’existe pas de prix de Un autre mécanisme, similaire mais ayant un effet plus
référence) est une source très importante de réallocation de fort, est le principe du sur-amortissement. L’idée de base
bénéfice imposable, d’autant que l’hétérogénéité des accords est un système d’amortissement dégressif ayant pour effet
bilatéraux permet la construction de structures hybrides41. d’avancer dans le temps l’effet de réduction de l’assiette
imposable : au lieu d’amortir un investissement de 100 en
Ainsi, la bonne manière d’éliminer la surimposition de facto cinq déductions de 20 les cinq premières années, la pre-
des bénéfices dont souffrent les PME est un meilleur contrôle mière déduction se retrouve être plus importante (et les der-
de l’optimisation fiscale des multinationales, sujet qui dépasse nières plus faibles). Une mesure plus forte (annoncée par le
toutefois les frontières d’un seul pays. L’OCDE fait avancer Gouvernement et votée par le Sénat en avril 2015)45 consiste
cette question à son échelle avec le projet BEPS42. L’objectif à ajouter une déduction supplémentaire à l’amortissement
est de faire converger les législations fiscales des différents habituel qui n’est pas récupérée par la suite, ce qui conduit
pays afin notamment de limiter la déductibilité des verse- in fine à amortir un montant supérieur au montant investi. Il
ments d’intérêts intra-groupes, d’uniformiser les conventions s’agit de fait d’une subvention à l’investissement.
bilatérales pour éviter l’existence d’hybrides et de générali-
ser la vérification d’imposition dans un autre pays avant toute Enfin, le principe de l’exonération les premières années se
déduction fiscale. De même, la généralisation des échanges heurte aux mêmes critiques formulées plus haut. Les premières
automatiques d’information devrait permettre de réduire cette années, les entreprises sont souvent déficitaires, ou elles pré-
optimisation. Zucman (2014)43 propose d’aller plus loin avec sentent un faible bénéfice en raison de forts investissements
une déclaration mondiale des résultats des sociétés, ce qui réalisés au lancement et d’un bénéfice imposable souvent grevé
nécessiterait une information mondiale et une comptabilité par la recherche de parts de marché. Ainsi, le mécanisme même
uniformisée. Cela rejoint le projet européen ACCIS, initiale- de l’impôt sur les bénéfices, avec les possibilités de report du
ment lancé en 2011 et relancé en juin 2015 après une longue déficit, réalise cette exonération les premières années.
période de sommeil, projet d’assiette commune consolidée
pour l’imposition des sociétés44. Ce serait le premier pas vers
une nouvelle forme de fiscalité des sociétés non plus basée Alléger les impôts sur la production
sur l’obsolète règle d’établissement stable mais sur des règles
de répartition de l’assiette imposable à définir. En revanche, les impôts sur la production sont plus pénalisants,
notamment pour les jeunes entreprises ; or ceux-ci sont parti-
En complément, des mécanismes fiscaux soutenant le déve- culièrement lourds en France (graphique 2). Les impôts sur la
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Voir Dharmapala D. et N. Riedel (2013) : « Earnings Shocks and Tax-Motivated Income-Shifting: Evidence from European Multinationals », Journal of Public
Economics, vol. 97, pp. 95-107 et Buettner T. et G. Wamser (2013) : « Internal Debt and Multinational Profit Shifting: Empirical Evidence from Firm-Level
Panel Data », National Tax Journal, vol. 66, pp. 63-96.
40
Davies R., J. Martin, M. Parenti et F. Toubal (2014) : « Knocking on Tax Haven’s Door: Multinational Firms and Transfer Pricing », CESifo Working Paper, n° 5132.
41
Voir Fonds monétaire international (2013) : Fiscal Monitor: Taxing Times, World Economic and Financial Surveys (IMF), octobre, et Kleinbard E.D. (2011) :
« Stateless Income », Florida Tax Review, vol. 11, n° 9, pp. 699-774.
42
http://www.oecd.org/ctp/beps.htm
43
Zucman G. (2014) : « Taxing across Borders: Tracking Personal Wealth and Corporate Profits », Journal of Economic Perspectives, vol. 28 n° 4, pp. 121-148.
44
http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/common_tax_base/index_fr.htm
45
http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/19134.pdf
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« La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), payée par les entreprises à proportion de leur chiffre d’affaires et qui concerne notamment le
secteur industriel, entamera sa baisse dès 2015, avec une suppression prévue pour toutes les entreprises à horizon 2017. Un abattement permettra aux
deux tiers des 300 000 redevables, c’est-à-dire à la totalité des très petites entreprises (TPE) et à près de la moitié des petites et moyennes entreprises (PME),
dès lors qu’elles ont un chiffre d’affaires inférieur à 3 250 000 euros, d’être totalement exonérées dès 2015, cf. PLFSS rectificatif 2014.
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Un financement possible de cette mesure serait d’abaisser légèrement le seuil des allègements de charges dans le cadre du Pacte de responsabilité, par
exemple en l’alignant sur le seuil du Crédit d’impôt compétitivité emploi (2,5 fois le SMIC). Les PME, qui versent en moyenne des salaires plus faibles que les
grandes entreprises, en sortiraient gagnantes.
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OCDE (2014) : France : redresser la compétitivité, Série ‘Politiques meilleures’, Éd. OCDE.
49
Sur l’inflation normative, voir Lambert A. et J-C. Boulard (2013) : Rapport de la Mission de lutte contre l’inflation normative, mars, ou encore Attali J. (prés.)
(2008) : Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, la Documentation française.
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Créé en janvier 2014, le Conseil de la simplification est chargé de proposer au Gouvernement les orientations stratégiques de la politique de simplification
à l’égard des entreprises.
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norme, ou la réglementation, est abrogée automatiquement, Toutefois, la participation des PME à la commande publique en
seules les lois « effectives » (dont l’efficacité est prouvée) étant valeur ne reflète pas le rôle qu’elles occupent dans l’ensemble
reconduites. Au Royaume-Uni, des dizaines de réglementations de l’économie. Pour accroître la capacité des PME à candidater
et de normes ont été supprimées depuis 2010 selon la règle du sans créer de distorsion, il est préférable de poursuivre les efforts
« one in, one out ». De plus, toute nouvelle réglementation qui déjà entrepris dans le cadre de la simplification. L’enquête de la
concerne une entreprise de moins de dix salariés ne doit pas Commission européenne sur l’accès des PME à la commande
avoir une durée de vie de plus de trois ans et toutes les nouvelles publique révèle que celles-ci considèrent l’importance exagé-
lois qui concernent le monde de l’entreprise doivent contenir une rée du prix, les délais de paiement, le manque d’information et
clause d’extinction ou de révision après cinq ans en moyenne. la lourdeur des charges administratives comme les principaux
Le gouvernement britannique a estimé à 3,32 milliards de livres obstacles. Parmi les mesures qui pourraient au contraire favo-
sterling (4,52 milliards d’euros) les économies réalisées entre riser leur accès aux marchés publics, les PME mettent en avant
janvier 2011 et juin 2012 et a décidé de passer en 2013 à un davantage de dialogue et moins de documents administratifs54
système de « one in, two out »51. Il importe donc, comme le préconisent Saussier et Tirole (2015),
de renforcer l’efficacité de la commande publique en assurant
une plus grande diffusion de l’information et une diminution des
Recommandation 7. Poursuivre le travail de coûts des procédures via la dématérialisation et la réduction et
simplification. Stopper l’inflation normative l’uniformisation du nombre de plates-formes de publicité55. Les
par l’application d’une clause d’extinction avancées permettant de réduire le coût de candidatures tels que
ou du principe d’« une suppression pour une les marchés publics simplifiés (MPS) ou encore le document
création ». unique (principe du « dîtes le nous une fois ») vont dans le bon
sens. Au-delà du soutien aux PME, ces mesures contribuent de
manière plus générale à l’intensification de la concurrence, ce
qui peut par la même occasion permettre d’atteindre des objec-
PME et commande publique tifs de réduction des dépenses publiques.
51
HM Government (Department for Business, Innovation and Skills) (2012) : One-in, One-out: Third Statement of New Regulation, février.
52
Marion J. (2007) : « Are Bid Preference Benign? The Effect of Small Business Subsidies in Highway Procurement Auctions », Journal of Public Economics, vol. 97,
n° 7-8, pp. 1591-1624.
53
Commission européenne (2014) : SMEs’ Access to Public Procurement Markets and Aggregation of Demand in the EU, DG Internal Market and Services, février.
54
Commission européenne (2009) : Programme d’action pour la réduction des charges administratives dans l’UE.
55
Saussier S. et J. Tirole (2015) : « Renforcer l’efficacité de la commande publique », Note du CAE, n° 22, avril.
Le Conseil d’analyse économique, créé auprès du Premier ministre, a pour mission d’éclairer, par la confrontation
des points de vue et des analyses de ses membres, les choix du Gouvernement en matière économique.
Présidente déléguée Agnès Bénassy-Quéré Membres Agnès Bénassy-Quéré, Antoine Bozio, Les Notes du Conseil d’analyse économique
Pierre Cahuc, Brigitte Dormont, Lionel Fontagné, ISSN 2273-8525
Secrétaire générale Hélène Paris
Cecilia García-Peñalosa, Augustin Landier,
Conseillers scientifiques Pierre Mohnen, Corinne Prost, Xavier Ragot, Directrice de la publication Agnès Bénassy-Quéré
Jean Beuve, Clément Carbonnier, Jean Tirole, Alain Trannoy, Étienne Wasmer, Rédactrice en chef Hélène Paris
Manon Domingues Dos Santos, Guntram Wolff Réalisation Christine Carl
Aurélien Eyquem
Assistant de recherche Correspondants Contact Presse Christine Carl
Paul Berenberg-Gossler Anne Perrot, Christian Thimann christine.carl@cae-eco.fr Tél. : 01 42 75 77 47